Les bouleversements culturels et intellectuels à partir de Hans
Charle - Intellectuels en Grande Bretagne Au XXe
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LES FIGURES DE L’INTELLECTUEL EN GRANDE BRETAGNE
A propos de travaux récents
Christophe Charle
Dans les séances précédentes nous avons déjà tenté des comparaisons entre intellectuels
français et intellectuels d’autres pays ou abordé la question des échanges et relations entre les
intellectuels en France et ceux d’autres pays proches ou lointains. Je rappelle les séances sur
les exilés allemands autour de Norbert Elias, la séance de Jean Solchany sur Wilhelm Röpke,
la séance récente de François Jarrige sur J. Ellul et son influence aux Etats-Unis. Aujourd’hui
je voudrai aborder la question jamais complètement résolue ou de manière insatisfaisante à la
fois des relations intellectuelles franco-britanniques et des spécificités des figures
intellectuelles au Royaume Uni. Il n’existe pas de véritable synthèse ou d’essai d’ensemble
sur ce thème mais plusieurs tentatives pour s’approcher du sujet. En particulier un livre
collectif que j’avais dirigé avec Julien Vincent et Jay Winter, Anglo-French Attitudes.
Comparisons and Transfers between English and French Intellectuals since the Eighteenth
Century (Manchester UP 2007). L’ouvrage de Robert et Isabelle Tombs, (That sweet enemy,
The French and the British from the Sun King to the present, Heinemann, 2006, traduit en
2012) qui, au sein d’une vaste fresque sur les relations franco-britanniques depuis Louis XIV,
fait quelques arrêts sur image sur les relations intellectuelles entre les deux pays. S’y ajoutent,
et ce sera l’objet de la deuxième et de la troisième parties de mon exposé, l’essai réflexif de
Stefan Collini, Absent Minds (2005) et, même si c’est un genre très particulier,
l’autobiographie d’Eric Hobsbawm Franc-tireur. Cet intellectuel engagé, à la fois
britannique et cosmopolite du fait de sa trajectoire familiale, a été lui même une comparaison
vivante. Issu du mariage entre deux conjoints juifs l’un britannique et l’autre autrichienne il
est le produit à la fois de la culture de l’Europe centrale et d’une formation qu’il a introduit
dans le monde intellectuel britannique et mêlé aux grands moments des débats politiques et
culturels anglais mais aussi européens. J’ai moi même par ailleurs dans mes recherches sur les
intellectuels en Europe abordé la question dans un cadre plus large à propos notamment des
universitaires ou des écrivains du XIXe siècle1. Je me concentrerai toutefois surtout sur la fin
du XIXe siècle et le XXe siècle pour trois raisons logiques :
1) c’et le moment d’émergence du néologisme « intellectuels » et de son introduction en
langue anglaise ;
1 Voir Les intellectuels en Europe au XIXe siècle, Paris, Seuil, 2e édition, « Points », 2001 et Histoire des universités, Paris, PuF, 2012 (avec J. Verger).
1
2) c’est le moment où à partir de 1904 et pratiquement jusqu’à nos jours (sauf la période
1940-44) la Grande Bretagne et la France sont officiellement alliées et où donc en principe
leurs relations de toute sorte devraient s’intensifier ; on verra que pour les intellectuels ce
n’est guère le cas et on tentera d’expliquer pourquoi ;
3) c’est la période aussi où aussi bien les intellectuels des deux pays que les deux sociétés sont
confrontés grosso modo aux mêmes défis, ceux que j’ai résumé par l’expression « la crise des
sociétés impériales » . Je n’ai pas le temps de résumer le livre qui porte ce titre et je vous y
renvoie. Pour ceux qui ne l’auraient jamais regardé, la thèse générale est la suivante. Depuis
le XVIIIe siècle (voire avant2) la France et la Grande Bretagne sont deux Etats nations à
prétention hégémonique en Europe, voire hors d’Europe, et ont construit tant bien que mal des
sociétés impériales. Je ne désigne pas par là seulement le fait qu’elles ont bâti les deux
empires coloniaux les plus vastes du XIXe siècle mais aussi et surtout qu’elles prétendent
incarner un idéal de société et de culture à vocation universaliste (ce qui justifie leur
impérialisme) parce qu’elles s’estiment (du moins leurs dirigeants et plus encore leurs élites
intellectuelles) supérieures aux autres et moteurs du progrès de l’humanité et à la tête de la
civilisation européenne. Cette autosatisfaction débute au moment des Lumières (voir les
textes de Voltaire et Montesquieu sur l’Angleterre), change dans un sens d’antagonisme et de
rivalité à partir de la Révolution française et sous Napoléon (voir les textes de Burke contre la
Révolution et l’anglophobie impériale et post-impériale du premier XIXe siècle) et se poursuit
avec des hauts et des bas au XIXe siècle avant d’être remise en cause par la montée en
puissance d’autres sociétés impériales, au premier chef l’Allemagne unifiée puis hors
d’Europe, les Etats-Unis, le Japon, la Russie tsariste puis soviétique, aujourd’hui sans doute la
Chine, bientôt l’Inde, etc. Cette mise en crise (et donc le sentiment de déclin qui
l’accompagne) oblige les intellectuels à une réflexion d’ensemble sur l’histoire antérieure de
leur pays et plus globalement de sa position dans le monde et suscite des clivages internes aux
courants intellectuels autour d’enjeux majeurs : relations aux autres cultures (racisme
xénophobie), position face à l’empire colonial et à la décolonisation, question des fondements
de la nation à travers le débat sur les réformes politiques (suffrage des femmes au début du
XXe siècle, droits politiques des colonisés), sociales (modification du régime économique et
social à partir de la matrice libérale commune aux deux pays, construction de l’Etat
providence et ses limites l’Angleterre ayant un rôle pionnier aussi bien dans sa construction
que dans sa destruction programmée depuis les années 1980), internationales (construction
2 Dans Anglo-French Attitudes, Jean-Philippe Genet tente une comparaison qui remonte au Moyen Age pour souligner à la fois les points communs et les divergences des deux sociétés intellectuelles.
2
d’un ordre politique européen : SDN, ONU, construction européenne ; et ici c’est la France
qui a un rôle leader et l’Angleterre un rôle de frein ou de nuisance comme l’illustre le projet
en cours de « Brexit »). Sur tous ces domaines, on retrouve des points de référence communs
mais aussi des divergences de plus en plus grandes entre les intellectuels des deux pays qui
tiennent autant à la structuration et à la fonction différente des champs intellectuels, qu’aux
relations variables avec le champ du pouvoir, à l’ouverture inégale aux demandes sociales ou
au monde extérieur. On ne pourra évidemment traiter tous ces aspects dans un temps
forcément limité mais on verra quelques unes des réponses que les livres que l’on va examiner
proposent à ces questions.
I. PERSPECTIVES GÉNÉRALES: LES INTELLECTUELS EN FRANCE ET EN ANGLETERRE, RENCONTRES ET DÉCALAGES.
Le condominium
Dans son introduction au volume collectif déjà mentionné, Julien Vincent souligne
l’importance d’une vision de longue durée pour échapper aux oppositions binaires à base
nationale qui organise inconsciemment l’interprétation du rôle des intellectuels en France et
en Angleterre. Les proximités et les relations entre les intellectuels des deux pays étaient en
réalité très fortes dès le Moyen Age et plus encore à l’époque des Lumières comme
l’indiquent aussi bien les flux de traduction, les échanges scientifiques, les voyages
réciproques dans les deux pays (en général les capitales), les relations personnelles entre des
figures importantes et surtout la conscience commune d’appartenir aux nations les plus
avancées qui donnent le ton au reste de l’Europe ; ce que nous appelons dans le livre le
« condominium intellectuel franco-britannique ». Toute l’histoire du XIXe siècle et du XXe
siècle peut être considérée comme la remise en cause de ce condominium et par conséquent
d’une rupture croissante des liens en dépit de l’hégémonie croissante de l’anglais comme
langue internationale. La question n’est pas tant de savoir parler la langue de l’autre que
d’avoir quelque chose à lui dire…
L’éloignement renvoie d’abord aux bouleversements introduits par la Révolution qui aboutit
à la fin de l’ancien régime universitaire en France (suppression des universités médiévales et
reconstruction d’un nouveau système universitaire sur le modèle napoléonien) et à son
maintien en Angleterre comme en Ecosse, si bien que, dès la formation, les principes de
sélection et d’orientation des futurs intellectuels en France et outre Manche divergent
fortement. Le lien avec l’Eglise et la place de la religion diffèrent aussi pour les mêmes
3
raisons puisque toute la politique éducative française s’oriente, notamment dans la dernière
partie du XIXe siècle, vers une séparation des deux sphères alors qu’elles sont encore très
proches voire liées outre-Manche. Il ne faut pas exagérer cependant cette opposition qui
concerne surtout les intellectuels liés à l’Etat et à l’université.
Une sociologie convergente
Un point de rencontre perdure qui concerne la majorité des intellectuels des deux pays, c’est
la croissance d’un marché de l’imprimé (livres et périodiques) qui permet au cours du XIXe
siècle une professionnalisation croissante des auteurs. Comme la production est centré en
Angleterre comme en France sur la capitale il se crée un milieu professionnel des auteurs qui
obéit de plus en plus aux mêmes règles et aux mêmes contraintes : souci de l’adaptation à la
demande des lecteurs, cumul des activités proches pour améliorer la survie (journaux, revues,
volumes, conférences), hiérarchie mouvante des genres, divergences entre héritiers et non
héritiers, entre ceux qui dépendent du marché ou disposent d’un capital personnel autorisant
des stratégies plus indépendantes voire non conformistes, spécialisation dans certains genres
ou au contraire maintien du polygraphisme ancien, rôle des spectacles comme sphère lucrative
annexe, etc. Le tableau des deux milieux littéraires et journalistiques parisien et londonien a
plus de points communs que de divergences. Un tableau statistique comparé permet de le
mettre en évidence malgré la difficulté de ce type d’échantillonnage :
France1820
1827 1834 1841 Écrivains britanniques
Propriétaires 7 6 6 5Clergé 5 5 4 3 21,5%Militaires 11 9 9 3prof libérales 7 14 9 6 19,6%industrie commerce banque 7 6 9 7 3,1%Diplomatie, administration 24 17 10 13 15,8%
Employés, professeurs bibliothécaires
28 27 21 27 11,9%
Journalistes hommes de lettres, auteurs dramatiques, traducteurs
10 16 32 36 21,7*%
Artisans ? ? ? ? 6,2%N= 386Tableau n°1 : Activité professionnelle de deux échantillons d’auteurs en France et en Grande-Bretagne (%).Sources : Grande-Bretagne : R. D. Altick dans Bulletin of the New York Public Library, 66, 1962, p. 398-404; France : Echantillon sélectionné dans les tables de la Bibliographie de la France, en 1820, 1824, 1827, 1830, 1834, 1838 et 1841; données tirées de James Smith Allen, Popular French Romanticism, Syracuse, Syracuse UP, 1981, p. 93.*Journalistes seulement.
Du côté des points communs, on note que les écrivains professionnels sont dans les deux cas
la catégorie la plus importante ; des deux côtés aussi le lien à des fonctions publiques est la
4
seconde ressource principale avec par exemple en 1834 en France 31% d’employés,
professeurs, bibliothécaires, diplomates ou fonctionnaires en France ; côté britannique le taux
est de 27,7% si l’on ajoute le clergé qui dans les deux pays à l’époque sont des quasi
fonctionnaires ; s’ils appartiennent au catholicisme ou à l’anglicanisme on arrive à
respectivement 35% et 49,2% des auteurs qui disposent d’une sécurité d’emploi ; la
professionnalisation comme profession libérale est encore loin d’être achevée dans la
première partie du XIXe siècle. Elle va se poursuivre comme l’indique la croissance de ces
catégories d’hommes de lettres et journalistes dans les recensements :
Année France Paris Taux de croissance %
Angleterre-Galles
Londres Taux de croissance % national
Taux croissance Londres
1876 4173 51% ? ?1881 7372 76,6 6893 ?1896 6354 65% -13,8 8272
(1891)2792(33,7%)
20
1906 9148 43,9 11060 (1901)
3466(31,3%)
33,7 24,1%
1910 13986 (avec Ecosse (1911)
24,6
1921 11229Taux 1876=1906
119% 101% (1881-1910)
Tableau n°2 : La croissance des professions intellectuelles indépendantes (écrivains, journalistes, savants, publicistes) en France et en Grande Bretagne (1880-1910).
On constate une croissance globale similaire en trente ans dans les deux pays : un plus que
doublement au moins de ceux qui revendiquent ces activités ce qui réduit probablement la
part de ceux disposant de ressources d’origine publique et accroît la compétition, d’autant que
c’est la période où un nombre croissant de femmes se met à publier. On note aussi une
différence entre la France et la Grande Bretagne. Dans un cas des variations à la hausse et à la
baisse du fait sans doute d’une certaine crise de la presse en France à la fin du XIXe siècle
après une croissance excessive des titres et des productions imprimées en général dans les
années 1880. En Angleterre en revanche la croissance est moins rapide mais plus continue et
sans retour en arrière. Evidemment le fait que les recensements soient décennaux en
Angleterre atténue peut être l’enregistrement des aléas conjoncturels qui sont plus visibles
5
dans les recensements quinquennaux français. Autre différence dans un contexte similaire de
croissance du marché intellectuel la surconcentration de ces catégories à Paris (51à 65% selon
les dates) et la moindre centralisation à Londres (autour du tiers). Il existe en effet des grands
journaux et des éditeurs importants en dehors de Londres alors que ce phénomène est
beaucoup plus limité en France. Ce tableau morphologique abstrait ne révèle donc pas des
différences objectives si importantes qu’elles puissent expliquer les trajectoires idéologiques
et politiques des figures intellectuelles divergentes entre les deux pays. Tout au plus des
différences de style liées notamment aux systèmes éducatifs et au paysage religieux mais pour
le reste les paysages professionnels avec la croissance d’un marché de masse de l’imprimé
sont assez parallèles.
Des enjeux politiques divergents
Il faut donc faire intervenir surtout les facteurs politiques et le rapport à l’histoire pour rendre
compte des divergences croissantes. Dans Naissance des « intellectuels », j’ai mis en avant
l’idée que l’émergence et l’autonomisation des intellectuels sur le modèle de l’affaire Dreyfus
renvoient par delà les événements spécifiques de cette crise à la question de la légitimité des
élites. C’est une question récurrente en France depuis la Révolution française et qui n’a fait
que s’accentuer au cours du XIXe siècle du fait de l’instabilité des régimes et du
remplacement rapide des équipes. Au delà du débat sur la forme du régime et sur
l’acceptation ou le refus de la Révolution française qu’incarnent les différentes équipes au
pouvoir, c’est le fondement de leur légitimité qui est régulièrement posée et suscite donc un
débat au delà des cercles politiques dans le champ intellectuel. Cela explique l’importance des
historiens dans le débat public française ou la tentation pour certains intellectuels de s’engager
dans des carrières politiques. La question se pose très différemment en Grande Bretagne du
fait de la continuité dynastique et même du renforcement de l’image de la monarchie autour
de la figure de la reine Victoria, de la capacité des classes privilégiées à lâcher du lest en
accordant plusieurs réformes électorales par palier (1832,1867, 1884, 1918) pour éviter la
rupture révolutionnaire comme en France et maintenir ainsi l’essentiel le contrôle du
processus électoral et la prédominance des classes privilégiées au Parlement et au
gouvernement où la noblesse reste majoritaire presque jusqu’à la fin du siècle alors qu’en
France elle ne cesse de reculer rapidement. Cela ne veut pas dire que les intellectuels ne se
prononcent pas sur les grandes questions comme en France mais ils le font en restant pour
l’essentiel dans le cadre de l’ordre établi et dans une vision au mieux réformatrice. C’est ce
qu’on a appelé la vision whig de l’histoire selon laquelle l’Angleterre a su inventer des formes
6
de compromis entre les intérêts antagoniques (d’abord la monarchie et le Parlement) puis à
l’intérieur du Parlement entre les Lords et les Communes et enfin dans les élections en
élargissant le suffrage progressivement. Cette image d’un progrès continu possible contraste
avec les thématiques révolutionnaires ou radicales qui habitent aussi bien les représentions
des historiens français que les discours anti élites qui surgissent régulièrement bien avant
même la crise de l’affaire Dreyfus. Cette différence de cadre politique n’empêche pas, comme
on va le voir avec l’ouvrage de Stefan Collini que le débat sur les intellectuels existe tout
autant au XXe siècle qu’en France.
II. LES INTELLECTUELS BRITANNIQUES PAR L’UN D’ENTRE EUXL’ouvrage que Stefan Collini consacre à la question des intellectuels en Grande-Bretagne au
XXe siècle est un peu à l’image de son double titre et de sa couverture. Deux personnages
tournent le dos ; l’un, assis dans l’herbe, rêve sans doute à l’avenir (absent mind), l’autre, plus
engagé dans le réel (il est debout), ne l’appréhende toutefois qu’à travers la lecture de son
journal (intellectual)3. De la même façon, ce livre, dans une certaine mesure, traite des
intellectuels britanniques en leur tournant le dos et ne les évoque principalement qu’à travers
les débats qui les ont agités ou qu’ils ont suscités en tant qu’objet historique, culturel ou
sociologique dans une abondante littérature secondaire ou primaire que Collini étudie en
détail. L’introduction et la première partie définissent très clairement les termes du problème
et les fondements de la critique que Collini adresse à toute la tradition du débat sur les
intellectuels dans son pays. Alors que le stéréotype national suppose l’incompatibilité entre
les « intellectuels » et la nation anglaise et que le mot irrite comme « unbritish », la question
est pourtant sans cesse débattue, non seulement au XXe siècle, en écho aux débats français ou
américains contemporains, mais bien avant, tout au long du XIXe siècle, même si d’autres
termes ou notions sont alors utilisées. Ce paradoxe renvoie au stéréotype de distinction
culturelle et politique par rapport à la France notamment.
Stefan Collini dénonce une seconde idée reçue britannique : au XXe siècle, les intellectuels,
même s’ils existent en tant que figure sociale, n’auraient plus guère d’importance, en regard
d’autres groupes d’élites, à mesure que la catégorie se massifie et de subdivise en groupes
rivaux aux compétences de plus en plus spécialisées. Cette déploration sur l’absence actuelle
ou récente de « vrais » intellectuels émane pourtant le plus souvent des intellectuels eux-
mêmes. Pour l’auteur de Public moralists, ces deux idées reçues ne sont en fait que la mise au
3 Il s’agit de la reproduction d’un tableau de 1937, On the Map de Sir William Coldstream (Tate Gallery) relevant d’un impressionnisme tardif.
7
goût du jour de l’interprétation whig de l’histoire anglaise du XIXe siècle. Collini baptise
« Dreyfus envy » cette lacune d’une histoire politique anglaise fondée sur la rupture qui aurait
permis, selon certains essayistes, d’ouvrir, comme en France, un espace d’intervention aux
intellectuels. Collini a beau jeu de souligner, dans la première partie comme dans les chapitres
comparatifs de la troisième, que la thèse de l’exceptionnalité peut être reprise en fait pour
chaque pays. Il faut comparer de façon moins superficielle au lieu d’opposer l’Angleterre au
continent de façon binaire à partir de la thèse réductrice du caractère national, éternellement
ressassée depuis Burke et Tocqueville : la politique reposerait moins qu’ailleurs sur des idées
et réduirait donc le rôle des intellectuels à la portion congrue dans l’espace public.
Une histoire au second degré
Après cette mise en place utile, le lecteur est cependant déçu d’apprendre que l’auteur, malgré
le titre annoncé, ne proposera pas une interprétation d’ensemble de l’histoire de la vie
intellectuelle britannique, d’où l’absence de certaines figures majeures et la surreprésentation
d’autres moins connues parce qu’elles ont participé largement au débat sur l’absence des
intellectuels. Comme dans son recueil d’essais English Pasts4, Collini réalise plutôt un travail
de critique littéraire ou culturelle qu’une étude combinant la science politique, l’histoire et la
sociologie. D’une certaine manière, il s’agit d’un livre au second degré sur les intellectuels,
une critique de la critique des intellectuels et des usages du débat autour des intellectuels dans
diverses conjonctures de la vie anglaise tout au long du XXe siècle. Collini ne traite presque
uniquement que le XXe siècle car il faut que le mot « intellectuals » soit d’usage explicite et
courant, ce qui n’est vraiment acquis qu’après 1900. Il utilise essentiellement des sources
imprimées et se concentre sur les figures dominantes qui s’expriment sur le sujet, d’où
l’absence des femmes (sauf Virginia Woolf), et des groupes militants ou provinciaux qui
n’ont pas accès à ces organes. On peut regretter cependant cette approche à dominante
intellectualiste. Elle réduit l’enquête à un cercle fort restreint d’intervenants concentrés à
Londres, Cambridge et Oxford et présents dans les médias dominants de chaque époque
(grands journaux, grandes revues, chaînes culturelles de la radio et de la télévision).
La première partie retrace en détail l’histoire du mot « intellectual » et ses significations et la
seconde partie évoque le refus de l’usage de la notion notamment après 1945 où il est le plus
développé. Elles sont particulièrement typiques de ce regard particulier autocentré. En
revanche, la troisième partie tente une comparaison internationale, la quatrième partie met en
scène les trajectoires des figures qui ont cultivé le thème du refus et la cinquième prend
4 Oxford, Oxford U. P., 1999.
8
position sur quelques débats récents dans une perspective historique longue. L’auteur doit
donc y recourir malgré tout à des outils d’analyse empruntés à l’histoire sociale ou à la
sociologie historique : étude des institutions (et notamment des systèmes universitaires et
politiques), biographies comparées, sociologie des médias et du régime d’accès à la notoriété
depuis les années 1960. Mais l’auteur le fait presque à regret, sans systématisme, et s’arrête
parfois au seuil d’approfondissements qui auraient pu être éclairants, ce qu’il justifie par la
crainte de sortir de son projet critique initial.
Consacrée à la sémantique historique du terme « intellectuals » ou de ses synonymes, la
première partie met en valeur les qualités des livres de Stefan Collini : subtilité dans l’analyse
des textes, capacité à découvrir les cheminements des idées et des influences, rigueur pour
démonter les ambiguïtés voulues dans les échanges polémiques, qualité de l’écriture,
virtuosité des références et des citations. Comme en France, c’est l’affaire Dreyfus qui
introduit le néologisme en anglais et, comme en France, le sens négatif est présent dès
l’origine. Mais, à la différence de la France, l’importation de termes étrangers concurrents,
comme intelligentsia, avec une nuance plus sociologique, sans la connotation critique ou de
gauche de son usage russe originel et, dans les années 1920, l’arrivée du néologisme
highbrow, venu d’Amérique, affectent, plus qu’en France, intellectual d’une nuance
supplémentaire de prétention mal placée à la supériorité5. Dans la première partie du XXe
siècle, des usages et sens multiples coexistent donc, aussi bien des usages anciens (personnes
vouées à une activité intellectuelle), des sens étrangers (groupes occupant une position
éminente) ou l’application à l’Angleterre d’exemples externes. Aux Etats-Unis, également, la
naturalisation et l’unification du sens ne sont pas encore acquises des années 1900 aux années
1920. L’usage des guillemets ou des mises à distance perdure longtemps. Toutefois, dans les
années 1930, « intellectual » devient plus fréquent, en raison de l’interférence croissante entre
l’histoire anglaise et celle du continent européen, notamment au moment de la guerre
d’Espagne ou du développement de l’antifascisme6. Une constante pourtant demeure : même
ceux qui, de l’avis général, correspondent à cette identité cultivent une attitude distanciée à
son égard et l’utilisent volontiers ironiquement, ainsi le poète W. H. Auden par ailleurs
5 Ce reproche d’élitisme était très marqué aussi en France dans les polémiques de l’affaire Dreyfus mais la récupération du mot « intelligence » par la droite et l’extrême droite dans les années 1920 face « au bolchevisme culturel » n’a pas maintenu cette critique puisque la droite intellectuelle voulait protéger l’élitisme intellectuel contre les projets égalitaristes supposés de la gauche.6 Ce point est confirmé par le témoignage d’Eric Hobsbawm, jeune étudiant à Cambridge engagé à l’extrême gauche (cf. E. J. Hobsbawm, Franc-tireur (éd. anglaise 2002), traduction française, Paris, Ramsay, 2005, chapitres 7 et 8).
9
engagé en faveur des républicains espagnols7. L’importation des sciences sociales d’origine
américaine ou allemande et les traductions qui en résultent ont contribué à diffuser un sens
plus neutre et simplement classificatoire d’ « intellectuals » mais cela n’efface pas la
multiplicité des sens concomitants dans les usages. De cette enquête préliminaire, Collini
conclut qu’au début du XXIe siècle « the term itself is alive and well and living in the
English language » (p. 40, souligné par l’auteur). Il délimite trois sens principaux en anglais,
un sens sociologique, d’extension très large, influencé par la définition de S.M. Lipset8 ; un
sens subjectif (attitude individuelle et intérêt pour les idées) qui donne lieu souvent à des
jugements péjoratifs ; enfin un sens culturel : ceux qui détiennent une certaine autorité et
peuvent s’adresser à un public plus large que leur spécialité. Ce dernier thème suscite les
lamentations sur le déclin ou la disparition de cette fonction dans la société contemporaine.
Collini récuse, en revanche, le sens étroitement politique caractéristique de la tradition
française : en anglais, on peut jouer un rôle public d’intellectuel sans être actif politiquement.
Cette différenciation des usages explique pourquoi il ne pratiquera pas beaucoup la première
définition qui aurait supposé un livre de type sociologique et statistique. L’emploi du second
sens aurait abouti à une galerie de portraits. En revanche le troisième sens est au centre du
livre. C’est le seul où le côté problématique de la catégorie peut être mis en question dans le
cas anglais, non dans les deux autres. Quatre dimensions sont nécessaires selon Collini pour
être justiciable du sens culturel retenu : atteindre un certain niveau de réussite dans une
activité intellectuelle ; accéder à des moyens d’expression publique vers des publics plus
larges ; exprimer des opinions ou des vues qui concernent ces publics ; et enfin obtenir la
réputation que ces opinions jouent un certain rôle dans le débat. Tous ces critères varient dans
le temps et n’impliquent aucun jugement de valeur positif ou négatif. Si l’on peut s’accorder
sur cette perspective qui rappelle d’ailleurs la définition proposée par Pascal Ory pour la
France ou la démarche qui inspire mon essai sur Les Intellectuels en Europe au XIXe siècle9,
on reste plus sceptique quant à la lecture réductrice que propose Collini des concepts de
Bourdieu, notamment celui de « capital culturel » auquel il reproche un certain
réductionnisme économiste qui assimile la notion d’autorité culturelle à une simple 7 Sur ce bref moment d’engagement de la génération poétique des années 1930, voir D. George Boyce, « A product of History, not a cause ? Yeats, the « Auden Generation », and the politics of poetry », in Jeremy Jennings and Anthony Kemp-Welch, Intellectuals and Politics from the Dreyfus Affair to Salma
n Rushdie, Londres, New York, Routledge, 1997, p.120-145. 8 S. M. Lipset, « American intellectuals : their politics and their status », Daedalus, 88 (1959), p. 460, cité par S. Collini, Absent minds, op. cit., p. 46.9 P. Ory et J.-F. Sirinelli, Les intellectuels en France de l’affaire Dreyfus à nos jours, Paris, A. Colin, 1986, nouvelle édition, « Tempus », 2004 ; et C. Charle, Les intellectuels en Europe au XIXe siècle, essai d’histoire comparée, Paris, Le Seuil, 1996, 2è édition « Points », 2001.
10
compétition (p. 57). Pour Collini au contraire, l’autorité culturelle est la résultante des quatre
dimensions précédentes et échappe donc en partie aux calculs de l’individu concerné. Comme
il s’agit d’une structure de relations, il y a toujours une tension entre l’expertise initiale et la
volonté de sortir de son domaine de compétence à l’origine de la plupart des critiques des
intellectuels, soit parce qu’ils outrepassent leurs compétences, soit parce qu’ils s’enferment
dans leur spécialité. Ce double procès est récurrent pendant toute l’histoire des intellectuels et
nourrit tous les clichés sur l’enfermement de la tour d’ivoire qu’on trouve dès le XIXe siècle
avant même que la notion se cristallise.
Au total, la culture britannique du XX e siècle a donc rarement été marquée par une absence
de discussion sur le sujet. Les chapitres des parties qui suivent s’emploient avec minutie,
finesse, et parfois ironie ou humour, à mettre en œuvre cette perspective et à démonter toute
une série d’idées fausses colportées par les débats récurrents. L’ancienneté de l’utilisation de
la France comme contre-exemple est bien antérieure par exemple à l’affaire Dreyfus ou même
aux divergences politiques du XXe siècle. Collini rappelle ainsi des polémiques apparentées
des années 1830 ou 1860 sous la plume de Bulwer Lytton, John Stuart Mill, Matthew Arnold
ou J. R. Seeley. Ce dernier déplore par exemple le déclin philosophique de l’Angleterre par
rapport aux XVIIe et XVIIIe siècles et le met en rapport, non avec un trait national, mais avec
un manque d’organisation universitaire moderne.
L’affaire Dreyfus est interprétée Outre-Manche comme une preuve supplémentaire des
défauts du caractère national français et des Latins en général, si bien que la conviction de
l’innocence du capitaine traverse les partis et les classes au lieu de reproduire les clivages
existant en France entre élites traditionnelles d’un côté, avant-garde littéraire et universitaires
modernistes de l’autre10. Le malentendu ne fait que s’aggraver lors de chacune des crises
françaises où les intellectuels interviennent collectivement et s’affrontent autour de systèmes
de valeurs incompatibles (Front populaire, régime de Vichy et Libération, guerres coloniales,
instabilité politique de la Quatrième République, etc.). Elles permettent de rafraîchir le vieux
stéréotype antifrançais et de connoter négativement un terme source de désordres chez le
voisin. L’Allemagne joue aussi un rôle péjoratif puisque les professeurs, si révérés comme
exemples de savants chez les réformateurs anglais de l’Université à la fin du XIXe siècle,
défendent la mauvaise cause à travers leur adhésion au « manifeste des 93 » qui se solidarise
avec le militarisme prussien en 1914. Les malentendus sont plutôt renforcés avec l’arrivée des
intellectuels réfugiés juifs ou antinazis d’Europe centrale dans les années 1930. Pourtant c’est
10 Cf. C. Charle, Naissance des « intellectuels » (1880-1900), Paris, Editions de Minuit, 1990, deux derniers chapitres.
11
le moment où la figure de l’intellectuel engagé semble la plus proche d’être naturalisée
anglaise à travers la mobilisation pour la cause républicaine espagnole ou la lutte contre le
fascisme. Mais le grand sursaut national de la guerre, l’échec des pays européens face aux
dictatures, l’influence croissante des idées américaines par le biais de grandes revues
intellectuelles liées à la guerre froide, comme Encounter, redonnent toute sa vigueur à la thèse
de l’absence des intellectuels en Angleterre dans les années 1950. Cette dérive des continents
entre le Royaume-Uni et l’Europe continentale n’a fait que s’accentuer avec l’exclusion de
l’Angleterre de la construction européenne initiale, à cause aussi – ce que ne dit pas assez
l’ouvrage – de l’intensification des échanges franco-allemands ou des relations intellectuelles
directes Allemagne-Etats-Unis ou France-Etats-Unis. Cela a renforcé l’insularité de la vie
intellectuelle anglaise, comme l’atteste l’effondrement des courants de traduction d’œuvres
littéraires ou de sciences humaines entre les deux rives de la Manche si l’on exclut la
littérature romanesque à grand tirage11.
Il n’y avait pourtant nulle fatalité à cette évolution. Les années 1920 sont marquées, selon
Collini, par une sorte de « guerre culturelle » autour des notions de « high brow » et « middle
brow » importées d’Amérique. La première est revendiquée par provocation anticonformiste
par les membres du cercle de Bloomsbury, Virginia Woolf en tête, la seconde par les écrivains
à grand tirage hostiles à cette avant-garde méprisante et qui se veulent à l’écoute des publics
issus de la démocratisation scolaire. Collini aurait pu noter ici combien ce débat rappelle celui
qui oppose la gauche et la droite intellectuelles dans les mêmes années en France. Toutefois,
ce qui fonde la force du groupe de Bloomsbury, c’est son accès à un media moderne à travers
certaines émissions culturelles de la BBC et donc la possibilité de se battre presque à armes
égales avec les tenants du grand public (Arnold Bennett, J.B. Priestley) qui critiquent cet
intellectualisme arrogant. Les années 1950 apparaissent comme un retour à l’isolationnisme et
la mise en place d’une doxa sur l’exception britannique, résumée dans deux articles toujours
cités, l’un de Noel Annan « The Intellectual Aristocracy » dont Collini démonte les faiblesses
historiques et sociologiques, et l’autre d’Edward Shils sur les intellectuels en Grande Bretagne
publié dans Encounter où le diagnostic sociologique apparemment objectiviste cache mal une
classification biaisée par des jugements de valeur implicites (« integration » versus
« alienation ») (p. 145).
11 Cf. C. Charle, J. Vincent, J. Winter (eds), Anglo-French Attitudes : Comparisons and Transfers between French and English Intellectuals XVIIIth-XXth Centuries, Manchester, Manchester U.P., 2007, notamment ma conclusion, pp. 299-310. Sur l’effet de la domination linguistique pour l’enfermement culturel voir Pascale Casanova, La langue mondiale traduction et domination, Paris, Le Seuil, Liber, 2015.
12
Pourtant l’auteur souligne aussi qu’il existe des voix dissidentes contre cette nouvelle
orthodoxie néoconservatrice : la Declaration des « Angry Young Men » contre l’apathie
politique ambiante (1957), la collection d’essais intitulé Conviction émanant d’intellectuels
socialistes à gauche du Labour Party (Raymond Williams, Richard Hoggart, Iris Murdoch en
particulier) en 1958 ou le recueil édité par E.P. Thompson, Out of Apathy en 1960. Ce rappel
d’un débat oublié lui permet de relativiser la nouveauté, à son avis surestimée, de la
polémique déclenchée, dans les années 1960, par la New Left Review sur les spécificités des
intellectuels anglais, interprétées dans le cadre d’une théorie néo-marxiste inspirée du
continent à travers Gramsci et Althusser. Collini reproche aux analyses de Perry Anderson et
de ses amis non seulement leurs faibles bases empiriques (faute de travaux sérieux sur les
intellectuels en Angleterre) mais surtout leur incapacité à ne pas reproduire, en l’inversant, la
théorie whig de l’histoire, ou à ne pas tout juger en fonction d’un modèle simplificateur de la
situation française considérée comme la norme idéale. Malgré les transformations sociales et
universitaires des récentes décennies, Collini souligne la répétitivité des arguments échangés
par la suite sur ces thèmes.
Comparaisons et typologies
Dans les troisième et quatrième parties, l’auteur rompt avec le discours internaliste ou la
chronologie politique pour adopter une autre perspective : la comparaison entre nations d’une
part, l’usage de monographies de figures singulières, de l’autre, ou, pour parler autrement, un
point de vue macro-social, d’une part, et micro-social, de l’autre. Quelle que soit la richesse
des analyses, elles souffrent cependant de défauts inverses : comment traiter véritablement, en
si peu de pages, l’histoire des intellectuels et des débats sur eux dans des pays aussi différents
et complexes que les Etats-Unis (26 pages), la France (30 pages), chapitres précédés par une
vue panoramique encore plus courte sur l’ensemble de l’Europe (19 pages) et suivis par un
chapitre, trop développé à l’inverse pour son objet réduit, sur les mauvaises lectures
britanniques du célèbre livre de Julien Benda, La trahison des clercs (qui a droit, lui, à 22
pages). Même si l’auteur atteste d’une connaissance approfondie de la littérature récente sur
ces pays (en particulier sur la France où c’est devenu une spécialité très florissante), il ne
semble pas tirer tout le parti des autres manières d’aborder les intellectuels pratiquées dans les
ouvrages et articles étrangers sur lesquels il s’appuie. S’il a raison d’évoquer le caractère
hautement sélectif de certaines filières d’accès au monde intellectuel en France qui ne le
cèdent en rien à l’élitisme des public schools ou des colleges les plus réputés d’Oxbridge (pp.
267-269), il arrête la comparaison sociale trop tôt et oublie un certain nombre de médiations
13
pour la rendre explicative pour ce qui l’intéresse : ce n’est pas parce que les normaliens de la
rue d’Ulm se recrutent principalement au sein des classes moyennes intellectuelles dans
l’entre-deux-guerres et accèdent aux positions dominantes des universités (et marginalement
de la littérature ou de la politique) qu’ils ont une plus grande propension que les élites
intellectuelles anglaises à adopter la posture de « l’intellectuel » ; l’élitisme du système des
grandes écoles et l’homogénéité des fractions d’origine préparent sans doute à l’adoption de
certaines attitudes (confiance en soi, revendication d’autonomie, adhésion à certaines valeurs
idéalistes), mais ces éléments doivent être complétées par d’autres analyses sociales et
culturelles ou politiques (notamment empruntées à la théorie des champs) que Collini ne
mentionne pas ou qu’il se refuse lui-même de tenter sur ses propres objets (dans la quatrième
partie), soit parce qu’il les a récusées d’emblée, soit parce qu’il n’en a pas saisi l’intérêt au
nom d’un privilège accordé à l’étude des biographies individuelles ou des prises de position
polémiques. En fait, ni la partie comparative, ni les monographies singulières ne produisent
leurs pleins effets, faute de cette prise en compte de l’articulation entre le capital culturel et
symbolique des individus étudiés, les caractéristiques spécifiques du champ intellectuel et sa
position variable dans le champ du pouvoir à l’époque où ils s’y font connaître et reconnaître.
On reste pris dans la contradiction du « trop près, trop loin » que j’avais déjà mise en valeur à
propos de l’ouvrage de Rémy Rieffel sur les intellectuels français sous la Cinquième
République12. T.S. Eliot, R. G. Collingwood, George Orwell, A. J. P. Taylor et A. J. Ayer qui
bénéficient chacun d’un chapitre particulier permettent d’évoquer divers moments du champ
intellectuel anglais et différentes postures possibles de l’intellectuel à l’anglaise : rôle de la
grande littérature et d’un certain élitisme chrétien qui rappelle la clerisy, chère à Coleridge
(Eliot), de la compétence philosophique fondant une prophétie politique (Collingwood), de
l’écrivain socialement engagé qui pourtant dénonce les intellectuels politiques ou abstrus
(Orwell), de l’historien ou philosophe académique devenu vedette médiatique (Taylor et
Ayer) et épousant les travers du journalisme anti-intellectuel et du scepticisme de bon ton.
Mais ces études de cas ne donnent que des conclusions par définition difficiles à généraliser,
faute de mise en place des relations entre ces divers types d’intellectuels et les contextes
globaux où ils agissent.
Dans la dernière partie, le propos se fait plus actuel et polémique et Collini aborde les
évolutions contemporaines en essayant de réagir contre les lieux communs à la mode. Il fait
en particulier une critique en règle des conférences d’Edward Saïd de 1993, Representations
12 C. Charle, « Trop près, trop loin », Le Débat, n°79, mars-avril 1994, pp. 31-37, à propos de Rémy Rieffel, La tribu des clercs, les intellectuels sous la Cinquième République, Paris, Calmann-Lévy, 1993.
14
of the Intellectual, qui tombent dans tous les travers dénoncés tout au long du livre et analyse
longuement les changements du régime médiatique d’accès au public avec l’importance de la
radio puis de la télévision face à la presse écrite, ce qui l’amène, contrairement à ses parti pris
initiaux, à esquisser des analyses sociologiques des publics touchés par les émissions
culturelles. Contre un certain pessimisme à la mode sur l’envahissement de la vie culturelle
par le principe de la célébrité, au détriment de la véritable autorité intellectuelle, et sur la
contradiction entre la spécialisation croissante et la capacité à toucher d’autres publics que les
pairs, Collini souligne que ces nostalgies d’un âge d’or existaient déjà à l’époque de ces
supposés âges d’or et que les moyens d’accès à des publics larges n’ont jamais été aussi
nombreux ni divers, pourvu qu’on ne croit pas que la télévision soit le seul média important.
Il note, par exemple, que les revues dans lesquelles George Orwell publiait ses essais avaient
des tirages infiniment plus modestes que les périodiques culturels de référence anglais
contemporains (p. 487-89). Les moyens de se faire entendre ne manquent donc pas aux
intellectuels qui le souhaitent.
L’épilogue insiste sur l’utilité de la lutte contre les clichés au centre du propos de l’ouvrage
parce qu’ils ont empêché une approche historique et compréhensive du thème des intellectuels
en Angleterre. Pour Collini, ce travail préliminaire doit être poursuivi par des enquêtes de
fond analogues à celles déjà entamées notamment en France et sur lesquelles il s’est
partiellement appuyé pour démonter les faux arguments des essayistes. On ne peut que
l’approuver. Il ajoute aussi sa conviction du rôle nécessaire et permanent des intellectuels
dans une époque où les pouvoirs dominants disposent de tant de moyens d’influence et de
propagande mais aussi où des fractions croissantes de la jeunesse passent par les universités et
peuvent donc être ainsi en contact avec une fraction significative des intellectuels de plus en
plus liés à l’université, à la différence des époques antérieures. Si l’on ne peut que se réjouir
de le voir terminer sur une note plutôt optimiste une étude qui, en bien des endroits, donnait
au contraire une image plutôt négative ou pessimiste d’intellectuels en proie au ressassement,
à l’autosatisfaction ou au regret du bon vieux temps, on regrettera que son analyse reste un
peu courte à propos des évolutions contemporaines des universités. Tant la pression de la
mondialisation des études que la commercialisation des formations supérieures, largement
amorcées aux Etats-Unis et dans les pays de langue anglaise qui suivent leur exemple, laissent
pronostiquer qu’au sein même des universités les fractions intellectuelles, encore fidèles à
l’idéal critique des Lumières ou à la vision libérale de l’Université du XIXe siècle, auront à se
défendre pied à pied, non plus seulement contre les émules de Mme Thatcher mais contre
leurs propres collègues gagnés à une vision entrepreneuriale et utilitariste de leur tâche
15
pédagogique, source de profits matériels juteux, qui domine déjà largement aujourd’hui des
pans entiers des disciplines des « sciences humaines » sans parler des disciplines scientifiques
et professionnelles13.
Pour relativiser l’impression d’enfermement qui se dégage du livre de Collini on va le
confronter avec une figure d’intellectuel engagé qui contraste avec les intellectuels classiques
qu’il évoque ce qui n’empêche pas Hobsbawm de devenir lui aussi un insider puisqu’il a été
anobli par la reine ce qui est pour le moins paradoxal pour un ancien membre du parti
communiste mais pas plus après tout que les anciens maoistes devenus inspecteurs généraux
et chevalier de la Légion d’honneur.
III. OUTSIDER OU INSIDER ? ERIC HOBSBAWM
Dans son autobiographie et plus généralement dans certaines de ses œuvres récentes, Eric Hobsbawm a résumé brillamment sa position et sa trajectoire décalées dans son siècle :
« Je me suis attaché à plusieurs pays où je me suis senti chez moi et j’en ai visité beaucoup d’autres. Cependant, dans tous ces pays, y compris celui qui m’a accordé sa citoyenneté à la naissance, sans être nécessairement un marginal, j’ai été quelqu’un qui n’appartenait pas totalement à l’endroit où il se trouvait : un Anglais élevé en Europe centrale ; un immigré continental étudiant puis enseignant en Grande-Bretagne ; un Juif partout - y compris, et même surtout, en Israël ; un antispécialiste dans un monde de spécialistes ; un polyglotte cosmopolite ; un intellectuel dont la politique et le champ de recherche universitaire étaient centrés sur les non-intellectuels ; et, aussi, pendant la plus grande partie de ma vie, une anomalie parmi les communistes, qui eux-mêmes constituaient une minorité de l’humanité politique dans les pays que j’ai connus. Tous ces éléments ont compliqué ma vie privée, mais ont été un atout pour l’historien de profession que j’ai été14. »
Toutes ces affirmations peuvent être illustrées par les différents chapitres du livre dont est tiré ce passage mais aussi par les autres ouvrages d’Eric Hobsbawm, notamment les deux les plus connus en français, à part L’Age
13 Sur ce point, voir C. Charle et C. Soulié (dir.), Les ravages de la « modernisation » universitaire en Europe, Paris, Syllepse, 2007 ; S. Collini a lui-même analysé récemment ces évolutions universitaires négatives dans son pays dans des articles repris en livre (What are Universities for?, Londres, Penguin Books, 2012). Ses analyses convergent d’ailleurs largement avec les nôtres.14 E. Hobsbawm, Franc-Tireur, Autobiographie, traduit par Dominique Peters et Yves Coleman, Paris, Ramsay, 2005, p. 497.
16
des extrêmes, Les primitifs de la révolte et Bandits. Comme dans ces trois livres où il explore les marges et les extrêmes, dans Franc-tireur15, nous parcourons le XXe siècle dans ses points d’observation les plus cruciaux : nous traversons la Vienne des années 1920, le Berlin du début des années 1930, le Paris du Front populaire, l’Angleterre, des années 1930 à aujourd’hui, mais aussi la Californie des années 1960, l’Espagne misérable des premières années du franquisme, l’Amérique latine, où Eric Hobsbawm a donné des conférences et effectué des recherches sur les révoltes populaires, et surtout la France et l’Italie avec lesquelles il entretient une relation d’affinité plus intime et où il a rencontré régulièrement des intellectuels et des hommes politiques de premier plan depuis les années 1960.Historien à la fois « européen », par ses origines, et « global », par le type d’histoire transpériode et transcontinentale qu’il pratique, Eric Hobsbawm peut apparaître, selon les pentes de l’historiographie qu’on privilégie, ou bien comme l’héritier d’un autre temps, celui des historiens du XIXe siècle pratiquant l’histoire de l’Europe ou de la civilisation, ou bien comme le pionnier d’un monde historique qui se cherche. Origines d’un engagement
Orphelin de père à 12 ans, de mère à 14 ans, issu d’une famille de la petite bourgeoisie
juive ruinée du fait de la crise, il doit sa survie à la solidarité familiale élargie, jusqu’à
l’obtention d’une bourse providentielle pour étudier à Cambridge. Grâce à son oncle, employé
par une société américaine de cinéma à Berlin (Universal Pictures), il peut poursuivre des
études classiques dans l’un des meilleurs lycées d’un quartier résidentiel du sud de Berlin, le
Prinz-Heinrich Gymnasium. La situation familiale reste toujours précaire puisque son oncle
perd son emploi à cause des quotas de nationalité imposés aux sociétés allemandes et Eric
Hobsbawm est alors recueilli par une tante qui vit de sous-locations à Halensee.
Le Berlin du début des années 1930 est le lieu de l’engagement communiste pour lui via
une organisation de lycéens liée au KPD. Aujourd’hui encore, c’est ce souvenir de lutte
antinazie qui le maintient dans un rapport particulier au mouvement communiste malgré ses
désillusions ultérieures :
« Le rêve de la révolution d’Octobre est toujours en moi, comme des textes effacés
15 Traduction décalée, elle aussi, du titre anglais, plus plat, Interesting times, mais clin d’œil de l’éditeur sans doute à ces titres français déjà connus.
17
demeurent, prêts à être récupérés par des experts, quelque part sur le disque dur d’un ordinateur. Je l’ai abandonné, oui, je l’ai rejeté, mais il n’a pas été effacé. Aujourd’hui encore je remarque que je traite le souvenir et les traditions de l’URSS avec une indulgence et une tendresse que je n’éprouve pas vis-à-vis du communisme chinois, parce que j’appartiens à la génération pour qui la révolution d’Octobre représentait l’espoir du monde, rôle que la Chine ne tint jamais16. »
Un tel engagement dans le climat de violences politiques des années 1932-1933 traduit,
pour un adolescent presque sans famille et sans perspective, un romantisme révolutionnaire
radical fondé sur une bonne dose d’inconscience reconnue a posteriori par l’historien
autobiographe : « Un changement radical, une fois pour toutes, voilà ce que nous voulions».
« Notre manière de minimiser le danger nazi – et comme tous les autres nous le sous-
estimions énormément – était différente. Nous pensions que, s’il arrivait au pouvoir, il ne
tarderait pas à être renversé par une classe ouvrière radicalisée sous la direction du KPD, qui
formait déjà une armée de trois à quatre cent mille convaincus17 .»
Sa jeunesse, sa nationalité officielle et l’instabilité familiale l’empêchent toutefois de se
lancer dans une action plus visible qui l’aurait sans doute conduit dans les geôles des S.A. ou
pire encore au moment de la prise du pouvoir par Hitler. Dès la fin mars 1933, face aux
menaces antisémites, il est « rapatrié » par sa famille anglaise élargie dans « son » pays,
l’Angleterre conservatrice de la grande dépression qu’il n’a encore jamais vue. Ce retour à la
normalité coïncide aussi avec la découverte d’un pays à part, que le jeune Hobsbawm
découvre avec les yeux étonnés d’un étranger, bien qu’il soit officiellement anglais et
anglophone. Aussi bien à la grammar school de Marylebone, où il prépare l’examen d’entrée
à Cambridge, qu’à King’s College, où il décroche une bourse et entre ainsi au cœur des
réseaux sociaux de l’establishment d’une élite encore très victorienne, tout diffère du style des
études en Allemagne : inexistence de la formation philosophique et des sciences sociales,
faible sélectivité des diplômes pour ceux qui sont « bien nés », médiocre importance des cours
et des professeurs officiels par rapport au travail personnel et au tutorat des enseignants de
rang inférieur.
Ce style à part des études explique le large temps libre disponible pour l’autoformation
dilettante ou l’activisme politique, en plein essor dans le Cambridge de 1936, où les idées de
gauche sont dominantes en apparence chez les étudiants et étudiantes les plus « brillants ».
Hobsbawm démonte cependant les légendes complaisantes sur la force du communisme à
Cambridge qu’il évalue à une centaine de membres sur 5000 étudiants, mais dont un millier
16 E. Hobsbawm, Franc-Tireur, op. cit , p. 77.17 (Ibid., p. 90) et citation p. 91.
18
toutefois sympathisent avec l’antifascisme et la gauche au sens large18. Cette surestimation
postérieure vient de la surreprésentation de la gauche parmi les étudiant(e)s qui, par la suite,
obtiendront les positions les plus en vue dans divers domaines. Alors que les étudiants
apolitiques et conventionnels continuent de s’adonner surtout aux activités sportives et de
s’appuyer pour réussir sur les réseaux sociaux établis, la gauche étudiante prend la vie
intellectuelle au sérieux et donc, même revenue à des positions plus modérées, pourra mettre
en valeur ses talents au moment de l’ouverture méritocratique de la vie intellectuelle et
universitaire britannique après 1945 pour accéder à des postes importants.
Même à ce propos, Hobsbawm marque de nouveau sa différence née de son expérience
de l’Europe centrale. Son engagement à l’extrême gauche beaucoup plus durable (cinquante
ans) que celui des membres de sa génération renvoie à son sentiment de participer ainsi à un
mouvement historique et politique qui, malgré ses échecs et ses erreurs, donnait sens à
l’époque, transgressait les frontières, conférait une identité et proposait une direction à des
individus qui, comme lui, avaient été ballottés d’un pays et d’un milieu à l’autre. Surtout cet
engagement d’un genre nouveau suscitait des types d’hommes et de femmes d’un dévouement
absolu à leur cause jusqu’à l’absurde qui forçait son admiration : « Si je n’ai pas quitté le parti
en 1956, c’était surtout parce que ce mouvement avait donné naissance à de tels hommes et de
telles femmes19. »1
Pour l’heure, cet engagement, n’a valu à Eric Hobsbawm que des ennuis et
inconvénients comme il le montre pour les décennies suivantes. Il est affecté aux unités les
plus ingrates de l’armée britannique pendant près de six ans (1940-1946) parce que, malgré
ses diplômes prestigieux, l’État-major le soupçonne d’être un traître potentiel
Paradoxalement, cette mise à l’écart le préserve des dangers les plus mortels que connaissent
les officiers issus des élites anglaises pendant la Second guerre mondiale. Rejeté de toute
position universitaire importante jusqu’en 1971 toujours à cause de ses opinions
communistes, il doit donc se faire une place en dehors des cadres établis : le groupe des
historiens du parti communiste dont il l’est un des fondateurs de 1946 à 1956, le comité de
rédaction d’une revue innovatrice, Past and Present, fondée en 1952, une fonction de reader
(i. e. maître-assistant) à Birkbeck college, collège réservé à des étudiants qui travaillent dans
la journée, une chronique de jazz au New Statesman qui le met en contact avec les milieux
intellectuels et artistiques les plus divers, des sujets de recherche hétérodoxes à l’époque mais
précurseurs de la nouvelle sensibilité historique des années 1960 et 1970.
18 E. Hobsbawm, op. cit., p. 142-43.19 Ibid., p. 172.
19
Décalages
Dans l’extrait cité au début, l’auteur de l’Ere des révolutions induit de sa marginalité et de son extériorité relative aux us et coutumes des univers qu’il a traversés, sa préférence pour les thématiques et les perspectives chronologiques ou géographiques à part. Le seul historien français avec lequel Hobsbawm apparaît en sympathie intellectuelle, malgré tout ce qui les sépare par ailleurs, est, et on comprend pourquoi, Fernand Braudel, l’homme de la longue durée et de l’économie-monde. C’est un médiéviste, Jacques Le Goff, lui aussi amateur d’éclairages à contre-champ et au grand large, qui rédigea la préface des Primitifs de la révolte dans l’Europe moderne20. C’est un moderniste, François Billacois qui a écrit le compte rendu de Bandits, publié dans les Annales et un sinologue, Jean Chesneaux qui a recensé ce même livre pour Le Mouvement social21. C’est un contemporanéiste, Serge Berstein qui, lui, a rendu compte, dans la Revue d’histoire moderne et contemporaine, de la traduction française de Nations et nationalisme depuis 178022.
Pour la suite de cette œuvre, notamment la tétralogie, non programmée à l’avance, L’Ere des révolutions, L’Ere du capital, L’Ere des empires et L’Age des extrêmes, les historiens professionnels n’en ont pas fait de commentaires savants dans les revues scientifiques et n’en ont parlé en France que dans la grande presse ou les revues intellectuelles générales. Ce glissement et ce silence ne traduisent pas seulement les insuffisances de l’espace critique français, dont les observateurs anglais ou allemands ont de longue date montré les défaillances. Il marque sans doute une gêne face à une œuvre et une personnalité qui échappent trop aux cadres et aux classements hexagonaux. Quelle attitude adopter face à un historien auquel on ne peut dénier la pratique du métier, l’attachement à l’érudition, même dans ses œuvres grand public qui détaillent leurs sources et les puisent aussi bien dans la littérature, dans les articles de
20 Paris, Fayard, 1963, collection « L’histoire sans frontières ».21 Annales ESC, n°5, 1973, pp. 1160-62. Il se fonde sur l’édition anglaise de 1969, traduction française, Paris, Maspero, 1972 ; J. Chesneaux, compte rendu groupé de Bandits, de Les pirates de Gilles Lapouge et de Dieux d’hommes, dictionnaire des messianismes et des millénarismes de l’ère chrétienne, Le Mouvement social, n°80, juillet-septembre 1972, pp. 99-103.22 Revue d’histoire moderne et contemporaine, 41-1, janvier-mars 1994, pp.189-190 ; édition analysée : Paris, Gallimard, 1992.
20
spécialistes que dans des sources primaires et se permet, en plus, de montrer que les cadres bien établis des spécialités peuvent et doivent être mis en question ?
En France, certaines réceptions d’œuvres historiques passent par la polémique politique, forme supérieure du malentendu intellectuel. C’est la première mésaventure subie par L’Age des extrêmes dont l’accueil mitigé dans Le Débat pour l’édition anglaise (1997) a retardé anormalement longtemps la traduction française23. D’ordinaire plus sensible aux nouveautés, le directeur de la revue, Pierre Nora, y expliquait doctement, à partir de considérations sur l’économie de l’édition et son interprétation personnelle de « l’air du temps idéologique » (nous sommes en 1997, juste après la publication du Passé d’une illusion de François Furet), que l’Age des extrêmes n’avait aucune chance de trouver un public en France. Le succès ultérieur de l’édition française a démontré pour une fois que l’artisan des succès de la « nouvelle histoire » et des Lieux de mémoire avait, par hostilité politique aux idées de l’auteur, perdu son « feeling » d’éditeur24. Eric Hobsbawm a personnellement interprété cette censure comme un règlement de comptes politique différé d’anciens amis passés dans le camp adverse25.
Mais il faut adopter une vue plus large que cette polémique initiale. Le décalage de réception évoqué au début pose, au-delà du cas d’E. Hobsbawm, le problème plus général des relations intellectuelles franco-britanniques depuis 1945. Si nous reprenons l’ensemble de sa bibliographie, force est de constater que le lecteur français n’en connaît
23 Voir le dossier « Sur l’histoire du XXe siècle », Le Débat, janvier-février 1997, n°93, pp. 12-95 avec des contributions de Michael Mann (« Alors que le XXe siècle se fait vieux », traduction d’un article de la New Left Review, pp. 13-35), Christian Meier (article traduit de la Neue Zürcher Zeitung, « Un espoir voilé de crêpe », pp. 36-40) Benjamin Schwartz (« Triomphe et tragédie du capitalisme », traduction d’un article de World Policy Journal, pp. 76-84) et un très gros article de Krzystof Pomian, « Quel XXe siècle ? », pp. 41-75, le plus critique et le plus hostile, même s’il se termine par un coup de chapeau : « Nul ne pourra écrire désormais une histoire du XXe siècle sans prendre position face à ce livre ». Eric Hobsbawm répond à ses commentateurs, pp. 85-92. 24 Voir notamment l’article de P. Nora, « Traduire : nécessité et difficultés », Le Débat, n° cité, pp. 93-95 : « la France ayant été le pays le plus longtemps et le plus profondément stalinisé, la décompression, du même coup, a accentué l’hostilité à tout ce qui, de près ou de loin, peut rappeler cet âge du philosoviétisme ou philocommunisme de naguère, y compris le marxisme le plus ouvert. Cet attachement, même distancé, à la cause révolutionnaire, Eric Hobsbawm le cultive certainement comme un point d’orgueil, une fidélité de fierté, une réaction à l’air du temps ; mais en France, en ce moment, il passe mal. C’est ainsi, on n’y peut rien. Ce n’est pas à un grand historien qu’on rappellera le poids du passé. » (p. 94).25 E. J. Hobsbawm, « Préface à l’édition française » de L’Age des extrêmes, Bruxelles, Paris, Editions complexe, Le Monde diplomatique, 1999, p. 8-9 et Franc-tireur, op. cit., p. 397-98.
21
qu’une partie plutôt réduite, s’il n’a pas accès aux éditions originales. Ni Labouring men26, qui rassemble des articles originaux sur la vie ouvrière anglaise, ni Captain Swing, écrit avec George Rudé27, qui retrace les troubles ruraux et les bris de machine de l’Angleterre des années 1830, ni Worlds of Labour28, qui reprend des questions d’histoire ouvrière à la lumière des nouvelles orientations de l’histoire sociale et culturelle, ni Revolutionaries, contemporary essays29, recueil d’articles de réflexion politique sur le communisme, l’anarchisme, le marxisme, la guérilla, les phénomènes révolutionnaires, ni l’histoire du marxisme qu’il a dirigée en Italie ou son recueil sur différents aspects de l’historiographie, On history, n’ont intéressé des éditeurs français30. L’invention de la tradition, malgré sa réputation largement établie en anglais dans les milieux intellectuels, n’est passée en français qu’en 2006 grâce à un petit éditeur courageux tout comme, plus récemment, Uncommon people (1998), traduit par un éditeur belge en 201131.
Pourtant, de tous les historiens anglais, Eric Hobsbawm est probablement le plus présent physiquement dans notre pays par ses nombreux et réguliers séjours pour enseigner depuis les années 1970, par ses liens privilégiés avec certaines institutions comme la Maison des sciences de l’homme32, l’Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales ou le Collège de France, par la publication d’articles dans la presse et les revues. Le chapitre qu’il consacre à la France, dans Franc-Tireur, atteste de la profondeur de ses liens puisqu’il écrit :
« Ce pays fait partie de ma vie depuis près de soixante-dix ans, et même davantage, puisque ma mère avait commencé à enseigner le français à ses enfants, en nous lisant Les trois mousquetaires d’Alexandre Dumas père33. »
26 Londres, Weidenfeld & Nicolson, 1964.27 Londres, Lawrence & Wishart, 1969.28 Londres, Weidenfeld & Nicolson, 1984.29Londres, Weidenfeld & Nicolson, 1973. 30 Storia del Marxismo, Turin, Einaudi, vol. 1, 1978 ; traduction anglaise : The History of Marxism, edited by Eric J. Hobsbawm, Bloomington, Indiana University Press, 1982 ; On history, Londres, Weidenfeld & Nicolson, 1997.31 E. Hobsbawm et T. Ranger (dir.), L’invention de la tradition, Paris, Editions Amsterdam, 2006 (l’édition anglaise à Cambridge U.P. date de 1983 et le livre en est à sa douzième édition !) ; Rébellions : la résistance des gens ordinaires : jazz, paysans et prolétaires, (traduction de : Uncommon people : resistance, rebellion and jazz, 1998), Bruxelles, Éd. Aden, 2011.32 C’est personnellement là que je l’ai rencontré pour la première fois en 1977 lors du colloque marquant organisé par Maurice Lévy-Leboyer et Patrick Fridenson sur Le patronat de la seconde industrialisation, Paris, Editions ouvrières, 1979.33 Franc-tireur, op. cit., p. 375.
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Comment comprendre de nouveau ce décalage ? Retrouve-t-on cet éternelle loi des transferts culturels : un champ culturel, en l’occurrence, l’édition historique française, n’a retenu que ce qui correspondait le mieux à ses propres attentes dans une œuvre pourtant beaucoup plus riche et diverse ? De même, réciproquement, le premier livre traduit en anglais de Marc Bloch n’est pas La Société féodale (1939), considérée comme le chef d’œuvre de maturité de l’auteur qui dut attendre 1961 et un éditeur universitaire américain34, mais L’Etrange défaite, publiée en France en 1946, traduite dès 1949 en anglais, parce que son actualité et son lien avec l’expérience historique britannique récente en faisaient, à l’évidence, un ouvrage susceptible de toucher un public relativement large35.
De même, les « révoltés », les « bandits », voilà qui tombait bien dans l’humeur contestataire et tiers-mondiste des années 1960, au moment de la redécouverte des figures du peuple et des marginaux par les historiens français, italiens ou polonais. Mais les intellectuels français n’aiment pas n’importe quel peuple. Les Fabiens, les luddites, les trade-unionistes ne pouvaient rivaliser avec les héros favoris de l’histoire ouvrière à la française. En histoire ouvrière, on le sait, les syndiqués de base, les réformistes, les travailleurs ruraux, les ouvrières obscures ont toujours eu moins de succès que les révolutionnaires, les corporations industrielles visibles et batailleuses, les leaders charismatiques, les conflits sanglants, les groupuscules agissants. Le filtre de lecture historique français n’est jamais innocent. Bien que marxiste, Hobsbawm avait le tort, dans toute une partie de ses premières recherches, de travailler sur des figures peu orthodoxes pour l’historiographie ouvrière de notre pays alors très marxiste orthodoxe.
La mésaventure inverse explique la suite du décalage de sa réception. Ses œuvres de synthèse, sauf L’Age des extrêmes, n’ont pas suscité de littérature de commentaire spécialisé. Alors que sa pratique de la synthèse
34 Feudal Society, translated from the French by L. A. Manyon. Foreword by M. M. Postan, Chicago, The University of Chicago Press, 1961.35 Strange Defeat, a statement of evidence written in 1940. With an introduction by Sir Maurice Powicke and a foreword by Georges Altman, translated from the French by Gerard Hopkins, Londres, New York, Oxford U.P., 1949.
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et de la comparaison et ses propositions d’interprétation des grandes ruptures du XIXe siècle auraient mérité débat, seul le livre sur la nation (au plein moment où les historiens français participaient aux Lieux de mémoire et au débat autour du bicentenaire de la Révolution) a retenu leur attention. Mais, là encore, nos lunettes nationales brouillèrent notre vision historique. La thèse du livre, on le sait, fait coïncider le phénomène national avec la période contemporaine. Elle est vivement contestée, par exemple, par Serge Berstein dans le compte rendu déjà cité. Sans qu’il l’explicite, on voit bien pourquoi : cela ne correspond pas au cas français alors que l’ouvrage se veut transnational. L’historien du Parti radical assimile la thèse à une application réductrice du marxisme, même s’il reconnaît par ailleurs la diversité des cas étudiés et l’ampleur de l’érudition de l’auteur. Cette incapacité des historiens français à se décentrer par rapport au paradigme de l’histoire française, même quand on leur parle d’un autre point de vue, est typique de bien des fermetures aux idées venues d’ailleurs et notamment d’Outre-Manche. Là encore, les malentendus constants entretenus avec l’auteur de Franc-Tireur interrogent notre inconscient académique.
La relation au marxisme qu’Eric Hobsbawm affirme de bout en bout dans son autobiographie ne peut qu’ajouter aux décalages avec l’historiographie dominante en France. Tous ceux qui ont lu ses divers travaux savent que son marxisme n’est pas toujours très orthodoxe et qu’en tout cas il ne l’empêche pas d’aborder des thèmes ou des problématiques que la plupart des historiens marxistes classiques laissaient de côté à l’époque. Ainsi se comprennent les jugements très sévères qu’il porte sur Althusser, non seulement dans son autobiographie, mais même dans les essais qu’il a écrits à chaud lors de la publication de Pour Marx ou de Lire le Capital36. S’il salue l’effort d’Althusser pour sortir des pratiques psittacistes staliniennes, il retrouve dans le commentaire théoriciste althussérien des dérives scolastiques bien éloignées de la méthode marxienne qu’il prône. Il dénonce sans ménagement un nouveau fétichisme du texte pur qu’on réinterprète ad infinitum, sans égard pour 36 « The Structure of Capital » (1966) in Revolutionaries, op. cit., pp. 142-152 et « The Dialogue on Marxism » (1996), ibid., pp. 109-120, notamment p.112.
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son inscription dans l’histoire, procédure paradoxale pour la lecture d’une philosophie qui entendait s’y inscrire pleinement :
« La renaissance du marxisme exige une volonté authentique de voir ce que Marx essayait de faire sans que cela implique forcément d’accepter toutes ses propositions37. »
Quarante ans plus tard, nous savons ce qu’il est advenu des formes savantes du marxisme notamment en histoire : l’historiographie française, pour l’essentiel, a passé pour profits et pertes ses anciennes lectures marxistes ou marxiennes au risque de retomber dans les errements tout aussi contestables des générations pré-marxistes d’historiens : culturalisme, intellectualisme, idéalisme, positivisme, aveuglement érudit. Persister dans l’attitude précédente fait hausser les épaules à la plupart des historiens actuels ou n’est accepté que comme la fantaisie d’un non-conformiste anglais.
Cependant la question mérite d’être reprise autrement. De fait, Eric Hobsbawm, dans les différents chapitres de ses mémoires ou dans d’autres écrits38, n’est pas très disert quant sa relation actuelle au « marxisme ». Que peut signifier cette orientation aujourd’hui alors que la plupart des paradigmes en sciences sociales sont remis en cause ou pratiquent la combinatoire et l’éclectisme, que l’impérialisme de l’économie politique orthodoxe suscite des réactions de rejet dans les autres sciences sociales par rapport à tout postulat privilégiant l’économie comme moteur, que les divergences entre les divers types de marxisme ou la combinaison du marxisme avec d’autres courants sont multiples ? Y a-t-il encore un bénéfice à se référer à ce que beaucoup considèrent comme une approche scolastique, tandis que d’autres n’y voient qu’une étiquette sur une approche économico-sociale, si répandue qu’elle n’a plus de vertu distinctive, à moins qu’elle ne vise à mobiliser une humeur altermondialiste et antinéolibérale en phase ascendante ?
37 C’est moi qui traduit : « the revival of marxism requires a genuine willingness to see what Marx was trying to do, though this does not imply agreement with all his propositions. » (« The Structure of Capital », art. cit., p. 151).38 Voir sa conférence à San Marin « Marx and History », donnée à l’occasion du centenaire de la mort de Marx, repris dans New Left Review, 143, février 1984, pp. 39-50 et rééditée dans On history, op. cit., pp. 157-170.
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Tout au long du livre, Eric Hobsbawm plaide pour une histoire globale et une histoire qui touche un large public. Il est convaincu de l’effet politique majeur de la connaissance du passé en une période aussi confuse que la nôtre : « Les historiens ne doivent pas écrire seulement pour leurs collègues39 ». La comparaison, base de l’histoire éclairante, peut, selon lui, surgir de rencontres inattendues, comme ce premier contact, en juillet 1936, avec une zone dominée par les anarchistes espagnols où il trouve, rétrospectivement, l’une des pistes qui l’ont conduit à ses intuitions sur les « primitifs de la révolte ». Certaines régions sont également des espaces privilégiés où l’on peut percevoir en accéléré certaines évolutions générales du monde, ainsi l’Amérique latine (« L’Amérique latine représentait un sujet de rêve pour les adeptes de l’histoire comparative40 »).
QUELQUES CONCLUSIONSA travers cet itinéraire on voit que le monde intellectuel britannique est beaucoup plus divers que ne le disent les stéréotypes qu’on colporte sur lui et qu’essayaient de combattre Collini comme l’équipe rassemblé dans Anglo-French Attitudes. Comme nous l’avons vu dans la séance sur Norbert Elias, l’Université anglaise du XXe siècle a été même plus ouverte aux étrangers et notamment aux réfugiés d’Allemagne et d’Europe centrale que la France, ce qui a contribué à ouvrir les traditions académiques sur des pensées venues d’ailleurs. Il faut aussi rappeler que les figures intellectuelles qui ont le plus ébranlé le champ intellectuel britannique furent souvent des individus aux parcours géographique ou social complexe non représenté dans l’establishment. Oscar Wilde était d’origine irlandaise, H.G. Wells et G.B. Shaw sont des écrivains qui n’ont pas suivi les cursus classiques, tout comme D.H. Lawrence. Ce peut être aussi des membres de l’establishment qui le renient comme Bertrand Russell (1872-1970) issu d’une grande famille aristocratique, qui suit d’abord un parcours classique à Cambridge, enseigne à Oxford mais rejette la guerre se marginalise pour devenir un essayiste et savant free 39 Franc Tireur, op. cit., p. 339.40 Ibid., p. 450.
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lance vivant de sa plume ou de conférences aux Etats Unis tout en prenant des positions politiques de plus en plus radicale. Hayek, venu de Vienne puis professeur à la London School of Economics contribue à une redéfinition du libéralisme contre le socialisme provisoirement triomphant en 1945 (la route de la servitude) et inspirera la politque thatcherienne des années 1980 pour démanteler l’Etat providence. Reste à déterminer, mais il faudrait poursuivre l’enquête si la contre-révolution thatchérienne n’a pas été dans le sens inverse et si l’enfermement dans l’université n’a pas coupé les liens avec la sphère publique sauf pour quelques rares vedettes, phénomène qu’on constate d’ailleurs aussi en France après l’ouverture postérieure à mai 1968 survient une nouvelle fermeture depuis les années 2000 sous l’effet des « contre-réformes » en tout genre et qui explique peut être le débat en cours à la fois sur les « nouveaux réactionnaires » et la nouvelle « trahison des clercs ».
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I. PERSPECTIVES GÉNÉRALES LES INTELLECTUELS EN FRANCE ET EN ANGLETERRE, RENCONTRES ET DÉCALAGES...............................................................3II. LES INTELLECTUELS BRITANNIQUES PAR L’UN D’ENTRE EUX...........................7
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III. OUTSIDER OU INSIDER ? ERIC HOBSBAWM............................................................16QUELQUES CONCLUSIONS................................................................................................25BIBLIOGRAPHIE....................................................................................................................26
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