XXe Sicle Evano

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 Brigitte EVANO La philosophie en 1 000 citations © Groupe Eyrolles, 2011 ISBN : 978-2-212-54299-8

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1001 citations

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  • Brigitte EVANO

    La philosophie en 1 000 citations

    Groupe Eyrolles, 2011ISBN : 978-2-212-54299-8

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    Le XXe sicle

    Les communications tablissent luniformit parmi les hommes en les isolant. Theodor ADORNO (1903-1969) et Max HORKHEIMER (1895-1973)

    Ces deux philosophes font partie de lcole de Francfort, qui se donne pour tche de rflchir lapport de la philosophie marxiste et de critiquer lapplication quen a fait la rvolution sovitique. Le regard de ces philosophes est aussi trs aigu sur le concept de progrs, qui, pour eux, spare les hommes : les machines, lorganisation spatiale des bureaux, les voitures individuelles dtissent les liens sociaux. Les mdias aussi sparent les hommes parce quils empchent les conversations et dversent sur tous les mmes ides et les mmes slogans, publicitaires ou politiques. {Communication}

    La prison est comme une maladie incurable. Theodor ADORNO (1903-1969)

    Pourquoi des hommes sont-ils prisonniers ? Parce quils ont commis des actes de violence sans avoir pu y rsister. Ils sont aux yeux de certains des malades, pervers et cruels, pour dautres des esprits borns. Tous vivent la prison comme une maladie ; ils ne pensent qu leur incarcration, adoptent des attitudes corporelles dextrme prudence, perdent lusage de la pense claire : tout leur est compliqu. Ils sont comme des malades. {Prison}

    Loccultisme est la mtaphysique des imbciles. Theodor ADORNO (1903-1969)

    Interdit denseignement par les nazis, Adorno migre aux tats-Unis. Aprs la guerre, il reprend son enseignement de la philosophie en Rpublique fdrale dAllemagne. Le centre de sa philosophie qui est aussi une sociologie, une philosophie politique et une esthtique est de comprendre comment le nazisme a pu se dvelopper au sein dune nation cultive comme lAllemagne. En 1952, lors dun sjour aux tats-Unis, il travaille sur la rubrique astrologie du Los Angeles Times, afin de voir la force de sduction de lirrationnel. Loccultisme sduit par son apparence de savoir complexe. Plus attractif que la philosophie mtaphysique, il sduit ceux qui ne font quun usage rduit de leur raison. {Mthaphysique - Occultisme}

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    Ds que le plus faible des hommes a compris quil peut garder son pouvoir de juger, tout pouvoir extrieur tombe devant celui-l. ALAIN (mile CHARTIER, dit) (1868-1951)

    Dans cette assertion dAlain, issue de Propos, il faut la fois entendre une vrit martele depuis les stociens, Montaigne et Spinoza, et une mise en garde contre les totalitarismes venir. En fvrier 1923, date laquelle Alain crit cette sentence, les plus lucides entre-voyaient dj les tnbres dans lesquelles lEurope allait entrer. Tous les totalitarismes venir nont t possibles que parce que les individus avaient renonc leur jugement. Ils sen sont remis dautres pour penser. Ils ont obi, quoi quon leur ordonnt. Jusquau jour o quelquun dit, enfin, Non ! {Jugement - Pouvoir}

    Rien nest plus dangereux quune ide quand on na quune ide. ALAIN (mile CHARTIER, dit) (1868-1951)

    Lhomme dune seule ide est beaucoup plus sujet quun autre devenir fanatique et intolrant. La pense unique, comme on lappellera plus tard, est dangereuse parce quelle fait le lit des totalitarismes, elle prpare les foules obir aveuglment. Celui qui na quune ide admet difficilement la critique, son monde est troit, rtrci. Pdago-gue, Alain a consacr sa vie lenseignement de la philosophie pour former les jeunes gens au journalisme et lanalyse des ides, afin quelles circulent au-del des murs de lcole. {Ide}

    Tous les arts sont comme des miroirs o lhomme connat et reconnat quelque chose de lui-mme quil ignorait. ALAIN (mile CHARTIER, dit) (1868-1951)

    Lart rvle lartiste lui-mme. Le pote contemporain Claude Roy aimait dire quil crivait pour savoir ce quil avait dire. Sans la mise en forme que lart impose, la pense reste floue. Lart est rvlation puisquil rend visible ce qui, sans lui, serait invisible. {Art}

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    Ne vouloir faire socit quavec ceux quon approuve en tout, cest chimrique, et cest le fanatisme mme. ALAIN (mile CHARTIER, dit) (1868-1951)

    Mort en 1951, Alain a vu la monte des fascismes, lembrigadement de la jeunesse alle-mande, la collaboration des Franais avec loccupant allemand sous la haute autorit du marchal Ptain. Il sait dexprience combien le rejet de lautre est dangereux pour tous, il sait par ltude de lhistoire et de la philosophie que le fanatisme veut toujours la mort de celui qui pense diffremment. Une socit a besoin de diversit, sinon elle devient prison. Il faut craindre les hommes dun seul livre, disait dj Thomas dAquin. {Fanatisme}

    Ce quon na point assez dit, cest que cest un devoir aussi envers les autres que dtre heureux. ALAIN (mile CHARTIER, dit) (1868-1951)

    Rares sont ceux qui pensent le bonheur en termes de devoir alors que presque tous le pensent en termes de droit. Le bonheur : un droit ? Certes, certaines Constitutions linscrivent mme dans leurs articles. Mais le bonheur ne serait-il pas un devoir, une obligation ? Cest ce que pensent Kant et, ici, Alain. Par respect de soi-mme et de lautre, il y a obligation tre heureux : pour ne pas tre un fardeau, pour rester ouvert aux autres et non pas demeurer confit dans son malheur. Car comment faire le bonheur de lautre du fin fond de son propre malheur ? {Bonheur - Devoir}

    sinformer de tout, on ne sait jamais rien. ALAIN (mile CHARTIER, dit) (1868-1951)

    La socit de linformation nest pas encore effective elle ne le sera qu la fin du XXe sicle quAlain nous met dj en garde contre les illusions que gnre linformation. Information nest pas savoir. Une information est une donne (data en latin, repris par le langage informatique) qui ne prend de sens, de signification que si elle sinsre dans un schma de connaissance. Sinon elle nest rien, que du vent, que du bruit. Accumuler les informations ne procure que lillusion du savoir. {Information - Savoir}

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    On dit que les nouvelles gnrations seront difficiles gouverner. Je lespre bien. ALAIN (mile CHARTIER, dit) (1868-1951)

    Cette ide dAlain brille par sa singularit. Et par son humour. ne lire que la premire phrase, lon peut penser que le philosophe dit que les gnrations venir poseront des problmes aux gouvernants, et quil y a sans doute lieu de sen plaindre et de le craindre. Mais non, pas du tout ! La deuxime partie du propos loue les gnrations venir de ntre pas dociles, cest--dire de ne pas se laisser mener comme avant elles celles qui nont rien fait, ou pas assez, pour barrer la route aux fascismes. {Gouverner}

    Le travail utile est par lui-mme un plaisir ; par lui-mme, et non par les avantages quon en retirera. ALAIN (mile CHARTIER, dit) (1868-1951)

    Quest-ce quun travail utile ? Cest celui dont on comprend la finalit, dont on sait quil sinscrit dans une longue chane de raisons. Ce travail-l nest pas alinant, il est constructif et formateur. Alain llve presque ici au rang de lart, puisquil contient en lui-mme le plaisir de laction. Un travail utile plat celui qui laccomplit, comme le travail de luvre plat lartiste. Les considrations financires, la reconnaissance sociale sont alors secondaires. Compte dabord la satisfaction intime que procure le bel ouvrage . {Travail}

    Lcole est universelle parce que le savoir est universel. ALAIN (mile CHARTIER, dit) (1868-1951)

    Alain consacra sa vie lenseignement, il forma des gnrations de lycens et dtudiants. Pour lui, la mission de lcole est de dpasser les particularismes, les communautarismes dirions-nous aujourdhui. Pas de clivages, ni sociaux ni culturels. Lcole doit donner accs tout le savoir du monde sans que des considrations de nations, de religions ou de genres interfrent dans la diffusion des connaissances. {cole - Savoir}

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    Ladmiration est la stricte mthode pour la formation de lesprit. ALAIN (mile CHARTIER, dit) (1868-1951)

    Admirer signifie stonner, voir avec tonnement. Admirer, cest aussi considrer avec un sentiment dapprobation ce dont on reconnat la valeur. On se trompe en pensant que ladmiration induit une faiblesse. Au contraire. Admirer, cest se forger des modles et tendre les galer. Jeune, Victor Hugo admirait Chateaubriand au point de se promettre quil serait Chateaubriand ou rien . On connat la suite, Hugo, prenant modle sur lauteur dAtala, devint lui-mme un grand crivain. Diffrent mais aussi puissant, sans quil ait t diminu le moins du monde par cette admiration. Au contraire. {Admiration - ducation}

    Les morts veulent vivre, ils veulent vivre en nous ; ils veulent que notre vie dveloppe richement ce quils ont voulu. ALAIN (mile CHARTIER, dit) (1868-1951)

    Continuit et transmission sont les deux moteurs de la vie pour Alain. Il sinscrit ainsi dans la pense du modernisme, qui estime que lavenir sera toujours meilleur que le pass. Que le pass est gros de lavenir. Les morts nous font don de leurs uvres et de leurs idaux ; nous, les vivants, de les perptuer en ne les oubliant pas et en reconnais-sant ce que nous leur devons. Et ceci non pas dans une mmoire fige mais dans des actes gnrs par une mmoire active. {Mmoire - Mort - Vie}

    Cest le pass qui fait lavenir et lhomme nest au-dessus des animaux que par la longueur de ses traditions et la profondeur de ses souvenirs. ALAIN (mile CHARTIER, dit) (1868-1951)

    La transmission est, pour Alain, la caractristique essentielle de la sphre de lhomme. Nous vivons dans le temps prsent, cela est irrfragable, mais le prsent est issu du pass qui fonde aussi lavenir. Le temps de lavenir sera tiss de ce qui a t, soit pour perptuer ce qui nous a t transmis soit pour le combattre et le transformer. Sans souvenirs nous ne sommes rien. Les penses totalitaires lont bien compris qui veulent toujours faire table rase du pass afin de mieux dcrbrer les hommes. {Avenir - Pass - Tradition}

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    La rupture dans notre tradition est maintenant un fait accompli. Hannah ARENDT (1906-1975)

    Ce qui, depuis les Grecs, tait transmis de sicle en sicle et de gnration en gnration tait laffirmation de la supriorit de la vie contemplative sur la vie active : la pense prvalait sur laction. Laction pouvait tre saisie comme lapplication de la pense. Dans la pense moderne, celle du XXe sicle, le rapport est invers : laction est premire, et nous nous acheminons vers une conception du monde dans laquelle cette antique opposition entre la pense et laction sestompera de plus en plus. {Tradition}

    La culture de masse apparat quand la socit de masse se saisit des objets culturels. Hannah ARENDT (1906-1975)

    Pour Arendt, la culture de masse nest pas, intrinsquement, un danger pour la culture ; elle ne le sera que si, par lintermdiaire des loisirs, elle devient un objet de consom-mation. La Crise de la culture dont le titre original en anglais est Between Past and Future analyse le changement radical qui sopre au XXe sicle. La culture y est en crise, cest--dire en dsquilibre entre ce quelle fut et ce quelle peut devenir. Une dmocratisation de la culture mal conduite risque de transformer les objets culturels traditionnels, les arts, la littrature, en objets de consommation, en objets de loisirs. Or, pour Arendt, la culture exige de leffort, du temps, du travail. Sans cela, lon a affaire une pseudo-culture voire une sous-culture. {Culture - Culture de masse}

    Lcole nest en aucune faon le monde et ne doit pas se donner comme tel. Hannah ARENDT (1906-1975)

    La conception de lcole que dveloppe Arendt sinscrit en faux contre celle qui anime la plupart de ceux qui font lcole aujourdhui. Pour elle, lcole est un lieu o lon tudie, o lon travaille, o se perptuent les traditions et les transmissions culturelles. Sans souci du monde extrieur. Llve na pas sadapter au monde mais apprendre tout ce quil faut pour devenir un adulte autonome. Le temps de lcole fini, alors il lui sera temps de se mesurer au monde avec les armes que lcole lui aura fournies. Ici, nous retrouvons le concept de Bildung : la formation, au sens o lcole construit le futur adulte. {Bildung - cole - Monde}

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    La banalit du mal. Hannah ARENDT (1906-1975)

    Philosophe dorigine juive, Hannah Arendt russit fuir le nazisme et sinstalle aux tats-Unis. En 1961, elle couvre pour lhebdomadaire The New Yorker le procs, Jru-salem, de Eichmann, criminel nazi. Elle est frappe par lcart entre la monstruosit des actes commis par le fonctionnaire nazi et la mdiocrit de lhomme, incapable de les rflchir et les penser. Elle forge alors ce concept de la banalit du mal : les plus atroces monstruosits peuvent tre commises par des hommes ordinaires. Cest--dire par tout un chacun qui obit aveuglment et suspend sa facult de jugement. Jai obi aux ordres , disent-ils tous. {Banalit du mal}

    Lhistoire est la reconstitution, par et pour les vivants, de la vie des morts. Raymond ARON (1905-1983)

    Cette formule, un peu crue, traduit bien la fonction de lhistoire, cest--dire de la connais-sance que les hommes construisent pour rendre compte du pass. Dimensions de la conscience historique, que publie Raymond Aron, analyse les conditions de llaboration de la science historique. Lhistoire est lexploration du pass, la narration des faits qui eurent lieu autrefois. Pour accder au rang de science, lhistoire doit tre objective, ne pas trahir les documents partir desquels elle slabore. {Histoire - Mmoire}

    Connatre le pass est une manire de sen librer puisque seule la vrit permet de donner assentiment ou refus en toute lucidit. Raymond ARON (1905-1983)

    Sous une forme contemporaine, Aron reprend ici une ide qui parcourt toute la philoso-phie stocienne : lignorance est un esclavage, un asservissement. Si je ne connais pas le pass ou si je le connais mal, je risque den rester prisonnier. Je ne suis pas mme de mopposer ceux qui disent le connatre. Il y aura toujours un homme qui se prtendra le guide, le Fhrer, qui me dira ce que je dois faire. Seule la connaissance construit la lucidit qui permet de dire non. {Histoire - Pass}

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    La vanit franaise consiste se reprocher toutes les fautes, sauf la faute dcisive : la paresse de pense. Raymond ARON (1905-1983)

    La philosophie politique de Raymond Aron nexclut pas, au contraire, un regard de moraliste sur le cours des vnements. Spectateur engag , il observe les hommes de son temps et ne manque pas de mettre en vidence leurs points faibles quand ils affectent la manire de conduire une politique. Il considre quil y a de lorgueil se charger de toutes les fautes. Pour lui, les Franais aiment se dire responsables sans toutefois admettre un manque fondamental : la facilit avec laquelle certains deux ont accept linacceptable pendant la guerre, ou suivent des matres penser sans penser eux-mmes. {Pense}

    Les hommes nont jamais pens la politique comme dfinie exclusivement par la lutte pour le pouvoir. Celui qui ne voit pas laspect lutte pour le pouvoir est un naf, celui qui ne voit rien que laspect lutte pour le pouvoir est un faux raliste. Raymond ARON (1905-1983)

    Durant la guerre froide qui opposait lEst et lOuest, Raymond Aron essaya de convaincre dviter le pige de la pense binaire : celui de faire, du choix entre Moscou et Washing-ton, une affaire sans nuance. Aron, qui ne se voulait pas matre penser, fit entendre une voix ferme qui maintenait lexigence de lanalyse philosophique et morale. Les hommes ne sont ni uniquement idalistes ni uniquement matrialistes. Et laction poli-tique ne saurait tre rduite la recherche du pouvoir pour le pouvoir, mme si on ne peut pas envisager la politique sans la recherche du pouvoir. La bonne question est : le pouvoir, pour en faire quoi le bonheur des hommes, tablir les conditions de la libert ? {Politique - Pouvoir}

    Appelons de nos vux la venue des sceptiques sils doivent teindre le fanatisme. Raymond ARON (1905-1983)

    Ni le savoir ni mme la philosophie ne protgent du fanatisme, cest--dire de la possi-bilit de mettre mort quiconque ne pense pas comme une autorit religieuse ou poli-tique a dcid quil fallait penser. LInquisition et la Terreur nous ont montr les outrances auxquelles peut conduire la certitude de dtenir seul la vrit. Aron, dans LOpium des intellectuels, demande aux clercs de ne pas verser dans le fanatisme (communisme dun ct ou libralisme exacerb de lautre) mais de chercher, toujours anims par le doute qui modre et tempre les passions. {Fanatisme - Scepticisme}

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    Dire, cest faire. John L. AUSTIN (1911-1960)

    Ce que lon nomme lcole dOxford imprime une marque dcisive sur la philosophie du langage : elle entend ne sattacher quau langage ordinaire partir duquel les hommes dcryptent le rel. Louvrage de John L. Austin, dont le titre original est trs explicite How to do Things with Words (traduction mot mot Comment faire les choses avec des mots), en signale clairement la thse : le langage est un mode daction sur les choses et les gens. Parler cest agir. Quand je dis Jouvre la porte , je ne dcris pas seulement un fait, je me jette dans laction douvrir cette porte. Cest ce quAustin nomme la fonction performative du langage (de langlais to perform : accomplir une action). {Action - Langage}

    Cest en termes dobstacles quil faut poser le problme de la connaissance scientifique. Gaston BACHELARD (1884-1962)

    Lpistmologie est ltude, par la philosophie, des mthodes et des objets de la science (du grec pistm : savoir, connaissance rationnelle). Gaston Bachelard consacre sa vie et son enseignement lucider la manire dont se construit le savoir scientifique. La Formation de lesprit scientifique (1938) pose la thse suivante : la science doit surmonter des rsistances intrinsques au savoir pour se dployer. Le savant lui-mme nest pas exempt de penses, voire de prjugs qui font obstacle la connaissance scientifique. Le rle de lpistmologie est de reprer ces obstacles. {Obstacle - Science}

    Lopinion pense mal ; elle ne pense pas ; elle traduit des besoins en connaissances. Gaston BACHELARD (1884-1962)

    Il faut faire un effort pour comprendre cette assertion et ne pas penser, de manire simpliste, que Bachelard est antidmocrate ! Lopinion, ici, cest la doxa grecque : une croyance, une vision rudimentaire de la ralit. Mal penser, cest ne pas penser. Les hommes dans la caverne de Platon pensaient que ce quils voyaient tait la vrit. Ils se trompaient, ils pensaient mal. De mme, quand nous pensons que la substance laine est chaude, nous ne faisons que traduire notre besoin de chaleur : la laine na jamais rchauff un mort. Ce nest pas la laine qui est chaude, mais le corps trente-sept degrs qui lui transmet cette chaleur quelle emprisonne dans ses fibres. {Opinion - Science}

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    On ne peut rien fonder sur lopinion, il faut dabord la dtruire. Gaston BACHELARD (1884-1962)

    Des enqutes montrent quil y a encore des personnes, passes par lcole, qui croient que cest le Soleil qui tourne autour de la Terre. Elles se fondent sur ce quelles voient : le Soleil parcourt en une journe la moiti de lhorizon. Accder la science, cest casser cette opinion lmentaire, la briser, inverser les rapports et comprendre que ce nest pas le Soleil qui tourne mais la Terre. La croyance est un des obstacles les plus puis-sants la science. La science doit, pour se dployer, anantir les croyances et lopinion. {Opinion - Science}

    Avant tout il faut savoir poser les problmes. Gaston BACHELARD (1884-1962)

    Toute la philosophie de Bachelard tient dans cette phrase : la science est lart de poser des problmes. Quest-ce quun problme ? Le mot problme vient du grec pro : devant et balein : jeter, lancer. On voit bien que le mot problme est le strict quivalent de obstacle qui signifie, selon ltymologie latine : ce qui se tient devant. Dans les deux cas problme ou obstacle , lavance est bloque. Sauf bien dfinir et mesurer lobstacle ou le problme. Ne pas se tromper de cible, bien identifier ce qui bloque afin de pouvoir sy attaquer. {Problme - Science}

    Rien ne va de soi. Rien nest donn. Tout est construit. Gaston BACHELARD (1884-1962)

    Bachelard considre que le savoir scientifique se conquiert de haute lutte. Lutte contre lui-mme pour liminer les scories (croyances, prjugs) qui lentravent, lutte contre la nature quil faut interroger au-del de lobservation qui, pour tre ncessaire, nest pas suffisante. La vrit scientifique est toujours construite en luttant contre lvidence. Il est vident, au sens tymologique (vient du latin videre : voir), que le Soleil tourne autour de la Terre, cest ce que je vois de ma fentre. Mais Copernic a combattu cette vidence et dmontr, par le calcul, que cest la Terre qui tourne. {Science}

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    Lhomme est une cration du dsir, non pas une cration du besoin. Gaston BACHELARD (1884-1962)

    pistmologue, cest--dire philosophe des sciences, Gaston Bachelard explore tout aussi bien le domaine de la posie et de lintuition artistique. Les hommes ne sont pas seulement des tres mus par la ncessit de subvenir des besoins vitaux, ils sont aussi, et surtout, mus par la volont et le dsir de crer quelque chose en plus. Ce quelque chose en plus , qui nous distingue des animaux, cest lart mais aussi la science, qui rpond au dsir de savoir. Lhomme est bien le produit de son dsir. Tout le processus de lhominisation au cours des millnaires le prouve. {Besoin - Dsir}

    La science cre de la philosophie. Gaston BACHELARD (1884-1962)

    Thals et les prsocratiques examinent les mtores (les phnomnes clestes) : la philosophie nat qui se dgage alors des mythes. Copernic et Galile nous font passer dun monde gocentrique un monde hliocentrique : Descartes rflchit le rle heuris-tique au sens de qui recherche du doute. Newton nous apprend la loi de la gravi-tation universelle : Kant restructure toute la philosophie pour intgrer ces nouvelles donnes scientifiques qui modifient de fond en comble notre conception de lespace et du temps. Les sciences cognitives et neuronales de notre temps (XXIe sicle) nous obligent repenser la question de la conscience. Le couple science/philosophie est indissociable. {Philosophie - Science}

    La science, dans son besoin dachvement, comme dans son principe, soppose absolument lopinion. Gaston BACHELARD (1884-1962)

    Lopinion ne pense pas , dit aussi Gaston Bachelard. En ces temps o lopinion publique fait figure de vrit, cela peut surprendre. Expliquons. Lopinion, au sens philosophique, cest la doxa grecque, cest--dire une croyance. Ainsi, dans la caverne platonicienne, les hommes croient-ils que ce quils voient devant eux est le vrai. Ils sont dans la doxa, alors que celui qui est dtach, se retourne et sort sait que la vrit est en dehors de la caverne. Lui, il est dans lpistm, le savoir rationnel, le savoir se sachant savoir. La science doit toujours batailler contre lopinion. {Opinion - Science}

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    Il faut rflchir pour mesurer et non pas mesurer pour rflchir. Gaston BACHELARD (1884-1962)

    Quand Galile nonce, en 1602, la loi sur la chute des corps, ce nest pas seulement le rsultat de mesures. Certes, il mesure la hauteur de la tour de Pise, le poids des objets quil fait tomber, la vitesse avec laquelle ils tombent. Mais sil prend toutes ces mesures, cest pour corroborer son intuition, sa rflexion : deux corps de masses diffrentes lchs de la mme hauteur tombent en mme temps. Le clbre plan inclin quil construit pour le prouver est second dans llaboration de la loi et non pas premier. {Mesure}

    Il ny a de science que par une cole permanente. La socit sera faite pour lcole et non lcole pour la socit. Gaston BACHELARD (1884-1962)

    Le mot grec pour dire cole est skhol, que nous pouvons aussi traduire par loisirs tant, dans lesprit des Grecs, aller lcole cest avoir la chance de se soustraire aux durs travaux. Bachelard considre que le but de lcole nest pas de former des individus calibrs selon les besoins de la socit ; cest de former des hommes libres et instruits qui sauront, lge venu, mettre leurs talents acquis et cultivs par lcole au service de la science et de la socit. Lcole ne saurait donc tre soumise aux enjeux conomiques du moment. Elle est un monde part du monde conomique. {cole - Socit}

    Pour tre heureux, il faut penser au bonheur dun autre. Gaston BACHELARD (1884-1962)

    On connat surtout Bachelard pour son uvre de philosophe des sciences (pistmo-logue), mais pour tre pistmologue il nen tait pas moins homme, soucieux du bonheur de sa fille, de ses amis, des autres. Son appartement de la rue de la Montagne-Sainte- Genevive, Paris, empli de livres, tait un havre de paix pour ses amis et pour lui-mme. Peut-tre certains vieux marchands du march Maubert se souviennent-ils de son sourire et, aussi, de sa vigilance pour reprer les bons produits. Sa bonhomie tait reconnue de tous. {Autrui - Bonheur}

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    Limagination est une des forces de laudace humaine. Gaston BACHELARD (1884-1962)

    Si Pascal considrait que limagination est la folle du logis , cest--dire une facult qui peut entrer en opposition avec la raison, Bachelard, quant lui, voit dans le pouvoir de crer des images mentales une de nos facults les plus puissantes. Les hommes ne volent pas, mais imaginons quils le fassent : Vinci, les frres Wright et Clment Ader, partir de cette image projete sur lcran noir de leur cervelle, inventeront les techniques qui permettront lhomme de voler. LAir et les Songes (1943) analyse les rapports que notre puissance imaginative entretient avec les airs. {Imagination}

    Imaginer, cest hausser le rel dun ton. Gaston BACHELARD (1884-1962)

    LAir et les Songes (1943) montre combien notre imagination notre facult de crer des images mentales est le moteur de nos sciences et de nos techniques. Et de la posie, ce qui est quasiment la mme chose pour Bachelard. Les hommes ne respi-rent pas sous leau : Jules Verne a imagin quils pouvaient le faire. Les sciences et les techniques du XXe sicle, en permettant lexploration des grands fonds marins, ont offert linvestigation humaine une ralit laquelle nous navions pas encore accs. {Imagination - Ralit}

    Limagination est la facult de dformer des images. Gaston BACHELARD (1884-1962)

    Une image est une reprsentation. Limagination est cette facult qui nous permet de nous reprsenter, mentalement, des choses ou des tres absents ou nexistant pas. Jouant sur un pseudo-paradoxe, Bachelard affirme que limagination, au lieu de former des images, les dforme. Cest dire toute la puissance de limagination qui est capable de dformer le rel et les images que nous pouvons en avoir. Crer artistiquement, faire de la science, cest dformer une image : nous nous reprsentons le marbre comme tant, par nature, froid. Imaginons que le marbre nest pas froid, cassons cette image et nous accderons la science : la substance marbre nest pas par nature froide, pas plus que la laine nest chaude. {Imagination - Science}

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    Il y avait l quelque chose de choquant, les savants haussrent les paules, et lon finit par ne plus soccuper de ces invraisemblables peintures. Georges BATAILLE (1897-1962)

    Les formes de lart prhistorique intressent Bataille qui y voit lexplosion symbolique du passage de lanimalit lhumanit. Il rappelle, dans La Peinture prhistorique (1955), que rapidement aprs la dcouverte, par hasard, des peintures polychromes dAltamira en 1879, tout le monde savants y compris oublia cette grotte. Personne ne comprit qui les avaient peintes. Que des hommes primitifs aient pu dployer une telle matrise du trait et de lusage des pigments dpassait lentendement et lon prfra oublier ce qui ne rentrait dans aucun schma explicatif. {Art prhistorique}

    Le soleil donne sans jamais recevoir. Georges BATAILLE (1897-1962)

    Conservateur des bibliothques, Georges Bataille labore une uvre aux accents multi-ples : rotisme, conomie, art, prhistoire. En 1949, il publie un livre, La Part maudite, qui se veut une nouvelle manire de concevoir lconomie. Jusqu prsent, lcono-mie a toujours privilgi la raret comme moteur de la production et de linventivit humaine. Ayant lu lEssai sur le don de Marcel Mauss, qui montre limportance de la dpense somptuaire, voire perte (le potlatch), Bataille veut fonder lconomie sur lexcs. Il faut produire trop pour gaspiller le plus possible. La vie est gaspillage. {cono-mie - Gaspillage}

    La sduction est partout, subrepticement ou ouvertement. Jean BAUDRILLARD (1929-2007)

    Depuis 1968, Jean Baudrillard conduit une critique radicale de notre socit. Dans un texte aux accents prophtiques La Socit de consommation (1970) , il analyse la socit dans laquelle nous vivons comme tant soumise, pieds et poings lis, aux dictats du march. La cl de la russite du march conomique : plaire au consommateur, le sduire, par la publicit notamment afin quil achte. Baudrillard considre que le tour de force de la socit de consommation est dtre parvenue sacraliser toute chose produite, par le fait mme davoir t produite. La production est une religion, les producteurs sont ses prtres et les acheteurs ses fidles. {Consommation - Sduction}

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    Le rel nexiste plus. Jean BAUDRILLARD (1929-2007)

    Les mdias ont mis mort le rel, mais personne ne sen aperoit : cest un crime parfait, comme Baudrillard le dmontre dans un ouvrage qui porte ce titre : Le Crime parfait. Les images produites par les mdias, par leur prcision, leur nombre, leur profusion se substituent la ralit. Elles ne reprsentent plus la ralit, elles la modulent et la modlent. Tant et si bien que le rel nexiste plus, il est touff par les images qui, seules, portent maintenant le sceau de la vrit. {Mdias - Ralit}

    Le cinma substitue nos regards un monde qui saccorde nos dsirs. Andr BAZIN (1918-1958)

    Andr Bazin voit dans le cinma un moyen dmancipation et de dmocratisation de la culture. Il fonde de nombreux cin-clubs et cre, avec dautres, le magazine Radio-Cinma-Tlvision qui deviendra plus tard Tlrama. Thoricien du cinma, il rflchit au rapport du cinma et de la ralit. Pour lui, le cinma sublime la ralit. {Cinma - Dsir}

    On ne nat pas femme : on le devient. Simone de BEAUVOIR (1908-1986)

    Le Deuxime Sexe, publi en 1949, bouscule toutes les ides, tous les prjugs sur les femmes. Le livre connat un succs considrable o se mlent scandale et admiration. La thse principale, condense dans cette phrase clbre, introduit une ide nouvelle : ce nest pas le biologique qui dtermine la fminit mais le culturel. Cest lorganisation sociale qui construit la femme, qui doit alors se conformer ce que les socits, domines par les hommes, veulent delle. {Femme}

    Seule la mdiation dautrui peut constituer un individu comme un Autre. Simone de BEAUVOIR (1908-1986)

    Cest lautre qui me fait tre ce que je suis et qui je suis. Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre font de cette proposition le cur de leur philosophie. Le regard de lautre me construit en tant que sujet. Lautre est le moyen pour moi daccder une existence : dtre un sujet autonome. Sans la mdiation de lautre, que suis-je ? Lenfant ne parle que parce quon lui parle. Que parce quun autre, sa mre ou quiconque, llve, le fait entrer dans la sphre du langage et donc de lhumain. Alors seulement il peut dire je , parce quil sait que les autres existent aussi indpendamment de lui. Et que lui est un autre pour eux. {Sujet}

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    Il ny a quun travail autonome qui puisse assurer la femme lautonomie. Simone de BEAUVOIR (1908-1986)

    Autonomie : tre responsable de soi, de pas dpendre dautrui, tre libre dagir. Quand Simone de Beauvoir publia, en 1949, Le Deuxime Sexe, le mari pouvait sopposer ce que sa femme ait une activit professionnelle. Elle ne pouvait pas ouvrir un compte en banque sans lautorisation de son mari. Il faut se souvenir de tout cela pour bien comprendre ce que furent les annes de lutte pour que les femmes accdent lauto-nomie financire, qui est la condition sine qua non de lautonomie tout court. {Auto-nomie - Femme - Travail}

    Je me disais que, tant quil y aurait des livres, le bonheur mtait garanti. Simone de BEAUVOIR (1908-1986)

    Les Mmoires dune jeune fille range, que Simone de Beauvoir publie en 1958, racontent son enfance et son adolescence de jeune fille de la bourgeoisie dans le premier quart du XXe sicle. Soumission aux parents, soumission au quen-dira-t-on. Seule chap-patoire : les livres et louverture au monde quils permettent. Sa vie durant, les livres accompagneront Simone de Beauvoir, ceux quelle lit et ceux quelle crit. La lecture, cest lapprentissage de la libert, le terrain dexercices de sa future autonomie gagne de haute lutte par les tudes et lactivit professionnelle. {Bonheur - Livre}

    La mmoire nest pas un instrument qui permet dexplorer le pass, mais le support par lequel celui-ci sexprime. Walter BENJAMIN (1892-1940)

    La philosophie de lhistoire de Walter Benjamin sarticule sur sa pense sur limage, sur la reprsentation. La mmoire est alors le support qui conserve les images qui surgissent et qui, sans elle, svanouiraient avec chaque prsent. Le pass sexprime, au sens littral du terme ( pouss au dehors ), travers le prisme de la mmoire. Benjamin appartient cette gnration de philosophes qui durent fuir le nazisme, il se suicida en 1940. {Mmoire - Pass}

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    La reproductibilit de luvre dart transforme le rapport des masses lart. Walter BENJAMIN (1892-1940)

    Benjamin est un philosophe qui repense la question de lart aprs que la photogra-phie et le cinmatographe en ont modifi radicalement lapproche. Les techniques du XXe sicle, et plus encore du XXIe, permettent de reproduire luvre dart linfini. Benja-min rflchit lcart entre luvre originale et sa duplication technique. Un double jeu se met alors en place : dmocratisation de lart et perte de laura et du mystre de luvre dans son originalit que Benjamin qualifie de magique voire de religieuse. La reproductibilit se donne au risque de la perte de lessence mme de lart. {Art - Photo-graphie - Reproductibilit}

    Toute conscience est anticipation de lavenir. Henri BERGSON (1859-1941)

    La philosophie de Bergson opre une distinction subtile entre le temps tel que la science le mesure et la dure telle que la conscience la saisit. La conscience est coextensive la vie, ce qui signifie que la conscience et la vie sont deux ralits qui marchent tota-lement de pair. La vie est une force, une pulsion cratrice qui se projette vers lavenir, vers ce qui nest pas encore mais qui commence advenir dans la conscience. {Avenir - Conscience}

    Quelque chose de simple, dinfiniment simple, de si extraordinairement simple quil na jamais russi le dire. Henri BERGSON (1859-1941)

    Dans une confrence sur lintuition philosophique, prononce en 1911, Bergson propose, pour comprendre un philosophe, de sefforcer de rejoindre par approches successives, par petites touches, le point central de sa thse. Ce point unique partir duquel tout se dploie et qui nest pas nonc parce que sa simplicit mme le rend indicible, ineffable. Seule lintuition du lecteur peut le saisir et le construire partir de ce que le philosophe ne dit pas. Le travail du lecteur donne au texte sa vrit profonde. {Ineffable - Langage}

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    La religion a pour fonction, par ses rites et crmonies, de maintenir la vie sociale. Henri BERGSON (1859-1941)

    En 1932, Henri Bergson publie Les Deux Sources de la morale et de la religion qui sera son dernier grand livre. Il y tablit une distinction trs fructueuse pour lesprit entre la morale close , celle construite par la pression sociale, et la morale ouverte fonde sur les lans du cur. La mme distinction se dploie dans le domaine de la religion : une religion statique faite de rites, de crmonies et dobligations sociales et une religion dynamique faite damour, et qui conduit au mysticisme. {Religion - Socit}

    Pour un tre conscient, exister consiste changer, changer se mrir, se mrir se crer indfiniment soi-mme. Henri BERGSON (1859-1941)

    Lvolution cratrice que Bergson publie en 1907 pose sur le monde et la nature le rsultat de ses penses sur le moi. En dautres termes, il sintresse ici au monde extrieur alors que Matire et Mmoire scrutait le monde intrieur, le mode dexistence de la conscience individuelle. Bergson pense quil ny a pas de rupture dun monde lautre. Dans les deux sphres, le mme lan est luvre. Le mme dynamisme, la mme force. Le monde et le moi vivent en se crant perptuellement. {Cration - lan vital}

    La dure vcue par notre conscience est une dure au rythme dtermin, bien diffrente de ce temps dont parlent les physiciens. Henri BERGSON (1859-1941)

    Depuis lmergence de la philosophie au VIe sicle avant Jsus-Christ, le rapport entre le corps et lesprit est sans cesse dissqu par les philosophes. Le sous-titre de Matire et Mmoire (1896), Essai sur la relation du corps lesprit, indique prcisment quil va en tre question. Bergson distingue ici le temps des physiciens qui se mesure math-matiquement et la dure de la conscience qui ne se mesure pas en squences disconti-nues. La dure est une intuition continue et qualitative. {Dure - Temps}

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    On trouve des socits qui nont ni science, ni art, ni philosophie. Mais il ny a jamais eu de socits sans religion. Henri BERGSON (1859-1941)

    En 1932, Henri Bergson publie Les Deux Sources de la morale et de la religion. Il y affirme que la religion est coextensive de la vie en socit. Pourquoi ? Parce quelle permet lhomme de se dfendre contre linvitabilit de la mort. La religion apporte une ide de la survie aprs la mort. Tout homme sait quil mourra. La religion est le moyen de se prmunir contre langoisse de cette mort inluctable. {Religion - Socit}

    Penser signifie aller au-del. Ernst BLOCH (1885-1977)

    Philosophe allemand, Ernst Bloch publie en 1918 un ouvrage sur lutopie. Il y dfend lide que les utopies sont ncessaires, quelles sont des buts que nous savons inatteigna-bles pour nous mais vers lesquels nous tendons et qui seront peut-tre atteints par les gnrations suivantes. Trente ans aprs, malgr les dsastres du nazisme, des fascismes et des totalitarismes, et alors que beaucoup ont perdu la foi dans lhomme, Bloch persiste et signe dans Le Principe esprance : lutopie est plus que jamais ncessaire, il faut voir plus loin, il faut penser au-del du malheur et des abominations. Maintenir lesprance cote que cote. {Pense - Utopie}

    Les Anciens navaient pas notre culte du livre. Jorge Luis BORGES (1899-1986)

    Homme du livre et des livres, sil en fut jamais, Borges aime rappeler que tous les grands matres ont dlivr un enseignement oral : Socrate na pas crit un iota, Jsus non plus mais Platon et les aptres se chargrent de leur confrer une forme crite et donc prenne. Borges rappelle, dans les Confrences, que nous nous trompons en imaginant que le vieil adage Les crits restent, les paroles senvolent (scripta manent, verba volant) est la gloire de lcrit. Au contraire, cest un hymne la parole, parole lgre, parole aile comme disaient les Grecs, alors que lcrit senlise dans la lourdeur. Lourdeur pourtant ncessaire, que lart de lcriture tend rendre nanmoins fluide. {crit - Livre - Parole}

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    LUnivers (que dautres appellent la Bibliothque). Jorge Luis BORGES (1899-1986)

    Lecteur. crivain. Conservateur de la Bibliothque nationale dArgentine. La vie de Borges est emplie de livres. Pour lui, lUnivers, cest--dire le Tout, est une bibliothque : on y trouve les mmes ddales de circulation, les mmes arborescences de savoirs, les livres racontent les hommes, les choses, les dieux. Ils disent tout. La bibliothque est plus quune mtaphore du monde. Elle est le monde lui-mme. {Bibliothque}

    La ccit aux ingalits sociales condamne et autorise expliquer toutes les ingalits, particulirement en matire de russite scolaire, comme ingalits naturelles, ingalits de dons. Pierre BOURDIEU (1930-2002) et Jean-Claude PASSERON (n en 1930)

    Bourdieu et Passeron, philosophes et sociologues, font paratre, en 1964, un ouvrage de sociologie sur le rapport entre la culture et les classes sociales. Les Hritiers : les tudiants et la culture bousculent, voire sapent, lide, rassurante, que lcole celle de Jules Ferry est fonde sur les principes rpublicains et humanistes de lgalit des chances. Que nenni, disent-ils ! Lcole reproduit les ingalits sociales. Qui ne reoit pas les tickets daccs la culture dans son berceau a du mal se les procurer tout seul. Et lcole ne laide pas. Au contraire. Pav dans la marre de la bonne conscience politique, ce livre majeur irrigue encore aujourdhui nos dbats sur lcole. {cole - Ingalit}

    En quelque domaine culturel quon les mesure [] les tudiants ont des connaissances dautant plus riches et tendues que leur origine sociale est plus leve. Pierre BOURDIEU (1930-2002) et Jean-Claude PASSERON (n en 1930)

    En 1964, Les Hritiers dmontrent la manire des sociologues (avec enqutes, analy-ses, tableaux statistiques) que la culture est un capital. Et que, comme dans le monde de lconomie, le capital va au capital. Natre dans un milieu cultiv permet un accs facilit la culture sans passer par la case cole . Lcole tant alors un lieu dappli-cation de la culture et non pas un lieu dapprentissage, partir de rien, de la culture. {Culture - cole - tudiant}

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    Les tudiants des classes cultives sont les mieux prpars sadapter un systme dexigences diffuses et implicites. Pierre BOURDIEU (1930-2002) et Jean-Claude PASSERON (n en 1930)

    Ce que Bourdieu et Passeron dmontraient en 1964 est toujours vrai. Les analyses dmographiques et sociologiques montrent quaujourdhui ce sont les enfants des classes leves et ceux des professeurs qui russissent le mieux lcole parce quils en connais-sent les codes, les finesses et les chausse-trappes. {cole - tudiant}

    La morale politique ne peut pas tomber du ciel ; elle nest pas inscrite dans la nature humaine. Pierre BOURDIEU (1930-2002)

    Luniversalit est un leurre. Toute pratique sociale sancre dans la reprsentation quune socit se fait delle-mme. Lappel la reconnaissance dune universalit des rgles morales nest, en fait, quune stratgie de lgitimation pour imposer les pratiques so ciales et politiques du groupe qui les proclame universelles. Le rle de la critique est donc de dvoiler les vritables enjeux de toute politique qui proclame se fonder sur lexistence dune nature humaine transhistorique. {Morale - Politique}

    Il ny a pas de dmocratie sans vrai contre-pouvoir. Lintellectuel en est un, et de premire grandeur. Pierre BOURDIEU (1930-2002)

    Un contre-pouvoir peut tre dfini comme une force qui soppose au pouvoir en place. Dans une dmocratie, les contre-pouvoirs sont ncessaires afin de mettre en place un espace de discussion sans lequel tout pouvoir risque de devenir arbitraire. Lintellectuel, par son autorit morale et ses comptences, joue ce rle : faire entendre une voix qui dnonce les drives ou les abus du pouvoir, qui alerte lopinion publique, qui argumente et rfute. {Contre-pouvoir - Dmocratie - Intellectuel}

    La tlvision appelle la dramatisation. Pierre BOURDIEU (1930-2002)

    La tlvision, pour capter et retenir lattention comme elle le fait, joue sur les sentiments des tlspectateurs. Un reportage simple, au ras des faits, sans clats naura pas la mme audience que celui qui, sur les mmes faits, utilisera toutes les armes dune dramaturgie efficace : suspens, monte de la tension narrative. Le succs des sries tlvises tient cette habilet des scnaristes et des ralisateurs construire des schmas dramatiques qui scotchent le tlspectateur devant son cran. Bourdieu consacre un de ses derniers ouvrages, Sur la tlvision, dcrypter son pouvoir. {Tlvision}

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    La tlvision a une sorte de monopole de fait sur la formation des cerveaux dune partie importante de la population. Pierre BOURDIEU (1930-2002)

    Dans le cadre de son enseignement au Collge de France, Pierre Bourdieu travaille sur les mdias et leur puissance en 1994. Un ouvrage publi en 1996, Sur la tlvision, rsume sa pense sur ce mdia. La tlvision, en trois dcennies, a conquis lensemble des foyers des pays occidentaux. En France, 98 % des foyers sont quips dau moins un poste de tlvision. Le tlspectateur passe plus de trois heures par jour devant le petit cran, qui alimente, en outre, la plupart des sujets de conversation. Monopole auquel chappent ceux qui ont des pratiques culturelles exigeantes et gratifiantes. {Tlvision}

    Le cinma sonore a invent le silence. Robert BRESSON (1901-1999)

    Dans ses Notes sur le cinmatographe, Robert Bresson expose sa conception, exigeante, du cinma : le cinma est une criture artistique. La philosophie orientale est familire de cette ide que la lumire na de sens que par rapport lombre. La philosophie de Bergson joue des contrastes vitaux entre la mmoire et loubli, entre le temps et la dure. Bresson renouvelle ce type de pense en lappliquant au cinma : tant quil tait muet, la question du silence ne se posait pas ; mais sitt devenu sonore, le contraste, lalternance du bruit et de son absence a fait natre le silence. Pas de silence sans le bruit, pas dombre sans la lumire. {Cinma - Silence}

    Toute conception religieuse du monde implique la distinction du sacr et du profane. Roger CAILLOIS (1913-1978)

    LHomme et le Sacr pose dentre de jeu la diffrence radicale entre le sacr et le profane. Pour cela Caillois, en bon philosophe et grammairien, montre que le sacr et le profane dcoupent le monde en deux zones. Appuyons-nous sur ltymologie : profane vient du latin fanum, le temple et de pro, devant. Le domaine du profane est donc tout ce qui est devant le temple, lextrieur du temple. Et le sacr est ce qui a trait au temple, ce secteur de lespace dlimit par lenceinte du temple, puis par mtonymie ce qui est du ressort du religieux. Les paroles nont pas la mme valeur selon quelles sont prononces lintrieur ou lextrieur du temple. Les gestes non plus. On se souvient que depuis la plus haute Antiquit les temples, puis les glises, taient des refuges inexpugnables. {Profane - Sacr}

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    Le jeu na pas dautre sens que lui-mme. Roger CAILLOIS (1913-1978)

    Roger Caillois sinterroge sur le caractre universel du jeu. Tous les enfants jouent, beaucoup dadultes jouent. Caillois envisage quatre catgories de jeux : la comp-tition, le simulacre, le hasard et le vertige. Le jeu est toujours improductif et libre. Il est souvent une mtaphore du monde rel avec une diffrence radicale : dans la vraie guerre, la mort est toujours prsente et dans les jeux de guerre, la mort est hors de question, hors jeu . {Jeu}

    Toutes les grandes actions et toutes les grandes penses ont un commencement drisoire. Albert CAMUS (1913-1960)

    La pense de Camus est rfractaire la grandiloquence. La quotidiennet prend, chez lui, une place de choix. Dans lhistoire des faits humains et dans lhistoire de la pense, il aime reprer les origines simples, banales, de ce qui deviendra grand. Ainsi par exem-ple, lors dune bataille, une petite pluie bien ordinaire, bien familire mais imprvue, peut en faire basculer lissue. Napolon en sut quelque chose Waterloo. Ce que nous nommons aujourdhui la srendipit cest--dire le fait de faire une dcouverte que lon nattendait pas au cours dune recherche oriente vers un autre but peut tre associe cette pense de Camus. Prenons un exemple : nous savons tous que la dcouverte de la pnicilline par Alexandre Flemming rsulte dun banal et drisoire oubli une culture oublie sur une paillasse de laboratoire. Grce cet oubli : des millions de vies sauves. {Action - Commencement - Pense}

    La rbellion la plus lmentaire exprime, paradoxalement, laspiration un ordre. Albert CAMUS (1913-1960)

    Camus publie, en 1951, LHomme rvolt. Quelle rponse lhomme peut-il donner sa soif dabsolu ? cette interrogation philosophique fondamentale Camus rpond que cette soif est toujours inassouvie et que lhomme est dmuni face ce dsir dabsolu. Il ne peut que se rvolter contre la mort, la misre, la pauvret. Toute rbellion est une traduction en acte de cette aspiration vers plus de justice, de bonheur et dordre. Un autre ordre mais un ordre quand mme. Toutefois lhomme doit admettre que ce qui le fait homme, cest justement cette souffrance, cette impossibilit dune unit heureuse. Labsurde peut conduire au dsespoir. Mais peut se maintenir, quand mme, lespoir dessayer, par la rvolte, de construire un ordre plus juste. {Rvolte}

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    Chaque gnration se croit voue refaire le monde. Albert CAMUS (1913-1960)

    Philosophe conscient des problmes de son temps, Albert Camus sengage contre la prolifration nuclaire ds Hiroshima et Nagasaki. cartel par la guerre dAlgrie, il construit une uvre philosophique, littraire et thtrale qui prend bras-le-corps les problmes du prsent. Un humanisme foncier la parcourt. Chaque homme doit accomplir sa tche et, sa mesure, il refait chaque fois le monde puisque son action le modifie. {Homme - Monde}

    Lhomme est sa propre fin. Et il est la seule fin. Albert CAMUS (1913-1960)

    Pas de transcendance chez Camus, le ciel est vide. Lhomme est, de sa naissance sa mort, seul face lui-mme. Aucun but ne lui est assign de lextrieur, il doit jour aprs jour trouver, et mme inventer, un sens sa vie. La philosophie de Camus est exigeante puisquelle renvoie lhomme lui-mme sans espoir de salut. {Homme - Fin}

    tre en face du monde le plus souvent possible. Albert CAMUS (1913-1960)

    Ne pas se bercer dillusions. Admettre labsurdit de lexistence et faire avec . Notre honneur dhomme : faire face, rester debout et agir. Labsurde ne rend pas inutile le courage. {Courage - Monde}

    Ce monde en lui-mme nest pas raisonnable. Albert CAMUS (1913-1960)

    Le Mythe de Sisyphe, publi en 1942, est luvre fondatrice de la pense de Camus : lhomme est plac, en tenaille, entre son dsir de clart, sa volont de comprendre le sens de son existence et lvidence de lirrationnel, de labsence de sens. Tel Sisyphe condamn porter son rocher en haut dune pente, le voir redescendre la pente et devoir le monter nouveau, linfini, lhomme doit se lever chaque matin et accomplir sa tche dhomme sans que le sens de son existence ne lui apparaisse clairement. Lab-surde est cette confrontation entre lirrationnel et le dsir perdu de comprendre. {Absurde - Raison}

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    Il faut imaginer Sisyphe heureux. Albert CAMUS (1913-1960)

    Sisyphe roule sans fin son rocher, son action illustre labsurde de la condition humaine ; pourtant Camus nous enjoint de considrer que Sisyphe est heureux, cest--dire que tout homme peut accder au bonheur puisquil peut surmonter son destin par la connaissance quil en a : Sisyphe connat toute ltendue de sa misrable condition . Le Mythe de Sisyphe (1942) chappe au nihilisme par laffirmation que lhomme peut puiser dans labsurde mme la force de vivre, et dployer ainsi la dynamique humaine par excellence, cest--dire lassociation de la rvolte, de la libert et de la passion. {Bonheur - Sisyphe}

    Peut-tre que la plus grande uvre dart a moins dimportance en elle-mme que dans lpreuve quelle exige de lhomme. Albert CAMUS (1913-1960)

    La valeur de lhomme se mesure, certes, ses actions, ses uvres surtout si ce sont des uvres dart, mais au-del du rsultat tangible, ce qui compte cest la force dme quil a d dployer pour y parvenir. Luvre est la preuve de la vaillance, de la dignit de celui qui laccomplit. Luvre dart permet de mesurer la valeur morale de lhomme qui la compose. {Art - preuve}

    Si les formes ne sont rien sans la lumire du monde, elles ajoutent leur tour cette lumire. Albert CAMUS (1913-1960)

    Lart et le monde sont toujours en recherche dquilibre ou dopposition. Cest ce quaffirme Albert Camus dans son Discours de Sude pour la rception du prix Nobel de littrature, pour lensemble dune uvre qui met en lumire les problmes se posant de nos jours la conscience des hommes . Lartiste se trouve perptuellement saisi par cette ambigut : refuser ou consentir la ralit. Lart sans le rel ne serait rien mais le rel est magnifi par lart. La splendeur du rel est redouble par celle de lart. {Art}

    Le charme, cest une certaine faon de se faire rpondre oui quand on na rien demand. Albert CAMUS (1913-1960)

    Quest-ce que le charme ? Ce je-ne-sais-quoi qui attire et qui rend les autres attentifs et amicaux. Une manire dtre ? Une stratgie ? Une grce donne certains et pas dautres ? Camus se pose la question dans La Chute et y rpond en donnant le rsultat du charme mais nen dcrit pas la nature. Sans doute parce que le charme est quelque chose de lordre de lindfinissable, de lineffable comme dit Janklvitch. {Charme - Ineffable}

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    Le XVIIe sicle a t le sicle des mathmatiques, le XVIIIe celui des sciences physiques, et le XIXe celui de la biologie. Notre XXe sicle est celui de la peur. Albert CAMUS (1913-1960)

    Recevant le prix Nobel de littrature, Albert Camus trace, dans son discours, le portrait du XXe sicle. Le sicle de la peur, dit-il. Quelle peur ou plutt quelles peurs ? Celle de la guerre, dabord. Et quelles guerres ! Des millions de morts, massivement des soldats, durant la Premire Guerre mondiale. La jeunesse dcime. Des millions de morts, massivement des civils, durant la Seconde Guerre mondiale. Slectivement et industriel-lement mis mort dans les camps dextermination. Puis la guerre froide, gnratrice de peurs intrieures et fratricides. La bombe atomique qui plane au-dessus du monde. Des milliards de morts potentiels. Le XXe sicle fut bien le sicle de la peur. {Peur - Sicle}

    La mthode nest pas susceptible dtre formule sparment des recherches dont elle est issue. Georges CANGUILHEM (1904-1995)

    Le mot mthode, en grec, signifie chemin . Georges Canguilhem est la fois mdecin et philosophe comme Franois Dagognet, son disciple , toute son uvre sattache analyser la pense scientifique et les mthodes quelle emploie. Le chemin nest pas sparable du but, la recherche construit son chemin, sa mthode au fur et mesure quelle progresse. Son ouvrage, tudes dhistoire et de philosophie des sciences (1968), est consacr le dmontrer. {Mthode - Science}

    La philosophie est une rflexion pour qui toute matire trangre est bonne. Georges CANGUILHEM (1904-1995)

    Le Normal et le Pathologique, que publie Canguilhem en 1966, est en partie issu de sa thse de doctorat en mdecine dans laquelle il rajuste les concepts de normal et de pathologique en les dcapant de tout arrire-monde moralisant. Pour le philosophe, tout est matire penser. Pas seulement les objets nobles comme le Bien, le Beau, le Bon, mais aussi le sale, les sanies, les dchets et le banal. Franois Dagognet continue, de nos jours, cette rflexion sur ces objets peu reluisants qui en disent pourtant long sur lhomme. {Philosophie}

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    Il ny a rien dans la science qui nait dabord apparu dans la conscience. Georges CANGUILHEM (1904-1995)

    Georges Canguilhem, philosophe et mdecin, reprend ici, en le modifiant lgrement, laxiome de la philosophie empiriste : Il na rien dans lesprit qui ne soit dj dans les sens. Pour quune connaissance scientifique soit labore, construite, il faut quune conscience ait peru un objet, un obstacle. Il faut avoir conscience dun problme pour laborer une thorie qui en rende compte et, ventuellement, le rsout. {Conscience - Science}

    La mort ne se conjugue pas la premire personne. Jean CASSOU (1897-1986)

    Dans Le Livre de Lazare, Jean Cassou offre, sous une forme potique, une rflexion sur la mort, proche de celle de Vladimir Janklvitch. Tous deux laborent une philosophie selon laquelle je ne connais la mort que par celle des autres. Je ne connatrai la mienne quune seule fois, la bonne comme le dit lexpression populaire. Avant cet vnement qui surviendra inluctablement, la mort se conjugue, pour moi, la deuxime et la troisime personne du singulier et du pluriel tu, il ou elle, vous, elles ou ils : ils meurent, vous mourez mais moi, qui assiste ces morts, je suis donc encore vivant. Pour le moment. {Mort}

    La dmocratie est le rgime de la rflexivit collective et de la libert autolimite. Cornelius CASTORIADIS (1922-1997)

    Le concept cl de la philosophie politique de Castoriadis est lautonomie, cest--dire que la libert du citoyen adhre aux principes de la dmocratie parce quil les a rflchis, penss et critiqus. Ds lors, le citoyen est capable de mettre en phase ses dsirs person-nels, ses aspirations et ceux du groupe. Sa libert est alors dfinie par les contraintes internes quil simpose lui-mme. {Autonomie - Dmocratie - Libert}

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    Les lecteurs sont des voyageurs ; ils circulent sur les terres dautrui. Michel de CERTEAU (1925-1986)

    Lanthropologie de la vie quotidienne de Michel de Certeau distingue les producteurs de sens, ceux qui crivent, et les autres qui ncrivent pas, les lecteurs. Les lecteurs font du braconnage culturel, ils pillent luvre crite et laccommodent leur sauce. Michel de Certeau rompt avec la conception binaire : dominants/domins. Il restitue aux ano nymes, ceux qui nont pas de pouvoir visible, une part de pouvoir subreptice : celui que confre la libert de rorganiser et de recomposer pour soi-mme les produits imposs par le pouvoir. Michel de Certeau parle alors finement de libert buissonnire . {Braconnage - Libert - Livre}

    Hier, lcole tait le canal de la centralisation. Aujourdhui, linformation unitaire vient par le canal dmultipli de la tlvision, de la publicit, du commerce, etc. Michel de CERTEAU (1925-1986)

    Luvre de Michel de Certeau touche de nombreux objets : la thologie (il est jsuite), la philosophie, la psychanalyse, lethnologie, lhistoire. Il rflchit dans Sur lcole clate et la nouvelle culture la situation de lcole dans le dernier quart du XXe sicle. Lcole a perdu le rle qui tait le sien depuis la Rvolution franaise : tre lagent de la centrali-sation et lunique dispensatrice du pouvoir culturel. Fini tout cela. Le pouvoir culturel nest plus localis dans lcole mais dans les mdias. Michel de Certeau ne se lamente pas, ne crie pas au sacrilge. Au contraire, il enjoint aux professeurs de considrer cette situation comme une chance pour prendre des distances vis--vis de limprialisme cultu-rel et faire merger une pluralit de repres culturels. {Centralisation - cole - Tlvision}

    Les mourants sont des proscrits parce quils sont les dviants de linstitution organise par et pour la conservation de la vie. Michel de CERTEAU (1925-1986)

    LInvention du quotidien raconte comment lhomme ordinaire se rapproprie en les ajustant sa mesure les codes sociaux. Le chapitre XIV traite de linnommable : mourir . notre poque, nous ne supportons plus de dire : Il agonise , Il est mort . Nous mourons lhpital. Les veilles funbres nexistent plus. Pourquoi ? Parce que notre socit ne supporte pas de voir en plein jour ce qui lui semble dfectueux : on balaie les dchets le plus vite possible, on range les fous dans des asiles et les malades dans les hpitaux. Les hpitaux soignent, cest l leur fonction premire. Mais quand la mort approche, cest vers lhpital que sont conduits ceux qui vont mourir, pour sortir du circuit de la vie, pour ne pas le dranger. Dans une sorte descamotage. {Mort}

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    Avec limprialisme de la mthodologie, on brise tout le travail de recherche et dapprofondissement. Franois CHTELET (1925-1985)

    Franois Chtelet est philosophe et professeur. Un grand, un des plus grands professeurs de la seconde moiti du XXe sicle, avec Deleuze et Foucault. Il est un des fondateurs du Centre universitaire de Vincennes, qui ouvre en janvier 1969 dans la foule de Mai 68. Rsolument anti-institutionnel, ce centre est ouvert tous sans exigence de diplmes ni dge. Chtelet y enseigne avec une puissance magistrale qui ne doit rien lapplication de mthodes pdagogiques codifies et doit tout la gnrosit de lhomme et de sa pense. tout miser sur la mthodologie, lon cre des esprits encods, faits sur le mme moule et lon brise llan de la curiosit joyeuse qui nentrave pas, au contraire, la richesse de la pense. La mthodologie est le tombeau de la vraie mthode : celle des chemins ouverts par limagination et lamour du danger. {Mthode}

    Lhomme se comprend dsormais comme tre historique. Franois CHTELET (1925-1985)

    Cette phrase ouvre La Naissance de lhistoire que publie Franois Chtelet en 1961. Cette uvre rpond la question : pourquoi lhomme sest-il fait historien ? Depuis les Grecs, les hommes conservent et transmettent la mmoire du pass parce quils sont devenus, avec la dmocratie grecque, des citoyens. La rationalisation philosophique va de pair avec la citoyennet : lhistoire est savoir, connaissance de la cit et de ses principes. {Histoire}

    Il ne suffit pas que le philosophe existe au sein de la corruption et quil veuille enseigner. Il faut encore quil soit entendu. Franois CHTELET (1925-1985)

    La question de lenseignement parcourt toute luvre de Franois Chtelet. Elle va de pair, depuis Socrate, avec la philosophie. Le philosophe est celui qui sort de la caverne (cf. Platon, La Rpublique) qui contemple la vrit et revient dans la caverne-cit pour enseigner cette vrit. Mais les hommes encore enchans de la caverne ont du mal lentendre, ils iront mme jusqu le mettre mort. {Caverne - Philosophie}

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    Le risque de lducateur est constant, car la corruption de la cit engendre linintelligence de la cit. Franois CHTELET (1925-1985)

    Il nest pas tonnant que Franois Chtelet ait tant travaill et crit sur Platon et Socrate. Professeur avant tout et jusquau bout, ces deux-l lont intress au plus au point par le rle majeur quils ont confr lducation et la transmission de la vrit. Socrate est condamn boire la cigu par ces concitoyens qui ne peuvent pas entendre ce quil a leur enseigner. La corruption de la cit rgne dans la caverne et empche les hommes dtre intelligents. Le pouvoir tyrannique a toujours intrt freiner lintelligence des citoyens. Abrutis et conditionns, ils se rebellent moins. Celui qui veut les rveiller risque gros : la cigu, la guillotine, la prison, la torture. Socrate. Condorcet. Gramsci. Henri Alleg. {Cit - Corruption - ducation}

    Le premier moment de la philosophie consiste rvler lopinion la conscience errone quelle a delle-mme. Franois CHTELET (1925-1985)

    Socrate toujours. Chtelet montre dans toute son uvre combien la figure de Socrate est tutlaire chez les philosophes. Pour lui, qui dit philosophe dit Socrate, dit ducateur. Socrate est ce premier moment de la philosophie. Celui qui, inlassablement, explique la diffrence entre lopinion, ce que lon croit savoir, ce que lon pousse croire la doxa et la vrit, le savoir lpistm. Socrate qui, inlassablement, offre laccs la vrit. Et qui boira la cigu. Franois Chtelet fut ce professeur qui, dans les derniers mois de sa vie avait besoin dune lourde assistance respiratoire sauf quand il donnait un cours. {Opinion - Philosophie}

    Le cinma cest lcriture moderne dont lencre est la lumire. Jean COCTEAU (1889-1963)

    La photographie porte dans son nom mme la marque de la lumire puisque la lumire se dit photon en grec. En effet, cest la lumire qui impressionne la plaque de verre puis la pellicule et, aujourdhui, leffet photolectrique est la base de toute notre imagerie numrique. Le cinmatographe, selon les mmes techniques, se sert de la lumire. Le mot cinma met laccent sur le mouvement, kin en grec. La mtaphore de Cocteau signifie donc que la camra est le stylo qui permet dcrire, donc de crer, avec de la lumire. {Cinma - criture - Lumire}

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    Toute histoire est une histoire contemporaine. Benedetto CROCE (1866-1952)

    Italien, Benedetto Croce sest oppos la monte du fascisme. Philosophe et historien, ses recherches portent essentiellement sur la conception de lhistoire. Hglien, Croce considre que cest toujours un historien cest--dire un homme saisi par les dtermi-nations de son temps qui rflchit aux faits du pass. En ce sens, lhistoire est toujours contemporaine de celui qui la pense. {Histoire}

    Le spectacle nest pas un ensemble dimages, mais un rapport social entre des personnes, mdiatis par des images. Guy DEBORD (1931-1994)

    Cinaste, rvolutionnaire, Guy Debord fonde en 1957 une revue, LInternationale situa-tionniste, dont les articles virulents dnoncent les outrances et les drives politiques de lOccident aussi bien que celles du bloc communiste. En 1967, La Socit du spectacle montre que, pour tout et partout, limage a envahi lespace public et politique pour former une socit qui se vit dornavant sur le mode du spectacle. Cette nouvelle forme de lalination cre un renversement conceptuel et moral : dans la socit-spectacle la vrit devient un moment du faux. La politique et les rapports entre les individus sont grs par des images. La publicit et la communication des politiques continuent de lui donner raison. {Image - Politique - Spectacle}

    Le concept, cest ce qui empche la pense dtre une simple opinion, un avis, un bavardage. Gilles DELEUZE (1925-1995)

    Gilles Deleuze assigne une fonction premire aux philosophes : tre des forgerons du concept. Forger des concepts, cest fabriquer des ides qui liminent le flou enrobant les opinions. Cest crer des outils de pense. Ainsi, par exemple, Deleuze forge-t-il, dans LAnti-dipe (1972) un concept nouveau pour la notion de dsir. Pour lui, le dsir nest pas caractris par le manque (comme chez Platon et Freud), le dsir est une cration qui permet la vie. Le dsir est volont de puissance. Ce nouveau concept de dsir, cette nouvelle conception du dsir, ouvre des perspectives indites sur la politique et sur la psychanalyse. {Concept - Dsir - Philosophie}

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    Je conois la philosophie comme une logique des multiplicits. Gilles DELEUZE (1925-1995)

    Philosopher, pour Gilles Deleuze, cest forger des concepts, crer des outils de pense pour comprendre le monde et les hommes. Le rel est complexe, la philosophie se doit de rendre compte de cette complexit en composant des jeux de relations qui synth-tisent cette multiplicit. {Philosophie}

    Le phnomne originel demeure toujours cette reconnaissance de lautre comme devant tre accueilli, quel quil soit. Jean-Toussaint DESANTI (1914-2002)

    Le critre principal de lthique est, pour Jean-Toussaint Desanti, celui qui me fait accueillir lautre ; et sa ngation est le refus de lautre au prtexte quil nest pas comme moi, quil na pas la mme culture. Accueillir lautre, le dehors, cest aussi refuser que ma propre communaut, celle laquelle jappartiens historiquement, ne devienne, pour moi-mme, un lieu clos qui mimpose ses frontires. {Autrui - thique}

    Une grammaire, pour moi, cest un roman. Georges DUMZIL (1898-1986)

    Philologue, linguiste, Georges Dumzil est un amoureux des langues. Sa connaissance du grec, du latin, du sanskrit mais aussi de langlais, de lallemand, de larabe il connat trente-six langues lui ouvre des perspectives dinterprtation et des voies de compa-raisons, indites depuis Wilhelm von Humboldt (XIXe sicle). Pour lui, une grammaire est un rcit dans lequel il voit se dployer la culture et lhistoire. Cest en tudiant les langues et en les comparant quil met au point sa thorie de la structure tripartite des socits indo-europennes : les uns prient, les autres combattent, les derniers produisent. {Grammaire - Indo-europen}

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    nos yeux chaque homme est une incarnation de lhumanit tout entire, et comme tel il est gal tout homme, et libre. Louis DUMONT (1911-1998)

    Anthropologue, Louis Dumont, tudie et compare la socit indienne et la socit occi-dentale. La premire est fonde sur le systme des castes, la ntre sur la pense de lgalit. La mthode comparative quutilise Dumont lui permet de mettre en vidence le paradoxe de la socit occidentale qui, bien que fonde sur lide dgalit, contient des structures hirarchiques puissantes. Deux ouvrages dissquent ce rapport entre galit et hirarchie : Homo hierarchicus : essai sur le systme des castes (1971) et Homo aequalis (1977). {galit}

    Lcole ne saurait tre la chose dun parti. mile DURKHEIM (1858-1917)

    La question de lcole a toujours t une question primordiale en France. Le sociologue mile Durkheim affirme ici la ncessaire neutralit des matres, qui manqueraient tous leurs devoirs en entranant leurs lves vers leurs propres ides, combien justes peuvent-elles leur apparatre. Lcole a, pour lui, une vocation universelle et ne saurait donc privilgier tel ou tel parti politique et encore moins sy infoder. {cole - Politi-que}

    Traiter les faits sociaux comme des choses. mile DURKHEIM (1858-1917)

    Auguste Comte propose que les mthodes des sciences de lhomme prennent modle sur les sciences de la nature. Durkheim publie Les Rgles de la mthode sociologique (1895), ouvrage dans lequel il prconise dobserver les faits en prenant pour principe que lobservateur (le sociologue) ignore ce quils sont. Il sagit donc dobjectiver les faits sociaux afin que la distance entre lobservateur humain et les faits sociaux, relevant eux aussi de lhumain, soit la plus grande possible. Il faut rduire au maximum la part de subjectivit du sociologue. {Fait - Sociologie}

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    Une religion est un systme solidaire de croyances et de pratiques relatives des choses sacres. mile DURKHEIM (1858-1917)

    Les Formes lmentaires de la vie religieuse (1912) prend pour point dancrage le systme totmique en Australie, que Durkheim considre comme la forme religieuse la plus lmentaire. Il y distingue donc lessence mme du religieux : lopposition entre le sacr et le profane. Le sacr conditionne toute la socit : les changes, la perception de les-pace et du temps. La religion est alors le systme qui englobe et donne sens tous les actes sociaux. {Religion}

    Si lanomie est un mal, cest avant tout parce que la socit en souffre, ne pouvant se passer, pour vivre, de cohsion et de rgularit. mile DURKHEIM (1858-1917)

    mile Durkheim fonde la sociologie scientifique. la suite dAuguste Comte, il considre que les mthodes qui ont russi dans les sciences de la nature doivent tre appliques celles qui tudient lhomme. En 1897, il publie Le Suicide. Analyses statistiques partir des documents fournis par la police, recherches des conditions conomiques : la fin du XIXe sicle, ce sont les jeunes gens venus des campagnes pour travailler dans les villes qui se suicident le plus. Durkheim labore le concept danomie (absence de rgles) pour expliquer ce fait. Ces jeunes gens ne connaissent pas les rgles qui organisent la vie urbaine : ils y sont totalement perdus. {Anomie - Suicide}

    Une socit o le gnie serait sacrifi la foule [] se condamnerait elle-mme une immobilit qui ne diffre pas beaucoup de la mort. mile DURKHEIM (1858-1917)

    La question du rle des grands hommes et du gnie cre, avec la venue des temps rpu-blicains et dmocratiques, un clivage fort entre ceux qui considrent que le groupe prime sur lindividu et ceux qui, comme Durkheim, pensent que lgalit nefface pas le gnie de quelques-uns. Le Rle des grands hommes dans lhistoire, que Durkheim publie en 1883, expose la fonction politique des hommes qui mergent de la foule et dynamisent leur temps. {Foule - Gnie - Grands hommes}

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    ducatrice de lhomme, [la main] le multiplie dans lespace et dans le temps. Henri FOCILLON (1881-1943)

    En 1934, Henri Focillon crit loge de la main, qui commence ainsi : Jentreprends cet loge de la main comme on entreprend un devoir damiti. Historien de lart, Henri Focillon est la fois un graveur, un pote et un grand professeur. Il enseigne luniversit de Lyon, puis la Sorbonne, au Collge de France et aux tats-Unis. Lloge de la main fait suite La Vie des formes (1934), cette continuit rend vidente limportance de la main qui, pour Focillon, fait lesprit de mme que lesprit fait la main. La main nest pas seulement un outil, elle est cratrice et parfois mme elle pense . {Main}

    On sait bien que le XVIIe sicle a cr de vastes maisons denfermement ; on sait mal que plus dun habitant sur cent de la ville de Paris sy est trouv enferm. Michel FOUCAULT (1926-1984)

    Toute luvre de Michel Foucault est une recherche sur la question du pouvoir. Pour traquer les conditions dans lesquelles se dploie le pouvoir, Foucault, philosophe, se fait aussi historien et dmontre que la cration des grands hpitaux et des grands asiles au XVIIe sicle navait pas seulement une fonction mdicale mais avait surtout une fonction policire : diminuer le vagabondage, recenser les rfractaires au travail. En effet : les vagabonds, les infirmes, les fous y sont aussi enferms. Le pouvoir ne peut supporter lerrance. {Enfermement - Pouvoir}

    Lespace sriel a fait fonctionner lespace scolaire comme une machine apprendre, mais aussi surveiller, hirarchiser, rcompenser. Michel FOUCAULT (1926-1984)

    En assignant des places individuelles aux lves dans les salles de classe, lcole contribue ce que Foucault nomme lorganisation disciplinaire de lespace qui permet le contrle des comportements. La sujtion des corps rend plus facile et moins vidente au sens tymologique : moins visible la sujtion des esprits. partir du XVIIe sicle, ltat moderne ne peut admettre que les corps, pas plus que les esprits, lui chappent. Surveiller et punir, selon le titre dune uvre de Foucault, devient la proccupation premire de ltat. Et encore aujourdhui. {cole}

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    Lhomme est une invention dont larchologie de notre pense montre aisment la date rcente.

    Michel FOUCAULT (1926-1984)

    Cette phrase qui rsume la tche que se fixe Les Mots et les Choses (1966) peut paratre nigmatique et mme absurde si lon ne prend pas la peine de penser que cet homme dont parle Foucault nest pas lhomme biologique, le bipde sans plumes dont parle Platon, mais lhomme objet des sciences humaines. Michel Foucauld montre que la notion dhomme est une notion rcente qui date, tout au plus, du XVIe sicle, et quelle sest consolide au XVIIe. Avant, pas de sciences de lhomme proprement dites, pas de recherche de causalit spcifique aux phnomnes sociaux. {Archologie - Homme}

    De lhomme lhomme vrai, le chemin passe par lhomme fou. Michel FOUCAULT (1926-1984)

    La folie, dans ses formes graves, a toujours intress le philosophe : Aristote, rasme, Descartes lont pens comme le signe qui distingue lhomme sain de celui dont la raison divague et qui, par l mme, perd quelque chose de son humanit. Foucault renverse totalement cette problmatique et dmontre, dans lHistoire de la folie lge clas-sique, que lhomme fou est le rvlateur, par son humanit mme, de lhomme dit sain desprit. La limite entre le normal et le pathologique est poreuse, pour devenir unique-ment politique : partir du XVIIe sicle, les fous seront enferms. {Folie}

    Le monde est couvert de signes quil faut dchiffrer. Michel FOUCAULT (1926-1984)

    Les Mots et les Choses (1966) dcrit et analyse comment se construit une connaissance. Connatre cest interprter, cest--dire saisir ce quoi le signe renvoie. En effet, le signe est la plupart du temps muet. Il faut dbusquer les similitudes, les analogies caches dans les choses afin que les mots puissent construire un discours scientifique. Discours qui, son tour, sera un signe, le signe dun pouvoir. {Monde - Signe}

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    Lhomme nergique et qui russit, cest celui qui parvient transmuer en ralits les fantaisies du dsir. Sigmund FREUD (1856-1939)

    La libido est la force qui nous anime. Elle est la source de tous nos dsirs, de tous nos phantasmes. Cest--dire des images mentales de la satisfaction de nos dsirs. Celui qui parvient donner ses dsirs une satisfaction dans la ralit et que cette satisfaction soit, grosso modo, acceptable par la socit dans laquelle il vit, alors celui-l peut avoir une vie normale ce qui, pour Freud, veut simplement dire quil est capable daimer et de travailler. {Dsir}

    La religion serait la nvrose obsessionnelle de lhumanit. Sigmund FREUD (1856-1939)

    Pour Freud, le sentiment religieux nat de langoisse de lhomme face la mort et la souffrance. La religion apporte un rconfort. Le propos nest pas nouveau. Lapport de Freud sur cette question est de lier la croyance en Dieu une ractivation nvrotique de dsirs inconscients venant de lenfance. La dtresse de lenfant trouve dans la figure du pre une consolation et une protection. Adulte, il cherche dans le divin le mme r confort mais aussi la mme souffrance, car le pre cest aussi celui qui interdit et punit. Et le nvros aime sa souffrance : la religion a encore de beaux jours devant elle, ainsi que le montre LAvenir dune illusion (1927). {Nvrose - Religion}

    Lducation doit chercher sa voie entre le Scylla du laisser-faire et le Charybde de linterdiction. Sigmund FREUD (1856-1939)

    Le dtroit de Messine est prilleux ; deux passes y sont particulirement dangereuses, les marins de lAntiquit leur donnrent des noms de monstres. Si lon chappait lun, lautre tait fatal. Freud se sert de cette image pour dsigner le dilemme dans lequel se dbat tout ducateur. Soit il est trop laxiste, soit il est trop svre. Il lui faut essayer de tracer une mthode dducation entre les deux . Cette voie est troite, pense Freud qui considre que quoi que fassent les ducateurs ce ne peut tre parfait. Le pessimisme de Freud est ici profond, ou raliste. {ducation}

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    Le cauchemar est bien souvent une ralisation dun dsir qui, loin dtre le bienvenu, est un dsir refoul, repouss. Sigmund FREUD (1856-1939)

    La psychanalyse freudienne accorde une importance considrable aux rves. Ils sont la voie royale pour accder linconscient. Pour Freud, tous les rves sont laccomplis-sement fantasm dun dsir. Y compris les cauchemars. Le cauchemar donne une forme horrible nos rves mais cette forme a pour fonction de permettre, en la masquant, la ralisation du dsir. {Dsir - Rve}

    L o a tait, je doit advenir. Sigmund FREUD (1856-1939)

    La langue allemande possde un genre : le neutre. Pas la langue franaise. Pour traduire le es allemand neutre, le franais a choisi le pronom a . Dans la thorie freudienne, le a est le rservoir des pulsions qui veulent leur satisfaction immdiate. Mais la vie en socit apprend juguler ces pulsions, les temprer, leur donner une forme accep-table. Le je le ich en allemand est linstance sociale, celle qui a intgr les interdits parentaux. Et permet que les pulsions manant du a trouvent un dbouch acceptable. {a - Dsir - Je}

    Le moi nest pas matre dans sa propre maison. Sigmund FREUD (1856-1939)

    Sigmund Freud balaie la prtention cartsienne dune pense toujours consciente delle-mme. Dj Leibniz (XVIIe sicle), puis Janet (XIXe sicle) avaient envisag que la conscience puisse tre lacunaire. Freud thorise le concept dinconscient et considre que lhomme nest pas toujours matre de ses penses ni mme de ses actes mais quil obit des forces, des pulsions, dont il na pas une claire vision. {Inconscient - Moi}

    Dieu nest au fond rien dautre quun pre exalt. Sigmund FREUD (1856-1939)

    Sigmund Freud consacre plusieurs ouvrages la question de la religion Totem et Tabou (1913), LAvenir dune illusion (1927), Malaise dans la civilisation (1929) ainsi que de nombreux textes ou confrences comme, ici, Un souvenir denfance de Lonard de Vinci. Il y montre que lide de Dieu est le fruit de lhomme lui-mme. Que Dieu est un pre transfigur, une sublimation du pre rel. {Dieu - Pre}

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    La vie serait vraiment insupportable si lon ne pouvait jamais svader vers les consolations du grand art. Il faut vraiment plaindre ceux qui nont pas de contact avec cet hritage du pass. Ernst GOMBRICH (1909-2001)

    La culture et lart non pas comme ornements de la vie mais comme ncessaires la vie. Ceux qui furent prisonniers, proscrits, otages ont souvent tmoign en ce sens. Boce mais aussi plus prs de nous Paul Ricur, Germaine Tillon ont tmoign que la culture et lart les ont aids vivre les situations difficiles voire invivables. Refuges inviolables, la culture et lart, mme quand nest possible que leur souvenir, donnent courage et permettent de contribuer endurer un dur prsent. {Art - Culture - Hritage}

    Ds que la science bouge, la philosophie bouge et se recompose ventuellement, a posteriori, une cohrence. Henri GOUHIER (1898-1994)

    Science et philosophie vont de pair. Depuis les prsocratiques, la philosophie suit les avances de la science. Henri Gouhier, historien de la philosophie, montre la course mle des sciences et de la philosophie. Les volutions de lune entranant celles de lautre. Ainsi, par exemple : la science de Newton a conduit Kant repenser les concepts philosophiques de lespace et du temps. {Philosophie - Science}

    Le vertige qui saisit lhomme devant la multitude des possibles est fait la fois dangoisse et divresse. Jean GRENIER (1898-1971)

    Les Entretiens sur le bon usage de la socit, publis en 1948, sont une rflexion sur la notion de choix. La libert nous met ncessairement dans lobligation de choisir. Choisir telle ou telle action. Le champ des possibles qui souvre nous peut nous saisir deffroi. Pourquoi choisir daller ici et non ailleurs ? Pourquoi tuer ou ne pas tuer ? Jean Grenier, qui fut le professeur de philosophie dAlbert Camus Alger, analyse les articulations entre le choix, la libert et la responsabilit. {Angoisse - Ivresse - Vertige}

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    Jallais lcole, et ctait une sorte de libration. Jean GUHENNO (1890-1978)

    Lcole obligatoire, laque et gratuite instaure par Jules Ferry fut pour les enfants des classes laborieuses, paysannes ou ouvrires, le moyen daccder au savoir. De se librer de lignorance qui, toujours, entrave et diminue. Lcole, pour un jeune garon fils de sabotier pauvre comme ltait Guhenno, offre la possibilit de sortir de sa condition, de souvrir la culture et par l de devenir un tre autonome libre de ses choix. Pour lui : devenir professeur et critique littraire alors que, sans lcole, il aurait t ouvrier dans une usine de galoches, ce quil ne voulait pas tre. {cole - Libration}

    La science ne pense pas. Martin HEIDEGGER (1889-1976)

    Que penser de cette affirmation premptoire ? Dabord la comprendre : penser cest juger, et le jugement est affaire de philosophie. Cest ce que veut dire Heidegger. Nanmoins cette affirmation pose quand mme un problme dans la mesure o certains, philo sophes ou apprentis philosophes, peuvent y voir une bonne excuse pour ne pas soccuper des sciences, un encouragement la paresse. Car comment penser le monde sans laide de la science ? Le philosophe ne peut pas carter de sa table de travail les outils forgs par la science et les techniques sil veut vraiment accomplir sa tche. {Jugement - Philosophie - Science}

    Quand nous considrons la technique comme quelque chose de neutre, cest alors que nous lui sommes livrs de la pire faon. Martin HEIDEGGER (1889-1976)

    Lorsque Heidegger parle de la technique, il ne faut pas seulement entendre les instru-ments, les outils, les moyens de production. Il faut aussi entendre la politique organise, la culture en tant quobjet de consommation. Pour Heidegger, la technique est lorganisa-tion de la pnurie de ltre. Ltre, pour lauteur de Ltre et le Temps (1927), est la source de toutes choses, une dimension spirituelle dont les hommes nont cess de sloigner et dont les prsocratiques taient encore proches. La technique nous loigne de plus en plus de ltre. {Technique}

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    Le on, ce nest personne. Martin HEIDEGGER (1889-1976)

    Le pronom personnel indfini on reprsente, pour Heidegger, la dissolution de lhomme authentique dans la masse de la banalit quotidienne. Le on efface lindivi-dualit. Il loigne de la vrit. Regardons la diffrence entre ces deux propositions : On meurt et Je mourrai . La premire dissout langoisse de la mort dans une gnralit informe et loigne. La seconde, au contraire, me met en face de ma propre mort et de son cortge dangoisses. {On}

    Ds quun humain vient la vie, il est dj assez vieux pour mourir. Martin HEIDEGGER (1889-1976)

    Dans toute son uvre, Martin Heidegger scrute notre manire, nous humains, dtre jets dans le monde. Il reprend ici une ide commune sur la mort ; le berceau confine la tombe en lui donnant un clairage nouveau ; la mort nest pas ce qui arrive au terme dune vie, la mort est la forme de la v