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Recherche LES SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 AVRIL 2018 CAHIER SPÉCIAL C Après de longues années de vaches maigres, le gouvernement fédéral a fait volte-face en injectant près de 4 milliards de dollars dans la recherche. Une annonce saluée par toute la communauté scientifique, d’autant qu’il ne s’agit pas d’un coup isolé, mais bien d’un financement pérenne. HÉLÈNE ROULOT-GANZMANN Collaboration spéciale «T oute la communauté scientifique est heureuse », affirme le vice-rec- teur à la recherche et aux études supérieures de l’Université de Sherbrooke, Jean-Pierre Perreault. « Après plusieurs années difficiles, on ne peut qu’ap- plaudir au refinancement de la recherche, d’autant qu’il s’inscrit dans la durée. C’est un signal fort envoyé par le gouvernement, une agréable réponse aux conclusions du rapport Naylor. » Ce rapport, commandé par Justin Trudeau et rendu public il y a tout juste un an, concluait que les années Harper avaient fait très mal à la recherche scientifique puisque, sur dix ans, on avait assisté à une réduction de plus de 30 % du financement par chercheur cana- dien. Il recommandait notamment un réinvestisse- ment échelonné sur quatre ans dans les organismes subventionnaires. C’est aujourd’hui chose faite. Le budget 2018 de Bill Morneau injecte en effet plus de 3,8 milliards dans le système de recherche du Canada. Ce montant com- prend notamment 1,2 milliard sur cinq ans pour les trois conseils subventionnaires, 763 millions pour la Fondation canadienne pour l’innovation et 210 millions pour la création de près de 250 chaires de recherche d’ici 2022. « On voit le sourire sur le visage de nos chercheurs », commente la vice-rectrice à la recherche et à la créa- tion de l’UQAM, Catherine Mounier. «C’est du jamais vu ! Il y a une telle effervescence… Nous sommes d’au- tant plus ravis, ici à l’UQAM, que, proportionnellement, le Conseil de recherches en sciences humaines du Ca- nada enregistre une plus grosse augmentation de son financement. Or, 80% de nos chercheurs travaillent dans ces domaines. » Perte d’expertise M me Mounier explique que, dans les dernières an- nées, environ 25 % seulement des demandes de subven- tions recevaient une réponse positive. Dès l’an dernier, alors qu’un premier effort avait été consenti par le gou- vernement, ce taux était remonté à 40 %, mais le refi- nancement de cette année devrait faire largement aug- menter le taux de succès. « Sans subvention, il n’y a pas de recherche possible, indique-t-elle. Or, avoir un trou dans son curriculum, c’est tellement problématique pour un chercheur. C’est difficile de rembarquer par la suite parce qu’il y a forcé- ment une perte d’expertise. » Problématique pour le chercheur et pour tous les membres de son laboratoire. Problématique également pour le développement économique et social d’un pays, estime-t-on tant à l’Université de Sherbrooke qu’à l’UQAM. Les entreprises ont besoin de tout ce savoir développé par les chercheurs afin de prendre de bonnes décisions d’affaires. Les gouvernements se ser- vent de ces données pour comprendre la société dont ils ont la charge. « Les problématiques ne sont pas les mêmes par- tout dans le monde, explique Catherine Mounier, et il serait donc paradoxal de prendre des décisions en se basant sur les résultats obtenus pour une autre so- ciété que la nôtre. » « Les pays développés doivent aujourd’hui transfor- mer leurs économies pour entrer de plain-pied dans la société du savoir, ajoute Jean-Pierre Perreault. Pour cela, nous devons avoir des idées originales. Ça, Prôner une intelligence artificielle responsable C 4 Du bit au qubit, la course à l’ ordinateur quantique C 6 REFINANCEMENT Ottawa croit de nouveau à la recherche fondamentale VOIR PAGE C 2 : OTTAWA ISTOCK

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RechercheLES SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 AVRIL 2018

CAHIER SPÉCIAL C

Après de longues années de vaches maigres, le

gouvernement fédéral a fait volte-face en injectant

près de 4 milliards de dollars dans la recherche.

Une annonce saluée par toute la communauté

scientifique, d’autant qu’il ne s’agit pas d’un coup

isolé, mais bien d’un financement pérenne.

H É L È N E R O U L O T - G A N Z M A N N

Collaboration spéciale

«Toute la communauté scientifiqueest heureuse», affirme le vice-rec-teur à la recherche et aux étudessupérieures de l’Université deSherbrooke, Jean-Pierre Perreault.

« Après plusieurs années dif ficiles, on ne peut qu’ap-plaudir au refinancement de la recherche, d’autant qu’ils’inscrit dans la durée. C’est un signal fort envoyé par legouvernement, une agréable réponse aux conclusionsdu rapport Naylor.»

Ce rapport, commandé par Justin Trudeau et rendupublic il y a tout juste un an, concluait que les annéesHarper avaient fait très mal à la recherche scientifiquepuisque, sur dix ans, on avait assisté à une réductionde plus de 30 % du financement par chercheur cana-dien. Il recommandait notamment un réinvestisse-ment échelonné sur quatre ans dans les organismessubventionnaires.

C’est aujourd’hui chose faite. Le budget 2018 de BillMorneau injecte en effet plus de 3,8 milliards dans lesystème de recherche du Canada. Ce montant com-prend notamment 1,2 milliard sur cinq ans pour lestrois conseils subventionnaires, 763 millions pour laFondation canadienne pour l’innovation et 210 millionspour la création de près de 250 chaires de recherched’ici 2022.

«On voit le sourire sur le visage de nos chercheurs»,commente la vice-rectrice à la recherche et à la créa-tion de l’UQAM, Catherine Mounier. « C’est du jamaisvu ! Il y a une telle effervescence… Nous sommes d’au-tant plus ravis, ici à l’UQAM, que, proportionnellement,le Conseil de recherches en sciences humaines du Ca-nada enregistre une plus grosse augmentation de sonfinancement. Or, 80 % de nos chercheurs travaillentdans ces domaines.»

Perte d’expertiseMme Mounier explique que, dans les dernières an-

nées, environ 25% seulement des demandes de subven-tions recevaient une réponse positive. Dès l’an dernier,alors qu’un premier effort avait été consenti par le gou-vernement, ce taux était remonté à 40 %, mais le refi-nancement de cette année devrait faire largement aug-menter le taux de succès.

«Sans subvention, il n’y a pas de recherche possible,indique-t-elle. Or, avoir un trou dans son curriculum,c’est tellement problématique pour un chercheur. C’estdifficile de rembarquer par la suite parce qu’il y a forcé-ment une perte d’expertise. »

Problématique pour le chercheur et pour tous lesmembres de son laboratoire. Problématique égalementpour le développement économique et social d’un pays,estime-t-on tant à l’Université de Sherbrooke qu’àl’UQAM. Les entreprises ont besoin de tout ce savoirdéveloppé par les chercheurs afin de prendre debonnes décisions d’affaires. Les gouvernements se ser-vent de ces données pour comprendre la société dontils ont la charge.

« Les problématiques ne sont pas les mêmes par-tout dans le monde, explique Catherine Mounier, et ilserait donc paradoxal de prendre des décisions en sebasant sur les résultats obtenus pour une autre so-ciété que la nôtre. »

« Les pays développés doivent aujourd’hui transfor-mer leurs économies pour entrer de plain-pied dansla société du savoir, ajoute Jean-Pierre Perreault.Pour cela, nous devons avoir des idées originales. Ça,

Prôner uneintelligenceartificielleresponsableC 4

Du bit au qubit, la course àl’ordinateurquantiqueC 6

REFINANCEMENT

Ottawa croit de nouveau à la recherchefondamentale

VOIR PAGE C 2 : OTTAWA

ISTO

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R E C H E R C H EL E D E V O I R , L E S S A M E D I 7 E T D I M A N C H E 8 A V R I L 2 0 1 8C 2

GÉNIE APPLIQUÉ

AU-DELÀ DE LA RECHERCHE, DES RÉSULTATS CONCRETS

• AÉROSPATIALE

• ÉNERGIE

• ENVIRONNEMENT

• INFRASTRUCTURES ET MILIEUX BÂTIS

• MATÉRIAUX ET FABRICATION

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Toute l’information sur nos programmes de 2e et 3e cycles à www.etsmtl.ca

ÉCOLE DE TECHNOLOGIESUPÉRIEUREUniversité du Québec

ACFAS

«Nos cerveaux sont nos ressources naturelles»Lyne Sauvageau est devenue la présidente de l’Acfas le mois dernier

H É L È N E R O U L O T - G A N Z M A N N

Collaboration spéciale

C ible numéro un de la nou-velle présidente : la relève.

Et en premier lieu : faire ensorte que de plus en plus dejeunes Québécois prennent lechemin de l’université.

« Parce que nos cer veauxsont nos ressources naturelles,lance-t-elle. Mais pour attirerplus de jeunes dans les labora-toires de recherche, il fautfaire rayonner les travaux deceux qui s’y trouvent déjà.C’est ce que nous nous atte-lons à faire à l’Acfas. »

La jeune présidente rappelleque seul le tiers des 25-34 ansont un diplôme de premier cy-cle universitaire et que celaplace le Québec en bas de lamoyenne des pays de l’OCDE.

« C’est une situation quenous ne regardons pas sou-vent, mais qui justifie pleine-ment la priorité que l’Acfas ac-corde à la relève, assume-t-elle, à ses besoins et au rôlefondamental qu’elle joue dansnotre système de recherche etdans la société. »

Elle raconte ainsi comment,la veille de notre entrevue, ellea assisté à une activité organi-sée par l’association et qui met-tait en vedette plusieurs étu-diants dont les recherches ontabouti à un produit pouvantêtre mis en marché. Les unsont découver t des probio-tiques susceptibles de rempla-

cer les agents chimiques quiservent de conservateurs dansl’industrie alimentaire et quisont de plus en plus décriés.Les autres ont réussi à amélio-rer le moteur électrique.

« Ce sont des modèles pourles jeunes qui sont aujourd’huiau secondaire ou au cégep, es-time-t-elle. Ça leur montre quefaire un doctorat, ce n’est passeulement faire des études.C’est aussi avoir des idéesconcrètes susceptibles de faireavancer la société et, le caséchéant, se lancer en affairesgrâce à celles-ci. »

La chasse aux fausses nouvelles

L’act i v i t é é v o q u é e p a rMme Sauvageau est le concoursGénies en affaires. Mais l’Ac-fas propose d’autres pro-grammes destinés à la relève,comme Ma thèse en 180 se-condes ou encore les Journéesde la relève en recherche, dontla dernière édition a eu lieu enseptembre 2017. Par ailleurs,l’association aide les jeuneschercheurs à mieux communi-quer et à mettre en valeurleurs résultats.

Car voilà une autre prioritéque se fixe la nouvelle prési-dente : mieux communiquer,vulgariser. « Maintenir l’impor-tance des faits alors même quede plus en plus d’informationscirculent, de plus en plus rapi-dement et sur toutes sortes deplateformes, précise Lyne Sau-vageau. Faire en sorte que l’on

se réfère toujours à des faits età des résultats de recherche.C’est fondamental dans la so-ciété d’aujourd’hui. La re-cherche donne l’heure juste.El le fa i t contrepoids auxfausses nouvelles. »

L’Acfas s’engage donc à en-courager les chercheurs à com-muniquer avec le grand public,car il en va de leur responsabi-lité sociale. Dans la même veine,elle a mis en place une grille tari-faire spécifique pour encouragerle public non universitaire à par-ticiper à son grand congrès an-nuel, et ce, afin qu’un dialoguepuisse s’instaurer entre lascience et la société.

Maintenir le dialogue en français

Pour cela, rien de tel que decommuniquer en français.Voilà une autre priorité deL yne Sauvageau qui, bienqu’elle comprenne la pressionqu’il y a à publier en anglaisafin d’élargir son auditoire etde pouvoir échanger avec lemonde entier, estime que, si lesscientifiques veulent garderleur capacité à travailler avec leterrain, ils ne peuvent le faireau Québec qu’en français.

« Dans le domaine de la re-cherche en éducation, parexemple, les chercheurs sonten relation étroite avec desécoles, des professeurs, desélèves. Ces échanges se fonten français. Ici, au Québec,pour maintenir le dialogueavec la société, la langue,

c’est le français. »Mme Sauvageau explique par

ailleurs que la science passepar des concepts culturels etque ces concepts sont enchâs-sés dans la langue. Elle in-dique que ce que recouvre unmot peut différer d’une langueà l’autre et que la science per-drait de sa richesse si elle nese produisait plus que dansune seule langue devenue uni-verselle. «En se limitant à l’an-

glais, on limite la science elle-même», résume-t-elle.

Sous sa présidence, l’Acfaspoursuivra donc son engage-

ment envers la recherche et ladiffusion du savoir en français,et cela, dans des « espacesmultilingues et ouverts».

L’Association francophone pour le savoir (Acfas) a une nouvelle présidente en la personne

de Lyne Sauvageau. Détentrice d’un doctorat en santé publique de l’Université de Mont-

réal et d’une maîtrise en science politique de l’Université Laval, Mme Sauvageau était

jusque-là vice-présidente à l’enseignement et à la recherche de l’Université du Québec. Elle

dévoile au Devoir les priorités de son mandat.

ACFAS

Lyne Sauvageau est la nouvelle présidente de l’Association francophone pour le savoir (Acfas).

En se limitant à l’anglais, on limitela science elle-mêmeLyne Sauvageon, présidente de l’Acfas

« »

les chercheurs savent le faire. Mais jusque-là, nous manquions d’argent pour creuser lessujets. »

Recherche multidisciplinaireÀ l’Association francophone pour le savoir

(Acfas), on se félicite que ce virage au fédéralse prenne à l’avantage de la recherche fonda-mentale. La nouvelle présidente, Lyne Sauva-geau, accueille comme une très bonne nouvellele fait que les chercheurs puissent de nouveauproposer des sujets de recherche basés surleur curiosité. « C’est comme cela qu’ils aidentla société dans laquelle ils vivent à mieux pré-parer l’avenir, estime-t-elle. Nous avons besoind’une base de connaissances fondamentalespour mieux appréhender l’inattendu.»

Tous trois saluent également la création d’unnouveau fonds pour soutenir la recherche inter-disciplinaire, qui reconnaît, selon eux, les nou-velles façons d’exercer le métier de chercheur.

Jean-Pierre Perreault fait notamment valoirque, dans plusieurs domaines, l’Université de

Sherbrooke travaille de manière transdiscipli-naire. Sur le vieillissement de la population parexemple, les équipes se penchent bien entendusur les aspects biologiques et médicaux, maisaussi sur la question des chèques de pension,sur la mobilité durable, l’automatisation desmaisons pour permettre de garder les per-sonnes âgées à domicile, etc.

Sherbrooke profitera également de ce refi-nancement pour développer son expertise enmatière de science quantique, de vivre ensem-ble, de gouvernance, ainsi qu’en médecine. Àl’UQAM, l’innovation sociale, l’entrepreneuriatsocial, le développement durable sont des sec-teurs qui devraient profiter de cette manne fi-nancière. Les recherches féministes égale-ment, tout comme les questions éthiques et so-ciales que pose le développement de l’intelli-gence artificielle.

« Ces expertises vont pouvoir de nouveauêtre subventionnées », se réjouit CatherineMounier, tout en soulignant que les années dedisette ont fait en sorte que le Canada a perdude son lustre sur le plan international. Ellenote par exemple que la place des chercheurscanadiens dans les grandes publicationsscientifiques a reculé au cours de la dernièredécennie.

SUITE DE LA PAGE C 1

OTTAWA

Québec : pas de pérennisation des subventionsLe budget provincial déposéla semaine dernière à Qué-bec donne lui aussi un petitcoup de pouce à la re-cherche, mais il s’agit en réa-lité surtout de la reconduitedes sommes annoncées l’andernier dans le cadre de laStratégie québécoise de la re-cherche et de l’innovation(SQRI). Le budget Leitão pré-voit ainsi une augmentationde 20 millions de dollars ac-cordée aux Fonds de re-cherche du Québec (FRQ).L’Acfas estime que le SQRI apermis de mettre en lumièrela qualité, la diversité et lapertinence de la recherchequi se fait au Québec et l’im-portance du soutien qui doitêtre apporté à la relève et à laculture scientifique. L’associa-tion tient également à souli-gner la mesure ponctuelle desoutien aux missions de neufmusées à caractère scienti-fique et technologique. Maisdans un cas comme dans l’au-tre, elle souhaite que le gou-vernement travaille à la pé-rennisation des subventions.«Les sommes sont promisespour une durée limitée, ex-plique Lyne Sauvageau. Celanous pousse à rester très vigi-lants. La coupe d’un finance-ment pour un laboratoire,cela signifie la fin abrupte desrecherches. Nous souhaitonsvivement que la volonté du

gouvernement de réinvestirde manière soutenue dans larecherche se traduise concrè-tement et permette à noschercheuses et chercheursde répondre aux grands défisde notre société. »Dans un communiqué publiéau lendemain du dépôt dubudget, la Fédération québé-coise des professeures et pro-fesseurs d’université(FQPPU) a également indiquéqu’elle réservait un accueilmodéré aux investissementssupplémentaires accordés àQuébec. Elle rappelle que lacontribution provinciale au fi-

nancement global des fondsdestinés aux chercheurs uni-versitaires québécois diminueconstamment par rapport à ceque leur accorde le gouverne-ment canadien.Le président de la FQPPU,Jean-Marie Lafortune, rap-pelle que l’orientation donnéeaux activités de recherchepar le financement est déter-minante en regard de la maî-trise des leviers du dévelop-pement et de la satisfactiondes besoins de la population.Il déplore ainsi que le gouver-nement du Québec baisse lesbras en ce domaine.

JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE

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R E C H E R C H EL E D E V O I R , L E S S A M E D I 7 E T D I M A N C H E 8 A V R I L 2 0 1 8 C 3

Ce cahier spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, grâce au soutien des annonceurs qui y figurent. Ces derniers n’ont cependant pas de droit de regard sur les textes. Pour toute information sur le contenu, vous pouvez contacter Aude Marie Marcoux, directrice des publications spéciales, à [email protected].

Pour vos projets de cahier ou toute autre information au sujet de la publicité, contacter [email protected].

FEMMES EN SCIENCES ET EN GÉNIE

Vers la fin du «baiser de la mort»?Le gouvernement fédéral investira 21 millions pour accroître la diversité et la présence des femmes

A N N I C K P O I T R A S

Collaboration spéciale

« P our moi, Marc Lépine n’était qu’un fou.Mon père m’avait toujours dit que si je

travaillais fort, je pouvais faire tout ce que jevoulais dans la vie, et j’en étais totalementconvaincue. Alors, après ce drame, j’ai simple-ment poursuivi mon chemin et j’ai fait ma placedans le domaine du génie, qui était alors un

monde d’hommes », raconteMichèle Prévost, qui œuvreà Polytechnique depuismaintenant une trentained’années. Véritable pion-nière dans la gestion del’eau potable par les munici-palités, cette professeure ti-tulaire au Département desgénies civil, géologique etdes mines est devenue, aufil des ans, une figure incon-tournable du domaine, tantau Canada que sur la scèneinternationale.

Elle fait partie de ceux quiont été appelés à la rescousseaprès la tragédie de Walker-ton en 2000, cette petite ville

ontarienne frappée par la pire épidémie à la bacté-rie E. coli de l’histoire du Canada: plus de 2000personnes sont tombées malades et sept d’entreelles sont décédées après avoir bu de l’eau du ro-binet. «Cet événement malheureux a toutefoispermis à tout le monde de prendre consciencede différents risques de contamination et a menéà une refonte majeure des façons de traiter l’eau

potable en partant de la source jusqu’au robinet»,explique-t-elle. Elle travaille depuis activement àfaire évoluer les normes, ici et ailleurs dans lemonde.

Une représentativité « inacceptable»Michèle Prévost a donc vu beaucoup d’eau cou-

ler sous les ponts, au sens propre comme au fi-guré. À son arrivée à Polytechnique, alors qu’elleavait trois enfants, aucun congé parental ne figu-rait dans la convention collective ni dans les pro-grammes sociaux. «Pour une femme qui voulaitfaire carrière en sciences tout en ayant une fa-mille, c’était très difficile. Arrêter ses travauxpour prendre un congé de maternité signifiait deprendre du retard par rapport aux collègues mas-culins et d’entamer une progression plus lente etdifférente pour le reste de sa carrière. En somme,c’était comme le baiser de la mort.»

Aujourd’hui, grâce à des battantes commeelle qui ont fait tomber les barrières dans tousles domaines de la science, les femmes peuventmaintenant mieux concilier travail et famille,même si l’exercice demeure un défi. Cependant,la proportion de femmes au sein du corps pro-fessoral demeure faible, une représentativitéque Michèle Prévost juge « inacceptable ». Deplus, même si le taux de réussite des femmesen génie est le même que celui des hommes, lesfemmes sont moins nombreuses à demanderdes bourses de recherche par exemple.

Parce qu’on est en 2018C’est pourquoi elle se réjouit, comme bien des

scientifiques au pays, du fait que le budget fédé-ral 2018 prévoit de consacrer 21 millions de dol-lars sur cinq ans à l’accroissement de la diversité

dans les sciences, y compris la représentativitédes femmes : 6 millions de dollars seront affec-tés à des enquêtes destinées à recueillir des don-nées améliorées sur les chercheurs et 15 mil-lions ser viront à mettre en œuvre des pro-grammes qui valorisent l’égalité et la diversitéparmi les chercheurs des établissements d’en-seignement postsecondaire partout au pays.

Pour attirer et retenir les chercheurs depointe en début de carrière dans ces derniers,le budget de 2018 propose un nouvel investisse-ment de 210 millions de dollars sur cinq ans etde 50 millions de dollars par année par la suitepour le programme des chaires de recherchedu Canada afin de soutenir les chercheurs endébut de carrière tout en assurant une plusgrande diversité parmi les chercheurs sélec-tionnés et un nombre accru de femmes nom-mées à des chaires de recherche du Canada.

Appelé à se « réinventer », le Conseil natio-nal de recherche du Canada souhaite aussi éli-miner tout obstacle involontaire à la participa-tion des chercheuses et entrepreneures à sesprogrammes.

Faire tomber les barrières (encore)Car des obstacles involontaires, il en existe

encore, confirme la chercheuse. « Par nature,on dirait que beaucoup de femmes sont unpeu comme les subventions… elles ne vien-nent pas cogner à la porte, il faut aller les cher-cher ! » illustre-t-elle.

Elle a elle-même appris à cogner aux portes.Elle se souvient que lorsqu’elle a fondé la Chairede recherche en eau potable en 1992, elle a hé-rité de deux laboratoires… vides ! Rapidement,grâce à une subvention en équipement duCRSNG, elle a pu acquérir ses premiers outilsanalytiques, bâtir ses premiers pilotes et démar-rer sa recherche, qu’elle codirige désormaisavec son collègue, le professeur Benoit Barbeau.

Depuis, grâce à la Fondation canadiennepour l’innovation (FCI), elle a pu fonder en2003 le Centre de recherche, développement etvalidation des technologies et procédés de trai-tement des eaux (CREDEAU), qui a formé plusde 400 étudiants œuvrant aujourd’hui au seind’entreprises et d’institutions du savoir au pays.

La combinaison des programmes fédéraux(chaires industrielles, FCI et programmes dechaires du Canada) lui permet aujourd’hui d’atti-rer les meilleurs talents à Montréal, comme laprofesseure Sarah Dorner, recrutée aux États-Unis, de même que la professeure Françoise Bi-chai, qui vient tout juste de se joindre à l’équipe.

Actuellement, la Chaire s’intéresse entre au-tres aux nouveaux polluants qui se retrouventdans les cours d’eau, comme les algues, et à laproblématique du plomb dans l’eau potable, quiest d’ailleurs un enjeu de santé publique àMontréal, où le réseau d’aqueducs nécessitedes réfections majeures.

Michèle Prévost dit avoir été longtempscontre les programmes de discrimination posi-tive visant par exemple l’accroissement desfemmes en sciences et génie, comme le proposemaintenant le gouvernement fédéral avec cebudget. «Leurs programmes sont vraiment dy-namiques et comme la culture a changé et queles femmes sont plus présentes qu’auparavant,le tout me semble très positif pour l’avenir.»

Lors de la tuerie de Polytechnique en 1989, au terme de laquelle 14 étudiantes en génie

ont brutalement trouvé la mort, Michèle Prévost n’était pas sur les lieux. Mais son bureau,

lui, n’était qu’à quelques pas d’une des classes où les jeunes femmes ont été abattues…

Cette tragédie, qui a visé des femmes souhaitant travailler dans le domaine des sciences,

n’a jamais freiné les ardeurs de Michèle Prévost, professeure titulaire de la Chaire indus-

trielle CRSNG en eau potable de Polytechnique Montréal.

POLYTECHNIQUE

Michèle Prévost (3e en partant à droite de la 3e rangée),dans son laboratoire entourée de ses étudiantsGrâce à

des battantescomme elle,les femmespeuventmaintenantmieuxconciliertravail et famille

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R E C H E R C H EL E D E V O I R , L E S S A M E D I 7 E T D I M A N C H E 8 A V R I L 2 0 1 8C 4

E M I L I E C O R R I V E A U

Collaboration spéciale

I l y a près de quatre ans, deschercheurs de l’École de

technologie supérieure (ETS),de la Faculté de médecine vé-térinaire de l’Université deMontréal (UdeM) et du FlintAnimal Cancer Center de laColorado State Universityconvenaient d’unir leurs ex-pertises en fabrication additiveet en chirurgie oncologiquevétérinaire pour tenter decréer des endoprothèses per-sonnalisées pour les chiens.Intitulé Novel Limb SparingSurgery Using Individualized3D-Printed Implants in Dogs,leur projet-pilote s’est avérétrès prometteur. Déjà, cinq pa-tients canins atteints d’ostéo-sarcome ont pu bénéficierd’implants créés sur mesurepour leur anatomie.

C’est à l’initiative du doc-teur Bertrand Lussier, chirur-gien vétérinaire, professeurtitulaire à l ’UdeM et cher-cheur associé au Centre derecherche du CHUM en chi-r urgie expérimentale et enmaladies rhumatismales, quele projet est né.

Ayant réalisé de multipleschirurgies orthopédiques ca-nines, M. Lussier était à la re-cherche de solutions pouraméliorer le traitement chirur-gical de l’ostéosarcome chezle chien.

« Ber trand Lussier savaitq u e l ’ E T S é t a i t e n t r a i nd’aménager un laboratoired’impression 3D — le pre-mier de ce type-là au Canadadans une université. Il nous ac o n t a c t é s , m o n c o l l è g u eYvan Petit et moi, pour quenous essayions de créer parfabrication additive une en-doprothèse personnaliséepour des chiens atteints d’os-téosarcome », indique Vladi-mir Brailovski, éminent spé-cialiste des matériaux, de laconception et des procédésde fabrication ainsi que pro-fesseur en génie mécaniqueà l’ETS.

Une tumeur complexe à traiter

Il faut savoir que cette tu-meur cancéreuse est assez fré-quente chez les chiens degrandes races et de racesgéantes. Touchant principale-ment la médullaire des oslongs des pattes (radius, hu-mérus, tibia, fémur), elle en-gendre une boiterie et occa-sionne des douleurs chez leschiens qui en sont atteints.Lorsqu’ils ne sont pas traités,ces derniers meurent en géné-ral dans les cinq mois suivantle diagnostic.

Or, les options de traite-ment de l’ostéosarcome sontpour le moment assez limitéeset souvent très invasives. Unedes avenues empruntées estla chirurgie pour préserver lemembre (limb-sparring). Elleconsiste à retirer la partie at-teinte par la tumeur et à rem-plir le défaut créé dans l’ospar un implant métallique.

« Ce qui est disponible ac-tuellement sur le marchépour réaliser cette opération,c’est une plaque métalliqueétroite qui est trouée pour yinsérer des vis et qui s ’at -tache à un autre morceau »,

précise le docteur BernardSéguin, chir urgien vétéri -naire spécialisé en oncologieau Flint Animal Cancer Cen-ter et l’un des membres duprojet-pilote.

« Ce morceau de métal làn’est fait qu’en deux dimen-sions, c’est-à-dire 98 ou 122m i l l i m è t r e s , p o u r s u i t - i l .Lorsqu’on fait la chirurgie,on enlève souvent plus d’osqu’on l ’aurait voulu parceque la plus petite dimensionest trop grande pour nos be-soins. Il arrive aussi que 122mi l l imèt r es , ce so i t t r opcour t et que ça nous em-pêche d’utiliser cette tech-nique. Mais ce n’est pas leseul problème. Comme laplaque doit être vissée, il y adif férentes composantes àassembler. Il faut aussi plierl ’ implant pour l ’adapter àl’anatomie du chien. Ça faitbeaucoup de manipulations. »

Le taux élevé de complica-tion sur venant suite à cetteintervention constitue égale-ment un enjeu. D’après laplus récente étude parue surle sujet, 96 % des chiens quila subissent en vivent aumoins une.

Une prothèse impriméeen 3D

Peu de temps après la re-quête du docteur Lussier, leschercheurs de l’ETS, en colla-boration avec Anatolie Timer-can, étudiant à la maîtrise engénie mécanique à l’ETS, sesont mis au travail. En se ba-sant sur les principes d’ingénie-rie inverse, ils ont développé unprocessus leur permettant decréer des endoprothèses per-sonnalisées par impression 3D.

Leur démarche nécessitel’utilisation de CT-scans effec-tués sur les deux pattes avantdes chiens atteints. «On part dufichier obtenu lors de l’imagerieet on le transfère dans un for-mat que les ingénieurs peuventtraiter», explique M. Brailovski.

Des modèles numériques desos du patient sont ainsi créés.Puis, une opération de miroirest réalisée sur le radius sain,qui est subséquemment posi-tionné et orienté de la mêmemanière que le radius atteint.

«On procède ensuite à l’opé-ration de façon virtuelle et onretire les tissus endommagésen suivant les consignes du chi-rurgien, indique l’ingénieur.Après, dans un autre environ-

nement, on crée un implant àl’aide de logiciels de concep-tion assistée par ordinateur. Oncrée aussi un guide, donc unoutil chirurgical, qui permet deprendre une position par rap-port à un repère anatomique.»

Une fois l’endoprothèse et leguide de coupe approuvés parle docteur Séguin, ceux-ci sontenvoyés à l’impression.

« Pour l ’ implant , on tra -vaille avec la fabrication ad-ditive — l’impression 3D —à par tir de poudres métal-l iques. Pour ce qui est duguide, il est aussi imprimé,mais il est fait en plastique »,souligne M. Brailovski.

Après quelques étapes de fi-nition qui incluent notammentun traitement thermique, unpolissage mécanique et un net-toyage dans un bain à ultra-sons, l’endoprothèse et le guidede coupe sont expédiés auxÉtats-Unis au docteur Séguin.L’ensemble du processus prenden général entre 14 et 21 jours.

Des résultatsencourageants

C’est en septembre dernierque le docteur Séguin a réaliséla première opération avec une

endoprothèse personnalisée fa-briquée à l’ETS. Depuis, quatreautres patients se sont ajoutésà la liste et le vétérinaire se ditheureux des résultats obtenus.

« Pour le chirurgien, ça faitvraiment une grande dif fé-rence parce que l’implant vacomme un gant et qu’il n’y aaucune modification à appor-ter, confie-t-il. Ça réduit pasmal le temps d’opération. Pourle chien, il est encore trop tôtpour le dire, d’autant plusqu’on n’a pas la puissance sta-tistique pour l’appuyer, mais àce jour, il semble y avoir moinsde complications qu’avec unimplant traditionnel. Nos ré-sultats préliminaires sont ex-trêmement encourageants. »

Bien qu’il ne considère pasl’endoprothèse personnaliséecomme une panacée, le doc-teur Séguin estime qu’elle re-cèle un grand potentiel.

« C’est une prothèse qui de-meure en métal et qui ne règlepas tous les problèmes, maisc’est un excellent début. Cequi reste à faire, c’est de trou-ver la meilleure compositionpossible de matériaux pour ré-duire au maximum le risquede complications, notammentles infections. Il faut aussi amé-liorer le temps de fabrication,parce que l’ostéosarcome peutendommager l’os rapidement,donc on doit opérer très viteaprès le diagnostic. Si on y par-vient, c’est sûr que ce sera uneamélioration majeure pour leschirurgiens et les patients.»

Très enthousiaste devant lespossibilités qu’offre la fabrica-tion additive, M. Braidilovskiespère pour sa part que le pro-jet mènera à de futures initia-tives dans le domaine médical.

« Déjà, la personnalisation,c’est quelque chose d’excep-tionnel, mais il n’y a pas queça, conclut-il. C’est une tech-nologie qui permet de créerdes structures architecturéesà microstructure complexe etd’utiliser les matériaux lesplus avancés. Dans le domainemédical, ses applications peu-vent être multiples. »

Quand l’impression 3D améliore les traitements chirurgicauxDes chercheurs de l’ETS ont développé des endoprothèses personnalisées pour les chiens

Orienter les travaux de recherche en intelli-

gence artificielle vers le bien commun: voilà

l’objectif affiché par le regroupement de re-

cherches HumanIA. Pour l’une de ses coor-

donnatrices, la professeure au Départe-

ment d’informatique de l’Université du Qué-

bec à Montréal (UQAM) Marie-Jean Meurs,

la clé pour y arriver réside dans les collabo-

rations entre les différentes disciplines.

E T I E N N E P L A M O N D O N E M O N D

Collaboration spéciale

Pour prendre en considération les enjeuxéthiques qui émergent de l’intelligence artifi-

cielle, Marie-Jean Meurs travaille, dès qu’elle dé-marre des projets de recherche, avec des juristes,des philosophes et des éthiciens. «Je pourraisfaire des mathématiques appliquées et de l’infor-matique théorique, déléguer la dimensionéthique à mes collègues et ne pas m’en préoccu-per, en me disant que je fabrique de jolis moteurs,puis que les autres vont décider du contexteéthique dans lequel ils les utilisent.» Mais cela nelui ressemble pas. Depuis le début de sa carrière,sa démarche a pris un virage fort différent. «Il setrouve que mon intérêt de recherche, en intelli-gence artificielle, c’est vraiment dans le cadred’une recherche multidisciplinaire, où je préfèrepartir des problèmes, puis sélectionner des ap-proches d’intelligence artificielle qui vont s’adap-ter, pour le mieux, aux problèmes qu’on rencon-tre. Dans cette démarche, la collaboration entreles disciplines m’apparaît indispensable.» Cettedémarche permet notamment de respecter ou derépondre à des principes éthiques dès la concep-tion d’un algorithme, d’une base de données oude tout autre outil technologique.

Le projet de recherche Legalia, qu’elle dirigeavec Hugo Cyr, doyen de la Faculté de sciencepolitique et de droit de l’UQAM, et SebastienGambs, professeur au Département d’informa-tique de l’UQAM, est révélateur. Avec commeobjectif de développer une éthique de l’intelli-gence artificielle dans les domaines du droit etde la justice, il met à contribution des parte-naires universitaires issus de domaines aussivariés que les études internationales, lessciences juridiques, la responsabilité sociale etenvironnementale en gestion, les sciences poli-tiques et la linguistique. « Mon approche, c’estd’adjoindre systématiquement aux projets derecherche des gens qui viennent d’un domaineoù ils ont l’habitude de se poser ce genre dequestions, de les écouter et de les faire partici-per à la réflexion. C’est très enrichissant. »

DiscriminationAvec Hugo Cyr et Sebastien Gambs, ainsi

que Dominic Martin, professeur au Départe-ment des organisations et des ressources hu-maines, elle dirigera aussi, dès l’été 2018, unprojet de recherche sur l’égalité, la discrimina-tion et l’intelligence artificielle.

La question de la discrimination se révèleparticulièrement intéressante puisque les outilsd’aide à la décision et les systèmes automatisésde décision ont le potentiel de détecter et d’en-rayer les biais discriminatoires, mais aussi deles amplifier s’ils ne sont pas conçus avec soins.Elle met en exergue la question de la qualité etde la variété des données avec lesquelles sontentraînés les algorithmes. « C’est très compli-qué, assure-t-elle. Ce n’est pas toujours possibled’avoir des données qui vont être équilibrées. »

Un autre champ de recherche qui touchel’éthique de l’intelligence artificielle, dans lequelelle est présentement très active, concerne l’ap-prentissage d’informations socialement perti-nentes tout en protégeant la vie privée et la sé-curité des individus. Un des défis consiste à em-pêcher, même lorsque les données sont anony-misées, d’identifier des personnes en recons-

truisant des liens entre les informations. « Cen’est pas toujours évident, affirme-t-elle, parceque si vous enlevez trop d’informations ou dedonnées, vous n’avez plus rien. Si vous n’en en-

levez pas assez, vous ratez votre objectif parceque vous apprenez des choses qui permet-traient d’identifier, par exemple, des patientsdans le contexte de la santé.»

Prôner une intelligence artificielle responsable

ÉCOLE DE TECHNOLOGIE SUPÉRIEURE

Endoprothèse personnalisée par impression 3D (haut) et guide de coupe (bas)

Prévenir la dépression grâce à l’IA

JACQUES NADEAU LE DEVOIR

L’un des projets de recherche de Marie-Jean Meurs vise à détecter les signes avant-coureurs de dépression et d’anorexie à l’aide de textes publiés par des internautesdans des forums et des réseaux sociaux. Si les modérateurs de certains forums sont alertés rapidement, ils peuvent intervenir auprès des gens en danger.

Marie-Jean Meurs réalise desrecherches pour que l’intelli-gence artificielle respecte desprincipes éthiques, mais aussipour qu’elle serve d’outil pourrésoudre des problèmes desociété. L’un de ses projets derecherche vise à détecter lessignes avant-coureurs de dé-pression et d’anorexie à l’aidede textes publiés par des in-ternautes dans des forums etdes réseaux sociaux. Actuelle-ment, elle réalise des jeuxd’entraînement et des tests à

l’aide d’un corpus de donnéesfourni par la conférence inter-nationale eRIsk de l’initiativeCLEF. Les données provien-nent des sous-sections de laplateforme sociale Reddit, quis’apparente à un regroupe-ment de forums de discus-sions. «En plus de détecter sieffectivement quelqu’un esten phase de dépression ous’en approche, un des enjeuxsupplémentaires est de le dé-tecter le plus tôt possible,avec le moins de publications

possible, indique Marie-JeanMeurs. Si les modérateurs decertains forums sont alertésrapidement, ils peuvent facile-ment intervenir auprès desgens susceptibles d’être endanger.» Ces démarches pour-raient déboucher sur un outilqui avertirait des modérateurs,qui n’ont pas le temps de liretous les textes générés surleur plateforme, si des utilisa-teurs ont besoin d’être orientésvers du soutien ou des res-sources psychologiques.

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R E C H E R C H EL E D E V O I R , L E S S A M E D I 7 E T D I M A N C H E 8 A V R I L 2 0 1 8 C 5

UNIVERSITÉ CONCORDIA

Vers un campus nouvelle génération

A L I C E M A R I E T T E

Collaboration spéciale

«C’ est un changement deparadigme », estime

Guylaine Beaudr y, nomméevice-rectrice exécutive adjointeà la stratégie numérique. Cellequi est aussi directrice et bi-bliothécaire en chef de l’Uni-versité Concordia a la lourdetâche de coordonner la futurestratégie numérique de l’éta-blissement. Cette stratégieconstitue l’un des cinq projetsmajeurs à Concordia dans savolonté de devenir « une uni-versité de nouvelle généra-tion ». « Avant tout, pour faireune distinction importante, ilfaut comprendre que la straté-gie numérique n’est pas unestratégie de technologie de l’in-formation, cela ne concernepas les infrastructures, le ser-veur ou les réseaux », préciseMme Beaudry. Ce qui se cachederrière cette stratégie estbien plus large, puisqu’elle doitamener l’ensemble de la com-munauté universitaire à faireune transition vers une culture

numérique. « Nous voulons al-ler au-delà des outils en tantque tels», ajoute-t-elle.

« Quand nous sommes pas-sés du manuscrit à l’imprimé,au début, il s’agissait en fait

d’une reproduction de l’écri-ture… Et depuis, tous nosfonctionnements sont copiésde l’imprimé, donc aujourd’huinous voulons quitter ce mimé-tisme technologique », ex-plique Guylaine Beaudry. Encomparant avec Gutenberg, lavice-rectrice exécutive ad-jointe à la stratégie numériquesouhaite montrer que le pro-cessus de Concordia permet-tra d’entrer pleinement dans laculture numérique. « Nousvoulons laisser derrière nousles choses auxquelles noussommes habituées, les ré-flexes de l’imprimé et savoirtravailler avec les donnéesmassives, la réalité virtuelle ouencore la réalité augmentée »,développe-t-elle. Elle ajouteque l’objectif n’est pas detransformer Concordia en uneuniversité en ligne, mais biende s’imprégner des nouveauxoutils numériques.

Parler à la communautéLe 23 mars dernier, Concor-

dia a inauguré sa nouvelle bi-bliothèque Webster, après

trois ans de rénova-tions et de travauxd’agrandissement.Un lieu nouvelle gé-nération, où les visi-teurs sont accueillispar des clips vidéo etqui of fre davantaged’espaces de travail

pour les étudiants. Les nou-velles technologies y sontaussi très présentes, avec, parexemple, un studio de visuali-sation et un « bac à sable tech-nologique », où l’on peut utili-

ser des imprimantes 3D, descasques de réalité virtuelle ouencore des caméras vidéo 360degrés. « Pour la rénovationde notre bibliothèque, nousavons ouver t des canaux decommunication et de consul-tation avec la communauté »,explique Guylaine Beaudr y,déjà à la bar re de ce vastechantier. D’ailleurs, c’est sansdoute son travail pour Webs-ter qui a poussé les responsa-bles à la nommer vice-rectriceexécutive adjointe à la straté-gie numérique.

En vue de la future stratégienumérique, tout comme pour labibliothèque, Mme Beaudry alancé une vaste consultation au-près des étudiants, professeurset membres du personnel del’Université. Des groupes dediscussion ont été organisés et

des entretiens individuels vontse dérouler au cours des pro-chaines semaines. «Nous noussommes organisés pour avoirune représentation d’un maxi-mum de profils dif férents »,commente-t-elle. Une troisièmephase de consultation, consti-tuée d’ateliers créatifs, est aussiprévue.

Penser la stratégieAvant les consultations,

l’équipe a mené un inventairedes outils, des pratiques et desformations de Concordia. «Cetinventaire a été une entrepriseimportante », commente Guy-laine Beaudry. Aussi, un cyclede huit conférences sur le futurnumérique a été organisé. Despersonnalités du monde de l’in-formatique sont venues, tellesque Marie-Josée Lamothe, de

Google, pour une conférence in-titulée «S’adapter à un mondenumérique qui est là pour res-ter » ou encore Félix Lajeu-nesse, diplômé de Concordia etqui travaille en réalité virtuelle.Cette série d’événementss’achèvera le 24 avril prochainavec le professeur Yoshua Ben-gio, de l’Université de Montréal,qui parlera évidemment d’intel-ligence artificielle. «Ces confé-rences sont très populaires etcela permet de mobiliser tousles membres de la commu-nauté universitaire », noteMme Beaudry.

En outre, au mois de mars,un grand sondage a été menéauprès de tous les étudiants. Ce-lui-ci a été conçu par l’institutbritannique Gestalt Internatio-nal Study Center (GISC), et lesquestions portaient sur l’appren-

tissage des étudiants. L’objectifétait de savoir s’ils considèrenten savoir assez sur le plan dunumérique pour être prêts pourleur carrière, mais aussi com-ment ils interagissent avec leursprofesseurs, ou encore s’ils pré-fèrent apprendre avec les outilsen ligne. «Le sondage couvreune panoplie de sujets et nousavons un taux de réponse extra-ordinaire. Nous regardons ac-tuellement les résultats prélimi-naires sur l’expérience numé-rique de nos étudiants », sou-ligne Mme Beaudry.

Pour finir, Guylaine Beaudryindique aussi dresser un étatdes lieux, afin de savoir ce quise fait ailleurs. «Après avoir re-gardé à l’interne, on va regar-der à l’externe, dans d’autresuniversités et grandes institu-tions, pour voir si nous pou-vons apprendre des meilleurespratiques», explique-t-elle.

Plan de matchCe travail devrait aboutir dé-

but juin, et l’équipe s’attaqueraà la rédaction d’une feuille deroute dès l’automne. Celle-cidevrait se détailler en plusieursblocs, divisés en sous-actions.«Tout sera prêt pour le mois dedécembre, avec le budget fi-nal », assure la vice-rectriceexécutive adjointe à la stratégienumérique. S’il est encore troptôt pour s’avancer quant aux ré-sultats, puisque les consulta-tions sont encore en cours,Mme Beaudr y peut d’ores etdéjà dire que plusieurs mem-bres de la communauté ont ex-primé le besoin de mieuxconnaître les outils qui sont àleur disposition, mais aussiqu’ils ont beaucoup de ques-tions sur la littératie et l’éthiquenumérique. « Il ne faut pas sur-estimer la connaissance des ou-tils numériques», conclut-elle.

L’Université Concordia souhaite établir une culture numé-

rique nouvelle génération en son sein. Un virage aussi auda-

cieux que nécessaire, qui concerne l’ensemble de la commu-

nauté universitaire.

UNIVERSITÉ CONCORDIA

Un logiciel interactif présenté dans le nouveau studio de visualisation de la bibliothèque Webster

L’objectif n’est pas de transformerConcordia en une université enligne, mais bien de s’imprégnerdes nouveaux outils numériques

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R E C H E R C H EL E D E V O I R , L E S S A M E D I 7 E T D I M A N C H E 8 A V R I L 2 0 1 8C 6

E T I E N N E P L A M O N D O N E M O N D

Collaboration spéciale

D es appareils mécaniques et électroniquessont branchés à un cylindre suspendu par

un échafaudage. À l’intérieur de celui-ci, desdispositifs sont refroidis jusqu’à des tempéra-tures extrêmes frisant le zéro absolu (environ-273 degrés Celsius) par un réfrigérateur à di-lution qui produit un grand vacarme. « Dansun laboratoire comme ici, on sort l’artillerielourde », lance dans le sous-sol du pavillon dessciences de l’Université de Sherbrooke Mi-chel Pioro-Ladrière, professeur de physique etdirecteur adjoint de l’Institut quantique. L’ob-jectif ultime : faire passer l’ordinateur quan-tique de la théorie à la réalité.

C’est le grand rêve de l’informatique mo-derne : créer un appareil avec une puissance decalcul incomparable à celle des ordinateursd’aujourd’hui en domptant la physique quan-tique. Car les lois de la physique à l’échelle del’infiniment petit se révèlent déroutantes : unmême électron peut notamment exister dansplusieurs états à la fois et se retrouver à plu-sieurs endroits à la fois. Physiciens et ingé-nieurs collaborent ici pour tirer profit de cespropriétés au bénéfice de l’informatique.

Du bit au qubitDans nos ordinateurs actuels, les transistors

bloquent ou laissent passer un courant élec-trique, ce qui engendre un 0 ou un 1. C’est cequ’on appelle un bit. Ces signaux sont envoyésun à la suite de l’autre. Or, en s’appuyant sur laphysique quantique, il est possible de superpo-ser un 1 et un 0 en même temps. C’est ce qu’onappelle un qubit. « Un ordinateur quantique vafaire plusieurs calculs en parallèle », préciseAlexandre Blais, directeur de l’Institut quan-tique, en vulgarisant dans son bureau les basesthéoriques de cet ambitieux projet à l’aide d’uncrayon et d’un tableau. « Pour être capable desimuler un ordinateur quantique de 300 qubitsavec un ordinateur classique, il faudrait pren-dre chaque atome de l’univers visible et décla-rer que c’est un transistor. Et on n’en auraitmême pas assez. »

Alexandre Blais montre un processeur quan-tique de forme circulaire, en saphir et en alumi-nium, de 4 qubits. Sa conception découle d’unethéorie qu’il avait développée avec une équipeen 2004, durant ses études postdoctorales àl’Université Yale. Son design permet d’échan-

ger des informations entre des qubits sur uncentimètre, une distance «gigantesque». « Il y aune transition de la physique quantique vers laphysique classique quand les corps deviennenttrop gros. Et trop gros, ce n’est pas grand-chose. Ce qu’on veut faire, c’est combattrecette tendance à la nature de revenir à la phy-sique classique. Pour ça, il faut trouver destrucs, des astuces. »

Des progrès insuffisantsDans les derniers mois, IBM a annoncé avoir

atteint 50 qubits, tandis que Google a évoquéun prototype de 72 qubits. Mais c’est encoreloin d’être suffisant pour parler d’un ordinateurquantique ou pour supplanter la puissance desappareils actuels, souligne Alexandre Blais. Ilajoute que dans les manipulations quantiques,

une erreur entre un 0 et un 1 survient encoreenviron une fois sur cent. « Ce n’est pas accep-table. On ne peut pas faire un ordinateur quifonctionne comme ça. »

De plus, les qubits demeurent fragiles : ilspeuvent être maintenus dans leur état quan-tique sous des températures extrêmementfroides, un champ magnétique puissant et àl’abri de tout bruit durant à peine 100 microse-condes. Même si Alexandre Blais assure qu’onpeut faire beaucoup dans ce cour t laps detemps, il considère qu’« il faut améliorer ça».

« Il y a beaucoup de défis d’ingénierie, mais àla base, il reste aussi beaucoup de recherchefondamentale pour trouver de meilleures fa-çons », signale-t-il. L’équipe de l’Institut quan-tique continue de plancher sur des calculs et denouveaux designs de circuits, tout en simulantdes modèles à l’aide du superordinateur Mam-mouth, situé sur le campus.

« Nos montages sont faits pour contrôlerquelques qubits et, à l’Institut, on a des projetspour faire des montages qui seront capablesd’en contrôler beaucoup plus », souligne Mi-chel Pioro-Ladrière au sujet des expérimenta-tions dans les laboratoires. « À force d’avoir deplus en plus de qubits, on va peut-être décou-vrir des choses inattendues. Sur papier, il n’y arien qui empêche l’ordinateur quantique. À cestade-ci, avec quelques qubits, tout fonctionneselon les règles du jeu. Il est possible que celachange en court de route. Si ça ne fonctionnepas, c’est parce qu’il y a quelque chose qui estfondamentalement faux avec la mécaniquequantique et on va faire des découvertes fonda-mentales. D’un point de vue scientifique, c’estcapital. Et si ça fonctionne, tant mieux, on va serendre à l’ordinateur quantique.»

La course à la sécuritéLa sécurité constitue l’une des raisons pour

lesquelles Alexandre Blais juge important quele Québec et le Canada demeurent dans lacourse à la conception de l’ordinateur quan-tique. Si d’autres pays en détenaient un, ilspourraient facilement briser la cryptographieprotégeant nos communications numériques.En revanche, le posséder fournirait la solutionpour sécuriser nos informations contre des ap-pareils aussi puissants.

Mais l’informatique quantique ouvre davan-tage d’horizons. Sa puissance pourrait notam-ment résoudre des problèmes complexes d’op-timisation, comme ceux dans la gestion d’une

flotte aérienne commerciale. Il aiderait aussi àsimuler… des systèmes quantiques. « Ça sem-ble ennuyeux», admet le physicien, avant de ci-ter des répercussions concrètes, comme dansla synthèse de nouvelles molécules pour desmédicaments ou la conception de matériaux su-praconducteurs. Et c’est sans compter les utili-tés dont on ne se doute pas encore. Après tout,l’ENIAC, le premier ordinateur américain dé-voilé en 1946, avait été conçu pour calculer destrajectoires balistiques. On connaît la suite.

Du bit au qubit, la course à l’ordinateur quantique

P I E R R E V A L L É E

Collaboration spéciale

P renons une molécule sim-ple, comme l’acétylène

(C2 H2) dont la structure estlinéaire (H-C-C-H). Excitonscette molécule en lui faisantabsorber de l’énergie, soit desphotons. Cela provoque uneréaction chimique et la molé-cule perd sa structure linéaireet adopte plutôt une structuretriangulaire, ce qui transformela molécule d’acétylène en unemolécule de vinylidène. Imagi-nons maintenant que cetteréaction chimique a pu être fil-mée. Truc de prestidigitateur?

Eh bien non, il s’agit d’uneexpérience réussie par Fran-çois Légaré, chercheur et pro-fesseur au Centre Énergie Ma-tériaux Télécommunications del’INRS. L’expérience sur la mo-lécule d’acétylène a été réaliséedans le Laboratoire de sourcesfemtosecondes (Advanced La-ser Light Source ou ALLS) ducentre situé à Varennes.

« Nous avons réussi à filmerle bris et la formation de liai-sons chimiques induites pardes photons », explique Fran-çois Légaré, dont l’un des

champs d’expertise est la pho-tochimie qui porte sur l’inter-action entre la lumière et lesmolécules chimiques. Bienque concluantes, ces expé-riences, de l’aveu même deFrançois Légaré, ne sont pasentièrement satisfaisantes.« Nous avons réussi parfaite-ment à déterminer le mouve-ment et la position des atomes,poursuit-il, mais pour ce quiest du déplacement et de la po-sition des électrons, nos résul-tats sont moins précis. »

Mais en quoi est-il importantde déterminer le déplacementet la position des électrons ?« Parce que les électrons sontla colle des liens chimiques, ex-plique-t-il. Lors d’une réactionchimique, des liens chimiquesse brisent et se forment, ce quiimplique que les électrons, lacolle, se réarrangent aussi.»

Et pourquoi filmer les élec-trons et les noyaux ? « Parceque cela va permettre d’aug-m e n t e r n o t r e c a p a c i t é àmieux comprendre le fonc-tionnement des réactions chi-miques », souligne-t-il.

Difficultés technologiquesMais filmer une réaction chi-

mique à la hauteur des élec-trons et des noyaux pose unesérie de défis technologiques.D’abord, nous sommes icidans le monde de l’ultra-petitet surtout de l’ultra-rapide. Parexemple, l’électron d’un atomed’hydrogène peut faire le tourcomplet de l’atome en 152 atto-secondes. Rappelons qu’une at-toseconde est un milliardièmed’un milliardième de seconde,soit 10-18 seconde. « Pour pou-voir saisir et filmer une réac-tion chimique qui se dérouledans des durées aussi courtes,explique François Légaré, ilfaut être en mesure de pouvoirproduire et émettre des pulsa-tions lumineuses, ou flashs, dedurées similaires.»

E t p o u r c o m p l i q u e r l achose, l’émission d’une seulepulsation lumineuse ne suffitpas, il faut être en mesure d’en

émettre deux, et ces deux pul-sations doivent être parfaite-ment synchronisées. « C’estque la première pulsation lu-mineuse sert à déclencher laréaction chimique, précise-t-il,et la deuxième pulsation lumi-neuse sert à sonder la réactionchimique.»

Pour réaliser ce haut faitd’armes, François Légaré s’esttourné vers la technologie deslasers. Il existe plusieurs sortesde lasers ayant dif férentesfonctions, allant de la chirurgieophtalmologique à la métallur-gie en passant par l’épilation.Mais les principes de base de-meurent les mêmes.

Le principal principe phy-sique du laser provient de laphysique quantique et senomme l’émission stimulée.Lorsqu’un atome absorbe unphoton, il devient excité. Pour

revenir à son état fondamen-tal, il doit émettre un photonde la même longueur d’ondeque ce lu i absorbé . C ’es tl’émission spontanée.

L’émission stimulée se pro-duit lorsqu’un atome excité re-çoit un photon dont la longueurd’onde aurait permis de l’exciters’il avait été dans son état fonda-mental; ce photon peut alors dé-clencher une sorte de désexci-tation de l’atome. L’atome vaalors émettre un second pho-ton, de même longueur d’ondeque celui qu’il a reçu, mais dansla direction et la même phaseque le premier. L’atome excitédevient alors une sorte de pho-tocopieuse à photons.

Un laser comprend essen-tiellement trois principaux élé-ments : une source d’énergie,un milieu amplificateur, c’est-à-dire une cavité dans laquelle setrouvent les atomes à exciter,et un jeu optique, des miroirs,qui permet des allers-retoursde la lumière dans le milieu àexciter. En résulte l’émissiond’un rayon lumineux composéde photons qui sont de mêmenature et qui vont dans lemême sens.

Pour arriver à fabriquer unlaser capable d’émet-tre un rayon à pulsa-tion courte, FrançoisLégaré et son équipese sont servis d’un la-ser de table qu’ils ontensuite transformé,d’abord en adoptantun autre mode et mi-lieu d’amplification et

en modifiant le jeu optique.«Cela nous a permis de mettreen place un laser qui émet despulsations lumineuses de l’or-dre de la femtoseconde », pré-cise François Légaré, la femto-seconde étant le degré qui pré-cède l’attoseconde.

Few-cycle inc.Le laser développé par Fran-

çois Légaré a non seulementpermis à ce dernier de réaliserses expériences d’imageriesmoléculaires, mais il a aussi faitdes petits. En effet, un ancienassocié de recherche, BrunoSchmidt, a fondé une entre-prise, few-cycle inc., afin decommercialiser ce type de laser.

«Lorsque l’on va dans un la-boratoire étranger, par exem-ple, en Allemagne, l’on constatequ’un fort pourcentage des ins-truments est d’origine alle-

mande. Par contre, dans nos la-boratoires, la majorité des ins-truments est importée. Pour-quoi ne pas commercialiser nospropres inventions ? C’est ceque cherche à faire few-cycle.»

La clientèle visée en est unede créneau. «Few-cycle chercheà vendre ce laser à d’autreschercheurs universitaires quipourraient mettre à profit cetinstrument pour leurs propresrecherches, précise-t-il. Et celane concerne pas que l’imageriemoléculaire ; d’autres disci-plines, je pense notamment àcelle des matériaux condensés,pourraient s’en servir.»

L’imagerie moléculaire comme un filmL’homme qui voulait voir les électrons danser

Un nouveau pavillonL’Institut quantique de l’Université de Sher-brooke possédera bientôt son propre pa-villon. Pour sa construction, il a reçu en jan-vier dernier un financement de 13 millionsoctroyé par le gouvernement du Québec etle Fonds canadien de l’innovation (FCI).Cette somme s’ajoute aux 33,5 millions sursept ans accordés à l’Institut quantique en2015 par le gouvernement fédéral à traversle Fonds d’excellence en recherche Apogée.Alexandre Blais espère toujours une entréed’argent supplémentaire pour concrétiser lepavillon qu’il a en tête. Ce dernier posséderades plateformes ouvertes, soit des labora-toires, notamment avec des installationspour effectuer des expériences à très bassetempérature, qui seront accessibles pourplusieurs chercheurs, collaborateurs et par-tenaires. «En ce moment, on est dans unvieux bâtiment avec une vieille façon defaire de la recherche, souligne Michel Pioro-Ladrière. On veut démocratiser les labora-toires, les décloisonner. On veut que lesthéoriciens soient en contact avec les expé-riences et les expérimentateurs en contactavec les théoriciens. » En plus de réunir lesphysiciens et les ingénieurs en un seul édi-fice, des espaces communs seront aména-gés pour qu’ils se rencontrent plus souvent.«Avec ce bâtiment, on veut vraiment favori-ser la collision d’idées, poursuit-il. C’est vrai-ment important pour qu’émergent de nou-velles façons de faire, de nouvelles ap-proches en technologie quantique aux-quelles les gens n’ont pas encore pensé. Onest encore à la pointe de l’iceberg. Il y a en-core beaucoup de choses à découvrir. »

UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE

Vue de l’intérieur du cylindre Gradfairs 4

Voir clair dansle rôle de l’eauPercer les secrets des interactions entre l’eau et les écosystèmes pour mieux conserver le territoire ?

Une idée brillante.

«Nous avons réussi à filmer le bris et la formation de liaisonschimiques induites par des photons. Nous avons réussiparfaitement à déterminer le mouvement et la position desatomes, mais pour ce qui est du déplacement et de la positiondes électrons, nos résultats sont moins précis.»

JOSÉE LECOMPTE

Vue d’une partie du laboratoire de source femtoseconde de l’INRS