CAHIERS DE SAMBRE ET MEUSE...Revue trimestrielle, 84e année N 2/2008 avril, mai, juin Société...

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Revue trimestrielle, 84e année N° 2/2008 avril, mai, juin Société Royale SAMBRE ET MEUSE (A.S.B.L.) Siège social : rue des Ravins 3 5100 Namur (Wépion) www.sambreetmeuse.org Éditeur responsable : M. George 3, rue du Couvent 5100 Jambes BELGIQUE - BELGIE 5000 NAMUR 1 P.P. 7 1450 CAHIERS DE SAMBRE ET MEUSE Le Guetteur Wallon Les « insensés » du comté de Namur

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Revue

trimestrielle,

84e année

N° 2/2008

avril, mai, juin

Société Royale SAMBRE ET

MEUSE (A.S.B.L.)

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www.sambreetmeuse.org

Éditeur responsable : M. George

3, rue du Couvent 5100 Jambes

BELGIQUE - BELGIE

5000 NAMUR 1

P.P. 7 1450

CAHIERS DE SAMBRE ET MEUSE

Le Guetteur Wallon

Les « insensés » du comté de Namur

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SOMMAIRE n° 2008-2

Les « insensés » du Comté de Namur au fil des enquêtes judiciaires du Conseil provincial (1703-1788) Romy GOUVERNEUR p. 38 Un paquebot nommé NAMUR Françoise JACQUET-LADRIER p. 49 Midas ou le combat de Pan contre Apollon sur la prise de Namur, d’Eustache Le Noble Marc RONVAUX p. 55 Compte-rendu p. 71

COUVERTURE

Page 1 : W. HOGARTH, La maison des fous [The Rake in Bedlam], 1734

(reproduit dans HALLETT (M.) et RIDING (Ch.), sous la dir. de, William

Hogarth, Paris, 2006, p. 93).

Page 4 : G. de L’ISLE (1675-1726), Carte des Comtez de Hainaut de Namur et de Cambresis (…) levée en 1704 par l’ordre de Mese François de Fenelon (extrait) (collection privée).

Cahiers de Sambre et Meuse

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LES « INSENSÉS » DU COMTÉ DE NAMUR

AU FIL DES ENQUÊTES JUDICIAIRES DU

CONSEIL PROVINCIAL (1703-1788)

Il lui manque un grain ! Voilà une boutade que le langage contemporain a adoptée dans son jargon. Mais l’expression est déjà attestée aux Temps Modernes, époque durant laquelle des documents judiciaires précisent qu’il y a des individus auxquels il manque quelques grains d’esprit 1. Au XVIIIe siècle, on parle aussi de personne simple et grossière d’esprit 2 ou encore d’imbécile 3. Ces expressions d’Ancien Régime peuvent paraître aujourd’hui tout à fait péjora-tives, voire irrespectueuses à l’égard de celui qui en est la cible. Pourtant, imbé-cile et simple d’esprit sont des propos récurrents, cités spontanément par les té-moins appelés à comparaître devant le Conseil de Namur. Ceux que l’on sur-nomme de la sorte sont considérés comme naïfs, en reveries continuels 4, innocents 5 comme le sont les jeunes enfants. D’ailleurs, on évoque des personnes dé-pourvues d’esprit et pis qu’un enfant 6 ayant un discours hors de jugement 7. L’imbécile, appelé aussi idiot, est donc celui qui a été privé de son bon sens, de sa raison et qui est devenu insensé. Le terme s’applique d’abord à tous les états de défi-cience intellectuelle, quelles que soient l’origine et les conditions de leur ap-parition. Le diagnostic et les symptômes restent flous. La faiblesse d’esprit n’est pas considérée comme une pathologie en tant que telle mais plutôt comme une tare de naissance ou acquise durant l’enfance pour une raison in-connue. D’ailleurs, les témoins interrogés indiquent approximativement l’âge depuis lequel les individus montrent des troubles de l’entendement, mais sans en savoir réellement la cause 8. Les expressions employées et les imprécisions de langage attestent un manque de connaissance dans le domaine médical. D’ailleurs, rares sont les médecins questionnés en tant que témoins attitrés. Toutefois, lorsque c’est le cas, le vocabulaire dont ils usent reste identique à celui du petit peuple.

_______________________ Je remercie vivement Madame Isabelle Parmentier, professeur au département d’Histoire des Facultés Universi-taires Notre-Dame de la Paix (Namur), pour sa relecture scientifique et ses précieux conseils lors de la réalisation de cette recherche.

1. A.É.N., E. C. N., n° 9573, f° 2v. 2. Ibid., f° 3r. 3. A.É.N., E. C. N., n° 8590, f° 2v. 4. A.É.N., E. C. N., n° 9971, f° 2v. 5. A.É.N., E. C. N., n° 9573, f° 2v. 6. A.É.N., E. C. N., n° 8590, f° 3r. 7. A.É.N., E. C. N., n° 9971, f° 3r. 8. Ledit Gérard estoit en très bon sens et jugement sauf depuis environ les deux dernières années de sa vie qu’il at parut avoir l’esprit un

peu cassé (A.É.N., E. C. N., n° 9778, f° 1v).

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La documentation

L’histoire sociale occupe depuis quelques décennies le devant de la scène en matière de recherches historiques. À cet égard, les enquêtes judiciaires du Con-seil provincial de Namur sont une précieuse mine d’informations pour aborder ces sujets auparavant délaissés par les historiens. Les insensés font partie de cette tranche oubliée de la population namuroise ; ils n’ont fait l’objet que d’une quinzaine d’enquêtes judiciaires durant le XVIIIe siècle. Émanant de la plus haute institution judiciaire du comté, ces archives présentent un double avantage : d’une part, elles ont une grande valeur scientifique tant au point de vue du fond que de la forme ; d’autre part, les aspects sociaux qu’elles abor-dent sont riches et variés, illustrant ainsi les multiples aspects de la vie quoti-dienne et notamment les relations conflictuelles des individus au sein de la communauté 9. Pour débuter chaque enquête, le Conseil nomme deux de ses représentants – il s’agit le plus souvent d’un conseiller commissaire assisté de son adjoint – qui recueillent les plaintes de la partie demanderesse. Cette dernière présente un mémoire (appelé à Namur etiquet ou intendit) ; celui-ci pré-cise les raisons du contentieux et les témoins que la partie demanderesse désire voir auditionnés. Ces derniers déclinent alors leur identité, âge, profession et parfois le lien qu’ils entretiennent avec le demandeur 10. Tour à tour interrogés à propos d’articles précis annoncés dans l’etiquet, ils s’expriment sur ce qu’ils ont vu, entendu ou fait et enfin signent leur témoignage 11.

Un comportement marginal

Ce qui heurte la société, c’est avant tout le comportement marginal des ma-lades de l’intelligence. Leurs attitudes dérangent, non pas parce qu’elles sont imprévisibles et non maîtrisables, mais bien plus encore parce qu’elles sont différentes : éloignées de la norme qui s’impose à une époque où priment la réputation et l’honneur.

L’apparence physique

L’apparence physique est le premier signe extérieur qui traduit l’extrava-gance des déficients mentaux et qui forge l’image que la société se fait d’eux. Cette représentation sociale ne passe pas inaperçue dans les témoignages, puisque nombreux sont les détails vestimentaires, a priori de seconde impor-tance mais qui en vérité reflètent les conditions de vie des insensés 12. Ainsi

_______________________

9. DOUXCHAMPS-LEFÈVRE (C.), Les enquêtes judiciaires en Namurois, source d’histoire rurale…, p. 55. 10. Exemple : Henri Joseph Vanrikel, bourgeois, marchand en cette ville, âgé de cinquante-huit ans ou environ. (A.É.N., E. C. N.,

n° 9910, f° 9r). 11. Qu’est ce qu’ils scait et en quoÿ après lecture il at persisté et signé (A.É.N., E. C. N., n° 9114. f° 2v). 12. Il estoit assez toujours assez mal vetu, ne luÿ aÿant jamais vu qu’un manteau de baracquan gris duquel il estoit au plus souvent

enveloppé tant a l’église que dehors (Ibid., f° 1v).

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négligence dans la façon de se vêtir leur est reprochée, de même que leur manque de soin corporel : Il a plusieurs fois remarqué qu’elle estoit tres salle et négligée dans ses habits, capricieuse et ridicule dans ses manieres 13. Les témoins côtoyant au quotidien les faibles d’esprit les jugent incapables de prendre soin de leur apparence. Ils considèrent même qu’en l’absence d’une aide, ces malheureux se laisseraient tomber dans l’indigence. L’un d’eux dit d’une malade que si elle n’avoit pas une sœure pour prendre soin d’elle, pour recoudre ses habits et la netoÿer, elle les laisseroit aller tous en lambeaux sans se donner la peine nÿ d’avoir l’esprit dÿ mettre un point d’esguille 14. Elle se negligoit en sortte qu’elle avoit toujours les mains mal propres 15. Le manque d’hygiène incommode. D’ailleurs, nombreuses sont les plaintes allant dans ce sens. Prenons l’exemple en 1703 de cette couturière qui emploie Marguerite Cochez réputée imbécile d’esprit. Elle se plaint durement de la malpropreté de son apprentie qui lui cause des désagréments dans son travail, de sorte qu’elle fut obligée de la renvoyé a raison que le linge quelle avoit en mains etoit sallÿ citot qu’elle le touchoit 16.

La violence physique et verbale

Les faits de violence physique sont habituels parmi les insensés. Impulsifs et brusques, ceux-ci ne maîtrisent pas leurs élans de colère et c’est avant tout ce que la société redoute 17. Les emportements très violents sont le plus souvent l’œuvre des fous furieux plutôt que des imbéciles d’esprit, au tempérament plus pacifique, excepté toutefois durant leurs périodes de crise de démence quali-fiées de mauvais intervalle. Laditte Marguerite avoit assez souvent et a differentes reprises de mauvais intervalles en frappant l’une et l’autre desdittes filles leur donnant des coups de point aussi bien qu’a sa seure (sic) sans ÿ avoir esté excitée…18. Le témoin l’ayant vue une fois courir comme une incapable apres sa sœur pour la frapper et quelle haussait sa main a cet effet 19 affirme de surcroît qu’il ne peut venir a bout de ces mauvais intervalles trop fréquents, dequoy il etoit obligé d’en faire souvent plainte…20. Il n’y a pas que la violence physique, mise sur le compte de la faiblesse d’esprit, qui marque les mentalités populaires. Les conduites déviantes ou hors normes fondent égale-ment la représentation sociale de l’insensé du XVIIIe siècle. Aussi, se plaint-on d’un imbécile qui avoit l’habitude de lever les juppes des filles a l’église pendant qu’on cele-brait le service divin 21. Plus surprenant encore, cet individu se disait proche pa-rent de l’impératrice Marie-Thérèse et voulait partir servir en Hongrie à la tête d’un régiment de hussards afin de faire fortune 22. Bref, ces histoires qui

_______________________ 13. A.É.N., E. C. N., n° 9573, f° 5r. 14. Ibid., f° 4v. 15. A.É.N., E. C. N., n° 8590, f° 7r. 16. Ibid., f° 9r. 17. Lors qu’il est en colère il donneroit fort facilement un coup de fusil a un homme (A.É.N., E. C. N., n° 9492, f° 10r). 18. A.É.N., E. C. N., n° 8590, f° 5r. 19. Ibid., f° 3v. 20. Ibid., f° 2v. 21. A.É.N., E. C. N., n° 11028, f° 7r.

22. Il vouloit aller servir en Hongrie pour ÿ pousser la fortume et que par rapport aux parens qu’il avoit en Allemaigne, il ne luÿ manqueroit pas un regiment de housarts (A.É.N., E. C. N., n° 9208, f° 5r).

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faire sourire aujourd’hui, marquent la gêne occasionnée et les profonds désa-gréments qu’éprouvent et subissent les familles face au comportement déconcertant de leur parent malade. Ce n’est pas un hasard si certaines d’entre elles n’hésitent pas à déléguer la charge de leur proche à une tierce personne ou à une institution.

La violence verbale n’est pas un moyen de défense réservé uniquement aux simples d’esprit. Au XVIIIe siècle, la moindre indélicatesse de langage à l’égard d’une personne ou de ses biens peut être sévèrement sanctionnée 23. Il en va tout autrement pour celui qui n’a aucune lucidité. La société est habituée à ce genre de déballage puisqu’au moment de témoigner, un auditionné s’étonne que le malade ne faisoit aucune insulte nÿ injure a personne mais paroissoit estre dans une continuelle appréhension…24. Donc, dans l’esprit des gens de l’époque, l’état de démence est presque toujours accompagné de débordements verbaux. Si l’alié-né est bien connu de tous, il n’empêche que ses injures blessent son entou-rage 25 et sont rapidement associées à de la calomnie et à la diffamation (ex : les accusations de vol 26). Même s’ils ne sont pas nécessairement accompagnés de coups, ces graves outrages menacent directement la réputation des indivi-dus qui en sont victimes 27. Parler de victimes est toutefois sans doute exagéré, puisque dans plusieurs cas, les insultes lancées par ces insensés ne sont qu’une réponse aux attaques proférées par des individus qui les humilient ou les défient. Pitits gueux, vos me lÿ paÿerot ! 28, voilà ce que prononça Jean Rolland en se retournant sur un groupe de petits garnements qui avaient la mauvaise habi-tude de le poursuivre pour le houspiller. Quant à eux, et bien plus encore que les injures, les blasphèmes sont considérés comme le comble de l’ignominie, puisqu’ils sont proférés à l’égard du tout-puissant ou des gens d’Église. Après avoir entre autres accusé le curé d’être un voleur des biens des pauvres…29 et être rentré dans une église en jurant en blasphemant (…), le baron d’Argenteau a causé beaucoup de trouble et de scandale 30. De tels actes contribuent à forger l’image de l’imbécile. Le fait que l’on ne sanctionne pas réellement l’insensé, qu’on le blâme juste dans certains cas pour ses paroles irrévérencieuses, marque les débuts progressifs vers la reconnaissance d’une véritable maladie de l’esprit.

L’irresponsabilité et l’imprudence

L’attitude irresponsable des imbéciles d’esprit est une menace, non seulement pour la sûreté publique, mais aussi pour leur propre sécurité. C’est le cas de cet

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23. ARIÈS (Ph.) et DUBY (G.), sous la dir. de, Histoire de la vie privée…, t. 3, p. 50-51. 24. A.É.N., E. C. N., n° 9778, f° 3r. 25. « Il perdoit le respect de sa mere et la traite fort durement en proferant contre icelle des paroles très peu respectueuses » (A.É.N.,

E. C. N., n° 9474, f° 4v). 26. Souffrant d’une folie furieuse, le baron d’Argenteau agresse des inconnus dans un cabaret, les traitant de voleurs

sans bien fondé (A.É.N., E. C. N., n° 9208, f° 3v). 27. D’ARRAS D’HAUDRECY (L.), Une enquête en cours : la délinquance namuroise au XVIIIe siècle…, p. 26-27. 28. A.É.N., E. C. N., n° 11028, f° 10v. 29. A.É.N., E. C. N., n° 9208, f° 3r. 30. Ibid., f° 4v.

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insensé qui erroit souvent dans les jardins dudit village et alloit quelques fois passer les nuits tantôt sous les haÿes et quil demeureroit quelques fois deux ou trois soirs sans revenir coucher a la maison et qu’on l’avait trouvé plusieurs fois coucher dans les fourins et meme dans les fours de quelques paÿsans…31. De telles attitudes expliquent en partie l’absence de distinction établie au XVIIIe siècle au sein de la population, entre l’insensé, le pauvre et le vagabond 32. Les agressions nocturnes sont monnaie courante ; elles traduisent une grande insécurité, que ce soit en milieu urbain ou à la campagne 33. Il n’était donc pas recommandé, ni pour un sain d’esprit ni pour un dément, de se promener une fois le jour tombé.

L’irresponsabilité des malades mentaux a toujours été admise, et cela à travers tout l’ancien droit 34. Elle part du principe qu’ils sont déjà assez punis par le malheur de leur état. Le fondement de cette loi réside dans l’absence de volonté et de discernement du bien et du mal. Quand surviennent des catas-trophes, c’est tout de même sur leur famille que la responsabilité est rejetée pour n’avoir pas su éviter le pire. Il est à noter qu’une distinction précise entre le simple d’esprit et le dément n’est pas encore non plus clairement établie en matière de justice au XVIIIe siècle 35. Aucune sanction d’isolement n’est légale-ment prévue pour un aliéné. Cette allégation est à nuancer, car il va de soi que dans les cas extrêmes (assassinat, crime de lèse-majesté, etc.), un jugement peut être prononcé en faveur d’un enfermement définitif. Si toutefois l’accusé a encore des parents, ceux-ci sont chargés de le garder enfermé chez eux. Néanmoins, rares sont les familles décidées à prendre le risque de représailles ; dans ce cas, elles ont alors recours aux maisons de force 36.

Les sources montrent que l’irresponsabilité peut se manifester par des intrusions répétées sur les propriétés privées et par le vol de denrées alimen-taires. Le même individu précédemment évoqué alloit prendre des pains a moitié cuit dans les fours des habitans (…) de même que les fruits excroissants dans leurs jardins et qu’ils s’enfuïoit pour aller les manger a l’ecart 37. Ces délits anodins peuvent con-duire tout droit en prison une personne saine d’esprit. Dans les petites locali-tés où l’insensé est connu de tous, les victimes de ces larcins ne poursuivent pas la famille du malheureux. On se contente de réclamer de ce dernier qu’il rende l’objet dérobé ou paie un dédommagement pour les désagréments en-gendrés 38. En fait, c’est une image d’enfant naïf, dépourvu de discernement, que se forge la communauté. Les actes de violence et les comportements

_______________________ 31. A.É.N., E. C. N., n° 9778, f° 3r. 32. FOUCAULT (M.), Maladie mentale et psychologie…, p. 80. 33. PINOL (J.- L.), sous la dir. de, Histoire de l’Europe urbaine…, t. I, p. 678. 34. GODDING (Ph.), Le droit privé dans les Pays-Bas méridionaux du XIIe au XVIIIe siècle…, p 82. 35. LAINGUI (A.), La responsabilité pénale dans l’ancien droit…, p. 173. 36. À Namur, les insensés potentiellement dangereux étaient enfermés dans l’établissement dit de la Porte de Bruxelles

(qui est en fait une prison) ou envoyés chez les frères Alexiens de Louvain ou de Bruxelles (BONENFANT (P.), L’ancienne « maison des insensés » (« Simpelhuys ») de Bruxelles…, p. 129-140). Toutefois, les enquêtes judiciaires man-quent cruellement de détails au sujet de l’internement.

37. A.É.N., E. C. N., n° 9778, f° 3v. 38. DENYS (C.), Police et sécurité au XVIIIe siècle dans les villes de la frontière franco-belge…, p. 134-135.

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marginaux font naître des inquiétudes qui ne sont pas entièrement injustifiées, compte tenu des dangers réels qu’elles engendrent. Plus fondamentalement que de traduire la crainte d’une menace, elles montrent une société qui, soucieuse de son apparence, est attentive à rester dans un cadre précis de normalité. N’excluant pas complètement l’insensé mais ne l’intégrant pas tota-lement non plus, la population lui fait sentir qu’il est différent, en tant qu’il s’écarte de la bonne voie à suivre.

Le quotidien de l’insensé et ses relations sociales

Face à la société d’Ancien Régime, celui que la nature a dépourvu de discer-nement est contraint, pour subsister, de nouer des liens avec ses semblables. Même si la place qu’il occupe dans la communauté est différente de celle d’un individu ordinaire, il parvient à tisser autour de lui des relations, qu’elles soient amicales ou conflictuelles, par divers moyens.

Le travail et la cohabitation

Toujours sous la responsabilité d’un tuteur ou d’un proche chargé de prendre soin de lui, l’imbécile d’esprit n’habite jamais seul dans sa demeure. Cette personne, dite de confiance, est en principe sensée veiller à son bien-être et à la protection de ses biens. Les multiples poursuites engagées à l’encontre de ces gardes-malades montrent combien la réalité est souvent plus sombre que la théorie. Prenons l’exemple, en 1752, de la veuve Ballade, ayant perdu la raison depuis le décès de son époux, et dont les enfants entreprennent une action judiciaire contre la dame qui était supposée la garder. Cohabitant avec sa servante et une autre locataire, cette veuve a en effet rarement bénéficié de l’assistance de cette personne. Ironie du sort, ses enfants la délaissent égale-ment, en n’étant guère venus plus souvent lui rendre visite 39. Comme le rela-tent deux témoins, les enfants de laditte veuve ne fournissent plus a ses aliments aussi bien qu’ils le faisoient les années précedentes 40, si bien qu’elle n’a pas même tous les jours de la viande et du bouillon pour son diné 41.

Vivre sous le même toit qu’un parent malade et l’entretenir signifie tout à la fois le nourrir, le loger et l’habiller, ce qui est loin d’être chose aisée dans les foyers les moins nantis. Faire travailler l’insensé et lui permettre de gagner un salaire, si mince soit-il, est une solution pour percevoir de nouvelles rentrées financières. C’est aussi une manière de l’intégrer à la population active, au sein de laquelle l’oisiveté est observée comme un vice. Les simples d’esprits sont ainsi employés pour effectuer diverses besognes et corvées comme du jardi-nage 42 ou du travail dans le domaine agricole 43. En ce qui concerne les

_______________________

39. L’épouse dudit Lecocq ne vient plus voir saditte mere qu’une fois pas an, a la nouvel an et quant audit avocat Lecocq, cette deposante ne l’a jamais vû qu’une fois dans la maison de saditte belle mere (A.É.N., E. C. N., n° 10127, f° 1v).

40. A.É.N., E. C. N., n° 10127, f° 2v. 41. Ibid., f° 2r. 42. A.É.N., E. C. N., n° 9573, f° 2v. 43. [Il] travailloit au labeur et autres travaux de la campagne » (A.É.N., E. C. N., n° 9778, f° 2r).

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la seule activité rencontrée à travers les enquêtes judiciaires est la fabrication de dentelles (Marguerite Cochez a ainsi été envoyée dès son enfance dans un atelier pour apprendre le métier) 44. En outre, les résultats sont loin d’être satisfaisants pour les employeurs qui se plaignent souvent de la mauvaise qua-lité du travail effectué.

Donations et contrats : sources de conflits

Les insensés ne peuvent pas poser un acte juridique valable sans le consen-tement et l’assistance de leur tuteur 45. C’est d’ailleurs une importante source de conflits. Donations de biens, testaments et contrats sont autant de pro-blèmes récurrents qui suscitent des poursuites entre les intervenants. Ce ne sont jamais les malades mentaux en personne qui sont visés à travers les en-quêtes judiciaires, mais bien les personnes malveillantes qui les ont escroqués. Certes, ces insensés sont au cœur de ces conflits et sont la cause de multiples problèmes. Mais ils ne témoignent jamais eux-mêmes devant le Conseil. Les témoins se succèdent, pour faire invalider des accords illégaux. Les proches des donateurs ont toujours tendance à regretter l’élan de générosité de leur parent. Comme de juste, puisque nombreux sont ceux qui ont sombré dans la misère à la suite d’un acte irréfléchi 46. La malhonnêteté et l’avidité des habi-tants à l’égard des plus faibles ne sont pas pour rassurer les familles, qui appré-hendent que l’on abuse de leur insensé facilement influençable. Cette peur de la ruine repose sur des faits concrets. Par exemple, en 1747, Marie Catherine Bertrand, simple d’esprit, reçoit la visite du curé qui la persuade de bien vou-loir léguer son argenterie à lui-même et à son frère 47. Cette dernière accepte de signer le billet de donation désignant le prêtre comme seul et unique héritier en omettant de citer son propre frère. En plus de s’être attribué une partie du patrimoine de la malade, il a visité les coffres et armoirs qui ÿ estoint comme s’il en estoit le maitre 48 et il a transporté hors de la maison plusieurs effects scavoir, une montre, un chandellier d’argent et autre pieces sans la participation nÿ la connoissance de laditte Marie Catherine Bertrand 49. Ce triste tableau n’est qu’un cas de duperie parmi d’autres. Malgré ces excès fréquents, il demeure néanmoins des individus honnêtes qui ne tirent pas profit des présents trop généreusement cédés par des imbéciles 50.

_______________________ 44. Sondit pere l’aÿant mis chez ledit deposant a l’age de 7 année pour aprendre a coudre aupres de sa femme ne luÿ scavait rien faire

comprendre outre que le plus souvent elle se negligoit (A.É.N., E. C. N., n° 8590, f° 7r). 45. GODDING (Ph.), Le droit privé dans les Pays-Bas méridionaux du XIIe au XVIIIe siècle…, p. 82. 46. Ledit Jean Roland s’étoit ruiné par les donations qu’il avoir faites a diverses personnes (A.É.N., E. C. N., n° 11028, f° 7r). 47. Il se mit a se plaindre a elle, de ce quelle n’avoit pas reconnu son frere par son testament qu’elle avoit fait pendant la nu it et que

comme elle avoit une belle argenterie elle devoit la luÿ laisser a son frere (A.É.N., E. C. N., n° 9910, f° 4v). 48. Ibid., f° 5r. 49. Ibid., f° 5r. 50. Jean Roland leur avoit offert en divers tems de leur donner tous ses biens mais la plupart […] on refusé cette offre (A.É.N.,

E. C. N., n° 11028, f° 7r).

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L’insensé, objet de dérision

Les moqueries et les plaisanteries font partie du quotidien de l’imbécile d’es-prit. Déjà au Moyen Âge, les Fêtes des Fous faisaient de lui une attraction de pre-mier choix 51. Il en va de même aux Temps Modernes, époque durant laquelle l’insensé est inévitablement la cible de railleries. Les enquêtes judiciaires abon-dent d’exemples à ce sujet. Entretenant des contacts réguliers avec des per-sonnes extérieures, le déficient intellectuel est d’ailleurs publiquement reconnu en tant que tel. Fréquemment, des personnes peu scrupuleuses se jouent de lui et de surcroît l’avouent au gré de leur témoignage devant les conseillers. L’une d’elles s’est d’ailleurs vantée qu’elle a souvent fait croire audit Jean Roland les choses les plus ridicules et les plus absurdes pour s’en amuser et que celui- ci se mettoit au devoir de les exectuer 52. Imitant leurs aînés, les enfants jouent également à ridiculiser et à agiter les malades de l’esprit. Un témoin affirme avoir remarqué que les petits garçons du canton se mocquoients dudit Jean Roland et l’agassoient de differentes manieres, soit en le tirant par les cheveux, soit autrement en l’escortant d’un endroit a l’autre en criant apres lui ou en le bourant d’un coté ou d’autre 53. Plus curieux, ce même individu confirme les propos puisque lui-même a participé à ces moqueries et n’en

ressent aucune honte apparente 54. L’absence de reconnaissance de la maladie mentale peut en partie expli-quer le comportement moqueur et irrespectueux des gens à l’égard des insensés. Ils ne sont pas considérés comme des personnes handicapées ; on n’éprouve donc aucun scrupule à rire d’eux, on ne se soucie pas non plus des réactions qu’ils pourraient engendrer en réponse à ces gestes et paroles désobli-geantes. Tandis que les enfants se moquent de la faiblesse d’esprit dans le but de s’amuser, les adultes quant à eux, le font souvent avec une mauvaise intention en tête.

Romy GOUVERNEUR

_______________________ 51. MINOIS (G.), Histoire du rire et de la dérision…, p. 302. 52. A.É.N., E. C. N., n° 11028, f° 3r. 53. Ibid., f° 10v. 54. Ce déposant nous aiant déclaré d’autants mieux le scavoir qu’il a quelques fois accompagné ces enfans pendant qu’il poursuivo ient

ledit Jean Rolland (Ibid., f° 10v).

J.H. FÜSSLI, La folie de Kate, 1806-1807 (reproduit dans ECO (U.), sous la dir. de, Histoire de la laideur, Paris, 2007, p. 310).

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ANNEXE : Enquête judiciaire effectuée pour Martin Hubert demandeur contre Henri Bruaux, 3 janvier 1732 (ARCHIVES DE L’ÉTAT À NAMUR, Enquêtes judiciaires du Conseil provincial de Namur, n° 9573, f° 4v, 5r).

Theodore Martin, proprietair a Bioulx, agé de 49 ans, juré et examiné comme les tesmoins precedans.

Sur l’article 89 de l’escrit de memoire du produisant, autant bien que sur tous les articles de l’escrit de faits servÿ pour purger la presente interlocutoire de la cour en datte du 23 septembre 1731, at déposé qu’il connoit parfaitement bien la nommée Marie Hubert. Et qu’il l’at toujours regardé pour une fille simple d’esprit veu que si elle n’avoit pas une sœure pour prendre soin d’elle, pour recoudre ses habits et la netoÿer, elle les laisse-roit aller tous en lambeaux sans se donner la peine nÿ d’avoir l’esprit dÿ mettre un point d’esquille. Disant de plus qu’elle commet quantités d’extravagances scavant qu’elle s’est une fois jettée dans le ruisseau qui passe audit Bioulx et qui traversse même une des prairies de ce deposant. Ainsy qu’il at ouÿ dire par plusieurs personnes même de celles quil (sic) l’ont retiré de l’eau (au recto). Et at adjoutté pour circonstance que laditte Marie Hubert a esté a son service en qualité de vachere pendant l’espace d’un an passé environ 13 ou 14 ans et que pour lors il at plusieurs fois remarqué qu’elle estoit tres salle et négligée dans ses habits, capricieuse et ridicule dans ses manieres veu qu’elle est sortÿ deux a trois fois du service et y rentrée de meme. Et que par fois, quand ce deposant se prenoit a la loüer pour rire, disant qu’il nÿ avoit personne qui fut plus vailliante que Marie, elle se mettoit en train et travailloit comme une perdue. Qu’est ce qu’il scait et recole sur son certi-ficat en datte du dernier de l’an 1731 at dit dÿ persister autant bien qu’en la présente déposition apres lecture luÿ en faite et at signé

Theodore Martin

SOURCES A.É.N. = ARCHIVES DE L’ÉTAT À NAMUR C. N. = Conseil provincial de Namur E. C. N. = Enquêtes judiciaires du Conseil provincial de Namur E. j. = Enquête judiciaire

▪ E. j. effectuée pour Jacques Bourgeois, demandeur contre les curés et mambours des pauvres de la

paroisse Saint-Jean-Baptiste à Namur, 11, 23, 24, 30 octobre, 13 novembre, 3 décembre 1703, dans A.É.N., E. C. N., n° 8590.

▪ E. j. effectuée pour Antoine Grutman et consorts, demandeurs contre Guisbert Joseph Malherbe,

14, 19, 20, 22 octobre 1716, dans A.É.N., E. C. N., n° 9050.

▪ E. j. effectuée pour André le Bidart, demandeur contre Jacques François Bernard de Bulloy, 13, 20,

27 septembre, 31 octobre 1718, dans A.É.N., E. C. N., n° 9114.

▪ Etiquet adressé au conseiller Mahy par Anne Schonhove d’Arschot au sujet du baron d’Argenteau,

son époux, 22 avril 1721, dans A.É.N., E. C. N., n° 9208.

▪ Lettre d’Anne Schonhove d’Arschot et de sa famille, adressée au C. N. pour l’internement du

baron d’Argenteau, 27 juin 1721, dans A.É.N., E. C. N., n° 9208.

▪ Requête d’Anne Schonhove d’Arschot adressée au C. N. au sujet du baron d’Argenteau, son

époux, 10 mai 1721, dans A.É.N., E. C. N., n° 9208.

▪ Vérification sommaire au contenu des etiquet et requête d’Anne Schonhove d’Arschot adressée au

C. N. au sujet du baron d’Argenteau, son époux, 15 mai 1721, dans A.É.N., E. C. N., n° 9208.

▪ E. j. effectuée pour Albert Laurent de Heusch, demandeur contre Guillaume Nicolas de Heusch

son frère, 19 juillet, 9, 11, 12, 21, 23, 31 août, 13-15 septembre, 2 octobre, 2, 5 novembre 1728, dans A.É.N., E. C. N., n° 9474.

▪ E. j. effectuée pour Jean Guillaume de Heusch, demandeur contre Albert Laurent de Heusch et

consorts, 15, 25 février, 8, 11, 14, 15, 21 mars, 2 avril, 10 mai 1729, dans A.É.N., E. C. N., n° 9492.

▪ E. j. effectuée pour Martin Hubert, demandeur contre Henri Bruaux, 3 janvier 1732, dans A.É.N.,

E. C. N., n° 9573.

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▪ E. j. effectuée pour Anne Leclercq, demanderesse contre François Ory, Jacques Ory et Stassin du

Vivier, 25 février, 15 mars 1738, dans A.É.N., E. C. N., n° 9778.

▪ E. j. effectuée pour Henry Hucorne et Jeanne Pieret, demandeurs contre le curé de Lincen, 9 août,

19, 6, 30 septembre, 3 octobre 1744, dans A.É.N., E. C. N., n° 9910.

▪ E. j. effectuée pour Philippe Thomas Louis, demandeur contre Jeanne Françoise Lemercier, 1er, 7,

9, 10, 16, 18 février, 16 mars, 12 avril 1747, dans A.É.N., E. C. N., n° 9971.

▪ E. j. effectuée pour Jean François Nicolas Lecocq, demandeur contre la veuve de Lambert Pirmé,

20, 21 novembre 1752, dans A.É.N., E. C. N., n° 10127.

▪ E. j. effectuée pour Charles Alexis Lambert, demandeur contre Michel Toisoul, 1er, 10, 22,

31 octobre, 8 novembre 1788, dans A.É.N., E. C. N., n° 11028.

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UN PAQUEBOT NOMMÉ NAMUR

Dans son édition du 19 mars 1906, L'Ami de l'Ordre, le journal le plus lu à

Namur, annonçait à ses lecteurs comme « une sympathique curiosité », le lan-cement prochain de quatre nouvelles unités par la Peninsular and Oriental Steam Navigation Company de Londres. L'une d'entre elles, enregistrée au Yard sous le n° 310, serait baptisée NAMUR et serait la seule, sur les mers du monde, à porter ce nom. Les trois autres s'appelleraient NILE, NORE et NYANZA. Un important chantier écossais, le Caird and Company, à Greenock, sur la Clyde, était chargé de la construction.

Un beau petit navire

Un beau navire jaugeant 6620 tonnes dont les dimensions étaient les suivantes : 137,25m de long, 15,36m de large, 10,54m de profondeur tandis que la passerelle du commandant s'élevait à 18m au-dessus de la quille. Il était doté d'un pont-promenade couvert qui courrait autour du pont supérieur sur le toit duquel était aménagé, semble-t-il, un lieu de détente entre les barques de sauvetage et les manches à air. Il était conçu pour transporter confortablement 51 passagers de première classe et 40 de seconde. En outre, il pouvait charger 7.539,076 T de fret et 1.595,195 T de charbon. Alors que beaucoup de bateaux arboraient des cheminées supplémentaires factices, c'était un vapeur qui dédai-gnait ce « tape à l'oeil », se contentant d'une seule cheminée et sa machine d'une puissance de 4500 chevaux lui permettrait d'atteindre une vitesse de pointe de 14 noeuds soit 25,928 Km à l'heure. Même quand la mer était bonne, la navigation à vapeur restait lente par rapport aux vitesses ferroviaires, par exemple. Rappelons que le PARIS, qui était en 1921, le plus grand paquebot construit en France, filait 22 noeuds (40,78 Km/h). Le célèbre NORMANDIE, près de 30 (55,56 Km/h), lui qui décrocha, lors de son premier voyage vers New-York en 1935, le « Ruban bleu », c'est-à-dire le trophée décerné au paquebot le plus rapide sur la ligne de l'Atlantique nord. Et c'était trente ans plus tard, période riche en progrès tech-niques. En fait, le NAMUR était un petit bateau. 90 passagers, toutes classes con-fondues alors que les mastodontes tels que le VATERLAND de la compa-gnie allemande Hapag, le LUSITANIA de la Cunard, et le TITANIC de la White Star Line, pour ne citer qu'eux, en transportaient entre 2.200 et 3.000 à la veille de la première guerre mondiale. L’Ami de l'Ordre remarquait d'ailleurs que le NAMUR « ne sera pas un navire pour gens pressés ». Affecté à la ligne du Japon, il faisait de nombreuses escales depuis Londres son port d'attache : Malte, Penang (Malaisie), Singapour, Hong-Kong et Yokohama notamment, citées par le journal. Comme on y chargeait et déchargeait, ce qui pouvait durer plusieurs jours, les voyageurs « qui aiment visiter les ports où ils font

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escales depuis Londres son port d'attache : Malte, Penang (Malaisie), Singa-pour, Hong-Kong et Yokohama notamment, citées par le journal. Comme on y chargeait et déchargeait, ce qui pouvait durer plusieurs jours, les voyageurs « qui aiment visiter les ports où ils font escale pourront le prendre en toute confiance ». Au total, il faudra au NAMUR pas moins de deux mois pour faire le trajet alors que les paquebots « malle-poste » qui, comme l'indique leur nom, transportaient le courrier, en mettaient moitié moins. Le tarif jusqu'en Chine et au Japon était de 50 livres en première classe et 35 en seconde, ce qui repré-sentait quand même une belle somme, respectivement 1.261,50 Frs et 888,05 Frs belges. À l'époque, une suite à l'Hôtel de la Citadelle à Namur valait 15 francs la nuit et un repas là comme dans les meilleurs restaurants de la ville 4 francs. Et le prix du billet de chemin de fer en 1e classe entre Namur et Dinant, 2 francs.

La compagnie

Il apparaissait au journaliste que le nom de Namur avait été choisi « vu les relations très suivies que la Compagnie, une des plus puissantes du monde, entretient avec la Belgique ». Cela flattait à coup sûr l'ego namurois car il n'y avait pas de MONS mais bien un MANTOUE ; la compagnie suivait sa tradi-tion en choisissant pour ses navires des noms géographiques dans l'ordre alphabétique : elle en était au M et au N. Et d'ajouter que « Sir Thomas Suther-land, le président de son conseil d'administration, n'est d'ailleurs pas un incon-nu dans la haute société belge, qui, l'été passé encore, eut le plaisir de le rencontrer à Ostende où il fit un séjour prolongé.» Depuis 1904, le casino

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d'Ostende était dirigé par le jemeppois Georges Marquet 1 qui avait été un moteur de la vie mondaine namuroise. Ceci expliquerait peut-être cela. Thomas Sutherland (1834-1922 (?)), l'un des fondateurs des places ban-caires de Hong Kong et de Shangaï, conserva la direction de la Peninsular and Oriental Steam Navigation Company pendant 42 ans. Cette compagnie maritime, fondée en 1822, se spécialisa d'abord dans le commerce devenu traditionnel entre la Grande-Bretagne et l'Espagne ainsi que le Portugal, sous le nom de Peninsular Steam Navigation Company. À partir de 1840, la ligne s'étendit à l'Égypte et aux pays de la Méditerranée orientale, cinq ans plus tard à la Malai-sie et à la Chine, ce qui justifia l'ajout du mot Oriental à sa raison sociale, abré-gée en P&O. Quant à ses couleurs, qui ornent sa cheminée et flottent à sa poupe, ce sont celles du Portugal (bleu et blanc) et de l'Espagne (rouge et or) concédées à la Compagnie par leurs souverains respectifs pour les services rendus pendant les révolutions de 1830. La P&O a pris une expansion con-sidérable dans le monde entier à la suite d'achats ou de fusions, diversifiant ses activités maritimes et reconvertissant sa flotte principalement en ferries ou en bateaux de croisière.

Bateaux en guerre

La carrière du NAMUR fut relativement brève. Transformé pour les be-soins de la guerre, il fut touché par une torpille lancée par un sous-marin U-35 allemand et envoyé par le fond au large de Gibraltar le 23 octobre 1917. Le 19 juin 1940, un autre bateau de commerce (7463 t.), qui venait d'être vendu à la Société Maritime Anversoise et rebaptisé VILLE DE NAMUR connut le même sort au large de La Rochelle. Traversant l'Atlantique sans escorte, au départ de New York, il transportait des chevaux. Il fut attaqué par un U-52 et touché par deux torpilles. Le capitaine allemand avait pris les étables des chevaux pour les protections d'un chargement d'armes ! Sur les 79 hommes d'équipage, 25 perdirent la vie.

Bateaux de guerre anciens homonymes

C'est Josy Muller qui a attiré l'attention sur les navires de guerre français et anglais qui s'appelaient Namur 2. Une seule mention en France : une frégate attachée au port de Nantes, nommée VILLE DE NAMUR avait participé avec Le Vaillant à la capture de quatre bateaux anglais dont les équipages avaient été ramenés à Saint-Malo. L'historien namurois a retrouvé à la Biblio-thèque Nationale à Paris le rapport d'inspection médicale de ceux-ci daté du

__________________

1. F. JACQUET-LADRIER (dir.), Dictionnaire biographique namurois, numéro spécial du Guetteur

Wallon, 1999/3-4, p.167-168 (notice de F. Jacquet-Ladrier).

2. J. MULLER, Bateaux anglais et français appelés « Namur » dans Namurcum, Chronique de la Société archéologique de Namur,

t. 29, 1955, p.58-60. Reproduction anastatique dans Josy Muller, historien de la Wallonie, Le Guetteur Wallon, 2003, n°3-4, p. 155-157.

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13 octobre 1693 qu'il a publié. On n'en connaît pas plus, mais il est évident que le nom retenu est en rapport direct avec le siège et la prise de Namur par Louis XIV en 1692. Peut-être, le VILLE DE NAMUR fut-il débaptisé après la reprise de 1695 par les Alliés ? Jusqu'en 1833, la Royal Navy eut successivement trois vaisseaux de ligne nommés NAMUR. On sait peu de chose du premier, sinon qu'il fut construit par les chantiers Lawrence à Woolwich en 1697, aux lendemains donc de la victoire de Guillaume d'Orange et de ses Alliés et qu'il fut mis à la casse en 1723. C'était un voilier de second rang – le rang était déterminé par le nombre de canons – et il en comptait 90 de différents calibres. Il fut remplacé en 1729 par un deuxième NAMUR, construit à Deptford, sur la Tamise, avec les mêmes caractéristiques d'armement mais un peu plus petit. C'est sans doute la raison pour laquelle il fut ramené à 74 canons en 1745. Placé successivement sous les ordres du contre- amiral Thomas Mathews († 1786), du futur amiral Ed. Boscawen (1711-1761) 3 - qui tout jeune y avait servi comme lieutenant, puis du contre-amiral Anson (1697-1762), il participa à de nombreuses ba-tailles navales contre la France et l'Espagne, dans les eaux françaises, notam-ment au cap Sicié au large de Toulon, le 22 février 1744. Il portait le pavillon de Mathews et affronta le REAL FELIPE, échangeant bordées sur bordées plus dévastatrices les unes que les autres. Les 29 navires anglais eurent pour-tant le dessous ce qui permit aux Espagnols de quitter la baie où ils étaient pié-gés. En Espagne (Galice), à la bataille du cap Finisterre, qui vit cette fois la défaite de la flotte française, le NAMUR se trouva en position désespérée mais fut sauvé. Malheureusement, le 14 avril 1749, revenant de Fort St David, près de Cuddalore (Pondichery), il fut pris dans une violente tempête et sombra. 520 Officiers et hommes d'équipage périrent noyés. On compta une cinquan-taine de rescapés tandis que 70 blessés étaient recueillis dans un hôpital. Le troisième NAMUR fut construit à Chatham, dans le Kent, en 1756 ; armé de 90 canons, il fut par conséquent classé lui aussi de second rang comme les premiers. Dès 1757, dans le cadre d'une tentative de blocus des ports français, il participa à une expédition avortée contre Rochefort (France). Il essuya l'année suivante une saute de vent devant Portsmouth, qui faillit le faire couler, les vagues emportant les bouches à feu du pont supérieur. Au mois d'août, il perdit son mat de misaine et la partie supérieure de sa voilure lors d'une canonnade contre les Français devant Gibraltar. Sur les quinze bâti-ments engagés sous le commandement de Boscawen, c'est le NAMUR qui subit les plus grosses pertes : 13 morts et 44 blessés. Désormais, on va le re-trouver dans la plupart des batailles navales engagées contre les Français : en 1759, à la bataille des Cardinaux, au large de Quiberon, en 1782, à la bataille des Saintes, aux Antilles. Le 14 février 1797, il participe à la bataille du Cap

__________________ 3. Connu pour son manque d'humanité et de loyauté, il se rendit tristement célèbre en organisant la déportation

des Acadiens des îles Cap-Breton et Saint-Jean sur de très mauvais bâtiments dont beaucoup sombrèrent. Les survivants furent débarqués n'importe où en France et même en Angleterre (1758).

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des Saintes, aux Antilles. Le 14 février 1797, il participe à la bataille du Cap Saint-Vincent (Portugal), commandé par le futur amiral James Hawkins, baro-net de Whitshed (1762-1849), qui n'a alors que 20 ans. Celui-ci se distingue avec son NAMUR par une manoeuvre particulièrement habile qui empêche la prise du vaisseau de son commodore. Deux de ses marins sont tués et trois autres blessés dans l’aventure. Le NAMUR fait ensuite partie de l'escadre de l'Atlantique pendant les guerres contre Napoléon. Sa vie sera très longue pour un voilier de combat puisqu'il ne sera désarmé qu'en 1833. À moins qu'il n'y ait eu un quatrième NAMUR ?

Une série de timbres antillais rappelle la bataille du Cap des Saintes ; le NAMUR apparaît sur la vignette centrale

La bataille du Cap Saint-Vincent

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Comme l'écrit très justement Josy Muller 4, « on pourrait en [des NAMUR] retracer toute l'histoire puisque les archives de Grande-Bretagne conservent les livres de bord des officiers annotant les grands comme les menus faits de leur vie aventureuse ». Nous n'y avons pas eu évidemment recours mais bien à certains sites Internet 5 détaillant avec plus ou moins de précisions les « carrières » des différents NAMUR. Leurs aventures relèvent de l'histoire ma-ritime de la Grande-Bretagne.

Aujourd'hui un NAMUR, pétrolier géant appartenant à Euronav et battant pavillon français, maintient la tradition du nom et navigue sur les mers du monde, aux côtés d'un FAMENNE, d'un FLANDRE, d'un PROVENCE, d'un ARTOIS notamment. C’est un navire long de 332,95 mètres d’une capa-cité de 298.552 tonneaux. Souhaitons-lui « bon vent ! ».

Françoise et (†) Philippe JACQUET-LADRIER Rue des Ravins, 6

5100 WÉPION

__________________ 4. Op.cit. 5. Les renseignements trouvés le furent parfois par des détours étonnants. La base est néanmoins constituée par

www.ageofnelson.org/MichaelPhillips/liste ; www.cybercruises.com/p&ohistory. htm ; www.simplonpc.co.uk/PO_Liners2.html ,d'où provient la carte postale représentant le NAMUR

Pour en savoir plus sur les paquebots : ▪ P.-H. MARIN, Les paquebots ambassadeurs des mers, Découvertes Gallimard, Techniques,

n°75, 1989. ▪ Sur l'histoire de la marine : la collection La grande aventure de la mer, éditée par Time Life

dans les années 1970, est une série de vulgarisation abondamment illustrée. Traduit de l'anglais, chaque volume est révisé par un spécialiste francophone.

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MIDAS OU LE COMBAT DE PAN CONTRE APOLLON SUR LA PRISE DE NAMUR, D’EUSTACHE LE NOBLE

Un personnage singulier

C’est à la plume d’Eustache Le Noble que l’on doit ce Midas ou Le combat de Pan contre Apollon, sur la prise de Namur édité à Paris en 1692. Cet opuscule raris-sime de 23 pages est conservé à Cambridge, mais la Bibliothèque Nationale de France en offre au public une copie numérisée. Singulier personnage que cet Eustache Le Noble (1643-1711), baron de Saint-Georges et de Tenelière, historien, physicien, astrologue, littérateur sur-tout, précurseur de Sade ou Restif de la Bretonne dans la lignée des auteurs doués, prolifiques et quelque peu débauchés. Le philosophe Pierre Bayle, son contemporain, lui trouvait infiniment d'esprit et beaucoup de lectures ; il sait, écrivit-il, traiter une matière galamment, cavalièrement ; il connaît l'ancienne et la nouvelle philoso-phie. Est-il ainsi vraiment étonnant que quantité d’études aient tenté de cerner sa personnalité 1 ? Si Le Noble connut les cachots du Châtelet et de la Conciergerie, ce ne fut pourtant pas pour les pamphlets et satires dont il s’était fait une spécialité, mais plus prosaïquement pour malversation : il était accusé de faux en écriture commis pour échapper à ses créanciers. C’est que la débauche coûte cher, et l’homme avait des dettes que la revente de sa charge de procureur général à Metz n’avait suffi à éponger. En prison, il rencontra Gabrielle Perreau, dite La belle Épicière, que son mari avait fait enfermer pour ses désordres : ce fut le grand amour ; enceinte, la dame accoucha dans un couvent et Le Noble s’éva-da pour l’y rejoindre. Les amants se cachèrent à Paris, furent repris après trois ans, mais la prison n’ôta pas sa joie de vivre à notre homme qui, de derrière les barreaux, continua à inonder Paris de libelles. Bien que banni du royaume pour neuf ans, il fut toléré à Paris à condition d’y vivre discrètement. Collabo-rateur du Mercure Galant, il publia sans cesse, gagnant beaucoup d’argent qu’il dilapidait en fêtes et plaisirs, si bien qu’en ses vieux jours, il vivait du louis d’or que Mr d’Argenson, garde des sceaux, lui donnait chaque dimanche ! Il mourut misérable, le 31 janvier 1711, et la fabrique d’église dut payer le convoi funèbre… Doué dans les genres les plus divers, du burlesque à la dissertation théolo-gique, d’une étonnante facilité d’écriture, Eustache Le Noble est surtout connu

_______________________ 1. Ainsi :

P. HOURCADE, Eustache le Noble et Saint-Simon, historiens de Rakoczi et de la Guerre des Mécontents, dans Cahiers Saint-Simon, n◦7, 1979, p. 15-25. P. HOURCADE, Entre Pic et Rétif, Eustache le Noble (1643-1711), Paris, 1990.

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comme auteur de vingt-neuf dialogues qui furent édités séparément de 1670 à 1691, et qui mettent en scène Pasquin et Marforio, deux personnages dans le genre d’Arlequin. Ces petits ouvrages, qui jadis se vendaient à bon marché et faisaient descendre la politique dans la rue, sont aujourd’hui recherchés des collectionneurs, qui se les arrachent à prix d’or : les 48 pages in-12° de Le cou-ronnement du Roy Guillemot et de la reyne Guillemette valent ainsi la bagatelle 600 euros ! Ces pasquinades sont prétextes à satire du clergé, du pape, de l’Église, sans compter princes et écrivains, mais le polémiste y sert avant tout la poli-tique de Louis XIV. Par le choix original de ses titres, par sa plume facile et imaginative, par son talent de vulgarisateur, Le Noble s’assura dans ces pièces un succès considérable. Les pages de titre, qui ne trompaient personne, por-taient des adresses d’imprimeurs fantaisistes dans tous les pays d’Europe : à Rome chez Francophile Aletophile, à Lisbonne chez Pierre L’Endormy, à La Haye, chez Guillaume L'Emballeur… Le Noble exerça aussi ses talents comme théologien, historien, romancier. S’il est l’auteur d’un Projet de loi ou d’ordonnance pour l'institution d’une magistrature militaire, on le voit composer poème burlesco-comico-tragique (sic) avec La Rapi-néide ou l’Atelier en 7 chants, par un ancien rapin des ateliers de Gros et Girodet. Ce touche-à-tout est aussi estimé des astrologues, qui lui doivent deux ouvrages importants, la Dissertation chronologique et historique touchant l’année de la naissance de Jésus-Christ (1693) et l’Uranie, ou les Tableaux des philosophes (1694-1697), un traité ambitieux en trois volumes, où il invite à partager sa vision de l’astrologie, dé-barrassée à la fois des préjugés du rationalisme et de la superstition. Il écrivit jusqu’à des contes de fées, L’Apprenti magicien et L’Oiseau de vérité, où, comme Charles Perrault, il tenta de réconcilier la tradition orale et le style littéraire classique. Et quand enfin parurent anonymement les Histoires Galantes et Co-miques ou Les Privileges du Cocuage, dialogue spirituel et gai entre un jaloux et un mari qui n'a plus rien à craindre, qui en a pris son parti et qui s'en trouve bien, chacun crut reconnaître la plume légère de notre libelliste.

Haro sur Guillaume d’Orange !

En 1692, Eustache le Noble se fit donc à son tour courtisan en sacrifiant à la flagornerie ambiante pour composer cette pièce de circonstance. On connaît bien sûr dans le genre l’Ode sur la prise de Namur de Boileau et la Relation de ce qui s’est passé au siège de Namur de Racine, toutes deux à la gloire du Roi Soleil et écrites, il faut en convenir, d’une plume plus inspirée. Ce haut fait des armes françaises inspira bien des écrivains 2 et fit fleurir à Paris de nombreuses chan-sons ; R. Pinon 3 en a transcrit quelques-unes dans son étude parue naguère dans cette revue. Les thèmes en sont constants : d’un côté la gloire de Louis XIV, de l’autre la prudence extrême du prince d’Orange.

_______________________ 2. M. GILLES, Les sièges de 1692 et 1695 vus par les écrivains, in P. & F. JACQUET-LADRIER (sous la direction de),

Assiégeants et assiégés ay cœur de l’Europe Namur 1688-1697, p. 74-106, Bruxelles, 1992. 3. R. PINON, La prise de Namur en chansons historiques, dans Le Guetteur Wallon, 2004-2, p. 44-53 et 2005-1, p. 4-18.

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Chantons tous la Valeur du grand Prince d’Orange Il n’est point de Guerrier si Prudent aujourdhuy Jamais le Bras ne lui démange Que quand ses Ennemis sont éloignés de luy.

Le Noble n’eût certes pas désavoué les vers de cette chanson anonyme, publiée dans l’Alma-nach Royal gravé par Landry. Peut-être même en est-il l’auteur ? L’esprit de la pièce est bien dans son style, comme l’alternance d’alexandrins et d’octosyllabes, on y trouve la même allusion aux cent mille témoins de la couardise de Nassau et on le sait familier des almanachs…

Moins qu’une ode à la gloire de Louis XIV, vainqueur de Namur, la plus forte place du monde, le Combat de Pan contre Apollon est en effet une satire moqueuse de Guillaume d’Orange et de lui seul : son allié Maximilien-Emmanuel de Bavière est épargné, puisqu’il y passe pour avoir dans les veines un sang chaud et généreux. Guillaume III méritait-il ces moqueries, lui qui ne porta en effet nul secours à Namur assiégée ? N’oublions pas qu’il ne prit position sur la Mé-haigne que le 8 juin, après avoir eu l’assurance de la victoire navale de La Hougue, qui levait la menace sur l’Angleterre ; à ce moment, la ville était déjà tombée et le siège de la citadelle était bien entamé. On sait aussi que l’impor-tante armée d’observation conduite par le maréchal de Luxembourg couvrait le siège, protégée par les lignes, longues de cinq lieues, qu’avaient creusées 20.000 paysans ; une entreprise de dégagement de la ville était donc hasar-deuse. Et s’il est vrai que l’Histoire donne raison aux vainqueurs, comment critiquer ce prince, qui reprit d’ailleurs Namur trois ans plus tard, et qui, simple stathouder de Hollande, parvint en une vie somme toute assez brève à s’assurer le trône d’Angleterre sans verser une goutte se sang puis, par d’ha-biles alliances, à faire échouer les volontés d’hégémonie du Roi Soleil 4 ?

Le jugement de Midas L’épisode mythologique qui sert d’argument à l’ode est bien connu. Le dieu Pan poursuivait la nymphe Syrinx, que son père, pour la sauver, transforma en roseaux. Pan en coupa les tiges, de la plus petite à la plus grande, pour garder un souvenir de son amour : ainsi naquit la flûte dont il se mit à jouer partout. Flatté par les éloges, il devint si fier qu'il osa défier Apollon en un concours. Chacun jugea que la lyre de ce Dieu l’emportait sur la Flûte de Pan, à l’excep-tion de Midas le roi de Phrygie. Pour le punir et marquer sa stupidité, Apollon l’affubla d’oreilles d’âne. Il tenta de les cacher sous le large bonnet en usage

_______________________ 4. Sur la personnalité de Guillaume III, on se référera à P. & F. JACQUET-LADRIER, Le roi Guillaume III d’Orange ou la

résistance à Louis XIV (1672-1702), in J. TOUSSAINT & A. VERBRUGGE (sous la direction de), Un cabinet, un roi, une ville, p. 86-112, Namur, 2004.

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dans sa patrie, mais son coiffeur découvrit le secret ; celui-ci crut bien faire en creusant un trou pour enterrer à tout jamais une telle honte, mais une touffe de roseaux sortit de terre et répéta à tout vent la phrase fatidique : le roi Midas a des oreilles d’âne… La joute ici met aux prises Pan, dont les sifflets célèbrent le singe des Cé-sars et Apollon, qui de sa lyre chante la gloire du sage Louis, paré de toutes les vertus de piété et de courage ; le nom du roi est comme il se doit partout écrit en lettres capitales. Au sot Midas, affublé d’oreilles d’âne, Le Noble assimile tous les sots auteurs et lâches flatteurs ; cela ne manque pas de piquant si l’on songe qu’il devait y avoir en 1692 assez peu de poètes assez fous pour célébrer les mérites du prince d’Orange ! On serait tenté de subodorer une perfidie du spirituel libelliste envers des collègues aussi flagorneurs que lui, si l’on ne con-naissait sa délicate position à Paris. L’opuscule fut imprimé chez Jouvenel et Mazuel, les deux éditeurs habi-tuels de Le Noble, et ce dès 1692 comme l’indique la page de titre, mais sur la fin de l’année car il y est fait allusion au bombardement de Charleroi. Sans doute le travail fut-il mené dans l’urgence : non seulement la qualité d’impres-sion est très médiocre, mais on y relève des erreurs typographiques et il manque apparemment des mots dans la première phrase, référence obscure à un almanach ; sans doute était-ce alors à qui sortirait le premier sa louange au grand roi. On notera aussi que l’exercice poétique ne constitue qu’une bonne moitié du libelle, puisque une longue introduction fait bonne mesure, truffée de citations. Nous le reproduisons in extenso ci-dessous, en lui appliquant seule-ment l’orthographe et la graphie modernes.

Le jugement de Midas, pierre noire, lavis, plume, encre et rehauts de blanc Anne-Louis Girodet (1767-1824), Musée du Louvre.

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LETTRE de Mr LE CHEVALIER

D.L.H. A M. LE P. R.

Sur la Prise de NAMUR. Monsieur, Prendrez-vous une autrefois de mes Almanachs 5 ? Et n’ai-je pas eu raison de parier que le Prince d’Orange ne ferait qu’accroître devant Namur, la réputation qu’il s’était acquise l’an passé devant Mons ? Quand une raison plausible d’intérêt s’accorde avec notre inclination, les aiguillons de l’honneur sont bientôt émoussés. Le tempérament froid du Prince d’Orange l’incline naturellement à la conservation de sa chère per-sonne : et quoi qu’en disent ses adorateurs, je ne m’en dédis point, il ne se battra ja-mais que ses Alliés ne l’y forcent malgré lui, & trop d’actions différentes ont justifié l’application que le lui ai faite de ces deux vers de Molière.

Je ne suis point battant de peut d’être battu, Et l’humeur débonnaire est ma grande vertu. 6

À cette inclination naturelle se joignait une raison terrible, qui est qu’une bataille en-tière perdue lui ôtait toute ressource, et qu’ayant avec lui toutes les forces des trois Royaumes qu’il a usurpés 7, et qu’il ne retient que par la crainte qu’il imprime aux peuples, les Anglais ne manqueraient pas de secouer le joug d’une tyrannie violente s’ils le voyaient battu. Je sais bien que cette raison n’aurait rien valu sur l’âme d’un Alexandre, d’un César, d’un Hannibal, ou de tout autre qui l’aurait de la trempe de ces grands hommes ; mais sur celle du Prince d’Orange, je prévoyais bien qu’elle prévaudrait sur les vigoureux conseils que le sang chaud et généreux qui coule dans les veines du Duc de Bavière pourrait lui inspirer. Les choses se sont donc passées comme vous savez que je les ai prévues, et quoique depuis il se soit fait battre à contretemps, je n’ai point été trompé lorsque j’ai su que toute l’Europe a vu avec un merveilleux étonnement, qu’un Prince qui avait besoin d’une action vigoureuse pour réparer la honte que le spectacle de la prise de Mons à sa vue lui avait causée ; qui avait promis avec tant de certitude qu’il aurait sa revanche si on était assez hardi pour attaquer la moindre place devant lui, qui avait sous ses drapeaux la plus nombreuse et la plus florissante armée que la Ligue ait encore mise sur pied ; qui n’avait point comme à Mons l’excuse de la surprise dans un temps desti-né au repos des troupes ; qui ne pouvait jamais désirer une action plus glorieuse de donner une bataille, dont la perte même lui aurait fait alors tant d’honneur, que celle qu’il a donnée depuis a marqué d’imprudence, et qui savait de quelle conséquence était à la Ligue la perte de Namur, la plus forte place du monde, et la plus importante à son parti dans la situation des choses ; qu’un Prince, dis-je, ait méprisé toutes ces

_______________________ 5. Phrase incompréhensible à laquelle il manque quelques mots... 6. Vers de Sganarelle ou le Cocu imaginaire (1660) où Sganarelle, qui est dans cette comédie un bourgeois de Paris, croit

que sa femme le trompe et hésite sur la conduite à tenir. 7. Allusion à la glorieuse révolution, coup d’état qui chassa du trône le catholique Jacques II au profit de Guillaume III

et de son épouse et cousine Marie. Le prince d’Orange était donc pour les Français un usurpateur.

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raisons pour demeurer pendant un mois entier avec cent mille hommes les bras croisés et pacifique spectateur de sa prise. Je vous répète que je n’y ai point été trompé. Mais est-il possible qu’une action de cette léthargie guerrière ne détrompera point ceux qu’il a comme enchantés, et qui jusqu’ici n’ont pas vu le moindre effet de ses paroles ? Car la bataille qu’il a perdue à Tubize 7 et dont je vous parlerai l’ordinaire prochain, ne répare point l’affront de n’avoir osé se battre pour désassiéger Namur. Mais que voulez-vous, comme l’étoile du Roi est de prendre tout ce qu’il attaque, celle du Prince d’Orange est de laisser prendre tout ce qu’il vient secourir. Et c’est bien avec raison qu’une bonne plume qui m’est inconnue, vient de se servir du nom du Gouverneur de Charleroi 8 pour lui adresser ces vers.

Grand appui des peuples rebelles, Nous abuseras-tu toujours ? Tes mains faibles et criminelles, Portent malheur aux citadelles Dont tu veux tenter le secours.

En effet toutes les fois qu’il a voulu essayer de secourir quelque place, il a eu le mal-heur ou d’y être battu, ou de la voir prendre sans rien oser tenter.

Saint-Omer soutenait les efforts d’une armée, Nassau vole au secours de ce poste important, Il perd une bataille, et la ville alarmée,

Tout aussitôt se rend.

Bergue dans Mons était résolu de mourir, Peut-être plus longtemps eut-il pu se défendre :

Mais il fallut se rendre Dès que Nassau parut vouloir la secourir.

Barbançon dans Namur est plus fier qu’un Hercule, Tandis que Guillaume recule : Mais quand Guillaume ose approcher,

De même Barbançon tremble dans son rocher, Bat la chamade, et capitule.

La prise de cette place importante par Sa Majesté en personne, est accompagnée de circonstances si extraordinaires qu’il semble que la postérité pourrait douter de la vérité que nos Histoires en diront, si le Prince d’Orange n’avait amené cent mille té-moins irréprochables de sa honte et de la gloire du Roi. Tout semblait concourir à traverser le succès de cette entreprise, et ce n’était pas assez que toute l’Europe eut armé pour s’y opposer, il fallait encore que le Ciel même par une irrégularité extraor-dinaire de saison, fît tomber les pluies de l’hiver au solstice d’été : mais plus les obs-tacles sont grands et plus il y a de gloire à les vaincre.

_______________________ 7. Allusion à la sanglante bataille de Steenkerke, à dix kilomètres de Tubize, victoire à la Pyrrhus emportée par les

Français, attaqués par surprise le 3 août de la même année 1692 ; cet épisode, étudié par Clausewitz et conté par Voltaire, lança la mode de la cravate portée à la façon des princes qui, dans leur précipitation, n’avaient eu que le temps de se la passer autour du cou.

8. Allusion au sévère bombardement de Charleroi, du 15 au 23 octobre 1692. Lorsqu’ils entendirent la canonnade, les alliés rassemblèrent en effet quelques troupes près de Bruxelles, mais les dispersèrent ensuite, quand il compri-rent que l’objectif n’était pas le siège de la ville ; Charleroi fut assiégée et prise en octobre de l’année suivante. La bonne plume inconnue n’est sans doute que celle de Le Noble lui-même…

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Le nouvel Horace qui fait revivre sous le siècle de LOUIS LE GRAND, la pureté des vers de ce favori d’Auguste 8, me paraît avoir fort ingénieusement réussi dans l’Ode Latine qu’il vient de produire sur ce sujet, et dont un génie de distinction a fait cette traduction heureuse que vous serez sans doute bien aise de voir.

ODE Sur la Prise de Namur Traduite du Père Commire

Nassau, quelle est ta foi ? L’as-tu donc oubliée ? Trompe-t-on ainsi ses amis ? Et pour une Place alliée,

Sont-ce là les secours dès si longtemps promis ?

Si tu ne crains la honte attachée à ta fuite, Crains Bavière, et les ris piquants Dont il censure ta conduite,

Crains le débris entier des malheureux Flamands.

Pour secourir Namur tes conjurés en armes Se rangent sous tes étendards, Et pour suspendre leurs alarmes,

Tu jures qu’un combat sauvera ses remparts.

Vains discours, vains serments, ton adresse trompeuse Promet le combat que tu fuis Ta fourbe cependant heureuse,

Dérobe en le fuyant une palme à LOUIS ;

Oui, ne combattant point tu contrains ce Monarque À se contenter de Namur :

Cassel, champ pour toi de remarque, Te fait croire aujourd’hui ce chemin le plus sûr.

Nos neveux prendront-ils pour fable ou pour histoire Un succès si prodigieux ? À peine pouvons-nous le croire,

Nous qui comme témoins l’avons vu de nos yeux.

Des ondes de la Sambre et des flots de la Meuse Namur par tout enveloppé, Namur, citadelle orgueilleuse,

Qui semblait tout braver de son roc escarpé.

Namur que défendaient tant de fameuses têtes Prêtes de vaincre ou de mourir, Et que par d’affreuses tempêtes

En plein été l’hiver est venu secourir.

_______________________ 8. Vers de Jean Commire (1625-1702), jésuite, à la fois poète et théologien, réputé pour l’élégance de ses vers latins.

Il opposa ses épigrammes aux jansénistes et fut plus d’une fois dans ses fables l’inspirateur de La Fontaine : té-moin Le soleil et les grenouilles, traduite de vers latins de sa plume, qui cache une élégante attaque contre les Pro-vinces-Unies : Car si le Soleil se pique, / Il le leur fera sentir. / La République aquatique / Pourrait bien s’en

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Des foudres de Louis cette roche écrasée

A succombé sous sa valeur, Et soumis sa tête brisée,

Malgré tous ses remparts, au joug de son vainqueur.

Toi Déesse à cent voix que partout on écoute, De le publier prends le soin ; Et réponds, si quelqu’un en doute,

Que de ses propres yeux Guillaume en fut le témoin.

Je m’imagine que vous murmurez sur ce dernier vers, et que vous dites en vous-même que bien loin que la présence du Prince d’Orange immobile à la vue de cette attaque, puisse servir de témoignage à la vérité de cet événement ; c’est au contraire la seule circonstance qui pourrait la rendre incroyable. Que le Roi ait forcé Namur malgré tout ce que l’Art et la Nature avaient uni pour la rendre imprenable, ce n’est pas une chose qui surprenne, puisque jamais il n’a formé de siège qu’il n’ait emporté la place : mais que le Prince d’Orange n’ait osé avec une armée si puissante hasarder une bataille pour le désassiéger, c’est ce que la postérité ne voudra pas croire ; parce que cette postérité ne connaîtra pas ce Prince de la manière dont je le connais après l’avoir étudié depuis quatre ans avec application. Je ne vous parle pas des suites importantes d’une perte à laquelle les ennemis s’atten-daient si peu : je dis si peu, puisque vous devez savoir que la première nouvelle de ce siège ayant été portée au Prince d’Orange et au Duc de Bavière qui s’entretenaient de leurs projets, ce dernier dit avec une espèce de cri de joie : Bon, voilà où je les attendais. Et l’autre avec son froid mélancolique lui répondit : Et moi je ne les y attendais pas. Mais pour connaître ces suites importantes, il ne faut que jeter les yeux sur la carte, et voir Dinant et les autres frontières maintenant couvertes par cette place conquise, et sur la situation de Charleroi, de Liège, de Maastricht et de Bruxelles, pour com-prendre d’un côté l’avantage que cette conquête donne à la France, et de l’autre le désavantage que ses ennemis en pourront recevoir. Mais parmi l’abondance de tant de pièces différentes que le Parnasse a produites pour rendre à LOUIS LE GRAND les hommages que les muses lui doivent, souffrez que pour vous divertir un moment, j’y même le tribut que doit à ce glorieux succès une plume qui lui est entièrement consacrée. Vous y verrez par un juste parallèle dans le combat de deux divinités, le tableau du véritable et du faux héros ; de LOUIS toujours conquérant actif et de Guillaume toujours spectateur immobile des pertes de ses alliés.

Guillaume sans agir ne se fait pas de peine, De regarder LOUIS incomparable acteur : Un véritable roi triomphe sur la scène, Et le roi de théâtre en est le spectateur.

Lisez maintenant cette pièce dont je vous prétends régaler, et relisez-la deux fois pour en bien comprendre la force.

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MIDAS Ou

LE COMBAT DE PAN

CONTRE APOLLON, Sur la prise de Namur.

Le dieu Pan au boucquin museau, Ayant vu sa Syrinx convertie en roseau,

Pressé du feu qu’il a pour elle, Arrache la plante rebelle Dont il compose un chalumeau.

À ses faunes bientôt il en montre l’usage,

Et des airs ajustés sur l’instrument nouveau Fait retentir tout le bocage. Le souvenir d’une beauté Qui lui fut autrefois si chère, Et l’agrément qui d’ordinaire Accompagne la nouveauté, L’avaient tellement entêté, Qu’à toute force de Musique, Soit d’instrument, soit de chansons Il préférait les aigres sons De sa petite orgue rustique. Ce vice fut de tous les temps, Et si l’on en croit la satire, Les plus sots d’eux-mêmes contents,

Sont ceux le plus souvent qui pensent mieux écrire, Auteurs de bas aloi, vous sauriez bien qu’en dire. Un jour plus satisfait que jamais il ne fut

Des applaudissements qu’il eut De sa cohorte bocagère,

Il vit sous un laurier le brillant Apollon, Qui d’un archet subtil et d’une main légère,

S’égayait sur son violon ; À ce doux instrument sa voix était unie ;

Mais pour contrecarrer d’une si douce voix La délicieuse harmonie,

Pas de ses chalumeaux fit retentir le bois. Un bruit soudain s’élève, et la troupe s’offense Qu’à rompre son concert Apollon soit forcé : Mais loin qu’à Pan ce bruit impose le silence,

Toujours en sifflant il s’avance, Et joint enfin le Dieu dont le chant a cessé. Prince des chèvrepieds, lui dit alors Thalie, Dis-moi Pan, quelle est ta folie, De comparer ta voix à celle d’Apollon, En mettant ta musique et la sienne en balance,

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Mesurer avec arrogance Ton sifflet à son violon ? Oui, répond le dieu de village, Je prétends mieux chanter que lui,

Il faut qu’à mon sifflet sa lyre rende hommage, Je suis prêt à combattre, et s’il veut aujourd’hui. Taupe, dit Apollon, près de cette onde pure

Qu’on tende vite un pavillon, Et qu’entre nous quelque gageure

Nous serve outre l’honneur de fécond aiguillon. Ce n’est pas tout, il faut quelque juge équitable

De bon sens et de bonne foi, Franc, désintéressé, capable,

Et sans prévention ni pour toi ni pour moi. Eh mon Dieu ! dit Clio, dans le siècle où nous sommes, En trouve-t-on encor de tels parmi les hommes ? Pour moi j’en crois du moins le nombre fort petit. Bon, lui répliqua Pan, l’univers en regorge, Voyez le bon Midas, n’est-il pas tout esprit

Depuis les pieds jusqu’à la gorge ? Ah Pan ! répond Clio, vous ne connaissez pas

Sans doute le juge Midas, C’est un homme à courte lumière,

Insensible aux attraits que produit la vertu, Et dont l’âme toute grossière

Aime à voir sous ses pieds le mérite abattu. Mais il vous faut plus d’un juge,

D’un et d’autre côté nommez-en chacun six, Qui tous avec grands poids choisis,

Par un fameux arrêt terminent ce grabuge. Fort bien, dit Apollon, et de plus je consens Que Midas en soit un, malgré son petit sens,

Fût-il plus bourrique qu’un âne, Je le rendrai sensible aux douceurs de mes chants, Et ne crois pas qu’il me condamne. Mais que gagerons-nous ? Je mets ce gobelet,

Dit Pan, sur tous les miens je l’aime, Et n’en ai point dans mon buffet Dont l’ouvrage soit plus parfait,

C’est notre ami Vulcain qui l’a forgé lui-même. Voyez comme il a tout autour, Gravé dans la ville d’Augsbourg 9,

_______________________ 9. Comme on le sait, le siège de 1692 est un épisode de la guerre dite de la Ligue d’Augsbourg, qui opposa de 1688 à

1697 la France à une large coalition. Augsbourg, ville du sud de la Bavière, vit conclure en 1686 une alliance opposée aux empiètements de Louis XIV, qui comptait principalement l’Angleterre, Saxe, la Bavière, l’Espagne, les Pays-Bas, la Savoie et la Suède.

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Vingt princes assemblés pour signer une ligue, Voyez comme le chef de tous ces conjurés, Par les secrets ressorts de son adroite intrigue,

Y bride les confédérés. Et moi, dit Apollon, bien loin que je recule, Je veux bien pour gagner ce méchant gobelet,

Gager la meilleure pendule Que j’aie en mon cabinet.

Je l’aime d’autant plus qu’elle est mon propre ouvrage, Et que pour ornement j’ai fait graver dessus, Comme dans leurs projets tous ces ligueurs déçus, N’ont vomi jusqu’ici qu’une inutile rage, Contre un roi qui lui seul les a partout vaincus.

Les gages mis sur la verdure, Vous, Seigneur, dit Clio, chantez-nous de Louis, Devant le fort Namur les travaux inouïs ; Et toi Pan, de Nassau, la risible aventure.

Alors se turent les Zéphyrs, L’onde pour écouter étouffa son murmure, Et pour mieux prendre part à de si doux plaisirs, Les oiseaux attentifs, sans changer de posture,

Retinrent jusqu’à leurs soupirs. Tout prêtant un profond silence, Apollon se lève et commence Le combat ainsi concerté ; Et voici ce qui fut chanté.

APOLLON

Pour le plus grand des Rois ma lyre est préparée, Louis, unique objet de mes plus doux concerts, De ton nom glorieux je remplis l’univers, A tes hautes vertus ma voix est consacrée.

PAN

Chantez, les doux sifflets, le singe des Césars : L’adroit, l’ambitieux Guillaume, Peut être digne d’un Royaume, S’il craignait un peu moins qu’il ne fait les hasards.

APOLLON

La gloire des autels, la piété sublime Sont du sage LOUIS le soin le plus pressant. De l’enfer contre lui l’effort est impuissant Et sa foudre aux titans ouvre un mortel abîme.

PAN

Guillaume pour régner se rend maître des lois, Et la Ligue est sous sa férule ; Il sait sans le moindre scrupule Arracher la couronne aux légitimes rois.

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APOLLON

Rempart dont les abords sont les plus difficiles, Êtes-vous par LOUIS une fois attaqués, Il faut plier, jamais il ne vous a manqués, Tant il sait à coup sûr l’art de prendre les villes.

PAN

Guillaume nous faut voir bien plus d’humanité, Puisqu’il n’attaqua jamais place,

Qu’à ses remparts il n’ait fait grâce, Et le tout par un trait d’excessive bonté.

APOLLON

Pour parer à LOUIS en vain tu te travailles Ligue, sur son secret tes soins ont en défaut, Quand on le cherche au Rhin, il bat Gand sur l’Escaut, Mons est pris, qu’en Espagne on le croit à Versailles.

PAN

Si LOUIS en défaut sait mettre l’ennemi, Guillaume en bonnet comme en casque, Se cache toujours sous le masque, Et n’ose se montrer à son meilleur ami.

APOLLON

Mais, que dis-je, LOUIS avance vers la Flandre, Il marche à découvert, le bruit de ses tambours, Avant qu’il entreprenne avertit les secours : Non, Ligue, il ne veut point comme à Mons te surprendre.

PAN

Marchez avec Nassau, crédules alliés, De ce grand chef, suivez l’enseigne, Et vous verrez sur la Méhaigne 10 Comme il défend les murs qui lui sont confiés.

APOLLON

Namur se voit enceint d’une nombreuse armée, LOUIS en fait le siège aux yeux des ennemis, Où sont ces prompts secours que tu leur as promis ? Nassau tous tes projets s’en vont-ils en fumée ?

_______________________ 10. La petite rivière hesbignonne sépara en effet l’armée d’observation du maréchal de Luxembourg de celle de Guil-

laume III, qui prit position le 8 juin à hauteur de l’ancienne chaussée romaine. Il n’y avait cependant là nul mur à défendre. Sur le rôle de la Méhaigne et le rôle des alliés, voir G. BAURIN, Les sièges de Namur de 1692 et 1695 in P. & F. JACQUET-LADRIER (sous la direction de), Assiégeants et assiégés ay cœur de l’Europe Namur 1688-1697, p. 74-106, Bruxelles, 1992

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PAN

Cent mille combattants qu’à sa fuite il conduit, De Bruxelles gagnent Jodoigne, Ah ! S’il ne fait belle besogne, Soyez surs que du moins il va faire beau bruit.

APOLLON

Je vois sous les remparts double tranchée ouverte, Et par l’œil de LOUIS tous les travaux pressés, Ils sont si bien conduits et si tôt avancés, Que la ville forcée en sept jours voit sa perte.

PAN

Guillaume, tu parais enfin sur le ruisseau, À la Méhaigne on te fait tête :

Que Mars aurait vu belle fête Si ton feu ne se fût éteint dans un peu d’eau.

APOLLON

Aux efforts de Louis la ville ainsi rendue, La citadelle en vain croit arrêter son bras, De ses foudres lancés, les terribles éclats Écrasent les rochers dont elle est défendue.

PAN

Tôt donc, Guillaume, tôt range tes bataillons, Bavière qui cherche à combattre Fait près de toi le diable à quatre, Et le tout n’aboutit qu’à faire quatre ponts.

APOLLON

En plein jour tes Français d’une valeur sans bornes, Emportent à tes yeux un ouvrage important, Tel contre Acheloüs Hercule combattant, Pour vaincre le taureau rompit d’abord ses cornes.

PAN

Guillaume cependant se dérobe aux hasards, Et voit de loin la tragédie ; Mais sous son maître il étudie L’art de pouvoir un jour forcer quelques remparts.

APOLLON

Que vois-je ! Juste Ciel ! Quelles sont mes alarmes ! LOUIS qu’en t’exposant tu causes de frayeurs ! Ah ! Ne me donne plus ces affreuses terreurs, Et songe un peu combien tu coûterais de larmes.

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PAN

Anglais ne craignez point de voir par trop de cœur Succomber Guillaume le Prude, Vous avez moins d’inquiétude, Que pour ses propres jours lui-même n’a de peur.

APOLLON

Enfin devant Nasau Barbançon capitule, LOUIS a du château forcé tous les rochers, Vous perdez donc ces murs qui vous étaient si chers ? Tranquilles spectateurs, oh l’amère pilule !

PAN

Bruxelles que crains-tu, ton fort n’est-il pas sûr ? Et toi Louvain, et toi Liège, Ne craignez-vous point si tôt un siège, Guillaume songe à vous tandis qu’on prend Namur.

APOLLON

Pour le plus grand des rois ma lyre est préparée, LOUIS unique objet de mes plus doux concerts, De ton nom glorieux je remplis l’univers, A tes hautes vertus ma voix est consacrée.

PAN

Chantez, mes doux sifflets, le singe des césars : L’adroit, l’ambitieux Guillaume, Peut être digne d’un royaume, S’il craignait un peu moins les hasards. C’est ainsi que les dieux chantèrent, Et tous les juges décidèrent D’un suffrage unanime en faveur d’Apollon, Hors l’unique Midas, qui d’un cerveau fantasque, Leva seul contre tous effrontément le masque, Et traitant ce grand Dieu de jeune violon, De Pan et du pipeau rustique Porta jusqu’aux cieux la musique. On le siffle, il s’obstine, et de même qu’un sot Croit que quand bêtement il a dit quelque mot, Il est de son honneur de pousser la gageure, Ainsi le fut Midas, sans esprit, sans raison, De tous les assistants méprise le murmure, Et pour son sentiment jusques au bout tient bon. Je punirai bien ta sottise, Dit alors Apollon, et la postérité Par ton oreille longue et grise Apprendra ta stupidité.

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Il dit, et toi Midas soudain tu t’émerveilles De sentir tout à coup et dans un morne effroi, L’une et l’autre de tes oreilles S’allonger d’un bon pied de roi. D’un poil court et grison vêtues, Plus elles sortent loin plus elles sont pointues, Et dans un lâche mouvement. En un mot elles sont franches oreilles d’âne, Qui furent de tout temps et l’indice et l’organe D’un gros cerveau sans jugement. De semblables Midas, oh que la terre abonde ! Tous ceux qui sont adorateurs, Lâches féconds, amis flatteurs, Ou qui se rendent protecteurs Des faux héros, et sots auteurs, Sont autant de Midas au monde. FIN

Siège de la Ville et des Châteaux de Namur Juin 1692, gravure non datée, dessin de Vandermeulen et gravure de Aubert.

Marc RONVAUX Les Tiennes, 47

5100 WIERDE

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COMPTE RENDU

Jules Léonard, artiste-peintre et lithographe

Le 47e cahier du Cercle d’Histoire de Cerfontaine est consacré à l’artiste peintre et lithographe Jules Léonard, né à Silenrieux, près de Philippeville, en 1825 et mort à Valenciennes en 1897. Issu de la famille nombreuse d’un couvreur en paille, Jules Léonard entre en appren-tissage à l’âge de douze ans, en même temps qu’il de-vient élève aux Académies de Valenciennes. Malgré d’évidentes dispositions, sa formation se poursuit de façon relativement chaotique, faute de moyens, et le mène notamment à Bruxelles. Ses premiers travaux ont été remarqués lorsqu’il revient dans la ville de Valenciennes, en 1849, pour ne plus la quitter. Entouré d’amis, il y est très actif, gagnant sa vie comme décorateur, honorant de nombreuses

commandes tant pour la ville que les particuliers, mais laissant aussi une œuvre consi-dérable de portraitiste, peintre animalier, aquarelliste, lithographe et dessinateur. Homme indifférent au succès et aux bruits du monde, il mène une vie heureuse et laborieuse, malgré les chagrins. À quarante-cinq ans, il épouse sa nièce Maria-Léocadie, dont il a une fille. C’est au bras de celle-ci qu’il prend froid en 1897, au retour d’une soirée au théâtre de Valenciennes, et contracte la fluxion de poitrine qui l’emporte en moins de trois jours. Dans son œuvre abondante – 223 pièces sont mises en vente en 1898 – on peut distinguer son Médecin des pauvres (ci-dessous) scène sobre et noble, remarquable tant par la composition que par la justesse d’expression. En province de Namur, la série de ses toiles sur Les miracles de Notre-Dame de Walcourt décore la basilique du lieu. Les cahiers cerfontainois, dont celui-ci, peuvent être commandés au Musée de Cerfontaine (Tél. 071/644850 ou courriel [email protected]).

M.R.

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M. RONVAUX, D'or et de sable, roman historique, Bruxelles, 2008, éd. Jourdan, 444 pages.

D'or et de sable ! Un métal et un émail de teinte noire utilisés traditionnellement en héraldique. Couleurs combien symboliques ! La richesse, la puissance d'un côté, la douleur, le deuil de l'autre. Ce sont celles qui sont prêtées ici, non sans vraisemblance, à Henri comte de Namur qui régna de 1136 à 1196 et dont la longue vie remplit de ses fracas le XIIe siècle, depuis Paris jusqu'aux villes impériales allemandes. Elles correspondent bien au personnage tel que l'Histoire en a gardé le souvenir. Héritier de cinq comtés, Namur, Durbuy, Laroche, Luxembourg et Longwy, avoué des abbayes de Saint-Maximin de Trèves et d’Echternach, mêlé aux conflits féodaux et à la lutte contre l'Église impériale, il rêva d'abattre ses puissants voisins et d'agrandir ses domaines à leur dépens. L'or. Incapable d'avoir un héritier, sinon une fille, Ernestine, lorsqu'il est déjà un vieillard, il vé-cut dans la hantise de disparaître trop tôt, abandonnant ses terres à un neveu. De com-

bats rangés en coups de main, il vit se réduire ses territoires comme peau de chagrin, se fit battre à Andenne par son pire ennemi, le prince évêque de Liège Henri de Leez, encourut l'excommunication et, entre autres problèmes de santé, perdit la vue, ce qui lui vaudra par la suite le surnom d'Henri l'Aveugle. Le sable.

Sur cette trame historique, M.R., qui n'est pas un novice en la matière, imagine un roman dans la bonne tradition des romans de chevalerie, avec batailles et guets-apens, sièges et prises de villes, tournois et réceptions, fêtes fastueuses ou simple vie domes-tique, ambitions, honneur, courtoisie, trahison, lâcheté. L'intérêt - réel - provient à la fois de la fougue avec laquelle l'action est menée et du cadre dans lequel elle se dé-roule. Pour recréer celui-ci, que ce soit Namur, la cour de Liège ou celle du Hainaut, les abbayes, les villes et villages, les forêts, les champs, les moulins ou les forges, M.R. a eu recours aux travaux des meilleurs médiévistes. Ce ne sont pas des décors de car-ton-pâte qu'il a plantés. Un soir, ils [ Henri et ses compagnons] firent étape dans un gros village nommé Chauvency, qui était agréablement campé au confluent de deux gros ruisseaux. Là comme ailleurs, c'était le temps de la moisson et ils regardèrent un moment travailler les paysans. Dans la moite chaleur du soir, torse nu et vêtus simplement d'un caleçon, deux hommes battaient le blé ; ils levaient et abaissaient leur fléau en cadence, alternativement, dans un mouvement bien réglé, et le grain jaillissait des gerbes liées dans une envolée de poussière et de balles légères. Une femme assem-blait le froment éparpillé à l'aide d'un balai de genêts, tandis que d'autres le passaient au van, large panier d'osier tressé et ouvert sur un côté. La récolte s'entassait alors précieusement dans des sacs de toile, blés noir et blanc mêlés car l'un craignant l'humidité et l'autre la sécheresse, on les semait sou-vent ensemble pour assurer une récolte quoi qu'il advînt. Le seigneur du lieu les reçut avec grande

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cordialité. C'était un rustaud, poilu jusqu'aux yeux, nippé comme ses paysans : on ne l'en distin-guait que parce qu'il criait plus fort qu'eux, et que ses gens filaient droit devant lui, semblant toujours redouter quelque coup. [....] En l'honneur de ces jeunes gens venus pour lui d'un pays si lointain que Rome ou Jérusalem, il fit tuer un porcelet ; il fit venir au festin le curé et le meunier du village, et tous y firent grand honneur, nullement dégoûtés par la graisse qui coulait dans la barbe de leur hôte, mêlée aux débordements d'un vin dont la rudesse n'était pas sans rappeler celui de Buley aux mauvaises années (p. 73-74).

Les personnages sont de chairs et de sang ; on les sent palpiter sous sa plume : Henri et ses compagnons viennent de tuer une génisse, la prenant dans leur inexpé-rience pour un cerf de la forêt d'Ardenne. Une paysanne accourait déjà, levant les bras au ciel. Elle sursauta devant ces cavaliers sortant de l'ombre du bois, eut un mouvement de recul malgré le tourment qu'elle avait de sa taure. C'est que des gens, qui à cette heure, sortaient du bois comme des diables, ne pouvaient amener qu'infortunes, voler, violer, tuer peut-être. En avait-on connu de ces sacripants sans foi ni loi qui faisaient le malheur des paysans ! Et des hommes armés pouvaient-ils être autre chose que des pillards ? (p. 59). Avec leurs soucis accrus par les obligations qui leur étaient imposées : c'est que trop d'enfants naissaient, vivaient surtout, et comment nourrir toutes ces bouches, sinon en gagnant sur des terres incultes qui jusque-là n'intéressaient personne mais suscitaient convoitise une fois défrichées ? Toujours ils avaient connu le ban, l'obligation de cuire leur pain au four de leur seigneur, de brasser l'orge en sa chambre (brasserie), de presser le raisin en son stordoir, mais la généralisation des moulins à eau leur faisait maintenant perdre aussi une part du grain qu'on les forçait à y moudre ; certains avaient grondé, broyé leur épeautre en cachette et l'on avait vu des meules brisées et fichées au mur des récalcitrants. Partout, Henri entendait les mêmes doléances et se disait que le monde était décidément mal fait pour que la richesse y soit si rare et toujours entre tous disputée. La nature pourtant semblait tout donner à profusion : on avait goûté myrtilles, fraises des bois, mûres et groseilles. (p. 189).

Avec la guerre omniprésente. Guerres de proches voisins : sans doute de petits seigneurs du comté s'étaient-ils agités, se disputant par les armes la possession de quelque vague éten-due de bruyères ou de marais, bataillant pour les beaux yeux d'une princesse de village fleurant bon le purin (p. 25). Guerres entre les princes, plus sanglantes sans doute car plus d'hommes se trouvaient en présence : des hommes se lançaient vers les bois qui couvraient le flanc abrupt de la colline, d'autres, qui savaient nager, se jetaient dans la Meuse glacée pour gagner l'autre rive. Certains même n'hésitèrent pas à passer en courant devant leur comte pour reprendre le chemin de Namur. Avec quelques-uns de ses vassaux campant alentour, avec son neveu Albert de Rethel aussi, qui le suivait comme une ombre, Henri se lança dans la mêlée et frappa ceux qui lui semblaient être ses ennemis, car dans cette confusion de combattants sans armures et de chemises rou-gies de sang, on ne savait plus guère à qui l’on avait affaire. Ce fut en vain, il s'aperçut bientôt que la plaine s'était vidée, comme un bassin percé de trous se désemplit de son eau. Seuls restaient sur l'herbe d'Andenne, en grand nombre, les morts et les blessés (p. 243).

Henri est un être impulsif comme devaient l'être bon nombre de ses contempo-rains. La violence est généralement sa seule réponse aux conflits. Il se bat et se débat dans des situations impossibles qu'il a souvent créées malgré les avis de bons conseil-lers. Il est néanmoins capable de vivre des moments d'intériorité : il médite, la veille de son adoubement, au haut du château, sous les rayons de la lune : la ville, en bas, était endormie, serrée dans ses remparts étriqués, comme perdue au milieu de ces forêts dont l'immensité ondulait à perte de vue sur les collines environnantes, noires dans la nuit bleutée. Lui seul semblait veiller sur Namur. Il se sentait pris d'une affection immense pour ce pays si petit qui lui paraissait si grand parce qu'il n'en avait encore vu nul autre, parce qu'il était le sien aussi. Il pensait à ce que lui avait dit son père, à sa grandeur d'autrefois, aux espoirs qu'il portait en lui de la restaurer un jour. Il se fit intérieurement le serment de consacrer tous ses efforts à cette tâche. Sa vie durant, il se

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souviendrait de ses instants (p. 30). Une autre méditation, au terme de sa vie, répond à celle-ci : Le vieil Henri de Namur se retrouva plus seul qu'il n'avait jamais été. Tout cela pour rien ! Où donc la naissance tant espérée d'Ermesinde l'avait-elle mené ? En trois ans à peine, il avait perdu l'alliance et l'amitié de son plus puissant parent ; il avait perdu surtout Namur, ce pays et cette cité qu'il aimait tant et qui se trouvaient tous deux ruinés, pour se trouver cantonné au comté de Luxembourg, qui ne lui était sans doute laissé que parce que nul ne l'avait vraiment voulu. Quant à ce brillant mariage [celui d'Ermesinde] qu'il avait manigancé, il irait sans doute aussi bientôt à vau-l'eau , puisque le comte de Champagne [le fiancé] ne pouvait plus rien espérer. Il en fut abattu mais pas un instant il ne songea qu'il était responsable de ce désastre (p.399).

Il n'y a pas d'intrigue amoureuse. Henri considère ses épouses comme une nécessi-té dynastique. Laurette d'Alsace le quitta ; Agnès de Gueldre, victime typique des mariages d'État : grasse et blonde princesse, qui pouvait avoir vingt ans, ne comprenait pas la langue du pays et roulait des yeux effrayés sur ce monde pour elle inconnu (p. 312), lui donna fi-nalement Ermesinde, après de longues années de séparation. Ce sont ses deuxième et troisième épouses. Une première fois, Henri l'Aveugle avait été marié à une personne dont le nom est resté inconnu. Ce qui donne à l'auteur l'occasion de mettre en scène une Mélisende de Coucy, peut être aimée, et qu'il fait mourir lépreuse. Servantes et chambrières sont présentes mais on en parle à peine. Il y a une tendresse progressive, mais certaine, entre le vieux comte et sa fille qu'il avait pourtant si mal accueillie à sa naissance. Que faire d'une fille qui ne peut défendre les terres ancestrales ? Sinon la marier. Et si on n’a plus rien à donner ?

Les quelques extraits reproduits illustrent l'écriture nerveuse et imagée de l'auteur. Un léger reproche pourtant, l'emploi de mots médiévaux dont certains ne paraissent pas « sonner » namurois... Inutile de préciser qu'on n’a aucune idée de la langue par-lée, à cette époque, à Namur, même par l'élite. Le premier texte connu écrit en français date de 1240 ! Cette ignorance justifiait, me semble-t-il, le seul recours au français d'aujourd'hui et évitait l'établissement d'un petit dictionnaire en fin de vo-lume. Il y rejoint un index et une courte biographie des nombreux personnages cités, un arbre généalogique de la famille comtale et deux cartes de géographie historique.

Le lecteur est ainsi tenu par la main dans le dédale des querelles dynastiques qui sont le ressort de l'action. Il en apprendra beaucoup et avec plaisir sur un XIIe siècle peu connu, le moindre de celui-ci n'étant pas, chose rare pour un Namurois, le fait de se retrouver en des lieux familiers : Floreffe, Leffe, Bouvignes, Andenne, et de côtoyer des personnages aux noms évocateurs : Thierry de Faing, les sieurs d'Atrive ou de Falmagne.

Un roman historique intelligent où imagination et fantaisie ont aussi le droit d'être au rendez-vous.

Françoise JACQUET-LADRIER

N.B. Marc Ronvaux est loin d'être pour nous un inconnu. Administrateur de la revue, il y a signé bon nombre d'articles. Pour ceux qui veulent en savoir plus sur cet homme débordant d'activités et néanmoins toujours disponible, le mieux est de con-sulter son beau site Internet dont voici l'adresse : www.marc-ronvaux.be

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Napoléon – génie et despote

Exposition au musée provincial « Félicien Rops » du 26 avril au 24 août 2008

Qui est vraiment Napoléon Bonaparte, qui se présente à la fois comme l’ultime héritier de la Révolution française et comme le créateur d’un ordre européen nouveau et universel placé sous la suprématie de la France ? Comment les esprits critiques contemporains ont-ils perçu son ascension d’abord, sa chute ensuite ? L’exposition aborde ces questions via la présentation de nombreux documents et œuvres provenant de la Fondation de Basse-Saxe, du musée « Wilhelm Busch » de Hanovre (Allemagne) et du musée « Napoléon » d’Arenenberg (Suisse). Cette riche production d’images satiriques publiées à travers toute l’Europe à l’époque napoléo-nienne est impressionnante, tant par sa qualité que par sa quantité. Cette exposition présente en parallèle aux caricatures, des exemples du culte de la personnalité que Napoléon a lui-même mis en scène durant son règne : traditionnels portraits de cour, peintures de batailles et autres objets en lien avec l’Empereur. Elles côtoient des points de vue contemporains diamétralement opposés, ce qui contribue à donner de l’épopée napoléonienne une image à la fois vivante et émouvante. L’exposition suit l’ascension de Napoléon vers le pouvoir : le général révolution-naire devient Premier Consul, puis Empereur des Français. Elle illustre les campagnes politiques et militaires de Napoléon : l’hostilité envers l’Angleterre, la guerre d’Es-pagne et la désastreuse campagne de Russie. Elle s’intéresse évidemment aussi à l’ul-time et dramatique chapitre de l’ère napoléonienne : les guerres de libération en Alle-magne constituent l’introduction d’un chapitre qui ne se termine ni avec l’abdication de l’Empereur ni avec son exil vers l’Île d’Elbe en 1814. En effet, Napoléon reprend le pouvoir lors de la période des Cent Jours avant d’être définitivement battu à la ba-taille de Waterloo. Déporté ensuite à l’Île de Sainte-Hélène, située dans l’Océan atlan-tique, il meurt en 1821. Napoléon a imposé des normes dans bien des domaines, y compris dans celui de la caricature. Plus de deux mille caricatures ont été publiées entre 1797 et 1815 sur-tout en Angleterre ; néanmoins, l’histoire des caricatures de Napoléon se développe de manière tout à fait spécifique dans les différents pays européens. C’est à cette dé-couverte que le musée « Rops » vous invite…

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INFORMATIONS PRATIQUES : Du 26 avril au 24 août 2008, ouvert de 10h à 18h, sauf le lundi. Musée provincial « Félicien Rops », 12, rue Fumal, 5000 NAMUR tél : 00 32 81 22 01 10, fax : 00 32 81 22 54 47, courriel : [email protected] Site Internet : www.ciger.be/rops Entrée : 3 €, prix réduit : 1,50 € ; billet combiné (coll. permanente et temporaire) : 5€ et 2, 50 €

ACTIVITÉS ANNEXES :

Cédric ISTASSE, assistant au département d'Histoire de l’Université de Namur (F.U.N.D.P) et administrateur de notre société, retracera, dans une conférence largement illustrée, l’histoire de Napoléon et sa perception en Belgique, ainsi que son souvenir à travers ses vétérans et la médaille de Sainte-Hélène dont Rops tira sa fameuse lithographie, La Médaille de Waterloo. 29 avril à 20h. Prix : 3€ (visite de l’exposition comprise) ; réservation souhaitée.

À l’occasion du Printemps des musées sur le thème « Surprise ! », Napoléon et Joséphine en personne se promèneront dans les salles, lisant les lettres d’amour et d’amitié qu’ils s’envoyè-rent toute leur vie durant. Un grand moment de romance impériale ! Sam. 17 mai, 16h et 18h, dim 18 mai, 14h – 16h. Gratuit

Bernard CHEVALLIER, directeur du Château de Malmaison, demeure de Joséphine, viendra spécialement à Namur nous parler de cette personnalité hors du commun. Quel était le quoti-dien de Joséphine ? Comment se tissa le lien si fort entre elle et Napoléon ? Quels étaient les mœurs amoureuses de l’époque ? 13 mai à 20h. Prix : 3€ (visite de l’exposition comprise) ; réservation souhaitée.

Connaissez-vous Confluent et l’asbl La Vie namuroise ?

Fondée en 1971, Vie Namuroise s’est donné pour buts l’information et l’anima-tion de la région namuroise. Elle édite notamment la revue bien connue Confluent, périodique indépendant de haut vol où les amis de l’histoire et du patrimoine namurois trouvent leur bonheur, mais elle est aussi à la base de diverses manifesta-tions culturelles, dont l’élection des Namurois de l’année, à laquelle l’asbl Sambre et Meuse est associée.

Notre association a l’opportunité d’être membre adhérent de la Vie Namuroise et d’être associée étroitement à ses activités. Elle pourrait dans ce cas offrir à ses membres un abonnement nominatif à la revue Confluent, avec les avantages qui y sont attachés, au prix de 30 € au lieu de 50 €. Il suffirait pour cela qu’un nombre suffisant de personnes soient intéressées.

Les membres qui souhaiteraient souscrire un abonnement à ces conditions tout à fait exceptionnelles sont priés de se faire connaître par téléphone ( 0478/989134 ) ou par mail ( [email protected] ).

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30 autocars luxueux de ** à ****

de 8 à 72 places

Tout confort

Air conditionné

Organisation de voyages en Belgique et à l’étranger

Service scolaire

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Prix « anti-déprime »

E-mail : [email protected]

Lic. A1140

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