Camps et temporalités

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RAPPORT D'ETUDES Sabine THUILLIER Alexandre CUBIZOLLES Maïa BODINEAU Cycle Licence - 3ème année [email protected]

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RAPPORT D'ETUDES

Sabine THUILLIERAlexandre CUBIZOLLES

Maïa BODINEAU Cycle Licence - 3ème anné[email protected]

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AVANT PROPOS - BILAN DE LICENCE

INTRODUCTION

LE CAMP : DES ENJEUX MAJEURSEnjeu politique

Enjeu économiqueEnjeu culturel

GLOBALISATION DU CAMPDes camps peu représentés

GénéralisationGénéralisation architecturale

LE CAMP, TEMPORALITÉ ET HABITATHabitat temporaire contraint

Temps long

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

SYNTHÈSES DE RÉFÉRENCES

SUPPORTS ICONOGRAPHIQUES

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Camps et temporalités: Quelles sont les traces de la mo-bilité humaine en masse sur notre société et son paysage?

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FICHE BILAN PARCOURS LICENCE

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Avec ces trois années de licence, d’apprentissage large et varié, je commence à être capable d’analyser les couches essentielles de la construction d’un territoire, de repérer les temps forts, les tensions, les élèments fixes et les éléments mobiles.

C’est la raison pour laquelle les périodes de pratique qui ponctuent cette licence restent à mon sens très riches : car au même titre que les enseignements proposés m’ont permis de relever ce qui reste ancré dans un lieu, celles-ci m’ont offert la possibilité d’observer ce qui disparait en ne laissant que peu de traces.Il est autant fondateur pour moi d’avoir eu accès à une grille de lecture du paysage qui nous en-toure, que de savoir reconnatre l’architecture qui n’est pas représentée sur les plans, qui n’apparait qu’en pointillets. Remarquer ce qui ne reste pas fixé, ce qui en analysant un lieu, ne perdure pas mais intervient ponctuellement, constitue également, en mon sens, le paysage.L’échope d’un maraîcher sur un marché, la dispositon de cartons d’un sans domicile fixe dans la rue, l’installation de caravanes en périphérie des villes, la mise en place d’un festival, sont des architectures au sens où se sont des constructions qui répondent à des besoins.

Alors que la majorité de l’enseignement reçu en licence est basé sur l’architecture comme oeuvre pérenne dans un paysage, les ateliers pratiques, les réflexions sur l’élaboration de pro-totype échelle 1 m’ont permi d’accéder à une architecture éphémère faisant également partie intégrante de notre environnement.

Cependant, la construction de cette architecture qui se meut met en avant quelques inter-rogations. L’architecture éphémère ne constitue-t-elle pas un repère dans l’espace autant qu’un bâtiment? A-t-elle un champs d’intervention libre dans le territoire ou est-elle cantonnée à certains espaces? Peut-elle être spontanée? Peut- elle être construite sans que son installation n’ait été prévue par des urbanistes ou des architectes? Demande-t-elle une formation architecturale ou peut-elle être réalisée par un novice?

Mon stage de fin de deuxième année m’a aidé à ouvrir les yeux sur ce montage et démon-tage de l’architecture. Effectuer celui -ci au sein de la mission de l’Université Foraine à la Gauthière à Clermont Ferrand a attiré ma curiosité sur l’ampleur du domaine d’intervention de l’architecture éphémère. Tous les regards sont alors tournés sur les demandes des futurs utlisateurs. Les élè-ments qui sont venus s’inscrire dans le paysage de l’îlot central de la Gauthière sont des élèments qui, dès leurs premisses, ont été imaginés comme éphémères. Le choix de la mise en oeuvre ou des matériaux confirme cette volonté d’intervention. En permettant à la fois d’intégrer un certain public inexpérimenté dans la constructuion d’un «édifice», d’obtenir une réponse rapide à un be-soin exprimé et en offrant une certaine modularité, l’architecture construite dans ce quartier nord de la ville marque celui-ci, tout autant que les tours qui le forment.

C’est en arrivant en Uruguay pour y effectuer une année d’échange universitaire que l’im-porance que représente cette architecture éphémère ou mobile dans un lieu s’est confirmée. J’ai été marquée par l’ampleur de des installations temporaires de type commerçantes. En effet la ville de Montevideo parait laisser place à une installation d’activités multiples, et ce, surtout dans les espaces publics.Les marques que l’architecture éphémère laisse sont pour moi, étrangère, des repères dans l’es-pace tout autant que les autres aménagements.

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“L’enfer des vivants n’est pas chose à venir : s’il y en a un, c’est celui qui est déjà là, l’enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons d’être ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La première réussit aisément à la plupart : accepter l’enfer, en devenir une part au point de ne plus le voir. La seconde est risquée et elle demande une attention, un apprentissage, continuels : chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l’enfer, n’est pas l’enfer, et le faire durer, et lui faire de la place”Italo Calvino, Les villes invisibles

Soixante-dix millions de déplacés forcés, dont quinze millions de réfugiés, trente millions de réfugiés internes et vingt cinq millions de déplacés pour catastrophes naturelles. Ce sont les chiffres que publie l’Organisation des

Nations Unies pour l’année 2015. Mais que signifient ces chiffres, que comprennent ils? Les géographes et les Organisations Non Gouvernementales affirment leur désaccord, mais comment peut on qualifier ces déplacements de populations que l’on peine à iden-tifier et à localiser? Ils viennent pourtant s’inscrire, aujourd’hui plus que jamais dans ce contexte de conflit et de migration, au coeur de notre histoire et de nos territoires mais nous restent, pour la plupart, étrangers. Ces déplacés sont donc des fantômes qui n’apparaissent dans nos médias que lorsqu’ils s’approchent de nos frontières. Cependant, toutes ces mobilités se fixent, pour des temps différents et souvent non déterminés, et ce, dans le monde entier. Les lieux où s’installent ces populations qui sont le plus médiatisés sont ceux qui sont gérés par des organismes internationaux, leur empreinte sur le paysage est assumée. Mais les associations humanitaires rap-pellent l’existence d’un millier de lieux officieux qui servent de refuges aux victimes de déplacements. Tous ces espaces portent globalement le nom de “camp” que l’on pour-rait communément définir comme un lieu de regroupement exceptionnel de personne partageant une culture, une idéologie ou un intérêt.

Quelles sont les traces de cette mobilité humaine en masse sur notre société et son paysage? Le processus de camp ne fait-il que créer des “villes invisibles”?Pour y répondre, il parait primordial de commencer par une étude de l’enjeu des camps crées par ces mouvement de population sur un plan politique, économique et culturel afin de rendre compte de l’influence de ceux-ci . Ils ne sont pas simplement des lieux d’attente mais bien des lieux de vie, avec un rayonnement souvent sous estimé.Nous pourrons dans un second temps relever la gestion globale dont “bénéficient” les camps, le manque de considération dont ils sont victimes. On parle effectivement sou-vent du “camp”, un élément unique, lointain et flou, un imaginaire où règne la pauvreté et la misère. Nous expliquerons, entre autre, en quoi cette généralisation touche la conception architecturale. Enfin, dans un dernier temps, il s’agira de reconsidérer le camp comme un habitat qui peut permette la reconstruction de vies, et la construction d’un nouveau paysage. Nous étudierons le passage de l’habitat temporaire à l’installation sur un plus long terme.

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“ Ne faut il pas revoir la représentation courante du camp de réfugiés, avec ses connotations d’exclusion politique, économique et sociale? Dans dix ans ces sites seront-ils toujours per-çus comme des sites humanitaires implantés dans des zones marginales[...]ou finiront-ils par se fondre dans le monde qui les entoure apparaissant ni plus ni moins comme des lieux de vie?”Bram J. James

I PARTIE 1 : DES ENJEUX MAJEURS I

A-UN ENJEU POLITIQUE

Les camps, bien qu’ils soient très souvent la réaction à une urgence, sont le résultat d’une décision politique qui tend à répondre le plus vite possible aux demandes des réfugiés en fonction de la gravité de leur situation. L’enjeu

politique est donc primordial autant dans la mise en place de ces camps que dans sa construction.

Dans un premier temps, à l’échelle internationale, les Etas ne disposant pas de moyens suffisants pour se charger de suivre les mouvements de masse de population et d’intervenir quand ce mouvement tend à rester sur un territoire, peuvent faire appel à une intervention mondiale qui vise à créer les camps que l’on dit “officiels” et qui sont ceux que nous connaissons le plus.Cette décision d’intervention prise par l’ONU repose sur le Haut Commissariat aux Ré-fugiés (HCR) dont la création date de 1951 et résulte d’une bataille initiée par Fridjof Nansen dans les années 1920-1930. D’après le travail d’ Hélène Thiollet qu’elle expose dans le périodique Le 11, le commissaire norvégien à la Société Des Nations (SDN) luttera jusqu’à la fin de sa vie pour le droit à l’asile universel. Mais à cette époque la SDN gère les cas des réfugiés un par un. C’est seulement après la Seconde Guerre Mondiale, en 1951 que sera créé le HCR. Sa mission concernera uniquement les per-sonnes ayant été transférées en Europe Occidentale avant 1951. Dans les années 60, il finira par étendre son champs d’action aux grands déplacements de population et en 1967 il s’occupe de toutes les populations déplacées hormis la situation en Palestine qui bénéficie d’une aide spéciale, encadrée par l’UNRWA. Aujourd’hui on note une “stra-tégie d’extension” employée par l’organisme, il applique une “tutelle” aux différents cas auxquels il est confronté : il s’agit de gérer les ONG qui sont sur place, qu’elles soient nationales ou internationales et permettre une coordination entre elles, une analyse et gestion des situations de crises, gestion qui est anticipée et globalisée, et enfin une catégorisation de plus en plus précises des réfugiés, associant à chacun d’eux un statut et des droits.Selon Antonio Guterres, prédécesseur de Filippo Grandi à la tête du Haut Commissa-riat des Réfugiés de l’ONU, l’organisme a pour mission de protéger les réfugiés en leur proposant des solutions durables. En ouvrant des camps, le HCR offre aux populations en déplacement une réponse à la situation de crise qu’ils ont fuient, qu’elle soit de type naturelles, politiques, économiques, culturelles… Un fois ces camps construits, il s’agit pour le HCR d’effectuer une liste, un état des lieu et de l’avancement de chaque situa-tion, afin de réévaluer les ressources mises à disposition et l’ampleur de l’intervention.Grâce à cette observation, l’organisme a pu noter une multiplication des camps. Pour autant, ces camps se miniutarisent et sont donc plus gérables d’un point de vue logis-

1.« Comment le XXème siècle a fini par reconnaitre les réfugiés», n°29, Le 1 : Un monde de réfugiés, 22 octobre 2014.

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Logistique que l’on peut observer avec l’exemple de UNRWA, qui est spécialement liée aux réfugiés palestiniens : on compte cent cinquante ONG nationales sur place contre cinquante internationales. C’est donc principalement le Commissariat qui se charge, au niveau international, du repérage des moments de crises et de l’installation d’une intervention. Et bien que la so-lution appliquée face au placement des réfugiés pourrait être l’installation dans un pays tiers riche, le rapatriement dans le pays d’origine mais celle qui reste la plus fréquente est l’intégration sur place.

Pour les pays disposant des moyens économiques pour intervenir sans l’aide du HCR, la situation est différente. Prenons l’exemple de l’Union Européenne.Cette année, Bruxelles a pris la décision d’établir des cotas obligatoires pour l’accueil des migrants dans le but de décharger l’Italie et la Grèce. En ce qui concerne la France, un débat sur la solution pérenne d’accueil divise : le gou-vernement propose la création de 10 000 places dans des structures adaptées (4 000 pour les demandeurs d’asile, 5 000 pour les réfugiés et le reste pour les personnes en situation irrégulière) dans le but d’éviter la création de squat, de jungle,... Ce plan répond à une observation du nombre croissant de migrants entrants sur le territoire français. Or ces chiffres sont à observer de plus près, et le terme d’ ”invasion” est à manipuler avec précaution. En effet le nombre de migrants est passé de 54 000 en 2015 à 57 000 pour 2016. Cependant, une évolution du profil des migrants est à noter : plus de femmes et d’enfants sont accueillis et l’arrivée massive de Syriens est un évènement qui marque les esprits. Face à ses arrivées les conditions de vie proposées sont de plus en plus médiocres et on parle d’urgence sanitaire. Et à cette création de 10 000 places, s’op-posent de nombreuses ONG et sociologues. Parmis eux, Jean François Corty, directeur de Médecin du Monde, selon lequel “on ne peut pas régler la question de l’humanité (et des migrants) par une réponse humanitaire” 1. La France aurait la capacité et les moyens financiers d’accueillir ces migrants et de le faire sans l’intervention de l’ONU et de son HCR. Notons également que la demande de place dans des Centres d’Accueil pour les Demandeurs d’Asile (CADA) s’élève à 25 000 personnes, et que la proposition du gouvernement serait bien insuffisante. Faire des camps de réfugiés serait, pour le représentant de Médecins du Monde, une erreur et amènerait à enfermer les migrants dans l’exclusion, la seule condition d’ouverture de ces structures d’accueil serait que celles ci soient construites “en dur” et qu’elles offrent un accès au calme, au respect et à l’information sur la demande d’asile. Et alors que l’ ancienne Ministre de l’Écologie, du Développement durable, des Trans-ports et du Logement, Nathalie Kosciusko-Morizet, affirme que “mettre en place un processus temporaire et extérieur est forcément inadapté devant le problème qui est devenu un problème structurel d’immigration”, il est important de revenir sur le cas de Calais, qui a vu tous ses camps et squats être regroupés en un seul lieu, le centre Jules Ferry. Auparavant accessible aux habitants et associations désirant venir en aides aux réfugiés, le camp se retrouve aujourd’hui coupé de la société comme l’est celui de Da-daab au Kenya. Il est désormais devenu un espace sécuritaire et humanitaire qui n’est plus visité par les habitants et qui est surveillé par les forces policières au niveau de ses frontières.La construction de camps “en dur” peut être considérée, si et seulement si ceux-ci sont ouverts et visitables, afin de conserver le lien entre les réfugiés et le monde extérieur.

Et l’enjeu politique ne s’arrête pas là, il est également omniprésent à l’intérieur des camps. Les réfugiés qui sont accueillis dans les camps sont très vite perçus comme des sujets politiques importants, d’autant plus dans les pays où ils représentent une grande partie de la population : ce sont également des lieux où les politiques locales font campagne.

1. Le camp de Grande-Synthe, «pire que la Jungle de Calais», France Info, 4 janvier 2016

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Dès le départ, selon les propos de l’ anthropologue Clara Lecadet 1, lorsque commencent les manifestations où les réfugiés réclament une amélioration de leurs conditions de vie, le camp de Kpomassé, est déjà marqué par un engagement politique fort, les réfugiés étant auparavant engagés dans la lutte politique. En effet, en 2005, alors qu’ont lieu les élections au Togo, des manifestations éclatent pour dénoncer ce coup d’Etat. Les Togolais sont alors accueillis au Bénin dans le camp de Kpomassé qui leur permet de fuirent les répressions qu’ils subissent dans leur pays. Dès le début naît une contesta-tion à l’intérieur du camp et se structure le système politique des réfugiés qui portera le nom de “Bureau des réfugiés togolais résidants sur le site de Kpomassé”. Face au flux continu et important de migrants togolais qui arrivent au Bénin, un autre camp est ouvert la même année, celui de Agamé. De la même façon, les réfugiés s’inspirent de leurs engagements politiques pour mettre en place un système de représentant auprès du HCR et des ONG. Le pouvoir d’action des réfugiés devient de plus en plus important : ils sont même capables de destituer des employés du camps. Les premières élections pour la présidence des réfugiés sont organisées afin d’élire une personne qui jouera le rôle d’interface entre le HCR et les ONG. Les revendications qui sont exprimées auprès des pouvoirs politiques locaux sont de tous types : religieuses (demande d’installation de lieu de culte dans un lieu voulu athée par le HCR), concernant les femmes et toutes les tranches d’âge de la population. Ces revendications se transformeront peu à peu en révolte, jusqu’à ce que le responsable du HCR du camp soit pris en otage en 2006. Cet évènement éclate alors que le statut de réfugié qu’attendent les Togolais vivant à Agamé ne leur est toujours pas donné. Au même moment le HCR et le gouvernement Bénin, en accord avec le Togo, prévoir la fermeture du camp et le rapatriement des réfugiés, alors que les Togolais continuent de fuirent le pays. Les écoles et le camp sont peu à peu fermés et les réfugiés subissent des attaques du Togo qui ne sont pas punies par les autorités locales.

Alors que le camp peut avoir été créé pour échapper à une situation politique dangereuse, et doit servir de refuge, les réfugiés ne sont pas à l’abri de décisions d’ins-tances supérieures. La politique peut donc intervenir dans la construction d’un camp, la décision de sa mise en place, des mesures de son installation et la construction même d’un “État de camp”, mais également dans la destruction de celui-ci, dans le cas d’ac-cords internationaux.

B-UN ENJEU ECONOMIQUE

A l’enjeu politique,vient s’ajouter l’enjeu économique d’un camp qui évidem-ment n’est pas une volonté première lors de sa création, mais qui intervient dans la construction du camp et dans sa mise en place.

Dans un premier temps, au delà de l’émulsion économique mondiale que créé l’intervention humanitaire, qui multiplie les emplois dans les ONG, encourage l’inves-tissement dans des camps et mets en place des réseaux, on peut remarquer qu’à plu-sieurs reprises l’installation d’un camp de réfugiés sur un territoire donne une certaine dynamique à celui-ci. Il génère une activité à l’intérieur et autour du camp. Ces échanges peuvent être de différents types et parmi eux on relève les échanges économiques : avec l’installation d’un espace de vie vient l’installation de commerces, la création d’em-plois,... D’après l’étude de Anooradha Iyer Siddiqi 2, le camp de Dadaab au Kenya représente pour le pays un pôle d’activité majeur. En effet, devenu le lieu de refuge de 350 000 des

2.Anooradha Iyer Siddiqi «L’histoire architecturale d’un territoire non identifié», Un Monde des Camps , 2014, ed. La Découverte1.Clara Lecadet «Le feu et la révolte. Le camp comme foyer politique», Un Monde des Camps , 2014, ed. La Découverte

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500 000 Somaliens qui ont fuient leur pays, le camp est aujourd’hui la troisième plus grande ville du Kenya. Ce “hub commercial” génère autour de 10 000 emplois, ce qui fait de lui le principal employeur de région. L’activité humanitaire fait partie de cette écono-mie, au sens où elle regroupe plus de trentaine d’ ONG et organisations gouvernemen-tales. Le secteur économique de la région essaye d’intégrer le plus possible les réfugiés à leur activité. Le commerce qui s’est mis en place est bilatéral : les Kenyans vendent du bétail, des habits, des livres et des produits de première nécessité aux réfugiés so-maliens et ces derniers marchandent du matériel électronique et des produits agricoles. Comme il leur est possible de faire des études d’histoire, d’anglais ou de journalisme, où on leur apprend à se servir entre autre de caméras ou à gérer des comptes, les Soma-liens ont accès à des emplois de plus en plus qualifiés alors qu’ils ne sont officiellement pas autorisés à travailler, contrairement à la situation de leurs compatriotes en Ouganda. Cette activité stimulée par l’arrivée du camp, booste et a un réel impact sur l’économie locale.Même si le but premier de l’installation d’un camp n’est pas de créer un hub économique, on remarque que la trace qui est laissée sur le territoire n’est pas cantonnée au camp en lui même. Ses échanges avec son environnement créent des tracés, des liaisons, des chemins, des centres d’activités commerciales qui peuvent se voir dans la lecture du paysage. Pour le Kenya, les réfugiés restent une source non négligeable du développe-ment du pays, pour cela ils sont considérés comme catalyseurs dans la situation qu’est celle de Dadaab. Plus au nord du pays, à Kakuma, l’ouverture du camp aux visiteurs et aux médias a créé un lieu cosmopolitique. Alors que plus de 94 680 personnes y vivent aujourd’hui, en ma-jorité des Soudanais, un grand nombre d’activités s’y sont développées : des marchés, écoles, hôpitaux, mosquées ont été mis en place. Et cette activité a un impact également sur l’économie locale : grâce à des échanges à petites échelles, les villages environnant sont devenus interdépendants. Le camp n’est plus un lieu de réclusion, mais un lieu de recrutement, d’emplois rémunérés. C’est également une façon de vivre qui s’installe grâce à ces emplois : une routine, des systèmes et un rythme de vie dans le camp.

Mais nous pouvons noter dans un second temps que cette économie amenée par l’installation d’un camp a tout de même ses limites et peut provoquer des tensions.Parmi les exemples, Goma en République Démocratique du Congo, étudié par Kenneth Odiwuor pour l’IRIN 1, et où l’arrivée de près de cinq cent ONG, dont une centaines nationales et le reste dépendant de financements étrangers, a totalement bouleversé la vie des Congolais. La concentration élevée d’expatriés a causé une forte modification du paysage urbain et a touché profondément l’économie. Ces ONG sont à la fois recru-teurs de main d’oeuvre mais représentent également un acteur important dans le com-merce. En effet, ces expatriés achètent local, effectuent des transactions et développent des activités. La présence humanitaire constante explique une hausse des demandes de logements, de centre commerciaux, de locations de voitures, de la construction de complexes hôteliers et résidentiels réservés aux travailleurs humanitaires.L’intervention humanitaire, en dehors de ses activités dans le camp, a permis de créer des emplois pour les Congolais de Goma mais aussi du reste du pays. Sont apparus : une classe moyenne,et des commerces ciblant les consommateurs expatriés, modifiant ainsi l’orga-nisation sociale et économique de la ville. Mais cette arrivée des travailleurs humanitaires reste à double tranchant. En effet on peut remarquer une accentuation des divisions et des conflits : des disparités supplémentaires sont venues s’ajouter. Rappelons que cette installation est venue s’ancrer dans un contexte particulier : le cadre institutionnel reste assez faible dans la région de Goma et l’urbanisation de la ville demeure en majorité in-formelle. On note donc à présent une inflation forte du prix des loyers et une hausse des prix de l’immobilier en général. De telle manière que les bénéficiaires de cette aide hu-manitaire ne sont pas les Congolais eux même mais les ONG, qui profitent d’un cadre de

1.Kenneth Odiwuor, « L’économie de l’aide humanitaire à Goma, une bénédictionet un fléau », IRIN, 11 septembre 2013, https://www.irinnews.org/fr/report/98740/l%E2%80%99%C3%A9conomie-de-l%E2%80%99aide-humanitaire-%C3%A0-goma-une-

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vie semblable à celui de leur région d’origine. Les habitants de Goma, quant à eux, n’ont pas les moyens de faire face au coût de la vie croissant et les disparités sont de plus en plus marquées, comme celles que l’on peut observer entre un centre et des quartiers bourgeois éclairés et goudronnés et des zones périphériques d’une grande précarité. De plus les ONG ont remplacé petit à petit l’Etat dans différents secteurs clés et le dé-veloppement est considéré comme étant sous le responsabilité du secteur humanitaire. On peut donc imaginer à long terme, les impacts désastreux de cette intervention. De même, il devient important d’imaginer le situation économique de la ville lorsque ces organisations internationales et l’ONU se retireront ou du moins diminueront leur pré-sence.

Ainsi, même si leur indépendance est en jeu, beaucoup de pays accueillent donc très favorablement ces interventions humanitaires, voyant un potentiel économique inté-ressant pour leur région. Mais cette problématique du camp et de l’activité économique qu’il génère ne se pose pas de la même manière en Europe où les migrants n’ont pas un rôle central dans l’économie. Les pays européens préfèrent donc cacher ces situations et faire des camps un espace exclu et autonome.

C-UN ENJEU CULTUREL

En dehors de son rôle politique et économique, le camp est très souvent éga-lement un enjeu culturel, créateur de nouvelles identités.

Tout d’abord le camp reste une attache ou un ancrage culturel, pour les habitants entre eux mais également pour leur territoire. Le camp de Nahr el Bared créé en 1949 au Liban et accueillant des réfugiés palestiniens, est un bon exemple de la place que peu prendre un refuge dans la vie de migrants. Dans son travail l’anthropologue Nicolas Puig1, nous explique comment, en un quart de siècle, la vie s’est développée à Nahr el Bared tout comme les micro quartiers et un échange social à la taille et au sein même de celui-ci. Mais en 2007, le camp est en grande partie détruit et le temps des bombar-dements, les habitants sont déplacés vers le camp voisin crée en 1955, celui de Badawi. Après trois mois d’attente, les habitants de Nahr el Bared finiront pas revenir au camp, les reconstructions prévues sont très différentes de ce qu’ils avaient quitté. Tous les liens avec le voisinage qui s’étaient tissés sont éliminés pour favoriser une construction permettant l’intervention rapide des forces armées en cas de crise. Cette reconstruction reste très critiquée, elle a pour objet un délicat assemblage et une superposition non seulement de données architecturales (hauteur des bâtiments,...) mais également so-ciales. En effet les relations qu’entretenaient les réfugiés étaient très importantes et don-naient lieu à un certain métissage. Il s’agit donc d’une étude des pratiques symboliques et matérielles qui permet d’imaginer un potentiel réinvestissment.De plus, les différences avec le camps de Badawi sont flagrantes : alors que celui de Nahr el Bared a plus une influence palestinienne que libanaise, Badawi, lui, est plus citadinisé. Les différentes linguistiques se notent également mais les relations entre les deux camps restent très positives : les mariages et les familles recomposées permettent de souder les deux refuges. On peut dire que le camp de Nahr el Bared constitue un point de repère pour les émigrés, qui n’hésitent pas à revenir au camp une fois leur si-tuation dans leur pays d’accueil stable. Ils viennent s’ajouter à de nombreux visiteurs qui rendent le camp ouvert aux autres cultures et au monde. Cette attache au camp peut se retrouver dans celui de Sainte Livrade en France, cette bourgade accueille depuis 1956 les Français d’Indochine le temps que ceux-ci retrouvent leur famille ou détiennent des revenus suffisant pour avoir un logement qui leur est propre. Cependant, d’après Marc Bernardot2, jusqu’en 2006, le camp continuait

1.Nicolas Puig, « Le camp et ses doubles», Un Monde des Camps , 2014, ed. La Découverte 2. Marc Bernardot, «Une situation coloniale sans fin. Le centre d’accueil des Français d’Indochine (1956-2006)», Un Monde des

Camps , 2014, ed. La Découverte

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d’accueillir des femmes, célibataires majoritairement, qui restaient sans emplois et sans attaches familiales particulières. Malgré les locaux vétustes, les descendants des ayant droit n’hésitent pas à y revenir pendant les vacances. Les relations sociales qui ont vu le jour dans ce Centre d’Aide aux Français d’Indochine font partie de la mémoire du lieu, à un tel point que ce lieu représente un point d’encrage pour ces famille.

Mais lorsque la situation de camp est imposée et ce dans des conditions de vie médiocres, le tissu social qui se créé à l’intérieur est un moyen de subsister et d’oublier l’ennui qu’occupe les longues journées enfermées.Au Quatar, on trouve plus d’un million de migrants qui se sont rendus dans l’émirat pour y trouver du travail. Majoritairement du Népal, ils se voient accorder des “loge-ments contraints” en périphérie de la ville. Coupés de tout le système citadin, de tous les moyens de transports, leur vie est uniquement axée sur le travail. Les conditions de vie que ceux-ci doivent affronter sont terribles et ces lieux restent détestés. Après un certain temps d’adaptation, les migrants finissent par se rassembler par affinités, entre personnes de même culture ou de même langage. Les contrôles à l’intérieur du camp reste très rares tout comme les inspections, on parle alors de “camp boss”, ce qui donne une certaine indépendance aux travailleurs.Pour lutter contre le sentiment d’ennui, les migrants mettent en place des activités cultu-relles ou sportives. Ils se replient souvent vers un espace “vécu”, un espace d’intimité qui peut être leur lit. Le contact avec les autres migrants reste un rattachement à la so-ciété. Selon Tristan Bruslé dans son article dans le South Asia Multidisciplinary Acade-mic Journal “l’espace du camp n’est pas un lieu de mobilisation politique mais plutôt un espace de repli devenu familier grâce à des solidarités et des investissements privés.” 1

Enfin, il est évident que parfois cette intégration ne se fait pas ou difficilement, et ce, pour des raisons culturelles. Récemment en Uruguay, quarante deux Syriens ont été accueillis dans le cadre d’un programme des pays d’Amérique Latine pour héberger des migrants fuyant le conflit au Moyen Orient. Cette aide, vivement critiquée par l’opinion publique, consiste à trouver un travail et un logement à ces familles venant directement de camps de réfugiés libanais et de leur verser une allocation pendant deux ans. Or, rapidement les dits réfugiés ont demandé à quitter le pays pour rejoindre l’Europe en expliquant leur problème d’intégration. En effet, plusieurs facteurs justifient cette volonté de quitter l’Uruguay : le coût de la vie est le plus important, à cela vient s’ajouter la bar-rière de la langue, une culture et un culte religieux très différents. En effet, même si le pays à beaucoup d’influences européennes, les Syriens ne s’y intègrent pas.

Les personnes qui sont accueillies dans des camps ont un lieu d’origine et un objectif d’arrivée entre lesquels un tension s’installe. C’est ce que Michel Lussault2, géo-graphe, appellera “l’outre lieu” qui se distingue du “hors lieu” par son encrage dans le territoire et dans les vies des réfugiés.Le campement devient la possibilité de se regrouper, de former un clan, une communau-té, une société et n’est pas seulement une construction temporaire d’abris. C’est un état dans lequel sont les humains qui sont soumis au mouvement.

1. «Revisiting Space and Place: South Asian Migrations in Perspectives«, South Asia Multidisciplinary Academic Journal,Tristan BRUSLÉ, 20122. Ouverture du colloque : «Un paysage global des camps», 22 octobre 2014, Cité de l’architecture et du patrimoine

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La référence bibliographique : Un ouvrage ou un ouvrage collectif : Nom (Prénom), Titre de l’ouvrage, Ville d’édition, éditeur, date d’édition.

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I PARTIE 2 : GESTION GLOBALE DES CAmPS I

A-Des camps peu représentés

Nous pourrions tout d’abord expliquer en quoi le manque de représentation des camps est un facteur essentiel de la gestion globale et de la mise en place du “processus de camp”. Il est vrai que, outre le fait qu’il soit actuel-

lement relativement représentés médiatiquement, une grande partie d’eux restent sous silence.

Premièrement les camps sont globalement oubliés, méconnus, et manquent d’une certaine considération et ce pour différentes raisons qui rendent difficile la lecture de ces lieux demandant une étude plus profonde du camp et de ses habitants.La mobilité de ces populations, peut être un élément qui nuit à la reconnaissance des camps. Alors que l’on peut observer un phénomène d’entrée en mobilité du Monde : on “ recense” 3,1 % de la population mondiale comme migrante. On peut noter deux formes de mobilité dans la migration : l’une est ancrée dans le phénomène de camp alors que l’autre pourrait être appelée “ hors camp”, dans la mesure où le camp est à la fois un lieu de passage et un lieu d’ancrage. De plus, la mobilité peut se faire à deux échelles : celle de la mondialisation et celle de la régionalisation. Aujourd’hui la mobilité Sud -Sud est équivalente à celle Sud -Nord. Le phénomène de migration régionale facilite le déplace-ment pour les familles ou les demandeurs d’emplois : les moyens, le niveau de langue requis sont moindres. Cette régionalisation des flux migratoires n’aide pas pour autant à la fixation des populations et celles-ci demeurent compliquées à recenser. On note également différents temps dans la démarche migratoire avec une fixation au territoire différente : le temps du départ, du transit et de l’arrivée par exemple qui sont plus ou moins marqués et qui flouttent les registres. Nous pourrions citer le cas des réfugiés Palestiniens qui sont répartis par l’UNRWA étudié par Sari Hanafi 1, dans dif-férents pays où ils accèdent à des droits différents. Les plus vulnérables et modestes sont accueillis au Liban, en Jordanie et en Cisjordanie où la nationalité peut leur être donnée, ils ont alors une trajectoire intégratrice à la communauté. Mais certains sont re-légués dans des camps qui ne sont gérés ni par le HCR, ni par l’UNRWA, ni par le pays accueillant : cette relégation spatiale dans des camps officieux les coupent d’un accès aux aides gouvernementales et les plongent dans le “hors camps”. Dans un monde qui expulse ses populations pour des raisons différentes, on note une opposition entre localisation et globalisation et le paradoxe entre mobilité et sédentarité est de nouveau remis en question. De plus, il est inscrit dans la politique du HCR que «les camps devraient être l’exception et, dans la mesure du possible, une mesure temporaire». L’organisation regrette que «[les camps] soient cependant un compromis qui limite les droits et les libertés des ré-fugiés et qu’ils subsistent après la phase d’urgence et lorsque les raisons essentielles de leur existence ne sont plus d’actualité»2. Ainsi il est fixé dès son installation que le camp répond à une situation d’urgence et que sa durée d’installation doit être limitée, pour cela l’initiative d’inscrire les camps dans un registre est rarement prise. On peut

“L’histoire des camps et des campements peut dès lors être réécrite non plus seulement comme celle d’une mise au ban et d’une invisibilité des indésirables, mais comme une présence et une part active dans le monde “global” [...]” Michel Agier

2. Kristy SIEGFRIED , «Alternatives aux camps de réfugiés : la politique peut-elle devenir la pratique ?», IRIN, 20141. Sari HANAFI (Université de Beyrouth) , «Un paysage global des camps», 22 octobre 2014, Cité de l’architecture et du patrimoine

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observer de même certaines techniques politiques qui visent à envoyer des aides et un soutient financiers aux populations en difficultés pour que ces situations soient étouffées et contenues. Nous pouvons également noter que l’accès aux camps est très souvent strictement en-cadré, limité, voire empêché, et ce autant du côté des journalistes que de n’importe quelle population. Il est souvent difficile de s’entretenir avec les détenus et la plupart du temps, seuls les représentants disposent d’un droit de visite.

Ce manque de représentation et cette absence de lecture du camp est accen-tuée par un manque de différenciation et une définition pauvre du camp.En effet, les camps sont difficilement définissables car ils regroupent un ensemble large de concepts: “camp de réfugiés, camp de déplacés, campement de migrants, camp d’étrangers, zones d’attentes pour les personnes en instance, zone de transit, centres de rétention et d’expulsion, points de passage frontalier, centres d’accueil de deman-deurs d’asile, centres d’accueil temporaire, villages de réfugiés, villages d’insertion des migrants, “ghettos”, “jungles”, foyers, maison de migrants…” 1. Dans l’opinion publique, la notion de “camps” est souvent réduite aux images que l’on peut apercevoir dans les médias : les grands regroupements africains ou bien les jungles sur les côtes euro-péennes. Bien souvent les autres types de refuges sont : ou méconnus ou non considé-rés comme des campements. La situation du réfugiés est elle aussi très souvent globa-lisé et prend un caractère général. Les habitants des camps restent difficiles à nommer car leurs statuts sont multiples et malheureusement souvent généralisés. On peut donc parler d’une grande ambivalence des camps.

Cependant on peut repérer la mise en place d’une lutte contre l’oubli et qui pose la question du droit à la célébrité des camps.Aujourd’hui, on note les résultats d’années de recherches et d’investigations. Le but : rendre accessibles les données sur les camps afin qu’ils deviennent plus réels pour l’ensemble des populations. Diverses organismes y travaillent, nous développeront le cas de Migreurope. Le réseau européen et africain, regroupant à la fois des militants et des chercheurs, a vu le jour en 2001 suite aux évènements sur le camp de Sangatte à Calais. L’objectif premier de ce groupe est de rendre les camps connus et de lutter contre la généralisation de ceux ci. Pour se faire, le réseau s’organise de manière à rassembler des informations sur la réalité, souvent cachée des lieux. Il cherche à démontrer la multiformalité du camp en passant outre les images classiques que l’on peut recevoir. Migreurope va jusqu’à consi-dérer le camp comme un potentiel processus et non pas seulement comme un espace physique. Enfin l’organisme prétend à dénoncer les politiques appliquées aux camps. Les outils pour communiquer ces différents principes sont variés : séminaire scientifique, photos d’artistes, articles sur internet mais également cartographie. En collaboration avec le réseau Alternatives Européennes, la campagne de Open Ac-cess Now a été mise en place et c’est dans ce cadre qu’est apparu en le projet Close the Camps. La mission Open Access Now vise à générer un mouvement qui amènerait à fermer les camps d’étranger qui concernent les détenus de l’Union Européenne restant arrêtés par une décision administrative. En attendant cette fermeture, une recherche sur la réalité de ces “centres de rétention” à été lancée afin d’améliorer la visibilité et la trans-parence de ce système. Le travail Close the Camps 2 consiste à recenser les différents camps et à y associer des informations descriptives. Le caractère interactif du projet per-met à tous les internautes de compléter le profil d’un des camps et de se renseigner sur la composition, la situation de ceux-ci. Il s’agit également d’une mission démocratique qui vise à montrer les écarts aux Droits de l’Homme qui peuvent être faits et les dysfonc-tionnements qu’on peut observer dans ce type de lieu. Enfin Close the Camps permet de sortir les camps de l’enfermement, de l’exclusion et de les rendre uniques et humains. Le projet Réfugiés, incarnez l’envoyé spécial de Arte et racontez les camps de réfugiés

3. « Réfugiés : incarnéz l’envoyé spécial de Arte et racontez les camps de réfugiés» , http://refugees.arte.tv/fr/2. «Closethecamp : cartographie des camps d’étrangers», http://closethecamps.org/

1. Michel AGIER , «Introduction : l’encampement du monde», Un Monde des Camps , 2014, ed. La Découverte

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mené par la chaîne télévisée Arte, vise également à sensibiliser la population à cette réalité des camps. En utilisant une approche ludique, le programme propose de réaliser une mission dans quatre camps dans le monde, au Népal, au Tchad, au Liban et en Irak, afin de fabriquer un reportage. Placé dans le rôle du reporteur, l’internaute doit se rendre sur les lieux et grâce aux différents outils qui sont à sa disposition (une carte, de quoi enregistrer des fichiers vidéos et photographiques) il doit réaliser une enquête sur un sujet donné par la rédaction. Le joueur est fortement encouragé à engager la discussion avec différents acteurs et à traiter différents aspects du sujet. La situation du camp est replacée dans un contexte géographique clair qui permet de comprendre le contexte culturel. Les personnes avec qui il est possible d’interagir ont des rôles variés au sein du camp : les responsables des associations, les représentants des réfugiés, les forces mi-litaires sont joignables afin de former un document riche et diversifié. La matière utilisée pour le jeu est le résultat du travail d’une équipe composée en partie par quatre acteurs principaux : un photographe, un cinéaste, un écrivain et un dessinateur sous la direction du réalisateur Régis Wargnier et du directeur de l’information d’ARTE, Marco Nassiver.On note que tous les camps où il est possible d’enquêter sont sous la tutelle de l’UNHCR qui encourage vivement ce processus en tant qu’élément véhiculateur d’une image maî-trisée du travail réalisé par l’organisation de l’ONU.

Le manque d’information, ou la sélection des informations diffusées, contribuent donc à notre faible connaissance des espaces de rétention. Le camp reste un hors lieu, flou, dont il est difficile de définir les acteurs et les limites.

B-Généralisation

Au manque de représentation s’ajoute une organisation globale et générali-sée du camp qui provient des institutions les plus importantes.

Dans un premier lieu, nous pouvons expliquer cette généralisation de l’organisa-tion humanitaire qui intervient pour venir en aide aux populations en difficulté, par une prise de décisions dans l’urgence car son intervention a pour but premier de mettre les personnes concernées hors de danger. Pour ce faire, les ONG et le HCR, lorsqu’il est concerné, doivent faire preuve de rapidité, efficacité pour comprendre les enjeux du conflit en cours et trouver une réponse dont la mise en place est limitée économiquement et matériellement.De ce fait, cette réponse a souvent été étudiée au préalable et a été testée sur d’autres situations, ainsi les ONG et le HCR détiennent un panel de réponses à ces problèmes démographiques et politiques. La proposition qui est installée est donc en grande partie une solution générale qui per-met de répondre rapidement à la situation d’urgence. Cette intervention comprend diffé-rents enjeux complexes : sanitaire, sécuritaire, médical, de transport, sur lesquelles tra-vaillent les ONG. Cette complexité, qui s’ajoute à celle de l’organisation des services et des personnes qui intéragissent dans cet espace, justifie la généralisation de la réponse à une situation d’urgence. La réponse à la phase urgence mets très souvent l’humain de côté et sous contrôle en le privant de ses droits, contrairement aux arguments avancés par les organismes humanitaires.La situation “d’extraterritorialité, d’exception et d’exclusion” 1 expliquée par Michel Agier reste le résultat de cette intervention humanitaire qui, sous prétexte d’offrir une protec-tion, applique des réponses globales qui ne sont pas adaptées à toutes les situations, et inscrit celle-ci dans un mouvement de généralisation.

Cette généralisation et globalisation des interventions est suivie par l’apparition de comportements humanitaires qui sont critiqués.On parle alors d’entreprise humanitaire industrielle qui dispose d’une couverture média-

1.Un Monde de Camps Edition la Découverte, Michel AGIER , 2014

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tique, de promotions humanitaires de marketing : tous les évènements qui ont lieu à Dadaab sont relatés sur un fond dramatique comme on peu l’observer sur leur site in-ternet 1 et diffusent une vision distancée et descendante. Cette entreprise humanitaire qui englobe la gestion d’équipes et de services nécessite une intervention extérieure pour pouvoir continuer à faire son devoir. Pour obtenir une participation financière de sponsor, les ONG et le HCR sont prêts à mettre en place une campagne médiatique forte. Des visites des camps ou des sites d’interventions par des personnalités connues encouragent énormément le don et a pour but de donner une certaine “crédibilité” au travail effectué. Récemment, on a pu relever la médiatisation du passage de la flamme olympique des Jeux de Rio de Janeiro dans le camp de réfugiés d’Eléonas en Grèce, action qui vise à encourager la participation aux évènements culturels mondiaux et l’es-poir dans les camps, mais qui reste peu étendu. Cette industrie humanitaire encourage également le “voyage humanitaire”, tendance qui offre la possibilité à un visiter une zone sensible. L’humain devient alors l’objet du tourisme et le volontourisme tend à proposer de devenir non plus un spectateur de cette scène internationale de crise mais bien un personnage. Pratique qui est vivement criti-quée par l’association SAIH dans la vidéo Qui veut devenir un volontaire? 2 où l’image ce dernier est mis à mal, le mettant dans le rôle d’un joueur sur un plateau télévisé qui doit faire ses preuves afin de rejoindre l’Afrique. C’est donc bien une quête à la visibilité qui est lancée là autant de la part des organisations humanitaires que des volontaires ou bénévoles.Mais cette entreprise humanitaire ne s’arrête pas à une diffusion continue de “clichés” humanitaires. Très récemment, le HCR a mis en place un système d’identité une iden-tité administrative, système sur lequel le journaliste Loup Wolff de l’hebdomadaire Le 1 a enquêté 3. Le HCR a en effet exprimé la volonté de préserver une certaine stabilité concernant les données sur les déplacés et les réfugiés. L’organisme rappelle que son devoir n’est pas seulement d’effectuer des rapports sur le nombre de réfugiés mais bien d’agir pour leur venir en aide. Et pour améliorer cette force d’action et d’intervention que détient le HCR, un système d’identification biométrique a été mis en place, permet-tant une meilleure prise en charge. L’organisme procède donc à une classification des réfugiés, selon qu’ils soient demandeurs d’asile, réfugiés ou déplacés internes, ce qui permet d’attribuer à chacun des droits et de garantir l’accès à certains services.

L’exemple du camp de Dadaab au Kenya nous permet d’ illustrer cette idée de généralisation de l’encampement mondial.Depuis 1963, avec son entrée dans l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), le Kenya doit faire preuve de solidarité vis à vis des réfugiés en leur garantissant le droit de ré-sidence et de déplacement. C’est dans ce cadre que les Somaliens, en 1990, tentent de s’échapper de la guerre civile, de la sécheresse et de la famine. Ils sont tout d’abord placés à la frontière dans un lieu insalubre qui accueille à l’époque 50 000 personnes. Pendant ce temps est mis en place le camp de l’IFO à 6 km au nord de Dadaab et 680 km de la Somalie, garantissant ainsi plus de sécurité. Le choix du terrain peut alors être remis en question : loin de tous les centres urbains et de la densité humaine, dans une zone avec des problèmes écologiques dont des inondations, il vient s’inscrire et mar-quer le paysage de façon brutale.En 1992, au moment de l’intégration du camp de l’IFO, les règles appliquées sont plus d’ordre sécuritaires et sanitaires que d’ordre humain et contribuent à cette idée de glo-balisation de la considération du réfugiés et de leurs besoins. En effet, des délimitations sont créées, faites de haies, clôtures et portails, qui favoriseront à diviser les réfugiés des aides humanitaires, et même les équipes humanitaires entre elles. Cette division sera accentuée en 1994, lorsque le HCR décidera de construire des bâtiments perma-nents pour ses membres. Cette volonté de la part des équipes humanitaires de contrôle total, de maîtrise de la sécurité et des actions des populations encampées sont donc les

2. Rusty Radiator, Who wants to be a volunteer?, www.rustyradiator.com, 20143. Loup WOLFF, «Une identité administrative», Le 1 : Un monde de réfugiés, n°29, 22 octobre 2014

1. http://www.unhcr.fr/

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causes de la situation hiérarchique qui se déroule au Kenya, situation à laquelle vient s’ajouter un relationnel entre police et réfugiés critiquable : on parle de corruption des forces policières et de violation des Droits de l’Homme.Pour revenir sur la mise en place d’une identité administrative des réfugiés, nous pour-rions parler du cas des réfugiés syriens en Jordanie qui effectuent un “parcours de camp” entre le moment où il franchissent la frontière jordanienne et le moment où ils sont admis dans un camp d’installation. Ils passent en effet par différents camps de transits où leur identité est vérifiée afin de les classer et de leur donner accès à une protection. C’est donc une stigmatisation légale qui est mise en place d’un point de vue spatial et social. Ce système installé par les ONG qui sont sur place a pour but de limiter l’accès aux camps d’installation de Jordanie.

Le “processus de camp” est donc une mise en place de moyen généralisée per-mettant une réactivité au danger optimale, mais qui cependant peut faire passer passer la cause humaine comme une cause secondaire.

C-Généralisation architecturale

La construction des camps dans le monde, d’un point de vue architectural, subi également l’effet de la globalisation et de la généralisation. Ce phé-nomène est justifié par le caractère provisoire, transitoire et d’attente des

camps, auquel vient s’ajouter le fait que se sont majoritairement des équipes techniques d’ingénieurs qui étudient la fabrication d’un refuge. Mais peut -on parler de camps “construits” ou doit- on préférer le terme de “déposés”.

Dès le départ, on peut noter des choix du site d’implantation le camp relèvant d’une analyse généralisée et appliquée dans de nombreuses situations à l’identique1.La question sécuritaire reste au coeur de se choix et demande une évaluation des dan-gers qui permet la localisation d’une zone où la protection des réfugiés est garantie. Cet emplacement doit donc se trouver à une certaine distance des frontières probléma-tiques et hors de zone à risque. Le terrain choisi est très généralement vierge et sans trop d’accroche au paysage, au milieu d’une forêt ou d’un désert il permet d’appliquer un plan “minimaliste” en quadrillage de l’espace qui donne lieu à un certain nombre de rues : rues principales, rues secondaires… Pour imaginer cet aménagement urbain, le HCR dispose d’une équipe d’architectes et urbanistes qui se chargent de sélectionner le site selon des critères et un cahier des charges précis. L’unité de design de l’orga-nisme dispose d’un grand savoir logistique mais ses membres sont pour la plupart diplô-més d’écoles techniques occidentales et interviennent donc avec une certaine vision de l’abris et de l’architecture d’urgence. On notera que le thème de l’architecture d’urgence commence seulement à voir le jour dans nos Écoles Nationales d’Architecture.Cette équipe doit donc planifier un ensemble, souvent dans une phase d’ urgence, qui permet de gérer des problématiques telles que la mobilité, la mixité culturelle, la sécurité, l’intervention humanitaire, la santé publique, le développement hydroélectrique,... Des secteurs sont donc crées, des blocs, ainsi que des carrés qui regroupent des abris qui peuvent comprendre entre 300 et 500 réfugiés selon les cas. Ils sont regroupés selon leur provenance, leur ethnie, leur clan d’origine, mais ce processus est commun à la formation de tous les camps.

Dans un deuxième temps, les exigences architecturales, en plus de celles ur-baines, sont elles aussi très strictes. Le HCR requière en effet une infrastructure de logements modulables, montables mais surtout démontables, et qui puissent s’adapter à la possible augmentation de la population, comme cela a pu être le cas dans le camp de Dadaab où le nombre d’habitants est passé de 30 000 personnes à son ouverture en

1.Conférence : l’architecture des camps et industrie humanitaire. Savoirs et gouvernances, «Un paysage global des camps», 22 octobre 2014, Cité de l’architecture et du patrimoine

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2004 à 450 000 aujourd’hui.Le travail du studio de production Submarine Channel 1 réalisé sur le camp de réfugiés syriens de Domiz, au nord de l’Iraq, nous permet, de manière ludique et critique, de vi-sualiser le matériel qui est mis à la disposition des migrants à leur entrée dans le camp. En effet la carte interactive Refugee Republic permet de réaliser un parcours thématique dans le camp, parmi les parcours, celui de la construction du camp. L’ONU à travers ses différentes branches d’aides humanitaires, offre aux familles s’enregistrant dans le camp, un kit de nécessaire de “survie” identique dans tous les cas. Celui-ci, en plus de contenir set de cuisine, chauffage au kérozenne, jerrycan, couvertures, gourde et venti-lateur, comporte de quoi construire un abris. La tente familiale, qui selon le ratio onusien peut héberger 3.5 à 4.5 personnes, est garantie Waterproof avec une durée de vie de six mois et est tout de même accompagnée d’une toile imperméable. Depuis 2012, plus de 12 500 tentes ont été distribuées dans le camp de Domiz. Mais celle -ci n’est que la solution basique imaginée par le service du HCR. Viennent ensuite les amélIorations de ses tentes réalisées à l’aide de bois et de couverture, les abris constitués d’un assem-blage de bois et de toile qui restent très sensibles aux conditions métérologiques, les abris de structures métalliques, beaucoup plus résistants, qui sont recouverts eux aussi d’une toile plastifiée, et les abris de tôles métaliques associées à la structure métalliques qui peuvent accueillir jusqu’à deux familles et comprennent une cuisine privée. Enfin les structures durables se font de plus en plus nombreuses au vue des dangers liés au feu et dans ce cas l’utilisation des matériaux de construction est autorisée. Toutes ces variations de de l’abris sont marquées du logo de UNHCR rappelant la présence de l’organisme dans des camps du monde entier. Les constructions qui sont dans les différents camps reste identiques et on peut donc parler d’une architecture généralisée qui se détache de toute attache sociale et culturelle pour se rapprocher d’une efficacité incontestable.

L’observation de l’organisation urbaine et architecturale prouve donc bien cette “inexistance sociale” comme point de départ de la construction du camp. Malgré les différentes formes de sites humanitaires du HCR, barriolés de constructions faites de bois et de bâches bleues et blanches, l’image médiatique que diffuse le camp le plus communément est celle d’un ensemble uniforme de quadrillage de tentes identiques.Les propositions de designers industriels ne sont pourtant pas inexisentes, mais l’ONU refuse catégoriquement de les emprunter. C’est le cas du prototype de Global Village Shelter du designer Mia Ferrara constitué de parois en carton ondulé et dont le mon-tage ne dépasse pas les vingt minutes pour la somme de 400 dollars et comme d’autres produits du même type, ce processus permet une production en masse. Or le HCR re-proche à cet abris le coût cinq fois plus élevé que celui d’une tente. De plus il craint que les éléments préfabriquées ne soient pas disponibles au moment voulu et qu’il soit plus difficile de convaincre les réfugiés de les utiliser. A cela s’ajoute le fait qu’il faille installer les réfugiés dans un premier temps dans des tentes, puis de les transférer aux préfa-briqués, ce qui demande une grande organisation logistique. Pour se justifier, le HCR rappelle la situation vécue à Monténégro ou les éléments préfabriqués une fois cassés devaient être jetés et ne pouvaient pas être réutiliser. Le système de la tente reste donc la solution préférée pour la rapidité et la facilité de sa mise en oeuvre dans tout type de situation.

Le traitement généralisé et globalisé de l’architecture des camps décourage toute forme d’attache de la part des réfugiés à l’espace dans lequel ils sont accueillis. On assiste donc à des lieux dont la partie social a été écarté. L’exemple emblématique de l’absence d’espace public nous prouve cet oubli de l’humain.

1. Submarine Channel, Refugee Republic, http://refugeerepublic.submarinechannel.com/intro_en.php?o=o, 2015

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I PARTIE 3 : LE CAmP, Temporalité et habitat I

A- Habitat temporaire contraint

Rappelons tout d’abord que le campement, dans sa définition humanitaire, est un habitat temporaire contraint, à la différence des campements qui peuvent être le résultat d’un choix de vie nomade. Il s’impose à toutes les

populations qui subissent un changement dans leur manière de vivre et implique une installation sur un autre site pour une période souvent non déterminée. Il est plus ou moins subi, toléré et contrôlé. L’habitat d’urgence est de plus un habitat voulu léger par sa temporalité qui peut tenir différentes formes en fonction de l’organisation qui prend en charge l’installation.

Nous nous devons tout d’abord d’établir une différenciation entre “global” et “standard” qui est de plus en plus marquée. En effet, nous avons plus tôt parlé des solutions globales qui étaient appliquées à la construction des camps, solutions qui sont imaginées par des ingénieurs et qui sont reproduites partout dans le monde par un grand nombre d’organisme. Néanmoins ces solutions offrent très rarement la liberté aux réfugiés de s’approprier ces habitats. Bien souvent, ces tentes, cabanes ou abris ont été fait pour êtres déplacés et empêchent donc toute attache matérielle. Mais il existe cependant des propositions réalisées par des architectes ou des designers qui prennent en compte l’espace dont à besoin un humain pour lui permettre une appropriation du lieu, ils insèrent des considérations architecturales et de design liées à la durabilité d’un système, à sa production répétée et facile, à son coût et à la trace que l’objet laisse sur l’environnement.Alors que nous pourrions définir un processus global comme un processus englobant toutes les situations en proposant une réponse acceptable pour tous les types de cas, la question de l’élément standard inclue une idée d’élément de base qui aide à fabriquer l’espace 1. Mais contrairement au processus global, il peut être combiné, ajusté, ajouté, agrandi, il représente juste un noyau autour duquel viennent s’ajuster d’autres facteurs. L’idée de standard implique également la notion de production en masse.Mais lorsqu’on parle d’habitat standard, on parle souvent d’un module qui a été dessi-né au préalable et qui est reproduit ensuite pour être installé dans différents lieux. Le constructeur Jean Prouvé fait partie des premiers à s’intéresser à un système construc-tif lié à une production en série en usine. En 1944, pour répondre à la pénurie de loge-ment de l’après guerre, il conçoit La maison démontable 6x6 dont le procédé constructif dépend des capacités de l’usine qui la produit. En effet la taille maximale du module structurel, qui est démontable, est déterminée par la taille de la presse à feuille d’acier dont disposait l’usine chargée de la construction. Son montage, qui peut être effectué par deux personnes, se limite à une journée et son démontage est facilité par l’indépen-dance des pièces porteuses en acier.

Nous nous pencherons donc plus précisemment sur une projection architec-turale préventive, une projection anticipée de la fabrication d’un module standard qui puisse être introduit dans différents sites, en fonction de la demande.Différents architectes et designers ont tenté de travailler sur l’abris d’urgence, en répon-

“La longue durée engendre l’emplacement tout autant que le déplacement “ Bram J. Jansen

1. Larousse, 2015

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dant par des solutions qui ont été considérées comme des alternatives à ce qui peut être proposé par des organismes tel le HCR. Ce sont des solutions qui ont les mêmes contraintes, un abris simple, qui se montent rapidement, dont le transport est facile, qui ne sont pas trop onéreuses et qui ont une certaine durabilité qui permet la réutilisation. La proposition de certains d’entre eux, associés avec l’entreprise IKEA, a permis au projet Better Shelter 1 de voir le jour pour la première fois à Baghdad. L’ abris, construc-tible en trois heures, reste un élément à la limite du global. Mais propose néanmoins certains détails qui permettent une adaptation à la situation : sa structure métallique est modulable et les ouvertures, portes, ventilations et fenêtres, ont un emplacement libre. En plus d’offrir aux réfugiés la possibilité de détenir un abris confortable, sec et robuste durant les périodes météorologiques les plus rudes, Better Shelter reste une construc-tion légère et bien plus durable que les tentes proposées jusqu’alors. Sa construction peut se faire en série et permet d’ors et déjà d’alimenter le réseau du HCR. On note ici les prémisses d’un rapport à la temporalité différent : l’abri est toujours vu comme un habitat temporaire mais on pense tout de même à une certaine durabilité et résistance. Néanmoins cette solution qui visait à une amélioration des conditions de vie des réfu-giés est devenue une réponse globale employée par le HCR et garde peu de définition architecturale.Dans un second temps, nous pourrions relever le travail effectué pour le concours étu-diant de microarchitecture Mini Maousse 2 organisé par la Cité de l’Architecture et du Patrimoine depuis 2003, qui avait cette année pour sujet de sa sixième édition la réalisa-tion d’un module d’habitation d’un lieu de vie temporaire. Il était exigé que ce module soit une unité modulable, adaptable, empilable, démontable et transportable qui permette d’accueillir différents types de profils de personnes : des étudiants, des travailleurs, des vacanciers mais également des personnes souffrant d’isolement, de grande pauvreté ou dans l’attente d’un accès au logement. Il s’agissait d’apporter des solutions techniques en restant dans des réalités constructives rationnelles et économique face à une situa-tion d’urgence. Les logements devaient redonner à ces habitats temporaires un carac-tères domestique et viables. La réalisation du module devait favoriser la construction bois afin de sensibiliser à de nouvelles techniques industriellement d’ utilisation de ce matériel. Nous relèveront le travail de l’équipe lauréate des Écoles Nationales Supérieures d’ Architecture de Nantes et de Paris Val de Seine, Contre-Plaque Moi. Le principe repose sur la réalisation d’un meuble structurels de 1.75 m3 extensible, ses parois sont dé-pliables, réalisé en contreplaqué et qui peut contenir un lit, une cuisine, une table, une salle de bain, éléments qui facilitent l’aménagement d’un espace partagé : le meuble marque les limites du privé et du commun. Chaque meuble est indépendant, préfabriqué et inclus une isolation thermique et la structure en plus des équipements. Le système est montable, transportable et démontable rapidement, ses dimension permettent de réduire les coût.

Cependant, il est primordial d’attirer l’attention sur le fait qu’une architecture temporaire standard n’est pas obligatoirement une architecture qui peut être reproduite dans toutes les situations, il existe des formes spatiales standaridisée à l’échelle d’une situation mais qui restent uniques à une plus grande échelle.Certains architectes se penchent plus sur un travail spécifique à un moment de crise particulier. Le travail de l’architecte japonais Shigeru Ban est bien ancré dans une dé-marche architecturale profonde : il est pensé pour une situation tout en gardant une notion de durabilité, matérialité et recyclage.Ses premiers travaux ont été retenus pour loger les victimes des tremblements de terre de Kobé au Japon en 1995. Peu coûteux, recyclables et résistants aux conditions sis-miques, ils restaient facilement transportables et montables en moins de dix heures. Les abris étaient composés de tubes de carton imperméabilisés dans lesquels du polyuré-

2.Mini Maousse, http://www.minimaousse6.fr/, 2015-20161.Better Shelter, http://www.bettershelter.org/product/, 2015

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thane et des papiers journaux jouaient le rôle d’isolant. Le sol, quant à lui, était réalisé en contreplaqué déposé sur des caisses de bières remplies de sables qui garantis-saient la stabilité. Et le toit était fixé à tous les niveaux à la structure de tubes de car-ton empêchant tout mouvement. Les Paper Log Houses, qui revisitaient l’architecture traditionnelle japonaise, possédaient également la grande particularité de pouvoir être construites par les victimes elles-mêmes, leur redonnant une certaine forme d’indépen-dance et de dignité.Les travaux de l’architecte japonais seront pris en compte par le HCR en 1999 quand, au sortir de la guerre civile, le Rwanda compte environ deux millions de personnes sans logement. Alors que les réfugiés sont dans des situations très précaires, le métal, qui constitue la structure des tentes habituellement données par le HCR, est revendu et la déforestation devient une solution pour remplacer ces structures manquantes. Shigeru Ban propose donc de nouveau de faire un essai en utilisant des tubes de carton, pro-duits très facilement et localement, qui peuvent être recouverts par les toiles habituelles de l’organisme humanitaire. Alors que la durabilité du produit est avérée, la structure est utilisée pour cinquante logements dans le camp de Byumba.L’architecte s’est également penché sur un système de séparation pouvant être utilisé dans les lycées ou gymnases où étaient recueillies les victimes du tsunami et du trem-blement de terre japonais de 2011. En effet, ces populations sont accueillies dans de grands espaces et doivent endurer une absence d’intimité et une grande surpopulation pendant des mois avant de rejoindre des logements temporaires. Le projet Paper Parti-tion System 4 a donc pour but de séparer l’espace, toujours à l’aide d’une structure de tubes de papier, grâce à des rideaux laissant passer la lumière mais pas le regard. La forme est donc assez libre et permet d’adapter l’appropriation de ce quadrillage par les familles.Très récemment, l’architecte est intervenu au Népal en 2015 après le séisme qui a frap-pé le pays. Il s’est rapidement rapproché des architectes et des entreprises locales afin de connaître les pratiques utilisées et les procédés constructifs mis en places. C’est en observant l’architecture de la région, qu’il lui est apparu essentiel d’utiliser la briques, en tant qu’élément constructif du paysage majeur. Et, alors que les Népalais s’inquiétaient de la résistance du matériaux face aux mouvements sismiques, Shigeru Ban a pensé à un module réalisé à partir de cadre de fenêtre conçus localement, remplis de briques. Ce qui donne une certaine rigidité au tout constructif. Le toit quant à lui est réalisé avec une toile plastifiée, ce qui réduit le temps d’attente pour rendre les abris habitables.Ce sont donc là des réponses qui sont faites réaction face à une situation de crise. Elles peuvent être réutiliser, mais leur remise en question, même s’il s’agit d’un élément standardisé, doit être perpétuelle pour garantir une réponse la plus adaptée possible à l’urgence. On peut parler de standardisation à l’échelle d’une situation ou d’un territoire.

Nous pourrons remarquer qu’au temps court, des réponses temporaires sont accordées dans le plupart des situations.On ne peut donc pas parler d’architecture tem-poraire comme on parlerait de l’architecture de peuples nomades. Il s’agit là d’une ar-chitecture qui ne survient pas de la population concernée mais qui est le résultat d’un travail effectué en amont par des spécialistes. On peut en effet noter que dans la plupart des situations d’urgence, les personnes concernées ne pensent pas elles mêmes les habitats qu’elles vont occuper car elles sont fréquemment en train de vivre une rupture imprévue dans leur rythme de vie.

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B-Temps long

Les réponses temporaires ont cependant toujours une fin, et la situation qui dure fini toujours par trouver une forme pérenne mais différentes solutions peuvent être adoptées, en fonction des moyens mis en oeuvre et de l’aide

dont disposent les personnes concernées.

De nombreuses fois la situation des réfugiés se fige sans que de vraies solutions soient trouvées et sans qu’un retour vers leur terre d’origine soit organisé. Avec le temps la mobilité se stabilise et les habitats temporaires se pérennisent. Ce processus de transformation du camp provisoire en camp dur est fréquent et deviennent le domaine d’étude de nombreuses associations. Parmis elles, PEROU (Pole d’Exploration des Ressourses Urbaines)1, qui intervient à travers l’équipe “Sans Plus Attendre” constituée de cartographes, philosophes, archi-tectes et urbanistes. L’enjeu pour eux est d’accompagner ce lieu de vie vers une recon-naissance de ses richesses et de ses actions. Car, en effet, la jungle de Calais accueille une mixité culturelle ample, mixité qui génère des commerces, des écoles, des activités, des lieux de partages, qui génèrent un ville. Afin d’accompagner cette urbanité en puis-sance, le groupe de travail Sans Plus Attendre décide de commencer un relevé d’un existant pour pouvoir le rendre réel. Ce relevé vise à identifier les lieux,leurs proportions et leurs fonctions : se réchauffer, manger, dormir, prier, cuisiner, apprendre, se laver, vendre, agir,... Bien que la jungle de Calais soit victime de fréquents démantèlements et que ses habitats sont perpétuellement détruits pour êtres reconstruits plus loin, en effet nous apprenions en mars 2016 la mise à feu d’une grande partie de jungle qui n’a fait que déplacer ces refuges dans des conditions encore plus insalubres, ce travail aura permis de capter l’attention, de partager ces expériences et de fixer le lieu dans le temps. Le projet New Jungle Délire accorde une place à l’architecture du refuge, et lui donne une existence spatiale pérenne.Enfin, nous reviendrons sur un projet de l’agence DAAR 2, basée en Palestine, qui a co-laboré en juin 2011 avec l’ensemble de l’équipe du département ingénierie de l’UNRWA dans le camp de Shu’fat. Depuis 1965, Shu’fat accueille 20 0000 réfugiés palestiniens venant de villages environnant à Jérusalem. Mais depuis 2002, le camp a été totalement enfermé par les force israéliennes qui ont entouré le lieu de murs et de barrières. Afin de développer un élément qui serait le pur produit du camp, l’agence DAAR a dessiné un projet d’école pour filles. L’école est vue ici comme une “assemblée”, “une réunion”, un lieu autour duquel on peut se rassembler pour apprendre et débattre. La participation des étudiants, des professeurs et d’autres réfugiés de ce camps a permis d’amorcer cette idée de partage. Le projet intervient dans un paysage d’habitat préconstruit et vient fixer une construction au sein du territoire. La forme hexagonale de la cour offre un lieu de refuge, de repliement et un point de rencontre : elle a autant d’importance que les salles de cours qui l’entourent. Le tout garde à la fois une forme éclatée et disjointe, mais d’un autre point de vue ces formes semblent des bases stables sur lesquelles il serait possible de reconstruire.

Une deuxième solution peut être celle du retour, qui inclu une mise en scène politique, sociale et culturelle et demande un minitieux travail de jonction entre un mode de vie rependu dans les camps, qui sont destinés à êtres temporaires, et une réalité extérieure, qui ne peut pas effacer ce mode de vie. Le camps peut donc être considéré comme un lieu de travail sur la mémoire en envisageant un retour.Le retour implique également une tension entre l’espace du refuge et celui des origines, le point commun de ces deux lieux étant leur extraterritorialité qui les coupent d’une réalité spatio-tempo-relle. Cet espace d’entre deux est l’espace dans lequel se retrouve le réfugié.Ce va et vient entre l’espace dont la propriété a été retirée et celui qui est régit par une

2.DAAR, http://www.decolonizing.ps/site/ 1.PEROU, «Sans Plus Attendre», http://www.perou-paris.org/Actions.html, 2014

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souveraineté humanitaire, fait partie, selon l’agence d’architecture DAAR, du processus de “retour dans le présent”. Pour l’agence, le travail sur ce sujet a commencé en 2009 dans le camp de Dheisheh en Cisjordanie, centre d’accueil de l’UNRWA pour les réfu-giés de Palestine venant d’une cinquantaine de villages différents. Ici, l’union entre les sites palestiniens et le lieu de déplacement se fait par un élément matériel qui appelle au retour d’un quotidien et d’un mode de vie dans un espace nouveau.Sur un site, placé au sommet du camp, que les autorités palestiniennes voulaient trans-former en camp militaire, les réfugiés ont pu voir naître, grâce à leur résistance et leur opposition au projet gouvernemental, un centre culturel, Al Feneiq. Le centre circulaire, représentant le point de rencontre, comporte une grande variété de programmes : salle de danse, salle d’étude scolaire, salle d’exposition, jardin d’enfants mais également des salles permettant des rassemblements. Mais le point d’orgue du projet repose sur un ter-rasse offrant une vue sur l’entièreté de la région de Berthléem, qui n’est plus seulement un paysage mais bien un visuel sur un territoire et son passé. Alors que le chantier se termine, les réfugiés avouent s’être attachés à ce lieu de vie, et donc au camp. Cette intervention servira de référence à l’agence pour traiter le site de Miska, au nord de Tel Aviv. Détruit en 1948, le village a vu toute sa population être placée dans le camp pour réfugiés et déplacés internes de Tira, le terrain appartenant désormais aux forces israéliennes. Celles-ci ont également recouvert le peu de lieux qui n’avaient pas étaient détruits d’une épaisse végétation empêchant ainsi l’accès au territoire.Mais la perspective de retour ne peut pas être abandonnée par les habitants du camp de Tira. Ils cherchent à faire reconnaître ce lieu de crime caché sous des plantations frui-tières comme leur terre de naissance. Alors qu’interviennent de nouveau les architectes Sandi Hilal et Alessandro Petti de l’agence DAAR, il s’agit d’inverser le processus. La thématique du centre circulaire est conservée mais les proportions entre les vides et les pleins sont échangées. En effet, alors que le centre culturel Al Feneiq impose des vides dans un tissu dense, le complexe de Miska réintroduit de la densité dans une zones majoritairement végétale.

Enfin, la dernière option qui peut s’imposer quand à la pérénisation d’un habitat pour les habitants de camps est le déplacament vers d’autres logments qui offrent des conditions de vie favorables à la reconstruction. Ce déplacament peut être spontané et venir des populations encampées, mais ils peut égalament être accompagné par une instance.La situation de Haïti depuis le séisme de janvier 2010 est représentative d’une volonté de relogement de la part des autorités. En effet, alors que plus d’un million de réfugiés se retrouvent sans abris et placés dans des camps d’urgence, des mesures sont prises: en trois ans, l’Etat a réussi à compenser 250 000 logements 1. Ce chiffre comprend plu-sieurs données. Tout d’abord, la réparation de 6 500 maisons à travers le programme 16x6 qui proposait de reloger les réfugiés de six camps dans seize des quartiers de Port-au-Prince. Ce chantier, participatif, offrait une aide financière et immobilière aux familles prenant part aux travaux. Les chantiers sont toujours en cours, mais on note la création d’infrastructures, la mise en place de réseaux électriques et routiers et le relogement de près de neuf cent familles. Dans un second temps, la mise en place de 100 000 abris provisoires “en dur” fait partie des logements transitoires proposés par les associations et l’Etat afin de marquer la sortie de l’Etat d’urgence. Ces T-Shelters sont des espaces qui garantissent une sécurité et un cadre de vie sain dans l’attente d’un retour à une situation permanente. Ils sont une alternative aux tentes qui ont subi les différentes saisons des pluies et les tempêtes qui continuent de frapper Haïti. Ces abris offrent un droit à une forme d’intimité et de domesticité. Enfin, 4 500 habitations ont été construites permettant de reloger peu à peu les personnes qui étaient propriétaires avant le séisme. Ainsi plus de 70% des réfugiés qui se trouvaient dans les camps sont aujourd’hui relogés.

1.Grégoire ALLIX, « Trois ans après le séisme. Haïti entre camps de toile et bidonvilles», Le Monde, 11 janvier 2013

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Cependant, nous nous devons d’analyser ces données avec plus d’intérêt : cette réins-tallation n’est pas aussi simple et fluide qu’elle ne le paraît. A Port-au-Prince et ses envi-rons, près de 360 000 personnes continuent à vivre dans les cinq cent camps où l’insa-lubrité se fait meurtrière. En effet, les encampés qui ont été concernés par le programme 16x6 sont uniquement ceux qui se trouvaient dans des zones visibles, aux alentours des espaces publics ou de circulation. En ce qui concerne le module du T-Shelters, il représente surtout un symbole médiatique et politique car l’intention première était de marquer la fin des camps, or ces abris sont placés dans des zones qui sont encore sous contrôle humanitaire et qui restent enfermées et sécurisées. Malheureusement cette initiative de transition pour une sortie du camp n’est qu’un déplacement des problèmes rencontrés, autant spatialement que humainement. En effet la reconstruction reste sous la responsabilité des Haïtiens qui manquent réellement de moyens et d’aides, et effec-tuent donc des ajustements d’urgence sur les logements qui ne sont pas durables.

La question de la temporalité est réellement au coeur de la problématique de l’avenir du camp. Alors qu’à se création, le camp a rarement une durée déterminée, il peut prendre par la suite une place différente selon les moyens mis en place.

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La mobilité humaine est depuis toujours ce qui créé les espaces, des peuples nomades jusqu’aux tracés autoroutiers, cette mobilité façonne notre terri-toire. Mais celle, en masse, d’une partie de la population est beaucoup plus

souterraine : sa temporalité et sa variété nous empêchent de la cibler correctement. A cela s’ajoute une vison englobante et réduite que nous avons des lieux où stagnent ces populations. Cependant, dans beaucoup de contextes, ces “hors-lieu” détiennent une importance centrale et sont devenus essentiels à la construction d’une société de telle manière que la notion de «camp» est inadaptée. S’il détient une place centrale dans notre société , le camp est pourtant fréquemment généralisé et englobé dans une idée du refuge comme lieu misérable. Ce manque de considération et d’intérêt contribue à son exclusion et l’architecture de ces lieux exprime la faible importance qu’on leur accorde. Même si les collectifs d’architectes commencent à se pencher sur sa construction, les réponses matérielles sont très souvent globalisées par les institutions humanitaires.Enfin, les solutions pour sortir des situations temporaires restent encore peu nom-breuses et on assiste souvent à une sédentarisation des populations déplacées dans des milieux qui se rapprochent d’avange de lieux d’attente et de rétention que de lieux de vie. Alors que des moyens sont offerts pour installer des refuges, aucune perspective n’est prévue pour ces espaces qui restent entre médiatisation et absence de reconnais-sance.

Peut-on à la fois exclure le camp de la conception urbaine, et espérer plus tard une inté-gration de ces espaces dans la ville? Et au vu de ce que génère le camp, ne pourrait-on pas considérer de la part des architectes un engagement égal à celui accordé pour tous types de programmes?

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OUVRAGESAgier (Michel) avec la collaboration de Clara Lecadet et les contributions d’une tren-taine d’auteurs, Un Monde de Camps, Paris, Editions de la découverte, 2014.

Le 1, n°29, Un monde de réfugiés, 22 octobre 2014.

ARTICLES INTERNETSBernardot (Marc) , Le pays des mille et un camps, Approche socio-historique des es-paces d’internement en France au XXe siècle, Universités de Rennes II, article des “Cahiers du CERIEM” , décembre 2002

Collectif Sans plus attendre , Atlas Architectures de la Jungle, avril 2016, dossier final disponible sur le site https://issuu.com/ à l’adresse suivante https://issuu.com/sansplu-sattendre/docs/000_dossier_final_sans_plus_attendre

Cousin (Grégoire), Loiseau (Gaëlla), Viala (Laurent), Crozat (Dominique) sous la direction de Lièvre (Marion), Actualité de l’habitat temporaire, édition Terra-HN, Mont-pellier disponible sur le site http://shs.terra-hn-editions.org/ à l’adresse suivante http://shs.terra-hn-editions.org/Collection/?-Partie-Le-temporaire-comme-ressource-sociale-

Grand (Yohan),Le volontourisme ou comment faire de l’humanitaire une industrie, 16 janvier 2016, article disponible sur le site http://www.floetyo.com/ à l’adresse http://www.floetyo.com/blog/le-volontourisme-ou-comment-faire-de-lhumanitaire-une-industrie/

Godfrain (Marie), “Des archis, des abris, des hommes” , 2 octobre 2015, article dispo-nible sur le site http://www.lemonde.fr/ à l’adresse suivante http://www.lemonde.fr/m-actu/article/2015/10/02/des-archis-des-abris-et-des-hommes_4781292_4497186.html

IRIN, Il est temps de réparer le disque rayé de l’industrie humanitaire, 3 jullet 2015, article disponible sur le site http://www.grotius.fr/ à l’adresse http://www.grotius.fr/il-est-temps-de-reparer-le-disque-raye-de-lindustrie-humanitaire/

Legrand (Christine), Des Syriens réfugiés en Uruguay demandent à en repartir, 14 septembre 2015, article disponible sur le site http://www.lemonde.fr/ à l’adresse sui-vante http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2015/09/14/des-syriens-refugies-en-uru-guay-demandent-a-en-repartir_4756513_3222.html?xtmc=camps_de_refugies_econo-mie&xtcr=19

Mandel (Lisa), Les conteneurs du gouvernement , 21 mars 2016, illustration disponible sur le site http://www.lemonde.fr/ à l’adresse suivante http://lisamandel.blog.lemonde.fr/page/3/

Meadows (Fiona), Habiter le campement , exposition du mercredi 13 avril 2016 - lundi 29 août 2016, présentation de l’exposition disponible sur le site http://www.espacestemps.net/ à l’adresse suivante http://www.espacestemps.net/wp-content/uploads/2016/03/DP-2016-HLC-BAT-L-002.compressed.pdf

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New York Times, Ces architectes qui inventent des abris pour les réfugiés, 30 novembre 2004, numéro spécial de Courrier International octobre -novembre 2004 : “De toit à moi : Mille et une façons d’habiter”, articles disponible sur le site http://www.courrierinterna-tional.com/ à l’adresse suivante http://www.courrierinternational.com/article/2004/10/01/ces-architectes-qui-inventent-des-abris-pour-les-refugies

FICHIERS AUDIOAgier (Michel), Un paysage global de camps, 22, 23 et 24 octobre 2014, colloque dis-ponible sur le site http://webtv.citechaillot.fr/ à l’adresse suivante http://webtv.citechaillot.fr/video/1-ouverture-colloque

Gallic (Yann), Calais, le grand dérangement, Interception,19 octobre 2014, émission disponible sur le site http://www.franceinter.fr/ à l’adresse suivante http://www.franceinter.fr/emission-interception-calais-le-grand-derangement

Joly (Gaële), Le camp de Grande-Synthe, «pire que la Jungle de Calais», Société,4 janvier 2016, émission disponible sur le site http://www.franceinfo.fr/ à l’adresse sui-vante http://www.franceinfo.fr/actu/societe/article/le-camp-de-grande-synthe-pire-que-la-jungle-de-calais-755935

Marie-Leconte (Julie), De la boue, des rats et des Roms , Interception,24 mars 2013, émission disponible sur le site http://www.franceinter.fr/ à l’adresse sui-vante http://www.franceinter.fr/emission-interception-de-la-boue-des-rats-et-des-roms

Le Gouguec (Alain), Réfugiés, quand le provisoire s’éternise, Interception,19 mai 2013, émission disponible sur le site http://www.franceinter.fr/ à l’adresse suivante http://www.franceinter.fr/emission-interception-refugies-quand-le-provisoire-s-eternise

FICHIERS VIDEOSAgier (Michel), Les camps de réfugiés : l’émergence d’un nouvel urbanisme ?, 11 juillet 2004, conférence au Centre de Culture Contemporaine de Barcelone, article disponible sur le site http://www.publicspace.org/ à l’adresse suivante http://www.publicspace.org/en/text-library/fra/a037-les-camps-de-refugies-l-emergence-d-un-nouvel-urbanisme

De Hasque (Jean-Frédéric) , Le camp, Belgique, Centre de l’audiovisuel (CBA), 2012, 90’

Perou Paris, Considérant, réalisé par Sébastien Thierry, 22 mars 2013, 28’35’’, vidéo disponible sur le site https://vimeo.com/ à l’adresse https://vimeo.com/73077077

PROJETS MULTIMEDIAS

Migreurope, Cartographie des camps d’étrangers, décembre 2013, carte disponible sur le site http://closethecamps.org/ à l’adresse suivante http://closethecamps.org/

Submarine Channel, Refugee Republic, octobre 2015, carte interactive disponible sur le site http://refugeerepublic.com à l’adresse suivante http://refugeerepublic.subma-rinechannel.com/intro_en.php?o=o

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Le 1, n°29 , Un monde de réfugiés, 22 octobre 2014.

PRÉSENTATION DU DOCUMENT ET DES AUTEURS

- Le 1 est un hebdomadaire français relativement récent (le premier numéro datant de 2013) dont l’objectif est d’exposer à ses lecteurs un recueil d’articles de différents auteurs. Dans le n°29, Un monde de réfugiés, écrivains, journalistes, dessinateurs, anthropologue, sta-tisticien, sociologue, essayiste, romancier, politiste s’intéressent au sujet des mouvements de populations.Cet hebdomadaire, à la différence d’autres périodiques, propose une sélection d’avis différents face à un même sujet, au lieu de laisser le lecteur se conforter dans une lecture d’articles dont les points de vues convergent.Ce numéro vient s’inscrire après à la suite d’un début de déplacements intenses des populations et notamment vers l’ Europe. Il est une réaction, une prise de conscience face ce mouvement. Il propose de s’interroger sur ces parties “cachées” du monde et sur les populations qui les oc-cupent.

SYNTHÈSE DU DOCUMENT

Ce numéro se divise en trois parties essentielles :

Le temps de l’émotion

Partie dans laquelle les auteurs font part de leurs resentis face à la situation des réfugiés.L’écrivain Laurent Gaudé témoigne de ses visites de camps. Pour lui, ces derniers représentent une défaite, une erreur de l’homme, au sens où un être humain ne peut pas s’y développer et qu’il y est déshumanisé, son existence peut être totalement effacée après son déplacement.Le journaliste Laurent Greilsamer revient sur le sentiment de honte qui occupent la société lorsque celui se retrouvent confrontée aux réfugiés en marge. En réfléchissant sur la place qu’ont les réfugiés dans notre vision occidentale de la société, où ils doivent être cachés, il affirme qu’ils représentent un réalité que l’on ne veut pas voir. Face à ce déni, quelques réactions se mettent en place. Le mouvement «Les enfants de Don Quichotte» sur les quais de la Seine en fait partie : il cherche à rendre visible ces personnes qui vivent dans l’ombre, grâce à un élément simple : la tente Quechua. Ce symbole visible de tous engendre un investissement et suscite un intérêt de la part du quartier.La dessinatrice Céline Devaux a cherché de son côté à exprimer graphiquement ses «frontières» que doit franchir le réfugié durant son parcours. Dans ce dessin, il quitte le sable pour rejoindre les eaux afin d’atteindre les barbelés d’une barrière menant à une jungle, une épreuve que les réfugiés sont près à affronter pour fuir leur situation.Enfin l’approche satirique de Robert Solé, réalisant une comparaison entre le processus d’adap-tation d’un réfugié et le processus d’intégration d’un Français ayant choisi de quitter son pays pour rejoindre la Suisse, permet de traiter la question de l’accueil et de l’intégration de façon à la fois légère et critique. Ici la Suisse est vu alors comme un éden qui pourtant, une fois atteint, déçoit «le réfugié» par le manque de chaleur de l’accueil de la part de ses habitants.

Le temps de la réflexion

Cette partie apporte des données plus techniques, numériques, quantitatives, politiques,...Elle commence par une interview de l’anthropologue Michel Agier qui se permet de revenir sur quelque points du travail du HCR (Haut Commisariat aux Réfugiés). Il remet premièrement en

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cause les chiffres qui sont donnés pas ce HCR , et explique que ces donnés peuvent être sou-mises à des enjeux politiques. Ainsi le nombre de déplacés forcés connu , environ de 70 millions qui comprend les réfugiés, les réfugiés interne et les réfugiés souffrant des catastrophes natu-relles, ne comprend pas les camps officieux, qui certes plus petites en surface, sont au nombre d’un millier. De même il revient sur la création et l’organisation qu’il y a autour d’un camp. Rap-pelant que le HCR délègue à des ONG la question de l’organisation matérielle, mais qu’il met lui en place l’organisation territoriale, grâce aux urbanistes qui travaillent pour l’institution. Ainsi on pourraient parler de camps (ceux gérés par le HCR) qui se «ressemble» dans la mesure où leur est imposé une trame viaire large et orthogonale et que souvent ces camps sont installés dans des zones désertiques ou de forêt. Il fini par avouer être critique face à la définition de «réfugiés » faite par le HCR, qui se résume aux personnes qui sont face à un danger réel, se pose alors la question de la valeur quantifiable du danger. Il termine par expliquer la difficulté à maintenir un camp alors qu’il n’a plus de raison d’exister (d’un point de vue humanitaire), la durabilité des camps dans leurs dimensions sociales et manque de reconnaissance pour ces lieux.Le sociologue et statisticien Loup Wolff décrit le HCR comme un organisme classificateur : ca-pable de différencier réfugiés, demandeurs d’asile, déplacés interne,... et de pousser cette iden-tification jusqu’à utiliser une reconnaissance biométrique des réfugiés. Il ne se charge donc pas seulement de faire des observation mais également des interventions.L’essai du romancier Olivier Pourriol émet des doutes sur la considération du réfugié comme être humain, et accuse la société d’avoir perdu son humanité et de l’avoir remplacé par une forme d’animalité. «Des millions d’Ulysses» sont alors confrontés à «des cyclopes métalliques [...] par milliers»Enfin la frise dessinée par Jochen Gerner permet d’établir un balayage du différent type de réfu-giés que la France a accueilli et en quel nombre.

Le temps de l’évasion

Hélène Thioller revient sur la reconnaissance des réfugiés ou comment à débuter le combat de Nansen au sein de la Société Des Nations entre 1920 et 1930 qui a du être confronté au refus de son projet d’ asil universel par les Etat-nations qui ne désiraient pas refuser à leur souveraineté. Le HCR sera finalement crée en 1951 avec pour unique champs d’action l’Europe occidentale , champs d’action qui sera modifié en 1967 pour s’étendre à toutes les personnes déplacées. Cette extension ne cessera pas d’augmenter jusqu’à la création de nombreuses catégories : déplacés sur le retour de chez eux, déplacés toujours en mouvement, déplacés liés aux ca-tastrophes naturelles, demandeurs d’ asil,... Le HCR développe alors une tutelle de gestion de crise plutôt générale qui peut être appliquée à différentes situations. La politiste fini par observer qu’aujourd’hui dans la plupart des cas la solution choisie face au «problème des réfugiés» est l’intégration sur place ( «on en vient à laisser les pauvres chez les pauvres»).La journaliste Elsa Delaunay revient sur le statut social qu’ont les réfugiés arrivés à Dunkerque : ils ont généralement des moyens importants et représentent un sacrifice pour leur famille.

LA MISE EN PERSPECTIVE

Il me semble important, dans le contexte actuel, au moment le plus fort des mouvements mi-gratoires, de re questionner des concepts comme celui du territoire de destination vu comme un éden, de l’hospitalité et l’hostilité. En ce sens, redéfinir la formation du HCR pour mieux comprendre son travail sur ces concepts semble essentiel. Tout en sachant que l’organisme cherche toujours à étendre son domaine d’intervention, on peut tout de même lui reprocher une approche globale des camps ( pour des raisons économiques, politiques et culturelles) qui prive l’installation du camp d’une certaine appropriation de la part de ses occupants. De plus il s’agit très rarement d’imaginer un retour pour ces réfugiés ni une installation dans un pays plus riche, en général ces situations sont contenues et retenues, de sorte que les réfugiés finissent par être dépendants de cette intervention.

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Agier (Michel) avec la collaboration de Clara Lecadet et les contributions d’une trentaine d’au-teurs, Un Monde de Camps, Paris, Editions de la découverte, 2014.

PRÉSENTATION DU DOCUMENT ET DES AUTEURS

L’oeuvre de Michel Agier, anthropologue et directeur des recherches à l’IRD et à l’EHESS est le résultat de deux années d’enquêtes de terrain à travers le monde. Il s’agit de vingt-cinq mo-nographies auxquelles ont participé chercheurs en sociologie, science politique, anthropologie, architectes et géographes. Un Monde de Camps, du fait qu’il soit composé d’exemples concrets et détaillés ainsi que d’élé-ments graphiques, n’est pas uniquement destiné aux étudiants, architectes, humanitaires, socio-logues, anthropologues, géographes, juristes, journalistes, il s’adresse également aux profanes, le but principal de l’ouvrage étant de rendre les camps célèbres et leur apporter une considéra-tion particulière.Sorti en 2014, il vient s’inscrire dans un phénomène mondial de mobilité des populations et per-met d’observer la réaction de la scène politique face à ce déplacement.

Cette collaboration avec l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), la Cité de l’ Architecture et du Patrimoine et l’Institut de Re-cherche pour le Développement (IRD) a donné suite à un colloque, “ Un paysage global de camps” et à une exposition “ Habiter le campement” à la Cité de Chaillot. SYNTHÈSE DU DOCUMENT

En constatant que l’encampement est une réalité et une composante de notre monde, Michel Agier cherche à lutter contre la généralisation de la définition de camp et mets en place un pro-cessus de recherche visant à étudier ceux-ci dans toute leur ambivalence (aussi bien d’usage, de spatialité que de temporalité). Le coordinateur en arrive aux problématiques suivantes : Quel sens ont les camps, dans le cas où on y applique des solutions globales et délocalisées face à des situations locales? Comment des zones considérées communément comme extraterritoriales, comme des lieux où l’exception et l’exclusion règnent, peuvent elles être moteurs d’une activité politique, écono-mique et culturelle?

L’ouvrage constitue un recueil de différents types de documents qui illustrent les propos des auteurs des différentes monographies. Ainsi, les analyses, entretiens, enquêtes et témoignages sont accompagnés de supports graphiques variés, tels que des productions architecturales (plan, axonométrie,...), des photos, des cartes,...

Bien que le livre ait été écrit en collaboration avec plusieurs auteurs, quatre thèmes principaux ressortent de ce projet “d’ethnographie global”.

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Le dispositif de campsL’organisation complexe des camps est détaillée dans les différentes monographies. Autant sur le plan urbain, sanitaire, sécuritaire, humanitaire, que des transports, la vie dans les camps est optimisée, planifiée par des autorités afin de contrôler au mieux les camps. On reproche plu-sieurs fois à l’intervention humanitaire son approche industrielle.Ce dispositif des camps surgit également dans les rapports humains : l’installation d’un camp engendre souvent une relation entre réfugiés et organisations intervenant sur le lieu. Le camp peut devenir un pôle économique important à l’échelle du territoire, ainsi le marché du travail peut s’y développer permettant des services à l’intérieur et l’extérieur de la zone.Nous pourrions même parler de “parcours type” en évoquant le cheminement de certains mi-grants de leur pays d’origine à leur pays d’accueil final.

Le camp et sa temporalitéContrairement aux idées reçues selon lesquelles nous tendrions à penser que l’existence du camp ne s’inscrit pas sur un territoire historique, qu’elle reste discrète dans le présent et qu’elle n’a pas d’avenir, l’ouvrage prétend à replacer le camp sur l’échelle du temps. Il démontre l’importance du choix de l’emplacement en fonction des traditions qui s’y pratiquent, la présence dont fait preuve le camp, alors qu’il n’est parfois même pas représenté géographi-quement, et le fragment de l’histoire d’un peuple, d’un pays et d’un lieu qu’il constitue. En effet, alors que sa création répond à une urgence, il tend à s’ancrer, à se modifier tout en marquant la construction du territoire.

La place du réfugiéMichel Agier juge que le réfugié souffre des trois fléaux : extraterritorialité, exception et exclusion. Le lieu où il vit n’apparaît que rarement sur une carte, les décisions le concernant peuvent facile-ment être suspendues, retardées, voire écartées alors qu’il reste politiquement et juridiquement “un cas à part”.Opposé à l’autochtone, il demeure alors un étranger absolu qui évolue dans un hors lieu. Sa situation d’étranger peut restée pétrifiée et son accés à la société peut lui être refusé tant qu’il est “encampé”.

L’urbanité des campsLe camp est décrit comme un pôle d’ attractivité, comme une centralité dans la marge avec une importance à l’échelle du territoire (échelle locale et globale)Cet urbanisme peut venir de différentes raisons, il peut être le résultat d’une étude conduite par les autorités et/ ou une appropriation de l’espace par les occupants.

LA MISE EN PERSPECTIVE

Les dérives humanitaires sont responsables de la forme et la place qu’ ont les camps aujourd’hui. Cependant ces interventions sont toujours traitées de façon limitée dans le temps, elles ne pro-jette nt pas de futur, mais seulement un futur proche. Paradoxalement, alors que ces organisa-tions visent à limiter une installation pérenne des camps, elles rendent leur présence essentielle auprès des réfugiés. Cette dépendence à l’intervention humanitaire entraîne donc l’effet inverse de celui escompté : c’est à dire la sédentarisation de la situation du camp mais avec les condi-tions d’une aide temporaire.Il me semble primordial de penser à une exemplarité des camps dans le sens où ceux-ci peuvent offrir une vie dans un lieu précaire.

“L’histoire des camps et des campements peut dès lors être réécrite non plus seulement comme celle du “mise au ban” et d’une invisibilité des indésirables mais comme une présence et une part active dans le monde global”Michel Agier

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IMAGES

Couverture. Papeles, Guillermo Garcia Cruz, EAC Montevideo 2016, ©Leonardo barón

1. Feria Tristan Navara, Montevideo, décembre 2015, ©Maïa Bodineau

2. Childhood in Palestinian Art I, 2011, ©Abdulrahman Katanani

3. Cerf Volant, sur la côte de la Manche à 1h de Calais, 10 avril 2016, ©Ville de Berck-sur-Mer

4. Welcome, 2014, exposition «Architectures d’urgence», Pavillon Vendôme Centre d’Art de Clichy © Laurent Lacotte

5. Série Anti-sites ©Survival Group

6. Domiz, espace public, octobre 2015, ©Submarinechannel

7. UNHCR, octobre 2015, ©Submarinechannel

8. Voisinage, 2014, exposition «Architectures d’urgence», Pavillon Vendôme Centre d’Art de Clichy, ©Laurent Lacotte / Adagp

9. Miska, maquette du projet, 2011, ©DAAR

10. et 11. Le Shelter de Fouzi et Zaki, Atlas Architectures de la Jungle, avril 2016, ©Sans Plus Attendre

12. When Children Become Tourist Attractions,2014, ©thinkchildsafe

13. Le préau d’un seul, festival d’Avignon, un spectacle sous la direction de Jean Michel Bruyère, année 2009 ©C.Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Les Nouvelles de la Jungle, 26 mars 2016, ©Lisa Mandel et Yasmine Bouagga

Inside the Box, 2014, exposition «Architectures d’urgence», Pavillon Vendôme Centre d’Art de Clichy © NB_HR

Le camp, Belgique, Centre de l’audiovisuel (CBA), 2012, 90’ © De Hasque

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