Chanlat 2000 Sciences Sociales Et Management

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Les Presses de l'Universit Laval reoivent chaque anne de la Socit de dveloppementdes entreprises culturelles du Qubec une aide financire pour l'ensemble de leur programmede publication.Nousreconnaissonsl'aidefinanciredugouvernemenr duCanada par l'entremiseduProgramme d'aide au d veloppement de l'industrie de l'dition pour nos activits d'dition.Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de l'aide accorde notre programme depublication.la mmoire de Maurice DufourCouverture:Chantal Santerre2etirage : 2000eLESPRESSES DE LUNIVERSITt LAVAL, 1998DITIONS ESKADistribution et ventes12 rue du Quatre-Septembre75002 Paris - FRANCETl. 01 42 86 56 00Tle. 01 42 60 32 69Mise enpages: Mariene MontambaulrIllustration dela couverture : ChantalBernardTous droits rservs. Imprim au CanadaDpt lgal 4' trimestre1998ISBN 2-7637-7629-9(PUL)ISBN 2-86911 -744-4(ESKA)Distribution de livres UNIVERS845, rueMarie-VictorinSaint-Nicolas (Qubec)CanadaG7A3S8Tl. (418) 831-7474 ou1800859-7474Tle. (418) 831-4021Il'1Table desmatiresAVANT-PROPOS IlREMERCIEMENTS................................ ....... .. . ..... ..... .. .. .. ...... 13I NTRODUCTION 15I. La nature et les exigences des sciences sociales........... 23II. La nature et les exigences du management 35III. Les sciences sociales et le management : unerelationde nature surtout opratoire 43La question de la production et de l'efficacit 45Laquestion de la domination et de la souffrance 49La question du sens et des significations 52La question de la solidarit 57La question des valeurs 60IV: La rationalisation des pratiques de gestion :des rsultats peu concluants 63Des salaires sous pression et des carts sociauxgrandissants....................... 66Un dclin des couvertures sociales...... 6810LESSCIENCES SOCIALES ET LE MANAGEMENTUn endettement croissant............ 68Des restructurations inefficaces 69Une conomie de plus en plus dominepar les impratifs de la finance 71Des consquences humaines trs visibles 72Avant-proposV. Vers une anthropologie largie........ 75Louverture disciplinaire 79Le retour de dimensions fondamentales...................... 82Le retour de l'acteur et du sujet................................... 85Le retour de l'affectivit..................... 86Le retour de l'exprience vcue 87Le retour du symbolique..... 91Le retour de l'histoire..................................... 92Le retour de l'thique 94CONCLUSION............... 99BIBLIOGRAPHIE 101Cepetit ouvrageque je livreaujourd'hui aux lecteurs est le fruit d'une rflexion que je mnemaintenantdepuisplusdevingt ans sur les relationsquelessciences sociales entretiennent avec le management. Cetter-flexion a t alimentepar plusieurs lments. Toutd'abord,elle a merg de la rflexion amorce par uncolloque interna-tional tenu Montral en 1980 organis par mon frre Alain etpar Maurice Dufour et dont les retombes ont t importantesdans le champ des sciences humaines appliques la gestion1Ensuite, elle s'estgalement nourriededivers enseignementsque j'ai dispenss depuis maintenant deux dcenniesdans desprogrammesdegestion, tant Montral qu'l'tranger. En-suite,elle a trouv des sources d'inspiration dansplusieurs re-cherches que j'ai menes tout au long de ces annes. Enfin, ellea trs largement profit des multiples lectures que j'ai faites ainsiquedes changes intellectuels rguliers non moinsnombreuxquej'aientretenus, au coursde cettemmepriode, avec uncertain nombre de collgues, provenant principalement des deuxcts de l'Atlantique.La matrialisation de cet effort intellectuel a t rendue possi-ble par une exigenceque l'cole des HEC de Montral a enversses professeurs pour qu'ils deviennent titulaires:prsenter uneleon inaugurale. Ceritueluniversitaire, tomb endsutude1 Voir Chaniat, A. etM. Dufour(dir), 1985, Laruptureentre l'entreprise et leshommes. Le point devue des sciencesdelavie. Montral, Qubec/Amrique;Paris: ditions d'organisation.dans de nombreuses institutions contemporaines, est une belletradition qui permet ses auteurs de faire le point sur leur minement intellectuel. Moment privilgi s'il enest pour Jeterunregard sur notre pass, penser au prsent et rflchir l'nir la rdaction d'une telle leon nous force la synthse cnn-Pour mapart, entant quesocialesenseignant dans des programmes de gestlon, Il m a 0R-portun d'aborder non seulement les rapports que nos nes ont entretenushistoriquement avec le management,aussi dedgager des propositions pour le de la gestlond'aujourd'hui. Les ractions aux propos que J at tenus auprs del'auditoire prsent le jour de ma leon, deque chosque j'ai eus descollguesqui ont eula gentIllessedelire montexte, m'ont pouss le publier.Anotre avis, la publication de ce texte devrait intresser sieurstypes delecteurs. Tout d'abord, bien sr, tous les ensei-gnantset lestudiantsengestionqui sontproccupslaplace que devraient avoir les sciences sociales dans en gestion; ensuite, tous les enseignants etles tudiants qUI seretrouvent dansdesenseignements professionnels: facults etcolesd'ingnieurs, colederelations mes d'ducation spcialise(sant, ducation, servicespublics,etc.), pour qui les sciences sociales doivent avoir leur rlace;enfin, tousles praticiens engestion, quel queSOIt leur niveau,queles dimensions humaines et sociales intressent, trouveronteux aussi ici matire rflexion.En effet, l'heure o tout ce qui est associ la vie conomi-que, ol'entrepriseet le denous, il n'est pas inutile de rflchir ce quecela po.urnos socits, nos entreprises et nous-mmes. LesSOCIa-les en tant que disciplines rflexivessont l pour nous aider danscet exercice.respre quecet ouvrage, quise veut une modeste contribu-tion dans ce sens, suscitera l'intrt du lecteur.Montral, aot 199812 LES SCIENCES SOCIALES ET LEMANAGEMENTRemerciementsCommele rappellesi jolimentEnriquez: Il n'est pasdeproduction, deconstructiond'unmondenouveausansquecelui-ci soit arrimuneparoled'amour, un hritage que l'on peut la fois recueillir avec joieet enmme temps trahir!. Cet ouvrage n'chappe pas cettergle.Mes penses iront tout d'abord une personne qui vient dedisparatre et qui a beaucoup compt pour moi. Il a t un desprincipaux inspirateurs de cette place que les sciences humainesdevraient avoirdansles formationsengestionquejedfendsvigoureusement ici. Il s'agit de Maurice Dufour. Il a t un ma-tre danstous les sens du mot puisqu'il m'a permis d'tre ce queje suis. C'est la raison pour laquelle je lui ddiece livre. cetteoccasion, je tiens galement rendre un hommage appuy unautre de mes matres qui a beaucoup compt pour moi, DeImasLvesque. Ayant t l'origine de ma vocation sociologique etde l'cole. desHEC, il a sumefaire partager sapassiondesSCIencesSOCIaleset delasociologieenparticulier,D'une certaine manire, cette rflexion lui doit galement beau-coup.J'aimerais aussi exprimer toute ma gratitude, collective cettefois, aux nombreux collgues, proches et loigns, et tous mestudiants qui ont, sans toujours le savoir, contribu alimenterles rflexionsqueje livre ici. Je tiens galement remercier les1 Tir de E. Enriquez (1997), p. 366.14LES SCIENCES SOCIALES ET LEMANAGEMENTPresses de l'Universit Laval, en particulier son directeur du d-veloppement, Lo Jacques, pour avoir acceptdepublier monmanuscrit et d'en assurer la diffusion, et toute l'quipe de pro-duction pour en avoir assur l'dition, ainsi que lesditions ESKAet le directeur de la collection Sciences des organisations , GillesAmado, pouravoiracceptdelecoditer, Merci enfinlaDirection delarecherche del'coledesHautestudes com-merciales pour son aide financire la publication de cet ouvrage.)Introduction Lepolitiqueet lesocial rduits et celui-ci aufinan-cter; cestce double rductionnismequi rgente aujourd'hui les affairesde. laplante. Entrela logique duutuant et celle de l'argent sejouel'avenir du monde. (RenPassee, 1996, p. 231)Permettre aux mcanismes dumarch dediriger seullesortdestres humainset de leur milieunaturel et mme, enfait, du mon-tant et de l'utilisation dupouvoird'achat, cela auraitpour rsultat dedtruire la socit. (Karl Polanyi)1 C'est Max Weber qu'ondoit la principale rflexion compare sur les particu-larits du capitalisrne occidental (1991) . Cette singularit a t souligne par lasuite par denombreux autreshistoriens, sociologues et conomistestels Aron(1967), Baechler (1995) , Kennedy(1989), Jones (1981), Braudel (1979 ),Wallerstein (1985)et Schumpeter (1984), pour ne nommer que ceux-ci.Au cours des dernires dcennies,les socits contemporaines ont connu de nombreuses transfor-mations sociales. Parmi tous ces changements, trois ont retenu,pourmonpropos, l'attentiondusociologueenseignantdansune cole de gestion que je suis: 1) l'hgmonie de l'conomi-que; 2) le culte de l'entreprise; et 3) l'influence croissante de lapense managriale sur les esprits. Ce constat, comme nous pou-vons nous en douter, n'est pas sans consquences sur la dynami-que et le type de socit que nous sommes en train de btir. Eneffet, depuis dj prs de deux sicles, nous savons, avec la nais-sance de la rvolution industrielle, l'affirmation de la raison etduprogrset les grandesrvolutions politiques amricaineetfranaise, que nous sommes entrs dans une socit en mouve-ment, rythmepar la croissance conomique et les aspirationsdmocratiques. Ceprocessus sociohistorique, qui ad'abordmerg enOccident), a aujourd'hui envahile mondeentier unpoint tel que, tout rcemment, lephilosopheamricainFrancisFukuyama, inspir par Hegel, n'hsitait pas en conclure la fin de l'histoire (1992).Cette affirmation, bien prsomptueuse quand on sait le tra-gique de l'existence humaine, onn'a qu' penser l'expriencede notre sicle qui s'achve pour s'enconvaincre, n'enest pasINTRODUCTION 172 On peut rappeler ici l'expressionpar.Schumpeter pour caractriser ladynamique capitaliste: La dest ruction cratrice,Voir en particulier les ouvrages d'Albert (1991), de Thurow (1996),]. de Medoffet Harl ess (1996)et de Wolman et Colamosca (1997) . Voir, par exemple, la critique ironique qu'en faitPasset (1995).moins symptomatique d'un certain discours ambiant o !es b ralismes conomique etpolitique seavec 1apal-sement des passions et parfois la".Quelelibralisme en gnral ait eu une contribution significative dansle dveloppement de ce que nous sommes, person?e ne peut 1:nier. Que le doux commerce dont parlait Montesqu.Ieuau XVIIIsiclepuisse l'occasionmodrer les ardeurs nouspouvons tous endonner quelques Il ne?restepas moinsqueladynamiquedu matrice de ces transformations sociales ne s est JamaIS caractri-se proprement parler par un humanisme dbordant. Despen-seursaussi diffrentsqu'AdamSmith, KarlAleXIS. deTocqueville, JohnStuart Mill, Max Weber, mileDurkheim,LonWalras, ThorsteinVeblen, JosephSchumpeter, KarlPolanyi Franois Perroux, Fernand Braudel, Raymond Aron etJohn Maynard Keynes l'ont, chacun leur manire,not unmoment donn dans leurs crits' .[hgmonie del' assistonsnos socits est, en effet, celle dune certaine : lacapitaliste. Fonde surlapropritprive, leJeudesintrtspersonnels, larechercheduprofitet l'accumulation, elle .s'esthistoriquement impose partout peu peu. Dans .les annes la chute du mur de Berlin, l'chec des solutions collecti-vistes :t la crise de l'tat-providence n'ont fait que la tout en donnant une place de plus en plus centrale.aux financi res'. Certains de nos contemporains, allant Jusqu croireque ce fonctionnement relevait dsormaisdel'ordrede na-ture, n'ont pashsit nousexhorter d sormaisnosdestins personnels et collectifs la mam invisible des marchsfi. 4et, notamment, celle des marchs rnanciers.19INTRODUCTIONCetriomphe la fois des ides capitalistes comme catgoriesdominantes de la pense conomique et du march comme modede rgulation des changes a eu pour effet immdiat de donnerune place centrale l'entreprise. (( Il y a capitalisme, nous rap-pelle en effet Max Weber,l o les besoins d'un groupe humainsont couverts conomiquement par la voie de l'entreprise, quelleque soit la nature du besoin", Au cours des dernires annes, cerleaccordtraditionnellement l'entreprise s'est conjuguune clbration particulirement vibrante de celle-ci, culte jus-que-l inconnudansla plupart denossocitsindustrialisescapitalistes".En effet, longtemps considre comme un lieu d'exploitation,dedomination et d'alination par le plus grand nombre, l'en-treprise est devenue, en croire de nombreux discours, l'institu-tion par excellence, source derichesses et deculture, propre rsoudre la plupart des problmes auxquels nous faisonsface denos jours. Ce culte de l'entreprise qui a culmin dans les annesquatre-vingt a eu deux consquences importantes: la diffusionmassive des discours et des pratiques de gestion auseindemi -lieux longtemps tenus l'cart de(( l'esprit gestionnaire et l'aug-mentation considrable du nombre des tudiants en gestion unpeu partout dans le monde. Ces deux phnomnes, en se conju-guant,Ont faitmerger une socit qu'on pourrait qualifier demanagriale l'intrieur delaquellele gestionnaire oul'homoadministrativus, pour reprendre laterminologie demon coll-gue Richard Dry, est devenu une des figures dominantes (1997) .Les manifestationsdecette socit managriale sont multi-ples. Tout d'abord, du point de vue linguistique, on peut facile-ment observer combien les mots gestion,grer et gestionnairerelvent, denosjours, dulexique couramment utilis dans leschangesquotidiens. Ensuite, dupointdevue del'organisa- Weber(1991), p. 295.6 Voir Rousseaux (1988).LES SCIENCES SOCIALESETLE MANAGEMENT 18tion, on peut remarquercombienlesnotionset .les administratifs issus de l'entreprise prive - efficacit, producti-vit, performance, comptence,9ualit totale,client, produit, marketing, - onttrs largement envahi les coles, les universits, les lesadministrations, les-services sociaux, les muses, leslessocits musicales et les organismes but non lucratif. Tout .r-cemrnent, dans un grand quotidien canadienlangue angl;use,ne pouvait-on pas, en effet, lire sous la ?un grande universit anglophone que les s Ins-pirer des techniques de Wal-Mart.'Enfin,. 1chelle S?Clale: onpeut observer combien les d entrepnses: les les cadres constituent de nos Jours un groupe influent.s enconvaincre, on n'a qu' penser, par exemple, la p!ace Ils etelles occupent non seulement dans les mdias, maisaUSSI dansla viedelacit, notamment par leur prsence de plusforte dans nos tablissements universitaires. Le geStiOnnaIre.sans aucun doute devenu une des figurescentrales dela socit contemporaine. La elle, n'est par-gne non plus. Aujourd'hui, on n expnme plus ses onlesgretoutcommesonemploi du.relatI.ons, sonimage, voire son identit. Lec es.t--dlre le sys-tme de description, d'explication et d du partir des catgories dela gesti?n, estbel e.t bien mscnt dansl'expriencesocialecontemporame. Il estleduitd'unesocitdegestionnairesqui chercherationalisertoutes les sphres dela vie sociale.C'est dansuntel contextequelerapportentrelessociales et la gestion se situe On peut com-bien il est aucur dela comprhension dela dynal!uque ac-tuelle que nous venons d'voquer brivement, dynamique dontla finalit s'inscrit dans le processus de rationalisation du mondeanalys, au dbut dece sicle, par Max Weber.Quelles formes prend ce rapport? Quelle est la contributiondes sciences sociales dans la comprhension du management etquelle place doivent-elles occuper dans la formation engestionaujourd'hui?Pourrpondrecesimportantesquestions, quiconstitueront le cur decette leon, il nous faut tout d'abordrappeler le projet et les exigences tant des sciences socialesquedu management. Il nous faut ensuite prsenter la manire dontla gestion a utilis les sciences humaines et, enfin, faire tat desfaons dont la gestion traite actuellement les tres humains. Cen'est qu' partir de ces interrogations successives que nous pour-rons prciser le rle que doivent jouer les sciences sociales dansle champ de la gestion. Pour ma part, tout en reprenant l'essen-tiel du projet intellectuel des sciences sociales, je plaiderai dansla dernire partie de cet expos pour l'laboration d'une anthro-pologie gnrale. Il va sans dire que le point devueque je vaisdfendre ici est partial, partiel et engag, ce qui est conforme tout exercice intellectuel de ce genre. Mais, n'tant pas un dogme,il reste donc soumis au dbat public et la critique dechacun.21INTRODUCTI ONLESSCIENCES SOCIALES ET LE MANAGEMENT 20'11La natureet les exigencesdes sciences sociales Le)(){F sicle sera lesicle dessciences sociales, ou nesera pas. (Claude Lvi-Strauss) ladiffrence des sciences delanature, les sciences sociales s'engagentdefaon invitable dans une rela-tion sujet-sujet"avec leurs objets. (Ant hony Giddens)Avant de commencer, il est souhai-table de dfinir ce quel'on entend par sciences sociales. Pournous, lessciences socialessont toutes les sciences qui s'attachent rendre intelligible la vie sociale dans un de ses aspects particu-liers oudans sa totalit. Comme onnepeut envisager untrehumain seul et une socit sans hommes et femmes, la distinc-tionentre sciences humaines et sociales, comme l'a dj souli-gn Lvi-Strauss, relvedu plonasme. Ce que Hegel avait djsu rsumer ainsi de faon lapidaire: Laralit humaine ne peuttrequesociale... Il faut, pourlemoins, tredeuxpourtrebumain',Nousavons doncretenule termesciences sociales unique-ment pour rendreplus apparent sur le plan lexica1le caractrefondamentalement collectifde l'exprience humaine. Mais nousutiliseronsloisir les deuxexpressions toutaulong denotreleon. Car, vous l'avez bien compris, elles sont synonymes.Les sciences humaines ou sociales ont pour la plupart d'entreellesmerg au sicle dernier. Ellessont le produit d'une socitoccidentale qui, partir du XVIIIe sicle, a introduit le change-ment permanent et, sous les coupsdeboutoir delaraison, arompu d'un ct avecla religion et de l'autre avec la littrature.1 Citpar Todorov (1995) , p. 36.2 Comme l'a crit avec raison Aron: La science sociale n'accomplit sa vocationque dans les socits qui se prtent au dsenchantement (1972) , p. 22. Voir ce sujet les excellents ouvrages deLepenies(I990) , de Wagner (1995) et deBouilloud(1997) .LA NATURE ETLES EXIGENCES DES SCIENCES SOCIALES 253 C e l'a soutenu Wagner rcemment, l'histoire de la modernit est enar, comm do 1lob 1effet marque par la coexistence de deux discours, un iscours a 1 er.t et admocratie et un discours sur les effets disciplinaires de celles-ci, deux discoursqui sontla plupart dutempsspars (1995 ).Au nom, simultanment, duprogrs del'esprit humain,reprendre le titre d'un clbre dec est--dire de la Raison et de la Science, de 1change SI cher AdamSmith dans La richesse des nations, et desdroits del'homme etducitoyenclbrsparlesphilosophesdesLumires et delaRvolutionfranaise, les Occidentaux au unesocit fon diffrente de celles de leurs ancetres. Ils Inventent lamodernit.La priode couvrant le dernier du.XV:UIe si,cle et lapremire moiti du XIXe sicle constitue, crit Nisbet, 1une despriodeslesplusfcondesdetoutel'histoire.l'onsongesimplement aux termes qui furent ou leuracception actuelle au cours decette pn?de:Indus-triel, dmocratie, classe, classe moyenne, id ologie,rationalisme, humanitaire, atomiste, masses, mercantilisme, pro-ltariat, bureaucratie, capitalisme, crise (1984, p. 39) .La gense des sciences sociales est donc le fruit de enprofondes mutations qui seulement comprendre et mieux expliquer ce qUI se.maIs aUSSI mieux contrler et mieux prvoir, comme 1crivait le crateurdu vocable sociologie, le Franais Auguste Comte".Ds le dpart et au cours de leur histoire, l,essont panages entredeuxattitudesenvers 1sCIentIfi.quedes phnomnes humains: d'une pan, une positronobjectiviste, causaliste et scientiste et, d'autreune positionhumaniste, subjectiviste, finaliste et compr hensive,La premire estsoutenue par Stuartet Auguste Comtequi cherchent btir, audbut du.XIX sur le dessciences physicochimiques une v ritablec est--dire, comme l'crit Comte lui-mme, une SCIence qUI a pour------ - - - - -4exemple, Max Weber avait une position plus nuancesur ce sujet que Dilthey.VOir KaesJer (I 996) -27LA NATURE ET LES EXIGENCES DESSCIENCES SOCIALESobjet propre l'tude desphnomnes sociaux, considrs dansle mme esprit que les phnomnes astronomiques, physiques,chimiques et physiologiques (1972, p. 86). L'esprit scientifi-que est convoqu ici dans le but de chercher, par l'observation, tablir des lois sociales travers l'usage du dterminisme cau-sal. Ce point de vuehrit des sciences dela nature va inspirerune vaste majorit de chercheurs en sciences sociales jusqu' nosjours. Des sciences conomiques la sociologie, en passant parla psychologie, les sciences politiques, la dmographie, l'anthro-pologie, nombreux sont ceux qui ont eu recours et utilisent en-core exclusivement cette posture thorique, mthodologique etpistmologique.Laseconde est dveloppe enraction la premire, surtoutpar des penseurs de langue allemande, autournant du XXesi-cle. Elleest trsbien expose par l'un d'entre eux, Dilthey, ences termes: Il faut, crit-il, prendre le contre-pied des mtho-des positives d'un Stuart Mill et d'unBuckle, qui abordent lessciences humaines del'extrieur; il est ncessaire defonder cessciencessurunethoriede laconnaissance, de lgitimeretd'tayer l'indpendance deleur fonction, de mme que d'car-ter dfinitivement la subordination de leurs principes et de leursmthodes ceux des sciences naturelles (1942, p. 140).. Cette position sera endosse des degrs divers? par Rickert,Strnmel, Weber, Cassirer, Hayek et bien d'autres chercheurs con-temporains au nom de la singularit de l'objet tudi. En effet,comme l'crit Gusdorf, les sciences humaines sont des sciencesambigUs puisque l'homme, qui en est la fois l'objet et le sujet,ne peut pas se mettre lui-mme entre parenthses pour consid-rerune ralit indpendante delui(1960, p. 340). Elles doi-vent donc en prendre acte etne jamais cder la fascination dece que, Paul Ricur aqualifide fausseobjectivit, c'est--direcellecl une humanito il n'y aurait plusque desstructures,LES SCIENCES SOCIALES ET LEMANAGEMENT 26des forces, desinstitutions et non plus deshommesetva-leurs humaines (1955, p. 30). Ce que Devereux a rsumeunouvrage fondamental demthodologie ennes par une formule choc: Laquanti.fication de 1inquantifiable,afin de se faire valoir, est dans le meilleur desla tentativeleibnizienne de prouver mathmatiquement 1exis-tence deDieu (1980, p. 29). cette division entre ces deux grandes postures mthodologiques et s'ajout: un cli-vage denature praxologique. DepUIS ses ongmespresque,les sciences sociales oscillent galement entre deux attitudes parrapport l'actionsocialeconcrtequi desestravaux:maintenir une distance fondamentalement cnnque ou dvelop-per une technologie sociale directement utilisable.les te-nants dupremier courant comme, leMax Weber, la finalit premire des sciencesn pas desemettreauservicedequelquespouvoirs oumstituuons ta-blis, mais biende rendred'abordet avant intelligibleralit humaine, sociale et historique. Pour ce faire, elles se vent de thoriser et de synthtiser de manire cri?que les ?bJetstudis. Danssesfameuses enqutesduVerein, inconnues des lecteurs de langue franaise, concernant 1influenceque la grande industrie allemande exerce sur de nombreuxde la vie sociale, Max Weber affirmait que toute d ap-plications pratiquesenmatires sociales, commerciales ouculturelles tait absolument trangre la recherche. Avec detels objectifs, crivait-il, scientifique de ces recher-ches ne serait aucunement servie(Kaesler, 1996, p. 86).positionsera de nouveausoutenuepar C'.WMills l?rsq.u Ilcritiquera, dans lesannessoixante, lamise administrative de la sociologie, les grandes encou-ragent les recherches bureaucratiques grand surles problmes de petit calibre, et recrutent cette findes intel-lectuels administrateurs (1971, p. 111) ..elle seraraffirme par plusieurs spcialistes des sciences SOCiales, tant en-------------5 Vi' oir en particuli er Caill (1993) et Freitag (1996) .6 l'crit Freitag, Les sciences sociales n'ont plus pour fin de connatre cequ est la ralit humaine, sociale et histor ique... mais directement de produiretechniquement cette ralit (1996, p. 46).29LA NATURE ET LES EXIGENCES DES SCIENCES SOCIALESAmrique du Nord qu'en Europe la suite de la drivetechni-que de nombreuses recherches>,Les reprsentants du second courant ne voient pas tout faitle rle des sciences sociales de la mme manire. Selon eux, ellesse doivent d'tre aussi et surtout pratiques avant tout, c'est--direutiles. Cette utilit s'incarne dans une forme d'ingnieriesociale dont la finalit est la prvision et le contrle des condui-tes humaines. On reconnat ici aisment un certain nombre detravauxqui vont dumouvement amricaindes relationshu-maines dans l'industrie, anim par Elton Mayo dans la premiremoiti dece sicle, certains courants actuels des scienceshu-maines appliques. Dans ce cas-ci,l'objectif estdedvelopperdes techniques de gestion du social afinderpondre une de-mande institutionnelle. Dans nombre de ces recherches, on cons-tateque les problmes demesureet demthodes l'emportentsouvent sur les considrationsd'ordrethorique. Les sciencessocialesse transforment alors en disciplines oprationnelles, pourne pas dire opratoires",Cette opposition entre les perspectiveset ce clivage dans lamanire de concevoir le lien avec la pratique n'est, bien sr, pastoujours aussi nette. Par exemple, Durkheim, un des fondateursde la sociologie, tout en faisant uvre de science, ne faisait pasde la sociologie pour le plaisir. Iltait motiv par un profonddsir de justice sociale et cherchait fonder une morale rpubli-caine. D'ailleurs, il considrait que la sociologie ne vaudrait pasu.ne heurede peine si elle nepermettait pasd'amliorer la so-Cit. Telle tait galement l'attitude de son neveu, Marcel Mauss,qui crivait quele public ne nous permet pas de nous occuperexclusivement decequi est facile, amusant, curieux, bizarre,Pass, sans danger, parce qu'il s'agit de socits mortes ouloin-LES SCIENCES SOCIALESET LE MANAGEMENT 287 Voir le remarquable ouvragequeFournier a consacr Marcel Mauss(1994) .31LANATURE ET LES EXIGENCESDES SCIENCESSOCIALEStoujours aujourd'hui". Paralllement cet effort de dnombre-ment, il existeaussi de nombreuses descriptions qualitatives dont,en anthropologie par exemple, les travaux ethnographiques cons-tituent de bons exemples. Si la description est au cur de toutedmarchescientifique, l'explicationenconstitueenrevancheun des lments cls.Lexplicationestla questionquienflammele plus les cher-cheurs, car elle est aucentre du dispositif scientifique, notam-ment de la perspective objectiviste. On explique lorsqu'on isoleles causeset lesraisonsd'unphnomne, d'unfait oud'unedcision et qu'on vrifie des hypothses. L'explication introduitla question de la causalit entre deux phnomnes. Mais, commenous le savons tous, ces questions de causalit demeurent diffi-ciles tabli r en sciences humaines, l'tre humain tant versa-tile, complexe et imprvisible. C'est justement cette complexitdu sujet social qui a men biendes chercheurs vers les cheminsde la comprhension9La comprhension est au cur des sciences sociales et en par-ticulier, comme nous venons de le voir, de la perspective subjec-tiviste. Car les phnomnes humainsmettenttoujoursenjeuune exprience, des valeurs,des intentions, des dsirs et des si-gnifications. Parce que nous sommes au monde, nous sommescondamns ausens , a crit un jour Merleau-PontylO. Afindecomprendre l'actionsociale, quelleque soit sa forme, le cher-cheur part du vcusubjectif des personnes tudies et tente partirdes discoursderendreintelligibleslesconduites. La8 Dans la statistique, on oublie en effet trop souvent qu'il yale mot tat. Qute-let, .Ie.clbre statisticienbelge, auteur d'unlivre sur j'utilitdeJ'informationfut d'ailleurs undes avocats de cetteconception statisticienne de laSOCj. tt dans laquelle la notion d'homme moyentait cense reprsenter la tora-usociale.9 Cett ..h ea t raffirme rcemment par plusieurs chercheurs en sciences VOIrnotammentCaill(1993) , Dejours(1995) ,Freitag(1996)et-...usse (I 995).Cipar Bouilloud (1996, p. 223).LES SCIENCES SOCIALESETLE MANAGEMENT 30rainesdes ntres. Il veut des tudes concluantes quant aupr-sene , Entrelesdeuxpositions, il existedoncdes positionsintermdiaires qui peuventallier distanceet pertinence, maisencore faut-il ne pas avoir perdu de vue le caractre fondamen-tal de la premire.Au-del des vifs dbats que ces deux visions peuvent susciter l'occasion chacune d'entre elles participe, sa manire, d-finir lesscientifiques propres aux sciences s07iales..Onra bien compris, les sciences humaines, de par leur objet qUIestaussi et avant tout un sujet social-historique, pourcor;nmeCastoriadis, ont descaractristiquesmaisaUSSI intentionsqu' elles partagent avec les C estnanmoins leur spcificit qui colore les exigences que 1on peutavoir envers elles en matire de connaissance. Dans un ouvragede 1993, Alain Caill en prsente quatre: dcrire, expliquer,prendre et normer, c'est--direvaluer. Nouslesreprenons ICImme notre compte.Ladescription est l'tape prliminaire toute analyse. C?mmele rappelait l'anthropologue Claude Lvi-Strauss, le travailsificatoiredesespces deLinntaitSans cette tude descriptive pralable de 1anatorrue des arumauxconnus, Darwin n'aurait pu d!fier sa thori,e de tion. Il en est de mme en SCIences SOCIales. Avant d expliquer etdecomprendreunphnomnehumai.ndans dynamique,encore faut-ilpossder des donnesqUI. le et le fontpar l mme exister. Autrement dit, dcrire, c est et nommer, c'est donner vie un phnomne qUI tait vant inconnu ou invisiblejusque-l. Dcrire,c'est donc dunecertainemanirelapremireformedeconnaissan.ce: C'est laraison pour laquelle les enqutes social:s etontjouunrlehistoriquedanslaformation dessociales depuis leursorigines. Elles permettaient deune information utile pour les gouvernements. Ce qu elles fontLE MANAGEMENT LES SCIENCES SOCIALESET

VOir en particulier Dosse (1995).La quatrime et dernire exigence concerne l'valuation. Ellerenvoieunlment fondamental delaviecollectiveet dessciences humaines: la norme. Toute pratique sociale est, en ef-fet, rgle par des normes et des valeurs. Celles-ci peuvent trebonnes ou mauvaises, souhaitables ou inacceptables, respectueu-ses des tres humains ouattentatoires leur dignit, mais ellessont toutes la rsultante de reprsentations dans un cadre socialdonn. On ne peut donc pas se passer de les interroger. Commele rappelle avec justesse Michel Freitag, dansl'ordre propre-ment humain, la question des valeurs prcde et circonscrit tou-jours le sens de"la question dufait", c'estelle qui lui fait uneplace significative, et non le Contraire, sauf encore unefois pardfaut, omission ou dmission(1996, p, 57-58).Cette affirmation et cette reconnaissance de la dimension nor-mative renouent, par ailleurs, avec leprojet original des sciencessociales qui tait non seulement scientifique maisaussi politi-queet moral. Onoublietropsouventqu'AdamSmiths'estd'abord fait connatre pour sonIraitdes sentiments moraux etque toutes les grandes figures des sciences sociales n'ont jamaisvraiment dissoci l'analysedesfaitssociauxdeconsidrationsmorales. Ennousconviant ainsi examinerdeplusprslespratiques sociales l'aune del'thique, l'valuationnous per-met d'viter que certaines exigences sociales aubon fonction-nement puissent tre considres comme naturelles alors mmequ'elles contribuent sa destruction. L'valuation renvoie ainsidirectementauprincipederesponsabilitnonc, il yadjmaintenant quelques annes, par Jonas (1992),Dans la ralit concrte de la recherche, ces quatre exigencesSont en interrelations trs troites. Comme l'a Soutenu Ricur, descriptions'accompagnetoujours d'lmentsexplicatifs etInduit pl usoumoinsuneinterprtation, doncunecompr-hension du phnomne social tudi",Comprendre, nous dit......33LANATURE ETLES EXIGENCES DES SCIENCES SOCIALES32, . du lan e sont particulirementphnomnologie et lesgagqu'elle a t la premiresollicites ici. Lapartcdeu sens de ce vcu et lesl 'de1expnence e poser a quesnon , l "1 jou par le langage et' 11s ont montre e ro esecondes parce qu e e. .al 11 Autrementdit, alorsla paroledansles le phnomnequecherche le con-social de 1extneur, 1aans son cadre partir de cenatre de l'intrieur et le rep.adcer. ndisent Il ne s'agit' ontaUSSI es sujets, e '..quelesqUl s . 'al dans son objectivit chimri-plus icila,SOCI emprunter une autre expres-que mais la vrit en sttuatton pour esion de Merleau-Ponty . l' ne l'autre la comprhension etTrs longtemps 0pposes. u d'h . la'lumire de nombreuxl' explicationrejoignantainsi lestravauxconremporams. CObp dbut de ce sicle: La corn-ir Max We er au "lpropos quetenar l' d ndetoujours trecontro e,prhension d'unere anon ema mthodes ordinaires de l'im-autant que possible, par si vidente soit-putation causale avant qu ult.tecomprhensiblevalable devi neexprcanonelle, ne evienneu C mplmentaritnouspermet1 1996 205) erreco .(Kaes er, , p. i' r ge que certains connnuentpar ailleurs de dpasser e desrflns menes sur le sujet dans entretenir, ignorant tout es r eX1o. tant dans le domainedi ioli ontemporatnes,de nombreuses ISCIp mes.c. t hilosophie des sciences, so-' h rnaines:histoire e p . ,des SCIences u , . thn thodologie, smiotique, etc.,ciologiede la e chimie physique, biolo-que dans celui des SCIences nature es. ,, 12gle, etc.- --- - - -:--- --;-;-:, rae de Berger et Luckman(1967) a jou,unIl Dansles pays angle-saxons, 1ouv g d courant phnomnologique. VOi r rle important dans le dveloppement ucet gard Boden (1994). d Stengers(1987) dePrigogine etes les travaux e '(995)12 Voir notamment,, 94) de Cha lmers (1987)et de Dosse 1 .Srengers (1979) , de Pngogme (19 ,14 Cirpar Bouilloud(1996, p. 229) .galement Gadamer, c'est toujours interprter; en consquence,l'interprtation est la formeexplicitedela comprhension'".Si dcrire, expliquer, comprendre et valuer constituent les prin-cipaux impratifs scientifiques des sciences sociales, ilssont aussiauxfondements decetterflexivitqueGiddensconsidrecomme le signe par excellence de la modernit (1987,1990).Toute connaissance sur le social, quelles que soient sa natureet son origine, est en effet approprie d'une manire oud'uneautre par le groupe auquel elle est destine. Cette appropriationn'est pas sans consquences sur les pratiques socialesde cegroupeni sur les producteurs de savoir. Cemouvement de va-et-viententrela socitet les connaissances quel'onenacaractrisebience mouvementrflexif dusocial. End'autrestermes, enfaisant partie dumonde social que nous tudions, nous cronsla socit autant qu'elle nous cre et les analyses que nous dve-lopponsparticipent galementsatransformation. Aucurdes sciences humaines et sociales, nous trouvons donc aussi ceque Touraine appelle l'historicit, c'est--dire la production del'humanit par elle-mme (1992). Cesdeuxaspects de la mo-dernit troitement lis que sont la rflexivit et l'historicit nedoivent pas tre perdus de vue,car ils conditionnent la naturemmedes sciences sociales et leursrapportsavec lemanage-ment. Nous aurons l'occasion d'y revenir un peu plus tard.IILa natureet les exigencesdu management Une thorie gnrale de l'adminis-inclure des principesd organisanon qui assureront unebonneprisede dcision, tout commedoit des principesqUI garanttront uneaction efficace. (Herbert Simon)LES SCIENCES SOCIALESET LE MANAGEMENT 34371 Vi 'ou, par exemple, les dfinitions que l'on retrouve chez Gravitz (1994) , GouldetKolb (1964), Koontz et O'Donnell (1955.) et Simon (1957) .1 Vi .ou,exemple, les ouvrages deChevalieret Loschak(1978), d'Audet et (1986), de Martinet (1990) , de Bouilloud et Lecuyer (1994) , de Charue-J ubac (1995) et l'article deDry (1992).anglaise, la notion de management science renvoie surtoutes techniques formelles appliques des problmes prcis qui font largement la recherche oprationnelle, l'conomtrie et l'ingnierie industrielle.ce sujet Symonds (1957).Prcisons d'abord ce qu'on entendpar management et gestion, ces deux termes tant gnralementsynonymes. la lumire des diversesdfinitions que nous avonsconsultes, la gestionest dfinie, la plupart dutemps, commeun ensemble depratiques et d'activits fondessuruncertainnombre de principes qui visent une finalit: la poursuite de l'ef-ficacit, souvent conomique, le management tant l'entre-prise prive ce que l'administration est l'entreprise publique'.Mais le terme management ne dsigne pas uniquement des pra-tiques ou des processus, il renvoie galement aux personnes quidtiennent des posteshirarchiques degestion:les dirigeants,lesgestionnaires, les managers et les cadres. Nous avons donc iciaffaire un mot qui dsigne tantt les activits et les processus,tantt les acteurs quioccupent les fonctions de gestion. Enfin,le management renvoie aussi, parfois, une intention scientifi-que. On parlera alors de sciences dela gestionoude sciencesadministratives2ou, chezles Angle-Saxons, deManagementScience3.lA NATURE ET LES EXIGENCESDUMANAGEMENT38 LES SCIENCES SOCIALESETLE MANAGEMENTLA NATURE ET LES EXIGENCES DU MANAGEMENT39Si, commenous l' avonsvu, les sciencessociales sont issuesd'une socit qui se pense et se produit elle-mme, le manage-ment sort tout droit des activitscommerciales et indus triellesde la deuxime moiti du XIXesicle. Eneffet, avant cette p-riode, la gestion moderne, comme ensemble de principes et detechniques codifis, demeure, selon les historiens du manage-ment, inexistanteou presque", Luniversdelagestion, dansl'industrie naissante, est domin par les ingnieurs qui crivent, l'instar de Babbageet de Ure, les premiers manuels d'cono-mie desmanufactures. Lesconsidrationstechniqueset co-nomiquesl'ernportent largement surtouslesautresaspects.Lobjet du prsent volume, crit Babbage dans son introduc-tion, est de montrer les effets et les avantagesqui surgissent del'utilisation des outils et des machines et de prsenter la fois lescauses et les consquences de l'application de la machinerie, la-quellese substitue l'habiletet l'nergie dubrashumain(1832, p. 1). Mais, dans cet univers essentiellement mcanique,il y a quand mme quelques exceptions comme, par exemple,enGrande-Bretagne, lestechniquesdemanagement dvelop-pes par Boulton et Watt dans leur fonderie de Soho ou les prin-cipesdegestionlabors NewLamark parG. Owenet, enFrance,le manuel des affaires rdig par Courcelle-Seneuil",Le management comme ralit codifieet comme ralit so-ciale Iiapparat que dansla seconde moiti du XIXesicle et,plus particulirement, dans le dernier quart. Le dveloppementdela taille des entreprises dansuncertain nombre de secteursindustriels, notamment dans les chemins de fer, est responsable,selon l'historien amricain Chandler, de cette pousse du capi-talismemanagrial (1977). Les exigences du service, de la pro-ductionet dumarchpoussentlesentreprisess'tendrede4 Consulter ce propos Pollard(1965) , BouilloudetLecuyer (1994) et Wren(1994).5 PourBoultonet Watt etOwen, voirUrwick(1956) et Wren(1994)et pourCourcelle-Seneuil, consulterRibeil (1994).faon horizontale et, ensuite, de faon verticale, augmentant parl les besoins d'encadrement et les fonctions de gestion. La mainvisible apparatdansla figuredudirigeant et ducadresalariavec son ensemble de fonctions qui, audbut de ce sicle, seracodifi par Henri Fayol", partir dece moment-l, la gestion va connatre de grandsdveloppements et devenir une autre manifestation de la mon-te de la rationalisation du monde occidental analyse par We-ber. Peter Drucker, un des thoriciens amricains de la gestion,ne s'y est pas tromp lorsqu'il a crit que(( l'mergence du ma-nagement est un vnement central de l'histoire sociale qui, entant qu'organe dela socitspcialement chargderendrelesressources productives, reflte l'esprit des temps modernes?, Onpeut diviser ce mouvement historique en trois grands moments.Le premier va dela findu XIXe sicle laSecondeGuerremondiale. Durant cette priode, l'univers de l'entreprise va alorssystmatiser ses expriences et ses techniques dveloppes danscertains cas depuis maintenant plus d'un sicle. La gestion neveut pl us simplement tre un an technique, elle dsire devenirune science. Le mouvement pour unmanagement scientifiquefait sonapparitionavecses grandsnomsdsormaisclbresComme FredericWinslow Taylor, H. Fayol, F. et 1. Gilbreth,H. Le Chatelier, 1. Gulick, 1. Urwick, M.P. FolIett, E. Solvay,WRathenau, H. Munsterberg, B. Rowntree, G.-E. Mayo, lesfrres Citron, etc. C'estdurant cettepriodeobsdepar leproblme de la production que l'on voit surgir les premiers diri-geants salaris, les premires coles de gestion, les premires re-VUes etles premires associationsnationales et internationalesqui se consacrent promouvoir la gestion scientifique",~ - - - - - - - - - - -6 Voir ce sujet les travaux deChandler(1962, 1977)et l'articlede Saussois(I994).1 Drucker (1954), p. 3. Voir ce sujet Urwick (1956), Wren (1994) et Urwick (1943) .9 Voir Gordon et Howell(1959) , Piersonet coll.(1959), Simon(1991) , Wren(1994) et Servan-Schreiber(1967).\0 Consulter cesujet Midler (1986) , Abrahamson (1996)et Kieser (1997) .Il Voir cet gard l'ouvrage de Porter et McKibbin (1988) et HEC (1994) .12 Voir en particulier l'ouvrage de D'Iribarne (1993), l'article d'Amado. Faucheuxet Laurent (1990) et l'ouvrage de Clegg et Palmer(1996) .Le deuxime part de la fin des annes quarante et va jusqu'audbut des annes quatre-vingt. Pendant cette priode quivoitsurgir la socit deconsommation demasse, on assiste, d'unepart, unrenforcement la foisdel'enseignement, delare-cherche, de laconsultationenmanagement sousl'influenceamricaine et, d'autre part, un accroissement considrable desemplois de gestion en raison du dveloppement des entrepriseset de la tertiarisation de l'conomie. Lre du management mo-dernequiseconfond aveclemanagement amricain, clbrpar Jean-Jacques Servan-Schreiber au cours des annes soixante,c'est--dire d'une gestion qui s'appuie autant sur des instrumentsformels que sur des techniques sociales apprises de plus en plusdans des coles de gestion, prend son essor". partir des annes quatre-vingt, on entre dans une troisimephase qui est marque par des modifications importantes, tantdanslesdiscoursquedanslesmaniresdegrer. Lesmodesmanagriales se succdent un rythme soutenu". La recherched'efficacit est davantage domine par des impratifs financiers l'intrieur d'une conomie qui s'ouvre aumonde entier, co-nomie qui rclame des organisations toujours plus performan-tes, plus flexibles et plus informatises. Les ouvriers, les employs,les gestionnaires et les cadressont plusnombreux connatrel'exprience du chmage, de la prcarit et del'instabilit pro-fessionnelle. Onest dansl'redelagestionstratgiquell. Enoutre, cetterecherched'efficacit dans un contexte deplus enplusinternationalis se heurte aumur dela culture. Le mana-gement dcouvreenmmetempssonenracinement socio-culturel' ".41 LA NATURE ET LES EXIGENCES DU MANAGEMENT13 laufer et Paradeise ont dvelopp une rflexion originale surl'utilisation de larhtor ique par l'entreprise afin de rendre celle-ci lgitime aux yeux de son envi-ronnement (1982) . v. ' 1, O l ~ es travaux du Groupe deLisbonne (l995) . l'ouvragedePasser (l996)etl article de Dutrisac (1997) .Voir l'ouvrage de Reed(1989) .La nature du management tant d'abord une pratique socialequivise le bon fonctionnement d'une organisation, ses exigen-ces sont marques au sceau de l'efficacit. Cette finalit dans lesentreprises s'incarne dansun certainnombred'indicateurs, laplupart du temps quantitatifs et financiers(profits,rendementsur le capital investi, part demarch, productivit dela main-d'uvre, etc.). Ces exigencesviennent, biensr, deceuxquidi rigent ou quisont propritaires etplusrarement deceuxetcelles qui sont dirigs.Mais les exigences d'efficacit ne sont pas que d'ordre finan-cier. Il existe galement d'autres exigences, sociales celles-l(letauxderoulement du personnel, la satisfaction, la stabilit del'emploi, lasantet lascurit, etc.), qui, selonlesorganisa-tions, sont plus ou moins respectes. Ces exigences internes d'ef-ficacitsont elles-mmessouvent contrebalancespar desexigences externes (sociales, juridiques, environnementales, fis-cales, syndicales, etc.) qui forcentla directiond'uneorganisa-tion en tenir compte dans sa gestion et dans ses discours". Detelles exigences varient, bien sr, dans le temps et dans l'espace,comme entmoigne le dbat international actuel autour delaclause sociale qui devrait accompagner la libralisation des chan-ges etles nombreuses discussions autour desnotions dedve-loppement durable et de cornptitivit". la lumire dece que nous venons de prsenter, le manage-ment apparat donc d'abord et avant tout comme une pratiquesociale qui met en jeu des personnes dansuncadre organis etq.ui vise l'efficacitconomiqueavant tout". C'est aussi, paraIlleurs, unesous-discipline dessciencessocialeslorsqu'elle seLES SCIENCES SOCIALES ET LEMANAGEMENT40dfinit comme une science de cette pratique, puisque, par dfi-nition, la gestion est une activit sociale. Les sciences sociales,quant elles, ne cherchent pas l'efficacit, mais rendrecom-prhensiblesles conduites humaines. Le management, entantque pratique sociale, et les sciences humaines, en tant que disci-plines qui tudient justement les pratiques sociales, ne pouvaientpas ne pas se rencontrer. Cette rencontre, comme nous allons levoirmaintenant,a surtout donn lieu unerelationmarqueau sceau de l'instrumentalit et de l'opratoire.42LES SCIENCES SOCIALESET LE MANAGEMENTIIILes sciences socialeset le management:une relation de naturesurtoutopratoireEn ce qui concerne lapratique,lecomportement organisationnels'intresse amliorer laperformancedes organisations selon les critresdes diffrentes partiesprenantesde lorganisation. (Paul Lawrence)S i les sciences sociales participentds leurs origines, leur manire, aux transformations de la so-cit moderne, le rapport que le monde de la gestion a tiss avecelles a suivi un cheminement particulier qui tourne autour d'uncertain nombre de grandes questions: celle de la production etde l'efficacit, celle de la domination et de la souffrance, celle dela coopration et de la solidarit, celle du sens et des significa-tions, et celle des valeurs. Chacunea contribu avec plusoumoinsdebonheur difierla ralit sociale dela gestionquel'on connat aujourd'hui.45La question de la productionet de l'efficacitLapremire science sociale se pr-occuper de production et d'efficacit a t l'conomie politiqueclassique. De Quesnay Ricardo, enpassant parCantillon,Smith, Malthus, Say, Mill et bien d'autres, les premiers cono-mistesOnt cherch dvelopper une science des richesses, l'in-trieur de laquelle on mettait l'accent sur l'change, le travail etla division qui en rsultaient. De faon gnrale, ceux qui s'in-~ r e s s a i e n t de plus prs au monde de la production, comme nous1avons vu prcdemment avec Babbage, taient plus proccu-~ par ses aspects techniques. On utilisait peu, ou pas encore,le1l10t capitalisme et l'entreprise se confondait avec la manufac- l'instar de Cournot, ceux qui suivront ne s'intresserontUNERELATION DENATURE SURTOUT OrfRATOIRE1 Voir cet gard, Mnard(1993), Demeulenaere(1996), Guerrien(1993) etLorino (1989) .2 H. Simon n'a pas hsi t crire quela gestion scientifique ne semblait pas avoirunephilosophiedi ffrent e dela rechercheoprationnelle. Il ajoutait, CharlesBaddageet Frederic Taylor devront tre membres, r troactivement,des associa-rionsscientifiques derecherche oprationnelle... Aucune fromire significarivenepeut dsormais tre trace encrelarechercheopra tionn elleer lagestionscientifique ou entre la gestion scientifique er les sciences de la gestion (Manage-ment Science)(1960), p. 15.gure plus l'entreprise et la gestion. Ils sont trop occups difier un modle thorique formelsur le modle dessciencesphysiques qui s'incarnera dans le modle no-classique du tour-nant du sicle et l' homo conomicus de Walras et dePareto1 Denouveau, ce sont des ingnieurs, commeTaylor, qui reprendrontla question de l'efficacit la fin du XIXesicle.Influenc la fois par les sciences physicochimiques, l'cono-mie politique et l'ingnierie, l'auteur des principes deladirectionscientifique cherche rationaliser le travail dans l'atelier. Grce l'observation et l'tude des tches, la slection et l'appren-tissage des ouvriers, la division entre la conception et l'excu-tion et un systme dermunration aurendement, Taylor etses nombreux disciples pensent rsoudre defaon dfinitive lesproblmes deproduction.En permettant auxouvriers d'obte-nir demeilleurs salaires et aux entreprises demeilleursbnfi-ces, lesystmeTaylorpavela voi e, seloneux, auxprogrsconomique et social. Ce mouvement a jou, commenouslesavons tous, un rle trs import ant dans le dveloppement d'uneconception mcanique et nergtique de la gestion qui s'est pour-suivie jusqu' nos jours malgr toutes les critiques apportes. Ilconstitue la premire tentativederationalisation dutravail auseinde l'entreprise dans la droite ligne de l'conomie politiquedeBabbage qui sera suivie par beaucoup d'autres' .La deuxime science sociale surgit dans les premires dcen-nies de ce sicle. Elle est le produit la fois dela crise sociale etdes expriencesmenesHawthorne. Dansleprolongement47UNE RELATION DE NATURESURTOUTOPRATOIREdu taylorisme, elle cherche amliorer l'efficacit et la produc-tivit enintgrant l'lment humain. Auxtats-Unis, ce soucide relier plus troitement l'efficacit et la dynamique sociale sera la base de nouvelles disciplines appliques telles la psychologieindustrielle, la psychologie sociale etla sociologie industrielle.Les recherches se dploieront dans plusieurs grandes directions:1) la comprhension des rapports entre la dynamique sociale del'usine et celle de la communaut locale avec les travaux de l'coledeChicago mens par Warner etLow; 2) les effets de la vie degroupe sur les individus avec les tudes sociomtriques de Mo-renoetceUes deLewin portant sur la dynamique des groupes;3) larecherchedes facteurs associs laperformanceet lamotivation des groupes avec les travaux de l'quipe runie autourdeLikert l'Universit du Michigan ; et4) l'optimisation desperformances individuelles partir des apports de la psycholo-gie industrielle. Conjugues aux travaux de l'cole de Mayo, cesdisciplines engendreront un mouvement, celui des relations hu-maines dans l' industrie, qui jouera un rle trs important pen-dantlaSecondeGuerremondialeet danslesdeuxdcenniessuivantes".Le management scientifique version taylorienne cde alors ledevant dela scneunedeuximeversionqui intgre les as-pects humains propres assurer une hausse de la productivit ",Les questionsd'ambiance, demotivation, demorale, desatis-faction, de comportement de groupe, de valeurs, de sentimentsSont mobilises auservicedela performance del'entreprise, letant d'assurer un quilibre satisfaisant entre l'individu et1organisation. Le social se met auservice de l'efficacit.Cemouvement connatra une grande popularit auprs desentreprises et contribuera sa manire modifier le discours et--- - - - - - - - - - -3 Voir l'excellent travail de synthse men en frana is par Desmarez (1986) sur cemouvemenr nCSr de penser que les consta ts de MayaSOnt aujourd' hui quesrionnslalumire des recherches hisroriques. Voir Lecuyer(1994).LES SCIENCES SOCIALES ET LEMANAGEMENT 465 Friedman, le pre de la sociologiedutravail de languefranaise, en fera large-mentcho dans deux de ses ouvrages (1963 ,1964) .GVoir l' article de Sorge(1996) .7 Voir en particuli erDealet Kennedy(1982) , Perers et Waterman(1982), Le-matre(1985)et Akrouf (1989).8 Voir cet gard Girin (1996), Cossette (1994) et Tenbrunsel et coll.(I 996).les pratiques dumanagement. Au dbut des annes cinquante,les pays europens en pleine reconstruction enverront d'ailleursdenombreusesmissions deproductivitauxtats-Unisafind'tudier ces techniques amricainesde plus prs' .Dansles coles degestion del'aprs-guerre,cetteintroduc-tion des aspects humains dansla problmatique del'efficacitaurapour consquencededvelopper denouveauxenseigne-ments. Ces enseignements, regroups sous le nom gnrique deOrganizational Bebauior, et les recherches sur lesquelles ils s'ap-puieront demeureront trs largement orientspar les questionsd'efficacit etd'optimisationdupotentielhumain". Au coursdes annes, ils chercheront intgrer les nouveaux acquisdessciences humaines susceptibles d'accrotre le rendement du per-sonnel et la performance de l' organisation. C'est ainsi que, dansles annesquatre-vingt, les concepts deculture, demythe, desymboles, etc. feront leur apparition. La culture tant devenue,aux yeux de diffrents gestionnaires, un facteurcl de perfor-mance? C'est galement pourles mmes raisonsqu'aucoursdes dernires annes les sciences de la cognition vont connatreunepopularit grandissante en management. On y voit, l en-core, unepossibilitd'amliorerla performancedela gestiondansdenombreuxdomaines :apprentissage, formation, rela-tion humains-machines, dcision, stratgie, etc."Depuis les dbuts du management moderne, la gestion a uti-lis les sciences humaines, dansunetrs large mesure, pour r-pondreauxexigences de productivitet de rentabilit, lamain-d' uvre tant vue principalement comme unfacteur deproductionou uneressource. Lepassage rcent du terme49UNE RELATION DE NATURE SURTOUTOP.RATOIREpersonnel l'expressionressources humaines illustre d'ailleursparfaitement cetteide. Mais chaquepriode, les exigencesd'efficacit sont transformes . On est ainsi pass successivementd'une vision nergtique et physique, trs prsente dans le tay-lorisme, une vision psychosociologique avec les relations hu-maines, et d'une vision culturelle, trs populaire dans la dcennieprcdente, unevision, aucours desdernires annes, quel'on pourrait qualifier carrment de sportive et de stratgique9 l'heure des nouveaux impratifs - flexibilit, comptitivit etmondialisation - , la gestion a besoin d'une main-d'uvre mo-bile,comptente, enformeet enthousiaste, particulirementprte affronter les restructurations successives et le temps de lavirtualir'". chaque priode, les sciences humaines sont doncinvites travailler dans ce sens afin que le capital humain, se-lon l'expression consacre par les conomistes, puisse rpondreaux nouveaux impratifs d'efficacit.La question de la dominationet de la souffranceDs les dbuts de l'ge industriel, laquestion de la domination et de la souffrance va constituer unautre ple de rflexion, d'ailleurs trs troitement reli la ques-tion de l'efficacit. Car si celle-ci peut contribuer l'amliora-tiondubien-tre,elle peut aussi tre une source de difficults.Les uvres de Proudhon et de Marx en constituent, historique-lllent, deux des grands pivots. La premire dans sa version anar-chiste, laseconde dans sa versionsocialiste. Proudhon, seulpe?seur issu de la classe ouvrire, va dvelopper unerflexionqUI essaie de concilier l'ordre et la libert. Dfenseur de l'individu------ - - - - - - - -, les renvois au SPOrt SOnt en effet multipl es. On ne parl e que de performance, deCOmptitivit, de gagnant de courses la productivit ou de l'import ance de setenir en forme.Par exemple. voir Handy (1991).LES SCIENCES SOCIALES ETLEMANAGEMENT 4811 Consulter, par exemple, Sguin etChanIat (1983) et Gurin(l 965).12 Voir ce sujet Proudhon (l967) et Hobsbawm (l977).13 Aron a bien su rendre la fois la richesse et les ambiguts de l'uvre de Marxdans unde ses ouvrages (1967).51UNE RELATION DENATURE SURTOUT OP.RATOIREtrs friand, mais aussi dans l'art de Balzac, dont la clbre com-die humaine devait s'intituler tudes sociales. L'auteur duPreGoriot n'hsitait pas d'ailleurs se qualifier lui-mme avec unepointe d'ironie de docteur s sciences sociales". Ce qui montreen passant quel point la littrature peut parfois en dire plus etmieux que certainstraits spcialiss, tout en inspirant les plusgrandes uvres de sciences sociales.L'influence de ces travaux critiques sur la gestion se fera sentir deux niveaux. D'une part, dans la socit elle-mme par l'or-ganisationdumouvementouvrier, tantdans les usines grceaux syndicats qu' l'chelle politique grce l'activit des partisd'inspiration socialiste, notamment enEurope. Cette pressionpopulaire conduira des rformeset denouveauxdroitsso-ciaux qui auront de rels effets sur l'amlioration des conditionsde vie et sur les pratiques de gestion. Au cours du )(Xe sicle, lanaissance del'URSSetla menacecommunistene ferontquerenforcercettetendanceauseindes pays, notammentindus-trialiss. Et d'autre part, dans les sciences sociales elles-mmes,lesquelles, influences par la pense marxienne,contribuerontelles aussi par leurs analyses ce mouvementl 5 C'est ainsi quela question de la domination et de la souffrance aura d'impor-tants chos dans les sciences du travail des pays latins durant lestrois dcennies quisuivront la finde la SecondeGuerre mon-diale et qu'elle inspirera galement plusieurs courants de recher-che anglo-saxons, surtout aucoursdes annessoixante-dix etquatre-vingrI6.L'anarchisme et le marxisme dans ses diffrentes formes d'ex-pression n'one pas t, comme on s'en doute, les seules sourcesde critique etdequestionnement dela gestion. Descourants---14 0 - --- - - - - - - -1 n retrouve cette informationdans le trs bel ouvrage de Lepenies (1990).S VOir l'excellent dossier que la revue Sciences humaines a rcemment consacr aull1arxisme (1996).VOir, par exemple, Clegget Dunkerley(1980), Zey-Ferrellet Aiken (1981 ),at(1992), Fischer et Sirianni (1984).LES SCIENCES SOCIALESETLE MANAGEMENT 50et des groupes dmocratiques, il n'aura de cessede critiquer l'tatet toutes les formesdepouvoirimposes. Il contribuera avecd'autresdvelopperunepensedel'organisationanarchistequi s'efforceradepromouvoirlesidesdesyndicalisme, decoopratisme, de mutualisme et de fdralismeet dont l'influences'exercera surtoutdansles payslatins . Onpeutaffirmer sanstropse tromper qu'ilestunedespremirespersonnes avoirpos la question de la dmocratie conomique et avoir pres-senti l'idede complexit quenousvoyonsfleurir la fin du)(Xe sicle!'.Marx,aid de son fidle amiEngels, fils d'un industriel rh-nan, va crire uneuvrequiexercera uneinfluenceimmensenon seulement dans lessciencessocialesmais aussi dans le mondeentier. En faisant surgir l'univers ouvrier et les classes laborieu-ses des entraillesde l'conomie industriellenaissante, Marx etEngels vont fournirunformidableoutil critique dela socitqui est en train de natre sous leurs yeux tous ceux et celles quiveulent la transformer.Le mondedel'industrienaissanteest, comme le rappellentde nombreux historiensde cette priode, ununivers impitoya-ble o les hommes, les femmes et les enfants sont immols surl'autel de l'accumulation ducapital " . C'est la suite des analy-ses deMarxet deEngels queles figures dubourgeoiset duproltairevont devenirles deuximagesemblmatiquesd'unmonde antagonistequi nepeutques'effondrer delui-mme.Lessciencessocialesmodernes trouvent ici leur source radicale" .Il est intressant deremarquer que cetteuvre la fois riche,puissante, ambigu et pleine de contradictions a trouv son ins-piration non seulement dans les nombreuses donnes disponi-bles, notamment les rapports de manufactures dont Marx tait1152 LES SCIENCES SOCIALES ET LEMANAGEMENTUNE RELATION DE NATURE SURTOUTO P ~ R A T O I R E53"aussi divers quele socialismeutopique, le catholicisme social,l'existentialisme, le fminisme, l'cologisme ou, encore, plus r-cemment, le postmodernisme ont galement inspirdenom-breuses analyses, voire des mouvements sociaux"Si la question de la domination et de la souffrance est au curdes interrogations des sciences humaines, l'intrieur de la ges-tion, on est oblig de constater qu'elle a t souvent relgue lapriphrie, sinon totalement vacue auprofit de conceptionsplus harmonieuses des intrts et de visions trs fonctionnellesdu pouvoir. Historiquement, c'est donc surtout des chercheursexternes au monde de la gestion que l'on doit de telles rflexions.Mais, au cours des vingt dernires annes, on a pu voir certainesanalyses critiques surgir de l'univers mme dumanagement" .La question du senset des significations Le monde est d'abord, pourl'homme, un ensemble de significations ; ainsis'exprimaitleregrett FernandDumont(1968). La questiondusensetdessignifications est, en effet, comme nous l'avons dj soulign quelquesreprises, une des grandesinterrogations laquelledenombreuxtravauxdesciences humaines tentent derpondre.Dans le domaine du management, ce type d'interrogations estvenu sur le tard. Il a t troitement associ l'intrt que cer-tains chercheursontportprincipalement plusieursgrandscourants: la sociologie weberienne, la psychanalyse, les sciencesdulangage et l'anthropologie symbolique.17 Voir ce sujet Hassard et Parker (1994), Alvesson el Willmon (1992), (Alvessonet Deetz, 1996), Calas et Smirchich (1996) .18 Consulter, entreautres, Dufourel Chaniat (1985), Akrouf (1989), Chaniat(1990), Mi ntzberg (1989), Pircher (1994), A1vesson el Willmott (1992), Cleggel Palmer (1996) el Villet te(1988 , 1996).Parmi toutes les rflexions disponibles, la sociologie compr-hensive de MaxWeber estcertainement celle qui, historique-ment, aleplusinspirl'universdumanagement, mais pastoujours, comme nous allons le voir, pour les bonnesraisons.Nourris la double source de Marx et de Nietzsche, les travauxde Max Weber constituent une uvre fondamentale et uner-flexionincontournabledanslacomprhension delasocitmoderne19. Engestion, onvaladcouvriraprs laSecondeGuerre mondiale lorsque ces uvres deviendront accessibles aupublic anglo-saxon. la fois juriste, conomiste, philosophe et sociologue, MaxWebers'intresselagenseducapitalismecommeunedesmanifestations historiques de la rationalisation du monde occi-dental. Cequ'onaretenudesonuvre, dont l'rudition, laprofondeur etla varitnousdonnent parfoisle vertige, c'estSUrtout sa fameusetude sur les rapports qu'entretiennent lesdiffremesthiques religieuses avecl'esprit du capitalisme (1964).Si cetterecherche a suscit de nombreuses Controverses dans lechamp des sciences sociales-", elle a provoqu moins de remousen gestion.Car danscet univers, on y voyait uneexplicationsimple la supriorit des pays anglo-saxons sur les autres paysdu monde en matire de dveloppement et de gestion. La pen-se de Weber tait ainsi rduiteaurangdecelle d'un livre derecettes bon march ou un ami-Marx, voire un Marx pour lesmanagers, comme l'ont crit deux sociologues amricains, Gerthet Mills (1952). Cela tait mconnatre profondment sa pen-se mais, dans leContexte dela guerrefroide, d'auc unspou-vaient en tre rconforts.Un autrelment desa rflexion qui a connubeaucoup deSUCCs auprs du management, c'est bien sr sa description de labureaucratie. Ce travail, inspir la fois par sa connaissance de\loirle remarquable ouvrage que Kaesler (1996) a consacr Max Weber.. l' excellent livre de Besnard surCelte question(1970).21 Max Weber a, en effet, coordonn treize hpitaux au cours de la Grande Guerre.Voir Kaesler (1996).22 Voir ce sujet l'article de Du Gay (1994).l'tat prussien et par sa propre exprience de directeur d'hpitalpendant la guerrede14-1821, allait donner auxgestionnairesdes grandes organisations un modle dont ils pouvaient s'inspi-rer. Aprs avoir connu le succs que l'on sait, ce type d'organisa-tion est, aujourd'hui, sous le feu nourri de la critique no-librale.Beaucoup de ces critiquesignorent toutefois que le sociologued'Heildelberg voyait dans la bureaucratie une expression de l'thi-quedel' intrtgnral etdubiencommun. La privatisationrcentedecertainsservices publicsbritanniquesaractual iscet lment souvent occult de la rflexion weberienne". Dans "le mme ordre d' ides, l'absence de vritables bureaucraties, dansde nombreux pays du monde, nous confirme de faon loquentequ'on ne peut se passer d'une bureaucratie publique, moderne,efficace et honnte.Lune des facettes les moins connues de sontravail, notreavis non moinsimportante pour notre propos, demeure les re-cherches qui l' ont conduit dans la grande industrie et que nousavons voques trs brivement plus tt. Malheureusement nontraduiteenfranais, cettegrande enqute, intitule Recher-ches sur la slection et l'adaptation (choix et destin profession-nels) des ouvriers dans diverses branches de la grande industrie ,s'chelonna sur plusieurs annes et fut publie en sept volumes.La citation suivante en rsume bien l'esprit et, surtout, l'avant-gardisme :La prsent e enqutecherche tablir, d' une par t, quelleinfluencela grandeindus trieexerce sur lapersonnalit, le desti nprofessionnelet le styledevieext ra-professionnel de sa main-d' uvre, quelles qualits physiques et psychi-ques elle dveloppe chez son personnel, et comment celles-ci s'expriment danslamanire de vivre dela main- d'uvre; d'autrepart ,dans quellemesurelagrande industrie , dans sa capacit de dveloppement et la gestion de son dve-loppement, est de son ct lie aux qualitsde cettemain-d'uvre, transmises55UNERELATION DE NATURE SURTOUTOPtRATOIREDans le cadre de cette srie d'importantes enqutes en Alle-magne, Webertouchera denombreux aspects dela vie indus-triellequi seront tudisaucours du)(Xe sicle pard'autresdisciplines : la question des effets physiologiques produits par lerythme des processus de travail, celle des conditions psychiqueset des consquences de la fatigue, dubruit, ainsi que les aptitu-des engendres par lessituations de travail. De plus, cette grandeenqute devait tre complte par une recherche similaire auprsdupersonnel technique et des employeurs. On n'a pas fini dedcouvrir Weber en gestion !Dans le domaine de la comprhension de l'action humaine,l'uvre de Freud constitue uneautre rfrence oblige, car ellepose le problme dusens partir del'tude des processus in-conscients. En rvlant au monde la vie intrieure, la psychana-lyse cherche saisirlessignificationsprofondes des acteshumains.Cette discipline,que Freud dfinissait comme une psychologiesociale, a eu une incidence fondamentale dans la faon de pen-ser nos relations avec autrui" . Linfluence qu'elle a eue et a en-core dans les sciences humaines a conduit certainschercheursdans le domaine des organisatons s'y intresser. Leurs travauxseSOntprincipalement centrssur la dynamiquedes groupes l'articulationdupsychiqueetdusocial " et lapersonnalit des dirigeants". Chacun de ces travaux a pu mettre2J C'it par Kaesler (1996), p. 86.

oir ouvrage de Gay (1991)et aussi d'Enriquez (1983).25Voir notamment Bion(I 959), Jacques(1978) et Anzieu (I 975).26 Vi .oir enparticulier les ouvrages d'Enriquez (1983, 1992, 1997) et le numrospcial de la Revue internationaledepsychosociologie (1997) qui est consacr cesujet.Voir enparticulier les travaux deZaJeznik (1970), Zaleznick et Kets deVries(1975) et la srie publiepar Lapierre(I992, 1993, 1994).ou produites par son origine ethnique, sociale, culturelle, par sa tradition et sesconditions de vie. Ce sont donc l deux quest ions diffrentes,que le thoriciendoitet peut distinguer, mais qui, dansla recherche, se prsentent presque par-tout combines l' une l'autre, si bien que, en fin de compte, on ne peut rpon-dre l'une sans rpondre l'autre23LESSCIENCES SOCIALESETLE MANAGEMENT 5456 LES SCIENCES SOCIALES ETLE MANAGEMENTUNERELATION DE NATURE SURTOUT OP.RATOIRE57envidence le rleque jouaient les ressons psychiques dans lecomportement des personnes etcomment la dimension affec-tive tait constitutive dulien social.Aucoursdesderniresannes, les sciencesdulangageontgalement particip clairer la question du sens. Car il n'existepas de construction desens sans langage. C'est par etgrceaulangage que l'humanit a pu dvelopper des penses, des syst-mesdesignificationset desrelations sociales. Touteexistencesociale repose, eneffet, sur des communications qui supposentuneformedelangage. Le mondedela gestion est ununiversqui n'chappepascetteloi delavieensocit. Longtempsenferms dans une conception mcanique et tlgraphique dela communication, les milieux de la gestion ont vurcemmentcertainesrflexions largir leur visionence domaine". Par lmme, elles posaient laquestiondusenset dessignificationsdans les changes, voire dans tous les aspects de la vie collective.Linformation ri tait plus synonyme de communication. Lages-tion s'ouvrait la dimension symbolique de la vie humaine.Cette insistance sur les significations sera galement miseenvaleur par d'autres chercheurs qui, venant dedisciplines diff-rentes, se mettront analyser les aspects symboliques des orga-nisations. Ce mouvement sera en partie port par l'engouementdes milieux du management pour la culture d'entreprise. Tou-tefois, contrairement beaucoupdetravauxmanagriaux surcette culture, les analyses ducourant symbolique chercheront restituer les significations quimergent duterrain sansaucunsouci de productivit ou d' efficacit". Cela permettra de remettre28 Voirnot amment les travauxdeBoden (1994 ), deGir in(1990), l'art icle deChanlat et Bdard (1990) et les publications du rseau langage et travail (Bouter,1994).29 Dans les pays de langue anglaise, on verra surgir unrseau, le SCOS, StandingConference on Organizarional Symbolism, qui en fera son principal objet. VoirTurner(1990) , Gagliardi (1996) , Czarniawska-]oerges (1992), Sievers (199 5)et Bouchard (1990). leur juste placeles cultures fabriquesensrie qui fleurirontdans les annes quatre-vingt et de montrer combien la questiondusensest associe non seulement la questiondes significa-tions, mais aussi celle de la direction, la technique n'ayant, enelle-mme, aucune finalit.La question de la solidaritUne autre des grandes questions quiestaucur desrflexions dessciencessociales, c'estcelle duvivre ensemble. Lune des Contributions fondamentales souli-gner dans ce domaine est, bien sr, celle deDurkheim, un despres de la sociologie moderne qui dans sa thse de doctorat, Deladivisiondu travail: tude surl'organisation des socits suprieu-T'tS, dveloppe une analyse dela solidarit sociale(1893). Il envient distinguer deux grandes formeshistoriques: la solidaritmecanique, propre aux socits primitives, qui se caractrise parunlientrs fonentre l'individuetle groupe auquel il appar-tient, etla solidarit organique, propre aux socitsindustriali-ses, qui rsulte de la grande diffrenciation sociale existant dansces socits. Toutefois, cettesolidaritnouvellenesefait passans heurts, des changements trop rapides pouvant entraner del'anomie, c'est--dire une absence de rgles. Cette rflexion so-ciologique mene autournant dece sicle a eu, comme on lesait, un trs grand retentissement dans les sciences sociales30. Engestion, ces proccupationsallaient trereprises enpartie toutd'abord par Elton Mayo.Australien install sur le tard aux tats-Unis et figure centraledu mouvement des relations humaines en Amrique, Mayo, quia aussi puis chezPareto, allait s'intresser auxproblmes hu-Inains engendrs par la civilisation industrielle amricaine. Par----------- - - - - --Conjugue l'tude que Durkheim consacra au suicide (1897), elle participa fonder les bases de la sociologie moderne.31 Voir Desmarez(1986) et Mayo(1945, 1946).l mme, il allait contribuer renouveler en partie la vision qu'onavait del'hommedansles entreprises. traversles fameusestudesmenes l'usinedela WesternElectric deHawthornedont nous avons dj parl, les humains avaient dsormais dessentiments, des valeurs; l'usine tait un systme social enqui-libre auquel on devait prter beaucoup d'attention. partir desrsultats decetterecherche et debien d'autrestravaux, Mayodclareraquelefutur delacivilisationdpenddsormaisdegestionnaires dots d'un solidesavoirsociologique. Car, pourlui, c'tait dansle milieu industriel quel'on pouvait recrerlasolidaritperdue. La sociologieindustrielleamricainefaisaitson entre de plain-pied dans l'univers du management", Cetterflexion, qui tait dicte audpart pardes exigences d'effica-cit, se dplaa quelque peu par la suite pour poser le problmedelacohsionet delacoopration. Le gestionnaireChesterBarnard s'en inspira pour crire son fameux livre, The Functionsofthe Executive, dont l'influence fut considrable dans les cer-cles de la gestion et de l'enseignement du management (1938).Lemouvement des relations humainesdans l'industrie ri apas t influenc uniquement par les problmes d'efficacit. li aaussi t marqu profondment par la grande crise et les effetsqu'elle avait sur les gens et par les grandes questions qui dcou-laient del'urbanisation. Tout entant proccups par les pro-blmesde production, leschercheurstaient devenus trssensiblesla questiondelacohsionsociale. C'est laraisonpour laquelleils prconisaientlemaintiendesgroupesinfor-melset parlaient abondammentd'quilibre. Leurstravaux al-laient exercer une influence dterminante pendant plus de trenteans sur le monde de la gestion.Audbut desannesquatre-vingt, cetteproccupationen-vers la cohsion et la coopration allait rebondir avec la monteenpuissancedumodlejaponaiset la questiondelacultured'entreprise. Face des concurrents asiatiques dont la solidarit59UNERELATION DE NATURE SURTOUT OpeRATOIREapparaissait toute preuve, certains experts amricains se mi-rent considrer que la culture et l'esprit de corps si cher Fayoltaient les remdes au dclin des entreprises amricaines32. Maisce mouvement allait trs vitese heurter auxnouvellesralitsdu management qui, partir du dbut des annes quatre-vingt_dix, deviennent Souvent contradictoires avec ce souci de dve-lopper unnoyau solidaire33.Paralllement ces rflexionsmanagriales,plusieurs socio-logues se SOnt galement intresss cette question de la solida-rit. Du point de vue de la sociologie d'entreprise en mergence,certains chercheurs Ont mis l'accent sur des facteurs SOuvent lais-ss-pour-compte comme les identits et la socialisation ou, en-core, le rle que jouait la culture nationale dans la logique socialede l'entreprise34. leur faon, ils posaient eux aussi la questionde la solidarit. Au cours des dernires annes, cette question aprisuneimportancecapitaleenraisonduhaut tauxdech-mage, dela prcarit croissante etdela monte de l'exclusionqueconnaissent denombreux pays industrialiss. La questionest, en effet, de savoir si on peut avoir encore un collectifquandle travail s'vapore etquel'espace-temps commun se rarfie35.Comme nous aurons l'occasion dele voirunpeu plus loin, laquestion de la solidarit n'a pas fini de nous hanter.----------- ---31Voir notamment Ouchi (I 981) , Deal et Kennedy (1982)et Peters et Waterman(982).),J Voirlesouvrages de Reicheld (I 996), d'Aubert et De Gaujelac (I 991), d'EnriquezJ4 ( I ~ 9 7 ) , de Bron er De Gaujelac(1995) et de Pags et coll. (I979).Vou Sainsaulieu (I997), Iribarne (I 993) , Dupuis (I 995) , Blanger et Lvesque (996).Voir tOUt le dbat rcent autour de la centralit dutravail ou de sa disparirion;Particulier, Meda (1995), De Bandr, Dejourset Dubar(1995), Montelh7), Rifkjn(I996), Castel(I995) et Gorz(I997).LES SCIENCES SOCIALES ET LEMANAGEMENT 5836 Voir l'ouvrage de Jackall (1988) et l'article de Pasquero(1997) sur ce sujet .La question des valeursLesscienceshumaines, comme nousl'avons soulignprcdemment, ont aussi uneexigence d'va-luation. Cette exigence compone une critique des pratiques aunom des valeurs. En gestion, l'interrogation thique, puisqu'ils'agit de cela, est reste trs longtemps dansl'ombre. Cen'estque dans les vingt dernires annes, et notamment au cours dela dcennie passe, que la question a merg comme un lmentimportant de rflexion. Les scandales financiers, les nombreuxcas de corruption, la publicit mensongre, les problmes d'en-vironnement, l'offre de biens potentiellement dangereux ou deservices douteux, les ingalits professionnelles criantes, certai-nes pratiques de gestion particulirement discutables ont forcle monde des entreprises et les autres institutions sociales- tat,associations, syndicats, groupes de pression - s'intresser auxquestions du juste et de l'injuste, dubien et du mal, de l'quitet de la responsabilit, autrement dit poserla question de lalgitimit des fondements de l'action managriale" . Face deslogiques de gestion imprgnes surtout par une rationalit ins-trumentale et technique et une finalit financire court terme,l'interpellation thique rappelle aux acteurs anims par ces logi-ques que les questions fondamentales du pourquoi, du pour quiet duau nom de quoi ne peuvent tre totalement cartes deschoix faits par les gestionnaires.Comme nous venons de le voir, les sciences sociales et la ges-tion entretiennent des relations depuisle dbut du sicle. Elless'inscrivent dansla pousserationalisatriceidentifie parWe-ber. Parti des ateliers et des usines, ce mouvement a d'abord tanimpardes ingnieurs. Par la suite, certainschercheursensciences humaines les ont rejoints et ont intgr le social dans cemouvement, puis l'ont largi la sphre des organisations. Aucours des dix dernires annes, cette volont de rationalisation61UNE RELATION DENATURESURTOUT OPRATOIREgestionnaire s'est imposeavec l'avnement dela socit pro-gramme toutes les sphres de la vie sociale".De maniregnrale, comme nous venons de le rappeler, lagrande majorit des interrogations des sciences humaines appli-ques la gestion ont t contamines par les exigences de pro-ductivit, de rentabilit, d'optimisation et de contrle et, donc,par la question de l'efficacit. Mme si les discours sur le facteurhumainsontlgion, la conceptiondel'trehumainqui s'endgage demeure gnralement trs rductrice".Dans cette anthropologie restreinte, l'tre humain apparat laplupart du temps comme un tre abstrait, un objet conomiqueet un individu sans affect, sans histoire et sans culture. Il s'ins-crit dans un projet instrumental qui confre toutesles vertus une seule logique: la logique technique. Pourtant, selon Haber-mas, il enexiste deux autres, la logiquepratique et la logiquemancipatoire, qui sont tout aussi importantes (1972).La logique technique part de l'ide que le monde humain estun ensemble de processus objectivables que l'on cherche con-natre et contrler. On les approche comme s'ils taient ind-pendantsdenous et facilement manipulables. Onfait appellargementaucalculafindemesurerles rsultatsobtenus. Lersultatque l'on escompteest de faire reculerl'irrationalitdu monde social. Nous sommesici dans la logique scientifiqueclassique quenous avons djvoque plushaut. La logiquepratique a, quant elle, pour finalit d'atteindre unemeilleurecomprhensionmutuelle. NousretrouvonsllaperspectiveCOmprhensive djaborde. Ici, onnecherchepasmieux-:------ - - - - - -37 Touraine(I992) rappelle, eneffet,que