CAHIERS DE L’ÉDIQ...Un atelier interculturel de l’imaginaire avec un groupe interculturel de...

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CAHIERS DE L’ÉDIQ 2016, Vol. 3 N o 1 Frontières et médiations Sous la direction de Colette Boucher Jacqueline Breugnot Lucille Guilbert

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  • CAHIERS DE L’ÉDIQ 2016, Vol. 3 No 1

    Frontières et médiations

    Sous la direction de

    Colette Boucher Jacqueline Breugnot

    Lucille Guilbert

  • L’ÉDIQL’équipe de recherche en partenariat sur la diversité culturelle et l’immigration dans la région de Québec estsubventionnéeparleFondsderechercheduQuébec-Sociétéetculture(FRQ-SC).

    LESCAHIERSDEL’ÉDIQ

    DirectionLucilleGuilbert,ethnologie,Départementdesscienceshistoriques,UniversitéLaval

    RichardWalling,co-responsablepartenairedel’ÉDIQ,LesPartenairescommunautairesJefferyHale

    Comitédedirectionetderédaction:Lesmembresréguliersdel’ÉDIQStéphanieArsenault,responsabledel’ÉDIQ,professeureagrégée,Écoledeservicesocial,UniversitéLaval

    NicoleGallant,INRS–UrbanisationCultureSociété

    LucilleGuilbert,ethnologie,Départementdesscienceshistoriques,UniversitéLaval

    AlineLechaume,ministèredel’EmploietdelaSolidaritésociale,Centred’étudesurlapauvretéetl’exclusion

    MichelRacine,Départementdesrelationsindustrielles,UniversitéLaval

    MarièveL’abbé,CégepdeSainte-Foy

    RichardWalling,LesPartenairescommunautairesJefferyHale

    ComitéscientifiqueStéphanieArsenault,PhD,Écoledeservicesocial,UniversitéLaval

    NicoleGallant,PhD,INRS–UrbanisationCultureSociété

    LucilleGuilbert,PhD,ethnologie,Départementdesscienceshistoriques,UniversitéLaval

    AlineLechaume,PhD,ministèredel’EmploietdelaSolidaritésociale,Centred’étudesurlapauvretéetl’exclusion

    MichelRacine,PhD,Départementdesrelationsindustrielles,UniversitéLaval

    ÉditionColetteBoucher,PhD,Départementdesscienceshistoriques

    ClaudiaPrévost,doctorante,Départementdesscienceshistoriques

    CAHIERSDEl’ÉDIQestlarevuedel’équipederechercheenpartenariatsurladiversitéculturelleetl’immigrationdanslarégion de Québec. Cette équipe interdisciplinaire et intersectorielle regroupe des établissements universitaires, des

    institutionsdegouvernance,desorganismesetdesservicesdepremièreligne.Elles’intéresseauxquestionsd’insertion

    durableetdemobilitéexaminéesàlalumièredesnotionsdetransition,dequalitédevieetdesentimentd’appartenanceà

    lacollectivitédansleslocalitésendehorsdesgrandscentres.Elletientcomptedesancrageshistoriquesdesdynamiques

    locales,desprojetsetdesréalisationsdesnouveauxarrivantsainsiquedesgouvernancesetdesmédiationsculturelles,

    socialesetpolitiques.

    Fondésen2008,LesCahiersdel’ÉDIQétaientalorsuninstrumentdeliaisonréservéauxmembresdel’ÉDIQ.Enmai2011,l’ÉDIQ inaugurait une série, imprimée et en ligne (http://www.ediq.ulaval.ca/publications/cahiers-de-lediq/) qui

    s’adresseàun largepubliccomposédechercheurs,depraticiens,dedécideurs,d’immigrantsrécents,desmembresdes

    minoritésculturellesetdelapopulationhôte.Certainssontdavantageconsacrésauxactivitésrécursivesdontlesateliers

    interculturels de l’ÉDIQ, les Séminaires de l’ÉDIQ, les Forums de l’ÉDIQ et présentent des textes et des présentations

    «powerpoint»selonleprincipe«lecheminsefaitenmarchant»,commelediraitAntonioMachado:«Caminantenohay

    camino, se hace camino al andar». D’autres numéros thématiques exposent des perspectives théoriques et

    méthodologiquessuruneproblématiquespécifiqueetd’actualité;lestextesdesauteursdecesnumérosfontl’objetd’une

    évaluationscientifiqueparlespairs.

    Cahiersdel’ÉDIQ,2016,volume3,numéro1FrontièresetmédiationsNuméroréalisépar:ColetteBoucher,JacquelineBreugnotetLucilleGuilbert

    Conceptiongraphiquedelacouverture:CentredesservicespédagogiquesettechnologiquesdelaFacultédesLettres—

    ServicesAPTI,ClaudiaPrévostetLucilleGuilbert

    2016ÉDIQ

    Dépôtlégal–BibliothèqueetArchivesnationalesduQuébec,2016

    Dépôtlégal–BibliothèquenationaleduCanada,2016

    ISSN1925-8526(Imprimé)

    ISSN1925-8534(Enligne)

  • Frontièresetmédiations

    SousladirectiondeColetteBoucher,JacquelineBreugnotetLucilleGuilbert

    Tabledesmatières

    IntroductionLafrontièrecommepointderuptureouespacedemédiation

    ColetteBoucher,JacquelineBreugnot,LucilleGuilbert 5

    Frontières

    Évaluerlescompétencescommunicativesencontexteplurilingueetpluriculturel

    JacquelineBreugnotetThierryDudreuilh 13

    Frontièresorganisationnellesetsoutienauximmigrants:lecasdelarégiondeQuébec

    MichelRacineetCatherinePlasse-Ferland 23

    Mouvancedesfrontièresethniquesetreligieusesdanslesorganismesd’assistance

    anglophonesdelarégiondeQuébec:AnalysehistoriqueduSaintBrigid’sHomeetduLadies’ProtestantHome PatrickDonovan 33

    L'accessibilitéauxservicesdesantéetservicessociauxpourlapopulationanglophone

    delarégiondeQuébec:illustrationdefrontièrelinguistiqueetculturelle

    LouisHanrahan,RichardWallingetAnnabelleCloutier 57

    Laperceptionémotionnelledel’allemandlangueseconde

    pardesadolescentsprimo-arrivants

    SarahBerzins 67

    Entretravailsocialderue,stigmatisationetprescriptionintégrative:

    Frontièresettensions

    VincentArtisonetHenriVieille-Grosjean 73

  • MédiationsculturellesCommentl’amitiéseprésente-t-elledansuncontexteinclusifetintégrateur?

    Unatelierintercultureldel’imaginaireavecungroupeintercultureldejeunes

    duprogrammeSpecialNeedsActivitiesandCommunityServices(SNACS)àQuébec

    AnnikaEndres 85

    Latraductionoulacommunicationinterculturelle

    N.Kamala 97

    Lamédiationculturelleàtraverslestraductionsfrançaisesetfrancophones

    desœuvreslittérairesindiennes

    KiranChaudhry 107

    L’interprèteenmilieusocialdanslarégiondeQuébec:

    unpossiblemédiateurinterculturel

    KarineMorissette 117

    Lepersonnagedel’interprètedanslesrécitslittéraires,sonrôledemédiateur

    entredesuniversdeparoledistincts

    ColetteBoucher 133

    Lesécrivainsmigrants,desmédiateursentredesmémoires

    CarmenMataBarreiro 141

    Compterendu:JacquelineBreugnot,Communiquerenmilieumilitaireinternational.Enquêtedeterrainàl’Eurocorps,Paris,Éditionsdesarchivescontemporaines,2014,136pages.[CollectionPLIDPluralitédeslanguesetdesidentitésetDidactique)

    MartinDauphinais 149

    Présentationdesauteurs 158

  • Introduction

    Lafrontièrecommepointderuptureouespacedemédiation

    ColetteBoucher,JacquelineBreugnotetLucilleGuilbert

    Lesfrontièresexistent.Qu’ellessoientdenaturegéographique,nationale,culturelle,socialeou

    linguistique,ellesagissentsurlesgroupes,surlessociétés,maissurtoutsurlesindividus.Elles

    peuvent représenter des ruptures,mais, et c’est ce qui ressort de cet ouvrage collectif, elles

    sontaussideslieuxderencontre,detransformation,decréationetdemédiation.

    Cecollectifproposeuneréflexionautourdelanotionde«frontières». Ilouvresur lepartage

    des connaissances et desmodèles d’intervention avec des organismes desmilieux associatifs

    travaillant avec des populations diversifiées en Allemagne, en France et au Québec, puis se

    penche sur des illustrations de lamédiation culturelle à travers l’interprétariat, la littérature

    transculturelle et la traduction littéraire. Les textes présentés proviennent pour la plupart du

    symposiumFrontières,tenuenvisioconférencele10mars2014,réaliségrâceàlacollaborationde l’ÉDIQ,Université Laval et de l’Université Koblenz-Landau, oudu symposiumMédiation etapprochescoopératives:Construireensembledessociétéspluralistes,organiséparl’ÉDIQdansle cadre du XIVème congrès international de l’Association Internationale pour la Recherche

    Interculturelle,endécembre2013,auMaroc.

    L’établissement d’une frontière comporte toujours une part de subjectivité et d’émotivité

    qu’elle soit volontaire, voire volontariste dans la création des frontières géopolitiques

    (l’étymologiedumotfrançaisfrontière,aumoyenâge,provientdefrontetsignifielesarmées

    qui s’affrontent) ou qu’elle soit vécue tout en s’ignorant, par habitude, par prêt-à-penser. La

    frontière trace une démarcation, des contours, des identités, elle sépare,mais aussi elle est

    interface,elleunit,ellemarqueunecontinuitédansunedifférenciation.Soitelleoppose,soit

    elle donne sens dans une continuité et une complémentarité, ou plutôt, c’est par la

    différenciationmêmequ’ellefaitsens.

    Les frontières évoluent au fil des événements et des rencontres. La mondialisation,

    l’immédiateté,ladiversitédessourcesd’informationetleurlibreaccèstransformentleslieuxet

    lesmodesderégulationtraditionnels.Lemondemoderneest letableaud’uneredéfinitiondu

    rapportentrel’Étatetlesacteurssociaux.

    Lesfrontièresentrecesdifférentsacteurs,tantauniveaudesrôles,desresponsabilitésquedes

    communications évoluent constamment. Ces changements entraînent la naissance et le

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    développement de mouvements sociaux et la construction de nouveaux espaces de

    convergence culturelle, mais aussi une érosion des frontières, comme l’observent, dans leur

    article,MichelRacineetCatherinePlasse-Ferland.PatrickDonovan,poursapart,sepenchesur

    l’évolutionde ces frontièresen lienavecdesdynamiquesethnoreligieuses changeantes.Pour

    lui, qui s’intéresse à la communauté anglophonede la Ville deQuébec dans une perspective

    historique,lesfrontièressemeuventdansletemps,tantentrelacommunautéanglophoneetla

    majoritélinguistiquefrancophone,qu’auseinmêmedelacommunautéanglophone.

    Toutefois,c’estavanttoutlesindividusquelesfrontièresatteignent.Ellestouchentlesindividus

    dansleurviequotidienne,dansleuridentité,dansleurbien-êtreetdansleurfaçond’interagir

    lesunsaveclesautres.Etc’estsouventavecl’engagementdesindividus,parfoissoutenuspar

    les organisations, que les frontières peuvent devenir des lieux de convergence. Dans ce

    contexte,lapersonneimmigrante,confrontéeàdesbarrièresdetousordres,estsouventcelleà

    quiondemanded’incarner lacohérenced’identités,devaleurs,de langages inhérentsàdeux

    groupes d’appartenance différents et, parfois, apparemment incompatibles. En contribuant à

    transformer des espaces de rupture en espaces de rencontre, ceux-ci deviennent des

    médiateursculturels,auquotidien,dansleurvieintimecommedansleuractionsociale.

    Il est question, ici, de médiation en tant que création de lien et en tant que vecteur de

    changement.Ilimportedelepréciserafinqueletermenesoitpasconfonduaveclamédiation

    au sens de médiateur cherchant une forme de légitimité professionnelle ou de médiation

    culturelle comme stratégie de mise en marché et de promotion d’organismes à vocation

    culturelle.

    Ici, la personneest au centreduprocessusdemédiation, prisedansune tension créatriceet

    dialogiqueentresonenvironnementetsondiscourscréateur.Lamédiationconsidéréedecette

    façondevientaussiunprocessusd’émancipationetdeparticipationdetous lessujetscomme

    l’observent Vincent Artison et Henri Vieille-Grosjean à travers le regard et le récit d’un

    travailleurderueagissantenmilieuurbainmulticulturel.Pourleurpart,JacquelineBreugnotet

    Thierry Dudreuilh, s’intéressant, notamment, à l’intégration des connaissances issues de la

    neurobiologie dans l’analyse des transactions entre les individus, considèrent le dialogue

    interculturelcommeundialogueinterneoùl’identitédel’individusepartageentrelapartinnée

    et lapartacquisede lui-même.Enfin, comme lementionneKarineMorissette,cequiestà la

    baseduprocessusdemédiationdemeurel’importanceduliensocial.

    Lamédiationpeuts’effectueràtraversdesinterventionsindividuellesouenpetitsgroupes.Afin

    de comprendre comment sedéveloppe l’amitiédansungroupehétérogène,AnnikaEndresa

    utiliséledispositifdel’atelierintercultureldel’imaginaire(AII)avecungroupemulticulturelet

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    plurilingue de jeunes qui partageaient des activités dans le soit le programme parascolaire

    québécois Special Needs Activities and Community Services (SNAQ). L’AII est un dispositif de

    médiation interculturelle axé sur la parole, l’écoute, l’échange et le récit, ainsi que sur la

    médiation des expériences et des réalités des participants à travers des objets symboliques.

    Endresapuobserverlacréationdelienauseindecegroupe,enmêmetempsqueladiminution

    des asymétries existantes du fait des frontières sociales et des compétences linguistiques

    différentes.

    La médiation culturelle et interculturelle s’applique aussi aux barrières linguistiques, tentant

    d’unirdesgroupesenprésenceetd’atténuerdesinégalitéssociales.LouisHanrahan,Annabelle

    Cloutier etRichardWalling s’intéressent à l’accessibilité aux servicesde santéet aux services

    sociaux pour la population anglophone de la région deQuébec. Ils rappellent qu’il existe un

    écartdesantéentrelesgroupeslinguistiquesmajoritairesetminoritaireslié,entreautres,àla

    difficulté, pour les personnes de groupes linguistiquesminoritaires, d’obtenir des soins dans

    leur langue maternelle. Pour ces auteurs, les solutions à ces situations se trouvent dans la

    compréhensionmutuelle, lesajustementscontinuels,etl’innovation,lesquelsfontappelàdes

    alliances entre les groupes majoritaires et minoritaires. Si de telles tensions linguistiques

    existentauseindegroupeslinguistiquesétablisdepuislongtempsenunpaysetpartageantune

    histoirecommune,onpeut imaginer les incompréhensionset lesdifficultésdedévelopperun

    sentimentd’appartenancepourdespersonnesimmigrantesquiarriventdansunesociétédont

    ilsneconnaissentpaslalangue.Ilssontauxprisesavecunelangueétrangèrequidoitpasserau

    statutdelangueseconde,etcommel’exprimeSarahBerzins,àceluide«languedeconfort».La

    barrière linguistique est perçue, par les adolescents récemment immigrés en Allemagne que

    Berzinsarencontrés,commeleprincipalobstacleàleurintégrationscolaire.Questionnésparla

    chercheuse, ces jeunes ont dit souhaiter que les enseignants soient mieux formés à

    l’interculturel et qu’un systèmedeparrainageentre élèves soit instauré. Cela révèleundésir

    d’inclusion chez ces jeunes tout enmettant enévidence l’importancedes enseignants et des

    pairscommemédiateurs.

    Les frontières linguistiques se conjuguent souvent à des frontières culturelles ou

    institutionnelles. Dans le compte rendu qu’il fait de l’ouvrage de Jacqueline Breugnot

    Communiquer en milieu minoritaire international. Enquête de terrain à l’Eurocorps, MartinDauphinais fait ressortir cet ensemble de barrières qu’a dû affronter Breugnot: frontières

    culturelles et linguistiques, alors que l’Eurocorps regroupe des militaires de cinq payss’exprimant en au moins trois langues, mais aussi frontière institutionnelle, puisque la

    chercheuseaétéconfrontéeà ladifficile rencontreentre la cultureuniversitaireet la culture

    militaire, qui est une culture que Dauphinais décrit comme une culture de secret, dans un

    univers fortementhiérarchisé.Onconstatequ’enrédigeantcecompterendu,Dauphinaisagit

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    commeinterprètedulivredeBreugnot.Ilagitcommemédiateurpuisqu’ilprésentesavisiondu

    livre à partir de sa posture d’étudiant universitaire et de membre des Forces armées

    canadiennesl’ayantplacéenpositiond’interculturalitéàdifférentesreprises.

    Par ailleurs, en situation d’interculturalité et de frontières linguistiques, un des médiateurs

    majeursestl’interprètelinguistique.KarineMorissetteabordel’interprétariatcommeespacede

    médiation interculturelle mettant en présence l’interprète, l’immigrant et l’intervenant en

    immigration. Dans ce processus, l’interprète doit tenir compte des références culturelles de

    chaquepartie,incluantlessiennes.Celaexigeuneconnaissancefinedecescontextesdelapart

    del’interprète.

    C’est par le personnage de l’interprète que nous aborderons le lien entre la littérature et la

    médiationculturelle.Cepersonnage,l’interprètelinguistique,estsouventmisenscènedansles

    romansdeMarie-CélieAgnant, auteurequébécoise d’originehaïtienne, elle-même interprète

    auprès de personnes immigrantes à Montréal. Colette Boucher décrit la spirale qui relie les

    personnages et les sociétés décrits dans les romans, l’écrivaine, elle-même interprète, et les

    lecteurs. Puis, comme l’explique Carmen Mata-Barreiro, par son statut d’écrivaine

    interculturelleou«migrante», laromancièreréconciliedesmémoires:cellesdes immigrants,

    celles desmembresde la communautéd’accueil, celles desdifférentes générations.De cette

    façon, les œuvres de littérature migrante deviennent des ponts culturels, susceptibles

    d’ébranler«l’indifférencedecertainsdécideursoumembresdenossociétésparrapportàdes

    hommesetdesfemmesquifuientdesréalitéssocialeshostilesouquitiennentàconstruireun

    mondemeilleurpoureuxetleursfamilles».

    Lelivreinformesursonauteur,surlespersonnagesmisenscèneetleursunivers,demêmeque

    sur tous ceux qui contribuent à sa création et à sa diffusion, notamment, les traducteurs. Le

    traducteureffectueunemédiationentrel’écrivain,tentantdesaisirsonintention,lasociétéou

    la communauté dépeinte par cet écrivain, et les lecteurs à qui est destinée l’œuvre traduite.

    Selon Kiran Chaudhry, le travail du traducteur donne lieu à une nouvelle œuvre, ou à une

    «transcréation». Cette création est faite dans une langue intermédiaire, une langue

    reconstruite à partir de celle des lecteurs à qui l’œuvre traduite est destinée; elle est aussi

    imprégnéedesparticularitésdelalanguedanslaquelleletexteaétéécrit.Afindes’assurerde

    niveler les frontières linguistiques et culturelles existant entre l’auteur et ces lecteurs, le

    traducteurfaitappelàdesexplicationscomplémentaires.Iltentedeguiderlelecteur.PourN.

    Kamala,laquestionseposealorsdesavoirqui,del’auteuroudutraducteur,doitapporterces

    explications. Que doit expliciter le traducteur, tout en continuant à protéger la volonté de

    l’auteur?

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    Onleconstate,pourKamalacommepourChaudhry,letraducteurlittérairefaitbeaucoupplus

    quetraduiredestextes,ilcréeunlangageintermédiaireetildéveloppeunezonedemédiation

    quirespecteral’auteur,lasociétéqu’ildépeint,letraducteuretleslecteurs.

    Enfin,qu’ils’agissedespersonneseninteraction,descommunautés,desinstitutions,desobjets

    demédiation,lesfrontièresexistent,ellesdivisent,maisellespeuventaussidevenirdeslieuxde

    partageetdeconcertationetmeneràlacréationdenouveauxespacesculturelsetsociaux.

  • Frontières

  • Évaluerlescompétencescommunicativesencontexteplurilingueetpluriculturel

    JacquelineBreugnot

    UniversitätKoblenz-Landau,Allemagne

    ThierryDudreuilh

    EuroMediationInstitut,Suisse

    IntroductionLescompétencesinterculturellesfontpartiedenombreuxcursusdeformation,notamment,la

    gestiondesressourceshumaines,l’enseignementetletravailsocial…Lesformationsdequalité

    existent,biensûr,maislacertificationdescompétencesacquisescontinuedeposerproblème,

    fauted’outilsd’évaluationadaptés,etce,d’autantplusque,depuislesaccordsdeBologne1,les

    pratiquesuniversitaireslaissentpeudeplaceàl’auto-évaluationetàl’évaluationinformelle.

    ÀpartirdedeuxtypesdecoursinscritsdanslecursusdeRomanistikdel’UniversitédeKoblenz-

    Landau,nousverronscommentdesétudesdecasconçuesd’aprèsdesévénementsréelssont

    susceptibles de répondre aux besoins de fiabilité d’une évaluation universitaire en tenant

    comptedelapartiethéorique,maisincluantaussiunedimensionpratiqued’intervention.

    LesélémentsconstituantlacompétenceinterculturelleToutes les formations à la communicationen contexteplurilingueet pluriculturel nemettent

    pas l’accent de lamêmemanière sur les différentes composantes. Nous pouvons cependant

    considérer que la plupart incluent les compétences suivantes: une écoute de qualité, une

    aptitudeànepasconsidérerlesdysfonctionnementsd’originelinguistiqueetculturelle(DOLC)

    commeinéluctables,unecapacitéàtransposerlesconnaissancesissuesdelaneurobiologieet

    del’analysedestransactions,unebonnepratiquedel’abandondujugement,lerenoncementà

    la recherche d’une solution, le respect des idiorythmes et l’habileté à formuler des mini-

    synthèsesàbonescient.

    1 Dans l’université humboldtienne allemande, chaque étudiant portait une large responsabilité quant à lapertinencedesaformationetpouvaitchoisirlescoursauxquelsilassistaitnonseulementenfonctiondesesgoûts

    goûts,maisaussidesesbesoins.

  • CAHIERSDEL’ÉDIQ,2016,Vol.3,No1

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    Notre approche ayant fait l’objet de publications spécifiques, nous n’en donnons ici qu’un

    aperçudestinéàcontextualiser lecorpusde référence.Leséléments laconstituantsesituent

    danslesperspectivessuivantes:

    Letravailsurl’écoutereposesurl’approcheRogerienne.Ellepositionnel’écoutantdanslamise

    en retrait de soi, dans un centrage sur la personne écoutée en reconnaissant son état

    émotionneletensedécentrantprogressivementduproblème.

    Lesconnaissancesissuesdelaneurobiologie,susceptiblesdefairecomprendredansunregistre

    scientifique les fonctionnementshumainsensituationdestress, sontunélément limité,mais

    essentieldansuneperspectived’apprentissageplurisensoriel.Nousnousréféronspourcefaire

    auxtravauxd’HenriLaboritetdesessuccesseurs2.

    L’aptitude à ne pas considérer les dysfonctionnements d’origine linguistique et culturelle

    comme inéluctables s’inscrit dans une expérimentation d’alternatives selon les techniques

    d’AugustoBoal(2007)etunerecherchesystématiquedutiersexcluévoquéparPaulWatzlawick

    (1988).L’analysedestransactionsobservéesoutranscritespermetdethéoriseretdeconstituer

    lesconditionsd’untransfertdesconnaissancesacquisessurdessituationsfutures.

    Le respect des idiorythmes, dont l’importance a été mise en évidence par le collectif de La

    Borde3comme constituant primordial de la singularité de chacun, appartient sans doute aux

    2Danscecourantdelarechercheayantnourrilaconnaissancedelaneurobiologieducomportement,ilfautciter,

    entre autres, Pierre Karli, Maurice Auroux, Jean-Didier Vincent, Marc Jeannerod, Jean Decety, António Rosa

    Damásio,3Le collectifde laCliniquedeLaBorde, crééepar JeanOuryen1953prèsdeBloisa révolutionné lapsychiatrie

    institutionnelleenFrance.Mêlanthumanisme,attentioncliniqueetouverturedanslapriseenchargedelafolie,

    cetteapprochechaleureusedelamaladieoùlepatientresteavanttoutunepersonnes’exercedansunlieuunique

    de soinsetd’attention,enpleinenature,en régimede semi-libertéetengestioncollective, sans signedistinctif

    entresoignantsetpatients.

  • CAHIERSDEL’ÉDIQ,2016,Vol.3,No1

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    compétenceslesmoinsévidentesàacquérirtoutenétantunedispositionfondamentaledansle

    travailencontextepluriculturel.

    La pratique de la médiation intégrative donne les moyens techniques et précise le

    positionnement«moral»desactants.

    Ces outils se conçoivent dans le cadre d’une attitudefondée sur l’empathie, l’acceptation

    inconditionnellede la réalitéde l’autreet la congruence, l’authenticitéavec soi et les autres,

    laquelledevantêtremanifestéed’unemanièreadéquateàlasituationetauxautrespourêtre

    accueillie—qualitéetcompétencesonticiindissociables.

    Cesoutilsmettentl’accentsurlaprimautédulienentrelespersonnesparrapportàl’objetdu

    conflit. Leur degré de complexité est très variable. L’un d’entre eux consiste simplement à

    élargir le vocabulaire émotionnel dont nous disposons afin que l’expression puisse être plus

    nuancée et plus précise. Mais ce travail sur le vocabulaire entraîne, de facto, une réflexion

    égalementplusnuancéeetplusprécise sur laperceptiondenospropresémotions. L’accèsà

    nos propres émotions est l’une des capacités qui va permettre de sortir du jugement.

    L’entraînementàsortirdujugementpeuts’instaurerendehorsduritueldelamédiation(même

    sicerituelpermetdes’entraîneràl’utilisationdesdifférentsoutilsdansuneformeralentieet

    «sécurisée») lors d’exercices d’écoute active où l’on apprend à être présent à l’autre, à

    reformuler cequi a étéperçude l’état internede l’autre, àdonner sonpropre ressenti pour

    produireuneffetmiroir, sans jamais se focaliser sur le sujetduconflit, en renonçantà toute

    interprétationourecherchedesolution4.

    Laconstitutiond’uncorpusNous présenterons ici les situations de médiation parce qu’elles proposent par essence une

    confrontation à la diversité et permettent d’illustrer clairement notre propos. Le corpus

    comprend également des enregistrements de théâtre-Forum et un travail d’analyse des

    transactions.

    Extrait1:Nouvelle-Calédonie,médiationparlespairsUnecourdecollègeà l’heurede larécréation:discussions,poursuites, jeuxdeballon.Etpuis

    tout va très vite: un cercle intéressé vient de se former autour de Léo et Daniel qui ont

    commencéàs’empoigner,prêtsàsebattre.

    4 L’approchedemédiationquenousavonsretenuesesituedansuneperspectiveprochedel’ACProgerienne.

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    Attirésparlegroupequiexcitelesdeuxadversaires,desjeunesélèvesde4eportantbadgede

    médiateurs,s’interposentetproposentleuraide:«Çatournemallà!Voulez-vousquel’onvous

    aide ou préférez-vous que nous appelions le surveillant? Nous sommes lesmédiateurs cette

    semaine.»

    Danielacceptetoutdesuite.

    Léoestplusréticent,maisiln’enestpasàsapremièrebagarreetlapropositiondefaireappeler

    unsurveillantestunargumentconvaincant.

    Lesspectateursdéçuss’éloignent.

    Les quatre jeunes (deux médiants, deux médiateurs) se retrouvent dans la petite salle de

    médiationaucalmeetàl’abridesyeuxindiscrets,aveclaprésenced’unformateuradultedans

    lefonddelasalle.

    Dans un premier temps, les médiateurs vont laisser la parole successivement aux deux

    adversairesenleurdemandantdenepass’interrompre.Puisilsreformulentenlesrésumantles

    faitsénoncésparchacundesmédiantsetlesémotionsassociéesqu’ilsontperçues,enévitant

    deposerdesquestionspourensavoirplus.Sansjugementetdanslabienveillance.

    Chacundesélèvesdonnesaversiondelabagarreetdelamanièredontelleacommencé:

    -Léoestnouveauaucollège,ilarrivedemétropole,élèvede6e,iladéjàétérackettédansleprimaire.Il

    aapprisàsedéfendre.

    -Danielredoublesa5e,c’estunbagarreur,ilauneréputationàdéfendre.

    Loindescopains,lesgarçonsvonts’expliquer:LéoetDanielsesontliésd’amitiédèslarentrée,

    ilsavaientpris l’habitudedejouerensembleauballonà larécréation.Aufildessemaines, les

    deuxgarçonssesontéloignés,carLéonevoulaitplusprêtersonballon, jusqu’aumomentoù

    Danielavoululuiprendredeforce.

    Enaccompagnant lemouvement intérieurdechacun, lesmédiateursontpuallerunpeuplus

    loinetdécouvrirquechacunétaitsousemprise,lefameuxconformismedegroupe5,fréquentà

    l’adolescence:

    -Léo,jeune«Zoreille»,étaitsousl’emprisedesplusgrandsquiluidisaientdenepasprêterleballonà

    Danielparcequecelui-ciétaitKanak,doncétiquetévoleur.

    -Desoncôté,Danielétaitégalementsousl’influencedesplusgrandsquiluiintimaientl’ordredenepas

    joueraveclepetitblanc,filsdegendarmedesurcroît,doncétiquetéraciste.

    5 Illustrépar l’expériencedeSolomonAschetMuzaferSherif,puisparMortonDeutsch,HaroldBenjaminGerard,LuxLamarche,HerbertKelman,Jacques-PhilippeLeyens.

  • CAHIERSDEL’ÉDIQ,2016,Vol.3,No1

    17

    DialoguesetQuestions

    …/…Audébutdelarencontre,lesmédiantssontinvitésàprésentercequ’ilsontvécu,àtourderôle(c’estl’équivalentdelaphasedelaTheoriadanslatragédieclassique):MédiateurM1:Alors,pourcommencerquiest-cequiveutparler?AllezLéo,va-z-y,commentest-cequeças’estpassé?Daniel:Ben,Léoetmoion jouaitensembleauballonet iladit:«Rend-moimonballon!»,commesijevoulaisluivoler

    (QUESTION1:Quepensez-vousdecetteentréeenmatièreduM1?)

    (RÉPONSEATTENDUE:Aulieuderesterneutre,M1proposeàLéodecommencer.)

    (QUESTION2:Quelleestlaconséquencedecetteentréeenmatière?)

    (RÉPONSE ATTENDUE: Daniel se précipite pour commencer, ce qui montre soit que le

    médiateur n’avait pas prêté attention à l’urgence pour Daniel, soit que ce dernier a voulu

    compenseroumettreuntermeimmédiatementàunrisqued’alliancedeM1avecLéo.Cequi

    n’estpasbonpourl’imagedeM1danssonrôle).

    …/…

    Puisundesmédiateursfaitunrésumédecequ’ilsontentendu,delapartdel’un,etdelapart

    de l’autre,etrend laparoleauxmédiants,quipeuventdésormaisconverserentreeuxoupar

    l’intermédiairedesmédiateurs(phasedelaCrisis).

    …/…(Après10minutesdedébat)

    Léo:Nonj’aipasditça,maisjevoulaispasqu’illegardeàlafindelarécré.Daniel:Benvousvoyez,ilditquejesuisunvoleur.Léo:Non,c’estpasmoiquil’aidit;c’estlesgrands.M2:Léo,laisseparlerDaniel.

    (QUESTION1:Quepensez-vousdecetteinterventiondeM2?)

    RÉPONSEATTENDUE: Cette fois, c’estM2 qui semble se faire le défenseur deDaniel, ce qui

    n’estpasbonpoursonimagedeneutralitédemédiateur.Parailleurs,obligerunmédiantàse

    taireetàécouter l’autreesttoutàfaitcontreproductif.Eneffet, lorsqu’unepersonneestaux

    prisesavecuneémotiondecolère—quipermetdemobilisersonénergiepourdéfendreson

  • CAHIERSDEL’ÉDIQ,2016,Vol.3,No1

    18

    territoire, sa vérité, sa parole— lui interdire de se défendre correspond à une menace

    supplémentairepoursonnoyauamygdalienquigèresoninstinctdeconservationetinterprète

    toute menace comme une menace de mort, réelle, virtuelle, fantasmée ou symbolique. Ce

    bourgeonnement situé au cœur de son paléo-cortex entendra «laisse-toi faire, laisse-le te

    tuer!»,cequiestinsupportable.Ilyatoutesleschancesquesaviolenceverbaleredouble,qu’il

    envienneauxmains,qu’ilquittelapièceouqu’ilsemuredanslesilence—selonles3F,Flight,

    Fight,Freeze—fuir,lutterous’inhiber,convaincudenepaspouvoirsefaireentendre.

    …/…

    Plustardpendantlamême2ème

    phase(Crisis)Daniel:Moijeveuxcontinueràêtresonami…maiss’ilmeprendpourunvoleur…M1:C’estunpeucommeuneamitiébrisée.

    QUESTION 1: Cette intervention de M1 vous paraît-elle adaptée? Aurait-elle pu être mieux

    formulée,etsioui,comment?

    RÉPONSE ATTENDUE: L’idée est bonne; le «miroir» permet à Daniel, sans recherche de

    consolationouderéassurance,demesurerl’ampleurdelaperteetderéagir;saréactionsera

    ainsi facilitée,maisnonpas induiteniencoremoinsdirigée.Néanmoins, la formulationparaît

    maladroite.Sansdouteaurait-ilétéplushabiledeproposer:«Qu’est-cequ’unamipourtoi?»

    puis,aprèsavoirécoutélaréponsedeDaniel,poserlamêmequestionàLéo:«Etpourtoi,Léo,

    qu’est-cequ’unami?»(ou«qu’est-ceque l’amitié?»). Ilestprobablequechacunrépondraà

    peuprès lamêmechosedoncsereconnaitradans laréponsedel’autre,cequi lesamèneraà

    remettre aux commandes ce qui est essentiel pour eux, leurs besoins, leurs valeurs, et de

    commenceràcomprendrelesensdecequileurestarrivé.

    La médiation a finalement permis la libération des emprises et la réconciliation des deux

    copains.Elleaaussiévitéquelasituationnedégénèrepourlecollège.

    Extrait2:Paris,médiationdutravailentresalariées(cadreetcollaboratrice)

    OuahibaestbénévoledansunPAD(appellationofficielleduMinistèredelaJusticepourPoint

    d’Accès auDroit), une association spécialiséequi accueille desmères isolées, le plus souvent

    immigrées, leur fournit soutienet conseils et les oriente vers les services aptes à répondre à

    leursattentes.Ouahiba,mèredetroisenfants,esttitulaired’unMaster;elleestd’originearabe.

    Fatoumata, elle, est salariée de cette association; plus ancienne que Ouahiba, qu’elle a

    accompagnée dans ses débuts de bénévole, elle garde une forme d’ascendant sur elle.

    Fatoumataestautodidacte;elleestoriginaireduMalietappartientàl’ethniepeule.

  • CAHIERSDEL’ÉDIQ,2016,Vol.3,No1

    19

    Ouahiba se plaint que Fatoumata la méprise, tour à tour la maltraite ou la harcèle. Elle lui

    enlèvedesdossiers,signeàsaplacedesrapportsqu’elleapourtantrédigés,luijettelesdossiers

    sur le bureau, lui dit à peine «Bonjour», ne la laisse pas s’occuper des mamans d’origine

    marocaine,mais lui confie plutôt desmamans dont elle ne parle pas la langue, semblant se

    réserverlesautresmamansmaghrébinesalorsquelleneparlepasarabe,etc.

    FatoumataseplaintqueOuahibaesthautaine,distante,méprisante,secroitsupérieure,alors

    qu’elleluiatoutappris;qu’ellen’estpasreconnaissanteetencore,qu’ellenerespectepasses

    consignesetqu’elleveutn’enfairequ’àsatête,etc.

    Lamédiation,conduiteparunmédiateurprofessionnel,etdeuxmédiateursstagiaires,dontune

    psychologueexpérimentée,apermisàchacunedeprendreconsciencedelasituationdel’autre,

    parcertainsaspectspassiéloignésdelasienne,chacune«immigrée»danssonpaysnatal—

    toutes deux sont nées en France—et deprendre lamesurede la souffrance engendréepar

    leurscomportements:

    -Pourlasalariée,Fatoumata:lebesoindeserassureretdeconfortersapositiondesalariéeetdetuteur

    faceàunebénévoleplusdiplôméeetpluscompétenteendroitquireprésentaitàsesyeuxunemenace

    pour son propre poste et pour sa position hiérarchique de chef imposée dans l’ordre social par son

    appartenanceàl’ethniepeule6.

    -Pourlabénévole,Ouahiba:l’affirmationdesescompétencesendroitplaçaitsacollèguesalariéedans

    unepositiond’inférioritéetlamettaiteninsécuritéprofessionnelle.Trèslibredesontempsetpouvant

    sepermettredetravaillerbénévolementplusieursheurespar jour,Ouahibaaréaliséquecelasuscitait

    envieet/oususpicion.Letout,alorsmêmequeOuahiban’avaitaucuneintentiondedevenirsalariéeun

    jour;unpointquin’avaitjamaisétéexprimé,carl’idéededemanderfaisaitpeuràFatoumatatandisque

    cepointn’avaitaucuneimportancepourOuahiba,quinevoyaitlàqu’uneoccupationdestinéeàveniren

    aideàses«sœurs».

    Bénéficeenapparencesecondaire,lamédiationasurtoutétéunerévélationdecequesignifiait

    l’exilpourchacuned’entreelles.Demême,ellesontlonguementéchangésurcetteexpérience

    bi-univoquedeviepartagée,et sur le sensque toutes lesdeuxdonnaientà cette«mission»

    d’aiderleurs«sœurs»;c’estàpartirdecedernierpointqueleurcheminementlesaconduites

    verslaréconciliationbienplusquegrâceautravailsurlesujetduconflitlui-même.C’estdansle

    registredesvaleurs(Noos)etnondumatérielquelesdeuxmédiantesontpuseretrouver.

    DialoguesetQuestions

    …/…(pendantledébatdelaphase2,Crisis)

    Fatoumata: Non,Madame Bzazou, je t’avais dit que c’est Aminata qui devait la recevoir,quandelleauraitterminéavecMadameDiallo.

    6LesPeuls,peupledecommerçantsimplantésdansl’ouestafricain,duSaharaàlacôteatlantique,sontconsidérés

    commel’ethniedominanteetsedoiventd’assumerlesresponsabilitésquiendécoulentvis-à-visdesautres.

  • CAHIERSDEL’ÉDIQ,2016,Vol.3,No1

    20

    Ouahiba:Etpourquoi?Tupeuxm’expliquer?Fatoumata:Jen’airienàt’expliquer;c’estmontravaildefairelagrilledeplanning.M1:Ouahiba,jetesensblesséeparletondeFatoumata.

    QUESTION: Que pensez-vous de cette intervention de M1? Expliquez les raisons de votre

    opinion?

    (RÉPONSE ATTENDUE: L’idée est bonne; le signe de reconnaissance est juste. Néanmoins, le

    médiateurM1auraitdus’arrêterà«jetesensblessée»etlaisserensuspenscequipeutavoir

    blessé Ouahiba. Pour trois raisons: d’une part parce qu’en donnant la précision du ton,M1

    sembleindiquerquelui-mêmejugeletonblessantet,partant,sortdesondevoirdeneutralité;

    d’autrepartparcequ’ilrisqued’enfermerOuahibadansuneréponsetoutefaite;cepeutêtre

    aussibien le tonque lasubordination imposéeouencore l’interdictiond’uneexplication,etc.

    qui l’a blessée; enfin parce que les interventions ponctuelles d’unmédiateur (en dehors des

    synthèsesrégulières)doiventrestercomprisesdansl’empanmnésique(2secondesfaceàune

    personneencrise:peur,colère,tristesse,joie—voiresurprise,dégout,honte,etc.)afindene

    pas perturber le rythme intérieur, l’idiorythme, du médiant, en le coupant de ses émotions

    (Sôma) et le projetant brutalement dans le mental (Psyché), ce qui l’amènerait

    immanquablementàchercheràrenforcersapositionenutilisantsonintelligencecognitivepour

    consolidersonargumentation.

    …/…

    M2(immédiatementaprèssoncollègue):Tutesensexclue?Ouahiba: Oui, enfin… plutôt tenue à l’écart, comme si je ne faisais pas partie de l’équipe,commesiellenevoulaitpasdemoi.

    QUESTION: Que pensez-vous de cette intervention de M2? Expliquez les raisons de votre

    opinion?

    RÉPONSEATTENDUE:L’idéedeM2d’unsuivisursonpartenaireestbonne;cettejeunefemme

    d’origine maghrébine peut se sentir exclue par ses deux collègues originaires d’Afrique sub-

    saharienne. Le qualificatif suffisamment fort permet à Ouahiba de lui préférer desmots qui

    minimisentlesentimentd’exclusionetdepréciseravecsespropresmots,quiveulentdireàpeu

    près la même chose, mais en montant progressivement en puissance, sans critique initiale

    violenteà l’égarddeFatoumata, cequi rendsesmotsplusacceptables.Parailleurs,onverra

    plus loin que la longueur de son intervention lui permet d’être entendue de Fatoumata;

    entendue, cela signifiequeFatoumatava ressentirenelle,enmiroir, lesémotionsquedécrit

    Ouahiba.LajustesseetlabrièvetédusignedereconnaissanceenvoyéparlemédiateurM2ont

    ainsipermisdefairebaisserleniveaudeconflictualitéetd’ouvrirlavoieverslareconnaissance

    etlacompréhensionmutuelle.

  • CAHIERSDEL’ÉDIQ,2016,Vol.3,No1

    21

    …/…

    Ouahiba:Pourmoi,c’estimportantcetengagement,lefaitdepouvoiraidermessœurs…M2àFatoumata:Vousentendezcequ’elledit?

    QUESTION: Que pensez-vous de cette intervention de M2? Expliquez les raisons de votre

    opinion?

    RÉPONSEATTENDUE:EndemandantàFatoumatasielleabienentenducequ’aditOuahiba,

    M2sortdesaneutralitéetsefaitobjectivementleporte-parolevoirel’alliédeOuahiba.Celaa

    toutes les chancesd’aboutir àunepositiondéfensivedeFatoumataqui voudradéfendre son

    bondroit,renforcersapositiondureetretarderd’autantlemouvementintérieurd’ouvertureà

    laparoledel’autre.SanscomptersapertedeconfianceenverslemédiateurM2.L’intervention

    peutaussisemblerinfantiliserOuahibaetrisquerdeladéresponsabiliseroudelapriverd’une

    partdesonautonomie.Elleestd’autantplusinutilequeleterme«aidermessœurs»employé

    par Ouahiba est assez fort pour frapper l’esprit de Fatoumata et réveiller en elle une valeur

    similaire. M2 aurait pu simplement se contenter de répéter en écho sur un ton à demi-

    interrogatif «vos sœurs?», en regardant Ouahiba pour l’amener à développer ce qu’elle

    entendaitparlàetqueFatoumatan’auraitpasmanquéderecevoirfavorablement.

    Conclusion

    Commelemontrentcesdeuxextraits,ilestpossiblededévelopperdesmodesd’évaluationdes

    compétencesinterculturellesdemanièrestructuréeetprécise,aussibiendansuneperspective

    formativequesommative,oumêmeenvued’uneauto-évaluation. Lesquestionsélaboréesà

    partirdetranscriptionsdemédiationouàpartird’enregistrementsaudioouvidéodeséquences

    authentiques ou jouées dans le cadre d’un théâtre-forum permettent de rendre compte des

    compétences d’empathie, de décryptage des interactions et des aptitudes à trouver les

    comportementsadéquatesfaceauxdysfonctionnementsd’origine linguistiqueouculturelle.À

    terme,cetteformed’évaluation,adaptableauxformationsmisesenplacedanslesdifférentes

    universités, devrait assurer une qualité de compétences fiables et par làmême un corps de

    professionnelsefficacesdansleurpratique.

    Bibliographie

    Boal,Augusto.2007.Lethéâtredel’opprimé.Paris,LaDécouverte/poche.

    Breugnot, J., 2009. Préparer les enseignants de langues à l'approche comparée, dans

    C.Concalves et D. Groux (dir.),Approches comparées de l'enseignement des langues et de laformationdesenseignants,(521-529).Paris,L'Harmattan.

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    Breugnot, Jacqueline. 2008. La formation interculturelle des enseignants en zone frontalière,

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    Facilitating Person-Centered Groups in South-Africa. Journal for Specialists in Group Work,volume13,n.2:62-69.

    Laborit Henri. 1991. Les bases biologiques des comportements sociaux. Coll.«Les grandesconférences»,Québec,Muséedelacivilisation.

    Laborit,Henri.1980.L'inhibitiondel'Action:biologie,physiologie,psychologie,sociologie.Paris,Masson,etMontréal,Pressesuniversitaires.

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    Watzlawick, Paul. 1988. Comment réussir à échouer. (Chapitre 4). Paris, Éditions du Seuil.Traduitdel’Anglais:Ultra-Solutions–Howtofailmostsuccessfull

  • Frontièresorganisationnellesetsoutienauximmigrants:lecasdelarégiondeQuébec

    MichelRacine

    UniversitéLaval,Canada

    CatherinePlasse-Ferland

    ConférencerégionaledesélusdelaCapitale-Nationale7,Canada

    AuQuébec,commepartoutailleursauCanada,legouvernementagitcommelecoordonnateur

    central du soutien à l’intégration des personnes immigrantes. Les gouvernements des deux

    paliers, provincial et fédéral, ne sont toutefois pas exempts d’une tendancede fond agissant

    partout en Occident, celle de soumettre la fonction exécutive de l’État à des modifications

    structurellesimportantes.Selonl’OCDE(Cournèdeetal.,2013),autantauCanadaquedansles

    payseuropéens, lesgouvernementsfontl’objetdepressions,avecdesvariantesdediscoursà

    gaucheetàdroite,pourdeveniràlafoisplusmincesetplusfortsafindediminuerl’importance

    deleurponctionfinancièreetrendrelesservicesattendusparlasociété.

    Cesrestructurationsprennentdesformesdifférentes.Ungroupederechercheeuropéen,HIRESPublic(2011),parledequatrecatégories,nonexclusives,derestructurations:

    • Diminutiondeseffectifs(attrition)• Réorganisationstructurelle• Sous-traitance/externalisation• Changementdeculturesorganisationnelles/professionnelles

    Dans ce contexte, au Canada comme auQuébec, la politique d’immigration garde toute son

    importance, sans doute parce qu’elle répond à des finalités économiques, dumoins dans le

    discours gouvernemental? D’ailleurs, parmi les trois grandes catégories dans lesquelles se

    classentlesimmigrantsaupays,lapremièreenimportanceestlacatégoriedited’immigration

    économique.Celledesréfugiés,quis’avèrelaréponsehumanitaireauxgrandsdéplacementsde

    populationsecouantlesrégionsvulnérablesdumonde,diminueenimportancedepuisquelques

    années.Entrelesdeux,ontrouvelacatégorieditederéunificationfamiliale,quirépondàune

    doublefinalité,humanitaire(c’est-à-direfairevenirdesparentsvieillissants,desprochesdansle

    besoin), mais aussi économique (c’est-à-dire accueillir un conjoint aux compétences

    recherchées,desenfantssusceptiblesdedevenirunemain-d’œuvrequalifiée).

    7Aumomentdelarédactiondecetarticle,CatherinePlasse-FerlandtravaillaitàlaConférencerégionaledesélus

    delaCapitale-Nationale.Depuis2015,elleœuvreàl’agencededéveloppementéconomiqueQuébecInternational.

  • CAHIERSDEL’ÉDIQ,2016,Vol.3,No1

    24

    Lapolitiqued’immigrationduCanada,etpartantduQuébec,estfoncièrementsélective(Bade

    et al., 2011); un pays séparé géographiquement des grands bassins mondiaux d’émigration8

    peutsepermettrecetypedepolitique.PrécisonsqueleQuébec,àlasuited’uneséried’accords

    passés avec le gouvernement fédéral9, détient la maîtrise de la sélection des personnes

    immigrantes. Ajoutons que le gouvernement québécois dégage des budgets relativement

    importants pour voir à l’intégration de ces personnes dans la société. Toutefois, demanière

    absolue,lesbudgetsallouésduministèredel’Immigration10ontconnu,etconnaissenttoujours,

    desbaisses,cequisetraduitpardesmodificationsdanslaprestationdeservicesauxpersonnes

    immigrantesetunereconfigurationdesfrontièresd’interventiondeceministère,enpartenariat

    avecd’autresorganismes.

    Nous étudierons dans ce texte trois zones de reconfiguration que connaît le soutien à

    l’immigrationauQuébec:l’apprentissagedufrançaispourlesnon-francophones(francisation);

    l’accueiletl’installationdesnouveauxarrivants;laconcertationdansunerégionparticulièredu

    Québec,celleditedelaCapitale-Nationale,avecensoncentrelaVilledeQuébec.

    L’apprentissagedufrançais

    LeQuébecaune seule langueofficielle, le français.Ainsi, àdes finsd’intégration sociale,des

    services de francisation (à comprendre d’apprentissage de la langue française) sont offerts à

    toutepersonneimmigranteadmiseauQuébecetayantbesoind’apprendrelefrançaisoud’en

    parfaire la connaissance. La transformation de ces services depuis les dernières décennies

    constitue un bon exemple de déplacement des frontières organisationnelles. Avant 2000, le

    ministère de l’Immigration s’occupait en son seul sein de l’intégration sociale des personnes

    immigrantes,ycomprisdeleurapprentissagedufrançais.Aujourd’hui,ceserviceestofferten

    «partenariat», un terme clé, avecdesétablissementsdepartout auQuébecetmême situés

    ailleursdanslemonde(CCE,2013).

    De 1975 à 2000, le ministère de l’Immigration du Québec a pris entièrement en charge la

    francisationdesimmigrantsgrâceàdesétablissementsrelevantdesaseuleresponsabilité, les

    centresd’orientationetdeformationdesimmigrants(COFI).Onyoffraitpourl’essentieldela

    formationdebaseenfrançais,maisaussiquelquescourspermettantd’accéderàuneformation

    qualifiante–parexemple,infirmièreousecrétaire(ArchambaultetCorbeil,1982).

    8LadeviseduCanada,D’unocéanàl’autre,évoquel’étenduedecesséparations.

    9Le plus décisif étant sans doute l’Accord Gagnon-Tremblay–McDougall, de son nom officiel Accord Canada-Québecrelatifàl’immigrationetàl’admissiontemporairedesaubains,adoptéen1991.10Àdesfinsdesimplification,nousutilisonsladénominationministèredel’Immigration,quiachangédenomaufil

    des ans, passant de MICC (ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles) à MIDI (ministère de

    l’Immigration,delaDiversitéetdel’Inclusion)durantladernièredécennie.

  • CAHIERSDEL’ÉDIQ,2016,Vol.3,No1

    25

    Autournantdel’an2000,lesCOFIontgraduellementlaisséplaceàlaformationoffertechezles

    partenaires (CCE, 2013) que sont les organismes communautaires et les établissements

    d’enseignement: commissions scolaires, qui dispensent la formation primaire et secondaire;

    cégeps, qui offrent la formation de niveau collégiale; universités. Si la justification de cette

    décision comportait une composante financière, elle se fondait aussi sur d’autres raisons

    pertinentes.L’immigrationdevenaitàcetteépoquebeaucoupplusscolariséeetlesbesoinsplus

    diversifiésquantauxniveauxdemaîtrisedu françaisetd’intégration socioprofessionnelle.De

    plus,lesdécideursontalorsvulanécessitéderomprel’isolementdesnouveauxarrivantsavec

    lasociété:lalangueeneffetnes’apprendpasenvaseclos.

    Depuis, leMinistère a aussi établi despartenariats afindepermettre auxdemandeurs, avant

    mêmed’émigrerversleQuébec,d’apprendrelefrançais.Cetteopportunitépermetdebonifier

    leurcandidature,puisqueleniveaudemaîtrisedufrançaisestl’undescritèresdesélectiondes

    immigrants de la catégorie économique. Ainsi, plus d’une centaine d’organisations peuvent

    dispensercetteformationàl’étranger,principalementlesAlliancesfrançaises(CCE,2013).Ilest

    aussi possible désormais de suivre des cours en ligne (voir le site

    www.francisationenligne.gouv.qc.ca).

    Donc, le recours au partenariat a permis au ministère de l’Immigration de repousser les

    frontièresdel’exercicedel’unedesesprincipalesresponsabilités,lafrancisationdespersonnes

    immigrantes. Le Ministère n’est plus en ce domaine prestataire de services, mais voit

    dorénavantàleurfinancementetàleurévaluation.

    L’accueiletl’installation

    Lorsqu’une personne immigrante, une fois admise, arrive au pays, elle franchit un seuil

    importantdanssavie,sacarrière,lemilieusocialoùelleévoluera.Leministèredel’Immigration

    accompagnecepassage,sousdesformesquiontvariéaufildesans.

    Ilyadixans,l’accueildetoutimmigrantfrancophoneauQuébec(résidantpermanent)sefaisait

    danslesbureauxduMinistèrepardupersonnelassignéàcettefonction–lesnon-francophones

    étaient, et sont toujours, dirigés vers le programme de francisation. Durant deux semaines

    intensives,lepersonnelaidaitlesnouveauxarrivantsà:obtenirleursdocumentsessentiels,tel

    quelacarted’assurancesocialeet lacarted’assurancemaladie,ouvriruncomptedebanque,

    obtenir une place en garderie, s’inscrire à un établissement d’éducation, obtenir l’allocation

    pourenfants.LesfonctionnairesduMinistèreoffraientaussidurantcettepériodedesséances

    d’informationsurlasociétéquébécoiseetsurlarecherched’emploi.

  • CAHIERSDEL’ÉDIQ,2016,Vol.3,No1

    26

    Vers 2009, le ministère de l’Immigration a décidé de tenir seulement une semaine de ce

    programmed’accueildanssesbureaux(premièresdémarchesd’installationet informationsur

    le Québec, toujours offert par du personnel désigné), pour externaliser l’offre de la séance

    «S’adapter aumonde du travail québécois», d’une durée d’une semaine. Dans la région de

    Québec, après un processus d’appel d’offres, c’est l’organisme Option-travail/Carrefourjeunesse emploi qui a obtenu cemandat. LeMinistère fournit le contenu de la séance et lefinancementse faiten fonctiondunombredeparticipants.Cette restructurationdesservices

    n’enétaitalorsqu’àsesdébuts.

    En2011,unautreorganismegouvernemental,Emploi-Québec,décided’offrirunprogrammede

    suividerecherched’emploidestinéauxpersonnesimmigrantes.Ilnes’agissaitpasd’obligerle

    nouvel arrivant à occuper un emploi, mais plutôt de s’enquérir de sa situation sur le plan

    professionnel,puisdeluiproposeraubesoindesressourcesetdel’information.Onobserveun

    arrimageentredeuxorganesdugouvernementenvuedefavoriserl’intégrationprofessionnelle

    despersonnesimmigrantes,dontl’unestdavantageliéaumondedel’économieetdisposed’un

    financementimportant,Emploi-Québec.

    En 2012, le ministère de l’Immigration du Québec se retire de toute prestation directe de

    servicesauprèsdesnouveauxarrivantsfrancophones:

    • Il externalise la séance de premières démarches d’installation. À Québec, leprocessusd’appeld’offresestremportéparunorganismecommunautaire,leCentremultiethnique, spécialisédans l’accueil de réfugiés. Le contenude la formationestfourni par leMinistère et le financement se fait selon lemêmeprincipe– selon le

    nombredepersonnesprésentes.

    • Une nouvelle séance externalisée d’une semaine est offerte sur l’intégration enmilieudetravail,autitrepassablementdirectif:«Objectif intégration».ÀQuébec,

    le mandat est obtenu par Option-travail/Carrefour Jeunesse emploi, situé à unendroit différent du Centre multiethnique– ce qui occasionne des déplacementspourlespersonnesimmigrantesnouvellementarrivées.Demême,c’estleMinistère

    qui fournit le contenude la formationet le financement varie selon le nombrede

    personnesprésentes.Laséancesetermineavecunesortedeséance«buffet»,où

    plusieurs organismes d’aide à l’emploi viennent présenter leur offre de services.

    Certains organismes y offrent un programme spécifiquement pour les personnes

    immigrantes– par exemple, les ingénieurs, les professionnels des technologies de

    l’information. D’autres y présentent des services destinés à l’ensemble de la

    population,incluantlespersonnesimmigrantes.

  • CAHIERSDEL’ÉDIQ,2016,Vol.3,No1

    27

    • Iln’yaplusformellementdeséanced’informationsurleQuébec.Ceretraittraduitlerôle de plus en plus important que joue Internet pour obtenir de l’information.

    D’ailleurs,cesconnaissancessontcenséesavoirétéévaluéesavantl’émigration.

    Donc,depuisunedizained’années,onassisteenmatièred’accueildespersonnesimmigrantesà

    unereconfigurationdesservices.Les frontièresd’interventionduMinistèreontétédéplacées

    demanièredéterminante.Ellessesontarc-boutéesavecunautreorganismegouvernemental

    auxpoches réputéesplusprofondesetauxviséesd’interventiondifférentes, Emploi-Québec.

    Plusieurs partenaires interviennent désormais en son nom. LeMinistère n’a donc plus aucun

    représentantàsonemploiintervenantdirectementauprèsdesnouveauxarrivants.

    Lefacteurtechnologiqueestcertesàprendreencompte:Internetpermetauxdemandeursde

    préparer leur projet d’immigration. Il devient donc moins nécessaire d’offrir des séances

    d’informationselonuneformuleunique.

    Unereconfigurationdesservicesquisuscitedesquestions

    Néanmoins, cette reconfiguration des frontières organisationnelles soulève trois séries de

    questions fondamentales. La première peut se formuler comme suit: quel sens prend cette

    nouvelleformuled’accueilchezlesnouveauxarrivants?Quelleestlalégitimitédesservicesaux

    yeux des personnes immigrantes? Prenons le cas d’un Européen francophone qui vient de

    s’installeràQuébec:jusqu’àquelpointsesentira-t-ilconcernéparuneinvitationàseprésenter

    au Centre multiethnique? La réception à cette invitation pourrait se révéler différentecomparativementàuneconvocationofficielleàseprésenteràunbureaudugouvernementdu

    Québec.

    Ladeuxièmesériedequestionspermetderevenirauxrecherchesfaitessurlanouvellegestion

    publique:commentlagestiondesressourceshumainesexercéedanscesorganisationsinflue-t-

    ellesurlaprestationdeservices?Danslesorganismescommunautaires,ilarrivequecesoitdes

    personnesemployéesàforfaitquioffrentcesséancesd’accueil.Unesélectionpeusoucieusede

    lapartdecertainsorganismesmandatairesmèneparfoisà retenirà cette findes immigrants

    récentsn’ayantpasunemaîtrisecomplètedufrançais.Commentlaformationrésultantdecette

    décision peut-elle être interprétée par les nouveaux arrivants? Il s’agit bien de choisir un

    représentantde la sociétéd’accueil, chargéde souhaiter labienvenueen sonnometd’offrir

    uneinformationdequalitéàdespersonnesquiaspirentàrefaireleurvieauQuébec.Deplus,

    commentsecomparentlesconditionsdetravaildesdispensateursdeformation,avantetaprès

    la réorganisation (en ce qui concerne la rémunération, les possibilités de mettre à jour

    rapidement ses connaissances, d’évaluer la qualité du travail, etc.)? Si des recherches sur

    l’ensemble de la fonction publique québécoise nous disent que les conditions de travail des

  • CAHIERSDEL’ÉDIQ,2016,Vol.3,No1

    28

    fonctionnaires sont difficiles à la suite de nombreuses initiatives de réorganisations, il y a de

    forts risques que, dans les organismes mandataires, financés au nombre de personnes

    desservies,laréalitérimeavecprécarité.

    Enfin, la troisièmesériedequestionsamèneàréfléchirsur leplanorganisationnel:comment

    reconfigurerdesfrontièresquiontbougénonplusseulementàl’intérieuraugouvernementdu

    Québec,mais qui s’étendent à tout un réseaud’intervenants ayant pourmission d’offrir une

    prestation de services qui se veut coordonnée? Plus concrètement, qui fait les frais de la

    coordinationdecettenouvelleprestationetdelarestructurationdelaprestationdeservices?

    L’exemple d’un regroupement visant à concerter les organisations actives en matière

    d’immigrationdansunerégionduQuébecvientillustrercettenouvelledonne.

    LaTabledeconcertation

    En 2007, la création de la Table régionale de concertation en immigration de la Capitale-

    Nationale (région de Québec), répondait à un constat clair: les organismes prestataires de

    servicesauxpersonnes immigrantes travaillaient«ensilo»,demanière isolée,et se faisaient

    parlefaitmêmecompétition.LaTabledeconcertationestdoncmisesurpiedsousl’impulsion

    de quelques-uns de ces organismes et avec le soutien de la Conférence régionale des élus

    (organisme de développement régional gouverné par lesmaires et préfets de la région). Les

    butsétaientdemaximiser les ressourcesallouéesen immigrationetde tendreversuneoffre

    intégrée, soit un continuum de services régional, dans lequel idéalement, chaque organisme

    auraitsaplace.

    Unepremièreententefinancièreestdoncconclueavecdesministèresetorganismespublics11.

    Lors de cette première phase, le financement est accordé de manière à favoriser la

    collaboration: plus un projet a de collaborateurs, plus le pourcentage du projet financé

    augmente.Cettepremièreétape,menéesurtroisans,apermisdefavoriserlacommunication

    etlamiseenplaced’initiativesconjointes.

    Déjà, à l’amorcede ladeuxièmeétape, leniveaud’engagementdesmembresde la Tablede

    concertation est très important, tant dans le taux de participation aux activités que dans la

    participation aux divers projets et comités. En outre, plusieurs secteurs sont représentés,

    comme l’employabilité, la santé et l’éducation. La deuxième entente financière, conclue de

    2010à2012,n’acettefoisqu’uneannéedemiseenœuvre.Ilfautdoncrapidementmettreen

    placedesinitiativesdecollaborationquirépondentàdesbesoinsidentifiésparl’ensembledes

    11Ministèredel’ImmigrationetdesCommunautésculturelles,ministèredel’EmploietdelaSolidaritésociale,Ville

    deQuébec,Conseilrégionaldespartenairesdumarchédutravail,ForumjeunesseetCRÉ.

  • CAHIERSDEL’ÉDIQ,2016,Vol.3,No1

    29

    acteurs.Cesontdesjournéesdetravailcollaboratifquipermettentdeciblercesenjeuxetcinq

    grands projets collectifs voient le jour. Plusieurs organismes collaborent sur lamise en place

    d’un même projet et un d’entre eux est coordonnateur. Les membres de la Table de

    concertation travaillent alors dans une optique de développement. Des exemples du travail

    réalisé: service d’aide à l’emploi pour les travailleurs temporaires, campagne régionale de

    sensibilisation à l’immigration, création d’un service d’agent de milieu interculturel, mise en

    valeurdel’entrepreneuriatimmigrant.

    Lorsdelatroisièmeétape,uneententefinancièreestconcluepour5ans,soitde2013à2018.

    Cette perspective réjouit les organismes dumilieu qui souhaitaient travailler sur plus qu’une

    seuleannéededéploiementdeprojets,afindemaximiserleseffortsetlesimpacts.Lorsd’une

    planificationstratégiquecollective,sontalorsdéterminésquatrepôlesd’interventionprincipaux

    surlesquelslesmembressouhaitenttravailler:

    • LamobilisationetlaconcertationdesacteursdelaTable• Lasensibilisationàl’immigration12• L’attractionetlapromotiondetravailleursimmigrantsqualifiésdanslarégion• L’intégrationsocialeetéconomiquedespersonnesimmigrantessurleterritoire

    Laconcertationestbieninstallée,laconnaissancemutuelledesorganismesetdeleursmandats

    augmente et les actions verront deux années de déploiement. La préoccupation pour la

    réalisationd’uncontinuumdeservicesrégionalestgrandissantechezlemilieuetdesjournées

    de travail collaboratif y sont consacrées, ayant pour résultat la création d’un continuum en

    ligne. À noter ici que le ministère de l’Immigration est le principal ministère impliqué dans

    l’ententeetqu’unconseillerenpartenariatbaséàladirectionrégionaleduMinistèreestattitré

    à participer à la concertation. Le financement, s’il vient de différents ministères, est donc

    consacréàlaréalisationd’unensembledeprojets,sousl’égided’uneententerégionale,fruitde

    laconcertationdesmembresdelaTable.

    Malgré tout cet exercice réalisé à l’échelle de la région de Québec, le 5 novembre 2014, le

    nouveau gouvernement libéral signe, avec les représentants des villes et municipalités, une

    nouvelleententesur lagouvernancerégionale.Cettenouvellegouvernanceprévoit l’abolition

    des Conférences régionales des élus et le transfert de leurs responsabilités auxmunicipalités

    régionales de comté (MRC). Au même moment, soit en novembre 2014, est annoncée la

    fermeturedesdirectionsrégionalesduministèredel’Immigration.

    12Àtitred’illustration,onpenseàl’initiative«Dumondeàconnaître»,unecampagnedesensibilisationquiviseà

    montrer le côté positif de l’immigration dans la région de Québec; voir le site http://dumondeaconnaitre.com

    (consultéenoctobre2015).

  • CAHIERSDEL’ÉDIQ,2016,Vol.3,No1

    30

    Depuis quelques années déjà, les organismes participant à la Table étaient entrés dans une

    dynamique de gestion par projets– comparativement à une gestion par services. Face à

    l’annonce de l’abolition de l’instance ayant le mandat de la concertation régionale et au

    rapatriement des activités régionales duministère de l’Immigration versMontréal, la Table a

    décidé de poursuivre ses actions, pour le bien de la prestation de services aux personnes

    immigrantes.Maisl’enjeudufinancementreliéàunetelleconcertationresteentier.Comment

    restercollaborateurs,alorsque lacompétitions’exercepourainsidirenaturellementdansun

    contextederessourceslimitées?

    De plus, un changement du paradigme de concertation vers un paradigme de co-

    développement s’opère. Il faut désormais justifier la pertinence économique de chacune des

    rencontres, celles-ci donnant lieu à des formations et des prises de décisions, plutôt qu’au

    simplepartaged’information.L’aspectdudéveloppements’entrouveaussiaffecté.Comment

    développerdansuncontextederessourceslimitées,alorsquelesbesoinsaugmententavecle

    nombredePI,quelesfinancementsbaissentetquelessalairesdesintervenantsconstituentdes

    dépensesinadmissiblespourlaplupartdesfinancements?Laquestiondeladiversificationdes

    sources de financement revient encore ici. Certains organismes visant même les entreprises

    privées comme clientèle et sourcede financement, ce qui risquededétourner l’attentionde

    catégoriesdepersonnesplusvulnérables,dontlesréfugiés.

    Conclusion

    Le soutien institutionnalisé aux immigrants a changé au cours des dernières décennies au

    Québec, ce qui n’est pas étranger aux changements relatifs aux catégories de personnes

    immigrantesaccueilliesdurantcettepériode.Naguèreresponsabledetouslesservicesrendus

    aux immigrants vulnérables et peuqualifiés, leministère de l’Immigration est passé au fil du

    tempsdeseuloccupantd’unvasteterritoireàpropriétairecédantdesparcellesàdesgroupes

    responsables de «clientèles» (c’est le terme courant, à connotation économique) plus

    segmentées. Les frontièresétaientalorsétablies clairement, refletdemandats formaliséspar

    lesfonctionnairesmêmesduMinistère.L’exempledelaTabledeconcertationrégionalemontre

    quecetteorganisationgouvernementaleconsentnonseulementà l’abaissementdesclôtures,

    mais à l’occupation commune des lieux, ses représentants en devenant pour ainsi dire des

    visiteurs.

    Sicedélestagederesponsabilitéspermetl’expressiond’initiativeslocalesetpertinentes,voire

    faire surgir l’exaltation de l’autogestion dans un regroupement tissé serré, il importe de

    demeurer prudent devant l’enjeu émergent du flou généré par cette redéfinition de

    l’interventiondel’Étatenmatièred’immigration.Cederniern’estplusprestatairedeservices.

  • CAHIERSDEL’ÉDIQ,2016,Vol.3,No1

    31

    Cette nouvelle absence ne ferait-elle pas se dresser une autre frontière à ne pas franchir,

    puisque menant à une désorientation, voire une désorganisation du réseau de soutien à

    l’immigration? Pourtant, ce ne sont pas les enjeux qui manquent pour inciter à orienter les

    effortsenmatièred’intégrationdespersonnesimmigrantes: lamaîtrisedelalanguefrançaise

    et leur intégration au marché de l’emploi comptent parmi les plus importants. Quel rôle

    renouveléjoueral’Étatpouryrépondre?

    Bibliographie

    Archambault,Ariane,etJean-ClaudeCorbeil.1982.L'enseignementdufrançais,langueseconde,auxadultes.BibliothèquevirtuelleduConseilsupérieurdelalanguefrançaise(consultéenjuin2015).

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    Cournède,B., A. GoujardetÁ. Pina. 2013. How to Achieve Growth- and Equity-friendly Fiscal

    Consolidation?AProposedMethodologyforInstrumentChoicewithanIllustrativeApplication

    toOECDCountries.OECDEconomicsDepartmentWorkingPapers,No.1088,OECDPublishing,Paris.http://dx.doi.org/10.1787/5k407lwvzkkh-en(consultéenseptembre2015).

    HIRESPublic.2011.Impactdesrestructurationssurlasantédestravailleursdusecteurpublicetrôle du dialogue social, rapport final. Projet financé par la DG Emploi, affaires sociales etinclusion de la Commission européenne.

    http://www.astrees.org/fic_bdd/article_pdf_fichier/1330003686_HIRESPUBLIC_rapport_final.p

    df(consultéenseptembre2015).

  • Mouvancedesfrontièresethniquesetreligieusesdanslesorganismesd’assistanceanglophonesdelarégiondeQuébec:

    AnalysehistoriqueduSaintBrigid’sHomeetduLadies’ProtestantHome1

    PatrickDonovan

    UniversitéLaval,Canada

    IntroductionBienquelavilledeQuébecsoitindéniablementfrancophonedenosjours,iln’enapastoujours

    été ainsi. En 1860, 42,8% de la population est anglophone (Census, 1863: 42)2. Cela estdifficilement imaginable dans le contexte actuel où seulement 1,93%de la population est de

    languematernelleanglaise(StatistiqueCanada,2012:siteinternet)3.

    L’immigrationmassive d’anglophones au XIXe siècle a un impact indéniable sur les structures

    d’assistanceàQuébec.Laplupartdecesimmigrantsarriventsansemploiniréseausocialdans

    la ville. Ils s’appuient d’abord sur les structures d’assistance adaptées du système colonial

    français et catholique, puis ensuite celles introduites par les communautés anglophones en

    place.Parmi lesnombreusesinstitutionsd’assistancefondéespar lesanglophonesdeQuébec,

    leSaintBrigid’sHomeetleLadies’ProtestantHomeontlaissédesmarquesindélébiles.

    L’objectif de cet article est d’observer, à travers l’émergence et l’évolution de ces deux

    organismes,comment lesfrontièresethniquesetreligieuses,quisontporeusesetmouvantes,

    setransformentetd’identifierlesdynamiquesassociéesàcesdéveloppementsdanslaville.La

    population anglophone de Québec n’a jamais été et n’est toujours pas homogène. Elle est

    divisée en sous-groupes reflétant des origines ethniques et des appartenances religieuses

    différentes. La frontière la plus étanche se trouve entre protestants et catholiques,

    particulièremententre1850et1970.Cesfrontièresontdesimpactssurlastructureduréseau

    institutionnel.

    1Cette recherche est effectuée dans le cadre du projet «Ancrages historiques et évolution des organismes et

    associationsd’assistanceauxjeunesetauxfamillesanglophonesdanslarégiondeQuébec»,sousladirectionde

    JohanneDaigle,RichardWallingetLucilleGuilbert.2Lerapportde1861necompilepaslesdonnéesselonlalanguematernelle; j’aidonccalculélaproportiondela

    populationdelavilled’origineanglaise,irlandaise,écossaise,américaine,anglo-canadienneetanglo-normande.31,93%de lapopulation s’estditde languematernelleanglaisedans la villedeQuébec lorsdu recensementde

    2011.

  • CAHIERSDEL’ÉDIQ,2016,Vol.3,No1

    34

    Documentationrelativeauxdeuxorganismesétudiés

    Il existeunedocumentationabondantesur l’histoireduLadies’ProtestantHome.Les sources

    archivistiques les plus importantes se retrouvent dans le fonds d’archives P556 conservé au

    centred’archivesBAnQàQuébec.Ilcontientenvirondeuxmètresdedocumentsdansdix-neuf

    boites.Celainclutlesrèglementsdel’organisme,lesprocès-verbauxde1858à1984,lamajorité

    des rapports annuels entre 1860 et 1989, les registres d’admission comprenant des

    informationsdétailléessurchaquerésidentainsiqueplusieursfichiersdecorrespondance.Àcet

    important fonds s’ajoute les collections du Quebec Diocesan Archives portant sur les foyers

    anglicansàQuébec,lesquellespermettentdemieuxsaisirlastructureduréseauprotestant.

    En contraste, les sources archivistiques pour le Saint Brigid’s Home sont éparpillées et

    comportent d’importantes lacunes. Une copie des «Annales de l’Asile Ste Brigitte», un

    scrapbook de notesmanuscrites et de coupures de journaux couvrant les années 1877-1944,rédigépar lesSœursde la charitédeQuébec,est conservéparmi lesarchivesde l’organisme

    IrishHeritageQuebec.Lasuite(1944-1973)setrouveàHalifaxdanslesarchivesdesSistersof

    Charity-Halifax et n’a pu être consultée. Il faut préciser que le récit des premières années

    d’existence de l’organisme dans ces «annales» a été composé plusieurs décennies après la

    fondation.Ilcomporteplusieurserreurs,malheureusementreproduitesdanstouteslesétudes

    subséquentes. Cela est évident en consultant le fonds St. Bridget’s Asylum (P925) qui existe

    depuis 2009 au centre d’archives BAnQ à Québec ; ce fonds est composé uniquement d'un

    cahiermanuscritdesvisitesetdesinspectionsfaitesàcetasileentre1856et1865.Deplus,le

    Fonds Société de Saint-Vincent de Paul deQuébec (P437) témoigne de l’existence d’un asile

    Saint Bridget’s bien avant la date supposée de fondation notée dans les autres sources

    archivistiques. Ilaégalementétépossiblederetracer lesrapportsannuelspour laplupartdes

    années entre 1859-1873, publiés dans le journal montréalais True Witness and CatholicChronicle.Cesrapportsannuelspermettentd’apporterplusieurscorrectifs,toutefois,ceuxpourles années qui suivent n’ont pas été retrouvés. Cette lacune limite l’investigationpuisque les

    Annales couvrant cettepériodeportent surtout sur lesmesseset la viequotidienneau foyer

    plutôt que sur les états financiers et la gouvernance. Les registres d’admission couvrant les

    années 1856 à 1967, fort utiles pour connaître la composition des résidents, sont conservés

    dans les bureauxdu SaintBrigid’sHome,demêmequequelques scrapbooks, photos, procèsverbaux récents et autres documents épars. La société historique Irish Heritage Quebec

    conserve également dans ses collections plusieurs fichiers liés à l’organisme, notamment des

    centaines de photos et des documents datant des années 1960 et 1970; une documentation

    témoignant des changements apportés par la Révolution tranquille. Enfin, des documents

    concernantcetteinstitutionsetrouventégalementdanslesarchivesdelaparoisseSaint-Patrick

  • CAHIERSDEL’ÉDIQ,2016,Vol.3,No1

    35

    àQuébec,dont lesprocèsverbauxde laSaintBridget’sAsylumAssociation(1859-1860,1870-

    1906).Ceux-cin’ontpuêtreconsultésàcejour.

    Endépitdes limitesesquissées, l’ensembledecettedocumentationdepremièremainpermet

    de tracerunportrait clair, tantdudéveloppementdes institutionspharesdans le champdes

    servicessociauxquedesdynamiquesethniquesetreligieusesdéployéesenmilieuanglophone

    danslavilledeQuébecetce,delaconquêtebritanniquede1759audébutdesannées1970.

    OriginesdesservicessociauxenmilieuanglophoneàQuébec,1759-1860

    La conquête britannique de 1759 change peu de choses dans le paysage de l’assistance à

    Québec.Dans cette villede7000à8000habitants, les réseaux familiaux suffisentencore, en

    grandepartie,àlademande.Pourlereste,lesbritanniquesfinancentlesstructurescatholiques

    existantes. Il s’agit de l’Hôpital Général, mis en place à l’époque de la Nouvelle France, qui

    accueilleunmélangedepersonnesâgées,d’enfantsabandonnés,d’infirmes,deprostituéeset

    autres marginaux (Fecteau, 1989: 36-38; Vallières, 2008: 317-318, 401, 495). L’État

    subventionneégalementl’Hôtel-Dieu,quiaccueillelesenfantsabandonnéesentre1801et1845

    (Rousseau, 1989: 176), dont une part importante d’enfants d’origine anglophone (Census ofCanada, 1873, Vol. V: 353)4. Ces institutions sont administrées par les Augustines, ordrereligieux catholique originaire de France. Les congrégations anglicanes et presbytériennes

    détiennent également un poor fund pour venir en aide aux fidèles dans le besoin (Reisner,1995:156;Rioux,1987:164-167).

    Cettestructured’assistanceestdifférentedecellequiexisteailleursdansl’Empirebritanniqueà

    l’époque.LesautoritésreligieusessontaupremierplanàQuébec,toutcommeenFrance.Par

    contre, le système britannique découle des Poor Laws du XVIe siècle, par lesquelles l’Étatdélèguelagestiondel’assistanceàdeséliteslocaleslaïques(Fecteau,1989:28-33).

    Ce n’est qu’au XIXe siècle que les anglophones de Québec commencent à transformer le

    paysage de l’assistance. De nouvelles institutions voient le jour pour répondre aux besoins

    croissantsengendrésparlescinqfacteurssuivants:

    • Immigration:arrivéemassivedebritanniquesetd’irlandaisàpartirdesannées1820;• Épidémies:denombreusesépidémiesdecholéraetdetyphusentre1832et1854;• Incendies:unedizained’incendiesmajeuresentre1836et1886,certainsdétruisantdes

    quartiersentiers;

    4Lors du recensement de 1871, Mgr Tanguay note dans son relevé des naissances illégitimes dans la ville de

    Québecentre1771à1870qu’«unelargeproportionparvientdesautrespartiesdupaysetuneproportionnotable

    despaysétrangers».

  • CAHIERSDEL’ÉDIQ,2016,Vol.3,No1

    36

    • Industrialisation:larévolutionindustrielleeffritelesanciensréseauxd’entraidecentréssurlenoyaufamilial;

    • Guerres : la guerre de 1812 est à l’origine du premier véritable foyer àQuébec pourveuvesetenfants, l’AsilemilitaireduCanada, fondéen1815 (CanadaMilitaryAsylum,1858:3-4).

    Dans le premier tiers du XIXe siècle, il existe un esprit de collaboration entre les groupes

    ethnoreligieux de Québec. La Société compatissante des dames de Québec (Female

    CompassionateSociety),fondéeen1820,distribuedel’aideauxpauvresdetoutesconfessions,

    sonrèglementobligeantmêmelamixitéethniqueauseinduconseild’administration:«Sixof

    the directoresses shall be Canadian, and six English ladies» (Female Compassionate Society,1822:13).LaQuebecLadies’BenevolentSociety,fondéeen1838,distribuel’aide«withoutany

    distinctionofnameornation»(ThirdAnnualReport,1841:4).L’acteurleplusimportantdanslepaysagedel’assistanceàcetteépoqueestprobablementlaSociétédesémigrésdeQuébec,

    fondéeen1819,quiaidedesmilliersdemigrantsdetoutesoriginesgraceàunsoutienfinancier

    publicmassif5.Danslesannées1840,cettesociétédisparaitraetsonroleseraprisenchargepar

    dessociétéspatriotiquesfondéessurdesbasesethniques(avecunfinancementnettementplus

    modesteà leurdisposition), soit la SaintAndrew’sSocietypour lesAnglaisetGallois, la Saint

    Andrew’sSocietypourlesÉcossais,laSaintPatrick’sSocietypourlesIrlandais,etc.

    Ce même esprit de collaboration entre groupes ethnoreligieux est moins présent dans les

    résidencespourorphelinsetpersonnesâgéesfondéesàcetteépoque(voirtableauci-dessous).

    Toussontfondéesselondeslignesconfessionellesàl’exceptiondel’AsilemilitaireduCanada.

    5La Société des émigrés reçoit jusqu’à 900 livres canadiennes par année, soit le quart des taxes perçues aux

    migrants qui arrivent à Québec. Le nombre de personnes aidées par les orphelinats et organismes d’entraide

    anglophonessecompteendizainesouencentainesparannée,mais laSociétédesémigrésrejointunneuvième

    des migrants, soit 16 884 personnes entre 1832-1839, dont plusieurs enfants (Quebec Emigrant Society, 1832;Minutesofevidence,79-87;AlmanachdeQuébec,1833:151).

  • CAHIERSDEL’ÉDIQ,2016,Vol.3,No1

    37

    Renforcementdesfrontièresethnoreligieuses

    L’esprit multiconfessionnel qui anime plusieurs œuvres charitables au début du XIXe siècle

    disparaitavec le temps.CelaneseproduitpasuniquementàQuébec,niuniquementdans le

    secteurdelacharité,maiscorrespondàdestendancesplusgénéralesretrouvéesdansplusieurs

    villesdel’AmériqueduNord.

    Cedurcissementdesfrontièresethnoreligieusesseproduitdedeuxfaçons:

    • Diminutiondecollaborationsentrecatholiquesetprotestantscauséeparunemontéede l’influence et de la pratique religieuses. L’Église catholique majoritaire réussit àimposer un certain contrôle social au Québec entre 1830 et 1880 à travers sa

    dominationdusystèmescolaireconfessionnelducôtédescatholiques,lamiseenplace

    d’associations, lapriseencharged’organismesdecharitéet le lancementdejournaux.

    Ce renouveau religieux est attribuable à des facteurs internationaux (montée de

    l’ultramontanisme)etàdesfacteurslocaux(echecdesrébellionsde1837-1838portées

    par une élite républicaine). Il existe une situation semblable, en parallèle, du côté

    protestantaveclamontéedel’évangélismeetlesrevivals,quiviennentredynamiserlavie religieuseeten rehausser lespratiques.L’influenced’uncatholicismeconservateur

    encourageaussiuneplusgrandesolidaritéentreProtestants,quicraignentl’ingérence

    del’Églisedansl’État(Hardy,1999:151-155;Ferretti,1999:55-57;Malouin,1996:25);

    • Dimunution de collaborations entre catholiques anglophones et francophones à lasuitedeschangementsamenéspar la famine irlandaise.Lafamineprovoquel’arrivéed’unemassed’irlando-catholiquesdans lesvillesà la findesannées1840.L’arrivéede

    milliersdepauvresfaitmonterlestensionsetencourageladiscriminationdansplusieurs

    villes, contribuant à la construction d’un bastion irlando-catholique plus insulaire et

  • CAHIERSDEL’ÉDIQ,2016,Vol.3,No1

    38

    méfiant(Meagher,2005:58).Lafamineencourageégalementunnationalismeirlando-

    catholique anti-britannique, ce qui rehausse les frontières ethnoreligieuses. Les

    francophones,pourleurpart,voientl’Églisecatholiquedeplusenpluscommeunmoyen

    de preserver leur langue face à l’influence de l’anglais et sont donc moins enclins à

    chercherlacollaborationaveclesIrlandais(Trigger,2001:568).

    Trois communautés aux frontières plus solides émergent de ces changements sociaux : la

    majorité francophone catholique, une communauté anglophone catholique importante

    (dominéeparlesirlandais)etuneminoritéanglophoneprotestante.

    Ces mutations de frontières ethnoreligieuses sont reflétées dans le paysage de l’assistance.

    Aucunenouvelleassociationnetentedefranchirlafrontière«catholique-protestante»dansla

    deuxièmemoitiéduXIXesiècle.Lesanciennesassociationsmulticonfessionnellesdisparaissent.

    La fondationdu Ladies’ ProtestantHomemarque l’arrivéedupremier foyer àQuébecouvert

    non seulement aux anglicans mais à l’ensemble des protestants, favorisant davantage de

    solidaritéentreprotestantstoutenrehaussantlafrontièrecatholique-protestante.Lafrontière

    anglophone-francophonedevientégalementplusprononcée:lacollaborationinterlinguistique

    quiexistaitdans les foyers fondéspar laSociétécharitabledesdamescatholiquesdeQuébec

    disparaitpeuaprèsquelesanglophonesaientfondéleurproprefoyer,leSaintBridget’sAsylum.

    Aucoursdesannées1860,leLadies’ProtestantHomeetleSaintBridget’sAsylumdeviennent

    lesdeux institutions charitablespharesdes anglophonesdeQuébec, leurs territoiresd’action

    étant délimités par le clivage catholique-protestant. Les trois foyers anglicans jouent un

    moindrerôle;leurtailles’avèreêtreplusmodeste,leursclientèlesciblesplusrestreintesetils

    disparaitrontavant la finde laRévolution tranquille6.Examinonsdoncplusattentivementces

    deuxorganismesafindemieuxsaisirlesdynamiquesethniquesetreligieusesquis’yproduisent.

    DébutsduSaintBrigid’sHome(SaintBridget’sAsylum)7

    LespublicationsrécentessurleSaintBrigid’sHomelaissententendrequelefoyerfutfondéen

    décembre1856,maislesarchivesdelaSociétéSaint-VincentdePaulfontressortirunedatede

    fondationantérieure.Danslesannées1840,«theReverendMr.McMahonputapooroldand

    6Enexaminantlesrapportsannuelsdesdifférentsorganismes,j’aiconstatéqu’ilyaenmoyenneunevingtainede

    residentsdanschacundestroisfoyersdel’Égliseanglicaneetcenombredemeurerelativementstableaucoursdes

    années.AuLadies’ProtestantHome, ilyaenmoyennede30à50résidentsparannée.QuantauSaintBridget’s

    Asylum(SaintBrigid’sHome),lesagrandissementssuccessifsfontgrimperlenombred’unevingtainederésidentsà

    prèsde200enmoyennedanslesannées1940.7AudébutduXX

    esiècle,SaintBridget’sAsylumdeviendraleSaintBrigid’sHome,l’orthographeirlandaise«Brigid»

    remplaçantl’orthographeanglaise«Bridget».Lesdeuxnomsseronttoutefoisutilisés.

  • CAHIERSDEL’ÉDIQ,2016,Vol.3,No1

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    infirmwidowunderthecareofMrs.D'arcy-Sincethen,severalothershavebeenatdifferent

    timesplacedinthesamehouse...8».Labasededonnéesnumériséedurecensementde1851

    note effectivement une veuve « Darcy » habitant avec sa famille et trois autres veuves

    catholiquesirlandaisessurlarueNouvelleduquartierSaint-Jean-Baptiste9.

    Audébutde1853,lepèreNelligantransfèrelagestiondecepetitfoyer,quiportaitdéjàlenom

    deSaintBridget’sAsylum,auconseilparticulierSaint-PatricedelaSociétéSaint-VincentdePaul

    (SSVP).LaSSVPestunorganisme laïc,masculinetcatholiquequiacommeobjectifdevisiter,

    d'aideretde réconforter lespauvreset les infirmes.L’organismeasonsiègesocialenFrance

    maisexistedansplusieurspaysanglophones.Fondéen1846àQuébec,ildeviendrarapidement

    l’organismecharitableleplusimportantdelaville.Legroupeestorganiséensuccursalesquasi-

    indépendantes,appelées«conférences»,souventliéesàdesparoisses(Lemoine,2001:29-36).

    Anglophonesetfrancophonestravaillentdanslesmêmesconférencesaudébut,mais«comme

    laplupart[desanglophones]n'entendentpaslefrançais,nousavonsbientôtcomprisquenous

    nepouvionsopérerefficacementaveceux»(SociétédeSaint-ViencentdePaul,1867:13).Des

    conférencesséparées«irlandaises»sontcrééesen1848,puisunconseilparticulierpourgérer

    le touten1850 (SociétédeSaint-VincentdePaul, 1867: 37).Ces changements fonten sorte

    que les conférences anglophones interagissent peu avec les conférences francophones après

    1850,àl’exceptionducongrèsannuel.

    La SSVP se consacre à la gestiondu foyer pendant trois ans. À cette époque, l’asile accueille

    uniquement des veuvesmais la société offre de l’aide extérieure aux orphelins. Au début de

    1856ilnerestequedeuxveuves,quisonttransféréeschezlessœursgrises,soitlesSœursdela

    charitédeQuébec(SCQ),le22janvier1856.Lesraisonspourlafermeturedel’asilenesontpas

    préciséesdanslesarchives.

    SaintBridget’s renaitdansunautreendroitet sousunautremodèledegestionà la finde la

    même année, attirant une clientèle plus nombreuse et variée. Le foyer déménage dansplusieurspetitesmaisonsdelarueSaint-Stanislaspendantlesdeuxprochainesannées,avantde

    s’établirpourdebonaucoindelaGrande-Alléeetdel’avenueDeSalaberryen1858.Desajouts

    successifssegreffentsurcesiteaucoursdusièclesuivant, incluant lesécoleset l’égliseSaint

    Patrick, transformant l’ilot en cœur institutionnel de la communauté irlandaise de Québec

    (Donovan,2012:4-8).

    8 Lesdocumentsd’archivesdufondsP437àBAnQ-Québecsecontredisentconcernantl’annéedefondation.Le«ReportonSaintBridget'sAsylum1853»,4 juillet1854(boite76)donne1842commeannéedefondationtandis

    queleReportofthe«WidowandOrphanAsylumSaintLouisSuburbsQuebecunderthesuperintendanceofSaint

    Patrick'sSocietySt.VincentdePaul»,January1856(boite31)mentionnel’année1849.9LarueNouvelleportemaintenantlenomderueSaint-Patrick.

  • CAHIERSDEL’ÉDIQ,2016,Vol.3,No1

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    DébutsduLadies’ProtestantHome

    L’histoireduLadies’ProtestantHomecommenceaveclafondationduLadies’ProtestantRelief

    Societyen1855.Pendantquatreans,cetteassociationdistribuedel’aidematériellesousforme

    denourriture,devêtementsoudeboisdechauffageauxdomestiquesfémininesetauxjeunes

    immigrantes. En 1859, l’association fonde le Ladies’ Protestant Home dans le quartier Saint-

    Jean-Baptiste au 15 Coteau Street (rue Lavigueur)10. La résidence déménage dans un nouvel

    édificesurlaGrandeAlléeen1863etyresterajusqu’à1989(DonovanetHayes,2010:7-10).

    Avant l’ouvertureduLadies’ProtestantHome, tous les foyersnon-catholiquesàQuébec sont

    contrôléspar l’Égliseanglicaneetcelle-ci souhaiteconserversamainmisesur le secteurde la

    charité. En 1860, le recteur de la cathédrale anglicane propose une fusion entre le Ladies’

    ProtestantHomeet le FinlayAsylumafinde créerune institution conjointegéréepar l’Église

    anglicane mais ouverte à tous les protestants. Cette proposition est rejetée par le Ladies’