Bourcier Danièle. Argumentation et définition en droit. In Langages, 10e année, n°42, 1976. pp....

11
Danièle Bourcier Argumentation et définition en droit In: Langages, 10e année, n°42, 1976. pp. 115-124. Citer ce document / Cite this document : Bourcier Danièle. Argumentation et définition en droit. In: Langages, 10e année, n°42, 1976. pp. 115-124. doi : 10.3406/lgge.1976.2312 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1976_num_10_42_2312

Transcript of Bourcier Danièle. Argumentation et définition en droit. In Langages, 10e année, n°42, 1976. pp....

Page 1: Bourcier Danièle. Argumentation et définition en droit. In Langages, 10e année, n°42, 1976. pp. 115-124.

Danièle Bourcier

Argumentation et définition en droitIn: Langages, 10e année, n°42, 1976. pp. 115-124.

Citer ce document / Cite this document :

Bourcier Danièle. Argumentation et définition en droit. In: Langages, 10e année, n°42, 1976. pp. 115-124.

doi : 10.3406/lgge.1976.2312

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1976_num_10_42_2312

Page 2: Bourcier Danièle. Argumentation et définition en droit. In Langages, 10e année, n°42, 1976. pp. 115-124.

D. BOURCIER ERA n° 430 CNRS

ARGUMENTATION ET DÉFINITION EN DROIT

ou «Les grenouilles sont-elles des poissons? »

Les langages formalisés (scientifiques, juridiques) ont besoin pour construire leur sémantique de classer leurs éléments et de définir les objets qu'ils manipulent.

L'univers du droit est organisé autour de la notion de catégorie ou de classe 1. Il sera question dans cette note de la définition en tant qu'elle participe au système de formes qui constitue la structure nécessaire du discours juridique. Son statut est spécifique, par rapport à toute définition de type lexicographique, parce que les conditions de validité et les critères d'organisation du sens sont à la fois formels et argumentatifs.

Il s'agit non pas de proposer de nouvelles hypothèses à la théorie de l'argumentation 2, mais de décrire les marques métalinguistiques de l'argumentation dans la définition juridique.

1 . Définition lexicale 3 et définition juridique 4 .

Considérons la définition du « bouilleur de cru », dans le dictionnaire8 et dans le texte de loi 6, et décomposons les niveaux. La 3e colonne (voir ci-après) définit une classe « assimilée », non nommée.

1

2

3

4 5

DICTIONNAIRE

DÉFINITIONS

propriétaire

distille

sa récolte de fruits

chez lui pour sa consommation personnelle

TEXTE DE

DÉFINITIONS

propriétaire fermier métayer vigneron distille fait distiller ses récoltes de :

vins, cidres, poirés, marcs, lies, cerises, prunes, prunelles

exclusivement n'exerce pas le commerce d'alcool dans le canton du lieu de distillation et dans les communes limitrophes de ce canton

LOI

Assimilations

producteur

autres fruits

d° d°

1. F. Geny, Science et technique en droit privé positif, Sirey, t. III, p. 167 : « ... issue de la réalité, la catégorie juridique s'en détache par une abstraction nécessaire et constitue, en vertu des définitions et des classifications qu'elle implique, comme le centre de la technique fondamentale du droit. » — 2. Voir C. Perelman, Traité de l'argumentation, PUF, 1958, t. I et II. — 3. Définition lexicale (DL). —4. Définition juridique (DJ). — 5. Petit Robert, 1 973 (voir Annexe). — 6. Code général des impôts, art. 315 (voir Annexe).

115

Page 3: Bourcier Danièle. Argumentation et définition en droit. In Langages, 10e année, n°42, 1976. pp. 115-124.

1.1. Le tableau permet deux observations générales sur la définition:

— La définition (D) est la mise en équivalence de deux fonctions propositionnelles dont l'une (Рг) contient le terme à définir (de finie ndum) et l'autre (P2) une collection de termes servant à définir (definiens).

— P2 a une structure logique : composé d'un élément générique (niveau 1) et d'éléments ou déterminatifs ou explicatifs réunis (niveaux 2, 3, 4, 5).

DP (Px = P2) P2 = Nj n N2 n Ns n N4 n N5 .

1.2. Comment intervient la spécificité de la définition juridique DJ, par rapport à la définition lexicale DL ?

1.2.1. La présentation tabulaire des deux définitions montre que P2 sature le défini en collectant les éléments discrets non ambigus à chaque niveau de la définition. Alors que les éléments de la DL ont des niveaux de spécificité variables, les éléments de la DJ sont stables pour l'ensemble du système. La logique des classes (à laquelle est soumise l'univers juridique) distingue la classe de l'élément. Au niveau 1 de la DL, « propriétaire » est considéré comme une classe. La DJ ne peut y inclure « vigneron », « métayer » ou « fermier » qui sont non des éléments, mais des classes différentes.

1.2.2. Les éléments de P2 peuvent être:

a) des classes déterminées par une enumeration, ex. : fruits ; ou indéterminées, ex. : autres fruits ;

h) des classes définies dans P2, ex. : consommation familiale ; c) des classes se référant à une définition, ex. : propriétaire.

1.2.3. La D J est liée à la fonction déontique du discours du droit. — « Bouilleur de cru » n'est défini qu'en tant qu'il devient sujet d'une proposition modale : qui peut bénéficier d'une allocation en franchise ? (Code des impôts, article 317). Pour la DL, le bouilleur de cru est celui qui bout. Pour la DJ, le bouilleur de cru est celui qui est tel qu'il a droit à la franchise. — D (Px = P2) peut être sujet d'un prédicat déontique (N) dans les phrases du type *• :

Quiconque D (P1 == P2) -> N D = délit punissable, Px = nom du délit, P2 = élément du délit.

La DJ est une technique d'argumentation qui induit des raisonnements dialectiques. En ce sens, elle est un acte illocutionnaire car elle contient non seulement des éléments quantifiables ou descriptifs mais aussi des éléments évaluatifs 2 et des opérateurs argumentative. Par exemple : la

1. V. Code pénal, article 407 : abus de blanc-seing (voir Annexe). 2. John E. Searle. les Actes du langage, p. 184.

116

Page 4: Bourcier Danièle. Argumentation et définition en droit. In Langages, 10e année, n°42, 1976. pp. 115-124.

tranquillité publique est une notion de type évaluatif (élément de la définition de l'attroupement interdit) et les opérateurs « même » ou « de nature à » sont des opérateurs argumentatifs.

1.3. Définition juridique et définition lexicale ont été influencées par la réflexion philosophique issue d'AmsTOTE sur la structure logique du defl- niens 1.

Mais la DJ est une technique d'élaboration de la notion qui s'inscrit dans l'ensemble du système logique classique : analyse du concept, étude des liaisons logiques entre les concepts, construction de raisonnements. Il est donc impossible de situer la DL par rapport aux techniques du lexicographe posant une appréciation sur une bonne ou mauvaise définition (adéquation du modèle à la réalité ou complétude de l'ensemble ?). La notion-pivot de la définition du bouilleur de cru est celle de récoltant et non celle de propriétaire. A ce titre, la DL est incomplète et ambiguë : le bouilleur de cru est propriétaire de sa récolte.

1.4. La DJ n'est pas une convention d'interprétation 2. Quand elle utilise les catégories existantes pour en introduire de nouvelles, les designata sont univoques pour l'univers juridique. Ex. : le délit (continu) de vagabondage :

« Les vagabonds ou gens sans aveu sont ceux qui n'ont ni domicile certain, ni moyens de subsistance, ni métier ou profession exercés habituellement 3. » On peut utiliser la conversion logique et tenir pour universelle la

proposition déontique : Vx doit avoir un domicile certain ou des moyens de subsistance, ou un métier ou une profession.

2. Logique et argumentation.

2.1. L'utilisation de la logique fixe le statut scientifique du discours du droit. Elle ne permet pas d'expliquer le système d'un langage même formalisé mais justifie en termes de vrai/faux sa réduction en un schéma logique.

La théorie de l'argumentation distingue les raisonnements logiques qui utilisent des symboles sans les interpréter, des modèles argumentatifs qui sont modifiables. Si la logique maintient les principes d'équivalence ou de non-contradiction, l'argumentation y ajoute des assimilations ou des incompatibilités. Dire que la définition est un argument quasi logique 4, c'est montrer que les schémas de la démonstration logique servent de modèle de construction, mais sont inaptes à élaborer les pensées d'un raisonnement dialectique.

Pour une exégèse conduite logiquement, on induit les axiomes qui peuvent introduire une argumentation deductive. Mais qu'en est-il lorsque les notions sont ambiguës, que les classes sont absentes, que les systèmes sont lacunaires ? La définition utilise alors des foncteurs argumentatifs d'ordre métalinguistique qui induisent le modèle utilisé. La DL ne pose plus les termes P\ et P2 en termes d'équivalence mais décrit à quelles conditions ou pour quelles raisons D est utilisable.

1. F. Geny : « La définition juridique sera d'autant plus parfaite qu'elle analysera plus complètement la compréhension de l'idée à fixer, en la rattachant à un genre prochain pour l'en séparer par la différence spécifique qui marque l'individualité propre de l'objet défini » (op. cit.).

2. Comparer avec les articles d'interprétation (textes de Common law). 3. Comparer avec la DL du Petit Robert : « 1) Litter. Personne qui se déplace

sans cesse, qui erre par le monde. 2) Cour. Personne sans domicile fixe et sans ressources avouables, qui erre, traîne à l'aventure. »

4. C. Perelman, op. cit., t. I, p. 282.

117

Page 5: Bourcier Danièle. Argumentation et définition en droit. In Langages, 10e année, n°42, 1976. pp. 115-124.

2.2. Les foncteurs logiques de la DJ. Les foncteurs de la définition sont de plusieurs types :

2.2.1. Le premier est celui de l'équivalence ou de la double implication. C'est la locution « si et seulement si » qui permet de détecter ce type de définition.

Il y a vol, « si et seulement si » il y a soustraction frauduleuse de la chose d'autrui.

2.2.2. Les autres foncteurs déterminent des relations d'inclusion ou d'appartenance. L'appartenance fait appartenir un élément à une classe logique :

« Les prix des baux à ferme sont rangés dans la classe des fruits civils. » (Code civil, article 584.)

Cette relation est intransitive, antisymétrique et irréflexive.

2.2.3. La relation d'inclusion ne s'applique qu'aux relations entre classes. « Les servitudes conventionnelles sont ou continues ou discontinues. » (Code civil, article 2043.)

Cette relation est, au contraire, reflexive, antisymétrique et transitive.

A A A

с А cz В с В et

В В

с= А с С = > А с С.

L'intérêt de cette classification est qu'elle permet de distinguer une classe de ses éléments. Des prédicats conviennent à un élément mais non à la classe tout entière. Ainsi certains prédicats déontiques s'appliquent à la classe des « servitudes continues non apparentes » (Code civil, article 691), et d'autres à la classe « des servitudes continues et apparentes » (Code civil, article 690).

Il faudrait tirer d'autres conséquences du fait que l'univers du droit préfère manipuler des classes plutôt que des éléments : les catégories décrivent des objets (unité, pluralité, nombre) puis sont intégrées dans des lois logiques qui établissent des rapports entre elles (syllogisme).

2.2.4. Une classe complémentaire (—A) peut être obtenue par négation de la première : c'est la relation de complémentarité.

« Les menus ouvrages sont les éléments du bâtiment autres que les gros ouvrages. » (D. 1166 du 22 décembre 1967.)

Cette classe complémentaire (— A) réunie à la première (A) reconstitue la classe В dont elles étaient en sous-classe.

A + (— A) = B.

Gros ouvrages + menus ouvrages = ouvrages.

2.2.5. Cette relation essentielle de la logique formelle permet d'introduire la notion de modèle argumentatif. Il suffit de comparer la relation de complémentarité à la définition dissociative \ La définition dissociative

1. С. Perelman, op. cit., t. II, p. 590.

118

Page 6: Bourcier Danièle. Argumentation et définition en droit. In Langages, 10e année, n°42, 1976. pp. 115-124.

est liée au fonctionnement non formel du discours : Prenons l'exemple du délit de mendicité :

Tous mendiants (A) même invalides (B) . . . seront punis (N) VA(BcA) -> N .

A une D de P qui excluait la classe des invalides В de la proposition P2, est substituée une D' de P qui y inclut la classe.

D P (Px = P2) d' p (p; = p2 + в) .

Autrement dit, à une définition D de P, où Рг = P2, est substituée une définition D' de P, où le deflniendum (P'j) est défini par « dissociation » du definiendum (P2)

D P (P, = P2) d' p (p, = p;) D' P (Pi ф P2) .

La « classe » formée par (Pi 4- P2) est indéterminée et ne peut être justiciable du calcul de classes de la logique formelle.

La définition D de P peut être celle de la langue courante (non spécialisée) ou une DL, ou une DJ antérieure, ou une définition implicite : le mendiant (dans la DJ) doit être valide x. Mais, dans l'article suivant du code, la classe des « infirmes » n'a plus de relation logique avec la classe des « mendiants » ; elle n'est pas un élément discriminant et informatif de la définition de la mendicité. Elle induit seulement qu'aucun raisonnement ne saurait établir sur l'échelle argumentative du délit de mendicité une prémisse supérieure à la tautologie (dissociative).

Un mendiant est d'abord un mendiant A с А

donc A et В appartiennent à des classes argumentatives 2 différentes, en ce sens que В ne peut plus être un argument pour ou contre N, c'est-à-dire, en terme de métalangage juridique, une circonstance aggravante ou atténuante en faveur du délit. La définition du délit de mendicité visait le mendiant valide et habituel. S'agit-il du même délit de mendicité ?

2.3. De quelques schémas argumentatifs de la DJ

Donc, à côté des relations logiques communes à tout langage quelque peu formalisé, coexistent des modèles non logiques spécifiques de l'univers juridique. « La définition juridique comme définition dialectique ne décrit pas une réalité mais une prise de position par rapport à la réalité 3. » Par- là même, elle a une présomption irréfragable de vérité. Comment le juge peut-il manipuler ces objets que sont les éléments et les classes pour obvier au déni de justice ?

On a repéré provisoirement trois foncteurs argumentatifs. La construction syllogistique mettra en évidence les équivoques et ambiguïtés des relations entre termes et propositions. Ces relations ont été repérées auto-

1. Code pénal, article 275. 2. O. Ducrot, la Preuve et le Dire, Marne, 1974, p. 227 : « Nous dirons qu'un

locuteur place deux énoncés p et p' dans la classe argumentative déterminée par un énoncé г s'il considère p et p' comme des arguments en faveur de r. »

3. A. Giulani, « Nouvelle rhétorique et logique du langage normatif », in Etudes du langage juridique, Bruxelles, éd. E. Bruyant, 1970.

119

Page 7: Bourcier Danièle. Argumentation et définition en droit. In Langages, 10e année, n°42, 1976. pp. 115-124.

matiquement à partir des règles de construction de la DJ 1 : dans certains articles définitoires, le législateur emploie les opérateurs d'assimilation, de présomption, de fiction. S'agit-il d'une équivalence logique entre deux fonctions propositionnelles ?

Fondeur 1 : l'assimilation (Ass) Le foncteur (Ass) crée une définition fictive. Le législateur définit

une classe puis assimile des éléments à cette classe : le producteur qui récolte d'autres fruits que le bouilleur de cru est assimilé à son régime pour certaines conséquences déontiques 2. Il s'agit là d'une assimilation de type modal ou déontique que le législateur n'a pas à justifier. Mais cette assimilation présuppose une argumentation qui permet l'intersection des classes. Le juge qui, lui, doit motiver, utilise cette technique pour construire son syllogisme.

Ainsi, prenons l'exemple du voleur de grenouilles : comment X, qui avait volé des grenouilles, pouvait-il être condamné en vertu de l'article 388 du Code pénal qui ne visait que le vol de poissons, ou comment assimiler les grenouilles aux poissons 3 ?

M m с

1er syllogisme Le vol de poissons est punissable. X a volé des grenouilles, ou X n'a pas volé de poissons. X n'est pas punissable. Décomposons la mineure :

— les grenouilles (g) ne sont pas des poissons (p) ; — mais les g et les p appartiennent à une classe fictive A définie par le juge : celle des animaux comestibles et susceptibles d'appropriation ; — les g sont assimilés aux p.

2e syllogisme M : Le vol des A (p, g) est punissable, m : X a volé des g. с : X est punissable.

Observations : 1. Une prémisse négative donne une conclusion négative ; pour que la conclusion soit positive, il faut rétablir une prémisse positive. 2. La prémisse devient positive par la réunion des deux classes exclusives en une classe fictive. 3. Cette classe est une classe métalinguistique. Les éléments de la définition ne sont pas référentiels (le poisson ne peut être assimilé scientifiquement à la grenouille, disent les juges). Elle n'est ni une définition de classe (définition réelle) ni une définition de nom (nominale) : elle implique une sémantique (une organisation présupposée du sens) dont les marques sont des classes ou des opérateurs métalinguistiques.

Foncteur 2 : la présomption (Pré) Le foncteur « présomption » (Pré) crée une définition conditionnelle.

La présomption tient « pour certain ce qui est douteux, pour avéré ce qui

1. En informatique juridique, on peut utiliser les règles morpho-sémantiques de la DJ pour élaborer un algorithme de reconnaissance automatique. Voir L. Mehl, « l'Analyse automatique du langage juridique », in Rapport ERA/CEDIJ, 1974.

2. La dissociation joue aussi au niveau déontique : en ce sens la DJ pourrait être l'énumération des propositions modales appliquée à un concept. Ex. : Les grosses réparations sont celles qui sont à la charge du propriétaire.

3. Trib. corr. de Montbéliard, 28 juin 1963, sieurs Tatu.

120

Page 8: Bourcier Danièle. Argumentation et définition en droit. In Langages, 10e année, n°42, 1976. pp. 115-124.

est tout au plus probable 1 ». C'est bien la logique du vrai/faux qui est en jeu.

Prenons la présomption de paternité. Quelle est la définition légale de la paternité 2 ?

« L'enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari. Néanmoins, celui-ci pourra désavouer l'enfant s'il prouve que A. » (Code civil, article 312.)

A énumère les preuves de non-paternité. D J : Le père — le mari de la mère + celui qui a la charge de la preuve pour désavouer sa paternité.

D(P) (Pj = P2 + Pré) .

La DJ de la paternité établit une équivalence qui peut être réfutée au moyen des preuves fournies par le père présumé.

Certaines présomptions légales comme la durée de la gestation utérine sont renforcées par une fiction (Fie) : d'après celle-ci, l'enfant est réputé conçu au moment le plus favorable pour lui (du point de vue de la filiation).

Observations : 1. La relation de présomption est une équivalence conditionnelle. 2. La présomption conditionnelle est un élément de P2. C'est la classe métalinguistique : charge de la preuve. 3. La définition conditionnelle est exclusive de toute comparaison avec la DL. Pour le Larousse (1970), « Le père est celui qui a un ou plusieurs enfants ».

Fondeur 3 : la fiction (Fie) Le foncteur (Fie) crée une définition déontique. La fiction est une

technique argumentative qui permet de dépasser le champ de l'analogie. Elle est aussi l'enjeu du stade scientifique de l'élaboration du droit. Comment s'opère cette « altération du concept 3 » ?

La fiction est justifiée par le principe qu'il existe en droit des notions naturelles, et des notions construites arbitrairement. La fiction consiste à créer, en dissociant les concepts, une classe d'effets communs. Citons : nationalité/naturalisation ; personne physique/personne morale ; volonté individuelle/représentation.

Quelle est la définition légale de la représentation ? « La représentation est une fiction de la loi dont l'effet est de faire entrer les représentants dans la place, dans le degré et dans les droits du représenté. » (Code civil, article 733.)

La représentation permet d'établir que la volonté du représentant est la volonté fictive du représenté. La fiction permet au législateur d'accueillir les résultats et de repousser le principe.

Si l'on fait la paraphrase syllogistique : M : La volonté individuelle est une notion « naturelle ». m : Mais il serait (utile, bon, nécessaire) d'élargir la portée de l'action volont

aire des personnes. с : On crée une fiction (Fie) : la représentation. (Fie) — transfert aux

représentés des effets des agissements du représentant.

1. F. Geny, op. cit., t. III, p. 265 2. Notion provenant du droit romain : Pater is est quem nuptiae demonstrant. 3. F. Geny, op. cit., t. III, p. 265.

121

Page 9: Bourcier Danièle. Argumentation et définition en droit. In Langages, 10e année, n°42, 1976. pp. 115-124.

Soit Рг (le représenté ou le sujet de volonté), N (N1? N2) les normes et Pa (le représentant)

Px = Nx + N2 P2 = Ni .

Pour que Px et Pa soient soumis à la même norme, on crée une proposition intermédiaire

3Fic (Px = P2) pour Nx (Pi Ф Рг) pour N2 .

Il existe une fiction, telle que Vx et P2 sont équivalents pour la même norme, et V x et P2 ne le sont pas pour une autre norme.

Observations : 1. La fiction est un foncteur qui rétablit l'équivalence logique de deux classes dissociées. 2. Le schéma argumentatif de la fiction ne crée pas une classe supplémentaire qui réunirait les contraires (v. Ass) mais crée une sous-classe commune de type conditionnel ou déontique. 3. Le foncteur (Fie) se différencie du foncteur (Pré) : II ne pose pas de condition d'équivalence. L'affirmation de son existence permet d'élargir un concept en amplifiant la classe ou la sous-classe de ses conséquences déon- tiques.

Conclusion provisoire.

Ces trois catégories de définitions ont gardé le schéma d'équivalence logique grâce à un opérateur argumentatif de type métal inguistique.

1. 9 * P D de A (g Ass p).

2. Px ф P2 ou Px = P2 D de P (Pi = P2 + Pré).

3. Px Ф P2pour Nj P (Fie) (P, - P2 pour N2).

Les mécanismes métalinguistiques de dérivations de chaînes et de manipulations de classes sont marqués dans la définition, c'est-à-dire au niveau du modèle logique de l'équivalence. Gomment changent les objets que sont les notions juridiques ? Ces préoccupations rejoignent les discours actuels des mathématiques sur la syntaxe des descriptions formelles \ Si la science est l'invention de modèles, cette question se pose pour la science du droit : quelle est cette réalité que représente le discours juridique ? La théorie linguistique de l'argumentation peut rendre compte de l'acte de parole, le peut-elle de l'acte de pouvoir ? Les grenouilles peuvent-elles toujours être assimilées aux poissons ?

1. J. Roubaud, «la Présentation d'une théorie générale du changement», in Change de forme. Colloque de Cerisy, t. I, UGE, Paris, 1975.

122

Page 10: Bourcier Danièle. Argumentation et définition en droit. In Langages, 10e année, n°42, 1976. pp. 115-124.

ANNEXE

(Texte intégral des définitions citées)

Bouilleur de cru : Propriétaire qui distille chez lui ses récoltes de fruits pour sa consommation personnelle (Petit Robert, 1973). — Sont considérés comme bouilleurs de cru les propriétaires, fermiers, métayers ou vignerons qui distillent ou font distiller des vins, cidres ou poirés, marcs, lies, cerises, prunes et prunelles provenant exclusivement de leur récolte et qui ne se livrent pas au commerce des alcools dans le canton du lieu de distillation et les communes limitrophes de ce canton (Code général des impôts, 1975, article 315). — Sont soumis au même régime que les bouilleurs de cru, mais ne bénéficient pas de l'allocation en franchise, les producteurs qui, n'exerçant pas le commerce des alcools dans le lieu de distillation et les communes limitrophes de ce canton, mettent en œuvre des fruits frais autres que ceux énumérés à l'article 315 et provenant exclusivement de leur récolte (Code général des impôts, 1975, article 316).

Abus de blanc-seing : Quiconque, abusant d'un blanc-seing qui lui aura été confié, aura frauduleusement écrit au-dessus une obligation ou une décharge, ou tout autre acte pouvant compromettre la personne ou la fortune du signataire, sera puni des peines portées en l'article 405 (Code pénal, article 407).

Mendicité : Dans les lieux où il n'existe point encore de tels établissements (établissements publics organisés afin d'obvier à la mendicité), les mendiants d'habitude valides seront punis d'un mois à six mois d'emprisonnement (Code pénal, article 275).

123

Page 11: Bourcier Danièle. Argumentation et définition en droit. In Langages, 10e année, n°42, 1976. pp. 115-124.

BIBLIOGRAPHIE *

Arnaud (A.-J.), Essai d'analyse structurale du Code civil français, Paris, LGDJ, 1973. Culioli (A.), Fuchs (C), Pêcheux (M.), Considérations théoriques à propos du traitement

formel du langage, Paris, Dunod, 1970. Ducrot (O.), la Preuve et le Dire, Paris, Marne, 1973. Edelman (В.), le Droit saisi par la photographie, Paris, Maspéro, 1973. Fuchs (C), Le Goffic (P.), Milner (J.), A propos des relatives, Paris, 1974 (dactylo

graphié). Grésillon (A.), «les Relatives dans l'analyse linguistique de la surface textuelle»,

Langages, n° 37, Paris, Didier/Larousse, 1975. Kalinowski (G.), Etudes de logique déontique, Paris, LGDJ, 1972. — la Logique des normes, Paris, PUF, 1972.

Mehl (L.), Rapport scientifique de l'ERA 430, 1er sem., Paris, 1974. Pêcheux (M.), les Vérités de La Palice, Paris, Maspéro, 1975. Pêcheux (M.), Fuchs (C), Grésillon (A.), Henri (P.), « Analyse du discours, langue

et idéologies, Langages, n° 37, Paris, Didier/Larousse, 1975. Perelman (G.), Olbrechts-Tyteca (L.), La nouvelle théorique. Traité de l'argument

ation, Paris, PUF, 1968. Ray (J.), Essai sur la structure logique du Code civil français, Paris, F. Alcan, 1926. Solet (M.), « Droit de la nationalité française : étude sur la cohérence des données

et préparation des tables de décision automatisables », Rapport de synthèse, 1974, Montpellier, CNRS.

Von Wright, « Deontic Logic », in Mind 60, 1951. — « A note on Deontic logic and derived obligation », in Mind 65, 1956. — Norm and Action, London, Routledge & Kegan, 1963.

Ouvrages collectifs la Théorie de l'argumentation, Louvain/Paris, Nauwelaerts, 1963. le Langage juridique, in Archives de philosophie du droit, Paris, Sirey, 1975.

1. Cette bibliographie est commune aux articles de L. Danon-Boileau et D. Bourci er.

Directeur de la publication : Henri DIDIER. Imprimerie JOUVE 17, rue du Louvre 75001 PARIS

Dépôt légal : 2e trimestre 1976 Printed in France