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CAHIERS DE LA FONDATION NATIONALE DES SCIENCES POLITIQUES -11- JOHN U. NEF LA ROUTE DE LA GUERRE TOTALE ESSM SUR LES RELATIONS ENTRE LA OUERRE ET LE PROORES lfUMA.JN LIBRAIRIE ARMA D COLIN

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CAHIERS DE LA FONDATION NATIONALEDES SCIENCES POLITIQUES

-11-

JOHN U. NEF

LA ROUTEDE LA GUERRE TOTALE

ESSM SUR LES RELATIONS ENTRE LA OUERREET LE PROORES lfUMA.JN

LIBRAIRIE ARMA D COLIN

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La Fondation Nationale des Sciences Politiques a ete creee par une Ordonnancedu 9 octobre 1945. Elle a pour objet de favoriser Ie progres et la diffusion desSciences Politiques, Economiques et Sociales.

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la Faculte de Droit de Paris; President de la Cour Interna·tionale de Justice;

Wilfrid BAUMGARTNER, Gouverneur de la Banque de France;BOURDEAU DE FONTENAY. Directeur del'Elcole Nationale d'Admi·

nistration;Jacques CHAPSAL, Directeur de l'Institut d'Eltudes Politiques de

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de France, Directeur d'Eltudes a l'Elcole des Hautes-Eltudes;Andre SBGALAT, Maitre des Requetes au Conseil d'Eltat, Secre­

taire general du Gouvernement;Max SORRE, Professeur honoraire a la Faculte des Lettres de Paris;Paul VIMEUX Secretaire general de la Federation Nationale de

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.lfdminisl1'aleur : M. Roger SBYDOUX.

Secretave general: M. Jean MEYNAUD.

La Fondation assure la publication :

1° du Bulletin Analytique de Documentation Politi9ue, Economique et SocialeConlemporaine, repertoire methodique bimestriel des prmcipaux articles concernantles questions relevant des Sciences Politiques, Elconomiques et Sociales, ainsi quede la documentation sur les problemes contemporains du m~me ordre, publiesdans les revues francaises et etrangeres. (Abonnement : France : 1000 fro par an;Eltranger : 1200 fro par an. - Presses Oniversitaires de France, 108, boulevardSaint-Germain, Paris, 6", C. C. P. Paris 392.33);

2° de fascicules bibliographiques consacres aux principaux aspects des SciencesPolitiques, Elconomiques et Sociales, a l'intention des etudiants et du grand publiccultive. Les deux premiers de ces fascicules, relatifs a l'histoire des faits politiques,economiques et sociaux depuis Ie milieu du XVIII" siecle, et a la fonction publi­que et au personnel civil des administrations publiques, ont ete publies par lesEditions Domat·Montchrestien, 160, rue Saint-Jacques, Paris, 5";

3° de Cahiers publies, plusieurs fois par an, par la Librairie Armand Colin, etdestines a faire progresser la recherche dans Ie domaine des Sciences Politiques,Elconomiques et Sociales.

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LA ROUTEDE LA GUERRE TOTALE

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ISBN de la version numérique :9782724683806
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DANS LA MÊMB COLLECTION : .

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CAHIERS DE LA FONDATION NATIONALEDES SCIENCES POLITIQUES

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JOHN U. NEFProfesseur d'Histoirs Économique

et " chairman " du ,t Committee on Social?hought " à I'Université de Chicago.

LA ROUTEDE LA GUERRE TOTALE

ESSâI SUR TES RELATIONS ENTRE LA'GT]ERREET LE PROARÈS HI]]IIAIN

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4r - ----a.}o'^Yry( 'âi LîZTLÈ{ê'\ ;rr l,rr)\Sgff { :

tà?_ \\H / .\'o \ï€ëi l q/oç

1 949LIBRA IR IE ARMAND CO L IN'103, boulevard Saint-Michel,. paris, 5"

Tous droits de {sproduction, de traduction et d.'adaptation résorvés pour tous pâys.

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AVANT-PROPOS

Je suis très sensible à l'honneur que me fait la X'ondation Natio-nale des Sciences Politiques en me donnant l'occasion de présenteraux lecteurs û'ançais ce bref historique des relations qui existententre la poussée de la civilisation industrielle, l'altornance de lapaix et de Ia guerre en Europe et les spéculations do I'esprit occi-dental.

Au début du xvme siècle, époque à laquelle commence cetteétude, le français éLait, la langue des échanges eulturels et de lacourtoisie en Europe, celle des diplomates et le mode d'expressionpréféré de la pensée. En notro temps, qui est celui des jugementsquantitatifs, il pounait sembler que la langue française a perdu de

son importance dans le mondo depuis le xvme siècle. Selon toutoévidence, le nombro de gens qui emploient le français noa pas aug-menté aussi rapidement au cours des cent cinquante derrrières annéesque le nombre de ceux qui se servent des multiples autres langues,et ce, parce que la population de l'Europe et du monde s'est déve-loppée beaucoup plus vito quo celle do la France.

Mais le pouvoir d'attraction d'une langue sur l'esprit des hommesne réside-t-il pas dans la force des idees qu'elle exprime, dansl'élégance, dans la beauté, la nécessité, donc la perennité des motsqu'elle utilise? Et son droit à l'universel n'est-il pas justifié par los

modes d'expression qu'elle fournit pour traduire l'expérience hu-maine dans son ensemble, et par ses formules susceptibles de fonderun lien d'unité entre des peuples de provinces, de races et de naturesdifférentes ?

Jugée pa,r ces derniers critères, la langue hançaise occupe dansle mondo une place qui n'est en rien inférieure à celle dont ellejouissait au xvrrre siècle. L'hist'ei1s que j'ai tenté de faire reviwedans les pages qui suivent suggère que la X'rance a.sauvegardéet développé mieux que d'autres.pays les valeurs chrétiennes et les

valeurs humanistes suseeptibles'd'offrir au monde un terrain de

rencont're et de communion.

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6 r,a GTIEB,R,E Eî r.rr rRroMpgr DE L'rNDUsrRrar.rsMD

C'est pourquoi un écrivain étranger comme moi, qui exprime sonespoir dans le bien de I'humanité et de la communauté universelle,se considère-t-il comme particulièrement honoré d'avoir à s'adresserà ses lecteurs a,u moyen de la langue française.

Le sujet abordé dans ces pages est celui des conférences que jefus prié de donner à l'Institut d'Etudes Politiques à la fin de l'hiveret au début du printemps 1949 âu titre de Professeur ( en visite >.

Il m'a paru préférable de conserver le style un peu familier et pur.de toute documentation qui devait s'adapter à rm auditoire d'étu-'diants et à un public non spécialisé dans les études d'histoire. Pourcette raison et'aussi pour réduire la présentation de cette étude, iln'existe ici de références qu'en ce qui concerne les citationq inclusesdans le texte. La documentation justifiant les raisonnements sou-tenus pourra se trouver dans un volumineux ouvrage sur ce mêmesujet de la guerre et de la civilisation industrielle, qui seraprochai-nement publié aux États-Unis par ( Harvard University Press r.

. Bien que je ne puisse prétendre avoir consulté tous les ouwagestraitant des vastes questions abordées dans ces confrrences, mésrecherches ont cependant été poussées assez loin puisque j'ai tra-vaillé à cette histoire pendant sept ans de façon intermittente et,pendant deux années avec autant de continuité que me le permet-taient ma tâche de professeur et mes obligations administratives.

Je suis vivement reconnaissant de l'a1ryui constant, 4s la, çsmpré-hension généreuse ét cle I'inépuisable amabilité que j'ai trouvésauprès de la Direction de la X'ondation Nationale des SciencesPolitiques et de I'Institut d'Etudes Politiques. Je considère I'expé-rience des conférences et do l'enseignement à l'Institut-comme laplus heureuse et, en bien des points, la plus enrichissante de malongue carrière professorale.

C'est à M. Alfred Canu que je dois la version préliminaire de mesconférences en français. Je tiens également à exprimer ma profondegratitude à M. Lucien X'ebwe, qui a bien voulu lire le texte tLe mesconférences et apporber ses critiques. J'ai été tout spécialementsonsible à l'honneur qu'il m'a fait èn présidant ma première confé-rence, car j'ai suivi ses travaux avec admiration et respect depuisl'époque où il fonrla les < Annales D a,vec le regrotté profesSeurMarc Bloch.

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CHAPITRE PNEMIEN

REGARD NOUYEAUSUR LÀ RÉVOIUTION INDUSTRIELLE

Nous nous trouvons dans un monde de mouvements rapides etde retraitos brusques, un monde encombré comme il ne l'a jamaisété de gens-se bousculant le long des trottoirs des grandes villes,vivant en réclusion dans les cellules de gigantesques immeubles,les automobiles, les wagons de chemin-s de fer et les avions aérody-namiques, bombardés par le tapage des microphones et les scèneschangoantes du cinéma et de la télévision. Ce monde est le fruit dudéveloppement économique inégalé des temps modernes. Commentun tel développement a-t-il commencé of pourquoi a-t-il menéà la guerre totale?

L'idée courante du processus historique qui a amené l'industria-lisme, l'idée que beaucoup d'étutliants ont apprise, est essentielle-ment fausse. Voilà la raison pour laquelle il est nécessaire de com-mencer ce petit liwe par un.regard nouyeau sur ce qu'on appelle larévolution industrielle. Si l''opinion commuqe sur cet épisode dol'histoire écononique est une erreur, ce serait une erreur encoreplus grave de s'en servir comme point de départ pour décrire lesrelations entre les guerres et le développement industriel.

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T.A GIIINRBE ET T]E îB,IOIITPEE DE L,IITDUSTTT,TAT.ISME

I

LA CONCEPTION COUR,AIVTE DE LA R,ÉVOLUTIONINDUSTR,IELLE

Cette thèse qui a été développée avec un soin excellent en X'rancepar M. Paul Mantoux, est celle de la naissance de plusieurs inven-tions techniques. Celles-ci auraient mené l'industrie très rapidementvers le machinisme et la concentration dans les grandes mines etdans les usines, et elles awaient augmenté a,vec une vitesse sansprécédent à la fois la production industrielle et la population. Seloncette thèse classique, la période de changement dans ces nouvellesdirections se situe vers le nrilieu du xvnre siècle, le pays où leschangements décisifs sont d'abord survenus étant la Grande-Bro-tagne, surtout l'Angleterre.

Cette vue conventionnelle de la révolution industrielle a eu unacte de naissance curieux, phénomène dont la connaissance auraitdt faire hésiter le savant à adnrettre ce concept comme le a Sésameouwe-toi > d.e I'histoire mod.erne et de l'étude scientifique de lasociété moderne. Comme généralisation supposée scientifiquo, cetteidée remonte à 1880, quand le jeune ToSmbee, l'oncle du Toynbeeactuellement en vue, donna quelques brillantes conférences à Ox-ford. tr mourut prématurément à l'âge de 30 ans. Il avait parlésa,ns notes, mais on décida de se servir de celles prises par des étu-diants qui avaient suivi son cours. En 1884 parut un petit volumeposthume intitulé Leetures on the Indilstri,q,l Reuoluùïon ol the Eight-eenth Century i,n Englnnd,.

A cause du cadre chronologique des conférences de To;mbee,on a généralement considéré < la révolution industrielle )) commeayant commencé en 1760. Si l'un d'entre nous, alors qu'il était étu-diant, avait pris soin de s'enquérir de l'histoiro politique générale,il aurait flr pourquoi Toynbee avait choisi cette annéelà plutôtqu'une autre : 1760 c'était I'avènement du roi Georgo III d'Angle-terre. Mais vers 1905-1910 on faisait comprendre à la jeunesse amé-ricaine que les gtandes guerres appartenaient au passé et quel'histoire politique était une matière erlrluyeuse. Les étudiants ne

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RNGABD NOIIEEAII ST]n, T.A BÉYOLÛTION I}IDUSTRTET,T,E 9

d.emandaient que trop d'accepter cetie manière de voir qui les cléli-

wait d'une partie de ses études obligatoires. Leur attitude envers les

événements du passé était celle de ce jeune Américain qui, peu avantque les Etats-Unis se trouvent engagés dans la seconde guerre mon-diale, disait à son père : < Je déteste la guerre r. Le père lui deman-dant pourquoi, il répondait : < Parce que sans guerre il n'y a pas

d'histoire et je déteste l'histoire r.Ainsi dans la mesure où les jeunes Américains réfléchissaient, ils

assuraient qu'il devait y avoir des raisons $soaemiques pour fairecommencer la révolution industrielle en 1760 et la faire termineren 1832; comme le firent Mr. et Mrs. I{ammond dans leurs liwesfameux : The Vi,llage Labourer, 1,760-1832, The Town Labourer,

1760-1.832, et The Slci,l,l,ed, Labourer, 1760-L832. Mais on avait éga-

lement choisi cette dernière date pour des raisons d'histoire consti-tutionnelle. 1832 marque l'adoption d'une grande réforme qui élar-gissait I'exercice du droit de suftage jusqu'alors réservé dans tousles pays à une infime minorité, formée de ces citoyens de l'Europodont la manière do viwo cosmopolite avait semblé si rassurante à,

pdmond Burke et à Gibbon. Vers la fin du xtrme siècle, Burke étaitle porbe-parole de la pensée anglaise, miso dans un très beau styleoratoire. Il remarquait que l'Europe ressemblait à uno grande Répu'blique, et il n'était nullement gêné par le fait que c'étaient surtoutquelques gens favorisés qui faisaient cette République.

Du point de vue de l'histoiro économique, le choix des deux dates

de 1760 et 1832 n'était pas aussi oapricieux que leur sigpificationpolitique et constitutionnelle pouvait le laisser penser. L'expression< révolution .industrielle r était entréo dans la conversation en

Europe bien avant que les conférences de Toynbeo en aient parlé-

En tant qu'expression, la < révolution industriello n remonte au

début du xrxe siècle et fut inventée, paraît-il, par les X'rançais,

surtout les ingénieurs et les hommes de commerco. L'expressionapparaît plus fréquemment dans les textes, et sans doute l'entendait-on plus souvent prononcr6o en X'rance qu'en Angloteme pendant lapériode.f820-I840. Quan4,Jes I'rangais parlaient à cette époque

d'une révolution industrielle, ils pensaient le plus souvent aux chan-

gements qui s'étaient produits de leur vivant, particulièrement en

Angleterre.Il faut chercher l'origine de la thèse selon laquelle les progrès

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l0 LA euERB,E ET LE rRroMpEE DE r,'nrDrIsrn,rÂr,rsun

économiques de l'Anglotono pendant ces soixante-douze ans révo-lutionnèrent la vie du monde dans ude des histoires les plus célèbreset les plus lues en Angletene qui aient jamais été écrites. On latrouve exposée en bonne et visible place dans le flfe chapitre deThe Hi,story of Engl,and, de Macaulay, publiée pour la première foiscn 1848. Voici ce qu'il écrivait : < On peut aisément prôuver que dansnotre pays la riehesse nationale s'est augmentée sans interruptiondepuis six siècles au moins; qu'elle était plus grande sous les Tudorsque sous les Plantàgenets; plus grande sous les Stuarts que sous les'Tudors; qu'en 'dépit des batailles, des sièges et des confiscations,'elle était plus grande le jour où s'opéra la Restauration que le jour.où le Long Parloment se réunit; qu'en rlépit de la mauvaise admjnis-tration, de l'exf,ravagance de la cour, de la banqueroute publique,de deux guerres coûteuses et malheureûses, de la peste et de l'in-cendie, elle était plus grande le jour de la mort de Charles If que lejour de son avènement. Ce progrès, après avoir ainsi continuéproportionnellement durant plusieurs siècles devint enfin, vers lemilieu du xvme siècle, démesurément rapide et a marché d.ans lexrxe siècle avec une inrpétuosité do plus en plus irrésistible.... Laconséquence de toute cela est qub notre pays a subi une métamor-phose dont I'histoire du monde ancien n'offre pas d'exemple. Sil'Angleterre de 1685 pouvait être évoquée à nos yeux par quelqueprocédé magique, nous ne reconnaîtrions pas un paysage sur centof un édifice sur dix millel >.

Toymbee peut fort bieu avoir subi l'influence directe.de- ce passage'car il vivait à un moment où le public tirait la plupart de ses connais-sances historiques d'ouwages oomme ceux de Macaulay. Mainte-nant que les solides histoires du xrxu siècle ont été remplacées par.des manuels improvisés, surtout aux États-Unis, peu de gens saventvoir en Macaulay le père de la conception de la révolution indus-trielle. A l'époque où Toynbee enseignait, l'histoire scientifiquemoderne commençait à s'affirmer. Elle commençait à restreindrele domaine des publications historiques et la manière de traiter dessujets particuliers acceptables par les lettrés, à éliminer beaucoupde traits étincelants et hardis des pages écrites avec le ferme espoirgu'elles puissent surviwe. Mais quelques recherches cachées derrière

l' Meceur,ev, The Hi*torg ol Engtand,, traduction par Émile Montégut, Paris,tomo f, édilion 1864, pp. 306-307.

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N,EG+A3D NOITVEAU ,SIIn, I,À, R,ÉVOLIITION IIIDIISTMET,T,E II

les conférences de To5rnbee, son cadre de I'histoire industrielle otle sens qu'il lui donnait s'accordent'avec ce passage de Macaulay.Le tableau des changements qu'il décrivait no provenait pas d'unexa,men prolongé de documents et de statistiques comme ne manque-rait pas de le faire le consciencieux savant d'aujowd'hui, avant deprendre au sérieux aucnne généralisation semblable à celle de Macau-lay ou de Toynbee.

tes idées influencent la conduite des hommes et le cours de l'his-toire. Beaucoup d'idees maîtresses.sont nées de Ia connaissance

du passé. Ces idées historiques ne peuvent jamais être des photo-graphies de scènes et d'expériences réelles. Quand. nous disonsqu'une idée historique est waie, nous voulons dire que l'impressionqu'elle communique correspond aux faits pertinents tels que ceux-cia,pparaissent eux-mêmes dans les documents à notre portée. Pourpouvoir donaer une telle impression, il ne suffit pas d'ê.tre en posses-

sion d'une grande quantité de données sur quelques aspects parti-culiers de l'histoire dans telle période particulière, il est nécessaire

tle comprendre le rapport de aot aspect à l'histoire de cette période

dans son ensemble et à celle des périod.es précédentes. Ni la préci-sion d'un savant scrupuleux du xxe siècle, comme notre collègue'Coornaert du Collège de France, qui a établi les étonnantes statis-tiques sur le commerce des étoffes a,ux xvre et xvne siècles à Hond-schoote, ni le style déclamatoire de Macaulay ne suffisent. Il fautune combinaison des deux. Urie spécialisation exacte peut aboutirà unehistoire inexacte, aussi bien que los généralisationshistoriquesqui précédèrent l'âge des spéciali-stes. Il faut une vue générale de

I'ensemble de l'histoire industrielle. Pendant la première moitié duxxe siècle a prévalu une impression fausse au sujet du rôle joué parla période 1760-1832 darrs l'histoire économique et dans I'histoiregénérale.

Que peut-o4 mettre à sa place?

-'-;--t-.

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12 r.A eITEBRE ET LE rEroMpHD DE L'ni-DItsrBraLrftME

II

LE DEVELOPPEMENT INDUSTR,IEL DE L'ETIROPEsous L'ANCrEN RÉGrME (1?35-1785) :

PIT,ELUDE A LA R,ÉVOLU'IION INDUSTR,IELLE

Quand nons comparons le développement économique aux\.me siècle dans les pays dominants de l'Europe, nous trouvonsque les ressemblances sont beaucoup plus frappantes que les diffé-rences. Ifn mouvement tend.ant à faire de l'Europe une commu-nauté économique caractérise l'époque précédente de Louis XIV etde Newton, lesquels moururent en 1715 et 1725. Ce sont, dans uncertain sens, Louis XfV et Newton les deux rois de l'époque, et lerègne de Newtôn devait être plus long que le règne de Louis XIV.Certes ce mouvement vers une commrulauté économique euro-péenne se poursuit pendant deux générations encore, jusqu'auxannées qui précèdent l'explosion de la Révolution. Toutefois iI y eutun ehangement important dans le caractère du développementéconomique. Pendant les quatre-vingts années précédentes, de 1660à 1740 environ, on avâit pu obsorver un rapprochement et une inter-pénétration réciproques entre les civilisations de la Grande-Bretagneet des autres pays d.u nord d'une part (mettant l'accent srrrle confort,l'abonclance, l'abaissement des coûts de production) et la civilisa-tion différente des pays latins, d'autre part, sous la conduite de laFrance (mettant l'accent sur la joie, l'éclat, le style, la disciplineessentielle au respect des proportions).

Prenons par exemple les églises de Wren, le grand architecteanglais. L'architecture anglaise du xvne siècle doit beaucoup auxmodèles français. Comms l'a dit d'ailleurs un prédécesseur de Wren,le diplomate, poète et amateur des arts $ir Henry Wotton (lequelavait beaucoup voyagé en Europe), tout ce qui se faisait_de biendans l'architecture de son pays, l'Angleterre, était à I'imi1a1i61 4ul'Italie et de la I'rance. Les églises de'Wren avaient beaucoup decharme. Elles procédaient du style classique continental, combinéavec nne certaine austérité plutôt anglaise.

Mais réciproquement, il y avait certains travaux que les Anglais

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R,EGASD NOITVEAU SUR, T.A R,ÉVOLUT'ION INDUSTR,IELT,E 13

du xrrue siècle faisaient beaucoup mieux que les X'rançais, comrropar exemple l'exploration des mines et le transport du charbon.

Il y a en effet dans les liwes français du xvme siècle des gravures

faites par des voyageurs français pour l'instruction de leurs compa-

triotes, représentanô le transport par rail du eharbon anglais.

Ces gravures sont marquées d'un cachet waiment français. Lesjeunes garçons sont assis sur les voitures pour freiner les roues, ilsont sur la tête les grands chapeaux de l'Ancien Régime que l'onvoyait moins dans les mirres de charbon anglaises que dans l'ima-gination des voyageurs en question.

La tendance à suiwe en toutes choses, de l'agriculture àrJ la poli-tiqug l'exemple de la Grande-Bretagne, s'est accusée vers la périodeL72O-1740 dans tous les pays du continent, au premier rang des-

quels et plus que tout autre la France elle-même se plaçait, l'Angle-terre é.tant alors le seul pays de l'Europe qui ait déjà passe par une

sorte de < révolution industrielle r depuis le Moyen Age. On peutpresque dire que pendant un certain temps, particulièrement de 1720

à 1750, l'Angleterre était moins charmée de son propre exemple que

ne l'étaient les pays de l'Europe, seÈ voisins. Ce n'est que vers la finduxvnre siècle qu'olle a enfin concentré ses forces intellectuelles et éco-

nomiques de manière à tirer parti des avantages industriels que luiavait donnes son départ en tête suî la route de l'industrialisme dès

l'époquo de la reine Élisabeth et des rois Jacques Ie" et, Charles Ie",la période de Shakespeare et de Ben Jonson dans les arts, lapériodede X'rancis Bacon, le premier grand prophète du progrès matérielmoderne, et de Hobtres, le premier grand philosophe matérialiste.

En 1697, James Puekle, un A-nglais fort enthousiaste pour les

améliorations techniques, écrivait : a Tout le'monde s'accorde pourdire que les artisans anglais sont les meilleurs sur terre en fait de

perfectionnementl r. Cette phrase décrit une situation qui remonteprcibablement à l'époque de Charles ler, décapité il y a exactementtrois cents a,ns, en partie parce que sa politique et celle de ses

ministres gênait les marchands anglais.Mais quel était l'état' des arts industriels en France pendant le

xvrrre siècle? Des X'rançais comme Montesquieu et Voltaire, quivenaient tout juste de naître quand Puckle publia sa brochure,

I. James Puorr,E, A Netp D,ia\ogu,e betweem a Btngermaster and, an Englklt, Gen-'',lemam, Londres, L697, p. 20.

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I+ T,A GUER"R,E ET IJE TR,IoÛÎPEE DD I,,INDIISITÈTAT,TSMB

seraient tombés d'accord avec lui, au moins dans les années lTB0,c'est-à-dire au moment où ils entraient dans leur âge mûr. La corrês-pondance de Voltaire montre qu'il considérait comme scandaleuseI'ignorance des Français en co qui concerne les sciences naturellesen général et l'æuvre de Newton en particulier. a En véiité r, écri-vait-il au sujet de ses compatriotes en 1785, ( nous sommes la crèmefouettée de l'Europe >. D'après lui la grâce, la précision, la doueeuret la délicatesse de la culture française ne pouvaient pas compenserI'absence de ce qu'il appelait r< les valeurs masculines > par excellence,dans lesquelles l'emportaient les Anglaisl.

Les jraroles de Voltaire étaient uno image exacto des condi-tions existantes. Elles étaient aussi un coup de fouet destiné àpousser ses compatriotes, car la volonté.de changement existaitdéjà vers 1735 et avait commencé à se faire sentir. A l'époque cleBuffon, dont les trois premiers volumes parurent, en l74g,les X'ran-çais commencèrent à se tourner vers des progrès scientifiques detoute sorte ayec une ardeur égale à celle des savants anglais contem-porains, ardeur qui reçut de I'opinion française éclairée les encou-ragements qui lui avaient manqué au xvrre siècle.

L'admiratien toute neuve des Français pour les résultats obtenuspar les Anglais s'exprime alors dans de nombreux a^spects de la viefrançaise. Par les voyages comme.par les lectures, les Irbançaisétudièrent avec un enthousiasmo presque passionné les méthoclesemployées en Angleterre dans les mines, l'industrie et l'agriculture,et ils appliquèrent les résultats de leurs observations au dévelop-pement économique de la X'rance. On faisait tout cela, comme ledisaient les Français eux-mêmes, n à f imitation de l'Angleterre >.

Ainsi, peu à peu, la France et les autres pays du continent se rap-prochaient économiquement de l'Angleterre.

Même pendant le xvte siècle, l'intérêt français pour la politiqueéconomique de l'Angleterre s'était accru. Dès avant le mities dsxv[re siècle il était devenu considérable : cela a,mena les Xtançais,au moins en partie, à changer leur objectif économique. Ce change-ment de direction s'étendit à la politique de la royauté françaiseenvers l'industrie et le commerce. Vers l72}-17g0 commença l'effortprécis pour imiter la politique anglaise, laquelle, était-il admis,

l. (Ewtres ocmpLètes de Toltai,re, Correspandanne, Paris, 1880, vol f, p. 556;vol. III, p, 41,

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BEG}ARD NOTTVEÂII STIR, I,A R,ÉVOLT'TION INDÛSTR,TEI,I,D I5.

a,vait été pour quelque chose dans la maîtrise économique atteintepar l'industrie lourde britannique

Il ne faut cependant pas exagérer les résultats prâtiques de ce'

mouvement, en X'rance. Il n'était pa"s assez fort avant 1789 pourprovoquer une abolition d'ensemble des droits levés sur lo transporbdes matières premières et des marchandises à l'intérieur du pays.

Il n'était pa,s assez fort pour provoquer la suppression des anciennes

corporations. Mais les fonctionnaires publics, à Paris comme enprovince, étaient assez portés à ignorer les vieux règlements, aussi

bien ceux des corporations que ceux du gouvernoment central,lorsque ceux-ci faisaient obstacle à la production et à f introductionde méthodes plus économiques en matière d'industries.

On peut voir ce processurt à l'æuwe d.ans le ]renguedoc, ori les

vieilles limitations de production des principales entreprises textilescessèrent d?être en vigueur, et où l'on permit à chaque marchancl

ou groupe de marchands de décider par soi-même combiet' ilfallait produire d'étoffes pour lo marché du Levant' On encouragea

la construction de grandes usines avec fours au charbon do terre'

pour la fabrication des bouteilles de verre, quoique co ffrt empiéter

clairement suï les privilèges d'un métier fermé, celui des gentils-

hommes verriers dont les droits avaient été établis par les lettrospatentes de 1436, et confirmés par celles de'Louis XI en 1476'

de Louis XIV en 1655 et de Louis XV en 1727. Un décret de L744

mit fi:r au droit exclusif de raffiaer le sucre dans cetto même pro-vincè du Languedoc, droit qui avatt' éLé accord.é précédemment à

deux compagnies successives de marchands de Montpellier. Le décret

ouwit cette industrie à quiconque était disposé à y courir sa chance.

On peut observer de semblables changements de politique dans

toutes les provinces. Un décret de f744 changea du tout au tout lamanière de concéder les mines de charbon à travers le royaume

eritier. Auparavant la couronne avait accordé des monopoles étend.us,

comprenant parfois maintes provinces, à certains nobles et autres'

gens. Désormais n'importe qui, muni d'un capital suffisant, peut

obtenir une concession nouvelle.pour creuser une mine de charbon

à u:r enùroi! déterminé. Les négociants, les marchandslt les pro-

priétaires, qui avaient des ressources financières en guise de privi-lèges, purent de plus en plus facilement participer à l'industrie'minière.

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16 LA GUEEBE ET LE Tn,rolfpnE DE r,'rlTDusreraLrsMp

A la même époque, on allégea quelque peu les charges imposéespar la politique fi.nancière de la royauté aux ressourcés du commerceprivé. Après 1725,les capitaux et les bénéfices ind.ustriels échap-pèrent ponr une large part à l'obligation de payer le vingtièmo.Cette imposition devint presque exclusivement une taxe foncièro.Jusqu'en 1720,|a valeur intrinsèque (la teneur en métal précieux)cle la monnaie française de base, la liwe tournois, avait diminuénotablement de génération en génération, au moins depuis la fincltr xve siècle. Par exemple, en l7!8, cetbe monnaie contenait àpeine un peu plus du quart dg I'argent qu'elle avait contenu à lafin du xve siècle, Après 1725, sèlon l'exemple donné pa,r les Anglaisdans leur pratique noonétaire, sa valeur se maintint davantage.Pendant soixante ans, de 1725 à, l?8b, elle ne varia pas. Ainsidiminuèrent les risques courusi par les créanciers du fait de la dépré-ciation. Ce fut une des rares périodes de l'histoire ôù la n'rance eutune monnaie stable.

Il o'y eut qu'ul aspect de la vie industrielle dont les fonction-naires du gouvernement français s'occupèrent plus que dans lepassé. L'erpérience anglaise en particulier semble démontrer qued.ims ce cas-là une intervention gouvernementale était nécessaireporrr favoriser la prospérité de l'industrie. Minisf,res, intendants,sous-délégués et inspecteurs des manufactures aidèrent beaucoupd'industriels à utiliser de nouvelles machines, de nouvelles espècesde foumeaux et de nouveaux procédés chimiques. Legouvernementa,ra,Tga, plus volontiers des capitaux pour a,ider à l,établissementcle nouvelles entreprises industrielles, quand les garants d.e cesentreprises pouvaient persuader les agents du roi qu'ils allaientintroduire des améliorations susceptibles de récluire les frais deproduction. on accueillit comms jamais auparavant les in:rovationsde techniciens et de capitalistes étrangers.

Il y eut donc de nombreuF changements de politique écononriqueenfue 1725 et 1785. En partie sous f influence de ces changements,on remârque u:re évolution notable du rôlo joué dans la société etla politique françaises par les particuliers gagnant de l,argent dansl'industrie, le commerce et les opérations ffnancières. C,était l,habi_tude au Xrrrne siècle de désigner toute personne de cette sorte parle terme générique de < marchand ,. La composition sociale aussibien qu'économique des < marchands r s'améliora beaucoup plus

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RDGA-R,D NOIryEAU SIIB T,A IiÉVOI,UTION INDÛSTR,IDI,T,E I7

rapidement au xvrtre siècle que pendant le règno de Louis XIV.Au début du xvme siècle, tous les écrivains qui comparent à cesujet la X'rance et l'Algleterro considèrent que la situation desmarchand.s français est fort inférieure à celle des marchands anglais.Mais vers f 780 il se trouve certains observateurs pour soutenir quele's marchands ne sont guèro moins respectés et moins influents enXlance qu'en Aagleterre.

En n'rance ies développements intellectuels, économiques etsociaux s'accompagnèrent d'une augmentation remarquable duvolume de la procluction industrielle et du nombre des travailleursemployés dans les mines et les manufactwes, parallèlement à uneconcentration de la main-d'æuwe dans los grandes entreprises.Un changement, à la fois dans la rapidité et dans la nature du déve-loppement industriel de la I'rance, commence dans les années lZB0-1740, à l'époque où Voltairo signale à ses contemporains uno éton-nante exposition de machines organisée à la cour de Lorraino.Entre 1735 et 1786 le coefficient d'augmentation de la prod.uctionindustrielle et de la grande industrie fut au moins aussi élevé enFrance qu'en Angleterre. On n'avait pas vu depuis lo xrne siècloun accroissement tellemenô rapide dans le volume de la pro-duction française. Depuis le demi-siècle qui suivit la guerre deCent Ans, aucun n'avait jamais approché celui qui s'étend de lZ86à 1785, pour la rapidité. La production de houille et de fer s'âccrutplus rapidement en Xlance qu'en Angleterre. rl ne faut cependantpas oublier, à propos du charbon do terre, que l'Angleterre l'utilisaitdéjà comrne combustible au début du xrmre siècle, alors que laFrance n'on produisait presque pas. Comparés aux énormes entas-sements de houille entreposée sur le carreau des mines de Durhamet du Northumberland,les petits tas de charbon extrait des houil-lères françaises avaient l'air de taupinières.

Certains X'rançais de l'époquo, par ailleurs cultivés, montraientde la nature des combustibles minéraux une ignorance qui ne peutque paraître comique à l'esprit avertl du xxe sièole. En l70g, locontrôleur général demanda aux intendants de lui envoyer desrapports sur l'état des mines de charbon. L'un des intendants,Trudaine, fit un rapport sur les minsg de Saint-Etienne quiétaient alors avoc celles du Lyonnais voisin les principales houillmes

John ù. Nnr. - La route dê la gueùe totale.

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18 r,A cluEBRE ET DE TRrolrPEE DE rr'TNDUSTTt'rÂrrsME

do Fhance. Trudaine envoya, au contrôleur général un compte rendu

très pessimiste, accompagné cependant d'une noto d'optimisme déli-

cieux. La production a diminué de moitié, écrivait-il, et il attrilouaitce fait à l'épuisement des ressourcas de la mino en charbon- Ma,is

il disait au contrôleur général de ne pas s'en préoccuper, la nature

ne pouvant manquer d'améliorer la situation. Il y avait,'en effet,( une chose heureuse dans ces mines, qui est la reproduction r. Les

mines allaient se regarnir d'elles-mêmes. Souvent, écrivait Trud,aine,

les nineurs qui redescendent dans un puits abandonné quelques

mois auparavant découvrent quo le charbon a poussé pendant leur

absencel.Une telle ignorance d'u processus géologique aurait exposé au

ridicule n'importe quel agent public d'Angleterre ou des Pays-Bas,

même un siècle auparavant. A n'en pas douter, l'une des raisons de

cette méprise de Trudaine est le peu d'importance de l'industrieminière en x'ranco au commencement du xvrrre sièclo. Les rapports

des intendants de 1709 montrent que Ia production du pays n'attei-gnait même pas I00 000 tonles cette année-là, alors que la Grande-

È""bgrt", deux fois moins peuplée, produisâit environ 3 millions de

tonnes. Après 1?15, lorsqu'on eut découvert le long de la frontière

belge les riches bassins houillers du nord, les progrès de l'industria-lisation minière et de l'extrastion furent très rapides en X'ranco. Tls

furent encoïe plus rapides après le décret de L744, qui facilitait aux

capitalistes I'octroi de concessiens minières à des conditions favo-

rables. Au cours des dix années précédant la Révolution, la produc-

tion française de charbon dépassa probablement 700 000tonnes par

an; il se peut même qu'elle ait atteint un million de tonnes. On avaitainsi à peu près clécuplé la production de charbon en l'espace de

quatre-vingts ans. Pendant ce temps la production britannique

s'est acctue elle aussi, mais à un r5rthrrre plus lent"

La rapidité des progrès de f industrie du ier dans les deux pays

présente des contrastes semblables. Vers l'année 1720 l'Angleterre

et le Pays de Galles produisaient chaque année environ 25 000 tonnes

d,e fonte et 18 000 tonnes de fer en barre, dont une partie consid'é-

rable était passée par l'état de fonte. La production française de

fer à cetto époquo est très mal connue, mais il est douteux qu'ellé

L correspomgamce des contrôlewrs gâttératt:r_des-_F,irtd,n4ea ûuec Les' Intenda;ttts des

Prwinnes, Oa. a. U' Boislisle, Paris, 1897, r'ol' III' p' 188'

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