Cerveau Homme/Femme: quelles différences

98
L’ESSENTIEL L’ESSENTIEL - FÉVRIER - AVRIL 2011 3:HIKNQJ=UU[^Z[:?a@a@k@p@a; M 03690 - 5 - F: 6,95 E - RD France métro. : 6,95, Bel. : 8,20, Lux. : 8,20, Maroc : 90 DH, Port. Cont.: 8,90, All.: 10, CH :15FS, Can. : 11,50ww$, USA : 9$,TOM S. :1170XPF Homme / Femme Ce Ce rveau rveau Quelles différences ? Quelles différences ? Hormones Hormones Humour Humour Éducation Éducation Langage... Langage...

Transcript of Cerveau Homme/Femme: quelles différences

Page 1: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

L’ESSENTIELL’ESSENTIEL - FÉVRIER - AVRIL 2011Fran

ce m

étro

. : 6,

95!

, Bel

. : 8,

20!

, Lux

. : 8,

20!

, Mar

oc : 8

5DH,

Por

t. Co

nt. :

7,90!

, All.

: 9,9

0!, C

H :1

5FS,

Can

. : 10

,95$

, USA

: 9$,

TOM

S. :1

170X

PF

FÉV

RIER

- AV

RIL

201

1

3:HIKNQJ=UU[^Z[:?a@a@k@p@a;M 03690 - 5 - F: 6,95 E - RD

L’ESS

ENTI

ELL’E

SSEN

TIEL

- n°

5 •

Cer

veau

Hom

me

/ Fem

me

Fran

ce m

étro

. : 6,

95!

, Bel

. : 8,

20!

, Lux

. : 8,

20!

, Mar

oc : 9

0 DH

, Por

t. Co

nt. :

8,90!

, All.

: 10!

, CH

:15F

S, C

an. :

11,5

0ww$

, USA

: 9$,

TOM

S. :1

170X

PF

Homme / FemmeCeCerveaurveau

Quelles différences ?Quelles différences ?

• • Hormones Hormones • • HumourHumour • • ÉducationÉducation • • Langage...Langage...

Couv essentiel_fin_grand.indd 1Couv essentiel_fin_grand.indd 1 04/02/11 14:4204/02/11 14:42

Page 2: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

2e_DB_grd.xp 1/02/11 17:24 Page 1

Page 3: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

L ’homme est-il soumis à ses gènes ? Est-il au contrairemodelé par ses parents, ses maîtres, ses amis et sesconditions de vie ? Ni l’un ni l’autre, ou plus exacte-ment l’un et l’autre. Dans tous les domaines des scien-ces du vivant – biologie, neurobiologie, psychologie,

médecine, etc. –, les preuves s’accumulent : l’individu est le pro-duit de son patrimoine génétique et de son expérience. Qui plusest, l’interaction est si étroite que l’environnement agit sur lesgènes en modifiant leur expression : c’est l’épigenèse. La part del’inné varie selon l’environnement.

Le dogme veut que les petites filles jouent à la poupée, et lespetits garçons aux voitures. Cette préférence est-elle inscrite dansleurs gènes ou bien l’influence de leurs parents et de leurs copainssuffit-elle à orienter systématiquement leurs choix ? Ces compor-tements sont tellement stéréotypés et universels – ils sont mêmeprésents chez des primates mis en présence de tels jeux – qu’il estvraisemblable que la préférence est innée. À verser encore à l’actifde l’inné, ces expériences faites dans les années 1950 à 1970 danscertains pays, où toute discrimination entre les filles et les garçonsétait traquée et supprimée. Malgré ces études réalisées « en vraiegrandeur », les différences comportementales liées au sexe n’ontpas disparu. Mais cet amorçage inné est notablement influencépar l’environnement. Par exemple, ce seraient les parents eux-mêmes qui, inconsciemment, par leur attitude, découragent leursfilles de s’intéresser aux sciences. Serait-ce une des raisons de ladésaffection des filles pour les filières scientifiques ?

Ainsi, les interactions complexes de l’inné et de l’acquisconfèrent un sexe au cerveau. Les hommes et les femmes diffèrenten matière de comportement, de perception des émotions, delangage, d’humour, de parcours professionnel, mais aussi demaladies. Longtemps, on a admis qu’une substance thérapeuti-que aurait le même effet qu’elle soit administrée à un homme ouà une femme. Or une étude plus précise de l’effet des médica-ments sur la dépression infirme ce présupposé. Ou commentl’étude du sexe du cerveau devrait améliorer le traitement de ladépression ou d’autres maladies de l’esprit...

© L’Essentiel n°5 – février - avril 2011 1

Directrice de la rédaction : Françoise Pétry

L’Essentiel Cerveau & PsychoCerveau & PsychoRédactrice en chef : Françoise PétryRédacteur : Sébastien Bohler

Pour la ScienceRédacteur en chef : Maurice Mashaal Rédacteurs : François Savatier, Marie-Neige Cordonnier, Philippe Ribeau-Gesippe, Bénédicte Salthun-Lassalle,Jean-Jacques Perrier

Dossiers Pour la ScienceRédacteur en chef adjoint : Loïc ManginRédacteur : Guillaume Jacquemont

Directrice artistique : Céline LapertSecrétariat de rédaction/Maquette :Annie Tacquenet, Sylvie Sobelman, Pauline Bilbault, Raphaël Queruel, Ingrid Leroy

Site Internet : Philippe Ribeau-Gesippe, assisté de Ifédayo Fadoju

Marketing : Élise AbibDirection financière : Anne GusdorfDirection du personnel : Marc LaumetFabrication : Jérôme Jalabert, assisté de Marianne SigognePresse et communication : Susan MackieDirectrice de la publication et Gérante : Sylvie MarcéConseillers scientifiques : Philippe Boulanger et Hervé ThisOnt également participé à ce numéro : Bettina Debû, Hans Geisemann

Publicité FranceDirecteur de la publicité : Jean-François Guillotin([email protected]), assisté de Nada Mellouk-RajaTél. : 01 55 42 84 28 ou 01 55 42 84 97 Télécopieur : 01 43 25 18 29

Service abonnementsGinette Bouffaré : Tél. : 01 55 42 84 04

Espace abonnements : http://tinyurl.com/abonnements-pourlascienceAdresse e-mail : [email protected] Adresse postale : Service des abonnements - 8 rue Férou - 75278 Paris cedex 06

Commande de dossiers ou de magazines :02 37 82 06 62 (de l’étranger : 33 2 37 82 06 62)Diffusion de Pour la ScienceCanada : Edipresse : 945, avenue Beaumont, Montréal, Québec, H3N1W3 Canada.Suisse : Servidis : Chemin des châlets, 1979 Chavannes - 2 - BogisBelgique : La Caravelle : 303, rue du Pré-aux-oies - 1130 BruxellesAutres pays : Éditions Belin : 8, rue Férou - 75278 Paris Cedex 06

Toutes les demandes d’autorisation de reproduire, pour le public françaisou francophone, les textes, les photos, les dessins ou les documentscontenus dans la revue « Cerveau & Psycho », doivent être adressées parécrit à « Pour la Science S.A.R.L. », 8, rue Férou, 75278 Paris Cedex 06.© Pour la Science S.A.R.L. Tous droits de reproduction, de traduction,d’adaptation et de représentation réservés pour tous les pays. Certainsarticles de ce numéro sont publiés en accord avec la revue Spektrum derWissenschaft (© Spektrum der Wissenschaft Verlagsgesellschaft, mbHD-69126, Heidelberg). En application de la loi du 11 mars 1957, il estinterdit de reproduire intégralement ou partiellement la présente revuesans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation dudroit de copie (20, rue des Grands-Augustins - 75006 Paris).

www.cerveauetpsycho.fr

Pour la Science,8 rue Férou, 75278 Paris cedex 06

Standard : Tel. 01 55 42 84 00

ÉditorialFrançoise PÉTRY

Inné et acquis

Ess_5_p001001edito.xp 3/02/11 11:39 Page 1

Page 4: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

2 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

n° 5 - Trimestriel février - avril 2011

Les mystèresdu cerveauféminin

15

L’instinctmaternel

niché dansle cerveau

8

Cerveau masculin et cerveau féminin : quelles différences ? 4Préface Serge Ciccotti

L’instinct maternel niché dans le cerveau 8Les capacités cognitives de la future mère évoluent pendant la grossesse, ce qui la rend plus apte à s’occuper de son petit.

Craig Kinsley et Kelly Lambert

Les mystères du cerveau féminin 15Le cerveau des femmes fonctionne de façon asymétrique avant l’ovulation et symétrique après.

Markus Hausmann et Ulrich Bayer

Spécificités cognitives 20Les tests effectués pour évaluer les différences de capacitéscognitives liées au sexe font apparaître des spécificités.

Markus Hausmann

Les nouveaux pères 24Les pères aussi subissent des modifications biologiques aprèsla naissance d’un bébé.

Emily Anthes

Cerveau masculin, cerveau féminin 30L’existence de différences cérébrales entre hommes et femmesdevrait nous aider à adapter le traitement des maladies mentales.

Larry Cahill

Le rôle des hormones

La vérité sur les filles et les garçons 38Les différences cérébrales entre les garçons et les filles sontfaibles, mais les adultes les amplifient.

Lise Eliot

Les filles sont-elles mauvaises en maths ? 46Les filles boudent les filières scientifiques. Les raisons en sont multiples, des préjugés à l’attitude des parents.

Serge Ciccotti

L’influence de l’éducation

Les nouveauxpères

24

Raph

ael Q

ueru

el

© Tim

Gar

cha

/Co

rbis

En c

ouve

rture

: Pho

togra

phie,

Aar

on G

oodm

an /

Pho

to-illu

strat

ion,

Rap

hael

Que

ruel

Justi

n Co

oper

00_ess05-p002003_sommaire 2/02/11 12:33 Page 2

Page 5: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 3

cerveauetpsycho.fr

Rendez-vous sur le sitede Cerveau & Psycho

DIfférentstoute la vie

64La mixité abandonnée ? 51La mixité, conforme à l’esprit démocratique, nécessite aussil’apprentissage du respect et de la tolérance.

Michel Fize

Des styles différents de conversation 54Les hommes et les femmes ne parlent pas la même langue,ce qui peut expliquer certaines difficultés de communication.

Deborah Tannen

Vrai ou faux ? 60Petit tour d’horizon des idées reçues les plus fréquentessur les différences entre filles et garçons.

Serge Ciccotti

Différents toute la vie 64Les différences de comportements des petites filles et des petitsgarçons annoncent celles des adultes dans le monde du travail.

Hartwig Hanser

La reconnaissance des émotions 70Les femmes identifient mieux que les hommes les expressionsémotionnelles, qu’elles soient auditives ou visuelles.

Olivier Collignon

Une beauté toute relative 74Les hommes perçoivent-ils les couleurs et les formes comme les femmes ? Ils semblent traiter différemment les contrastes.

Enric Munar Roca

Le fossé de l’humour 78Le sourire, le rire et l’humour jouent un rôle essentiel,du flirt à la relation durable.

Christie Nicholson

Les deux visages de la dépression 86Les hommes ne vivent pas la dépression de la même façon,et ne sont pas égaux face à elle.

Eric Westly

Les hommes sont plus agressifs que les femmes 94Non, les femmes aussi peuvent être agressives, mais les hommes sont plus dangereux.

Scott Lilienfield et Hal Arkowitz

Des comportements différents

Une beauté toute relative

Le fossé de l’humour

74

78

Yuri

Arcu

s / S

hutte

rstoc

Serg

io P

itami

tz /

Robe

rt Ha

rding

Wor

ld Im

ager

y /

Corb

is

00_ess05-p002003_sommaire 2/02/11 12:33 Page 3

Page 6: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

B ien qu’il soit sujet à controverses, le« dimorphisme cérébral humain »est de mieux en mieux documenté.L’objet de ce numéro de L’EssentielCerveau & Psycho est précisément

de présenter les grandes différences qui distin-guent la psychologie de l’homme de celle de lafemme. Car, quoi que certains en disent, leshommes et les femmes n’ont pas les mêmesgoûts, aptitudes, domaines d’intérêt ou com-portements. Certaines de ces dissemblancessont notables, d’autres moins.

Vous découvrirez que ces différences relèventparfois de la pure biologie (voir L’instinct maternelniché dans le cerveau, page 8 ou encore Cerveauxsur influence hormonale, page 15) et parfois de laculture et de l’éducation (voir Les filles sont-ellesnulles en maths ?, page 46). Il n’est pas toujoursaisé d’en trouver la cause, car de multiplesinfluences interagissent la plupart du temps.

Quoi qu’il en soit, lorsque la science met enévidence des différences entre les hommes et lesfemmes, pourquoi les contester, voire les nier ?Les chercheurs essayent de comprendre leurnature, leur cause, essayent même d’en tirer desenseignements pour l’éducation, l’enseigne-ment, ou encore la vie sociale. Ainsi, le sociolo-gue Michel Fize montre-t-il comment la prise encompte des différences entre les filles et les gar-çons apporte des éléments au débat sur l’ensei-gnement (Voir La mixité abandonnée ?, page 51).

Les seins, l’utérus et les ovaires ne sont pas lesseuls éléments qui distinguent les femmes deshommes. Pourtant, on a longtemps fait commesi ces seuls organes faisaient la différence, etcomme si le cerveau, les comportements ouencore la psychologie étaient identiques. On sait

aujourd’hui que le cerveau a un sexe, c’est-à-direque les femmes utilisent davantage leurs deuxhémisphères pour certaines fonctions tel le lan-gage (voir Cerveau masculin, cerveau féminin,page 30 et Des styles différents de conversation,page 54). Qui plus est, les écarts se manifestentdans le cadre du fonctionnement normal du cer-veau, mais également dans certains cas patholo-giques. En effet, en cas de lésion cérébrale, lesfemmes récupèrent plus vite et souffrent moinsd’aphasie que les hommes. Ou encore, on com-mence à comprendre qu’une dépression nedevrait pas être prise en charge de la même façonselon qu’il s’agit d’un homme ou d’une femme(voir Les deux visages de la dépression, page 86).

Des sensibilités variéesà certaines maladies

Saviez-vous que les femmes se réveillent plusrapidement d’une anesthésie générale que leshommes ? Et même près de deux fois plus vite…Ainsi, les expériences montrent que les femmesreprennent conscience en moyenne 7 minutesaprès la fin de l’anesthésie, alors que pour leshommes, c’est 11 minutes. Les femmes se mettentà parler 8 minutes après l’arrêt de la drogue alorsqu’il faut presque 12 minutes aux hommes. Cettedécouverte explique aussi pourquoi les femmes seplaignent trois fois plus souvent que les hommesd’avoir été conscientes pendant une interventionchirurgicale. La raison en reste inconnue.

Dire que les deux sexes sont identiques, ceserait aussi contester le fait que les femmes sontdeux à trois fois plus susceptibles d’être touchéespar la sclérose en plaques que les hommes, et ceà un plus jeune âge. La forme de cette maladie

4 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

Cerveau masculin et cerveau féminin : quelles différences ?

Serge Ciccottiest docteur en psychologieet chercheur associéà l’Universitéde Bretagne Sud,à Lorient.

Préface

Ess5-p004005_preface 1/02/11 17:33 Page 4

Page 7: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

change aussi, avec une phase de rémission pourla femme – surtout pendant la grossesse –, alorsqu’elle est progressive, sans rémission chezl’homme. Certaines autres pathologies, qu’ellesrelèvent du fonctionnement cérébral ou non– la calvitie, la myopathie de Duchenne, l’hémo-philie ou l’autisme –, touchent davantage lesgarçons que les filles. Différence encore dans leseffets de l’aspirine qui, prise à titre préventif,réduit le risque d’infarctus chez l’homme, maispas chez la femme. En revanche, chez la femme,ce médicament diminue le risque d’accidentvasculaire cérébral…

Rien ne justifie les inégalitésCette variabilité est vraisemblablement

d’origine génétique. Car si l’éducation peutamplifier des différences de comportement, cen’est pas elle qui peut expliquer le dimor-phisme observé sur les exemples de pathologiesque nous venons d’évoquer. Ces variations ontété sélectionnées au cours de l’évolution, parcequ’elles conféraient des avantages à ceux ou cel-les qui les présentaient. Et à plusieurs reprisesdans ce dossier, des explications évolutionnistesseront proposées. Darwin nous aide à mieuxcomprendre ces différences…

Pourquoi certains refusent-ils de les accep-ter ? Parce qu’elles risquent de donner lieu à desexploitations idéologiques, qui viseraient à légi-timer certaines politiques inégalitaires ou dediscrimination. De fait, la France est loin d’êtreà l’avant-garde dans le domaine de l’égalitéhomme-femme. C’est aujourd’hui encore, audébut du XXIe siècle, un pays où les femmessont moins payées que les hommes à niveau decompétence identique : selon les statistiques del’INSEE de 2010, le salaire d’une femme travail-lant dans une entreprise privée serait enmoyenne 22 pour cent inférieur à celui d’unhomme ayant une qualification identique.

Si, comme nous l’avons évoqué, cette ques-tion soulève des polémiques, c’est bien pour desraisons de ce type : ces différences ne doiventpas servir de prétexte pour maintenir les fem-mes dans un état de dépendance vis-à-vis deshommes, pour justifier un salaire inférieur ouquelque forme de discrimination que ce soit.

Quand on étudie la littérature concernant lesdifférences entre les sexes, on constate que lesétudes françaises sont rares en ce domaine. Ilest possible que les chercheurs français soientinfluencés par une idéologie dominante quiconsiste à déclarer qu’« On ne naît pas femme,on le devient » comme l’affirmait Simone deBeauvoir. Le poids de l’environnement laissealors peu de place aux explications biologiques.On sait qu’en France plus qu’ailleurs, la psycha-nalyse a eu et a encore un impact très impor-tant sur l’explication des comportements quisont vus la plupart du temps comme acquisdans l’enfance. Cette « pression idéologiquedouce » associée au féminisme soutenant qu’iln’existe pas de différences entre les sexes pour-rait pousser les chercheurs français à laisser cessujets de côté. Au contraire, les recherchesanglo-saxonnes apportent de nombreuses don-nées intéressantes.

Ce numéro de L’Essentiel Cerveau & Psychofait donc le point sur ces résultats. On y démontequelques idées reçues bien ancrées (voir Leshommes sont-ils plus agressifs que les femmes ?,page 94 et Vrai ou faux ?, page 60). La situationest-elle susceptible d’évoluer ? Oui, il semble queles comportements changent, preuve que certai-nes des variations observées sont uniquement lefruit de l’éducation ou des contraintes sociales(voir Les nouveaux pères, page 24).

Ainsi, il existe des différences « naturelles »,d’autres issues des contraintes éducatives ousociales. Il ne suffit pas de déclarer l’égalitéentre les sexes, on doit veiller à ce qu’elle soitrespectée, mais, ce faisant, il faut garder à l’es-prit que les hommes et les femmes ne sont pasidentiques, ni physiquement ni mentalement.L’un n’est pas supérieur à l’autre, l’un est com-plémentaire de l’autre. L’un et l’autre sontinséparables. !

© L’Essentiel n°5 – février - avril 2011 5

Les hommes et les femmes ne sont pas identiques.L’un est complémentaire de l’autre.L’un et l’autre sont inséparables.

Ess5-p004005_preface 1/02/11 17:33 Page 5

Page 8: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

univers_grd.xp 2/02/11 10:00 Page 1

Page 9: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 7

Le rôle des hormones

© Se

basti

an K

aulitz

ki /

Shutt

ersto

ck

Durant la grossesse, les capacités cognitives de la future mère changent,la préparant à l’arrivée du bébé. Des hormones remodèlent son cerveau.

Ces dernières baignent également le cerveau du futur bébé, et elles influeront sur le comportement de l’enfant quand il grandira.

Même le jeune père subit des modifications hormonales à l’arrivée du bébé. Les hormones impriment leur marque dans le cerveau.

Ess05-p007007_ouvert_part1 2/02/11 11:00 Page 7

Page 10: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

Q u’est-ce que l’« instinct mater-nel » ? Comment une femmedevient-elle une mère ? Chezpresque tous les mammifères,du rat à l’homme en passant par

le singe, le comportement des femelles évolueau cours de la gestation et de la maternité. Avantd’être mères, les femelles sont indépendantes etse consacrent à leurs propres besoins et à leursurvie, mais elles se vouent entièrement à leurspetits dès leur naissance. Les neurobiologistescommencent à comprendre les mécanismes decette transition : les fluctuations hormonalesdrastiques qui se produisent durant la grossesse,au moment de la naissance et pendant l’allaite-ment, remodèleraient le cerveau de la femme.

Certaines des aires cérébrales remodeléesjouent un rôle dans la régulation des comporte-ments maternels, tels la construction du nid, lessoins apportés aux petits et leur protection faceaux prédateurs ; d’autres sont impliquées dansla mémoire, l’apprentissage et les réactions à lapeur et au stress. Les rates qui ont eu des petitsréussissent mieux que les rates qui n’en ont paseus (nullipares) dans divers tests d’orientationdans des labyrinthes et pour capturer des proies.Ainsi les hormones qui stimulent le comporte-ment maternel amélioreraient aussi les aptitu-des à la chasse, favorisant la survie des petits. Desurcroît, les bénéfices cognitifs se prolonge-raient après le sevrage.

Les expériences ont surtout été faites sur lesrongeurs, mais les neurobiologistes pensent quela maternité s’accompagnerait aussi de change-ments mentaux durables chez les femmes. Lescomportements maternels sont similaires chezla plupart des mammifères : ils sont probable-ment contrôlés par les mêmes régions du cer-veau. Pour certains, le développement du com-portement maternel aurait même été l’un desprincipaux moteurs de l’évolution du cerveaudes mammifères. Lorsque les mammifères ontcommencé à se différencier de leurs ancêtresreptiliens, ils sont passés d’une stratégie d’aban-don des œufs après la ponte à une stratégie dedéfense du nid. Les avantages sélectifs de cetteattitude auraient modifié les hormones cérébra-les, puis les comportements.

Un cerveau baigné d’hormones

Le rôle des hormones de la grossesse dansl’attention que portent les femelles à leur progé-niture a été découvert il y a plus d’un demi-siè-cle. Dans les années 1940, Franck Beach, del’Université Yale, a montré que les estrogènes etla progestérone, les hormones sexuelles femel-les, régulent l’agressivité et la sexualité des rats,des hamsters, des chats et des chiens. Ensuite,Daniel Lehrman et Jay Rosenblatt, alors àl’Institut du comportement animal de

8 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

Chez les mammifères, la structure du cerveau maternel évolue durant la gestation et après la naissance du petit.

Les mères acquerraient des capacités cognitives les rendantplus attentives à leurs petits et plus aptes à s’occuper d’eux.

L’instinct maternel nichédans le cerveau

Le rôle des hormones

Craig Kinsleyest professeur de neurosciences dans le Département de psychologie et dans le Centre de neurosciences de l’Université de Richmond. Kelly Lambert,professeur de neurosciences comportementales et de psychologie, est codirecteur du Centre de recherche du Collège Randolph-Macon.

En Bref• De nombreusesmodifications tantmorphologiques que fonctionnelles surviennent chez la rate gestante.• Ces modificationsprépareraientles futures mères àmieux s’occuper deleurs petits.• Elles rendraientaussi les mères moinscraintives et plus prêtes à prendre desrisques pour protégerleurs petits.• La reproductionfavoriserait l’apprentissage et améliorerait la mémoire spatiale.

Ess05-p008014_inst_mater_kinsley 1/02/11 16:07 Page 8

Page 11: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

l’Université Rutgers, prouvaient que ces mêmeshormones sont nécessaires à l’expression ducomportement maternel de la rate. En 1984,Robert Bridges, à l’École vétérinaire de TuftsCumming, rapportait que la production d’es-trogènes et de progestérone augmente à despériodes bien définies de la grossesse et quel’apparition de l’instinct maternel dépendd’une régulation précise des concentrations deces hormones. R. Bridges et ses collègues mon-trèrent ensuite que la prolactine, l’hormone dela lactation, déclenche un comportement mater-nel chez des rates dont les concentrations enestrogènes et en progestérone sont déjà élevées.

En plus des hormones, d’autres substancesagissant sur le système nerveux participent audéclenchement de l’instinct maternel. En 1980,Alan Ginzler, de la Faculté de médecine del’Université de Downstate à New York, consta-tait une augmentation des endorphines – desprotéines analgésiques produites notammentpar l’hypophyse sous contrôle de l’hypothala-mus – chez une rate gestante, en particulier justeavant la mise bas. Les endorphines soulageraientles douleurs de la parturition et déclencheraientle comportement maternel. Pour résumer, diffé-rents systèmes neurochimiques et hormonauxcommandent l’instinct maternel, et le cerveaude la mère évolue au fil des changements quiaccompagnent la grossesse.

Existe-t-il des zones cérébrales particulière-ment impliquées dans le comportement mater-nel ? Michael et Marilyn Numan à Boston ontmontré que, dans l’hypothalamus, l’aire préop-tique médiane joue un rôle notable ; une lésionde cette aire ou une injection de morphinedans cette zone perturbe l’attitude maternelledes rates. D’autres aires cérébrales sont égale-ment impliquées (voir l’encadré page 10) ; ellescontiennent toutes de nombreux récepteursaux hormones et à d’autres substances neuro-chimiques. Selon Paul MacLean, de l’Institutaméricain pour la santé mentale (NIH), les cir-cuits nerveux reliant le thalamus, la station relaisdu cerveau, et le cortex cingulaire, qui contrôleles émotions, constituent une partie impor-tante du système de régulation de l’instinctmaternel. Des lésions du cortex cingulaire chezdes rates mères abolissent ce comportement.

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 9

1. Des changements comportementauxaccompagnent la maternité chez toutes les femelles

de mammifères. Les modifications du cerveau féminininduites par les hormones rendraient les mères plusvigilantes et plus aptes à s’occuper de leurs petits,

mais elles amélioreraient aussi leur mémoire spatialeet leur capacité d’apprentissage. Ju

stin

Coop

er

Ess05-p008014_inst_mater_kinsley 1/02/11 16:07 Page 9

Page 12: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

Des hormones qui remodèlent le cerveau

10 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

Le développement de ces circuits aurait favorisél’évolution du cerveau primitif des reptiles versle cerveau des mammifères.

En outre, dès que les hormones de la repro-duction ont déclenché l’instinct maternel, le cer-veau deviendrait moins sensible à ces moléculeset le comportement maternel serait stimulé parla progéniture elle-même. Bien qu’un mammi-fère nouveau-né soit une petite créature exi-geante et peu séduisante – il ne sent pas bon, estfragile et dort par intermittence –, le dévoue-ment de la mère est sans égal, pouvant lui faire

oublier de manger ou de s’accoupler. Les petitsreprésenteraient une récompense renforçantl’instinct maternel. Quand on leur propose de lacocaïne ou des nouveau-nés, les rates choisissenttoujours les petits.

Craig Ferris, de la Faculté de médecine del’Université du Massachusetts, a récemment étu-dié le cerveau de rates allaitantes par imageriepar résonance magnétique fonctionnelle (IRMf),une technique non invasive qui permet d’enre-gistrer des variations de l’activité cérébrale. Il adécouvert que l’activité du noyau accumbens, un

Hypothalamus

Hypophyse

Estrogènes et progestérone

Ocytocine, prolaxine etendorphines

Ovaires

Tam

Tolpa

Habunela latéral

ThalamusCortex cingulaire

Cortex préfrontalet orbitofrontal

Noyau Accumbens

Aire préoptiquemédiane Hypophyse

Hypothalamus

Substance grisepériaqueducale

Amygdale

Hippocampe

P endant la grossesse, les ovaires et le placenta produisent de grandesquantités d’estrogènes et de progestérone (flèches rouges), les hor-

mones féminines de la reproduction. L’hypothalamus et l’hypophysesécrètent l’ocytocine qui déclenche les contractions lors de l’accouche-ment, la prolactine stimulant les glandes mammaires et des endorphinesqui calment les douleurs de l’accouchement (flèches bleues). Des travauxréalisés chez l’animal montrent que ces substances modifieraient le cer-veau de la femme de différentes façons. Les estrogènes et la progestérone,par exemple, augmenteraient la taille des corps cellulaires des neuronesdans l’aire préoptique médiane de l’hypothalamus, qui régule les réactionsmaternelles instinctives. Elles accroîtraient aussi les connexions neuronales dansl’hippocampe, siège de la mémoire et de l’apprentissage. Les autres régions impli-quées dans le comportement maternel seraient le cortex cingulaire, les cortex pré-frontal et orbitofrontal, le noyau accumbens, l’amygdale, l’habenula latérale et lasubstance grise périaqueducale.

Placenta

Ess05-p008014_inst_mater_kinsley 1/02/11 16:07 Page 10

Page 13: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 11

centre d’intégration du renforcement et de larécompense, augmente lorsque la mère allaite sespetits. Par ailleurs, quand une souris mère peutappuyer sur une barre pour que des petits tom-bent dans sa cage, elle ne s’arrête pas avant que lacage ne soit pleine de petits souriceaux roses.

La tétée provoquerait aussi la libération depetites quantités d’endorphines chez la mère. Cesanalgésiques naturels agissant comme des dro-gues opiacées rendraient la mère « dépendante »de sa portée. Le contact des petits entraîne aussiune libération d’ocytocine, une hormone quiaurait un effet similaire sur la mère. Les femellesde rongeurs s’occuperaient de leur progénitureparce qu’il leur est agréable de le faire.

Qu’en est-il de la motivation chez la femme ?Jeffrey Lorberbaum, à la Faculté de médecine del’Université de Caroline du Sud, a examiné parIRMf le cerveau de mères écoutant les pleurs deleur bébé : l’aire préoptique médiane de l’hypo-thalamus et les cortex frontal et orbitofrontals’activent. Qui plus est, Andreas Bartels et SemirZeki, du Collège universitaire de Londres, ontmontré que les aires cérébrales qui régulent larécompense s’activent dès que les mères humai-nes regardent leur enfant.

Bouleversements cérébrauxassociés à la reproduction

Pour comprendre le fonctionnement des cir-cuits de l’instinct maternel, des neurobiologistesont étudié comment le cerveau femelle évolue àdifférents stades de la reproduction. Dans lesannées 1970, Marian Diamond, de l’Universitéde Californie à Berkeley, a travaillé sur le cortexde rates gestantes. Le cortex, la couche la plusexterne du cerveau, reçoit et traite l’informationsensorielle et contrôle les mouvements volontai-res. Les rats élevés dans des environnements sti-mulants, avec des roues, des jouets et des tun-nels, ont des cortex aux replis plus complexesque les rats élevés dans des cages nues. Toutefois,M. Diamond a découvert que le cortex de ratesgestantes issues d’environnements appauvris esttout aussi développé que celui de rates élevéesdans un environnement stimulant. Les hormo-nes et divers facteurs liés au fœtus stimuleraientle cerveau des rates gestantes.

Au milieu des années 1990, Lori Keyser, dansle laboratoire de l’un d’entre nous (CraigKinsley) à l’Université de Richmont, montra quele volume des corps cellulaires des neurones del’aire préoptique médiane de rates augmentedurant la gestation (voir la figure 2). De plus, lenombre et la longueur des dendrites (les prolon-gements des corps cellulaires qui reçoivent des

signaux nerveux) de ces neurones augmentent àmesure que la grossesse progresse. On observeles mêmes changements chez des rates nullipa-res traitées avec de la progestérone et de l’estra-diol, le plus puissant des estrogènes naturels ; cemélange reproduit les conditions normalesd’une gestation. Les hormones de la grossessestimuleraient les neurones de l’aire préoptiquemédiane afin d’anticiper les besoins liés à lamaternité : les neurones remodelés permet-traient à la mère de disposer de toute la panopliedes comportements maternels nécessaires pournourrir et protéger ses petits.

Cependant, le comportement maternel n’estpas restreint aux soins prodigués à la progéni-ture et d’autres régions cérébrales seraientmodifiées. Par exemple, une rate mère prend desrisques pour s’occuper de ses petits. Elle quittefréquemment la sécurité relative du nid pourchercher de la nourriture, ce qui l’expose (elle etses petits) aux prédateurs. Deux modificationscognitives faciliteraient les tâches de la mère :une amélioration de ses aptitudes à la chasse –par exemple, une meilleure reconnaissance deson environnement minimisant le temps passéhors du nid – ; et une diminution de la peur etde l’anxiété, qui l’aiderait à quitter le nid et luipermettrait de chasser plus vite.

En 1999, nous avons obtenu des résultatsétayant la première hypothèse : la reproductionaugmenterait l’apprentissage et la mémoire spa-tiale chez le rat. Les jeunes femelles ayant eu uneou deux portées sont plus performantes que les

2. Les corps cellulairesdes neurones de l’aire

préoptique médiane des rates nullipares

(en haut) sont plus petitsque ceux des rates gestantes (en bas).

Les hormones de la gestation stimuleraient

les neurones de l’airepréoptique médiane,

préparant la future mèreà sa nouvelle condition.

Avec

l’ai

mable

auto

risati

on d

’Else

vier (

Brai

n Re

sear

ch B

ulleti

n, 2

001)

Ess05-p008014_inst_mater_kinsley 1/02/11 16:07 Page 11

Page 14: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

12 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

nullipares du même âge quand il s’agit de sesouvenir de la localisation d’une récompensealimentaire dans deux tests : un labyrintheradial à huit branches (voir l’encadré ci-dessous),et une version modifiée du labyrinthe dit deMorris, c’est-à-dire un grand enclos circulairecontenant neuf puits de nourriture. On observeune amélioration des capacités de recherche denourriture chez les femelles allaitant et chez lesmères sevrées de leurs petits depuis plus de deuxsemaines. De plus, des femelles nullipares ayantreçu des petits obtiennent les mêmes résultatsque les mères allaitant : la simple présence de laportée stimulerait la mémoire spatiale, peut-êtreen activant certaines aires cérébrales ou endéclenchant la sécrétion d’ocytocine.

D’autres facultés des mères sont-elles égale-ment améliorées ? Les rates mères seraient plusrapides que les nullipares pour capturer desproies. Le test consiste à placer ces rates un peuaffamées dans un enclos de 1,5 mètre de côté ;sous les copeaux de bois recouvrant le sol estcaché un criquet. Les nullipares mettent enmoyenne 270 secondes pour trouver le criquet etle manger, alors que les femelles allaitantes y arri-vent en à peine plus de 50 secondes. Même lors-que les nullipares sont encore plus affamées oulorsque le bruit du criquet est masqué, les rates

mères s’emparent plus rapidement de la proie.Concernant notre seconde hypothèse, IngaNeumann, de l’Université de Regensburg enAllemagne, a montré que, confrontées à desdéfis, telle l’obligation de nager, les rates gestan-tes et allaitantes ont moins peur et sont moinsanxieuses (on l’évalue en mesurant leurs concen-trations sanguines en hormones du stress) queles rates nullipares. Qui plus est, les rates mèresexplorent davantage l’espace et s’immobilisentmoins souvent, deux marques d’audace. Par ail-leurs, l’activité neuronale diminue dans la régionCA3 de l’hippocampe et dans le complexe amyg-dalien basolatéral, deux régions contrôlant lestress et l’émotion. La diminution de la peur etdu stress et l’augmentation de sa mémoire spa-tiale permettent à la rate mère de quitter le nid,de chasser efficacement et de rentrer rapidementpour s’occuper de sa progéniture.

Les transformations de l’hippocampe, struc-ture essentielle à la mémoire, à l’apprentissage etaux émotions, seraient liées aux modificationscomportementales de la mère. Catherine Woolleyet Bruce McEwen, de l’Université Rockefeller, ontobservé des variations cycliques dans la régionCA1 de l’hippocampe au cours du cycle de l’es-trus de la rate (l’équivalent du cycle menstruel dela femme). Dans cette région, la densité des épi-

Étonnantes rates mères

D es expériences récentes suggèrent que la reproductionfavorise les capacités de reconnaissance spatiale et la

mémoire chez les rates, tout en diminuant l’anxiété et le stress.

Ces changements comportementaux amélioreraient les aptitu-des de la mère à la chasse, ce qui augmenterait les chancesde survie des petits.

Les chercheurs habituent d’abord les rates au labyrintheradial en plaçant un peu de nourriture dans chacun des huitbras, puis dans quatre, puis dans deux seulement, et pourfinir dans un seul. Ils regardent alors si les rates se souvien-nent du bras où se trouve la nourriture. Les rates mères qui ontdéjà donné naissance à au moins deux portées réussissent

l’épreuve du labyrinthe (c’est-à-dire qu’elles trouvent la nourri-ture en moins de trois minutes) dès le premier jour du test ; lesrates nullipares n’y parviennent qu’au septième jour de test.

- - - - - - - -

-

-

-

-

-

Nombre de succès

8

6

4

2

01 3 5 7 9 11 13 15

Jour du test

Rates mères

Rates nullipares Rate mère

Rate nullipare

Le labyrinthe radial à huit bras

Ess05-p008014_inst_mater_kinsley 1/02/11 16:07 Page 12

Page 15: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 13

nes dendritiques – de petites épines réparties lelong des projections neuronales qui permettentd’accroître la surface de réception des signaux –augmente avec la concentration en estrogènes.Étant donné les changements structurauxinduits par ces brèves fluctuations hormonales,comment l’hippocampe est-il remodelé au coursde la grossesse, lorsque les concentrations enestrogènes et en progestérone restent élevéespendant longtemps ? L’équipe de C. Kinsley aétudié le cerveau de rates à la fin de leur gestationet elle a montré que les épines dans le CA1 sontplus denses que chez les nullipares. Au cours dela gestation, cette augmentation du nombred’épines dendritiques favoriserait les capacitésd’apprentissage et de chasse des mères.

Des fluctuations hormonalesaux modifications neuronales

L’ocytocine, une hormone qui déclenche lescontractions et stimule la production du lait,agirait aussi sur l’hippocampe. Selon KazuhitoTomizawa et ses collègues de l’Universitéd’Okayama au Japon, l’ocytocine favorise l’éta-blissement de connexions durables entre lesneurones de l’hippocampe. Ainsi, des injectionsd’ocytocine dans le cerveau de souris femelles

nullipares amélioreraient leur mémoire à longterme. À l’inverse, l’injection d’inhibiteurs del’ocytocine dans le cerveau de rates mères per-turbe leurs performances mnésiques.

La maternité a-t-elle un effet sur les cellulesgliales, l’autre grande catégorie de cellules ner-veuses ? Dans le laboratoire de C. Kinsley,Gordon Gifford a examiné des astrocytes, descellules gliales qui apportent les nutriments auxneurones et leur servent de soutien. Il a constatéque les astrocytes de l’aire préoptique médianeet de l’hippocampe de rates en fin de gestation,allaitant ou ayant reçu un traitement hormonalsubstitutif, sont plus complexes et plus nom-breux que ceux des rates nullipares. À nouveau,les fluctuations hormonales augmenteraientl’activité neuronale au cours de la gestation, viaune modification des neurones et des cellulesgliales dans des régions essentielles à la mémoireet à l’apprentissage.

Ces bénéfices cognitifs perdurent-ils au-delàde la période de lactation ? Oui : des rates mèresde deux ans – l’équivalent de 60 ans pour unefemme – apprennent des tâches spatiales plusrapidement que des rates nullipares du mêmeâge. Quel que soit l’âge des rates (6, 12, 18 et24 mois), les mères se souviennent mieux de lalocalisation des récompenses alimentaires dans

- - - - -

-

-

-

-

-

-

Prop

ortio

n d

e te

mps

pas

sur

les

bran

ches

san

s re

bord 50

40

30

20

10

6 10 14 18 22

Âge (en mois)

Mère ayant une portée

Rate nullipare

Labyrinthe surélevé en forme de croixDans ce labyrinthe surélevé à plus de un

mètre au-dessus du sol, on mesure combien detemps les rates passent sur les deux branchessans rebord ; les rongeurs ont tendance à leséviter parce qu’elles sont élevées et exposées(contrairement aux deux branches fermées dulabyrinthe). À tous les âges, les rates mèressont plus téméraires que les nullipares, passantplus de temps sur les branches sans rebord.

0

Rate nullipare

Rate mèreSli

m Fil

ms

Ess05-p008014_inst_mater_kinsley 1/02/11 16:07 Page 13

Page 16: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

14 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

les labyrinthes que les nullipares. À la fin destests, l’examen du cerveau des mères a montréqu’il présente moins de dépôts de protéines pré-curseurs de l’amyloïde – qui jouerait un rôle dansla dégénérescence des neurones au cours du vieil-lissement – dans deux zones de l’hippocampe, larégion CA1 et le gyrus denté. D’autres tests com-portementaux ont confirmé que l’apprentissagespatial persiste chez des rates âgées ayant étémères. De surcroît, elles restent plus téméraires.

Les effets à long terme de la maternité

Cela a été étudié à l’aide d’un labyrinthe enforme de croix dont les branches sont surélevéeset dont deux d’entre elles n’ont pas de rebord etn’offrent aucune cachette si bien que les ron-geurs les évitent habituellement (voir l’encadréde la page 13). Or à presque tous les âges testés(jusqu’à 22 mois), les rates ayant été mères pas-sent plus de temps que les nullipares sur lesbranches sans rebord. Le cerveau de ces mèresprésente moins de cellules en dégénérescencedans les cortex cingulaire, frontal et pariétal, desrégions recevant de nombreuses entrées senso-rielles. Ainsi, les hormones qui baignent le cer-veau des rates gestantes et l’environnement sen-soriel riche du nid atténueraient certains effetsdu vieillissement sur la cognition.

Les femmes retirent-elles de leur grossesse etde la maternité des bénéfices cognitifs sembla-bles à ceux observés chez le rat ? Oui, les modi-fications des systèmes de régulation sensorielleseraient comparables à celles mises en évidencechez les autres animaux. Alison Fleming, del’Université de Toronto, a montré que, dans l’es-pèce humaine, les mères reconnaissent diversbruits et odeurs en relation avec leur nouveau-né, peut-être en raison d’une meilleure sensibi-lité sensorielle. Après l’accouchement, les mèresqui ont une concentration élevée en cortisolseraient plus attirées par l’odeur de leur bébé etdétecteraient mieux ses pleurs. Le cortisol, dontla concentration augmente généralement dansdes situations de stress, aurait un effet positifchez les jeunes mères : il augmenterait l’atten-tion, la vigilance et la sensibilité, renforçant lelien entre la mère et son enfant.

Existe-t-il des effets à long terme de la mater-nité ? Les femmes ayant accouché à l’âge de40 ans ou plus auraient quatre fois plus dechances de vivre jusqu’à 100 ans que des fem-mes ayant été mères plus jeunes. Ainsi, les fem-mes qui seraient enceintes vers 40 ans vieilli-raient plus lentement. Toutefois, nous pensonsque la grossesse et la maternité auraient stimulé

le cerveau de ces femmes au moment même oùles hormones de la reproduction commençaientà se raréfier. Les bénéfices cognitifs de la mater-nité auraient contrebalancé la perte des hormo-nes bénéfiques pour la mémoire, permettantainsi une meilleure survie des neurones et uneplus grande longévité.

La maternité rend-elle les femmes plus com-pétitives ? Certaines études se sont intéressées àune habileté associée à la maternité : la capacitémultitâches. Il est possible que les modificationscérébrales liées au comportement maternel per-mettent à la mère de jongler avec toutes ses obli-gations. Chez les rats, les mères sont effective-ment multitâches : elles sont plus performantesque les nullipares lorsqu’il s’agit de suivre simul-tanément des signaux visuels, des sons, desodeurs et d’autres animaux.

Les changements cérébraux associés au com-portement maternel permettent-ils aux mèresde mieux gérer les différentes contraintes aux-quelles elles sont soumises – éducation desenfants, travail, obligations sociales, etc. – parrapport aux femmes qui n’ont pas eu d’enfants ?On ignore la réponse, mais on sait que le cer-veau humain est remarquablement plastique : sastructure et son activité s’adapteraient lorsqu’onest confronté à un défi.

Et le cerveau des hommes ?Et pour finir, qu’en est-il du cerveau paternel ?

Les pères qui s’occupent de leurs enfants en reti-rent-ils un bénéfice mental ? L’étude de ouistitis,des petits singes brésiliens, apporte quelques élé-ments de réponse. Ces primates sont monoga-mes et les deux parents élèvent leur progéniture.Les mères et pères ouistitis apprennent plus faci-lement quel récipient contient le plus de nourri-ture, que des ouistitis non parents. Ces résultatsconfirment ceux obtenus pour une espèce desouris (Peromyscous californicus) chez laquelle lemâle contribue activement aux soins des petits :les souris pères, comme les mères, se repèrentplus facilement dans un labyrinthe. De plus, lespères explorent plus rapidement de nouveauxstimulus que leurs homologues célibataires.

Par conséquent, chez les mammifères, lareproduction modifierait le cerveau des parentsen favorisant l’apparition de nouvelles capacitéset de comportements spécifiques, particulière-ment chez les femelles, mais seuls les comporte-ments dont dépendent le bien-être et la survie dela progéniture seraient améliorés. Néanmoins,nombre de capacités cognitives favorisées par lamaternité trouvent des applications dans d’au-tres domaines. !

Bibliographie

K. Lambert et C. Kinsley,The neuroeconomics ofmotherhood : the costs

and benefits of maternal investment, in

The Neurobiology ofthe Parental Brain,

pp. 481-492,Academic Press, 2009.C. Kinsley et K. Lambert,

Reproduction-inducedneuroplasticity : natural

behavioral and neuronal alterationsassociated with the

production and care of offspring, in J.

Neuroendocrinology,vol. 20, pp. 515-525,

2008.M. Numan et T. Insel,The neurobiology of

parental behavior, inSpringer-Verlag, 2003.K. Lambert et R. Gerlai,

A tribute to Paul MacLean : the

neurobiological relevance of social

behavior, in Physiologyand Behavior, vol.

79(3), 2003.

Ess05-p008014_inst_mater_kinsley 1/02/11 16:07 Page 14

Page 17: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

À première vue, le cerveau a l’airsymétrique. Mais c’est une impres-sion trompeuse. Depuis plus d’unsiècle, les neurologues savent queles deux hémisphères cérébraux,

quoique semblables en apparence et reliés uni-quement par les fibres du corps calleux et descommissures, remplissent des tâches distinctes.Certes, les deux hémisphères coopèrent étroite-ment pour contrôler notre comportement, maisle côté gauche domine dans le domaine du lan-gage et le droit prend davantage en charge laperception de l’espace, le sens de l’orientation.Cette capacité du cerveau à répartir les tâchesentre ses hémisphères est qualifiée d’« asymétriecérébrale fonctionnelle » et n’est pas propre àl’homme. Elle est également présente chez denombreuses espèces animales.

Dans l’espèce humaine, une différence appa-raît entre les sexes. Tandis que les hommes uti-lisent préférentiellement leur hémisphère gau-che pour parler et leur hémisphère droit pourse repérer sur une carte, les femmes semblent

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 15

Le cerveau des femmes fonctionne de façon asymétrique avant l’ovulation, mais de façon symétrique après,ce qui change sa façon d’aborder les problèmes.

Les mystères du cerveau féminin

Le rôle des hormones

Markus Hausmannest psychologue à l’Université de Durham en Grande-Bretagne.Ulrich Bayerest psychologue dans l’équipe de M. Hausmann.

Raph

ael Q

ueru

el

1. Cherchez la différence... Les deux hémisphères sontpresque symétriques, mais leurs fonctions ne le sont pas.

Ess05-p015019_féminin_haussmann_brayer 1/02/11 16:13 Page 15

Page 18: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

16 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

utiliser leurs deux hémisphères à la fois. Le cer-veau des femmes est donc fonctionnellementplus symétrique que celui des hommes. Desméthodes d’observation, notamment l’élec-troencéphalographie et l’imagerie par réso-nance magnétique fonctionnelle (IRMf),confirment cette idée.

Comment expliquer ces différences de symé-trie ? D’un point de vue biologique, on penseimmédiatement au rôle des hormones sexuelles.Hommes et femmes possèdent les mêmes neuro-transmetteurs, mais à des concentrations diffé-rentes. Les hommes présentent des concentra-tions élevées d’hormones sexuelles mâles – lesandrogènes – dont la testostérone, égalementprésente chez les femmes, mais en quantité bien

plus faible. Les principales hormones sexuellesféminines sont l’estradiol (un estrogène) et laprogestérone. Les hormones sexuelles contrô-lent, en priorité, la procréation, mais elles sontégalement présentes dans le cerveau. Elles ypénètrent via la circulation sanguine, où elles ontde nombreux effets qui ne sont pas directementliés à la sexualité. Or les neurobiologistes mon-trent aujourd’hui que les différences de symétriecérébrale liées au sexe résultent au moins en par-tie de l’action des hormones sexuelles.

La recherche sur les hormones et le cerveaus’est surtout concentrée sur les femmes, parcequ’elles présentent des fluctuations importantesdes hormones au cours du cycle menstruel :pendant les règles, elles ne produisent que trèspeu d’hormones sexuelles féminines. Juste avantl’ovulation, la concentration d’estradiol aug-mente fortement (voir l’encadré ci-dessous), tan-dis que la concentration de progestérone restefaible. La progestérone n’atteint son pic qu’aprèsl’ovulation, en même temps qu’un second picd’estradiol. À la fin du cycle menstruel, laconcentration des deux hormones baisse à nou-veau. Les hommes sont de moins bons sujetsd’étude pour toutes ces questions liées aux hor-mones. Leurs concentrations hormonales res-tent quasi constantes, hormis quelques fluctua-tions quotidiennes ou saisonnières. Les neuro-biologistes profitent des variations hormonalesnaturelles enregistrées chez la femme pour étu-dier comment les hormones sexuelles modulentla symétrie fonctionnelle du cerveau.

Des femmes testéesau cours de leur cycle

Pour ce programme de recherche, nous avonsd’abord fait l’hypothèse que les femmes testéesavaient un cycle régulier de 28 jours. Mais nousavons rapidement dû nous rendre à l’évidence :la nature n’obéit pas souvent à ce schéma théo-rique. Chaque femme a sa propre durée decycle, et ces 28 jours ne sont qu’une moyenne.Nous avons donc été obligés de mesurer directe-ment les concentrations hormonales de nossujets pour déterminer avec précision à quellephase du cycle elles se trouvaient. Puis nous leuravons demandé de réaliser différentes tâches delangage et de repérage dans l’espace, d’une part,pendant les règles (où, nous l’avons évoqué lesconcentrations hormonales sont les plus bas-ses) ; d’autre part, juste après l’ovulation (lors-que ces concentrations sont élevées).

Comment mesurer l’asymétrie fonctionnellecérébrale des femmes ? On tente de stimuleralternativement chaque hémisphère, et d’ob-

Rythmes féminins : comment varient les hormones ?

L e premier jour des règles est considéré comme le début du cyclemenstruel de la femme. Pendant la menstruation (1), qui dure envi-

ron quatre à cinq jours, les hormones sexuelles sont présentes en fai-bles concentrations. Pendant la phase folliculaire (2), l’ovule commencesa maturation, tout comme les cellules folliculaires du tissu nourricierenvironnant, qui libèrent l’estradiol. L’endomètre, le tissu qui recouvrela paroi interne de l’utérus, s’épaissit, et la concentration de l’estradiolatteint son maximum au 14e jour, juste avant l’ovulation. Le folliculeéclate alors et libère l’ovule (3). Pendant l’ovulation, l’hormone lutéini-sante entraîne la transformation du tissu folliculaire en corps jaune,lequel, pendant la phase lutéale, libère la progestérone. Environ septà huit jours après l’ovulation, la concentration en estradiol atteint sonsecond pic, en même temps que la progestérone (4). Si l’ovule n’estpas fécondé, le corps jaune dégénère au cours de la phase prémens-truelle, les concentrations hormonales diminuent de nouveau (5). Lamuqueuse de l’endomètre est détruite et le saignement marque le débutd’un nouveau cycle. Ce dernier dure en moyenne 28 jours, mais cettedurée varie d’une femme à l’autre.

Con

cen

trat

ion

hor

mon

ale

rela

tive

Règles Phase folliculaire Ovulation Phase lutéale Phaseprémenstruelle

1 5 14 24 28

Estradiol

Hormonelutéinisante

Progestérone

1

23

4

5

Jours

Ess05-p015019_féminin_haussmann_brayer 1/02/11 16:13 Page 16

Page 19: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 17

server comment il réagit. Par exemple, on pré-sente, sur un écran d’ordinateur, des mots oudes formes géométriques qui n’apparaissentque dans la moitié gauche ou la moitié droitedu champ visuel. De là, ces informations nevont être perçues et traitées que par l’hémis-phère droit (qui perçoit la partie gauche duchamp visuel) ou par l’hémisphère gauche (quiperçoit la partie droite du champ visuel). Resteà savoir si l’un ou l’autre hémisphère est plusprompt que l’autre à traiter les informations.Nous demandions aux participantes de réaliserune tâche mentale rapide à partir de ce qu’ellesvoyaient (par exemple, comparer aussi vite quepossible la forme géométrique entrevue avecun mot situé au centre de l’écran). Plus la com-paraison était rapide, plus on pouvait endéduire que l’hémisphère cérébral ayant traitél’information était actif.

Nous avons alors vu apparaître des résultatsqui confortaient nos hypothèses. Pendant lesrègles, les femmes traitent l’information préfé-rentiellement avec leur hémisphère gauche.Elles ont un fonctionnement cérébral typique-ment masculin, qui sollicite surtout un hémis-phère. En revanche, après l’ovulation, quand lesconcentrations hormonales augmentent, lesdeux hémisphères cérébraux participent defaçon équilibrée au traitement de l’information.Quelle est l’hormone la plus importante, pour

déterminer le passage d’un mode à un seulhémisphère au mode à deux hémisphères ?D’après nos résultats, c’est la progestérone quijoue le rôle déterminant : plus la concentrationde progestérone est élevée, plus le cerveau opèrede façon symétrique, donc « féminine ».

Les hormones modulent le couplage entre hémisphères

D’où les hormones sexuelles tirent-elles leurcapacité d’agir sur le cerveau ? Elles intervien-nent vraisemblablement sur la façon dont leshémisphères cérébraux dialoguent, par l’inter-médiaire d’un faisceau de fibres qui les relie, etque l’on nomme corps calleux. Cette structurenerveuse (voir la figure 2) transmet des signauxactivateurs et inhibiteurs d’un hémisphère àl’autre, dans les deux sens, au moyen de plus de200 millions de fibres nerveuses.

Le fait qu’un hémisphère prenne l’ascendantsur l’autre dans la réalisation d’une tâche (parexemple, l’hémisphère gauche dans la compré-hension du langage, chez l’homme) résulte d’unmécanisme d’inhibition : par l’intermédiaire ducorps calleux, l’hémisphère gauche envoie dessignaux inhibiteurs à l’hémisphère droit, quiréduisent l’activité de ce dernier. L’inverse seproduit probablement lorsqu’on présente àquelqu’un des stimulus spatiaux, tels des figures

Comment stimuler un seul hémisphère cérébral ?

P our mesurer le degré d’asymétrie fonc-tionnelle cérébrale d’un individu, il est

possible de stimuler tour à tour son hémis-phère droit ou son hémisphère gauche. Lapersonne fixe le centre d’un écran d’ordina-teur où est d’abord projeté un mot ou unefigure géométrique (à gauche). Après unbref délai, une nouvelle figure apparaît, soitdans le champ visuel droit, soit dans sonchamp visuel gauche. Du fait que les nerfsoptiques se croisent dans le cerveau, seull’hémisphère opposé au côté où a été pré-sentée la figure perçoit le signal (à droite).Le sujet doit décider aussi vite que possibleen appuyant sur une touche si l’objet perçuest identique (I) à celui présenté juste avantau centre de l’écran, ou différent (D).

Généralement, l’être humain reconnaît lesmots plus vite s’ils sont apparus dans lechamp visuel droit, donc envoyés directe-ment à l’hémisphère gauche. C’est l’inversepour le traitement des figures géométriques.Ce

rvea

u &

Psyc

ho

En Bref• L’hémisphère gauche traite le langage, le droitassure les tâches spatiales.• Le cerveau fémininfonctionne plutôt de façon asymétriquequand les hormonessont peu concentrées(pendant les règles).Les deux hémisphèrescoopèrent davantageaprès l’ovulation.• L’asymétrie fonctionnelle ducerveau se manifeste surtout après la ménopause.

Ess05-p015019_féminin_haussmann_brayer 1/02/11 16:13 Page 17

Page 20: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

18 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

géométriques ou des visages. Dans ces condi-tions, c’est surtout l’hémisphère droit qui tra-vaille, tout en inhibant son homologue gauche.

Logiquement, les hormones sexuelles fémini-nes devraient réduire ce processus d’inhibition,ce qui aurait pour conséquence que les deuxhémisphères participent à parts égales au traite-ment de l’information.

Pour le vérifier, nous avons soumis nos parti-cipantes aux mêmes tests que précédemment,mais en enregistrant simultanément dans unscanner l’activité de diverses régions de leur cer-veau. Cette étude, réalisée en collaboration avecSusanne Weis et ses collègues de l’Universitéd’Aix-la-Chapelle, nous a permis de constaterque des régions du lobe frontal de l’hémisphère

gauche, dominantes pour la compréhension oula production du langage, inhibent les aires cor-respondantes de l’hémisphère droit, uniquementpendant les règles (voir la figure 3).

L’inhibition de l’hémisphère droit par le gau-che diminue quelques jours avant l’ovulation,lorsque la concentration d’estradiol augmente– les femmes présentent alors une organisationcérébrale symétrique. La question semble doncentendue : les hormones sexuelles influencentla communication entre les hémisphères etmodifient ainsi le degré d’asymétrie du cerveau.

Les hormones modifient la symétrie du cerveau

Mais malgré leur inhibition mutuelle, lesdeux hémisphères n’agissent pas l’un contrel’autre, mais l’un avec l’autre. De fait, l’hémis-phère dominant atteint rapidement les limitesde ses capacités lorsqu’il s’agit de traiter des pro-blèmes difficiles. Lorsque les deux hémisphèresse partagent le travail et échangent des informa-tions via le corps calleux, le cerveau est capablede trouver rapidement et efficacement une solu-tion, même aux problèmes les plus difficiles.

En 2008, nous avons décidé d’évaluer cetteintégration interhémisphérique, et avons à nou-veau présenté à nos participantes différentsobjets qu’elles devaient comparer avec un sti-mulus situé au centre de l’écran. Mais, dans cetteexpérience, nous leur présentions seulement desfragments d’images. Les deux hémisphèresdevaient par conséquent communiquer pourdécider rapidement si les objets correspon-daient. Comme prévu, nous avons observé desvariations tout au long du cycle menstruel : lesdeux hémisphères communiquaient davantageaprès l’ovulation, en présence de concentrationsimportantes d’estradiol et de progestérone.

Pour s’assurer que la cause de ces change-ments était bien la concentration des hormo-nes, nous avons élaboré une dernière expé-rience, réalisée avec des femmes ménopausées.Certaines d’entre elles prenaient des hormonesde substitution pour soulager des symptômesliés à la ménopause, tels que des bouffés de cha-leur, des troubles du sommeil ou l’ostéoporosequi peuvent survenir quand les concentrationsd’estradiol et de progestérone diminuent. Cetraitement hormonal substitutif, parfoiscontroversé en raison de ses éventuels effetssecondaires, donne aux neuroscientifiques lapossibilité d’étudier de façon contrôlée l’effetdes substances administrées.

Nos résultats ont montré que les femmesménopausées ne prenant pas d’hormones de

3. Certaines aires cérébrales frontales gauches s’activent lors du traitement dulangage (en rouge). Simultanément, les aires correspondantes du côté droit sont inhi-bées (en jaune). Tandis que l’asymétrie est présente en permanence dans le cerveau des hommes, elle n’est présente chez les femmes que pendant la période des règles.

2. Les deux hémisphères

communiquent par des faisceaux

de neurones nomméscommissures. La plus

volumineuse de ces connexions

interhémisphériques est le corps calleux.

Ess05-p015019_féminin_haussmann_brayer 1/02/11 16:13 Page 18

Page 21: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 19

substitution résolvent des tâches linguistiques etspatiales essentiellement avec un hémisphère,tout comme les femmes en période de menstrua-tion. Il en va de même lorsque les tests sont répé-tés deux ou trois semaines plus tard, probable-ment parce que les concentrations hormonalessont constantes chez les femmes ménopausées.

Vitesse contre fiabilitéEn revanche, l’asymétrie disparaît chez les

femmes qui prennent un traitement hormonalde substitution : le fonctionnement de leur cer-veau est symétrique, similaire à celui des fem-mes plus jeunes lors des phases où les concen-trations hormonales sont élevées. L’effet est par-ticulièrement prononcé chez les femmes quireçoivent des estrogènes. D’autres études ontrévélé que ce traitement affecte surtout le fonc-tionnement de l’hémisphère droit. En revanche,la communication entre les hémisphères semblerester relativement insensible aux hormoneschez les femmes plus âgées, contrairement auxeffets observés chez les femmes plus jeunes.

Quelles sont les conséquences des modifica-tions du cerveau par les hormones dans la vie detous les jours ? Quels avantages ou quels incon-

vénients procure un fonctionnement cérébralsymétrique ? En fait, les deux types d’organisa-tion ont leurs atouts : dans un cerveau organiséde façon asymétrique, les aires adjacentes inter-agissent étroitement. Les informations peuventêtre échangées par des chemins courts, de sortequ’un tel cerveau devrait travailler plus vitequ’un cerveau organisé de façon symétrique.Néanmoins, ce dernier devrait commettremoins d’erreurs puisque les deux hémisphèresparticipent à la résolution des problèmes, unemoitié pouvant compenser une défaillance del’autre. En d’autres termes : l’asymétrie procureune plus grande vitesse, la symétrie minimise leserreurs. La meilleure stratégie dépend desbesoins propres à chaque situation...

Il faut également garder à l’esprit que nos testsne reflètent pas des tâches concrètes de la vie quo-tidienne, qu’il s’agisse de conduire une voiture, defaire ses courses ou d’écrire une lettre. Ces résul-tats ne sont pas généralisables, et il serait erronéde conclure que les femmes résolvent certainsproblèmes plus ou moins bien en fonction deleurs concentrations hormonales, donc de lapériode de leur cycle menstruel. Le seul pointavéré est que les femmes n’abordent pas toujoursles problèmes de la même façon. !

N ombre de mythes et d’erreurs circulent au sujet des dif-férences psychologiques entre les sexes, et de la domi-

nance de l’hémisphère cérébral gauche ou droit. Les expé-riences neuropsychologiques montrent souvent une activitédifférente des deux hémisphères cérébraux, que l’on quali-fie de latéralisation. Il semble ainsi que le cerveau frontaldroit soit plus fortement impliqué dans les réactions émotion-nelles que son homologue gauche, et le lobe pariétal droitplus particulièrement activé pendant le traitement des nom-bres et de l’information spatiale. En revanche, les centres dulangage sont localisés dans l’hémisphère gauche.

Les mesures de l’activité cérébrale réalisées à l’aide detechniques d’imagerie ne font apparaître que le « sommetde l’iceberg », en ce sens qu’elles révèlent les régions céré-brales présentant la plus forte activation pour une tâche don-née. Cela ne signifie pas que le reste du cerveau soit inac-tif. Les hémisphères gauche et droit travaillent en perma-nence ensemble et se complètent. Parler de l’hémisphère« émotionnel-globalisant » droit par opposition à l’hémisphère« logique-analytique » gauche ne correspond sans doutepas vraiment à la réalité.

Les différences psychologiques entre les hommes et les fem-mes doivent être analysées avec la même prudence. Danscertains tests d’évaluation de l’intelligence, les hommesobtiennent statistiquement de meilleurs résultats que les fem-mes quand il s’agit de problèmes de constructions spatiales.

Ces dernières réussissent souvent mieux dans les tests liés aulangage. Toutefois, de telles différences sont infimes, puisqueles résultats obtenus par deux personnes du même sexe, pri-ses au hasard, diffèrent généralement plus que les comparai-sons statistiques entre hommes et femmes. Enfin, on ne peutanalyser que des moyennes et des valeurs statistiques. Lesstatistiques sont intéressantes, à condition de ne pas perdrede vue qu’elles décrivent les tendances des grands nombres,et non les qualités des individus.

Cerveau gauche et cerveau droit : mythes et réalités

Henr

ik W

inthe

r And

erse

n /

Shutt

ersto

ck

Bibliographie

S. Weis et al.,Estradiol modulatesfunctional brain organization during the menstrual cycle : an analysis of interhemispheric inhibition, in Journal ofNeuroscience, vol. 28,pp. 13 401-13 410,2008.U. Bayer et al.,Interhemispheric interaction across the menstrual cycle, in Neuropsychologia,vol. 46, pp. 2 415-2 422,2008.

Ess05-p015019_féminin_haussmann_brayer 1/02/11 16:13 Page 19

Page 22: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

«J e crois qu’une telle idée ne peut ger-mer que dans un cerveau féminin etnotamment le vôtre », disait l’inspec-teur Craddock à Miss Marple. Celle-ci lui répondit : « Il est possible que

cela vous irrite, monsieur l’inspecteur, que lescerveaux féminins soient parfois supérieurs àceux des hommes, mais il faudra malheureuse-ment vous y faire. »

Cette réplique tirée de l’adaptation cinémato-graphique du Train de 16h50 d’Agatha Christiemarqua, en 1961, une des premières attaquescontre une conviction fermement ancrée dansles esprits depuis des siècles : les hommesseraient intellectuellement supérieurs aux fem-mes. Ces clichés n’ont pas disparu, mais sont deplus en plus remplacés par un humour à doublesens : « Les hommes n’écoutent jamais ce qu’onleur dit » ou « Les femmes ne savent pas lire lescartes routières ».

En tout état de cause, hommes et femmes nepensent pas exactement de la même façon.En 1975, le spécialiste de sciences cognitives aus-tralien Max Coltheart a mis en évidence que leshommes et les femmes résolvent certaines tâchescognitives de façon différente. Il utilisa notam-ment le « test des sons », où il faut trouver deslettres de l’alphabet dont la prononciation com-porte un é : par exemple, b, c, d, g. Les femmessont plus rapides à ce test. Les hommes les sur-passent dans un autre test, où il faut dénombrerles lettres capitales présentant une partie arron-

die, par exemple B, P, Q, C… Ainsi, les hommesseraient avantagés lorsqu’il s’agit de reconnaîtredes formes géométriques, et les femmes lorsqu’ilfaut reconnaître des motifs sonores.

Ce n’est pas tout. En 2002, la neurobiologistecanadienne Doreen Kimura, de l’UniversitéSimon Fraser, créa de nombreux exercices ana-logues. Elle observa que, de façon générale, lesfemmes sont supérieures aux hommes dans lestests linguistiques, et les hommes supérieursaux femmes dans les tests de représentationspatiale. Ils se représentent plus aisément lesobjets en trois dimensions, et se montrent trèsadroits dans les exercices moteurs (lancer defléchettes sur une cible, par exemple) ou lesjeux consistant à attraper ou à renvoyer unobjet avec la main. Le cerveau doit coordonnerdes informations sur la localisation de la cible,la direction et la vitesse des mouvements desmains, des bras et de l’ensemble du corps. Plusl’objet à viser se déplace vite, plus l’analyse spa-tiale doit être rapide, ce que les hommes fontavec plus de facilité.

Les femmes brillent en revanche dans lestâches motrices de précision. Leur maîtriseminutieuse des muscles de leurs doigts fait mer-veille dès lors qu’il s’agit d’effectuer des mouve-ments complexes. Des expériences ont montréque cette faculté ne dépend pas de la taille de lamain ; ainsi, l’avantage des femmes dans cedomaine repose probablement sur des caracté-ristiques cérébrales (voir l’encadré page 22).

20 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

Les tests effectués pour évaluer les différences de capacitéscognitives liées au sexe font apparaître des spécificités, mais n’oublions pas que les résultats sont statistiques !

Spécificités cognitives

Le rôle des hormones

Markus Hausmannest psychologue à l’Université de Durham en Grande-Bretagne.

En Bref• Les tests de langage,de perception, de représentation spatiale révèlent des différences liéesau sexe.• Les femmes réussissent mieux quand on évaluela vitesse de perception ou la coordination des mouvementsde précision.• Les hommes se distinguent quand on teste la vision dans l’espace ou le raisonnement.

Ess05-p020022_asymétrie_haussmann 3/02/11 14:58 Page 20

Page 23: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

Devant l’avantage des hommes pour le traite-ment dynamique des données relatives à la posi-tion spatiale des objets en mouvement, les neu-roanatomistes se sont mis en quête de différen-ces dans la structure du cerveau. Ainsi, ils décou-vrirent en 1997 que le cerveau de la femme esten moyenne de 10 à 15 pour cent plus petit quecelui de l’homme, et aussi plus léger. Une telledifférence n’est pas seulement imputable àl’écart de stature entre l’homme et la femme. Lesneurologues danois Bente Pakkenberg et HansGundersen ont estimé, d’après des mesures postmortem, que le cortex cérébral féminin contientenviron 3,5 milliards de cellules nerveuses demoins que celui de l’homme !

Soulignons d’emblée que ces chiffres nesignifient pas que les femmes soient moinsintelligentes que les hommes. Le quotient intel-lectuel n’est que faiblement lié à la taille du cer-veau. Les connexions des neurones sont plusimportantes que leur nombre. Par exemple, cer-taines personnes, dont le cerveau n’atteint quela moitié de la masse cérébrale moyenne(1 350 grammes), ont une intelligence normale.Examinons le cerveau plus en détail, des neuro-logues ont découvert que quelques amas deneurones de l’hypothalamus, nommés noyaux,

sont de tailles très différentes chez l’homme etla femme. Cette zone cérébrale participe aucontrôle du système hormonal et influe sur lecomportement sexuel et la reproduction.

Les faisceaux de fibres nerveuses reliant lesdeux hémisphères cérébraux sont organisés dif-féremment chez l’homme et chez la femme. Cesliaisons, nommées commissures, assurent lacommunication des deux hémisphères. La plusimportante, le corps calleux, est constituée dequelque 200 millions de fibres nerveuses ; lazone postérieure du corps calleux véhicule descourants électriques plus intenses chez lafemme que chez l’homme. Cela suggère que leshémisphères interagissent plus fortement chezles femmes que chez les hommes. De surcroît,chez les femmes, les deux hémisphères se ressem-blent plus, anatomiquement, que chez les hom-mes, chez qui certaines structures des hémis-phères se distinguent très nettement par leurtaille ; quelques sillons cérébraux diffèrent éga-lement par leur forme et leur tracé. L’asymétriecérébrale est plus marquée chez l’homme.

Reste une question pour les passionnés de« combat des sexes » : quelle est la meilleureorganisation, symétrique ou asymétrique ?Comme nous l’avons évoqué (voir Les mystères

© L’Essentiel n° 5 - février - avril 2011 21

Dans le filmLe train de 16 h 50,

Miss Marple, l’héroïned’Agatha Christie

sacrifie au cliché de la femme au fourneau

pour masquer sa perspicacité.

Cine

text,

Mar

gare

t Ruth

erfo

rd d

ans «

Le tr

ain

de 1

6 h

50»

Ess05-p020022_asymétrie_haussmann 3/02/11 14:58 Page 21

Page 24: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

Hommes et femmes : le grand test

22 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

du cerveau féminin, page 15), un cerveau asy-métrique a l’avantage de traiter rapidement lesinformations dans des aires cérébrales voisines,sans avoir besoin de les transmettre d’unhémisphère à l’autre. Plus les aires cérébralesd’un ensemble neuronal sont proches, plus ellestraitent les informations rapidement.

Par ailleurs, l’organisation cérébrale symétri-que est moins vulnérable aux lésions cérébra-les, puisqu’il y a toujours une zone cérébrale« de rechange » de l’autre côté : le neurologueStefan Knecht et ses collègues, de l’Universitéde Munster, ont appliqué un champ magnéti-que externe qui perturbe les aires cérébrales dulangage, uniquement dans l’un des hémisphè-res. Ces ondes brouillent l’activité neuronale, cequi équivaut à une destruction temporaire desfonctions normalement contrôlées par les zonesinactivées. Ils ont observé que les sujets sontd’autant plus gênés pour parler, que le traite-ment du langage est assuré de façon prépondé-rante par l’un des deux hémisphères.

Mais rappelons que les travaux expérimen-taux qui évaluent les capacités cognitives le fontgénéralement sous un angle restreint, parfoistrès éloigné de la vie quotidienne. De surcroît,on observe de nombreuses différences entre lesindividus : les hommes ont souvent d’excellen-tes capacités verbales et de nombreuses femmesdes capacités de représentation spatiale aussibonnes que les hommes. Les différences entre lessexes se rapportent toujours à la moyenne degroupes de femmes et d’hommes participantaux études. Et force est de constater que les dif-férences au sein d’un même groupe – d’hommesou de femmes – dépassent le plus souvent trèslargement les différences entre les sexes.

La science travaille sur des statistiques, au ris-que de faire oublier que ce sont les qualités per-sonnelles d’un individu qui influent sur ses per-formances. En résumé, la structure cérébrale etles hormones sont seulement quelques-uns desnombreux « ingrédients » qui façonnent chaqueindividu. !

Bibliographie

M. Hirnstein et al., TMSover the left angular

gyrus impairs the abilityto discriminate left from right,

in Neuropsychologia,vol 49, pp. 29-33,

2011.S. Ocklenburg et al.,

Auditory space perception in left- andright-handers, in Brain

and Cognition, vol. 72,pp. 210-217, 2010.

Dans les deuxième et troisième cases, l’objet de lapremière case a-t-il été déplacé ou supprimé ?

L Légume, lampe, lentille,ligne, lieu, linge, logique,logement, loup, lunette

Fluidité des idées et des mots : citez tous les objetsvous passant par la tête, et commençant par L.

7743

14 X 3 – 17 + 522(15 + 3) + 12 – 15/3

Opérations : additions, soustractions, multiplications, divisions.

1100Combien d’arbustes faut-il planterpour obtenir 660 arbres adultes,sachant que seulement 60 pourcent des arbustes survivent ?

Déductions, raisonnements mathématiques.

Où seront les deux trous si je déplie la feuille ?

Exercices de représentation et de rotation spatiale : faitessubir mentalement une rotation à cet objet tridimensionnel.

Tests où les femmes excellent Tests où les hommes excellent

Tests de vitesse de perception : il faut associer leplus vite possible les deux motifs identiques, ici lapremière et la quatrième maison.

Tests de coordination des actes de précision : placertrès vite des crayons dans les trous d’une planche.

Lancer d’objets, visée.

Identifier des formes simples dans unemultitude de structures superposées.

Ess05-p020022_asymétrie_haussmann 3/02/11 14:58 Page 22

Page 25: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

abo_grd.xp 1/02/11 18:13 Page 1

Page 26: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

M artin Oppenheimer, père dedeux fillettes, travaille à tempspartiel et s’occupe de ses enfants.« Lorsque je me promène dans larue avec un bébé sur la poitrine

et l’autre dans sa poussette et que je passe prèsd’un groupe de mères, elles sont d’abord stupé-faites, puis me sourient. »

Le rôle des pères a beaucoup évolué depuis50 ans. En 1965, aux États-Unis, les pères pas-saient en moyenne 2,6 heures par semaine às’occuper de leurs enfants. En 2000, ce chiffreatteignait 6,5 heures. Aujourd’hui, il y a trois foisplus de pères au foyer qu’il y a dix ans, et lesfamilles où le père élève seul ses enfants se mul-tiplient. « Dans les années 1970, quand j’ai com-mencé à étudier les comportements des pères etdes mères, la majorité des pères n’avaient jamaisdonné le bain à leurs enfants, ni même changéune couche » se souvient le psychologue MichaelLamb de l’Université de Cambridge.

Pendant des années, les sociologues ontconsidéré les pères comme des suppléants sus-ceptibles de remplacer la mère lorsqu’elle n’étaitpas disponible. Mais, aujourd’hui, on admetque les pères sont bien plus que des mères derechange. Les scientifiques montrent même queles pères sont biologiquement aussi sensibles àleurs enfants que les mères, même s’ils interagis-

sent avec eux de façon différente. En particulier,ils semblent stimuler davantage leurs capacitésémotionnelles et cognitives, les préparant àaffronter le vaste monde. Dans un article paruen 1958, le psychiatre britannique John Bowlbyproposa une idée, alors très controversée, maisque l’on connaît aujourd’hui sous le nom dethéorie de l’attachement : selon cette théorie,pour se développer correctement, les enfantsont besoin d’une relation stable et rassuranteavec un adulte, adulte qui pour lui était la mère.

Modifications biologiqueschez les jeunes pères

Mais, dans les années 1970, quelques étudescommencèrent à s’intéresser aux pères et mon-trèrent qu’ils sont tout aussi capables que lesmères de prendre soin de leurs enfants. Lespères savent quand leurs nourrissons ont faimou sont fatigués, et y répondent de manièreappropriée. Les hommes et les femmes présen-tent les mêmes réactions physiologiques– modification de la fréquence cardiaque ou dela respiration, notamment – quand leur nou-veau-né pleure. Tout comme les mères, les pèresdont les yeux sont bandés sont capables dereconnaître leur bébé dans une crèche simple-ment en touchant les mains des petits.

24 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

Les pères aussi subissent des modifications biologiques après la naissance d’un bébé. Leur apport à l’enfant est

différent de celui de la mère : le développement du langage et l’apprentissage du risque seraient plus de leur ressort.

Les nouveaux pères

Le rôle des hormones

Emily Anthesest journaliste scientifique et médicale.

En Bref• Depuis environ50 ans, la paternité a beaucoup évolué. Les pères passent deux à trois fois plusde temps à s’occuperde leurs enfants.• Chez les jeunespères, la concentrationde prolactine augmente, celle de la testostérone diminue.• Les pères favorisent,chez leur enfant,l’acquisition du langage et certainescapacités cognitives.Ils les encouragent à prendre des risques.• Certaines mères ont des difficultés à partager les soinsaux petits, surtout si elles ont une faibleestime de soi.

Ess05-p024029_nouv_pere_anthes.xp 2/02/11 10:16 Page 24

Page 27: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n°5 – février - avril 2011 25

Les biologistes ont également montré que lespères et les futurs pères subissent des modifica-tions physiologiques, comme la femme enceinte.Par exemple, une étude publiée en 2000 par lapsychologue Anne Storey et ses collègues, del’Université Memorial du Newfoundland auCanada, a montré que les futurs pères ont desconcentrations élevées de prolactine, une hor-

mone qui augmente beaucoup chez les jeunesmères et favorise la production de lait. Les cher-cheurs ont également découvert que le taux detestostérone des pères diminue d’environ un tiersau cours des premières semaines qui suivent lanaissance de l’enfant, un changement qui pour-rait rendre les pères moins agressifs et plus prêtsà s’occuper de leur enfant. Une étude publiée

1. Les jeunes pères subissent

des modifications biologiques qui,

par exemple, réduisent la testostérone et, par

conséquent, l’agressivité.

© Tim

Gar

cha

/Co

rbis

Ess05-p024029_nouv_pere_anthes.xp 2/02/11 10:16 Page 25

Page 28: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

26 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

en 2001 a révélé que les jeunes pères ont desconcentrations de testostérone inférieures à cellesdes hommes du même âge. Les pères peuventmême souffrir de dépression post-partum : dansune enquête de 2005 réalisée auprès de 26 000jeunes mères et pères, le psychiatre PaulRamchandani, de l’Université d’Oxford, a établique quatre pour cent des pères présentaient dessymptômes de dépression au cours des huitsemaines qui suivaient la naissance de leur enfant.

Au-delà des réactions physiologiques, qu’enest-il des comportements ? Généralement, lesmères prodiguent soins et réconfort aux nour-rissons, tandis que les pères passent plus detemps à jouer avec les enfants. Les études réali-sées durant les années 1970 et 1980 montrentque c’est le cas dans beaucoup de pays. LynCraig et ses collègues, du Centre de recherche ensciences sociales de l’Université de Nouvelle-Galles du Sud, ont montré que les pères austra-liens passent environ 40 pour cent de leur tempsà jouer et à lire avec leurs enfants, contre22 pour cent pour les mères.

Dès l’âge de deux mois, les bébés perçoiventcette différence. Quand une mère prend sonenfant dans les bras, il se calme : son rythmecardiaque et sa fréquence respiratoire dimi-nuent. Lorsque c’est son père qui le prend, c’estle contraire : le bébé s’attend à jouer.

Cela tiendrait peut-être à une forme de divi-sion du travail : dans son étude, L. Craig aobservé que les mères passent 51 pour cent dutemps consacré à leur enfant à les nourrir, bai-gner, bercer et consoler, alors que les pères n’ypassent que 31 pour cent de ce temps. Si les mèresassurent l’essentiel des soins, les pères ont plutôt

tendance à jouer avec eux. Mais comme ils pas-sent globalement moins de temps que les mères às’occuper de leurs enfants, le nombre d’heurespassées à jouer avec eux n’est pas supérieur à celuique consacrent les mères aux activités ludiques.

La division du travail expliquerait en partiecette répartition des tâches au sein du couple.Dans les sociétés où les hommes s’occupent plusdes enfants – par exemple chez les chasseurs-cueilleurs Aka d’Afrique centrale, où les pèressont des partenaires à part égale avec les mèresdans l’éducation des enfants –, ils passent unemoins grande proportion de leur temps à jouer.En revanche, dans beaucoup de pays industriali-sés, les normes socioculturelles font que les pèresse sentent plus à l’aise quand il s’agit de joueravec les enfants que de les bercer pour qu’ils s’en-dorment. Ainsi, bien que les hommes soient bio-logiquement câblés pour prendre en charge lesdifférents aspects du rôle de parent, pour des rai-sons culturelles ils finissent par se spécialiser et àlimiter leur contribution. Notons que la situa-tion évolue, notamment dans les jeunes couples.

Les pères préfèrent les jeux plus risqués

Par ailleurs, les jeux que les pères partagentavec leurs enfants diffèrent de ceux des mères.Diverses études ont montré que les pères préfè-rent les jeux plus physiques. En 1986, des psy-chologues ont demandé aux parents de plus de700 enfants à quoi ils jouaient avec leursenfants : les pères aiment bien les faire sauter surleurs genoux, les jeter en l’air, les promener surleur dos, se bagarrer, les chatouiller ou chercherà les attraper. Les mères préfèrent les jeux pluscalmes. En 2009, le psychologue américainFergus Hughes a montré que les mères aimentchanter des chansons ou des comptines et pré-fèrent les jeux classiques. Les pères cherchent àinnover, imaginant de nouvelles utilisations desjouets, essayant de surprendre et d’intéresser lesenfants, ce qui pourrait stimuler leur dévelop-pement cognitif.

Les pères encouragent aussi leurs enfants àprendre des risques physiques. En 2007, la psy-chologue Catherine Tamis-LeMonda et ses collè-gues de l’Université de New York ont présentéaux parents de 34 nourrissons un plan inclinédont la pente était ajustable. Ils ont demandéséparément à chaque mère et à chaque père dedéterminer l’inclinaison maximale de la planchepour que leur enfant puisse la descendre à qua-tre pattes. Puis les chercheurs ont fait le test avecles bébés : la plupart des mères et des pèresavaient surestimé les capacités de leur enfant.

2. Les pèresn’interagissent pas avec leurs enfantscomme les mères, préférant chahuter quefaire des câlins ou des coloriages.

Stock

Lite

/ Sh

utter

stock

Ess05-p024029_nouv_pere_anthes.xp 2/02/11 10:16 Page 26

Page 29: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 27

Ensuite, ils ont demandé aux parents de donnerà la planche l’inclinaison maximale sur laquelleils autoriseraient leur bébé à descendre s’ilsétaient présents à l’autre bout de la pièce :41 pour cent des pères auraient permis à leurenfant de s’aventurer sur une pente encore plusinclinée que celle choisie durant la première par-tie de l’expérience. Seulement 14 pour cent desmères ont incliné la planche davantage. Ainsi,l’équilibre serait assuré par la complémentaritédes parents : la mère plus prudente et le pèreincitant à prendre quelques risques (calculés !).

Les pères ont tendance à encourager leursenfants à être plus endurants physiquement etplus téméraires, sans doute pour les prépareraux défis qu’ils auront à affronter dans leur vie.Une expérience a été réalisée en 1995 : elle visaità étudier le comportement de parents quiavaient inscrit leur enfant âgé de un an à uncours de natation. Les chercheurs ont observéque les pères tenaient plutôt leur bébé pourqu’ils puissent voir le bassin, tandis que lesmères se tenaient en face de leur enfant, établis-sant un contact visuel direct avec lui.

En plus de préparer émotionnellement leursenfants à de nouveaux défis, les pères stimulentleurs capacités cognitives – en particulier leurshabiletés verbales. En 2006, la psychologueLynne Vernon-Feagans et ses collègues del’Université de Caroline du Nord à Chapel Hillont étudié des enfants âgés de deux ans jouantavec leur père et leur mère. Ils ont constaté queles pères étaient moins loquaces avec leursenfants, parlant moins et prenant moins sou-vent la parole que les mères. Pourtant, le voca-

bulaire employé par les pères – et pas celui desmères – semble être lié au niveau du langage desenfants quand ils sont âgés de trois ans. Plus lesracines de mots utilisés par les pères avec leurenfant âgé de deux ans étaient variées meilleurétait le score de l’enfant à un test standard d’ex-pression un an plus tard. La richesse du vocabu-laire de la mère ne semblait pas avoir d’effet surle score des enfants.

Effets de vocabulaireCette influence particulière viendrait de la

façon dont les pères parlent à leurs enfants.L. Vernon-Feagans a montré que les pères utili-sent des mots moins courants que les mèreslorsqu’ils parlent à leurs enfants. Les mèresemploient davantage de mots dont la connota-tion est liée aux émotions, et leurs mots sontplus simples. Les pères parlent plutôt de sport,de voitures et de sujets que les mères abordentmoins souvent. Cette découverte est en accordavec des résultats plus anciens qui suggéraientque les mères ont tendance à « parler bébé » avecleurs enfants, s’adaptant à leurs capacités langa-gières (ou du moins à ce qu’elles croient être cescapacités). Au contraire, les pères connaîtraientmoins bien le vocabulaire de leur enfant (peut-être parce qu’ils passent moins de temps aveceux) et chercheraient moins à « se mettre à leurniveau » ; ils leur parleraient avec un vocabulaireplus riche, ce qui les stimulerait.

Dans une étude datant de 2004, la psychologueMeredith Rowe, de l’Université du Maryland, etses collègues ont montré que les pères de familles

Nick

Stub

bs /

Shu

tterst

ock

Blue

Ora

nge

Studi

o /

Shutt

ersto

ck

3. Les pères et les mères privilégient des activités ludiques diffé-rentes. Les pères encouragent leurs enfants à prendre des risques phy-siques, ce qui les prépare sans doute aux situations difficiles qu’ilsauront à affronter dans leur vie. Les mères passent 22 pour cent du

temps qu’elles consacrent à leurs enfants à d’autres types d’activités :la lecture, les jeux calmes, le dessin. Les pères passent 40 pour centdu temps consacré aux enfants à jouer, mais le temps total consacréaux enfants est inférieur à celui des mères.

Ess05-p024029_nouv_pere_anthes.xp 2/02/11 10:16 Page 27

Page 30: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

28 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

des milieux défavorisés posaient davantage dequestions à leurs enfants (qui, quoi, où, pour-quoi), et demandaient plus souvent des expli-cations, peut-être parce qu’ils avaient plus demal que les mères à les comprendre. De sorteque pour leur répondre, les petits faisaient desphrases plus longues et utilisaient un vocabu-laire plus riche que pour parler à leur mère.

Le fait d’être exposé à un langage plus com-plexe influence favorablement le développe-ment du langage de l’enfant. En 2002, la psy-chologue Janellen Huttenlocher et ses collèguesde l’Université de Chicago ont remarqué unlien entre la complexité de la syntaxe utiliséepar un enfant et celle de ses parents : les enfantsutilisent d’autant plus de phrases complexes(notamment avec des propositions relatives)que leurs parents le font. Le père aurait doncune influence notable dans l’acquisition de lagrammaire et du vocabulaire de ses enfants.Enfin, de nombreuses études ont montré quela quantité totale des mots auxquels les enfantssont exposés – quand les adultes leur parlentou leur lisent des histoires – a un puissant effetpositif sur l’acquisition du langage.

Un partage des tâches bénéfique à tous

Les pères n’ont peut-être pas conscience del’influence qu’ils ont dans le développementde leur enfant et du fait qu’ils cherchent par-fois à s’en décharger. Mais l’absence d’interac-tions avec le père a des conséquences quanti-fiables sur les enfants. En 2009, le psychologueJames Paulson et ses collègues de la Faculté demédecine de l’Université de Virginie de l’Estont évalué 4 109 familles pour déterminerdans quelle mesure le fait qu’un des deuxparents soit dépressif influençait le nombred’histoires lues aux enfants.

Les parents qui étaient déprimés lorsqueleur enfant avait neuf mois lisaient moinsd’histoires à leur petit que les parents qui nel’étaient pas. Cependant, quand il s’agissait dela mère, la différence était faible et ne pertur-bait pas le développement du langage de l’en-fant. Au contraire, quand c’était le père quiétait déprimé, les conséquences étaient tangi-bles. Moins les pères lisaient d’histoires à leurenfant, moins les petits de deux ans avaient debons scores aux tests d’évaluation du langage.Lorsqu’un père est déprimé, il est plus proba-ble qu’il limite les interactions et se désengagede sa tâche éducative. La dépression a desconséquences sur le comportement paternel etsur l’acquisition du langage chez le petit.

Cerveau de père

O n sait que donner naissance à des petits ou s’en occuper stimuleles capacités cognitives des mères, augmentant, par exemple,

leur capacité à trouver de la nourriture. Mais des recherches récentessuggèrent que ces bénéfices ne sont pas limités à la mère. La neuros-cientifique comportementaliste Kelly Lambert et ses collègues duCollège Randolph-Macon, à Ashland, en Virginie, ont testé les capaci-tés mentales de pères et de mâles célibataires d’une espèce de sourisoù les mâles participent naturellement aux soins prodigués aux petits.Ils ont observé que, par rapport aux rongeurs célibataires, les pèresapprennent plus vite à découvrir de la nourriture dans un labyrinthe.Les pères étaient aussi plus à l’aise dans des situations nouvelles, pré-sentant moins de stress en présence de stimulus nouveaux.

Ces différences de comportement semblent ancrées dans le cerveaudes pères. L’équipe de K. Lambert a découvert plus de modificationscellulaires dans l’hippocampe, une région cérébrale impliquée dansl’apprentissage et la mémoire, dans le cerveau des pères que danscelui des célibataires. Qui plus est, le cerveau des pères – ainsi quecelui des pères adoptifs, qui se sont occupés des petits d’un autre mâlependant plusieurs jours – contenait plus de fibres nerveuses sensiblesà l’ocytocine et à la vasopressine (hormones associées aux comporte-ments de soins prodigués aux petits) que les mâles qui n’étaient pasexposés aux nouveau-nés.

D’autres données suggèrent qu’une augmentation similaire descapacités cognitives se produirait chez les primates pères. En 2006,l’équipe de la neuroscientifique Elizabeth Gould, de l’Université dePrinceton, a rapporté que lorsque les singes marmousets deviennentpères, des neurones de leur cortex préfrontal, une région cérébraledédiée à la planification et à la prise de décision, s’interconnectentdavantage et produisent plus de récepteurs à la vasopressine, ce quisuggère une augmentation des capacités cognitives.

Les modifications comportementales et biologiques découvertes chezces rongeurs et ces primates devenus pères sont similaires à celles queles chercheurs ont observées chez les mammifères qui deviennentmères. Mais étudier les pères est important – et pas seulement parceque leur biologie diffère de celle des femelles. Chez les mères, leschercheurs doivent distinguer les effets de la gestation de ceux dematernage. Chez les mâles, il n’y a que les soins de...« paternage ».

Certaines souris mâles s’occupent non seulement de leur progéniture, mais aussi de celle des autres. Chez ces espèces, être un père confère des avantages : cela augmente certaines de leurs capacités cognitives.

Ess05-p024029_nouv_pere_anthes.xp 2/02/11 10:16 Page 28

Page 31: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n°5 – février - avril 2011 29

Les enfants dont le père est stable et impliquéont de meilleurs résultats lors des tests cognitifs,émotionnels et d’adaptation sociale. Par exem-ple, un fort investissement du père est associé àdes enfants plus sociables, qui ont davantageconfiance en eux, qui se contrôlent mieux, sontplus sages à l’école et ont moins de comporte-ments à risque à l’adolescence. Des hommescomme M. Oppenheimer qui partagent la chargeparentale avec leur épouse trouvent beaucoup desatisfactions à assumer pleinement leur rôle depère, et les femmes dont le partenaire assure unepart notable de l’éducation des enfants se sententbien dans leur couple, sont moins stressées etapprécient encore plus leurs enfants.

Quand la mère empêche le père de s’impliquer

Les psychologues ont constaté que dans denombreux cas, les mères sont tout aussi respon-sables que les pères – voire davantage – de l’im-plication (ou de la non-implication) du père.Ainsi, les mères parviennent à conformer nonseulement leur propre relation avec leursenfants, mais aussi celle que les enfants entre-tiennent avec leur père. Parfois, elles usent de cepouvoir pour empêcher les pères de s’impliquer,en se comportant comme des « gardiennes » deleurs enfants. Certaines mères établissent un lientellement fort avec leurs enfants qu’elles laissentpeu de place au père. Dans certains cas, ellessont tellement angoissées par l’éducation deleurs enfants qu’elles ont besoin d’en garder uncontrôle total. Ou encore, certaines veulent sim-plement que la maison soit le lieu où elles peu-vent affirmer leur autorité et leur pouvoir.

En fait, ce sont souvent les femmes qui ontune faible estime d’elles-mêmes qui se compor-tent comme des gardiennes : la maternité estalors pour elles une façon d’être valorisées.En 2008, la psychologue sociale Ruth Gaunt etses collègues de l’Université Bar-Ilan en Israëlont rendu visite à 209 couples ayant de jeunesenfants ; ils ont demandé à la mère et au père derépondre à un questionnaire évaluant les com-portements des parents, leurs valeurs ainsi quedivers traits de personnalité. Ils ont mis en évi-dence certains traits de personnalité des mères-gardiennes. Celles qui ont une faible estime desoi pensent souvent que leur mari ne sait pass’occuper de leur enfant, et qu’il faut donc mieuxqu’elles s’en chargent, ou encore que le rôle desfemmes est de s’occuper de la maison et desenfants, mais que ce n’est pas celui des hommes.

Une autre étude a confirmé l’influence de lamère dans l’implication du père. En 2008, la psy-

chologue Sarah Schoppe-Sullivan de l’Universitéd’État de l’Ohio a étudié 97 couples après la nais-sance de leur premier enfant. Elle a constaté quedans les familles où les mères critiquent souventles pères – par exemple en levant les yeux au cielou en faisant la moue quand leur conjoint veuts’occuper de l’enfant –, les pères se désengagent.Mais lorsque les mères encouragent le père – enlui disant que le bébé est tout content que sonpère s’occupe de lui, ou en lui demandant sonavis sur des questions d’ordre pratique ou éduca-tif –, les pères s’engagent beaucoup plus.

De plus, permettre aux pères de prendre partaux soins durant les premiers jours de la vie d’unenfant a des effets bénéfiques encore plus dura-bles. De nombreuses études ont montré que lespères impliqués dès la naissance du bébé conti-nuent à participer davantage ultérieurement.Dans une étude datant de 1980, des psychologuesavaient examiné le père d’enfants nés par césa-rienne ; durant quelques jours, les mères ne pou-vaient pas s’occuper totalement du petit, de sorteque leur conjoint en prenait davantage soin aprèsla naissance. Des mois plus tard, ces pères étaienttoujours plus impliqués que les hommes dont lescompagnes n’avaient pas eu de césarienne.

Comprendre ce que le père apporte au nou-veau-né peut améliorer la dynamique familiale,mais aussi aider les psychologues à identifier lesmultiples influences nécessaires au bon déve-loppement des enfants. Les psychologuessavent assez bien ce que la mère apporte à sonpetit et découvrent progressivement les diffé-rentes facettes de l’apport du père. Quand onaura répertorié toutes ces influences, onconnaîtra mieux les ingrédients nécessaires àun nouveau-né pour qu’il devienne un adulteheureux et accompli. !

4. Les mères qui ontune faible estime

d’elles-mêmes critiquent plus le père qui cherche

à s’impliquer dans l’éducation des enfantsque ne le font les mères

qui sont sûres d’elles-mêmes.

Glad

skikh

Tatia

na /

Shu

tterst

ock

Bibliographie

K. Pruett et al.,Partnership Parenting,

Da Capo Press, 2009.M. Lamb et al., The Role

of The Father in ChildDevelopment, 4e éd.,

John Wiley & Sons,2004.

R. Parke, Fathers, families, and the

future : A plethora of pausible predictions,

in Merrill-PalmerQuarterly, vol. 50(4),

pp. 456-70, 2004.

Ess05-p024029_nouv_pere_anthes.xp 2/02/11 10:16 Page 29

Page 32: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

E n janvier 2005, Lawrence Summers,alors président de l’Université Harvard– il est aujourd’hui chef du Conseiléconomique de Barack Obama –, sug-géra que les différences cérébrales

innées entre hommes et femmes pourraient êtrel’un des facteurs expliquant que les femmes sontrelativement rares en sciences. Cette remarque aravivé le vieux cliché né au XIXe siècle lorsque desscientifiques ont utilisé la taille en moyenne pluspetite du cerveau des femmes pour affirmer leurinfériorité intellectuelle.

Personne n’a découvert la moindre preuve quedes disparités anatomiques rendraient les femmesmoins aptes à obtenir des distinctions en sciences.Et il a été montré que le cerveau des hommes etcelui des femmes se ressemblent par de multiplesaspects. Néanmoins, les neurobiologistes qui étu-dient notamment l’influence des émotions sur lamémoire ont découvert des variations structurel-les, chimiques et fonctionnelles dans le cerveaudes hommes et celui des femmes. Elles seraientdues en partie à l’influence des hormones sexuel-les sur le cerveau en développement.

30 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

Le rôle des hormones

Larry Cahill,est chercheurau Centre de neurobiologie de l’apprentissage et de la mémoire à l’Université de Californie, à Irvine.

Cerveau masculin,cerveau féminin

Slim

Film

L’existence de différences cérébrales entre hommes et femmesdevrait nous conduire à adapter le traitement de maladies,

telles que la dépression et la schizophrénie, en fonction du sexe de la personne concernée.

Ess05-p030036_cerv_ho_fe_cahill 2/02/11 12:20 Page 30

Page 33: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

Ces différences ne sont pas simplement desprédispositions susceptibles d’expliquer desdifférences de comportement, elles laissentsupposer, ce qui est évidemment plus impor-tant, qu’il pourrait être nécessaire de dévelop-per des traitements spécifiques du sexe pourlutter contre certaines pathologies, dont ladépression, l’addiction, la schizophrénie ou lestress post-traumatique. De plus, ces différen-ces signifient que les chercheurs qui explorentla structure et le fonctionnement du cerveaudoivent tenir compte du sexe de leurs sujetslorsqu’ils analysent leurs données, et inclure desfemmes et des hommes dans leurs études, souspeine d’aboutir à des résultats erronés.

Il n’y a pas si longtemps, les neuroscientifi-ques croyaient que les différences du cerveauliées au sexe se limitaient aux régions responsa-bles de la régulation des comportements dereproduction. En 1966, Seymour Levine, del’Université Stanford, décrivait comment leshormones sexuelles contribuent à contrôler lescomportements d’accouplement chez le rat. Ilne mentionnait qu’une seule région cérébrale :l’hypothalamus, une petite structure localisée àla base du cerveau, impliquée dans la régulation

de la production des hormones et le contrôledes comportements fondamentaux tels quemanger, boire et s’accoupler.

Cette approche a été balayée par des décou-vertes soulignant l’influence du sexe dans denombreux domaines cognitifs et comporte-mentaux, dont la mémoire, les émotions, lavision, l’audition, la reconnaissance des visageset la réponse cérébrale aux hormones du stress.Ces progrès ont été confortés au cours desdix dernières années par l’usage croissant detechniques d’imagerie élaborées, non invasives,telles la tomographie par émission de positons(TEP) et l’imagerie par résonance magnétiquefonctionnelle (IRMf).

Ces techniques d’imagerie ont révélé desvariations anatomiques dans diverses régionscérébrales. Par exemple, en 2001, Jill Goldsteinet ses collègues de la Faculté de médecineHarvard ont utilisé l’IRM pour évaluer la taillede nombreuses régions corticales et sous-corti-cales (voir l’encadré page 32). Ils ont découvertque certaines parties du cortex frontal, le siègede nombreuses fonctions cognitives supérieu-res, sont plus volumineuses chez les femmesque chez les hommes, tout comme certaines

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 31

En Bref• Entre le cerveauféminin et le cerveaumasculin, il existerait des différences anatomiques et fonctionnelles.• Ces variations concernent le langage,la mémoire, la vision,les émotions, l’auditionet le repérage spatial. Elles ontdes conséquences au plan cognitifet comportemental. • Ces découvertes pourraient aboutir à des prises en chargespécifiques selon que les sujets souffrent de schizophrénie, de dépression, d’addiction ou destress post-traumatique.

Ess05-p030036_cerv_ho_fe_cahill 2/02/11 12:20 Page 31

Page 34: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

32 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

régions du cortex limbique, impliqué dans lesémotions. Au contraire, certaines régions ducortex pariétal en jeu dans la perception spa-tiale, ainsi que l’amygdale cérébrale, une struc-ture en forme d’amande intervenant dans lesréactions aux émotions, sont plus volumineuseschez les hommes.

Ces différences de taille sont relatives : elles seréfèrent au volume de la structure par rapportau volume total du cerveau. On considère géné-ralement que les différences dans la taille desstructures cérébrales reflètent leur importancerelative pour l’animal. Par exemple, les primatesdépendent plus de la vision que de l’olfaction,tandis que pour les rats, c’est le contraire. Dansle cerveau des primates, les régions cérébralesdévolues à la vision sont proportionnellementplus volumineuses, tandis que le cerveau des ratsconsacre plus de place à l’olfaction. Ainsi, l’exis-tence de disparités anatomiques entre les hom-mes et les femmes suggère que le sexe influe surle fonctionnement du cerveau.

D’autres recherches ont révélé des différencesau niveau cellulaire. Par exemple, en 1995,

Sandra Witelson et ses collègues de l’UniversitéMcMaster, à Hamilton, au Canada, ont mis enévidence une plus forte densité de neurones danscertaines régions du cortex temporal associées autraitement et à la compréhension du langagechez les femmes. Sur des coupes de cerveaux depersonnes décédées, les chercheurs ont décou-vert que sur les six couches du cortex cérébral,deux présentaient plus de neurones par unité devolume chez les femmes que chez les hommes.Des résultats similaires ont été rapportés pour lelobe frontal. Plus récemment, en 2008, l’équiped’Elizabeth Sowell et Arthur Toga, de l’Universitéde Californie à Los Angeles, a trouvé en IRM quele cortex temporo-pariétal inférieur était enmoyenne plus épais (de 0,45 millimètre) chez lesfemmes que chez les hommes, parmi 176 sujetsâgés de 7 à 87 ans.

Le rôle des stéroïdesUne telle diversité anatomique peut être en

partie provoquée par l’activité des hormonessexuelles qui baignent le cerveau fœtal. Ces sté-roïdes contribuent à l’organisation et au câblagedu cerveau en développement, et influent sur lastructure et la densité des neurones. Les régionscérébrales pour lesquelles J. Goldstein a trouvédes différences entre les hommes et les femmessont parmi celles qui, chez l’animal, contiennentle plus grand nombre de récepteurs des hormo-nes sexuelles au cours du développement. Ce lienentre la taille d’une région cérébrale chez l’adulteet l’action des stéroïdes sexuels in utero suggèrequ’au moins une partie des différences liées ausexe et concernant les fonctions cognitives nerésulte pas d’influences éducatives et culturellesou des changements hormonaux associés à lapuberté : elles seraient présentes dès la naissance.

Effectivement, chez l’homme, plusieurs étudescomportementales suggèrent que certaines diffé-rences cérébrales liées au sexe apparaissent trèstôt. On sait par exemple que, pour le choix desjouets, les garçons sont plus attirés par les ballesou les petites voitures, tandis que les filles le sontplus par les poupées. Toutefois, on doit bien sûrs’interroger : ces préférences sont-elles dictéespar la culture ou par la biologie du cerveau ?

En 2002, Melissa Hines, à Londres, etGerianne Alexander, de l’Université A&M duTexas, ont présenté à des singes vervets unesélection de jouets, dont des poupées de chiffon,des camions et quelques objets neutres, tels deslivres d’images. Les singes mâles passaient plusde temps à jouer avec les « jouets de garçons »que les femelles, tandis que ces dernières choi-sissaient plutôt des jouets préférés par les filles.

Des variations cérébrales mesurables

Lobe occipital

Lobe pariétalLobe frontal

Lobe temporal

Régions plus volumineuses dans le cerveau fémininRégions plus volumineusesdans le cerveau masculin

Jill M

.Gold

stein

(in C

ereb

ral c

ortex

, vol.

11(6

), 20

01)

On trouve des différences anatomi-ques dans tout le cerveau et dans cha-cun des lobes de cerveaux masculins etféminins. Par exemple, Jill Goldstein etses collègues de Harvard ont mesurépar imagerie par résonance magnéti-que (IRM) le volume relatif de régionsparticulières du cortex, par rapport auvolume global du cerveau. Plusieursrégions ont des tailles différentes chezles femmes et chez les hommes. Onignore si ces différences anatomiquesinfluent sur les capacités cognitives.

Ess05-p030036_cerv_ho_fe_cahill 2/02/11 12:20 Page 32

Page 35: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 33

Les deux sexes manipulaient les jouets neutresde façon équivalente.

En 2008, Kim Wallen, du Centre américain derecherche sur les primates Yerkes, à Atlanta, aabouti à un résultat comparable en étudiant ungroupe de 11 mâles et 23 femelles de macaquerhésus. Les singes mâles passaient plus de tempsavec des jouets à roues (voitures, chariots, etc.)qu'avec des poupées ou des peluches, alors queles femelles partageaient leur temps entre cesdeux types de jouets.

Comme il est peu probable que les singessoient influencés par la culture humaine, cesrésultats suggèrent que les préférences desenfants pour les jouets résultent, au moins enpartie, de différences biologiques innées. Cettedivergence, comme toutes les différences anato-miques liées au sexe, pourrait avoir émergé à lasuite de pressions de sélection au cours de l’évo-lution. Mais il est aussi possible que les femellessoient plus curieuses que les mâles, et que descaractéristiques comme la forme et la couleurdes objets, indépendantes de leur connotation« garçon » ou « fille », les influencent.

Différences à la naissance Pour explorer l’influence de l’inné et de l’ac-

quis sur les différences entre sexes, SimonBaron-Cohen et ses collègues, de l’Université deCambridge, en Grande-Bretagne, ont utilisé unedémarche différente. En 2002, ils ont montréque les petites filles âgées de un an passent plusde temps à regarder leur mère que les petits gar-çons du même âge. Et lorsque l’on présente unchoix de films à ces bébés, les filles regardentplus longtemps un film montrant un visage,tandis que les garçons sont plus intéressés parun film montrant des voitures.

Évidemment, ces préférences peuvent résulterde la façon dont les adultes jouent avec les gar-çons et les filles. Pour éliminer cette possibilité,S. Baron-Cohen et ses étudiants ont fait un pasde plus. Ils ont placé leur caméra dans unematernité afin d’examiner les préférences debébés âgés d’un jour seulement. On présentaitaux nourrissons soit le visage sympathiqued’une étudiante, soit un mobile dont le visageavait la couleur, la taille et la forme de celui del’étudiante, mais qui n’était constitué que d’unemosaïque de traits (le nez, les yeux, etc.) éloi-gnés de la réalité. Pour éviter tout biais, les expé-rimentateurs ne connaissaient pas le sexe del’enfant au moment du test.

Lorsqu’ils ont analysé leurs films, ils ont décou-vert que les filles passaient plus de temps à regar-der le visage de l’étudiante, tandis que les garçons

regardaient surtout le mobile. Cette différenced’intérêt social était évidente dès le premier jourde vie. Il semble donc que nous naissions avec cer-taines différences cognitives liées au sexe. Dans denombreux cas, les différences cérébrales influentsur les réactions aux facteurs environnementaux,surtout aux événements stressants. Plusieurséquipes ont montré – nous l’avons évoqué – quela taille de l’amygdale cérébrale est plus impor-tante chez les hommes que chez les femmes.Chez le rat, les neurones de cette région établis-sent un plus grand nombre de connexions chezles mâles que chez les femelles.

Pour évaluer si l’amygdale cérébrale réagitdifféremment au stress chez les mâles et chez lesfemelles, l’équipe de Katharina Braun, del’Université Otto von Guericke à Magdeburg, enAllemagne, a étudié un petit rongeur sociald’Amérique du Sud, le dègue du Chili ou octo-don. Ces rongeurs vivent en colonies. Une sépa-ration même temporaire de la mère et de sespetits est très stressante. Les chercheurs ontmesuré les effets d’une telle séparation sur laconcentration, dans diverses régions cérébrales,des récepteurs de la sérotonine, un neurotrans-metteur qui participe, en particulier, au contrôleneuronal des émotions.

Durant l’expérience, les petits entendaient lesappels de leur mère dont ils étaient séparés. Cette

Les préférences pour certains jouetsobservées chez le singe vervet par la psy-chologue américaine Gerianne Alexanderet la psychologue britannique MelissaHines correspondent aux stéréotypeshumains des petits garçons et des petitesfilles : les mâles (en bas) passent plus detemps à explorer les camions, tandis queles femelles (en haut) s’intéressent plus auxpoupées. Cette configuration impliqueque les choix faits par les petits d’hommerésulteraient en partie du câblage des neu-rones, pas seulement de leur éducation.

Des préférences câblées ?

- - - - - - - - 0

Tem

ps p

assé

à e

xplo

rer

le je

u (e

n p

our

cen

t)

Mâles Femelles

Balleorange

Voiturede police

Poupée Casserolerouge

Jouets « masculins »

Jouets « féminins »30

10

20

G.M

.Alex

ande

r et M

.Hine

s (in

Evolu

tion

and

huma

n be

havio

r, vo

l.23

(6),

2002

), av

ec la

per

missi

on d

’Else

vier

Bibliographie

J. Andreano et L. Cahill,Sex influences on

the neurobiology oflearning and memory,

in Learn. Mem., vol. 16,

pp. 248-266, 2009.S.J. Ceci et al.,

Women’s underrepresentation inscience : sociocultural

and biological considerations,

in Psychol. Bull.,vol. 135, pp. 218-

261, 2009.L. Alonso-Nanclares

et al., Gender differen-ces in human cortical

synaptic density, inProc. Natl. Acad. Sci.

USA., vol. 105, pp. 14 615-19, 2008.

C. Vidal et D. Benoit-Browaeys,

Cerveau, Sexe &Pouvoir, Belin, 2005.

Ess05-p030036_cerv_ho_fe_cahill 2/02/11 12:20 Page 33

Page 36: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

34 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

stimulation auditive augmentait la concentra-tion en récepteurs sérotoninergiques dansl’amygdale cérébrale des mâles, mais la dimi-nuait dans celle des femelles. Bien qu’il soit diffi-cile d’extrapoler ces résultats à l’homme, ils sug-gèrent que si quelque chose de semblable se pro-duit chez l’enfant, le bien-être émotionnel desbébés garçons et filles pourrait être perturbé dif-féremment par l’anxiété. Des expériences de cetype sont nécessaires afin de comprendre pour-quoi, par exemple, les troubles de l’anxiété sontplus fréquents chez les filles que chez les garçons.

Une autre région cérébrale dont on sait qu’elleest différente selon le sexe est l’hippocampe, unestructure essentielle pour le stockage de l’infor-mation et la cartographie spatiale de l’environ-nement physique. D’après les études d’imagerie,l’hippocampe est plus volumineux chez les fem-mes que chez les hommes. Ces différences anato-miques pourraient être liées à la façon dont leshommes et les femmes résolvent les tâches derepérage spatial. De nombreuses études suggè-rent que les hommes estiment mieux les distan-ces et la direction (se repèrent mieux) que lesfemmes qui utiliseraient davantage les repèresenvironnementaux. De même, les rats mâles ont

tendance à se déplacer dans des labyrinthes àpartir d’informations sur la direction et la posi-tion, tandis que les femelles les parcourent enutilisant plutôt les repères disponibles.

L’hippocampe et la mémoireLes neurones de l’hippocampe se comportent

aussi différemment chez les mâles et les femel-les. À la fin des années 1980, Janice Juraska et sescollègues de l’Université de l’Illinois ont montréque le fait de placer des rats dans des « environ-nements enrichis » – des cages remplies dejouets et d’autres rongeurs facilitant les interac-tions sociales – produit des résultats différentssur la structure des neurones de l’hippocampedes mâles et des femelles. Chez les femelles, l’ex-périence augmente l’aspect « épineux » des den-drites – les structures aux multiples extensionsqui reçoivent les signaux des autres cellules ner-veuses. On pense que ce changement reflète uneaugmentation des connexions neuronales,impliquées dans l’apprentissage et la mémoire.Chez les mâles, soit l’environnement complexen’a pas d’effet sur la croissance des dendrites,soit il l’inhibe légèrement.

L’hippocampe stressé Le stress chronique, celuiqui dure, au contraire, ren-drait l’hippocampe desmâles plus vulnérable auxlésions que celui des femel-les. Des rats mâles stressésde façon chronique, exposésà une neurotoxine, subissentdes lésions plus étenduesque des femelles placéesdans les mêmes conditions(ci-dessous).

Le stress aigu, ou stress à court terme, provoque une augmentation de ladensité des « épines » dendritiques (a) des neurones de l’hippocampe chez lesrats mâles, et une réduction chez les femelles (b et c). Les épines sont les sitesoù les neurones reçoivent des signaux excitateurs en provenance d’autres neu-rones. Comme l’hippocampe est impliqué dansl’apprentissage et la mémoire, ces résultats sou-lèvent la possibilité que le stress à court termefacilite l’apprentissage chez les mâles, et aucontraire perturbe les capacités d’apprentissagechez les femelles.

Neurone de l’hippocampe

Corps cellulaire

Branche dendritique

Segment d’une branche

Avant le stress Après le stressÉpine

Mâle

Femelle

Régionendommagée

Régionendommagée

T.J.

Shor

s et a

l. (E

urop

ean

jour

nal o

f Neu

rosc

ience

, vol.

19, 2

004)

C.D.

Conr

ad, A

rizon

a Sta

te Un

iversi

ty

- - - - - -

Mâle Femelle0

5

10

15

20

25 Pas de stressStress

Nom

bre

d’ép

ines

par

mic

rom

ètre

Mâle

Femelle

b

a

c

Ess05-p030036_cerv_ho_fe_cahill 2/02/11 12:20 Page 34

Page 37: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 35

Les mâles apprennent parfois mieux en condi-tion de stress. Le groupe de Tracey Shors, del’Université Rutgers, dans le New Jersey, a observéqu’une série de brèves décharges électriques sur laqueue augmente la mémorisation d’une nouvelletâche, ainsi que la densité des connexions dendri-tiques chez le rat mâle, mais qu’elle les diminuechez la femelle (voir l’encadré page ci-contre).

Cependant, l’hippocampe des rats femellessemble mieux tolérer des situations de stresschronique que celui des mâles. Cheryl Conrad etses collègues de l’Université de l’Arizona ontenfermé des rats dans des cages grillagées pen-dant six heures – une situation que les ratsdétestent. Les chercheurs ont alors évalué la vul-nérabilité des neurones de l’hippocampe à uneneurotoxine – une mesure standard de l’effet dustress sur ces cellules. Ils ont remarqué que l’en-fermement chronique rend les neurones des cel-lules de l’hippocampe des mâles plus vulnéra-bles à la toxine, mais n’a pas d’effet sur la vulné-rabilité des neurones des femelles. Cependant,une expérience plus récente de la même équipe,dans laquelle la consolidation d’une tâcheapprise par des rats était altérée par un stress– la présence d’un chat ! –, n’a pas révélé de dif-férences significatives entre mâles et femelles.

Une question d’hémisphèreDe tels résultats ont des implications sociales

intéressantes. Plus nous comprenons commentles mécanismes cérébraux de l’apprentissage dif-fèrent selon le sexe, plus il nous faut considérerle fait que les environnements d’apprentissageoptimaux diffèrent potentiellement selon quel’enfant est une fille ou un garçon.

Dans l’espèce humaine, nous avons décou-vert, avec mes collègues de l’Université d’Irvine,que les hommes et les femmes diffèrent dans lafaçon dont ils établissent des souvenirs d’événe-ments chargés émotionnellement, un processusqui implique l’activation de l’amygdale céré-brale. Nous avons ainsi montré plusieurs diapo-ramas (avec des dessins violents) à des volontai-res pendant que nous mesurions leur activitécérébrale par tomographie par émission depositons. Quelques jours plus tard, nous avonsvérifié ce dont ils se souvenaient lors d’un test.

Le nombre d’images inquiétantes dont ils sesouvenaient était lié au niveau d’activation deleur amygdale cérébrale lors de la projection.Des travaux ultérieurs ont confirmé ce résultatgénéral. Mais c’est alors que je me suis aperçu dequelque chose d’étrange. L’activation de l’amyg-dale cérébrale dans certaines études n’impliquaitque l’hémisphère droit, et dans d’autres que

l’hémisphère gauche. Et j’ai ensuite réalisé queles expériences dans lesquelles seule l’amygdalecérébrale droite s’activait n’impliquaient que deshommes ; celles dans lesquelles c’était l’amyg-dale cérébrale gauche qui s’activait concernaientdes femmes. Depuis, trois études supplémentai-res ont confirmé cette différence.

1. L’amygdale cérébrale, une structure essentielle à la mémorisation des événements riches en émotions, a été étudiée par l’auteur et ses collègues.Ce noyau a réagi différemment chez les hommes et chez les femmes. Les sujetsregardaient un diaporama présentant des images chargées émotionnellement,

par exemple la photo d’un animal en décomposition. Chez les hommes quiavaient réagi le plus et qui se souvenaient le mieux des détails 15 jours après

l’expérience, c’est l’amygdale de l’hémisphère droit qui avait présenté l’activité laplus forte (en haut), tandis que chez les femmes, c’était l’amygdale

de l’hémisphère gauche (en bas). Cette différence traduirait le fait que les femmes retiennent mieux les détails d’un événement chargé

émotionnellement, et les hommes son contenu général.

HOMME

FEMME

Amygdale droite

Amygdale gauche

Activité élevée

Activité faible

Larry

Cah

ill et

al., L

earn

ing a

nd m

emor

y vo

l.11

(3),

2004

Ess05-p030036_cerv_ho_fe_cahill 2/02/11 12:20 Page 35

Page 38: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

36 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

Quelle est la signification de la disparité dansle traitement des émotions par les hommes et lesfemmes ? Pour répondre à cette question, nousnous sommes tournés vers une théorie vieille de100 ans, selon laquelle l’hémisphère droit estsurtout dédié au traitement global d’une situa-tion, tandis que le gauche traite plutôt lesdétails. Si cette conception est correcte, une dro-gue atténuant l’activité de l’amygdale cérébraledevrait entraîner un déficit dans la capacité d’unhomme à se souvenir du contexte global d’unehistoire chargée émotionnellement (en interfé-rant avec l’activité de l’amygdale droite), et inhi-ber la capacité d’une femme à se souvenir desdétails de l’histoire (en interférant avec l’activitéde l’amygdale gauche).

Une différence inconscienteLe propranolol est un agent qui présente

cette propriété. Il s’agit d’un bêta-bloquant quiatténue la production de l’adrénaline et de lanoradrénaline, et, ce faisant, atténue l’activationde l’amygdale cérébrale et diminue le rappel desouvenirs émotionnellement chargés. Nousavons administré cette substance à des hommeset à des femmes avant de les inviter à observerune courte projection de diapositives montrantun petit garçon victime d’un terrible accidentalors qu’il se promenait avec sa mère. Unesemaine plus tard, nous avons testé leurmémoire. Les résultats ont montré que le pro-pranolol rend les hommes moins à même de sesouvenir des aspects généraux de l’histoire – lefait que l’enfant s’était fait renverser par unevoiture, par exemple. Chez les femmes, la dro-gue a l’effet inverse, entraînant un déficit derappel des détails – le fait que l’enfant tenait unballon, par exemple.

En enregistrant l’activité électrique du cerveau,il est possible de détecter presque immédiatementla différence de réponse à des stimulus émotion-nels selon le sexe. Des volontaires à qui l’on mon-tre des photos déplaisantes réagissent très rapide-ment (en 300 millisecondes). Avec AntonellaGasbarri, de l’Université de l’Aquila, en Italie,nous avons découvert que chez les hommes, ce picprécoce, nommé P300, est plus accentué dansl’hémisphère droit, tandis que chez les femmesson amplitude est supérieure dans l’hémisphèregauche. Ainsi, la différence dans la façon dont lecerveau des hommes et celui des femmes traitentles images à forte connotation émotionnelle com-mence bien avant que les sujets n’aient pu inter-préter consciemment ce qu’ils ont vu.

Ces différences de traitement ont-elles uneinfluence sur le comportement ? Dans le cas des

dépendances aux drogues, Jill Becker et sonéquipe de l’Université du Michigan, à AnnArbor, ont montré que les estrogènes (hormo-nes féminines) stimulent la libération de dopa-mine dans certaines régions cérébrales de rates.La dopamine est un neurotransmetteur impli-qué dans le plaisir associé à la toxicomanie. Leseffets de l’hormone sont durables, ce qui rendles rates plus susceptibles de continuer à recher-cher la substance longtemps après l’avoir reçuepour la dernière fois. De telles différences expli-queraient que les femmes semblent être plusvulnérables aux effets de ces drogues, et pour-quoi elles deviendraient dépendantes plus rapi-dement que les hommes.

Certaines anomalies cérébrales sous-jacen-tes à la schizophrénie semblent aussi présenterdes différences selon le sexe. Le groupe deRuben et Raquel Gur, de l’Université dePennsylvanie, a comparé le volume du cortexorbitofrontal (qui participe à la régulation desémotions) et celui de l’amygdale (impliquéeplutôt, rappelons-le, dans la production desréactions émotionnelles). L’équipe a montréque le rapport des deux volumes (cortex orbi-tofrontal sur amygdale) est supérieur chez lesfemmes. Peut-on en déduire que les femmescontrôlent mieux leurs réactions émotionnel-les que les hommes ?

Une influence dans les troubles mentaux ?

Ces neurobiologistes ont également étudié cerapport chez des personnes atteintes de schi-zophrénie. Chez les femmes schizophrènes, cerapport est diminué par rapport à celui de fem-mes non atteintes, mais il est augmenté chez leshommes. Ces résultats surprenants semblentindiquer que la schizophrénie est une maladierelativement différente chez les hommes et chezles femmes, et que son traitement devrait êtreadapté selon le sexe du patient.

Les neuroscientifiques sont loin d’avoir iden-tifié toutes les variations anatomiques et fonc-tionnelles présentes dans le cerveau et liées ausexe. Ils sont en majorité persuadés que ces dif-férences influent sur les capacités cognitives et lasensibilité à certaines maladies cérébrales.Aujourd’hui, on sait que ces différences s’éten-dent bien au-delà de l’hypothalamus et du com-portement de reproduction. Pour nombre d’en-tre eux, il est temps d’oublier l’approche long-temps utilisée qui consistait à étudier les capaci-tés cognitives et les comportements d’un ani-mal, puis à les transposer directement à uncongénère de l’autre sexe. !

Femme

2. Des images en TEP(tomographie par

émission de positons) decerveaux humains

révèlent que les hommesproduisent la sérotonineplus vite que les femmes(activité faible en bleu,

élevée en rouge).Comme la sérotonine

influe sur l’humeur, celapourrait expliquer en

partie pourquoi les femmes sont plus

nombreuses que les hommes à souffrir

de dépression.

Homme

S.N

ishiza

wa e

t al.,

PN

AS U

SA, v

ol.94

(10)

, 199

7

Ess05-p030036_cerv_ho_fe_cahill 2/02/11 12:20 Page 36

Page 39: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n° 5 février - avril 2011 37

L’influence de l’éducation

© Lo

sevs

ky P

avel

et G

ualtie

ro B

offi

/Sh

utter

stock

Les filles choisissent les poupées, les garçons les voitures. Ces préférences semblent naturelles, mais les parents et les copains

les amplifient. S’y ajoutent des stéréotypes, l’ensemble finissant par avoirdes conséquences notables, par exemple sur les études qu’entreprennent

les filles : elles sont nombreuses à penser que les carrières scientifiques ne sont pas pour elles. Beaucoup d’idées reçues à combattre !

Ess05-p037037_ouvert_part2 3/02/11 10:15 Page 37

Page 40: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

B ien qu’ils y soient préparés dès la pre-mière échographie – quand le sexe deleur futur enfant leur est révélé –, lesparents sont souvent étonnés des dif-férences de comportement entre

leurs fils et leurs filles. À l’évidence, les filles et lesgarçons sont différents, et souvent le fossé qui lessépare semble profond. Mais les stéréotypes nerésistent pas toujours à un examen rigoureux.Les garçons sont-ils réellement plus agressifs etles filles ont-elles vraiment plus d’empathie – oubien est-ce simplement ce que nous attendonsd’eux ? Lorsque des différences réelles existententre les sexes, sont-elles innées, ou sont-ellesfaçonnées par l’environnement – c’est-à-dire parnous, les adultes ?

S’il y a des réponses à ces questions, elles setrouvent dans le cerveau, car si le cerveau des fil-les et celui des garçons ne sont pas identiques,cela pourrait expliquer des différences compor-tementales. Mais, force est de constater que leschercheurs n’ont découvert qu’un très petitnombre de différences notables entre les filles etles garçons, que ce soit dans la structure du cer-veau ou dans son fonctionnement. Oui, les gar-çons ont un cerveau plus gros (et une tête plusgrosse) que les filles – de la naissance jusqu’à lamort –, et le cerveau des filles achève de se déve-lopper plus tôt que celui des garçons. Mais

aucun de ces deux résultats n’explique pourquoiles garçons sont plus actifs et les filles ont descapacités verbales plus développées, ni pourquoiils ont des résultats systématiquement différentsaux tests de lecture, d’écriture ou de sciences.

Un cerveau plastiqueCes différences cérébrales existent, mais elles

ne sont peut-être pas codées par les gènes. Onsait, même si on le néglige souvent, que lesexpériences vécues modifient les structures et lefonctionnement du cerveau. Les neuroscientifi-ques appellent cela la plasticité cérébrale,laquelle permet l’apprentissage et le développe-ment cognitif des enfants. Même la vision, quiparaît être une fonction assez simple, dépendde l’expérience visuelle du début de la vie : sicette expérience n’est pas normale, les airescérébrales de la vision ne se connectent pas cor-rectement chez l’enfant, et la vision sera défini-tivement anormale.

À l’évidence, les filles et les garçons ne sontpas identiques à la naissance : des différencesgénétiques et hormonales enclenchent des pro-grammes de développement un peu différents.Mais nous savons aujourd’hui que l’expérienceprécoce modifie de façon irréversible la chimieet le fonctionnement des gènes dans les cellules,

38 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

Préférer jouer au football plutôt qu’à la poupée n’est pas inscritdans le cerveau. Les différences cérébrales entre les garçons

et les filles sont faibles, mais les adultes les amplifient.

La vérité sur les filles et les garçons

L’influence de l’éducation

Lise Eliotest professeur de neurosciencesà la Faculté de médecine de l’UniversitéRosalind Franklin,à Chicago.

En Bref• La plupartdes différencespsychologiques entrefilles et garçons sontrelativement faibles.• Le cerveau des garçons est plusgros, et celui des fillestermine sa croissanceplus tôt. Mais celan’explique pas pourquoi les garçonssont plus remuants nipourquoi les filles ontdes aptitudes verbales supérieures.• Les infimes différences liées ausexe sont amplifiéespar l’éducation et les préjugés.

Ess05-p038044_gars_filles_eliot.xp 2/02/11 10:52 Page 38

Page 41: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 39

ce qui a des effets sur le comportement. Lesneurobiologistes ont découvert que la qualitédes soins maternels, chez l’animal, a de nom-breuses conséquences neuronales et psycholo-giques – de la production de nouvelles cellulescérébrales à la modification de la réponse austress et au fonctionnement de la mémoire. Demême, la façon différente dont les parents élè-vent les filles et les garçons doit imprimer samarque dans leur cerveau en développement.

La plupart des différences sexuées sont initia-lement faibles –, de simples biais dans le carac-tère et le style de jeu – mais sont amplifiées àmesure que les filles et les garçons sont exposésà une culture sexuée, que ce soit dans les jeux,les compétitions, à l’école... voire chez eux. Encomprenant mieux l’influence de l’environne-ment sur le développement des enfants, nous

Attl

Tibor

/ S

hutte

rstoc

k

Kath

leen

Spen

cer /

Shu

tterst

ock

1. Et si on inversaitles rôles ? Les filles

et les garçons pourraient développer

certaines capacités cognitives ou habiletés

manuelles en pratiquant des activités supposées

associées à l’autre sexe.

Ess05-p038044_gars_filles_eliot.xp 2/02/11 10:52 Page 39

Page 42: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

40 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

pourrons combler une partie du fossé qui sépareles filles et les garçons – qu’il s’agisse de l’école,de la prise de risque, la compétitivité, l’empathieou le caractère consciencieux.

Les garçons sont plus remuants et plus tur-bulents que les filles pendant toute la petiteenfance. Ils donnent des coups de pieds, sebagarrent ou courent dans la maison beaucoupplus que les filles. La différence peut se mani-fester avant même la naissance, mais aucuneéchographie ne révèle de différence quant auxmouvements des fœtus. Néanmoins, selon uneanalyse de plus de 100 études publiée par le psy-chologue Warren Eaton et ses collègues del’Université du Manitoba au Canada en 1986, ladisparité est déjà manifeste au cours de la pre-mière année et augmente pendant l’enfance.

Cette étude a montré qu’un garçon est enmoyenne plus actif que 69 pour cent des filles.Cette faible différence est toutefois plus impor-tante que celle observée quand on compare lescapacités verbales et les résultats en mathémati-ques, mais elle permet de nombreuses excep-tions, notamment pour les 31 pour cent de fillesqui sont plus actives que la moyenne des gar-çons. Les hormones sexuelles – en particulier laconcentration de testostérone in utero – sem-blent responsables de la turbulence des garçons.Néanmoins, la différence de comportementcontinue de s’accroître au cours de l’enfance,bien que les concentrations en hormones sexuel-les ne diffèrent plus entre les filles et les garçonsau-delà de l’âge de six mois et ce jusqu’à la

puberté. Il est probable que l’éducation parentaleest l’un des facteurs amplifiant la disparité.

Certaines études réalisées en laboratoire ou surdes aires de jeu suggèrent que les mères découra-gent plus la prise de risque chez les filles que chezles garçons, alors que les pères encouragent plusla prise de risque que ne le font les mères (voir Lesnouveaux pères, page 24). Les compagnons de jeuont également une importance notable : ainsi,dans un groupe, les garçons agités tendent à sti-muler les autres, créant une sorte de surenchère,tandis que les filles turbulentes se calment quandelles jouent avec des filles tranquilles. Les fillescommencent plus tard que les garçons à faire unsport d’équipe. Toutes ces différences sontinfluencées par les parents et par les amis.

À l’école, les garçons (plus que les filles) doi-vent pouvoir faire des pauses pour satisfaire leurbesoin d’activité physique, mais les uns et lesautres ont besoin de se dépenser physiquement.L’exercice physique est également importantpour maintenir une image corporelle positive.

Les filles préfèrent Barbie,les garçons les voitures

Oui, les garçons aiment les camions et les fil-les les poupées. Si on leur donne le choix, les fil-les préfèrent... les jeux de filles, et les garçons...les jeux de garçons. Toutefois, le choix n’est passi clair chez les tout-petits : de nombreuses étu-des ont montré que les garçons aiment autantles poupées que les filles, cela venant sans douted’une attirance commune des nourrissons pourles visages. En fait, les préférences sexuées vis-à-vis des jouets se manifestent vers la fin de lapetite enfance, se renforcent tout au long desannées de maternelle et diminuent ensuite enraison de la complexité des interactions del’inné et de l’acquis.

La préférence des jeunes enfants en matièrede jouets est façonnée, en partie, par la testosté-rone prénatale : les petites filles porteuses d’unemaladie génétique qui les expose à des niveauxtrop élevés de testostérone et d’autres androgè-nes avant la naissance sont bien plus intéresséespar les camions et les voitures que les autrespetites filles. Même les singes mâles et femellespréfèrent les jouets correspondant à leur genre :il y a quelque chose dans les véhicules ou les bal-les qui est en adéquation avec l’amorçage hor-monal chez les garçons, et les détourne de l’atti-rance pour les visages qu’ils manifestent d’abordcomme les petites filles.

Même s’il existe un amorçage inné, les préfé-rences des enfants se renforcent sous l’influencede la société. Les parents privilégient les jeux

2. Les garçons tendentà être plus turbulents

que les filles. Qui plusest, ce comportement est

contagieux : dansun groupe, les fortes

têtes entraînent les autres. Au contraire,

les filles calmes apaisent celles qui chahutent.

Indi

go F

ish /

Shu

tterst

ock

Ess05-p038044_gars_filles_eliot.xp 2/02/11 10:52 Page 40

Page 43: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 41

considérés comme appropriés surtout chez lesgarçons, et, à partir de l’âge de trois ans, lescopains imposent – encore plus que les adultes –les jeux qu’ils jugent adaptés à leur sexe. Dans unexemple de ce type d’influence, les psychologuesKarin Frey, de l’Université de Washington, etDiane Ruble, de l’Université de New York, ontrapporté en 1992 que les filles et les garçons d’âgescolaire choisissaient un jouet qu’ils aimaientmoins (un kaléidoscope) plutôt qu’un petit pro-jecteur après avoir vu une publicité montrant unenfant de même sexe choisir le kaléidoscope etun enfant du sexe opposé choisir le projecteur.Néanmoins, vers l’âge de cinq ans, les filles com-mencent à choisir aussi des jouets de « garçon ».Ce n’est pas le cas des garçons, une divergencequi reflète des normes sociales différentes.Aujourd’hui, les filles sont autorisées – et mêmeencouragées – à participer à des activités sporti-ves, à porter des pantalons et à jouer aux Legobien plus que les garçons ne sont poussés à revê-tir des robes et à jouer à la poupée.

Les préférences différentes des filles et des gar-çons en matière de jouets sont importantes pourfaçonner les circuits neuronaux, et, par consé-quent, les facultés cognitives. Les équipementsde sport, les voitures et les jeux de constructiontendent à stimuler les capacités physiques et spa-tiales, tandis que les poupées, les livres de colo-riage et les déguisements tendent à stimuler lescapacités verbales, sociales et la motricité fine.Les parents et les enseignants peuvent dévelop-per les deux ensembles de capacités en encoura-geant les filles à faire des jeux de construction oudes jeux vidéo, tout en encourageant les garçonsà coudre, peindre ou jouer au docteur.

Guerres ouvertes ou secrètesSelon diverses études, dont celle du psycholo-

gue John Archer, de l’Université du Lancashire,en Grande-Bretagne, publiée en 2004, les gar-çons sont physiquement plus agressifs que les fil-les. Cette différence est liée à la testostérone pré-natale, mais pas à l’augmentation de la concen-tration de testostérone chez les garçons à lapuberté, parce qu’ils ne deviennent pas brusque-ment agressifs à ce moment-là. De plus, cette dif-férence sexuée n’est pas absolue. Les filles dedeux ou trois ans, par exemple, donnent souventdes coups de pied, mordent et frappent les autres– pas autant que les petits garçons du même âge,mais trois fois plus souvent que l’un ou l’autresexe ne le fait quand ils sont un peu plus vieux.De plus, les filles s’engagent dans des agressionsplus indirectes, relationnelles. À travers les com-mérages, l’exclusion, les cachotteries, et, plus

récemment, le harcèlement par SMS, les filleslaissent des cicatrices dans le psychisme de leursrivales plus souvent que dans leur corps.

Ainsi, les deux sexes s’engagent dans descompétitions et les deux sexes se battent ; ce quidiffère c’est dans quelle mesure ces comporte-ments sont ouverts ou masqués. Commel’agression physique est un bien plus grandtabou pour les filles que pour les garçons, ellesapprennent dès les premières années d’écoleélémentaire à mener des guerres secrètes que lesenseignants remarquent rarement et qui sontplus difficiles à surveiller.

Mais en admettant que les sentiments decompétition soient naturels chez tous lesenfants, il est possible de trouver des moyens deles canaliser vers d’autres objectifs. Ainsi, cer-tains éducateurs essaient de réduire la compéti-tion en classe : ils affirment que l’interactionopposée – la coopération – est plus importantepour une société civilisée. Mais la compétitionpeut être très motivante, particulièrement pourles garçons, et il faut que les filles apprivoisent lacompétition ouverte, qui demeure une réalitéinévitable de nos sociétés. La compétition enéquipe est une solution, lorsque des groupes

Noa

m A

rmon

n /

Shutt

ersto

ck

3. La préférence des garçons pour les camions plutôt

que pour les poupéess’amplifie à mesure

que les parents et les copains valorisentles jouets « de garçons ».

Mais encouragerles garçons aux jeux

de rôle valorisant les soins à autrui

– médecin, notamment –pourrait améliorer leurs capacités relationnelles.

Ess05-p038044_gars_filles_eliot.xp 2/02/11 10:52 Page 41

Page 44: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

42 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

d’élèves travaillent ensemble pour tenter de bat-tre les autres, qu’il s’agisse de résoudre des pro-blèmes de mathématiques, de tests de vocabu-laire, d’histoire ou de sciences.

L’empathie favorisela communication

L’agression et l’empathie, ou partage des émo-tions d’autrui, sont inversement proportionnel-les. Plus on est conscient de ce que quelqu’unressent, moins il est facile de l’agresser. En consé-quence, selon les conclusions d’études publiéesdans les années 1980 par la psychologue NancyEisenberg et ses collègues, de l’Université d’Étatde l’Arizona, tandis que les hommes et les gar-çons ont des scores plus élevés en ce quiconcerne l’agressivité physique et verbale, les fil-les et les femmes ont des scores plus élevés dansla plupart des mesures d’empathie.

Et pourtant les différences sexuées concernantl’empathie sont plus faibles que ce que pensentla plupart des gens, et elles dépendent beaucoupde la façon dont l’empathie est évaluée.Lorsqu’on demande aux hommes et aux femmesde rapporter comment se manifeste leur empa-

thie, les femmes disent plus souvent que leshommes : « J’arrive bien à savoir ce que ressen-tent les autres » ou « J’aime m’occuper desautres ». Mais lorsqu’on utilise des mesures plusobjectives, comme reconnaître les émotions surdes photographies de visages, la différence entrehommes et femmes est faible, indiquant que lesfemmes donnent en moyenne des réponses plusprécises que 66 pour cent des hommes.

En 2000, le psychologue Erin McClure, del’Université Emory, à Atlanta, a analysé plus de100 études sur la différence de perception desémotions faciales par des bébés, des enfants etdes adolescents. Les filles, dès leur plus jeune âge,sont un peu plus sensibles aux émotions expri-mées par un visage, mais leur avantage aug-mente avec l’âge, indubitablement du fait de leurfacilité à communiquer, d’une plus grande prati-que des jeux de rôle avec leurs poupées et desamitiés qu’elles entretiennent avec leurs copines.

On ne sait pas grand-chose des bases neurona-les de la différence sexuée en matière d’empathie,sauf qu’une toute petite région du cerveau,l’amygdale, est sans doute impliquée. L’amygdaleest fortement activée par les visages. Selon uneanalyse de plusieurs études publiée en 2002, cettestructure est plus volumineuse chez les hommesque chez les femmes, ce qui est en contradictionapparente avec le fait que les hommes reconnais-sent moins bien les émotions sur les visages.Toutefois, d’autres études ont révélé une diffé-rence d’activation des amygdales droite et gau-che chez les hommes et chez les femmes.

Lorsque des souvenirs de scènes chargéesémotionnellement – celles qui déclenchent lesréactions empathiques – sont réactivés, l’amyg-dale gauche des femmes est plus fortement acti-vée que la droite, tandis que c’est l’amygdaledroite des hommes qui est plus activée que lagauche, comme l’indique l’étude du neurobiolo-giste Larry Cahill, de l’Université de Californie àIrvine, publiée en 2004, et celle du psychologueTurhan Canli et de ses collègues de l’UniversitéStanford, datant de 2002.

On ne sait pas encore si cette différence delatéralisation de l’activation de l’amygdale estliée à l’empathie en tant que telle ou si la mêmedifférence neuronale sexuée est déjà présentechez l’enfant. En effet, les différences d’émoti-vité entre garçons et filles sont faibles chez lestout-petits ; tout au plus constate-t-on que lesbébés pleurent plus et font plus de colères quandce sont des garçons. À mesure que les garçonsgrandissent, on leur apprend – bien plus qu’auxfilles – à réprimer leur peur, leur tristesse et leurtendresse. L’apprentissage social renforce les dif-férences homme-femme en matière de réactions

4. Parce que les fillesne se battent pas,

elles pratiquent la guerre secrète :

cachotteries, messesbasses, petits secretsentre amies. Peut-être

encore plus dévastateurpour les « victimes »

qu’une bagarre.

Mon

key

Busin

ess I

mag

es /

Shu

tterst

ock

Ess05-p038044_gars_filles_eliot.xp 2/02/11 10:52 Page 42

Page 45: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 43

émotionnelles. On endurcit beaucoup plus lesgarçons que les filles, on cherche à ce qu’ilsexpriment moins leurs émotions, mais aussi àce qu’ils deviennent moins sensibles aux émo-tions des autres. Cet apprentissage laisse trèsvraisemblablement des traces dans l’amygdale,l’une des structures les plus plastiques du cer-veau. Sans doute serait-il bénéfique pour lesuns et pour les autres qu’on apprenne aux fillesà être moins sensibles aux émotions d’autrui etaux garçons à l’être davantage.

Les filles sont bavardesOn dit que les femmes parlent beaucoup

plus que les hommes, mais les chiffres démen-tent cette idée reçue : une femme prononcerait16 215 mots par jour, et un homme 15 669,c’est-à-dire pas beaucoup moins, selon uneétude de près de 400 étudiants de premier cycleéquipés de dictaphones, publiée en 2007 par lepsychologue Matthias Mehl de l’Université del’Arizona. Les filles ont généralement de meil-leurs résultats que les garçons dans les testsd’expression orale, de lecture, écriture etorthographe, quel que soit l’âge, mais les diffé-rences sont généralement faibles et évoluent aucours de la vie.

Les différences se manifestent très tôt. Les fil-les commencent à parler environ un mois plustôt que les garçons, et sont en avance sur les gar-çons pour l’apprentissage de la lecture.L’avantage des filles pour la lecture et l’écriturepersiste au fil des années, et le fossé semblemême se creuser entre filles et garçons jusqu’à laterminale. Toutefois, ces différences se réduisentnotablement à l’âge adulte, ce qui explique sansdoute pourquoi on n’a pas encore découvert lesbases neuronales des aptitudes langagières.

En 2008, Iris Sommer et ses collègues de laFaculté de médecine de l’Université d’Utrechtaux Pays-Bas ont invalidé une idée reçue selonlaquelle les femmes utiliseraient les deuxhémisphères de leur cerveau pour traiter le lan-gage, tandis que les hommes utiliseraient sur-tout l’hémisphère gauche. Ils ont compilé20 études d’imagerie cérébrale fonctionnelle, etn’ont détecté aucune différence entre hommeset femmes dans le degré de latéralisation desaires du langage.

De même, il existe peu d’indices que les filleset les femmes aient un cerveau mieux « câblé »pour la lecture. La seule variable qui soit corré-lée à l’habileté de lecture est simplement letemps que les enfants passent à lire pour leurplaisir en dehors de l’école. Les filles lisent plusque les garçons, et c’est ce qui fait la différencequand il s’agit de lire vite et de comprendre ceque l’on lit.

L’unique déterminant des capacités langagiè-res est l’exposition de l’enfant, dès sa naissance,au langage. Des études à grande échelle réaliséesdans différents pays montrent que le sexe expli-querait au maximum trois pour cent des diffé-rences de capacités verbales des enfants, alorsque l’environnement et l’exposition au langageinterviendraient pour plus de 50 pour cent. Plusles parents peuvent impliquer leurs fils dans lesconversations, les livres, les histoires, plus cesenfants auront de chances de savoir (et d’aimer)lire et parler correctement.

Les petits livres pour enfants et les comptinesservent à acquérir la conscience des phonèmes,le lien entre les sons et les lettres qui est le pre-mier pas vers l’apprentissage de la lecture. Lesgarçons aiment moins que les filles les contes,mais ils apprécient les comédies et les livresd’action ; dès lors, pour leur donner envie delire, mieux vaut choisir des livres et des magazi-nes qui leur plaisent. Dans certaines classes, lesgarçons lisent aussi bien que les filles, ce qui

Vyac

hesla

v O

sokin

/ S

hutte

rstoc

k

5. Les filles lisent plus que les garçons, ce quiexplique qu’elles ont de meilleurs résultats dans les

tests de lecture ou d’orthographe. Mais quand les garçons sont encouragés à lire beaucoup,

ils réussissent ces tests aussi bien que les filles.

Bibliographie

J. Owen Blackmore et al., Gender development,Psycholgy Press, 2008.J. S. Hyde, The gendersimilarities hypothesis,in AmericanPsychologist, vol. 60,pp. 581-92, 2005.R. A. Lippa, Gender,nature and nurture,Lawrence ErlbaumAssociates, 2002.D. Halpern, Sex Differences in CognitiveAbilities (3e édition),Lawrence ErlbaumAssociates, 2000.

Ess05-p038044_gars_filles_eliot.xp 2/02/11 10:52 Page 43

Page 46: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

44 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

prouve à nouveau que l’éducation et l’entraîne-ment compensent une éventuelle différence defacilité dans l’acquisition de la lecture.

Penser en trois dimensionsSi les filles ont un avantage pour les habiletés

verbales, les garçons en ont un incontestabledans le domaine spatial – la capacité à visualiserdes objets et des trajectoires dans l’espace. Unhomme est, en moyenne, capable d’imaginerdes objets complexes selon différentes perspec-tives mieux que 80 pour cent des femmes.

En 2008, deux groupes de recherche ont rap-porté des différences chez des bébés âgés de troismois, et d’autres données suggèrent que cettecapacité est influencée par la testostérone préna-tale. Pourtant, l’ampleur de la différence estbeaucoup plus faible chez les enfants que chez lesadultes : parmi les enfants âgés de quatre ans, lamoyenne des garçons obtient des performancesmeilleures qu’à peine 60 pour cent des filles. Il estvraisemblable que cette capacité s’améliore chezles garçons en raison de leurs activités – jeux deconstruction, de conduite, de tir – auxquelles ilss’adonnent bien plus que les filles. Une étude de

la neurobiologiste Karin Kucian et de ses collè-gues du Service de pédiatrie de l’Université deZurich étaye cette hypothèse. En 2007, cetteéquipe a rapporté que les garçons et les filles pré-sentent des activités neuronales similaires quandon observe leur cerveau alors qu’ils sont en trainde réaliser une tâche mentale de rotation d’unobjet dans l’espace. Or cette tâche, comme l’avaitmontré la même équipe en 2005, déclenche desactivations cérébrales différentes chez l’hommeet la femme adultes. Ainsi, il semble que le cer-veau des garçons et celui des filles traitent lesinformations spatiales de façon de plus en plusdifférente à mesure que les enfants grandissent etpratiquent des activités diverses.

L’aptitude de voir dans l’espace est impor-tante pour réussir dans divers domaines scienti-fiques, notamment le calcul, la trigonométrie, laphysique et l’ingénierie. La psychologue del’éducation Beth Casey, de l’Université deBoston, a montré que la différence entre garçonset filles concernant cette aptitude expliquel’avantage systématique que les garçons ont dansles épreuves de mathématiques lors des concoursd’admission dans les filières d’ingénieurs.

Aussi importantes soient-elles, les habiletésspatiales ne sont pas enseignées à l’école. Maiselles peuvent être améliorées par l’entraîne-ment, y compris en jouant à des jeux vidéo ! Siles garçons exercent cette capacité dans le cadrede leurs activités extrascolaires, les filles pour-raient la travailler par le biais de puzzles tridi-mensionnels, de jeux de conduite et de visée, etdes sports tels que le baseball ou le tennis.

Les filles et les garçons sont différents, maisla plupart des différences psychologiques liéesau sexe sont ténues. Par exemple, l’écart dansles habiletés verbales, les performances mathé-matiques ou l’empathie sont généralementbeaucoup plus faibles que la différence de tailledes adultes, où la taille moyenne d’un homme,égale à 1,75 mètre, est supérieure à la taille de99 pour cent des femmes. Lorsqu’il s’agit d’ha-biletés mentales, les femmes et les hommes sontquasi semblables.

De plus, peu de ces différences sont figées,écrites dans le marbre des gènes, contrairementà ce que l’on prétend souvent. Les gènes et leshormones déclenchent la plupart des différen-ces entre les filles et les garçons, mais l’éduca-tion a tôt fait de gommer ces différences.Comprendre comment émergent les différencesliées au sexe peut aider à lutter contre les stéréo-types et donner aux parents et aux enseignantsdes idées pour améliorer le développement desenfants, minimiser les disparités et leur permet-tre de développer leurs talents. !

6. Pour diminuerl’écart entre filles

et garçons dans les habiletés spatiales,

les filles pourraient améliorer leur vision

dans l’espace en pratiquant des sportstels que le tir à l’arc,

le baseball ou le tennis.

Joe

Gou

gh /

Shu

tterst

ock

Ess05-p038044_gars_filles_eliot.xp 2/02/11 10:52 Page 44

Page 47: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

dieguez_grd.xp 2/02/11 11:32 Page 1

Page 48: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

P ourquoi les filles sont-elles moinsnombreuses que les garçons dans lesfilières scientifiques ? Et d’abord, est-ce une réalité ou une idée reçue ? Leschiffres de la répartition des garçons

et des filles à l’université et par disciplineen 2009-2010 confirment qu’en France, effecti-vement, les filles restent majoritaires en langues(73,8 pour cent), en lettres (71,7 pour cent) et ensciences humaines et sociales (67,3 pour cent) ;elles restent en revanche minoritaires en sciencesfondamentales et appliquées (27,6 pour cent)(voir la figure 3).

Ainsi, la disparité est forte entre les sexes et enfonction des disciplines universitaires. C’estégalement le cas à l’étranger, par exemple auQuébec ou dans divers pays d’Europe. Ainsi, enAllemagne, les filles ne représentent que 15 pourcent des effectifs des filières scientifiques et tech-niques. On retrouve ce même écart dans lemilieu professionnel. Dans les 27 pays de l’Unioneuropéenne, en 2007, les femmes ne représen-taient que 32 pour cent des effectifs de cher-cheurs et ingénieurs. La situation est identiquedans le milieu professoral où la proportion defemmes est égale à 23 pour cent dans les scienceshumaines et sociales, mais à 7 pour cent seule-

ment dans les sciences de l’ingénieur et la tech-nologie. Autre donnée sans appel : sur 441 prixNobel, 11 seulement ont été attribués à des fem-mes. Toutes les données le montrent : les femmessont notablement moins nombreuses dans lesfilières et les professions scientifiques. Pourquoi ?Les psychologues et les sociologues se sont pen-chés sur cette question et proposent plusieurspistes pour expliquer ce constat.

L’intelligence hors de causeBien que tous les psychologues ne soient pas

d’accord sur ce point, la majorité considère qu’iln’y a pas de différence entre l’intelligencemoyenne d’un homme et celle d’une femmequand elle est évaluée par le quotient intellec-tuel. En revanche, l’écart à la moyenne est plusimportant chez les hommes que chez les fem-mes, ce que l’on peut schématiser en disant quel’on retrouve davantage « d’Einstein » chez leshommes que chez les femmes, mais aussi plusd’arriérés profonds. On remarque égalementquelques différences sur le plan qualitatif : leshommes réussissent généralement mieux queles femmes les épreuves faisant appel à ladimension spatiale, par exemple manipuler

46 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

Les filles boudent les filières universitaires scientifiques.Les raisons en sont multiples, des préjugés

– nombreux – à l’attitude des parents.

Les filles sont-elles mauvaises en maths ?

L’influence de l’éducation

Serge Ciccottiest docteur en psychologieet chercheur associéà l’Universitéde Bretagne Sud,à Lorient.

En Bref• Les chiffres sont sans appel : les fillessont majoritaires enlangues et en lettres,mais minoritaires en sciences.• Divers facteurs sontimpliqués : les parentseux-mêmes pensentque les sciences nesont pas faites pourles filles.• En revanche, dansles filières biologie,pharmacie et médecine, les fillessont plus nombreusesque les garçons.

Ess05-p046050_Ciccotti_filles maths.xp 2/02/11 10:28 Page 46

Page 49: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 47

mentalement un dé à jouer dont la face visibleest le 4, lui faire effectuer un quart de tour àdroite, puis un demi-tour vers le bas et dire quelest le chiffre qui doit apparaître.

Les femmes, au contraire, sont davantageexpertes que les hommes sur la dimension ver-bale, comme la vitesse d’articulation de motscomplexes ou encore le repérage des erreursgrammaticales dans des textes énoncés. Onconstate, par exemple, moins d’hésitations(Euh...) dans la conversation des filles que danscelle des garçons, et il existe deux à quatre foisplus d’individus qui bégayent chez les hommesque chez les femmes. Soulignons que les fillesont généralement des compétences socialessupérieures à celles de leurs homologues mas-culins, ce qui inclut de nombreuses capacitésliées au langage, mais aussi à la « théorie de l’es-prit », c’est-à-dire la capacité de se mettre à laplace d’autrui pour comprendre ses inten-tions… En bref, l’intuition féminine !

Sur le plan de l’évolution et des capacitésadaptatives, la compétence en représentationtridimensionnelle des hommes aurait été sélec-tionnée chez nos ancêtres, parce que c’était leshommes qui partaient découvrir et explorer lesnouveaux espaces et territoires de chasse, et fai-

saient des raids pour aller capturer des femmes.Quant aux femmes, leur avantage verbal résul-terait également d’une habitude ancestrale : siles hommes restaient généralement dans leurgroupe familial, les femmes rejoignaient celuide leur compagnon. Or avoir des relations et unsoutien social stable est déterminant pour lasanté et le bien-être tant des femmes que deleurs enfants, de sorte que des pressions sélecti-ves auraient permis aux femmes d’établir etd’entretenir de telles relations, que ce soit par leverbe ou par l’intérêt porté au groupe. Sansdoute devaient-elles savoir s’intégrer rapide-ment, se faire comprendre et comprendre, sansse tromper, ce que pensaient les membres deleur nouvel environnement.

Malgré ces petites différences, rien, sur leplan de l’intelligence, ne suffit à expliquerpourquoi les femmes sont si peu nombreusesen sciences. L’intelligence n’étant pas une expli-cation, faut-il chercher du côté de la motivationà s’orienter vers ce domaine ?

L’environnement social détermine biendavantage l’orientation des femmes. Or on amontré qu’il existe plus d’hommes « non com-municants » dans les métiers les plus techni-ques. Comme les femmes accordent beaucoup

1. « Tu vois, en appuyant sur

ce bouton, on obtient le résultat. » Ce père

s’adresse surtout à son fils, sa fille étant

à l’écart. Les parents netiendraient pas le mêmediscours à leurs fils et à

leurs filles lorsqu’il s’agitd’aborder des questions

scientifiques. Cela expliquerait-il pourquoiles filles, élevées dansl’idée que les sciencesne sont pas pour elles,

délaissent les filièresscientifiques ?

Heid

e Be

nser

/ C

orbi

s

Ess05-p046050_Ciccotti_filles maths.xp 2/02/11 10:28 Page 47

Page 50: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

48 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

d’importance aux relations sociales, peut-êtreévitent-elles de travailler dans de tels milieux oùles individus ne recherchant pas le contactsocial sont nombreux. Cet environnement pro-fessionnel pourrait être perçu comme hostile.Les femmes se détourneraient de ce type demétiers purement scientifiques, qu’elles juge-raient socialement peu épanouissants.

Selon une autre hypothèse, il existerait unecompétition sexuelle, beaucoup plus fréquenteentre les hommes qu’entre les femmes. Elle semanifeste par les efforts que font les hommespour accéder à un statut social élevé. Le succèspour une femme passe par d’autres critères, etmême s’il existe aussi des femmes « carriéris-tes », la proportion est beaucoup plus faible quechez les hommes.

L’alliance des hommes contre les femmes

Comme la durée des études nécessaires pouratteindre des statuts élevés est longue, les femmesseraient moins tentées d’investir beaucoup detemps pour leur carrière. En effet, cette duréeretarde la disponibilité sur le « marché dumariage» pour les femmes faisant de longues étu-des. Elles ont des enfants plus tardivement et en

ont moins. C’est une nouvelle raison qui réduiraitl’ambition professionnelle, le temps que l’on peutinvestir dans tous ces domaines étant limité.

Une autre raison fréquemment évoquée est leplafond de verre, cette alliance des hommescontre les femmes pour les empêcher d’accéderaux métiers scientifiques ou au refus des hom-mes – et de certaines femmes – d’être dirigés pardes femmes. Selon une étude réalisée àl’Université de Göteborg, en Suède, une femmescientifique doit fournir deux fois et demi laquantité de travail d’un homologue masculinpour avoir des chances de décrocher un emploiou des fonds pour ses recherches.

Une de ces hypothèses l’emporte-t-elle ? Sansdoute faut-il plutôt envisager que ces différentescauses se cumulent. Cela étant, de nombreuxchercheurs pensent qu’un autre facteur est pré-pondérant, celui d’un stéréotype, présent dansla tête des parents, qu’ils inculquent à leursenfants et qui pourrait expliquer non seulementle goût pour les sciences de leurs enfants, maisaussi leur performance dans ce domaine…

En 2001, Kevin Crowley et ses collègues, del’Université de Pittsburgh, ont demandé la per-mission à des parents de les suivre et de les fil-mer pendant qu’ils faisaient une visite avecleurs enfants, dans un musée de sciences où,

Le plafond de verre, ou comment s’arrête une carrière

L es écarts de salaires entre les hommes et les femmes enFrance est d’environ 27 pour cent. Même quand on tient

compte des facteurs tels que le diplôme, l’expérience, le tra-vail à temps partiel (plus fréquent chez les femmes que chezles hommes), les primes de pénibilité, les astreintes et les heu-res supplémentaires (plus fréquentes chez les hommes quechez les femmes), ou encore le fait qu’elles interrompent plussouvent leur carrière, il reste un écart d’environ dix pour centde salaire entre les sexes. Il est probable que cette différencerésulte de préjugés sur le rôle professionnel des femmes. Desstéréotypes sont régulièrement mis en évidence dans les diver-ses études. Ainsi dans l’une d’elles, on présentait à des parti-cipants un texte où une femme se retrouvait promue à unposte de direction dans l’industrie. Les personnes interrogéesavaient davantage tendance à attribuer la réussite de la can-didate à la chance et son échec à son incompétence. Aucontraire, quand le candidat à la fonction était un homme, lesparticipants de l’étude attribuaient sa réussite à ses capacités.

Lorsque, dans une entreprise, les niveaux hiérarchiquessupérieurs ne sont pas accessibles à certaines catégories depersonnes, on parle de plafond de verre. Cette « frontièreinvisible » s’applique surtout aux femmes puisqu’on a mon-tré qu’à compétences égales, elles ont plus de difficultésque les hommes à accéder aux postes à responsabilité.

Pourtant, en étudiant les performances de 679 entreprisesclassées parmi les principales dans le magazine américainFortune, Hema Krishnan et Daewoo Park, à l’Université deCincinnati, ont montré que plus la proportion de femmesaugmente dans les conseils d’administration, plus les perfor-mances de l’entreprise progressent, qu’il s’agisse du coursdes actions ou des résultats financiers.

Les lois cherchent à éliminer ces pratiques discriminatoi-res, mais les habitudes ne changent pas facilement. Qui plusest, cette tendance se dessine dès les premiers stages effec-tués par les étudiants dans les entreprises. En 2005, SophieLandrieux-Kartochian et Chloé Guillot-Soulez, de l’UniversitéParis I-Panthéon Sorbonne, ont mesuré le délai moyen mispar des étudiants ayant le même niveau d’études pour obte-nir un stage en entreprise. Elles ont montré que 25 pour centdes garçons trouvent un stage en moins d’un mois (9 pourcent pour les filles), et que les filles sont près de trois foismoins nombreuses que les garçons. Qui plus est, le montantdes indemnités perçues pendant le stage est encore à l’avan-tage des garçons. Cela résulterait de la discrimination liéeau sexe, mais également du fait que le réseau des relationsest surtout activé pour les garçons. Les filles seraient moinsaidées que les garçons pour trouver leurs stages. Les stéréo-types semblent jouer même dans la famille !

Ess05-p046050_Ciccotti_filles maths.xp 2/02/11 10:28 Page 48

Page 51: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 49

comme au Palais de la Découverte, à Paris, lesvisiteurs peuvent faire diverses expériences.Près de 300 interactions entre les mères, lespères et les enfants ont été enregistrées durant26 jours. Les chercheurs ont ensuite classé lesconversations entre les parents et leurs enfants,en fonction de deux critères : d’une part, cellesqui décrivaient les objets exposés dans lemusée, et, d’autre part, celles qui cherchaient àapporter des explications.

Les chercheurs ont constaté que les parentsutilisaient davantage d’explications quand ilss’adressaient à leurs fils plutôt qu’à leurs filles.Les conversations comportaient des explicationsdans 29 pour cent des interactions entre lesparents et leurs fils et seulement 9 pour cent dansles conversations entre les parents et leurs filles.Les différences étaient encore plus marquées lorsdes interactions entre les pères et leurs fils.

Pourtant, les garçons ne posaient pas plus dequestions que les filles et les parents parlaientautant avec les uns qu’avec les autres, maisquand arrivait l’étape éducative et qu’il s’agissaitde fournir une explication concernant l’objet,cette dernière était surtout réservée aux gar-çons. Ainsi, la disparité des comportements desparents aurait un effet notable sur l’intérêt queles enfants portent aux sciences. Les psycholo-gues pensent que les adultes développent lapensée scientifique des enfants lors de leursinteractions quotidiennes. Ainsi, ce serait lastratégie des parents qui stimulerait l’intérêtpour la science chez les garçons davantage quechez les filles. La mère, et surtout le père, don-nent plus d’explications causales quand ils com-muniquent avec leurs fils, ce qui favorise l’inté-rêt pour les sciences chez les garçons.

Pourquoi les parents utilisent-ils davantaged’explications avec leurs fils qu’avec leurs filles ?Peut-être à cause d’une idée reçue bien ancrée,selon laquelle les filles auraient davantage le sensde l’esthétique et seraient plus « littéraires »,alors que les garçons seraient davantage « tech-niques » et tournés vers les mathématiques.Cette croyance est malheureusement si répan-due qu’elle peut diminuer l’intérêt des fillespour les sciences, mais elle pourrait, de surcroît,les complexer, les inhiber et les conduire à moinsbien réussir en mathématiques dans une classeoù sont présents des garçons.

Ainsi, on a montré que les filles sont moinsperformantes que les garçons lors des tests demathématiques utilisés pour sélectionner lesétudiants à leur entrée à l’université. La peur dese montrer conforme au stéréotype négatif (lesfilles sont mauvaises en maths) entrave la per-formance des filles lors de ces tests. Il suffit deprésenter ces mêmes épreuves en affirmantqu’elles ne révèlent aucune différence entre lesdeux sexes pour que les femmes se montrentaussi performantes que les hommes.

Le poids des stéréotypesC’est aussi ce qu’ont confirmé Margaret Shih

et ses collègues de l’Université Harvard qui,en 1999, ont fait remplir à des femmes asiati-ques un questionnaire sur le thème de leurgroupe ethnique. Elles passèrent ensuite un exa-men de mathématiques. Dans une autre condi-tion, les femmes passèrent cet examen directe-ment, sans avoir à remplir de questionnairepréalable. On constata que les résultats du pre-mier groupe furent meilleurs que ceux du second.

Le fait d’avoir eu à remplir le questionnairesur les spécificités de leur culture avait amorcéun stéréotype fréquent en Asie : « Les Asiatiquessont plus forts en mathématiques que les indi-vidus d’autres cultures. » Ce stéréotype avaitstimulé les femmes du premier groupe qui tentè-rent de soutenir leur réputation… Au contraire,dans une autre expérience, quand le question-naire préalable porta sur l’appartenance au sexeféminin et non plus sur les différences culturel-les, les résultats en mathématiques furent moinsbons que ceux du groupe qui ne répondit àaucun questionnaire préalable. Les chercheursattribuèrent cette différence à l’impact du stéréo-type : « Comparativement aux hommes, les fem-mes sont mauvaises en mathématiques. »

En fait ce n’est pas le stéréotype en tant quetel qui influe sur ces réactions, mais le compor-tement qu’il déclenche chez la personne qui, le

2. Le père donne à son fils des détails techniques quand il s’agit de décrire la voiture

qu’il vient d’acheter. En revanche, avec leur fille,tant le père que la mère privilégient l’approche

émotionnelle ou perceptive (ici la couleur).

Bibliographie

S. Ciccotti, Tout ce quevous devez savoir pourmieux comprendre vossemblables, Dunod, coll. Petites expériencesde psychologie, 2011.S. Ciccotti, Les bébés de Marseille ont-ils l'accent ?, Dunod, coll. Petites expériencesde psychologie, 2010.S. Ciccotti, Hommes,femmes. Comment çamarche ?, Dunod, coll. Petites expériencesde psychologie, 2008.C. Geary, Hommes, femmes, l’évolution des différences sexuel-les humaines, DeBoeck,2003.K. Crowley et al.,Parents explain moreoften to boys than togirls during sharedscientific thinking, inPsychological Science,vol. 12, pp. 258-261,2001.

Jean

-Mich

el Th

iriet

Ess05-p046050_Ciccotti_filles maths.xp 2/02/11 10:28 Page 49

Page 52: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

50 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

connaissant, cherche inconsciemment à leconfirmer, ce qui détériore la performance. Cecomportement a d’importantes conséquences,puisqu’il entraîne un désinvestissement desmembres des groupes stigmatisés dans tous lesdomaines où s’applique le stéréotype. Il peutégalement expliquer l’échec scolaire chez lesindividus appartenant à ces groupes. Ilan Dar-Nimrod et ses collègues de l’Université deColombie-Britannique, à Vancouver auCanada, confirmèrent en 2006 que les résultatsdes femmes en mathématiques sont influencéspar un autre stéréotype.

Éviter d’invoquer une cause génétique

Ces psychologues ont fourni à 220 femmesun document supposé scientifique qui présen-tait des différences en mathématiques entre deshommes et des femmes. Pour un quart d’entreelles, il était indiqué que ces différences rele-vaient de la génétique et étaient donc innées.Pour un autre quart, le texte présentait ces dif-férences comme étant liées à l’environnement :on lisait, par exemple, que les professeurs demathématiques aident plus les garçons que lesfilles pendant les premières années d’enseigne-ment de mathématiques. À un autre quartencore, on indiquait qu’il n’y avait aucune dif-férence entre les performances des garçons etdes filles en mathématiques et enfin, au dernierquart, on disait que les différences étaient liéesà un stéréotype ancré dans la tête des femmes.

On demanda ensuite à toutes ces femmes derésoudre plusieurs exercices de mathématiques.On constata que celles à qui l’on avait dit soitque l’explication était de type environnemental,soit qu’il n’y avait pas de différences entre lessexes réussirent mieux les tests que les autres.

Pour les psychologues, il faut faire attentionquand on invoque des explications où les gènessont mis en cause, car elles influent sur les com-portements. Par exemple, si je crois que monobésité a une cause génétique, j’aurais beaucoupmoins de volonté pour suivre un régime ou fairede l’exercice… Si les gènes sont responsables demes mauvaises performances en mathémati-ques, ce n’est pas la peine que je fasse des effortspour résoudre le problème posé !

Une exception : la médecineCette recherche ne permet pas de savoir si les

filles sont meilleures ou moins bonnes que lesgarçons en maths. En revanche, elle prouve quesi les filles perçoivent les différences de perfor-mance comme étant innées ou génétiques, alorselles réussissent moins bien que celles quiconsidèrent que de telles différences ne sont pasinnées, mais acquises. Cela montre commentdes croyances peuvent influer sur la perfor-mance, ici celle des filles devant résoudre unsimple exercice de mathématiques. L’explicationgénétique semble toute puissante, ne pouvantaboutir qu’à une « prophétie qui s’autoréali-sera » nécessairement…

Ainsi, les femmes sont moins nombreusesdans les sciences dures et il semble que si des dif-férences de performances existent entre les sexesdans ces domaines, elles sont dues, pour unepart importante, à des croyances qui deviennentun obstacle à la performance. On envisage d’ail-leurs de plus en plus l’idée de séparer les filles etles garçons dans les disciplines académiques oùles filles subissent la menace d’un stéréotyped’infériorité. Pour le reste des matières, la mixitésemble avoir du bon…

Pour terminer ce panorama, nous devonssouligner que dans certaines disciplines scienti-fiques, les femmes sont aussi nombreuses que leshommes et parfois même plus nombreuses. EnFrance et en 2009-2010, c’est notamment le casde la biologie (60 pour cent), de la pharmacie(67 pour cent) et de la médecine-odontologie(61 pour cent). Cette répartition se retrouve àl’étranger, par exemple au Québec ou en Europenotamment en Suisse, où elles sont deux foisplus nombreuses que les hommes à passer undoctorat dans ces disciplines. Pour expliquer cesdonnées, doit-on faire appel à un autre stéréo-type, celui de l’importance du rôle des femmesdans la conservation de l’espèce ? En effet, lesfemmes sont élevées dans une logique de don-ner la vie et de la préserver. De fait, elles mon-trent un intérêt supérieur à tout ce qui toucheles sciences du vivant... !

Langues Lettres Scienceshumaines

Sciences Biologie Pharmacie Étudesmédicales

78,3% 71,7% 67,3% 27,6% 60% 67% 61%

En chiffres• En Europe, environ70 pour cent des enseignants duprimaire et secondairesont des femmes, maisenviron 60 pour centdes enseignants dansle supérieur sont des hommes.• 25,7 pour cent des cadres sont des femmes dans lessociétés du CAC 40.• Un dirigeant sur dixdes sociétés cotées enBourse est une femme.• En 2009, les femmes représentaient8,8 pour cent desmembres des conseils d’administration ou de surveillance.• 17 pour cent desdirigeants salariés sont des femmes, maiselles ne sont plus que5 pour cent dans les sociétés du CAC 40,et 5,5 pour cent dansles 80 premières entreprises (par leur chiffre d’affaires).• Mais la situationprogresse : en 2008,34 pour cent descadres étaientdes femmes, contre23 pour cent en 1990.

3. Répartition des étudiants selon les domaines et le sexe (en rose, les filles,en bleu, les garçons). Les filles sont minoritaires en sciences.

Ess05-p046050_Ciccotti_filles maths.xp 2/02/11 10:28 Page 50

Page 53: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

U n article de la sociologue MarieDurut-Bellat a relancé le débat surla mixité à l’école. En ce qui meconcerne, je ne me suis jamais pro-noncé contre ce système rendu

obligatoire en 1975, bien au contraire. Dans lecontexte actuel, je suis même un de ses plusardents défenseurs. En décidant, il y a quelquesannées, de me pencher sur cette thématique, je

n’avais d’autre projet qu’un travail d’évaluationscientifique. Mais, dans l’introduction à monlivre, Les Pièges de la mixité scolaire, paruen 2003, j’indiquais que la mixité des genres enclasse « ne supprime pas tous les "pièges" de l’in-tolérance et de l’irrespect ». Je le pense toujours.

La mixité a été introduite dans notre pays pourdes raisons économiques et budgétaires, et nulle-ment pour des raisons idéologiques. L’accès pro-

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 51

La mixité, conforme à l’esprit démocratique, assure l’égalitéentre les filles et les garçons. Elle est nécessaire, mais pas suffisante : l’apprentissage du respect et de la tolérance reste indispensable.

La mixité abandonnée ?

L’influence de l’éducation

Michel Fize,est sociologueà l’Institut nationaldes sciences humaineset sociales-CNRS, Paris.

1. La non-mixité s’est longtemps affichée sur la façade des écoles primaires. Aujourd’hui, la mixité est de mise, mais quelques exceptions se font jour : elles ne sont acceptables que si les filles n’en pâtissent pas.

Ess05-p051053_mixité_fize.xp 1/02/11 16:54 Page 51

Page 54: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

52 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

gressif (et rapide), au début des années 1960, detoute une classe d’âge à l’enseignement secon-daire empêcha – faute de moyens monétaires suf-fisants – de poursuivre la construction d’écolesséparées de garçons et de filles. On a donc édifiédes écoles uniques, non sans résistance des famil-les de l’époque, globalement attachées à la sépa-ration des sexes en classe. L’habillage démocrati-que de la mixité viendra plus tard, après les évé-nements de mai 1968 et l’essor du mouvementféministe dans les années 1970.

Depuis 2003, où le sujet de la mixité étaitparticulièrement brûlant, il y a eu l’année 2008.Se fondant abusivement sur une directive de laCommission de Bruxelles invitant les Étatsmembres à transposer dans leur législationnationale les mesures antidiscriminatoires déci-dées à l’échelle de l’Europe, le ministre del’Éducation, Xavier Darcos, fit adopter par leParlement, un texte comportant un article sti-pulant que « le respect du principe d’égalité nefait pas obstacle […] à l’organisation d’ensei-gnements par regroupement des élèves en fonc-tion de leur sexe ». En vertu de ce texte, votésans soulever de grande indignation, presquedans l’anonymat, on peut dire que la mixitén’est plus maintenant, en France, un systèmeobligatoire, puisque l’on peut y déroger, sanscondition particulière.

On peut dresser deux constats pour la ques-tion qui nous intéresse ici. Premier constat : lamixité des établissements scolaires est incom-plète, imparfaite : elle n’est appliquée ni partoutni pour tous les élèves. Si la règle est appliquéerigoureusement dans les écoles primaires (ensalles de classe), ainsi qu’au collège, elle souffre

de nombreuses exceptions au lycée. On trouve,par exemple, dans l’enseignement général, uneécrasante majorité de filles en section littéraireet de garçons en section sciences et techniquesindustrielles, tandis que dans l’enseignementtechnique, les filles sont, majoritairement, enapprentissage coiffure, et les garçons en forma-tion mécanique auto.

Meilleure réussite scolairepour les filles

Second constat : un peu partout en Europe, lamixité scolaire fait l’objet d’aménagements –plus ou moins dérogatoires au droit commun.Les aménagements visent certaines disciplines,principalement l’éducation physique et sportive,d’une part, et l’éducation sexuelle, d’autre part.Pour la première, la séparation – provisoire – desfilles et des garçons, pour certains exercices,répond, semble-t-il, au souci d’améliorer leursperformances, pour la seconde à la volonté depermettre à chaque sexe, sur les sujets de l’in-time, une plus « libre » expression, nous y revien-drons. Des enseignements séparés sont prévus,selon les pays, dans d’autres disciplines : mathé-matiques, informatique, sciences naturelles, etc.

Mais revenons en France. Pour ou contre lamixité ? La réflexion, ou l’interrogation, est par-tie d’un article publié dans le Monde de l’Éduca-tion de janvier 2003 indiquant, d’une part, uneplus grande réussite scolaire des filles et l’insuc-cès moyen des garçons, et, d’autre part, l’impor-tance des violences sexistes commises par lesgarçons au préjudice des filles.

Après un examen attentif des données chif-frées disponibles, on peut dire pourtant qu’iln’existe pas de corrélation probante entre lemélange sexuel à l’école et ces deux faits. Laréussite des filles – qui est attestée quel que soitle système d’enseignement, mixité ou séparationd’avec les garçons – résulte en réalité d’une plusgrande adaptabilité aux règles scolaires (tant auplan de l’organisation du travail que du respectde la discipline), ainsi que d’une plus grandeconscience de l’enjeu de la réussite.

Dans les milieux les plus modestes en parti-culier, et les plus différents culturellement(milieux musulmans radicaux, par exemple), laréussite scolaire est un gage d’autonomie per-sonnelle. Les succès permettent aux filles des’insérer sur le marché du travail et de choisirleur vie. Quant aux échecs plus nombreux desgarçons, ils s’expliquent d’abord par un plusgrand éloignement « mental » de la culture sco-laire. L’école apparaît à ces derniers de plus enplus contradictoire avec leurs modes de vie

En Bref• La mixité est de règle en classe primaire et au collège, mais au lycée, il existe de nombreusesexceptions.• Les dérogations doivent rester exceptionnelles etassurer les conditionsd’un meilleur épanouissement pour les filles.

2. Certains coursd’éducation physique, ne sont pasmixtes, comme ici oùdes filles apprennent àjouer au football. Selonles professeurs qui séparent leurs élèves,c’est pour que les fillespuissent exprimer leursqualités, ce qu’elles fontparfois mieux qu’en présence des garçons.

iofo

to /

Shutt

ersto

ck

Ess05-p051053_mixité_fize.xp 1/02/11 16:54 Page 52

Page 55: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n° 5 - février - avril 2011 53

extérieurs, où dominent le bruit et le mouve-ment, tandis que règnent en classe le silence etl’immobilité, d’où une plus grande démotiva-tion et un plus faible investissement à travailler.

Reste la question des violences sexistes, et, danscertains cas, des agressions sexuelles (un pourcent environ du total des violences enregistrées).Il est entendu que, si la présence des filles donnel’occasion aux garçons de commettre des exac-tions à leur égard, on constate que les violencessont surtout commises entre garçons, le milieuscolaire mettant, préférentiellement, en scène lerapport du fort au faible. Par ailleurs, il faut rap-peler que la violence, qui est un phénomène glo-bal, nous la retrouvons dans la rue, les transportsen commun, sur les stades… Réintroduire laséparation totale des sexes à l’école ne résoudraitdonc pas ce problème général, dont les causeséconomiques, morales et sociales sont patentes.

Je ne reprendrai pas chacun des autres argu-ments en faveur ou en défaveur de la mixité àl’école, la plupart étant « réversibles » et peuconvaincants. Ainsi, dans le système de la mixité,observerait-on à la fois de l’émulation entre élèveset de la distraction chez certains (le plus souventdes garçons). Mais est-ce là la cause de la réussitescolaire des filles et de l’échec des garçons ? Non.

Ainsi, la mixité est conforme à l’esprit démo-cratique, et je ferai quelques propositions quipourraient en améliorer le fonctionnement.Pour l’école primaire, je pense que, non seule-ment il ne faut pas en réduire le champ d’appli-cation, mais qu’au contraire il est urgent del’étendre là où elle n’est pas encore : dans lesespaces récréatifs. La cour – où la séparationentre les sexes est réalisée de fait – on le sait, estl’occasion pour les petits mâles de perpétuer leurdomination sur l’autre sexe. Ceci n’est pasconforme à l’esprit de l’école républicaine mixte.

Les exceptions doiventrester… exceptionnelles

Pour le collège et le lycée, observant que lacohabitation des sexes est désormais globale-ment admise, je pense que le système doitdemeurer en l’état. Je suggère seulement, aunom du « principe de précaution », et pour faireface à des situations d’urgence, que l’on puissepermettre aux élèves violentés gravement (desfilles souvent) de pouvoir, momentanément,avec leur accord bien entendu, être retirés d’unenvironnement mixte, pour étudier, en toutesérénité, dans des salles de classe séparées, ausein d’établissements qui resteraient mixtes.

L’important finalement est de permettre à lamixité de « respirer », ce qui légitime les quel-

ques dérogations observées, depuis longtemps,dans les deux disciplines déjà mentionnées :l’éducation physique et sportive et l’éducationsexuelle. En éducation physique et sportive, lesprofesseurs, interrogés sur les motifs qui lesconduisent, parfois, à une séparation momenta-née des sexes, répondent qu’il s’agit de permettreaux filles d’exprimer leurs qualités techniques etsportives (moins agressives que celles des gar-çons), et cela dans une plus grande quiétuded’esprit. Quant à l’éducation sexuelle, ensei-gnants, assistantes sociales, infirmières expli-quent que la libre expression des deux sexes sup-pose d’abord leur séparation : il est des choses del’intime qui ne peuvent se dire qu’à l’abri duregard de l’autre sexe. Dans les deux cas, force estde reconnaître qu’il ne s’agit pas de séparationdiscriminante, qui viserait à inférioriser les jeu-nes filles, mais de séparation cherchant à lesmettre au contraire dans les meilleures condi-tions d’épanouissement personnel et de réussitescolaire. N’allons cependant pas plus loin dansles dérogations disciplinaires.

Il nous paraît important, pour finir, de rappe-ler que le système de cohabitation des sexes doits’accompagner d’un apprentissage des valeurs,afin d’atteindre une véritable égalité des chancesentre filles et garçons, le seul vrai objectif del’école laïque et républicaine. Si la mixité est,nous semble-t-il, une condition nécessaire del’égalité des sexes, on sait qu’elle n’en est pas unecondition suffisante. La mixité n’est pas ver-tueuse en soi, elle ne produit pas spontanémentles meilleurs effets. Il ne suffit pas, en effet, demettre garçons et filles les uns à côté des autrespour obtenir immédiatement respect, tolérance,solidarité, etc. La mixité réclame un accompa-gnement, un apprentissage des élèves, une for-mation des maîtres. !

Bibliographie

M. Duru-Bellat,Ce que la mixité faitaux élèves, in Revuede l'OFCE, juillet 2010.J.-L. Auduc, Sauvonsles garçons, Descarteset cie, 2009.M. Fize, Les Pièges de la mixité scolaire,Presses de la Renaissance, 2003.

3. Dans la cour de récréation,la mixité n’est qu’apparente, les garçons jouant souvent entre eux et les filles entre elles.

Gold

en P

ixels

LLC /

Shu

tterst

ock

Ess05-p051053_mixité_fize.xp 1/02/11 16:54 Page 53

Page 56: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

P ourquoi les hommes n’aiment-ils pasdemander leur chemin ? Cette ques-tion peut sembler anodine, mais elleest emblématique de la frustrationque des hommes et des femmes res-

sentent lorsqu’ils discutent. J’ai passé plus de30 ans à étudier comment les femmes et leshommes interagissent, et j’ai trouvé que lesconversations des hommes tendent à se focalisersur la hiérarchie – la compétition – tandis quecelles des femmes sont davantage centrées sur laproximité affective ou, au contraire, la distanceaffective entre individus. En d’autres termes, unhomme et une femme pourraient sortir d’unemême conversation en se posant des questionstotalement différentes : il pourrait se demander,« Est-ce que cette conversation a augmenté ouréduit mon pouvoir sur elle ? », tandis qu’elle sedemanderait, « Est-ce que cette conversationnous a rapprochés ou éloignés ? »

Mais toute conversation, voire toute relation,est une combinaison de rapports de dominationet des liens affectifs, – les deux aspects étantétroitement liés. Nous voulons tous être puis-

sants et nous voulons tous nous lier à autrui.Durant toutes ces années, j’ai cherché à com-prendre comment les styles de conversation deshommes et des femmes sont des façons différen-tes d’atteindre les mêmes buts. Mes travaux lesplus récents explorent un environnement où lesrôles sont inversés, c’est-à-dire où les femmes sepréoccupent plus de leur position hiérarchiqueet les hommes des relations interindividuelles :la famille. Les relations entre sœurs permettentnotamment de comprendre à quel point compé-tition et proximité affective sont liées.

Surenchère pour les garçons, similitude pour les filles

Mais pourquoi avoir commencé par la ques-tion initiale ? Encore un peu de patience et vousle découvrirez. Abordons d’abord une autrequestion : d’où vient mon intérêt pour les dif-férences linguistiques entre hommes et fem-mes ? De mes recherches antérieures sur lesconversations entre personnes d’origines ethni-ques ou régionales différentes. Ces interactions

54 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

Les femmes et les hommes ne parlent pas le même langage, ce qui peut expliquer certaines difficultés de communication.

Pourtant, les différences ne sont pas si grandes qu'il n’y paraît.

Des styles différentsde conversation

L’influence de l’éducation

Deborah Tannenest professeur de linguistiqueà l’Université de Georgetown,aux États-Unis.

En Bref• La conversation des hommes tend à se focaliser surla compétition pour le pouvoir, celledes femmes sur la proximité affective.• Mais, en fait, toutesles conversations combinent ces deuxaspects à des degrésdivers.• La famille représentele contexte où les rôless’inversent : les femmesse préoccupent plusde hiérarchie et les hommes de proximité affective.

Ess05-p054059_conversation_Tannen.xp 3/02/11 14:58 Page 54

Page 57: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

conduisent souvent à des malentendus, parceque les membres des divers groupes ont sou-vent des conceptions différentes de ce qu’ilconvient de dire et de la façon dont il faut ledire. J’avais l’intuition – validée par la suite –que de telles difficultés de compréhensionpouvaient survenir au cours des conversationsentre hommes et femmes.

J’illustre souvent ce phénomène en utilisantde petits films d’enfants d’âge préscolaire dansune garderie. Dans l’un d’eux, quatre petits gar-çons sont assis ensemble, discutant de la hau-teur à laquelle ils peuvent lancer un ballon. « Lemien monte jusque-là » déclare l’un d’eux enlevant son bras au-dessus de sa tête. « Le mienva jusqu’au ciel » répond le deuxième. Le troi-sième d’assurer : « Le mien va jusqu’au para-dis ! » Quant au quatrième, pour ne pas être enreste, il déclare : « Le mien va jusqu’à Dieu. »Cet échange entre garçons est à l’évidence unjeu de hiérarchie, puisque chacun surenchéritsur l’affirmation précédente.

Un autre film a été réalisé dans la même écolematernelle avec deux fillettes, assises à une petite

table et qui dessinent. Tout à coup, une des fillesrelève la tête, regarde l’autre et dit (faisant detoute évidence référence à des lentilles decontact), « Est-ce que tu savais que Julie a descontacts déjà ? » La seconde fille a d’abord l’airperplexe, mais se ressaisit et déclare, avec unplaisir apparent, « Ma maman a des contactsdéjà, et mon père aussi ! » La première fille rit dejoie à cette réponse en écho, qui reproduitjusqu’à la syntaxe bizarre de sa propre phrase.Après une pause, pendant laquelle les deux fillesretournent à leurs dessins, la première s’exclamejoyeusement « Pareil ! » Elle a envie d’êtrecomme son amie, alors que les garçons veulentêtre supérieurs à leurs copains.

Bien que ces conversations aient un contenudifférent – soit être meilleur, soit être pareil –,elles sont toutes les deux des rituels : elles sem-blent répondre à des attentes évidentes sur lafaçon dont une conversation doit se dérouler etce à quoi une réponse raisonnable doit ressem-bler. Comme lorsqu’il s’agit de communica-tions interculturelles, nous ne les reconnais-sons pas comme des rituels jusqu’à ce que nous

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 55

1. Ils se parlent, maisse comprennent-ils ?

Les mots n’ont pas toujours le même sens

pour les femmes et les hommes.Le contexte est

essentiel.

IR Sto

ne -

Nina

Maly

na /

Shu

tterst

ock

Ess05-p054059_conversation_Tannen.xp 3/02/11 14:58 Page 55

Page 58: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

56 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

parlions à des personnes qui ne partagent pasnos attentes : nous constatons alors que surgis-sent incompréhensions ou quiproquos.

Des parents m’ont rapporté diverses conver-sations illustrant ces attitudes et leur façon deréagir à ces comportements qui semblentdéroutants. Par exemple, une femme se rap-pelle avoir entendu trois petits garçons – sonfils et deux de ses amis – discutant sur le siègearrière de sa voiture pendant qu’elle condui-sait. Un garçon a dit : « Quand nous sommesallés à Disneyland, nous sommes restés troisjours. » Le second garçon : « Quand nous som-mes allés à Disneyland, nous sommes restésquatre jours. » Puis son fils a déclaré : « Nous,on va déménager à Disneyland ! » Elle était per-turbée de l’entendre mentir de cette façon.Devait-elle dire à son fils de ne pas mentir ? Je luiai assuré que les trois garçons savaient très bienque son fils n’allait pas déménager à Disneyland,mais qu’il s’agissait plutôt d’un jeu, et que son filsvenait de gagner une partie.

Un père m’a rapporté une conversation simi-laire entre sa petite fille et son amie. L’amie avaitdit : « J’ai un frère qui s’appelle Benjamin et unfrère qui s’appelle Jonathan. » Sa fille arépondu : « Moi aussi j’ai un frère qui s’appelleBenjamin et un frère qui s’appelle Jonathan. »Bien sûr, c’était faux. Son père ne savait com-ment réagir. Je lui ai expliqué qu’elle avait ima-giné cette situation uniquement en signe debonne volonté, pour renforcer leur amitié.

Cette approche centrée sur le rapprochementou sur la domination s’applique également à de

nombreuses conversations entre adultes – etexplique quelques frustrations. Supposonsqu’une femme raconte à une autre un problèmepersonnel et s’entende répondre : « Je sais ce quetu ressens » ou « Il m’est arrivé la même chose. »La discussion renforce leurs liens. Certainesfemmes se sentent même obligées d’inventer desproblèmes à raconter à leurs amies pour renfor-cer l’intimité ! Parce que ce n’est pas un rituelconversationnel auquel les hommes sont habi-tués, un homme pourrait interpréter ces confi-dences comme une demande d’aide pour résou-dre le problème auquel cette femme est confron-tée. Il en résulte une double frustration : elle luireproche de lui dire ce qu’elle doit faire et de nepas lui apporter le réconfort qu’elle attend.Quant à lui, il pense qu’il a fait exactement cequ’elle attendait et ne comprend pas pourquoielle continue de parler de son problème sansvouloir suivre ses conseils.

Malentendus et quiproquosDes scénarios similaires se produisent au tra-

vail, où des malentendus peuvent avoir desconséquences importantes sur une carrière. Parexemple, supposons que le supérieur d’unefemme l’entende parler à une personne hiérar-chiquement inférieure en lui disant : « Peux-tume rendre un service et aller me chercher unecopie de ce rapport ? » Il penserait qu’elle man-que de confiance en elle et qu’elle donne l’im-pression de ne pas avoir le droit de demander àson subordonné d’aller chercher ce dossier.

Mais en vérité, c’est probablement exacte-ment le contraire : elle sait que le subordonnédoit faire ce qu'elle demande. Son expression« Peux-tu me rendre un service » est une façonde ne pas afficher son pouvoir, et ainsi de nepas froisser son subordonné. Si les hommesperçoivent souvent un manque de confianceen soi (ou même un manque de compétence)dans la façon dont parlent les femmes, ces der-nières interprètent les discours masculins plusdirects comme dominateurs... et trahissant unmanque de confiance en soi. Elles pensent : ildoit vraiment manquer d’estime de soi pour sesentir obligé d’afficher aussi ostensiblementson pouvoir.

Cela nous ramène au conducteur qui a perduson chemin. Du point de vue de la femme,demander son chemin à quelqu’un revient à éta-blir une relation éphémère avec un étranger et àobtenir une information précieuse sans perdrela face. Au contraire, l’homme « perdrait unpoint » vis-à-vis d’un étranger – une expériencequ’il considérerait comme désagréable. Qui plus

2. Les hommes évitentde demander leur

chemin parce que celales met en situation

d’infériorité par rapport à la personne qui leur

a répondu. Ce quiengendre parfois

de violentes discussionsavec le copilote !

Ess05-p054059_conversation_Tannen.xp 3/02/11 14:59 Page 56

Page 59: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 57

est, il craindrait même que l’étranger, s’il ne saitpas répondre, l’envoie n’importe où, unique-ment pour ne pas « perdre un point » lui-même.C’est pour cela qu’il veut éviter cette situationpénible, et préfère passer le temps qu’il faut pourtrouver lui-même le chemin.

Malgré ces différences, les styles de conversa-tion des femmes et des hommes sont plus simi-laires qu’il n’y paraît, et ils peuvent être utiliséspour atteindre les mêmes objectifs. En fait, leshommes sont aussi préoccupés par la proximitéaffective et les femmes par le pouvoir, bien que lesfaçons de parvenir à leurs fins diffèrent souvent.

Les rituels verbaux qui se focalisent sur les liensaffectifs impliquent souvent la similitude, commenous l’avons évoqué dans l’échange des petites fil-les et des lentilles de contact, et dans la réponseusuelle : « Il m’est arrivé la même chose » ou « Jesuis pareil ». Et pourtant, les réponses du type« Ce n’est rien ! Il m’est arrivé bien pire... », typi-quement masculines – et interprétées commecompétitives – peuvent aussi créer un lien, carelles sous-entendent : « Tu ne devrais pas te sen-tir mal à cause de ce qui t’est arrivé, parce quecela arrive à d’autres, et ce fut bien pire en ce quime concerne. » En d’autres termes, cette façond’« être meilleur » qu’autrui serait une autrefaçon de se montrer compatissant.

De même, ce qui, chez les femmes, peut êtreperçu comme visant à établir un lien est parfoisune façon d’exercer un pouvoir. La linguisteAmy Sheldon, de l’Université du Minnesota aétudié ce processus en filmant des enfants d’âgepréscolaire, du même sexe, qui jouaient pargroupes de trois. Elle a trouvé que garçons et fil-les poursuivent leurs propres buts, mais, tandisque les garçons le faisaient en contrariantouvertement les objectifs des autres, les fillessemblaient respecter ceux des autres. Par exem-ple, deux filles, Eva et Kelly, n’avaient pas trèsenvie d’inclure la troisième, Tulla, dans leur jeu.Au lieu de lui dire franchement qu’elle ne pou-vait pas jouer avec elles, elles l’ont incluse, maislui ont donné un rôle qui empêchait toute par-ticipation : « Tu peux être le bébé, mais tu n’espas encore né. » A. Sheldon souligne que ceci estune manœuvre évidente, mais qu’elle laissecroire à l’exclue qu’elle participe au jeu.

Dans cet exemple, le comportement desenfants n’illustre ni des rapports de dominationni des liens entre individus, mais un mélange desdeux. On pourrait dire qu’Eva et Kelly ont exercéun pouvoir en empêchant Tulla de participer aujeu, mais elles ont aussi respecté le lien en luiproposant un rôle. En revanche, A. Sheldon aremarqué que quand des garçons jouent, ils onttendance à insister plus ouvertement sur leurs

objectifs, quitte à utiliser la force. Cependant,A. Sheldon souligne que, bien que garçons et fil-les aient tendance à utiliser une stratégie plutôtqu’une autre, la différence est une question dedosage. Et parfois, les garçons tentent de faire descompromis, alors que les filles utilisent la forcepour atteindre leur but.

Un dosage subtil de proximitéaffective et de domination

Ces recherches nous rappellent que les com-portements observés sont souvent nuancés. Àcet égard aussi, l’exemple initial (demander sonchemin) est intéressant. Il arrive que le maridemande son chemin, alors que la femme essaiede se localiser sur une carte. Même s’il existedes tendances liées au sexe, divers facteursinterviennent, tels que la culture, la région ouencore les circonstances.

Ainsi, les différences entre les sexes sontaffaire de proportion entre la part accordée auxrelations interindividuelles et à la domination,

3. Les filleset les femmes aiment être pareilles. Quand ellesparlent, elles soulignentleurs similarités pour renforcer leur intimité.

Elena

Yak

ushe

va /

Shu

tterst

ock

Ess05-p054059_conversation_Tannen.xp 3/02/11 14:59 Page 57

Page 60: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

58 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

puisque nous aspirons plus ou moins à l’une età l’autre. Nous sommes toujours en train denégocier ces deux aspects. Eva et Kelly attei-gnaient les deux buts en incluant Tulla – tout enl’empêchant de participer. De même, les garçonsengagés dans une compétition verbale sur lahauteur à laquelle ils pourraient envoyer leurballon créent du lien en étant d’accord sur le jeuverbal auquel ils participent. Donc, pour com-prendre les comportements qui diffèrent selonle sexe, plutôt que de demander : « Est-ce quecette façon de parler fait appel à la dominationou à la proximité affective ? », nous devonsdemander : « En quoi cette façon de parlerreflète-t-elle la façon dont la domination et laproximité affective interagissent ? » Et le cadre leplus intéressant pour étudier ces interactions estuniversel et essentiel : la famille.

Les liens familiauxLa famille est fondée sur une structure hiérar-

chique et sur la proximité affective. La hiérarchieentre parents et enfants est évidente, mais elleexiste aussi entre frères et sœurs. Bien que nousutilisions l’expression « il est comme un frèrepour moi» pour décrire une amitié très forte, lesrelations entre frères et sœurs sont aussi définiespar la hiérarchie qu’impose l’ordre de naissance.Je me suis intéressée aux relations entre sœurs,parce qu’on peut y observer une forte compéti-tion ainsi qu’une hiérarchie.

J’ai interrogé plus de 100 femmes sur leursrelations avec leurs sœurs et leurs frères. Il appa-

raît que les frères et sœurs aînés sont souventconsidérés comme protecteurs, mais qu’ils ne seprivent pas d’émettre des avis tranchés sur lecomportement des cadets : qui aime bien châtiebien. «Émettre des avis tranchés» signifie que lesfrères et sœurs voient comment les cadets secomportent et leur disent comment ils pour-raient s’améliorer. Quand il s’agit d’amis, demembres de notre famille ou même d’étrangers,nous voyons bien ce qu’ils pourraient faire pouraller mieux, par exemple, mais normalement,nous ne leur disons pas ce que nous pensons –sauf si nous nous sentons responsables d’eux.

Quant aux parents, ils semblent souvent por-ter des jugements parce qu’ils pensent que c'estleur droit, sinon leur obligation, de dire à leursenfants comment faire pour que leur vie soit laplus réussie possible. Cependant, de tels conseils,même s’ils sont prodigués avec la meilleureintention, sont généralement reçus comme descritiques – et donc des remarques humiliantes.Celui qui prodigue les conseils est supérieur depar son savoir et, en exerçant son droit de direaux autres ce qu’il faut faire, il est aussi supérieurde par son rang.

De même, les aînées parlent souvent à leurssœurs cadettes de façon autoritaire, comme leferaient des garçons ou des hommes. Unefemme m’a raconté que, quand elle était petite,elle et sa sœur aînée jouaient à un jeu qu’ellesnommaient « serpillière». Elle était la serpillière.Sa sœur la prenait par les jambes et la traînaitdans la maison, ses longs cheveux essuyant le solcomme un balai. De nombreuses femmes serappellent que leur sœur aînée organisait lesjeux et les dirigeait : « Je serai la princesse et tuseras la grenouille. » Un jour, mon père m’aentendue demander à ma sœur, quand j’avaisenviron cinq ans, « Est-ce que je peux jouer danston jardin ? » Je ne remettais pas en questionl’autorité de ma sœur aînée.

L’intimité est ce que les filles et les femmesrecherchent avant tout. Les femmes que j’aiinterrogées m’ont souvent déclaré : « J’aimeraisêtre plus proche de ma sœur », mais jamais « Jetrouve que nous sommes trop proches ».Généralement, elles disent qu’elles considèrentque parler de leurs problèmes est essentiel pourl’intimité. Des femmes m’ont raconté qu’ellesavaient été profondément blessées d’apprendreque leur sœur ne leur avait pas confié des infor-mations personnelles importantes. Tandis qued’un frère (ou d’un père), elles diraient : « Ilnous en a parlé quand il a été prêt », ellesdiraient d’une sœur ou de leur mère : « Je pen-sais que nous étions si proches qu’elle ne pour-rait me cacher quoi que ce soit. »

4. Les sœurs aînéescherchent souvent à dominer leur sœurcadette, et leur parlentd’une façon que l’on attendrait plutôt de la part d’un garçon.

swiss

mack

y /

Shutt

ersto

ck

Ess05-p054059_conversation_Tannen.xp 3/02/11 14:59 Page 58

Page 61: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

Les liens entre sœurs sont souvent teintés derivalité, mais il s’agit alors d’une compétitionvisant à améliorer l’information partagée. Lessœurs sont souvent en compétition en ce quiconcerne les secrets de famille ; c’est sans cesse àqui sera la première à révéler que telle cousineva se fiancer, que tel cousin a quitté sa compa-gne, que telle autre cousine est enceinte. On m’araconté que dans une famille, dès que l’une dessœurs a une telle nouvelle à partager, elles met-tent en place une « conférence téléphonique »afin que toutes les sœurs apprennent la nouvelleen même temps, sinon, celle qui aurait été appe-lée en premier apparaîtrait comme favorisée etles autres se sentiraient offensées.

Un mélange subtil de compétition et d’intimité

Ainsi, les sœurs sont souvent en compétition,et la hiérarchie fait partie de leurs relations neserait-ce que par l’ordre de naissance. En revan-che, les frères sont souvent très proches, seule-ment par le fait d’appartenir à la même famille.Pourtant, qu’ils soient frères ou sœurs, ils onttendance à rivaliser pour être les meilleurs danscertains domaines. Les sœurs, nous l’avons évo-

qué, pour être les premières à apprendre unenouvelle, les frères pour être meilleurs dans undomaine technique (par exemple, l’informati-que) ou par leurs connaissances, l’histoire oul’astronomie, par exemple.

Les relations familiales montrent clairementque l’intimité n’est pas opposée ni même dis-tincte de la hiérarchie ou de la compétition. Enfait, l’une des raisons pour lesquelles les sœursaînées se sentent aussi à l’aise pour mener leursplus jeunes sœurs par le bout du nez et leurdonner des conseils, est justement le fait qu’ilexiste entre elles un lien très étroit. De plus,l’amour profond qui existe entre aînés et cadetsrésulte en partie du fait que l’aîné s’est occupédes cadets et que cela fait naître des sentimentsqui ne sont pas si éloignés de ceux des parentsvis-à-vis de leurs enfants, et des enfants (ou descadets) vis-à-vis de leurs parents (ou des aînés).

Analyser les conversations au sein d’unemême famille révèle un mélange subtil decompétition et d’intimité. Les styles de conver-sation diffèrent selon que l’on est un hommeou une femme, mais ils ont tous le mêmeobjectif : trouver le bon équilibre entre inti-mité et distance tout en négociant le pouvoirrelatif de chacun. !

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 59

Bibliographie

D. Tannen, You’re wearing that ?

Understanding Motherand Daughters

in Conversation, Ballantine Books, 2006.

D. Tannen, Si Je Te DisÇa, C'Est Pour Ton

Bien. Du Malentendu à la Compréhension, comment le Dialogue

peut conduire à l'Harmonie Familiale,

Pocket, 2004.D. Tannen, DécidémentTu Ne Me Comprends

Pas. CommentSurmonter Les

Malentendus entreHommes et Femmes,

Pocket, 2001.D. Tannen, Talking from

9 to 5 : Women andMen at Work, Harper

Paperbacks, 1995.

Ess05-p054059_conversation_Tannen.xp 3/02/11 14:59 Page 59

Page 62: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

60 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

Beaucoup d’idées reçues circulent quand il s’agitdes différences entre les filles et les garçons.

Voyons ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas à la lueur des résultats obtenus par les psychologues.

Vrai ou faux ?

L’influence de l’éducation

Serge Ciccottiest docteur en psychologieet chercheur associéà l’Universitéde Bretagne Sud,à Lorient.

• Une petite fille estplus sociable qu’un petit garçon dès la naissance.

Vrai. On a ainsi montré quedès la naissance une petite filleregarde plus longtemps unvisage que ne le fait un petitgarçon. Ces résultats ont étémis en évidence sur des nou-veau-nés âgés de 36 heures seu-lement, c’est-à-dire bien avantqu’ils ne soient influencés parles facteurs sociaux et culturels.

• Les garçons sontaussi souriants que les filles.

Faux. Une étude portant sur16 000 photographies de clas-ses – de la maternelle à l’uni-versité – a montré que 80 pourcent des filles sourient contre60 pour cent des garçons. Maiscette différence n’apparaît pasavant l’âge de 5 ans.

• Les garçons sont plus douillets que les filles.

Faux. Les recherches indi-quent que les différences entrehommes et femmes existentdans l’expérience de la douleur.

Les filles sont plus sensibles à ladouleur que les garçons. Les rai-sons évoquées sont de diversesnatures. Une des causes est ner-veuse : la peau est plus mince etcontient davantage de fibresnerveuses chez les filles. Uneautre est cérébrale : les zonescérébrales activées en cas dedouleur sont différentes selonles sexes. Enfin, la troisièmecause est culturelle puisqu’unhomme ne doit pas montrerqu’il souffre (il doit contrôlerl’expression de sa douleur).

• Les garçons sont plusremuants que les filles.

Vrai. C’est déjà le cas quandon étudie les mouvements cor-porels des fœtus dans le ventrede leur maman : les garçonsbougent davantage les jambesque les filles et cela continueaprès la naissance.

• Les filles préfèrent le rose et les garçons le bleu.

Vrai et faux. Il est vrai quesur un axe des couleurs allantdu vert au rouge, les femmesont une préférence marquée

pour l’extrémité rouge de l’axe,ce qui fait du rose et du lilasleurs couleurs préférées. Aucunepréférence n’est constatée pourles garçons sur cet axe. Ces dif-férences sont assez fortes pourque l’on puisse prédire le sexed’une personne sur la base deson profil de couleurs préfé-rées. Au contraire, sur l’axe« vert-jaune », hommes et fem-mes choisissent le bleu. Ce quiconcrètement veut dire que lebleu est la couleur préféréeuniversellement, mais qu’enplus de cela les femmes aimentle rose.

Des différences dès le plus jeune âge

Bibliographie

J. Connellan et al., in InfantBehavior and Development,vol. 23(1), pp. 113-118,2000. D. Dodd et al., in The Psychol.Record, vol. 49, pp. 543-554,1999. A. Mowlavi et al., in Plasticand Reconstructive Surgery,vol. 116(5), pp. 1407-1410,2005.C. Almli et al., in Develop.Psychobiology, vol. 38(4),pp. 252-73, 2001.A. Hurlbert et al., in Curr.Biology, vol. 17, pp. 623-625, 2007.

Ess05-p060063_Ciccotti_quizz.xp 2/02/11 10:34 Page 60

Page 63: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 61

• Les hommes mententpour être bienveillants et les femmes pour se montrer compétentes.

Faux. De nombreux travauxattestent que les filles mententpour se montrer agréables,tolérantes et bienveillantes, etles garçons davantage pour semontrer compétents et géné-reux. Ces « exagérations » sontflagrantes lorsque les protago-nistes ont pour objectif de s’ac-coupler. Ces mensonges sontutiles pour se faire valoir, car lesfemmes apprécient les hommesgénéreux et compétents et leshommes, les femmes agréableset bienveillantes…

• Les hommes sontaussi compétents que les femmes pour réprimer leurs désirs.

Faux. Dès la plus tendreenfance, les filles sont davan-tage que les garçons capablesd’inhiber toutes formes de ten-tations (même sexuelle) et celaà cause de leurs stratégies dereproduction. En effet, lesconséquences d’un acte sexuelétant plus importantes pourune femme que pour unhomme, elles ont un plusgrand intérêt à contrôler leuréveil sexuel pour se donner dutemps. Temps indispensablepour évaluer la valeur d’unhomme avant de passer à l’acte.

• Les hommes n’aiment que les frites.

Vrai. Disons pour être plusprécis que la variété alimentairestimule l’appétit des filles, maispas celui des garçons… Ce quiveut dire qu’un homme estcapable de manger avec appétitla même chose pendant plu-

sieurs repas. Chez les filles, c’estl’inverse. Plus les aliments sontvariés, plus elles ont d’appétit.

• Les hommes recherchent plus que les femmes des relationssans lendemain.

Vrai. Cela ressort de toutesles recherches sur la question.Elles ont mis en évidence queles hommes sont plus intéres-sés que les femmes pour desrapports à court terme, ce quiexprime un désir masculinorienté davantage vers le sexe.Les femmes recherchent plu-tôt des relations romantiquesfondées sur un échange émo-tionnel profond, comme dansles relations matrimoniales,c’est-à-dire des relations sur lelong terme. Quand on les

interroge sur 30 ans de leurvie, les hommes déclarentqu’ils auraient voulu avoir enmoyenne près de 7 partenaireset les femmes 2,5.

Bibliographie

V. Griskevicius et al., inJournal of Personality andSocial Psychology, vol. 93,pp. 85-102, 2007.G. Kochanska et al., Inhibitorycontrol in young children andits role in emerging internalization, in ChildDevelopment, vol. 67,pp. 490-507, 1996. W. W. Beatty, in Bulletin of the Psychonomic Society,vol. 19, pp. 212-214, 1982.D. P. Schmitt, in Journal of Personality and SocialPsychology, vol. 85(1),pp. 85-104, 2003.

Spécificités masculines

©Ric

hard

Pete

rson/

Shu

tterst

ock

©Mirc

ea B

ezer

ghea

nu/

Shutt

ersto

ck

Nourriture d’homme en haut

et de femme en bas ?Oui, d’après

certaines études...

Ess05-p060063_Ciccotti_quizz.xp 2/02/11 10:34 Page 61

Page 64: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

62 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

• La voix des femmes fatigue les hommes.

Vrai. Les voix de femmessont plus aiguës et plus mélo-dieuses que celles des hommes.Elles comportent une plusgrande gamme de fréquences etsont plus difficiles à décrypter.L’imagerie cérébrale montreque le cerveau des hommesdoit mobiliser davantage deressources pour comprendreles voix féminines, qui sonttraitées par le cerveau masculincomme le sont les bruits com-plexes et la musique.

• Les femmes sesouviennent mieux queles hommes des tenuesvestimentaires d’autrui.

Vrai. Les femmes ont davan-tage la « mémoire de l’aspect »que les hommes, certainement,parce qu’elles font plus atten-tion aux aspects sociaux de leurenvironnement.

• Les femmes sont de meilleurs chefs

d’entreprise que les hommes.

Vrai. S’il s’agit d’obtenir unéquilibre financier, alors oui,les femmes sont de meilleurschefs d’entreprise que les hom-mes. En effet, trois fois plusd’hommes (20 pour cent) quede femmes (sept pour cent)ont connu une baisse d’activitésur l’année précédant l’étuderéalisée en Grande-Bretagne,en 2005. De plus, les femmesmanager prennent des déci-sions après avoir consulté l’en-semble de l’équipe et considè-rent que le comportement duchef doit être exemplaire.

• L’achat compulsif est un trouble psychologiquetypiquement féminin.

Faux. Sur un échantillonaléatoire de 2 513 adultes (hom-mes et femmes), il s’avèrequ’une personne sur 20 estatteinte du trouble d’achat com-pulsif. Il s’agit surtout de per-sonnes jeunes, avec de bonsrevenus (50 000 dollars par an).Par ailleurs, il ne s’agit pas uni-

quement de femmes puisque5,5 pour cent des femmes inter-rogées et 5,8 pour cent des hom-mes présentaient ce trouble.

• Le dégoût est une émotion essentiellement féminine.

Vrai. Face à des imagesrepoussantes, les femmes sedisent davantage dégoûtéesque les hommes. Mais au-delàde l’évaluation subjective, lesimages au scanner font appa-raître que les zones cérébralesliées aux émotions sont acti-vées chez les filles, mais paschez les garçons. Pourquoi unetelle différence ?

Les femmes auraient eu unintérêt adaptatif à sentir cetteémotion davantage que leshommes. En effet, le dégoûtprovoque de l’aversion et desvomissements et par consé-quence l’évitement et l’expul-sion de l’objet qui l’a provo-qué. Ce mécanisme augmente-rait la probabilité de survie dufœtus et du bébé qu’elles por-tent en les protégeant de cer-tains aliments et situations.

Spécificités féminines

Bibliographie

D. Sokhi et al., in NeuroImage,vol. 27(3), pp. 572-578, 2005.T. Horgan et al., in Personalityand Social PsychologyBulletin, vol. 30(2), pp. 185-196, 2004. A. Eagly et al., inPsychological Bulletin,vol. 129, pp. 569-591, 2003.L. Koran et al., in AmericanJournal of Psychiatry,vol. 163(10), pp. 1806-12,2006. S. Karama at al., in The Journalof Sex Research (Section II :Clinical Sexology ; BriefArticle), 2006.

©And

resr/

Shu

tterst

ock

L’achat compulsif,typiquement féminin ?

Non !

Ess05-p060063_Ciccotti_quizz.xp 2/02/11 10:34 Page 62

Page 65: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 63

• Le père a davantage d’influence que la mèresur le langage desenfants.

Vrai. Les études montrentque les enfants dont le pèreemploie un vocabulaire richeet varié ont un développementdu langage plus rapide que lesautres. En revanche, la façondont les mères s’expriment n’apas d’influence notable sur lelangage de l’enfant. Ces résul-tats concernent des familles oùles deux parents travaillent.

• Le mari a plus de difficultés que safemme de se souvenir de la date de leur première rencontre.

Vrai. Les femmes ont 15 pourcent de mémoire émotionnelleen plus. D’où de nombreusessources de conflits dans le cou-ple à propos de l’oubli desdates d’anniversaires… Cetteperformance expliquerait aussipourquoi les femmes sont,davantage que les hommes,prédisposées aux dépressions.Cela pourrait provenir de cettefaculté à se remémorer, voire àressasser, les souvenirs dés-agréables…

• La nuit, les mères entendent mieux que les pères leur enfantpleurer.

Vrai. En faisant écouter dessanglots de bébés à différentssujets, les chercheurs ontremarqué une activation plusmarquée du cortex préfrontalet de l’amygdale cérébrale chezles femmes. Il est probable queles cris d’un bébé passent parun « filtre » dans le cortex pré-frontal des femmes. Ce filtre

leur permettrait de se concen-trer sur les cris de l’enfant, àl’exclusion des autres bruits.L’activation de ces aires céré-brales déclencherait des émo-tions fortes, notamment del’inquiétude. C’est la raisonpour laquelle une mère estbeaucoup plus réceptive qu’unpère aux sons et aux bruits émispar son bébé durant la nuit.

• Les veufs se suicidentplus que les veuves.

Vrai. Dans les études menées,les hommes qui ont perdu leurpartenaire par suicide ont46 fois plus de risques de sesuicider à leur tour. Quant auxfemmes veuves, le risque desuicide est multiplié par trois.La difficulté à trouver desappuis, l’incapacité à parler deses problèmes et la difficulté às’alerter aussi vite que les fem-mes, sont certainement les rai-

sons pour lesquelles la dépres-sion qui suit le suicide du com-pagnon est moins bien dépis-tée et donc moins traitée chezles hommes. Le risque de pas-sage à l’acte suicidaire est plusimportant chez les hommes.

Bibliographie

N. Pancsofar et al., in Journalof Applied DevelopmentalPsychology, vol. 27(6),pp. 571-587, 2006. T. Canli et al., in Proceedingsof the National Academy ofSciences of the United Statesof America, vol. 99(16),pp. 10789-94, 2002. E. Seifeifritz et al., inBiological Psychiatry,vol. 54(12), pp. 1367-75,2003. E. Agerbo, in Journal ofEpidemiology andCommunity Health,vol. 59(5), pp. 407-412,2005.

Hommes – Femmes mode d’emploi

Le vocabulaire du père a une influence

notable sur celui de l’enfant.

Anna

Jurko

vska

/ S

hutte

rstoc

k

Ess05-p060063_Ciccotti_quizz.xp 2/02/11 10:34 Page 63

Page 66: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

F élix a quatre ans et essaie depuis dixminutes de prendre la pelle de lapetite Florence. À force de taper,tirer et pousser, il finit par arracherl’objet. La petite pleure. Devant ce

spectacle, la maîtresse baisse les bras : « Il n’y arien à faire, ce sont les garçons. » Cette scèneclassique d’école maternelle révèle, dans leurexpression la plus précoce, les différencesinnées de comportement entre filles et gar-çons. Les psychologues commencent à prendrecette différence très au sérieux. Pourtant, on alongtemps cru que le comportement plusagressif et dominant des garçons était le fruitde leur éducation. De même, depuis lesannées 1960, les psychologues pensaient queles filles aiment jouer à la poupée, parce qu’onleur met ces jouets dans les mains.

En fait, si l’environnement joue un rôle danscette « orientation fille-garçon », cette dernièreaurait des bases génétiques et se manifesteraitdès le plus jeune âge ; certaines différences sontmême détectables dès la naissance. Des observa-tions faites en 1967 avaient montré qu’à peineâgés de quelques heures, les garçons sont plus« turbulents » : ils sont plus difficiles à calmer etont des mouvements plus brusques. À l’âge desix mois, ils cherchent à s’imposer vis-à-visd’autres enfants, davantage que les filles. Ilsprennent les jouets qu’on ne veut pas leur don-ner, préfèrent les objets comportant un méca-nisme, petites voitures ou autres machines, tan-dis que les petites filles préfèrent jouer avec despeluches ou des poupées. En outre, ils s’intéres-

sent davantage aux objets interdits, cherchent àtransgresser les règles et, dès trois ans, aimentles jeux à risque et les bagarres.

Jeux de garçonsÀ l’école maternelle, les garçons établissent

des hiérarchies, ce qui évite les confrontations :cette régulation des groupes ne semble pas avoirlieu chez les filles. Les garçons établissent ceshiérarchies en ayant recours à des menaces, desintimidations, parfois des affrontements physi-ques. Dès l’âge de trois ou quatre ans, ils soi-gnent l’image de « petit dur » qu’ils donnentpour impressionner les autres. Les filles en vien-nent moins souvent aux mains, sans pourautant renoncer totalement à l’agressivité. Dèsla maternelle, leurs armes sont plus subtiles. Parexemple, elles menacent volontiers de rompreles relations avec leurs amies.

Ces études s’inscrivent dans le cadre d’undébat sur l’égalité des chances entre hommes etfemmes dans les postes à responsabilité dansl’industrie, l’administration, la politique, larecherche, par exemple. Souvent, on avancel’argument que les hommes occupent encoreune majorité de postes clés parce que l’éduca-tion des femmes ne les pousse pas assez à sedonner tous les moyens de leur réussite.L’éducation serait encore coupable de canton-ner les femmes dans leur fonction de mater-nage. Si les différences de comportement entrefilles et garçon sont en partie innées, de nou-veaux arguments viennent alimenter le débat.

64 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

Dès la plus tendre enfance, les filles et les garçons n’ontpas les mêmes comportements. Ces différences annoncent celles que manifestent les adultes dans le monde du travail.

Différents toute la vie

L’influence de l’éducation

Hartwig Hanserest journalistescientifique.

En Bref• Les préférences quemanifestent les filles et les garçons pourleurs jeux sont-ellesinnées ou inculquéespar les parents ?• Des expériences ont été tentées où les enfants recevaienttous strictementla même éducation :les préférences n’ontpas été gommées.• Dans le monde du travail, les hommeset les femmes gardentdes comportementsdifférents : les hommessont, par exemple,plus résistants à l’échec.

Ess05-p064068_gènes_Hanser.xp_il0202 2/02/11 12:49 Page 64

Page 67: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 65

Pourquoi les garçons préfèrent-ils jouer avecleur père, et les filles avec leur mère, même sicette préférence est moins marquée ? Ce fait estavéré par de nombreuses études scientifiques, etl’on ignore encore s’il reflète une attitude diffé-rente de la part du père vis-à-vis du garçon,auquel cas le père « orienterait » l’enfant sur lesrails de sa future virilité, ou bien si c’est le petitqui préfère spontanément les activités du père.En tout cas, les petits garçons préfèrent très tôtjouer à se bagarrer, à taper avec des marteauxsur des clous et à suivre les activités de l’homme.

Dès l’âge de deux ans, on parle de ségrégationdes sexes, chaque enfant préférant les activitésdu parent du même sexe. Est-ce une questiond’instinct ou d’éducation ?

Après les mouvements sociaux de 1968, cer-tains jeunes parents voulurent mettre un termeaux rôles ancestraux attribués à l’homme et à lafemme, qu’ils interprétaient comme une rela-tion de soumission et de domination. Un pro-jet vit le jour : celui de dispenser à des enfantsune éducation exempte de répression, et identi-que pour les deux sexes. On s’attendait à ce que

1. Les comportementstypiques – les poupées

pour les filles ou, ici,le tambour pour

le garçon – ne résultentpas uniquement de l’éducation ;

des gènes seraient en cause. Tableau dePaul Seignac (1826-

1904), où en ce matinde Noël les enfants

reçoivent leurs cadeaux.

© C

hrist

ie’s

Imag

es /

Cor

bis

Ess05-p064068_gènes_Hanser.xp_il0202 2/02/11 12:49 Page 65

Page 68: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

66 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

les comportements des garçons et des filless’harmonisent tout naturellement, et peut-êtremême à ce qu’il n’y ait plus de différences. Desparents organisèrent leurs propres crèches, oùl’objectif était de résoudre les conflits sansagressivité, en prônant la coopération et la soli-darité. Il n’était pas question d’inculquer auxenfants le rôle traditionnel de chaque sexe. Laconsigne était : pas de poupées pour les filles,pas de petites voitures pour les garçons.

Autres temps, autres crèchesLes psychologues Horst Nickel et Ulrich

Schmidt-Denter, de l’Université de Düsseldorf,ont mis à l’épreuve l’efficacité de cette méthodeen comparant le comportement de plus de400 enfants, âgés de trois à cinq ans, ayant fré-quenté soit des crèches traditionnelles, soit cescrèches parentales. Ils constatèrent que les jeuxdans les crèches parentales étaient moinsconflictuels, mais pour une raison très simple :dans ces crèches, les filles cédaient presque tou-jours. On s’aperçut que les différences de com-portement entre les deux sexes étaient beaucoupplus marquées dans les crèches parentales etcorrespondaient davantage aux clichés habituelsque dans les crèches classiques ! Les garçons serévélaient beaucoup plus agressifs et en venaientfréquemment aux mains pour résoudre leursconflits. En revanche, les filles se retiraient sou-vent de bonne grâce et étaient plus anxieuses etdépendantes que leurs petites camarades descrèches classiques. Il fallait attendre qu’ellesaient cinq ans pour qu’elles semblent avoir peuà peu appris à défendre leur place.

Malgré d’autres tentatives, les psychologuesne purent obtenir aucune preuve convaincante

que les différences de comportement entre filleset garçons résultent de l’éducation. La psycholo-gue munichoise Doris Bischof-Köhler estconvaincue, quant à elle, que l’on ne peut expli-quer les différences de comportement par le seulfait que les parents chercheraient à conforterleurs enfants, au cours des premières années,dans des comportements conformes à leur sexe.La tendance masculine à vouloir s’imposer àautrui, et l’agressivité, notamment, semblentéchapper aux influences éducatives.

À partir des années 1950, dans les kibboutzd’Israël, on chercha à instaurer une égalité abso-lue entre les sexes et à libérer les femmes dupoids de l’éducation des enfants. L’ensemble desactivités étaient ouvertes aux deux sexes et lesfemmes adoptaient un aspect extérieur similaireà celui des hommes. Le maquillage et les vête-ments féminins étaient proscrits. Les enfantsvivaient, non dans des familles traditionnelles,mais dans des maisons gérées par un personnelspécialisé. Cette éducation, sans distinction desexe, était censée éviter l’apparition des compor-tements typiques de filles et de garçons.

L’anthropologue américain Melford Spiroétudia les effets de ces innovations, au cours desannées 1956 à 1958. Malgré les consignes dupersonnel, garçons et filles s’orientèrent vers lescomportements sexués : notamment, les gar-çons se mirent à jouer avec des petites voitureset les filles avec des poupées. M. Spiro reprit sonétude 20 ans plus tard pour voir ce qu’étaientdevenus les anciens enfants du kibboutz. Ilconstata que les filles, loin de s’être émancipéeset de choisir les mêmes professions, valeurs etobjectifs que les hommes, étaient revenues à larépartition traditionnelle des rôles entre lesfemmes et les hommes. Au lieu de revendiquerl’abolition des inégalités et des discriminationssubsistantes, elles réclamaient avec véhémence ledroit d’élever leurs enfants dans leur proprefoyer. Elles s’opposaient à l’idéal d’égalité abso-lue des sexes. Initialement convaincu que les dif-férences de comportement avaient une origineexclusivement culturelle, l’anthropologue enconclut qu’il devait exister des « déterminantspréculturels », facteurs biologiques ayant uneffet notable sur la détermination du comporte-ment des jeunes femmes.

Quels sont ces facteurs biologiques ? S’ils ontété sélectionnés par l’évolution, ils ont certaine-ment un sens biologique, ils doivent conférer àla femme un avantage reproductif. SelonD. Bischof-Köhler, les différences résultent dufait que les femmes portent les enfants etconsentent un « investissement parental » biensupérieur à celui des hommes. Dans toutes les

2. Pour affirmer son image de « petit

dur », il n’hésite pas à s’en prendre...à sa petite sœur.

© La

dush

ka /

Shu

tterst

ock

Ess05-p064068_gènes_Hanser.xp_il0202 2/02/11 12:49 Page 66

Page 69: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 67

cultures, ce sont les femmes qui prodiguent lessoins aux enfants. En effet, depuis des millionsd’années, le développement d’un nouveau-nédépend de la qualité des soins maternels. Uncomportement prévenant, qui s’exprime préco-cement chez les petites filles quand elles jouent àla maman, s’inscrit peut-être dans ce détermi-nisme biologique. Plusieurs études ont effective-ment montré que les femmes éprouvent uneprofonde satisfaction à s’occuper de leursenfants, l’exercice d’une profession n’y chan-geant rien : la plupart des femmes actives pré-voient aujourd’hui comme hier dans leur projetde vie une période de maternage.

Si les femmes ont une stratégie qualitative, leshommes ont plutôt une stratégie quantitative ;ils ont tendance à vouloir transmettre leursgènes à plusieurs partenaires. Cette différence destratégie de reproduction se traduit dans lescomportements : les femmes sont prédisposéesà la sollicitude, conséquence de leur investisse-ment parental élevé, tandis que les hommescherchent à s’imposer, à dominer les « compéti-teurs » pour séduire les partenaires disponiblesdont le nombre est limité en raison, précisé-ment, de l’investissement consenti.

Une forte résistance à l’échecPour éviter les affrontements directs, l’homme

a élaboré des stratégies d’intimidation très effi-caces, et que pratiquent déjà les jeunes garçons.Dans une cour de récréation, dès l’école mater-nelle, on observe des comportements qui visentà impressionner les camarades et à les découra-ger pour éviter la confrontation. Beaucoupd’animaux ont adopté des stratégies identiques :dans leurs affrontements, les mâles essaientd’abord d’intimider leur rival en le menaçant eten adoptant des postures d’intimidation, sans selaisser entraîner, si possible, dans un combat.C’est pourquoi, dans le règne animal, beaucoupde mâles sont pourvus d’attributs dont ils fontétalage, tels que la crinière du lion, les plumes dupaon, les bois du cerf ou les canines du gorille.

Dans cette logique d’intimidation, le mâle doitêtre persuadé de sa propre valeur, doit être per-suadé qu’il est meilleur que l’autre. Ceci expliquesans doute que les hommes surévaluent souventleurs performances contrairement aux femmes,qui les sous-évaluent plutôt. Cette tendance a étéconfirmée par une étude américaine, où l’ondemandait à des étudiants de prédire les notesqu’ils auraient aux prochains examens : contrai-rement aux jeunes filles, les jeunes hommes ontsystématiquement surévalué leurs résultats. Celarésulte sans doute d’un comportement qui a

sélectionné chez nos ancêtres préhistoriques,ceux qui appréciaient la compétition et quimanifestaient la plus forte résistance à l’échec.Les plus persévérants qui tentaient infatigable-ment de conquérir une femme transmettaientleur patrimoine génétique. Au contraire, ceuxqui se laissaient facilement décourager par leurséchecs avaient peu de chances de s’accoupler etde transmettre leurs gènes.

À nouveau, cette attitude s’observe, chez lespetits garçons, quand, par exemple ils se dispu-tent une balle sur un terrain de jeu. Ils se jettentdessus tous en même temps, infatigables, per-suadés de leurs chances de succès alors que lamajorité n’a aucune chance d’y parvenir. Dans lemême type de jeu, les filles ont un comporte-ment beaucoup plus réaliste et ne s’engagentque si l’occasion rend un succès possible. Enfin,quand les garçons jouent contre les filles, à unjeu de ballon, elles perdent quasi systématique-ment à cause de ce comportement et malgré uneadresse équivalente.

Au début des années 1980, la psychologue deChicago Carol Weisfeld constata le même effetdans l’évaluation des capacités intellectuelles :dans un concours d’orthographe, les filles seretiraient quand elles jugeaient que les autresconcurrents étaient meilleurs, même si c’étaitfaux, tandis que les garçons continuaient coûteque coûte. La rivalité permanente exige la miseen place d’une structure hiérarchique : si legroupe est menacé, chacun doit être prêt à sesoumettre au plus fort. Cette stratégie de domi-nance se manifeste dès l’école maternelle : lesgarçons forment souvent des groupes compor-tant un chef, un sous-chef, des suiveurs et, sou-vent, un individu soumis.

Au contraire, les femmes n’aiment pas sesoumettre à d’autres femmes : certains sondages

3. Parce qu’ils sontplus résistants

à l’échec, les hommesse retrouvent souventaux plus hauts postesdans les entreprises.

À compétences égales,les femmes renoncentplus facilement après

un premier échec.

© K

urha

n /

Shutt

ersto

ck

Ess05-p064068_gènes_Hanser.xp_il0202 2/02/11 12:49 Page 67

Page 70: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

68 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

révèlent même qu’elles préfèrent avoir unhomme pour chef. Une « supérieure » est perçuecomme étant partiale et injuste, alors que les fem-mes occupant des postes de direction se plaignentpour leur part du manque de motivation et desprétentions excessives de leurs collègues femmes.Les femmes, au sein de groupes exclusivementféminins, ont des difficultés à s’intégrer dans unehiérarchie. Ce n’est pas une question d’autorité,puisque les hommes acceptent plus facilementune supérieure que les femmes. Cela témoignesans doute de la disposition innée des hommes àse subordonner dès qu’une hiérarchie est établie,et la hiérarchie de dominance fonctionne aussiquand « le chef » du groupe est une femme.

Hiérarchie de valeur contrehiérarchie de dominance

Dans ce cas, comment s’établit la hiérarchiedans un groupe de femmes ? Cette « hiérarchiedes valeurs » est fondée sur la considération quele groupe porte à certains de ses membres. Cettestratégie engendre une structure instable (carune appréciation peut être remise en cause),mais elle laisse peu de place aux diktats : en casde divergence de vues, une dirigeante essaiegénéralement de défendre ses idées auprès de sessubordonnées, au cours de longues discussions.Cette façon de procéder est moins rude que celleutilisée dans une hiérarchie de dominance mas-culine, mais peut devenir un handicap lorsqu’ilfaut prendre des décisions urgentes. Au seind’une hiérarchie féminine, les discussions s’éter-nisent parfois sans qu’on parvienne à unconsensus. Pour trancher, la dirigeante doit alorsprendre la décision d’autorité. La hiérarchie devaleur, contrairement à la hiérarchie de domi-nance, est une base de la démocratie : les politi-ciens sont élus en fonction de l’image qu’ilsvéhiculent, mais chaque élection est une évalua-tion de leur action.

Dans le monde du travail, les hommes et lesfemmes sont en compétition. À cause de leurhéritage phylogénétique, les hommes relèguenttrop facilement les femmes au second plan. Cethéritage ne donne pas seulement aux hommes legoût de la concurrence, il leur confère une ten-dance à se surévaluer, une forte tolérance à l’échecet un esprit de hiérarchie. La tolérance à l’échecest une donnée essentielle. Imaginons cinq hom-mes et cinq femmes, de qualifications équivalen-tes, qui posent leur candidature à un poste dedirection. Une femme obtient le poste. L’une descandidates recalées est si déçue qu’elle renonce àtout espoir de promotion ultérieure. Les hom-mes, au contraire, ne se laissent pas décourager.

Lors de la campagne de recrutement suivante,l’un d’eux est embauché. Une autre femmerenonce à ce poste, et au bout du compte il nereste plus que deux femmes en compétitioncontre quatre hommes. Cet exemple prédit qu’unnombre plus important d’hommes occuperafinalement le poste convoité, sans que les hom-mes aient écarté activement les femmes, essen-tiellement parce que leur résistance à l’échec estsupérieure. Doit-on en déduire que des facteursbiologiques s’opposent à l’égalité des chances ?Ayant pris conscience de ces différences, peut-onles faire évoluer par l’éducation, par exemple ?

Le comportement humain n’est pas fixé par lanature, mais, pourtant, nous suivons souventnos tendances « naturelles ». Dans ce cadre, letraitement égalitaire souvent préconisé contre ladiscrimination exercée vis-à-vis des femmes nesemble pas être la bonne solution. Il ne pourraitfonctionner que si les garçons et les filles ne pré-sentaient pas de différences comportementalesmarquées. Or ils sont si différents par nature,qu’un traitement égalitaire strict est contre-productif, risquant de renforcer les dispositionsspécifiques de chacun des sexes.

Une questionde confiance en soi

Pour la même raison, l’école mixte n’a pasconduit à aucune harmonisation des intérêts desélèves ni des chances professionnelles. Plusieursétudes ont révélé que les élèves des classes mixtesmanifestent des préférences plus marquées pourles activités de leur sexe : les garçons choisissentplus souvent les mathématiques et les sciences dela vie et de la Terre, les filles plus volontiers leslangues et les disciplines artistiques. Dans les éco-les et dans les universités non mixtes, les fillesdéveloppent une plus grande confiance en leurscapacités, précisément dans le domaine scientifi-que, et elles briguent plus volontiers, ultérieure-ment, des postes de direction.

Les femmes doivent apprendre à mieux s’im-poser dans leur concurrence avec les hommes,notamment en améliorant leur tolérance àl’échec et en se sous-estimant moins. Si la causede ces tendances comportementales est biologi-que, elle n’est pas immuable. Les hommes, deleur côté, devraient participer davantage àl’éducation des enfants et montrer plus de solli-citude à l’égard d’autrui... L’idée fait son che-min, mais ne s’est pas encore totalement tra-duite dans les faits. Peut-on imaginer que, depar sa nature biologique, l’homme manifeste-rait, malgré lui, quelque résistance à cette égali-sation des rôles ? !

Bibliographie

S. Cadalen, Les femmesde pouvoir, Des hommes commeles autres, Seuil, 2008.D. Geary, Hommes,femmes. L’évolution desdifférences sexuelleshumaines, de Boeck,2003.

Ess05-p064068_gènes_Hanser.xp_il0202 2/02/11 12:49 Page 68

Page 71: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 69

Des comportements différents©

Seba

stian

Kau

slitzk

y /

Shutt

ersto

ck

Non seulement les hommes et les femmes ont des comportements différents, mais ils ne présentent pas la même sensibilité neurobiologique.

Longtemps, on a admis – à tort – qu’un médicament efficace pour un homme le serait pour une femme. Tenir compte

de ces différences devrait améliorer la prise en charge de certaines maladies de l’esprit, la dépression, par exemple.

Ess05-p069069_ouvert_part3 2/02/11 11:03 Page 69

Page 72: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

V ous venez d’arriver à la machine àcafé. Vous y rencontrez Xavier, unde vos collègues, et avant mêmequ’il ne prononce la moindreparole, vous savez qu’il va vous

dire qu’il a des ennuis. De même, quand vousrentrez chez vous le soir, vous devinez très vitel’état affectif de votre conjoint(e), et vous adap-tez votre comportement en fonction de la mineréjouie ou sombre qu’il (ou elle) affiche. C’estcette capacité à reconnaître les expressions émo-tionnelles qui permet de « lire » les sentimentsd’autrui : elle est fondamentale pour la régula-tion des interactions sociales.

Quels sont les indices qui nous aident à devinerl’état affectif d’autrui ? Le ton de la voix et l’ex-pression du visage sont deux repères essentiels.Selon le psychologue américain Paul Ekman,pionnier dans l’étude des émotions, « l’expres-sion faciale est le pivot de la communicationentre les hommes ». Il a notamment montré quedes gens de cultures très différentes (tribu dePapouasie-Nouvelle-Guinée ou société améri-caine) reconnaissent de la même façon les émo-tions fondamentales : la colère, le dégoût, lapeur, le bonheur, la tristesse et la surprise. Deplus, ces personnes de cultures très différentesproduisent spontanément les mêmes expres-sions faciales lorsqu’elles-mêmes éprouvent cesémotions. Ainsi, certaines émotions seraientuniverselles et issues d’un héritage évolutif.

Cette hypothèse est renforcée par des travauxmontrant que le très jeune enfant, avant mêmequ’il ne soit socialisé, perçoit correctement lesexpressions émotionnelles. Bien qu’elles aientété moins étudiées, les expressions émotionnel-les non plus liées à la vue, mais à l’ouïe, semblentrépondre aux mêmes caractéristiques.

Une intuition fiabledes émotions d’autrui

Ainsi, les femmes reconnaîtraient mieux lesexpressions émotionnelles que les hommes, cequi expliquerait leur plus grande « sensibilité »aux émotions. Mais cette intuition féminine est-elle un mythe ou une réalité ? Il est évident quede telles affirmations concernant d’éventuellesdifférences entre femmes et hommes doiventêtre étayées par des données empiriques, et repo-ser sur une évaluation dépassionnée et aussirationnelle que possible. De ce point de vue, lesétudes en la matière ont souvent produit desrésultats incohérents. Les divergences résulte-raient en partie de l’absence de validité des sti-mulus utilisés dans la plupart des études abor-dant cette question. Ainsi, on a longtempsnégligé la nature dynamique de l’expressionfaciale. De nombreuses études ont été réaliséesen utilisant des photographies, alors que l’infor-mation contenue dans les mouvements du visageenrichit l’expression émotionnelle, contribue à

70 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

Les femmes identifient beaucoup mieux que les hommes les expressions émotionnelles,

qu’elles soient auditives ou visuelles.

Des comportements différents

Olivier Collignon,docteur en sciencespsychologiques, travaille au Centre de recherche du Centrehospitalo-universitaireSainte-Justine, à Montréal, au Canada.

En Bref• Les femmes perçoivent mieux les émotions sur le visage d’autrui queles hommes.• Elles les perçoiventd’autant mieux que ces émotions sont exprimées pardes femmes.• Ces différences sonten partie dues aux gènes et en partie à l’influence de l’environnement.• La culture et l’éducation jouentun rôle essentiel.

La reconnaissance des émotions

Ess05-p070073_emotion_collignon.xp 1/02/11 17:14 Page 70

Page 73: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

son identification et joue un rôle prépondérantdans la perception de son intensité. De surcroît,les recherches ont surtout mis l’accent sur l’effetdes émotions soit sur l’expression du visage, soitsur la tonalité de la voix, alors que, dans la viequotidienne, l’une et l’autre sont modifiées.

Selon des études récentes, quand l’informa-tion exprimée par l’expression du visage estcohérente avec celle transmise par la prosodie,les réactions comportementales aux expres-sions émotionnelles sont optimisées. De ce fait,pour étudier si les expressions émotionnellesvarient entre les femmes et les hommes, mieuxvaut utiliser des stimulus bimodaux, impli-quant tant l’expression des visages que la voix.

Des performances supérieures chez les femmes

Partant de ce constat, lors d’une étuderécente, nous avons demandé à 23 femmes et23 hommes adultes, ne présentant aucunepathologie neurologique ou psychiatrique,d’identifier, aussi vite que possible, l’émotionde peur ou de dégoût véhiculée de trois façonsdifférentes : le son Ah ! exprimant la peur ou ledégoût, un visage exprimant ces émotions ouun stimulus audiovisuel, par exemple un visageexprimant la peur présenté en même temps

qu’un son traduisant la peur. Ces expressionsémotionnelles étaient mimées par des acteurset des actrices, et étaient présentées sous formede courts vidéoclips (voir la figure 2).

Nous nous sommes concentrés sur lesexpressions de peur et de dégoût, car ces deuxémotions ont une fonction de prévention dansles situations de menace directe et peuventdonc avoir une valeur évolutive plus impor-tante pour la survie de l’espèce que d’autresémotions, la joie par exemple. Dès lors, cesdeux émotions pourraient présenter davantagede différences entre les sexes. En outre, bien quela peur et le dégoût appartiennent à la catégoriedes « affects négatifs », ces émotions s’expri-ment de façon très différente et peuvent êtreassez aisément distinguées.

Cette étude a révélé des différences notablesdans la façon dont les femmes et les hommestraitent et expriment les émotions. Les femmestraitent non seulement plus efficacement l’in-formation émotionnelle unisensorielle (soitl’expression du visage, soit la voix), mais intè-grent mieux le ton de la voix et l’expressionfaciale en une émotion unifiée. En outre, lesrésultats sont meilleurs lorsque c’est une actrice(et non un acteur) qui exprime les émotions,que l’observateur soit un homme ou unefemme. Les différentes expériences ont montré

© L’Essentiel n°5 – février - avril 2011 71

© W

illiam

Per

ugini

/ S

hutte

rstoc

k

1. Les hommes ont souvent plus

de difficultés à interagiravec les autres que

les femmes. Chez certains, le manque

d’empathie rend difficiles les relations

avec autrui.

Ess05-p070073_emotion_collignon.xp 1/02/11 17:14 Page 71

Page 74: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

72 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

que les performances sont meilleures quand unefemme décode l’émotion exprimée par uneactrice et les moins bonnes quand un hommetraite l’émotion exprimée par un acteur.

Ces différences comportementales sont sus-ceptibles d’être liées à des changements neuro-anatomiques dans les régions du cerveau quitraitent les informations émotionnelles. Ainsi,les aires du cerveau connues pour être impli-quées dans le traitement des émotions révèlentdes différences notables de fonction et d’archi-tecture. En d’autres termes, ces régions n’ont pasla même structure et ne fonctionnent pas de lamême façon que l’on soit une femme ou unhomme. Ainsi, les régions du système limbique,et en particulier l’amygdale (une région céré-brale jouant un rôle majeur dans le traitementdes émotions), s’activent davantage chez lesfemmes que chez les hommes lorsqu’il s’agit detraiter les expressions émotionnelles.

Différences innées ou acquises ?

Toutefois, étant donné que les fonctions céré-brales sont façonnées par les gènes et par l’envi-ronnement, les études de neuro-imagerie mon-trant des différences cérébrales entre les sexesn’indiquent pas si les femmes sont câblées dès lanaissance pour être particulièrement sensiblesaux signaux émotionnels, ou si ces différencesapparaissent ultérieurement en raison des expé-riences individuelles. Essayer de comprendre

l’origine de telles différences est une entreprisecomplexe, qui doit éviter bien des écueils.Rappelons tout d’abord que les hypothèses « dif-férences innées » versus « différences acquises »ne sont pas exclusives, et que, bien sûr, commedans les autres domaines, la différence de traite-ment des expressions émotionnelles selon le sexerésulte d’influences à la fois innées et acquises.Plusieurs expériences ont montré que l’environ-nement influe sur le développement de ce typede capacité cognitive différemment selon qu’ils’agit d’une fille ou d’un garçon.

Ainsi, Ann Kring et Albert Gordon, del’Université Vanderbilt, dans le Tennessee, ontmis en évidence que plus les femmes obtiennentun score élevé à des tests de « rôle social fémi-nin », mieux elles expriment leurs émotions (cetype de tests reflète les stéréotypes du rôle desfemmes, par exemple s’occuper des enfants, descourses, du ménage, etc.). Par ailleurs, nousavons observé un biais dans les réponses dessujets aux questions concernant le traitementdes émotions : quand le sujet participant à l’ex-périence – qu’il soit un homme ou une femme –ne reconnaît pas l’émotion présentée, il a ten-dance à répondre « dégoût » si le visage observéest celui d’un homme et « peur » si c’est unefemme. Ces résultats peuvent être reliés à uneexpérience connue sous le nom de « bébé X ».

Dans cette étude, Carol Seavey, Phyllis Katz etSue Zalk, de l’Université de New York, ontconstaté que si l’on projette une bande vidéo oùun enfant de trois mois semble bouleversé, et sil’on présente l’enfant comme un petit garçon,les sujets associent l’émotion de l’enfant à de lacolère. Au contraire, si l’on présente l’enfantcomme une petite fille, l’émotion de l’enfant estidentifiée comme étant de la peur. Quand ondécode une expression émotionnelle ambiguë,on serait influencé par le sexe de la personne quimanifeste cette émotion, sans doute en raison destéréotypes bien ancrés sur la relation entre sexeet expression des émotions.

L’existence de différences innées reste contro-versée. La psychologie évolutionniste fait l’hypo-thèse que la femme est dotée d’une prédisposi-tion à traiter efficacement les expressions émo-tionnelles en raison de son rôle prépondérantdans les soins prodigués aux nouveau-nés et auxenfants en bas âge. La femme aurait hérité d’unsystème de décodage rapide et précis des affects,afin de réagir de façon optimale à la détresse d’unenfant qui ne parle pas encore ou aux signaux demenace d’autres adultes, augmentant ainsi leschances de survie de sa progéniture.

Plusieurs observations expérimentales sem-blent étayer l’hypothèse selon laquelle les diffé-

Dégoût Peur

2. Les expressions émotionnelles sont reconnues plus ou moins vite selon qu’el-les sont exprimées par une actrice (en haut) ou par un acteur (en bas). Dans uneexpérience, plusieurs acteurs devaient exprimer le dégoût ou la peur. Les participantsà l’expérience reconnaissent mieux les émotions exprimées par les actrices, et les fem-mes les reconnaissent mieux que les hommes. Quand les images sont combinées à dessons (les spectres verts) exprimant la même émotion, la reconnaissance est plus rapide.

O. C

ollig

non

et al.

, Univ

ersit

é de

Mon

tréal

Ess05-p070073_emotion_collignon.xp 1/02/11 17:14 Page 72

Page 75: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n°5 – février - avril 2011 73

rences intersexes seraient en partie innées. Toutd’abord, des différences sont déjà présentes chezde très jeunes enfants avant même que des fac-teurs liés à la socialisation et à l’expériencen’aient pu jouer un rôle. Certaines différences semanifestent dès la première semaine de vie.Ainsi, les filles réagissent davantage à des sons dedétresse et recherchent plus le contact visuel queles garçons. Une étude du psychologue SimonBaron-Cohen, de l’Université de Cambridge,suggère que les garçons nouveau-nés sont plusintéressés par un objet que par un visage, tandisque c’est l’inverse pour les petites filles.

Par ailleurs, de nombreuses différences entreles sexes sont observables chez d’autres mammi-fères (voir Cerveau masculin, Cerveau féminin,page 30), notamment chez les primates, où iln’existe pas de pression sociétale pour imposer telau tel type d’objet, par exemple. Enfin, les gran-des différences entre les sexes sont, pour la plu-part, universelles. Ainsi, l’anthropologue améri-cain Donald Brown souligne que, dans toutes lescultures, les hommes et les femmes sont considé-rés comme ayant des natures différentes.

Dans l’expérience que nous avons menée,nous avons aussi observé que les femmes expri-ment mieux les émotions, puisque les expres-sions étaient toujours mieux reconnues quandelles étaient exprimées par une actrice. Uneétude récente a montré que tous les individus, ycompris les personnes aveugles, utilisent lesmêmes expressions du visage face aux mêmessituations émotionnelles, ce qui suggère que lacapacité à exprimer les émotions n’est pas seule-ment apprise par l’observation, mais qu’ellesemble être programmée dans les gènes. Ainsi,des facteurs génétiques et développementauxinteragissent, déterminant les différences dans lafaçon dont les femmes et les hommes traitent lesexpressions émotionnelles.

Ceux qui soutiennent qu’il existe des différen-ces cognitives innées entre femmes et hommessont parfois considérés comme justifiant l’iné-galité entre les sexes. C’est une idée difficilementdéfendable, car accepter que certains traits cog-nitifs des femmes diffèrent de ceux des hommes,c’est accepter que les perceptions et les sensibili-tés diffèrent, ce qui a été, par exemple, un argu-ment majeur utilisé pour légitimer le droit devote accordé aux femmes. Ces études aident lacommunauté scientifique à mieux comprendrenotamment les psychopathologies qui touchentdifféremment les hommes et les femmes.

Ainsi, l’autisme, une pathologie qui affectequatre à cinq fois plus d’hommes que de fem-mes, est caractérisé par la difficulté des sujetsatteints à reconnaître les expressions des émo-tions. Nos résultats montrant que les hommesidentifient et expriment les émotions moins effi-cacement que les femmes confortent, du moinsen partie, l’idée que le style cognitif masculin estmoins orienté vers le traitement des expressionsémotionnelles que ne l’est celui des femmes.

Reconnaissance normale et pathologique des émotions

Or chaque individu présente une combinai-son unique, à des degrés divers, de traits cogni-tifs typiquement masculins et typiquementféminins. S. Baron-Cohen a récemment proposéque, chez les personnes atteintes d’autisme (oudu syndrome d’Asperger, un type particulier decette maladie), les traits cognitifs du cerveaumâle seraient exacerbés. Ces sujets représente-raient un extrême pathologique du style cogni-tif masculin, caractérisé par une faible empathieet une grande focalisation sur le fonctionne-ment des « systèmes ». En effet, les personnesautistes ont des difficultés à interagir avecautrui. Incapables de « lire » les expressionsémotionnelles de leurs interlocuteurs, elles nesauraient pas adapter leur comportement. Derécents résultats obtenus au sein de notre labo-ratoire semblent confirmer que les personnesautistes ne traitent pas correctement les expres-sions émotionnelles d’autrui. !

JPag

etRFp

hotos

/ S

hutte

rstoc

k

Bibliographie

O. Collignon et al.,Women process multisensory emotionexpressions more efficiently than men, in Neuropsychologia,vol. 48, pp. 220-225,2010.L. Cahill, Why sex matters for neuroscience, inNature ReviewsNeuroscience,vol. 7(6), p. 477-484,2006.S. Baron-Cohen, TheEssential Difference :Male and FemaleBrains and the Truthabout Autism, BasicBooks, 2003.P. Ekman et al., Picturesof facial affect, PaloAlto (CA) : Consulting,Psychologist Press,1976.C. Darwin,The Expression of theEmotions in Man andAnimals, John Murray,1872.

3. Les mères perçoivent la détresse de leur enfantd’après leur expression faciale, ce qui permet

de leur venir rapidement en aide.

Ess05-p070073_emotion_collignon.xp 1/02/11 17:14 Page 73

Page 76: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

74 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

Une beauté toute relative

Des comportements différents

Enric Munar Rocaest professeur de sciences cognitives,à l’Université des îlesBaléares, à Palma deMajorque.Dans cette université,Marcos NadalRoberts est professeurde psychologie de l’artet Camilio José CelaConde est professeurde philosophieet d’anthropologie.Fernando MaestùUnturbe dirige le Laboratoire de sciences cognitiveset de neurosciencesdu Centre de techniquesbiomédicales,à Madrid.

Les hommes perçoivent-ils les couleurs et les formes comme les femmes ? Ils semblent traiter l’espace

et les contrastes de couleurs différemment.

Ess05-p074077_art_munar_roca 2/02/11 10:41 Page 74

Page 77: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

A u début du XXe siècle, WilliamHenry Winch a entrepris un pro-jet ambitieux. Ce pédagogueanglais voulait mesurer systéma-tiquement les capacités percepti-

ves des enfants, afin d’en déduire leur dévelop-pement mental. Cherchant à établir un QI de lavision – ce qui s’est finalement soldé par unéchec –, Winch a notamment demandé leurcouleur préférée à quelque 2 000 enfants lon-doniens âgés de 7 à 15 ans.

Les enfants firent quasiment tous le mêmechoix, résultat qui sera publié en 1909 : les fil-les comme les garçons choisissent en majoritéle bleu, puis le rouge. Après, les filles préfèrentle vert, le blanc et le jaune ; les garçons le vert,le jaune, puis le blanc. Le noir ne plaît à per-sonne. Un résultat semblait s’imposer : il n’y apas de différences liées au sexe quant au choixdes couleurs.

Malgré ce résultat négatif, Winch a été à l’ori-gine d’un domaine de recherche qui a donnélieu à une multitude d’études similaires concer-nant l’influence du sexe sur les préférencesesthétiques. Toutefois, ces études ont souventdonné des résultats contradictoires. Parfois lerouge s’est révélé être la couleur préférée desfemmes, et le bleu celle des hommes, parfoisc’était l’inverse. D’autres chercheurs n’onttrouvé aucune différence spécifique liée au sexe.

L’esthétique révélée par l’imagerie

Ainsi, on a longtemps admis qu’il n’y avaitaucune différence dans les préférences esthéti-ques des femmes et des hommes, maisaujourd’hui on met au jour certaines spécifici-tés, dont certaines sont confirmées par les don-nées d’imagerie cérébrale. Cette dernière révèleque les hommes et les femmes utilisent diffé-rentes stratégies pour évaluer des œuvres d’art.

Dans le cadre de notre projet de rechercheÉvolution et cognition des hommes, à l’Uni-versité des îles Baléares de Palma de Majorque,nous réalisons des expériences visant à analy-ser ce qui se passe dans le cerveau des sujetsqui observent des tableaux qu’ils trouvent par-ticulièrement beaux. Pour cela, nous avonsdemandé à un groupe de femmes et d’hom-mes d’observer 400 tableaux (en plusieursfois) et de les noter en fonction de leur beauté.Simultanément, on enregistrait l’activité céré-brale par magnétoencéphalographie, MEG.Cette méthode mesure les changements dechamps magnétiques provoqués dans le cortexpar l’activité neuronale.

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 75

© Se

rgio

Pita

mitz

/ Ro

bert

Hard

ing W

orld

Imag

ery

/ Co

rbis

En Bref• Des différencesd’appréciation de l’artselon le sexe ne sontpas encore avérées.• Mais, les femmes etles hommes utilisent destechniques différentespour observer l’espace.• Les femmes préfèrent les assemblages de rouge et de vert.• La psychologieévolutionniste expliquerait les différences.

Ess05-p074077_art_munar_roca 2/02/11 10:41 Page 75

Page 78: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

76 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

On constate que l’observation de tableauxque les sujets considèrent comme beaux ren-force, chez les hommes comme chez les femmes,l’activation de certaines régions du lobe pariétal.Toutefois, l’activation dans le cerveau des fem-mes a lieu dans les deux hémisphères, tandisqu’elle est limitée à l’hémisphère droit chez leshommes (voir la figure 1). Ces données fournis-sent-elles des indications quant au traitement del’information visuelle ?

Il y a 20 ans, l’équipe du psychologue et neuro-logue américain Stephen Kosselyn, de l’Universitéde Harvard à Cambridge, avait montré que l’onpeut percevoir les relations des objets dans l’es-pace de deux façons fondamentalement différen-tes. Dans le premier cas – la méthode abstraite –,on pense les rapports des objets dans l’espace defaçon abstraite : les objets sont perçus les uns parrapport aux autres, l’un étant « au-dessus ou au-dessous » de l’autre, devant ou derrière, à l’inté-rieur ou à l’extérieur. Dans l’autre cas – laméthode métrique –, on estime leur distance.

Ces deux traitements reposent sur différentesactivités neuronales. L’hémisphère gauche estplus utilisé dans la méthode abstraite, tandis quele droit est beaucoup plus sollicité dans laméthode métrique. D’après les configurationsd’activité que nous avons observées, nous avonsmontré qu’un tableau que l’on apprécie corres-

pond plus à une représentation métrique chezles hommes que chez les femmes. Ainsi, nosrésultats suggèrent que les hommes et les fem-mes ont recours à des méthodes d’analyse del’espace différentes, c’est-à-dire qu’ils ont unjugement esthétique différent.

Contrastes et contoursDonald Polzella, de l’Université de Dayton, et

Adrian Furnham, de l’University College deLondres, l’ont confirmé dans deux autres étudesindépendantes. Selon leurs résultats, les femmespréfèrent les œuvres impressionnistes plus sou-vent que les hommes, qui tendent plutôt versl’expressionnisme, le cubisme ou le pop’art.Mais comment se fait-il que d’autres études neretrouvent aucune préférence de ce type ?

Les styles et techniques de dessin présententde multiples caractéristiques différentes. Ainsi,les psychologues Olof Johnson et Robert Knap,de l’Université Weseyan à Middletown, suppo-sent que l’on se focalise sur certains élémentsspécifiques, tels que les contrastes ou lescontours nets. D’après leurs travaux, les femmespréfèrent les transitions douces entre les person-nages et l’arrière-plan. En moyenne, elles appré-cient moins que les hommes les tableaux auxcontours prononcés et dont les contrastes sont

Femmes Hommes

300-400 ms

400-500 ms

500-600 ms

600-700 ms

700-800 ms

800-900 ms

Camo

lio J.

Cela

Cond

e et

Enric

Mun

ar R

oca

/ PN

AS 2

009

1. L’activité cérébraledes hommes et

celle des femmes qui regardent une image

qu’ils trouvent belle diffèrent :

pour les deux sexes,l’activité des lobes

pariétaux, impliquésdans la perception

de l’espace, augmente.Chez les femmes, les pics

d’activité apparaissentdans les deux

hémisphères au bout de400 millisecondes,

tandis que chez les hommes

l’augmentation de l’activité reste limitée à l’hémisphère droit.

Ess05-p074077_art_munar_roca 2/02/11 10:41 Page 76

Page 79: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 77

marqués, que les tableaux soient en noir et blancou en couleur. Les préférences supposées pourl’impressionnisme plutôt que pour l’expression-nisme reposeraient sur de tels détails. En 2007,Anya Hurlbert et Yazhu Ling, de l’Université deNewcastle en Grande-Bretagne, ont publié lesrésultats d’une expérience ingénieuse à proposdes préférences des couleurs selon les sexes. Lesexpérimentatrices ont demandé à des sujets dechoisir leur association de couleurs préféréeparmi des carrés bicolores. Elles ont utilisé le faitque dans le traitement des informations visuel-les, les couleurs complémentaires jaune/bleu etrouge/vert jouent un rôle particulier.

Le rouge pour les femmesObservons par exemple une feuille de papier

bleue pendant un long moment pour ensuiteregarder une feuille blanche : c’est du jauneque l’on voit ! La raison en est que différentstypes de cellules réceptrices de la rétine sontsensibles à différentes longueurs d’onde. Cespics d’absorption se situent dans les domainesdu bleu, du vert et du rouge/jaune. L’activité descellules stimulées diminue lorsque l’observationse prolonge ; lorsque la stimulation s’arrête,c’est la couleur complémentaire qui dominetemporairement dans la perception.

Tandis que pour la comparaison du bleu et dujaune, hommes et femmes s’accordent (le bleuest plus attrayant), ils réagissent différemmentpour le vert et le rouge : les femmes préfèrent desobjets dont la couleur est plus rouge que le fond.

Une étude datant de 2004 de David Bimler etde ses collègues, de l’Université de Massey enNouvelle-Zélande, confirme que les femmespréfèrent le rouge au vert. Les hommes qui

devaient classer les couleurs qu’ils préféraientselon plusieurs critères accordent moins d’im-portance au rouge que les femmes. En revanche,la luminosité est souvent un facteur qui orienteleur choix : ils préfèrent le clair au sombre.

Il reste difficile de dire d’où viennent cescaractéristiques. La mode et d’autres paramètressociaux jouent certainement un rôle. La préfé-rence des filles pour les vêtements roses ne vientsans doute pas uniquement d’une préférencepossible pour les couleurs rouges.

L’anthropologue Thomas Wynn de l’Univer-sité du Colorado à Colorado Springs propose aucontraire une raison évolutionniste. D’aprèsl’hypothèse des « chasseurs-cueilleurs », les sexesont, depuis le Pléistocène, différentes fonctionsdans la collecte de la nourriture : pendant queles hommes partaient à la chasse, il incombaitaux femmes de faire la cueillette des fruits ou deramasser des racines. La chasse obligeait leshommes à s’orienter dans la nature sur de lon-gues distances et à suivre les pistes de leursproies. Ainsi, se repérer dans l’espace était unequalité qui aurait été sélectionnée chezl’homme. Au contraire, les femmes devaientavoir une vision plus sélective pour apercevoirdes objets, par exemple des baies, parfois dissi-mulées, dans leur environnement proche.

Une sensibilité renforcée pour les contrastesrouge/vert les aurait aidées à trouver le rouge vifde certains fruits mûrs sur le fond vert du feuil-lage. Cette capacité aurait été sélectionnée cheznos ancêtres femmes spécialistes de la cueilletteplus que chez nos ancêtres hommes. De tellesexplications liées à l’évolution restent spéculati-ves, mais sont cohérentes avec les spécificitésliées au sexe que semble présenter la perceptionde la couleur et... de l’art. !

Bibliographie

C. J. Cela et al.,Sex-related similaritiesand differences in theneural correlates ofbeauty, in Proceedingsof the NationalAcademy of Sciencesof the USA, vol. 106,pp. 3 847-52, 2009.A. C. Hurlbert et al.,Biological componentsof sex differences in color preference, in Current Biology,vol. 17, pp. 623-625,2007.D. L. Bimler et al.,Quantifying variationsin personal color spaces : are there sexdifferences in colorvision ?, in ColorResearch andApplication, vol. 29,pp. 128-134, 2004.

Pays

age

de C

apri

de F.

Prad

illa y

Orti

z, A

vec

l’aim

able

autor

isatio

n de

Enr

ic M

unar

Roc

a et

du M

usée

du

Prad

o, à

Mad

rid

2. Question de style : pour l’étude des auteurs, les sujets devaientnotamment juger de la beauté d’un tableau (à gauche) et d’une photo

(à droite). Avec ses lignes douces, le tableau plaisait plus aux femmes,tandis que les hommes préféraient la photo aux contours plus nets.

Ess05-p074077_art_munar_roca 2/02/11 10:41 Page 77

Page 80: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

78 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

L orsque l’humoriste américaine SusanPrekel monte sur scène et remarqueun homme séduisant dans l’assistance,cette grande brune séduisante sait qu’ilne l’invitera pas à prendre un verre

après le spectacle. Depuis dix ans qu’elle se pro-duit à New York, cela ne lui est arrivé qu’uneseule fois. Selon elle, les humoristes hommessont harcelés par des admiratrices, mais leshumoristes femmes sont confrontées à la situa-tion totalement opposée.

Les humoristes sont peut-être simplementvictimes d’un aspect particulier des relationsamoureuses. Bien que les hommes tout commeles femmes préfèrent systématiquement un par-tenaire qui a le sens de l’humour, il existe unedifférence majeure : les hommes recherchentquelqu’un qui apprécie leurs blagues et les fem-mes quelqu’un qui les fasse rire. L’humour auraiten effet été sélectionné au cours de l’évolution– en 1872, Charles Darwin notait que les chim-panzés ricanent lorsqu’ils jouent – et la sélectionnaturelle expliquerait le sens de l’humour.

Hommes et femmes utilisent l’humour et lerire pour attirer l’autre et signaler un intérêtamoureux – mais chacun le fait à sa façon,laquelle change à mesure que la relation pro-gresse : au fil du temps, l’humour devient unmoyen de s’apaiser mutuellement et d’arrondirles angles. En fait, l’humour n’est pas toujoursdrôle, mais il contribue à rapprocher les gens etmême à prévoir combien de temps les deux pro-tagonistes resteront ensemble.

L’humour sous toutes ses formes – moque-ries, trait d’esprit, anecdotes, ironie, satire – estaussi compliqué et évolué que le langage. Il peutêtre une arme pour séduire et un moyen d’indi-quer son intérêt pour l’autre et son intelligence.

Chéri, fais-moi rireDes chercheurs ont observé des hommes et

des femmes en train de rire, et relevé ce qu’ilstrouvaient drôle. Selon Martin Lampert, pro-fesseur de sciences sociales à l’Universitéd’Oakland, en Californie, jusqu’au début desannées 1990, on étudiait l’humour en racontantdes blagues à des sujets et en observant leursréactions. Puis les chercheurs ont commencé àétudier les mécanismes de l’humour, demandantaux sujets de raconter des blagues ou observantcomment les gens s’amusent. Une image plusprécise de ce qu’est l’humour est apparue.

En 1996, Robert Provine, professeur de psy-chologie à l’Université du Maryland, a analysé3 745 petites annonces et découvert que les fem-mes recherchent un partenaire capable de lesfaire rire deux fois plus souvent qu’elles ne sedéclarent drôles elles-mêmes. Les hommes, deleur côté, se disaient plein d’humour plus sou-vent (un tiers du temps) qu’ils ne recherchaientune partenaire drôle. Ces découvertes furent lespremiers indices que l’humour des hommes etcelui des femmes diffèrent.

Dix ans plus tard, Eric Bressler, de l’Universitéd’État de Westfield, et Sigal Balshine de l’Univer-

Le sourire, l’humour et le rire ont un rôle essentiel, du flirt à la relation durable.

Le fossé de l’humour

Des comportements différents

Christie Nicholsonest journaliste scientifique à New York.

En Bref• Les hommes recherchent la compagnie des femmes qui rientde leurs blagues, tandis que les femmes préfèrent les hommesqui les font rire.• Ces désirs distinctsauraient été sélectionnés au coursde l’évolution, chacuncherchant à capterl’attention de l’autresexe.• Quand un hommeet une femme sontengagés dans unerelation durable, les rôles s’inversent : les femmes font de l’humour pour soulager les tensionsqui peuvent naîtredans le couple.

Ess05-p078084_humour_nicholson 3/02/11 14:59 Page 78

Page 81: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

sité McMaster, ont révélé d’autres différencessurprenantes liées au sexe. Ces psychologuesont montré à 200 volontaires des photogra-phies d’hommes et de femmes associées à unenotice autobiographique drôle ou sérieuse. Lesfemmes choisissaient les hommes drôles pourun rendez-vous potentiel, mais les hommes nemarquaient pas de préférence pour les femmesdrôles. Et pourtant, partout dans le monde, lesdeux sexes classent systématiquement le sens del’humour comme l’un des traits les plus impor-tants pour un partenaire. Dès lors commentexpliquer ce résultat ?

Selon Rod Martin, de l’Université de WesternOntario, les uns et les autres veulent un parte-naire qui les fasse rire, mais pour les femmescela signifie « quelqu’un qui me fait rire », etpour les hommes « quelqu’un qui rit de mesblagues ». En 2006, R. Martin, en collaborationavec E. Bressler et S. Balshine, a demandé à127 sujets de choisir des partenaires potentielspour une nuit, un rendez-vous, une relation decourte durée, une relation de longue durée ouune amitié. Les partenaires potentiels étaientprésentés par paires, l’un d’eux étant décritcomme réceptif à l’humour du sujet parti-cipant à l’expérience, mais pas tellementdrôle lui-même, et l’autre comme trèsdrôle, mais pas vraiment intéressé parl’humour du sujet.

Dans tous les contextes autresque l’amitié, les hommes préfé-raient les femmes qui savaient rirede leurs blagues à celles quiavaient elles-mêmes de l’humour.Les femmes, au contraire, préféraientles partenaires drôles. Le fait qu’unhomme et une femme soient à ce pointopposés dans leur appréciation de l’humourn’est pas conscient et, comme pour de nom-breux comportements non conscients, leschercheurs pensent que ces désirs antago-nistes auraient été sélectionnés, parce qu’ilsfavorisent le succès reproductif.

Du point de vue de l’évolution, le sexe quis’investit le plus dans la reproduction estaussi celui qui choisit le partenaire. Ainsi,chez les mammifères, c’est la femelle quiporte le petit, et c’est elle qui choisit le meil-leur reproducteur. Dès lors, les mâles sont

© L’Essentiel n°5 – février - avril 2011 79

Yuri

Arcu

s / S

hutte

rstoc

k1. Ils rient, mais est-ce bien de la mêmechose ? Peut-être pas. Les hommes

et les femmes auraient un sens de l’humour différent. Les hommes préfèrent

les femmes qui rient de leurs blagues à celles qui les font rire.

Ess05-p078084_humour_nicholson 3/02/11 14:59 Page 79

Page 82: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

80 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

en compétition et doivent rivaliser pour attirerl’attention des femelles, ce qui explique les attri-buts de certains mâles (par exemple, les bois descerfs). Une femelle choisit le mâle dont le patri-moine génétique lui semble le meilleur (les plusgrands bois pour un cerf) – augmentant ainsi laprobabilité que sa descendance survivra.

Le psychologue Scott Barry Kaufman, del’Université de New York pense que cela expli-querait pourquoi l’humour est aussi importantdans les premiers contacts amoureux et pour-quoi les hommes racontent des blagues que lesfemmes apprécient. Selon lui, lors d’une pre-mière rencontre, l’humour donne des informa-tions, notamment sur l’intelligence, la créativité,voire certains aspects de la personnalité.

Certaines études montrant que l’humour est unbon indicateur de l’intelligence étayent cetteidée. Par exemple, en 2008, Daniel Howrigan, del’Université du Colorado à Boulder, a demandéà près de 200 personnes de dire une phrasehumoristique et de faire un dessin drôle. Ceuxqui avaient les plus hauts scores d’intelligenceétaient aussi ceux que des observateurs dési-gnaient comme les plus drôles.

Pourquoi les hommes drôles sont séduisants

Pour savoir si l’humour a été sélectionnéparce qu’il favorise la reproduction, il faut étu-dier les femmes lorsque leur fécondité est maxi-male. Diverses recherches ont montré que si lesfemmes en période d’ovulation recherchent despartenaires pour une brève aventure, elles préfè-rent des hommes qui présentent les signes d’un« bon » patrimoine génétique, par exemple unesymétrie corporelle, des traits masculins, telleune mâchoire carrée, et un comportement demâle dominant. Au contraire, lorsqu’ellesrecherchent des partenaires sur le long terme, lesfemmes – quel que soit le moment de leurcycle – choisissent des hommes capables d’en-tretenir et de s’occuper d’une progéniture.

Si l’humour est un signe de créativité et d’in-telligence, et donc un indicateur de « bons »gènes, des hommes amusants devraient êtredésirables pour les femmes en période d’ovula-tion. En effet, c’est exactement ce qu’a montré,en 2006, Geoffrey Miller, de l’Université duNouveau-Mexique, et Martie Haselton, del’Université de Californie à Los Angeles. On ademandé à 41 femmes de lire des descriptionsd’hommes créatifs, mais pauvres, et d’hommespeu inventifs, mais riches, et de dire si ellesaimeraient avoir une courte relation avec eux.Pendant les périodes de fécondité, les femmeschoisissaient à peu près deux fois plus souventles hommes créatifs que les hommes richespour une relation potentielle de courte durée,alors qu’elles ne manifestaient aucune préfé-rence quand il s’agissait de relation à long terme– exactement ce que nous avions prévu. Donc,s’il faut être drôle pour séduire les filles, les gar-çons devraient cultiver leur sens de l’humour !Pensez aux pitres que vous avez connus.Étaient-ce des garçons ?

Et quand ces garçons faisaient les clowns, ilest probable que les filles autour d’eux riaientbêtement. Les travaux sur le rire apportentaussi des indices sur le rôle important de l’hu-mour dans la séduction, comme l’a découvertR. Provine quand il a commencé à étudier la

2. Les femmes drôlessont-elles sexy ?

Ici, Florence Foresti, l’humoriste la plus

appréciée des Français,au Lido. Elle vient

de recevoir un desGlobes de cristal

des arts et de la culturedécernés en 2010.

Steph

ane

Card

inale

/ Pe

ople

Aven

ue /

Cor

bis

Ess05-p078084_humour_nicholson 3/02/11 14:59 Page 80

Page 83: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n°5 – février - avril 2011 81

fonction sociale du rire, en 1993. Il avait essayéd’étudier le rire en laboratoire, en projetantquelques épisodes d’une série télévisée comiqueà des sujets participant à l’expérience, mais iln’avait guère déclenché d’hilarité. Il en conclutque le rire est fondamentalement social. Dèslors, il entreprit d’observer les interactionshumaines dans les espaces publics : des centrescommerciaux, la rue, des cafés. Il a pris des notessur quelque 1 200 épisodes de rire dont il a été letémoin – des commentaires qui provoquaient lerire soit de l’orateur, soit de l’auditeur.

Le résultat n’est probablement pas très sur-prenant. Selon ces données, les femmes, engénéral, rient plus que les hommes – en particu-lier dans les groupes mixtes. Les hommes et lesfemmes rient plus à l’humour des hommes qu’àcelui des femmes. Ce résultat renforce l’idée queles hommes font de l’humour et que les femmesl’apprécient. Les femmes sont-elles simplementun meilleur public lorsqu’il s’agit d’humour ?Les hommes sont-ils vraiment plus drôles ?

Des travaux récents suggèrent que ce n’est sansdoute ni l’une ni l’autre de ces hypothèses qu’ilfaut retenir. Dans certaines compétitions, où l’onévalue l’humour des participants, les hommes etles femmes sont jugés aussi drôles. Ainsi, en 2009Kim Edwards, un doctorant en psychologie del’Université de Western Ontario, a demandé à deshommes et à des femmes de proposer des légen-des drôles pour des dessins humoristiques. Les

hommes et les femmes ont créé autant de légen-des, qui ont été également appréciées.

Les femmes et les hommes apprécient égale-ment l’humour à peu près de la même façon.En 2005, le psychiatre Allan Reiss, de l’UniversitéStanford, a montré 30 dessins humoristiques àdes hommes et à des femmes tandis qu’il scan-nait leur cerveau. Ils devaient sélectionner24 dessins drôles, et les ordonner du moinscomique au plus comique : hommes et femmesont établi le même classement. De plus, il y avaittrès peu de différence entre les hommes et lesfemmes pour ce qui concerne le temps deréponse aux blagues qu’ils appréciaient.

Déchiffrer le code du rireAinsi, les hommes et les femmes font de l’hu-

mour et l’apprécient de la même façon. Dèslors, pourquoi les femmes rient-elles davan-tage ? R. Provine a montré que 80 à 90 pourcent des phrases qui déclenchaient le rire dansses études de terrain n’étaient... pas drôles dutout. En fait, les gens riaient à des phrases bana-les du type « À tout à l’heure, les gars ! » ou « Jecrois que j’ai terminé ». Ses travaux ont aussimontré que les gens tendent à rire plus quandils parlent que quand ils écoutent. De nombreu-ses études ont confirmé ce résultat et les expertspensent qu’un orateur qui rit met son auditoireà l’aise et facilite les interactions sociales.

Kosn

tanti

n Su

tyagi

n /

Shutt

ersto

ck

3. Lorsqu’un hommeet une femme parlent,

le nombre de fois où ellerit est un bon indicateur

non seulement de l’intérêt qu’elle lui

porte, mais aussi de l’attraction qu’elleexerce sur l’homme.

Ess05-p078084_humour_nicholson 3/02/11 15:00 Page 81

Page 84: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

82 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

Cependant, R. Provine a trouvé une excep-tion à la règle selon laquelle les orateurs rientplus que ceux qui les écoutent : lorsqu’unhomme parle à une femme, la femme rit plusque l’homme. La différence est notable : le psy-chologue a évalué le temps que des personnesqui discutaient deux par deux passaient à rire.L’orateur riait en moyenne 46 pour cent detemps en plus par rapport à la personne quil’écoutait. Lorsqu’une femme parlait à une autrefemme, elle riait 73 pour cent de plus que soninterlocutrice, mais lorsqu’elle parlait avec unhomme, la proportion augmentait jusqu’à126 pour cent. Les hommes qui parlaient riaientmoins que les femmes oratrices, mais ils riaientquand même 25 pour cent de plus que leursauditeurs s’ils parlaient à un autre homme.Enfin, dans la situation spécifique où unhomme parlait à une femme, les hommes riaient

huit pour cent de moins que leur interlocutrice.Le fait que les femmes rient autant quand

elles parlent à des hommes – et qu’elles rientplus que les hommes même lorsque ce sont leshommes qui parlent – suggère qu’un instinctest en jeu. Et quelles que soient les racines del’instinct qui pousse les femmes à rire quandelles sont en présence d’hommes, la techniqueest efficace : les hommes trouvent les femmesplus séduisantes quand elles rient. Peut-être est-ce parce que le rire signale inconsciemmentl’intérêt et le plaisir.

On sait que les chimpanzés émettent des sonsressemblant au rire lorsque d’autres chimpanzésleur courent après, et, comme dans le cas desenfants, c’est celui qui est pourchassé qui rit.Chez les chimpanzés, le rire haletant est un signalindiquant au poursuiveur que le jeu est amusantet que celui qui est poursuivi ne se sent pas

C’est drôle ?

C omment fait-on monter un élé-phant sur un arbre de 10 mètres

de haut ? En le faisant grimper sur unarbre de 20 mètres ; il n’aura plus qu’àsauter de 10 mètres.

C’est une mauvaise blague... Pourtant,raconter une blague même médiocreest l’une des nombreuses façons d’êtredrôle. Les hommes racontent des bla-gues plus souvent que les femmes. Lesfemmes font aussi rire les autres, maisc’est plus souvent en partageant desanecdotes personnelles.

En 2007, les psychologues AndreaSamson et Oswald Huber, del’Université de Fribourg, en Suisse, ontanalysé des dessins humoristiques de61 pays et découvert que les artistesfemmes mettent en scène plus de per-sonnages qui parlent que les artisteshommes, qui préfèrent souvent les situa-tions absurdes ou les dessins abstraits.

La psychologue Mary Crawford, àl’Université du Connecticut, fut la pre-mière à montrer que cette tendance n’estque le reflet de la vie réelle. Elle a inter-rogé des hommes et des femmesen 1991 et rapporté que les hommesaiment les blagues stéréotypées et l’hu-mour grinçant. Les femmes préfèrentraconter des histoires drôles sur la vie detous les jours, comme le font les héroïnesde certaines séries télévisées, où les évé-

nements tristes, par exemple une rup-ture, sont tournés en dérision. De nom-breuses études montrent que les femmestendent à utiliser ce type d’humour parcequ’il renforce la solidarité du groupe –chacun peut penser : « Cela s’est passéaussi comme ça pour moi. »

La psychologue Jennifer Hay, del’Université Northwestern a remarquécette tendance en 2000 lorsqu’elle aenregistré 18 conversations de petitsgroupes (d’hommes et de femmes,d’hommes seulement ou de femmes seu-lement) dans son laboratoire. Elle a rap-porté un style différent chez les hom-mes, qui tendent plus souvent à taquineret à dénigrer autrui, essayant de suren-chérir sur le dernier qui a parlé.

Mais lorsque les hommes et les fem-mes sont ensemble, les rôles semblents’inverser. Martin Lambert, de l’Univer-sité Holy Names, et Susan Ervin-Tripp,de l’Université de Californie àBerkeley, ont montré ce changement destyle en 2006 en analysant 59 conver-sations de la vie réelle. Dans uneassemblée mixte, les hommes se

moquaient moins d’autrui et lesfemmes taquinaient plus les hom-mes. Ces derniers riaient plusd’eux-mêmes, tandis que les fem-

mes avaient moins tendance à semoquer d’elles-mêmes. Les cher-

cheurs pensent que dans ces situationsles hommes réduisent leurs taquineriesde peur de perdre une partenairepotentielle – et les femmes tenteraientd’apparaître moins vulnérables et des’afficher sur un pied d’égalité avec leshommes.

Jean

-Mich

el Th

iriet

Ess05-p078084_humour_nicholson 3/02/11 15:00 Page 82

Page 85: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n°5 – février - avril 2011 83

menacé. La joie pourrait être liée à l’anticipation,comme si le rire transmettait un message : « Jevais continuer à courir, mais ce sera vraimentamusant quand tu m’auras rattrapé.» Pourrait-ily avoir un lien avec le fait que ce sont les femmesqui sont poursuivies dans les interactions deséduction ? « Je pense que c’est un parallèle inté-ressant » souligne R. Martin. « Dans les deux casle rire est une invitation à continuer. »

Diverses études ont montré que le rire reflètel’attraction entre deux personnes. En 1990, lespsychologues Karl Grammer et Irenaus Eibl-Eibesfeldt, de l’Institut Ludwig Boltzmannd’éthologie humaine à Vienne, ont étudié desconversations dans des groupes et quantifié lerire des hommes et celui des femmes. Par lasuite, chaque individu rapportait dans quellemesure il ou elle avait été attiré(e) par telle outelle personne avec qui il avait discuté : c’est lenombre de sourires des femmes qui prédisaitl’attraction des deux partenaires. En d’autrestermes, une femme rit beaucoup lorsqu’elle estattirée par un homme ou qu’elle détecte l’intérêtd’un homme pour elle – et ce rire peut à sontour la rendre plus séduisante ou signaler qu’elleest satisfaite de l’attention qu’il lui porte.

Lorsque l’attirance se transforme en relationstable, le rôle de l’humour change, mais rireensemble reste essentiel. Beaucoup pensent quec’est parce que l’humour favorise les relationsinterindividuelles, particulièrement dans ladurée, qu’il est important. L’humour devient un

langage privé entre deux personnes : un éclat derire partagé peut rendre particulier un momentbanal ou réduire les tensions.

Mais là encore, les rôles des deux protagonis-tes diffèrent et, dans une certaine mesure,s’échangent. Contrairement à la période deséduction, où ce sont généralement les hommesqui font de l’humour et les femmes qui les écou-tent, dans les relations stables, les hommes per-dent leur humour. Néanmoins, lorsque des fem-mes ont des partenaires drôles, les relations ducouple sont plus stables.

Savoir être sérieux quandles circonstances l’exigent

Toutefois, dans certaines situations, l’humourmasculin n’est pas apprécié. En 1997, les psy-chologues Catherine Cohan, de l’Universitéd’État de Pennsylvanie, et Thomas Bradbury, del’Université de Californie à Los Angeles, ontsuivi 60 couples pendant 18 mois, par le biais dequestionnaires d’autoévaluation et de conversa-tions enregistrées. Ces couples traversaient unepériode difficile, à cause, par exemple, du décèsd’un proche ou d’une perte d’emploi. Ils ontconstaté que si l’homme continue à faire del’humour pendant ces périodes, les couples ontplus de risques de divorcer ou de se séparer aucours des 18 mois suivant l’événement que lescouples confrontés au même stress, mais oùl’homme est sérieux. Cela révèle sans doute si

Karl

Amma

nn /

Corb

is

4. Le rire n’est pas le propre de l’homme.

Les primates émettentdes sons qui ressemblent

à des rires et leursmimiques faciales, telles

celles de ces entelles,Semnopithecus entellus,

ou singes langurs, évoquent parfois

des fous rires.

Ess05-p078084_humour_nicholson 3/02/11 15:00 Page 83

Page 86: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

84 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

les hommes perçoivent ou non quand un traitd’esprit est le bienvenu et quand il ne l’est pas.Selon R. Martin, quand l’humour est utilisé defaçon agressive, moqueuse ou vexante, ouencore à un moment inapproprié, il peut êtrepréjudiciable à une relation.

Pour le montrer, R. Martin et le psychologueHerbert Lefcourt, de l’Université de Waterloo,ont imaginé des tests fondés sur une échelled’humour, qui évalue dans quelle mesure lesindividus utilisent l’humour pour faire face auxdifficultés auxquelles ils sont confrontés. Ils ontdécouvert en 1986 que les hommes qui obtien-nent des scores élevés à ce test sont moins satis-faits de leur relation conjugale que ceux quiévitent de faire de l’humour dans de telles cir-constances. Par ailleurs, dans ce cas, l’humourutilisé serait fait aux dépens d’autrui, ce quipourrait être l’expression d’une relation peusatisfaisante avec les autres.

Au contraire, de nombreuses études ont mon-tré que les femmes utilisent souvent un humouroù elles se moquent d’elles-mêmes, ce qui pour-rait permettre d’apaiser des tensions avec autrui(voir l’encadré page 82). De surcroît, les testsd’humour ont révélé que les femmes ayantdavantage recours à l’humour pour faire face

aux situations difficiles sont aussi celles qui sontle plus satisfaites dans leur couple.

Une étude récente pourrait expliquer pour-quoi. Le psychologue John Gottman, de l’Institutqui porte son nom, a analysé 130 couples discu-tant des trois problèmes les plus importants aux-quels ils étaient confrontés. Les couples venaientau laboratoire de J. Gottman une fois par anpendant six ans à partir de leur mariage, etavaient une discussion privée avec J. Gottmanqui mesurait aussi leurs paramètres biologiquestels que leur tension artérielle et leur pouls.

J. Gottman a observé que la pérennité des cou-ples dépendait en partie du rythme cardiaquedes maris : si cette valeur diminuait après les dis-cussions houleuses, le mariage était plutôt réussi(en revanche, la fréquence cardiaque des femmesne présentait aucun lien avec la réussite du cou-ple). Certains hommes parvenaient à se calmer,et leur fréquence cardiaque se normalisait quandleur femme racontait une blague. SelonJ. Gottman, les couples où les femmes réussissentà faire baisser la tension de leur conjoint de cettefaçon ont plus de chances d’être stables que lescouples où les épouses n’ont pas le sens de l’hu-mour (du moins le temps qu’a duré l’étude).

Quand les femmes prennent le relais

Ainsi, à mesure qu’une relation progresse,l’humour d’un homme devient moins impor-tant – et peut même être nuisible dans certainessituations –, tandis que le sens de l’humourd’une femme a des effets positifs. Pendant lapériode de séduction, un homme attire unefemme par ses traits d’esprit, et si la femme rit àses blagues, cela la rend séduisante aux yeux del’homme. Mais à mesure que l’engagement seconfirme, le défi ne consiste plus à trouver unpartenaire mais à garder son compagnon. Ils’agit alors davantage de sympathie et d’adapta-tion aux sentiments et aux points de vue de l’au-tre. Selon R. Martin, l’objectif est moins de dis-traire et d’impressionner que de réduire les ten-sions interpersonnelles, de faire part de compré-hension. Les femmes seraient alors plus habilesquand il s’agit de ces facettes de l’humour.

Bien évidemment, dans la vie réelle, les hom-mes et les femmes présentent des variations inter-individuelles bien plus importantes que cellesque reflètent les tendances observées lors de testsréalisés en laboratoire. Mais en général, la façondont les hommes et les femmes utilisent l’hu-mour trahit le même objectif : se lier aux autres.Un rire sincère est l’une des façons les plus hon-nêtes de dire : je suis en accord avec toi. !

5. Quand une épouseréussit à faire rire

son conjoint après une discussion tendue,

le rythme cardiaque de son compagnon

diminue.

Yuri

Arcu

s / S

hutte

rstoc

k

Ess05-p078084_humour_nicholson 3/02/11 15:00 Page 84

Page 87: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

int_site_grd.xp 1/02/11 17:27 Page 1

Page 88: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

D ans ses poèmes, l’AméricaineEmily Dickinson la qualifiait de« mélancolie fixée ». L’écrivainespagnol George Santayana, d’une« pellicule de colère ». L’un et l’au-

tre décrivaient la même maladie : la dépression.La différence d’approche est plus qu’une nuancelittéraire ou philosophique : elle révèle que l’uneétait une femme, l’autre un homme.

Les médecins savent depuis longtemps que leshommes et les femmes ne réagissent pas de lamême façon face aux maladies mentales. Etpourtant, lorsque les cliniciens ont conçu leManuel diagnostique et statistique des maladiesmentales, le livre qui répertorie l’ensemble desmaladies psychiatriques, ils ont volontairement

décrit ces maladies sans distinction de genre.Aujourd’hui, il est avéré que la prise en charged’une dépression ne devrait pas être identique sile malade est une femme ou s’il est un homme.Nombre d’études ont confirmé que le genreinflue sur toutes les dimensions de diverses mala-dies mentales – des symptômes qu’expriment lespatients jusqu’à leur réponse aux traitements enpassant par les caractéristiques de la maladie.

La dépression est la maladie mentale la plusfréquente au monde. Selon l’Organisation mon-diale de la santé, plus de 150 millions de person-nes, soit près de quatre pour cent de la popula-tion adulte mondiale, seraient touchées. EnFrance, près de huit pour cent de la populationprésenteraient chaque année un trouble dépres-

86 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

Les hommes et les femmes ne vivent pas la dépression de la même façon et ne sont pas égaux face à elle.

Les deux visagesde la dépression

Des comportements différents

Erica Westlyest journaliste scientifique.

Dund

anim

/ S

hutte

rstoc

k

Soko

lovsk

y /

Shutt

ersto

ck

Ess05-p086092_depression_westly 3/02/11 10:15 Page 86

Page 89: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

sif majeur (trois pour cent traverseraient un épi-sode particulièrement grave) et cette proportionatteindrait même 19 pour cent si l’on tientcompte des symptômes (insomnies par exem-ple) qui n’atteignent pas le seuil diagnostic de ladépression. Les femmes sont en moyenne deuxfois plus touchées que les hommes par la dépres-sion. D’où vient un tel état de fait ? Pourquoi lesfemmes sont-elles plus vulnérables à cettepathologie – alors même que la plupart desessais cliniques visant à évaluer l’efficacité desantidépresseurs n’ont recruté que des hommes ?

Depuis quelque temps, les chercheurs ont– enfin ! – commencé à étudier ces différences,notamment la principale : le fait que les fem-mes et les hommes n’expriment pas le mêmeressenti face à la maladie. Pour les femmes,l’émotion principale est la tristesse, tandis quepour les hommes, c’est plutôt la colère ou l’irri-tabilité, teintée d’imprudence. C’est pourquoitout le monde – les hommes dépressifs eux-mêmes – interprète la dépression masculinecomme une frustration plutôt que comme unemaladie sérieuse nécessitant d’être prise encharge. Les hommes déprimés se font moinssouvent aider que les femmes et présententquatre fois plus de risques de se suicider.

Ces variations sont-elles innées ou acquises ?Certains neurobiologistes pensent que la chi-

mie cérébrale de la dépression est la même chezl’homme et chez la femme, mais que les normessociales ne laissent pas les hommes exprimerleur tristesse, de sorte qu’ils ont des difficultés àdécrire leurs symptômes. Un homme préfèreinvoquer une baisse de performance, une dis-pute avec sa compagne plutôt que d’admettrequ’il est triste. En revanche, ce stade franchi, lessymptômes seraient à peu près les mêmes chezles hommes et chez les femmes.

Les moteurs de l’humeurContrairement à ce qui a longtemps été

admis, les influences culturelles seraient limitéessur ces différences. De nombreuses études ontconfirmé l’importance des facteurs biologiquessur l’humeur et le comportement – y compris laprédisposition à la dépression et à diversesmaladies mentales. Plus précisément, ces diffé-rences seraient dues aux hormones sexuelles.Quand on comprendra bien comment ces hor-mones agissent sur le cerveau, on saura adapterles traitements à chaque personne déprimée.

Du stade embryonnaire à l’adolescence, leshormones sexuelles, surtout la testostérone etles estrogènes (estradiol, estriol, estrone), jouentun rôle essentiel dans le développement cérébralet, plus tard, dans la régulation de l’humeur.

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 87

En Bref• Les hommes et les femmes ne parlentpas de la dépressionde la même façon et réagissent différemment aux antidépresseurs. Les interactionsdes estrogènes et dela testostérone avec les neuromédiateursrégulant le stress et le bien-être diffèrent.• Chez les hommes,les symptômes de la dépression – colèreet agitation – sont plus vagues.• Les concentrationshormonales fluctuentau cours de la vie. Hommes et femmesne sont pas sensibles à la dépression au même âge.

Lightp

oet /

Shu

tterst

ock

Zurij

eta /

Shu

tterst

ock

Ess05-p086092_depression_westly 3/02/11 10:15 Page 87

Page 90: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

88 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

Elles ne sont pas seulement impliquées dans lecontrôle de la reproduction. Les hommes et lesfemmes les produisent en quantité variable. Latestostérone, synthétisée dans les testicules, et lesestrogènes produites dans les ovaires, sont leshormones sexuelles les plus actives respective-ment chez l’homme et chez la femme, mais lesorganes sexuels et les glandes surrénales produi-sent, chez l’homme, un peu d’estrogènes et, chezla femme, un peu de testostérone. Les hormonesdu sexe opposé sont vitales : la testostéronecontribue à la régulation du cycle menstruel desfemmes et au maintien de la densité osseuse, dela masse musculaire et de la libido ; les estrogè-nes interviennent, chez l’homme, dans la régula-tion des fluides dans l’appareil reproducteur.

La production des hormones sexuelles varieau cours de la vie. Les concentrations hormona-les fluctuent d’un jour, voire d’une heure, àl’autre. On observe un pic de concentrationchez le nourrisson, pendant la petite enfance,puis au moment de la puberté, sous l’action del’hypothalamus et de l’hypophyse. Les concen-trations d’hormones sexuelles diminuent pro-gressivement de la fin de l’adolescence jusquevers 50-55 ans. Pour les femmes, c’est l’âge de laménopause, quand la production des estrogènescesse. Quant aux hommes, c’est le début de l’an-dropause, qui s’accompagne d’une diminution

progressive de la production de testostérone.Chez les hommes comme chez les femmes, on aobservé que la diminution des concentrationsde ces hormones due au vieillissement s’accom-pagne d’un déclin cognitif et d’une perte pro-gressive de la mémoire.

La biochimie des hormones sexuelles dans lecerveau est difficile à étudier, mais il est avéréqu’elles jouent un rôle dans le fonctionnementcérébral. Le cerveau masculin tend à être plusgros que celui des femmes, et il termine sondéveloppement plus tard que le cerveau fémi-nin. Bien que l’on n’ait pas encore identifié lescauses de ce retard, les recherches conduites surl’animal ont montré que la testostérone favorisel’augmentation du cerveau en stimulant la pro-duction du facteur neurotrophique dérivé ducerveau, BDNF, une protéine qui contribue audéveloppement neuronal.

Dépression et épilepsiePar ailleurs, on a montré que les troubles de

l’humeur et les hormones sexuelles sont liés. Latestostérone et les estrogènes n’agissent pas de lamême façon sur les neurotransmetteurs céré-braux, notamment dans l’hypothalamus etl’amygdale, deux aires impliquées dans le traite-ment des émotions. Par exemple, en 2001, à laFaculté de médecine Albert Einstein, à NewYork, on a montré qu’au début du développe-ment, la testostérone et les estrogènes ont deseffets opposés sur le neurotransmetteur GABA(l’acide gamma-aminobutyrique) : la testosté-rone stimule la transmission GABAergique, tan-dis que les estrogènes l’inhibent.

Cet effet aura d’abord un impact négatif chezle garçon, puis, à un âge plus avancé, chez la fille.Comme un excès de GABA peut entraîner descrises d’épilepsie chez le nourrisson et le jeuneenfant, les filles bénéficient de l’effet protecteurdes estrogènes : les garçons présentent deux foisplus de risques que les filles de faire des convul-sions quand ils ont de la fièvre. Ils ont aussi plusde risques de développer une dépression aucours de la petite enfance. Selon Simon Baron-Cohen, qui dirige le Centre de recherche surl’autisme de l’Université de Cambridge, l’excèsde testostérone pendant les premiers mois dudéveloppement cérébral rendrait les garçonsplus vulnérables à l’autisme et à diverses mala-dies neuropsychiatriques. Le GABA, le BDNF etd’autres composés chimiques stimulés par latestostérone semblent liés à ces troubles, pourdes raisons que l’on ne comprend pas encoretrès bien. D’autres chercheurs pensent que lerôle de la testostérone est indirect : elle sensibili-

La chimie de la dépression

L es estrogènes (estradiol, estriol et estrone) et la testostérone ont beause ressembler, les petites différences de structure ont de grands

effets. Les estrogènes et la testostérone ont leurs propres récepteurs dansdiverses aires cérébrales, dont l’hypothalamus et l’amygdale – des airesqui régulent la mémoire, les émotions, le sommeil et l’appétit. Ces hor-mones sexuelles réagissent différemment avec d’autres molécules. Parexemple, les estrogènes augmentent la concentration en cortisol, l’hor-mone de stress, ce qui expliquerait pourquoi les femmes sont plus tou-chées par la dépression que les hommes.

Sur ces modèles, les atomes decarbone sont en gris foncé, les ato-mes d’hydrogène en gris clair, etles atomes d’oxygène en rouge.

Estradiol

Testostérone

Ess05-p086092_depression_westly 3/02/11 10:15 Page 88

Page 91: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 89

serait les garçons aux stress environnementaux,telle l’anoxie prénatale – le manque d’oxygèneavant la naissance –, qui serait responsable detroubles psychiatriques.

La tendance s’inverse à la puberté : les fillessont alors trois fois plus sujettes à la dépressionque les garçons. Le pic d’estrogènes les rendraitvulnérables en stimulant la production de corti-sol, l’hormone de stress, et en interférant avec lesstocks de sérotonine ; un manque de sérotonineà cet âge entraînerait une fatigue excessive, del’anxiété et d’autres symptômes de la dépression.Au contraire, la testostérone protégerait alors lesgarçons. Dans une étude publiée en 2008, TracyBale et ses collègues de l’Université de Pennsyl-vanie ont observé qu’en administrant de la tes-tostérone à des souris femelles, ils les proté-geaient de la dépression, à condition qu’ellessoient adolescentes. Ainsi, la nature de l’hor-mone est déterminante, mais le moment où elleest produite également.

Savoir repérer les symptômesLa situation se complique à l’âge adulte. Il est

très difficile d’évaluer la part de l’inné et de l’ac-quis dans la dépression, car les hommes et lesfemmes ne présentent pas les mêmes symptô-mes. Les femmes ont plus de risques de souffrirde dépression et consultent plus facilement. Aucontraire, la colère et la nervosité, propres à ladépression masculine, ne sont pas des symptô-mes associés à la définition classique de la mala-die : la maladie n’est pas (ou est mal) diagnosti-quée. Et, rappelons-le, la société imagine malqu’un homme puisse en souffrir ; pour cette rai-son, l’Institut américain de santé mentale(NIMH) a sponsorisé en 2003 une campagnepour sensibiliser le public au fait que les hommesaussi peuvent souffrir de dépression. Le sloganétait : « Un vrai homme, une vraie dépression. »

Julie Totten, à Waltham, aux États-Unis, sesouvient du jour où elle a réalisé que la colère etl’irritation de son père, âgé de 54 ans, pouvaientêtre les symptômes d’une dépression. C’étaiten 1990, peu après le suicide de son frère. Enrecherchant les causes possibles de ce suicide, elleavait trouvé un article traitant de la dépressionchez les hommes. Son père, qui d’habitude étaitun homme sociable et extraverti, était devenuirritable et morose. Une attitude qui n’est passans rappeler les propos de G. Santayana. Or sonfrère avait consulté leur médecin de famille peude temps avant de se suicider, mais comme il nes’était plaint que de maux d’estomac et d’uneperte de poids, le médecin n’avait pas comprisqu’il était gravement déprimé.

C’est pourquoi quand son père crut qu’il avaitla grippe et voulut consulter son médecin, elledemanda à ce qu’un psychiatre passe pendant laconsultation. Ce dernier diagnostiqua unedépression et lui prescrivit un antidépresseurqu’il continue de prendre. Aujourd’hui, J. Tottens’occupe d’une association d’aide aux prochesde personnes dépressives qui explique commentreconnaître les signes de la maladie chez les pro-ches, et comment les convaincre de se faire soi-gner. Beaucoup de femmes viennent y discuterde la meilleure façon de persuader leurs marisde se faire aider.

Pourtant, plus vite le diagnostic est posé, plusles chances de sauver les personnes dépriméesaugmentent. Car il est aujourd’hui admis que lesfemmes se font aider, mais pas les hommes... quipeuvent en mourir. Pour faciliter le diagnostic, unquestionnaire axé sur les symptômes des hom-mes est de plus en plus utilisé aux États-Unis. Ony demande, par exemple, à quel point les sujets sesentent irritables, agités, frustrés ou agressifs.

Quels médicamentsprescrire ?

Poser le bon diagnostic est une chose, prescrirele médicament le mieux adapté (adapté au sexe)en est une autre. Les psychiatres ont longtempscru que les médicaments avaient les mêmes effetssur un homme ou sur une femme. Mais il y a dixans, Susan Kornstein, psychiatre à l’UniversitéVirginia Commonwealth, à Richmond, auxÉtats-Unis, a publié une étude montrant que lesinhibiteurs de la recapture de la sérotonine, laclasse d’antidépresseurs comprenant, par exem-ple, le Prozac, sont moins efficaces chez les hom-mes que chez les femmes (la sérotonine est en

DNF-S

tyle

Photo

grap

/ S

hutte

rstoc

k

1. Beaucoup d’hommes déprimés

ne sont pas tristes, maisirritables. Parce que

leurs symptômes sontpeu spécifiques et que les hommes admettent

difficilement qu’ils ne vont pas bien,

il n’est pas aisé de diagnostiquer

la dépression masculine.

Ess05-p086092_depression_westly 3/02/11 10:15 Page 89

Page 92: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

90 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

trop faible concentration dans le cerveau des per-sonnes déprimées et ces médicaments la fontaugmenter). L’étude fit quelques remous d’au-tant que les essais cliniques qui avaient conduit àl’approbation de cette classe d’antidépresseurspar l’administration qui gère les questions desanté aux États-Unis, la FDA, avaient été faits uni-quement sur des hommes. Les chercheursauraient voulu éviter d’avoir à prendre encompte les variations hormonales au cours descycles menstruels, si bien que les femmes avaientété exclues... Personne n’avait imaginé que lesfemmes auraient réagi différemment !

Plusieurs études récentes confirment lesrésultats de S. Kornstein quant aux écarts d’effi-cacité des inhibiteurs de la recapture de la séro-

tonine en fonction du sexe : ils seraient particu-lièrement efficaces en présence d’estrogènes.Ainsi, la sertraline (Zoloft) n’a pas d’effet sur lesrats femelles qui ne produisent pas d’estrogènes,mais elle devient efficace si on l’administre avecdes estrogènes. En suivant pendant un an deshommes et des femmes traités par un inhibi-teur de la recapture de la sérotonine,S. Kornstein a constaté que les femmes avaientplus de chances de guérir que les hommes, alorsque leur dépression était souvent plus grave.

S. Kornstein est allée plus loin en montrantque les hommes réagissent mieux aux antidé-presseurs de type imipramine et buproprion, dontles cibles sont les neurotransmetteurs dopamineet noradrénaline plutôt que la sérotonine. Il y aquelques années, des chercheurs de l’Institutaméricain de la santé mentale et de l’UniversitéYale ont publié une étude qui pourrait expliquerpourquoi. Ils ont utilisé la tomographie parémission de positons – TEP – afin de mesurer laconcentration de la protéine transporteuse de lasérotonine – la cible des inhibiteurs de la recap-ture de la sérotonine – chez des hommes et desfemmes qui avaient pris des antidépresseurs dansle passé, mais n’en consommaient plus aumoment de l’étude. Tandis que les jeunes fem-mes présentaient une réduction de 22 pour centdu transporteur de la sérotonine dans plusieursaires cérébrales essentielles, les hommes ne pré-sentaient aucune différence par rapport à dessujets contrôles, ce qui impliquait qu’un déficiten sérotonine ne serait pas (ou serait peu) encause dans la dépression chez l’homme.

Une affaire de sérotoninechez les femmes seulement

Une autre découverte a confirmé ces résul-tats : le fait que les femmes ne réagissent pastoujours de la même façon aux antidépresseursselon leur âge, ce qui expliquerait égalementpourquoi les femmes sont plus sujettes à ladépression. S. Kornstein a montré que les fem-mes ménopausées ne répondent plus aussi bienaux inhibiteurs de la recapture de la sérotonineque les femmes plus jeunes, et qu’elles sontmieux soulagées par les antidépresseurs ciblantla noradrénaline et la dopamine.

De plus, les chercheurs de l’Université Yale ontmontré que contrairement aux femmes jeunes(et comme les hommes), les femmes ménopau-sées déprimées ne présentent pas de réduction dela concentration du transporteur de la séroto-nine. Ces résultats sont cohérents avec les don-nées obtenues sur l’animal montrant que lesinhibiteurs de la recapture de la sérotonine sont

Divans séparésLes hommes et les femmes ne seraient pas affectés de la même façon

par certaines maladies mentales.

SchizophrénieCe trouble touche autant de femmes que d’hommes, mais les manifes-

tations sont différentes. Les femmes sont plus anxieuses et déprimées ; leshommes sont plus souvent apathiques et ont peu d’interactions sociales.Les études ont montré que les hommes schizophrènes ont plus souventdes déficits mentaux, par exemple des troubles du langage.

Par ailleurs, selon la psychologue Jill Goldstein, de l’UniversitéHarvard, l’hypothalamus, une aire cérébrale impliquée dans le traite-ment des émotions, serait plus volumineux chez les femmes schizophrè-nes, mais pas chez les hommes.

Stress post-traumatiqueLes femmes seraient deux fois plus touchées par ce trouble que les hom-

mes. Pourtant, les hommes seraient quatre fois plus souvent exposés àdes événements traumatisants que les femmes.

Récemment on a montré que les femmes atteintes de stress post-trauma-tique adoptent le plus souvent une attitude froide et détachée, tandis queles hommes deviennent irritables et impulsifs. Le trouble est souvent asso-cié à une dépression chez les femmes, et à de l’anxiété chez les hommes.

Trouble bipolaireIl touche autant les hommes que les femmes, mais la maladie se mani-

festerait plus tôt chez les hommes : en moyenne à l’âge de 22 ans chezles hommes et de 26 ans chez les femmes. En revanche, les femmes som-breraient plus profondément dans la dépression que les hommes, et lesphases dépressives et les épisodes maniaques (euphoriques) alterne-raient plus rapidement.

Il est possible que les antidépresseurs accélèrent ces alternances, cequi expliquerait pourquoi elles se manifestent plus chez les femmes : leurdépression étant plus grave, elles prennent davantage ces médicaments.

L’impact cognitif de la maladie diffère aussi selon le sexe. En 2009,une étude a révélé que le trouble bipolaire est associé à des déficits dela mémoire à court terme chez les hommes, mais pas chez les femmes.

Ess05-p086092_depression_westly 3/02/11 10:15 Page 90

Page 93: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 91

particulièrement efficaces en présence d’estrogè-nes. Ils confirment le rôle important des estrogè-nes sur la santé mentale, de l’adolescence jusqu’àla ménopause. Ces hormones participent à l’éla-boration des circuits neuronaux et modulent laréponse des femmes aux médicaments.

En raison de ces variations hormonales, ilserait souhaitable de suivre les femmes duranttoute leur vie. Prenons l’exemple de DebDamone, âgée de 56 ans et qui habite New York.Comme de nombreuses femmes déprimées, ellea ressenti à la puberté « un pressentiment de tris-tesse ». Le diagnostic de dépression a été poséalors qu’elle avait 17 ans. Elle a commencé àprendre des antidépresseurs tricycliques (lesinhibiteurs de la recapture de la sérotoninen’existaient pas encore). Ils n’eurent aucun effet.Alors qu’elle avait près de 40 ans, un médecin luiprescrivit du Prozac, qui fut plus efficace. Mais,vers 50 ans, à la ménopause, les symptômes s’ag-gravèrent. Ses sautes d’humeur et son immensetristesse étaient telles qu’elle ne pouvait plus selever le matin. Sans doute aurait-elle été soulagéesi elle avait pris du Prozac quand elle était plusjeune, et un médicament ciblant la noradréna-

line à la ménopause. Selon la psychologue clini-cienne Jill Goldstein, qui étudie les différencesliées au sexe dans la schizophrénie et la dépres-sion, à l’Hôpital pour femmes de Brigham, ratta-ché à l’Université Harvard, il faudrait suivre lespatientes tout au long de leur vie pour mieuxcomprendre ces troubles.

J. Goldstein a mis sa théorie en pratique enanalysant les dossiers médicaux de milliersd’enfants nés en Nouvelle-Angleterre au coursdes années 1960. L’étude a été faite dans le cadredu Projet collaboratif périnatal, coordonné parl’Institut américain de la santé. Ce projet acommencé en 1959 ; 66 000 femmes enceintes

2. Les garçons ont plus de risques de développer une dépression pendant l’enfance. Quant aux filles,

la probabilité qu’elles soient dépressives à la puberté est deux à trois fois plus élevée

que chez les garçons.

Mon

key

Busin

ess I

mage

s / S

hutte

rstoc

k

Mika

el Da

mkier

/ S

hutte

rstoc

k

Ess05-p086092_depression_westly 3/02/11 10:15 Page 91

Page 94: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

92 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

vivant dans 12 villes des États-Unis ont été sui-vies. Les échantillons de sang maternel et de cor-don ombilical collectés, ainsi que les donnéesmédicales détaillées des enfants, offrent le maté-riel nécessaire pour réaliser des études rétros-pectives sur diverses maladies.

Le projet a été interrompu en 1967, faute definancement, mais les données sont disponiblespour les chercheurs ; c’est l’une des plus grandescollections d’échantillons au monde concernantdes mères et leurs enfants. Grâce à elle, des cher-cheurs de l’Université du Minnesota ont récem-ment établi des liens entre les taches de nais-sance et le cancer de la peau chez l’adulte.D’autres ont utilisé les échantillons pour étudierles relations entre obésité infantile et maladiescardio-vasculaires, tabagisme maternel et déve-loppement de l’enfant, ou encore exposition auplomb et schizophrénie.

Il y a quelques années, J. Goldstein et ses col-lègues de Harvard et de l’Université Brown ontcontacté quelque 1 000 femmes ayant participéau projet, alors âgées de 40 ans environ, quiavaient eu une dépression, pour suivre l’évolu-tion de leur maladie. Ils espèrent mettre en évi-dence des mécanismes neuroendocrinologiques,reliant hormones, neuromédiateurs et humeur.Ils pratiquent sur ces personnes des examensd’imagerie cérébrale en suivant particulière-ment les aires impliquées dans l’humeur, tellesque l’hypothalamus et l’amygdale. J. Goldstein

suppose que, chez les femmes déprimées, l’acti-vité des régions du cortex cérébral qui régulentla réponse au stress sera plus faible.

Mieux adapter les traitements

Les préjugés sur les troubles mentaux desfemmes ont la vie dure. À la fin du XIXe siècle etau début du XXe, les femmes présentant dessymptômes psychiatriques étaient souvent sup-posées souffrir d’hystérie, une maladie mentale« féminine » que la communauté médicale nereconnaît plus. Au contraire, aujourd’hui, on esttombé dans l’excès inverse : il n’y a plus de diffé-rence entre les hommes et les femmes, du moinsen ce qui concerne les maladies mentales. Aupoint que, dans les essais cliniques, on nerecherche pas l’efficacité des médicaments testésen fonction du sexe.

De telles erreurs méthodologiques doiventdisparaître. On sait désormais que la biologiede la dépression n’est pas la même chez leshommes et chez les femmes. Tenir compte desdifférences permettra de mieux adapter les trai-tements à la chimie de chacun. Et au-delà de cesconsidérations médicales, une représentationplus précise des émotions humaines – mélanco-lie chez les uns, colère chez les autres – amélio-rera aussi la connaissance que nous avons denous-mêmes et d’autrui. !

L e cerveau humain fonctionne tou-jours avec les mêmes molécules,

mais hommes et femmes en produisentdes quantités différentes, et ce n’est passans conséquences. Une équipe cana-dienne a utilisé la tomographie par émis-sion de positons pour mesurer dans lecerveau de 15 hommes et de 15 femmesla concentration de sérotonine, un neuro-transmetteur qui améliore l’humeur.

Les Canadiens ont comparé les ima-ges de cerveau d’un homme et d’unefemme qui n’étaient pas atteints dedépression et visualisé la sérotonine pro-duite (à chaque fois, on présente deuximages prises au même moment chez lamême personne, à des endroits différentsdu cerveau). Le cerveau de l’homme pro-duit plus de sérotonine (ligne du haut).

Ces sujets ont ensuite suivi un régimepauvre en protéines, dépourvu d’acideaminé tryptophane, indispensable à la

synthèse de la sérotonine. La productionde sérotonine (ligne du bas) a diminuéchez la femme, mais pas chez l’homme.Cette différence liée au sexe explique-

rait pourquoi des antidépresseurs, tel leProzac, qui augmentent la concentrationen sérotonine, sont plus efficaces chezles femmes.

Des productions différentes de sérotonine

Synthèse de la sérotonine

État normalFemme

Après carence de tryptophane

Syn

thès

e ac

crue

Syn

thès

e ac

crue

S.N

ishiza

wa e

t al.,

in PN

AS, v

ol.94

(10)

, 199

7

Homme

Bibliographie

J. Goldstein et al., Sex differences in stress

response circuitry activation dependenton female hormonal

cycle, in J. of Neuro.,vol. 30(2), pp. 431-38,

2010.E. Young et al.,

Sex matters : gonadalsteroids and the brain, inNeuropsychopharmacol.,

vol. 34, pp. 537-8,2009.

N. Goel et al.,Examining the

intersection of sex andstress in modeling neuropsychiatric

disorders, inJ. of Neuroendocrinol.,

vol. 21(4), pp. 415-20,2009.

J. Manson, Prenatalexposure to sex steroid

hormones and behavioural/cognitiveoutcomes, in Metab. :

Clin. and Exp., vol. 57,supp. 2, pp. 16-21,

2008.

Ess05-p086092_depression_westly 3/02/11 10:15 Page 92

Page 95: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

int_Dunod_grd.xp 1/02/11 17:25 Page 1

Page 96: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

L a notion selon laquelle les hommessont plus agressifs que les femmes estun dogme bien ancré en psychologie.Dans les années 1970, les psychologuesEleanor Maccoby et Carol Jacklin, de

l’Université Stanford, publiaient dans unouvrage qui a eu un impact notable que les dif-férences entre les sexes étaient faibles pour laplupart des traits psychologiques, sauf pourl’agressivité, où elles sont importantes. Cetteopinion a perduré. Avaient-elles raison ? Lesdonnées récentes confirment l’essentiel de leursrésultats, mais révèlent que les femmes peuventêtre tout aussi belliqueuses que les hommes,quoique moins dangereuses.

En 1995, le psychologue américain DavidLykken écrivait que si nous pouvions congelerpar magie tous les hommes âgés de 12 à 28 ans,deux crimes sur trois seraient évités. Les don-nées sont conformes à cette estimation. AuxÉtats-Unis, près de 90 pour cent des meurtressont commis par des hommes, et dans tous lespays où des recherches ont été menées, leshommes commettent plus de meurtres que lesfemmes, selon un rapport publié en 1999 par lapsychologue Anne Campbell, de l’UniversitéDurham en Grande-Bretagne.

De surcroît, les différentes études ont montréqu’en dehors de la violence criminelle les hom-mes commettent plus d’agressions physiquesque les femmes et que ces agressions sont plusviolentes, à une exception près : dans le cas de laviolence conjugale, où c’est souvent l’inverse(nous y reviendrons). Dans une méta-analysepubliée en 2004 et ayant regroupé 196 études, lepsychologue John Archer, de l’Université duLancashire en Grande-Bretagne, a confirmé queles hommes sont responsables de davantage

d’agressions physiques (évaluées selon diffé-rents critères) que les femmes, quel que soit leurâge, mais surtout entre 20 et 30 ans. Cette diffé-rence a été constatée dans les dix pays qui ontété étudiés. Par ailleurs, les psychologues ontobservé que les hommes ont également davan-tage de phantasmes violents, voire meurtriers :ils pensent plus souvent à se venger de leursennemis, et ont plus de rêves où ils se battent.

Agression psychologiquePourtant, diverses études montrent que les

femmes se mettent aussi souvent en colère queles hommes, et qu’elles n’hésitent pas à se bagar-rer. Mais au lieu d’exprimer leur colère avecleurs poings, les femmes tendent à utiliser cequ’en 1995 le psychologue américain NickiCrick avait qualifié d’« agression relationnelle ».Il s’agit d’une forme plus sournoise de manipu-lation sociale, de harcèlement moral, particuliè-rement d’une femme vis-à-vis d’une autre.

L’agression relationnelle consiste à faire cou-rir des rumeurs sur une personne, à propagerdes commérages, envoyer des messages odieux,exclure de toute activité sociale, mépriser ouver-tement, se moquer de l’apparence des victimes,et autres attaques déloyales de ce type. Il est pos-sible que le sexe soi-disant faible choisisse cestactiques parce que les filles ne sont pas édu-quées pour montrer ouvertement leur hostilitéenvers quelqu’un, mais aussi parce que leurmanque – tout relatif – de force physique faitque la violence psychologique apparaît beau-coup plus efficace et moins risquée.

Mais les filles n’ont pas le monopole desagressions relationnelles. Selon une autre méta-analyse publiée en 2008 par le psychologue Noel

94 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

Non : si les hommes sont plus dangereux, les femmes peuvent être tout aussi agressives.

Les hommes sont plusagressifs que les femmes

Des comportements différents

Scott Lilienfieldest professeur de psychologie à l’Université Emory,à Atlanta, aux États-Unis.Hal Arkowitzest professeur de psychologie à l’Université de l’Arizona, à Tucson.

Ess05-p094095_agression_lilienfield 1/02/11 17:24 Page 94

Page 97: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

Card et ses collègues de l’Université del’Arizona, elles sont tout aussi fréquentes chezles filles que chez les garçons durant l’enfance etl’adolescence. D’autres recherches suggèrentque cette situation perdure jusqu’à l’âge adulte.

Il est un domaine où les femmes ont la mêmeprobabilité que les hommes d’exprimer physi-quement de l’agressivité : la relation amou-reuse. Le stéréotype populaire de la violenceconjugale est celui où un homme bat et mal-traite sa compagne. Rappelons qu’en France,une femme meurt tous les trois jours sous lescoups de son compagnon. Toutefois, des tra-vaux de J. Archer et du sociologue MurrayStraus, de l’Université du New Hampshire,remettent ce scénario en question.

Blâmer la biologie ?Ils montrent que les femmes sont à peu près

aussi violentes que les hommes dans un cou-ple : un homme meurt tous les dix jours sousles coups de sa compagne. Certaines étudesindiquent même que les femmes seraient res-ponsables de davantage d’agressions physiques.Cette constatation ne reflète pas seulement lefait que les femmes ripostent parfois quandelles sont maltraitées, mais indique que les vio-lences sont aussi déclenchées par les femmes.Néanmoins, la violence conjugale représenteune plus grande menace pour les femmes quepour les hommes. Les femmes sont plus victi-mes de coups et blessures parce que les hommes

sont en moyenne plus forts que les femmes. Desurcroît, les coups portés sont plus ou moinsgraves : les femmes griffent ou giflent leur par-tenaire, tandis que les hommes frappent, voireétranglent, leur compagne.

Récemment encore, la plupart des psycho-logues pensaient que la différence des com-portements d’agression entre les hommes etles femmes était uniquement d’ordre socio-culturel. Certes, les facteurs sociaux expli-quent une part notable des différences consta-tées. Mais une étude publiée en 2007 par le psy-chologue Raymond Baillargeon et ses collèguesde l’Université de Montréal révèle que, dès l’âgede 17 mois, cinq pour cent des garçons etun pour cent des filles donnent des coups depied et mordent. Qui plus est, cette différencen’augmente pas entre 17 et 29 mois, comme onpourrait s’y attendre si des influences environ-nementales, notamment l’éducation par lesparents, étaient en cause. Ces résultats suggèrentque des facteurs biologiques – tels les effets de latestostérone sur le cerveau – contribueraientaux différences sexuées observées en matière decomportement violent.

Cette hypothèse est étayée par le fait que lesmâles sont le sexe le plus belliqueux dans laquasi-totalité des espèces de mammifères étu-diées. Même l’exception à cette tendance – lahyène tachetée (« rieuse ») – confirmerait larègle. La hyène femelle, qui est plus agressive quele mâle, présente une plus forte concentrationsanguine de testostérone que le mâle. !

© L’Essentiel n° 5 – février - avril 2011 95

Alek

sand

ar To

doro

vic /

Shu

tterst

ock

Bibliographie

S. Bennett et al.,Explaining gender

differences in crime and violence :

the importance ofsocial cognitive skills,

in Aggression andViolent Behavior,

vol. 10, pp. 263-88,2005.

J. Archer, Sex differences in

aggression in real-world settings :

a meta-analytic review,in Rev. of Gen. Psy.,

vol. 8, pp. 291-322,2004.

Ess05-p094095_agression_lilienfield 1/02/11 17:24 Page 95

Page 98: Cerveau Homme/Femme: quelles différences

96 Cerveau Homme / Femme © Cerveau & Psycho

Dans votre prochain numéro

Imprimé en France – Roto Aisne – Dépôt légal février 2011 – N° d’édition 076905-01 – Commission paritaire : 0713 K 83412 –

Distribution NMPP – ISSN 1639-6936 – N° d’imprimeur 11/01/0075 – Directrice de la publication et Gérante : Sylvie Marcé

En kiosque le 20 mai 2011

Pourquoi quand on sait faire du vélo, ne l’oublie-t-onjamais ? Pourquoi certains événements restent-ils gravés dans la mémoire de façon apparemment

indélébile ? Pourquoi, au contraire, ne garde-t-on en mémoire le code d’une porte d’entrée

que le temps nécessaire pour le composer ?

Les neurobiologistes répondent à ces questions, décodant les mécanismes qui permettent au cerveau

d’engranger les souvenirs, mais aussi de faire un tri,et d’éliminer tous ceux qui sont devenus superflus.

Cerveau et mémoire

Cognition

Apprentissage

Oubli

InformationSouvenirs

Shutt

ersto

ck -

S.Ka

uslits

ki /

Cerv

eau

& Ps

ycho

Stockage

Mémoire épisodique

Mémoire sémantique

Ess05-p096096_annonce 2/02/11 11:05 Page 96