Bremondy, F. (2007). Ruyer Et La Physique Quantique

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    RUYER ET LA PHYSIQUE QUANTIQUE OU LE CADEAU ROYAL DELA PHYSIQUE CONTEMPORAINE LA PHILOSOPHIE Franois BrmondyP.U.F. | Les tudes philosophiques

    2007/1 - n80pages 39 62

    ISSN 0014-2166

    Article disponible en ligne l'adresse:

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2007-1-page-39.htm

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    Pour citer cet article :

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Brmondy Franois, Ruyer et la physique quantique ou le cadeau royal de la physique contemporaine la

    philosophie ,

    Les tudes philosophiques, 2007/1 n80, p. 39-62. DOI : 10.3917/leph.071.0039

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    RUYER ET LA PHYSIQUE QUANTIQUEOU LE CADEAU ROYAL DE LA PHYSIQUE

    CONTEMPORAINE LA PHILOSOPHIE 1

    Hlne Leblois

    Laudato si, misignore, per sor aqua. 2

    Ruyer propose un nouveau finalisme. Daprs lancien, tout sexpliquaitpar des causes finales, autrement dit tous les mouvements taient analogues nos mouvements volontaires. Daprs la physique moderne au contraire,tout sexplique par les seules causes efficientes que sont les causes physico-chimiques. Tout, sans en excepter les tres vivants : comme le dit plaisam-ment Russell, si Aristote avait vu une automobile, il aurait suppos quellecontenait un cheval, tandis quun homme de science, aujourdhui, considre

    le cheval comme une sorte dautomobile3. Ruyer admet certes que les corpsne tombent pas afin de rejoindre le centre de la terre. Mais il considre quilest impossible de rduire les tres vivants des structures physico-chimiques si complexes soient-elles : Quel rapport entre la complexitdun difice datomes unis par des valences chimiques, par des liaisons agis-sant [...] de proche en proche et faisant ressembler la molcule une sortede Meccano dans lequel des pices peuvent tre ajoutes et enleves, et lacomplexit dun tre vivant, ayant une individualit ferme et des partiesorganiques cest--dire analogues des outils, avec un rle et une

    fonction ? 4

    Ltre vivant peut en effet tre dfini par au moins deux caractres :dabord, cest un tre, un individu, alors que, comme la montr Leibniz,tout corps matriel nest quun agrgat ; cest ensuite un tre organis, ce quinest le cas daucun tre matriel, part les machines qui sont de la finalitfossile 5. Certes, comme Russell le rappelle, chaque nouvelle dcouverterduit le gouffre apparent entre le vivant et linanim6. Ruyer le sait : Lanature ralise ce qui dabord parat impossible : elle fait sortir progressive-

    1. No-finalisme,Paris, PUF, p. 221 (abrgNF).2. Canticum Solis , dans R. P. Damien Vorreux, O. F. M., Opuscules de saint FranoisdAssise,ditions franciscaines, 1956, p. 309.

    3. Cf.Histoire de la philosophie occidentale(1945), tr. fr., Paris, Gallimard, 1952, p. 222-223.4. La gense des formes vivantes,Paris, Flammarion, 1958, p. 50 (abrgGFV).5. NF,p. 79.6. Op. cit.,p. 222-223.

    Les tudes philosophiques, no 1/2007

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    ment, comme par des tournants insensibles, les formes organiques des for-mes molculaires. 1 Mais il estime quil y a l un scandale intellectuel :

    Car, si lon cesse de considrer la zone du tournant, du passage desmacro-molcules aux formes organiques lmentaires, pour considrer lepoint darrive de la morphogense organique : un animal suprieur, la dif-frence, mme strictement morphologique, clate entre les formes de typerseau molculaire, et les formes de type organe, telles que le cur, lilou le poumon. 2 Une telle mergence est irrationnelle. Dautre part, silorganisme nest quune structure matrielle, il nest pas concevable quuneconscience puisse jamais y apparatre : un tre conscient ne peut tre expli-qu par un jeu datomes qui nontabsolument aucuncaractre [...] de cons-cience 3. Et il nest pas plus concevable quelle puisse mystrieusement agirsur lui.

    On objectera que lmergence, dans un ensemble, dun caractre nou-veau par rapport aux caractres des lments de cet ensemble est un phno-mne banal en chimie : par exemple deux gaz, lhydrogne et loxygne, for-ment, en se combinant, un compos liquide. Pourquoi ne pas supposer quilen est de mme de la vie et de la conscience ? Pour les mergentistes lesproprits biologiques et psychiquesmergentdes proprits physiques maisne sont pas rductibles ces proprits. 4 Mais pour Ruyer une telle mer-gence est magique 5. Le chimiste en effet peut expliquer lapparition du

    nouveau caractre partir de la combinaison des deux lments qui formentle compos, et cette explication semble possible parce quil ny a pas de dif-frence essentielle entre ltat gazeux et ltat liquide, alors quil nest paspossible dexpliquer lapparition de la vie et de la conscience partirdlments inertes, parce que la diffrence entre les uns et les autres sembleessentielle. Cest pourquoi, contrairement ce que prtend Pascal Engel,lmergentisme doit conduire quelque no-finalisme 6. Dans le monde

    40 Franois Brmondy

    1. GFV,p. 51.

    2. Ibid.,p. 53.3. Lanimal, lhomme, la fonction symbolique,Paris, Gallimard, 1964, p. 11 (abrgAHFS).4. Elliott Sober, Ni lan vital ni rductionnisme ! , Sciences et avenir, Lnigme de lmer-

    gence , Hors-srie, no 143, juillet-aot 2005, p. 11. Cf. Lloyd Morgan,The emergence of novelty.5. AHFS,p. 10.6. Pascal Engel crit : Il convient de ne pas oublier que les structures mergentes

    dpendent des structures sous-jacentes, mme si elles nen rsultent pas. Les succs des tho-ries de lmergence ne doivent pas conduire restaurer quelque conception de llan vital ouquelque no-finalisme ( Tout tohu-bohu est-il un capharnam ? , Sciences et avenir, Lnigme de lmergence , p. 15). Autrement dit, ni rduction la physique, ni retour aufinalisme. Pour Ruyer, une telle doctrine est un cercle carr . Voir sa critique de lorga-nicisme dans No-finalisme : Pareil ces assembles politiques dcides maintenir unindispensable dirigisme tout en promouvant le libralisme, et repoussant toute addition...,

    lorganicisme dclare : Reconnaissant la pleine validit des lois physico-chimiques danslordre de la vie, mais considrant lorganisme comme un tout inanalysable et absolumentspcifique ; voyant dans lorganisation un facteur dunit et de rgulation, mais vitant defaire ce facteur un agent actif et transcendant [...], etc., etc. [...] Malheureusement, cetteavantageuse doctrine a le dfaut de nexister que verbalement. Si un acte ou un tre daspectunitaire, finaliste, organis, peut tre compltement expliqu par un des facteurs entirementsoumis aux lois physico-chimiques, alors, par dfinition, il nest pas rellement unitaire, fina-

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    tel que le conoit la physique, la vie ni la conscience ne sauraient merger. Sidonc on veut concilier la ralit de la finalit que lune et lautre impliquent

    avec la philosophie mcaniste, il faut ncessairement poser un autremonde 1.Cest ce quavait fait Descartes. Il avait rsolu le problme de la finalit

    biologique en supposant que les organismes sont des machines construitespar Dieu, et celui de lapparition dune conscience dans un corps matriel ensupposant quelle caractrise une substance immatrielle cre par Dieu, etunie par lui un corps lme. Comme le dit Ruyer, deux crochets rete-naient le mcanisme dans lordre finaliste, Dieu et lme humaine 2. Il sou-ligne que cest sa philosophie mcaniste qui imposa Descartes son dua-lisme : Si lon prend la lettre le schma de la physique classique, il est bienvident que lactivit, au sens propre, exige que soit pos un domaine idal,irrductible au plan o se succdent les causes et les effets. Dans ce domaineidal, lintention consciente peut se mouvoir, et survoler, sans localisationspatio-temporelle stricte, et en explorant les possibles, les causes et leseffets, de manire influencer le droulement des moyens vers la fin encoreidale. [...] Cette dualit des deux mondes [...] est [...] la contrepartie invi-table de la fiction dun monde [...] de lignes causales pures. 3 Et de mmecest daprs lui la conception mcaniste des tres vivants qui a accrditlide que Dieu les a construits : Si [...] on admet la finalit organique en

    assimilant lestomac un outil invent, il semble quil faille, pour expliquercet outil organique, un deuxime circuit externe surnaturel commandpar une conscience et mme un cerveau surnaturel. 4 Comme Descartes,Kant na pu trouver quen Dieu le moyen de concilier la conception mca-niste de lunivers et son sentiment de lvidence de la finalit naturelle 5.

    Cependant ce dualisme rencontre dinsurmontables difficults. Dabord la finalit biologique est loin dtre infaillible, elle se trompe [...] elle sefourvoie dans des impasses 6, alors que nous concevons Dieu commeinfaillible. De toute faon, le Dieu du finalisme vital semble avoir une

    conscience finie, une volont arbitraire . Il est ridicule, disait dj Goethe Eckermann, de fliciter le Crateur de lutilit des cornes pour les bufs7.Ruyer renchrit : Devant les excentricits des Paradisiers ou des Membra-cides, le plus naturel est de se demander, comme Cunot, quel dmon subtilet malicieux sest amus... 8 Le deuxime crochet nest pas plus solide ; la

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    liste, organis. Il nest quun amas ou un systme dquilibres. Inversement, si un acte ouun tre est vraiment unifi et organis alors, par dfinition, il ne se rduit pas un ensemblede processus physiques se poussant ou squilibrant lun lautre (NF,p. 206).

    1. NF,p. 13.

    2. Finalit ,Encyclopdia Universalis,t. VII, 1974, p. 2.3. NF,p. 14.4. Ibid.,p. 37.5. Cf.ibid.,p. 207-208.6. Le monde des valeurs,Paris, Aubier, 1948, p. 135.7. Cit par Ruyer,lments de psychobiologie,Paris, PUF, 1946, p. 187 (abrgEPB).8. Dieu des religions, Dieu de la science,Paris, Flammarion, 1970, p. 152-153 (abrgDRDS).

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    thorie de lunion dune me immatrielle et dun corps matriel savreintenable. Si daprs Descartes la matire ne produit pas lme, elle peut

    cependant la modifier, et cette action du corps sur lme nest pas plusconcevable que lengendrement de lme par la matire. Quant laction delme sur le corps, la physique de Descartes permettait celui-ci de supposerque lme pouvait au moins changer la direction du mouvement des espritsanimaux et par leur intermdiaire les autres parties du corps ; mais, commeon sait, Huygens montra bientt aprs la conservation de la mme direc-tion totale dans lunivers 1, et limpossibilit de la solution quavait imagineDescartes. Reste que notre corps se meut lorsque nous le voulons pour-quoi donc, si lme ne peut agir sur le corps, celui-ci se comporte-t-il commesil tait contrl par notre volont ? On sait que plusieurs Cartsiens rpon-dirent que Dieu agissait sur le corps loccasion de lintention de lme2. Cenouveaudeus ex machinasimpose dailleurs tous ceux qui acceptent la fic-tion dun univers de pures causes. Cest ainsi que Schrdinger, cherchant concilier le dterminisme qui, daprs lui, rgit le comportement de ltre

    vivant et notre sentiment intime dtre libre3, recourt lidentit dAtman etde Brahman. Cette intervention de la philosophie du Vedanta peut paratreartificielle ; daprs Ruyer elle simpose logiquement : car si lorganismenest quun ordre passif, la source unique et directe de lordre ne peut treque Dieu lui-mme, comme dans tous les systmes dterministes 4.

    Revenons aux paralllistes ; Ruyer leur demande par quel miracle lacausalit dordre mcanique, physique ou physiologique qui rgit les cellulesnerveuses peut courir paralllement la causalit [...] finaliste qui, au moinsapparemment, domine la vie psychologique ; par quel miracle, quand je tirela conclusion dun syllogisme, les mouvements crbraux qui correspon-dent, par hypothse, ma pense raisonnante, sont cependant, par hypo-thse encore, dtermins par la seule causalit physique ou physiologique 5.Leibniz a propos un autre moyen de rsoudre les difficults du dualismecartsien, il a ni la ralit de la matire6, et aprs lui quelques auteurs, au

    dbut du XXe

    sicle, ont soutenu ce quon a appel le panpsychisme. Ainsi

    42 Franois Brmondy

    1. Cf. Leibniz, Monadologie, art. 80, et Thodice, 60-61. Ruyer rappelle cependantqu aujourdhui la question nest plus l . Cf. Lindividualit (1re partie) ,Revue de mtaphy-sique et de morale,1940, p. 287 et p. 293 ; La conscience et le corps,Paris, PUF, 1937, p. 46 (abrgCC) : Prenons garde. Pour tablir ou pour rompre des liaisons [...] il faut encore une cer-taine quantit dnergie.On sengage donc dans [...] une impasse en donnant la conscience le rle decontacteur ou dinterrupteur (soulign par lauteur).

    2. Cf. Cordemoy,Dissertations physiques sur le Discernement du corps et de lme; Malebranche,Entretiens sur la mtaphysique et la religion, VII, 14.

    3. Cf.What is Life ?(1944) ; tr. fr.,Quest-ce que la vie ?, Paris, Christian Bourgois, rd.,coll. Points-Sciences , 1986, p. 201-202.4. NF,p. 173.5. Paralllisme et spiritualisme grossier , Revue philosophique,1938, p. 110.6. Cf. Leibniz : Il y a [...] grand sujet de douter si Dieu a fait autre chose que des Mona-

    des, ou des substances sans tendue, et si les corps ne sont autre chose que des phnomnesrsultant de ces substances (Examen des principes du P. Malebranche).

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    Dominique Parodi, tout en admettant les rsultats de la science, se rservede les interprter sur un autre plan : Elle aboutit une srie de lois abs-

    traites, il reste savoir de quel type peuvent tre les ralits mmes entre les-quels ces relations subsistent. 1 Ruyer reproche Leibniz davoir fabriquun panpsychisme sur le modle dun monde gomtrique et mcaniquedobjets, en transposant simplement comme modes de conscience les situa-tions et relations des choses2. Il objecte Parodi et tous ceux qui ontretourn lpiphnomnisme davoir fait une opration blanche : Lascience est suppose dterminer les relations entre des ralitsxcomparesinconsciemment des coffrets impossibles ouvrir, tout ce que fait le philo-sophe, cest daffirmer que leur contenu est spirituel [...] mais si les coffretsrestent clos, il est inutile de se quereller pour une question dtiquette. 3

    Il semble donc quon ne puisse concilier la ralit de la finalit et lemcanisme, et quon doive affirmer lun et nier lautre. Ou le rgne de laseule causalit et des seules lois physiques, ou lefficacit constatable, expri-mentale, de la conscience. 4 Or Ruyer estime quon ne peut nier la ralit dela finalit. Considrons dabord les tres vivants. Certes on rpte encoreque les ailes de loiseau nont pas t faites pour quil vole et quil vole parcequil a des ailes5. Il est vrai, rpond-il, que loiseau vole parce quil a des ailes,mais il nest pas moins vrai quil na des ailes quaprs se les tre faites 6.Et la ressemblance des organes que construisent les tres vivants avec les

    outils quont invents les hommes impose lide que, comme les seconds,les premiers ont t faits dans un but7. Bien plus lactivit humaine prolon-geant lactivit biologique8, elle en rvle le caractre finaliste9. On a pucependant nier la ralit mme dune finalit consciente : Un behavioristede stricte observance qui ne fait pas du behaviorisme une simple mthodeprovisoire affirme que le comportement des tres humains [...] peut tou-jours se dcrire en termes de stimulus-rponse, et que la liaison stimulus-rponse, si complique quelle puisse tre par les mcanismes intermdiai-res, a toujours le caractre dune chane causale et seffectue de proche en

    proche, en conformit stricte avec la causalit de type mcanique. 10

    Ruyerrappelle aux behavioristes quil y a au moins une activit dans lunivers dontils ne peuvent nier le caractre finaliste cest la leur. La nier serait deleur part aussi absurde que daffirmer : Je suis mort ou Je nexiste pas .

    Ruyer et la physique quantique 43

    1. En qute dune philosophie, Paris, Alcan, 1935, p. 103.2. Leibniz et Monsieur Tompkins au pays des merveilles , Revue philosophique,

    1957, p. 33.3. Paralllisme et spiritualisme grossier , p. 116.4. Ibid.,p. 116.

    5. Cf. Aristote,Physique,II, 8 ; Lucrce,De la Nature des choses,livre IV, v. 822 ; Spinoza,thique,livre I, Appendice.6. GFV,p. 39.7. NF,p. 17.8. Cf.ibid.,p. 19-20.9. Cf.ibid.,p. 19-20.

    10. Ibid.,p. 2. Cf. Spinoza,Lettre LVIII Schuller; Russell,Analyse de lesprit.

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    Nier la finalit est contradictoire1, puisque, lorsquon nie, on prtend nier cequi est faux on avoue donc quon vise le vrit2. Dautres auteurs ont

    pens quil suffisait de nier lefficacit de lactivit consciente3

    : elle existe,sans doute, mais elle se bornerait daprs eux accompagner la successiondes tats du cerveau, comme lombre accompagne les pas du voyageur : ellene serait quun piphnomne 4. On pourrait leur objecter quon ne voitaucun effet qui ne puisse tre cause5. Ruyer prfre leur opposer un fait,linvention des anesthsiques : Comment un tre chez qui la conscience estpur accompagnement inefficace [les] aurait-il invents ? 6 La douleur quilsont pour but de supprimer est un tat de conscience. Cest cet tat de cons-cience qui a provoqu la recherche des moyens matriels de le supprimer.Ruyer demande dautre part comment [...] une chane de pure causalit[comme lest par hypothse le processus nerveux, aurait pu] sarranger pourne pas devenir telle quelle saccompagne de conscience dsagrable 7. Sidonc la conscience est efficace, et si cette efficacit nest pas conciliable avecla philosophie mcaniste, on doit renoncer cette philosophie. Si lactionfinaliste est relle et efficace, il faut rejeter toute explication mcanique desphnomnes crbraux qui correspondent la conscience.

    Il semble cependant permis dhsiter avant dadmettre une autre causa-lit que celle quadmet la physique8.

    Ruyer demande :quelle physique ? lpoque o Ruyer pose cette ques-

    tion 1938 Louis de Broglie, lun de ses fondateurs, vient en effet depublier un expos de la physique nouvelle , dans lequel il montre que laphysique des quanta met en question le postulat commun toutes lesthories de la physique classique, [ savoir] quil est possible de reprsenterlunivers physique par des lments distribus dans le cadre de lespace trois dimensions et voluant dune faon continue au cours du temps 9. Onsaperoit alors que le cadre de lespace et du temps employ par la phy-

    44 Franois Brmondy

    1. Cf. Whitehead : Il est absurde davoir pour fin de prouver quil ny a pas de fin

    (cit par Ruyer,NF,p. 11).2. Ruyer propose ainsi une version axiologique du Cogito de Descartes : LeCogito axiologique veut montrer quil est contradictoire de nier absolument la finalit. [...].La forme axiologique du Cogito a t, comme on sait, dcouverte par Lequier sous unaspect [...] apparemment diffrent, celui de la libert (NF,p. 1 et 4).

    3. Cest ce quont soutenu plusieurs auteurs : Maudsley (Physiologie de lesprit,tr. fr., 1879,p. 230), Ribot (Les Maladies de la volont,1884, p. 8), Le Dantec (Science et conscience,1908, p. 49).

    4. Ruyer reconnat que le paradoxe piphnomniste est fond sur une constatationscientifique solide, et cest pourquoi en tant que paradoxe (lpiphnomnisme) marque unedate aussi importante en philosophie que celle des arguments de Znon (CC,p. 45).

    5. Le Dantec reconnat que la conscience nest rien : Au point de vue objectif, un refletest quelque chose ; la conscience nest rien (op. cit.,p. 46).

    6. NF,p. 23.

    7. Ibid.,p. 24.8. Bergson avait admis la possibilit dune violation des lois physiques plutt que derenoncer lide que la volont tait efficace : cf. Lnergie spirituelle,p. 34-35. Mais, comme lefait remarquer Ruyer, si lesprit agit comme une force sur les cellules nerveuses, il peut aussibien soulever des tables. Faut-il cesser de distinguer entre spiritualisme et spiritisme ? ( Paralllisme et spiritualisme grossier , p. 114).

    9. La physique nouvelle et les quanta,Paris, Flammarion, 1937, p. 104.

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    sique ancienne [nest] du point de vue quantique quune approximationvalable pour les corps lourds [cest--dire] les corps constitus par un

    nombre norme de particules lmentaires [...] dans la catgorie [desquels]rentrent immdiatement les corps que nous percevons dans notre exp-rience usuelle, ce qui explique pourquoi la physique classique tourne versltude des phnomnes notre chelle avait pu se contenter de ce cadre delespace et du temps 1.

    Ruyer retient de cet expos trois ides. La premire, cest que la phy-sique classique nest pas fondamentale2 : elle nest en effet que lapplicationdes lois de la statistique aux phnomnes microphysiques3. La physiqueclassique est une science de statistique, de multiplicit, et la microphysiqueest une science dtres rels. 4 celui qui refuse dadmettre lefficacit de laconscience en raison du caractre fondamental de la causalit physique,Ruyer estime quil est en droit de rpondre : Quelle causalit et quelle phy-sique ? Sil sagit de la physique classique, on se demande pourquoi un telprestige continuerait de sattacher un mode de causalit qui na rien defondamental. 5 Elle ntudie pas, comme le croyait Comte6, un tage dis-tinct de la ralit, elle est plutt ltude dun mode daction, ou pluttdinteraction, ltude dun certain type de causalit la causalit de procheen proche type de causalit indpendante de la nature propre des tres surlesquels elle porte 7. Cest dailleurs pourquoi Cournot pouvait qualifier

    lconomie politique de physique sociale 8. Ruyer approuve cette for-mule : Quand Walras et Pareto mettent en formule mathmatiquelquilibre conomique, ils sont pleinement des physiciens ; en effet, leshommes ont beau diffrer des atomes, si chaque homme agit sur son voisinsans penser la collectivit, la faon dont latome agit sur latome sans se

    Ruyer et la physique quantique 45

    1. Ibid.,p. 106.2. Aujourdhui, la nouvelle physique non statistique [...] [dvalue], ou plutt [remet]

    dfinitivement sa vraie place le mcanisme de type galilen. La science mcaniste [...] nestmanifestement pas fondamentale ( La psychobiologie et la science , Dialectica, 1959,p. 105).

    3. Cest le principe de correspondance de Bohr, tel que lexpose Louis de Broglie dans Lespace et le temps dans la physique quantique , Revue de mtaphysique et de morale, 1949,p. 115-116.

    4. Le psychologique et le vital ,Bulletin de la Socit franaise de philosophie, 1939, p. 182.Cf. encoreLa gnose de Princeton,Paris, Fayard, 1974, p. 11-12 (abrgGP).

    5. Paralllisme et spiritualisme grossier , p. 119.6. Une premire contemplation de lensemble des phnomnes naturels nous porte

    les diviser dabord [...] en deux grandes classes principales, la premire comprenant tous lesphnomnes des corps bruts, la seconde tous ceux des corps organiss. [...]. [Il faut recon-natre] la ncessit logique de sparer la science relative [aux corps bruts] de celle relative aux[corps organiss] et de ne procder ltude de la physique organique quaprs avoir tabli les

    lois de la physique inorganique (Cours de philosophie positive,Deuxime leon).7. Art. cit, p. 117. Cf. La psychobiologie et la science , p. 105 : La nouvelle phy-sique non statistique [...] dvalue ou plutt (met) dfinitivement sa vraie place le mcanismede type galilen. La science mcaniste reprsente un dtour, un mandre indispensable, et,bien entendu, le mcanisme au sens large continue valoir pour tout un vaste domainedapplication usuelle. Mais elle nest pas fondamentale.

    8. Matrialisme, vitalisme, rationalisme,III, 2.

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    soucier de lensemble des atomes, il tombe sous la juridiction de la phy-sique1 ; inversement latome pris individuellement a beau diffrer dun

    homme, la physique quantique na rien de commun avec des sciences physi-ques telles que lhydrostatique ou la thorie cintique des gaz2. Ruyer pro-pose une semblable dissociation de la biologie : Il faut distinguer dunepart les tres qutudie la biologie proprement dite et dautre part le mode decausalit [...] caractristique des interactions entre vivants 3, il faut aussisparer la physiologie et lembryologie4. Et finalement cest lentire sriedes sciences qui devrait tre daprs lui ddouble : la srie principale des sciences primaires comprendrait la physique quantique, la biologie, lapsychologie, tandis quune srie secondaire comprendrait les sciences sta-tistiques , cest--dire la physique classique et les sciences sociales5. Autre-ment dit ce quon appelle la matire nexiste pas. La matire nexiste pas entant qu entit distincte 6, en tant que stuffparticulier, diffrent dunstuffmind7, en tant que substance 8. Les philosophes de lmergence, telsLloyd Morgan et Alexander, voire Nicola Hartmann, avaient certes raisonde rejeter le matrialisme, mais ils en avaient gard la notion que le mondeest une sorte de btisse tages dont le rez-de-chausse matire, Grund,space-time est seul solide ; les premiers sont toutefois excusables : Alexander a lexcuse, que na pas Hartmann, dcrire sous linfluence de lathorie de la relativit, et avant la microphysique ondulatoire. 9

    La seconde ide que Ruyer retient de la microphysique, cest lim-possibilit de localiser un corpuscule : celui-ci na jamais que des probabili-ts de localisation. Cela ne signifie pas quil a une localisation quon neconnat que probablement, en supposant quil est trs probablement danstel endroit, probablement dans un deuxime, peu probablement dans untroisime mais en tant certain quil est dans un seul et mme endroit ; cela

    veut dire quil na pas de localisation prcise, que sil est dans une rgion pr-cise de lespace, il na, lintrieur de cette rgion, quune prsence plus oumoins dense suivant les diffrentes zones de la rgion. Il est dans cette

    rgion la fois nulle part rellement et partout. Il sagit d une non-

    46 Franois Brmondy

    1. Paralllisme et spiritualisme grossier , p. 118. Cf. de mme Le psychologique et levital , p. 182, etEPB,p. 237.

    2. DansLhomme microscopique(Paris, Flammarion, 1952), le physicien Pierre Auger dis-tingue de mme les lois diffrentielles (celles de la physique classique) et les lois intgrales(celles de la physique quantique) : cf. p. 70 et 74.

    3. Paralllisme et spiritualisme grossier , p. 118.4. EPB,p. 2 : Ainsi en biologie, ltude mathmatique de la lutte pour la vie, les nom-

    breux chapitres de la physiologie o interviennent essentiellement des lois de la physiqueclassique [...] ont un caractre secondaire que na pas lanatomie compare ou ltude du

    dveloppement. 5. Ibid.,p. 2.6. NF,p. 89.7. La matire, le corps matriel, ces mots ne peuvent dsigner une sorte de stuff

    particulier, suppos diffrent dunmind stuff (ibid.,p. 85).8. AHFS,p. 75.9. NF,p. 150.

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    localisation vritable, le cadre de lespace tant en quelque sorte dpass 1.Ce nest pas seulement le cadre de lespace qui est dpass, cest aussi celui

    du temps2

    . On ne peut localiser un saut quantique dans le temps quavec unecertaine probabilit. Et comme pour lespace, cette probabilit est objec-tive : lvnement rel nest pas exactement situ dans le temps : on peutdire la fois quil na jamais lieu rellement un instant dun certain laps detemps et que, quoique instantan, il a lieu plusieurs instants de ce laps detemps, mais avec une ralit plus ou moins dense suivant les instants : Latransition quantique est quelque chose qui transcende le cadre de lespace etdu temps. 3 Cela justifia le phnomnisme ou lidalisme de la plupart desinterprtations actuellement courantes de la physique quantique. Ruyer estau contraire conduit une interprtation raliste, car, on sen souvient, cestcette impossibilit dune localisation spatio-temporelle qui caractrise laconscience : Si lon considre que le monde physique usuel est conformeau schma de la physique [classique] [...] lactivit sense oblige admettreun autre monde ; dans ce domaine idal, lintention consciente peut [...] sur-

    voler, sans localisation temporelle stricte, le plan des causes et des effets. 4

    Cest donc prsent le schma de la physique quantique qui oblige admettre un monde analogue celui de la conscience. Cest ce que Ruyermontre en analysant deux des plus clbres phnomnes quantiques, mani-festant, lun, la dlocalisation le survol de lespace , lautre, la finalit

    le survol du temps.Le premier est lextraordinaire rsultat de lexprience sur la diffraction

    des photons : des franges dinterfrence apparaissent sur une plaque photo-graphique, alors que les photons ny sont arrivs que les uns aprs les autres5.Dans lexprience classique de Young il se produit, comme on sait, desbandes plus ou moins lumineuses suivant que les ondes sont en phase ou non

    en langage photon il faut admettre que les photons arrivent plus nom-breux sur les bandes brillantes que sur les bandes obscures. Londe semblegouverner la distribution statistique des photons : la densit des photons est

    dautant plus grande que londe est plus intense 6

    . Mais si on utilise unelumire si faible que les photons arrivent un un sur la plaque photogra-phique, on voit se dessiner, aprs un temps suffisamment long, les mmesbandes quen lumire ordinaire on ne peut donc plus parler de densit desphotons dans le rayon lumineux ; il faut supposer que chaque photon se

    Ruyer et la physique quantique 47

    1. Louis de Broglie, Lespace et le temps dans la physique quantique , p. 115.2. Cf. Louis de Broglie : En plus des relations dincertitude qui limitent la possibilit de

    connatre simultanment avec prcision chacune des coordonnes dun corpuscule et la com-posante correspondante de sa quantit de mouvement, il existe une quatrime relationdincertitude qui lie le temps et lnergie et limite la possibilit de connatre simultanment

    ces deux grandeurs (ibid.,p. 122, n. 1).3. Ibid.,p. 122, n. 1.4. NF,p. 14.5. Cf. Louis de Broglie,Continu et discontinu en physique moderne,Paris, Albin Michel, 1941,

    Le secret de la lumire . Ruyer voque ce phnomne deux reprises, dans un chapitredeNFet dans larticle Le petit chat est-il mort ? , Revue philosophique,1970.

    6. Le petit chat est-il mort ? , p. 122.

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    trouve de prfrence dans les rgions o londe est plus intense . Cestcela qui est vraiment surprenant. Le photon est-il pass par lun des trous ?

    Cest ce quil semble. Mais alors comment peut-il tenir compte du fait quilaurait pu passer par lautre trou ? Et comment peut-il sarranger pour arriveren une rgion qui, avec le temps, plus tard, formera une bande claire ? [...]. Oualors,ce qui passe par les trous dYoung est-ce londe, londe de probabilit,o le photon nest pas encore matrialis ? Et le photon ne se matrialise quesur la plaque photographique au moment de linteraction, alors que, aupara-

    vant, il navait pas de trajectoire ni dexistence distincte dans londe ? 1

    Cest l lide de Louis de Broglie, daprs qui il y a en quelque sorte uneprsence potentielle du corpuscule en tous les points de la rgion delespace occupe par londe 2. Citant cette description, Ruyer la commenteen disant qu il est difficile dchapper limpression quil y a au moins ana-logie avec lubiquit interne des domaines de survol 3. Il appelle domainede survol le champ de conscience en tant quun sujet semble le survoler : Le je, ou lunit consciente quelle quelle soit, a limpression vive desurvoler [son] champ de conscience comme sil lobservait du dehors. La ten-tation est presque irrsistible pour moi de mimaginer, dimaginer le je, au-dessus du cercle apparent de mes lunettes, par identification de cette unit-je avec un sorte de centre de la tte invisible que ma sensation me permet dedeviner. Et pourtant, il est clair que le je, ou lunit de la conscience, nest

    pas distance de lensemble du champ visuel comme mes yeux [...] sont dis-tance de ce que je vois. Limage de mes lunettes [fait] partie de mon champ

    visuel [...]. [Puisquil ny a pas de troisime il pour voir ce que voient lesdeux premiers] mon champ visuel se voit ncessairement lui-mme par sur-

    vol absolu, ou non dimensionnel. Il se survole sans prendre de distance lelong dune dimension perpendiculaire. 4 Cette notion de survol absolu est ce quon peut estimer la dcouverte fondamentale de Ruyer, le paradoxecentral 5. Non seulement il y a une analogie frappante, mais cest seule-ment cette analogie qui, daprs Ruyer, permet de comprendre la description

    de Louis de Broglie6

    . Exposant lexprience des trous dYoung qui contient

    48 Franois Brmondy

    1. Ibid.,p. 122-123. Cf.NF,p. 155.2. Pendant la propagation du photon, son mouvement est reprsent par londe qui lui

    est associe sans quil soit possible de lui attribuer une position dtermine lintrieur de cetteonde. Il a en quelque sorte une prsence potentielle du corpuscule en tous les points de largion de lespace occupe par londe, le corpuscule pouvant manifester sa prsence par uneaction localise en un point de cette rgion avec une probabilit proportionnelle lintensitde londe en ce point. Quand laction localise du photon se produit la prsence potentielle duphoton dans londe disparat et londe svanouit (Louis de Broglie,op. cit.,p. 30).

    3. NF,p. 155.4. Ibid.,p. 102.

    5. Paradoxes de la conscience,Paris, Albin Michel, p. 15.6. La description des domaines dont nous avons une exprience directe un champvisuel par exemple peut nous aider comprendre (les individus microphysiques) (NF,p. 152). Cf. La cyberntique et lorigine de linformation, Paris, Flammarion, 1954 : Dans toutdomaine individualis de la microphysique [...] lexprience rvle des comportements analo-gues ceux que permet, dans les individualits psycho-organiques, lexistence de champs deconscience (p. 139).

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    son mystre gnral , Feynman peut crire : Je crois pouvoir dire coupsr que personne ne comprend la mcanique quantique. 1 Il semble en effet

    impossible de se reprsenter la prsence potentielle dun photon, parceque daprs notre exprience un objet matriel est ici ou l, il existe ounexiste pas. Mais, remarque Ruyer, cest concevable au moyen dune ana-logie avec le champ visuel dans lequel tous les dtails sont galementici,bien que tel dtail soit dtermin comme central ou comme particulirementici 2. Dans une sensation visuelle : Les dtails multiples [...] sont distinctsles uns des autres, et pourtant, ils ne sont pas vraimentautresles uns pour lesautres, puisquils font tous ensemble ma sensation qui est une3. [...] Relative-ment la multiplicit des dtails dans la sensation, je lindfinissableje apparat comme lunit, une unit doue dubiquit. 4

    Le second phnomne extraordinaire de la physique quantique quidonne Ruyer limpression dun survol non seulement de lespace, maisencore du temps, cest leffet Gamow ou effet tunnel5. Malgr une barrirede potentiel telle quelle empcherait indfiniment sa sortie si elle taitpareille celles de la physique classique, la particule dun atome radioactif aun certain nombre de chances de sortir, et une certaine proportion de sor-ties se ralise effectivement. Imaginons leau dun rservoir de montagne :elle ne peut passer par-dessus le barrage qui larrte, mme si la pente qui estde lautre ct lui permettait de descendre. Au contraire, alors que la parti-

    cule de la physique classique ne va nulle part , tout se passe comme si laparticule microphysique [tenait] compte de la lgitimit intrinsque deltat final et [intgrait] les moyens dy parvenir dans une action unitaireo lespace comme le temps semble tre survol comme dans [une action]opre consciemment 6. (Ruyer propose cette interprtation de leffet tun-nel ds 19387. Quinze ans plus tard il peut se rjouir de lire une interprta-tion analogue dans louvrage dun physicien Pierre Auger8. Jean Wahl lpoque salua la convergence de vue des deux auteurs9). Le paradoxe est eneffet analogue celui de la finalit le paradoxe dune cause postrieure

    son effet10

    . Du point de vue de la physique macroscopique, il est impossibleque le futur puisse agir maintenant, et ce qui fait croire la finalit, cestquon peut tre dtermin agir par une image du futur qui, elle, est pr-sente. Ruyer reproche cette critique de la finalit de ngliger le fait que lefutur est dans limage . Soit laction de contourner un obstacle pour saisirun objet : Ma main (comme image dans mon champ visuel, qui [...] sert de

    Ruyer et la physique quantique 49

    1. La nature de la physique(1965), tr. fr., Paris, Le Seuil, 1980, p. 154.2. Le petit chat est-il mort ? , p. 132. Cf. aussiNF,p. 99.3. NF,p. 99.

    4. Ibid.,p. 99.5. Cf. Louis de Broglie,La physique nouvelle et les quanta,p. 191-192.6. La cyberntique et lorigine de linformation,p. 143.7. Cf. Le psychologique et le vital ,Bulletin de la Socit franaise de philosophie,1938.8. Lhomme microscopique,p. 97-100.9. Trait de mtaphysique,Paris, Payot, 1957, p. 354-359.

    10. Cf.Paradoxes de la conscience,p. 55-56.

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    guide mon activit musculaire) se dirige vers A en contournant O. Le futur(ma main touchant et saisissant A) est inscrit virtuellement dans le champ

    visuel actuel. [...] Le futur est un blanc actuel et non un idal impal-pable. [...] Le point important est que dans limage guideactuelleelle-mmelemouvement est finalis. Il a un point de dpart, mais aussi un point darrive,tout aussi lisible que le point de dpart. Le trajet de ma main-image entre ledpart et larrive est, lui aussi, lisible dans son ensemble, et il est choisi ouplutt il se choisit dans son ensemble entre dautres trajectoires densemblepossibles. 1 Cest ce qui oppose ce trajet aux trajectoires physiques dunmobile dans un champ de forces : [Un mobile] ne va nulle part [...]mais [...] il est toujours dtermin chaque instant par de petites diffrencesde potentiel. Mais cest ce qui le rapproche dune transition quantique : Rien ne nous interdit de penser que le mouvement de ma main, dans monchamp visuel, a des analogies en microphysique, o les transitions soprententre un tat initial et un tat final, sinon interchangeables, du moins sym-triques ou conjugus. Le fait que les nombres doccupation de ltat finalfigurent symtriquement, ct des nombres doccupation de ltat initial,entrane une certaine symtrie pass-futur. 2 Dans le mouvement des parti-cules en microphysique, pass et futur apparaissent parfois, sinon interchan-geables, du moins conjugus ; les particules semblent parfois avoir des mou-

    vements non seulement flchs, mais avec une destination inhrente,

    comme un autobus qui porte, ds le dpart, sa destination en criteau. Dansles schmas de Feynman, en effet, llectron positif, antiparticule de llec-tron ordinaire, peut tre considr comme remontant le temps ; larrivedune particule est quivalente lmission de son anti-particule. Les rac-tions entre particules sont donnes en bloc dans un espace-temps o passet futur sont symtriques3. Ruyer y voit lamorce du survol du temps carac-tristique de la finalit 4.

    Ruyer propose ainsi une interprtation raliste de la physique quantique,radicalement oppose toutes les interprtations actuelles, plus ou moins

    proches du phnomnisme5

    .Il renverse ainsi sa philosophie initiale. Car il avait dabord soutenu unmcanisme radical6, et il avait projet de constituer un modle mcanique dela conscience. Du point de vue mcaniste qui tait alors le sien, le principequantique dindtermination marquait seulement une borne la connais-sance scientifique 7. Lunivers se prsentait toujours avec deux tages de

    50 Franois Brmondy

    1. Ibid.,p. 58-59.2. Daprs la thorie de Feynman, Tomonaga, Schwinger ; cf. O. Costa de Beauregard,

    Revue des questions scientifiques,octobre 1954, etSciences,mars 1960.

    3. Cf. Feynman,La nature de la physique,chap. VII.4. Finalit ,Encyclopdia Universalis,t. VII, 1974, p. 4.5. Cf. Bernard dEspagnat, la recherche du rl,1979 ;Une incertaine ralit,1985 ; et Fran-

    ois Lurat,Niels Bohr,1990.6. Il ny a de ralit que dune seule sorte : la ralit gomtrico-mcanique, [...], la

    structure ,Esquisse dune philosophie de la structure, Paris, Alcan, 1930, p. 2.7. La connaissance comme fait physique ,Revue philosophique,1932, p. 85.

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    ralit, ltage physique et ltage mental, celui-ci correspondant celui-l, lanouveaut tant que dsormais le tout reposait sur un X avec lequel toute

    correspondance [...] [tait] impossible 1

    . Beaucoup de physiciens au con-traire, dsesprant dexpliquer lunivers physique par des modles mca-niques, se laissaient tenter par des modles psychologiques . Quelquesautres, au premier rang desquels on pouvait trouver Bohr2, et Louis deBroglie3, suggraient dautre part que la nouvelle physique permettait dersoudre lantinomie du dterminisme et de la libert humaine. Ds 1926,Russell avait envisag la possibilit thorique que les phnomnes cr-braux relvent de la physique quantique4. En 1928, Eddington avait faitlhypothse que lesprit pourrait dcider les atomes du cerveau faire unmoment donn lune ou lautre des transitions possibles et ainsi produiredes rsultats de vaste chelle, conformes sa volont5. En 1932, Pascual Jor-dan prtendait fonder la libert humaine sur le fait que le centre de com-mande dune bactrie et lil humain taient lchelle des particules quan-tiques6. Ruyer critiqua alors ce no-spiritualisme : On croirait, lirecertaines pages des physiciens, tre retourn un hylozosme quon pensaitrelgu jamais dans les plus antiques conceptions de la philosophie. 7 Ilsse moquent des physiciens dhier parce que ceux-ci, habitus ces phno-mnes familiers que sont les dplacements et les chocs des objets matriels,ne se sentaient tranquilles quaprs avoir retrouv les chocs et les dplace-

    ments de corps analogues comme lments premiers de toutes choses, mais,leur objecte-t-il, ce nest pas faire un type dhypothse diffrent que deretrouver la racine des choses des choix8 [...] parce que nous avonssous la main, comme ralit familire notre chelle, des ralits psycholo-giques aussi bien que des ralits matrielles 9. Quant aux tentativesdexpliquer le libre-arbitre par le dterminisme, elles le scandalisaient :

    Ruyer et la physique quantique 51

    1. Ibid.,p. 86.2. Cf. Bohr,La thorie atomique et la description des phnomnes(1931), tr. fr., Paris, Gabay,

    1932.3. Il appartient aux philosophes de voir si [ces ides nouvelles] peuvent contribuer,dans une certaine mesure, combler le foss qui jusquici semblait sparer artificiellement lemonde matriel du monde moral, auquel lide dun rigoureux dterminisme causal parat sidifficilement applicable ( Dterminisme et causalit dans la physique contemporaine ,Bul-letin de la Socit franaise de philosophie,sance du 12 novembre 1929, p. 144).

    4. Il peut exister des limites au dterminisme physique. [...] Peut-tre llectron saute-t.il quand il lui plat ; peut-tre les phnomnes dlicats du cerveau qui constituent toute ladiversit des phnomnes mentaux appartiennent-ils au domaine o les lois physiques nedterminent plus dune manire dfinie ce qui doit se passer. Sans doute ceci nest-il quunepure possibilit thorique, mais elle soppose au matrialisme dogmatique (Lanalyse de lamatire(1927), tr. fr., Paris, Payot, 1965, p. 306).

    5. Cf.La nature du monde physique,tr. fr., Paris, Payot, 1929, p. 308-309.

    6. Cf. Jordan,La physique et le secret de la vie organique,tr. fr., Paris, Albin Michel, 1959.7. Ruyer (qui cite Abel Rey,Revue de synthse,1931, p. 121), Un modle mcanique dela conscience ,Journal de psychologie normale et pathologique,1932, p. 550-551.

    8. Ruyer cite Dirac. Andr George rappelle que Dirac, tout jeune, au Congrs Solvaydoctobre 1927, stait laiss entraner oralement, dans les dbats conscutifs aux rapports, la libert de llectron (prface Pascual Jordan, La physique et le secret de la vie organique).

    9. Un modle mcanique de la conscience , p. 551.

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    Cette volution de la physique na absolument rien voir avec un retour la thorie du libre-arbitre. [...]. Il est extraordinaire quEddington, ainsi que

    dautres physiciens, notamment Dirac, ait pu croire que lindterminationphysique rejoignait notre intuition ou notre impression psychologique de lalibert. 1 Or, moins de dix ans plus tard, dans un article publi en 1940, Lindividualit , Ruyer adore ce quil avait brl : Finalement, cest toutenergie, toute ralit, mme dite purement physique, qui [devra] tre inter-prte comme laspect objectif dune ralit essentiellement psychode. [...]Cet hylozosme nouveau [...] ne nous scandalise pas. 2 Quelle est la raisonde son revirement ?

    Cest dabord lchec de sa tentative de constituer un modle mcaniquede la conscience, plus exactement de la perception. Lide de ce modle luiavait t suggre par la cellule photolectrique. La porte dun garage conve-nablement quip souvre lorsquelle voit la lumire des phares duneautomobile. Ruyer avait imagin un tableau form par un grand nombre detelles cellules, sur lequel on aurait pu choisir celles dont lensemble dessineune figure dtermine, par exemple un cercle, et faire commander par cetensemble louverture de la porte. On pouvait mme imaginer, pensait-il, untel perfectionnement que la porte du garage pourrait reconnatre uneautomobile dtermine. Un tel modle semblait saccorder aussi bien avecla neurologie quavec la psychologie. Il saccordait en effet avec ce que la

    Gestalttheorienous a appris sur la perception lmentaire, qui porte toujourset primitivement sur une forme indcomposable, et avec ce que les natura-listes nous ont appris sur la perception animale : par exemple les mouchesne sont reconnues comme proies par les araignes tisseuses que dans desconditions dtermines si par exemple on enferme une araigne et unemouche dans une bote, laraigne nattaque pas la mouche. Nous-mmes,lorsque nous reconnaissons un visage, nous percevons tous ses traits runiscomme un tout. Ce modle semblait dautre part saccorder avec la neuro-logie. Le tableau mosaque des cellules photolectriques se prolonge en un

    rseau de fils dont les diverses associations vont dclencher des mcanismestout monts : lanalogie est frappante avec la rtine ou la surface de la peau,que prolongent des faisceaux conducteurs aboutissant eux-mmes deszones de rception spcialises. On ne peut chapper cette ide que lesystme nerveux, tout au moins pour les rceptions visuelles et tactiles, estun appareil destin ragir spcifiquement des formes. 3 Cinq ans plustard, Ruyer considra cette tentative comme un chec : un modle mca-nique de la perception lui parut impossible, car la porte du garage ne reconnatra lautomobile qu la condition que cette dernire se prsentedans une position et une distance bien dtermines, tandis que nousreconnaissons les personnes que nous connaissons dans mille attitudes dif-

    52 Franois Brmondy

    1. La connaissance comme fait physique , p. 83.2. Lindividualit (1re partie) , p. 304.3. Un modle mcanique de la conscience , p. 555. Cf. aussiCC,p. 73.

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    frentes. Un enfant de deux ans, un singe et mme une poule savent choisirle plus grand de deux objets mme quand limage rtinienne de celui-ci est

    devenue, relativement, la plus petite. Un chien entran ragir au plusfonc de deux gris choisira presque toujours la plus fonce de deux autrescouleurs. Lanimal ragit donc une relation abstraite, alors que lautomateconstruit pour ragir la figure dun triangle quilatral ne ragira pas plus la figure dun triangle isocle qu celle dun carr ou dun cercle.

    Or il est impossible de concevoir cette extraordinaire souplesse tantquon conoit la figure crbrale comme une structure qui nexiste que parses lments. Il faut donc, au contraire, la considrer comme ce que Ruyer,retrouvant Aristote, appelle alors une forme , qui se les subordonne.Lobjet, lui, peut ne pas tre une forme vritable, il peut ntre quune struc-ture, cest--dire la seule apparence dune telle forme : par exemple si je voisun cercle, ce peut tre un cerceau mtallique ou seulement une figure circu-laire dessine au crayon sur un mur. Le premier pourra donc rouler, ou cons-tituer un circuit lectrique, pas le second. Mais supposons que limage de cecercle dans ma conscience dclenche une action, il est impossible de la com-prendre en se reprsentant le cercle comme seulement figur sur unemosaque corticale conue sur le modle dun ensemble de cellules photo-lectriques ; cest comme si on voulait comprendre la conductivit duncercle mtallique en tudiant un cercle dessin dans le sable dune plage 1. Or

    ce que nous prouvons subjectivement comme notre champ de consciencecorrespond une zone du cerveau, larea striatade Brodmann. On devraitdonc y retrouver quelque chose de cette unit de limage2. Ruyer cherche cetquivalent objectif, et il le trouve dans ce quen 1937 il appelle la localisation[crbrale] large 3, et que, en 1951, reprenant le terme de K. S. Lashley, ilappellera l quipotentialit crbrale 4. Cette quipotentialit est lextra-ordinaire proprit du cortex que dcouvrit Lashley en ralisant des exp-riences sur les effets des lsions corticales du rat5 ; sa propre surprise, cesexpriences montrrent quil fallait une lsion considrable pour, non pas

    rendre impossible, mais seulement ralentir lapprentissage quon imposait lanimal6 ; elles montrrent dautre part que le sige de la lsion navait aucuneimportance, le retard dapprentissage, nul dans les lsions de faible tendue,

    Ruyer et la physique quantique 53

    1. CC,p. 97.2. Cf.ibid.,p. 101 : Puisque lintuition de la conscience nous montre prcisment que

    lefficacit des configurations est indpendante de leur localisation, il est tout naturel quelobservation physiologique retrouve quelque chose de cette non localisation comme un fait dailleursincomprhensible.

    3. Cf.ibid.,p. 101-107.4. Le terme a t form par Driesch pour dsigner le fait quil a dcouvert que la moiti

    dun embryon peut fournir un embryon entier. Cf. Philosophie de lorganisme, Paris, Marcel

    Rivire, 1931, p. 101. Cit par Ruyer,GFV,p. 88.5. Cf.Brains mechanisms and intelligence,Chicago, Chicago University Press, 1929. Les ratstaient soumis deux types dpreuves : dans lune pour atteindre un but il leur fallait passersur deux pdales pour ouvrir une porte, dans lautre il leur fallait ouvrir la porte eux-mmesen procdant des manipulations.

    6. Plus de 60 % du cortex pour ralentir lapprentissage de lpreuve deux pdales, etplus de 30 % pour ralentir lapprentissage des preuves manipulation.

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    tait proportionnel ltendue des grandes lsions quelle que soit leur locali-sation. Ce fait surprenant quune partie du cerveau ou dune zone senso-

    rielle ou motrice est quivalente au tout , Ruyer estime qu il est invraisem-blable a prioride linterprter par un modle mcanique quelconque ofonctionne une causalit de proche en proche 1 ; il estime quil faut admettreque la surface corticale ne fonctionne pas comme une surface matrielleavec des proprits gomtrico-physiques 2. Elle ne fonctionne pas du toutcomme un tableau de cellules photolectriques dans lequel, videmment, unepartie ne serait pas quivalente au tout. Cest sans doute ce moment queRuyer a eu lide que cette localisation crbrale large tait comparable auprincipe dindtermination en physique. Cependant, en 1937, Ruyer ncritpas encore ce quil crira trois ans plus tard dans Lindividualit , se bor-nant constater un isomorphisme3. Pourquoi ? On peut supposer quil taitarrt par lobjection selon laquelle la conscience caractrise ltre vivant etcelui-ci ne relve pas de la microphysique. Cest dailleurs celle quen 1938 iladresse encore Eddington : Lexprience montre que lesprit produit deseffets macroscopiquement observables dans le monde physique. [Or]lindtermination quantique nest apparue dans la science que parce que lalimite infrieure de lobservable tait dpasse. 4

    Mais Ruyer trouve bientt la solution de ce problme dans la troisimeide quil dcouvre dans lexpos que fait Louis de Broglie de la nouvelle phy-

    sique5, lide de l nergie dchange , ce que dans larticle de 1940 il appel-lera indterminisme de liaison ou d individualit . Bohr le premier, Jor-dan ensuite, avaient propos une thorie quantique de la vie ; ltre vivantrpercuterait ou amplifierait les phnomnes quantiques6. En 1940, Ruyerjugeait toutefois ces conceptions inquitantes, dans la mesure o elles[considraient] surtout lindterminisme des positions et des vitesses. Alorscomme le dit Eddington [...] on [tait] amen penser que le comportementdun tre vivant [...] est fond sur la conduite de certains atomes ou atomesclefs.[...]Commentunetellemaniredevoirpourrait-elletresatisfaisante ?

    Ruyer y reconnaissait trop, peine dguis par la transposition, le postulatobstindumatrialisme,quicherchetoujoursltageleplusinfrieurleprin-cipe de lexplication. Il avait surtout une trop vive intuition du caractremassif, pais, de notre individualit pour [se] laisser convaincre 7. Vingt

    54 Franois Brmondy

    1. NF,p. 52.2. Ibid.,p. 49.3. Cf.CC,p. 38.4. Paralllisme et spiritualisme grossier , p. 111-112. mile Meyerson adressait la

    mme objection Bohr : cf. Rel et dterminisme dans la physique quantique, Paris, Hermann,1932, p. 27-28.

    5. La physique nouvelle et les quanta,chap. XII, 3, Applications de la mcanique des sys-tmes , p. 261-266. Cf. aussi Individualit et interaction dans le monde physique , Revue demtaphysique et de morale,1937.

    6. Cf. Bohr, Biologie et physique atomique (1937), inPhysique atomique et connaissancehumaine,Paris, Gallimard, Folio , 1991, p. 176 ; Jordan, op. cit.,p. 128, 129, 151, 154, pour lathorie des amplificateurs dans lorganisme.

    7. Lindividualit (1re partie) , p. 291.

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    ans plus tard, dansLa gense des formes vivantes,il adresse Bohr et Jordan lamme critique1.

    Quelle est cependant cette nergie dchange qui permet Ruyer dersoudre le problme que lui posaient les conceptions de Bohr et de Jor-dan ? Revenons ce que la nouvelle physique enseigne au sujet des corpus-cules : ils nont que des probabilits de localisation, cest--dire quils nontpas de localisation prcise : ils sont dans une rgion prcise de lespace, mais lintrieur de cette rgion ils nont quune prsence plus ou moins dense. Ilest ds lors possible, contrairement au principe de limpntrabilit descorps, que deux corpuscules coexistent dans la mme rgion de lespace, carsi la prsence probable de lun excluait celle de lautre en ce mme point, laprsence probable dun corpuscule dans une rgion trs tendue de lespacey exclurait celle de tout autre et seuls quelques-uns, en nombre trs limit,pourraient coexister, ce qui est videmment contraire lexprience. Appa-rat alors une nergie dchange , qui implique la formation dun systmeunique o lindividualit des deux corpuscules est attnue. Cest par cettenergie dchange que Heitler et London expliqurent la valence et la satura-tion chimiques2. Ainsi dans la molcule deau telle quils la schmatisent lesfonctions donde des trois atomes se recouvrent partiellement3 ; ce recou-

    vrement implique une perte partielle de lindividualit des lectrons concer-ns dans les valences utilises, et cette perte est gagne par le systme mol-

    culaire, qui est ainsi une unit vritable et en ce sens possde les troisatomes. Sil ny avait aucune zone de recouvrement, la molcule consiste-rait seulement en trois atomes, ou plutt, il ny aurait pas de molcule dutout. 4 Enfin, si dans la plupart des molcules plus complexes la fonctiondonde des lectrons stend uniquement entre deux atomes de la molcule,il y en a o la fonction donde des lectrons, grce des effets tunnel multi-ples, stend sur lensemble de la molcule ; on les appelle lectrons dlocali-ss. Un [...] cas typique de fonctions donde dlocalises dlectron estcelui de la molcule de benzne, dont la formule selon Kekul prsente une

    suite de doubles liaisons conjugues. 5

    Dans ces conditions, la molcule ne doit plus tre considre comme unagrgat, elle devient un tre rel, une unit dans la multiplicit 6. Ruyer

    Ruyer et la physique quantique 55

    1. Bohr, Jordan [...], au lieu den rester [des] indications [...] gnrales en laissant auxmicromorphologistes qui [...] taient dj luvre le soin de prciser le passage [du micro-physique au biologique], mirent laccent, plutt que sur le problme morphologique, sur leproblme libert-indterminisme en confrontant directement atome individuel et orga-nisme individuel [...]. Ce qui les intressait [...], ctait la fissure du dterminisme, la possibi-lit laisse quelque atome-clef de manifester laction dune ide directrice, de la volontindividuelle (p. 54-55).

    2. NF,p. 220.

    3. Cf. Heitler,lments de mcanique ondulatoire,chap. VII, cit par Ruyer.4. NF,p. 115.5. Alfred Kastler,Cette trange matire,Paris, Stock, 1976, p. 246 : En fait nous savons

    aujourdhui que les six liaisons entre atomes de carbones de lanneau benznique sont iden-tiques, mais que les lectrons correspondant la deuxime liaison sont dlocaliss et font letour du noyau benznique.

    6. NF,p. 113.

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    estime alors quil ny a plus rien dirrationnel ce que les tres vivants sor-tent sans hiatus des macromolcules : leur mergence na plus rien de

    magique . [Si] on considre les liaisons et les structures chimiques selonles schmas statiques, gomtriques, et mcanistes dil y a un demi-sicle, [si]on prend au srieux la comparaison de ldifice chimique avec une cons-truction dont les pices, bien distinctes, sont relies bord bord, on necomprend videmment pas la possibilit dun passage aux formes et auxformations organiques , en revanche linterprtation de la liaison et de lastructure chimique apporte la solution et donne leur valeur aux hypothsessur lorigine chimique de la vie 1. Le prix payer, cest qu il faut admettrede toute molcule et mme de tout atome quil est vivant 2. Ce prix nesemble pas trop lev Ruyer, la thse lui semble aller de soi depuis ladcouverte par Stanley3 des virus cristallisables4. Il rappelle que certains

    virus sont trs probablement monomolculaires ; ainsi celui de la fivre aph-teuse nest que dix fois plus gros quune molcule de saccharose, cinquantefois plus gros quun atome dhydrogne5, alors que son comportement sapersvrance active et conqurante est manifestement biologique6.Dailleurs ce sont des tres organiss : des bactriophages, les coliphagespairs T2, T4, T6, plus petits que les virus cristallisables, comme le virus de lamosaque du tabac, ont une membrane, une tte prismatique , une sortede queue ou de trompe par laquelle ils se fixent la bactrie et par laquelle se

    vide le contenu, en acide nuclique, de la tte 7. Ruyer peut alors adopterla thorie de lamplification de Jordan et la gnraliser : Lorganisationprotoplasmique permet lamplification, un passage un niveau relativementmacroscopique des forces molculaires ; et lorganisation des rseaux ner-

    veux permet son tour une nouvelle amplification des comportements pro-toplasmiques, si bien que le comportement global dun homme, jouant engrand les comportements deshomunculicorticaux8, dpend presque directe-ment des comportements molculaires intgrs dans les rseaux protoplas-miques constituant ces homunculi. 9 Cette dpendance semble dailleurs

    simposer ds lors quon veut rendre compte de la mmoire : Dans lamesure o lon croit, ce qui est lgitime et invitable, des traces crbra-les auxiliaires de la mmoire, il est impossible, pour des raisons videntes deprobabilit numrique, de concevoir ces traces ailleurs quau niveau mol-

    56 Franois Brmondy

    1. GFV,p. 60. Cf. aussiAHFS,p. 70-71.2. GFV,p. 64.3. Wendell M. Stanley, prix Nobel de chimie 1946, dmontra en 1935 la nature proti-

    nique des virus en cristallisant celui de la mosaque du tabac.

    4. Cf.EPB,p. 1 ;NF,p. 151.5. Cf. Morand,Aux confins de la vie,p. 47, cit par Ruyer, dans GFV,p. 62.6. GFV,p. 62-63.7. Ibid.,p. 63.8. Rappelons que Fritschz et Hitzig ont dcouvert dans le cortex une aire reprsentant

    lorganisme. Pour la description deshomonculicorticaux, cf.AHFS,p. 44-45.9. AHFS,p. 72.

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    culaire, ailleurs que dans les macromolcules des protines nerveuses capa-bles de prendre un grand nombre dtats mtastables. 1

    Ainsi se rsoudrait le problme de la conscience et du corps. On sedemandait : Comment admettre quune force [...] psychique sans supportmatriel puisse intervenir sur des forces physiques dont elle diffre parnature, sur des forces physiques insparables des masses matrielles qui lesportent ? Ruyer rpond que cette difficult nexiste plus, puisque lamatire sest rsolue en domaines daction dont les caractres essentiels sontidentiques ceux des domaines absolus 2. Laction de la conscience sem-blait magique, admettre son efficacit semblait dangereusement prochedune justification du spiritisme3. Mais quelque chose redevient vrai de laconception magique 4, il faut admettre une micro-magie 5. Par exemple,dans une sensation visuelle, on peut dire quil y a participation magique desparties entre elles et action distance : Si je regarde deux horloges dunseul coup dil, quoique distinctes, elles ne font quun. Il ny a pas d ail-leurs absolu dans un domaine subjectif, puisquil ny a pas daltrit absoluedes dtails les uns pour les autres. Si je numrote les cases [dun] damier, lescarrs dune extrmit sont plus loin des carrs de lextrmit oppose quedes carrs du milieu. Et pourtant, cet loignement variable, qui apparatdans la figure ordonne de la sensation, nest pas une vraie distance quidemanderait, pour tre vaincue, des moyens et de lnergie physiques. 6

    Notre exprience immdiate est naturellement celle du mode magique delefficacit, nous prouvons directement que cest bien notre volont quimeut notre bras. La magie nest donc pas fausse parce quelle donne lesprit le caractre dune force, mais parce quelle lui donne le caractredune force macroscopique ; son erreur consiste seulement tendre aumonde extrieur ce qui est parfaitement vrai dans notre conscience. Mais demme que la technique humaine a rendu vraie lerreur de la magie le tapis

    volant est magique, lavion ne lest pas, toutefois il ralise la mme ide,lingnieur stant pli aux conditions du monde extrieur , de mme ltre

    vivant sest pli ces mmes conditions en construisant les divers organesqui ont fait de lui un organisme complexe. La conscience, en effet, nagit pasdirectement sur les processus physiques molaires des organes. Il y a certes

    Ruyer et la physique quantique 57

    1. Ibid.,p. 73.2. NF,p. 225.3. Si lesprit agit comme une force sur les cellules nerveuses, il peut aussi bien soulever

    des tables. Faut-il cesser de distinguer entre spiritualisme et spiritisme ? ( Paralllisme et spi-ritualisme grossier , p. 114). Mais un microspiritisme est vrai (NF,p. 223). Cf.DRDS: Les philosophes qui dune part ont reconnu le caractre relativement superficiel de la sciencedterministe et spatio-temporelle, et qui, dautre part, se mfient de la mtaphysique et de la

    thologie abstraite, se sont intresss de trs prs, comme on sait, tout ce domaine quonpourrait assez bien dsigner comme celui de la mystique concrte non sans veiller malaise etdfiance [...] chez les savants [...]. Malaise et mfiance demi justifie (p. 94).

    4. NF,p. 224.5. Les phnomnes mtapsychiques et la biologie , inOrdre dsordre lumire,Paris, Vrin,

    1952, p. 103.6. NF,p. 99-100.

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    les plus grandes chances quun biologiste, tudiant ce genre de phnomnes,tombe sur un relais physico-chimique interpos entre la commande et

    leffection. Mais il ne faut pas conclure que, de relais en relais, on va linfini, sans jamais trouver le point o [leur enchanement] sarrte [...]. Lemoment vient ncessairement o la commande est directe. 1 Le biologistemcaniste serait donc semblable un observateur qui, ne voyant pas la

    volont de Csar, mais seulement les mouvements de ses soldats, nierait que Caesar pontem fecit . Ruyer illustre son ide par un mythe : deux habi-tants de Sirius observent la Terre. Le premier, grce un puissant tlescope,dcouvre que des feux sallument plus souvent dans des rgions froides etpluvieuses ; le phnomne tant contraire aux probabilits de la physique, ilen conclut quexistent des tres dous dune force vitale qui contrecarrentses lois. Mais grce un perfectionnement du tlescope, le second dcouvreque les feux rsultent du frottement de morceaux de bois phosphors, et ilen conclut quen dfinitive tout se passe sur terre conformment aux lois dela physique. Ils ont tort lun et lautre, le premier parce quil mconnatlexistence de relais physico-chimiques dans lallumage des feux, le second parce que, dcouvrant ces relais, il extrapole imprudemment, et ne voit pasquils sont suspendus une intention intelligente 2.

    Rsumons. Un tre vivant et conscient, dclarait Ruyer, ne peut treexpliqu par un jeu datomes qui nontabsolument aucuncaractre de vie et de

    conscience. La physique quantique lui permet de supposer que les atomesnen sont pas absolument dpourvus. Bohr se bornait nier quon puisseencore dire que les atomes taient inanims ; Ruyer, lui, semble attribuer tous les tres vivants une conscience et aux atomes une vie.

    Est-ce lgitime ? Il semble que, ds lors que les tres vivants sont desorganismes, et puisquon ne peut concevoir une action organisatrice qui nesoit une conscience, si celle-ci ne peut tre celle de Dieu, elle ne peut treque celle des tres vivants : Il ny a aucune fantaisie faire correspondre lembryon observable un domaine de conscience primaire de mme que lon

    fait spontanment correspondre une conscience [...] au cerveau dun trevivant. 3 Cette conception ne va certes pas sans difficults : il faut com-prendre comment cette conscience primaire parvient adapter ltre vivant un monde extrieur quelle na aucun moyen de connatre4. En revanche,en ce qui concerne les atomes et les molcules, il semble au contraire vi-

    58 Franois Brmondy

    1. Ibid.,p. 222.2. Ibid.,p. 223.3. Ibid.,p. 175.

    4. Cest la critique que Francis Kaplan a adresse la conception de Ruyer : PourRuyer la conscience a pour rle de rsoudre des problmes pratiques, dinventer des solu-tions des difficults dadaptation et souvent ces difficults englobent le monde extrieur etlorganisme par exemple la digestion qui suppose la connaissance des aliments extrieurs, lavision qui suppose la connaissance des proprits de la lumire. Comment [la] conscience[primaire] peut-elle trouver une solution adquate si elle na pas [de donnes] sa disposi-tion ? (Le paradoxe de la vie,Paris, La Dcouverte, 1995, p. 39).

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    dent quil ny aucune raison de leur attribuer la vie ni la conscience1, puisqueles tres vivants et les tres conscients sont caractriss par leur organisation

    et leur comportement finaliste, et que ce nest pas le cas des atomes ni desmolcules. Cest pourquoi plusieurs textes o Ruyer affirme le contraire nepeuvent que laisser perplexe. Ainsi, il lui arrive de dire des atomes et desmolcules que ce sont des organismes, alors que lorganisation caractrise lacombinaison de moyens en vue dune fin et quil ne prtend pas que

    Ruyer et la physique quantique 59

    1. Bernard dEspagnat a svrement critiqu cette conception. Dans la recherche durel, il fait cette allusion La gnose de Princeton: Tout lectron et plus gnralement touteparticule lmentaire possde une me ou une conscience parfois dnomme sonendroit afin de mieux donner la doctrine une apparence de profondeur. La matrialit de

    llectron, ou son apparence pour nous [...] est alors nomme son envers [...]. La versionde lanimisme qui est ici analyse se trouve tre lexacte antithse de la conception du scien-tisme naf [...]. bien des gards elle est cependant de bien moindre valeur encore, car sanstre plus cohrente, elle nen a pas la fcondit (Paris, Gauthier-Villars, 1979, p. 115-116).Le jugement est le mme dans Une incertaine ralit(Paris, Gauthier-Villars, 1985) : Ques-tion : Pourquoi, vous qui dans vos crits rejetez le matrialisme, faites-vous dans vos textessi peu de place aux brillants dveloppements spiritualistes que plusieurs ouvrages rcentsassocient troitement la nouvelle physique ? Rponse : [...] Lintroduction explicite de lanotion desprit lintrieur mme des descriptions, prcises et dtailles, de la physique desphnomnes ne peut actuellement tre fonde sur aucun argument scientifique ayant unpoids qui lui permette de rsister une critique objective, mene par les moyens tradition-nels de la discussion des hypothses dans les sciences (p. 228, n. 1). [Le] caractre nontotalement analysable et mme pour mieux dire peu prs inanalysable des notions de cons-

    cience spontane, desprit et ainsi de suite rend, me semble-t-il, tout fait chimrique lidede fonder je ne sais quelle nouvelle gnose. Celle-ci, en effet, comme le matrialisme ato-mistique de nos pres, chercherait invitablement fonder sa respectabilit sur une pra-tique (argument : cela marche donc cela est vrai). Mais alors que limagerie matrialiste etatomistique se prte au quantitatif et est bien adapte une description synthtique de nom-breux phnomnes scientifiquement hors de conteste ( condition bien entendu de ntrepas rige en absolu), cela nest pas vrai de limagerie spiritualiste. Il faut donc dire ceci : auplan de la ralit empirique seule la science au sens propre est valable et digne de foi [...].Mais au plan de la ralit indpendante et de la tentative un peu dsespre mais essen-tielle que lhomme fait pour atteindre un tel rel en soi, la notion desprit a en revanchereconquis ces derniers temps une respectabilit indniable, non pas en tant qulment dusavoir mais en tant que constituant lune des rares ides accessibles qui rapprochent les idesde lhomme de linaccessible rel (p. 228-229). Lauteur ne nomme pas Ruyer, mais ilsemble quil ne puisse viser personne dautre. Ruyer crit en effet dans le premier chapitredeLa gnose de Princeton: [Le matrialisme] prend pour endroit lenvers des tres (p. 35).DEspagnat est cependant moins svre pour la thse elle-mme, quil examine dans sa dis-cussion de la thorie, quil juge plus solide, de Wigner. Dabord, elle ne serait pas inconce-vable mais seulement trs hasardeuse : Quentendons-nous au juste par conscience dellectron ? Il nest pas inconcevable quune thorie puisse lavenir tre construite danslaquelle la notion de conscience serait dfinie avec prcision et qui dune manire cohrenteattribuerait aux systmes physiques une conscience dautant plus floue que ceux-ci seraientplus tnus. Il nest pas impossible quune fois labore la thorie en question se rvle cons-tituer un progrs vritable dans une explication systmatique des phnomnes de la micro-physique. Tout ce que pour lheure on peut dire cest quil sagit l danticipations extrme-ment hasardeuses ( la recherche du rel,p. 119). Ensuite il admet quil y a des arguments en

    faveur de la thse : Du ct des arguments qui plaident en faveur de lide que des micro-systmes peuvent tre considrs comme anims, on trouve largument [...] de la non-existence de sparations manifestes entre tres non vivants et vivants dune part, et parmices derniers, entre tres non conscients et conscients dautre part ; et larbitraire que com-porte ds lors toute hypothse restreignant une catgorie spciale de systmes physiqueslattribution dune qualit, la conscience dont lirrductibilit aux phnomnes tudis parla physique a t par ailleurs reconnue... (p. 118).

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    lmission dun photon, par exemple, soit le moyen dun but1. Ainsiencore, aprs avoir signal le scandale du fait que les tres organiss sortent

    sans hiatus des macromolcules, Ruyer assure que la seule solution pos-sible est [...] dtendre le verticalisme la morphogense chimique elle-mme 2 (le verticalisme dsignant mtaphoriquement la doctrine daprslaquelle le comportement formatif est irrductible au fonctionnement3),semblant oublier le problme quil venait de poser. Bien plus, il appelle par-fois finalit le comportement formatif4, critiquant une prtendue rductionde la finalit la finalit utilitaire5.

    Cependant, le plus souvent Ruyer naffirme rien dautre que le fait queles atomes et les molcules ont avec les tres vivants quelque chosedessentiel en commun, savoir quils ne sont pas des agrgats dlmentsinertes mais des tres rels, des domaines unitaires , qui survolent lespace et le temps. Ainsi, dans No-finalisme,il distingue de lactivit fina-liste les caractres gnraux qui sont les conditions de cette activit. Ainsiencore, dansLa gense des formes vivantes, il propose seulement lide que lesmolcules et les tres vivants ont en commun un comportement forma-tif : La chimie quantique [considre] la substance chimique comme carac-trise moins par une structure que par un ensemble [...] decomportements destructuration [...]. [Lexpression de] comportement formatif est la seuleexpression qui convienne, en chimie comme en biologie, le fonctionnement

    tant toujours secondaire et driv, dans lun comme dans lautredomaine ; et il le concde : le comportement formatif dun atome oudune molcule nest sans doute pas proprement parler thmatique [...]comme la morphogense organique , mais cette concession na pour butque de raffirmer lessentiel : Lessentiel est quil nest pas positionnel,comme le mouvement dun amas ou dune machine. La molcule ou latomene se forme pas comme un plissement montagneux ou un dpt sdimen-taire. Latome a une forme typique, virtuelle ou actuelle. Un atome bom-bard nest pas semblable une maison bombarde ou une automobile

    accidente. Un bombardement nuclaire ne produit pas un rsultatquel-conque,mais un rsultattypique,un tre chimique nouveau, par fusion ou parfission. 6 Enfin, dansDieu des religions, Dieu de la science,il concde de mmequ on peut discuter sur la nature [des] individualits [primaires], et sedemander dans quelle mesure elles ressemblent aux individus vivants etconscients avec lesquels elles sont en continuit 7, et cest pour raffirmerque ces discussions lgitimes ne doivent pas obscurcir le fait incontestable

    60 Franois Brmondy

    1. Cf.NF,p. 149.2. GFV,p. 53.

    3. Ibid.,p. 11.4. Cf. Paralllisme et spiritualisme grossier , p. 126 : La finalit au sens large du mot,cest--dire (l)action unifie dun ensemble vraiment un et se comportant comme un tout etnon pas comme une somme.

    5. Cf.NF,p. 118.6. GFV,p. 58-61.7. P. 231.

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    que, pour arriver la connaissance de la chimie dune molcule deau, il nefaut pas partir des lois de locanographie 1. Il semble donc que Ruyer

    nglige systmatiquement la diffrence qui spcifie les tres conscientsparmi les tres vivants et les tres vivants parmi les domaines unitaires pour souligner que les uns et les autres se ressemblent fondamentalement.

    Le problme nest pas seulement intellectuel, il a un aspect existentiel.DansLa nause,le sentiment de labsurdit de lexistence saisit Roquentin,alors que, dans un jardin public, il contemple ses pieds la racine dun mar-ronnier. Ruyer ne peut pas sidentifier avec le personnage de Sartre. Loin deprovoquer langoisse, le spectacle des tres vivants, fussent-ils des vgtaux,lui semble susceptible den tre le remde. Se trouver au milieu de gens quitravaillent et dont on comprend le but, cest un calmant efficace contrelangoisse, aussi bien que de travailler soi-mme. [Or] il ne faut pas un grandeffort dimagination pour voir les tres vivants, vgtaux compris, commedes tres au travail. Un botaniste peut difficilement prouver une nausemtaphysique devant les vigoureuses racines dun arbre, du moins sil sereprsente le prodigieux travail des cellules vgtales faisant la chane pourpuiser de leau dans le sol. 2 Comme on voit, Ruyer affecte de croire quecest la ralit vgtale qui donne Roquentin la nause et que celle-cisexplique par lignorance du fonctionnement de larbre, alors quen ralitle personnage de Sartre, qui nignore nullement que la racine est une pompe,

    prend devant celle-ci conscience dune contingence qui est celle de touteralit3. Mais cest quau sentiment existentialiste de labsurdit de lexistenceque manifestement il nprouve pas, Ruyer veut opposer le sentimentdabsurdit que plus lgitimement, pense-t-il, lui inspire un certain type dephnomnes. Ce qui lui semble rellement troublant, il le dit dans la conclu-sion de lun de ses derniers ouvrages, cest lagitation inutile du mondephysique . Nous pouvons tre effrays par lactivit des btes et des plan-tes, parce que leur but nest pas aussi vident que celui du travail humain,mais cet effroi na rien voir avec laccablement que peut susciter en nous

    lvident non-sens du faux travail du monde physique . Car quelquechose se manifeste travers [les] fantaisies indchiffrables (du mondevivant). [...]. Au contraire, devant lagitation strile [...] des choses physiques,du vent, des nuages, de la mer, nous sommes accabls par lvidence dunon-sens . Nous en sommes accabls, parce que le sens, vident pournous, de notre propre activit, est sourdement contamin par (ce) non-sensdes choses 4. On peut penser quil sagit dune impression seulement per-sonnelle. Ruyer ne le croit pas, puisquil trouve ce trouble magnifiquementexprim par Victor Hugo dans Les travailleurs de la mer: [Gilliatt] avaitautour de lui, perte de vue, limmense songe du travail perdu. Voir man-

    Ruyer et la physique quantique 61

    1. Ibid.,p. 231.2. Ibid.,p. 229-230.3. La nause(1938), Paris, Gallimard, Folio , p. 185.4. DRDS,p. 229.

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    uvrer dans linsondable et dans lillimit la diffusion des forces, rien nestplus troublant. On cherche des buts. Lespace toujours en mouvement, leau

    infatigable, les nuages quon dirait affairs, le vaste effort obscur, toute cetteconvulsion est un problme. Quest-ce que ce tremblement perptuel fait ? quoi est occup ce tumulte ? [...]. Gilliatt, lui, savait ce quil faisait, maislagitation de ltendue lobsdait confusment de son nigme. son insu,mcaniquement, imprieusement, par pression et pntration, Gilliattrveur amalgamait son travail le prodigieux travail inutile de la mer. Com-ment en effet ne pas subir et sonder, quand on est l, le mystre deleffrayante onde laborieuse ? Comment ne pas mditer, dans la mesure dece quon a de mditation possible, la vacillation du flot, lacharnement delcume, lusure imperceptible du rocher, lpoumonement insens desquatre vents ? Quelle terreur pour la pense, le recommencement perptuel,lOcan puits, les nues Danades, toute cette peine pour rien. 1 Or, daprsRuyer, la science, jusquau XXe sicle, confirmait et aggravait cette impres-sion spontane, elle aidait la contamination du sens par le non-sens univer-sel. En effet, la ralit physique, le rgne des lois physiques, des pousseset des quilibres de proche en proche apparaissait comme le mode fonda-mental de toute ralit, do les autres modes mergeaient de faon pr-caire 2. Cest pourquoi la physique contemporaine offre Ruyer non seule-ment une satisfaction intellectuelle, mais encore une sorte de soulagement :

    Ce qui apparat aujourdhui [...] cest quil est illgitime [...] dtendre touslunivers le mode des phnomnes de la physique classique. Ces lois et cesphnomnes secondaires supposent [...] des lois et des ralits primaires. [...][Cest un fait] incontestable que pour arriver la connaissance de la chimiedune molcule deau, il ne faut pas partir des lois de locanographie. [...]Lagitation de locan construit et dtruit sans fin un rivage toujours chan-geant : foule aveugle contre foule aveugle. Mais les individus, quils soientchimiques ou organiques, ne se forment pas seulement pour se dformer,comme se forme un banc de sable sur le rivage. 3 Si Gilliatt, au lieu

    dassister dans le trouble au tumulte inutile de locan, avait pu voir,agrandie son chelle, lactivit ordonne de la molcule deau schmatisepar Heitler et London, constituant, gardant et rgularisant sa forme, il auraitpu y reconnatre une activit qui ne diffrait pas fondamentalement de lasienne.

    Franois BRMONDY,Lyce Balzac (Tours).

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    1. II, I, 10. Hugo ajoute : Pour rien, non. Mais, Inconnu, toi seul sait pourquoi.

    2. DRDS,p. 229.3. Ibid.,p. 231-232.

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