CERCLE D’ETUDES CINEMATOGRAPHIQUES

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CERCLE D’ETUDES CINEMATOGRAPHIQUES Saison 2016-2017 Quand la beauté éclaire l’opacité du monde MY SWEET PEPERLAND de Hiner Saleem, Kurdistan/France/Allemagne, 2013, 1h.35 Générique Réalisation, scénario et dialogues: HinerSaleem. Interprètes : GolshiftehFarahani, KorkmazArslan, SuatUstaDist. : Memento Films Réalisateur Hiner Saleem est né en 1964 au Kurdistan irakien. Il est écrivain, scénariste etréalisateur. Il tourne les images de son premier film dans son pays, UN BOUT DE FRONTIERE, mais les bombardements l'empêcheront d'achever ce premier essai. Ces images, présentées en 1992 à la Mostra de Venise en tant que "film inachevé", lui permettront de trouver les financements nécessaires pour son premier long-métrage, Vive la mariée… Et la libération du Kurdistan (1998). Seule la moitié de ses neuf longs-métrages ont été projetés en Suisse romande, comme les comédies Vodka Lemon (2003) et Kilomètre zéro (2005), ou encore Les toits de Paris (2007), chronique de la mort d’un vieil homme seul (Michel Piccoli). Les œuvres de ce cinéaste kurde exilé en France racontent son peuple sans patrie, partagé entre la Turquie, l’Iran, la Syrie et l’Irak. Il a publié Le fusil de mon père (Seuil), traduit en plus de vingt langues. Film Baran, ancien résistant contre Saddam Hussein et en faveur de l'indépendance kurde, retrouve sa vieille mère après une longue absence, mais il fuit pour échapper à l’emprise familiale et accepte un poste de policier dans un village isolé au nord du Kurdistan irakien, près de la frontière turque. Ses prédécesseurs y ont été assassinés, mais il va se donner pour mission de lutter contre la corruption et d'affirmer son autorité et celle de l'État pour que le pays retrouve la paix et la sécurité. Il se trouve très vite confronté à Aziz Aga, chef tribal mafieux qui règne en maître sur la région. Pour Aziz la loi ancestrale clanique ne peut être soumise à la loi de l'État et ses hommes de main menacent Baran à plusieurs reprises. Dans le même temps, la belle et rebelle Govend, jeune femme très instruite qui a vécu dans un milieu urbain, obtient l'accord de son père, malgré la réticence brutale et le machisme de ses nombreux frères, pour devenir l'institutrice du même village , où tout est à construire en matière d'éducation. Mais sa venue au village suscite la méfiance car son aspect et son comportement progressistes sont jugés incompatibles avec les traditions locales. Aziz Aga et ses adjoints en veulent autant à l'institutrice qu'au policier, qui intervient dans leurs trafics de drogue et de médicaments. Ils font courir la rumeur selon laquelle les deux nouveaux arrivants enfreignent les bonnes mœurs par une liaison amoureuse alors qu'ils ne sont pas mariés. Baran et Govend ne font pourtant que se rencontrer et échanger quelques impressions sur la musique, se soutenant l'un l'autre, alors que naît un sentiment entre eux. Les villageois, se sentant salis par ce supposé déshonneur, décident de retirer leurs enfants de l'école. Aziz Aga et ses miliciens entreprennent d'éliminer Baran, mais ils sont décimés

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CERCLE D’ETUDES CINEMATOGRAPHIQUES

Saison 2016-2017 – Quand la beauté éclaire l’opacité du monde

MY SWEET PEPERLAND

de Hiner Saleem, Kurdistan/France/Allemagne, 2013, 1h.35

Générique

Réalisation, scénario et dialogues: HinerSaleem. Interprètes : GolshiftehFarahani,

KorkmazArslan, SuatUstaDist. : Memento Films

Réalisateur

Hiner Saleem est né en 1964 au Kurdistan irakien. Il est écrivain, scénariste etréalisateur. Il tourne les images de son premier film dans son pays, UN BOUT DE FRONTIERE, mais les bombardements l'empêcheront d'achever ce premier essai. Ces images, présentées en 1992 à la Mostra de Venise en tant que "film inachevé", lui permettront de trouver les financements nécessaires pour son premier long-métrage, Vive la mariée… Et la libération du Kurdistan (1998). Seule la moitié de ses neuf longs-métrages ont été projetés en Suisse romande, comme les comédies Vodka Lemon (2003) et Kilomètre zéro (2005), ou encore Les toits de Paris (2007), chronique de la mort d’un vieil homme seul (Michel Piccoli). Les œuvres de ce cinéaste kurde exilé en France racontent son peuple sans patrie, partagé entre la Turquie, l’Iran, la Syrie et l’Irak. Il a publié Le fusil de mon père (Seuil), traduit en plus de vingt langues. Film Baran, ancien résistant contre Saddam Hussein et en faveur de l'indépendance kurde, retrouve sa vieille mère après une longue absence, mais il fuit pour échapper à l’emprise familiale et accepte un poste de policier dans un village isolé au nord du Kurdistan irakien, près de la frontière turque. Ses prédécesseurs y ont été assassinés, mais il va se donner pour mission de lutter contre la corruption et d'affirmer son autorité et celle de l'État pour que le pays retrouve la paix et la sécurité. Il se trouve très vite confronté à Aziz Aga, chef tribal mafieux qui règne en maître sur la région. Pour Aziz la loi ancestrale clanique ne peut être soumise à la loi de l'État et ses hommes de main menacent Baran à plusieurs reprises. Dans le même temps, la belle et rebelle Govend, jeune femme très instruite qui a vécu dans un milieu urbain, obtient l'accord de son père, malgré la réticence brutale et le machisme de ses nombreux frères, pour devenir l'institutrice du même village , où tout est à construire en matière d'éducation. Mais sa venue au village suscite la méfiance car son aspect et son comportement progressistes sont jugés incompatibles avec les traditions locales. Aziz Aga et ses adjoints en veulent autant à l'institutrice qu'au policier, qui intervient dans leurs trafics de drogue et de médicaments. Ils font courir la rumeur selon laquelle les deux nouveaux arrivants enfreignent les bonnes mœurs par une liaison amoureuse alors qu'ils ne sont pas mariés. Baran et Govend ne font pourtant que se rencontrer et échanger quelques impressions sur la musique, se soutenant l'un l'autre, alors que naît un sentiment entre eux. Les villageois, se sentant salis par ce supposé déshonneur, décident de retirer leurs enfants de l'école. Aziz Aga et ses miliciens entreprennent d'éliminer Baran, mais ils sont décimés

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par un groupe de résistantes kurdes. Govend, désespérée et acculée par ses frères, se décide à quitter le village, mais répond finalement à l’appel de Baran.

Propos du réalisateur

Peut-on dire qu'il s'agit d'un "eastern", comme il existe des "westerns" ? Absolument ! Je me disais que la légèreté du western me donnerait une grande liberté et que les décors naturels se prêtaient bien à l'exploration du genre. Surtout, je crois que le Kurdistan d'aujourd'hui ressemble à l'Amérique de l'époque du western : on y découvrait le pétrole, on y construisait des routes, des écoles et des infrastructures, et on tentait d'y faire appliquer la loi. Jusqu'à une date récente, au Kurdistan, chaque seigneur de guerre imposait sa loi sur son fief. Aujourd'hui, l'Etat incarne la même loi pour tous et apporte la modernité dans le pays, ce qui mécontente les potentats locaux. Il y a donc beaucoup de similitudes entre le Kurdistan et le Far-West. Car on a vu un no man's land se transformer en une nation qui s'est dotée de lois, d'un pouvoir central, et d'institutions légitimes. Ce nouvel Etat kurde a progressivement mis fin aux trafics de médicaments, d'alcool et de nourriture, et il a accompagné l'émancipation sociale et la libération de la femme. C'est ce contexte sociopolitique qui m'a permis d'écrire cette histoire de cette façon-là. On retrouve, dans la première séquence, votre goût pour l'absurde... Je voulais faire allusion aux lacunes institutionnelles du Kurdistan. Je me suis donc inspiré d'une anecdote plus absurde et comique encore que ce que je raconte dans le film : pour la toute première condamnation à mort du pays, les autorités ont dû emprunter une corde à linge aux propriétaires de la maison voisine pour pouvoir pendre le condamné ! Cependant, je tiens à préciser que la peine de mort est aujourd'hui abolie au Kurdistan, ce qui me réjouit. Commentaires …Cette comédie joue sur plusieurs registres: celui de l’humour voire du burlesque, celui de la romance à grand renfort d’émotions et de musique, celui des bagarres et des coups de feu. Et aussi un propos plus politique et engagé avec la dénonciation du statut de la femme dans une société archaïque, les difficultés de l’après-révolution, la question de l’honneur, la violence endémique. Un sujet grave, traité avec légèreté et habileté… …Alors que des scènes rocambolesques serpentent le film, au fur et à mesure que la relation entre Govend et Baran évolue - au grand dam du reste du village - la musique est l’élément clé qui achève de montrer le décalage immense de perception entre ceux qui restent sur leurs acquis et ceux qui voient tout l’intérêt de s’ouvrir aux autres. Face à la musique traditionnelle qui accompagne les passages du film où les habitants du village s’opposent à toutes formes de modernité et de liberté, surtout de la part de Govend, la jeune femme écoute des chants français et joue d’un instrument suisse. Baran est, lui, fan d’Elvis Presley, offrant une scène incroyable lorsqu’il est sur le chemin des plaines : quelle surprise d’entendre ce chant américain au cœur des montagnes kurdes, où tout semble figé ! Tourné justement en décors naturels, le film oppose la beauté du paysage aux difficultés qu’il dissimule. Comme il est dommage, semble dire Hiner Saleem, de tant se battre et de s’opposer les uns aux autres dans un décor aussi sublime…

Fiche préparée par Anne-Béatrice Schwab