Le Catholicisme Chez Les Romantiques - Auguste Viatte

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 A. VIATTE Le Catholicisme chez les Romantiques Avant-propos de A. CHEREL PARIS E. DE BOGGARD, ÉDITEUR Anciennes liaisons Thorin et Fontemoing

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  • A. VIATTE

    Le Catholicisme

    chez les Romantiques

    Avant-propos de A. CHEREL

    PARISE. DE BOGGARD, DITEUR

    Anciennes liaisons Thorin et Fontemoing

    I, RUE DE MDICIS, II 92 2

  • A. VIATTE

    ['

    Le Catholicisme

    chez les Romantiques

    Avant-propos de A. CHEREL

    PARISE. DE BOCCARD, DITEUR

    Ancienne Librairie FONTEMOING & C'oI, RUE DE iMDICIS, I

    1922Tous droits rservs.

  • ABLECOLLECTION Jl

    S A cil r^

  • AVANT-PROPOS

    Mon cher ami,

    C'est un grand plaisir que vous m'avez fait,

    en me demandant d'inscrire ici mon nom au-prs du vtre, et auprs de vos sentiments

    mes sentiments, par quelques pages d'Avant'

    Propos.

    Votre principal mrite, dans ce Catholicisme

    des Romantiques, est d'avoir su renouveler

    un sujet qui pouvait paratre puis. Les tudes

    de dtail abondent sur les sentiments religieux

    des grands crivains issus de Rousseau et de

    Madame de Stal. On a disput de la sincritde Chateaubriand dans sa conversion retentis-

    sante ; Jean des Cognets a recueilli avec pit

  • VI AVANT-PROPOS

    les vestiges de la vie intrieure de Lamartine ;tel historien bien intentionn a tudi la reli-

    gion de Victor Hugo depuis 1802 ; quant Lamennais, aucun trait de son me tumul-tueuse d'idaliste agressif n'a chapp son

    biographe le plus autoris, Christian Marchal.

    De tous ces livres vous avez fait votre profit;

    mais ils ne vous ont point impos leur ma-

    nire ; car ils s'intressaient des hommes,

    et vous vous intressez aux ides.

    L'ide catholique, dites-vous, semblait chre

    aux crivains et aux penseurs romantiques,

    dans les premires annes du xix sicle :

    Joseph de Maistre, Bonald, Chateaubriand, puis

    Lamartine, Victor Hugo, Lamennais, se pr-

    sentent comme des fidles ; Sainte-Beuve va se

    rallier ou se convertir. Quelques annes s'cou-lent ; et voici que Chateaubriand prche la Per-

    fectibilit chre aux Idologues ; que Lamar-

    tine nie la Rvlation ; que Victor Hugo chantele Progrs anti-chrtien ; tandis que Lamen-

    nais rompt avec Rome, en dposant au bord

    du chemin, selon l'image attriste de Sainte-

    Beuve, cette charge des mes confiantes quiavaient besoin de croire en lui et en son Dieu.

    D'o vient cette volution?

  • AVANT-PROPOS VII

    Et VOUS rpondez : le Scepticisme, qui tait

    au fond de la pense romantique, n'a fait que

    dvelopper ses consquences. 11 n'y a pas de

    vrit , avait dclar Cli. Nodier. Et tous ses

    contemporains ou successeurs en littrature

    n'avaient gure aim le Catholicisme, quecomme un moyen, extraordinairement efficace,

    d'tancher leur soif d'illusion. Telle est votre

    dcouverte : les grands Romantiques ne sont

    pas des croyants, des mes qui aiment laVrit, tiui la cherchent et se donnent elle ;ils se prtent elle, et ils doutent avec dlices,

    car le fantme de leurs propres mois suffit

    les distraire de Dieu.

    Certains ne manqueront pas, mon cher ami,

    de vous reprocher la nettet abstraite de vos d-

    ductions, car ils voudraient, toutes les fois qu'on

    touche l'histoire des mes, qu'on restt dans le

    concret, et qu'on chercht les motifs des volu-

    tions individuelles, plutt que les raisons pro-

    fondes des mouvements de pense. D'autres

    vous jugeront bien dur pour Baudelaire, carils saluent en l'auteur des Fleurs du Mal unchrtien, presque un aptre mconnu. D'autres

    enfin, vous voyant avec joie prendre les Ro-

    mantiques en dlit de contradiction et de fai-

  • VIII AVANT-PROPOS

    blesse, se rjouiront en leur cur, et voussalueront comme un ami, jusqu'au momento certaines de vos pages les plus fermes

    leur montreront en Bonald un disciple de

    J.-J. Rousseau.

    Pour ma part, je serais dispos vous jugerbien catgorique, lorsque vous refusez ces

    grands crivains non pas assurment toute

    sincrit, mais toute vracit, dans leurs pro-

    fessions de foi chrtienne. Ils ont lacis le

    Christianisme ; ils ont nglig pour s'lever

    Dieu les grces que Dieu donne par ses sacre-

    ments, ils ont mpris ou ils ont ha l'Eglise.

    Mais l'acharnement mme, presque toujoursml d'amertume, que certains d'entre eux ont

    mis dans leur idalisme humanitaire anti-chr-

    tien, n'est-ce pas un sentiment, et un ressen-

    timent, d'authentique apostat? Hrtiques bien

    plutt qu'indiffrents, voil comment je consi-

    dre ces mes ardentes ; et voil pourquoi tantd'entre elles se sont prises d'une austre sym-

    pathie pour ce calviniste passionn, si loign

    du doute : Edgar Quinet.

    Mais vous-mme d'ailleurs, mon cher ami,vous signalez trs clairement, dans cette dg-

    nrescence de la pense religieuse des Roman-

  • AVANT-PROPOS IX

    tiques, la prsence et l'action d'une hssie: et

    cet esprit d'hrsie, dites-vous, est venu en

    France de l'trang-er, comme toujours .Vous avez alors sur la France catholique, et

    sur l'me essentiellement catholique de la

    France, quelques pages d'une loquence bienmouvante, et bien persuasive.

    Un tel tmoignage sera prcieux tous voslecteurs franais. Quant moi, je le conserve-rai, de toute la force de ma reconnaissance,

    ct d'une certaine dclaration, venue elle

    aussi de votre pays de Suisse : c'tait, le 20 juil-

    let 1918, un article paru dans VEcho Vaudois,le journal de S. G. Monseigneur Besson, vo-que de Lausanne et Genve, sous la signature

    d'Andr de Bavier : la Fille aine de l'Eglise.Acte fervent, gnreux, magnifique, de con-

    fiance en l'lite catholique franaise qui mou-

    rait en holocauste sur les champs de bataille,

    vous vous imaginez quel point, cette date

    surtout, une telle parole nous allait au cur.

    Travaillez donc avec nous, mon cher ami,

    faire prendre la France conscience de ses

    vritables forces. Aidez-nous nous gurir des

    maux intellectuels venus du dehors sans doute,

    mais parfois bien acclimats chez nous. Aidez-

  • X AVANT-PROPOS

    nous, car c'est bien par lintermdiaire des

    catholiques Suisses qu'une telle uvre peut

    russir, aidez-nous reprendre sur l'me

    allemande la douce influence chrtienne, le

    rayonnement pacificateur, que la Rforme ainterrompu. Alors la vraie concorde pourra

    rgner, et la collaboration loyale s'tablir,

    entre la France redevenue fidle aux grces du

    baptme de Clovis, et une Allemagne vade

    hors des miasmes de Luther.

    Albert Cherel

    Lestonnat-Caudran (Gironde), le 10 aot 1922.

  • INTRODUCTION

    Lorsqu'on jette un coup d'il sur la pensefranaise au dbut du XIX*^ sicle, on assiste un spectacle surprenant. On voit natre unedoctrine qui se proclame catholique, et qui pr-

    tend s'identifier avec l'ide d'une littrature

    chrtienne ; et. au bout de trente ans, on la voit

    devenir un auxiliaire de l'anticlricalisme, sans

    qu'elle ait cess de se rclamer des mmesprincipes, de vnrer les mmes gloires. Bienplus, sa tte se trouvent les mmes hommes :Lamennais, Lamartine ou Victor Hugo. Seule-ment, l'auteur de Essai sur VIndiffrencecompose les Paroles d'an Croyant ; celui des

    Premires Mditations crit la Chute d'anAnge ; et celui des Odes et Ballades publie No-tre-Dame de Paris. Il nous a paru intressantde chercher les causes d'une transformation si

    complte et si paradoxale, et d'tudier, par lefait mme, le catholicisme des romantiques.

    Peut-tre trouvera-t-on une telle tude d-

    sute, et manquant de porte relle. S'il est en

  • 2 INTRODUCTION

    effot un catholicisme do fantaisie, c'est bien ce-lui-l ; et il se trouve, l'heure prsente, aussi

    dmod que possible. 11 n'en g-arde pas moins,non seulement un intrt historique, mais unecertaine actualit. La plupart des doctrines quiprdominent aujourd'hui se sont formes danscelte premire moiti du XIX sicle ; c'est dumoins l'poque o elles ont acquis toute leurimportance. Nous devions donc rencontrer surnotre chemin bien des indications intressantes,(jui nous permettraient d'aboutir des conclu-sions pratiques.

    D'autre part, au point de vue purement histo-rique, nous esprions contribuer prciser lanature mme du romantisme. On sait combienelle est controverse. S'ils revenaient au

    monde, Dupuis et Cotonnet pourraient dcu-pler le nombre des dfinitions dont ils se rail-laient ve-rs 18 iO. Rien de plus diffrent, en effet,que certains crivains de cette cole. L'auteur

    de la CJiartveuse de Parme est aux antipodesde celui des Martyrs. A chercher une ressem-blance littraire entre eux deux, on risquait

    de perdre sa peine ; et de fait, on n'a rien

    trouv. On est arriv un rsultat plus satis-faisant lorsque, comme M. Pierre Lasserre, on

    s'est plac sur le terrain des ides. On finissaitpar dessiner une vue d'ensemble qui ne man-

  • INTRODUCTION 3

    quait pas de cohsion. Et, en effet, on devait

    se rendre compte qu'il s'agissait l d'un mou-

    vement pliilosophique plus que d'une question

    de style ; tous les disciples de Chateaubriandvisaient au rle de penseurs, de prophtes.

    L'examen des rpercussions que produisit le

    romantisme sur les croyances des auteurs ca-tholiques devait, nous semblait-il, accentuer

    encore la sigriification de ce mouvement.

    Aprs avoir jet un rapide coup d'il sur lescauses loignes de la renaissance religieuse

    de 1801, nous sommes donc partis de la notionde catholicisme telle qu'on la trouve dans Cha-

    teaubriand et dans Bonald. Nous en avons suivi

    l'volution, et nous avons montr comment, mesure que son principe se dveloppait, elle

    s'loignait de l'orthodoxie. Ce n'est donc pasici une tude gnrale sur la religion des

    romantiques, tude qui, pour tre complte,devrait comporter des tendances aussi loignes

    du catholicisme que celles de Michelet ou desSaint-Sinoniens ; notre sujet est plus vastecependant qu'une analyse des auteurs restsdans le sein de l'Eglise, puisqu'il con-siste suivre les dviations du catholicismejusqu'en leurs manifestations extrmes. Oncomprendra ds lors que nous nous occupionsd'une George Sand ou d'un Baudelaire ; au

  • 4 INTRODUCTION

    reste, nous nous en sommes tenus aux cri-

    vains vraiment typiques, ceux qui reprsen-

    tent un moment de la pense franaise. Ant-rieurement 1830, dans cette priode oii le

    romantisme se croit orthodoxe, ce sera Clia-teaubriand, le fondateur de l'apologtique par le

    beau, le pre aussi de Ren et l'introducteur enFrance du mal du sicle ; ce sera Joseph deMaistre ou la dernire rsistance de l'esprit

    classique, Bonald ou le fidisme, Lamennais oul'volution du fidisme vers la dmocratie : cesera Hugo, amoureux de posie beaucoup plusque sincrement croyant ; ce sera enfin Nodier,auteur caractristique entre tous, qui unit l'art

    chrtien l'influence allemande et aux premi-

    res divagations du sentiment. Aprs 1830,nous avons Musset, reprsentant typique de la

    crise du doute ; Vigny, qui; finit par chapperau scepticisme par le stocisme. Nous avons

    les constructeurs de systmes pseudo-chrtiens,le Lamartine de la Chute cVun Ange et GeorgeSand ; nous avons enfin Sainte-Beuve et Bau-delaire, chez qui le romantisme atteint sa su-prme dissolution.

    Quant notre mthode, elle sera plus syn-thtique qu'analytique. D'abord, parce que

    d'autres ont fait les analyses essentielles sur

    les grands chefs du romantisme. On ne pour-

  • INTRODUCTION

    rait plus rien dire de neuf qu'en tombant dans

    les minuties ; et nous nous proposons ici d'ta-

    blir une vue gnrale. Et puis, nous estimons

    que la critique ne gagne rien se restreindre

    l'analyse. Celle-ci est ncessaire, sans doute,

    comme travail prparatoire ; mais l'histoire lit-

    traire n'est pas une science abstraite comme

    les mathmatiques ; elle comporte un lmentd'art, et elle doit s'efforcer de plaire en mmetemps que de convaincre. La vraie besogne ducritique ne commence qu'une fois ses fiches

    runies. Prendre des notes est chose facile ; ce

    qui est plus malais, c'est de savoir s'en servir.

    Il ne faut pas croire que tout est dit lorsqu'on

    a termin une enqute laborieuse ; il reste

    en synthtiser les rsultats dans l'unit de la

    pense. Nous ne nous priverons pas, dans ce^livre, d'accumuler les citations : c'est encore lemeilleur moyen de ne pas dfigurer les idesdont on parle : mais nous ne perdrons jamaisde vue que nous poursuivons un but d'ensem-ble, et nous ne nous amuserons pas faire lachasse aux petits dtails.

    Une dernire remarque. Nous nous montre-rons svres pour les ides et pour les utopiesdes disciples de Chateaubriand, mais Dieune plaise que nous mconnaissions leur grandevaleur httraire ! Pour leur rendre justice, il

  • 6 INTRODUCTION

    suffit de constater quelle vie ils ont insuffle aune

    littrature qui se mourait d'inanition. Certaines

    des uvres qu'ils ont crites mritent de rester

    classiques, par l'harmonie du style ou par la

    sincrit de l'motion, Lamartine, Hug^o, Vi-

    gny, Musset, pour ne rien dire des moindres,

    atteignent souvent une perfection qui ne

    trouve son gale qu'au grand sicle. C'est mmepar l, croyons-nous, qu'ils resteront ; car des

    trois lments fondamentaux de l'existence,

    le Vrai, le Beau, le Bien, s'ils ont souvent

    mconnu le premier, s'ils se sont tromps surle dernier, du moins leur est-il arriv parfoisd'atteindre le Beau, qui suffit immortaliser

    une uvre littraire, mais non pas faire vivre

    une doctrine.

  • CHAPITRE PREMIER

    L'tat religieux de la France

    la fin de la Rvolution.

    I. L'Influence de Rousseau. La mprise de faine sur l'espi'itclassique. Diffrence de celui-ci avec l'esprit ency-clopdique. Rupture de la synthse classique auprofit de la seule raison, Les prcurseurs du sen-timentalisme. Rousseau. Disciples de Jean-Jac-ques : Bernardin de Saint-Pierre, Gh. Bonnet, Saint-Martin, Influence de Rousseau sur la renaissancereligieuse de 1801, Le cas de Ronald.

    II. L'Influence de la Rvolution. Rousseau et la Rvolution. Pourquoi elle n'a pas nui son influence. Commentles romantiques la considraient. Caractre sen-timental du renouveau catholique aprs Brumaire. Le besoin de paix religieuse.

    III. L'Influence Germanique. La raction contre l'espritclassique chez les jjeuples du Nord. En Angleterre,En Allemagne. Influence germanique en Franceavant la Rvolution. L'Emigration, Concordancede cette influence avec les prcdentes.

    IV. Les premiers Symptmes du Renouveau Religieux. LaThorie du Pouvoir. Les Considrations sur la France. Pourquoi cette cole sociale n'eut pas d'influenceimmdiate: Napolon. Les sentimentaux: Ballanche,La Harpe, Bonald, La |irparation et le lancementdu Gnie du Christianisme.

    I

    Lorsque l'auteur des Origines de la France con-temporaine a dnonc dans l'esprit classique la

  • 8 LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES

    prdominance exclusive d'une certaine raison,la raison raisonnante i, il semble s'tre singu-lirement mpris. Peut-tre a-t-il t dup par lesaffirmations des philosophes ; peut-tre s'est-illaiss impressionner par une continuit apparentequ'il suffisait de regarder de prs pour la jugersuperficielle ; dans tous les cas, il parat voir dansl'Encyclopdie l'hritire du xvii^ sicle. Sansdoute arrive-t il qu'un paradoxe renferme une partde vrit ; mais ce n'est pas le cas ici. Le sens com-mun a raison contre Taine, lorsqu'il voit un abmeinfranchissable entre le loyalisme catholique etmonarchique des contemporains de Louis XIV etl'athisme rpublicain d'un Helvetius ou d'un Di-derot. En effet, Bossuet comme Boileau se proccu-pait avant tout d'quilibrer les facults humaines, intelligence, sentiment, volont. Au contraire,le xvin^ sicle travaillera dtruire cet quilibre.L'ironie sceptique de Fontenelle ou de Bayle le me-naait dj dans son principe; vers 1720, il rom-pit, au profit de la seule raison, qui jusqu'alors necomposait qu'un lment d'une synthse beaucoupplus vaste. Ce que Taine a bien vu, et ce qui expli-que peut-tre son erreur, c'est que cette prdomi-nance de la raison est bien antrieure au rgneproprement dit des philosophes, puisqu'eu 1750 lerationalisme parvenu son apoge commenaitdj manifester des symptmes de dclin. Maisce n'est pas au xvii sicle, c'est vers 1730 qu'ilfaut placer la dissociation de la synthse classique,vers la publication des Lettres Anglaises de Vol-

    1. Ancien Rgime, 3 lartie, liv. III, chap. ii.

  • LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES 9

    laire, et c'est dater de l que l'on prit l'habitude

    de rduire toute question philosophique, sociale oulittraire une affaire de raisonnement. Le motqui fut dit de Fonlenelle peut s'appliquer pres-que tous les adhrents de cette fade et sche cole ;presque tous avaient plus ou moins de la cervelle la place du cur . L'amour se transformait enun syllogisme, les croyances devenaient une qua-tion, et, dessches et racornies de plus en plus,elles finirent par se borner au culte d'un Etre Su-prme, vague entit que l'on abandonnait aux n-gations des mtaphysiciens. Toutefois, descellepremire moiti du sicle, on pouvait discerner lessignes prcurseurs d'un tat d'esprit oppos. Unefois la synthse rompue, l'lment sentimentalavait continu vivre de sa vie propre. Banni dela plupart des mentalits, il avait acquis, dans quel-ques mes toujours plus nombreuses, une impor-tance aussi exagre que celle que les penseurs lesplus connus attribuaient la raison. Si les doctri-

    nes intellectualistes pouvaient se rclamer de Fon-tenelle et de Bayie, le sentiment avait pour lui F-nelon ; Massillon avait continu la tradition d'unesensibilit vertueuse en plein milieu paen de laRgence; et, comme une raction profane contrece paganisme superficiel et contre la mode de l'es-prit, Manon Lescaut offrait le tableau d'une passiontoute paissante et tenant lieu elle seule (ie moraleet de religion. A partir de 1730, la sensibilit s'in-sinue peu peu; des romans de l'abb Prvost,elle passe aux drames de Diderot et de Nivelle de laChausse, contrebalanant de toutes parts l'in-fluence du rationalisme, et rendue agrable aux sa-

  • 10 LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES

    Ions par son opposition mme la civilisation ar-tificielle du sicle. Elle ne l'emporte cependant pasencore, lorsque se manifeste un homme de gnie,qui, ne vivant que par le sentiment, clbre la pas-sion avec une loquence disparue depuis Bossuet ;et, luttant au nom de cotte mme passion contre lematrialisme de l'Encyclopdie, il entranera lesadversaires des philosoplies se servir des mmesarguments que lui.

    Jean-Jacques Rousseau, en effet, autodidacte etdont le calvinisme s'tait teint de quitisme, taitplus apte qu'un autre ragir contre une atmos-phre intellectuelle qu'il n'avait pas respire dssa jeunesse. Aussi le voyons-nous s'insurger debonne heure contre la corruption de ces civilissqui croyaient marcher la dification de la raisonhumaine; il montrera dans le pass cet ge d'orqu'on attendait de l'avenir. Lorsqu'on rcapituleses nombreuses thories, on constate facilementqu'elles se rduisent proclamer en tout la sup-riorit de !'(( tat de nature , de cet tat de sau-vagerie qui, ne connaissant ni la proprit, ni leslois, ni la philosophie, ni le dogme, est essentielle-ment intuitif, puisque la seule rgle en sont lessentiments, les besoins, les passions de l'homnje.Assez incertain d'ailleurs et assez variable dansses opinions, il lui arrivait de se montrer hostile toute rvlation; mais il parlait parfois aussiavec sympathie de la religion catholique. On sait quelles contradictions il avait abouti, le jour oil s'avisa de systmatiser ses cro3\ances dans laProfession de foi du vicaire savoyard. Il avait re-pouss les prtentions de toute Eglise, il les

  • LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES 11

    avait toutes considres comme des amplifica-tions du disme primitif regrettables parce qu'in-transigeantes ; et nanmoins, il mettait certainesformules qui pouvaient tre interprtes commeune adhsion la foi chrtienne. Telle tait lafameuse phrase : Si la vie et la mort de Socratesont d'un sage, la vie et la mort de Jsus sontd'un Dieu. Certes la dclaration prtait l'qui-voque ; le sens en est moins clair qu'il ne parat,et il est difficile d'y voir une conviction dogmati-que. Mais elle tait susceptible d'un sens orthodoxe,elle marquait en tous cas une grande diffrenceentre Rousseau et cette tourbe philosophesque avec laquelle il s'tait dj brouill ; et les catho-liques manquaient trop de dfenseurs de talentpour ne pas accueillir avec enthousiasme cet au-xiliaire inattendu. D'autant que les disciples deJean-Jacques, non contents de rhabiliter le senti-

    ment, dmontraient la valeur et la force de l'l-ment surnaturel. Sans doute quelques-uns, telleM"* de Lespinasse, faisaient-ils ds lors de lapassion le tout del vie; mais Bernardin de Saint-Pierre, par exemple, se dclarait rsolumentcroyant; il crivait un vaste ouvrage pour tablir,

    non seulement l'existence de Dieu, mais l'action dela Providence; et il en consacrait un chapitre dmontrer que, de tous les cultes, le christia-nisme, et mme le catholicisme, satisfait le mieux.aux sentiments inns de l'homme, tant le seul oi nos passions servent d'asile nos vertus . Plus

    on avancera vers la fin du sicle, plus le nombrede ces nochrtiens se fera grand. Bien oublispour la plupart, ils n'en eurent pas moins, l'po-

  • 13 LE CATHOLICISiME CHEZ, LES ROxMANTIQUES

    que, une influence considrable; on en peut retrou-ver les noms et les ouvrages dans l'tude de P.-M,Masson sur la Religion de Housseau, et l'on y cons-tate l'absence de toute solution de continuit entrela Profession de foi du vicaire savoyard et le Gniedu Christianisme. Rappelons encore un CharlesBonnet, protestant et genevois, comme Jean-Jacques ; lui aussi dmontre le christianisme parla nature^ et d'autre part il lguera Ballanchc sonexpression de palingnsie ; enfin, par ses con-versations comme par ses Recherches philosophi-ques, il constitue indubitablement une des sourcesde Chateaubriand *. Mentionnons aussi le thosopheSaint-Martin, dont l'aclion s'exerce non seulementsur Joseph de Maistre, mais encore sur Ronald

    ;

    ce dernier pouvait trouver en lui jusqu' l'bauchede sa thorie du langage -. C'tait d'ailleurs,

    1. Voici un passage sur la Bible qui donnera une idedu ton de ces Recherches Philosophiques : t L'lvation despenses, et la majestueuse simplicit de l'Expression ; labeaut, la puret, je dirais volontiers l'Homognit dr laDoctrine ; l'importance, l'universalit et le petit nombredes Prcciitts ; leur admirable appropriation la Natureet aux besoins de l'homme ; l'ardente charit qui enpresse si gnreusement l'observation ; l'onction, la forceet la gravit du Discours; le Sens cach et vraiment phi-losopliique que j'y aperois : voil ce qui fixe le plus monattention dans le Livre que j'examine, et ce que je netrouve pas au mme degr dans aucune production del'esprit humain, (Rech. phil. chap. xix). C'est le mmeCharles Bonnet qui disait Fontanes, en 1781 : t 11 esttemps que la vritable |;hilosophie se rapproche, pourson propre intrt, d'une religion qu'elle a trop mcon-nue, et qui peut seule donner un essor inlini et u:ie rglesre tous les mouvements de notre cur . (Cit parCassagne, Vie Politique de Chateaubriand).

    2. Voir notre chapitre sur Donald et de Maistre.

  • LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES 13

    nous le verrons plus loin, l'poque o le mysticismegermanique envahissait l'esprit franais. Il taitdifficile de s'y tromper, et de ne pas voir les symp-tmes d'une prochaine rnovation religieuse. Lescatholiques s'empressaient de tendre la main cesallis du dehors, sans se proccuper de ce que leurvoisinage pouvait avoir de compromettant ; insen-siblement, ils en arrivaient donner pour base leurs croyances un sentimentalisme la Jean- Jac-ques. Ils constataient que le philosophe de Genven'est jamais plus prs de l'orthodoxie que lorsqu'ilrejette ce rationalisme qui le hante parfois ; et leursrangs se grossissaient de la foule toujours pluscompacte des admirateurs de Rousseau. Au dbutdu xix^ sicle, presque tous proviendront de l.Chateaubriand, avant d'tre l'auteur du Gnie duchristianisme, avait paraphras le Contrat socialdans son Essai sur les Rvolutions. Musset, plustard, verra le jour dans la maison d'un diteur deJean-Jacques. La mre de Lamartine nourrira sonjeune fils des rcits du doux Bernardin ; et, si Jo-seph de Maistre, malgr ses rapports avec l'illumi-nisme, reste indpendant de Rousseau, du moinsBonald, ce grave Donald dont les thories s'oppo-sent si souvent celles du Discours sur l'ingalit,ne pourra-t-il pas s'empcher de le citer tous pro-pos. Mme lorsqu'il le blme, il y salue de gran-des vrits, exprimes avec nergie ' ; et combiende fois ne lui arrive-t-il pas de le louer et de leplaindre :

    1. Thorie du Pouvoir, prface.

  • 14 LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES

    Jean-Jacques Rousseau... qui il n'a manqu pourtre le premier publiciste de son temps, que de n'avoirpas l'esprit fauss par les principes religieux et politiquesqu'il avait sucs avec le lait i.

    Et pourtant, on sait avec quelle conviction il r-fute le Contrat social; s'il sympathise avec le ca-ractre de Jean-Jacques, il en condamne les prin-cipes . Ses contemporains omettront cette dis-tinction, ou ne la feront qu'en thorie; tous ad-mettront la ncessit de refondre le catholicismesur les indications tolrantes et sentimentales duVicaire Savoyard. Ainsi, l'influence de Rousseau,que l'on put croire salutaire puisqu'elle fltrissait

    les faciles railleries des ngateurs de la divinit,devait corrompre cette religion qu'elle avait con-tribu restaurer, en y introduisant son exalta-tion mala live et son mysticisme de roman.

    II

    La Rvolution paraissait cependant devoir nuire cette influence. C'taient en eff'et les ides deRousseau qui en formaient la base et le principe.Si la Gironde et la Montagne les appliquaient diff'-remment et se querellaient sur leur sens, dumoins Jean-Jacques restait-il leur matre tousdeux. On s'efl"orait de raliser les rformes qu'ilavait demandes : abolition des privilges, natio-nalisation des biens fodaux, tatisme; l'chafaud

    1. Lgislation Primitive, liv. II, chap. iv.

  • LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES 15

    et les fusillades supprimaient les contradicteursEt pourtant, l'opinion ne se rebutait pas. Les plusgrands adversaires de l'auteur du Contrat social sebornaient exclure sa politique de la faveur accor-de l'ensemble de son uvre. C'est qu'il est dif-ficile de se dgager d'une atmosphre dans laquelleon vit depuis trente ans ; c'est que trop souvent,les ennemis de la Rvolution, petits esprits habi-tus aux mesquineries des cours, ne voyaientqu'un choc d'ambitions dans ce vaste mouvementd'ides; et d'ailleurs, imbus eux-mmes des doc-trines du philosophe genevois, ils taient incapa-bles d'y faire remonter la responsabilit de la ca-tastrophe. Et puis, les Hbertistes avec leur desseRaison rejetaient leurs adversaires dans le clandes sentimentaux. La Rvolution comportait un as-pect Spartiate et paen confinant la bouffonnerie

    ;

    et, tout en admirant avec horreur l'intgrit ver-tueuse d'un RoJjespierre, on lui reprochait beau-coup moins ses doctrines que la froideur inflexibleavec laquelle il les appliquait. Ceux qui voyaienten lui de la sensibilit taient tents de l'excuser,comme plus tard Nodier et Lamartine ^ ; ceux quile condamnaient lui en voulaient surtout de sonabsence de piti. On en faisait un monstre facehumaine, un homme tout cerveau"^, on se dtournaitde ces tres irrligieux dont le cur s'tait atro-phi ; on leur opposait la charit et l'hrosme desprtres inserments ou du saint roi Louis XV'I, et

    1. iNo lier. Souvenirs et Portraits. Lamartine, Histoire desGirondins.

    2. Voir le portrait de Robespierre par Vigny (Stello).

  • 16 LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES

    on cherchait dans la foi la dlivrance et l'apaise-ment. Cette foi tait donc beaucoup plus un senti-ment qu'une conviction. On revenait la croyancepar horreur du systme terroriste. A cette horreurs'ajoutait le dgot qu'inspiraient les pourrituresdu rgime dictatorial, et, par dessus tout, la lassi-tude de la guerre, cet immense dsir de paix et derepos qui fera accueillir comme un soulagement lecoup d'Etat de Bonaparte:

    Tout le monde dsire la paix au dehors, la paix gn-rale, l'extinction des guerres qui depuis 1792 s'engen-

    drent l'une l'autre. 11 semble que ce soit le premier re-mde aux maux dont on reste accabl... Par la paix, onespre que tout pourra peu peu s'adoucir, se rorgani-ser et s'asseoir... La paix, ce mot prend dans l'imagi-nation nationale un sens dmesur, infiniment compr-hensif, conforme partout son acceptation naturelle ;pour tout le monde, il signifie la possibilit de vivre enpaix ; la dtente et le sommeil i.

    Ce que Vandal dit ici de la paix extrieure s'ap-plique aussi bien la paix religieuse. Si l'on re-court aux anciennes croyances, c'est beaucoupmoins en vertu d'un raisonnement, d'une convictionintellectuelle, que parce qu'on espre y trouver lerepos, la satisfaction du cur. Cette soif de paixexplique le mouvement unanime qui prcipite lesfoules au pied des autels; elle fait comprendre cerveil de la foi au lendemain de la Terreur :

    De tous les points du territoire ancien ou nouveau,jour jour, les rapports arrivent attestant la ferveur

    1. Vandal, L'Avnement de Bonaparte, t. Il, p. 6G et 67.

  • LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES 17

    attise par la perscution, cette ferveur aggressive, cettevolont de la France de redevenir chrtienne.

    Il tait impossible que l'esprit profondment observa-teur de Bonaparte ne ft point frapp par l'imptuosit,la puissance et la spontanit du mouvement. Ce mou-vement, il ne l'a pas cr ; il n'a nullement relev d'au-torit les autels et dcrt la foi ; il n'a fait que relevercertaines prohibitions par trop odieuses, jeter le mot delibert, et voici que de tous cts les autels se relventd'eux-mmes, repoussent par miracle. Le courant ca-tholique existait avant lui ; il existait latent et cach,cheminait sous l'amas des perscutions et des rigueurs

    ;

    il a suffi de porter un coup dans ce bloc et de le dsa-grger pour que la source captive s'lance au jour, jail-lisse et s'pande K

    A ces deux causes de renouveau presque opposesen apparence, vient s'en ajouter une troisime quiles absorbera dans son unit complexe et diffuse :l'influence anglaise et allemande.

    III

    En 1800, prs de trois quarts de sicle s'taient(couls depuis que l'esprit septentrional avait com-

    menc s'affirmer comme une raction contre lamentalit classique, et contre cet quilibre fran-ais organisateur de l'Europe, idal non seulementd'un Boileau, mais d'un Pope, d'un Addison ou d'unGottsched. C'est que, s'tant efforcs d'affiner leurlourdeur native au contact de l'esprit latin, ils neparaissent pas y avoir russi; et leur maladresse

    1. Vandal, UAvnement de Bonaparte, t. II, p. 72-73.2

  • IR LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQrES

    et leur servilisrne contribuaient ii disqualifier lesmodles qu'ils affadissaient en tentant de les repro-duire. D'ailleurs, entre temps, la France dgnraitentre les mains des encyclopdistes ; au lieu d'en-seigner le monde, elle lui demandait des leons.Voltaire dotait son peuple de la philosophie an-glaise en signe de joyeux avnement. Les Grimm,les D'Holbach, les Anacharsis Clootz transportaientsur les bords de la Seine les brumes de leur paysd'origine ; et prcisment cette poque, d'admi-rables crivains faisaient ressortir des languesgermaniques des beauts insouponnes.En Angleterre, Ossian svissait; on le compa-

    rait Homre, et la comparaison tournait en safaveur. Young et Gray inauguraient la posie m-lancolique et spectrale. Leurs livres faisaient fu-reur, on les traduisait, on s'en inspirait, on leur

    recherchait des anctres : et l'on abordait le gi-gantesque Shakespeare, sans se risquer le met-tre en scne dans son abrupte majest. Mais, touten redoutant un peu cet homme qui vous entra-nait si loin des sentiers connus, on se laissaitfasciner par son tranget, et peu peu on sefamiliarisait avec lui. L'Allemagne tait d'ail-leurs le thtre d'un mouvement encore plusvaste. La, c'tait un vritable assaut qu'on livraitaux rgles de Boileau. Lessing impitoyable d-peait nos classiques et les humiliait devant lesanglais ; Klopstock crivait sa Messiade, frntique-ment acclame comme le premier modle d'unelittrature allemande ; et dans l'esprit de Kants'amalgamaient les thories qui devaient l'ame-ner rclamer pour la raison pratique toutes les

  • LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES 19

    prrogatives qu'il refusait la raison spculative.C'tait bien l, en elTet, le fond de ces tendances :un certain pragmatisme, se traduisant chez lesuns par le culte de la volont, chez d'autres parcelui du sentiment : Au commencement taitl'action , dira Faust; et celte divinisation de laforce, qui plus tard imprimera sa marque au ro-mantisme d'un Stendhal ', constitue dj le traitessentiel d'un drame tel que les Brigands. Maissi l'nergie de Karl Moor suffit justifier ses cri-mes, ceux-ci sont rendus sympathiques par l'ar-deur de son me passionne ; et la passion lgi-time aussi bien le lche suicide d'un Werther. Dscette fin du xvme sicle, l'Allemagne et l'Angle-terre connaissent les pires excs du romantisme. Ilne faudra pas attendre longtemps pour voir Goetheen venir au panthisme, Jean-Paul nier la missiondu Christ, et Byron glorifier Satan; et ces tho-ries menaaient dj de ne pas rester spculatives,puisque le pote-homme d'Etat de "Weimar, l'au-teur de Torquato Tasso revendiquait pour lepote le droit de gouverner les peuples. Un telgouvernement ne pouvait aboutir qu'au socialismehumanitaire, devenu, aprs Rousseau, le principede l'illuminisme.

    Ds avant la Rvolution, ces tendances agis-saient en France. Elles y dterminaient a un trs

    1. Il y a d'ailleurs ici concidence plutt qu'influence,L' t imp(5rialisme de Stendhal lui vient des Italiens; ilse rattache cet as .ect mridional du rouianttsme, dontles principales m mifistalions sont, outre les uvres deBeyle, les Orientales, les Coules d'Espagne et d'Italie, etcertains crits de Gautier.

  • 20 LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES

    rel commencement de romantisme, une veineassez grossissante dont on est tout surpris l'exa-miner de prs. C'est Sainte-Beuve qui le cons-tate *; et, reportant ce romantisme son origine,il ajoute ailleurs: Savez vous qu'on tait fort entrain de connatre l'Allemagne en France avant 89?Sans l'interruption de 89, on allait graduellementtout embrasser de l'Allemagne, depuis Ilrosvithajusqu' Goethe -. Pour vrifier l'exactitude decette assertion, il suffira de rappeler les nombreu-ses traductions que le xviiie sicle fit des auteursseptentrionaux, la part qu'occupe dans notre lit-trature l'idyllisine dans le genre de Gessner, ouencore la mode du wertlirisme. Sans doute lesvnements politiques retardrent-ils l'closion dece mouvement en en dtournant l'attention. Maisd'autre part ils le favorisrent encore en provo-quant l'migration des classes intellectuelles.Les migrs taient en effet tout disposs par

    leur ducation antrieure s'enthousiasmer pourles pays nouveaux dans lesquels ils trouvaient un

    refuge. Nobles et riches propritaires, en gnral

    ils avaient lu Rousseau ; presque tous s'taient

    passionns pour Gray, pour Young, ou pour Wer-ther; et voil que la tempte les jetait en plei-nes terres septentrionales. Dans les milieux qu'ils

    frquentaient, on portait aux nues Schiller et

    Goethe. On savait par cur Shakespeare, on lefaisait apprendre aux autres. Ce n'tait plus qu'ap-

    paritions, elfes, sylphes, merveilleux chrtien .

    i. Porlrails Littraires, t. I: Ch. Nodier.2. Portraits Contemporains, t. I : les journaux chez les

    Romains.

  • LE CATHOLICISME CBEZ LES ROMANTIQUES 21

    On n'entendait parler que de tempte et d'ir-ruption )), de la Mort, de la Religion, de l'Amour,de la passion triomphante. Ceux dont le catholi-cisme rsistait le sentaient se couvrir de tnbres,revtir les contours du mystre, rpercuter lesorages de la passion... Quand ils rentrrent dansleur pays, leur foi tout d'abord paisible et sereines'tait trouble et agrandie jusqu' l'norme.

    Et ce retour des migrs concidait avec legrand lan de ferveur religieuse que nous avonsnot plus haut. Le peuple s'enivrait du parfumde l'encens, s'tourdissait au son des cloches, sebaignait dans l'harmonie des orgues muettes depuissi longtemps. C'tait sans doute un besoin moral,c'tait aussi un besoin physique; et cela dans le mo-ment mme o l'influence allemande avait ralisl'idal au point d'en faire l'objet de nos sensations..L'amour de l'ordre et le dsir de paix, universels cette date, auraient pu contenir dans de justes limi-tes cette renaissance sentimentale. Mais le premiergrand crivain dans lequel se concrtisrent lesnouvelles tendances ouvrit la porte toute large lapassion la plus exagre. Et, dans le mme temps,Napolon, coupant court toute discussion philo-sophique ou politique, obligeait ainsi les lillra-leurs se rfugier dans le roman, dans le rve,dans la chimre.

    Toutefois, avant que le Gnie du Christianisineet donn ce catholicisme artistique son impul-sion dfinitive, la situation restait incertaine. Bal-

    lanche publiait son livre du Sentiment ; madamede Stal, dans sa Littrature, opposait la sensua-lit mridionale le mysticisme des peuples du

  • 22 LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES

    Nord ; mais d'autre part, la Thorie du pouvoirou les Considrations sur la France donnaientl'ide de croyances rationnelles, philosophiqueset sociales.

    IV

    Du moins les Considrations sur la France. CarBonald, au milieu mme de ses raisonnements,sacrifie aux tendances de l'poque. Il dclare sonbut analogue celui de ce Bernardin qui, dit-il,a fait les tudes de la nature phj'sique et morale,comme je fais les ludes de la nature sociale etpolitique h ', et il insiste sur la conformit de sesprincipes avec ceux de l'ami de Jean-Jacques:

    Des habitudes et non des opinions, des souvenirs etnon des raisonnements, des sentiments et non des pen-ses : voil l'homme religieux et l'homme politique, legouvernement et la religion. Je suis, dit avec beaucoupde raison l'auteur des tudes de la nature, parce que jesens

    ,et non parce que je pense 2,

    Qu'aprs cela il s'gosille tant qu'il lui plairacontre ce nfaste Jean-Jacques: il n'en a pasmoins subi son influence, et profondment.Chez Joseph de Maistre, c'est tout autre chose.

    Du premier coup d'aile il s'lve bien plus haut,et il en arrive immdiatement cette ide de Pro-vidence, fond permanent de sa doctrine. MaisJoseph de Maistre tait tranger et vivait en pays

    1. Thorie du Pouvoir, l" partie, liv. III, chap. y.2. Ibid. i'

  • Ll CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES 23

    ennemi; quant Bonald, il avait migr; leurslivres s'imprimaient Londres et Constance, etlorsqu'ils passaient la frontire, le Directoire lesmetl4[t au pilon. Ils ne purent donc avoir qu'uneinfluence minime, et parmi les seuls migrs. D'ailleurs, on en avait assez de tous ces systmespolitiques. On en voulait aux idologues de droiteet de gauche d'avoir dissert perte de vue, pourn'amener que la confusion. On tait de plus enplus dispos se confier celui, quel qu'il ft, quirendrait le calme la France. Napolon, quisur ces entref.iites, tait mont au premier rang,ne pouvait que sourire ces tendances. Sansdoute aimait il voir formuler les principes del'absolutisme ; mais il prfrait encore qu'on nediscutt pas, et puisqu'aussi bien il ne pouvait re-fuser au public une nourriture intellectuelle, ils'empressait d'encourager les arts, la posie pi-que et descriptive. Le torrent religieux, barr detoutes parts, se dversait dans cette seule direc-tion libre. Ballanche crivait un livre intitul : DuSentiment dans la Littrature et les Arts, et l'on ypouvait trouver l'expression de

  • 24 LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES

    de Virgile sur Homre, supriorit due unique-ment la perfection de leur foi. Il ajoutait, admet-tant une fois de plus l'existence de preuves desentiment , tout en mettant quelques doutes surleur efficacit actuelle : '

    Les personnes qui aiment les preuves de sentiment,en trouveront en abondance, ornes de toute la pompeet de toutes les grces du style, dans le Gnie duChristianisme. La vrit, dans les ouvrages de raison-nement, est un roi la tte de son arme au jour ducombat : dans l'ouvrage de M. de Chateaubriand, elleest comme une reine au jour de son couronnement,au milieu de la pompe des ftes, de l'clat de sa cour,des acclamations du peuple, des dcorations et des par-fums, entoure de tout qu'il y a de magnifique et degracieux 1.

    Chateaubriand lui-mme, dont rien n'avait en-core paru que son Essai fort inconnu Sur les R-volutions

    ,signait l'auteur du Gnie du Christia-

    nisme )) la lettre ouverte qu'il dirigeait contremadame de Stal et son systme de la perfectibi-lit. Puis il publiait Atala, donnant ainsi unavant-got des volupts qu'il avait su dcouvrirdans une religion qu'on croyait moins picurienne.Et c'est alors qu'attendu par le public, prparpar des ouvrages similaires et des loges antici-ps, habilement annonc par son auteur, parut cetouvrage qui devait dfinitivement orienter l'opinion

    publique vers l'art et vers le sentiment.

    1. Lgislation Primitive, liv. I, cliap. vu.

  • CHAPITRE DEUXIEME

    Chateaubriand.

    Son caractre, ses ambitions, ses qualits et ses dfauts,I. La Preuve de Dieu par la Nature. Son emploi au xviii" si-

    cle. Considrations utilitaires de Chateaubriand. Ses considrations d'esthte. La vrit de lanature opi'ose la mythologie paenne.

    II. Le Merveilleux Chvlien : Le dogme. Parallles desanciens et des modernes. Complaisances de Cha-teaubriand pour l'antiquit. Faiblesse relative de sespassages chrtiens. Il reproduit uniquement l'ex-trieur. Les mystres . Echec de ses tentati-ves d'pope chrtienne. Froideur et embarrasde ses personnifications.

    III. Le Besoin d'Infini : Ses origines au xvm sicle. Saconvenance parfaite avec le caractre de Chateau-briand. Il dgnre vite en soif de volupts. Rapports avec Rousseau. La lutte entre la passionet la foi : il n'y a l qu'une perspective thtrale.

    lY. Le Christianisme Social aprs 1S30. Le progres-sisme. La dmocratie et le tolrantisme. Pa-rent entre Chateaubriand et les moins orthodoxesdes romantiques.

    Un seatinaental et un artiste : tel apparaissaiten effet ce petit Breton qui dbutait ainsi par un

    coup de matre. Et la ralit ne dmentait pasl'apparence, en dpit de ce temprament positifqui l'incitait spculer sur les tendances du jour.C'tait un sentimental qui jouissait de son sentimen-talisme, et que son sentimentalisme avait converti ;et cette conversion, semblable celles de l'poque,

  • 26 LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES

    tait ne des mmes motions. C'tait un artiste,plus apte dessiner les contours extrieurs deschoses qu' pntrer dans leur essence intime

    ;

    plus brillant que profond, plus pote que philoso-phe, plus amuseur qu'instructif. Mais il possdaitaussi un fond d'ambition. Ses dsirs taient d'au-tant moins limits qu'ils avaient leur base unevanit immense, et que le chevalier de Gombourg,seul crivain de gnie au milieu de potes iiisipi-des d'o saillaient et l quelques talents banals,mprisait profondment son temps et ses confr-res et se croyait appel devenir l'Homre dontles chants rejetteraient dans l'ombre cette littra-ture dcrpite. D'ailleurs, persuad que les potessont appels guider les peuples, il aspirait gouverner la France. De mme qu'en AllemagneGoethe, ou que parmi ses disciples futurs un La-martine ou un Hugo, il ne voyait dans la littra-ture qu'un dlassement et une rclame. Ambitieuxd'arriver au pouvoir, il piait les mouvements del'opinion afin de s'en faire l'interprte. (( Echosonore comme Victor Hugo, miroir o se refl-taient les variations de l'esprit public, il savaitque le temps n'tait plus o le peuple franaisdivinisait Voltaire. Il sentait que les idologues,ayant encouru l'inimiti du matre, perdaient laconfiance des sujets. U constatait le rveil desides religieuses, il s'tait mme laiss entranerun moment par cette grande mare qui montaitvers les temples. Et son orgueil, et son ambition,

    et l'tat d'esprit des contemporains, tout le por-tait s'inscrire en faux contre la tradition ratio-

    naliste et paenne, lutter pour la religion contre

  • LL CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES 27

    Voltaire uni Boileau, proclamer la suprioritd'une posie chrtienne dont il serait, lui Cha-teaubriand, l'initiateur, le chef d'cole et le mo-dle.

    Pourtant, il n'avait gure les qualits vouluespour reprendre la succession des Bossuet et desPascal. Epicurien, orgueilleux et sceptique, il nesemblait gure prdestin faire office de prdi-cateur et rdiger pour les jeunes filles des traitsde morale chrtienne. Aussi bien ne le fit -il pas,ou s'il le fit, c'est l une partie de son uvre quinous parat aujourd'hui tout fait infrieure. Sonabsence de sincrit ne pouvait manquer d'affadirson style, car ce style si personnel se dcolore dsqu'il dpeint des sentiments factices. Mais toutesles fois qu'il exprima une motion vcue, qu'ildcrivit les magnificences de ce culte dont iljouissait en artiste, ou qu'il traduisit un tatd'me qu'il avait rellement prouv, son pinceaule fixa en traits inoubliables et dans une langueenchanteresse. C'est d'ailleurs pourquoi il ne rus-sit pas dans son projet de doter la France d'po-pes chrtiennes dignes de Dante et de Milton.Incapable d'exprimer les profondeurs du dogme,il laissait trop d'lments troubles ternir la puretde sa foi. Mais lorsqu'il renonce h son programmeartificiel, et qu'il s'en tient des impressions sin-cres, ses descriptions sont merveilleuses. C'est

    la raison de son influence, et c'est pourquoi leGnie du Christianisme, ce manuel de l'art chr-tien ou plutt du christianisme artistique, donnale ton presque tous les ouvrages du demi-siclesubsquent.

  • 28 LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES

    I

    Une partie de son apologtique, cependant, avaitdj t bauche au cours des annes prcden-tes ; et, lorsqu'il voulait prouver.Dieu par la nature,il se croj'ait peut-tre plus neuf qu'il ne l'tait.C'est, au fond, le vieil argument de l'horloge qui,par son existence seule, atteste celle de son ou-vrier. On en avait dj us souvent, et il servaitmme des distes comme Voltaire, ennemi detoute religion positive. Toutefois, il avait pris une

    ampleur nouvelle dans cette fin du xviii^ sicleo, las des boudoirs de Versailles, on se remettait goter la nature. 11 avait insensiblement glissdu terrain philosophique au terrain potique etsentimental. C'tait dj devant un paysage ma-gnifique, sur une hauteur dominant la valle duP et au pied de laquelle se droulaient les plai-nes de la Lombardie, que le Vicaire Savoyardmenait son lve pour s'entretenir avec lui de lareligion et de Dieu. Plus tard, Bernardin de Saint-Pierre se fit une spcialit de rechercher partoutles traces de la Providence. On sait qu'il en fai-sait un systme, et qu'il visait tre scientifique.On sait aussi qu'il ne reculait pas devant le ridi-cule, et que pour lui, si le melon, par exemple,porte des ctes, c'est que Dieu le destine de touteternit tre mang en famille. Mais on n'a peut-tre pas assez remarqu que, des deux argumentstraditionnels de l'existence de Dieu l'argumentde contingence et l'argument de finalit, ce

  • LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES 29

    dernier prenait une importance toujours plusgrande, rejetant l'autre dans la pnombre; en ou-tre, cette conception mme de l'ordre universeltendait tre envisage non plus relativement l'intrt de l'homme, mais son agrment. Unpas restait faire. Chateaubriand le fit, en ar-tiste qu'il tait. Il dgagea cette conception de cequ'elle comportait encore d'utilitarisme, et nechercha plus dmontrer Dieu que par les mer-veilles de la nature ;, par la grandeur de sesspectacles, par la somptuosit de ses tableaux.

    Ce n'est pas que, mme sur ce point, il n'ait eudes devanciers. Fnelon dj, dans son Trait del'existence de Dieu, avait insist sur la beaut del'univers, et ses nombreux continuateurs et com-meutateurs du xviii^ sicle en taient arrivs considrer cette argumentation comme plus pro-bante que toute autre. Ce n'est pas non plusqu'il ait fait entirement fi de ce que l'entr'aidemutuelle des tres pouvait prsenter de curieux.Il a des considrations sur les migrations desplantes et des oiseaux :

    En mettant les sexes sur des individus dilfrents dansplusieurs familles de plantes, la Providence a multipliles mystres et les beauts de la nature. Par l, la loides migrations se reproduit dans un rgne qui semblaitdpourvu de toute facult de se mouvoir. Tantt c'estla graine ou le fruit, tantt c'est une portion de la planteou mme la plante entire qui voyage. Les cocotiers,etc. 1.

    Il en a sur (( l'inslinetdes animaux )\ ou encore

    1. Gnie du Clvistianis7ne, i" partie, liv. V. chsp. xi.

  • 30 LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES

    sur les proportions des lments dans la nature :

    En parlant des quatre lments qu'il (Nieuwentyt)considre dans leurs harmonies avec 1 homme et lacration en gnral, il fait voir, par rapport l'air, com-ment nos corps sont miraculeusement conservs sousune colonne atmosphrique gale dans sa pression unpoids de vingt mille livres. 11 prouve qu'une seule qua-lit change, soit en rfraction, soit en densit, dansl'lment qu'on respire suffirait pour dtruire les tresvivants. C'est l'air qui fait monter les fumes, c'estl'air qui retient les liquides dans les vaisseaux

    ;par ses

    mouvements il pure les cieux, et porte au continent lesnuages de la mer .

    Il en a sur le chant des oiseaux, qui, dclare-t-il, est fait pour l'homnae :

    Ceux qui cherchent deshriter l'homme, lui arra-cher l'empire de la nature, voudraient bien prouver querien n'est fait pour nous. Or le chant des oiseaux, parexemple, est tellement command pour notre oreillequ'on a beau perscuter les htes des bois, ravir leursnids, les poursuivre, les blesser avec des armes ou dansdes piges, on peut les remplir de douleurs, mais on nepeut les forcer au silence. En dpit de nous, il faut qu'ilsnous charment, il faut qu'ils accomplissent l'ordre de laProvidence 2.

    Mais voit-on avec quelle facilit il confond l'utileet l'agrable ? Le monde n'est pour lui qu'un vastespectacle accord par la Providence. Dieu estmoins le matre tout puissant d'oii dpendent nosdestines, qu'une espce de directeur de thtre

    1. Gnie du Christianisme, i" partie, liv. V. chap. m.2. Ibid. 1" [lartie, liv. V, cliap. v.

  • LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES 31

    qui s'emploie h charmer nos yeux. Rien n'est vraique le beau , dira plus tard Musset ; et avant lui.Chateaubriand ne se soucie que de beaut. Labeaut, son unique critre de vrit, lui permet detrancher aisment bien des questions controver-ses. Ainsi, comment accorder la chronologie mo-saque avec les m.irques de vtust que porte laterre? C'est bien simple: Dieu a cr le mondeavec ces marques de vtust, pour ne lui rien faireperdre de son charme :

    Si le monde n'et t la fois jeune et vieux, legrand, le srieux, le moral disparaissaient de la nature,car ces sentiments tiennent par essence aux choses an-tiques. Chaque site eut perdu ses merveilles... Sanscette vieillesse originaire, il n'y aurait eu ni pompe nimajest dans l'ouvrage de l'Eternel ; et, ce qui ne sau-rait tre, la nature dans son innocence, et t moinsbelle qu'elle ne l'est aujourd'hui dans sa corruption. Uneinsipide enfance de plantes, d'animaux, d'lments, etcouronn une terre sans posie. Mais Dieu ne fut pasun si mchant dessinateur des bocages d'Eden que lesincrdules le prtendent. L'homme-roi naquit lui-mme trente annes, afin de s'accorder par sa majest avecles antiques grandeurs de son nouvel empire, de mmeque sa compagne compta sans doute seize printemps,qu'elle n'avait pourtant point vcu, pour tre en harmo-nie avec les fleurs, les oiseaux, l'innocence, les amours,et toute la jeune partie de Tunivers '.

    (( L'homme-roi ! Oui, tout est fait pourl'homme; aussi bien les fleurs, les oiseaux,l'innocence, les amours )) que la sainte horreur

    1. Gnie dit Christianisme, \" partie, liv. IV. cliap. v.

  • 32 LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES

    des forts ou a le rocher en ruine qui pend surl'abme avec ses longues gramines . C'est no-tre plaisir que Dieu a destin ces spectacles gra-cieux ou terribles. Si les toiles brillent aux cieux,

    c'est pour que leur clart nous enchante ; si lesmers mugissent et temptent, c'est pour susciternotre admiration. Les aspects les plus effrayantsde la nature, la foudre, les tremblements de terre,les cataclysmes, ne sont l que pour exciter notre

    intrt et faire diversion notre vie banale. Ad-mirons cette providence qui prvoit ainsi jusqu'auspleen d'une existence monotone. Admirons-la !Et Chateaubriand ne se fait pas faute de l'admirer ;il s'abandonne tout son enthousiasme devant desi magnifiques tableaux. Il contemple la naturesous tous ses aspects, et toujours ses penses re-viennent au grand architecte, au grand dcora-teur, qui a compos l'univers pour satisfaire nosregards :

    Il nous arrivait souvent de nous lever au milieu de lanuit et d'aller nous asseoir sur le pont, o nous netrouvions que l'officier de quart et 'quelques matelots

    qui fumaient leur pipe en silence. Pour tout bruit onentendait le froissement de la proue sur les flots, tandis

    que des tincelles de feu couraient avec une blanchecume le long des flancs du navire. Dieu des chrtiens!c'est surtout dans les eaux de l'abme et dans les profon-deurs des cieux que tu as grav bien profondment lestraits de ta toute-puissance !... Jamais tu ne m'as plustroubl de ta grandeur que dans ces nuits o, suspenduentre les astres et l'ocan, j'avais l'immensit sur matte et l'immensit sous mes pieds ! ^.

    d. Gnie du Christianisme, 1" partie, liv. V. chap. u.

  • LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES 33

    Tels sont les sentiments qui lvent l'me deChateaubriand la vue d'une de ces grandiosesperspectives de la nature ; tels sont ceux quiblouissent Chactas ; et l'me orageuse de Ren selaissera dtourner de sa tristesse par un paysagecossais, qui fixera sa rverie sur les conqutes duchristianisme :

    Sur les monts de la Caldonie, le dernier barde qu'onait ou dans ces dserts me chante les pomes dont unhros consolait sa vieillesse. Nous tions assis sur qua-tre pierres ronges de mousse ; un torrent coulait nospieds ; le chevreuil passait quelque distance, parmiles dbris d'une tour, et le vent des mers sifflait sur labruyre de Cona. Maintenant la religion chrtienne,fille aussi des hautes montagnes (?), a plac des croixsur les monuments des hros de Morven, et touch laharpe de David au bord du mme torrent o Ossian fitgmir la sienne. Aussi pacifique que les divinits deSelma taient guerrires, elle garde les troupeaux oFingal livrait des combats et elle a rpandu des angesde paix dans les nuages qu'habitaient les fantmes ho-micides 1.

    On voit la connexion qu'il tablit presque invo-lontairement entre la nature et la religion. C'estque toutes deux sont potiques; c'est que le catho-licisme, seul de toutes les croyances, rend possibleune vraie posie descriptive, en bannissant del'univers ces dits artificielles qui le transfor-

    maient en un immense truquage -. Et, de plus, ilest potique en soi, dans ses crmonies et dans

    1. Ren, d. Flammarion, p. 182.2. Gnie du Christianisme, 2 partie, liv. IV, cliap. i.

    3

  • 34 LE CATHOMCISME CHEZ LES RONANTIQUES

    ses dogmes. Son culte possde je ne sais quellegravita qui le rend de beaucoup suprieur ceuxde l'ancienne Grce ; et sa mythologie peutavantageusement remplacer celle de l'Olympepaen. Chateaubriand le pense, du moins, et s'ef-force de le montrer. Contrairement Boileau, ilaffirme que des chrtiens les mystres terribles sont susceptibles d'ornements gays ; il vajusqu' dire qu'il ne convient pas un catholiquedigne de ce nom de s'adonner une autre posiequ' celle de ces mystres , d'ailleurs beau-coup plus attrayants et dignes d'tre chants quetous ceux de l'antiquit.

    II

    Ce n'est pas sans dessein que nous nous sommesservis de ce mot mystres sur lequel Chateau-briand lui mme quivoque longuement. Il com-porte en effet plusieurs sens, et, dans le vocabu-laire strictement religieux, il faut en distinguer aumoins deux diffrents. Il peut signifier les mys-tres du culte )), la messe et les sacrements ; maisil peut dsigner aussi certains points du dogmequi sont et demeureront ternellement obscurs,tant inaccessibles notre intelligence terrestre.Chateaubriand l'emploie dans les deux sens; ils'efforce de dmontrer que le culte chrtien aussibien que le dogme et la mythologie chrtienne sont suprieurs ceux des autres religions et no-tamment ceux du paganisme. Dmonstration

  • LE CATUOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES 35

    facile au point de vue moral;plus difficile au point

    de vue esthtique. Du moins s'y essaie-t-il brave-ment.

    Je ne sais si le parallle tel qu'il en use dansle Gnie du Christianisme, ou plus tard dans lesMartyrs tait le procd qui convenait le mieuxen. cette occurence. Il peut sembler sans douteplus loyal ; mais c'est la condition que la plumede l'crivain ne le trahisse pas et que son temp-rament voluptueux ne lui fasse pas mettre trop decomplaisance dans les tableaux de l'antiquit.Aussi russit-il mieux lorsqu'il oppose une scned'Homre et une scne de Milton que lorsque lui-mme imagine deux pisodes qui se contrebalan-cent. Certes la description des fianailles d'Eudoreest tout ce qu'il y a de plus gracieux:

    Tandis que rassemble prenait ses rangs, un churchantait le psaume de l'introduction de la fte. Aprsce cantique, les fidles prirent en silence ; ensuitel'vque pronona l'oraison des vux runis des fidles.Le lecteur monta l'ambon, et choisit dans l'ancien etle nouveau testament les textes qui se rapportaient da-vantage la double fte que l'on clbrait. Quel specta-cle pour Gymodoce ! Quelle diffrence de cette sainteet tranquille crmonie aux sanglants sacrifices, auxchants impurs des paens ! Tous les yeux se tournaientsur l'innocente catchumne ; elle tait assise au milieud'une troupe de vierges, qu'elle effaait par sa beaut.Accable de respect et de crainte, peine osait-elle le-ver un regard timide pour chercher dans la foule celuiqui aprs Dieu occupait alors uniquement son cur '.

    1. Les Martyrs, iiv. XIV.

  • 36 LE CATUOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES

    Mais ne lui peut-on prfrer la fte de Chypredans le livre XVII, ou, dans tous les cas, l'harmo-nieux adieu de la prtresse des Muses, plein dersonnances mythologiques :

    Lgers vaisseaux de l'Ausonie, fendez la mer calmeet brillante ! Esclaves de Neptune, abandonnez la voileau souffle harmonieux des vents! Courbez-vous sur larame agile. Reportez-moi sous la garde de mon pouxet de mon pre, aux rives fortunes du Pamysus.

    Volez, oiseaux de Libye, dont le cou flexible se re-courbe avec grce, volez au sommet de l'ithme, et ditesque la fille d'Homre va revoir les lauriers de la Mes-snie !

    Quand retrouverai-je mon lit d'ivoire, la lumire dujour, si chre aux mortels, les prairies mailles de fleursqu'une eau pure arrose, que la pudeur embellit de sonsouffle (?) ! 1

    L'Ausonie, la Libye, la Messnie ! Comme ilamne bien ces mots I Comme il se complat lesrpter, et comme il se dlecte de leur harmonie !11 lui arrivera plus d'une fois, dans ses Mmoiresd'Outvii-Tombe, alors qu'il ne se souciera jilus deses thories de 1801, d'crire des pages entires,pleines de lyrisme, pour le seul plaisir de taire re-tentir quelques-uns de ces mots antiques dont lamusique le ravissait :

    Ecoutez ! la nymphe Egrio chante au bord de safontaine ; le rossignol se fait entendre dans la vigne derhypoge des Scipions ; la brise alanguie de la Syrienous apporte indolemment la senteur des tubreuses

    1. Ibid. liv. XVII.

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    sauvages. Le palmier de la i/7/fl abandonne se balance demi noy dans l'amthyste et l'azm' des clarts ph-bennes. Mais toi, plie par les reflets de la candeur deDiane, Cynthie, tu es mille fois plus gracieuse que cepalmier. Les mnes de Dlie, de Lalag, de Lydie, deLesbie, poses sur des corniches brches, balbutientautour de toi des paroles mystrieuses. Tes regards secroisent avec ceux des toiles et se mlent leursrayons *.

    Les noms chrtiens rendent un son plus mle etdpourvu de cette langueur. Aussi Chateaubriandfaihlit-il chaque fois qu'il oppose franchement l'un l'autre le culte chrtien et celui des paens ; d'au-tant qu'il s'agit l de crmonies antiques, dpour-vues de cet appareil qui distingue la liturgie mo-derne, et dans lesquelles il ne pouvait pntrerque par son imagination. Or, lui-mme nous avaitdit, dans son Gnie du Christianisme : Nous som-mes persuads que les grands crivains ont misleur histoire dans leurs ouvrages. On ne peint bienque son propre cur, en l'attribuant un autre ;et la meilleure partie du gnie se compose de sou-venirs )) -. Suivant son habitude, il applique toutl'univers une remarque qui n'est vraie que de lui

    ;

    mais quoi qu'il en soit, il nous indique ici une aumoins des raisons de son demi-chec des Martyrs.C'tait trop loin, ces murs des premiers chr-tiens. Elles dureraient trop des faons de sentir etd'imaginer ordinaires la vie moderne. Du moins,lorsqu'il s'agissait de dcrire une crmonie du

    1. Mmoires d'outre tombe, 4" partie, liv. V.2. Gnie du Christianisme, 2e partie, liv. I, chap. ui.

  • 38 LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES

    culte actuol, il pouvait entrer clans une glise ets'imprgner d'motions artistiques. C'est pourquoices descriptions, dans Atala et dans Ren, sontsuprieures, croyons-nous, aux reconstructionspotiques des Martyrs. Ecoutons le frre d'Am-lie :

    Amlie se place sous un dais. Le sacrifice commence la lueur des flambeaux, au milieu de fleurs et deparfums, qui devaient rendre l'holocauste agrable. Al'offertoire, le prtre se dpouilla de ses ornements, neconserva qu'une tunique de lin, monta en chaire, et,dans un discours simple et pathtique, peignit le bon-heur de la vierge qui se consacre au Seigneur. Quand ilpronona ces mots : Elle a paru comme l'encens qui seconsume dans le feu , un grand calme et des odeursclestes semblrent se rpandre dans l'auditoire ; on sesentit comme l'abri sous les ailes de la colombe mys-tique, et l'on et cru voir les anges descendre sur l'au-tel et remonter vers les cieux avec des parfums et descouronnes i.

    Ecoutons encore Ghactas. Ici le pote est tout fait son aise, car le fond de son tableau est lanature, cette nature qu'il aime tant :

    ... Le sacrifice commence.L'aurore, paraissant derrire les montagnes, enflam-

    mait l'Orient. Tout tait d'or et de rose dans la solitude.L'astre annonc par tant de splendeurs sortit enfin d'unabme de lumire, et son premier rayon rencontra l'hos-tie consacre, que le prtre en ce moment mme levait-dans les airs. charme de la religion ! magnificencedu culte chrtien ! Pour sacrificateur un vieil ermite,

    1. Ren.

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    pour autel un rocher, pour assistance d'innocents sauva-

    ges t Non, je ne doute pas qu'au moment o nous nousprosternines, le grand mystre ne s'accomplt et queDieu ne descendt sur la terre, car je le sentis descendredans mon cur i.

    Oui, cela est ijeau ! Mais la remarque a sou-vent t faite tout, dans cette scne, en dpit

    des exclamations de Ciiactas, a pour but le plaisirdes yeux. Ce qu'il reprsente, ce sont des couleurs,des groupes pittoresques, ce sont des raj'ons quirencontrent l'hostie, comme dans une lithographiedu temps. Mais, s'il reproduit admirablement l'ex-trieur, la magnificence du culte, il n'en atteintni le sens cach ni la fcondit interne. C'est tou-jours l'admiration de l'artiste, non l'enthousiasmedu croyant.

    Et c'est pourquoi alors que le culte du moinscomportait un aspect sensible qu'il pouvait sanstrop de difficult s'assimiler et reproduire ilchoue lamentablement aussitt qu'il s'elforce depeindre l'immatriel, de concrtiser les abstrac-tions du dogme, d'voquer les anges et les saints.Ce domaine est trop haut pour lui ; il se guindsans y parvenir. La Trinit! L'Incarnation ! LaRdemption ! Eh mon Dieu ! est-ce que cela vousdit quelque chose ? Comment broder sur des idessi vagues, comment imaginer une fiction capabled'illustrer des notions si confuses? En vril, Cha-teaubriand n'y comprend rien; l'inspiration luifait dfaut. Et s'il essaie de se reprsenter ce quel'on entend par mystre, il voit du gris, de l'ind-

    1. Atala : Les Laboureurs.

  • 40 LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES

    termin, quelque chose d'absolument identique ce que nous appelons de ce nom ici-bas. Peut-trejoue-t-il sur les mots lorsqu'il rapproche les vri*ts du dogme de sentiments ou de vertus qu'il qua-lifie de mystrieux ; mais on peut se demanders'il a jamais compris la diffrence qui existe entreles uns et les autres. Il semble souvent avoir con-fondu ces notions sur le papier parce qu'elless'embrouillaient dans sa tte. L'univers tout entierest plein de posie; la nature n'est admirable queparce qu'elle abonde en recoins ignors. Peut-onadmettre que les mystres chrtiens soient d'unautre genre que les insondables mystres qui sur-gissent de partout? Chateaubriand tranche la ques-tion par la ngative, sans mme savoir qu'il y al un problme. 11 nglige toutes ces distinctionset se tire d'alaire par un certain nombre de cescomparaisons par lesquelles il esquive les ques-tions dlicates :

    11 n est rien de beau, de doux, de grand dans la vie,que les choses mystrieuses. Les sentiments les plusmerveilleux sont ceux qui nous agitent le plus confus-ment... L'innocence, son tour, qui n'est qu'une sainteignorance, n'est-elle pas le plus ineffable des myst-res ?.. S'il en est ainsi des sentiments, il en est ainsi

    des vertus... En passant aux rapports de l'esprit, noustrouvons que les plaisirs de la pense sont aussi des se-crets... Tout est cach, tout est inconnu dans l'uni-vers. L'homme lui-mme n'est-il pas un trange mys-tre?... Il n'est donc point tonnant, d'aprs le penchantde l'homme aux mystres, que les religions de tous lespeuples aient eu leurs secrets impntrables *.

    1. Gnie du Christianisme, Impartie, liv. I, chap. ii.

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    On remarquera, en passant, que la conclusion dece passage clbre, tend juger d'aprs les mmesprincipes des mystres de tous les peuples . 11lui semble dj, comme plus tard Ballanche, quetous les mythes de toutes les religions voilent lesmmes vrits; et lorsqu'ailleurs il invoque le t-moignage des Indous ou des Egyptiens en faveurdes croyances chrtiennes, il jette les premiresbases de celte ide de consentement universel quisera reprise par Lamennais. Il n'en vite mmepas les dangers ; et si plus tard ses disciples dirontque (( les dogmes plus ou moins formels, plus oumoins obscurcis, de la religion universelle, repo-sent dans toutes les croyances ^ , et que l'on nepeut prfrer un symbole qu'en raison de sa nettetet de son charme potique, n'est-ce pas dj Tidefondamentale du Gnie du Christianisme'? S'il pro-fesse la religion dont le livre saint est la Bible,^

    c'est que la posie en est infiniment plus sublimeet beaucoup moins extravagante que celle dontl'Olympe abrite les hros. L'Ecriture sainte et les

    uvres qui s'en inspirent la Jrusalem Dlivreou la Divine Comdie lui paraissent bien sup-rieurs aux popes de Virgile ou d'Homre. Cettesupriorit se rvle jusque dans les moindres d-tails. Chateaubriand place l'Iphignie de Racineau-dessus de celle d'Euripide; Ulysse et Pn-lope, il prfre l'Adam et l'Eve de Milton. Le Pa-radis vaut mieux que l'Olympe, l'Enfer eiace leTartare, les dmons, les anges et les saints, pri-ment les dieux de la mythologie. A ces divinits

    1. Ballanche, Palingnsie sociale, prface.

  • 42 LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES

    rabougries, qui personnifiaient les misres et lesvices de Ihumanit, il oppose la majest et la can-deur inaltrables des bienheureux qui peuplentnotre ciel. Et cela va bien: aussi longtemps dumoins qu'il n'imagine pas d'illustrer son uvre,et de fonder une posie pique inspire du catholi-cisme.

    Tout dans sa nature, en effet, et d le dtour-ner d'un tel projet ; et nanmoins il s'acharna, dixans durant, doter la France d'une pope enprose digne de Dante ou de Milton. Il estimait, nonsans justesse, que sur ce terrain une nation catho-lique ne devait pas rester en arrire de la protes-tante Angleterre ou de l'Allemagne de Klopstock.D'aprs lui, les prceptes tyranniques de Boileaudtournaient nos classiques de leur voie naturelle,et, leur interdisant d'exprimer leurs croyances, lescondamnaient versifier sur des thmes artificiels.Lui, Chateaubriand^ devait rendre la religion na-tionale la place laquelle elle avait droit. 11 devaitcrer un Olympe chrtien capable d'effacer lesdits paennes ; il devait tre l'Homre de laFrance, l'homme qui concrtiserait une nouvellemythologie, modle des sicles venir.

    11 le tenta: il s'y prit deux fois, d'abord dansson pope des Natchez, qu'il eut le bon sens dene pas publier en 1801, et la vaniteuse faiblesse defaire paratre vingt ans plus lard ; livre trangedont on ne sait si c'est un pome ou un roman, eto les combats de sauvages s'entrecroisent avecles entretiens des saints au Paradis. Puis, dansses Martyrs, coup sr beaucoup plus intressantstant par la puret du style que par l'habilet avec

  • LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES 43

    laquelle l'auteur fait revivre le monde romain.D'ailleurs, ces mrites tout profanes ne l'emp-chent pas d'chouer compltement dans son des-sein de mettre en scne le surnaturel et d'animerla Paradis. Ses efforts les plus obstins n'abou-tissent qu' dessiner des saints de cathdrale,figs dans leur symbolisme de pierre, et qui, rem-plissant toujours la mme fonction depuis lecommencement du monde, semblent s'y treankyloss et avoir perdu l'apparence de viequ'ils pouvaient avoir autrefois. Ils tiennent desdiscours anonj-mes et banals, et leur personnen'est qu'un fade assemblage d'emblmes quelcon-ques, sous lesquels ou se demande sil y a quel-qu'un ; figures qui, froides comme le marbre, n'enont mme pas la majest :

    Bientt il aperoit l'ange des mers, attentif quel-ques grandes rvolutions des eaux : assis sur un trnede cristal, il tenait la main un frein d'or ; sa cheve-lure verte descendait humide sur ses paules et unecharpe d'azur enveloppait ses formes divines '.

    Vraiment, Chapelain en aurait fait autant; et iltait inutile de s'appeler Chateaubriand pour arri-ver un aussi pitre rsultat. On est d'autant plustonn de le voir commettre un tel manque degot que lui-mme crivait des dits paennes :

    Ou ne doit jamais personnifier qu'une qualit ouqu'une affection d'un tre et non pas cet tre lui-mme ;autrement ce n'est plus une vritable personnification,c'est seulement avoir fait changer de nom l'objet 2.

    1. Les Marlrjrs, liv. XV.2. Gnie du Christianisme, 2' partie, liv. IV, chap. 11.

  • 44 LE CATHOLICISME CUliZ LES ROMANTIQUES

    Il est vrai qu'il ne russit pas mieux lorsqu'ilpersonnifie un sentiment et non une partie dela nature. L' ange des saintes amours n'a rien

    de moins froid et de moins hiratique que le gniedes ocans :

    Lorsque Dieu veut mettre dans le cur de l'iiommeces chastes ardeurs d'o sortent des prodiges de vertu,c'est au plus beau des esprits du ciel que ce soin impor-tant est confi. Uriel est son nom ; d'une main il tientune flche d'or tire du carquois du Seigneur, de l'au-tre un flambeau allum au foudre ternel. Sa nais-sance ne prcde point celle de l'univers : il naquitavec Eve, au moment mme o la premire femme ou-vrit les "yeux la lumire rcente. La puissance cra-trice rpandit sur le chrubin ardent un mlange desgrces sduisantes de la mre des humains et des beau-ts mles du pre des hommes : il a le sourire de la pu-deur et le regard du gnie *.

    Evidemment, Chateaubriand n'a pas vu sonUriel. Il se contente d'assembler, par un travail demosaque, les attributs de i'Eros ancien et quel-ques rares inventions nouvelles. Il raconte l'his-toire de son ange, il le dpeint, mais on sent qu'ilne se l'est jamais reprsent et qu'il le fait inter-venir uniquement pour raliser un programme.Et l'on se tromperait en croyant que l'auteur deRen a pu mettre plus de vigueur dans la peinturedes dmons. Rien de plus effac, de plus risibleque ces diablotins en carton qui n'effraieraient pas

    un enfant. Ce serait faire trop d'honneur h sa Re-

    1. Les Martyrs, liv. XII.

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    nomme que de la comparer celle de Virgile ; ellene vaut pas celle de Boileau.

    Alors le dmon de la renomme, reprenant sa forme,s'lve triomphant dans les airs : trois fois, il remplit deson souffle une trompette dont les sons aigus dchirentles oreilles. En mme temps Satan envoie Ondour,l'Injure et la Vengeance. La premire le devance en r-pandant des calomnies qui, comme une huile empoi-sonne, souillent ce qu'elles ont touch ; la seconde lesuit, enveloppe dans un manteau de sang s.

    La (( trompette de la renomme I Impossibled'tre plus pompier , impossible de se servir demots plus uss, plus antdiluviens, plus ressassspar les potereaux du xviii^ sicle. Impossibled'tre moins Chateaubriand ; car enfin, s'il est quel-que chose, c'est en bonne partie pour avoir dbar-rass la littrature de ces colifichets mythologiquesqui la ligotaient. Non, vraiment, le Franais n'apas la tte pique, si c'est avoir la tte piquequ'imaginer des fictions vivantes oi rentre lesurnaturel. Chateaubriand en tout cas ne l'avaitpas, et toute cette partie de son uvre, si elle estsauve de l'oubli, le sera par le ridicule. Mais s'ilsuffit pour tre un grand pote de narrer des his-toires passionnes oi le mystre plane et ol'amour n'est pas loin de la mort, Chateaubriandfut celui-l : et le sentiment de l'infini, pntrantses ouvrages, rachte amplement la mdiocrit deses machines potiques , et fait de certaines deses pages les plus beaux morceaux de Ij-risme queconnaisse la prose franaise.

    1. Les Natchez, liv. H.

  • 46 LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES

    III

    Si quelqu'un veut se rendre compte de l'infinitde dsirs qui tourmentaient Chateaubriand, ds sajeunesse, qu'il prenne Ren, et qu'il confronte cettenouvelle avec les dbuts des Mmoires d'Outre-tombe. La comparaison a souvent t faite : c'estqu'il n'en est gure de plus instructive, et elle tmoi-gne d'une conformit absolue entre l'auteur et sonhros. Dans le premier de ces ouvrages, le roman-cier exalte cet tat d'me et ces aspirations mul-tiples ; dans l'autre il s'en raille : mais on n'enconstateque mieux quedans les deuxil sejuge lui-mme. Et c'est pourquoi l'on n'a pas tort de voirdans Ren une autobiographie. Sans doute la ca-tastrophe qui le termine ne rpond elle pas laralit ; mais c'est du moins la mme dtresse, lamme recherche de jouissances qui s'vanouissentaussitt atteintes, la mme soif que prtendl'auteur du Gnie la religion seule peut com-bler.

    Certes il y avait, dans l'atmosphre ambiante,quelque chose d'analogue sans quoi ne s'explique-rait pas le succs de l'ouvrage. Les Rveries d'unpromeneur solitaire et Werther avaient fray lavoie Ren: Chateaubriand lui-mme ne cacherapas ses ressemblances avec Jean-Jacques. Maispour avoir t frquent cette poque, cet tatd'me n'en atteint pas moins son paroxysme avecRen. Ni Lord Byron, ni Musset, ni George Sand,

  • LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES 47

    n'y pourront rien ajouter qu'un dandysme prten-tieux ou des dclamations politico-sociales. C'estque le chevalier de Combourg, lev au milieud'une famille de maniaques, dans un pays inculteet isol du reste du monde, avait reu de son du-cation autant que de son hrdit, des tendances tel-les que longtemps avant d'avoir lu Rousseau, il d-lirait comme lui. Puis, dans sa jeunesse, il courutle monde, quittant le Paris de la rvolution pour lessavanes de l 'Amrique, et dsertant la hutte de G-luta pour prendre du service au sige de Thion-ville; et toute cette vie d'aventures et de passion-,loin d'afTaiblir en lui des dispositions morbides quid'ailleurs y taient dj enracines, n'avait faitque les affermir. Enfin, devenu chrtien, maisn'ayant ni le courage ni le dsir de rformer soncaractre et de s'arracher son spleen, il n'avaitrien trouv de mieux que d'en faire une des com-posantes de sa foi, moyennant quoi il pouvait dor-mir en [iaix sur ses lauriers d'apologiste.On sait comment il s'y prend, embrouillant ha-

    bilement les expressions, et enchevtrant avec samlancolie les sentiments les plus universels. Carc'est presque un lieu commun que sa premireconstatation : l'homme a un immense dsir debonheur, et nul bien de ce monde ne le peut rassa-sier. C'est ce qu'il appelle notre soif d'infini; et,

    aprs en avoir dduit l'immortalit de notre me,il en fait comme le fondement et la source de lareligion. Nous dsirons tous tre heureux; or rienici-bas ne peut nous satisfaire; donc il faut que lanature, qui ne fait rien en vain, nous ait mnagdans un autre monde un autre genre de bonheur.

  • 48 LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES

    Telle est, aprs la preuve de Dieu par la nature,une seconde dmonstration de son existence. Telleest encore une explication qui corrobore ce quenous avons dit des mystres :

    Il est certain que notre me demande ternellement ; peine a-t-elle obtenu l'objet de sa convoitise, qu'elledemande encore ; l'univers entier ne la satisfait point.L'infini est le seul champ qui lui convienne ; elle aime se perdre dans les nombres, concevoir les plus grandescomme les plus petites dimensions. Enfin, gonfle et nonrassasie de ce qu'elle a dvor, elle se prcipite dans lesein de Dieu, o viennent se runir les ides de l'in-fini, en perfection, en temps et en espace ; mais ellene se plonge dans la Divinit que parce que cette Di-vinit est pleine de tnbres, Deus absconditus. Si elle

    en obtenait une vue distincte, elle la ddaigneraitcomme tous les objets qu'elle mesure ^

    Et, de fait, si Chateaubriand s'est converti, ilsemble bien que ce soit sinon par dilettantisme, dumoins pour goter des jouissances que n'avaientpu lui procurer les objets terrestres auxquels ils'adressait. Il ne fallait pas un grand efort, d-clare-t-il. pour revenir du scepticisme de VEssai la certitude du Gnie du Christianisme 2 . Et dansle rcit de sa conversion, bien qu'il l'ait sansdoute romanc, on voit clairement que ce n'estpas la rflexion qui agit, mais un mouvement ducur uni peut-tre je ne sais quelle curiositpicurienne :

    Ma mre... chargea en mourant une de mes surs de

    d. Gnie du Christianisme, l'"^ partie, liv. VI, chap. i.2. Mmoires d^Outre-Tomhe, 1" partie, liv. IX.

  • LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMA.NTIUES 49

    me rappeler cette religion dans laquelle j'avais t lev.M'a sur me manda le dernier vu de ma mre. Quandla lettre me parvint au del des mers, ma sur elle-mme n'existait plus, elle tait morte des suites de sonemprisonnement. Ces deux voix sorties du tombeau,cette mort qui servait d'interprte la mort, m'ontfirapp. Je suis devenu chrtien. Je n'ai point cd, jel'avoue, de grandes lumires surnaturelles : ma convic-tion est partie du cur : j'ai pleur et j'ai cru *.

    Et avec quelle complaisance il se remmore sonbeau geste ! En tous cas, si sa conviction a dur,si plutt il s'est complu un ou deux ans dans lesdlices d'un pseudo-mysticisme, ce temps ne futpas long, puisque Ren parut dans le corps mmedu Gnie du Christianisme, et qu'il rdigeait cedernier ouvrage sous le toit de Madame de Beau-mont. Sans doute n'tait-il pas homme s'effrayerde ces contradictions ; il ne voyait aucun inconv-nient savourer en mme temps Tamour divin etd'autres amours moins thres. Comme Rousseaud'ailleurs, il n'chappait pas au rationalisme, u Saraison, en tous cas, n'est nullement d'accord avecson sentiment ; et, si Ton en croit Sismondi, croyant une religion ncessaire au soutien de l'E-tat; en aimant les souvenirs, et s'attachant cellequi aautref'is exist dans le pays, il sent fort bienque les restes auxquels il veut s'attacher sont r-duits en poudre - . C'est pourquoi on ne trouvepas dans Ren la moindre trace de cet apaisementque la foi aurait d rendre son me agite. Il veut

    t. Gnie du Christianisme, l prface.2. Journal de Sismondi, cit par Branetire, EcoluLic-'

    de la Posie Lyrique, t. I. p. 89.4

  • 50 LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES

    nous faire croire que s'il dpeint le mal du sicle,c'est pour en dtourner ses lecteurs ; mais com-ment admettre que telle soit l'intention d'un ou-vrage dont les deux dernires pages tout justecondamnent ce qu'insinue le livre entier? Il ta-blit aussi une comparaison outrageante entre lefrre d'Amlie et les solitaires de la Thbade :

    Le christianisme a cr des hommes de rverie, detristesse, de dgot, d'inquitude, de passion, qui nontde refuge que dans l'ternit '.

    Echappatoires que tout cela! A''aines tentativesde raccorder le vague des passions avec unereligion qui le dsavoue et le combat ! Vainsefforts que fait Chateaubriand afin de paratre con-squent ! En ralit, rien ne s'oppose plus queRen la srnit de la croyance. Ren est uneme qui doute et qui s'prend de tout, dont lasensibilit maladive s'excite tout propos et horsde propos : et il ne trouve en effet de refugeque dans l'ternit , ou plutt, pense-t-il, dans lenant, car l'aboutissant logique de cet tat d'meserait le suicide ! C'est ainsi du moins qu'avaitfini Werther; et c'est ainsi, nous dit Chateau-briand, que lui-mme avait projet de finir. Maisil tenait trop la vie, et il trouvait trop de jouis-sances dans sa mlancolie elle-mme pour sedonner ainsi la mort !

    Est-il besoin de rappeler quelques-uns des pas-sages 011 il dpeint ce mal du sicle, cette soif detout et de rien qui se tourne en douleur sans

    1. Etudes Historiques.

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    cause? Personne n'ignore quels liens le ratta-chent la volupt, et l'on sait bien que le comblede ses vux serait non pas l'image de Dieu, maiscelle d'une femme idale. Nous ne citerons qu'unseul passage afin de montrer quelle liaison existeentre toutes ces choses, comment l'ide de la na-ture appelle celle de l'amour, et comment le crisuprme de cette mlancolie s'adresse la Divi-nit, non pour s'y absorber, mais pour lui deman-der des plaisirs plus neufs et plus acres :

    La nuit, lorsque l'aquilon branlait ma chaumire,que les pluies tombaient en torrent sur mon toit, qu'travers ma fentre je voyais la lune sillonner les nuagesamoncels, comme un ple vaisseau qui laboure lesvagues, il me semblait que la vie redoublait au fond demon cur, que j'aurais la puissance de crer des mon-des. Ali! si j'avais pu faire partager une autre lestransports que j'prouvais! Dieu! Si tu m'avaisdonn une femme selon mes dsirs, si, comme notrepremier pre, tu m'eusses amen par la main une Evesortie de moi-mme... Beaut cleste! je me serais pros-tern devant toi, puis, te prenant dans mes bi-as, j'au-rais pri 1 Eternel de te donner le reste de ma vie i !

    Inquitudes d'un cur trop raffin, et blas surles jouissances d'une civilisation affadie ! Ce quilai plait, c'est tout ce qu'il y a de plus dsert, lamontagne, la fort, les orages. De mme qu'il in-voque la passion, il souhaite les aventures. Aussiquittera-t-il l'Europe pour l'Amrique, et pas-seru-t-il le resle de son existence dans les cabanesdes Natcbez. Mais la civilisation l'a mordu au cur

    1. Ren, pag..l94.

  • bZ LE CATHOLICISMET CHEZ LES ROMANTIQUES

    trop pi'oronflment pour qu'il puisse retrouver lapaix. Rien n'y fera rien, ni la religion, ni l'amour,ni la solitude; et il enviera avec dsespoir l'mecandide du sauvage, uniquement occupe du mo-ment prsent et heureuse de son ignorance :

    Heureux sauvages ! oh ! que ne puis-je jouir de lapaix qui vous accompaine toujours ! Tandis qu'avec sipeu de fruit je parcourais tant de contres, vous, assistranquillement sous vos chnes, vous laissiez couler lesjours sans les compter. Votre raison n'tait que vos be-soins, et vous arriviez mieux que moi au rsultat de lasagesse, comme l'enfant, entre les jeux et le sommeil.Si cette mlancolie qui s'engendre de l'excs de bon-heur atteignait quelquefois votre me, bientt vous sor-tiez de cette tristesse passagre et votre regard lev versle ciel cherchait avec attendrissement ce je ne sais quoiinconnu qui prend piti du pauvre sauvage i.

    Nous voyons ici une fois une fois de plus toutce que Chateaubriand doit Jean-Jacques. DeJean-Jacques il tient cette mlancolie, celte mala-dive soif de douleurs, rsultat chez l'un d'unefolie relle, chez l'autre d'une morbide excitationd'esprit. Il lui emprunte sa haine de cette vie so-ciale, qui pse tant Ren; l'entendre on croi-rait que les blancs possdent tous les vices, et queleur seul contact pervertit :

    Le dgot de l'tat de nature, le dsir de possderles jouissances de la vie sociale, augmentait le troubledes esprits d'Ondour; il dvorait des regards tout cequ'il apercevait dans les habitations des blancs ; on le

    1. Re7i, pag. 185.

  • LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES 5a

    voyait errer travers les villages, l'il en feu, les l-vres agites d'un tremblement convulsit *.

    Il puise galement dans Rousseau son senti-mentalisme chrtien, et nous le rptons, c'est levicaire savoyard qui le premier fit dpendre lafoi d'un mouvement du cur. Enfin, il lui doitpartiellement sa conception de l'amour aux prisesavec la religion, bien qu'il ait aussi [lU l'emprun-ter aux Anglais, et qu'Young, par exemple aitcompos un pome intitul Jane Gray, ou LeTriomijhe de la Religion sur l'Amour.Chez lui, d'ailleurs, l'amour et la religion, bien

    qu'ils se combattent, sont deux puissances coordon-nes. Elles luttent ex aequo; et le pote ne semblepas mettre une grande diffrence entre Atala quis'empoisonne pour rsister sa passion, et Eu-dore qui se laisse sduire par les plaintes de Vel-lda. Ce dernier se repent, sans doute ; maisAtala elle-mme n'agit que par ignorance et su-perstition ))2. Les lumires d'une religion plus(( charitable lui auraient appris qu' a elle pouvaittre releve de ses vux 3, et qu'il est avec leciel des accommodements. JN'e considronsmme que les endroits o l'auteur oppose lapassion la religion dans toute sa rigueur : nousconstaterons que ces deux puissances terribles,susceptibles toutes les deux d'amples dveloppe-ments artistiques, lui plaisent galement toutesdeux. 11 n'est mme pas dispos souhaiter

    1. Les Sal-liez, l^.cit.2. Atala. Epilogue.3. Ibid. Le drame.

  • 54 LE GATUOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES

    qu'elles cessent de se combattre, car cette lutteproduit de grands eftels ; et il inventerait au be-soin un cas de conscience plutt que de laisserinexploite une mine si riche. A'oyez Alala. Dsle Gnie du Christianisme, sans indiquer nette-ment l'galit de l'amour et de la foi, il consa-crait plusieurs chapitres en marquer la rivalit;et il en dduisait un nouvel argument assezimprvu en faveur du catholicis.iie ;

    On aura beau prendre pour hrone une vestalegrecque ou romaine

    ;jamais on n'tablira ce combat

    entre la chair et l'esprit qui fait le merveilleux de laposition d'Hlose, et qui appartient au dogme et lamorale du christianisme. Souvenez-vous que vous trou-vez ici runies la plus fougueuse des passions et unereligion menaante qui n'entre jamais en trait avec nospenchants ^

    On a bien entendu qu'il prend Hlo'ise pourexemple. 11 cite encore Julie d'Etanges. El cesdeux noms en mme temps qu'ils indiquentl'influence de Rousseau sur cette partie aussi deson uvre montrent bien quel est le genred'amour dont il parle, et quelle place il comptelui accorder par rapport la foi chrtienne. Tousdeux sont des passions, sublimes, donc lgiti-mes; et il n'et pas fallu le pousser beaucouppour qu'il sacrifit celle-ci celui-l. Amour, na-ture, s'appelant mutuellement et drivant l'un del'autre, voil ses divinits. Si le Dieu des chr-tiens plane au-dessus, c'est comme le pre de l'un

    1. Gnie du Christianisme, 2' p u'iio, liv. 3, cliap. rv.

  • LE CATHOLICISME CHEZ LES ROMANTIQUES 55

    et le grandiose ordonnateur de l'autre ; c'estcomme l'tre infini sans lequel nos perspectivesse rtrciraient, tre qui d'ailleurs ajoute encorede la posie la nature et l'amour en leur don-nant la religion. Tel Cot l'ordre de l'univers. Cha-teaubriand se refuse rien voir au del. Il neveut pas contempler dans le monde autre chosequ'une uvre d'art. Et c'est pourquoi, s'il renditun rel service en vengeant le catholicisme desrailleries des incrdules, il attribua nanmoins certains lments une priorit injustifie, qui de-vait, grce un dveloppement normal, faireremplacer la foi chrtienne par la religion del'amour.