Boudiaf Mohamed - Ou Va l'Algerie com

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 http://www.bib liotheque-num erique-alger ie.blogspo t.com BIBLIOTHÈQUE NUMERIQUE ALGERIE Titre du Livre : Ou va l’Algérie ?  Auteur : Mohamed BOUDIAF. Qualité du Livre Numérique :  Qualité OCR Notre Blog : www.bibliotheque -numerique-algerie.bl ogspot.com 

Transcript of Boudiaf Mohamed - Ou Va l'Algerie com

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Titre du Livre : Ou va lAlgrie ? Auteur : Mohamed BOUDIAF. Qualit du Livre Numrique : Qualit OCR

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DIRE LA VERITE AU PEUPLE

Un Grand Homme, ce sont des ides, une uvre, une vie militante...mais aussi un Destin. Boudiaf aurait pu terminer ses vieux jours sur un lit dans sa paisible demeure de Kenitra ou ailleurs. Non, il est appel au secours du pays aprs prs de trente annes d'exil. Il ne prsidera ses destines que durant cinq mois. La main assassine tait l ce 29 juin 1992. N'avait-il pas, par honntet, dcid d'arrter son activit militante d'opposition ? Pourquoi ? Parce qu'il avait vu les funrailles du Prsident Boumediene et l'attachement du peuple. Ce mme attachement, le peuple le lui renouvellera. Mme si beaucoup ne le dcouvriront que le soir de sa mort lorsque la tlvision diffusera le discours, devenu testament, qu'il prononait jusqu' ses ultimes moments de vie. Comme s'il s'agissait d'une course ... contre la mort. Cinq petits mois seulement auront suffi au "petit peuple", le vritable Peuple, pour dcouvrir l'Homme et le Patriote qui plaait "l'Algrie avant tout ".

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La rdition de "O va l'Algrie " crit par lui en 1964 permettra de faire meilleure connaissance. Son patriotisme, ses qualits humaines transparatront chaque pas. Mme aux pires moments d'une dtention squestration injustifie et ce n'est pas rien que de faire grve de la faim de 32 jours en plein juillet-aot dans un coin perdu du Sud - il ne se laissera pas aller des sentiments d'amertume vis vis de son pays. Au contraire, il considre que "c'est dans les prisons que les hommes de valeur se dcouvrent et se forgent ". Le journal quotidien, qu'il tient en ces jours pnibles pour lui, montre quelques uns de ses traits de caractre que le sens populaire a vite fait de dcrypter. Ne dfinit-il pas lui mme le militantisme comme "le refus obstin de l'arbitraire, la volont inbranlable de rsister aux influences pernicieuses et aux tentations, la combativit dans toutes les situations, la rectitude morale et intellectuelle, la franchise, le respect de la vrit, etc..." La vrit : un thme constant dans ses proccupations: "il est un devoir sacr, qu'aucun patriote ne peut renier sans abdiquer : dire toujours la vrit au peuple, quelles qu'en puissent tre les consquences ". A l'annonce de son assassinat, c'tait devenu une revendication du peuple qui la scandait. Puisse cette rdition contribuer perptuer les idaux pour lesquels Mohamed Boudiaf est mort. Algrie 06 juillet 1992 L'diteur.

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L'Algrie avant toutA tout le Peuple Algrien A tous les Patriotes Algriens, d'hier et d'aujourd'hui A toutes les femmes Algriennes A la jeunesse Algrienne A tous ceux qui ont march derrire Mohamed boudiaf Nous ddions ce livre dont ils ont t privs depuis prs de trente ans Nous disons la jeunesse Algrienne, qui a compris le message de Boudiaf : Reprenez son flambeau, continuez sa lutte pour que Vive lAlgrie.

Nacer Boudiaf Alger Le 09 Juillet 1992

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Mme Fatiha Boudiaf :* je remercie le peuple "En assassinant mon poux, le moudjahid Mohamed Boudiaf, on a voulu assassiner l'espoir. Mon mari avait fait un rve, celui de rendre la dignit et la confiance son pays, le rve de rendre notre dignit. L'Algrie qu'il a eue toujours en son cur, c'tait l'Algrie d'abord et avant tout. C'tait son slogan, sa philosophie, l'esprit et la lettre de son message. En voulant restaurer la dignit du peuple algrien, il restait fidle la proclamation du 1er Novembre 1954, il restait fidle son combat historique. Patriote de tous les temps, ennemi de tous les extrmismes, de toutes les gabegies, de toute la corruption, il a voulu faire quitter l'Algrie les berges de la drive. En cette veille du 30 me anniversaire de l'indpendance nationale, on a tu cet homme comme si on tuait une Algrie libre, fire, juste et moderne. Mais l'intgrit du chahid Mohamed Boudiaf, son combat, son idal, sont bien vivants dans notre cur et dans celui de millions de jeunes, ces jeunes qu'il voulait de toute son nergie sortir du dsespoir. Qui a tu Mohamed ? Qui a organis cette conspiration ? Quels en sont les commanditaires ? Moi, son pouse et ses enfants exigeons que toute la lumire soit faite et que justice soit rendue. L'hommage que le peuple algrien lui a rendu lors de ses funrailles, tmoigne que malgr le peu de temps

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pass la tte de notre pays, il est dj le symbole de cette Algrie nouvelle, comme il a t hier le symbole de notre indpendance. Au nom de mon poux, je remercie de tout mon cur le peuple algrien pour cet ultime hommage. Fasse Dieu que son sacrifice ne soit pas vain. Pour un avenir plus serein, plus juste, plus digne pour tous, Mohamed tu peux dormir en paix. Aie confiance comme tu l'as toujours montr en cette nation, en ce peuple que tu chrissais tant ".

*Dclaration remise l'APS le Mercredi 1er Juillet 1992.

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A mes premiers compagnons, dont beaucoup ne sont plus, A tous les martyrs du combat librateur, A tous les militants rvolutionnaires. Je refais dans l'esprit du 1er novembre 1954 le serment : Tout sera mis en uvre, quelles qu'en soient les consquences pour que notre Algrie poursuive sa marche dans la voie du socialisme authentique, qui est celle de la libert, du progrs, de la justice.

Mohamed BOUDIAF.

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Premire Partie Histoire dun Enlvement

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Avant-proposIl y a maintenant plus de trois mois que j'ai t enlev Alger. L'vnement, pour tre prcis, s'est droul le 21 juin dernier. Le fait a sans doute peu d'importance par lui-mme, mais il a une grande signification politique. Je rends public le journal de ma captivit dans le seul but de tirer les leons de cette affaire, en en dmontrant le mcanisme policier. Le meilleur moyen d'y parvenir est de laisser parler les faits : ils sont une excellente illustration des mthodes d'un pouvoir accul commettre les pires illgalits pour carter de sa voie toute difficult susceptible de freiner sa marche vers la dictature. En agissant ainsi, j'ai la conviction de servir la cause de la dmocratie et les droits imprescriptibles de la personne humaine, droits aujourd'hui bafous par des hommes qui en sont arrivs ne plus rien respecter. Mon arrestation, et celle de mes compagnons, bien qu'elle ne touche directement que quelques militants, me semble significative d'un danger potentiel ; elle a marqu un tournant dangereux de la politique du rgime actuel. La succession d'vnements qui a suivi notre enlvement permet de comprendre ce glissement vers l'abme, le pouvoir personnel et la dictature policire. Il est temps pour chaque Algrien de dfinir clairement sa position, avant qu'il ne soit trop tard. Le silence est pour le pouvoir la meilleure couverture, l'abri de laquelle il cherche imposer au pays un rgime sa convenance, fait de contrainte et d'arbitraire. Car, il ne faut pas s'y tromper, la

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com dictature s'installe. Quelques exemples, choisis parmi les plus flagrants, que personne ne peut ignorer ou nier, suffisent le prouver : ABSENCE TOTALE DE LIBERTE D'EXPRESSION ET D'OPINION : Le dcret gouvernemental interdisant, l'exception du Front, toute association de caractre politique n'a t que la lgitimation, aprs coup, d'une option dj ancienne. CONTROLE ABSOLU DE TOUTE LA PRESSE ET DES MOYENS DE PROPAGANDE : (radio nationale, tlvision, Algrie-Presse-Service). Ainsi impose-t-on au pays une information sens unique, dans le plus pur style des pays totalitaires. RENFORCEMENT DE L'APPAREIL POLICIER : Existence en son sein de hirarchie parallles, multiples et concurrentes mthodes de gangstrisme utilises par les divers services, en dehors de tout contrle et de toute garantie juridique. EXISTENCE ET RENFORCEMENT D'UN APPAREIL MILITAIRE : Incompatible avec les possibilits conomiques du pays. CONSTANT APPEL DEMAGOGIQUE AUX FOULES : dont on exploite les sentiments, au lieu de consulter le peuple algrien par les voies d'institutions rellement dmocratiques. RECOURS, A L'OCCASION DE CHAQUE DIFFICULTE NOUVELLE, A DES DIVERSIONS : complots, excitations, intimidations.

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com Un rgime qui emploie de telles mthodes se sait condamn court terme l'alternative : sombrer honteusement ou se maintenir par la force. Le pouvoir actuel a dj fait son choix, le jour o il n'a pas craint de faire affronter des Djounoud, au risque de dclencher une guerre civile gnralise. Celle-ci se serait dchane, sans la vigilance et la sagesse de tout un peuple qui, dans sa volont de survie, dans sa lassitude, a choisi de deux maux le moindre et prfr la paix dans une apparente stabilit aux malheurs de la lutte arme. Tout le mal a commenc ce moment et n'a fait depuis que dvelopper inexorablement ses consquences. Dans la confusion qui a entour la crise de 1962, beaucoup de gens n'ont pas compris que l'quipe de Tlemcen cherchait seulement s'emparer du pouvoir. Elle n'y est d'ailleurs parvenu qu'en abusant des sentiments du peuple, dont la lgitime volont de paix cachait un manque de prparation la situation tragique des lendemains de l'indpendance. Mais arriver au pouvoir dans de telles conditions ne pouvait rendre personne capable de rsoudre correctement les problmes complexes qui se posaient alors au pays : riche d'espoir et prte consentir de nouveaux sacrifices, l'Algrie cependant sortait d'une guerre longue et ruineuse avec une conomie compltement dsorganise et une socit littralement bouleverse. Si l'intention de tous avait t de chercher une solution originale et efficace cette situation dramatique, on aurait pu, sur les bases d'une analyse honnte et objective, dcouvrir une autre voie de dgagement.

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com Il tait impossible de conserver le F.L.N. du fait des contradictions internes qui le rongeaient. La tentative sans espoir de Ben Khedda de maintenir l'unit de faade du G.P.RA. a chou ; et elle ne pouvait qu'chouer, la disparit des personnes et l'opposition des intrts politiques la rendant vaine. Mais s'il ne pouvait tre l'instrument de l'dification socialiste, le F.L.N. qui, malgr ses faiblesses, regroupait la totalit des militants algriens, pouvait servir de cadre une volution politique qui aurait permis l'affirmation d'une quipe homogne, comptente, lgalement issue de la majorit du Front. Il suffisait pour cela de rechercher l'appui de la trs grande majorit du C.N.R.A. pour proposer un congrs rapidement mais soigneusement convoqu, un programme d'action prcis, sortant des gnralits du programme de Tripoli. Cette solution ne visait pas ignorer les contradictions internes du F.L.N. mais les rsoudre sur une base politique, partir des organisations qui avaient encadr la lutte du peuple depuis le 1er Novembre 1954. Une telle transition aurait permis de maintenir l'unit et la combativit de la nation algrienne. Le futur groupe de Tlemcen , en organisant ds avant la signature des accords d'vian et la libration des dtenus d'Aunoy, une conjuration qui n'avait pour but que la conqute du pouvoir, a empch la ralisation de cet objectif. Il a pu parvenir au commandement, mais il s'est condamn, priv de l'adhsion des militants et du peuple, l'improvisation, l'illgalit et, invitablement l'impasse. La

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com frnsie insense qui s'est empar de ce groupe d'ambitieux, sans unit politique, a cot des milliers de vies humaines ; elle continue empoisonner l'atmosphre, ruinant les dernires chances d'un redressement srieux. Telle est la ralit. Tel est le vritable complot contre la rvolution, contre le socialisme, contre les intrts rels du peuple. La presse aux ordres a beau encenser le rgime, la cohorte des arrivistes et des opportunistes lui apporter son soutien honteux, la radio dfigurer la vrit, les meetings sur commande tromper les masses, rien ne le sauvera de la dcomposition qui l'attend. Les enlvements de patriotes, les intimidations sous toutes leurs formes, les squestrations ne feront qu'en prcipiter le rythme. Ni la Constitution adopte la sauvette, ni les lections qu'on cherche, par le biais du parti , imposer au peuple n'interrompront ce processus de dsintgration dont le dpart a t donn Tripoli. Il est maintenant hors de doute que le rgime en place persvrera pour rester logique avec lui-mme, dans sa volont de destruction : l'illgalit ne peut qu'enfanter l'arbitraire. A l'heure actuelle, le pouvoir ne se donne pas la peine de respecter un semblant de lgalit dans ses actes. Ignore-t-on qu'avant mme que l'quipe de l'extrieur n'entrt, divise au pays, des quipes de choc, munies d'argent et d'armes l'instigation des matres d'aujourd'hui, avaient envahi le territoire national, et entrepris un travail de sape,

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com dont la zone autonome d'Alger, la wilaya II, la Fdration de France du F.L.N., et plus tard la wilaya IV ont eu ptir ? Il ne faut s'tonner de rien quand on sait que dans l'esprit du clan de Tlemcen la rvolution a commenc dans cette ville (voir la dclaration de Ben Bella faite Jeune Afrique , o il est dit textuellement que la rvolution, pour lui, est reprsente par ceux qui taient prsents au rendez-vous de Tlemcen). Faut-il encore citer d'autres faits pour dmontrer le caractre illgal de toute l'entreprise ? Reportons-nous seulement aux plus patents d'entre-deux. L'accord du 2 aot1, qui offrait quelques chances d'apaisement, s'est vu trahi, deux semaines peine aprs sa ralisation, par le clan de Tlemcen. La runion du C.N.R.A. qui devait se tenir au cours de l't pour parachever les travaux de Tripoli, n'a jamais eu lieu. Pourtant cette runion avait t dcide Tripoli, ainsi que la tenue d'un congrs du F.L.N. avant la fin de l'anne 1962. Le programme de Tripoli, qui n'avait valeur que de projet, devait revenir devant ce congrs avant d'tre dfinitivement adopt. Il a pris depuis la valeur d'une Charte , par l'unique volont du clan au pouvoir.1

Accord conclu, le 2 aot 1962, entre Mohamed Khider, au nom du groupe de Tlemcen, d'une part, et Belkacem Krim et Boudiaf, tout juste libr d'une premire arrestation, de l'autre. Cet accord, destin mettre fin la crise, prvoyait la mise en place d'un Bureau Politique provisoire, charg de prparer la runion du C.N.R.A. et le congrs du F.L.N.

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com En fin de compte, que reste-t-il du Bureau Politique dont on se revendique ridiculement ? Cet organisme a-t-il d'ailleurs t jamais approuv par un vote du C.N.R.A. ? Quant au Parti du F.L.N., hier inexistant parce que constitu d' authentiques racailles (propos tenus par Ben Bella au reporter de Jeune Afrique , il est devenu, deux mois aprs que Khider ait t expuls de son sige de secrtaire gnral, un parti d'authentiques rvolutionnaires qui se prparent gaillardement doter le pays de son axe central. Pour ce qui est de l'Arme Nationale Populaire, partout installe, elle se transforme progressivement en une arme traditionnelle compltement coupe des masses, imposant au budget national une contribution trs lourde, infiniment trop lourde pour un pays sous-dvelopp, qui a besoin de beaucoup conomiser, s'il tient ne pas tomber sous la coupe du nocolonialisme, d'autant plus exigeant que nos difficults financires sont aigus. Dans de telles circonstances, et face cette ralit aveuglante, que valent les rodomontades et les mystifications monstrueuses de ce rgime ? Le bluff, l'intoxication, les promesses fallacieuses n'ont jamais pay. Il reste, malheureusement, l'envers de la mdaille qui s'appelle misre, arbitraire et dictature. Le rcit qui va suivre, donnera un avant got ceux qui doutent ou s'enttent soutenir le contraire, pour des raisons trop comprhensibles. Mohamed BOUDIAF.

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Journal21 JUIN 1963 : L'aventure dont ce journal dcrit le droulement commence le vendredi 21 juin, en plein midi. Je viens juste de quitter la maison pour une course, quand deux hommes m'accostent au pont d'Hydra, me demandant de me mettre leur disposition au nom de la scurit militaire. J'exige des papiers attestant leur qualit ; le plus g m'exhibe, prcipitamment, non sans trembler quelque peu, une carte verte tablie au nom de S. Mohamed. A peine en ai-je pris connaissance que le second me prie, sur un ton bourru, de faire vite. Il est bon, avant de passer la suite, de donner le signalement de ces deux individus. S. Mohamed est un quinquagnaire, grisonnant, au teint olivtre et l'accent kabyle. Je l'ai dj rencontr quelque part et, si mes souvenirs sont fidles, sans toutefois que j'en sois totalement sr, il s'agirait de Oussemer Mohamed, ex-agent de la police des renseignements gnraux. Il a fait des siennes lors des vnements de Mai 1945, particulirement Belcourt contre les jeunes militants du P.P.A.. Sur le tard, il a rejoint les rangs du F.L.N.. Lors de l'arrestation mouvemente du 22 octobre 19562, il tait encore membre de la D.S.T.. Le second policier, plus jeune, replet, aux gestes un peu brusques, est l'image du

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Arraisonnement par les militaires franais de l'avion qui transportait Ait Ahmed, Ben Bella, Khider, Lacheraf, Boudiaf. de Rabat Tunis.

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com militant nouvelle vague, parfaitement imbu de son rle et pntr de son importance policire. C'est sous la direction de ces deux anges gardiens que je suis amen prendre place dans une 404 flambant neuf o deux autres passagers attendent : un jeune, plutt fluet, au regard doux qui tient le volant et un quatrime, grand, brun, lunettes noires, impassible, assis son ct. A son air important, on devine qu'il s'agit d'un ponte . Sitt install sur la banquette arrire entre S. Mohamed et son premier acolyte, la voiture dmarre en trombe, passe la Colonne Voirol et prend le virage pour grimper le chemin Beaurepaire. O allons-nous ? Pas de rponse. On s'engouffre dans la Clinique des orangers , o le chauffeur, aprs avoir stopp, quitte sa place pour venir se mettre ct de moi, abandonnant le volant au militant qui jusque l tait ma droite. Marche arrire rapide et sortie de la clinique pour descendre cette fois le chemin Beaurepaire. Nous refaisons le mme chemin en sens inverse mais cette fois-ci nous dpassons le pont d'Hydra. Je reconnatrais facilement la villa fleurie o nous pntrons. Mes ravisseurs, visiblement satisfaits de leur exploit, me conduisent sans plus attendre une chambre du rez-de-chausse. Je demeure vingt-quatre heures dans cette pice avec pour tout mobilier un fauteuil o je passe la nuit. J'ai omis de signaler qu' mon arrive j'ai t fouill des pieds la tte. Ayant entam la grve de la faim, je me

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com sens trs fatigu et accepte le matin de monter au premier tage, sur les conseils d'un de mes gardes. Ils sont quatre, cinq, six, et cinq finalement qui se relaient, jour et nuit, pour assurer ma surveillance. Tous sont arms de revolvers, et certains ne se gnent nullement pour le montrer. Le va-et-vient continuel des gardes, dont certains avaient des mines patibulaires, me fait craindre que la premire nuit ne se termine tragiquement. Kidnapp dans le plus grand secret, amen dans une villa inhabite sans plus d'explication, je ne peux que trouver une allure macabre toute cette aventure. L'atmosphre est propice et les conditions remplies pour une liquidation en douce. A mes demandes d'explication sur les raisons de cette expdition mes gardes rpondent invariablement qu'ils n'en savent pas plus que moi. Durant quatre jours, le ventre creux, je demeure dans cette villa, cherchant dsesprment communiquer avec les villas voisines, sans rsultat. Le lundi 24 juin, la tombe de la nuit, on m'embarque en voiture pour une autre destination. Au lieu de suivre l'itinraire emprunt la premire fois, on prfre zigzaguer pour dboucher enfin sur la grande route qui vient du Pont d'Hydra et continue tout droit. La Colonne Voirol, chemin Beaurepaire, El Biar, Boulevard G. Clemenceau, Garde mobile, caserne Ali Khodja (ex-caserne d'Orlans), Barberousse, Boulevard de la Victoire : on choue enfin au sige de la Gendarmerie Nationale. A ma

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com descente de voiture, dans la cour plonge dans l'obscurit, le crmonial est en place et je suis immdiatement entour par une dizaine de gendarmes, mitraillette au poing, un peu curieux, un peu fbriles. Le Colonel Ben Cherif est l et, sous sa direction, escort de gendarmes diligents, j'ai droit une chambre et un lit qui, selon ledit Colonel, valent mieux que ceux de la Sant. Merci. MARDI 25 L'ayant demand la veille, je reois la visite d'un docteur, vraisemblablement gyptien, qui me conseille de m'alimenter. Je suis encore sous le coup des vnements, trop nerv pour lui dire ce que je pense : l'exercice du pouvoir rend les faibles capables des pires infamies.

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De la Villa, j'ai crit une premire lettre, l'autorit mystrieuse qui a ordonn mon enlvement :Mohamed BOUDIAF, en dtention illgale

L'Autorit X..., qui a ordonn mon enlvement.

Depuis le 21 courant midi, heure laquelle j'ai t enlev par un commando en voiture, je me trouve dans une maison inconnue, sous la bonne garde de quelques agents. Jusqu' ce jour, j'ignore jusqu'au motif de ce rapt, qui rappelle trangement les mthodes de certains rgimes dfunts. Pour ces raisons, et depuis mon arrestation j'observe une grve de la faim que je poursuivrai jusqu'au jour o une solution lgale sera apporte mon cas. Dj mon tat de sant, compte tenu de ma condition physique, exige la visite d'un mdecin. Que reste-t-il un homme, priv de sa libert dans des circonstances obscures et l'ignorance totale des siens ? Jener, mme si la mort doit en rsulter, car il n'est pas pire humiliation humaine que d'accepter l'arbitraire le plus criant sans ragir. Le 24 JUIN 1963 M. BOUDIAF

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Aujourd'hui, une autre lettre est remise la direction de la gendarmerie.

Le 25 Juin 1963 l'autorit X... S/C/ du Colonel Commandant la Gendarmerie d'Alger.

Ma prsente lettre ne fait que confirmer les termes de la prcdente savoir : la situation o je me trouve. Depuis vendredi 21 midi, jour et heure de mon enlvement par un commando en voiture, je ne sais quel sort m'attend, d'autant plus que ledit rapt s'est effectu dans des circonstances pour le moins obscures. A l'exception de mon changement de rsidence , de la villa o j'tais squestr au sige de la gendarmerie o je me trouve, aucun claircissement ne m'a t donn concernant ma situation. Pour protester contre cette atteinte flagrante la libert individuelle, j'observe depuis le jour de mon arrestation une grve de la faim qui ne prendra fin que le jour o, une fois pour toutes, on me dira les raisons de la privation de libert dont je suis frapp, l'insu des miens et de l'opinion. Depuis trois jours je demandais la visite d'un mdecin et ce n'est qu'aujourd'hui que je l'ai obtenue. Je me refuse qualifier ces procds et en rends responsable le pouvoir qui en use par vengeance contre un

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com homme et un citoyen dont le principal tort est de ne pas tre d'accord avec sa politique. Priver quiconque de sa libert pour de telles raisons n'a t et ne sera jamais une solution. Un jour viendra o la vrit clatera aux yeux de tous et ce moment, gare tous ceux qui, oubliant les leons du pass, reprennent leur propre compte les mthodes honteuses de ceux qui les ont prcds. M. BOUDIAF.

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MERCREDI 26 Rveil prcipit quatre heures du matin et dpart par l'arodrome de Chraga o, cinq heures, un hlicoptre prend l'air en direction d'Oued Nosron qu'il atteint 7 h 20. A bord je suis rejoint par Ali ALLOUACHE 3, Moussa KEBAILI 4 et Mohand Akli BENYOUNES 5. Je savais depuis hier que d'autres avaient t incarcrs en mme temps que moi la gendarmerie, mais jamais je ne me serais attendu me retrouver avec ces trois-l. C'est tout simplement stupfiant. On peut vraiment admirer la perspicacit de la scurit militaire ! Aucune rponse mes lettres, ce qui ne me laisse plus aucun doute sur le srieux et la lgalit de l'affaire. Ce rgime a peur de la clart, comme les oiseaux de nuits qui ne peuvent voler que dans l'obscurit. J'crirai encore mais uniquement pour marquer ma dsapprobation de certaines mthodes ou pour mettre nu quelques-uns des mensonges dverss, l'occasion, sur notre compte. A Oued Nosron toujours flanqus de nos gendarmes, mens par le Commandant Mohamed, adjoint de Ben Chriff, nous avons droit une halte de deux heures. Ensuite, bord de3 4 5

Ancien porte-parole de la wilaya IV. Ancien coordinateur de la Fdration de France du F.L.N., co-auteur de La Gangrne. Ancien responsable de la Fdration de France.

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com voitures lgres, nous prenons la route, Sidi-Bel-Abbs, Sada, Mchria, An Safra et, la tombe de la nuit, Beni Ounif. Une autre halte brve et, dans la nuit saharienne, nous voici Colomb Bchar, compltement reints par un voyage de mille kilomtres sous une chaleur accablante. Prcipitamment, on nous introduit dans une chambre o quatre lits de camp, moiti dglingus, nous attendent. Des soldats arms de mitraillettes nous gardent toutes portes et fentres closes. Il fait une chaleur d'tuve. Le Commandant de la troisime rgion militaire, entre les mains duquel nous nous trouvons, affirme n'avoir reu aucun ordre crit nous concernant. Il ne dit probablement pas toute la vrit : comment expliquer sinon les consignes de grand secret qui nous sont appliques ? Je suis puis aprs ce long voyage, survenu au sixime jour de ma grve de la faim. Je dcide d'interrompre mon jene, croyant candidement qu' Colomb Bchar le rgime politique va nous tre appliqu et que nous pourrons engager une grve dans de meilleures conditions. Informer l'opinion peut, en particulier, tre dterminant pour le succs de la grve. L'avenir me montrera mon erreur. Le lendemain de notre arrive, nous crivons la lettre suivante qui, elle seule, rsume la situation.

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Les squestrs, Mohamed BOUDIAF, Ali ALLOU-ACHE, Moussa KEBAILI et Mohand Akli BENYOUNES,

au Colonel Commandant de la rgion militaire de Colomb Bchar. En prambule, il est utile de souligner le fait que les frres, auteurs de la prsente, ont t privs de leur libert, selon toute probabilit, pour des raisons politiques trouvant leur origine dans le malaise o se dbat notre pays depuis son accession l'indpendance politique. D'autre part, il ne doit pas tre ignor que cet aspect du problme n'est qu'une consquence inluctable du choix politique pos de nos jours la conscience de tous les Algriens. Forts de leur droit de ne jamais se dsintresser, en leur qualit de militants et de responsables plus ou moins connus l'chelle nationale, d'un problme aussi vital pour notre avenir, ils considrent que leur enlvement, comme leur dtention constituent des actes graves, d'une illgalit rvoltante. De ces considrants dcoulent automatiquement leur conduite, en particulier quant au rgime sous lequel ils vivent ou sont encore appels vivre soit Bchar, soit ailleurs.

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com Cette prcision tait ncessaire car en crivant aujourd'hui, leur but n'est ni de mendier une faveur ni encore moins de solliciter un quelconque passe-droit. Ceci dit, il ressort que leur cantonnement dans une pice exigu, sans air o ils sont maintenus jour et nuit ne peut durer sans s'apparenter une humiliation dgradante. Par ailleurs, d'autres questions inhrentes la vie d'un prisonnier se posent et appellent une rponse. Parmi celles-ci : 1) Habillement: ce propos, que le Colonel sache que les intresss ont t kidnapps dans la rue et qu'ils ne disposent de ce fait, d'aucun vtement de rechange, sousvtements, pyjamas, pantoufles, etc.. 2) Courrier : ayant des familles et des parents, ils veulent recevoir expressment de leurs nouvelles et ne comprennent pas la lenteur mise les laisser user d'un droit reconnu aux pires hors-la-loi. 3) Visites. 4) Rception des journaux. 5) Promenades quotidiennes. 6) Soins et visites mdicales. 7) Possibilits d'achat de denres ou d'objets l'extrieur. Nous arrtons l cette liste en insistant sur le fait que notre intention n'est pas de vivre dans le luxe mais d'avoir le

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com minimum vital permettant un homme de vivre et de travailler normalement, alors que les conditions qui nous sont faites sont loin de rpondre ce modeste objectif. Fraternellement .Suivent les signatures. Par la mme occasion, je remets en mme temps que la prcdente une lettre pour ma famille. Aura-t-elle le mme sort que toute notre correspondance ? LE 4 JUILLLET Nous sommes encore touffer de chaleur dans la tanire de Colomb Bchar. Pas de promenade, pas de visite mdicales ; un coiffeur nous a t refus ; la consigne c'est la consigne : isolement total. Le commandant de la troisime rgion nous a laiss entendre que notre situation est tout fait provisoire et qu'il cherche un endroit o nous serons plus l'aise. En effet, la tombe de la nuit, le Commandant Ahmed Sadoum, adjoint au chef de rgion, vient nous dire de nous prparer partir. Nous sommes un peu soulags ; nous fiant aux promesses faites, nous imaginons un endroit plus vaste, plus ar, en somme plus propice une existence moins renferme. A 20 h 20, deux normes camions Berliet , hauts perchs sur leurs roues d'un modle inusit, bourrs de soldats en tenue de combat, nous embarquent prestement et prennent l direction du Sud.

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com Jusqu' Kerzaz et sa rivire en crue, la route goudronne rend le trajet acceptable malgr la chaleur de la cabine avant o je suis ct du Commandant Si Ahmed, chef de convoi. A 1 heure du matin, nous avons couvert approximativement 300 km. Courte halte d'une demi-heure. Les militaires ne nous perdent pas de vue. Croient-ils que nous pourrions tenter quoi que ce soit ? On a d leur faire la leon ! A partir de Kerzaz, c'est la piste qui commence et notre dplacement se mue en un ouragan de secousses, de poussire et d'embardes. Je ne sais ce que mes compagnons ressentent. Personnellement, au moment o j'cris ces notes, j'ai un haut-le-cur au seul souvenir de cette nuit. Compltement ballot, sans aucun rpit, ma tte tourne, mon estomac se convulse ; j'ai des nauses. Depuis la dernire halte, j'ai quitt la cabine pour mtendre l'arrire, entour de toutes parts par des soldats. Un quadrilatre bien clos. Encadr de ces ombres, je ressemble aux morts que les tolbas6 veillent toute la nuit en psalmodiant le Coran. Pour moi, le Coran est remplac par le tintement des gamelles, des casques, des armes qu'ils n'abandonnent jamais. Quelle vigilance idiote ! Ce tohu-bohu infernal dure jusqu' 7 heures du matin, heure de notre arrive un camp, portant le nom du colonel Lotfi. Le commandant de la troisime rgion militaire est l pour nous accueillir. Nous ne sommes pas toucher avec des pincettes, couverts de sable que la sueur a transform en une crote dj paisse. Le jeune Benyouns a les lvres gonfles et6

Nom de ceux qui, en pays d'Islam, veillent les morts en priant et rcitant le Coran.

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com exsangues ; quant Kebali, il est littralement vert, tant son malaise est visible. Allouache et moi n'allons pas mieux, les yeux cerns, la dmarche titubante. C'est donc l que nous allons croupir l'avenir. Incapables d'entamer une discussion, nous nous bornons demander au Commandant Abdallah Belhouachet si ce changement de rsidence est d son initiative personnelle. Il nous- rpond clairement qu'il ne fait qu'excuter les ordres. Fermez le ban ! Pendant ce temps, que fait et que dit le Gouvernement ? Le 26 juin, Ben Bella, au meeting tenu Alger l'occasion de la journe de l'Afrique du Sud, a dclar sans ambages que les gens arrts appartiennent la catgorie des privilgis, mcontents d'avoir t dpossds de leurs biens. Il a remerci Dieu d'avoir sauv l'Algrie d'un complot dont son Gouvernement dtient les preuves. La veille, l'Assemble Nationale, interpell par At Ahmed sur les raisons des dernires arrestations, il a affirm, avec la mme assurance, qu'un complot, dont il dtient les preuves (Walthdk, ce qui, en arabe, signifie preuves indiscutables) a t dcouvert et que les arrestations en question en sont les consquences. Dans sa confrence de presse, At Ahmed a apport des prcisions, donnes confidentiellement par Ben Bella et selon lesquelles le Prsident de la Rpublique Tunisienne serait de la partie.

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com Le 5 juillet, dans le discours prononc au Caroubier, l'occasion de l'indpendance, Ben Bella, en verve, a brod sur le thme du complot-aux-ramifi-cations-lointaines : trahison, intelligence avec l'tranger, et tout et tout. Enfin, lors de sa tourne dans le Constantinois (voir compte rendu 'El-Moudjahid) Ben Bella, toujours bien inspir, a prsent une version quelque peu diffrente. Il a dclar textuellement : Ces derniers temps, nous avons arrt cinq personnes ( cette date, nous sommes quatre) qui ont trait avec le Gouvernement franais et avec le colonialisme pour instaurer un climat la Tshomb . Voil qui est clair ! Quand on connat les origines de ce rgime, quand on s'est donn la peine de relever chaque occasion son caractre dmagogique et mystificateur, on ne sursaute pas devant ces monstruosits. Mais, si nous sommes des comploteurs, si par extraordinaire nous sommes devenus des Tshomb, si le Gouvernement dtient les soi-disantes preuves, dont il se targue, qu'attend-il pour nous traduire devant la justice, pour ouvrir un dossier et faire un procs en rgle pour nous confondre et nous condamner, au lieu de nous maintenir durant des semaines dans le secret, en nous trimbalant aux quatre coins du pays ? Depuis notre enlvement, aucun de nous n'a t interrog. Nous ne savons mme pas ce qu'on nous reproche. La vrit est ailleurs : il s'agit d une basse vengeance personnelle, inspire par la peur panique devant la monte du mcontentement populaire. Le pouvoir, pour tenter de se tirer

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com de cette situation malaise, n'a pas trouv mieux que de recourir aux procds culs de l'intimidation et de l'injustice. Ce journal m'aidera convaincre les plus sceptiques d'un fait : ni le secret, ni les mensonges, ni la mystification, ni l'arbitraire dont nous sommes frapps n'arrteront la marche de la vrit. Ce cauchemar que nous vivons et, travers nous, le peuple algrien, prendra fin. LE 7 JUILLET Nous sommes l depuis trois jours et, selon toute vraisemblance, nous y resterons plus longtemps encore. Notre chambre a cinq mtres sur trois ; sans aucun contact avec l'extrieur, nous sommes gards par de jeunes soldats qui, vu leur ge, ne donnent pas l'impression d'avoir appartenu une formation de combat pendant la guerre de libration nationale. Terroriss, muets, obissants aux gestes, ils me fonticipation dcisive du peuple n'est qu'incomprhension ou illusion. Donc les rgressions, toujours provisoires, sont toujours possibles aprs des bouleversements tels que notre guerre de libration nationale. Il est ais de prvoir le sens du mouvement quand l'lan rvolutionnaire est impuls par une lite d'avant-garde organise, consciente de son rle, anime d'une idologie. Le chemin est clair, les buts nets et la marche rsolue. Dans le cas contraire, ce n'est qu'une effervescence sans but prcis, sans orientation sre, ni perspective dtermine : on peut alors craindre le pire.

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com Force est de constater que l'Algrie se classe dans le dernier cas. Car en recouvrant son indpendance, elle n'avait son service ni quipe rvolutionnaire rsolue, ni programme dfini, ni voie d'dification claire. Les vritables rvolutions sont un phnomne de dpassement continuel soumis une acclration dans le sens du progrs, de la justice, de la rigueur idologique et de la formation de cadres. Est-ce le cas dans notre pays ? Il faut le dire bien net : il n'y a plus de rvolution en Algrie. Depuis la crise de juillet et aot 1962 tout a t perverti au point que nous nous trouvons, depuis quelque temps, devant ce spectacle effarant d'un faux parti, d'une fausse arme, d'un Gouvernement htroclite soumis l'influence d'un homme, de faux syndicats, de l'parpillement des forces saines, de l'arrestation de militants, etc. S'il se trouve des gens qui, sous le prtexte de ne pas tomber dans la critique systmatique, parlent encore de rvolution et de socialisme, qu'ils tremblent de dire la vrit, ou bien qu'ils sont stupides ou intresss. C'est le cas de tous ces jeunes intellectuels plongs jusqu'au cou dans la compromission et qui se font au prix de mensualits paisses les chantres d'un rgime qui les engraisse et dont ils paient les largesses par leur conformisme. TSABIT Enfin nous sommes tout de mme arrivs dcouvrir le lieu de notre squestration force de farfouiller dans un tas

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com de papiers, de cahiers abandonns dans un coin et couverts de poussire. Le responsable en l'entendant prononcer a sursaut : c'est donc de volont dlibre qu'on a cherch nous le cacher, en oubliant qu'un prisonnier, par un phnomne tout naturel, mme ligot, arrive dcouvrir bon nombre de choses, uniquement parce que sa pense et tous ses sens sont mobiliss cet effet. TSABIT, plus au sud que Timimoum, situ 65 km au nord d'Adrar, capitale du Touat, et dernire agglomration importante sur la route qui mne au Mali. Plus au sud il n'y a que l'Afrique noire et je commence raliser pourquoi chaque jour qui passe nous affaiblit un peu plus. A peine dix jours, et il suffit d'un lger effort pour sentir des vertiges. Passer la langue sur n'importe quelle partie du corps et c'est du sel en couches. Je n'exagre rien, j'en ai fait plus d'une fois l'exprience. A ce rythme, nous n'allons pas tarder nous puiser petit petit et c'est une des raisons de la dcision que nous avons prise d'engager une action de protestation sous forme d'une grve de la faim. Le responsable militaire de la base Lotfi en a t averti hier par crit, en ces termes : Gouvernement atteste que nous sommes assigns en rsidence alors qu'en ralit nous nous trouvons Tsabit, prisonniers du dsert. Vu impossibilit existence Tsabit et perptuation de cet tat de faits, attendons 48 heures changement de rsidence et claircissement de notre cas dfaut de quoi entamerons grve de la faim illimite.

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com Pour ma part ce sera la deuxime preuve. La tourne de Ben Bella a commenc et, d'aprs les radios, elle touchera : Batna, Biskra, Khenchela, An-Beda, Barika. Toujours le mme thme, les mmes fabulations, les mmes promesses creuses, les mmes exagrations, avec, pour chaque ville ou village, un dtail consommation locale sur tel ou tel hros. C'est ainsi que j'ai entendu parler d'un prtendu serment chang par Ben Bella Tripoli avec Si Mustapha Ben Boulad 7. En ralit ce dernier en revenant de son voyage tait plus que rvolt de n'avoir rapport en fait d'armes, que des promesses vasives. Seulement Si Mustapha n'est plus l pour rtablir la vrit. Avant le 1er novembre aucune arme, aucune balle n'est entre en Algrie et l'argent fourni par 1' intrieur et dpos en Suisse bien avant la date du dclenchement, aprs avoir t allg de 200.000 Frs pour les besoins personnels de Ben Bella, est rest en banque au lieu de se transformer en armes. Cela contredit videmment les affirmations de l'actuel Prsident. Heureusement des tmoins sont toujours en vie pour confirmer ces faits. Aprs cette digression, reprenons l'analyse des discours prsidentiels, nous y trouvons invariablement les mmes thmes en filigrane. Je suis la Rvolution. Grce mon Gouvernement (sous-entendu, moi), l'Algrie a eu son indpendance et a pu concrtiser des7

Un des fondateurs du C.R.UA . premier chef de la Wilaya I (Aures), tu en 1956.

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com ralisations miraculeuses. Aucun gouvernement au monde n'a pu faire ce que l'Algrie, en si peu de temps, a accompli. Dnigrement du G.P.R.A. Suit invitablement le chapelet sur les bourgeois et le pangyrique personnel du chef : il ne mange pas, ne dort pas pour veiller cette uvre colossale qu'il a entrepris : deux ans l'extrieur, cinq ans en prison, quelques mois de travail de sape depuis sa libration, Tlemcen et la prise de pouvoir au nom d'un bureau politique dont les membres sont dj parpills aux quatre vents. Tout ce tissu de contradictions est maill de serments et ponctu des Vive Ben Bella repris par l'assistance. Donc le but semble atteint. Un jour arrivera o ce charlatanisme ne rsistera plus la marche des vnements et la prise de conscience de plus en plus grande de notre jeunesse, de nos travailleurs et de nos paysans qu'on ne peut tromper indfiniment aussi grossirement. LE 15 JUILLET Nous sommes toujours Tsabit, sous la mme chaleur et dans la mme incertitude. Pas de journaux, quelques informations recueillies suivant le caprice d'un transistor. Abbas a donn hier une confrence de presse Stif. Il ressort des quelques extraits donns par les radios MonteCarlo et Paris, que, comme son habitude, il joue au modr conciliateur en se plaant en position d'arbitre pour prner le

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com rassemblement de tout le monde. Il se situe au centre, dans le dbat qui est ouvert, ce qui est fort commode et politiquement intelligent, il faut bien le dire. De nous, pas un mot si on en juge par les extraits donns de sa confrence. Ironie du sort ! Abbas en se faisant le champion de la dmocratie, de la parole au peuple, oublie que des militants algriens ont t subtiliss en plein Alger, squestrs et depuis ports disparus. Est-ce la meilleure faon de dfendre le droit de la personne humaine, de la libert d'opinion et d'expression ? Ne pas avoir le courage d'aller au fond de sa pense, n'a jamais constitu un moyen efficace de lutte, et Abbas a beau menacer de se retirer de la politique et de refuser de siger dans une Assemble qui ne sera pas l'expression du peuple, il ne changera rien cette action. Paralllement cette prise de position, Abbas se proclame socialiste. Le mot est la mode, c'est son droit comme tout un chacun. Malheureux socialisme, n'es-tu pas devenu cette denre bas prix, la porte de tout acheteur ? Je reste rveur l'ide de tous ces socialismes algriens, l'un spcifique, l'autre original, tel autre musulman, celui-ci humaniste, celui-l arabe ou africain et je pourrais en citer encore des varits plus ou moins pittoresques. Qu'est-ce que tout cet talage alors qu'en ralit il n'y a et ne peut y avoir qu'un seul et vritable socialisme : le socialisme scientifique fond sur la lutte des classes. Il appartient aux exploits, la classe laborieuse, de s'organiser, de s'unir pour mettre bas la bourgeoisie sous toutes ses

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com formes, liminer les injustices et promouvoir une socit nouvelle d'o seront bannies les diffrenciations de classes, de revenus et de chances devant la vie. Ce socialisme ne peut reposer que sur l'analyse de la ralit objective, en dehors de toute mystification, et la ralit ne peut trouver sa signification irrfutable que dans la dmonstration scientifique. Il n'en demeure pas moins vrai que le socialisme scientifique doit tenir compte de chaque situation pour dcouvrir les meilleures voies vers une application rationnelle, les buts restant les mmes et les objectifs immuables. Introduire la ralit de notre peuple par le seul biais de la croyance, c'est fausser le problme. D'ailleurs, en quoi notre religion, tolrante et juste, contredit-elle une thorie qui tend plus de justice, plus de libert et l'mancipation de l'homme. Il est temps qu'on sache que l'Islam (et je suis musulman pratiquant) n'est, ne peut tre un frein au progrs ou un alibi pour ceux qui veulent prserver leur situation de privilgis. Il faut se dfinir politiquement, prendre une option dfinitive et s'engager dans une voie au lieu de louvoyer en cherchant des socialismes diffrents du seul qui a fait ses preuves. En restant croyants, qui nous interdit de lutter pour que notre socit se libre compltement, s'difie dans l'intrt de tous, et que chacun ait droit la vie, au travail, la libert et un mieux-tre ? Ceux qui maintiennent que la religion musulmane s'oppose ces buts nobles, ne sont pas des

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com musulmans ou sont les adeptes d'un Islam particulier, disons spcifique, que personnellement je renie. Ce dveloppement nous mne loin de Tsabit, o las d'attendre et de vgter, nous avons commenc une grve de la faim pour une dure illimite. Notre action ne s'annonce pas sous d'heureux auspices. Tout laisse prvoir que quelques jours suffiront pour avoir raison de notre rsistance physique. Enlevs, squestrs de lieu clandestin en caserne pour tre jets des centaines de kilomtres de Colomb Bchar, compltement isols et troitement surveills, nous reste-t-il un autre moyen de lutte? Il est peine 9 heures du matin et un vent brlant balaie la base Lotfi, en malmenant, dans un fracas tourdissant, les volets et les portes laisss ouverts. Nous sommes dj dans la casemate allongs l'abri de la tempte de sable. Notre nourriture littraire se limite des romans policiers dans l'attente du courrier de Bchar qui, selon les promesses du Commandant Si Ahmed Sadoun et de son suprieur, doit nous apporter livres, papier crire, quelques mdicaments. Ledit courrier est en retard de quatre jours sur la date fixe. Nous apprenons ne pas nous fier aux promesses. Nous savons ce qu'elles valent. Avant notre dpart de Colomb Bchar, ne nous a-t-on pas dclar que notre transfert visait nous assurer des conditions de vie meilleures avant que notre sort ne soit dfinitivement fix. Aprs cela nous nous retrouvons Tsabit o la vie est peine possible.

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com Bien plus, chaque occasion, il nous est rpt que nous sommes des militants et que nous devons faire preuve de patience. Si militant est pris dans le sens que lui donne l'actuel ministre de l'Industrie, Laroussi Khelifa, dans son fameux livre traitant du militantisme 8 qu'il n'a dcouvert, pour sa part, que sur le tard d'une vie de compromission et de reniement, il faut se rsoudre cette patience qu'on nous conseille. Mais est-ce l le militantisme ? Ne signifie-t-il pas, bien au contraire, le refus obstin de l'arbitraire, la volont inbranlable de rsister aux influences pernicieuses et aux tentations, la combativit dans toutes les situations, la rectitude morale, la lutte contre la rsignation, l'indiffrence et l'inertie, le courage devant les preuves, la probit morale et intellectuelle, la franchise, le respect de la vrit, etc.. etc.. En reprenant la rponse faite par Che Guevara lors de son dernier voyage en Algrie, une question qui lui a t pose : le socialisme conomique, la redistribution des biens sans la morale rvolutionnaire, cela ne m'intresse pas , j'en arrive cette constatation que sans militantisme rvolutionnaire il n'y a pas de rvolution. Les mots, les programmes, les dclarations n'ont de valeur que dans la bouche de ceux qui en connaissent le sens et la porte et considrent qu'une parole prononce tient lieu d'engagement. Le reste n'est que fume au vent. Pour un militant pntr de ces valeurs, la prison, les humiliations, les mensonges ne feront que renforcer en lui ces qualits (c'est une erreur de penser lui faire perdre pied par des traitements de ce genre). Erreur que tous ces calculs : c'est la rpression sous tous ses aspects qui, en s'abattant sur les partis8

Manuel du militant algrien, La Cit, Lausanne, 1962.

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com rvolutionnaires, leur a permis de s'purer en dmasquant les faiblesses. C'est dans les prisons que les hommes de valeur se dcouvrent et se forgent. De ce point de vue, le pouvoir actuel, en nous apprhendant, a rendu service la cause de la rvolution et aux droits d'opinion et de libre expression qu'il croit juguler en ayant recours des mesures illgales et dictatoriales. D'autres avant lui ont essay ces mthodes et ont dchant, son tour il dchantera. LE 16 JUILLET Deuxime jour de la grve de la faim. La journe d'hier, rpute pour tre dure, n'a pas t exceptionnelle. Il faut noter ce sujet que chaque grve de la faim, compte tenu des circonstances, du lieu, de la saison a son caractre spcifique. On a beau ne plus en tre sa premire exprience, chaque fois apparaissent des symptmes inconnus et des ractions originales. En ce qui nous concerne, il est bon de souligner qu'en dpit de la grande chaleur on boit beaucoup moins que d'habitude, d'o la diminution notable des sudations. Par contre, la faim se fait immdiatement sentir et les vertiges apparaissent ds la seconde journe. Au sujet de cette grve, je prcise qu'elle n'a rien de comparable avec certains simulacres entrepris ailleurs et exagrment amplifis par une publicit tapageuse sans aucun rapport avec la vrit.

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com Celle dont je parle est effective (except l'eau et les cigarettes). Ceci, avec une temprature de 45 l'ombre, sans aucune commodit d'existence ni dispositions sanitaires. Si aucun changement n'est apport notre situation, notre dcision est prise d'aller jusqu' l'incapacit totale. Nous avons appris hier soir l'arrestation du Colonel Saout-El-Arab de l'ex-wilaya II. Encore un gibier au tableau de chasse du pouvoir, en attendant d'autres. LE 17JUILLET Troisime jour de la grve. Pour ceux qui l'ont connue, la grve de la faim est dure surtout ses dbuts. Hier, dans l'aprs-midi, les amis taient presque tous mal en point. Leurs visages sont devenus terreux, leurs yeux sont enfoncs profondment dans leurs orbites ; la grve commence produire ses effets. Autre symptme : les maux de tte, c'est une douleur spciale en son genre : on sent sa tte branle de l'intrieur, on a mal aux tempes, aux sinus et dans mon cas, mes yeux, comme pousss de l'intrieur, me donnent la sensation de s'exorbiter, ce qui m'oblige fermer les paupires et les presser fortement avec les doigts pour attnuer le mal. Ce jour dix heures, nous avons demand des cachets d'aspirine. Peine perdue : la base Lotfi de Tsabit les mdicaments les plus usuels sont introuvables. Etendus sur nos lits, au grand air, silencieux, chacun rve ou somnole en attendant un sommeil qui ne vient pas. Le ciel clair encore par les lueurs du couchant reste longtemps

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com voil avant l'apparition des premires toiles. Dans une demiheure, elles seront des myriades dans ce ciel plus dgag et lointain. Ben Bella a t l'hte de Ferhat Abbas Stif. Rconciliation, embrassades, congratulations et tout le reste. Nos gardes font beugler leur poste pour couter l'oracle de l'Algrie. A Paris, les liens de la coopration se raffermissent, lient plus troitement l'Algrie l'ex-mtropole. C'est normal, quand on n'a pas d'argent, de le chercher l o il se trouve et en ne faisant pas trop la fine bouche. Mais dans tout cela, o est le peuple dont on se rclame corps et cris l'occasion de ces rconciliations et de ces combines politiques ? Jusqu' ces derniers jours, avant la rconciliation, Abbas boudait Stif, mcontent du dveloppement de la situation pourtant prvisible depuis le coup de gong de Tripoli. Il n'y a pas si longtemps, l'actuel prsident du Conseil vituprait contre la bourgeoisie et les petits amis d'Abbas. Aussi paradoxal que cela puisse paratre, cette rencontre a fait de l'un l'homme fort de l'Algrie et de l'autre l'lment le plus honnte de toute l'quipe qui tait l'extrieur ! Qu'en est-il exactement de ce nouveau mariage de circonstances ? Combien de temps rsistera-t-il encore avant que ce mnage rafistol la hte ne se remette tanguer ? Autant de questions qu'il m'est difficile d'lucider dans ma situation actuelle et dans le cadre de mon information limite.

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com Certaines radios trangres ont donn quelques claircissements sur le cas de Saout-el-Arab, enlev comme nous dans la rue alors qu'il tait avec le Commandant Tahar. Dcidment le pouvoir en prend son aise. Y a-t-il quelqu'un qui lui dplait ? hop ! il l'enlve et le fait disparatre. A qui le tour, la prochaine fois ? Si je me base sur notre exprience rcente, le colonel Saout-el-Arab doit se trouver quelque part dans le secret en train de mditer sur ses annes de rsistance grce auxquelles, avec l'appui de tout un peuple, ses kidnappers sont aujourd'hui au pouvoir. N'est-ce pas le propre des rvolutions avortes que de dvorer en priorit leurs meilleurs fils ? D'autres, en particulier ceux qui inflexiblement se refusent faire partie de la cure, subiront tt ou tard le mme sort car le tournant est pris et gare ceux qui n'apprcieront pas la leon sa juste valeur. Plus les difficults apparatront, plus la rpression s'accentuera. Heureusement, cette anne, la rcolte a t assez bonne pour permettre aux gens de manger leur faim, autrement o en serions-nous ? Les comits de gestion, la nationalisation de certains moyens de production, la participation, dans quelques secteurs, des comits d'ouvriers la gestion des entreprise, peuvent tre considrs comme des faits positifs, mais de l parler de socialisme appliqu il y a un abme que beaucoup ont franchi allgrement. Sans rforme agraire radicale appuye sur une planification rigoureuse de toute notre conomie, sans le passage de tous les moyens de production aux mains des travailleurs, sans la mobilisation des

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com masses, sans le contrle svre du commerce extrieur et du mouvement des capitaux, sans la cration d'un march intrieur contrl dans tous ses circuits, sans la slection des investissements extrieurs, il ne peut tre question de socialisme. On me rtorquera que l'on ne fait pas un monde en un jour. C'est exact ; mais ou bien on est capable de promouvoir une dification socialiste sur des bases objectives en acceptant toutes les implications intrieures et extrieures, ou bien au contraire on ne le peut pas et alors il est prfrable, pour tre honnte et raliste, de choisir une autre voie, qui aurait au moins l'avantage de la logique. Jouer sur les deux tableaux, c'est chouer des deux cts, gcher des chances, plonger le pays dans l'incertitude et les crises et pousser notre peuple ne plus croire ce socialisme tant vant. A la lumire de ce qui se fait depuis un an, malheureusement, je ne vois pas d'autre issue que la transformation radicale de toute notre politique. Seule la vrit est rvolutionnaire . Notre peuple a droit cette vrit. Il a suffisamment montr ce dont il est capable pour ne pas craindre de regarder la ralit en face, pour se mobiliser et accepter encore des sacrifices en vue d'difier le socialisme, voie difficile, mais seule susceptible de le tirer de son sousdveloppement, hritage de l'exploitation coloniale. LE 18 JUILLET Quatrime jour de la grve. Sitt debout aprs une nuit d'un sommeil peupl de cauchemars, je me mets ce journal pour profiter des quelques moments de fracheur. Il est peine

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com six heures du matin et un soleil implacable gagne rapidement le ciel, inondant la terre dune lumire blanche. Durant toute la journe d'hier, nous avons attendu vainement les nouvelles de Colomb Bchar. Pas de mdecin. Un jeune infirmier militaire venu d'Adrar nous a propos des cachets de je ne sais quoi et nous a conseill de manger. Il nous avoua candidement qu'il ne comprenait pas pourquoi nous refusions de nous alimenter. Nous nous sommes efforcs, chacun de notre ct, de le lui expliquer. Il ne semble pas qu'il ait t compltement satisfait, n'ayant peut-tre jamais entendu parler d'une grve de la faim. Il tait sincre, ce qui n'arrange rien. Je commence sentir la fatigue me gagner et le vertige brouiller mes ides et ma vue. J'abandonne jusqu' ce soir. MEME JOUR A 18 HEURES Pour les besoins de ce journal je regagne le rez-dechausse o il m'est possible de travailler un peu. Depuis le matin personne n'est sorti de la casemate. Jusqu' cette heure la chaleur est encore trop forte. Au bas mot il faut compter douze heures pendant lesquelles il est pratiquement intenable de rester au rez-de-chausse. Notre poste-radio, devenu aphone, a t remis un garde pour changement de piles. Heureusement que le responsable de la base nous en a prt un autre. Je m'excuse de parler de ces faits insignifiants mais quand on est en prison (et quelle prison dore!) ces moindres vnements acquirent un

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com relief particulier et c'est pourquoi je n'ai pu m'empcher de les noter au fur et mesure. Toujours le mme isolement. Aucune nouvelle ; pas de raction ; peut-tre aurons-nous la visite du Commandant Si Ahmed, annonce depuis 24 heures ? En dehors des jeunes militaires qui nous gardent et assistent notre affaiblissement progressif, personne ne s'intresse notre tat. Faire la grve de la faim, s'teindre ou s'en tirer avec une maladie grave, peu importe ceux qui nous ont priv de libert. Jusqu' ce jour et depuis notre arrive Tsabit nous n'avons reu qu'un seul envoi de journaux de Colomb Bchar. Tout le paquet est vieux d une semaine et donc sans aucun rapport avec l'actualit. En dehors de la dclaration faite par Krim et un compte rendu trs court de la confrence donne par Ait Ahmed, le reste ne prsente aucun intrt. Saout-el-Arab, le cinquime enlev, a t vite oubli. Hier et aujourd'hui, les radios consacrent tous leurs commentaires aux arrestations du Maroc. C'est l'U.N.F.P. qui en fait les frais pour complot contre la scurit de l'tat. Qu'y a-t-il de vrai dans cette sombre et douloureuse affaire ? Selon les commentaires, et particulirement ceux de la B.B.C. en arabe, le gouvernement algrien n'y serait pas tranger, ayant t le fournisseur d'un grand contingent d'armes. Ignorant tout et n'ayant aucun moyen de vrifier ces informations je ne puis que faire des hypothses.

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com Ou tout cela est pure invention du pouvoir pour charger des adversaires politiques et ledit complot ne convaincra personne et se dgonflera en redonnant force et dtermination l'opposition marocaine, ou les faits reprochs l'U.N.F.P. sont tays et alors il y a lieu de penser que ces frres marocains ont commis une erreur grossire et porteront un coup terrible leur prestige et leur parti. A noter, en passant, que l'U.N.F.P., pendant la crise de l't dernier, a pris fait et cause pour le clan de Tlemcen ; sa presse a mme t jusqu' qualifier certaines oprations (invasion de la wilaya II, affrontement avec les wilayas III et IV) d'actes rvolutionnaires. J'ai suffisamment mis les choses au point avec ces frres marocains pour ne pas reprendre cette argumentation ici. Je considre que l'U.N.F.P. tactiquement a peut-tre des raisons de s'allier avec le rgime de Ben Bella, mais stratgiquement cette position est totalement fausse. Je m'explique. De tous temps la politique maghrbine des mouvements nationalistes des trois pays nord-africains a t marque par une situation de fait, la dsunion. Aucun accord n'a jamais vu le jour entre l'Istiqlal, le P.PA.-M.T.L.D. et le No-Destour. Pourtant, les occasions historiques n'ont pas manqu pour favoriser une action commune qui aurait t la meilleure garantie d'un avenir commun. Ainsi lorsque les uns et les autres sont revenus de leurs garements pour s'engager dans la voie de l'action arme et, lorsque les questions de

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com tactique et d'optique ont cd le pas devant les forces dynamiques, les trois pays se retrouvrent, par la force des choses, engags dans le mme combat ; cet alignement inespr, remarquons-le, n'a pas t le fait des directions, mais celui de la base. Entre 1952-1954, toutes les conditions d'une union solide taient enfin runies. Cela ne manqua pas d'branler l'indiffrence du colonialisme franais, assez intelligent pour saisir que le moment tait venu d'arrter tout prix une cohsion de cette nature et de cette ampleur. En aot 1954, en concdant la Tunisie son autonomie interne, il parvint l'arrt de la lutte sur ce front. Malgr ce handicap srieux, Marocains et Algriens face une mme ralit et stimuls par l'exprience tunisienne, rapprochrent leurs points de vue et arrtrent un plan commun d'action. Le 1er octobre 1955 fut le couronnement d'une anne d'efforts et ce mme jour le dpartement d'Oran, jusque l silencieux, le Rif et la rgion de Beni Snassen entrrent en action contre les forces franaises. Ce mouvement, indcis son dbut, prit forme et deux mois plus tard le Moyen-Atlas et le Grand-Atlas se mirent leur tour en branle, alors qu'en Oranie l'action s'tendait de plus en plus vers l'Est. Mais pour la deuxime fois, en un an, l'imprialisme joua et gagna au dtriment de l'Afrique du Nord. En dcembre 1955 le Sultan du Maroc, alors exil, fut ramen dans son pays et rcupra son trne. Un an plus tard, la rsistance marocaine, malgr nos mises en garde, nos sollicitations et nos rserves dcida son tour de mettre fin l'action. L'Algrie reste seule continua son combat jusqu' la victoire, mais quel prix !

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com Cette courte priode de l'histoire de nos trois pays est riche de leons qui ne semblent pourtant pas avoir profit tous ceux qui parlent encore, avec ou sans conviction, qu'importe, de l'Union Maghrbine. II faut se demander avant tout si cette union est viable et si elle est ralisable. Il ne fait aucun doute que l'unification des trois pays sera un facteur essentiel du dveloppement conomique et social, par la mise en commun de toutes les ressources et tous les efforts. L'ensemble gographique et conomique ainsi constitu sera infiniment mieux arm pour affronter le nocolonialisme que chacun des trois pays pris sparment. Un autre avantage non ngligeable sera l'limination dfinitive des querelles de frontires, des revendications territoriales et de toutes les manuvres striles. Il est mme possible que l'unification du Maghreb donne une impulsion dterminante la ralisation de l'unit Arabe, voire Africaine. La question qui se pose est donc de savoir comment raliser cette union et quelles sont les voies qui y mnent. D'abord, il faut avoir le courage de poser les problmes en termes rels : admettre que l'Afrique du Nord est sous-dveloppe dans ses trois parties et que vouloir la dvelopper implique la transformation radicale des structures politico-sociales. Omettre de poser le problme dans ces termes, c'est se condamner au balbutiement politique, orchestr grand bruit l'occasion de certains accords limits et sans grande porte conclus entre deux de nos trois pays, avec toujours l'arrire plan des manuvres permettant soit de s'opposer au troisime pays soit de contrebalancer

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com l'influence du partenaire ; cette politique en dents de scie continue de rgir actuellement les rapports nords-africains et les exposent dangereusement aux pressions externes. En conclusion, l'unification passe obligatoirement par une option politico-conomique. Parler d'union sans montrer au profit de quelle catgorie de citoyens elle doit se faire, sans prciser sur quelles forces sociales elle peut s'appuyer, sans en dterminer les principaux obstacles, les ennemis qui la contrecarrent, les allis intrieurs et extrieurs, c'est de l'opportunisme. D'autre part, il faut admettre que le combat contre cette mystification dpasse nos frontires respectives et que le problme de la stratgie doit donc primer sur tout calcul tactique. La seule voie possible et praticable repose sur le rassemblement d'une avant-garde rvolutionnaire des trois pays dont la principale tche serait d'amener nos masses laborieuses une conscience plus aigu de la ralit en leur imprimant un rythme acclr dans leur marche vers le socialisme. Autrement dit, ne pas penser le problme maghrbin son chelle globale et sous tous ses aspects : social, conomique, politique, ne pas arrter une orientation commune, c'est s'carter de la vritable solution. En disant plus haut que l'U.N.F.P., en prenant position dans la crise algrienne, a commis une faute lourde de consquence, mon ide tait que tout partisan dtermin de cette union n'a pas le droit de s'aventurer la lgre dans des voies qui ne rpondent pas cet objectif. En agissant de la sorte, sans aucun doute de bonne foi, l'U.N.F.P. commis une

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com erreur. Tournant le dos la ralit nord-africaine rvolutionnaire, elle a choisi le clan des vainqueurs sans chercher plus loin les motivations de ceux-l mmes qui aujourd'hui sont au pouvoir. Or, leur politique depuis un an est la preuve flagrante de la stabilisation d'un rgime qui, pour l'essentiel, diffre peu de ceux qui existent de part et d'autre. Les complots qui, quelques jours d'intervalle, ont frapp des militants d'une mme cause ne sont-ils pas une preuve de ce que j'affirme ? A l'heure o j'cris ces lignes, Tsabit, ma pense va ces frres qui, tort ou raison, ne doivent pas tre en meilleure posture que nous. LE 19 JUILLET Cinquime jour de grve de la faim. Nous touchons l'euphorie. Plus de douleurs, plus de maux de tte, nous abordons la seconde tape o le corps sevr pendant une priode, s'adapte et perd ses exigences pour vivre sur luimme. L'expression devient pteuse et tranante, la parole moins sre, et le besoin de repos plus accentu. La sueur prend des odeurs acres. Hier, par exemple, je me suis lav trois reprises et la fin de la journe je n'tais pas humer de bien prs. S'il est vrai que les sudations sont moins abondantes, il n'est pas moins vrai qu'au moindre effort le corps se couvre de fines gouttelettes d'une sueur concentre l'odeur curante.

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com Ce matin le commandant Si Ahmed est arriv bon port aprs une panne qui l'a retenu 24 heures aux environs de Beni-Abbs. Les directives qu'il a reues d'Alger insistent sur le maintien de l'isolement au grand secret. Devant l'obstination de ce rgime trop enfonc dans son propre jeu pour pouvoir se dmentir facilement, notre dcision demeure inbranlable : nous continuerons notre grve. Il serait question de nous changer de rsidence pour nous placer plus au nord, ce qui n'arrange rien. Le pouvoir tient nous garder dans cette situation de squestrs. Je comprends parfaitement que les hommes qui ont dcid notre enlvement, faute de parvenir leur fin macabre, ne se gnent pas le moins du monde pour prolonger notre calvaire et parvenir un rsultat analogue. L'essentiel donc est de nous rduire au silence et pour cela ils ne lsinent pas sur les moyens. Le commandant de la 3e rgion militaire n'a-t-il pas lui-mme affirm plus d'une fois qu'en ce qui nous concerne, il n'a jamais reu de directives crites mais seulement des messages radio lui enjoignant de nous surveiller de prs. Combien de temps cette pnible situation va-t-elle durer ? Le rgime certainement est dcid aller jusqu'au bout et quoi que nous fassions, quoi que nous tentions, il ne ragira que dans le mauvais sens. C'est dans sa logique. Nanmoins, la grve de la faim ne peut pas durer ternellement. Il arrivera un moment o quelqu'un devra cder. Pour nous, il n'en est pas question, car il ne s'agit pas d'une action quelconque simple caractre revendicatif, mais

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com d'un combat pour le respect des droits sacrs de la personne humaine pour lesquels des milliers de nos frres ont sacrifi leur vie. L'preuve est engage, quelle qu'en puisse tre l'issue, nous ne serons pas les perdants. Notre conviction est trop ferme sur ce point pour que nous nous laissions flchir. Mme en cas de fin irrmdiable, d'autres prendront la relve, et briseront le cercle infernal qui se referme sur notre peuple. C'est d'ailleurs le propre de toute politique d'injustice de plier tt au tard sous le poids de ses infamies ou de ses crimes. Pourrait-il en tre autrement avec un rgime impos par la force et accul recourir des mthodes qui rappellent trangement celles de toutes les dictatures ? LE 20 JUILLET Sixime jour de la grve. Aprs un mois de squestration, l'euphorie persiste mais la fatigue, jusqu' hier faible, indcise, s'affirme et se prcise. Les articulations ne rpondent que difficilement alors que tout le corps se ramollit et devient flasque. D'ici peu de jours nous serons sans doute incapables de nous mouvoir, plus forte raison si nous devons effectuer aujourd'hui ou demain ce dplacement vers le nord, qui, d'aprs Si Ahmed, faciliterait une vacuation au cas o l'un de nous tomberait malade. Comme si nous ne l'tions pas dj. Mais en l'absence d'un mdecin qui pourrait le prouver ? Avec nos barbes de plusieurs jours et nos cheveux d'un mois, nous avons une vraie mine de circonstance. Quant au coiffeur, il n'en est pas question. La consigne n'est-elle pas de

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com nous empcher d'entrer en contact avec autrui, mme avec les ntres. Le commandant militaire de la rgion, en toute discipline, ne fait qu'excuter les ordres ; c'est le leitmotiv qu'on a oppos toutes mes questions. A ce propos, et pour illustrer cet tat d'esprit, j'voquerai avec quelque retard, une scne qui s'est droule Colomb Bchar, le matin de notre premier jour de rsidence dans cette localit. En arrivant Colomb Bchar, nous avions t fourrs dans une pice dont on avait eu soin, l'avance, de condamner toutes les issues. La nuit de notre arrive nous tions trop fatigus pour nous occuper de ces questions et notre seul dsir tait de dormir pour nous reposer d'un voyage plus que harassant. Le lendemain matin, au rveil, nous suffoquions presque dans cette atmosphre moite et renferme. Nous ayant entendu frapper la porte la sentinelle alerta un quelconque responsable qui fut reu par nos protestations vhmentes au sujet de cette claustration incomprhensible. Il nous rpliqua sans rflchir : Ce sont les ordres . A ma question : Si on te demandait de nous trangler, le ferais-tu ? il rpondit, imperturbable : Bien sr . En fin de compte, et sans doute aprs consultation, on nous permit de garder cette malheureuse porte ouverte pour voir un coin de ciel et recevoir un peu d'air. La sentinelle tait en permanence sur le seuil mme, alors qu'une autre, sur la terrasse, en tenue de combat, casque compris, surveillait les abords, mitraillette au poing, l'air malheureux sous un soleil de plomb.

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com Je pourrais citer d'autres exemples de cette mentalit sans rien y changer et c'est pourquoi je prfre laisser ces excutants leur discipline pour me pencher davantage sur les causes qui nous ont amen cet tat de fait dsastreux. Que l'on ne s'imagine pas surtout que cette rgion militaire fasse exception. Avec, certes, des nuances, c'est le mme tat desprit que nous avons rencontr partout depuis que notre existence de prisonnier nous a mis en contact avec des policiers en civil, des soldats de l'A.N.P. ou des gendarmes mobiles. Un autre exemple pour finir. En arrivant Sada, un grad de la gendarmerie a mis notre disposition un transistor que nous avons encore. Eh bien, ce poste appartenait un jeune gendarme qui, oblig de cder son bien, n'a pas manqu de protester et pour cause ! Le commandant Benchaou, de la direction centrale de la gendarmerie, qui a assist cette scne, non seulement a saisi le poste, mais, fait plus extravagant encore, a envoy le jeune gendarme au trou pour avoir os lever la voix et dire ce qu'il pensait. Je prcise que cette anecdote nous a t rapporte par un autre gendarme, dont je ne mets pas en doute la bonne foi. L'instrument rpressif est en place, machine aveugle et rode pour craser et broyer ce qu'on lui livre. Nous sommes loin de la grande fraternit et de la solidarit du temps de l'preuve, qui ont soud tout un peuple pour en faire une force irrsistible face un ennemi puissant dont toutes les initiatives et les vellits de rforme se sont brises contre ce rempart. Ce mme lan et pu faire des miracles s'il n'y avait pas eu les

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com ambitions personnelles, l'avidit de pouvoir qui nous ont amen l o nous sommes : un peuple dcourag, du, divis, une arme compltement coupe de ce peuple, une police tout aussi impopulaire, et au sommet un appareil refltant cette dislocation, ce divorce effrayant. Ce que l'on nous impose n'est que l'illustration d'un rgime, fourvoy dans les compromissions, incapable de ragir sur la pente de la dictature et dont les seuls armes, en plus de la dmagogie et de la corruption, sont : arbitraire, ngation des droits de l'homme et mpris du peuple. Les malheureux civils ai-je entendu dire par certains officiers en parlant de ceux qui ne portent pas l'uniforme. Voil o nous en sommes ! Parler dans ces conditions de socialisme, dmocratie ne trompe que ceux qui veulent l'tre. de

Cet aprs-midi, il a fait un vent de sable terrible. Il est impossible de s'aventurer dehors et nous contemplons ce dchanement travers les vitres. Nous ne voyons pas plus de deux mtres, tant il y a de sable charri par des rafales de vent. tant donn la disposition des lieux et des murs d'enceinte, l'ouragan tourbillonne l'intrieur de la base. La haie de palmes sches, qui avait servi de bordure un jardinet mort et dont il ne reste qu'un semblant de tracs de rigoles et de carrs enfouis dans le sable, gmit de toutes ses fibres. Quelque part, une porte claque dans un bruit assourdi par le grondement de la tempte. Par les moindres interstices la poussire de sable trs fine s'insinue et dessine sur le

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com parterre, les rebords des fentres, des arabesques comparables, une moindre chelle, aux dessins des grandes dunes. Partout ailleurs, le sable continue de se dposer, imprgnant tout, et donnant aux tres et aux choses un aspect sale et poussireux. LE 21 JUILLET Premier jour du deuxime mois de notre dtention , septime jour de la grve de la faim. Cette journe a t trs mauvaise : fatigue, douleurs lombaires, vision trouble, frquents et lourds assoupissements, pas de sommeil. Aprs n'avoir pas ferm l'oeil de la journe d'hier, je n'ai pas non plus dormi de la nuit et ce matin je ressens douloureusement cette fatigue dans tout mon corps. La nuit passe a t terrible. Jusqu' deux heures du matin un vent de sable violent et torride a rendu tout repos impossible. Ce matin, il ne fait pas exceptionnellement chaud, mais boire est devenu une ncessit. Le ventre vide de tout aliment doit trouver une compensation dans l'eau. Rien ne peut suffire tancher notre soif. A l'aube, le temps est dj clair. Le vent a baiss. Une fracheur douce et lgre lui a succd. Il faut en profiter avant que le soleil n'apparaisse, avec sa rverbration aveuglante et sa touffeur insupportable. C'est ce soir, peut-tre, que nous mettrons le cap sur le Nord. Destination : l'inconnu. Peut-tre aussi resterons-nous en place. Sait-on jamais avec ces ordres, ces contre-ordres, cette discipline et ce systme de transmission dont le fonctionnement s'est rvl souvent alatoire.

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com J'ai profit de la matine pour lire attentivement un compte rendu assez dtaill de la confrence de presse donne par Abbas Stif et reprise presque intgralement par un quotidien algrien vieux de quelques jours. Certes, Abbas manie fort bien la langue franaise. On retrouve ce style coulant, ce verbe poli, ces tournures harmonieuses de l'ancien ditorialiste de la Rpublique Algrienne9. Si la forme est bonne, le fond par contre laisse beaucoup dsirer. Il n'y a l que des banalits, des redites, et des demi-vrits savamment noyes dans des formules alambiques mles de sous-entendus et d'allusions... Je ne manquerai pas cette occasion de relever, pour les rectifier, certaines conceptions errones et certaines erreurs historiques qui se sont glisses dans son expos ; et je rappellerai ensuite la discussion, la seule que j'ai eue avec Abbas, Tripoli. Abbas a dclar, entre autres, avoir suivi les historiques ; ce sujet je me permets de lui fournir quelques prcisions partir d'un tmoignage vcu, incontestable. Tout d'abord, que peut bien signifier dans son esprit ce terme : historique , si tant est que ce qualificatif ait la moindre valeur de critre ? En reprenant l'histoire de l'Algrie, nous trouvons chaque poque des historiques lesquels, pass leur temps, ont laiss la place d'autres historiques et ainsi va l'volution et la marche de toutes les socits. A compter du 1er novembre 1954, chaque phase de la lutte n'a-t9

Hebdomadaire de l'Union du Manifeste Algrien (U.D.M.A.), parti de F. Abbas, jusqu'en 1955.

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com elle pas eu ses historiques ? Tout prs de nous, la crise dclenche Tlemcen n'a-t-elle pas eu galement ses historiques ? Ceux-l ne rgissent-ils pas depuis, l'Algrie, leur guise ? Bref, il est dprimant de constater combien d'imbcilits, force d'tre rptes sont devenues des mots tabous, alors que dans le fond elles ne sont que les produits d'une dformation des valeurs et d'une imposture infiniment plus historique. Pour mieux l'clairer, reprenons l'histoire telle qu'elle s'est droule et non telle qu'on se plait l'imaginer en la prostituant. Abbas doit certainement ignorer que le C.R.U.A., n en mars 1954, n'a t ni une organisation, ni un parti, ni une fraction l'image des centralistes de l'poque. C'tait un comit, comme son nom l'indique (Comit Rvolutionnaire pour l'Unit et l'Action). Son but tait de lancer un mouvement d'opinion capable de souder la base militante, pour l'empcher de se liguer derrire l'un ou l'autre des antagonistes, et par l imposer un congrs unitaire qui sauverait le parti de la scission. C'est pourquoi parler des membres du C.R.U.A., en dehors du comit, est inexact. Ses quatre membres, deux anciens responsables de l'Organisation Spciale (O.S.) et deux responsables de l'organisation politique taient : Dekhli Mohamed, Ramdane alias Ould Amri10, Ben Boulad Mostefa et moi-mme.

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Ce militant, qui fut par la suite membre de la Fdration de France du F.L.N., ne doit pas tre confondu avec Abane Ramdane.

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com La runion des vingt-deux, ds le dbut juin 1954, qui a dcid le dclenchement de la Rvolution et d'o est sorti le premier Conseil de la Rvolution de cinq membres, auquel a t adjoint, fin aot de la mme anne, Belkacem Krim qui en fut le sixime, n'est plus le C.R.U.A.. En effet, deux membres de ce comit : Dekhli et Ramdane ont opt pour les vues du Comit central. Il faut que l'on sache que le C.R.U.A. s'est dissout de lui-mme, quelques jours avant la runion du congrs organis par Messali en Belgique. Il a estim qu'il avait perdu sa raison d'tre puisqu'il n'avait pu sauver le parti de la scission. Pour ce qui est de la dlgation extrieure du M.T.L.D., compose en ce temps-l d'At Ahmed, Ben Bella et Khider (ces deux derniers taient alls en Suisse au dbut de juillet 1954 pour tenter un rapprochement entre les deux fractions du M.T.L.D.) elle ignorait tout jusqu' cette date, du C.R.UA., de ses objectifs comme de sa composition. Ce n'est que lors des contacts qui eurent lieu en Suisse par la suite, entre quatre membres du Conseil de la Rvolution (Ben Boulad, Ben Mhidi, Didouche et moi-mme) et Ben Bella (Khider ayant dj quitt la Suisse pour raisons familiales) que celui-ci s'est ralli notre point de vue, et a reu mission de retourner au Caire pour expliquer notre position aux deux autres membres absents de la dlgation, afin de leur permettre de se prononcer leur tour. A partir de l quels sont au juste ces fameux historiques ? Les cinq premiers membres du Conseil de la Rvolution ? Les six de plus tard ? Les vingt-deux dont une

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com partie a lch avant mme le dclenchement de l'action ? Le C.R.U.A. dont deux membres seulement sur quatre ont continu avec les vingt-deux ? La dlgation extrieure qui, pour sa part, n'a jamais particip l'organisation de l'action et dont le rle n'a effectivement commenc qu'aprs le 1er novembre, dans le cadre de la rpartition des tches arrte par le Conseil de la Rvolution des six, dans ses dernires runions des 22, 23 et 24 octobre 1954 ? Voil la vrit. Le reste n'est que jeu de l'esprit. Il tait temps d'apporter ces prcisions pour mettre fin la dmagogie de certains qui prtendent que la Rvolution est issue d'eux seuls et doit rester leur proprit prive. Pour terminer avec cette rponse Abbas, je me permets de lui rappeler les termes de notre discussion de Tripoli, l'Htel El Mhari, o s'est jou le dernier acte de la tragdie algrienne, qui a dbouch sur la crise avec son cortge de consquences dsastreuses dont lui-mme, Abbas, paie les frais en mme temps que d'autres, mme si les raisons sont diffrentes. Si la mmoire d'Abbas est bonne, qu'il se rappelle ce que je lui ai dit. J'insistai sur le fait que l'Algrie tait menace par les menes des ambitieux. Je lui affirmai, que, pour ma part, je me refuserais aux combines et ne me rallierais aucune solution d'o ne serait pas bannie jusqu' l'ombre du pouvoir personnel. Je connaissais depuis fort longtemps les prtentions d'un homme qui ne reculerait devant rien pour accaparer le pouvoir.

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com Il est vrai que je n'ai nomm personne, comme il est vrai que de son ct il ne m'a fait aucune proposition ; son expos tait centr sur sa propre exprience, au sein du F.L.N., les difficults et les manuvres qui ont abouti son remplacement par Ben Khedda. Depuis, beaucoup d'eau a coul sous les ponts, et l'Algrie n'a pas chapp son malheureux destin. Elle se retrouve encore une fois enferme dans les mailles d'un rgime pr-dictatorial, anti-dmocratique et anti-populaire, exactement le contraire de ce qu'il se dit tre. LES 22 ET 23 JUILLET Il est un devoir sacr, qu'aucun patriote ne peut renier sans abdiquer : dire toujours la vrit au peuple, quelles qu'en puissent tre les consquences. Nous assumerons cette charge envers et contre tous. Toute notre lutte, notre action rvolutionnaire et notre raison militante reposent sur ce serment de dire toujours la vrit et de la propager. Cette vrit qui, avec le temps, se fraiera son chemin et, comme un vent imptueux et irrsistible, chassera les mystifications et les mensonges. Notre devise est et sera toujours la mme : seule la vrit est Rvolutionnaire. Que l'on ne croie surtout pas que le 1er novembre 1954 soit soudain tomb du ciel, alors qu'en ralit il ne fut que le lent mrissement de plusieurs annes, voire de dcades d'un travail intense d'agitation, d'explication et d'organisation.

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com Ne pas comprendre ce cheminement et ne pas en tenir compte signifie que l'on se coupe de la ralit, hors de laquelle il n'y que l'aventure. Tous les rgimes, tous les pouvoirs qui n'ont pas de racines solides dans ce mouvement historique dgnrent immanquablement et s'croulent bientt comme des chteaux de cartes. En ce qui nous concerne le rgime actuel est-il le descendant lgitime de la rvolution et, en consquence, son hritier, ou n'est-il que le btard n de la crise de l't 1962 ? Nous laisserons la rponse l'apprciation de tous les Algriens, dont le souci est la dcouverte de la vrit. Pour notre part, la rponse est connue, et on a beau nous chtier pour notre refus de renoncer, on n'y changera rien. On nous trane du Nord au Sud, sous la menace des armes comme de vulgaires bandits de droit commun ; on nous prive de la moindre possibilit de nous dfendre et de faire entendre notre voix, comme si ces moyens taient de quelque secours aux rgimes qui en usent. Hlas ! Laveuglement a t de tout temps la marque des rgmes qui vont la catastrophe. Que valent, face cette vidence, les dclarations trompeuses de dmocratie, de libert et de socialisme ? C'est cela, malheureusement, l'image de notre Algrie qui, en dpit de son pass de luttes, en dpit de ses expriences se trouve, incluse, malgr elle, et pour un temps difficile valuer, dans le camp des pays ou la rvolution a chou. Le processus est partout le mme. Une conjuration, dans la confusion invitable des priodes de transitions, se constitue au hasard des alliances et, soit par des manuvres, soit par la

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com force brutale, accapare le pouvoir, en tranant avec elle toutes les contradictions inhrentes sa nature. Avec le temps, les difficults grandissent, les contradictions se creusent, et les tenants du pouvoir se transforment progressivement en une bureaucratie petite-bourgeoise, despotique et sans lien aucun, avec le peuple dont elle n'est ni la reprsentation ni encore moins l'manation. Ne pouvant compter de ce fait ni sur les masses, ni sur l'avant-garde, sa logique l'amne, pour garder le pouvoir, se crer une dfense qu'elle ne peut trouver que dans une police grassement rtribue ou une arme aux ordres. Les exemples de cet enchanement sont trop nombreux pour que l'Algrie chappe ce destin si les militants rvolutionnaires et le peuple ne se ressaisissent pas au plus vite. Dans ces conditions, nous empcher de parler ces militants et travers eux, au peuple, c'est exiger que nous nous suicidions en nous reniant. En nous arrtant, le pouvoir n'a fait que nous renforcer dans nos convictions et s'est dmasqu un peu plus. A Tsabit, hier, le 22, il a fait un temps impossible : une chaleur torride, venteuse, sableuse, du matin jusqu' minuit. Impossible de dormir, impossible de se mouvoir en dehors de la casemate troite o nous sommes enfouis, impossible de rflchir quoi que ce soit. La nuit, surtout, le spectacle est affolant. Aujourd'hui la chaleur n'a pas diminu ; de toute la journe, il n'y a pas eu de vent. Comme l'accoutume, sitt la nuit tombe nous sortons de nos lits que nous alignons devant la demeure affecte notre squestration. Le sol dall de

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com pierres plates dgage une chaleur qui persiste jusqu' une heure avance de la nuit. Petit petit, ces bouffes de chaleur se multiplient, s'acclrent pour se transformer en un vritable cyclone charriant un sable fin qui pntre partout. Presque soulevs de nos lits, nous subissons ce dluge de poussire et de chaleur, les mains accroches l'armature mtallique, la tte emmitoufle dans une serviette. Quelques gouttes de pluie se mettent tomber et la tourmente continue. D'o vient ce vent ? Impossible de dterminer sa direction. Pendant trois heures, rendre fous les plus calmes, cette tempte persistera rythme par les grondements sourds d'un tonnerre lointain, avec de faibles accalmies aprs lesquelles L'orage reprend de plus belle. C'est l une image rapide trs en-de de la vrit de l'extrme-sud, au mois de juillet. Qu'en sera-t-il au mois d'aot? L'on ne peut s'empcher de penser aux gens qui peuplent ces contres et dont la misre, surtout en t, doit tre intenable. Le matin de ce jour, le 23, le chef de la base est venu nous informer que conformment aux directives qu'il a reues nous partirions demain vers 16 heures destination du Nord. Cette annonce, au neuvime jour de la grve de la faim, n'est plus de nature nous rjouir beaucoup, d'autant plus que mme dplacs, nous ne serons pas plus fixs sur notre sort et nous continuerons la grve.

http://www.bibliotheque-numerique-algerie.blogspot.com LE 24 JUILLET Si aucun contre-ordre n'intervient, nous prendrons la route vers 17 heures. La journe, sans un souffle d'air, s'annonce pnible. Un soleil de plomb crase le camp, rendu blouissant par une rverbration d'une extrme intensit. D'ici l'heure du dpart il fera certainement beaucoup plus chaud. Notre hte de quitter ce lieu infernal ne nous fait pas redouter la canicule, d'autant plus que nous dsirons couvrir au moins les 200 kilomtres de piste en plein jour. Voil exactement vingt jours que nous sommes dans ce lieu maudit, plus excrable encore depuis que nous y avons entrepris la grve. Au dixime jour de cette grve, nous sommes profondment marqus par cette preuve. Nerveux, faibles, nous nous supportons avec peine. N'importe quel incident menace notre entente qui est reste bonne jusque-l, part les petites anicroches pisodiques propres la vie de dtention. La plupart de nos discussions, quel qu'en soit le point de dpart, tournent autour de la gastronomie si bien que cela devient une ide fixe. Personnellement je fais un effort surhumain pour carter ce sujet de mon esprit. C'est difficile, mais j'y parviens sauf de brefs flchissements qui me ramnent inconsciemment cette pense lancinante. Ct politique rien d'important. Accord avec le Mali, accord avec la Tunisie, la direction de nos syndicats U.G.TA., vient de voter une rsolution raffirmant son soutien au Gouvernement et au bureau politique. Ce n'est ni surprenant,

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