catholicisme - histoire de l'église catholique

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CATHOLICISME - Histoire de l'Église catholique Article écrit par Jean DANIÉLOU, André DUVAL Prise de vue Au cours du II e concile du Vatican, l'Église catholique romaine, dans une prise de conscience renouvelée de sa mission, de sa nature, de ses structures, a cherché à se définir de manière assez neuve dans son rapport au monde : plus lucidement respectueuse de la liberté des consciences et davantage sensibilisée aux urgences du service des hommes, elle s'est en outre engagée sur la voie d'un rapprochement avec les diverses confessions chrétiennes. Il y a intérêt à relire ainsi son histoire. Quelles crises sont à l'origine des schismes et des séparations que l'on voudrait maintenant dominer ? Par quels cheminements en est-on venu à vouloir servir les hommes dans leurs requêtes terrestres les plus vitales plutôt qu'à prétendre seulement les amener tous à l'obéissance de la foi et à la sujétion à l'Église romaine ? Quelles ont été les vicissitudes du rapport de l'Église avec le monde ? Réussissant à y prendre place, elle a cru un moment diriger celui-ci ; le voyant ensuite échapper à son emprise, puis se raidissant contre lui, elle déclare aujourd'hui ne vouloir que le servir... Les phases principales de l'histoire de l'Église catholique peuvent ainsi se distinguer à partir de quelques moments cruciaux où se modifie la manière dont elle entend accomplir sa mission d'évangéliser toutes les nations. La prédication apostolique du jour de la Pentecôte marque le point de départ. Avec la conversion de Constantin (313), l'Église accède à un nouveau type de relation avec le pouvoir, la richesse et le conformisme social ; elle s'insère alors progressivement dans les structures de l'Empire romain, dont elle utilisera l'héritage pour « éduquer » les peuples barbares. Au moment où se consomme la rupture entre l'Orient et l'Occident, la réforme grégorienne (fin du XI e s.) conduit à faire du pape le chef suprême d'une Europe dont la foi chrétienne assure l'unité. Le conflit entre Boniface VIII et Philippe le Bel est la première des crises qui vont peu à peu disloquer la Chrétienté. Le concile de Trente (1545-1563), sanctionnant les déchirures issues de la Réforme, ouvre une période où le catholicisme, géographiquement agrandi par son implantation outre-mer, mais plus étroitement enfermé dans ses formes latines, affirme et déploie ses valeurs sans réussir à assimiler celles d'une nouvelle culture qui s'élabore. Le pontificat de Léon XIII (1878-1903) remet l'Église à l'écoute des questions que pose le monde du travail, de la liberté politique, de la science. C'est l'amorce, très lointaine encore, du deuxième concile du Vatican. Boniface VIII Benedetto Caetani (1235-1303) fut élu pape le 24 décembre 1294 et prit le nom de Boniface VIII.(Hulton Getty) André DUVAL I- L'Église primitive La période de l'histoire du christianisme qui va de la Pentecôte (30 apr. J.-C.) à la prise de Jérusalem par Titus (70 apr. J.-C.) constitue une unité déterminée. Elle est caractérisée à la fois par l'importance qu'y occupent les Apôtres, d'où son nom d'Église apostolique, et par le fait qu'elle se recrute essentiellement en milieu juif. Le principal document concernant cette époque est constitué par les Actes des Apôtres, qui couvrent l'histoire de la première communauté de Jérusalem et celle des missions de saint Paul en Asie Mineure, en Grèce et à Rome, soit jusqu'à 60 après J.-C. Sur l'expansion de l'Église dans les autres régions, spécialement en Arabie et en Syrie orientale, on en est réduit aux maigres renseignements offerts par la littérature dite apocryphe.

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Suite à l'élection du pape François, voici l'histoire du catholicisme.

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CATHOLICISME - Histoire de l'Église catholique

Article écrit par Jean DANIÉLOU, André DUVAL

Prise de vue

Au cours du IIe concile du Vatican, l'Église catholique romaine, dans une prise de conscience renouveléede sa mission, de sa nature, de ses structures, a cherché à se définir de manière assez neuve dans sonrapport au monde : plus lucidement respectueuse de la liberté des consciences et davantage sensibilisée auxurgences du service des hommes, elle s'est en outre engagée sur la voie d'un rapprochement avec lesdiverses confessions chrétiennes.

Il y a intérêt à relire ainsi son histoire. Quelles crises sont à l'origine des schismes et des séparations quel'on voudrait maintenant dominer ? Par quels cheminements en est-on venu à vouloir servir les hommes dansleurs requêtes terrestres les plus vitales plutôt qu'à prétendre seulement les amener tous à l'obéissance dela foi et à la sujétion à l'Église romaine ? Quelles ont été les vicissitudes du rapport de l'Église avec lemonde ? Réussissant à y prendre place, elle a cru un moment diriger celui-ci ; le voyant ensuite échapper àson emprise, puis se raidissant contre lui, elle déclare aujourd'hui ne vouloir que le servir...

Les phases principales de l'histoire de l'Église catholique peuvent ainsi se distinguer à partir de quelquesmoments cruciaux où se modifie la manière dont elle entend accomplir sa mission d'évangéliser toutes lesnations.

La prédication apostolique du jour de la Pentecôte marque le point de départ. Avec la conversion deConstantin (313), l'Église accède à un nouveau type de relation avec le pouvoir, la richesse et leconformisme social ; elle s'insère alors progressivement dans les structures de l'Empire romain, dont elleutilisera l'héritage pour « éduquer » les peuples barbares. Au moment où se consomme la rupture entrel'Orient et l'Occident, la réforme grégorienne (fin du XIe s.) conduit à faire du pape le chef suprême d'uneEurope dont la foi chrétienne assure l'unité. Le conflit entre Boniface VIII et Philippe le Bel est la première descrises qui vont peu à peu disloquer la Chrétienté. Le concile de Trente (1545-1563), sanctionnant lesdéchirures issues de la Réforme, ouvre une période où le catholicisme, géographiquement agrandi par sonimplantation outre-mer, mais plus étroitement enfermé dans ses formes latines, affirme et déploie sesvaleurs sans réussir à assimiler celles d'une nouvelle culture qui s'élabore. Le pontificat de Léon XIII(1878-1903) remet l'Église à l'écoute des questions que pose le monde du travail, de la liberté politique, dela science. C'est l'amorce, très lointaine encore, du deuxième concile du Vatican.

Boniface VIII

Benedetto Caetani (1235-1303) fut élu pape le 24 décembre 1294 et prit le nom de BonifaceVIII.(Hulton Getty)

André DUVAL

I- L'Église primitive

La période de l'histoire du christianisme qui va de la Pentecôte (30 apr. J.-C.) à la prise de Jérusalem parTitus (70 apr. J.-C.) constitue une unité déterminée. Elle est caractérisée à la fois par l'importance qu'yoccupent les Apôtres, d'où son nom d'Église apostolique, et par le fait qu'elle se recrute essentiellement enmilieu juif. Le principal document concernant cette époque est constitué par les Actes des Apôtres, quicouvrent l'histoire de la première communauté de Jérusalem et celle des missions de saint Paul en AsieMineure, en Grèce et à Rome, soit jusqu'à 60 après J.-C. Sur l'expansion de l'Église dans les autres régions,spécialement en Arabie et en Syrie orientale, on en est réduit aux maigres renseignements offerts par lalittérature dite apocryphe.

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-200 à 200 apr. J.-C. La loi romaine

Mochica et Nasca dans les Andes. Les Han en Chine. Rome.Les quatre siècles qui encadrent ledébut de notre ère sont caractérisés par la prédominance de vastes empires.En Occident toutd'abord, la république romaine supplante l'empire carthaginois dans la domination des rives dela Méditerranée occidentale.Dans les deux siècles suivants, elle intègre tout le bassin …(2005Encyclopædia Universalis France S.A.)

Au cours de ces décennies commence à se constituer le Nouveau Testament, tandis que sont établis lesfondements de la foi, de la hiérarchie et de la vie chrétiennes. Un problème difficile s'est tout de suite posé :quelle doit être l'attitude des disciples du Christ à l'égard de la Loi juive, donnée par Dieu ?

L'Église de Jérusalem

Le mot « église » (en hébreu qahal) désigne dans l'Ancien Testament le peuple de Dieu rassemblé dansle désert après l'Exode et, dans le Nouveau Testament, le nouvel Israël. Cette Église, au jour de la Pentecôtede l'an 30, est constituée par un petit groupe d'hommes et de femmes qui ont vécu avec Jésus durant lestrois années de sa vie publique, qui ont été les témoins de sa passion, de sa résurrection et de sonascension. Parmi eux se détache, dès l'origine, le groupe des Onze, auquel est adjoint Mathias pourremplacer Judas, et dont Pierre est le chef. Ils apparaissent tout de suite comme conscients d'avoir étéinvestis par le Christ d'une triple mission : témoigner de la résurrection, agréger à leur groupe, par lebaptême, ceux qui croient à leur parole et gouverner la communauté.

Ces premiers « chrétiens » – ils recevront ce sobriquet à Antioche quelques années plus tard – sont unpetit noyau de Juifs qui ont reconnu, dans la personne de Jésus, le Messie annoncé par les prophètes. Par làmême, ils se séparent des autres sectes juives, tout en continuant d'en garder les observances. Ilsrencontrent des sympathies dans certaines communautés, en particulier chez les esséniens – que l'onconnaît mieux depuis la découverte des manuscrits de la mer Morte – et chez certains pharisiens. Très tôt, ilsse heurtent, au contraire, à l'hostilité des grands prêtres et des sadducéens, les premiers étant jaloux de leurautorité sur le peuple et les seconds hostiles à toute innovation.Les Actes décrivent trois persécutionssuccessives ; la troisième, qui est sûrement de l'année 43, entraîne le martyre de Jacques, le frère del'évangéliste Jean, et l'arrestation de Pierre.

La communauté chrétienne présente elle-même des divisions. Autour d'un autre Jacques, cousin duChrist, se groupaient les chrétiens qui restaient attachés aux observances juives : c'est ce qu'on appelait le« parti des hébreux ». Ce parti prit une influence croissante à Jérusalem. Il jouissait de la faveur despharisiens. Il comptait parmi ses membres les parents du Seigneur, les « desposynes ». Après Jacques, lespremiers évêques de Jérusalem furent tous choisis parmi eux. C'est ce que Stauffer a appelé le khalifat. Letrait est typiquement oriental. C'est par ces parents du Seigneur que les souvenirs de l'enfance du Christ ontété connus de la communauté primitive, avant d'être recueillis par les évangélistes Matthieu et Luc. Leschrétiens continuent d'appartenir culturellement et politiquement au peuple juif. Ils ne se distinguent desautres Juifs que par la foi en Jésus.

En face d'eux se constitue le « parti des hellénistes », dont la figure la plus importante est Étienne. Ceparti est composé de Juifs parlant grec, qu'ils habitent la Palestine ou qu'ils viennent de la Diaspora, commeBarnabé. Mais ce qui les caractérisait surtout était leur détachement par rapport à la communauté juive.Cette attitude leur valut l'hostilité des pharisiens. Ils furent expulsés en 37, après le martyre d'Étienne. Maisleur expulsion fut riche de conséquences. Par eux, le christianisme commença, en effet, à se répandre endehors de la Judée et de la Galilée. C'est surtout à Antioche que les hellénistes apportèrent très tôtl'Évangile : dans cette ville, où Juifs, Grecs, Syriens, coexistaient, on commença à prêcher l'Évangile auxpaïens. Un violent incident y opposa Paul et Pierre en 49 à propos des rapports avec les païens, ce quiatteste l'existence de deux communautés, l'une judéo-chrétienne, l'autre pagano-chrétienne (lettre auxGalates, II, 11-14).

Paul et la mission auprès des païens

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Il n'en reste pas moins que, durant les vingt premières années de son existence, l'Église demeureenfermée dans le milieu juif. C'est avec Paul de Tarse qu'une nouvelle orientation est prise, qui sera décisivepour l'avenir. Paul était un Juif de la Diaspora. Il avait donc reçu une culture grecque. Il appartenait à la sectedes pharisiens. Venu à Jérusalem pour y recevoir l'enseignement de Gamaliel, il apparaît comme un farouchesectateur de la Loi. À ce titre, il participe aux persécutions contre les chrétiens. La première mention qui estfaite de lui le montre présent au martyre d'Étienne (Actes, VII, 55-VIII, 3). En 38, lors d'une mission à Damas,où il vient lutter contre les chrétiens, une apparition du Christ lui fait changer entièrement d'attitude et decroyance. Baptisé, il passe trois années près de Damas, puis un an à Tarse. C'est là que Barnabé, qui l'avaitconnu à Jérusalem, vient le prendre, en 41, pour compagnon en vue d'une mission en Asie.

Les voyages missionnaires de Paul sont la donnée de l'Église primitive sur laquelle les renseignementssont le plus nombreux. Ils sont connus par deux sources d'une valeur historique incontestable. D'une part,Luc, qui fut le compagnon de Paul, les a racontés dans les Actes des Apôtres et, d'autre part, des écritsauthentiques de Paul, les Épîtres, contiennent de nombreuses allusions à ses missions. En 45, une premièremission conduit Paul et Barnabé en Pamphylie et en Lycaonie, où se convertissent à la foi d'abord des Juifs etdes prosélytes (Actes, XIII, 43 ; XIV, 1), mais aussi des païens (Actes, XIII, 48). Au début de 50, Paulentreprend un nouveau voyage, cette fois avec Luc. Après avoir traversé l'Asie Mineure, il atteint l'Europe etfonde des communautés à Philippes, à Athènes, à Corinthe. Enfin, en 53, un troisième voyage le conduitd'abord à Éphèse, où il reste trois ans et écrit l'Épître aux Galates et la Première Épître aux Corinthiens, puisà Corinthe où, durant l'hiver 57-58, il rédige l'Épître aux Romains.

Mais l'action de Paul n'est pas importante seulement par son extension. Elle l'est encore plus parcequ'elle marque un tournant décisif dans l'histoire du christianisme primitif. Le christianisme originel étaitprofondément engagé dans le judaïsme. La première prédication de Paul lui-même s'adressait d'abord auxJuifs. C'est son expérience concrète qui l'amena à réfléchir sur le comportement qu'il fallait observer vis-à-visdes païens qui se convertissaient. Fallait-il les astreindre aux observances juives ? Au cours de sa mission de45, il est amené à trancher la question négativement. Mais, de retour à Antioche en 48, il voit sa positiondiscutée. Un « concile », rassemblé à Jérusalem en 49 et qui comprend les Apôtres et les Anciens, examine laquestion et décide en sa faveur, en ne demandant aux païens convertis que l'observance des préceptesdonnés jadis à Noé : abstention des viandes étouffées et purifications sexuelles.

Mais cette décision ne désarme pas l'hostilité des judéo-chrétiens à l'égard de Paul. On voit dans sesépîtres qu'il rencontre partout des oppositions, en Galatie, à Éphèse, à Corinthe. Or celles-ci viennenttoujours des milieux judéo-chrétiens. Elles ont des racines religieuses, mais revêtent aussi un aspectpolitique. En effet, la période du peuple juif qui correspond à la première évangélisation chrétienne est celleoù, en Palestine, la résistance à l'occupation romaine s'organise. Le parti des zélotes, qui appelle à la luttearmée pour l'indépendance, prend une autorité croissante. Il entraîne finalement les Juifs palestiniens à laguerre de 69-70, qui se termine par la chute de Jérusalem. Les communautés juives de la Diaspora ne sontpas étrangères au mouvement. Des émissaires palestiniens viennent y chercher des appuis. L'attitude dePaul, visant à désolidariser les chrétiens de leur appartenance à la communauté sociologique juive, devaitapparaître comme une trahison.

Les années 58-70 sont des années de crise. En 58, Paul vient à Jérusalem au retour de son troisièmevoyage. Accusé par les Juifs d'avoir profané le Temple en y introduisant un chrétien incirconcis, il est arrêtépar les soldats romains et envoyé à Rome. Il y reste de 61 à 63 en liberté surveillée. En 64 éclate lapersécution de Néron. C'est un nouveau conflit qui surgit, cette fois entre chrétiens et païens. Mais il n'estpas sans rapport avec le précédent, car les dénonciations contre les chrétiens sont venues des milieux juifset judéo-chrétiens. Pierre est mis à mort, Paul à nouveau emprisonné. Il meurt martyr, vraisemblablement en67. Il semblait avoir échoué, mais l'effondrement de la nation juive en 70 amène un retournement de lasituation et assure la victoire posthume de la position qu'il avait défendue.

La vie de la communauté chrétienne

Ces conflits font apparaître combien est fausse une certaine image idyllique de la première Église. Le tableau que donne Luc de la communauté de Jérusalem, de son unité spirituelle et matérielle, outre qu'il a un caractère littéraire très marqué, ne convient qu'aux mois qui ont immédiatement suivi la Pentecôte. On doit dire au contraire que les premières décennies du christianisme comptent parmi celles où les conflits

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théologiques et politiques ont été les plus aigus. Et cela est sans doute plus encourageant pour les chrétiensd'aujourd'hui, s'ils constatent par ailleurs que les Apôtres posèrent alors les fondements de la foi, de lahiérarchie et de la vie chrétienne, qui demeurent valables après vingt siècles.

C'est d'abord à cette époque que se constitue l'écriture du Nouveau Testament, ce qu'on appelle lesÉvangiles. Cette écriture a été précédée d'une première période de tradition orale. Le Christ avait confié sonmessage, non à des livres, mais à des hommes, les Apôtres, qu'il avait investis d'une autorité particulière. Et,même une fois cet enseignement mis par écrit, l'institution de l'« apostolat » comme seul habilité àenseigner authentiquement le message du Christ n'est pas abolie. La prédication chrétienne primitivecomprenait trois éléments principaux. L'essentiel était le témoignage rendu par les Apôtres des événementsdont ils avaient été les témoins oculaires, quant a leur réalité matérielle, et dont ils avaient reconnu latranscendance par révélation : la passion, la résurrection et l'ascension de Jésus. Pour la conception virginaleet la nativité, le témoignage du milieu familial de Jésus fut reçu. De plus, les disciples avaient retenu lesparoles du Christ, qui, rassemblées autour de quelques thèmes, constituaient un autre élément de leurprédication. Très tôt aussi, les collections de textes de l'Ancien Testament, destinés à montrer dans le Christla réalisation des prophéties, avaient été rassemblées.

Ces divers éléments, existant d'abord séparément dans la tradition orale, furent recueillis sous forme devies de Jésus par différents auteurs. Ces écrits représentaient l'enseignement officiel des Apôtres et étaientpar là même investis d'une autorité que n'avaient aucunement les écrits privés, appelés évangilesapocryphes. Le plus ancien évangile est celui de Marc, qui représente la catéchèse de Pierre à Rome et peutdater des années 60. L'Évangile selon Matthieu s'adresse particulièrement aux Juifs et représente lacatéchèse syrienne de l'apôtre du même nom. L'Évangile selon Luc s'adresse aux Grecs. L'Évangile selonJean, écrit le dernier, sans doute après 70, représente une tradition originale très primitive qui se rattache àla catéchèse de l'apôtre Jean, même s'il n'est pas l'œuvre de celui-ci.

La période qui va de 30 à 70 est aussi celle où l'Église s'organise. Cette organisation concerne d'abordles structures hiérarchiques. Le Christ avait lui-même posé les éléments fondamentaux de cette structure enchoisissant les Apôtres durant sa vie publique et en donnant à Pierre une place privilégiée. En ce sens,l'institution du collège des Apôtres relève du Christ. Mais la question qui se pose entre 30 et 70 est celle dela transmission des pouvoirs conférés par le Christ aux Apôtres. Or il apparaît très vite que ces derniersadmettent certains personnages à partager leur autorité. Mettons à part le cas de Paul, dont ils ont reconnuqu'une initiative divine avait fait leur égal. Mais Jacques devient le chef de la communauté de Jérusalem etsuccède dans cette fonction à Pierre. Barnabé partage le ministère de Paul. Celui-ci établit certains de sesdisciples, Tite, Timothée, comme « évêques et pasteurs » d'Églises qu'il fonde. Ainsi l'« épiscopat » apparaîtcomme continuation authentique de l'apostolat dans son autorité d'enseignement de sanctification, degouvernement, les Apôtres gardant le privilège d'avoir été la seule source de la révélation. À côté de lahiérarchie, des « charismes » divers de prière, de mission, de service se manifestèrent dans le peuplechrétien.

Dès l'origine, les premiers chrétiens, tout en continuant de pratiquer les observances religieuses juives,le repos du sabbat, la prière au Temple, ont constitué une communauté cultuelle propre. Le rite d'initiationest le baptême, qui confère le don de l'Esprit. L'origine du rite paraît être le baptême de pénitence deJean-Baptiste, lui-même en relation avec l'usage, dans le judaïsme marginal, de bains sacrés dans leJourdain. Le baptême est donné au nom du Père, du Fils et de l'Esprit et comporte une profession de foi. Il estaccompagné d'une imposition des mains, suivie de la remise d'un vêtement blanc. Il est normalement donnépar immersion dans une eau courante. Il est précédé ou suivi d'une onction d'huile consacrée. À l'aube dudimanche, après la veillée du samedi soir, les chrétiens se réunissent pour célébrer l'eucharistie. C'estl'origine du dimanche comme « jour du Seigneur », « anniversaire » hebdomadaire de la Résurrection. Leschrétiens continuent de célébrer les fêtes juives, la Pâque, la Pentecôte, les Tabernacles, où ils voient nonplus seulement le rappel des événements de l'Ancien Testament, mais aussi le mémorial des mystères duChrist et la préfiguration de son retour eschatologique.

À travers ces données communes, des tendances très diverses se manifestent dans l'Église primitive, qui sont pour une part le reflet des complexités du milieu juif de l'époque. Beaucoup de chrétiens vivent dans l'attente du retour imminent du Christ, ce que montrent les Épîtres aux Thessaloniciens. Certains pensent qu'il y aura un règne millénaire du Christ sur la terre : d'autres, à l'inverse, de tendance gnostique, croient que la résurrection est déjà accomplie avec le baptême et la conversion. Un courant assez puissant pense

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que la fidélité intégrale à l'Évangile implique la renonciation au mariage. Les vierges et les ascètes sontnombreux dans la communauté. Ces années 30 à 70 sont des années d'intense fermentation, où se préfiguredéjà la puissance d'expansion que le christianisme présentera par la suite dans la conquête du mondeméditerranéen.

Jean DANIÉLOU

II- L'Église face au monde païen

L'organisation de la communion chrétienne

« Là où est le Christ, là est l'Église catholique », écrit Ignace d'Antioche († env. 107), qui le premier veutexpliquer par ce mot l'universalité du salut. Cette unique Église se réalise en chaque cité dans la communionde charité fraternelle qui unit les croyants entre eux autour de l'évêque, que les lettres d'Ignace d'Antiocheconsidèrent comme le chef de toute communauté chrétienne. Reconnu comme successeur des Apôtres, ilgarde la foi, préside au culte, stimule et surveille la fidélité de chacun ; quelques anciens ou presbytres lesecondent dans ce service (« ministère ») auprès des frères, tandis que des diacres, parfois aussi desveuves, assurent des tâches d'assistance.

Chaque communauté prend bientôt elle-même le nom d'Église, et ainsi le livre de l'Apocalypse seprésente-t-il comme une lettre aux sept Églises. Mais chacune entend bien demeurer en communion avec lesÉglises voisines ; les évêques d'une même région s'écrivent, se consultent et, à l'occasion, se réunissent ensynodes provinciaux. Une vénération spéciale entoure déjà l'Église romaine, « présidente de l'alliancedivine » (Ignace d'Antioche). L'évêque de Rome, successeur de Pierre, croit pouvoir en plusieurscirconstances imposer son point de vue dans des conflits de quelque importance. « L'ensemble des croyantsde tous les pays, écrit Irénée de Lyon, doit demeurer en accord avec l'Église de Rome. »

Les rites eux aussi s'organisent. Un temps de catéchuménat prépare au baptême. L'augmentation dunombre des croyants oblige assez rapidement à renoncer aux célébrations domestiques de l'eucharistie ; onse rassemble en des lieux plus vastes et néanmoins discrets, des cimetières par exemple (catacombes deRome), voire – là où la persécution est moins menaçante – dans des édifices (basiliques) spécialementconstruits dans ce but. En dépit de l'austère discipline de vie qu'ils s'imposent, les chrétiens ne sont pas àl'abri de toute défaillance morale. À ceux-là une voie de pénitence est ouverte, comme un second baptême ;un écrit comme le Pasteur d'Hermas en témoigne, sans toutefois en indiquer les modalités.

Révélation chrétienne et culture païenne

Que Jésus de Nazareth, crucifié et ressuscité, soit Fils de Dieu et Sauveur des hommes, comment unetelle croyance pourrait-elle se propager sans remous dans un monde que domine une culture à la foisraisonneuse et syncrétiste ?

Des intellectuels comme Celse (IIe s.) ou Porphyre (IIIe s.) raillent les absurdités du message chrétien,dénoncent le péril qu'il représente pour l'ordre public. Contre ces attaques, saint Justin (IIe s.) défend enphilosophe la supériorité des valeurs chrétiennes ; l'Africain Tertullien met son talent d'avocat romain auservice de la cause de ses frères ; avec plus de douceur et de clarté, Minucius Felix dévoile l'impuissance duscepticisme romain.

Face à la culture païenne, les apologies soulignent ainsi davantage les ruptures que les continuités. Cesdernières sont au contraire volontiers captées par de subtils systèmes de pensée, plus ou moins ésotériques,inclinés à tout réduire en valeurs de connaissance. La gnose, sous ses diverses élaborations, représente, dèsle IIe siècle, le plus grand danger pour la foi chrétienne, menaçant d'en dissoudre la substance. N'avance-t-onpas que le Christ n'aurait eu qu'une apparence humaine (docétisme) ? Marcion refuse toute valeur à l'AncienTestament, et met ainsi en cause l'historicité de la nouvelle alliance.

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Contre la contamination gnostique, deux réactions sont possibles : ou bien entrer dans le jeu de cevocabulaire mais pour manifester quel type original de connaissance et de vie représente la foi enJésus-Christ ; tel est le sens de l'enseignement de Clément d'Alexandrie ( env. 215) et d'Origène (  251) dansla ville même de Philon ; ou bien réfuter systématiquement, comme s'y emploie saint Irénée. Tout effortspéculatif n'a de valeur, selon lui, que dans le respect intégral de la révélation dont le dépôt, confié auxApôtres, nous a été transmis par la chaîne ininterrompue de leurs successeurs (tradere, tradition).

Autant que les idées, les mœurs païennes menacent l'authenticité chrétienne. L'équilibre est difficile àmaintenir entre la naïve acceptation de la morale courante à laquelle inclinent certains gnostiques et le refusfanatique du monde, voire du mariage, que prônent Montan et ses sectateurs, au nombre desquels finit parse ranger un théologien comme Tertullien. Les défections dans les périodes de persécution posent avecacuité le problème d'une discipline à la fois exigeante et miséricordieuse. Contre un parti des « purs »,groupé autour de Novatien, le pape Corneille et l'évêque Cyprien de Carthage choisissent d'admettre leslapsi à la pénitence.

Les chrétiens et le pouvoir

L'Église n'a rien d'une force politique ; à la suite des Apôtres, ses responsables enseignent la soumissionà toute autorité. Cependant, tandis que les juifs, admis comme monothéistes, pouvaient demeurer à l'écartdu culte officiel des empereurs, la même attitude de la part des chrétiens – assez mal connus d'ailleurs– suscite une plus grande méfiance, qui parfois tourne à l'hostilité, voire à la violence. Les persécutions, donton discute encore les fondements juridiques, ont pu n'être pour la plupart qu'épisodiques et locales ; lesempereurs Dèce (249-251) et Dioclétien (284-305) sont les seuls à avoir poursuivi systématiquement unepolitique de répression. Le climat de persécution a cependant été assez caractérisé pour que la perspectivedu martyre demeurât à l'horizon de toute vie chrétienne. Le culte dont les martyrs sont presqueimmédiatement l'objet ne peut que renforcer cette conviction. Dans ces conditions, demander le baptême,c'est s'engager à suivre le Christ jusqu'au bout, se déclarer prêt à « porter sa croix », comme on dit alors,« jour après jour ». Le monachisme prendra plus tard la relève de cette spiritualité...

III- L'héritage de l'Empire romain et l' « éducation » despeuples barbares

La conversion de l'empereur Constantin, en 313, est un événement d'immense conséquence. Hierétrangère à la société, voici que l'Église en devient une des forces vives, lui communiquant ses espéranceset transformant ses mœurs. Elle demeure force d'éducation et d'unité lorsque les structures de l'Empire sedisloquent sous les poussées successives des peuples barbares.

L'Empire romain devient chrétien

La conversion de Constantin ne change rien à la religion officielle de l'État, dont l'empereur demeure le pontife suprême. Mais les chrétiens cessent d'être suspects. Les possessions de leurs communautés s'accroissent sous la garantie commune de la loi, leurs ministres participent aux privilèges des prêtres païens, l'évêque de Rome s'installe au palais du Latran, des édifices de culte se construisent, spécialement à Jérusalem (Saint-Sépulcre) et à Rome (Saint-Pierre). Avantages précaires, tant que l'opportunisme politique commande l'attitude des empereurs, tant que les cadres de la société demeurent païens de mentalité et de cœur. Un instant, tout semble même remis en question lorsque l'empereur Julien (361-363), apostat d'un christianisme jamais assimilé, tente de restaurer l'ancienne religion. Mais le processus inauguré par Constantin se poursuit : plus d'autel de la victoire au Sénat, décide Gratien ( 383), qui renonce à son titre de pontife ; l'usage des sacrifices est interdit par Théodose ( 395) dans tout l'Orient ; bientôt, sous Justinien ( 565), seuls les baptisés jouiront des droits de citoyen, les coupables d'hérésie seront exclus des fonctions publiques. Le christianisme est devenu la religion de l'Empire et, ainsi, d'une certaine manière, lui appartient. Si l'Église participe au pouvoir, elle doit aussi compter avec lui : l'indépendance est plus difficile à l'égard d'un protecteur que d'un ennemi. En quelques circonstances, en tout cas, des évêques savent rappeler aux

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gouvernants qu'ils ne sont pas au-dessus des lois ordinaires de la vie chrétienne ; ainsi saint Ambroise àl'égard de Théodose.

Les structures internes de l'Église

L'organisation ecclésiastique se modèle sur celle de l'administration impériale : chaque cité à sonévêque, choisi par le peuple, secondé par divers ministres, spécialement des prêtres, qui président au cultedans les campagnes, en chaque province, l'évêque de la cité principale a prééminence sur ses collègues etpréside leurs réunions, ou synodes provinciaux. Quelques Églises d'Orient, plus anciennes et plusimportantes, étendent leur autorité à plusieurs provinces ; ainsi se constituent les patriarcats d'Alexandrie etd'Antioche, puis ceux de Constantinople (381) et de Jérusalem (451) ; seule l'Église de Rome tient enOccident une position semblable. De grands conciles rassemblent les évêques de la communauté(oïkouménè) chrétienne ; ils se tiennent en Orient, mais toujours en communion avec l'évêque de Rome, quis'y fait représenter par les légats.

Le jeu des forces géographiques et culturelles, qui, au-delà des rivalités de personnes, a entraîné ladivision définitive du pouvoir impérial entre Orient et Occident (395), s'exerce aussi au sein de l'Église. Autredéjà la figure des Églises d'Orient, avec leurs liturgies, la multitude de leurs monastères, la passion qu'ysuscitent les controverses dogmatiques, autre la figure de l'Occident, désormais latin, où s'étend la pratiquedu célibat des prêtres, où se dessinent avec saint Augustin des orientations plus « psychologiques » enmatière de réflexion religieuse.

La crise arienne et les hérésies christologiques

Qu'importent les diversités de culte ou de discipline si tous communient dans une même foi en JésusSauveur ? Mais précisément l'intégrité de cette foi se trouve menacée dans le nécessaire effort des espritscultivés pour confronter entre elles les données de l'Écriture, pour exprimer en catégories rationnelles lesrichesses du mystère révélé. Il y a péril à s'en tenir à un seul point de vue, et c'est l'opiniâtreté dans de telschoix (hérésies) qu'évêques et conciles combattent tout au long des IVe et Ve siècles, à la recherche d'uneexacte formulation de la foi.

La première crise est celle de l'arianisme, qui met en cause la divinité de Jésus et, par là même, la réalitéde son œuvre rédemptrice. Le premier concile œcuménique réuni à Nicée en 325 sur l'initiative deConstantin adopte un symbole de foi qui exclut nettement les doctrines d'Arius. Mais celles-ci n'encontinuent pas moins, sous des formes plus ou moins mitigées, à contaminer la cour impériale et denombreux évêques. L'intrigue s'en mêlant, plusieurs défenseurs de l'orthodoxie paient de l'exil leurintransigeance, tels saint Athanase d'Alexandrie ou saint Hilaire de Poitiers. L'unité de l'Église est néanmoinssauvée lorsque le concile de Constantinople, en 381, réaffirme solennellement la foi de Nicée.

Les querelles se concentrent alors sur le mystère du Christ Dieu et homme, opposant deux écoles(Antioche, avec Théodore de Mopsueste ; Alexandrie, avec Cyrille), dont les formulations excessives(Nestorius et Eutychès) sont successivement condamnées par les conciles d'Éphèse (431) et de Chalcédoine(451). Dans l'un et l'autre cas, l'intervention préalable de l'évêque de Rome joue un rôle décisif. « Pierre aparlé par la bouche de Léon », déclarent les pères de Chalcédoine. Mais alors, si la foi est précisée, il s'ensuiten revanche que des Églises se séparent de la communion catholique : une Église nestorienne en Perse,plusieurs Églises monophysites, dite copte en Égypte, jacobite en Syrie, arménienne en Asie Mineure.

C'est en référence au comportement pratique que le problème du salut divise les esprits et suscite leschisme en Occident. La valeur du baptême est liée à la sainteté de ceux qui l'administrent, prétendent lesdisciples de l'évêque de Carthage, Donat ; le salut est à la portée de l'effort humain, hors la grâce du Christ,enseigne Pélage. Contre les premiers, saint Augustin défend l'unité de l'Église, affirmant contre le secondl'absolue gratuité du salut et la toute-puissance de la grâce sur le vouloir humain vicié par le péché originel,il engage l'Occident dans une problématique d'où naîtront plusieurs crises au cours des siècles.

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L'Église et les temps barbares

En Occident, c'est sur elle-même que l'Église doit compter pour maintenir son unité, et non sur le pouvoirqui, dès le Ve siècle, se disloque sous les pressions des invasions barbares. Tel saint Léon ( 461) à Rome, lesévêques apparaissent un peu partout comme les défenseurs des cités ; maintenant ainsi leur cohésion,celles-ci offrent un point d'appui pour la formation de nouveaux royaumes. Teintés d'arianisme ou – commeles Francs – encore païens, les envahisseurs se laissent conquérir par les hommes d'Église, qui les initientsimultanément à leur langue, à leur civilisation, à leur foi catholique...

L'attitude missionnaire qui a permis aux Églises de survivre sous de nouveaux maîtres les pousse à leurtour à la conquête au-delà des frontières de l'ancien empire, dont le rayonnement culturel se trouve ainsiprolongé et élargi : moines romains que le pape saint Grégoire envoie chez les Angles, moines irlandais surla grande île voisine, puis, à travers le continent, compagnons ou émules anglo-saxons de saint Willibrord enFrise ou de saint Boniface en Germanie ; le mouvement se poursuit pendant plusieurs siècles en direction del'est et du nord.

Qu'ils s'inspirent de la règle de saint Benoît, de celle de saint Colomban ou de quelque autre homme deDieu, les monastères sont le réservoir et l'instrument de ces énergies spirituelles ; c'est par eux que seconserve et se transmet l'héritage du savoir antique et de la tradition chrétienne. Quelques noms évoquentles régions et les moments où cette vitalité intellectuelle s'affirme davantage : Cassiodore au VIe siècle enItalie, Isodore de Séville au VIIe siècle, Bède le Vénérable en Angleterre au VIIIe siècle. De nombreux concilesrégionaux assurent la cohésion de tous ces efforts, déterminent normes et directives selon lesquellescoutumes et droit des barbares, valeurs originales du christianisme celtique, héritage de l'Empire romain semarient pour modeler de nouvelles formes de civilisation chrétienne. La langue latine, qui, dansl'administration comme dans la liturgie, garantit, jusque dans les pays germaniques, l'unité de l'Églised'Occident accentue la division de la société entre clercs et laïques. Les largesses et le labeur de ces dernierscontribuent à une extension considérable de la propriété ecclésiastique, source d'indépendance certes, maisaussi appel à la convoitise et à l'ingérence du pouvoir. L'Église ne considère la cité des hommes que dansson ordination à la cité de Dieu. C'est aux évêques, enseigne le pape Gélase ( 496), que le jugement de Dieudemandera compte de la conduite des rois.

La nostalgie de l'Empire romain et la politique carolingienne

Une seule cité et deux pouvoirs : le pape et l'empereur. On continue de voir ainsi les choses à Rome, endépit de l'extrême affaiblissement de l'autorité byzantine sur la Ville éternelle. En réalité, Rome est sansdéfense devant la menace grandissante des Lombards. Cherchant alors appui auprès des Francs, la papautéfavorise la montée de la nouvelle dynastie issue de Charles Martel, qui en 732 avait repoussé vers l'Espagneles guerriers arabes parvenus jusqu'à Poitiers. Non contents de protéger militairement l'évêque de Rome,Pépin puis Charlemagne, par diverses donations, lui octroient souveraineté immédiate sur une partie del'Italie, donnant ainsi naissance à l'État pontifical. À part les îles Britanniques, à part aussi l'Afrique du Nordet une partie de l'Espagne maintenant sous la domination de l'Islām, l'Occident passe sous l'autoritécentralisatrice de Charlemagne. Appuyée sur de solides bases techniques (collections canoniques, livresliturgiques romains) soutenue par des conseillers de valeur (Alcuin), la politique réformatrice deCharlemagne s'étend à l'instruction religieuse du peuple, à la formation et à la discipline du clergé, àl'administration épiscopale, voire aux formulations de la foi. S'estimant responsable du progrès et de ladéfense de l'Église du Christ, le souverain franc confinerait volontiers le pape dans ses fonctions de culte etde prière, tel Moïse élevant les mains vers Dieu pendant que le peuple combat dans la plaine. Lecouronnement de Charlemagne comme « empereur des Romains » par le pape Léon III, en l'an 800, ne faitque sanctionner ce que l'on croit être la restauration de l'unité d'autrefois.

L'Église au pouvoir des laïques

La réforme ecclésiastique se poursuit après la mort de Charlemagne (814). Sous l'action de Benoît d'Aniane, l'observance de la règle de saint Benoît s'étend ; la vie communautaire (ou canoniale) d'une partie du clergé est définie et organisée par le concile d'Aix-la-Chapelle (816) ; quelques abbayes demeurent des

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foyers de vie intellectuelle : Fulda avec Raban Maur, Corbie avec Paschase Radbert ; près de la cour deCharles le Chauve, Jean Scot Érigène donne un enseignement dont l'influence se prolonge jusque dans lapensée médiévale.

Cependant, l'unité carolingienne révèle vite sa fragilité. La division tripartite de l'empire par le traité deVerdun (843) amorce un processus de désagrégation que de nouvelles invasions (Normands) contribuent àaccélérer. La restauration allemande de l'empire par Otton le Grand en 962 n'enraye pas l'évolution d'unebonne partie de l'Europe vers cette hiérarchie complexe d'autonomies et d'interdépendances que l'onappelle la féodalité. L'Église est prise dans ce processus de morcellement. Détenteurs, du fait de leurspossessions, d'une certaine souveraineté temporelle, les évêques sont sous la dépendance de leurssuzerains, même dans l'acceptation et l'exercice de leurs fonctions spirituelles. Les choses sacréesdeviennent ainsi objet de trafic (simonie), tandis que le mariage des prêtres (nicolaïsme), avec latransmission héréditaire des biens qui en est une conséquence de fait, met en péril la propriétéecclésiastique tout autant que le prestige de ministres sacrés auprès des laïques. Nulle part sans doutel'avilissement de la condition sacerdotale n'est aussi scandaleux qu'à Rome où, au Xe siècle, les factionspolitiques se disputent le siège de saint Pierre occupé par des indignes, dont le plus tristement célèbre fut lepape Jean XII (955-964).

À la même époque, cependant, l'effort missionnaire vers le nord (Scandinaves) ne se ralentit pas. Uncertain sens du spirituel demeure chez ces rudes barons féodaux qui s'appuient sur la prière des moinespour se ménager le chemin du ciel ; respectant plus ou moins les biens des pauvres et les trêves de Dieu, ilsse laissent éduquer par les usages de la chevalerie. Auprès de certains évêques, des équipes de clercss'appliquent à recopier tout ce qui dans les anciens conciles ou les lettres des papes pourrait servir d'appuiaux redressements nécessaires ; quelques-uns n'hésitent pas à fabriquer les documents qui leur font défaut ;des collections canoniques vont désormais véhiculer de « fausses décrétales », qu'utilisera la réformegrégorienne.

Relâchement des liens entre l'Orient et l'Occident

L'Orient lui aussi a subi des invasions. Mais l'Islām, dont l'expansion commence au VIIe siècle, ne se laissepas assimiler ; là où il s'implante, les Églises chrétiennes ne survivent qu'avec difficulté, quelques-unesmême disparaissent complètement (Afrique du Nord). En revanche, les Églises demeurées libres ont ellesaussi leurs missionnaires en Europe centrale, en Bulgarie, en Russie où le grand-prince Vladimir reçoit lebaptême en 989. Les pionniers de cette expansion ont été les deux frères Cyrille ( 869) et Méthode ( 885),apôtres de la Moravie, dont la liturgie en slavon deviendra celle de l'Église russe.

Les querelles christologiques se prolongent encore au VIIe siècle jusqu'au concile de Constantinople(680-681), qui condamne le monothélisme. Au siècle suivant, les conflits se concentrent sur le culte desimages, proscrit comme une idolâtrie par l'empereur Léon III l'Isaurien en 727 et approuvé par le concile deNicée (787) sous l'impératrice Irène, au milieu de péripéties de troubles et de persécutions. Le patriarche deConstantinople demeure sous l'autorité du « basileus ».

Entre Orient et Occident, le fossé ne cesse de s'élargir. On ne parle pas la même langue, la disciplineecclésiastique se développe différemment, les usages liturgiques ne sont pas les mêmes. Certes, il y a desgestes de collaboration, entre Cyrille et Méthode et le pape Nicolas Ier, entre Charlemagne et l'impératriceIrène. Mais l'addition du Filioque au chant latin du symbole de Nicée, le couronnement de Charlemagne sontautant d'atteintes à la susceptibilité byzantine. Le conflit entre le patriarche Photius et le pape, au milieu duIXe siècle, n'est qu'un épisode sans lendemain ; mais ce qui demeure et s'intensifie, c'est l'estrangemententre deux mentalités qui, depuis longtemps, se développent chacune dans sa propre sphère.

Les dernières années du Xe siècle voient une remontée de la puissance byzantine, tandis qu'en Occidentse mettent en place les conditions de la réforme grégorienne avec l'affirmation vigoureuse de la primautéromaine. De nouvelles maladresses conduiront alors à la rupture irréparable.

IV- L'hégémonie de l'Église romaine en Occident

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Dans la première partie du XIe siècle, les empereurs d'Allemagne ont reconquis assez d'autorité à Romepour y désigner eux-mêmes les successeurs de saint Pierre. Libérée du jeu avilissant des factions politiqueslocales, la papauté ne tarde pas à vouloir se dégager également de la tutelle impériale. Le pas est franchilorsqu'un décret de Nicolas II, en 1059, réserve en priorité le choix du pape aux principaux dignitairesecclésiastiques de la cité, évêques ou prêtres appelés cardinaux. Bientôt saint Grégoire VII (1073-1085)imprime à l'ensemble de l'Église d'Occident une nouvelle orientation par une affirmation intransigeante del'autorité du Siège romain, en tout domaine, sur les évêques et les rois. Les principes d'un nouvel équilibredes pouvoirs sont simultanément énoncés et mis en œuvre. Un conflit particulièrement aigu oppose le papeà l'empereur Henri IV, contraint à s'humilier comme un pénitent à Canossa.

La réforme grégorienne s'engage au moment où des forces de renouveau se manifestent de toutes parts.La rencontre de ce dynamisme et de cette direction prépare la réussite de la Chrétienté, dont l'heureuxéquilibre ne se maintiendra pas au-delà du XIIIe siècle.

Réformes monastiques et ambiguïté des mouvementsévangéliques

L'essor démographique et économique qui marque le développement de l'Occident du XIe au XIIIe siècles'accompagne d'un foisonnement d'initiatives religieuses. Partout des abbayes se fondent ou se réforment,groupées en ordres différents, dont les plus importants (Cluny, Cîteaux) étendent sur l'Europe entière leréseau très dense de leurs constructions romanes. La vie terrestre ne semble prendre tout son sens, pourbeaucoup d'hommes de ce temps, que grâce à ces déserts (comme la Chartreuse) ou à ces cités de prière oùtout est référé à Dieu. Ceux-là qui ne poussent pas le mépris du monde jusqu'à se faire moines donnentvolontiers aux monastères leur protection, leurs biens, leur travail ; ou bien, quittant provisoirement ce quileur est le plus cher, ils partent sur les routes, pèlerins de Saint-Jacques-de Compostelle ou de Jérusalem. Lapuissance effective des indulgences, pour susciter dévouement, voire héroïsme personnel ou générositéfinancière, sera pendant longtemps le signe des dispositions intimes de tout un peuple préoccupé del'au-delà. En même temps que monte la richesse, des prédicateurs font revivre l'image d'une Église primitiveoù l'on mettait tout en commun ; clercs et laïques se rejoignent volontiers pour des expériences de « vieapostolique » qui, en plus d'un cas, se stabilisent en des institutions durables (chanoines réguliers).L'Évangile retrouve fraîcheur et virulence ; mais des laïques en viennent à l'opposer à l'Église – ainsi lemarchand lyonnais Pierre Valdo. Mêlées parfois à l'insatisfaction politique et sociale, les requêtesd'authenticité évangélique offrent alors un terrain favorable à la diffusion de l'hérésie ; le catharismes'implante de cette manière dans le midi de la France et le nord de l'Italie.

À travers les tensions où parfois s'opposent écoles monastiques et écoles épiscopales auprès descathédrales, recherche de Dieu et désir humain du savoir, lecture symbolique et analyse critique de l'Écriture(l'affrontement de saint Bernard et d'Abélard est caractéristique), c'est une véritable renaissance littéraire etthéologique qui se déploie au XIIe siècle.

Rôle prédominant de l'Église romaine

« Le pontife romain, qui seul mérite d'être appelé universel, à tout pouvoir sur les évêques, qu'il peut à son gré déposer. » Ces affirmations de Grégoire VII révèlent une nouvelle manière de penser les réalités de l'Église, à savoir en termes de pouvoirs plutôt qu'en termes de communion. Elles inaugurent une politique de centralisation qui, sans être pour autant inversée, ne sera mise en cause que par le deuxième concile du Vatican. Au-dessus des instances métropolitaines joue de plus en plus l'action de légats pontificaux, auxquels il revient souvent de présider les conciles provinciaux, d'influencer les élections d'évêques, tandis que l'exemption accordée à des formations monastiques aussi puissantes que Cluny limite le domaine de toute autorité épiscopale. La portée des synodes locaux tenus à Rome s'étend bien au-delà de l'Italie. À partir de 1123, le concile général devient un instrument de gouvernement que les papes, tel Innocent III au quatrième concile de Latran (1215), savent utiliser pour les intérêts les plus vitaux de tout l'Occident chrétien. Du Décret de Gratien (vers 1140) aux Décrétales de Grégoire IX (1234), le droit canonique assure la cohésion et la continuité de cette politique pontificale ; devenu une véritable discipline scientifique, il assure pour une bonne part la formation du haut clergé, plus sans doute que le recueil des Sentences du théologien parisien

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Pierre Lombard.

Empereurs et rois dépendent de l'Église romaine autant que les évêques. Détenteur du glaive temporelcomme du glaive spirituel, le Vicaire du Christ garde droit absolu de contrôle sur ceux à qui il en confiel'usage. À ces conceptions, les empereurs, dans un même climat d'« augustinisme » politique, opposent unedoctrine qui leur assure au contraire le rôle suprême. Le conflit entre le Sacerdoce et l'Empire, dominé auXIIe siècle par la querelle des Investitures, se poursuit jusqu'en plein milieu du XIIIe siècle, lorsque, après laréussite théocratique d'Innocent III, Frédéric II mène la lutte contre Grégoire IX et Innocent IV.

Sans doute les complexités de la politique italienne absorbent-elles progressivement l'action du pouvoirpontifical. Mais sans sa puissance de direction et d'arbitrage, sans son animation, rien n'eût été possible decet essor culturel du XIIIe siècle que n'entravent pas encore les frontières nationales ; il n'eût pas été possiblede mobiliser tant d'énergies pour des causes intéressant la Chrétienté, comme la construction descathédrales ou les croisades. Créée pour l'Orient et prolongée par des ordres militaires, la croisade est uneinstitution typique de la Chrétienté ; elle est l'instrument de la reconquête de l'Espagne sur l'Islām, de lasoumission de l'hérésie albigeoise, de l'expansion vers la Prusse...

Rupture avec l'Orient

Si spectaculaire qu'elle ait été, l'excommunication de Michel Cérulaire, patriarche de Constantinople, parles légats de Léon IX (1054), n'était pas un acte irréparable ; mais la politique suivie par les successeurs deGrégoire VII a consommé la rupture.

C'est pour porter secours aux chrétiens d'Orient menacés par les Turcs, déjà maîtres du tombeau duChrist, qu'Urbain II suscite la croisade, en 1095. Mais le succès de l'expédition entraîne de nouvellesinterventions propices au développement d'un esprit de conquête et d'expansion. Le détournement de laquatrième croisade sur Constantinople sous l'action de Venise (1204), la création d'un Empire latin d'Orientengagent une politique de latinisation (hiérarchie, liturgie) dont les plus ardents promoteurs de l'union neperçoivent pas les méfaits. L'aggravation des menaces turques, en effet, peut bien pousser l'empereurMichel Paléologue à des négociations que couronne l'acte solennel d'union, au deuxième concile de Lyon(1274) ; cette union, qu'aucun mouvement profond ne soutient, se révèle vite éphémère ; l'Église d'Orientdésavoue presque aussitôt son empereur.

Inquisition et universités

C'est l'unité de croyance qui fait la cohésion et l'équilibre de la Chrétienté. Dans une telle société,l'hérésie représente alors le plus grand danger, qu'il faut écarter par tous les moyens, y compris la guerre(croisade des albigeois) ou toute forme de contrainte. L'empereur Frédéric II fait de l'hérésie un crime delèse-majesté, passible du feu, tandis que le pape Grégoire IX organise les tribunaux d'Inquisition. Certes, lafoi procède d'un acte libre et ne saurait être imposée de force à des païens, disent les meilleurs desthéologiens ; mais un baptisé n'est pas libre de trahir sa patrie spirituelle...

Plus efficaces pour la sécurité et l'approfondissement de la foi s'avèrent les universités, groupementscorporatifs de maîtres et d'étudiants dont les papes favorisent la relative indépendance à l'égard desautorités locales. Les franchises institutionnelles y servent, mais lentement, la liberté de la recherche.Longtemps, en effet, la curiosité pour la philosophie, pour Aristote en particulier, continue d'effrayer lesmaîtres patentés, avant que les grands scolastiques, autour de Thomas d'Aquin, ne manifestent la capacitéde la foi à assumer harmonieusement et organiquement toutes les ressources du savoir humain. Sous lalumière de la foi, la raison redécouvre sa propre autonomie, la structure naturelle des choses, voire lavéritable consistance d'un ordre politique temporel.

Les ordres mendiants au-dedans et au-delà de la Chrétienté

Autant peut-être qu'à François d'Assise et Dominique, leurs fondateurs, les ordres mendiants doivent leur essor à la clairvoyance d'Innocent III, à l'intelligent soutien de Grégoire IX. En revanche, l'Église romaine

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recrute désormais parmi eux ses agents les plus dévoués ; ils deviennent les meilleurs défenseurs del'universelle juridiction pontificale quand leur propre existence, qui en dépend, se trouve menacée. Par leurprédication, les diverses associations qu'ils animent, leur enseignement dans les universités, la part qu'ilsprennent aux négociations des particuliers et aux activités de la vie publique, les conseils qu'ils apportentaux magistrats ou aux princes, ils sont au cœur de la promotion chrétienne des laïques dans ledéveloppement de la civilisation urbaine.

Avec eux, la Chrétienté regarde au-delà de ses frontières. La conversion de l'Islām, que l'on côtoie enEspagne, en Afrique du Nord et au Proche-Orient, demeure une perspective ouverte. Pérégrinant pour leChrist, frères mineurs et frères prêcheurs poussent leurs explorations missionnaires au cœur de la Russie,aux Indes et jusqu'en Chine. Par eux les papes tentent, un peu naïvement peut-être, de contracter desaccords avec l'énorme puissance mongole. Perdant bientôt de sa cohésion, l'Église d'Occident ne peutpoursuivre cet effort.

V- Vers la dislocation de la Chrétienté

Vicissitudes du pouvoir pontifical

Dans le conflit qui l'oppose à Philippe le Bel, Boniface VIII (1294-1303) n'affirme avec tant dedogmatisme ses prérogatives de pontife romain que parce qu'il les pressent radicalement mises en questionpar la doctrine – déjà moderne – de l'État, dont se réclament le roi de France et ses légistes. L'équilibre desforces politiques et spirituelles qui constituait la Chrétienté est menacé dans son principe même.

Pour échapper aux factions qui, dans leurs propres possessions italiennes, paralysent leur pouvoir, lessuccesseurs de Boniface VIII viennent s'installer à Avignon, se plaçant ainsi dans la mouvance française.Philippe le Bel domine le concile de Vienne (1311) et lui fait avaliser sa politique de destruction desTempliers. Poussée jusqu'au schisme, la lutte entre Louis de Bavière et Jean XXII s'appuie elle aussi sur unevéritable propagande doctrinale ; l'interprétation averroïste d'Aristote par Marsile de Padoue, la critiquenominaliste de Guillaume d'Ockham se développent dans une philosophie politique qui, non contente desoutenir l'autonomie de l'État, s'en prend aussi à la structure monarchique de l'Église. Le retour du pape àRome (1377) ne fait qu'aviver les intrigues partisanes, et en 1378 la Chrétienté se déchire en deux. Il y aschisme, mais qui est schismatique ? Personne bientôt ne le sait plus. À Rome comme à Avignon, chacun despapes trouve un saint auprès de lui – ici saint Vincent Ferrier, là sainte Catherine de Sienne – pour le fortifierdans sa bonne conscience ; rois et princes accordent ou reprennent leur obédience à l'un ou à l'autre aumieux de leurs intérêts nationaux ; de part et d'autre, de nouveaux conclaves prolongent la situation ; unjour, il y a même trois papes à la fois. Comment les tentatives pratiques pour réduire le schismen'auraient-elles pas une répercussion profonde sur l'idée même qu'on se fait de l'Église ? Si le concile deConstance réussit à rétablir l'unité (1418), ne serait-ce pas le signe que dans l'Église de Jésus-Christ lepouvoir suprême appartient au concile général, autorité supérieure à celle du pape ? Cette conceptionconciliariste de l'Église semble triompher au concile de Bâle (1431-1449), mais s'y compromet par les excèsauxquels conduit alors la rébellion contre Eugène IV. Celui-ci sait exploiter ces fautes et restaure le prestigede l'autorité pontificale par la manière dont il conduit et fait aboutir le concile de Florence (1438-1445), lepremier des conciles occidentaux à se déclarer « œcuménique ».

Des évêques byzantins, en effet, autour de leur empereur, participent à ce concile d'union. La menacegrandissante des Turcs sur l'empire, qui a motivé ce désir de rapprochement, ne suffit pas à en expliquer lesuccès immédiat, qui procède d'une très sérieuse confrontation sur les problèmes théologiques en litigedepuis des siècles. Même à Florence, une certaine opposition byzantine – minoritaire au sein même dugroupe oriental – n'a jamais désarmé ; dès le retour en Asie, elle rallie le plus grand nombre. L'union aura étéune fois de plus éphémère ; la prise de Constantinople par les Turcs en 1453 bouche pour longtemps toutesles perspectives. Mais l'Occident était-il lui-même alors vraiment mûr pour un rapprochement ?

La réforme, nécessaire et difficile

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Le thème d'une nécessaire réforme de l'Église « dans sa tête et dans ses membres » est à l'ordre du jourdepuis le concile de Vienne (1311). Mais en cette période de déséquilibre les forces de rénovation sont assezsouvent aussi des forces de rupture.

Ainsi que les États modernes en formation, la papauté d'Avignon met en place un certain nombred'organismes administratifs et judiciaires. Mais le financement de cet appareil, celui aussi de tantd'entreprises somptuaires (palais des papes, etc.), entraînent le développement d'une fiscalité dont le poidsse répercute sur tous les points de la Chrétienté ; les ressentiments nationaux contre la curie s'en trouventfortifiés, spécialement en Angleterre et en Allemagne ; conséquence plus grave, le rapport se fausse entreles responsabilités pastorales et les ressources destinées à en permettre l'exercice ; le système bénéficial,avec les abus auxquels conduisent la réserve, la commende, les cumuls, est pour toute l'Église d'Occidentcomme un ver dans le fruit.

Plus les désordres sont criants, plus les réactions sont excessives. Le théologien Wyclif en vient à unecritique radicale des institutions ecclésiales ; ses idées, propagées en Angleterre par la prédication« apostolique » des lollards, trouvent écho jusqu'en Bohême, aux dépens de Jean Huss dont l'actionréformatrice est présentée par ses adversaires politiques comme véhiculant les mêmes erreurs. En livrantJean Huss au feu comme hérétique (1415), le concile de Constance donne sa cohésion à une véritabledissidence schismatique, celle des hussites.

Au sein des ordres religieux, les mouvements de réforme suscitent des directeurs spirituels (mystiquesrhénans et flamands), des prédicateurs (Vincent Ferrier, Bernardin de Sienne), des animateurs de confréries,qui entretiennent parmi le peuple chrétien un sens plus intérieur de la prière, dont la « dévotion moderne »(Imitation de Jésus-Christ) accentue fortement l'individualisme. Hantise de la mort et angoisse du salutcaractérisent la sensibilité religieuse du XVe siècle, qui cherche consolation et sécurité à la fois dans uneméditation plus affective de la passion du Christ et dans un recours plus ou moins formaliste à denombreuses « pratiques ». Le succès des jubilés – et leur exploitation financière – en est un bel exemple.

Dans les universités, trop souvent encombrées et paralysées par d'inutiles et subtiles disputes d'écolesthéologiques rivales, une critique radicale du mode même de la pensée (nominalisme) ouvre la voie à unempirisme assez constructif, tandis qu'une science philologique naissante applique ses efforts aux trésorspartout redécouverts de l'Antiquité gréco-latine. Les progrès de l'humanisme préparent ainsi le terrain à unrenouveau profond de la théologie chrétienne ; la fréquentation littéraire du paganisme ancien conduit aussi,en Italie spécialement, à un certain affranchissement de la pensée et des mœurs, y compris chez leshommes d'Église.

Le cinquième concile du Latran

Tandis que se cherche difficilement un nouvel équilibre des valeurs, les papes de la fin du XVe siècledemeurent de plus en plus enfermés dans les complexités de la politique romaine et italienne, dans leursambitions familiales, dans le souci de leurs constructions et de leurs plaisirs et – à tous ces niveaux – dansleurs préoccupations d'argent. Après le pontificat à la fois brillant et scandaleux d'Alexandre VI Borgia,Jules II (1503-1513), se faisant au besoin chef de guerre, redonne à la papauté un véritable rôle de directionpolitique sur l'ensemble de la péninsule italienne. La flamblée des idées conciliaristes que provoque le conflitavec la France (concile de Pise-Milan) est étouffée par le cinquième concile du Latran (1512-1517), où Jules IIréaffirme la supériorité absolue du pape sur tout concile, tandis que Léon X fait ratifier un concordat avecFrançois Ier, qui, remplaçant la pragmatique sanction de Bourges (1438), règle pour longtemps le régime desbénéfices ecclésiastiques en France. Le contraste est saisissant entre la timidité – et d'ailleurs l'immédiatetransgression – des mesures décidées et l'ampleur des problèmes explicitement posés un peu partout et ausein même de ce concile. L'année où se clôture le cinquième concile du Latran, Luther s'en prend à lathéologie des indulgences. Ayant depuis longtemps perdu son unité politique, la Chrétienté se trouve bientôtdéchirée profondément dans sa foi.

VI- L'Église catholique face au monde moderne

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Le concile de Trente (1545-1563)

Au moment où s'ouvre le concile de Trente, une partie notable de l'Europe échappe à l'Église romaine.L'impulsion de réforme donnée par Luther s'est largement propagée, relayée par d'autres chefs de file(Melanchthon, Bucer, Zwingli, Calvin), renforcée souvent par la conjoncture sociale et politique, riche surtoutdes énergies religieuses qu'elle a réveillées ou orientées. Une partie des États et villes d'Allemagne, plusieurscantons suisses, le nord des Pays-Bas, les royaumes scandinaves vivent déjà et organisent des formes dechristianisme dont l'élément commun est le refus de Rome. Se heurtant à la résistance du pape dans l'affairede son divorce, Henri VIII a entraîné l'Angleterre dans le schisme. Partout ailleurs, en France surtout, n'y a-t-ilpas grave menace de nouvelles déchirures ?

Certes, dans le même temps, l'expansion espagnole dans le Nouveau Monde, les chemins ouverts par lesPortugais vers l'Extrême-Orient ont immensément élargi les possibilités d'implantation de l'Église ; l'horizondu concile de Trente n'en demeure pas moins strictement européen et latin. Avant de se propager, lecatholicisme doit se maintenir, et pour cela se redéfinir. En traçant avec netteté les frontières dogmatiquesde l'orthodoxie, le concile consomme la rupture avec les Églises réformées, mais assure la cohésion del'Église par la solidité de la foi. Bénéficiaire lui-même des forces de renouveau spirituel ou pastoral à l'œuvreen Italie et en Espagne depuis un demi-siècle, il propose idéal de vie et programme d'action à un clergé qu'ilréveille au sens de ses responsabilités.

Tandis que le monde change de dimensions, plus encore culturellement que géographiquement,l'évolution de l'Église post-tridentine s'effectue sous la tension d'une double préoccupation : des positions àmaintenir, à défendre, voire à reconquérir ; tous les hommes à conduire au salut par la foi en Jésus-Christ etles sacrements de son Église.

La politique de la Contre-Réforme

Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, la carte des confessions chrétiennes en Europe demeure une cartepolitique : « Cujus regio ejus religio. » Tandis qu'en Angleterre, après l'excommunication d'Élisabeth par Pie V(1570), « catholique » ou « papiste » signifie plus ou moins « conspirateur », le Saint-Siège, spécialement parses nonces, demeure en contact permanent avec les souverains, dont la coopération politique, voire militaire(guerre de Trente Ans), est nécessaire au maintien ou à la reconquête des positions de l'Église. Plus lesprinces identifient prospérité de leur État et fidélité catholique, plus ils ont à cœur le progrès de la foi et lastabilité religieuse, parfois jusqu'à l'intolérance : Philippe II renforce l'Inquisition, Louis XIV révoque l'édit deNantes (1685). Plus s'accuse aussi la prétention de l'État à diriger les affaires ecclésiastiques : régalismeespagnol, gallicanisme de Louis XIV et des Parlements, fébronianisme de Joseph II. La rivalité des puissancescatholiques – maison de France contre maison d'Autriche – aggrave la faiblesse politique de la papauté.

Dans les limites de ces tutelles nationales, et à cause d'elles, la centralisation romaine progresse grâceaux règlements et interventions de nouveaux organismes de gouvernement, les congrégations. L'instancesuprême en est le Saint-Office, spécialement chargé de veiller à l'intégrité de la foi. Les réflexes de défense ydominent, aux dépens des voies nouvelles du savoir scientifique (condamnation de Galilée, 1633). Prototyped'une forme nouvelle de théologie savante, les Controverses du cardinal Bellarmin alimentent les disputes,oratoires ou écrites, où prêtres et religieux affrontent, pour avoir raison plutôt que pour dialoguer, lesministres de « la religion prétendue réformée ». L'Église latine se déprend difficilement d'une certainevolonté de puissance, même lorsqu'il s'agit de réintégrer des populations orientales dans l'unité catholique(Églises uniates).

Progrès et limites de l'évangélisation

En même temps que la Compagnie de Jésus, suscitée dès avant le concile de Trente par Ignace de Loyola, introduit partout son dynamisme spirituel et sa puissante organisation, la « restauration de l'état de prêtrise » selon l'idéal tridentin s'accomplit grâce à l'action de nombreux évêques émules de Charles Borromée ou de François de Sales, à la création des séminaires, à l'influence de diverses compagnies (Oratoire, Saint-Sulpice). Ce zèle se déploie dans la prédication de missions populaires (Vincent de Paul,

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Grignion de Monfort, Alphonse de Ligori), l'animation de la vie paroissiale, la multiplication des écoles,l'assistance de toute sorte aux pauvres gens (filles de la Charité). Dévotion et vie intérieure n'apparaissentplus comme réservées aux cloîtres ; venue d'Espagne (carmel de sainte Thérèse d'Ávila) et d'Italie, unevéritable invasion mystique atteint bourgeois et gens de cour ; le quiétisme marquera à la fois la déviation etl'essoufflement de cet élan. Un sens renouvelé du christianisme classique – dû à une large fréquentation desPères de l'Église et spécialement de saint Augustin – uni au souci d'une pastorale de l'authentique conversionintérieure est l'âme du mouvement janséniste, que compliquent si rapidement l'intrigue politique, l'hostilitécontre les Jésuites, les querelles de théologiens, les formes diverses du gallicanisme.

La vitalité des nations catholiques se porte vers les continents nouveaux, auxquels elles imposent leursstructures de chrétienté. Néanmoins, l'annonce de l'Évangile est vite apparue à quelques-uns, dès l'aube duXVIe siècle, comme inséparable d'une véritable lutte pour la justice, que mènent conjointement pendant prèsd'un siècle missionnaires et théologiens, disciples de Bartolomé de Las Casas et de Francisco de Vitoria. Lacréation, à Rome, de la congrégation de la Propagande (1622) vise à assurer une implantation plusautochtone de l'Église, affranchie des tutelles nationales (patronat portugais ou espagnol). Mais l'esprit departi franchit lui aussi les mers et envenime les difficiles problèmes posés par la rencontre du messagechrétien avec des civilisations très évoluées (querelle des Rites chinois).

Le tournant de la Révolution française

Le catholicisme, comme les autres confessions chrétiennes, se ressent de la profonde crise deconscience qui, tout au long du XVIIIe siècle, façonne une Europe nouvelle. Le progrès des Lumièress'effectue en partie contre lui, mais hommes du pouvoir et gens d'Église subissent trop l'influence de cecourant pour réagir avec vigueur. Confinée dans ses États de plus en plus mal administrés, la papautéaffaiblie se laisse arracher la suppression de la Compagnie de Jésus (1773), qui, déjà chassée par lesdifférents souverains catholiques, organise son repli en Russie sous la protection de Catherine II.

Le bouleversement que la Révolution française propage dans toute l'Europe, plus encore par ses idéesque par la Constitution civile du clergé ou la séparation de l'Église et de l'État, oblige le catholicisme àrechercher les conditions d'un nouvel équilibre.

Réaffirmation de l'autorité pontificale

Les rapports sont désormais tout autres entre l'Église et les pouvoirs. La politique des concordats,inaugurée en 1801 avec Bonaparte et poursuivie ensuite avec de nombreux pays, témoigne du désir dechacun de retrouver quelque chose des avantages de l'Ancien Régime ; mais chacun tient aussi plusjalousement à son indépendance.

Principale victime des destructions et spoliations révolutionnaires, l'Église trouve dans ses malheursmêmes la force de son redressement. L'infortune et la captivité de Pie VII rehaussent finalement son prestigeet amorcent dans la conscience catholique une dévotion à la papauté qui va aller s'intensifiant.Traditionalistes et libéraux se rejoignent dans la même exaltation de l'autorité pontificale. Tenue davantageà distance par les gouvernements, celle-ci tend à se renforcer dans sa propre sphère : moins influents sur lesministres, les nonces le deviennent davantage auprès des évêques ; la multiplication des fondationsreligieuses augmente les occasions d'intervention de la Congrégation des évêques et réguliers ; en matièrede liturgie, les Églises particulières alignent de plus en plus leurs usages sur ceux de l'Église romaine.Nostalgique du passé, celle-ci répugne à parier sur les idées de liberté ; l'encyclique Mirari vos condamne lesidées de Lamennais que propageait L'Avenir (1832) ; prisonnier de sa routine administrative, l'État pontificalse raidit contre la montée du nationalisme italien et donne des gages à Metternich pour se ménager laprotection autrichienne.

Missions, christianisme social, réveil théologique

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Pendant la première moitié du XIXe siècle, il n'est pas de grand appel qui ne trouve écho dans laconscience catholique. Élargi à l'Afrique et à l'Océanie, le champ missionnaire voit affluer les ouvriers quegroupent de nouveaux instituts, soutenus financièrement par l'élan de générosité que suscite et coordonnel'œuvre de la Propagation de la foi (Pauline Jaricot, 1822). En Europe, initiatives d'éducation et d'assistancese multiplient, premières manifestations d'un christianisme social plus dévoué à secourir les misères quelucide ou audacieux pour s'attaquer à leurs causes ; quelques tentatives pour associer Évangile et socialismesont limitées et tournent court. Passionnément attentifs à la lutte que mènent les catholiques d'Angleterre,d'Irlande ou de Pologne pour leur émancipation politique, les libéraux de France n'ont pas été découragés,mais mûris par la condamnation de L'Avenir ; reconnaissant la voix de leur siècle dans les prédications deLacordaire à Notre-Dame de Paris (1835) ou dans les interventions parlementaires de Montalembert, ils setrouvent en accord avec leurs semblables de Belgique, d'Allemagne ou d'Italie pour faire de toute requête deliberté une cause catholique. Dans les universités allemandes, les excès (rationalisme, fidéisme) auxquelsconduit une pensée trop dominée par les catégories et la problématique de l'Aufklärung sont compensés parles promesses d'une théologie qui, à Tübingen notamment autour de J. A. Möhler, retrouve les richesses de latradition vivante. À la même époque, l'Église établie d'Angleterre connaît un réveil religieux qui intègre desvaleurs catholiques.

Pie IX et le refus de la société moderne

Ouverture et raideur : après avoir cédé à la première tendance, Pie IX opte résolument pour la seconde.En dépit de l'enthousiasme provoqué par la manière dont il entreprend la réforme du gouvernement de l'Étatpontifical, son pouvoir se trouve balayé en 1848 par la conjonction de l'élan révolutionnaire européen et dupatriotisme italien. Rétabli dans son autorité par l'intervention des troupes françaises, le pape s'opposedésormais de toutes ses forces au progrès des idées autour desquelles se construit le monde moderne. Laproclamation du dogme de l'Immaculée Conception (1854) est une affirmation solennelle de cette autoritédoctrinale au nom de laquelle se succèdent allocutions, brefs, interventions diverses, pour dénoncer etmettre en garde. Une collection officielle de ces textes condamnant les erreurs de ce temps (Syllabus) estpubliée et commentée (encyclique Quanta cura) en 1864. Plus la cause de l'unité italienne progresse,rendant très précaire la situation de l'évêque-souverain de Rome, plus l'opinion catholique européenne estmobilisée au service de l'autorité du pape, invitée à défendre en tous domaines les droits de l'Église et de lavérité.

Pie IX

Giovanni Maria Mastai Ferretti (1792-1878), élu pape en 1846 sous le nom de Pie IX.(HultonGetty)

Réuni au début de 1870, le concile du Vatican accomplit une œuvre de première importance encaractérisant la valeur tout ensemble rationnelle et surnaturelle de l'acte de foi sur lequel se fonde lacommunauté chrétienne. Immédiatement retentissante est la définition de l'infaillibilité pontificale, plus oumoins redoutée par les gouvernements comme un nouveau signe d'intransigeance et, au sein même duconcile, combattue comme inopportune par une minorité de prélats allemands et français. Elle provoque leschisme des « vieux catholiques » (J. I. Döllinger), qui n'a pas de répercussions hors de l'Allemagne et de laSuisse. Elle offre un prétexte à différents États pour rompre leurs engagements concordataires ; ainsiBismarck inaugurera-t-il bientôt sa politique de combat (Kulturkampf) contre le catholicisme pour enannihiler la force au sein du nouvel empire allemand.

Avec la guerre franco-allemande et la défaite de Sedan (2 sept. 1870), les États de l'Église, privés de leurprotection militaire, tombent à la merci de la monarchie piémontaise. La Ville éternelle est occupée et lepape dessaisi de l'administration de ses domaines. Il n'y a plus d'État pontifical. Refusant la loi de garantiesque lui offre le gouvernement italien, Pie IX devient le « prisonnier du Vatican », dont la générosité desfidèles assure désormais la subsistance (denier de Saint-Pierre).

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VII- Le catholicisme à la recherche de sa mission dans lemonde

Le pontificat de Léon XIII

Succédant à Pie IX (1878), Léon XIII se montre aussi intransigeant dans son refus de la solution imposéepar l'Italie à la question romaine. Il critique aussi sévèrement la société moderne et dénonce à son tour lesméfaits du libéralisme, du socialisme et de la franc-maçonnerie. Son pontificat marque néanmoins un certainchangement d'attitude vis-à-vis du monde. L'influence catholique peut bien s'étendre sans cesse, grâce auxmissions, à de nouveaux territoires, elle peut bien animer de fortes minorités là où auparavant elle étaitinexistante (Angleterre, Pays-Bas, États-Unis), on n'en perçoit pas moins son recul progressif ; lesgouvernements sont souvent anticléricaux (Italie, France, Espagne, Portugal), l'incroyance progresse enmême temps que la science, le prolétariat urbain se développe – en Europe du moins – en dehors de l'Église.Avertis des dangers qui les menacent, mais forts de la supériorité de ceux qui possèdent la vérité, lescatholiques ne doivent-ils pas alors, semblables en cela aux premiers chrétiens, « entrer courageusementpartout où s'ouvre un accès » (encyclique Immortale Dei, 1885) ?

Qu'ils entrent dans la vie publique, mais au moment et selon les modalités que le pape lui-même décide ;en Italie, cela veut dire : pas au-delà des affaires communales ; en France, Albert de Mun se voit interdire lacréation d'un parti catholique (1885), les catholiques sont invités à se rallier sans réticence au régimerépublicain (1890), la démocratie chrétienne ne saurait être un parti (1901).

Attentif au mouvement des idées et aux initiatives, le Saint-Siège intervient en différents domaines pourencourager, développer, guider. La confrontation des diverses conceptions et expériences du christianismesocial dans les congrès annuels de l'Union de Fribourg, à partir de 1884, permet l'élaboration d'une doctrinesur les problèmes modernes du travail que développe en 1891 l'encyclique Rerum novarum. Si le savoircatholique fait généralement pauvre figure devant les développements de la science, de la réflexionphilosophique, des méthodes critiques, n'est-ce pas faute de magnanimité dans l'exploitation des trésors devérité que détient l'Église ? Léon XIII préconise l'étude de la philosophie de saint Thomas, ouvre dès 1885 lesArchives vaticanes à tous les chercheurs, encourage la fondation de l'École biblique de Jérusalem (1890),précise la nature de l'inspiration scripturaire (1893), crée à Rome la Commission biblique (1902).

Partisan, non de la séparation, mais de la coopération de l'Église avec les États dont il respecte lasouveraineté en leur propre domaine (encyclique Immortale Dei, 1885), Léon XIII s'efforce effectivement decollaborer avec tous, même en l'absence de relations diplomatiques officielles, comme c'est le cas avec laRussie. La préoccupation de l'unité de l'Église est fortement exprimée en 1894 dans la lettre Praeclaragratulationis ; l'invitation très précise qu'elle comporte à l'égard de l'Église d'Orient provoque une réponsebrutale du patriarche de Constantinople. En se prononçant négativement sur la nullité des ordinationsanglicanes (1896), le pape à son tour semble bloquer tout espoir de réunion en corps de l'Église d'Angleterre.Il y a déjà une manière catholique de poser les problèmes de l'unité.

Tenant ferme à son autorité, mais l'appliquant à pousser clergé et laïque dans une participation plusdirecte aux combats de la justice comme à ceux de la foi, Léon XIII a engagé l'Église dans une nouvelledialectique d'ouverture et de conservatisme, d'initiatives et de dirigisme, de sécularisation et de cléricalisme,de pluralisme et de centralisation, dont il est impossible de signaler en quelques lignes les multiplesmanifestations.

Pie X et le « modernisme »

Réflexes de défense et raideur semblent à première vue caractériser le pontificat de Pie X (1903-1914) : intransigeance avec les gouvernements, en France spécialement où, après la séparation de l'Église et de l'État (1905), tout accommodement (associations culturelles) est refusé : méfiance vis-à-vis de certaines formes d'engagement social (désaveu des syndicats mixtes d'ouvriers en Allemagne, condamnation du Sillon, 1910) ; panique devant les mises en question – autant que les erreurs – auxquelles conduit la recherche intellectuelle ; répression du « modernisme » (encyclique Pascendi, 1907). Mais le souci pastoral

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qui anime ces réactions inspire en même temps des réformes de grande portée : la restauration de laliturgie, redevenant le foyer de la piété « catholique » – dont Léon XIII avait plutôt favorisé la dispersion ende multiples dévotions –, ouvre la voie, au-delà de l'esthétisme et de l'archéologie, à un renouvellementprofond des manières de prier et de croire ; la réorganisation de la curie romaine et la codification du droitcanonique (achevée sous Benoît XV, 1917), tout en renforçant la centralisation, n'en permettent pas moins,par une délimitation plus nette des droits et des possibilités, les initiatives particulières.

Entre les deux guerres

Alors que schismes, ruptures et refus ont contribué depuis des siècles à fixer les caractères particuliersqui la distinguent des autres confessions chrétiennes, l'Église romaine, après la Première Guerre mondiale,apparaît plus attentive aux exigences universalistes impliquées dans son nom même de « catholique ».

L'affirmation du caractère supranational de l'Église est spécialement urgente là où son implantation esttoute récente. Un véritable combat est mené (Benoît XV, Pie XI, le P. Lebbe) pour désolidariser les missionsdes impérialismes nationaux par la formation d'un clergé et d'une hiérarchie indigènes. Une mêmepréoccupation universaliste rend l'administration romaine plus attentive à la situation originale, parfois aussiaux valeurs, du christianisme oriental (création d'une congrégation spéciale, 1917). Pie XII amorcel'internationalisation du Sacré Collège, en attendant celle de la curie romaine (Paul VI). Le Saint-Siège n'enobtient que plus d'autorité pour rappeler avec une rigueur croissante la nécessité et les conditions de la paixet de la collaboration entre nations et peuples. Mais, devant les conflits les plus aigus, les interventions despapes risquent toujours d'être aussi mal interprétées, aussi inefficaces en tout cas, que la tentative demédiation de Benoît XV en 1917.

Pie XI

Achille Ratti (1857-1939) fut élu pape en 1922 sous le nom de Pie XI.(Hulton Getty)

Pie XII bénissant la foule

Pie XII bénissant la foule du haut de la sedia gestatoria, en 1939. Attachée à toutes les solennitéspontificales, la chaise à porteurs était déjà le signe de l'autorité suprême dans l'Antiquitéromaine. Elle fut abandonnée par Jean XXIII.(Hulton Getty)

L'universalité du catholicisme doit viser à la profondeur tout autant qu'à l'extension. L'institution de lafête du Christ-Roi, en 1925, est comme un manifeste : toute valeur, individuelle ou sociale, doit recevoir desa soumission au Christ sa pleine dimension.

La présence catholique dans l'activité politique pose des problèmes particulièrement délicats : son rôleest quelque temps efficace en Allemagne avec le parti du Centre, éphémère en Italie avec la premièredémocratie chrétienne (L. Sturzo), toujours plus ou moins ambigu en France, spécialement avec L'Actionfrançaise, dont la sévère condamnation (1926) provoque de profonds remous ; en tous pays, la coopérationavec le communisme athée est proscrite (1937). Dans sa vie professionnelle et sociale, le laïcat est appelé àtravailler au sein de l'Action catholique, selon une formule plus ou moins inspirée des intuitions de J. Cardijn,qui fonda en Belgique le mouvement de la Jeunesse ouvrière chrétienne (J.O.C.). La hiérarchie de l'Égliseintervient toujours, au moins à l'arrière-plan, dans ces activités (syndicats, coopératives, associations,écoles) toujours notoirement confessionnelles, dont elle s'efforce par ailleurs de garantir le libre exercicedans le cadre d'une large politique de concordats. Les concessions, inhérentes à tout pacte concordataire,risquent d'apparaître parfois comme des compromissions ; le concordat de 1929 avec l'Italie prolonge enquelque sorte les accords du Latran, qui règlent enfin la question romaine, mais dès 1931 Pie XI prend sesdistances vis-à-vis du régime fasciste, comme il le fera ensuite vis-à-vis du national-socialisme après avoirconclu un concordat avec Hitler (1933).

En dépit d'un développement considérable des institutions universitaires, réorganisées en 1932, la pensée catholique ne réussit pas à prendre quelque mordant sur l'évolution de la culture moderne. Loin d'avoir freiné le travail d'érudition, la crise moderniste a conduit plutôt trop de chercheurs à s'en contenter. Plus renouvelée dans ses sources patristiques et médiévales que fortement provoquée par la pensée

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philosophique contemporaine, la théologie concentre le meilleur de ses efforts à réfléchir sur le mystèremême de l'Église, la signification de son devenir et de sa mission au milieu des hommes (théologie del'histoire, théologie des réalités terrestres). C'est à long terme seulement que cet approfondissementecclésiologique prépare une attitude d'ouverture à l'égard du mouvement œcuménique qui prend alorsconsistance parmi les confessions anglicanes ou protestantes. Les conversations de Malines, avec lordHalifax et le cardinal Mercier, ne débouchent sur rien, et Pie XI refuse (1928) toute participation catholiquemême « privée » aux premières grandes conférences interconfessionnelles ; mais un petit nombre dethéologiens catholiques suit désormais la progression du mouvement avec une sympathie attentive.

L'Église se découvre en état de mission

Sous le pontificat de Pie XII (1938-1958), dont les débuts coïncident à peu près avec le déclenchementde la Seconde Guerre mondiale, la dialectique qui caractérise l'évolution du catholicisme depuis Léon XIII sefait plus vive encore. Avec les bouleversements de la guerre, d'autres façades s'écroulent que celles desstructures politiques. Les interrogations nouvelles que le cardinal Suhard formule dans sa lettre Essor oudéclin de l'Église ? (1947) trouvent écho bien au-delà de la France, partout où l'on prend conscience dudécalage croissant entre les humbles progrès de l'Église et le développement démographique, sinonéconomique et culturel, de l'ensemble de l'humanité. Si beaucoup de « territoires de mission » accèdentenfin au statut adulte des autres Églises particulières, celles-ci réalisent à leur tour la faiblesse de leurrayonnement sur leur propre domaine. Le mot « mission » perd progressivement son sens local pour signifierdavantage une exigence universelle et permanente ; où qu'elle soit, l'Église doit par vocation se dépasser etse tourner vers tous les hommes... Dans cette recherche d'un nouveau type de présence chrétienne, l'Actioncatholique spécialisée est supplantée par des mouvements plus populaires et plus dynamiques, tels la Légionde Marie ou le Mouvement familial chrétien ; partis l'un d'Irlande, l'autre des États-Unis, ils se répandentspécialement dans le Tiers Monde. En plusieurs pays, l'Action catholique traverse des crises graves, soitqu'elle veuille déboucher sur des engagements politiques, soit qu'elle renonce à tout statut confessionnel.Avec la création de la Mission de France et l'engagement de prêtres dans la vie ouvrière, c'est l'activitésacerdotale elle-même qui cherche de nouvelles formes au-delà du cadre paroissial.

Eugenio Pacelli

Eugenio Pacelli (1876-1958) en habit de cardinal, vers 1910. Il fut élu pape en 1939 sous le nomde Pie XII.(Hulton Getty)

La nécessité de former un laïcat chrétien dont la foi sera moins dépendante des conditions sociologiquesde plus en plus athées conduit à rénover les méthodes d'enseignement du catéchisme et à faire d'uneliturgie renouvelée (jusque dans sa langue) le moyen privilégié d'éducation du peuple chrétien : partisd'Allemagne ces deux mouvements, catéchétique et liturgique, s'étendent rapidement à tous les pays ;parallèlement, la culture biblique déborde les universités et séminaires pour nourrir la réflexion des laïquesengagés. Aussi bien ces efforts de retour aux sources que la rencontre en des dévouements pratiquesouvrent au dialogue avec des non-catholiques ; la division des disciples de Jésus-Christ cesse d'être un purproblème de techniciens de la théologie pour devenir un scandale de la conscience chrétienne.

En raison même de la complexité des problèmes, tant d'initiatives – où la prudence n'est pas toujours àla mesure de la générosité – ne peuvent se développer sans intervention de l'autorité. Celles de Pie XII ontpu frapper plus d'une fois par leur raideur, plus spécialement dans les dernières années de sa vie ; ainsil'encyclique Humani generis (1950), qui évoque l'encyclique Pascendi de son prédécesseur Pie X (canonisépar lui en 1954), ou l'arrêt brutal de l'expérience des prêtres ouvriers (1954).

En réalité, Pie XII aura joué un rôle dans la préparation du concile que réunira son successeur. Dès 1943,son encyclique Mystici corporis consacre le retour à une conception plus « mystérique », moins sociétaire, del'Église. Remettant en cause le statu quo multiséculaire de la liturgie de Pâques (1950), il renverse le rapportentre la liturgie et la pastorale, inaugurant une série de réformes importantes. L'enseignement qu'il distribuede toute manière, que la presse répercute à travers le monde et que les théologiens ne cessent d'exploiter,oriente la réflexion et l'effort catholiques vers le service des hommes, dont toutes les découvertesl'intéressent, dont tous les problèmes le préoccupent.

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Après le deuxième concile du Vatican

L'importance du deuxième concile du Vatican dans l'évolution générale du catholicisme est difficile àmesurer. Accueilli en 1958 comme un « pape de transition », Jean XXIII ne tarda pas à donner un stylenouveau à l'exercice de l'autorité pontificale. Ses deux encycliques, Mater et Magistra (1961) et Pacem interris (1962), reprenaient et complétaient les enseignements de Pie XII sur les problèmes sociaux et sur lapaix, mais avec un éclat et un accent qui devaient leur assurer un grand écho dans l'opinion mondiale. Ayantannoncé dès janvier 1959 la convocation d'un concile œcuménique, Jean XXIII en suggéra les orientations parla création d'un Secrétariat pour l'unité des chrétiens (1960), par la manière ouverte dont il reçut desreprésentants éminents de plusieurs confessions chrétiennes. Inauguré à l'automne de 1962 le deuxièmeconcile du Vatican précisait le dessein même du pape (« non pour condamner, mais pour promouvoir et pourservir ») dans un retentissant Message à tous les hommes. Achevé le 7 décembre 1965 sous la présidencede Paul VI, successeur de Jean XXIII (juin 1963), le concile a gardé une même volonté d'ouverture et deservice, manifestée notamment par la Constitution pastorale Gaudium et spes sur l'Église dans le monde dece temps.

Le pape Jean XXIII, en 1961

Jean XXIII (1881-1963) délivrant un message de paix depuis sa résidence d'été à Castelgandolfo(10 septembre 1961). Pape depuis 1958, il chercha par le deuxième concile du Vatican (1962) àengager l'Église catholique dans une profonde mutation.(Hulton Getty)

La mise en œuvre du programme conciliaire, réaffirmé à plusieurs reprises de manière assez percutante(par exemple dans l'encyclique sur le développement des peuples, Populorum progressio, 1967) ouspectaculaire (voyages du pape Paul VI à Bombay, 1964 ; à l'O.N.U. 1965 ; à Bogotá et Medellin, 1968),impliquait, dans la ligne même du concile, une véritable rénovation des structures internes du catholicisme :les Églises locales acquéraient assez d'autonomie, de réflexion et de décision pour faire face avec réalismeaux problèmes d'un monde éclaté, d'un monde divisé par la compétition des idéologies, livré plus quejamais, par le développement des médias, à la contestation de toutes les valeurs, à la dialectique desrévolutions et contre-révolutions, à toutes les formes de violence.

Si la « collégialité » – responsabilité collective des évêques dans le gouvernement de l'Église – aréellement pris corps dans les différents pays par la mise en place et par l'action effective des conférencesépiscopales, sa réalité, du point de vue de l'Église universelle, demeure très limitée, en dépit de l'initiative dePaul VI qui convoqua en 1967 un synode représentatif de l'épiscopat mondial et décida (1969) qu'il setiendrait tous les deux ans. Purement consultatif, cet organisme, en fait, ne diminue nullement laprédominance permanente des dicastères romains. La réforme générale de la curie n'a guère eu d'autreconséquence que de donner pratiquement à la Secrétairerie d'État la suprématie exercée jusqu'alors par leSaint-Office, devenu Congrégation pour la doctrine de la foi. Faisant suite à l'institution du Secrétariat pourl'unité des chrétiens, la création de nouveaux secrétariats (pour les religions non chrétiennes, les incroyants,les laïques, la famille...) procède assurément du souci de suivre de plus près les questions auxquelless'affrontent les chrétiens du monde entier, mais elle masque aussi, de la part de Rome, une volonté dedemeurer le plus possible l'instance de décision en tout domaine. Les réactions de malaise ou de refussuscitées dans le peuple chrétien par des documents tels que l'encyclique Humanae vitae (1968) sur lesvaleurs du mariage et la question de la limitation des naissances n'en manifestent pas moins une baissenotable de la crédibilité et de l'autorité effective des interventions du magistère romain.

Libérant et fortifiant de multiples énergies, le deuxième concile du Vatican ne pouvait pas ne pas ouvrir pour le catholicisme une phase difficile et tourmentée, les clivages dans les sensibilités et les opinions apparus de tant de manières au long de la période conciliaire ne pouvant ensuite que s'accentuer et se durcir. Aussi bien les hardiesses de l'Église hollandaise que la dissidence schismatique des « traditionalistes » héritiers de Mgr Marcel Lefebvre sont à regarder comme les signes d'une crise plus large et plus profonde. Les désertions assez massives des prêtres et des religieux dans la plupart des pays, la chute brutale du recrutement des séminaires et des noviciats, le phénomène des « communautés de base » prenant leurs distances à l'égard des structures établies ne sont-ils que des poussées de fièvre sans lendemain, ou plutôt les symptômes d'un mal plus profond touchant la conception même des ministères au sein de la communauté chrétienne ? Le refus de laisser mettre en question l'obligation du célibat pour le clergé de rite latin ne procède-t-il pas, au moins pour une part, de la peur de considérer en face une

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interrogation plus radicale ?

Saluée par certains comme devant mettre fin au leadership de la chrétienté occidentale sur lemouvement général de l'Église catholique, l'élection du Polonais Karol Wojtyła devenu pape sous le nom deJean-Paul II (16 octobre 1978) après le pontificat éphémère de Jean-Paul Ier (26 août-28 sept. 1978) a-t-elledissipé ou accentué les ambiguïtés des dernières années de Paul VI ? Jean-Paul II a rappelé sans cesse lenécessaire impact du message évangélique sur les problèmes les plus brûlants de l'actualité. Il l’a faitparticulièrement à l'occasion de ses voyages dans toutes les parties du monde, voyages au cours desquels,s'adressant directement aux foules, il étendit progressivement son audience auprès de l'opinion mondiale,tandis que sa propre information sur les conditions de vie des chrétiens s'en trouvait complétée et nuancée,comme ce fut le cas par exemple au Mexique ou au Brésil.

Intronisation de Jean-Paul II

Karol Wojtyla fut élu pape le 16 octobre 1978. Il prend le nom de Jean-Paul II. Le 23 octobre, il estofficiellement intronisé à Saint-Pierre de Rome.(Hulton Getty)

Jean-Paul II. Voyage en Pologne

Le Polonais Karol Wojtyla, élu pape en 1978, a pris le nom de Jean-Paul II. Sa visite de huit joursen Pologne, du 2 au 10 juin 1979, prend une importance politique considérable.(Hulton Getty)

Cette attitude pastorale fondamentalement généreuse, dominée par la préoccupation de défendre et depromouvoir la dignité et les droits de toute personne humaine, n'en est pas moins demeurée fortementtraditionnelle dans ses conceptualisations théologiques comme dans ses méthodes et ses choix degouvernement.

D'aucuns ont parlé, à propos de Jean-Paul II, d'un « grand tournant » de l'Église... S'il y a eu déplacementdu centre de gravité dans la vie du catholicisme, sans doute n'est-ce pas tellement dans la présence d'unPolonais sur le siège romain qu'il faut en chercher le signe, mais bien plutôt dans ce qui se vit et se chercheau sein des communautés chrétiennes. De ce point de vue, il faut sans doute prêter attention au renouveaudes valeurs d'intériorité que révèlent la multiplication à travers le monde des associations ou groupes deprière dits « charismatiques », plus ou moins dérivés du mouvement pentecôtiste des États-Unis, et ledéveloppement des nouveaux mouvements ecclésiaux.

André DUVAL

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