CENTRE DE DROIT MARITIME ET OCEANIQUE
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UNIVERSITE DE NANTES
FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCES POLITIQUES
CENTRE DE DROIT MARITIME ET OCEANIQUE
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Mémoire de Master 2 Droit et Sécurité des Activités Maritimes et Océaniques
Présenté par Monsieur Jérémy DRISCH
Sous la direction du Professeur Sébastien TOUZE
Année 2008-2009
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
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UNIVERSITE DE NANTES
FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCES POLITIQUES
CENTRE DE DROIT MARITIME ET OCEANIQUE
LA NOTION D ’EQUITE
DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL
DES DELIMITATIONS MARITIMES
Mémoire de Master 2 Droit et Sécurité des Activités Maritimes et Océaniques
Présenté par Monsieur Jérémy DRISCH
Sous la direction du Professeur Sébastien TOUZE
Année 2008-2009
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
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En premier lieu, je tiens à remercier :
Monsieur Sébastien Touzé, Professeur de l’Université de Poitiers, pour son
soutien dans mes projets
Monsieur Jean-Pierre Beurier, Professeur émérite de l’Université de Nantes
pour son aide et nos échanges sur le sujet
Monsieur Elie Jarmache, Chargé de mission au Secrétariat Général de la Mer,
pour son accueil et ses éclairages
Monsieur le commissaire en chef Philippe Dezeraud, chargé de mission au
Secrétariat Général de la Mer, pour son accueil et ses conseils
Mon épouse ainsi que ma famille, qui ne cessent de me soutenir dans chacun de
mes projets.
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« La mer est un espace de rigueur et de liberté »
Victor Hugo
« Le plus intéressant dans les cartes,
ce sont les espaces vides, car c’est là que cela va bouger »
Joseph Conrad
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Abréviations
AFDI : Annuaire Français de Droit International
AJIL : American Journal of International Law
CIJ : cour internationale de justice
CPA : cour permanente d’arbitrage
DMF : Revue Droit Maritime Français
IBRU : International Boundaries Research Unit
ICLQ : The International and Comparative Law Quarterly
JDI : Journal du Droit International
PUF : Presses Universitaires de France
RBDI : Revue Belge de Droit International
Rec. : Recueil
REDI : Revista Espagnola de Derecho Internacional
RGDIP : Revue Générale de Droit International Public
RQDI : Revue Québécoise de Droit International
RSA : recueil des sentences arbitrales
ZEE : zone économique exclusive
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
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SOMMAIRE
INTRODUCTION
PARTIE I : L’ EQUITE , UNE NOTION INDEFINIE
TITRE I : L’ AMBIVALENCE DE LA NATURE JURIDIQUE DE L’EQUITE
CHAPITRE I : L’EVOLUTION DES FONDEMENTS JURIDIQUES
Section I : La délimitation de la mer territoriale
Section II : La délimitation du plateau continental et de la ZEE
CHAPITRE II : DES ELEMENTS DE REPONSE
Section I : L’équité et le droit
Section II : La mesure de la pertinence des techniques de
délimitation
TITRE II : L’ AMBIGUITE DE LA FONCTION DE L’EQUITE
CHAPITRE I : L’EQUITE, UNE FONCTION CREATRICE
Section I : L’« Equité créatrice » et pratique jurisprudentielle
Section II : L’équité, fonction normative de la pratique des Etats
CHAPITRE II : L’EQUITE, UNE FONCTION CORRECTRICE
Section I : L’« Equité correctrice » et la pratique jurisprudentielle
Section II : L’Equité, fonction correctrice de la pratique des Etats
PARTIE II : L’ EQUITE , UNE NOTION IDENTIFIABLE
TITRE I : UNE OBLIGATION DE MOYENS : LES METHODES DE DELIMITATION
CHAPITRE I : LE POINT DE DEPART : LA RECHERCHE D’UNE METHODE EQUITABLE
Section I : La pertinence de la méthode de l’équidistance
Section II : La pertinence de la zone de délimitation
CHAPITRE II : LA CORRECTION EQUITABLE DE LA DELIMITATION
Section I : Les circonstances pertinentes et les circonstances
spéciales au regard des principes équitables
Section II : Des circonstances pertinentes identifiées
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TITRE II : UNE OBLIGATION DE RESULTAT : L’OBTENTION D’UN RESULTAT EQUITABLE
CHAPITRE I : L’APPREHENSION DE L’EQUITABLE PAR LE JUGE
Section I : L’effet accordé aux circonstances pertinentes
Section II : Le balancement entre les différentes circonstances
pertinentes
CHAPITRE II : LA VERIFICATION DE L’EQUITE DU RESULTAT
Section I : La place de la vérification dans la procédure
Section II : La méthode de la proportionnalité
CONCLUSION
L ISTE DES ARRETS ET SENTENCES CITES
ANNEXES
TABLE DES MATIERES
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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
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INTRODUCTION
« L’activité des hommes se tournera de plus en plus vers la recherche et l’exploitation
de la mer. Et naturellement, les ambitions des Etats chercheront à dominer la mer pour en
contrôler les ressources » prophétisait le Général de Gaulle le 2 février 1969 à Brest, peu de
temps avant de démissionner de la présidence de la République. Lui qui avait lancé le célèbre
« vive le Québec libre ! » en 1967, se doutait-il qu’en février 2009, les derniers français
d’Amérique du Nord, les habitants de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, provoqueraient
une nouvelle crise diplomatique entre la France et le Canada en demandant l’extension du
plateau continental au-delà des 200 milles marins, et confirmeraient par là même la prédiction
de 19691. Si outre-Atlantique un scandale a éclaté lorsque la France déposa sa déclaration
d’intention devant la commission des limites du plateau continental, c’est que cette
réclamation remet en cause, ou semble remettre en cause, une sentence arbitrale sur les
délimitations entre le Canada et la France datant de 1992. Cette affaire montre à la fois
l’impact des questions économiques sur le droit de la mer, et à la fois les nouveaux
contentieux à venir en matière de délimitations maritimes.
En suivant cette affaire franco-canadienne, on constate une transformation du sens des
différentes zones maritimes en jeu. Ainsi, la députée2 de Saint-Pierre et Miquelon, Annick
Girardin a pu expliquer que « la France (devait) exercer sa souveraineté nationale »3. Dit
ainsi, l’enjeu peut être assimilé à un conflit frontalier. Or, même si les nuances s’amenuisent,
une délimitation maritime n’est pas assimilable à une frontière terrestre.
De manière générale en droit international public, la frontière peut être définie comme étant
« la ligne d’arrêt des compétences étatiques »4, tandis que la cour internationale de justice
(CIJ) a défini la ligne de délimitation maritime comme « la ligne exacte ou les lignes exactes
de rencontre des espaces où s’exercent respectivement les pouvoirs et droits souverains »5 de
deux Etats. La première différence de taille tient au fait que la frontière renvoie à la
1 Pour en savoir plus sur la crise diplomatique franco-canadienne : Dupont Gaelle, « Les fonds marins, objet de convoitise pour les Etats », Le Monde, 13 mai 2009 ; Sabourin Clément, « Querelle Ottawa-Paris autour des fons marins de Saint-Pierre et Miquelon », dépêche AFP, 25 mars 2009 ; Dossier « Plateau continental : la France étend ses eaux », Le Marin, n°3227, 15 mai 2009 2 Au-delà des querelles grammaticales, Annick Girardin se fait appeler Madame la députée. 3 Depriek Matthieu, « Saint-Pierre et Miquelon cherche à récupérer un bout d’océan », L’Express, 25 mars 2009 4 Dupuy Pierre-Marie, « Droit international public »,Dalloz, Paris, 2008, 9ème édition, p.43 5 Plateau continental de la mer Egée, arrêt 19 décembre 1978, Recueil CIJ 1978, § 85, p. 35
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souveraineté, or en mer, celle-ci ne s’exerce que dans les eaux intérieures6 et sur la mer
territoriale7 (avec une nuance à la notion de souveraineté, puisque il existe un droit de passage
inoffensif des navires sur cette zone). Les autres zones comme la zone contigüe8, la zone
économique exclusive9 et le plateau continental10 sont des espaces sur lesquels l’Etat n’exerce
que des droits souverains d’ordre économique. C’est pourquoi les auteurs en droit
international public considèrent souvent que le terme « limite », pour parler de la séparation
en mer entre deux Etats, convient mieux que le terme « frontière ». Pourtant, d’autres auteurs,
et même des juges, considèrent que l’on peut parler de « frontière maritime » (terminologie
que nous adopterons par commodité), à l’instar du juge Bedjaoui selon qui « les délimitations
maritimes donnent lieu à l'existence de "frontières" véritables. L'étendue des compétences de
l'Etat est sans doute différente pour les limites maritimes par rapport aux frontières
terrestres. Mais cette différence est de degré non de nature, même si certaines limites
maritimes ne "produisent" pas une exclusivité et une plénitude de compétence étatique »11. De
fait, on constate un certain rapprochement entre frontières terrestres et délimitations
maritimes, tant dans le règlement des litiges que dans l’exercice de la souveraineté. La preuve
en est que de plus en plus de contentieux présentés à la CIJ ou à un tribunal arbitral
concernent à la fois frontières terrestres et frontières maritimes12. De plus, la charge
émotionnelle qui était attribuée aux seules délimitations terrestres se retrouve de plus en plus
dans le contentieux en mer, puisque dans les deux cas, on est à la recherche d’une certaine
stabilité propice au développement économique. Le conflit autour de la péninsule de Bakassi
au Cameroun en est l’exemple parfait.
Toutefois, le développement des litiges en matière de délimitations maritimes a
entraîné le développement du système de règlement des différends. Le règlement judiciaire
des questions de frontières maritimes n’est pas nouveau. Dès le début du XXème siècle, il fut
traité de questions de délimitation par des tribunaux arbitraux. Ce fut le cas notamment dans
6 Eaux intérieures : eaux situées en deçà des lignes de base 7 Mer territoriale : zone de mer adjacente aux eaux intérieures de l’Etat côtier et sur laquelle il exerce sa souveraineté. Cet espace s’étend jusqu’aux 12 milles marins au-delà de la ligne de base 8 Zone contigüe : espace adjacent à la mer territoriale et sur lequel l’Etat peut exercer certains droits (fiscaux, douaniers,…), et s’étendant jusqu’à 24 milles marins. 9 Zone économique exclusive : zone adjacente à la mer territoriale et s’étendant jusqu’à 200 milles marins, sur laquelle l’Etat a des droits souverains (protection, exploitation, installation…) 10 Plateau continental : fonds marins, sols et sous-sols au-delà de la mer territoriale et dans le prolongement naturel du continent. S’étend jusqu’au rebord de la marge continentale ou jusqu’aux 200 milles. 11 Affaire de la délimitation de la frontière maritime entre la Guinée-Bissau et le Sénégal, sentence du 31 juillet 1989, RSA, volume XX, opinion dissident de M. Mohammed Bedjaoui, § 22, p. 154 12 Pour approfondir : Bardonnet Daniel, « Frontières terrestres et frontières maritimes », AFDI 1989, p. 1
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l’affaire opposant la Suède à la Norvège, dite des Grisbådarna 13, ou encore l’affaire du canal
de Portland opposant la Grande-Bretagne aux Etats-Unis14. A côté du rôle des tribunaux
arbitraux s’est développée la compétence de la CIJ, dont la majorité des affaires traitées fût
longtemps des questions de délimitation.
La Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay le 10
décembre 1982 et entrée en vigueur le 16 novembre 1994 (ci-après convention de Montego
Bay), est venue préciser les différents modes de résolution des conflits dans cette matière.
Pour cela, elle s’appuie sur la charte des Nations-Unies du 26 juin 1944, qui donne comme
principe à l’organisation des Nations-Unies et à ses membres de régler « leurs différends
internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité
internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger » (article 2 § 3). Ces
moyens pacifiques, d’après l’article 33 § 1 de la charte, sont de rechercher une solution « par
voie de négociation, d'enquête, de médiation, de conciliation, d'arbitrage, de règlement
judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par d'autres moyens
pacifiques de leur choix ». A partir de cela, la convention de Montego Bay va proposer
plusieurs procédures pour remplir l’objectif d’un règlement pacifique des différends. L’article
287 de la convention propose quatre procédures, dont seulement trois intéressent les conflits
de délimitations maritimes. Les Etats signant, ratifiant ou adhérant à la convention doivent
fournir une déclaration écrite expliquant le ou les moyens qu’ils choisissent. Ils ont le choix
entre :
- Le tribunal international du droit de la mer (constitué conformément à l’annexe VI de
la convention),
- La cour internationale de justice,
- Et un tribunal arbitral constitué conformément à l’annexe VII de la convention.
Nous avons déjà vu que la CIJ, « organe judiciaire principal » des Nations-unies d’après
l’article 92 de la Charte, avait traité la majorité des affaires de délimitations maritimes jusqu’à
l’entrée en vigueur de la convention en 1994. Ces dispositions de l’article 287 ont pu faire
craindre un éparpillement des règles de délimitation. En effet, dix-huit Etats s’étaient
prononcés pour la cour (au moins treize comme premier choix), dix-huit autres pour le
13 Sentence arbitrale rendue le 23 octobre 1909 dans la question de la délimitation d’une certaine partie de la frontière maritime entre la Norvège et la Suède, RSA 1909, volume XI, p. 147 14 Sentence arbitrale du 20 octobre 1903
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tribunal international du droit de la mer qui siège à Hambourg (dont six comme choix
prioritaire), et enfin huit choisissaient l’arbitrage de l’annexe VII15.
Certains Etats ont ouvertement critiqué la CIJ, la considérant, à l’instar de la France, comme
un tribunal sur lequel plane un risque de « politisation ». Cela fit dire à Emmanuel Decaux,
paraphrasant François Mauriac, que les Etats « aiment tellement le règlement des différends
qu’ils se réjouissent qu’il y en ait plusieurs… »16.
Pourtant, quinze ans après l’entrée en vigueur de la convention de Montego Bay, force est de
constater que seuls les tribunaux arbitraux et la CIJ ont traité de problèmes de délimitation
maritime. Les arbitres (qui bien souvent ont été juges à la CIJ) appliquent les règles de
délimitation telles que les a indiquées la cour en y apportant parfois quelques innovations,
reprises ensuite par les juges de la CIJ. Le tribunal international du droit de la mer a créé une
chambre pour le règlement des différends relatifs à la délimitation maritime en 200817 sans
que pourtant un seul litige ne lui soit soumis (voir Annexe I). Les Etats semblent s’être
accommodés de la résolution des conflits par la cour ou un tribunal arbitral, ceux-ci
s’inspirant l’un de l’autre. C’est ainsi que nous ne délaisserons pas un organe pour un autre
dans cette étude, considérant la vocation universelle du droit de la délimitation maritime forgé
par les juges et arbitres.
Il est à noter que cette vocation universelle a eu un impact sur les délimitations
interétatiques des Etats fédéraux. Ceux-ci n’ayant pas de droit de la délimitation ont considéré
que dans la résolution des conflits, le droit international s’appliquait en droit fédéral. C’est
ainsi que nous pourrons être amené à traiter d’affaires comme la sentence arbitrale concernant
la frontière entre les émirats de Dubaï et Sharjah du 19 octobre 198118.
Toutes ces juridictions ont permis de développer ce que l’on peut être tenté d’appeler
un droit de la délimitation maritime. Nombre d’Etats ont déjà demandé à ce que les juges ne
leur expliquent les règles de délimitation en mer ou ne délimitent les espaces maritimes entres
deux Etats voisins. Dès les premières affaires de délimitation sont arrivées les notions de
15 Pour une analyse précise des déclarations des Etats, on se réfèrera à Decaux Emmanuel, « Les eaux mêlées de l’arbitrage et de la justice (droit de la mer et règlement des différends) », in « La mer et son droit, mélanges offerts à Laurent Lucchini et Jean-Pierre Queneudec », Pédone, Paris, 2003, pp. 159-176 16 Ibid. p. 162 17 Résolution sur la chambre pour le règlement des différends relatifs à la délimitation maritime, Tribunal international du droit de la mer, 7 octobre 2008, http://www.itlos.org/documents_publications/documents/vre%2026%2009%20pm%2004-03.pdf 18 Affaire du Différend Frontalier entre Dubaï et Sharjah. (Emirat de Dubaï c. Emirat de Sharjah), Sentence du 19 octobre 1981, non publiée, citée dans Despeux Gilles, « Droit de la délimitation maritime, commentaire de quelques décisions plutoniennes », Peter Lang Gmbh, Frankfurt am Main, 2000
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principes équitables et surtout d’équité, notion qui traverse les temps, appréhendé en premier
lieu par les philosophes puis ensuite par les juristes pour revêtir une signification particulière
en droit de la mer.
• L’Equité : un principe de droit naturel
Nombreux sont les philosophes et les penseurs qui se sont penchés sur la question de la
justice et du droit. Le droit est-il toujours juste ? Peut-on aller au-delà du droit pour parvenir
au juste ? Le premier à avoir réellement formulé des réponses à ces interrogations est le grec
Aristote, bien que du temps du Roi David en Palestine, on se posait déjà la question des
éléments nécessaires pour une décision juste. On a ainsi pu lire dans la Bible le psaume selon
lequel « Amour et Vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent »19. On retrouvera plus
tard dans la pensée judéo-chrétienne le souci de la justice au-delà de l’application stricte du
droit.
Le terme équité vient du latin equitas qui signifie « égalité d’âme », mais on le trouve aussi en
grec chez Aristote : epieikeia. Ce terme désigne une correction à la loi écrite. Plus
précisément, pour le philosophe athénien, les lois humaines sont limitées et elles ne peuvent
prendre en compte toutes les considérations. Ainsi, l’Homme pourrait corriger l’application
stricte de la loi pour s’adapter aux cas particuliers. Aristote exprime sa pensée en énonçant
que «ce qui est équitable, tout en étant juste, ne l’est pas conformément à la loi ; c’est comme
une amélioration de ce qui est juste selon la loi. La raison en est que toute loi est générale et
que, sur des cas d’espèce, il n’est pas possible de s’exprimer avec suffisamment de précision
quand on parle en général»20. On peut donc distinguer pour parvenir à l’idée de justice, droit
et équité. L’équité n’est pas une règle de droit dans cette optique, mais le droit et l’équité ne
peuvent être séparés si l’on souhaite parvenir au juste, le général et le particulier s’alliant pour
parvenir à la justice.
On retrouve cette idée dans la pensée judéo-chrétienne, tout en dépassant la seule
rationalité d’une pondération du droit. Elle y inclut un sentiment d’humanité, de clémence
ainsi que de miséricorde. Il s’agit de faire une synthèse entre justice et amour du prochain,
entre raison et sentiment. Cela conduit à une herméneutique juridique. On interprète le droit et
19 « Psaume 85 (84), prière pour la paix et la justice », in « Bible de Jérusalem », Les éditions du CERF/Groupe Fleurus, Paris, 2001, p. 1162 20 Aristote, « Ethique à Nicomaque », Livre V, Chapitre X, GF-Flammarion, Paris, 1992, p. 162
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
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on dissipe les éléments flous du texte. Cette pensée a pu inspirer Grotius, mais aussi plus
récemment Vladimir Jankélévitch21.
Ces différentes visions de l’équité font de cette notion un principe de droit naturel, dans le
sens où elle semble être inscrite dans l’ordre de la nature, ou dans la nature de l’homme, par
opposition à un droit positif établi par la société.
A côté de cette interprétation naturaliste, on peut opposer une conception plus
volontariste développée en particulier par John Rawls. Selon lui, les hommes désirant vivre en
communauté posent des limites à leurs liberté pour le bien de celle-ci, mais en contrepartie,
l’homme est en droit d’espérer des avantages de cette obéissance au système : « nous n’avons
pas à tirer profit de la coopération des autres sans contrepartie équitable »22. Cet avantage
est appelé par John Rawls, un principe d’équité.
• L’Equité : un principe universel
La notion d’équité a transpiré dans de nombreux systèmes juridiques. La CIJ le notait
dans son arrêt de 1982 en disant que « dans l'histoire des systèmes juridiques, le terme équité
a servi à désigner diverses notions juridiques. On a souvent opposé l'équité aux règles rigides
du droit positif, dont la rigueur doit être tempérée pour que justice soit rendue »23. En effet,
on connait l’exemple du système anglo-saxon de la Common Law qui est tempéré par
l’ Equity. Le principe d’équité se retrouve aussi dans le système romano-germanique (Europe
de l’ouest, Amérique du Sud, anciennes colonies françaises, etc.). Dans le droit romain, le jus
honorarium (dispositions prises par les magistrats) permettait de compléter, soutenir ou
corriger le jus civile (droit contenu dans les lois, plébiscites, sénatus consultes, constitutions
impériales).
Le juge Fouad Ammoun recense, dans son opinion individuelle jointe à l’arrêt de 1969
rendu dans l’affaire du plateau continental de la mer du Nord, les mécanismes faisant appel à
l’équité dans la plupart des grands systèmes juridiques24. Ainsi, l’Istihan, l’une des sources du
21 Grotius Hugo, « Du droit de la guerre et de la paix », Presses Universitaires de France, Collection Quadrige Grands textes, Paris, 2005 ; et Jankélévitch Vladimir, « Traité des vertus », tome II, Flammarion, Paris, 1993 22 Rawls John, « Théorie de la Justice », Editions du Seuil, Points Essais, Paris, 1997, p. 142 23 Plateau continental (Tunisie / Jamahiriya Arabe Libyenne), Arrêt, 24 février 1982, Recueil CIJ 1982, § 71 p. 60 24 Plateau continental de la mer du Nord, Arrêt, 20 février 1969, Recueil CIJ 1969, Opinion individuelle de M. Fouad Ammoun,§ 38 p. 139
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
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droit musulman autorise les jugements en équité. On retrouve aussi dans le droit chinois « la
primauté de la loi morale et du sens commun de l’équité, en accord avec la philosophie
marxiste-léniniste »25. Le droit hindou invite le juge à statuer selon la justice et l’équité. Le
juge Fouad Ammoun termine son analyse en expliquant qu’« un principe général de droit
s’est, en conséquence, établi, que le Droit des Gens ne pouvait s’empêcher d’accueillir,
fondant les relations juridiques entre les Nations sur l’équité et la Justice »26.
Bien que cette conclusion soit fondée, le juge Weeramantry invite à ne pas conclure
trop vite à la similitude entre les principes d’équité des différents systèmes juridiques et
l’équité telle qu’on l’entend en droit international27.
Nous avons déjà vu que l’article 1 de la charte des Nations-Unies invitait les Etats et la
communauté internationale à « maintenir la paix et la sécurité internationale » et cela
« conformément aux principes de la justice et du droit international ». Par ce biais, la notion
d’équité a pu s’intégrer au droit international comme étant en dehors du droit, pour parvenir à
un règlement juste. C’est ainsi que le statut de la CIJ prévoit à l’article 38 § 2 que la cour « a
la faculté […] si les parties sont d’accord, de statuer ex aequo et bono28 ». Dans ce cas de
figure, l’équité a une fonction supplétive, puisque le règlement approprié est indépendant des
règles de droit. Mais notons que cette forme d’équité ne s’applique que lorsque les parties
sont d’accord, or cela ne s’est jamais produit. La cour n’a jamais non plus considéré un
principe d’équité comme un principe général de droit reconnu par les nations civilisées,
comme lui en aurait donné la possibilité l’article 38 § 1 de son statut29. Olivier Pirotte
explique cela par une méfiance à l’égard de l’équité, car « la cour doit dire le droit et non
rendre une justice subjective sous le couvert de règles morales vagues, souvent contestables,
plus ou moins assimilées à l’équité »30. Pourtant, en 1969, la notion d’équité va faire une
arrivée surprenante en droit de la délimitation maritime.
25 Ibid. 26 Op. cit. p. 140 27 Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen (Danemark / Norvège), Arrêt, 14 juin 1993, Recueil CIJ 1993, opinion individuelle de M. Weeramantry, § 51, p. 226 28 « Selon ce qui est équitable et bon » 29 Article 38 § 1 c) Statut de la CIJ : « La cour dont la mission est de régler conformément au droit international les différents qui lui sont soumis, applique : les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées ». 30 Pirote Olivier, « La notion d’équité dans la jurisprudence récente de la cour internationale de justice », RGDIP, Paris, tome 77, 1973/1, p. 93
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• L’Equité : une spécificité en droit de la mer
D’après la doctrine, il peut être fait la distinction entre trois types d’équité : l’équité
contra legem, qui est utilisée en contradiction avec le droit ; l’équité praeter legem, qui est
utilisée au-delà du droit pour en combler les lacunes ; et l’équité infra legem, qui est utilisée
dans le cadre du droit existant. Le développement du droit des délimitations en mer par le
biais de la justice internationale va se faire grâce à un principe d’équité infra legem. Même si
cette vision n’apparaît pas immédiatement en 1969, la CIJ explique en 1982 que « la notion
d’équité est un principe général directement applicable en tant que droit »31, ce qui fait d’elle
une source autonome de normativité. Elle ne va pas à l’encontre du droit puisque le droit des
délimitations est très général et ne trouve pas une solution à côté du droit. Car il s’agit bien de
faire de la règle énoncée en l’espèce une règle de droit. La cour, suivie par les tribunaux
arbitraux, va donc fonder toutes les affaires de délimitation maritime qui lui sont soumises sur
un principe d’équité.
A l’instar de Voltaire qui faisait dire dans sa tragédie « Mérope » au tyran de Messène
Polyphonte, « mais j’ai trop d’ennemis, et trop d’expérience pour laisser le hasard arbitre de
mon sort », les témoins de cette audace jurisprudentielle se sont inquiétés, poussant les juges à
préciser leurs pensées au fur et à mesure des affaires, pour ne pas laisser le subjectif régler un
litige.
Comme nous venons de le voir, la notion d’équité est considérée en droit
international public comme une source subsidiaire du droit. Pourtant, elle n’en demeure
pas moins une notion autonome en droit de la mer, et particulièrement en droit des
délimitations maritimes. Toutefois, cette notion dans le contentieux international de la
délimitation maritime peut-elle être définie tant sur la forme que sur le fond ? Ainsi,
peut-on dire précisément dans quelle catégorie juridique elle se classe, et son contenu
peut-il être défini ?
L’équité comporte deux aspects : ce qui peut être appréhendé et reconnaissable de
manière stable dans la jurisprudence des différentes juridictions compétentes (partie II), et ce
qui ne peut être identifié de manière certaine, entrainant une difficulté de classification
juridique (partie I).
31 Rec. CIJ. 1982, § 71, p. 60
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
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PARTIE I : L’E QUITE , UNE NOTION INDEFINIE
Classer l’équité dans la hiérarchie des normes aux vues des éléments déjà exposés est
ardu, mais deux critères peuvent aider dans cette tâche : la nature juridique de l’équité (titre I )
et sa fonction (titre II ). Mais toutes deux présentent un caractère ambivalent ou ambigu.
TITRE I : L’ AMBIVALENCE DE LA NATURE JURIDIQUE DE L’EQUITE
La nature juridique de l’équité revêt une certaine ambivalence. D’un côté, et de
manière général, la notion d’équité est présentée comme une source subsidiaire du droit, or le
droit de la mer, et plus particulièrement le droit de la délimitation maritime de par son
évolution, en fait une notion autonome. Cette ambivalence se traduit par son évolution
(Chapitre I ), mais aussi par les éléments que donnent les juges et arbitres permettant d’établir
plusieurs théories (Chapitre II ). Quels fondements permettent de faire passer au premier plan
l’Equité, alors qu’il ne s’agit que d’une source subsidiaire du droit international ?
CHAPITRE I : L’EVOLUTION DES FONDEMENTS JURIDIQUES
L’équité sous-tend toute l’histoire de la délimitation des espaces maritimes. Ses
origines ne sont pas si évidentes à déterminer. Tout dépend de si l’on considère qu’il existe un
droit ou des droits de la délimitation maritime. En effet, selon que l’on considère la
délimitation de la mer territoriale (Section I), ou la délimitation du plateau continental
(section II), l’origine et l’évolution de l’intervention de l’équité diffère. Pourtant elle est
présente dans tout le processus et des points communs demeurent. Pour reprendre les termes
du Professeur Prosper Weil, c’est l’opposition entre « université et diversité »32.
32 Weil Prosper, « Perspectives du droit de la délimitation maritime », Editions A. Pédone, Paris, 1988, p. 107
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
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Section I : La délimitation de la mer territoriale
La délimitation de la mer territoriale est le socle à partir duquel un droit de la
délimitation maritime va se bâtir. Ses origines s’étalent sur plusieurs décennies (A) pour
parvenir à la règle et à une certaine stabilité de la règle « accord / équidistance / circonstances
spéciales » (B).
A°/ Les fondements
Difficilement identifiable, l’équité n’en demeure pas moins sous-jacente à tout le
contentieux des délimitations maritimes. Elle imprègne chaque opération.
Commençons donc par la première des zones maritimes à délimiter, à savoir la mer
territoriale, zone s’apparentant le plus au territoire terrestre puisqu’en principe « la
souveraineté de l’Etat s’étend au-delà de son territoire et de ses eaux intérieures [...]à une
zone de mer adjacente désignée sous le nom de mer territoriale »33.
La question fût longtemps de savoir quelle pouvait être la largeur de la mer territoriale.
Depuis le livre De justo imperio Lusitanorum Asiatico, de Frère Sérafim de Freitas, publié en
1625 en réponse au chapitre De mare liberum de l’ouvrage De jure praedae (publié en 1605)
écrit par Hugo Grotius, le principe est acquis que la mer adjacente au territoire terrestre aura
une largeur dépendant de la puissance du « dominateur terrestre ». Cette idée sera précisée
par le hollandais Cornélis Van Bynkershoek, qui énonce que les eaux territoriales sont
déterminées par la portée des canons. En 1782, cette largeur est considérée comme étant de 3
milles nautiques par l’italien Ferrante Galiani. Pour autant, tous les Etats n’appliqueront pas
cette largeur de 3 milles. Il faudra attendre la convention de Montego Bay pour que la largeur
soit fixée pour tous les Etats signataires à 12 milles nautiques.
33 Article 2 § 1 de la convention des nations unies sur le droit de la mer, conclue à Montego Bay le 10 décembre 1982
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
22
Bien que 3 et 12 milles34 ne soient de faibles distances, il n’en demeure pas moins que des
contentieux peuvent apparaître quant à la délimitation des frontières en mer. Ces contentieux
liés à la mer territoriale sont à l’origine même de l’apparition de la notion d’équité dans le
droit de la délimitation maritime. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la délimitation de
la mer territoriale est le point de départ de l’apparition de l’équité, alors qu’aujourd’hui, très
peu de contentieux traitent de cette partie. Pourtant, la délimitation de la mer territoriale revêt
un intérêt stratégique étant donné la proximité avec la souveraineté du territoire terrestre.
Plusieurs fois l’histoire a démontré le risque que pouvaient avoir de tels contentieux pour les
relations entre deux pays. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler de la guerre évitée in
extremis par le Pape Jean-Paul II en 1978, entre le Chili et l’Argentine au sujet du Canal de
Beagle. Huit heures après l’arrivée de l’émissaire du Pape, les troupes argentines auraient dû
envahir le territoire chilien. Plus grave fût la guerre dite « du Football » ou « de cent heures »
qui opposa le Honduras à la république d’El Salvador en juillet 1969, et dont le contentieux
territorial ne fût réglé par la CIJ qu’en 199235. Dans les affaires récentes, les juges et arbitres
ont eu à traiter de la délimitation de la mer territoriale entre la Guinée et la Guinée-Bissau36,
entre le Chili et l’Argentine37 ou encore entre l’émirat de Dubaï et l’émirat de Sharjah38.
Avant qu’il n’y ait une première codification des règles applicables en droit de la mer,
les arbitres internationaux ont eu à connaître plusieurs litiges. Le premier qui sera à l’origine
des règles de délimitation maritime moderne est le conflit qui opposa la Suède à la Norvège
dans l’affaire dite des Grisbådarna39. En 1661, un traité avait été signé entre la Norvège (alors
unie au Danemark) et la Suède afin de délimiter leur frontière. Or, en 1815, suite aux guerres
napoléoniennes, la Norvège fut rattachée à la Suède sans que ne se pose la question des
frontières. En 1905, la Norvège déclare son indépendance unilatéralement, sans réelle
opposition de la Suède. Quatre ans plus tard, le 23 octobre 1909, la cour permanente
34 Respectivement 5,556 et 22,224 kilomètres 35 Pour en savoir plus : Kapuściński Ryszard, « Il n’y aura pas de paradis, la guerre du foot et autres guerres et aventures », Plon, Pocket, Paris, 2003 36 Affaire de la délimitation de la frontière maritime entre la Guinée et la Guinée-Bissau, Sentence du 14 février 1985, RSA volume XIX pp. 149-196 37 Arbitrage concernant le Canal de Beagle entre la République Argentine et le Chili, Sentence du 18 février 1977, RSA volume XXI, pp. 53-264 38 Affaire du Différend Frontalier entre Dubaï et Sharjah. (Emirat de Dubaï c. Emirat de Sharjah), Sentence du 19 octobre 1981, non publiée, citée dans Despeux Gilles, « Droit de la délimitation maritime, commentaire de quelques décisions plutoniennes », Peter Lang Gmbh, Frankfurt am Main, 2000 : cette affaire concerne deux Etats fédérés, mais les arbitres ont du utiliser le droit international arguant du fait que le droit fédéral des Emirats Arabes Unis ne contenait aucune règle en matière de délimitation maritime. 39 Affaire des Grisbådarna (Norvège, Suède), Sentence du 23 octobre 1909, RSA volume XI pp. 147-166
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
23
d’arbitrage rendait pour la première fois une sentence au sujet d’un problème de délimitation
maritime. La question était de savoir si le traité de 1661 établissait une délimitation en mer. Si
cela n’était pas le cas, il revenait au tribunal arbitral de délimiter « en prenant en compte des
circonstances de fait et des principes du droit international »40. L’arbitrage allait surtout
porter sur la possession d’un banc de sable, le banc des Grisbådarna, très riche en homards,
ainsi que sur le banc de Skjöttegrunden, très prisé des pêcheurs norvégiens. Chacune des
parties proposait une délimitation à l’aide d’une ligne médiane, mais pour la Suède, entre des
terres inhabités, et pour la Norvège, entre certaines îles. La cour rejette ces prétentions et à la
ligne dictée par le droit, elle apporte des infléchissements tenant compte de « circonstances de
fait », attribuant ainsi les Grisbådarna à la Suède41 au motif que la pêche aux homards y est
effectuée surtout par les pêcheurs suédois et que les Suédois y ont réalisés des aménagements
liés en partie à la sécurité de la navigation.
On peut voir dans ces « circonstances de fait » l’ancêtre des « circonstances
spéciales » qui retiendront l’attention des juges après 1958, reflet de l’équité dans le processus
de délimitation. Cette sentence aura un impact non négligeable sur des négociations futures,
comme ce fut le cas dans la délimitation entre la Lybie (italienne à l’époque) et la Tunisie
(française)42.
B°/ La règle Accord / Equidistance / Circonstances spéciales
Pendant de longues années, il n’a pas été possible de déterminer des règles
coutumières applicables en matière de délimitation. L’affaire des Grisbadårna n’est qu’une
exception.
Peu avant ce litige, deux litiges opposent le Royaume-Uni et les Etats-Unis43 au sujet de la
détermination du chenal séparant le continent américain à l’Ile de Vancouver, et du canal de
40 Article 3 de la Convention entre la Norvège et la Suède pour soumettre à l’arbitrage la question ayant trait à certaine partie de la frontière maritime entre les deux pays relativement aux récifs de Grisbådarna, signée à Stockholm le 14 mars 1908, RSA volume XI, p.153 41 Cf. Annexe II 42 Voir en ce sens : Rhee Sang-Myon, «Sea boundary delimitation between States before the world war II », AJIL, vol. 76, n°3, Juillet 1982, pp.555-588 43 Sentence arbitrale de l’Empereur d’Allemagne du 21 octobre 1871, citée dans, Lucchini Laurent et Voelckel Michel, « Droit de la mer », tome 2, volume 1, Editions A. Pédone, Paris, 1996, p. 36
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
24
Portland44. Dans le premier cas, la délimitation suit le milieu du chenal, et dans la deuxième
les arbitres utilisent une ligne médiane. Mais les Etats utilisent dans de nombreux traités
d’autres méthodes : thalweg (traité du 28 octobre 1922 entre la Russie et la Finlande ; sert
surtout à délimiter les chenaux et les détroits), ligne médiane (accord entre la Suède et la
Norvège du 15 mars 1904 relativement à la frontière établie dans la Baie de Christiana), titre
historique, tracé perpendiculaire à la direction générale de la côte, etc.
Bien que la conférence de 1930 sur la codification du droit international tente de fixer
des règles concernant la délimitation de la mer territoriale, il faudra attendre 1958 pour avoir
une réponse claire du droit. En effet, cette année là se réunit à Genève la première conférence
des Nations Unies sur le droit de la mer. Malgré les nombreux échecs, une convention sur la
mer territoriale et la zone contigüe fut signée le 29 avril 1958. Elle prévoit à l’article 12 alinéa
1 que «lorsque les côtes de deux Etats se font face ou sont limitrophes, aucun de ces Etats
n’est en droit, à défaut d’accord contraire entre eux, d’étendre sa mer territoriale au-delà de
la ligne médiane dont tous les points sont équidistants des points les plus proches des lignes
de bas45e à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale de chacun des deux
Etats. Les dispositions du présent paragraphe ne s’appliquent cependant pas dans le cas où, à
raison de titres historiques ou d’autres circonstances spéciales, il est nécessaire de délimiter
la mer territoriale des deux Etats autrement qu’il n’est prévu dans ces dispositions ». Cet
article prévoit donc une étape préliminaire, à savoir la recherche d’un accord, un principe de
délimitation (la méthode de la ligne médiane qui peut se définir comme étant le tracé de « la
ligne dont tous les points sont équidistants des points les plus proches des lignes de base »46)
et une atténuation du principe, soit par l’existence de titres historiques, soit par l’apparition de
« circonstances spéciales ». Cette dernière appellation n’est pas sans rappeler les
« circonstances de fait » de la sentence de 1909. La question qu’aura à se poser le juge ou
l’arbitre est de savoir ce que l’on peut mettre derrière ces circonstances spéciales.
44 Sentence du 20 octobre 1903, ibid. 45 Ligne de base : il s’agit de la limite à partir de laquelle sont mesurés les espaces maritimes. Le plus souvent, cette limite est la laisse de basse mer, c'est-à-dire la limite des zones toujours couvertes par la mer (en dehors des phénomènes météorologiques exceptionnels. Lorsque la côte est échancrée, la ligne de base peut être droite. 46 Ortolland D., Pirat J.P. (Dir.), « Atlas géopolitique des espaces maritimes, frontières, énergie, pêche et environnement », Editions Technip, Paris, 2008, p. 13
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
25
Il est à noter que cette règle est partiellement la même dans la convention de la même date sur
le plateau continental. Il n’y est pas fait mention des titres historiques, titres qu’on peut définir
comme étant des droits attestés par un usage pacifique dans la durée.
La convention des Nations Unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay le 10 décembre
1982 reprend dans son article 15, le contenu exact de l’article 12 de la convention de 1958 sur
la mer territoriale, alors que la partie concernant la délimitation du plateau continental et la
ZEE ne reprend pas la règle « équidistance / circonstances spéciales ».
Sur une zone maritime d’une si petite largeur, peu d’éléments peuvent perturber le
tracé d’une ligne médiane au point d’être inéquitable. Toutefois, prenons l’exemple de
l’arbitrage entre l’Erythrée et le Yémen47, considéré par certain comme comptant « among the
more important cases in the international adjudication and arbitration »48. Du 15 au 17
décembre 1995, un conflit éclata entre l’Erythrée et le Yémen au sujet des Iles Hanish. Ce
conflit était latent puisque datant de la dissolution de l’empire Ottoman et de la création des
empires coloniaux italiens et britanniques. En effet, jusqu’en 1923, l’empire Ottoman puis la
Turquie ont revendiqué la souveraineté sur les îles Hanish, situées à mi-distance entre les
actuelles côtes yéménites et érythréennes. De 1923 et jusqu’à la défaite de l’Italie en 1941,
elles furent administrées par l’administration coloniale italienne installée en Erythrée pour
être mise ensuite sous protectorat britannique. Dans les années 1970, le Yémen comme
l’Erythrée (annexée par l’Ethiopie à cette période) réclament la souveraineté de cet archipel.
Après son indépendance en 1991, l’Erythrée continue de revendiquer ces îles jusqu’à les
envahir militairement en 199549.
Suite à cet épisode qui fit une vingtaine de morts, des négociations commencèrent avec
notamment la médiation de la France et aboutirent à la signature d’un compromis d’arbitrage.
La cour permanente d’arbitrage rendit deux sentences, la première traitant des questions de
souveraineté territoriale50 et la seconde des délimitation maritimes51. La sentence rendue en
1998 avait attribué la plus grande partie des îles Hanish au Yémen. Il ne restait donc plus qu’à
47 Sentence du tribunal arbitral rendue au terme de la seconde étape entre l’Erythrée et la République du Yémen (délimitation maritime), 17 décembre 1999, RSA, volume XXII, pp. 335-410 48 Kwiatkowska B., « The Erithrea/Yemen arbitration : Landmark Progress in the acquisition of territorial sovereignty and equitable maritime boundary delimitation”, IBRU Boundary and security bulletin, 2000, volume 8, n°1, p.66 : “parmi les cas les plus important des jugements et arbitrages internationaux” 49 Pour comprendre tous les enjeux : Dzurek D.J. « Eritrea-Yemen dispute over the Hanish Islands » IBRU Boundary and Security bulletin, 1996, volume 4 n°1, pp. 70-77 50 Sentence rendue par le tribunal arbitral dans la première étape de la procédure (souveraineté territoriale et champ du différend) », 9 octobre 1998, RSA, volume XXII, pp. 211-334 51 Affaire Erythrée/Yémen, loc. cit.
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
26
effectuer la délimitation de la frontière maritime entre les deux Etats. Sur les trois grands
tronçons que doit fixer la cour, le tribunal arbitral a pris en compte de manière fort différente
chaque île. Ainsi, l’île Zubayr se trouve dépourvue d’effet sur la délimitation, tandis que les
îles Hanish ne se voient attribuer qu’un effet réduit. Ces traitements différents sont justifiés
par l’importance stratégique de la mer rouge, passage obligé de la majeure partie du trafic
maritime international.
A côté de cela, le tribunal considère que les zones de pêche et les pêcheries « ne sauraient
avoir d’effets significatifs sur la détermination par le Tribunal de la délimitation à laquelle il
conviendrait de procéder en vertu du droit international pour aboutir à une solution équitable
pour les deux Parties »52. Il en est de même pour les contrats et accords de concession
pétroliers consentis par les parties. Les arbitres invitent le Yémen et l’Erythrée à rechercher
des possibilités d’exploitation commune ou partagée des différentes ressources de la mer
rouge.
Section II : La délimitation du plateau continental et de la ZEE
Les délimitations maritimes ont très rapidement concernées d’autres espaces aux
affectations différentes et aux régimes différents. Sur des fondements qui ont varié au cours
du temps, en particulier pour le plateau continental (A), les juges en viennent à unifier les
régimes des délimitations maritimes qui s’appliquaient à la ZEE et au plateau continental (B).
A°/ Les fondements
La délimitation du plateau continental est intimement liée à celle de la zone
économique exclusive, c’est pourquoi nous ne traiterons véritablement que du plateau
continental dans cette section.
Tout commence par l’une des célèbres déclarations du président américain Harry Truman du
28 septembre 1945 qui posa les bases d’une théorie juridique du plateau continental
permettant de justifier l’extension des droits de l’Etat riverain. En effet les Etats sont attirés
52 Ibid, p.474
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
27
par les richesses minérales que peuvent contenir le sol et le sous-sol du prolongement sous-
marin de leur territoire terrestre53. Après de nombreux débats sur la consistance réelle du
plateau continental, le droit de la mer le prend enfin en compte avec l’adoption lors de la
conférence de Genève sur le droit de la mer de 1958, d’une convention sur le plateau
continental. Cette dernière définit le plateau continental comme étant « le lit de la mer et le
sous-sol des régions sous-marines adjacentes aux côtes, mais situées en dehors de la mer
territoriale, jusqu’à une profondeur de 200 mètres ou, au-delà de cette limite, jusqu’au point
où la profondeur des eaux surjacentes permet l’exploitation des ressources naturelles
desdites régions »54.
Cette définition ou plutôt ces critères que l’on peut qualifier de « bathymétrique » (« jusqu’à
une profondeur de 200 mètres ») et d’ « exploitabilité » (« où la profondeur des eaux
surjacentes permet l’exploitation des ressources naturelles »)55 ont été fortement critiqués,
nécessitant alors de trouver une nouvelle définition.
C’est ainsi que lors de la IIIème conférence sur le droit de la mer qui aboutira à la
signature de la convention de Montego Bay, les plénipotentiaires vont chercher à clarifier la
définition du plateau continental. L’article 76 de la convention retient deux possibilités pour
définir juridiquement le plateau continental : il s’agit soit du fond et du sous-sol de l’océan
« au-delà de sa mer territoriale, sur toute l'étendue du prolongement naturel du territoire
terrestre de cet Etat jusqu'au rebord externe de la marge continentale » ; soit du fond et du
sous-sol « jusqu'à 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la
largeur de la mer territoriale, lorsque le rebord externe de la marge continentale se trouve à
une distance inférieure »56.
Une fois clairement identifié, le plateau continental de deux Etats se faisant face ou
dont les côtes sont adjacentes doit pouvoir être délimité. L’évolution de cette délimitation
n’est pas sans quelques péripéties.
53 Il est à noter qu’une autre déclaration Truman du même jour sur la revendication d’une zone de pêche dans les eaux adjacentes à la mer territoriale, est à l’origine des futures ZEE. 54 Article premier, Convention sur le plateau continental, faite à Genève le 29 avril 1958, entrée en vigueur le 10 juin 1964. Nations Unies, Recueil des traités, volume 499, p.311 55 Beurier Jean-Pierre (dir.), « Droits maritimes », Dalloz, Paris, 2008, 2ème édition, p.101 56 Article 76 de la convention des Nations-Unies sur le droit de la mer conclue à Montego Bay le 10 décembre 1982, Nations-Unies, Recueil des traités, 1994, volume 1834, pp.1-178
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
28
La convention de 1958 sur le plateau continental permettant les prétentions étatiques
sur ce prolongement en mer du territoire terrestre prévoit, entre autres mesures, la délimitation
entre Etats. En effet, l’article 6 reprend en partie le contenu de l’article 12 de la convention de
la même date sur la mer territoriale et la zone contigüe à ceci près qu’il n’y a pas de référence
aux titres historiques. En clair, l’article 6 reprend la règle « équidistance/circonstances
spéciales », permettant une certaine unité du processus de délimitation des zones maritimes.
Toutefois, il est nécessaire de s’arrêter quelques instants sur le réel impact de cette règle pour
la délimitation du plateau continental. En effet, la convention signée en 1958 entre en vigueur
le 10 juin 1964, soit cinq ans avant que la CIJ ne rende son arrêt sur l’affaire du plateau
continental de la mer du Nord57. A partir de cet arrêt, comme dira le professeur Prosper Weil,
« la place occupée par l’article 6 est condamnée à se rétrécir comme peau de chagrin »58.
Dans cette affaire, la cour répond à trois Etats, la république fédérale d’Allemagne, les Pays-
Bas et le Danemark. En effet, ceux-ci s’opposent sur la délimitation du plateau continental. La
convention de 1958 n’étant pas ratifiée par l’Allemagne (et cela malgré les arguments
développés par les parties adverses sur l’applicabilité de l’article 6), elle n’est pas la règle de
délimitation qui sera utilisée en l’espèce. Les parties souhaitent dès lors savoir quels sont les
principes de droit applicables à la délimitation du plateau continental. Rejetant l’idée d’ériger
la méthode de l’équidistance comme un principe de droit coutumier, la cour va se fonder sur
l’ opinio juris en invoquant en premier lieu la déclaration Truman de 1945 « qui doit être
considérée comme ayant posé les règles de droit en la matière »59. Cette dernière énonçait
que la délimitation devait faire l’objet d’un accord entre Etats. De plus, elle précisait que « les
parties sont tenues d'agir de telle sorte que, dans le cas d'espèce et compte tenu de toutes les
circonstances, des principes équitables soient appliqués »60.
Toutefois, la démonstration de la cour n’est pas plus claire sur le fondement de l’emploi de
l’équité pour la délimitation du plateau continental. Elle parle de l’opinio juris sans pour
autant chercher en dehors de la proclamation Truman et de la commission du droit
international (dont elle parle aux paragraphes 48 à 55 de l’arrêt). En cherchant dans la
pratique des Etats après 1945, on trouve en effet l’application de principes équitables par
ceux-ci. C’est le cas par exemple d’une déclaration royale du royaume de l’Arabie Saoudite, 57 Plateau continental de la mer du Nord, arrêt, CIJ, Recueil 1969, pp.3-57 58 Weil Prosper, « A propos du droit coutumier en matière de délimitation maritime », in « Ecrits de droit international », Collection Doctrine Juridique, Presses Universitaires de France, Paris, 2000, p.152 59 Rec. CIJ 1969, p. 48 60 Rec. CIJ 1969, p. 48
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
29
relative au sous-sol et au lit de la mer des zones du Golfe persique, en date du 29 mai 1949.
Celui-ci prévoit que « les limites de ces aires seront déterminées par notre gouvernement
conformément aux principes de l’équité par voie de convention avec les autres Etats »61.
Après une évolution jurisprudentielle importante, la IIIème conférence des Nations-
Unies sur le droit de la mer, va adopter dans la convention dite de Montego Bay, un article qui
ne reprend en rien l’article 6 de la convention de 1958, mais plutôt les principes issus de la
jurisprudence. L’article 83 § 1 de la convention de 1982 prévoit que « la délimitation du
plateau continental entre Etats dont les côtes sont adjacentes ou se font face est effectuée par
voie d’accord conformément au droit international tel qu’il est visé à l’article 38 du statut de
la cour internationale de Justice, afin d’aboutir à une solution équitable ».
Cette même convention va prévoir la création d’une autre zone maritime sur laquelle
les Etats exercent d’autres souverains mais sur d’autres fondements. Pourtant la jurisprudence
va petit à petit se poser la question d’une ligne de délimitation unique.
B°/ La question de la ligne unique
La notion de ZEE a ceci d’intéressant qu’elle n’est pas, contrairement au plateau
continental, une zone dont l’existence est observée ipso facto et ab initio. C’est une
abstraction juridique qui ne peut être liée à la continuité géographique du fait de l’inexistence
de solidarité entre la terre et les ressources de la colonne d’eau.
En effet, la ZEE est une zone située au-delà de la mer territoriale et qui s’étend à 200
milles des lignes de base. L’Etat n’y exerce pas sa souveraineté mais y a des droits exclusifs
prévus à l’article 56 de la convention de Montego Bay qui ont trait à l’exploitation et la
conservation des ressources, à l’exploration et la recherche scientifique, etc. Régime nouveau
en 1982, la ZEE est l’héritière des « zones de pêche réservée »62 et des « zones de
61 N.U., série législative, « Lois et règlements concernant le Régime de la Haute Mer », vol. I, 1951, p.22, cité dans Lang Jack, « Le plateau continental de la Mer du Nord : arrêt de la cour international de justice, 20 février 1969 », Collection Bibliothèque de droit international, LGDJ, Paris, 1988, p.130 : y sont présentés d’autres exemples intéressants de la pratique des Etats. 62 Voir dans ce sens, la très intéressante affaire Compétence en matière de pêcherie (République fédérale d’Allemagne c. Islande), fond, arrêt, CIJ Recueil 1974, p.175.
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
30
réglementation de pêcherie », faisant suite à la seconde déclaration Truman du 28 septembre
1945. Cette zone nouvelle va nous intéresser tout particulièrement en ce qui concerne sa
délimitation. L’article 74 § 1 de la Convention de Montego Bay reprend exactement la même
formulation que l’article 83 sur le plateau continental, prévoyant ainsi la recherche par les
Etats d’un accord afin d’aboutir à une solution équitable.
Maintenant, la question qui se pose et qui rejoint la problématique de la recherche
d’une unité de la notion d’équité dans le contentieux de la délimitation maritime, est de savoir
s’il est possible pour le juge de tracer une « frontière » maritime unique.
« Frontière » est certes un mot fort pour parler de délimitation, car il faut rappeler que « ni le
plateau continental ni la ZEE ne sont pas des zones de souveraineté »63 comme le rappelait en
1985 une sentence arbitrale. L’un accorde des droit sur les fonds sous-marins, l’autre sur la
colonne d’eau, ce que d’ailleurs Georges Scelle considérait comme une atteinte grave à
« l’unicité du domaine maritime »64. Pourtant le terme frontière est de plus en plus utilisé,
preuve que les Etats gardent toujours l’idée d’étendre leur souveraineté sur les mers. La cour
n’a pas manqué de rappeler en 2009 « qu’une frontière maritime délimitant le plateau
continental et les zones économiques exclusives ne doit pas être assimilée à une frontière
d’Etat séparant des territoires »65.
La délimitation unique revêt deux aspects différents : elle touche à la fois à la limite
extérieure (vers le large) et à la fois à la délimitation entre Etats. Nous n’étudierons pas les
limites vers le large (sauf lorsque les Etats se font face) bien que les évolutions récentes et à
venir soient très intéressantes, pour nous intéresser seulement à la frontière maritime unique
entre Etats. La question soulève de nombreux débats malgré une application assez uniforme
de ce principe par la jurisprudence. En effet, deux visions s’opposent : soit la superposition de
la délimitation du plateau continental et de la zone économique exclusive est un principe à
éviter absolument, soit cette solution est la meilleure qu’il soit étant donné la multiplication
des revendications et des zones maritimes. Cette dernière position semble être celle prise par
la cour depuis l’affaire du Golfe du Maine. Elle présente le fondement de la ligne unique
comme étant logique car « avec l'adoption progressive, par la plupart des Etats maritimes,
63 Affaire de la délimitation de la frontière maritime entre la Guinée et la Guinée Bissau, 14 février 1985, RSA, volume XIX, p. 194 64 Scelle Georges « Plateau continental et droit international », RGDIP, vol. 68, 1955, p.52 65 Affaire relative à la délimitation maritime en Mer Noire (Roumanie c/ Ukraine), 3 février 2009
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
31
d'une zone économique exclusive et, par conséquent, avec la généralisation de la demande
d'une délimitation unique, évitons autant qu'il est possible les inconvénients inhérents à une
pluralité de délimitations distinctes »66.
Et de fait, la pratique des Etats tend à démontrer qu’ils préfèrent traiter à la fois de la
délimitation du plateau continental et de la ZEE lorsqu’ils négocient un accord de
délimitation. Toutefois, cette affirmation reste à modérer, cette pratique ne permettant pas de
déterminer une source de droit coutumier pour la délimitation unique.
La question que l’on peut alors se poser est de savoir quels principes juridiques
pourraient fonder l’utilisation d’une ligne unique. Nous l’avons déjà vu, les articles 74 et 83
de la convention de Montego Bay ont exactement la même rédaction. Cela permet-il d’assurer
que la délimitation du plateau continental et de la ZEE doivent se superposer ? Bien
évidemment la réponse sera non, étant donné que l’équité pourra s’appliquer différemment
selon qu’il s’agisse d’une zone où s’exerce des droits souverains à des fins utiles, ou d’une
zone où s’exerce la souveraineté de l’Etat. Il en sera par conséquent de même pour les
circonstances pertinentes qui permettraient de modifier le tracé provisoire de la ligne de
délimitation. Pour certains, le fondement est uniquement une question d’opportunité. Et c’est
bien ce qu’a pu reprocher le juge Gros dans son opinion dissidente jointe à l’arrêt de l’affaire
du Golfe du Maine. Les parties (Etats-Unis et Canada) considéraient que la simple volonté
commune des Etats était le fondement juridique pouvant presque être assimilé à une
circonstance pertinente, ce que la cour a retenu. Au juge Gros de se demander « quels sont les
motifs juridiques permettant d'appliquer cette demande aux faits de l'espèce, un certain
plateau continental et certaines zones de pêche, car s'il n'y a pas de réponse autre que la
transformation d'une demande des Parties en une circonstance spéciale, source de déductions
juridiques, le droit applicable se restreint à une appréciation à priori des Parties »67.
Au final, la jurisprudence de la cour n’a pas varié et le fondement de la ligne unique
demeure la volonté des Etats, comme le résume bien l’arrêt Qatar c/ Bahreïn : « le concept de
limite maritime unique n'est pas issu du droit conventionnel multilatéral mais de la pratique
66 Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine , Arrêt, CIJ, Recueil 1984, p.327. 67 Op. diss. Gros, 1984, p. 364
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
32
étatique et qu'il s'explique par le vœu des Etats d'établir une limite ininterrompue unique
délimitant les différentes zones maritimes »68.
A travers le temps, nous comprenons que l’équité est à l’origine des règles de
délimitation qui se veulent semble-t-il assez pragmatique. Pour autant, cette forme de réalisme
juridique laisse perplexe quant à l’appréhension de la nature juridique de l’équité. Toutefois,
en élaguant un peu plus les jugements et sentences arbitrales, certains éléments de réponse se
dessinent.
CHAPITRE II : DES ELEMENTS DE REPONSE
Plusieurs indications permettent de définir les relations de l’équité avec le droit
(Section I), tout en lui donnant une valeur bien supérieure à une règle de droit classique lui
permettant d’être la mesure de la pertinence des techniques de délimitation (Section II).
Section I : L’Equité et le droit
La notion d’équité est avant toute chose, dans le cadre du droit des délimitations
maritimes, une notion juridique (A). Pour autant, à l’instar de nombreux auteurs, nous
pouvons nous demander si l’équité peut être comprise comme un principe général de droit ou
de justice (B).
A°/ Une notion juridique
Pour tenter de comprendre la place de l’équité dans la hiérarchie des normes
internationales, il est nécessaire de saisir la relation de celle-ci au droit. Pour cela, il existe
deux éléments de réponse donné par la jurisprudence : une définition négative, et une
définition positive.
68 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn, fond, arrêt, CIJ Recueil 2001, p.93
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
33
Chaque arrêt ou sentence explique dans les premiers temps que l’équité ne mène pas à
une décision rendue ex aequo et bono (article 38 § 2 statut de la CIJ). Ainsi, la première fois
que la cour fait usage d’une forme d’équité sans l’accord des parties, dans le cadre d’une
délimitation maritime, elle explique qu’il n’est « pas question en l'espèce d'une décision ex
aequo et bono qui ne serait possible que dans les conditions prescrites à l'article 38,
paragraphe 2, du Statut de la Cour »69. Il est intéressant de noter qu’elle rappelle par la suite,
que ce n’est pas la première fois qu’elle utilise une équité qui diffère de la règle prévue par le
statut de la CIJ70.
La cour et les arbitres internationaux font la distinction avec l’ex aequo et bono de la
même manière en 1982, 1984 et 1985, et ensuite, la chose semblant acquise, il n’est
aucunement fait mention de l’article 38 § 2, alors même que certains auteurs prétendent que
l’équité se rapproche inexorablement de la notion d’ex aequo et bono comme nous le verrons
par la suite71. Parlant de l’équité, le tribunal arbitral réuni en 1985 dans l’affaire opposant la
Guinée à la Guinée Bissau, explique que « cela ne signifie pas toutefois que le Tribunal soit
doté d'un pouvoir discrétionnaire ou soit habilité à décider ex aequo et bono. Il ne s'appuiera
que sur des considérations de droit »72.
Cette dernière remarque, issue d’une sentence arbitrale, permet d’en venir à la
définition positive de la notion d’équité. En effet, l’équité est de nature juridique. Elle se
rattache au droit.
Les citations consacrant et justifiant ce rattachement sont devenues célèbres. En effet, dès
1969, dans l’affaire du plateau continental de la mer du Nord, la CIJ explique qu’ « il ne
s’agit pas d’appliquer l’équité simplement comme une représentation de la justice abstraite,
mais d’appliquer une règle de droit prescrivant le recours à des principes équitables [...] le
juge doit procéder à une justification objective de ses décisions non pas au-delà des textes
mais selon les textes et [...] c’est précisément une règle de droit qui appelle l’application de
69 Rec. CIJ, 1969, § 88, p. 48 70 Affaire des jugements du tribunal administratif de l’OIT sur requête contre UNESCO, Recueil CIJ, 1956, p.100 71 Voir en ce sens, Weil. P., op. cit. p.179 ; Labrecque Georges « Les frontières maritimes internationales, géopolitique de la délimitation en mer », L’Harmatan, Paris, 2004. Il définit dans son lexique l’équité comme étant « l’application des principes de la justice. Moyen de corriger l’application trop stricte de la règle de droit, si les parties sont d’accord, d’en compléter le contenu, ou même de l’écarter » (p. 473). Cette définition est par divers aspects assez excessive et ne semble pas prendre en compte la jurisprudence, mais toutefois certains auteurs approchent l’équité dans la délimitation maritime à l’équité ex aequo et bono. 72 RSA, 1985, volume XIX, p. 182
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
34
principes équitables »73. Elle complètera en 1985 en disant que « la justice dont l’équité est
une émanation, n’est pas la justice abstraite, mais la justice selon la règle de droit [...]. Le
caractère normatif des principes équitables appliqués dans le cadre du droit international
général présente de l’importance »74.
La place accordée à l’équité dans le système normatif est indéniablement importante. Les
arrêts ne manquent pas de dire que le droit et l’équité procède de l’idée de justice, chacun en
traduisant une expression particulière.
Et cette importance, la cour lui donne un nom : « la norme fondamentale ». Mais la
question qui se pose est de savoir ce que l’on entend par ce terme ? En effet, celui-ci renvoie à
des débats liés à la théorie générale du droit et qui oppose principalement les auteurs
volontaristes et normativistes au sujet du fondement du caractère obligatoire du droit
international. Sans entrer dans les détails théoriques, Kelsen, normativiste, dans sa hiérarchie
des normes, place au dessus du droit coutumier et du droit conventionnel, une norme qu’il
nomme fondamentale. Elle est à l’origine de toute règle internationale. Ainsi, une coutume est
obligatoire car elle repose sur une norme supérieure qui l’exige, mais celle-ci est supposée et
donc indémontrable : la norme fondamentale « fait de la coutume fondée par la conduite
mutuelle des Etats un mode de création de droit »75.
Pour les volontaristes, l’idée de base est que toute règle de droit est le produit de la volonté
humaine. Comme nous allons le voir, la norme fondamentale dont parle la cour, est en
quelque sorte, le produit des deux, mais dans le cadre unique du droit de la délimitation
maritime. La cour, explique dans l’affaire du Golfe du Maine, que les Etats-Unis comme le
Canada sont d’accord sur peu de choses hormis le fait qu’une délimitation maritime nécessite
l’application de principes équitables, tenant compte de circonstances pertinentes en vue
d’aboutir à une solution équitable76.
Le Professeur Nathalie Ros n’hésite pas à parler de cette norme fondamentale comme d’une
« invention » judiciaire qui parait « avoir réalisé son fabuleux destin, pour incarner tout le
73 Rec. CIJ, 1969, §85 et 88 74 Plateau continental (Jamahiriya arabe Libyenne c. Malte), arrêt, CIJ, Recueil 1985, p.39 75 Kelsen Hans, « Théorie pure du droit », Editions de la Baconnière, Neuchâtel, 1953, p. 165 76 Rec. 1982, §§ 98-101
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
35
droit de la délimitation maritime, régir la délimitation de tous les espaces maritimes, et
fédérer toutes les logiques de délimitation »77.
Au final, cette norme qu’est l’équité est peut être à l’origine d’un droit coutumier aussi bien
que d’un droit conventionnel. Malgré les différences, elle est présente dans tout le droit de la
délimitation et pour tous les espaces maritimes. La cour a peut être trouvé la formule idéale
afin d’utiliser une norme que « la science du droit prend comme une hypothèse ou un postulat
indémontrable »78. Toutefois, le droit de la délimitation maritime n’est pas un droit autonome
ou une branche détachée du droit international public. La comparaison s’arrête donc là,
puisque si nous suivons la théorie de Kelsen, cette « norme fondamentale » trouverait encore
au dessus d’elle une autre norme hypothétique fondamentale qui domine toutes les normes du
droit international.
Bien que ces dernières considérations soient intéressantes du point de vue théorique,
elles n’en demeurent pas moins que des idées, sans véritable fondement juridique. Une autre
piste pourra alors être étudiée.
B°/ Un principe général de droit ou de justice ?
Chaque arrêt et chaque sentence ne cesse de dire que l’équité dans le cadre des
délimitations maritimes n’est pas à confondre avec l’ ex aequo et bono de l’article 38 § 2 du
statut de la CIJ. A côté de cela, il ne peut être nié que l’équité a une place centrale dans ce
domaine, lui permettant de se délaisser de sa classification comme source subsidiaire du droit
international. L’article 38, dans son paragraphe 1, donne une liste de ce que la cour peut
appliquer pour parvenir à régler les différends qui lui sont soumis.
L’article 38 § 1 a) et b) place les conventions internationales et la coutume internationale
comme les premières sources utilisables par le juge. Or, nous l’avons déjà vu, l’équité sous-
tend dès l’origine les règles des conventions, tout autant que les règles coutumières. Ce ne
77 Ros N., « Le fabuleux destin de la norme fondamentale », dans « La mer et son droit, mélanges offerts à Laurent Lucchini et Jean-Pierre Quéneudec », Editions A. Pédone, Paris, 2003, p. 551 78 Anzilotti, « Cours de droit international, 1er volume : Introduction, théorie générale », Traduction Gidel, Paris, Sirey, 1929, p.65, rééd. 1999, p. 69, cité dans Salmon J. (dir.), « Dictionnaire de droit international public », Bruylant, Bruxelles, 2001, p. 753
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
36
sont ni les traités, ni la coutume qui désignent l’équité comme mode de règlement des conflits
de délimitation maritime.
La dernière source principale proposée par l’article 38 sont « les principes généraux de droit
reconnues par les nations civilisées ». Ces principes ont pour fonction de faire face aux
lacunes du droit procédural et substantiel du droit international. Ils trouvent leur origine dans
une sorte de sens commun des lois internes que peut dégager le juge. La plupart du temps, ce
sont des règles relatives à l’administration de la justice ou des règles matérielles.
La CIJ donne des indices permettant de rapprocher l’équité d’un principe général de droit.
Réaffirmant une fois encore le rattachement de l’équité au droit, les juges précisent que
l’application de l’équité « doit être marquée par la cohérence et une certaine visibilité »79.
Ce point éclairci, ils rappellent le texte de l’arrêt de la CIJ dans l’affaire du Golfe du Maine :
« la notion juridique d’équité est un principe général directement applicable en tant que
droit »80. Cette citation est très intéressante car, il est bien dit que l’équité est un principe
général. Mais de quel principe général s’agit-il ? Il n’est pas dit explicitement, qu’il s’agissait
d’un principe général du droit, il est exprimé l’idée que ce principe général est le droit. Pour
paraphraser Winston Churchill, c’est « un paradoxe, enveloppé dans un mystère, à l’intérieur
d’une énigme »81.
Cet arrêt conforte malgré cela l’idée qu’il pourrait s’agir d’un principe général de droit. En
effet, l’équité se retrouve comme nous l’avons déjà vu (cf. Introduction) dans tous les
systèmes juridiques, et a été dégagée par le juge international.
Par ailleurs, à l’instar de certains auteurs, il est possible d’appréhender l’équité comme
un principe général de justice82.
A l’appui de cette idée, on trouve le développement de la CIJ dans l’affaire du plateau
continental de la mer du Nord. Les juges expliquent en effet que l’équité est inhérente à la
bonne administration de la justice. Ils précisent que « quel que soit le raisonnement juridique
du juge, ses décisions doivent par définition être justes, donc en ce sens équitables ». Il rend
79 Rec. CIJ, 1985, §35, p.39 80 Rec. CIJ, 1982, §71, p.60 81 Texte original : “A riddle wrapped in a mystery inside an enigma” – Définition de l’URSS selon Winston Churchill. 82 Sorel J.-M., « Le juge international face à l’équité dans le règlement des différends territoriaux », dans Weckel P. (dir.) « Le juge international et l’aménagement de l’espace : la spécificité du contentieux territorial », Editions A. Pédone, Paris, 1998 ; Nguyen Quoc Dinh, Daillier P., Pellet A. « Droit international public », LGDJ, 6ème édition, Paris, 1999.
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
37
alors la justice en usant d’« une règle de droit qui appelle l'application de principes
équitables »83.
Il faut noter que depuis quelques arrêts déjà, la cour ne mentionne plus expressément le mot
même d’équité (contrairement aux parties). Elle passe dès le début à l’objectif, à savoir la
recherche d’une solution équitable, puis aux moyens d’y arriver, grâce à des principes
équitables. Prenons l’exemple du dernier arrêt rendu par la CIJ le 3 février 2009 dans le cadre
de l’affaire de la délimitation maritime de la mer Noire. Après de multiples péripéties, les
parties (l’Ukraine et la Roumanie) sont parvenues à un accord en 1997, énumérant les
principes devant être utilisés, tant dans les négociations diplomatiques que dans le règlement
du différend devant une instance judiciaire internationale. Parmi ces principes, il est indiqué
au paragraphe 4 c) que s’appliqueront « le principe de l’équité et la méthode de la
proportionnalité tel que ceux-ci sont appliqués dans la pratique des Etats et dans les
décisions des instances internationales concernant la délimitation du plateau continental et
des zones économiques exclusives »84.
Les juges font alors remarquer, en parlant des différents principes, qu’ils donnent à penser que
« dans l’esprit des Parties, les principes en question devaient être pris en considération dans
le cadre de leurs négociations sur la délimitation maritime, sans constituer pour autant le
droit applicable par la Cour. Cela ne signifie pas nécessairement que ces principes ne soient
pas en eux-mêmes susceptibles d’application en la présente affaire : ils peuvent s’appliquer
dès lors qu’ils font partie des règles pertinentes du droit international »85. Cette remarque de
la cour permet de rappeler aux parties que même s’il n’est plus fait mention de l’équité dans
ses décisions, cela ne veut pas dire qu’elle n’est pas inhérente à chaque délimitation. Ainsi, la
justice internationale tient pour acquise l’idée que l’équité est présente dans tout le processus
de délimitation : ligne de délimitation, circonstances pertinentes ou spéciales, méthode de la
proportionnalité, etc.
Pour autant, la cour ne s’est jamais prononcée clairement sur la nature juridique de
l’équité. Elle a certes fait des déclarations audacieuses en utilisant des termes comme « norme
fondamentale » ou en expliquant que l’équité était un principe de droit « directement
83 Rec. CIJ, 1969, §88, p.48 84 Rec. CIJ, 2009, § 33, p. 15 85 Rec. CIJ, 2009, § 41, p. 17
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
38
applicable en tant que droit », mais aucune réponse précise n’est apportée nous poussant à
échafauder de nombreuses théories.
Section II : La mesure de la pertinence des techniques de
délimitation
La nature juridique de l’équité présente une originalité indéniable qui ne cessera de
nous pousser à la réflexion. L’une des possibilités de définition de cette idée nous a été
donnée lors d’un entretien au secrétariat général de la Mer. Il en est ressorti l’idée que l’équité
pouvait être la mesure de la pertinence des techniques de délimitation. De prime abord, il
pourrait sembler s’agir non pas d’une définition de la nature juridique de la notion, mais de la
description de sa fonction. Pourtant, le fait d’être qualifié comme la mesure de la pertinence
des techniques de délimitation permet d’éclaircir cette nature complexe. Concept inhérent à
l’idée de justice (A), l’équité ne serait-elle pas le symbole du retour à l’idée de droit naturel
(B) ?
A°/ Un concept inhérent à l’idée de justice
L’équité, comme nous avons déjà pu le voir, est une norme fondamentale faisant d’elle
la règle fondatrice d’un droit de la délimitation maritime. La CIJ se fonde sur des principes
équitables et exprime l’idée qu’ « il s'agit là, sur la base de préceptes très généraux de justice
et de bonne foi, de véritables règles de droit en matière de délimitation des plateaux
continentaux limitrophes, c'est-à-dire, de règles obligatoires pour les Etats pour toute
délimitation »86.
Il s’agit donc bien d’une norme à caractère obligatoire, qui prescrit des principes équitables
dont le fondement est basé sur des idées qui ont animé la construction de la délimitation du
plateau continental, et découlant directement de la Proclamation Truman de 1945 :
- les Etats doivent avant toute chose négocier entre eux,
- tant le juge que les Etats doivent prendre en compte toutes les circonstances
permettant d’arriver à une solution équitable,
86 Rec. CIJ, 1969, § 85
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
39
- le plateau continental est le prolongement naturel de l’Etat (cette idée est aujourd’hui
désuète).
Ces idées donnent aux Etats et aux juges un pouvoir important. La cour, dans son arrêt rendu
en 1982 dans l’affaire opposant la Libye et à la Tunisie, exprime bien ce pouvoir conséquent :
« c'est néanmoins le résultat qui importe : les principes sont subordonnés à l'objectif à
atteindre. L'équité d'un principe doit être appréciée d'après l'utilité qu'il présente pour
aboutir à un résultat équitable »87.
Mais plus intéressant encore, cet arrêt nous permet de définir l’équité comme étant la mesure
de la pertinence des techniques de délimitation. Ainsi, elle explique que la cour « doit
appliquer les principes équitables comme partie intégrante du droit international et peser
soigneusement les diverses considérations qu'elle juge pertinentes, de manière à aboutir à un
résultat équitable »88.
Il est évident qu’une règle de droit ne peut venir corriger la géographie, ce qui oblige
tant les juges que les Etats à trouver les solutions les plus raisonnables. Les articles 73 et 84
de la Convention de Montego Bay reprennent tous les deux les idées énoncées ci-dessus. Etats
et juges ont pour objectif de trouver une solution équitable. L’application de l’équité se fait
donc dans ces deux cas de figure. La question sera de savoir si cette équité est identique ?
Autrement dit, les circonstances prises en compte par le juge international seront-elles les
même que dans le cadre d’une délimitation conventionnelle ?
Nous avons là plusieurs éléments de réponse.
Nous pouvons considérer que l’équité est avant toute chose l’obtention d’un résultat
équitable. C’est ainsi que le tribunal arbitral dans le différend franco-britannique, a précisé :
« qu’on se place sous l’angle de la Convention de 1958 ou sous celui du droit coutumier, le
choix de la méthode ou des méthodes de délimitation doit [...] être fait dans chaque cas à la
lumière des circonstances et sur la base de la règle fondamentale qui veut que la délimitation
soit conforme à des principes équitables »89. Il revient alors au juge de choisir la méthode qui
convient le mieux pour parvenir à cette fin.
87 Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C. I. J. Recueil 1982, § 70, p.59 88 Rec. CIJ, 1982, § 71 p.60 89 Affaire de la délimitation du plateau continental entre Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et République française, 30 juin 1977, RSA, vol. XVIII, § 97, p. 57
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
40
Pour les Etats, l’objectif est le même. La recherche d’un résultat équitable lors de
négociations bilatérales peut se traduire par l’obtention par chaque partie de l’essentiel des
revendications qu’il formulait, quitte à concéder tel ou tel élément pour parvenir à la
satisfaction de chaque partie placée sur un même pied d’égalité. Le choix de la méthode leur
revient pour parvenir à ce but. Prenons deux exemples concernant la France. L’accord du 30
janvier 198190 détermine la délimitation entres les eaux brésiliennes et les eaux françaises
selon une méthode proche de la perpendiculaire, tandis que la convention entre la France et
l’Espagne sur la délimitation de la mer territoriale et de la zone contigüe dans le golfe de
Gascogne du 29 janvier 197491 prévoit une délimitation dans un premier temps fondée sur
l’équidistance, et ensuite fondée sur la bathymétrie (la mesure de la profondeur des fonds
marins).
B°/ Un droit intangible
L’équité, considérée comme la mesure de la pertinence des techniques de
délimitation, pose la question de savoir si le juge ou l’arbitre pourrait modifier complètement
la méthode de délimitation (construction d’une ligne provisoire ; circonstances pertinentes ou
spéciales/principes équitables ; résultat équitable).
Les derniers arrêts et arbitrages rendus en matière de délimitation maritime sont très
intéressants en ce qui concerne la permanence des méthodes contentieuses de délimitation.
L’affaire de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria92 du 10 octobre
2002 est l’occasion pour la CIJ d’expliquer que « délimiter avec le souci d’aboutir à un
résultat équitable, comme le requiert le droit international en vigueur, n’équivaut pas à
délimiter en équité »93. Ce rappel de la cour est important car il permet d’écarter l’idée que
90 Traité de délimitation maritime entre la République fédérative du Brésil et la République française (30 janvier 1981), Le Droit de la mer, Les accords de délimitation des frontières maritimes (1970-1984), Bureau des affaires maritimes et du droit de la mer, Nations Unies, New-York, 1989, p. 89 91 Ibid., p. 53 92 Pour rappel, la presqu’ile de Bakassi (sous souveraineté camerounaise) fut envahie par le Nigeria en décembre 1993 pour des motifs tenant à la fois de la politique, de la géostratégie et de l’économie (concentration de richesses halieutiques et énergétiques autour de la presqu’ile). Bakassi suite à cet arrêt et à de nombreuses négociations redevint camerounaise le 14 août 2006, mais est aujourd’hui devenue la deuxième zone africaine de piraterie maritime. Sur les enjeux de ce conflit, voir Ntuda Ebode Joseph-Vincent « Le Cameroun et le Nigeria enterrent la hache de guerre à Bakassi. Et après ? », dans Diplomatie, Novembre-Décembre 2008, n°35. 93 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigeria ; Guinée Equatoriale (intervenant)), Arrêt C.I.J. Recueil 2002, § 294, p. 443
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
41
l’équité lors d’une délimitation se rapproche de l’équité ex aequo et bono de l’article 38 § 2
du statut de la CIJ. Le droit n’est pas écarté pour trouver une solution équitable, l’équité est le
droit applicable. A priori, cela impose aux juges et arbitres de délimiter de la même manière à
chaque fois. Cela tend même à prendre des proportions insoupçonnées en 1969. En effet,
comme nous le verrons par la suite, la méthode de l’équidistance fut contestée à plusieurs
reprises et pourtant, elle redevient de plus en plus la méthode de référence telle que nous la
connaissions dans les conventions de 1958 sur la mer territoriale ou sur le plateau continental.
Les juges et arbitres s’accordent pour reconnaître la nécessité d’un droit prévisible :
« Equitable considerations per se are an imprecise concept in the light of the need for
stability and certainty in the outcome of the legal process. Some early attempts by
international courts and tribunals to define the role of equity resulted in distancing the
outcome from the role of law and thus led to a state of confusion in the matter»94.
Le tribunal arbitral précise un peu plus loin que « Certainty, equity, and stability are thus
integral parts of the process of delimitation »95.
Pour obtenir cette prévisibilité, la meilleure méthode est, selon eux, celle de l’équidistance,
car il s’agit d’un critère objectif et mathématique (« The principle of equidistance as a method
of delimitation applicable in certain geographical circumstances was another such objective
determination »96(§ 231)).
Cet emploi de l’équidistance se fait tant sur le fondement de la convention de Montego Bay
(articles 74 et 83) que sur le fondement du droit coutumier.
Les dernières décisions rendues par les tribunaux d’arbitrage (s’attachant à suivre les mêmes
règles que la cour internationale de justice) permettent de constater l’emploi quasi-normal de
la ligne d’équidistance. Dans l’affaire qui opposa la Guyana au Surinam (un exemple de
règlement pacifique des différends faisant suite à plusieurs incidents sur la frontière
94 Arbitrage entre la Barbade et la République de Trinité-et-Tobago relative à la délimitation de la zone économique exclusive et du plateau continental entre ces deux pays, Décision du 11 avril 2006, RSA, volume XVII, § 230, p. 212 : « les considérations équitables per se sont un concept flou lorsque l’on considère le besoin de stabilité et de certitude lors de l’aboutissement d’un processus légal. Certaines tentatives passées des cours et tribunaux internationaux de définir le rôle de l’équité ont débouché sur un éloignement de l’issue par rapport au rôle de la loi, et ainsi ont conduit à une confusion sur ce problème ». 95 Ibid., § 244, p. 215 : « La certitude, l’équité et la stabilité sont ainsi parties intégrantes du processus de délimitation ». 96 « le principe d’équidistance, en tant que méthode de délimitation, applicable pour certaines circonstances géographiques est un autre critère objectif »
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
42
maritime97), le tribunal arbitral constitué en application de l’annexe VII de la CNUDM estima
qu’ « In the course of the last two decades international courts and tribunals dealing with
disputes concerning the delimitation of the continental shelf and the exclusive economic zone
have come to embrace a clear role for equidistance »98. Mais le tribunal arbitral va aller
encore plus loin, outrepassant son rôle d’arbitre, pour recommander « d’introduire »99
l’équidistance dans les articles 74 et 83 de la CNUDM : « Articles 74 and 83 of the
Convention require that the Tribunal achieve an “equitable” solution. The case law of the
International Court of Justice and arbitral jurisprudence as well as State practice are at one
in holding that the delimitation process should, in appropriate cases, begin by positing a
provisional equidistance line which may be adjusted in the light of relevant circumstances in
order to achieve an equitable solution »100. Même l’arbitrage entre Etats fédérés a assuré dans
la décision rendue au sujet de l’affaire de la frontière maritime entre Terre-Neuve, le Labrador
et la Nouvelle Ecosse, que l’équidistance était la méthode normale de délimitation en
prétendant que « it has became normal to begin by considering the equidistance line »101.
Il est intéressant de constater la stabilité du principe d’équidistance quelque soit la
disposition des côtes, allant ainsi jusqu’à clarifier le compromis qui avait été obtenu au sujet
de la délimitation de la ZEE et du plateau continental en 1982 dans la convention de Montego
Bay. De plus, cette utilisation, permet de rapprocher encore plus la délimitation de la mer
territoriale de ces deux autres zones maritimes, diminuant un peu plus l’écart entre la règle
« équidistance/circonstances spéciales » et la règle « principes équitables/circonstances
pertinentes ».
97 Selon le Guyana, le Surinam aurait fait usage de la force le 3 juin 2000 pour expulser l’entreprise d’exploration pétrolière canadienne CGX Resources inc. , titulaire d’une licence guyanaise. 98 Tribunal arbitral constitué en application de l’article 287 et conformément à l’annexe VII de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer dans l’affaire de l’arbitrage entre le Guyana et le Suriname (ci-après Sentence 2007), § 335, p. 108 : « au cours des deux dernières décennies les cours et tribunaux internationaux qui s’occupent des différends concernant la délimitation du plateau continental et de la zone économique exclusive sont parvenus à adopter un rôle bien défini en ce qui concerne l’équité ». 99 Le mot est du professeur Yoshufumi Tanaka : Tanaka Y., « L’arbitrage Guyana/Surinam : un commentaire », Journal judiciaire de la Haye, volume 2, n°3, 2007 100 Ibid., § 342, p.110 : “les articles 74 et 83 de la convention demandent que le tribunal atteigne une solution équitable. La jurisprudence de la CIJ et la jurisprudence ainsi que la pratique des Etats sont unanimes en soutenant que le processus de la délimitation devrait lors de cas adéquates, commencer par le positionnement d’une ligne d’équidistance provisoire qui pourra être ajustée à la lumière des circonstances pertinentes afin qu’une solution équitable soit atteinte ». 101 Award of the Tribunal in the Second Phase, 26 mars 2002, § 2.28 : “il est devenu la norme de commencer en considérant la ligne d’équidistance »
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
43
Pour déterminer précisément la notion d’équité, il parait difficile de se baser
uniquement sur la nature juridique. Cette étude doit forcément être complétée par l’étude de la
fonction de l’équité dans le contentieux de la délimitation maritime.
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
44
TITRE II : L’ AMBIGUITE DE LA FONCTION DE L’EQUITE
Depuis l’arrêt rendu par la cour dans l’affaire du plateau de la mer du Nord, la doctrine
a développé plusieurs théories sur la fonction de l’équité. Laurent Lucchini et Michel
Voelckel expriment bien cette division : « les conceptions doctrinales différentes qui en sont
développées témoignent de sa nature difficilement saisissable »102. Les deux courants
principaux oscillent entre la nécessité d’une certaine prévisibilité, et la question de la
flexibilité nécessaire à une telle matière. Elle s’est traduite par la vision d’une équité à la
fonction créatrice (Chapitre I ) et une équité à la fonction correctrice (Chapitre II ).
CHAPITRE I : L’EQUITE, UNE FONCTION CREATRICE
L’opposition entre fonction créatrice et fonction correctrice est intéressante du seul
point de vue jurisprudentiel (section I), mais nous savons que l’équité est théoriquement
applicable dans les délimitations conventionnelles. Etudier cette opposition prend plus de sens
si on la met en relief avec la pratique des Etats (section II).
Section I : L’« équité créatrice », et la pratique jurisprudentielle
Il fut très vite développé la théorie selon laquelle l’équité telle que l’utilisée la cour
avait une fonction créatrice (A). Pourtant, cette forme d’équité dû très vite évoluer pour palier
aux critiques formulées par la doctrine (B).
A°/ L’origine
Le droit de la délimitation maritime est marqué depuis une cinquantaine d’années par
l’opposition entre prévisibilité et flexibilité103. Charles de Vissher le résume en expliquant que
102 Op. cit. p. 228 103 Tanaka Y., « Quelques observations sur deux approches jurisprudentielles en droit de la délimitation maritime : l’affrontement entre prévisibilité et flexibilité », RBDI, vol. XXXVII 2004-2, pp. 419-456
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
45
« l’évolution du droit international contemporain est marqué par deux orientations opposées.
Un besoin de certitudes du droit et de sécurité travaille depuis un siècle à un développement
technique très poussé dès règles du droit positif. Un besoin, plus récemment ressenti
d’assouplissement de la règle, face à des situations nouvelles et de plus en plus
individualisées porte à rechercher dans les voies de l’équité, une justice adaptée aux cas
concrets, aux particularités de l’espace ».
La flexibilité d’un droit est due à une conception de l’équité basée uniquement sur
l’obtention d’un résultat équitable, donnant lieu à une équité dite « créatrice »,
« autonome »104, ou « dominatrice et exclusive »105.
Le fondement de cette théorie est à chercher dans l’affaire du plateau continental de la mer du
Nord. L’objectif que se donne la cour est de parvenir « par application de principes
équitables à un résultat raisonnable »106. Afin d’obtenir ce résultat équitable, les juges ne
veulent en aucun cas, que pour telle ou telle situation géographique, une méthode donnée soit
obligatoire : « Il n'y a aucune base logique à cela et l'on ne voit aucune objection à l'idée
qu'une délimitation de zones limitrophes du plateau continental puisse être faite par l'emploi
concurrent de diverses méthodes »107.
Dans cette optique, ce sont les circonstances pertinentes, éclairées par des principes équitables
qui permettent de trouver la méthode de délimitation la plus efficace. On peut s’étonner de
retrouver (par souci de compromis) dans la rédaction des articles 74 et 83 de la CNUDM une
même optique (« La délimitation [...] est effectuée [...] afin d’aboutir à un résultat
équitable ») alors même qu’à cette époque, comme nous le verrons, se développera une vision
de l’équité avec une fonction différente.
Cette conception de l’équité trouvera des soutiens de poids, notamment en la personne du
juge Jimenez de Arechaga qui expliquera : « The application of equity in maritime
delimitation is not a mechanism designed to correct or mitigate the inequitable effects of a
strict rule of law based on equidistance ; it is not something to be applied ex post, but it
104 Nelson L.D.M., « The role of equity in the delimitation of maritime boundary », AJIL, vol. 84, n°4, octobre 1990, pp. 837-858; Weil P. op. cit. p. 181 105 Lucchini L. et Voelckel M., op. cit. p. 230 106 CIJ Rec. 1969, § 90 p. 49 107 CIJ Rec. 1969, § 89 p. 49
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
46
constitutes a starting guide for seeking, ex ante, an equitable result based on the balance of
all the relevant circumstances of each case»108.
Mais une telle conception de l’équité ne peut laisser insensible les juristes attachés à la
sécurité juridique. Le plus célèbre opposant sera le juge Gros, qui dénonce ce raisonnement en
disant : « Je doute que la justice internationale résiste à une équité ayant pour mesure l’œil
du juge »109. En effet, le reproche souvent fait à l’encontre de cet arrêt et de l’utilisation qu’il
est fait de l’équité, est que la solution ne dépend que de la subjectivité des juges au risque
d’imposer une décision un peu trop arbitraire. Le juge Sorensen qui prenait part à l’affaire
Plateau continental de la mer du Nord expliqua « la délimitation ne devant alors être régie
que par un principe d'équité, on aboutira à une très grande incertitude juridique, et cela dans
un domaine où la précision juridique est non seulement dans l'intérêt de la communauté
internationale en général mais aussi – et tout bien pesé - dans celui des Etats directement
intéressés »110. Le juge Koretsky fit de même en notant : « il me semble qu'en introduisant
une notion aussi vague dans la jurisprudence de la Cour internationale, on risque d'ouvrir la
voie à des évaluations subjectives et donc parfois arbitraires, et que le règlement des
différends soumis à la Cour ne s'inspirerait plus alors des règles et des principes généraux du
droit international établi »111.
Une autre critique pouvant être faite, est celle de dire que les principes équitables sont
construits sans véritables règles, faisant d’eux des règles creuses. De plus, il peut être
reproché aux juges de négliger le rôle des circonstances spéciales justifiant l’emploi de telle
ou telle méthode de délimitation, pour s’intéresser un peu trop au résultat équitable. Cet
intérêt trop poussé pour le résultat renforce la fonction individualisatrice de l’équité (parfois à
outrance). Pour Prosper Weil, cette équité qui est alors « directement génératrice de la
solution » est une « exaltation de la théorie de l’unicum »112.
108 Jimenez de Arechaga, « The conception of equity in maritime delimitation » in “Etudes en l’honneur de Roberto Ago”, volume II, p.229 : « L’application de l’équité dans la délimitation maritime n’est pas un mécanisme qui vise à corriger ou minimiser les effets inéquitables d’une règle de droit rigide basée sur l’équidistance : ce n’est pas quelque chose qui doit être appliquée ex post mais qui constitue un point de repère de départ pour rechercher, ex ante, un résultat équitable fondé sur la prise en compte de toutes les circonstnces pertinentes de chaque cas ». 109 CIJ. Rec. 1984. Opinion dissidente § 41 p. 386 110 CIJ Rec. 1969, Opinion dissidente de M. Sorensen, p. 257 111 CIJ Rec. 1969, Opinion dissidente de M. Koretsky, p. 166 112 P. Weil, op. cit. p. 181
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
47
Cette exaltation va toutefois devoir évoluer faisant écho aux critiques qui lui sont
attribuées.
B°/ L’évolution
Malgré les critiques, tant la CIJ que les arbitres internationaux vont continuer à
défendre une vision large de l’équité.
En 1977, dans la sentence arbitrale réglant le différend entre le Royaume-Uni et la France, les
arbitres commencent à détailler un peu plus la méthode de délimitation, la faisant approcher
d’une équité dite « correctrice ». C’est pourquoi en 1982, la CIJ dans l’affaire opposant la
Tunisie à la Libye rappelle que même si pour parvenir à un résultat équitable, on utilise des
principes équitables, employant ainsi le même adjectif, c’est le résultat qui prime. Elle
reproche en effet ce double emploi du mot équitable et précise que « c'est néanmoins le
résultat qui importe : les principes sont subordonnés à l'objectif à atteindre. L'équité d'un
principe doit être appréciée d'après l'utilité qu'il présente pour aboutir à un résultat
équitable. Tous les principes ne sont pas en soi équitables ; c'est l'équité de la solution qui
leur confère cette qualité »113. Alors que les arbitres avaient placé sur un pied d’égalité
principes et résultat, la CIJ donne la prédominance au résultat ajoutant même que les
principes équitables sont choisis en fonction de leur « adéquation au résultat équitable »114.
Dans l’affaire qui opposera le Canada aux Etats-Unis au sujet du Golfe du Maine, la
cour commence par chercher les règles et principes du droit international régissant les
délimitations maritimes. Elle indique que le droit coutumier ne peut que fournir quelques
principes juridiques de base, énonçant des directives à suivre. Elle ne veut pas énoncer les
critères équitables à appliquer et les méthodes pratiques à utiliser. C’est ainsi qu’elle
prononcera cette formule célèbre : « chaque cas concret est finalement différent des autres,
qu'il est un unicum »115. Les juges vont alors s’accorder sur une chose, à savoir, reformuler la
norme fondamentale. Elle se décline en deux idées :
113 CIJ Rec. 1982, § 70, p. 89 114 Idem 115 CIJ Rec. 1984, § 81, p. 290
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
48
- dans un premier temps, la délimitation doit être obtenue par une négociation menée de
bonne foi afin de parvenir à un résultat positif, et si celle-ci n’aboutit pas, les Etats peuvent
recourir à une tierce personne.
- dans un deuxième temps, tant l’accord que le jugement ou l’arbitrage devront « être réalisés
par l’application de critères équitables et par l’utilisation de méthodes pratiques aptes à
assurer, compte tenu de la configuration géographique de la région et des autres
circonstances pertinentes de l’espèce, un résultat équitable »116.
Par la suite et cela dès 1985, bien que reprenant cette argumentation pour affirmer la
prédominance du résultat, elle donnera toute sa force juridique aux principes équitables et
circonstances pertinentes afin d’assurer une certaine prévisibilité.
Le dernier sursaut jurisprudentiel adoptant la théorie d’une équité autonome sera la
sentence arbitrale dans l’affaire qui opposera la France au Canada en 1992. Ce cas est
particulièrement évocateur puisqu’encore aujourd’hui, la solution « équitable » est fortement
contestée, ayant largement contribuée à diminuer les revenus tirés par les pêches de l’archipel
français de Saint-Pierre et Miquelon. Alors que la date limite de demande d’extension du
plateau continental auprès de la commission des limites du plateau continental arrivait à
échéance, la France qui refusait de faire cette demande pour l’archipel a finalement envoyé
une lettre d’intention à cette commission en mai dernier, nécessitant l’ouverture de
négociations avec le Canada rouvrant la plaie d’un arbitrage très mal digéré. Dans un rapport
récent, la députée de Saint-Pierre et Miquelon Annick Girardin explique « la décision
arbitrale délimitant la ZEE française a été vécue à Saint-Pierre-et-Miquelon comme une
cuisante défaite dont le Gouvernement pouvait être tenu pour partiellement responsable en
raison de son insuffisante implication »117.
Cette sentence revient en effet sur les règles claires qu’avait énoncé la cour dans l’affaire
Libye contre Malte. Elle avait juridiciarisé les principes équitables afin de permettre une
meilleure prévisibilité du droit de la délimitation maritime, mettant ainsi fin à l’équité « selon
l’œil du juge »118. Or, en l’espèce, les arbitres écartent la plupart des théories défendues par
les parties, à commencer par la méthode de l’équidistance proposée par la France, pour 116 CIJ Rec. 1984, § 112, p. 300 117 Girardin A. et Guedon L. « Rapport d’information déposé en vertu de l’article 145 du Règlement par la commission des affaires étrangères sur la délimitation des frontières maritimes entre la France et le Canada », n° 1312, Assemblée nationale, 10 décembre 2008 118 Opinion dissidente de M. Gros, C.I.J. Recueil 1984, p. 388, § 47
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
49
appliquer la théorie de la projection frontale (dont la pratique est contestée traditionnellement
par les Etats et la jurisprudence), et le principe de non-empiètement donnant ainsi au final une
délimitation en forme de champignon (cf. annexe IV). Prosper Weil, arbitre proposé par la
France pour siéger au tribunal arbitral traitant de ce litige, trouve que cette sentence revient
sur une jurisprudence que l’on croyait désuète depuis 1985, année où la cour avait adoptée
une équité plus correctrice que créatrice. En tentant de comprendre la solution proposée, il
dira « la ligne a paru équitable à la majorité du tribunal, et cela a suffi à soi seul, à ses yeux,
pour satisfaire en droit à la norme fondamentale du résultat équitable »119 alors que les
arbitres avaient déclaré dans la sentence de 1977 opposant la France au Royaume-Uni que « le
juge n'a pas "carte blanche pour recourir à n'importe quelle méthode de son choix pour
effectuer une délimitation équitable »120. Prosper Weil aura ces mots durs à l’encontre de la
solution : « est-ce là une solution raisonnable et équitable ? Equité, que d'injustices on
commet en ton nom ! »121.
Malgré ce sursaut, une nouvelle forme d’équité permettant une plus grande sureté, une
plus grande prévisibilité et une plus grande sécurité croîtra. Il est à noté que les jugements et
sentences rendus avec une équité qualifiée d’autonome n’ont pas réglé entièrement et
correctement tous les conflits. Saint-Pierre et Miquelon espère à l’heure actuelle agrandir son
plateau continental afin de vivre de l’exploitation des ressources du sous-sol sous-marin, alors
que les Etats-Unis et le Canada se disputent toujours la souveraineté de l’île Machias Seal et
la délimitation des eaux environnantes. Dans le cas de la délimitation entre la Tunisie et la
Libye, le contentieux n’est toujours pas réglé, puisqu’une demande de révision et en
interprétation de l’arrêt de la CIJ a été déposée et rejetée122.
Toutefois, cette forme d’équité semble être assez proche de ce à quoi aspirent les Etats
dans leur pratique.
119 Opinion dissidente de M. Weil, RSA, 1992, p. 312, § 27 120 RSA, 1977, § 245 121 Opinion dissidente de M. Weil, RSA, 1992, p. 313, § 29 122 Demande en révision et en interprétation de l'arrêt du 24 février 1982 en l'affaire du Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 192.
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
50
Section II : L’équité, fonction normative de la pratique des Etats
Tout comme le juge, l’objectif des Etats est de parvenir à un résultat équitable. Le
fondement de cet objectif est le même (A) et astreint les Etats à une obligation de négocier
(B).
A°/ Les fondements
La première question à se poser est de savoir si l’équité a un rôle à jouer dans
l’établissement des délimitations en mer lorsque celles-ci sont établies de manière
conventionnelle. La question avait divisé les Etats lors des travaux de la 3ème conférence sur le
droit de la mer, puisque l’on trouvait d’un côté des Etats (le « groupe des 29 ») qui étaient
partisans de l’équité, et de l’autre, des Etats partisans d’une application de l’équidistance (le
« groupe des 22 »). Il est évident que cette opposition n’avait pas lieu d’être puisque
équidistance et équité ne peuvent être placées sur le plan.
En effet, la cour, dans l’affaire Tunisie- Libye, avait déclaré que l’équité ne peut être entendue
comme étant une méthode (ce qu’est l’équidistance) puisqu’il s’agit d’une notion juridique
qui « procède directement de l’idée de justice »123, dont le juge « ne saurait manquer (de)
faire application »124.
Dès le développement de la théorie du plateau continental, avec la proclamation Truman sur
la position des Etats-Unis concernant les ressources naturelles du sous-sol et du sol du plateau
continental, il est fait mention de principes équitables. En effet les Etats-Unis indiquent qu’ils
négocieront avec les Etats concernés conformément à des principes équitables, sans préciser
quelles seraient les méthodes utilisées.
Il est certain que lors d’une délimitation, il n’est fait aucune mention de l’équité.
Chaque partie vient avec son idée de méthode et ses arguments125. Mais, finalement, dès le
début, l’objectif d’une délimitation, qu’elle soit judiciaire ou conventionnelle, est de parvenir
123 CIJ. Rec. 1982, § 71, p. 60 124 Ibid. 125 Nous en avons obtenu la certitude lors d’une rencontre avec un habitué des négociations de délimitations au secrétariat général de la mer
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
51
à un résultat équitable sans pour autant qu’une méthode précise soit donnée. Dans les
conventions de délimitations maritimes, on voit apparaître une multitude de méthodes qui
permet d’affirmer que l’équité est entendue dans ce cas là comme une équité créatrice. Il est
évident que l’équité utilisée par les juges ne peut pas être dissociée de l’équité des
conventions. La preuve irréfutable en est donnée par l’obligation de négocier.
B°/ L’obligation de négocier
Cette obligation de négocier est apparue dès les débuts du droit de la mer et n’a dès
lors cessée d’être présente.
Ainsi, dans la convention de Genève de 1958 sur le plateau continental, l’article 6 prévoit que
les délimitations se font par accord entre Etats, et si aucun accord n’est trouvé, les parties
devront alors appliquer la méthode de la ligne d’équidistance.
Mais on trouve une indication plus intéressante dans la convention des nations-unies sur le
droit de la mer de Montego Bay. L’article 83 § 1 sur la délimitation du plateau continental
prévoit que « la délimitation du plateau continental entre Etats dont les côtes sont adjacentes
ou se font face est effectuée par voie d'accord conformément au droit international tel qu'il est
visé à l'article 38 du Statut de la cour internationale de Justice, afin d'aboutir à une solution
équitable ». Et c’est seulement si les Etats ne sont pas parvenus à un accord qu’ils peuvent
déclencher les mécanismes juridictionnels prévus par la convention (§2).
Entre ces deux conventions, la jurisprudence avait quelque peu éclaircie les propos de
la convention de 1958 ou tout du moins l’opinio juris. L’affaire de la délimitation du plateau
continental de la mer du Nord expliquait que « la délimitation doit être l'objet d'un accord
entre les Etats intéressés et que cet accord doit se réaliser selon des principes équitables. Il
s'agit là, sur la base de préceptes très généraux de justice et de bonne foi, de véritables règles
de droit en matière de délimitation des plateaux continentaux limitrophes, c'est-à-dire, de
règles obligatoires pour les Etats pour toute délimitation »126. La cour précise à la suite que
« les parties sont tenues d'engager une négociation en vue de réaliser un accord et non pas
simplement de procéder à une négociation formelle comme une sorte de condition préalable à
126 CIJ. Rec. 1969, § 85, p. 47
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
52
l'application automatique d'une certaine méthode de délimitation faute d'accord »127. Il s’agit
de conditions de négociation qui découlent de la bonne foi. C’est seulement lorsque des
négociations menées correctement ont été réalisées et qu’elles n’ont abouti à aucun résultat
accepté par les parties que le mécanisme juridictionnel s’enclenche.
Toutefois, la place de l’équité évoluant dans le contentieux juridictionnel, la différence
avec les négociations en vue d’un accord de délimitation va s’accentuer.
CHAPITRE II : L’EQUITE, UNE FONCTION CORRECTRICE
La notion d’équité a du être affinée par les juges afin de mieux servir la sécurité
juridique. Elle devint une notion qualifiée de correctrice (Section I) prenant dans la pratique
des Etats une tournure plus originale (Section II).
Section I : L’« Equité correctrice » et la pratique jurisprudentielle
Cette théorie qui fit vite son apparition (A) s’est vue rapidement confirmée, et
aujourd’hui encore (B)
A°/ Les origines
Répondant à un souci de prévisibilité et de sécurité juridique, la cour ainsi que les
arbitres internationaux vont s’efforcer de clarifier les règles de droit applicables à la
délimitation maritime, ainsi que la fonction jouée par l’équité.
C’est un tribunal arbitral qui sera à l’origine d’un corps de règles plus précis. S’appuyant
toujours sur la jurisprudence de la CIJ, le tribunal arbitral constitué dans l’affaire opposant le
Royaume-Uni à la France explique dans un premier temps qu’il « est d'avis que l'application
de la méthode de l'équidistance ou de toute autre méthode dans le but de parvenir à une
délimitation équitable dépend des circonstances pertinentes, géographiques et autres, du cas
127 Ibid.
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
53
d'espèce »128. Dans un deuxième temps, elle explique que « le choix de la méthode ou des
méthodes de délimitation doit donc être fait dans chaque cas à la lumière de ces
circonstances et sur la base de la règle fondamentale qui veut que la délimitation soit
conforme à des principes équitables »129.
Cette sentence remet en cause la prédominance du résultat équitable. La méthode encadre
l’équité, et les principes équitables commencent à prendre de l’importance laissant voir
apparaître la règle principes équitables / circonstances pertinentes.
En l’espèce, le tribunal arbitral décide de commencer par tracer une ligne d’équidistance, qui
sans refaire la géographie130, va être modifiée en ne donnant qu’un demi-effet aux îles Scilly
et en tenant compte entièrement des Sorlingues (cf. Annexe V).
Pour définir cette équité correctrice, on peut dire qu’elle vise à rectifier tous les effets
jugés inéquitables de la méthode de délimitation utilisée. Dans la plupart des cas, il s’agira de
la méthode de l’équidistance. C’est pourquoi, on pourra faire le rapprochement entre cette
méthode et les règles prévues à l’article 6 de la convention de Genève sur le plateau
continental instaurant la règle équidistance / circonstances spéciales. C’est d’ailleurs ce que
dira la cour en 1993 à peu de choses près : « Il ne peut y avoir rien de surprenant à ce que la
règle équidistance/circonstances spéciales aboutisse essentiellement au même résultat que la
règle principes équitables/circonstances pertinentes »131.
L’équité n’intervient finalement qu’après l’établissement d’une première délimitation.
L’exigence de l’équité entrainera l’ajustement de la ligne d’équidistance ou le changement par
une autre méthode afin de parvenir à une solution équitable.
128 Affaire de la délimitation du plateau continental entre Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et République Française, Décision du 30 juin 1977, Décision du 14 mars 1978, RSA, volume XVIII, p. 188, § 97 129 Idem. 130 RSA, 1977, § 249, p. 254 : « De même que l'équité n'a pas pour fonction de refaire totalement la géographie lors de la délimitation du plateau continental, elle n'a pas non plus pour fonction de créer une situation de complète équité lorsque la nature et la géographie ont créé une inéquité [...].Ce qu'exige l'équité, c'est de remédier de façon convenable aux effets disproportionnés ». 131 CIJ. Rec. 1993, § 56, p. 62
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
54
B°/ L’évolution
Comme nous avons pu déjà l’observer, le souci de prévisibilité dont fait preuve la
sentence du tribunal arbitral de 1977, ne ressort pas dans les arrêts de la CIJ qui suivent.
Il faut attendre 1985 dans l’affaire du plateau continental opposant Malte à la Libye
pour voir s’affirmer clairement une telle préoccupation. Cet arrêt correspond à un double
tournant en droit international de la mer. En effet, trois ans plus tôt, la convention de Montego
Bay est signée. Les articles 74 et 83 § 1 prévoient que les délimitations du plateau continental
et de la zone économique exclusive aboutissent à un résultat équitable, revenant ainsi sur
l’article 6 de la convention de Genève sur le plateau continental, dont la règle était plus
stricte. Inversement, la jurisprudence évolue. D’une équité autonome, dont le seul souci est le
résultat équitable (comme la convention de 1982), on passe en 1985, à une équité correctrice
reprenant sous divers aspects les règles prévues en 1958.
Ainsi la CIJ explique que « la convention fixe le but à atteindre, mais elle est muette sur la
méthode à suivre pour y parvenir. Elle se borne à énoncer une norme et laisse aux Etats ou
au juge le soin de lui donner un contenu précis »132. C’est ce à quoi le juge va s’attacher à
partir de là, et il constate que « dans la présente espèce, les deux Parties reconnaissent que,
quel que soit le statut de l'article 83 de la convention de 1982, qui se borne à énoncer que la
‘solution’ doit être équitable et ne fait pas mention expresse de l'application de principes
équitables, les deux exigences font partie du droit applicable »133.
L’arrêt va ensuite s’attaché à rappeler les fondements de l’emploi de l’équité déjà évoqués
dans les précédentes affaires, et sur son emploi propre, à commencer par la recherche
fondamentale d’un résultat équitable. Toutefois, elle explique que « la délimitation du plateau
continental doit s'effectuer par application de principes équitables en tenant compte de toutes
les circonstances pertinentes afin d'aboutir à un résultat équitable »134 et précise par la suite
que « la justice, dont l'équité est une émanation, n'est pas la justice abstraite mais la justice
selon la règle de droit ; autrement dit son application doit être marquée par la cohérence et
132 CIJ. Rec. 1985, § 28, p. 30 133 CIJ. Rec. 1985, § 29, p. 31 134 CIJ. Rec. 1985, § 45, p. 38
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
55
une certaine prévisibilité »135. Ainsi, le juge doit prendre en compte des circonstances
pertinentes liées à la spécificité de l’espèce, mais envisage des principes plus larges que cette
affaire, afin d’obtenir des principes d’application générale.
La jurisprudence va désormais suivre cette voie là sans réels soubresauts. Dans
l’affaire qui oppose le Danemark à la Norvège au sujet de l’île de Jan Mayen qui fait face au
Groenland, la CIJ, reprenant la démonstration de la sentence arbitrale de 1977, dit que « si, à
la lumière de cette sentence de 1977, la règle équidistance/circonstances spéciales de la
convention de 1958 doit être considérée comme l'expression d'une norme générale fondée sur
des principes équitables, il doit être difficile de trouver une différence appréciable - tout au
moins en ce qui concerne une délimitation entre côtes se faisant face – entre l'effet de l'article
6 et l'effet de la règle coutumière qui requiert également une délimitation fondée sur des
principes équitables ». Il faut noter l’une des remarques très intéressantes fournie par le juge
Weeramantry. Il se réjouissait de la solution trouvée à cette affaire et expliquait au sujet du
principe des circonstances pertinentes que « ce principe est l'expression de la règle d'équité
procédurale qui veut que toutes les circonstances matérielles pertinentes pour la question
dont il s'agit soient prises en considération pour parvenir a un résultat équitable et qu'aucune
circonstance juridiquement pertinente ne soit omise en l'absence de motifs contraignants à cet
effet »136.
Dans les affaires suivantes, la cour ne revient plus véritablement sur la définition
qu’elle entend donner à l’équité. Elle applique la méthode sans mentionner l’équité. Celle-ci
transcende tout le processus de délimitation. Ainsi, dans l’affaire opposant Bahreïn à Qatar, la
CIJ dit très simplement qu’elle « examinera à présent s'il existe des circonstances spéciales
qui exigeraient d'ajuster la ligne d'équidistance tracée à titre provisoire afin d'obtenir un
résultat équitable »137, renvoyant la démonstration directement au précédent arrêt, à savoir
l’affaire de la délimitation entre le Groenland et Jan Mayen.
Plus révélateur encore est l’arrêt rendu suite au conflit dans la péninsule de Bakassi. La cour,
après avoir rappelé cette méthode, explique que « délimiter avec le souci d'aboutir à un
résultat équitable, comme le requiert le droit international en vigueur, n'équivaut pas à
135 CIJ. Rec. 1985, § 45, p. 39 136 CIJ. Rec. 1985, Opinion individuelle de M. Weeramantry, § 205 p. 266 137 CIJ. Rec. 2001, § 217, p. 104
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
56
délimiter en équité. La jurisprudence de la Cour montre en effet que, dans les différends de
délimitation maritime, l'équité ne constitue pas une méthode de délimitation mais uniquement
un objectif qu'il convient de garder à l'esprit en effectuant celle-ci »138. La CIJ incite en effet
à considérer l’équité comme étant la possibilité de corriger l’inéquité trop flagrante qui
pourrait ressortir suite à l’application d’une méthode comme celle de l’équidistance. Le juge
n’est pas libre de choisir toutes les méthodes possibles et imaginables pour parvenir à un
résultat équitable. Son intervention « arbitraire » ne se fait que si la délimitation est
inéquitable.
La sentence traitant du litige entre Guyana et le Surinam (qui se rapproche très fortement139 de
l’arrêt rendu pour le différend territorial et maritime entre le Nicaragua et la Honduras dans la
mer des Caraïbes140), assure que « the tribunal agrees that special circumstances that may
affect a delimitation are to be assessed on a case-by-case basis, with reference to
international jurisprudence and State practice »141.
Enfin, le tout dernier arrêt rendu par la CIJ en matière de délimitation maritime reprenant les
avancées de ces dernières années réécrit la méthode à utiliser pour les délimitations
contentieuses sans même évoquer l’équité. Le juge commence par établir une ligne
d’équidistance (ou médiane, mais la méthode est la même) en se basant sur des critères
objectifs. Ensuite « le tracé de la ligne finale doit aboutir à une solution équitable »142. Le
juge doit alors prendre en compte des « facteurs »143 afin d’ajuster la ligne. La dernière étape
sera de vérifier que le résultat ne soit pas inéquitable.
Les Etats ont eux aussi développé dans leurs pratiques une fonction correctrice de
l’équité, mais qui garde une grande autonomie.
138 CIJ Rec. 2002, § 294, p. 443 139 Weckel Philippe (dir.), « Chronique de jurisprudence internationale », RGDIP, 2008-1 140 Différend territorial et maritime dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), Arrêt, 8 octobre 2007, CIJ, Recueil, p. 179 141 RSA, 2007, § 303, p. 96 : « le tribunal est d’accord sur le fait que des circonstnces spéciales qui affectent une délimitation doivent être prises en compte sur la base du cas par cas en se référant à la jurisprudence internationale et à la pratique des Etats ». 142 CIJ. Rec. 2009, § 120, p. 37 143 Idem.
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
57
Section II : L’équité, fonction correctrice dans la pratique des Etats
Les Etats font preuve d’un grand réalisme dans leur pratique (A) pour pouvoir
parvenir au résultat attendu (B). Pourtant, celui-ci n’est semble-t-il, valable qu’à court ou
moyen terme.
A°/ Les réalités des délimitations maritimes entre Etats
Nous avons pu voir, les points communs entre l’équité d’une délimitation
conventionnelle et l’équité d’une délimitation judiciaire dès lors qu’on la considérait comme
créatrice d’une méthode particulière de délimitation. Pourtant, sans remettre en cause cette
origine commune, l’équité entendue comme fonction correctrice a un impact encore plus vrai
dans la pratique des Etats, et qui ira certainement prendre en considération des éléments
volontairement négligés par les juges.
Le développement exponentiel des accords de délimitation depuis la deuxième moitié
du XXème siècle tient d’abord à l’obligation qui est faite aux Etats de négocier. Cela tient
ensuite au fait que deux Etats ayant des relations diplomatiques correctes vont pouvoir
envisager de prendre en compte une multitude de considérations dans le processus de
délimitation. Ainsi, on a pu voir apparaître des zones inconnues en droit de la mer, mais dont
l’utilité est avérée. C’est le cas des zones de protection de l’environnement, créée par exemple
par le traité du 18 avril 1990 entre Trinité et Tobago et le Vénézuéla, ou celui entre l’Australie
et la Papouasie-Nouvelle Guinée du 18 décembre 1978.
Mais l’intérêt le plus flagrant pour les Etats est néanmoins la coopération ou la
négociation en matière d’exploitation d’hydrocarbures. L’exploitation du plateau continental
et de ses ressources minérales est un élément de motivation pour délimiter les frontières
maritimes. C’est ainsi que la cour internationale de justice avait dès 1969, poussé les Etats à
établir des coopérations. L’arrêt expliquait : « si […] la délimitation attribue aux parties des
zones qui se chevauchent, celles-ci doivent être divisées entre les parties par voie d’accord,
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
58
ou, à défaut, par parts égales, à moins que les parties n’adoptent un régime de juridiction,
d’utilisation ou d’exploitation commune pour tout ou partie des zones de chevauchement »144.
Ainsi, de nombreux accords comportent des dispositions sur l’exploitation des ressources
minérales et surtout pétrolières. Il existe une multitude de formes de coopération. Laurent
Lucchini et Michel Voelckel ont pu recenser différentes dispositions déjà envisagées : la
recherche d’un accord entres les parties, la fixation d’une limite physique à l’exploitation, le
partage ou encore l’exploitation conjointe organisée et institutionnalisée.
L’important, on le devine bien, est de pouvoir parvenir à un résultat qui convient aux
parties.
B°/ L’Equité et le résultat des négociations
Dès lors qu’il s’agit de négociations interétatiques, l’équité peut être comprise dans un
sens téléologique. En effet, la question que l’on peut se poser est de savoir quand est ce qu’un
résultat équitable est atteint dans des négociations entre Etats. La réponse est claire, c’est à
partir du moment où les deux Etats, par le biais d’un jeu de concessions, arrivent à la
satisfaction de chacun de ses objectifs.
Messieurs Lucchini et Voelckel considèrent que l’équité dans les accords de délimitation
désigne « l’esprit de pondération et d’équilibre qui doit présider aux négociations, et qui est
de nature à amener les parties à un résultat juste et acceptable pour chacune d’elle »145.
Ainsi, plusieurs méthodes de délimitation sont possible et même imaginable lorsque
les Etats négocient, mais nous savons qu’aucune méthode ne peut être clairement énoncée par
le droit, et qu’à chaque méthode nous pourrons avoir des excès que l’équité appelle
nécessairement à corriger. Dans cette correction, les Etats sont libres de prendre en compte
d’autres critères qui leur permettront de parvenir à la satisfaction de leurs souhaits et/ou
besoins.
144 CIJ. Rec. 1969, § 101 C.2. , p. 53 145 Voelckel M. et Lucchini L., op. cit. p. 133
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
59
Toutefois, il faut relativiser cette grande liberté laissée aux Etats. Comme nous le
verrons plus particulièrement par la suite, si les juges ont décidé de ne pas prendre en compte
des circonstances économiques dans le tracé des délimitations maritimes, c’est parce que ces
considérations sont aléatoires dans le temps. L’exploitation des ressources hydrocarbures ne
durera qu’un temps, rendant certaines délimitations injustifiées. On peut même prévoir dès à
présent des déséquilibres en matière d’exploitation des énergies. Prenons l’exemple du
développement de l’offshore éolien ou des énergies marémotrices. Ces nouvelles formes
d’exploitation doivent se faire à une assez grande distance des côtes, et dans des zones à fort
courant ou à fort vent, ce qui n’est pas le cas partout en mer et certains Etats pourraient se
trouver lésés alors qu’ils bénéficiaient de délimitations « équitables » lorsqu’ils exploitaient
des hydrocarbures. Il faudra dès lors renégocier des frontières maritimes. Toutefois, le cas ne
s’est pas encore présenté, mais peut être imaginé.
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
60
PARTIE II : L’E QUITE , UNE NOTION IDENTIFIABLE
Bien que l’équité soit difficilement appréhendable juridiquement, elle n’en demeure
pas moins une notion constante dans la jurisprudence en matière de délimitation maritime.
Quels sont les éléments qui peuvent être identifié ?
Lorsque l’on étudie la notion d’équité, il apparait que dans le processus de délimitation, elle
donne aux juges ou arbitres deux types d’obligations : une obligation de moyens (Titre I ), et
une obligation de résultat (Titre II ).
TITRE I : UNE OBLIGATION DE MOYENS : LES METHODES DE DELIMITATION
Il s’agit en effet pour le juge de mettre tout en œuvre dès le départ pour que la
délimitation soit le plus équitable possible. Ceci se traduit par une obligation de moyens
L’équité imprègne chaque étape du processus de délimitation, tant sur le point de départ
(Chapitre I ) que sur la correction d’une ligne provisoire (Chapitre II ).
CHAPITRE I : LE POINT DE DEPART : LA RECHERCHE D’UNE METHODE EQUITABLE
Le point de départ de toute délimitation est la recherche de la méthode la plus
équitable. Le débat qui anima la jurisprudence et les négociateurs lors des différentes
conférences sur le droit de la mer fût de savoir si la méthode de l’équidistance était pertinente
(Section I). Une fois la question de la ligne réglée, il faut aussi se poser la question de la zone
pertinente de délimitation (Section II).
Section I : La pertinence de la ligne d’équidistance
La question de l’équidistance fût énormément contestée (A), mais paradoxalement
souvent utilisée par ses détracteurs (B).
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
61
A°/ Une méthode contestée
Tout d’abord, la méthode de l’équidistance se définit comme étant « la ligne dont tous
les points sont équidistants des points les plus proches des lignes de bases »146 que celles-ci
soient droites ou normales. Simple, cette méthode s’est rapidement imposée. C’est le cas par
exemple, dès 1842, dans la délimitation effectuée entre la Chine et le Royaume-Uni au sujet
des eaux situées entre Hong Kong et le continent.
L’équidistance peut se décliner de différentes façons. Elle peut être simplifiée lorsque
l’équidistance stricte donne naissance à une ligne compliquée d’usage, comme elle peut être
ajustée en fonction de caractéristiques géographiques (sans pour autant leur donner toujours
leur plein effet).
Bien que mentionnée dès 1958 dans les conventions de Genève sur la mer territoriale
et sur le plateau continental, la méthode de la ligne d’équidistance n’a cessé de poser
question. En effet, l’article 6 de la convention de Genève sur le plateau continental ainsi que
l’article 12 de la convention de Genève sur la mer territoriale et la zone contigüe traitent de la
règle équidistance / circonstances spéciales. La méthode de l’équidistance doit être écartée ou
la ligne modifiée dans le cas où il existerait un titre historique (pour la mer territoriale), ou des
circonstances spéciales.
Dès 1969, la CIJ se lance dans une longue diatribe déniant ainsi à l’article 6 le caractère d’une
norme coutumière, et refusant la méthode de l’équidistance comme étant un principe inhérent
à la délimitation du plateau continental. Pourtant, la cour et les tribunaux arbitraux vont
utiliser sans cesse cette technique ou ses variantes (ligne médiane pour les côtes qui se font
face, ligne bissectrice dans le cas de lignes de bases simplifiées ou droites).
Les juges expliquent ces refus en faisant observer que « (l'opinion des juristes) a procédé, et
elle n'a cessé de procéder, de deux convictions : en premier lieu il était peu probable qu'une
méthode de délimitation unique donne satisfaction dans toutes les circonstances et la
délimitation devait donc s'opérer par voie d'accord ou d'arbitrage; en second lieu, la
délimitation devait s'effectuer selon des principes équitables. C'est en raison de la première
conviction que la Commission a donné priorité à la délimitation par voie d'accord dans le 146 Article 15 Convention de Montego Bay
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
62
projet qui est devenu l'article 6 de la convention de Genève et c'est en raison de la seconde
conviction qu'elle a introduit l'exception des ‘circonstances spéciales’. Les documents
montrent cependant que, même avec ces atténuations, les doutes ont persisté, en particulier
sur le point de savoir si le principe de l'équidistance se révélerait équitable dans tous les
cas.»147.
Dans les arrêts suivants, la cour résumera sa position en précisant que « la Chambre ne peut
donc que conclure, sous cet angle, que les dispositions de l'article 6 de la convention de 1958
sur le plateau continental, tout en étant en vigueur entre les Parties, ne comportent pas pour
ces dernières, ni pour la Chambre, une obligation juridique de les appliquer à la délimitation
maritime unique qui fait l'objet du présent procès »148.
La convention des Nations-Unies, qui sera à l’origine de la convention de Montego Bay
tiendra compte de cet opinion, n’imposant ainsi aucune méthode spécifique aux Etats et aux
juges. Il revient aux juges, arbitres et Etats de trouver la méthode la plus adaptée permettant
de parvenir à un résultat équitable. La cour résumera en 1985 sa pensée ainsi : « la Cour ne
saurait admettre que, même comme étape préliminaire et provisoire du tracé d'une ligne de
délimitation, la méthode de l'équidistance doive forcément être utilisée ... »149
Cette méthode, bien que reconnue dans la pratique comme l’une des plus employables et
surtout des plus équitables, n’en demeure pas moins d’une grande rigidité pour la flexibilité
que permet l’équité. Il semble même qu’elle se place sur un même pied d’égalité avec les
autres méthodes si l’on en croit la cour. Elle fonde son jugement en regardant la pratique des
Etats, et c’est le tribunal arbitral de 1977 qui en explique l’une des raisons : «même sous
l'angle de l'article 6 [de la convention de 1958], ce sont les circonstances géographiques et
autres qui, dans chaque espèce, indiquent et justifient le recours à la méthode de
l'équidistance comme étant le moyen de parvenir à une solution équitable, plutôt que la vertu
propre de cette méthode qui ferait d'elle une règle juridique de délimitation »150.
A côté des ces affirmations, certainement liées à un souhait de ne pas compromettre la
flexibilité propre à l’équité, les juges font largement usage de l’équidistance.
147 CIJ. Rec., 1969, § 55, p. 36 148 CIJ. Rec., 1984, § 125, p. 303 149 CIJ. Rec., 1985, § 43, p. 37 150 RSA, vol. XVIII, § 70, p. 175
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
63
B°/ Une méthode largement employée
L’arrêt de 1969 a ceci de paradoxal que les juges critiquent la méthode de
l’équidistance tout en l’utilisant par la suite. Cette critique va perdurer de manière aussi forte
jusqu’en 1985 environ.
En effet, la cour explique à cette époque que « la méthode d'équidistance non corrigée peut
laisser en dehors du calcul d'appréciables longueurs de rivage et attribuer à d'autres une
influence exagérée en raison simplement de la physionomie des relations entre les côtes »151,
ce qui lui permet d’éviter d’ériger l’équidistance comme une règle principale de délimitation.
Ceci ne l’empêche par pour autant de dire quelques lignes plus bas que « l'équité de la
méthode de l'équidistance était particulièrement prononcée dans les cas dans lesquels la
délimitation à effectuer intéressait des Etats dont les côtes se faisaient face »152.
Par ailleurs, il est à noter que de nombreux Etats demandent à ce que l’équidistance soit
utilisée par le juge. Certains la considèrent même comme une règle générale et obligatoire153.
La sentence de 1977 qui à bien des égards est en avance sur les règles applicables à la
délimitation maritime, estime qu’il est « conforme non seulement aux règles juridiques
applicables au plateau continental mais aussi à la pratique des Etats de rechercher la
solution dans une méthode modifiant le principe de l’équidistance ou en y apportant une
variante, plutôt que de recourir à un critère de délimitation tout à fait différent »154.
L’arrêt rendu par la cour en 1993 dans l’affaire Jan Mayen ne se préoccupe plus de critiquer la
méthode de l’équidistance. Se débarrassant de toutes réserves, la CIJ affirme que le droit
coutumier permet, comme première étape pour la délimitation du plateau continental et de la
zone économique, l’élaboration d’une ligne d’équidistance ou médiane (lorsque les Etats se
font faces)155.
151 CIJ., Rec. 1985, § 56, p. 44 152 CIJ., Rec. 1985, § 62, p. 47 153 C’est le cas par exemple du Canada dans l’affaire du Golfe du Maine 154 RSA, vol. XVIII, § 249, p. 254 155 CIJ., Rec. 1993, § 53, p. 62 : « Il apparaît donc que, tant pour le plateau continental que pour les zones de pêche, il est approprié en l'espèce d'entamer le processus de délimitation par une ligne médiane tracée à titre provisoire. »
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
64
La raison de ce retour en grâce ou tout du moins de son utilisation fréquente, est qu’elle
permet d’observer de prime abord si une délimitation est équitable. Par la suite, il ne reste
plus qu’à modifier le tracé pour que le résultat obtenu soit équitable.
Par la suite, les arbitres se laissent entraîner eux aussi par la facilité que représente la
méthode de l’équidistance. Pour s’en convaincre, il suffit de lire la remarque des arbitres dans
l’affaire Erythrée / Yémen : « il est généralement admis, ainsi qu’en témoignent tant les
écrits des publicistes que la jurisprudence, qu’entre des côtes se faisant face, c’est par une
ligne médiane ou d’équidistance que s’obtient en principe une frontière équitable telle que
prescrite dans la Convention, et en particulier dans ses articles 74 et 83, qui portent
respectivement sur la délimitation équitable de la zone économique exclusive et du plateau
continental entre Etats dont les côtes se font face ou sont adjacentes »156. Il est intéressant de
noter qu’il n’est plus seulement question de la jurisprudence ou de l’opinion des juristes pour
fonder cette décision. Les articles 74 et 83 de la Convention de Montego Bay, parce qu’ils
obligent les Etats à trouver une solution équitable, sont le fondement de l’emploi de la
méthode de l’équidistance.
Alors que celle-ci était mise sur un plan d’égalité avec les autres méthodes possibles, il
semblerait que sans devenir juridiquement la méthode applicable obligatoirement, elle est
obtenue la priorité. Se fondant sur la sentence concernant la mer des Caraïbes, la CIJ explique
en 2009 : « la Cour commence par établir une ligne de délimitation provisoire en utilisant des
méthodes objectives d’un point de vue géométrique et adaptées à la géographie de la zone
dans laquelle la délimitation doit être effectuée. Lorsqu’il s’agit de procéder à une
délimitation entre côtes adjacentes, une ligne d’équidistance est tracée, à moins que des
raisons impérieuses propres au cas d’espèce ne le permettent pas »157.
Pourtant, cette sentence de 2007 sur la mer des Caraïbes écarte l’emploi d’une ligne
d’équidistance. Les arbitres ont estimé qu’une telle méthode serait inappropriée en raison de
la disposition des côtes. Ils notent que « l’accrétion continue du cap risquerait […] de rendre
arbitraire et déraisonnable dans un avenir proche toute ligne d’équidistance qui serait tracée
aujourd’hui de cette façon »158. Mais il faut modérer cet emploi. En effet, une ligne
156 RSA 1996, § 131, p. 494 157 CIJ. Rec. 2009, § 116, p. 37 158 RSA 2007, § 277
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
65
bissectrice est dessinée entre les directions générales des côtes du Honduras et du Nicaragua.
Cette ligne n’est rien d’autre qu’une ligne d’équidistance simplifiée159.
Il semblerait qu’aujourd’hui nous en soyons arrivé à un stade où la méthode de
l’équidistance est devenue la méthode prioritaire sans que pour autant soient négligées les
autres méthodes possibles. Mais pour parvenir à tracer une ligne de délimitation, il convient
de délimiter la zone pertinente à cet usage.
Section II : La pertinence de la zone de délimitation
Pour que soit déterminée la zone pertinente de délimitation (A), il faut s’interroger sur
les titres qui sont à l’origine du litige (B).
A°/ Du prolongement naturel au partage équitable
La question de la pertinence de la zone de délimitation est un exemple flagrant de
l’interdépendance du plateau continental et de la ZEE, à l’origine conçues comme deux zones
maritimes absolument distinctes.
Mais avant de déterminer la zone de délimitation, se pose la question de l’existence même
d’une zone litigieuse, même si « it may appear as stating the obvious to say that if there were
no area in dispute there would be no case before the Court »160.
Avant la naissance de la notion de ZEE, la nature même du plateau continental poussa
tant les Etats que les juges à rapprocher la délimitation de cette zone de celle des territoires
terrestres. En effet, le plateau continental pouvait être déclaré unilatéralement par les Etats. Le
titre de l’Etat se fondait sur la théorie du prolongement naturel, ce que la cour explique en
disant que les droits des Etats existent « ipso facto et ab initio en vertu de la souveraineté de
l’Etat sur ce territoire (terrestre) et par une extension de cette souveraineté sous la forme de 159 Voir en ce sens : Pratt M., «Affaire relative au différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras) » , Journal judiciaire de la Haye, vol. 2, n°3, 2007 160 Evans M.D., « Relevant circumstances and maritime delimitation », Clarendon press, Oxford, 1989, p. 65 : “il peut sembler évident de dire que s’il n’y avait pas de zone de contentieux, il n’y aurait pas d’affaire devant le tribunal ».
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
66
l’exercice de droits souverains aux fins de l’exploration du lit de la mer et de l’exploitation
de ses ressources naturelles »161. Il ne s’agit donc plus là pour les Etats de créer, comme c’est
le cas pour la ZEE, une zone de novo, ni même de procéder à un partage « juste et
équitable »162. Les Etats seraient amenés à se fonder sur des critères plus géologiques que
géométriques, rejoignant par là l’idée de frontières naturelles telles qu’on peut les voir sur les
territoires terrestres. Pourtant la cour exprime déjà une nuance en affirmant que l’on doit avoir
recours à la « structure physique et géologique pour autant que cela soit possible »163.
De plus, dans la pratique, les Etats ont le plus souvent recours à des délimitations
géographiques, comme le montre la délimitation du plateau continental entre le Royaume-Uni
et la Norvège en mer du Nord. Ils utilisent une ligne médiane sans tenir compte de la fosse de
Norvège.
Avec la création des ZEE, on va finir par abandonner ou tout du moins diminuer le
critère du prolongement naturel pour voir apparaitre la notion de distance. Comme le dit le
professeur Beurier, « une frontière est avant tout politique, elle doit refléter la volonté des
Etats pour être stable »164, ce qui fait de la délimitation maritime (au même titre que la
délimitation terrestre), une « opération juridico-politique et rien ne dit que cette délimitation
doive suivre une frontière naturelle »165.
Dès 1977, le tribunal arbitral dans l’affaire franco-britannique considère que le
prolongement naturel n’est pas un « principe absolu »166. Cette théorie ne peut finalement
exister que dans le cas où il existe un plateau continental pour chaque Etat, mais la plupart du
temps, il s’agira du même plateau167, ce qui fait dire à la cour en 1978 que « ce n’est qu’en
raison de la souveraineté de l’Etat sur la terre que des droits d’exploration et d’exploitation
sur le plateau continental »168. En 1982, la cour explique que le prolongement n’est plus la
seule théorie acceptable ou en tout cas, n’est plus le fondement du raisonnement en matière de
délimitation, et c’est en 1985, au regard des évolutions de la convention de Montego Bay (qui
161 CIJ. Rec. 1969, § 19, p. 22 162 CIJ. Rec. 1969, § 15, p. 20 163 CIJ. Rec. 1969, § 101, p. 54 164 Op. cit., p. 104 165 CIJ. Rec. 1984, p. 246 166 RSA 1977, § 194 167 Affaire de la délimitation maritime entre la Guinée et la Guinée-Bissau, Sentence arbitrale, 14 février 1985, RSA, Volume XIX, § 116, p. 191 168 Affaire du plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), 19 juin 1978, Recueil CIJ, p. 3
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
67
prévoit une limite juridique à 200 milles marins) que la cour affirme que « le critère de
distance doit dorénavant s’appliquer au plateau continental comme à la zone économique
exclusive »169. Ce critère a l’avantage d’éviter les superpositions de titres de différents Etats,
avec par exemple une ZEE d’un Etat qui surplombe le plateau continental d’un autre. On peut
déjà voir s’amorcer l’idée d’une ligne de délimitation unique. Le poids joué par la distance
est de plus, lié à un souci d’égalité, afin d’éviter que les différences de structures de fonds
marins ne défavorisent certains Etats, que ceux-ci se fassent face ou que leurs côtes soient
adjacentes.
Toutefois, certains évènements récents nous permettent de douter de la disparition
définitive de la théorie du prolongement naturel, tout du moins dans la pratique ou la volonté
des Etats. Prenons l’exemple de l’océan Arctique, qui devrait prochainement être l’un des
espaces à délimiter des plus complexes. En août 2007, la Marine Russe envoie un sous-marin
nucléaire planter un drapeau au bout de la dorsale de Lomonossov, à savoir sous le pôle nord
géographique. Cette dorsale est revendiquée comme étant le plateau continental de la Russie,
sauf que le Danemark et le Canada revendiquent tous deux le plateau continental qui se trouve
sous le pôle nord. Pour le moment, aucune proposition de délimitation équitable n’a été faite.
Il ne s’agit que de revendications strictement territoriales (comme le démontre le planté de
drapeau au fond de l’eau).
B°/ La définition de la zone pertinente
La définition d’une aire de délimitation, contrairement à ce que l’on pourrait croire,
n’a rien à voir avec des considérations géographiques170. Il s’agit bien d’une définition
juridique171 dans le cadre du processus de délimitation. Elle se définit comme étant « la zone
dans laquelle les titres des Etats en présence entrent en concurrence »172. L’étendue de cette
zone aura une importance non-négligeable sur le résultat de la délimitation et surtout dans
l’optique d’un résultat équitable. Toutefois, toute la zone ne sera pas forcément nécessaire
pour poursuivre l’opération.
169 CIJ. Rec. 1985, § 34, p. 33 170 Ces considérations sont généralement traitées au début de chaque arrêt ou de chaque sentence 171 CIJ. Rec. 1984, § 41, p. 272 : « seule la notion d’aire de délimitation est une notion juridique, quoique établie sur la toile de fond de la géographie physique et politique ». 172 Lucchini L. et Voelckel M., op. cit., p. 218
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
68
La zone pertinente est certes une aire de superposition des titres, mais il demeure
difficile de déterminer les critères permettant d’en fixer les limites.
On peut faire la distinction entre trois cas de figures.
Dans un premier temps, le juge peut n’avoir qu’à se baser sur la zone telle qu’elle est
exprimée par les parties dans le compromis. Ce fût, par exemple, le cas dans l’affaire du Golfe
du Maine où les Etats-Unis et le Canada avaient donné le point de départ de la ligne de
délimitation ainsi que la figure géométrique de la zone dans laquelle cette délimitation devait
avoir lieu (cf. annexe VI).
Dans un deuxième temps, le juge peut être confronté à un compromis ne déterminant pas
précisément la zone en question. Dans ce cas là, il s’appuiera sur le compromis pour tenter de
dégager la volonté convergente des parties. Dans l’affaire opposant la Tunisie à la Libye par
exemple, les positions des deux Etats se regroupaient approximativement, ce qui permis à la
cour et lui fit dire que cela suffisait « pour le moment à définir de manière générale la région
à prendre en considération aux fins de délimitation »173.
Enfin, il est parfois nécessaire pour le juge d’apprécier les droits ou revendications éventuels
d’Etats tiers dans la zone considérée. Dans l’affaire anglo-française de 1977, le compromis
entre les parties déterminent une zone de délimitation relativement claire, hormis le problème
concernant les droits irlandais. La ligne de délimitation du plateau continental entre les deux
pays pouvait potentiellement rencontrer celle qui délimiterait les plateaux britannique et
irlandais174. L’affaire du plateau continental entre Malte et la Libye est encore plus
significative du souci qu’a le juge de ne léser aucun Etat tiers. Il va en effet se contenter de
traiter uniquement de la zone sur laquelle aucun autre Etat tiers n’a formulé de revendications.
Lorsque la zone de délimitation est clarifiée, il convient pour le juge de déterminer les
côtes pertinentes175.
La première question à se poser est de savoir comment sont projetées en mer les zones
maritimes. La CIJ donne très clairement la réponse en 1982 : « c’est la côte du territoire de
173 CIJ. Rec. 1982, § 35, p. 42 174 RSA, 1977, §§ 25-27 175 Parfois, le juge déterminer d’abord les côtes avant de définir la zone de délimitation : CIJ Rec. 2009, §§ 106-107 p. 35 (cf. Annexe VII)
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
69
l’Etat qui est déterminante pour créer le titre sur les étendues sous-marines bordant cette
côte »176. Concernant à la fois le plateau continental et la ZEE, la cour dira : « le droit
international attribue à l’Etat côtier un titre juridique sur un plateau continental adjacent ou
sur une zone maritime adjacente à ses côtes »177.
On appelle cette théorie la théorie des « projections côtières », car elle met en évidence le rôle
joué par la façade maritime, déniant par là même à la masse territoriale qu’il peut y avoir
derrière, toute fonction dans la délimitation en mer178, et déniant à la simple adjacence du
plateau continental au territoire d’un Etat un rôle dans la possession du titre179. « La terre
domine la mer »180.
Sur ces côtes pertinentes, le juge peut être amené à choisir des segments de côtes pour
le tracé de la délimitation maritime. Ce choix s’explique aisément, notamment à la lumière de
l’affaire Tunisie-Libye où la CIJ explique que « tout segment du littoral d’une partie, dont en
raison de sa situation géographique, le prolongement ne pourrait rencontrer celui du littoral
de l’autre partie est à écarter »181.
Dans la dernière affaire en matière de délimitation qui opposait l’Ukraine à la Roumanie, on
peut voir que la totalité de la côte roumaine est considérée comme pertinente, alors que la coté
ukrainienne se voit amputée d’un segment entre le port de Zaliznyy et le cap Tarkhankut (cf.
Annexe VIII ).
La ligne provisoire de délimitation déterminée, le juge peut être amené à prendre en
compte certains éléments pour corriger équitablement le tracé temporaire.
CHAPITRE II : LA CORRECTION EQUITABLE DE LA DELIMITATION
La correction équitable d’une délimitation provisoire peut être comprise comme le
cœur de l’équité dans le processus de délimitation. A la lumière de principes équitables
176 CIJ. Rec. 1982, § 73, p. 61 177 CIJ. Rec. 1984, § 103, p. 296 (dans l’arrêt les mots adjacent et adjacente sont en italique) 178 CIJ. Rec. 1985, § 49, pp. 40-41 179 CIJ. Rec. 1984, § 103, p. 296 180 CIJ. Rec. 1969, § 96, p. 51 181 CIJ. Rec. 1980, § 75, p. 61
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
70
(Section I), les circonstances pertinentes ou spéciales (Section II) vont être l’enjeu principal
de la modification du tracé.
Section I : Les circonstances pertinentes ou spéciales au regard des
principes équitables
D’après Prosper Weil, « principes équitables et circonstances pertinentes constituent
les deux faces d’une même réalité : c’est leur conjugaison qui forme l’équité en tant que
notion juridique »182.Ces deux notions sont les deux hémisphères du cerveau que serait
l’équité. L’un a une fonction généralisatrice (A) et l’autre a une fonction individualisatrice
(B).
A°/ Les principes équitables : une fonction généralisatrice
Circonstances pertinentes et principes équitables sont en soit assez difficiles à
distinguer mais vont toujours de paire. Pourtant, il ne peut s’agir de la même chose puisque
tous les arrêts ou sentences parlent encore de la règle « principes équitables / circonstances
pertinentes ».
Cette règle, comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire est à rapprocher de la règle qui
découle de la délimitation de la mer territoriale « équidistance / circonstances spéciales ».
C’est en tout cas ce que dit la cour en 1993 dans l’affaire Jan Mayen : « Il ne peut y avoir rien
de surprenant à ce que la règle équidistance/circonstances spéciales aboutisse
essentiellement au même résultat que la règle principes équitables/circonstances
pertinentes »183.
En 1985, on trouve une autre preuve de la distinction à faire entre circonstances pertinentes et
principes équitables. En effet le juge donne comme exemple de principe équitable le
« principe du respect dû à toutes ces circonstances pertinentes »184.
182 Weil. P., op. cit., p. 226 183 CIJ. Rec. 1993, § 56, p. 62 184 CIJ Rec. 1985, § 46, p. 39
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
71
Avec les principes équitables et l’ « énigme »185 qu’ils représentent, nous sommes au
cœur de la construction jurisprudentielle de l’équité. La cour en 1969 constate que les
conventions de Genève de 1958 ne sont pas applicables à l’espèce. Le juge doit pourtant
répondre à la question « d’une généralité extraordinaire »186 des principes et règles de droit
international applicables à la délimitation. La cour répond alors qu’il s’agit « d'appliquer une
règle de droit prescrivant le recours à des principes équitables conformément aux idées qui
ont toujours inspiré le développement du régime juridique du plateau continental »187. Pour
cela, les parties « sont tenues d’agir de telle sorte que, dans le cas d’espèce et compte tenu de
toutes les circonstances pertinentes, des principes équitables soient appliqués »188.
Depuis lors, les principes équitables sont systématiquement invoqués, avec ceci de
déconcertant pour les Etats, que l’on ne sait pas ce qui peut être considéré comme un principe
équitable. La cour elle-même le reconnait, en disant que le droit international « se limite à
prescrire en général l’application de critères équitables qu’il ne définit pas »189.
Seuls quelques exemples pouvaient être retenus jusqu’en 1985 : la délimitation ne doit pas
être une répartition des espaces190, la terre domine la mer191 ou encore la délimitation ne doit
pas refaire la géographie192. Ces exemples font partis de ceux résumés par la cour dans un
souci de clarification dans l’arrêt rendu dans l’affaire du Golfe du Maine193. Cet effort est
poursuivi en 1985, lorsque le juge établi une liste non-exhaustive de principes : « le principe
qu’il ne saurait être question de refaire complètement la géographie ni de rectifier les
inégalités de la nature ; le principe voisin du non-empiètement d’une partie sur le
prolongement naturel de l’autre [...], le principe du respect dû à toutes ces circonstances
pertinentes ; le principe suivant lequel, bien que tous les Etats soient égaux en droit et
185 Bedjaoui M., « L’énigme des principes équitables dans le droit de la délimitation maritime », Revista Espagnola de Derecho Internacional, 1990, p. 367 186 Highet Keith, « Les principes équitables en matière de délimitation maritime », Revue Québécoise de Droit International, volume V, 1988, p. 276 187 CIJ. Rec. 1969, § 85, p. 47 188 Idem. 189 CIJ. Rec. 1984, § 89, p. 278 190 CIJ. Rec. 1969, § 18 et 20, p. 22 191 CIJ. Rec. 1969, §96, p. 51 192 RSA 1977, § 249 193 CIJ. Rec. 1984, § 157, pp. 312-313
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
72
puissent prétendre à un traitement égal, ‘l’équité n’implique pas nécessairement
l’égalité’ [...] ; et le principe qu’il ne saurait être question d’une justice distributive »194.
Notons l’avis particulier émis par M.D. Bletcher, un auteur sud-africain, qui considère que
l’on peut voir en l’équidistance et la proportionnalité, deux principes équitables195 alors même
que la cour leur nie cette position.
La cour va elle-même reconnaître le caractère généraliste de ces principes196 mais qui
ne suffiront pas à donner un cadre juridique précis et sûr aux circonstances pertinentes. En
tout cas, à eux deux, ils s’ajustent, se compensent, se complètent afin d’assurer un résultat
équitable. Les principes équitables sont « subordonnés à l’objectif à atteindre »197, et leur
caractère équitable doit être « apprécié d’après l’utilité (qu’ils présentent) pour aboutir » à
une solution équitable »198. Purs produits de la jurisprudence, ces principes sont invoqués
dans tous les arrêts récents sans pour autant être plus clarifiés, alors que les circonstances
pertinentes semblent plus faciles à définir.
B°/ Les circonstances pertinentes et les circonstances spéciales :
une fonction individualisatrice
Les circonstances pertinentes ou spéciales ne peuvent être étudiées sans prendre en
compte le processus de délimitation dans son ensemble, auquel cas elles seraient accusées de
suite d’être l’expression d’une construction arbitraire du juge. Prises dans l’ensemble du
processus, elles constituent l’une des armes de l’équité pour parvenir à une délimitation
équitable. Elles sont le symbole de l’unicum de chaque espèce, mais sont cadrés comme nous
venons de le voir par des principes équitables et le souci d’une solution juste et équitable.
Avant toutes choses, il convient de faire une distinction entre les circonstances
pertinentes et les circonstances spéciales. Ces deux notions, certes proches, mais ne peuvent
être confondues ou tout du moins considérées comme ayant « une unité de nature »199. La
194 CIJ. Rec. 1985, § 46 p. 39 195 Bletcher M.D., «Equitable delimitation of continental shelf », AJIL, volume 73, n°1, Janvier 1979, pp. 60-88 196 Idem. 197 CIJ Rec. 1982, § 70, p. 59 198 Idem 199 Rec. CIJ 1993, Déclaration de M. Ranjeva, p. 88
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
73
cour reconnait leur proximité en 1993 en expliquant que « bien qu’il s’agisse de catégories
différentes par leur origine et par leur nom, il y a inévitablement une tendance à
l’assimilation des circonstances spéciales de l’article 6 de la convention de 1958 et des
circonstances pertinentes en droit coutumier, ne serait-ce que parce que toutes doivent
permettre d’atteindre un résultat équitable »200.
Comme le rappelle ici la cour, il faut distinguer d’une part les critères d’origine
conventionnelle et d’autre part les critères d’origine coutumière. A l’heure actuelle, seule la
délimitation de la mer territoriale selon la convention de Montego Bay nécessite l’intervention
de circonstances spéciales dont le but est la modification du résultat du tracé de la ligne
d’équidistance, ou l’utilisation d’une autre méthode de délimitation. Les circonstances
spéciales trouvent leur origine dans les conventions de Genève de 1958.
Les circonstances pertinentes découlent de l’arrêt de 1969. On s’en rappelle, cette décision ne
pouvait prendre en compte les conventions de Genève. La cour explique alors qu’ « il n’y a
pas de limites juridiques aux considérations que les Etats peuvent examiner afin de s’assurer
qu’ils vont appliquer des procédés équitables »201.
Plusieurs différences sont à noter entre « circonstances spéciales » et « circonstances
pertinentes ». Tout d’abord, il peut être fait la remarque que les circonstances spéciales
s’attachent un peu plus à des considérations géographiques202 alors que les circonstances
pertinentes sont plus diversifiées, comme nous le verront par la suite.
Les circonstances pertinentes ont un rôle d’individualisation de chaque affaire. Elles
sont à examiner dans les faits de l’espèce. Proposées par les Etats parties, il revient au juge de
faire le choix des circonstances qui s’avèrent pertinentes.
Dès 1977, le tribunal arbitral dit que c’est « dans les circonstances propres à la présente
affaire et dans l’égalité particulière des deux Etats [...] qu’il faut rechercher d’éventuelles
considérations d’équité »203. Le juge Jimenez de Arechaga expliqua pour sa part que
l’application de l’équité signifie « en fait considérer et mettre en balance les circonstances
particulières à l’espèce, de façon à statuer, non pas en appliquant rigidement un certain
nombre de règles et principes généraux et de notions juridiques formelles, mais en adaptant
et en ajustant ces principes, règles et notions aux faits, aux réalités et aux circonstances de
200 Rec. CIJ. 1993, § 56, p. 62 201 Rec. CIJ. 1969, § 93, p. 50 202 C’est le cas des îles dans l’affaire Anglo-Française de 1977 203 RSA 1977, § 195
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
74
l’espèce »204. Chaque cas étant un unicum, il n’est pas concevable d’avoir une liste détaillé et
inamovible des critères pouvant être pris en compte par les Etats et les juges. L’étendue des
circonstances pertinentes est amenée à évoluer, en fonction des avancées jurisprudentielles
mais aussi des progrès du droit de la mer et des préoccupations des Etats. On a ainsi glissé de
préoccupations géomorphologiques (liées notamment à l’importance qu’avait la théorie du
prolongement naturel) vers des préoccupations économiques. Cette évolution devrait tendre
désormais vers des préoccupations environnementales.
Le juge, malgré l’important pouvoir qui lui revient, ne peut dépasser certaines limites. Ainsi,
la CIJ explique en 1985 que « seules pourront intervenir les circonstances qui se rapportent à
l’institution du plateau continental telle qu’elle s’est constituée en droit, et à l’application de
principes équitables à sa délimitation. S’il en allait autrement, la notion juridique de plateau
continental elle-même pourrait être bouleversée par l’introduction de considérations
étrangères à sa nature »205.
Dans le processus de délimitation, la place des circonstances pertinentes a évolué.
Dans l’optique d’une équité créatrice, ces circonstances avaient plutôt tendance à intervenir
avant le choix d’une méthode de délimitation, alors que dans le cadre d’une équité correctrice,
la ligne d’équidistance, une fois tracée, peut se voir modifiée par l’intervention de
circonstances propres à l’espèce. Cette dernière méthode semble être acquise depuis quelques
années maintenant. Ainsi, la cour en 2002 expliquait qu’une fois la ligne d’équidistance
tracée, elle doit « examiner s’il existe des facteurs appelant un ajustement ou un déplacement
de cette ligne afin de parvenir à un ‘résultat équitable’ »206. Dans l’affaire de la mer Noire, le
juge précise ce qu’il entend par circonstances pertinentes. Elles « ont pour fonction de
permettre à la Cour de s’assurer que la ligne d’équidistance provisoire, tracée, selon la
méthode géométrique, à partir de points de base déterminés sur les côtes des parties, n’est
pas, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, perçue comme inéquitable »207.
Dans un souci de prévisibilité, on peut identifier un certain nombre de circonstances
pertinentes.
204 Opinion individuelle, CIJ. Rec. 1982, § 24, p. 206 205 CIJ. Rec. 1985, § 48, p. 40 206 CIJ. Rec. 2002, § 288, p. 241 207 CIJ. Rec. 2009, § 155, p. 47
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
75
Section II : Des circonstances pertinentes identifiées
Ces circonstances identifiables peuvent être classées, la plus grosse des catégories
étant celle des circonstances géographiques (A). L’économie a un moindre poids malgré
l’intérêt primordial pour les Etats (B).
A°/ Des circonstances géographiques au détriment des
circonstances géologiques
La majeure partie des circonstances prises en compte par la cour ou par les tribunaux
arbitraux sont des facteurs géographiques. Alors qu’au premier abord on serait tenté de croire
que des facteurs économiques, historiques ou géopolitiques primeraient, la géographie est
omniprésente dans les arrêts et sentences. La cour explique en 1984 que « c’est [...] vers une
application [...] de critères relevant surtout de la géographie qu’elle estime devoir
s’orienter »208. Cette importance est de deux ordres. Les circonstances géographiques peuvent
à la fois affecter le choix de la méthode de délimitation, comme elles peuvent permettre la
modification de la ligne provisoire qui est tracée.
Dans le premier cas, l’exemple le plus flagrant est la prise en compte de la
macrogéographie. Elle permet dans un premier temps de ne pas se contenter de l’aire de
délimitation, mais bien d’un ensemble géographique dans lequel peuvent se trouver d’autres
Etats dont les droits ne devraient pas être affectés. Et dans un deuxième temps, elle permet au
juge d’avoir une vision plus large pour choisir la meilleure méthode de délimitation. Ce
critère aura été longtemps débattu car en effet, à la seule échelle de l’aire de délimitation, une
situation particulière pourrait entrainer un surcroît d’attention, qui, si l’on se place à l’échelle
macrogéographique, nécessite de relativiser. Dans l’affaire du plateau continental de la mer
du Nord, le problème principal était que la république fédérale d’Allemagne se trouverait lésé
si était appliquée la méthode de l’équidistance. La cour explique « qu'étant donné la forme de
la mer du Nord, [...] la situation des Etats circonvoisins a pour conséquence naturelle de
faire converger leurs zones de plateau continental vers un point central situé sur la ligne
médiane divisant tout le lit de la mer, chacun des Etats intéressés peut, au moins dans la
208 CIJ. Rec. 1984, § 195, p. 327
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
76
partie où cette convergence existe, prétendre à ce que sa zone aille jusqu'à ce point central
(formant ainsi un secteur) »209. Cette prise en compte ne semble en tout cas pas satisfaire au
juge Koretsky qui répond à son tour que « les considérations macrogéographiques n’ont
absolument aucune pertinence, sauf dans l’hypothèse improbable où l’on souhaiterait
redessiner la carte politique d’une ou de plusieurs régions du monde »210. La cour rejette la
méthode proposée par l’Allemagne dans cette affaire, mais n’en oublie pas moins de prendre
en compte l’ensemble de l’espace géographique, sans pour autant s’atteler à la délimitation de
la mer du Nord. Elle écarte l’équidistance, reconnaissant que l’ignorance de certains critères
géographiques entrainerait une situation inéquitable211.
Dans l’affaire traitant du litige entre l’ile de Malte et la Libye, la CIJ, tout en rejetant
la demande d’intervention présentée par l’Italie, prend en considération l’ensemble de la
Méditerranée. Ainsi, la cour est amenée à réduire la zone de délimitation pour ne pas porter
atteinte aux droits italiens212.
Le litige le plus significatif date de la même année. Il s’agit de la sentence arbitrale dans
l’affaire opposant la Guinée à la Guinée-Bissau. En effet, ces deux Etats se trouvent sur les
côtes d’un golfe du même nom que se partagent de nombreux Etats. C’est pourquoi la cour
explique : « pour que la délimitation entre les deux Guinée soit susceptible d'être insérée
équitablement dans les délimitations actuelles de la région ouest-africaine et dans ses
délimitations futures telles qu'on peut raisonnablement les imaginer en recourant à des
principes équitables et d'après les hypothèses les plus vraisemblables, il convient de voir en
quoi l'allure d'ensemble de ces délimitations s'adapte à la configuration générale de la côte
occidentale d'Afrique »213. Les deux pays, si l’on prend leur « littoral court »214 ont une côte
de type concave, alors que la vue d’ensemble de la côte de l’Afrique de l’ouest offre une
vision plutôt convexe.
Ce critère macrogéographique persiste encore dans la jurisprudence malgré quelques
nuances. Il continue dans des proportions plus petites que pour le Golfe de Guinée, dans
l’affaire de la délimitation en Mer Noire. Il fallut à la CIJ prendre en compte le caractère
209 CIJ. Rec. 1969, § 15, p. 21 210 Opinion dissidente M. Koretsky, CIJ. Rec. 1969, p. 162 211 CIJ. Rec. 1969, § 89, p. 49 212 CIJ. Rec. 1985, § 22, p. 26 213 RSA 1985, § 109, p. 189 214 RSA 1985, § 108, p. 189
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
77
semi-fermé de cette mer, et surtout prendre en considération les délimitations existantes au
préalable (notamment entre la Turquie et la Bulgarie, ou entre la Turquie et l’Ukraine) afin de
ne pas empiéter dessus215.
Par ailleurs, dans l’affaire opposant le Cameroun au Nigéria, la CIJ refuse de prendre en
compte la côte « du golfe de Guinée d'Akasso (Nigéria) au cap Lopez (Gabon) »216.
Au-delà de la seule approche macrogéographique, la cour est amenée à se prononcer la
plupart du temps sur des critères qui ont trait aux caractéristiques générales de la côte. Nous
avons pu déjà voir à quel point la détermination des côtes pertinentes pour la délimitation était
importante. Elle fait partie intégrante du processus. Les côtes continuent par la suite à jouer
un rôle important. Ainsi, dès 1969, la CIJ explique que pour opérer la délimitation, il faudra
avant toutes choses considérer « la configuration générale des côtes des parties et la présence
de toute caractéristique spéciale ou inhabituelle »217. Ainsi, il revient aux juges d’étudier la
ligne de côte, sa longueur, ses sinuosités, ses promontoires ou échancrures, ses relations avec
les côtes des Etats en présence, la présence de rochers ou d’un chapelet d’îles à ses abords. La
présence d’une île ou d’îles, et que celles-ci soient considérées comme principales ou
secondaires est une question récurrente dans le processus de délimitation.
L’approche géographique prise par les juges et arbitres va masquer très rapidement, la
tendance insufflée par la CIJ dans l’affaire de la mer du Nord. En effet, la cour considérait que
dans le cadre du développement du plateau continental, la plupart des facteurs à prendre en
compte étaient d’ordres géologiques ou géomorphologiques. Elle les place au premier chef.
Ainsi explique-t-elle que « l'institution du plateau continental est née de la constatation d'un
fait naturel et le lien entre ce fait et le droit, sans lequel elle n'eût jamais existé, demeure un
élément important dans l'application du régime juridique de l'institution »218. Dans cette
affaire, le juge va donc imposer aux parties de prendre en compte lors de la délimitation,
« pour autant que cela soit connu ou facile à déterminer, la structure physique et géologique
et les ressources naturelles des zones de plateau continental en cause »219.
215 CIJ. Rec. 2009, §§ 169-178, pp. 52-54 216 CIJ. Rec. 2002, § 291, p. 442 217 CIJ. Rec. 1969, § 101, p. 54 218 CIJ. Rec. 1969, § 95, p. 51 219 CIJ. Rec. 1969, § 101, p. 54
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
78
Ces critères découlent de l’application prônée par la cour de la théorie du prolongement
naturel dont on a déjà vu qu’elle fut par la suite largement abandonnée, ou tout du moins
minorée. Dès 1982, la cour refusant de délimiter le plateau continental (lequel appartient à
deux Etats sans distinctions géologiques) en tirant des circonstances du principe du
prolongement naturel, la portée des circonstances géologiques et géomorphologiques vont
diminuer. A l’instar de M.D. Evans, nous pouvons affirmer au sujet du critère géologique :
« it has now a residual role and is more important as a conceptual statement than as a
practical means of achieving a solution to a dispute »220. Et c’est au tribunal arbitral de la mer
constitué en vertu de l’annexe VII de la convention de Montego Bay dans l’affaire opposant
la Barbade à Trinité-et-Tobago de dire que « the identification of the relevant circumstances
becomes accordingly a necessary step in determining the approach to delimitation. That
determination has increasingly been attached to geographical considerations »221.
B°/ Le poids de l’économie
La question de facteurs liés à l’économie, à la répartition des ressources ou à
l’environnement socio-économique est récurrente dans le sens où une délimitation peut
s’avérer pour un Etat, ou tout du moins ses citoyens, catastrophique sur le plan économique.
Ce genre de situation peut entrainer de graves complications sur le plan des relations
bilatérales.
Dans presque chaque contentieux, un des Etats parties demande au juge de prendre en compte
un critère d’ordre économique ou socio-économique et théoriquement, tout critère pourrait
être pris en compte : « tout fait quelconque, qu’il soit géographique, historique, diplomatique,
économique ou autre, susceptible, par sa nature, ou son poids dans l’ensemble du contexte,
d’avoir une influence sur l’opération de délimitation, constitue une circonstance
pertinente »222.
220 Ibid., p. 118 : “il a désormais un rôle mineur et est plus important qu’en tant que déclaration conceptuelle qu’en tant que moyen d’atteindre la résolution d’un différend » 221 RSA, volume XVII, § 233, p. 71 : « l’identification de circonstances pertinentes est par conséquent devenue une étape nécessaire pour déterminer une méthode de délimitation. Cette détermination a de plus en plus été liée à des considérations géographiques ». 222 Achour Yadh Ben, « L’affaire du plateau continental tuniso-libyen (analyse empirique) », Journal du droit international, n°110, 1983, p. 265
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
79
Pourtant, la cour exprime très clairement et très fermement sa position en ce qui concerne les
considérations ayant trait à la disparité de développement économique : « La cour estime que
ces considérations économiques ne sauraient être retenues pour la délimitation des zones de
plateau continental relevant de chaque partie. Il s’agit de facteurs quasiment extrinsèques,
puisque variables et pouvant à tout moment faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre
de façon imprévisible, selon les heurs ou malheurs des pays en cause. Un pays peut être
pauvre aujourd’hui et devenir prospère demain à la suite d’un évènement tel que la
découverte d’une nouvelle richesse économique »223. La CIJ emploiera la même fermeté dans
l’affaire Libye/Malte où elle expliquera de manière plus pédagogique encore que « la cour ne
considère [...] pas qu’une délimitation doive être influencée par la situation économique
relative des deux Etats concernés, de sorte que le moins riche des deux verrait quelque peu
augmentée, pour compenser son infériorité en ressources économiques, la zone du plateau
continental réputée lui appartenir. De telles considérations sont tout à fait étrangères à
l’intention qui sous-tend les règles applicables du droit international. Il est clair que ni les
règles qui déterminent la validité du titre juridique sur le plateau continental, ni celles qui ont
trait à la délimitation entre pays voisins ne font la moindre place aux considérations de
développement économique des Etats en cause »224.
Ces explications sont en soit totalement compréhensibles dans le sens où les richesses
exploitées actuellement ou au moment de la délimitation, ne seront pas les mêmes trente ou
quarante ans plus tard. Prenons l’exemple des ressources énergétiques. L’une des principales
ressources actuellement exploitée sur le plateau continental est le pétrole. Or, celui-ci tend à
disparaître. Si une délimitation est effectuée en prenant en compte les ressources de pétroles
présentes dans les fonds sous-marins, le partage peut sembler équitable quelques temps. Le
jour où la ressource est épuisée et que l’on passe à un autre mode de fourniture d’énergie, la
délimitation pourra paraître inéquitable. Si l’on en vient à utiliser les forces marémotrices, un
Etat pourrait se retrouver lésé par rapport à l’autre d’un point de vue strictement économique.
Toutefois, la cour prendra par la suite la même posture225 que le tribunal arbitral dans
l’affaire des deux Guinées. En l’espèce, les arbitres avaient adouci le ton à ce sujet en
déclarant que le tribunal ne peut pas « perdre de vue la légitimité des prétentions en vertu
223 CIJ. Rec. 1982, § 107, p. 77 224 CIJ. Rec. 1985, § 50, p. 41 225 CIJ. Rec. 1993, § 80, p. 74
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
80
desquelles les circonstances économiques sont invoquées, ni contester le droit des peuples
intéressés à un développement économique et social qui leur assure la jouissance de leur
pleine dignité »226.
Déjà en 1984, la cour dans l’affaire du Golfe du Maine avait eu une attitude laissant entrevoir
que des considérations économiques ne pourraient être négligées dans un cas extrême alors
qu’en l’espèce, elle refusait la moindre pertinence à ces arguments. Elle expliqua donc « que
l'ampleur respective de ces activités humaines liées à la pêche - ou à la navigation, à la
défense, ou d'ailleurs à la recherche et à l'exploitation d'hydrocarbures - ne saurait entrer en
considération en tant que circonstance pertinente [...]. Le scrupule que la Chambre estime
justifié d'avoir est celui de s'assurer que le résultat global, [...] ne se révèle pas d'une manière
inattendue comme radicalement inéquitable, c'est-à-dire comme susceptible d'entraîner des
répercussions catastrophiques pour la subsistance et le développement économique des
populations des pays intéressés »227. Par la suite, le juge fait le constat que la répartition des
ressources naturelles ne serait pas dramatiquement dommageable pour les populations. Il
s’agissait en l’espèce, de la présence de pétoncles péchés par les pêcheurs canadiens.
Le rejet de ces considérations d’ordre économique semble pourtant aller à l’encontre
de la prise en compte des ressources biologiques. En effet, dès 1951, dans l’affaire des
pêcheries, le juge avait estimé qu’il fallait « faire place à une considération dont la portée
dépasse les données purement géographiques : celle de certains intérêts économiques propres
à une région lorsque leur réalité et leur importance se trouvent clairement attestés par un
long usage »228. Cette formule fut reprise aux articles 4 § 4 de la convention de Genève sur la
mer territoriale et à l’article 7 § 5 de la convention de Montego Bay.
L’affaire des pêcheries entre le Royaume-Uni et l’Islande fut encore plus révélatrice du souci
du juge concernant la question de la dépendance économique des Etats. La cour y développe
le « concept de droits préférentiels pour les Etats riverains, particulièrement en faveur de
pays ou territoires dans une situation de dépendance spéciale à la pêche côtière »229. Bien
sur, ces deux affaires ne sont pas à proprement des litiges concernant la délimitation maritime.
Il s’agissait dans le premier cas de la question des lignes de bases droites décrétées par la
226 RSA 1985, § 123 227 CIJ. Rec. 1984, § 237, p. 342 228 Affaire des pêcheries, Arrêt du 18 décembre 1951, CIJ. Recueil 1951, p. 133 229 CIJ. Rec. 1974, § 58, p. 3
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
81
Norvège, et dans le deuxième cas, de la création par l’Islande d’une zone de pêche réservée.
Dans l’affaire entre Malte et la Libye, cette dernière expliqua dans son mémoire que dans
« les disputes concernant les limites de pêche [...] la dépendance économique de la
population riveraine est un facteur pertinent »230. Or, la délimitation en cause ne concernait
que le plateau continental et non la ZEE. La cour explique que cet argument ne peut être
invoqué pour une telle délimitation.
Cette question nous permet de relever le paradoxe inhérent à la délimitation par le
biais d’une ligne unique. En effet, les circonstances pertinentes utilisables dans le cadre d’une
délimitation du plateau continental ne peuvent être considérées comme les mêmes que celles
s’attachant à la délimitation de la ZEE. Or, afin d’obtenir une ligne unique, le juge ou l’arbitre
se retrouvent obliger de sélectionner parmi les différentes circonstances pertinentes proposées
par les Etats, des critères qui lui permettent de parvenir à un résultat qui peut sembler
équitable aux vues de ces deux types d’espaces.
Au final, une considération qui aurait pu passer au premier plan comme ce fut le cas dans
l’affaire des pêcheries de 1951, se retrouve finalement, comme dans l’affaire du Golfe du
Maine à participer au processus de vérification de l’équité du résultat231.
Exceptionnellement, en 1993, la cour fait repasser dans les circonstances pertinentes, la
question de l’accès aux ressources biologiques et elle s’interroge sur la nécessité qu’il y aurait
« de déplacer ou d’ajuster la ligne médiane, comme ligne de délimitation des zones de pêche,
pour assurer aux fragiles communautés de pêche intéressées un accès équitables à la
ressources halieutiques que constitue le capelan »232. En 2001, dans l’affaire de la
délimitation maritime entre Qatar et Bahreïn, elle écarte l’idée que l’existence de bancs
d’huitres perlières puisse faire écarter la ligne d’équidistance233 et en 2006, les arbitres
écartent purement et simplement la prise en considération de l’exploitation des ressources aux
fins de la délimitation. Elle invoque l’arrêt Golfe du Maine pour le justifier et souligne que le
résultat de l’opération de délimitation pourra toutefois être modifié s’il avait des
conséquences catastrophique pour la population concernée.
230 Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne / Malte), Mémoire de la Libye, p. 114, n. 3 231 CIJ. Rec. 1984, § 237, p. 342 232 CIJ. Rec. 1993, § 75, pp.71-72 233 CIJ. Rec. 2001, § 236, p. 113
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
82
Aujourd’hui, les principales ressources naturelles qui distribuent les cartes de la
géopolitique mondiale sont le pétrole et le gaz que l’on peut trouver sur le plateau continental.
Pour s’en convaincre, il suffit de voir la bataille acharnée que se mènent les Etats qui se
situent dans le cercle arctique, ou encore les chinois et les Japonais en mer de Chine. Dans les
conflits récents, plusieurs incidents eurent lieu en mer en raison de ces ressources. Ce fut le
cas dans l’affaire qui opposa le Surinam et le Guyana. Le tribunal arbitral avait du engager la
responsabilité de l’Etat du Surinam suite à des actions de type militaire visant à faire fuir des
navires du Guyana234. En tout cas, dans toute la jurisprudence récente, les juges et arbitres se
refusent à prendre en compte l’existence de concessions d’exploitation pétrolière : « les
concessions pétrolières et les puits de pétrole ne sauraient en eux-mêmes être considérés
comme des circonstances pertinentes justifiant l’ajustement ou le déplacement de la ligne de
délimitation provisoire. Ils ne peuvent être pris en compte que s’ils reposent sur un accord
exprès ou tacite entre les parties »235.
On constate avec le temps que la cour, malgré son empressement dans les affaires des
pêcheries, étudie toujours les facteurs économiques sans les prendre en compte, hormis si la
délimitation venait à avoir un impact catastrophique pour les populations riveraines.
234 Guyana c. Surinam, 2007, § 445 235 CIJ. Rec. 2002, § 304, p. 447
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
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TITRE II : UNE OBLIGATION DE RESULTAT : L’OBTENTION D’UN RESULTAT EQUITABLE
Une autre obligation incombe au juge : obtenir un résultat équitable. Il en a les moyens
entres mains. Il lui faut désormais appréhender l’équitable parmi tous ces éléments (Chapitre
I ) et vérifier l’équité du résultat (Chapitre II ).
CHAPITRE I : L’APPREHENSION DE L’EQUITABLE PAR LE JUGE
Le juge a déterminé la méthode de délimitation et pris en compte les circonstances
particulières à l’affaire que lui ont proposées les parties. Il lui reste désormais à modifier la
ligne de délimitation dans le but d’atteindre un résultat équitable. Il doit donc traduire dans
l’opération, l’effet qu’il accorde à une circonstance pertinente ou à un territoire donné
(Section I) et faire le balancement entre ces diverses circonstances qui peuvent parfois être
opposées (Section II).
Section I : L’effet accordé aux circonstances pertinentes
Pour comprendre l’effet qui peut être accordé aux circonstances pertinentes, le plus
caractéristique est d’étudier le cas des îles (A) et l’effet qui leurs sont accordées (B).
A : Les territoires insulaires
Les îles sont la source majeure à l’origine du contentieux des délimitations maritimes.
Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler que les différends les plus commentés concernent
l’île de Malte, l’île de Jan Majen, l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon, les îles anglo-
normandes, ou encore l’île des Serpents.
Notre objectif est de faire la distinction entre deux types d’îles : les îles que l’on peut qualifier
d’Etats insulaires, et les îles politiquement dépendantes (mais qui sont l’objet de la
délimitation). Ces deux situations semblent a priori fort différentes mais l’évolution de la
jurisprudence tend à démontrer le contraire. Leurs qualités différentes pourraient modifier la
délimitation. La sentence de 1977 semble aller dans cette direction. En effet, le Royaume-Uni
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
85
souhaite le tracé d’une ligne médiane entre la France et les Îles Anglo-normandes. Pour eux, il
s’agit d’îles semi-indépendantes donc qui ont un titre pour revendiquer le plateau continental
jouxtant leurs côtes. . Ils demandent « au tribunal de les considérer en fait comme des Etats
insulaires distincts pour ce qui est de la détermination du plateau continental qui leur
revient »236. La cour étudie avec intérêt cet argument, mais elle rejette les prétentions
britanniques en considérant les Îles anglo-normandes comme des îles dépendantes du
Royaume-Uni. Le juge, dans son argumentation, fait finalement la distinction entre les deux
types d’îles même s’il rejette les prétentions anglaises. Cela autorise à penser que si la réponse
de la cour avait été différente, la délimitation aurait été différente et donc plus avantageuse
pour le Royaume-Uni, puisque bénéficiant du plateau continental afférent aux Îles Anglo-
normandes.
Dans le conflit entre Libye et Malte, la CIJ doit prendre en compte la nature insulaire de
Malte. Pourtant la cour ne fait pas de distinction particulière. Elle note que la relation entre
les côtes de Malte et « celles de ses voisins n’est pas la même que si elle faisait partie du
territoire de l’un d’entre eux »237.
Le tribunal arbitral constitué dans l’affaire opposant la France au Canada en 1992, va
clairement affirmer que le statut politique ne modifie en rien la possession du titre. En effet, il
explique que « rien ne permet de soutenir que l’étendue des droits maritimes d’une île dépend
de son statut politique »238. S’appuyant sur la convention de Montego Bay pour défendre sa
position (article 121 § 2), elle dit que les termes employés en 1985 « donnent à penser à une
égalité de traitement plutôt qu’à un traitement amoindri pour les îles politiquement
dépendantes »239.
Dans l’affaire Jan Mayen, le Danemark demandait à la cour de ne pas appliquer la méthode
d’équidistance car faisant face au Groenland, l’île Jan Mayen ne peut être considérée comme
un territoire d’importance égale puisqu’elle n’est pas habitable. La cour n’en tient pas compte
et ne développe même pas sa position.
236 RSA 1977, volume XVIII, § 184 237 CIJ. Rec. 1985, § 53, p. 42 238 RSA 1992, volume XVIII, § 49, p. 694 239 RSA 1992, volume XVIII, § 50, p. 695
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
86
Dans le dernier litige concernant une île, en 2001, la cour est face à une situation compliquée.
Avant de se lancer dans la délimitation des zones maritimes, elle se doit de statuer sur la
souveraineté de différentes iles. De là, dépendent beaucoup de choses, car le Royaume de
Bahreïn est composé d’une île principale et d’une multitude d’îles autour. Bahreïn prétend
être un Etat archipel de facto, ce qui entraînerait un régime particulier, si tel était le cas. Ce
régime permettrait notamment la possibilité de tracer des lignes de bases droites. La cour
refuse de statuer sur la question, et prend alors comme base de la délimitation la laisse de
basse mer de toutes les iles composant l’Etat Bahreïni. A côté de ce Royaume, se trouve
l’Emirat du Qatar. Il s’agit d’une presqu’ile près de laquelle se trouvent des îles au cœur du
litige : les îles Hawar (cf. Annexe IX).
Une fois, la question de la souveraineté des îles réglée, la cour va appliquer la méthode de
l’équidistance en donnant la même valeur à toutes les îles (cf. Annexe X).
Ce n’est en effet pas toujours le cas depuis que les juges ont développé la technique de
l’effet partiel.
B : La technique de l’effet partiel
La question qui nous intéresse ici est de savoir comment le juge prend en compte les
différentes circonstances pertinentes dans le processus de délimitation. En effet, il peut
reconnaitre à tel ou tel élément la valeur de circonstance pertinente, mais quel impact, celle-ci
aura sur la délimitation ?
C’est ainsi qu’intervient la technique que l’on peut nommer de l’effet partiel, déjà largement
utilisée dans les délimitations par voie conventionnelle. C’est encore une fois les îles qui vont
pousser au développement de cette technique. Cette dernière « a pour conséquence de ne
conférer qu’une projection limitée à une caractéristique géographique se trouvant dans la
zone où la délimitation doit intervenir »240.
Les arbitres internationaux vont commencer à utiliser cette méthode en 1977, rappelant son
origine conventionnelle. Elle explique que « dans la pratique des Etats, on trouve un certain
240 Lucchini L. et Voelckel M., op. cit., p. 157
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
87
nombre d'exemples de délimitations dans lesquels on n'a reconnu que des effets partiels à des
îles situées au large, à l'extérieur de la mer territoriale de la masse terrestre »241. Elle précise
ensuite que « la méthode adoptée varie, dans chaque cas, selon les diverses circonstances
géographiques et autres; cependant, dans un cas au moins, la méthode employée a consisté à
attribuer, non pas un plein effet mais un demi-effet à une île située au large, pour la fixation
de la ligne d'équidistance »242.
En l’espèce, le tribunal arbitral va s’en servir pour donner un effet relatif aux îles dites des
Sorlingues. Pour cela, la cour commence par tracer une ligne d’équidistance ne prenant pas en
compte les îles en question, puis une deuxième les prenant en compte. La ligne définitive sera
la ligne tracée entre ces deux lignes (cf. Annexe V).
Dans l’affaire Tunisie-Libye, la cour réutilise cette méthode. Elle peut l’appliquer à toutes
circonstances qui lui semblent pertinentes. Ainsi, elle précise que « la méthode adoptée varie
en fonction des diverses circonstances, géographiques et autres, caractérisant le cas d'espèce.
Une technique utilisable à cette fin, quand une méthode de délimitation géométrique est
appliquée, est celle du demi-effet ou du demi-angle »243. En l’espèce, elle l’utilise la méthode
du demi-effet pour les îles Kerkennah.
Dans l’affaire du Golfe du Maine, la position stratégique de l’île de Seal pousse la cour à
« donner à cette île un demi-effet »244. Le tribunal arbitral dans l’affaire qui oppose le Sénégal
à la Guinée ne reconnait qu’un demi-effet à l’archipel « allant d'Acudama à Ancumbe »245.
Parfois, la cour dénie tout effet à une île ou un rocher. C’est par exemple le cas dans
l’affaire du plateau continental entre la Tunisie et l’île de Malte. Elle explique que « dans ce
cas, l'effet équitable d'une ligne d'équidistance dépend de la précaution que l'on aura prise
d'éliminer l'effet exagéré de certains îlots, rochers ou légers saillants des côtes »246. Ainsi,
elle refuse de donner effet à l’îlot maltais de Filfla. Elle donnera par ailleurs un quart d’effet à
d’autres îlots maltais247. Dans l’affaire opposant Qatar à Bahreïn, le juge refuse de donner un
241 RSA 1977, volume XVIII, § 251, p. 255 242 Ibid. 243 CIJ. Rec. 1982, § 129, p. 89 244 CIJ. Rec. 1984, § 222, p. 337 245 RSA 1989, volume XX, § 145, p. 207 246 CIJ. Rec. 1985, § 64, p. 48 247 CIJ. Rec. 1985, § 73, p. 52
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
88
effet à un saillant de la côte de Bahreïn qu’est Fasht al Jarim au motif que la délimitation
« n'aboutirait pas à une solution équitable »248.
Pour la délimitation de la mer Noire, la cour pratique un ajustement pour le moins surprenant.
En effet, l’île des Serpent, source principale du litige opposant l’Ukraine à la Roumanie est
sous souveraineté ukrainienne. La cour refuse de lui accorder le moindre effet dans
l’établissement de la ligne d’équidistance. Par contre, une fois la ligne établie, elle ajuste
celle-ci afin de prendre en compte la limite extérieure des 12 milles de la mer territoriale dont
est dotée l’île. Ainsi, on peut dire que l’île des Serpents est dotée d’un effet relatif sans pour
autant qu’il soit d’un demi ou d’un quart (cf. Annexes XII et XIII ).
La jurisprudence en matière de délimitation n’a donné que des exemples concernant
des îles, mais à l’instar de M.D. Evans, nous pouvons dire que « although the examples are
all islands, there is no reason why a similar solution could not be adopted for other types of
geographical feature, if considered appropriate »249.
Section II : Le balancement entre les différentes circonstances pertinentes
Parmi toutes les circonstances pertinentes présentées au juge, il convient qu’il fasse le
balancement entre toutes celles-ci (A), bien que cette idée semble opaque à certains auteurs et
par là même inutile (B).
A : L’affirmation du principe
Comme nous avons pu déjà le voir, le juge doit faire le choix des circonstances qu’il
considère comme pertinentes en l’espèce aux fins de délimitation. Il ne lui reste plus alors
qu’à « mettre en balance » toutes les circonstances retenues pour parvenir à une solution
équitable. Dès 1969, la cour explique que « c’est le plus souvent la balance entre toutes ces
248 CIJ. Rec. 2001, § 248, p. 115 249 Evans M.D., op. cit., p. 149 : « bien que ces exemples ne soient que des îles, il n’y a pas de raisons qui empêcherai l’adoption de solutions similaires pour d’autres caractéristiques géographiques, si cela est considéré comme approprié »
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
89
considérations qui créera l’équitable plutôt que l’adoption d’une seule considération en
excluant toutes les autres »250.
Ce balancement entre différents facteurs nécessite à la fois de prendre en compte le poids d’un
élément en fonction de sa nature propre, et dans un deuxième temps, dans son rapport aux
autres circonstances. La prise en compte d’une circonstance peut s’avérer nécessaire pour le
tracé d’une ligne de délimitation, mais cette circonstance peut aussi aller à l’encontre d’autres
critères tout aussi valables. Le juge a là une obligation de pondération très délicate. Michel
Voelckel et Laurent Lucchini parlent ainsi d’une « opération chimique »251 et Prosper Weil
d’ « images empruntées du monde des poids et mesures »252. En effet, c’est ce qu’explique la
cour en affirmant qu’elle doit « peser soigneusement les diverses considérations qu'elle juge
pertinentes, de manière à aboutir à un résultat équitable »253. Plus loin, en parlant de la
présence de puits de pétrole, le juge se réfère au « processus au cours duquel tous les facteurs
pertinents sont soigneusement pesés pour aboutir à un résultat équitable »254
Cette mise en balance effectuée par le juge a un rôle important. Ce sont sur ses épaules
que repose la pondération des différentes circonstances. La cour reconnaît elle-même le poids
que cela représente dans l’affaire Jan Mayen : « une cour appelée à rendre un jugement
déclaratoire sur une délimitation maritime, et à fortiori une cour appelée à effectuer elle-
même une délimitation, aura par conséquent à déterminer quel doit être l'équilibre entre
diverses considérations dans chaque cas »255.
Pourtant, certains auteurs ont pu mettre en doute l’intérêt et l’objectivité d’une telle
méthode.
250 CIJ. Rec. 1969, § 93, p. 50 251 Voelckel M. et Lucchini L., op. cit. p. 281 252 Weil. P., « The law of maritime delimitation – reflections », Grotius publications, Cambridge, 1989, p. 267 253 CIJ. Rec. 1982, § 71 p. 60 254 CIJ. Rec. 1982, § 107, p. 78 255 CIJ. Rec. 1993, § 58, p. 63
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
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B : Un « faux problème »
L’affirmation de la cour d’une mission de mise en balance des différentes
circonstances pertinentes dans l’objectif de trouver une solution équitable cache une opération
opaque. Ce balancement est qualifié par Prosper Weil de « faux problème »256.
En effet, à aucun moment le juge ou l’arbitre n’expliquent la méthode réellement
employée pour parvenir à un résultat en mettant en équilibre les différents facteurs reconnus à
chaque espèce. Le juge est discret sur son « opération chimique ». Cela laisse alors une place
importante au pouvoir d’appréciation du juge, et certains iront jusqu’à dire qu’il s’agit là d’un
pouvoir arbitraire du juge. Il le reconnait lui-même dans l’affaire Tunisie / Libye où il dit que
« il n'existe pas de règles rigides quant au poids exact à attribuer à chaque élément de
l'espèce ». Il tient ensuite à contrer les critiques éventuelles en affirmant que l’ « on est
cependant fort loin de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire ou de la conciliation »257.
Il faut toutefois relativiser ce vocabulaire excessif et trouver des indices dans la
jurisprudence internationale.
On le sait déjà, les circonstances pertinentes ne peuvent être étudiées sans les principes
équitables. A eux deux, ils sont le mécanisme qui permet au juge de se donner les moyens de
faire une délimitation équitable. Ainsi, dans l’affaire Libye / Malte, il est dit que « s’il est vrai
que les circonstances de chaque cas de délimitation maritime différent, seul un ensemble clair
de principes équitables peut permettre de leur reconnaître le poids qui convient et d’atteindre
l’objectif du résultat équitable prescrit par le droit international général »258.
Dans l’affaire Jan Mayen, la cour tient à justifier ses prises de décisions qui lui semblent, à
juste titre, très importantes car dépourvues de cadre stricte. C’est pourquoi, elle explique que
pour effectuer ce balancement entre critères, « elle analysera non seulement ‘les
circonstances de l'espèce’, mais encore la jurisprudence et la pratique des Etats. A cet égard,
la Cour rappelle la nécessité, mentionnée dans l'affaire Libye/Malte, de ‘la cohérence et
d'une certaine prévisibilité’ (C.I.J. Recueil 1985, p. 39, par. 45) »259.
256 Weil. P., op. cit. , p. 266 257 CIJ. Rec. 1982, § 71, p. 60 258 CIJ. Rec. 1985, § 76, p. 55 259 CIJ. Rec. 1993, § 58, p. 63
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
91
En 2001, elle se contente d’expliquer pourquoi elle refuse de donner de l’effet au saillant
Fasht al Jarim. En effet, la délimitation « n'aboutirait pas à une solution équitable qui tienne
compte de tous les autres facteurs pertinents »260.
Le manque de clarté sur la mise en balance effectuée par le juge peut toutefois
s’expliquer. Comme le dit P. Weil, « par une chance heureuse »261, la cour n’a jamais eu
d’oppositions importantes entre différentes circonstances pertinentes. Mais, ce ne sera pas
toujours forcément le cas. Ainsi, la cour doit prévoir cette possibilité. C’est ainsi qu’elle
trouve dans la méthode de la mise en balance une solution.
CHAPITRE II : LA VERIFICATION DE L’EQUITE DU RESULTAT
La question qui hante tout le processus de délimitation des frontières maritimes est de
savoir comment on peut évaluer l’équité de cette opération. Dès 1969, une méthode a été mise
en place, évoluant au gré des affaires, et suscitant toujours autant d’interrogations. En effet,
dès le début est envisagé d’évaluer l’équitable par le biais de la méthode de la
proportionnalité. Deux questions sont inhérentes à cette méthode : quelle est la place de cette
vérification (Section I), et comment est-elle mise en œuvre ? (Section II).
Section I : La place de la vérification dans le processus
La jurisprudence offre deux visions possibles, semant à chaque fois un peu plus le
doute sur le fondement d’une telle méthode. En effet, certains arrêts ont entendu effectuer un
test de proportionnalité (A) à la fin du processus de délimitation, tandis que d’autres ont
préféré écarter ce test final au prétexte qu’il se faisait durant le tracé de la ligne et pendant la
pondération des circonstances pertinentes. Cela nous permet de nous poser la question de la
position de ce test dans le processus de délimitation (B).
260 CIJ. Rec. 2001, § 248, p. 115 261 Weil P., op. cit. p. 267
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
92
A : Le test de proportionnalité
Nous avons déjà pu le dire et le voir : déterminer ce qui est équitable est un exercice
hautement périlleux pour la cour si elle ne veut pas se voir qualifiée de juge partial, aux
jugements arbitraires. Il est donc important de comprendre le mécanisme que l’on entend par
test de proportionnalité.
Dès 1969, la cour y fait référence dans la conclusion de l’arrêt en parlant de facteurs à prendre
en compte dans les négociations entre les parties. Elle explique que doit être évalué le
« rapport raisonnable qu'une délimitation opérée conformément à des principes équitables
devrait faire apparaître entre l'étendue des zones de plateau continental relevant de 1'Etat
riverain et la longueur de son littoral »262. Il s’agit donc de l’évaluation du rapport entre les
zones délimitées et la longueur des côtes des Etats en présence. En 1977, dans la sentence
arbitrale concernant le litige franco-britannique, les arbitres qualifient la proportionnalité
comme un « critère d'évaluation des considérations d'équité pour certaines situations
géographiques »263. Elle fut même considérée comme une circonstance pertinente dans
l’affaire Tunisie-Libye264. A partir de 1985, les choses s’éclaircissent. Il est fait mention d’un
test de proportionnalité dont la définition devient très arithmétique, avec certainement
l’intention, en faisant intervenir les sciences exactes, de donner un peu plus de certitude au
processus de délimitation. C’est ainsi que la cour explique que le test « consiste à déterminer
les ‘côtes pertinentes’ et les ‘zones pertinentes’ du plateau continental, à calculer les rapports
arithmétiques entre les longueurs de côte et les surfaces attribuées, et finalement à comparer
ces rapports, afin de s'assurer de l'équité d'une délimitation »265.
Pourtant, une délimitation maritime ne peut être strictement proportionnelle. Ce n’est
en aucun cas l’esprit du droit de la mer en la matière. C’est ce qu’a pu exprimer en tout cas la
cour dans l’affaire du Golfe du Maine en 1984, en déclarant qu’« une délimitation maritime
ne saurait […] être établie en procédant directement à une division de la zone en
contestation, proportionnellement à l'extension respective des côtes des parties de l'aire
concernée, mais [...] une disproportion substantielle par rapport à cette extension, qui
262 CIJ Rec. 1969, § 101 D, p. 54 263 RSA 1977, § 246 p. 253 264 CIJ. Rec. 1982, § 133, p. 93 265 CIJ. Rec. 1985, §74, p. 53
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
93
résulterait d'une délimitation établie sur une base différente, représenterait non moins
certainement une circonstance appelant une correction adéquate »266.
Il convient de noter l’ambiguïté de telles hésitations de la part de la cour. Elle est
tiraillée entre un souci de justifications arithmétiques et une délimitation qui doit parvenir à
un résultat équitable, difficilement appréciable par les seules opérations mathématiques. Nous
verrons par la suite que ces hésitations vont trouver des réponses dans la jurisprudence des
tribunaux arbitraux.
B : La position du test dans le processus de délimitation
C’est de manière naturelle que nous allons retrouver le critère de proportionnalité à
l’issue de la construction d’une ligne de délimitation. Il s’agit de la dernière étape du
processus.
C’est ainsi qu’en 1982, la cour examine le rapport de proportionnalité entre les zones
tunisiennes et libyennes, bien que le point final de la délimitation soit indéterminée (en raison
de la présence d’autres Etats dans la région). Elle effectue ces calculs dans les derniers
paragraphes, permettant ainsi aux juges de déclarer que « de l'avis de la Cour, ce résultat, qui
tient compte de toutes les circonstances pertinentes, paraît satisfaire au critère de
proportionnalité en tant qu'aspect de l'équité »267. Dans l’affaire du Golfe du Maine, il est
question de « la dernière tâche qu’il lui reste à accomplir avant d’arrêter définitivement sa
conclusion »268. La formule de l’arrêt de 1982 est quasiment reprise dans le dernier
paragraphe intitulé « vérification du résultat », de la sentence arbitrale de 1992. En effet, il y
est expliqué après le calcul du rapport de proportionnalité, que « les exigences du test de
proportionnalité, en tant qu'aspect de l'équité, ont été satisfaites »269.
Ce test de proportionnalité n’a pas toujours été employé et cela pour deux raisons. La
première tient au choix qu’il est parfois fait d’utiliser la méthode d’une ligne bissectrice de
délimitation. Le choix des côtes pertinentes est fait avant le tracé de la ligne de délimitation.
La bissectrice est tracée en fonction de la direction générale des côtes (cf. Annexe XIV).
266 CIJ. Rec. 1984, § 185, p. 323 267 CIJ. Rec. 1982, § 131, p. 91 268 CIJ. Rec. 1984, § 230, p. 339 269 RSA volume XXI, 10 juin 1992, § 93, p. 297
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
94
En effet, ce choix fait l’objet de réticences de la part de certains juges ou arbitres, et n’est pas
forcément adapté à chaque affaire. La question qui sous-tend ces doutes est de savoir si on
peut comparer d’un côté le résultat d’un processus cherchant à prendre en compte selon des
principes équitables des circonstances pertinentes, et de l’autre côté, un résultat mathématique
résultant d’une opération arithmétique.
Section II : La méthode de la proportionnalité
La méthode en elle-même fut très souvent employée par la jurisprudence (A), mais
pourtant les critiques n’ont pas manquées, la faisant ainsi évoluer (B).
A : Une méthode largement employée
La méthode utilisée pour vérifier l’équité du résultat de l’opération de délimitation a
varié selon les affaires, mais fut très souvent employée.
Dès 1969, dans l’affaire du plateau continental de la mer du Nord, la cour conseille aux
parties de vérifier l’équité du résultat par une méthode qui peut être qualifiée de souple. En
effet, elle tient juste à établir l’existence d’un rapport raisonnable entre la surface des zones
délimitées du plateau et la longueur des côtes pertinentes des différents Etats riverains. Elle ne
conseille ni n’effectue de calculs de proportionnalité.
En 1977, les arbitres sont très réservés et rappellent que « la proportionnalité n’est pas en soi
la source d’un titre au plateau continental mais plutôt un critère d’évaluation des
considérations d’équité »270. Ils relativisent le rôle joué par la proportionnalité, faisant d’elle,
une méthode qui n’est pas systématique. Il s’agit plutôt d’un « facteur à prendre en
considération pour .juger de l'effet des caractéristiques géographiques sur l'équité ou
l'inéquité d'une délimitation, en particulier d'une délimitation effectuée par la méthode de
l'équidistance »271. Le rôle qui lui est donc accordé est marginal.
270 RSA 1977, § 246, p. 253 271 Ibid., § 99, p. 188
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
95
Si l’on devait désigner un arrêt fondateur en matière de test de la proportionnalité, ce serait
certainement l’affaire qui opposa la Libye à la Tunisie en 1982. Le rôle de la proportionnalité
est rehaussé par l’importance accrue de la notion d’équité. Rappelant la définition donnée par
la cour en 1969272, les juges rajoutent que le rapport raisonnable évoqué doit être « respecté
en vertu du principe fondamental suivant lequel la délimitation entre les Etats intéressés doit
être équitable »273. De plus, cet arrêt apporte une précision à la méthode approprié pour faire
le test de proportionnalité. En effet, il précise que la proportionnalité doit s’apprécier en
fonction de la longueur réelle des côtes et non à partir de la ligne de base.
En 1985, la cour a une approche approximative de la vérification de l’équité du résultat.
Effectivement, « la Cour ne pense pas qu'il soit conforme aux principes de l'opération de
délimitation d'essayer de parvenir à un rapport arithmétique préétabli entre les côtes
pertinentes et les surfaces de plateau continental qu'elles engendrent »274. Toutefois, elle
considère que de manière générale, « il lui est possible de se faire une idée approximative de
l'équité du résultat sans toutefois essayer de l'exprimer en chiffres »275.
La même année, alors qu’un tribunal arbitral se réunit pour régler le litige entre la Guinée et la
Guinée-Bissau, on peut voir la même souplesse dans la sentence rendue avec toutefois une
précision d’importance. En effet, encore une fois, les juges rappellent qu’équité ne signifie
pas égalité ou partage à parts égales. Expliquant que l’intérêt de la proportionnalité ne doit pas
être exagéré, elle précise que « la règle de la proportionnalité n'est pas une règle mécanique
reposant sur les seuls chiffres traduisant la longueur des côtes. Elle doit intervenir dans une
mesure raisonnable, compte dûment tenu des autres circonstances de l'espèce »276.
L’affaire concernant l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon traitée en 1992 par le tribunal
arbitral réuni à New-York, s’affaire dans des calculs arithmétiques et conclut qu’il n’y a pas
de disproportion et que « les exigences du test de proportionnalité, en tant qu’aspect de
l’équité, (sont) satisfaites »277. Il est intéressant de constater que dans cette affaire, le juge
nommé par les canadiens, Monsieur Adam Gotlieb, considérait dans son opinion dissidente
272 CIJ. Rec. 1969, § 101 D, p. 54 273 CIJ. Rec. 1982, § 103, p. 75 274 CIJ. Rec. 1985, § 75, p.55 275 Idem. 276 RSA 1985, volume XIX, § 120, p. 193 277 RSA 1992, § 93
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
96
qu’il y avait disproportion en défaveur du canada, alors que Prosper Weil, juge nommé par la
France pour ce litige concluait à la disproportion en défaveur de la France dans son opinion
dissidente.
En 1993, la cour, dans l’affaire Jan Mayen, réaffirme l’utilité de l’étude de la proportionnalité
et affirme qu’« une délimitation équitable doit tenir compte […] de la disparité des longueurs
respectives des côtes de la zone pertinente »278.
Dans l’affaire opposant l’Erythrée au Yémen, le test de proportionnalité reprend toute son
importance, et les arbitres mesurent précisément la longueur de la côte pertinente (à l’aide
d’un expert en géodésie) avant d’effectuer un calcul de proportionnalité279.
Avec le contentieux entre Barbade et Trinité-et-Tobago, on en revient à un test de
proportionnalité sans calculs savants. Les juges se sont satisfaits de ce test en expliquant que
“the bending of the equidistance line reflects a reasonable influence of the coastal frontages
on the overall area of delimitation, with a view to avoiding reciprocal encroachments which
would otherwise result in some form of inequity”280 (voir Annexe XV).
Ces différentes affaires, et surtout l’approche aléatoire qui est faite du test de
proportionnalité, va provoquer très souvent une remise en cause de cette méthode de
vérification de l’équité du résultat.
B : Une méthode remise en cause
Nous avons pu voir le caractère peu assuré de la méthode de la proportionnalité. Elle
fut donc aisément critiquée, et est critiquable. Elle peut être contestée tant sur le principe que
sur les modalités d’application. Ces critiques ont eu un effet constructif dont la réponse
quoiqu’insuffisante fut apportée par le dernier arrêt rendu en 2009.
278 CIJ. Rec. 1993, § 65, p. 67 279 RSA 1999, volume XXII, § 165, p. 502 280 RSA 2006, volume XVII, § 379, p. 112 « La courbe de la ligne d’équidistance reflète une influence raisonnable de la façade côtière de l’ensemble de la zone de délimitation, avec comme objectif d’éviter un empiètement réciproque qui pourrait autrement aboutir à une certaine forme d’inéquité. »
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
97
Le principe même du test de proportionnalité fut souvent remis en cause, en étant notamment
qualifié comme contraire au principe même de l’équité. Il suffit de se rappeler le texte de la
sentence de 1977 dans le différend franco-britannique. Celle-ci rappelait qu’une délimitation
équitable « ne consiste pas [...] en une simple attribution à (des) Etats de zones [...]
proportionnelles à la longueur de leurs lignes côtières »281. Dans l’affaire du Golfe du Maine,
les juges affirmaient qu’ « une délimitation maritime ne saurait certainement pas être établie
en procédant directement à une division de la zone en contestation, proportionnellement à
l’extension respective des côtes des parties de l’aire concernée »282. Pour Prosper Weil,
l’étude de la proportionnalité « est dépourvu de fondement juridique »283 car dans le droit des
délimitations maritimes, rien ne justifie qu’il y ait un rapport entre le ratio des longueurs
côtières et celui des superficies. En effet, dès 1969, les juges rappellent que l’équité ne
signifie pas égalité. Don Mc Rae avait fait remarqué que « l’utilisation de la proportionnalité
comme mesure de l’équité présente une contradiction fondamentale »284 puisqu’elle va à
l’encontre de la part juste et équitable que la délimitation doit attribuer aux Etats. La frontière
pour passer de l’équité à l’égalité est mince, mais toute la subtilité du travail des juges est de
ne pas la franchir. Pourtant ces différentes piqures de rappel qu’ont pu se faire les juges n’ont
pas toujours permis de rester en amont de cette frontière.
Le test de proportionnalité fut donc largement utilisé mais les modalités même
d’application furent critiquées. En effet, il existe de nombreux obstacles à l’application
sereine d’une méthode visant au calcul de la proportionnalité, ce que traduit la variété des
calculs et des appréciations dans la jurisprudence. Pour effectuer leurs calculs, les juges ont
du ou ont voulu calculer la longueur des côtes et non la longueur de la ligne de base, ce qui
pose dès le départ des problèmes d’application. Le calcul de la longueur des côtes a été fait de
manière assez aléatoire, soit de façon précise, soit de façon plus globale. La cour fait le
constat d’elle-même en 1985 lorsqu’il s’agit du tracé d’une ligne d’équidistance en fonction
de la côte pertinente. Alors qu'« une série déterminée de points de base ne peut engendrer
qu'une ligne d'équidistance, et une seule », il arrive fréquemment que « la marge de
281 RSA 1977, …, § 101, p. … 282 CIJ. Rec. 1984, § 185, p. 323 283 Weil Prosper, Op.cit., p. 259 284 Mc Rae Don, « La délimitation des espaces maritimes », ADMO, Nantes, tome XVI, 1998, p. 175
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
98
détermination des côtes pertinentes et des zones pertinentes (soit) si large que pratiquement
n'importe quelle variance pourrait être obtenue »285 dans une recherche de proportionnalité.
De plus, l’autre donnée du calcul de proportionnalité peut être aussi difficile à
appréhender. L’étendue de la zone maritime n’est pas forcément entièrement connue. Dans
plusieurs cas, on a pu voir des délimitations impossibles à achever en raison de la présence
d’autres Etats avec lesquels les délimitations n’étaient pas fixées. Il en fut ainsi dans l’affaire
de la délimitation entre la Libye et la Tunisie. La cour avait tout de même effectué le calcul en
imaginant que la totalité de la région serait partagée par la ligne de délimitation entre la
Tunisie et la Libye. Cela lui avait fait dire que « s’il n’était pas possible de fonder des calculs
de proportionnalité sur des hypothèses semblables, on voit mal comment deux Etats
pourraient tomber d’accord sur l’équité d’une délimitation bilatérale tant que toutes les
autres délimitations n’auraient pas été menées à bien dans la même région »286.
Prosper Weil a des mots particulièrement durs pour expliquer ce qu’est le test de
proportionnalité. Pour lui, il s’agit d’une méthode dont « les séductions trompeuses ne
peuvent conduire qu'à un simulacre d'équité »287. Il affirmera dans son ouvrage de réflexions
sur le droit des délimitations maritimes que le test de proportionnalité est « injustifiable
théoriquement, impossible à mettre en œuvre pratiquement, […] et enfin inutile ». Il pourrait
s’agir à la limite d’« une sorte de signal d’alerte permettant de détecter une déviation
inéquitable de la ligne d’équidistance provoquée par un accident géographique mineur »288.
Ces critiques ont permis à la jurisprudence d’évoluer. Le dernier arrêt rendu en matière
de délimitation dans l’affaire de la Mer Noire, semble marquer une nouvelle ère dans la
vérification de l’équité du résultat, tout en reprenant un argument développé dans la sentence
arbitrale de 1977. La cour explique qu’elle doit vérifier si la « ligne de délimitation envisagée
n’entraîne pas de disproportion marquée entre les longueurs respectives des côtes et les
espaces répartis par ladite ligne »289, tout en reprenant la formulation de 1977 selon laquelle
285 CIJ. Rec. 1985, § 19, p. 24 et § 74, p. 53 286 CIJ. Rec. 1982, § 130, p. 91 287 RSA 1992, op. dissidente P. Weil, § 21, p. 309 288 Weil Prosper, op. cit., p. 259 289 CIJ. Rec. 2009, § 210, p. 62
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
99
«c’est la disproportion plutôt qu’un principe général de proportionnalité qui constitue le
critère ou facteur pertinent »290.
La cour affirme donc en 2009 que la vérification de l’équité du résultat ne peut être qu’une
vérification approximative, en reconnaissant le côté aléatoire et surtout sans fondements
juridiques des méthodes utilisées antérieurement291.
Il a été par ailleurs plusieurs fois vérifié l’équité du résultat par une autre méthode, ou
tout du moins, un autre élément fut pris en considération, permettant de voir s’il n’existe pas
de disproportions trop importantes. En effet, à plusieurs reprises, les juges ont vérifié que la
ligne de délimitation ne soit pas trop proche de la côte de l’un des Etats. Cette considération
n’est pas exprimée à chaque fois, mais on trouve l’exemple en 1985 lorsque la cour explique
que « de toute manière, la limite qui résultera du présent arrêt […] ne sera pas proche de la
côte de l’une ou l’autre partie »292. On constate donc, qu’indépendamment de la notion de
proportionnalité, le juge s’assure que la ligne de délimitation ménage les intérêts essentiels de
chaque Etat.
290 RSA 1977, volume XVIII, § 101, p. 189 291 CIJ. Rec. 2009, § 212, p. 63 292 CIJ. Rec. 1985, § 51, p. 42
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
100
CONCLUSION
La particularité du contentieux des délimitations maritimes qui tient à la fois de la
difficile appréhension de l’environnement géographique, et à la fois de l’importance
stratégique croissante pour les Etats, a su développer un droit en se basant sur une notion aux
contours indéfinissables mais au contenu connu. Ce développement a suivi une double
évolution. Alors que les règles de délimitation données par les conventions étaient plus
rigides, les juges se sont basés sur une notion d’équité au fort pouvoir créateur. Les règles
conventionnelles devenant plus souples, l’équité s’est effacée petit à petit pour revenir à sa
vertu première, la correction du droit. Celui-ci, devenu fort pragmatique ne mentionne
quasiment plus l’équité, alors même qu’il transcende tout le processus de délimitation des
frontières en mer.
L’affaire de la délimitation maritime en mer Noire marque un tournant dans l’histoire
des délimitations maritimes. Avec une plus grande assurance du droit des délimitations, cet
arrêt clôt semble t-il une période de quarante ans de construction, d’hésitation et d’affinement.
La cour internationale de justice doit encore se prononcer dans les mois et années à venir sur
plusieurs contentieux : affaire du différend maritime entre le Pérou et le Chili (requête
déposée en 2008) et affaire du différend territorial et maritime entre le Nicaragua et la
Colombie (requête déposée en 2001) (cf. Annexe XVI).
Certains contentieux n’ont pas encore été présentés à une juridiction internationale ou
tout simplement réglés, comme c’est le cas des conflits en mer de Chine.
D’autres litiges vont voir le jour, faisant suite aux demandes d’extension du plateau
continental au-delà des 200 milles marins. La France par exemple a fait une demande
conjointe d’extension des limites du plateau continental avec l’Espagne, l’Irlande et le
Royaume-Uni, repoussant à plus tard la question des délimitations interétatiques. Suivant cet
exemple, plusieurs Etats ont fait le même type de demande. Sachant que la commission des
limites du plateau continental ne traite pas des différends entre Etats, ceux-ci vont être amenés
à négocier et en cas d’échec, à présenter leur litige devant l’une des juridictions compétentes.
De plus, le 24 août 2009, Monsieur Jean-Louis Borloo, ministre en charge de la mer a
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
101
annoncé la création d’une ZEE française en mer Méditerranée ce qui pourrait présager de
nouveaux contentieux liés aux délimitations dans cette mer fermée.
L’affaire qui mobilisera certainement le plus les juristes sera le problème des délimitations
dans le cercle polaire. D’après certains observateurs, « la bataille du grand nord a (déjà)
commencé… »293.
En matière d’équité, les évolutions à venir pourraient se trouver dans une
uniformisation des règles de délimitation qu’elles soient territoriales ou maritimes. L’équité y
a fait son apparition depuis peu, et il ne serait pas étonnant qu’un rapprochement s’opère entre
frontières maritimes et frontières terrestres.
En paraphrasant Jean Jaurès, ne serait-ce pas en allant vers la mer que la terre serait fidèle à
la source (ou à l’équité)?294
293 Labévière Richard et Thual François, « La Bataille du grand nord a commencé… », Perrin, Paris, 2008 294 « C’est en allant vers la mer que le fleuve est fidèle à la source », Jean Jaurès
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
102
L ISTE DES ARRETS ET SENTENCES CITES
• Sentence arbitrale du 20 octobre 1903
• Sentence arbitrale rendue le 23 octobre 1909 dans la question de la délimitation d’une
certaine partie de la frontière maritime entre la Norvège et la Suède, RSA 1909,
volume XI, p. 147
• Affaire des jugements du tribunal administratif de l’OIT sur requête contre UNESCO,
Recueil CIJ, 1956
• Plateau continental de la mer du Nord, Arrêt, 20 février 1969, Recueil CIJ 1969
• Compétence en matière de pêcherie (République fédérale d’Allemagne c. Islande),
fond, arrêt, CIJ Recueil 1974
• Arbitrage concernant le Canal de Beagle entre la République Argentine et le Chili,
Sentence du 18 février 1977, RSA volume XXI, pp. 53-264
• Affaire de la délimitation du plateau continental entre Royaume-Uni de Grande-
Bretagne et d’Irlande du Nord et République Française, Décision du 30 juin 1977,
Décision du 14 mars 1978, RSA, volume XVIII
• Affaire du plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), 19 juin 1978,
Recueil CIJ
• Sentence arbitrale concernant la frontière entre les émirats de Dubaï et Sharjah du 19
octobre 1981, non publiée
• Plateau continental (Tunisie / Jamahiriya Arabe Libyenne), Arrêt, 24 février 1982,
Recueil CIJ 1982
• Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine , Arrêt, CIJ,
Recueil 1984
• Affaire de la délimitation de la frontière maritime entre la Guinée et la Guinée-Bissau,
Sentence du 14 février 1985, RSA volume XIX pp. 149-196
• Plateau continental (Jamahiriya arabe Libyenne c. Malte), arrêt, CIJ, Recueil 1985
• Demande en révision et en interprétation de l'arrêt du 24 février 1982 en l'affaire du
Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe
libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985
• Affaire de la délimitation de la frontière maritime entre la Guinée-Bissau et le
Sénégal, sentence du 31 juillet 1989, RSA, volume XX
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
103
• Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen
(Danemark / Norvège), Arrêt, 14 juin 1993, Recueil CIJ 1993
• Sentence du tribunal arbitral rendue au terme de la seconde étape entre l’Erythrée et
la République du Yémen (délimitation maritime), 17 décembre 1999, RSA, volume
XXII
• Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn, fond, arrêt,
CIJ Recueil 2001
• Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c.
Nigeria ; Guinée Equatoriale (intervenant)), Arrêt C.I.J. Recueil 2002
• Arbitrage entre la Barbade et la République de Trinité-et-Tobago relative à la
délimitation de la zone économique exclusive et du plateau continental entre ces deux
pays, Décision du 11 avril 2006, RSA, volume XVII
• Tribunal arbitral constitué en application de l’article 287 et conformément à l’annexe
VII de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer dans l’affaire de
l’arbitrage entre le Guyana et le Suriname
• Affaire relative à la délimitation maritime en Mer Noire (Roumanie c/ Ukraine), 3
février 2009
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
104
ANNEXES
ANNEXE I : RESOLUTION DE LA CHAMBRE POUR LE REGLEMENT DES DIFFERENDS RELATIFS A LA
DELIMITATION MARITIME
ANNEXE II : AFFAIRE DES GRISBADARNA
ANNEXE III : AFFAIRE ERYTHREE / YEMEN
ANNEXE IV : AFFAIRE FRANCE / CANADA
ANNEXE V : AFFAIRE FRANCE / ROYAUME-UNI
ANNEXE VI : AFFAIRE DU GOLFE DU MAINE
ANNEXE VII : AFFAIRE MER NOIRE
ANNEXE VIII : AFFAIRE MER NOIRE
ANNEXE IX : AFFAIRE QATAR / BAHREIN
ANNEXE X : AFFAIRE QATAR / BAHREIN
ANNEXE XI : AFFAIRE TUNISIE / LIBYE
ANNEXE XII : AFFAIRE MER NOIRE
ANNEXE XIII : AFFAIRE MER NOIRE
ANNEXE XIV : AFFAIRE HONDURAS / NICARAGUA
ANNEXE XV : AFFAIRE BARBADE / TRINITE-ET-TOBAGO
ANNEXE XVI : « DES FRONTIERES QUI FACHENT »
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
105
ANNEXE I
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106
ANNEXE II
Source : Rhee S.-M., «Sea boundary delimitation between States before the world war II »,
AJIL, vol. 76, n°3, Juillet 1982, p. 567
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
107
ANNEXE III
Délimitation de la frontière maritime
Entre l’Erythrée et le Yémen
Source : Kwiatkowska B., « The Erithrea/Yemen arbitration : Landmark Progress in the
acquisition of territorial sovereignty and equitable maritime boundary delimitation”,
International Boundaries Research Unit (IBRU) Boundary and security bulletin, 2000, volume
8, n°1, p.66
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
108
ANNEXE IV
Source : Division géographique (direction des archives historiques), Ministères des Affaires
étrangères, 2008, in Girardin A. et Guedon L. « Rapport d’information déposé en vertu de
l’article 145 du Règlement par la commission des affaires étrangères sur la délimitation des
frontières maritimes entre la France et le Canada », n° 1312, Assemblée nationale, 10
décembre 2008
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
109
ANNEXE V
Source : Colson D.-A., « The United Kingdom--France Continental Shelf Arbitration », AJIL,
volume 72, n°1, Janvier 1978, p. 107
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
110
ANNEXE VI
Source : Délimitation de la frontière maritime dans la région du Golfe du Maine, arrêt C.I.J.,
Recueil 1984, p. 269
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
111
ANNEXE VII
Source : Affaire relative à la délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine),
Arrêt, 3 février 2009, Recueil CIJ, p. 38
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
112
ANNEXE VIII
Source : Affaire relative à la délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine),
Arrêt, 3 février 2009, Recueil CIJ, p. 38
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
113
ANNEXE IX
Source : Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn, fond, arrêt,
CIJ recueil 2001, p. 92
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
114
ANNEXE X
Source : Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn, fond, arrêt,
CIJ recueil 2001, p. 105
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
115
ANNEXE XI
Source : Plateau continental (Tunisie / Jamahiriya arabe libyenne), Arrêt, CIJ Recueil 1982,
p.90
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
116
ANNEXE XII
Source : Affaire relative à la délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine),
Arrêt, 3 février 2009, Recueil CIJ, p. 49
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
117
ANNEXE XIII
Source : Affaire relative à la délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine),
Arrêt, 3 février 2009, Recueil CIJ, p. 65
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
118
ANNEXE XIV
Source : Affaire du différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la
mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), Arrêt 8 octobre 2007, Recueil C.I.J., p. 82
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
119
ANNEXE XV
Source : Arbitrage entre la Barbade et la République de Trinité-et-Tobago relative à la délimitation de la zone économique exclusive et du plateau continental entre ces deux pays, Décision du 11 avril 2006, RSA, volume XVII, p. 112
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
120
ANNEXE XVI
Source : extrait d’un article traduit de l’espagnol (Ferer Isabel, « Le tracé des frontières se fait
à la Haye»,El Pais, 1er août 2009) pour « Courier International », n°978-979-980, 1er août
2009
LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
121
BIBLIOGRAPHIE TRAITES ET OUVRAGES GENERAUX :
• Alland D. et Rials S., « Dictionnaire de la culture juridique », PUF, Quadrige dicos poche, Paris, 2003
• Aristote, « Ethique à Nicomaque », GF-Flammarion, Paris, 1992
• Beurier J-P. (dir.), « Droits maritimes », Dalloz, Paris, 2008, 2ème édition
• Cadiet L. (dir.), « Dictionnaire de la Justice », PUF, Paris, 2004
• Dupuy P.-M., « Droit international public », Dalloz, 9ème édition, Paris, 2008
• Grotius H., « Du droit de la guerre et de la paix », Presses Universitaires de France,
Collection Quadrige Grands textes, Paris, 2005
• Jankélévitch V., « Traité des vertus », tome II, Flammarion, Paris, 1993
• Kapuściński R., « Il n’y aura pas de paradis, la guerre du foot et autres guerres et aventures », Plon, Pocket, Paris, 2003
• Kelsen H., « Théorie pure du droit », Editions de la Baconnière, Neuchâtel, 1953
• Labévière R. et Thual F., « La Bataille du grand nord a commencé… », Perrin, Paris,
2008
• Lucchini L. et Voelckel M., « Droit de la mer », tome 2, volume 1, Editions A. Pédone, Paris, 1996
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édition, Paris, 1999
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LA NOTION D’EQUITE DANS LE CONTENTIEUX INTERNATIONAL DES DELIMITATIONS MARITIMES
126
TABLE DES MATIERES
Sommaire 9
Introduction 12
Partie I : L’Equité, une notion indéfinie _________________________________________ 20
Titre I : L’ambivalence de la nature juridique de l’équité _______________________________ 20
Chapitre I : L’évolution des fondements juridiques ____________________________________________ 20
Section I : La délimitation de la mer territoriale ___________________________________________ 21 A°/ Les fondements _______________________________________________________________ 21 B°/ La règle Accord / Equidistance / Circonstances spéciales ______________________________ 23
Section II : La délimitation du plateau continental et de la ZEE _______________________________ 26 A°/ Les fondements _______________________________________________________________ 26 B°/ La question de la ligne unique ____________________________________________________ 29
Chapitre II : Des éléments de Réponse _____________________________________________________ 32
Section I : L’Equité et le droit __________________________________________________________ 32 A°/ Une notion juridique ___________________________________________________________ 32 B°/ Un principe général de droit ou de justice ? _________________________________________ 35
Section II : La mesure de la pertinence des techniques de délimitation ________________________ 38 A°/ Un concept inhérent à l’idée de justice ____________________________________________ 38 B°/ Un droit intangible _____________________________________________________________ 40
Titre II : L’ambiguite de la fonction de l’équité _______________________________________ 44
Chapitre I : L’Equité, une fonction créatrice _________________________________________________ 44
Section I : L’« équité créatrice », et la pratique jurisprudentielle ______________________________ 44 A°/ L’origine _____________________________________________________________________ 44 B°/ L’évolution ___________________________________________________________________ 47
Section II : L’équité, fonction normative de la pratique des Etats _____________________________ 50 A°/ Les fondements _______________________________________________________________ 50 B°/ L’obligation de négocier ________________________________________________________ 51
Chapitre II : L’Equité, une fonction correctrice _______________________________________________ 52
Section I : L’« Equité correctrice » et la pratique jurisprudentielle _____________________________ 52 A°/ Les origines ___________________________________________________________________ 52 B°/ L’évolution ___________________________________________________________________ 54
Section II : L’équité, fonction correctrice dans la pratique des Etats ___________________________ 57 A°/ Les réalités des délimitations maritimes entre Etats __________________________________ 57 B°/ L’Equité et le résultat des négociations ____________________________________________ 58
Partie II : L’Equité, une notion identifiable ______________________________________ 60
Titre I : Une obligation de moyens : les méthodes de délimitation _______________________ 60
Chapitre I : Le Point de Départ : la recherche d’une méthode équitable ___________________________ 60
Section I : La pertinence de la ligne d’équidistance _________________________________________ 60 A°/ Une méthode contestée ________________________________________________________ 61 B°/ Une méthode largement employée _______________________________________________ 63
Section II : La pertinence de la zone de délimitation ________________________________________ 65 A°/ Du prolongement naturel au partage équitable ______________________________________ 65 B°/ La définition de la zone pertinente ________________________________________________ 67
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Chapitre II : La correction équitable de la délimitation ________________________________________ 69
Section I : Les circonstances pertinentes ou spéciales au regard des principes équitables __________ 70 A°/ Les principes équitables : une fonction généralisatrice ________________________________ 70 B°/ Les circonstances pertinentes et les circonstances spéciales : une fonction individualisatrice _ 72
Section II : Des circonstances pertinentes identifiées _______________________________________ 75 A°/ Des circonstances géographiques au détriment des circonstances géologiques ____________ 75 B°/ Le poids de l’économie _________________________________________________________ 78
Titre II : Une obligation de resultat : l’obtention d’un resultat equitable __________________ 84
Chapitre I : L’appréhension de l’équitable par le juge _________________________________________ 84
Section I : L’effet accordé aux circonstances pertinentes ____________________________________ 84 A : Les territoires insulaires _________________________________________________________ 84 B : La technique de l’effet partiel ____________________________________________________ 86
Section II : Le balancement entre les différentes circonstances pertinentes _____________________ 88 A : L’affirmation du principe ________________________________________________________ 88 B : Un « faux problème » ___________________________________________________________ 90
Chapitre II : La vérification de l’équité du résultat ____________________________________________ 91
Section I : La place de la vérification dans le processus _____________________________________ 91 A : Le test de proportionnalité _______________________________________________________ 92 B : La position du test dans le processus de délimitation __________________________________ 93
Section II : La méthode de la proportionnalité ____________________________________________ 94 A : Une méthode largement employée ________________________________________________ 94 B : Une méthode remise en cause ____________________________________________________ 96
Conclusion 100
Liste des arrêts et sentences cités 102
Annexes 104
Bibliographie 121