Bilandes relations économiques libano-syriennes

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économiesyrie-liban 26 - Le Commerce du Levant - Février 2010 Bilan des relations économiques libano-syriennes Les entreprises et les familles libanaises et syriennes entretiennent des relations étroites ancestrales qui ont dû s’adapter aux évolutions de l’histoire depuis l’annexion de la région par l’Empire ottoman jusqu’au mandat français. Depuis leur indépendance, les trajectoires économiques du Liban et de la Syrie n’ont cessé de se rapprocher et de s’éloigner à nouveau, au gré des parcours politiques de chacun des deux voisins. Carine Fernaini 1946-1958 : UN PROCESSUS D’AUTONOMIE CHAOTIQUE Au départ de la France en 1946, si leurs chemins se sont séparés, le Liban et la Syrie sont restés économiquement siamois. Une même monnaie – la livre libano-syrienne – les liait. Une Commission mixte supranatio- nale d’intérêts communs chapeautait les douanes, les postes et les communications. Cet organisme, doté de pouvoirs législatif et exécutif importants, empêchait les deux pays de voler de leurs propres ailes. Pourtant, leurs habitudes économiques étaient et sont toujours aujourd’hui profondément diffé- rentes : commerçant et maritime par tradi- tion, le Liban favorise la libre entreprise et le libre-échange. À la fin des années 1940, la Syrie est davantage tournée vers l’intérieur et a du mal à trouver sa voie après des années sous autorité ottomane. Ces divergences mettent à mal l’union douaniè- re entre les deux pays. L’accord, conclu en 1945, prévoyait la levée des barrières doua- nières pour les produits libanais et syriens, l’uni- formisation des tarifs sur les importations de l’étranger et la coordination des politiques de protection des industries locales. Mais cet accord « généra des déséquilibres et des ten- sions dès les premières phases d’application », souligne le président du centre de recherche de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agri- culture de Beyrouth, Albert Nasr. Par exemple, les Syriens souhaitaient maintenir les taxes sur l’importation de la farine et du textile, alors qu’elles pèsent lourd sur les revenus des ménages libanais. Très vite, des protestations s’élèvent dans les milieux nationalistes beyrouthins contre le déficit de la balance commerciale libanai- se au profit de la Syrie. « C’était la Syrie qui produisait et le Liban qui consommait », souligne l’économiste Youssef Chaitani dans son ouvrage “Post-colonial Syria and Lebanon : the decline of Arabnationalism and the triumph of the State”. Les deux pays échouent à uniformiser leurs tarifs douaniers sur les importations et adop- tent deux approches différentes face au sec- teur industriel : la Syrie opte pour un soutien massif à l’industrie, tandis que le Liban se focalise sur les services. La mise en concurrence des deux pays pour l’embouchure de l’oléoduc Tapline de la com- pagnie Aramco, qui devait s’étirer du golfe Persique jusqu’à la Méditerranée, attise égale- ment les rancœurs. Ce dernier traverse la Syrie sur 600 kilomètres, mais l’entreprise américai- ne choisit finalement Saïda comme port d’ex- portation vers l’Europe et les États-Unis. La signature de l’accord monétaire de 1948 entre le Liban et la France est une nouvelle cause de rupture entre les deux voisins. La livre libanaise et la livre syrien- ne appartenaient à la zone franc, mais restaient librement convertibles en livres sterling à un taux garanti contre les déva- luations du franc. Après la Seconde Guerre mondiale, la France se déclare hors d’état de continuer d’assumer cette garantie de change. L’accord de janvier 1948 libère la livre libanaise de ses liens avec l’ancienne puissance mandataire et du voisin syrien. Damas décide alors également de faire de même. Une catastrophe pour les marchands libanais, car la devise syrienne devient non convertible. « Le conflit monétaire a été considéré par la plupart des gens comme le coup de grâce, accélérant une séparation devenue inévitable », note Youssef Chaitani. À quelques exceptions près, le Liban n’im- pose plus aucune restriction sur les importa- tions et finance son déficit commercial à tra- vers l’exportation de services et les trans- ferts de capitaux. Dans un système de chan- ge contrôlé, la Syrie veut au contraire écono- miser ses réserves de change en créant des industries de substitution aux importations et en favorisant les exportations.

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Bilan des relationséconomiques libano-syriennesLes entreprises et les familles libanaises et syriennes entretiennent des relations étroitesancestrales qui ont dû s’adapter aux évolutions de l’histoire depuis l’annexion de la régionpar l’Empire ottoman jusqu’au mandat français. Depuis leur indépendance, les trajectoireséconomiques du Liban et de la Syrie n’ont cessé de se rapprocher et de s’éloigner à nouveau, au gré des parcours politiques de chacun des deux voisins.

Carine Fernaini

1946-1958 : UN PROCESSUS D’AUTONOMIE CHAOTIQUE

Au départ de la France en 1946, si leurschemins se sont séparés, le Liban et la Syriesont restés économiquement siamois. Unemême monnaie – la livre libano-syrienne –les liait. Une Commission mixte supranatio-nale d’intérêts communs chapeautait lesdouanes, les postes et les communications.Cet organisme, doté de pouvoirs législatif etexécutif importants, empêchait les deux paysde voler de leurs propres ailes. Pourtant,leurs habitudes économiques étaient et sonttoujours aujourd’hui profondément diffé-rentes : commerçant et maritime par tradi-tion, le Liban favorise la libre entreprise et lelibre-échange. À la fin des années 1940, laSyrie est davantage tournée vers l’intérieuret a du mal à trouver sa voie après desannées sous autorité ottomane. Ces divergences mettent à mal l’union douaniè-re entre les deux pays. L’accord, conclu en1945, prévoyait la levée des barrières doua-nières pour les produits libanais et syriens, l’uni-formisation des tarifs sur les importations del’étranger et la coordination des politiques deprotection des industries locales. Mais cetaccord « généra des déséquilibres et des ten-sions dès les premières phases d’application »,

souligne le président du centre de recherche dela Chambre de commerce, d’industrie et d’agri-culture de Beyrouth, Albert Nasr. Par exemple,les Syriens souhaitaient maintenir les taxes surl’importation de la farine et du textile, alorsqu’elles pèsent lourd sur les revenus desménages libanais. Très vite, des protestations s’élèvent dansles milieux nationalistes beyrouthins contrele déficit de la balance commerciale libanai-se au profit de la Syrie. « C’était la Syrie quiproduisait et le Liban qui consommait »,souligne l’économiste Youssef Chaitani dansson ouvrage “Post-colonial Syria andLebanon : the decline of Arabnationalismand the triumph of the State”. Les deux pays échouent à uniformiser leurstarifs douaniers sur les importations et adop-tent deux approches différentes face au sec-teur industriel : la Syrie opte pour un soutienmassif à l’industrie, tandis que le Liban sefocalise sur les services. La mise en concurrence des deux pays pourl’embouchure de l’oléoduc Tapline de la com-pagnie Aramco, qui devait s’étirer du golfePersique jusqu’à la Méditerranée, attise égale-ment les rancœurs. Ce dernier traverse la Syriesur 600 kilomètres, mais l’entreprise américai-ne choisit finalement Saïda comme port d’ex-portation vers l’Europe et les États-Unis.

La signature de l’accord monétaire de1948 entre le Liban et la France est unenouvelle cause de rupture entre les deuxvoisins. La livre libanaise et la livre syrien-ne appartenaient à la zone franc, maisrestaient librement convertibles en livressterling à un taux garanti contre les déva-luations du franc. Après la SecondeGuerre mondiale, la France se déclarehors d’état de continuer d’assumer cettegarantie de change. L’accord de janvier1948 libère la livre libanaise de ses liensavec l’ancienne puissance mandataire etdu voisin syrien.Damas décide alors également de faire demême. Une catastrophe pour les marchandslibanais, car la devise syrienne devient nonconvertible. « Le conflit monétaire a étéconsidéré par la plupart des gens comme lecoup de grâce, accélérant une séparationdevenue inévitable », note Youssef Chaitani.À quelques exceptions près, le Liban n’im-pose plus aucune restriction sur les importa-tions et finance son déficit commercial à tra-vers l’exportation de services et les trans-ferts de capitaux. Dans un système de chan-ge contrôlé, la Syrie veut au contraire écono-miser ses réserves de change en créant desindustries de substitution aux importations eten favorisant les exportations.

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Le décret 12 adopté par Damas en août1948, qui assoit la mainmise du gouverne-ment sur le commerce et les transactionsfinancières extérieurs, est assorti d’unembargo sur les marchandises à destinationdu Liban. Le coup d’État de 1949 en Syriemarque ensuite la fin de l’union douanièreentre les deux pays. Le divorce économique est définitivementprononcé en mars 1950. En cause, l’idéeévoquée par Damas d’une fusion totale desdeux économies. Cette perspective déplaîtfortement aux Libanais, jaloux de leur indé-pendance fraîchement acquise. Les réper-cussions ne se font pas attendre : la Syrie,principal fournisseur de nourriture au Liban,instaure une sorte de blocus aux frontières.« Les graines étaient l’arme choisie par legouvernement syrien dans sa dispute moné-taire avec le Liban, rapporte YoussefChaitani. Ces signes protectionnistes de laSyrie n’étaient pas acceptables pour leLiban, très attaché à sa culture entrepreneu-riale et au principe du “laissez-faire”. »La fermeture des frontières économiques dela Syrie s’explique également par la concur-rence déloyale des produits étrangers, cer-tains très bon marché, qui transitaient parles ports libanais. Selon Youssef Chaitani, lescoûts de production en Syrie étaient sept foissupérieurs à ceux calculés aux États-Unis,en Égypte et en Irak. « La fermeture du mar-ché syrien a été un acte de souveraineté

pour protéger notre industrie », justifieMtanios Habib, ancien ministre du Pétrole durégime d’Assad père et professeur d’écono-mie. Un accord a minima est finalement signéentre les deux pays en 1953. Le texteexempte une série de produits industriels etagricoles de taxes douanières et impose destarifs minimums sur certains produits impor-tés de l’étranger.

1958-1970 : LA SOCIALISATION MASSIVE DE LA SYRIE L’ÉLOIGNE DU MODÈLE LIBANAIS

Entre 1958 et 1961, l’adhésion de la Syrie àla République arabe unie de Nasser popula-rise ce qu’on appelle à l’époque le “socialis-me arabe” dans le pays et pose les bases del’orientation économique des cinquanteannées à venir. Au cours des années 1960, plus d’une cen-taine d’entreprises sont nationalisées, dontdes activités de distribution de pétrole et detransformation de coton. Près de 70 % desactivités d’import-export passent égalementsous la coupe de l’État. Le pays se dirigevers une économie providence, axée sur lesclasses populaires. Mais ce tournant déplaîtaux propriétaires terriens et au secteur privé,qui font pression pour conserver leurs activi-tés en l’état. Le gouvernement gèle alors lesnationalisations et leur laisse le champ libre

dans les secteurs de l’immobilier et laconstruction. En 1963, le parti Baas prend lepouvoir à Damas. Commence alors unepériode de socialisation radicale de l’écono-mie. Soutenu par des partisans majoritaire-ment issus des classes rurales et populaires,le parti adopte une politique économique ins-pirée du régime soviétique, dont l’État estl’acteur principal. C’est de cette époque quedate la migration d’une partie importante dela bourgeoisie syrienne vers le Liban où elles’implante durablement et y développe denouvelles affaires, avec, souvent, beaucoupde succès.De son côté, le Liban continue sa politiquede développement axée sur le commerce tri-angulaire et les services. En 1963, le “codede la monnaie et du crédit” instaure la créa-tion d’une banque centrale à l’expiration duprivilège d’émission de la Banque de Syrie etdu Liban en 1964. Cet accord fait de la livrelibanaise la seule monnaie ayant pouvoirlibératoire au Liban, une décision contestéepar la Syrie. Le pays devient alors le refugepour les capitaux et les entrepreneurs de larégion, ce qui lui vaut le surnom de “Suissedu Moyen-Orient”.Dès 1969 en Syrie, une dette extérieuregalopante et une croissance en berne remet-tent la frange plus libérale du parti sur ledevant de la scène. Après 13 coups d’Étaten 17 ans, la Syrie n’a toujours pas de poli-tique économique claire. L’arrivée de

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économiesyrie-libanHafez el-Assad au pouvoir ouvre en 1970l’ère du “infiraj” (détente), qui marque ledébut de l’ouverture et le recentrage sur lanation au détriment de la région arabe.

1970-1991 : L’INFIRAJ, SELON HAFEZ EL-ASSAD

Le nouveau président tend la main ausecteur privé en facilitant l’octroi delicences industrielles, en soutenant l’em-prunt et en entamant la dérégulation dessecteurs commerciaux et industriels. Deszones franches voient le jour à Tartous etAlep, et de nombreuses restrictions surl’import-export sont assouplies. Un décretde mars 1974 autorise les entreprises pri-vées à contracter des emprunts auprèsd’investisseurs privés pour développerleurs activités. En 1973, 32 % du com-merce extérieur est contrôlé par le sec-teur privé, selon les conclusions de SyedAziz el-Ahsan dans son ouvrage“Economic policy and class structure inSyria : 1958-1980”. Néanmoins, la créa-tion d’un code pénal économique placeune épée de Damoclès au-dessus desimportateurs, qui risquent la prison aumoindre écart par rapport aux réglemen-tations. L’arrêt de l’activité du pipeline venant dunord de l’Irak en 1976, qui était une largesource de devises étrangères en taxes detransit depuis les années 1940, affecte lesfinances du pays. Puis la détérioration duniveau de vie des classes populaires, ter-reau politique du régime, pousse Hafez el-Assad à revenir en 1977 aux recetteséprouvées de l’économie socialiste, entaxant lourdement les entreprises privéestout au long des années 1980. La chutedes prix du pétrole assèche les revenus del’État, qui doit alors faire face à l’inflationet une dette extérieure qui atteint 2,3 mil-liards de dollars en 1983. Entre 1982 et1987, le PIB par habitant chute de 15 %.Plutôt que de demander de l’aide aux ins-titutions financières internationales, Assadmise alors sur le secteur privé. Le gouver-nement favorise les exportations à tousprix, au détriment des besoins du pays. Cette tendance va aboutir à la loi 10 de 1991sur l’investissement, tournant dans l’histoireéconomique syrienne.Pendant que la Syrie cherche à accommoderl’idéologie socialiste, l’économie libanaiseest de son côté en proie avec les affres de laguerre. Destructions des infrastructures,pertes matérielles et humaines, les forces

vives du pays sont atteintes. Le coup le plusrude vient de la dévaluation monétaire dansles années 1980 qui appauvrit des pansentiers de la population. Bien que le secteurprivé ait continué de faire preuve d’un trèsgrand dynamisme tout au long du conflit,l’économie en sort exsangue et le “modèle”libanais doit être entièrement revu à la fin dela guerre.

1991-2005 : TIMIDE OUVERTURESYRIENNE, UN LIBAN SOUS INFLUENCE

Au début des années 1990, l’impossibilitédu secteur public à générer suffisamment decroissance pousse le régime de Hafez el-Assad à sortir progressivement du modèled’économie dirigée (voir interview Jihad Yazigipage 40). L’émergence d’une nouvelle bour-geoisie contribue par ailleurs à différencier lesacteurs économiques et politiques, aupara-vant étroitement liés. Les entrepreneurs liba-nais mettent alors le pied dans la porte. Ilscommencent à investir dans un marché éco-nomiquement vierge en termes de services etoù tout est à moderniser.Au niveau macroéconomique, les relations éco-nomiques entre les deux voisins sont codifiéesdès 1991 par une série d’accords placés dansle cadre du traité de fraternité, de coopération etde coordination (voir page 30).Au-delà de ce cadre global, les flux finan-ciers entre les deux pays empruntent sou-vent des voies aux frontières de la légalité.Trafics et prises d’intérêts dans diversesactivités illicites auraient rapporté jusqu’à unmilliard de dollars par an à la Syrie, selon unrapport américain de 1992.Pendant cette période de “reconstruction”au Liban, les besoins de l’économie libanai-se à l’égard de la Syrie (main-d’œuvre bonmarché, électricité, produits alimentaires…)sont en phase avec les intérêts économiquesde la Syrie et sa volonté d’ingérence dans lesaffaires libanaises.

DEPUIS 2005 : UNE NOUVELLE ÈRE ?

Arrivé au pouvoir en 2000, Bachar el-Assadpoursuit la désétatisation de l’économiesyrienne. Le jeune président « souhaite ins-taurer un changement radical rendu néces-saire par deux choses : la montée en puis-sance du chômage et la réduction des reve-nus pétroliers qui représentaient 70 % dubudget du gouvernement en 1991, contremoins de 30 % aujourd’hui », explique FuadLahham, directeur général de FLManagement Consultants à Damas.

Le président transfère peu à peu la prise dedécision au ministère des Finances et à laBanque centrale. En 2005, le 10e Congrès duparti Baas lance officiellement le processus detransition visant à passer d’une économie pla-nifiée à une économie “sociale de marché”. Cesigne d’ouverture reste toutefois limité, car leprocessus est freiné par les blocages et leslenteurs de l’administration syrienne.Parallèlement, au Liban, 2005 marque la fin del’occupation syrienne. Les tensions politiquesentre les deux pays paralysent le Haut Comitésyro-libanais et entraînent des mesures derétorsion à la frontière. Cela se traduit par unechute des échanges commerciaux entre 2005et 2006. Mais l’année suivante, le volumed’importations et d’exportations entre les deuxpays a dépassé son niveau de 2005, et il n’acessé d’augmenter depuis. En juillet 2008, leSyria Report soulignait que « les échangescommerciaux bilatéraux ont en réalité augmen-té après la mort en février 2005 de Rafic Hariri.En 2007, ils ont atteint un niveau inégalédepuis seize ans ».L’implantation d’entreprises libanaises enSyrie augmente : banques, assurances etentreprises de services du pays du Cèdreoccupent une place de choix sur la placede Damas. Les spécialistes voient le libéra-lisme économique du Liban comme unesoupape de sécurité indispensable au régimede Damas pour freiner la sortie de son systè-me autocentré et ainsi conserver une certainestabilité sociale. « Le taux de chômage offi-ciel est aujourd’hui d’environ 15 %, maisle chômage réel est plutôt de l’ordre de54 % », s’inquiète Mtanios Habib, quin’ose pas imaginer la situation si le payss’ouvre trop vite à l’économie de marché.En parallèle, la Syrie apparaît aux entrepre-neurs libanais comme un marché naturelpour leur expansion géographique. Si ellesn’ont jamais été complètement rompues,même au plus fort des tensions politiques,les relations économiques et commercialesentre les deux voisins sont désormais enphase d’intensification.

Les flux financiers entre les deux pays

empruntent souvent

des voies aux frontières de la légalité

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Fraternité, coopération et coordinationDu traité à la réalitéSahar al-Attar

D epuis la fin de la guerre civile, lesrelations entre le Liban et la Syriesont régies par le traité de fraternité,

de coopération et de coordination, signé le22 mai 1991 à Damas par les présidentsÉlias Hraoui et Hafez el-Assad. Selon ledeuxième article de ce traité, les deuxÉtats sont tenus de « coopérer et coordon-ner leur action dans les domaines de l’éco-nomie, de l’agriculture, de l’industrie, ducommerce, des transports et communica-tions et des douanes, entreprendre desprojets communs et coordonner leurs plansde développement ». Pour réaliser cet objectif, le traité prévoitla création d’un haut conseil syro-liba-nais, composé des présidents, desPremiers ministres, des vice-Premiersministres et des présidents de la Chambredes deux pays. Cet organe, qui doit seréunir une fois par an et dont les résolu-tions ont force obligatoire, est assisté parles commissions ministérielles (se réunis-sant tous les deux mois), ainsi que par unsecrétariat général basé à Damas et diri-gé par Nasri Khoury. Du traité de fraternité découleront une qua-rantaine d’accords bilatéraux et plus dequatre-vingts protocoles, contrats, memo-randums d’entente et autres outils de coopé-ration, couvrant tous les aspects des rela-tions entre les deux pays. Au niveau économique, un accord-cadre estconclu en 1993, consacrant le principe de laliberté de circulation des hommes, des mar-chandises et du capital, en vue de l’établis-sement d’un marché commun. Une dizained’autres accords suivront. Pas un domainene sera dispensé : industrie, agriculture,transport maritime, aérien et ferroviaire, tra-vail, tabac, électricité, eau, fiscalité, poste,télécommunications, investissements… En théorie, la coopération entre pays voi-sins est un objectif louable, à conditiond’avoir été négociée dans l’intérêt desdeux États. Or, le pouvoir de négociation

de la partie libanaise était sérieusementlimité à l’époque, ne serait-ce que par laprésence des soldats syriens sur le sollibanais. Un acteur des négociations se souvient decomment se déroulaient les réunions : « Laplupart du temps, la délégation libanaisearrivait à la table sans aucune préparation etrepartait après avoir paraphé un texte entiè-rement élaboré par les Syriens. »Ce déséquilibre dans le rapport de forces’est fait notamment sentir dans l’accord surle partage des eaux de l’Oronte, signé en1994. Avant d’être amendé en 2002, letexte privilégiait clairement les intérêtssyriens. Cette époque est-elle révolue ? Le gou-vernement actuel veut le croire. Cinq ansaprès le retrait des troupes syriennes, l’É-tat libanais s’estime en mesure de(re)négocier avec son voisin. Après savisite à Damas, le Premier ministre SaadHariri a demandé aux membres du gou-vernement de se pencher sur les accordslibano-syriens relevant de leurs compé-tences. Des pourparlers avec les autoritéssyriennes devraient commencer à partirde mars, en principe. Le travail de préparation est loin d’être ter-

miné. Mais selon une source ministérielle,le Liban ne réclamera sans doute pas larévision d’accords à caractère écono-mique. « En général, les textes sont équi-tables et respectent le principe de réciprocité.Les problèmes se situent surtout au niveau del’application. C’est de cela que nous parleronsavec les Syriens », explique-t-elle.Quand les textes sont appliqués, et cen’est pas le cas de tous, ils ne le sont quepartiellement. Dans les accords de coopé-ration industrielle et agricole, parexemple, seul le volet relatif à l’abaisse-ment des droits de douane a été mis enœuvre. Le rapprochement prôné auniveau des politiques sectorielles desdeux pays ainsi que l’appel à entre-prendre des projets communs sont restéslettre morte. Ce manque de coordination a produit deseffets indésirables, comme l’a expliquéGeorges Corm lors de son intervention à uncongrès sur les relations syro-libanaisesl’année dernière à Damas. « Les diver-gences croissantes au niveau des poli-tiques économiques dans les deux pays ontengendré une grande différence dans lastructure des prix, des rémunérations etdes salaires entre les économies libanaises

La signature du traité de fraternité, de coopération et de coordination, le 22 mai 1991 à Damas par les présidents Élias Hraoui etHafez el-Assad.

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et syriennes. Cela a eu des répercussionsnégatives », a souligné l’ancien ministredes Finances, en citant la contrebande,l’afflux massif d’ouvriers syriens sanscouverture sociale et le coup porté à lacompétitivité des produits libanais par lapolitique de subventions agricoles etindustrielles en Syrie. Inversement, lesbanques libanaises ont longtemps profitéde la faiblesse du secteur bancaire syrien.Mais « depuis la libéralisation partielle, lesbanques libanaises sont présentes en Syrieen partenariat avec le secteur privé syrien.C’est un premier pas vers une complémen-tarité saine », a-t-il ajouté. Cette situationreste toutefois exceptionnelle. L’ancien ministre des Finances s’est ainsiétonné que les secteurs productifs libanaiset syriens n’aient pas profité davantagede l’écart dans la structure des coûtsentre les deux pays pour accroître leurcompétitivité. Il a cité le cas des produc-teurs de vin libanais qui importent des rai-sins syriens. Mais « dans l’industrie textile,qui s’est pratiquement effondrée au Liban enraison de la concurrence asiatique, je ne suispas au courant d’un partenariat libano-syrien, ni dans le secteur pharmaceutique en

plein développement en Syrie contrairementau Liban », a-t-il déploré. Pourtant le contexte est favorable à des par-tenariats, car les différences dans les orien-tations économiques des deux pays tendentà s’estomper, note pour sa part le directeurdu centre de recherche de la Chambre decommerce, d’industrie et d’agriculture deBeyrouth, Albert Nasr. « Au Liban, la visiond’une économie complètement dépendantedes services fournis à la région est remi-se en question », affirme-t-il, en souli-gnant l’érosion de la compétitivité duLiban au niveau du commerce triangulaireet des services financiers, en raison del’émergence d’autres acteurs régionaux,comme Dubaï. Pour assurer une croissance durable, leLiban devra encourager aussi ses secteursindustriel et agricole. De son côté, la Syrie a avancé sur la voie dela libéralisation. Mais son industrie, commecelle du Liban, a besoin de capter davantagede marchés à l’export, à travers les écono-mies d’échelle, les technologies et l’amélio-ration de la qualité. « Les différences de conceptions, d’aspira-tions et de politiques, qui avaient mis les

deux économies sur des voies divergentes,n’ont pas résisté à quatre décennies d’évo-lution économique : les économiessyriennes et libanaises doivent releveraujourd’hui les mêmes défis », conclutAlbert Nasr.

Accords à caractère économique : - Accord de coopération et de coordinationéconomique et social (Beyrouth 1993).- Accord sur la circulation des personnes etdes biens (Beyrouth 1993).- Accord de coopération et de coordinationdans le domaine agricole (Beyrouth 1993).- Accord sur la distribution des eaux del’Oronte (Damas 1994).- Accord bilatéral sur le travail (Beyrouth1994).- Accord sur la double imposition et l’éva-sion fiscale (Damas 1997).- Accord sur la promotion et la protectiondes investissements (Damas 1997).- Accord sur l’établissement de postes fron-tières communs (Damas 1997).- Accord sur la navigation maritime com-merciale (Damas 1999).- Accord sur les principes de livraison et devente de gaz brut entre le Liban et la Syrie(Beyrouth 2001).- Accord bilatéral sur la connectivité élec-trique (Beyrouth, 2001).- Accord sur les services aériens (Damas,2001).

- Accord de partage des eaux du Nahr el-Kébir (Beyrouth 2002). - Accord de coopération douanière (Damas2004).- Accord sur le transport aérien (Beyrouth2004).- Accord pour faciliter la création de compa-gnies maritimes communes (Beyrouth 2004).- Accord de création d’une compagnie liba-no-syrienne pour les industries du tabac(Beyrouth 2005).

Exemples de protocoleset mémorandums d’entente :- Protocole de coopération industrielle(Damas 1993). - Protocole de coopération végétale et ani-male (Damas 1993). - Contrat d’approvisionnement électrique duvillage libanais de Tufayl (Damas 1995). - Accord de création du Conseil des affairessyro-libanais (Damas 1995).- Protocole de coopération sur les servicespostaux (Damas 1995).- Accord de coopération entre les Chambresd’industrie de Damas et d’Alep, et l’Association

des industriels libanais (Damas 1998).- Accord de coopération dans le domainedes télécommunications (Beyrouth 1999).- Mémorandum d’entente entre Syrian ArabAirlines et Middle East Airlines (Beyrouth1999). - Accord entre les deux ministères del’Industrie sur les certificats d’origine(Damas 2000).- Accord de fraternité et de coopérationentre les ports de Tartous et de Tripoli(Tartous 2002).- Accord de fraternité et de coopérationentre les ports de Lattaquié et de Beyrouth(Lattaquié 2002).- Mémorandum d’entente sur l’unificationdes principes de transport de marchandisesdes camions libanais, syriens et jordaniens(Beyrouth 2002). - Protocole de coopération dans le domainede l’exploration de gaz et de pétrole (Damas2002).- Mémorandum d’entente sur l’échanged’informations financières relatives au blan-chiment d’argent et au financement du ter-rorisme (2006).

Une longue liste de textes bilatéraux

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Le Premier ministre Saad Hariri avec le président syrienBachar el-Assad, lors de sa visite à Damas.

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D ans le cadre de l’accord de coopéra-tion économique signé en 1993, leLiban et la Syrie se sont engagés à

libéraliser progressivement leurs échangescommerciaux dans l’objectif d’établir, àterme, un marché commun. Cela s’est traduit par une baisse graduelledes tarifs douaniers à partir de 1999. Lesdroits de douane sur les produits industrielsont été réduits de 25 % par an, tandis queles droits sur les produits agricoles ont bais-sé de 50 % en 1999, puis de 10 % par an.Les barrières tarifaires ont ainsi disparu pourla grande majorité des produits échangésentre les deux pays, mais d’autres obstaclesdemeurent. « Le Liban a toujours opté pour un régime libé-ral et l’accord de libre-échange avec la Syrien’est qu’un accord parmi tant d’autres conclusces 20 dernières années », note le directeurdu centre de recherche de la Chambre decommerce, d’industrie et d’agriculture deBeyrouth (CCIAB), Albert Nasr.La Syrie, en revanche, a longtemps pratiqué

une politique protectionniste. Le régime com-mercial syrien s’est certes beaucoup assouplices dernières années, mais les autoritéscontinuent de protéger des secteurs-clés. « Ilreste de nombreuses barrières non tarifaires,notamment certaines taxes qui peuvent majo-rer les prix des produits libanais en Syrie del’ordre de 20 % », déplore Fadi Abboud (inter-rogé en tant que président de l’Associationdes industriels, avant de devenir ministre duTourisme). Dans un rapport élaboré en 2008,la CCIAB a identifié des dizaines d’obstaclescôté syrien, allant des autorisations d’importa-tion aux mesures de sauvegarde, en passantpar les monopoles publics d’importation decertains produits, la priorité accordée à la pro-duction locale dans les appels d’offres… etc. « Je me souviens que lors du dernier roundde négociation commerciale tenu en 2005,le ministre syrien du Commerce a soulignéque son pays était engagé sur la voie desréformes. Mais il a prévenu que cela prendradu temps et qu’il n’y aura pas d’ouverturetotale du marché avant que le processusn’ait abouti », raconte Albert Nasr. Les commerçants libanais déplorent égale-ment la complexité des démarches adminis-tratives et la lenteur des formalités doua-nières en Syrie. « Aujourd’hui ça prend du temps et ça coûtedonc de l’argent d’exporter en Syrie,explique le PDG d’une société de transports,Mourad Aoun. D’un côté, il y a le problèmede la bureaucratisation et du manque d’in-formatisation des autorités syriennes, et celan’a rien à voir avec les produits libanais enparticulier. De l’autre, il y a eu les tensionspolitiques entre les deux pays qui ont parfoisentraîné des mesures de rétorsion aux fron-tières et qui ont surtout gelé la coopérationentre les deux parties. »Mais ces obstacles n’ont pas empêché lesproduits libanais de percer sur le marchévoisin, du moins dans les chiffres. Alors quela Syrie s’est placée à la 17e place sur laliste des fournisseurs du Liban en 2008, ellea été le quatrième marché le plus importantpour les produits locaux.Selon les douanes libanaises, depuis 1993les exportations vers la Syrie ont plus quequadruplé. Sur les onze premiers mois de

2009, dans un contexte de crise mondiale,les exportations vers la Syrie ont baissé deseulement 1,95 % par rapport à la mêmepériode de 2008, contre une baisse desexportations totales du pays de 3,28 % surun an. Les exportations libanaises vers la Syrie sonttoutefois surestimées, car les chiffres desdouanes incluent le transit et le réexport,souligne Fadi Abboud. Parallèlement, les importations de Syrien’ont cessé de reculer depuis 2003. Surles onze premiers mois de 2009, la valeurdes produits importés du pays voisin abaissé de 17,7 % par rapport à la mêmepériode de 2008, tandis que l’ensembledes importations libanaises a reculé deseulement 0,93 %. En termes relatifs, lapart de la Syrie dans le total des importa-tions du Liban est passée de 4,55 % en2000 à 1,7 % en 2008.La tendance baissière pourrait s’expliquerpar le tarissement des ressources pétrolièressyriennes, tandis que le tissu industriel localest sous-développé. « La production syrien-ne pâtit de problèmes de qualité, ou dumoins d’une perception négative de la partdes consommateurs libanais », souligne unhomme d’affaires syrien.Mais pour Fadi Abboud, les importationsmesurées par les douanes libanaises sontloin de refléter la réalité. « Les exportateurssyriens minorent les factures pour payermoins de TVA. En ce qui concerne les pro-duits de consommation courante, la réalitéest cinq fois plus importante, en valeur »,affirme-t-il. Et c’est sans compter la contre-bande (voir page 39), ni les achats de parti-culiers évalués à environ 90 millions de dol-lars par an.Sur les onze premiers mois de 2009, le tauxde couverture des importations de la Syriepar les exportations vers la Syrie a été de96,2 % contre un taux de 21,5 % pour l’en-semble des échanges commerciaux duLiban. Dans les chiffres, la Syrie est doncl’un des rares partenaires avec lesquels leLiban entretient des relations relativementéquilibrées. Mais dans la réalité, il est diffici-le de savoir dans quel camp penche vrai-ment la balance.

Commerce : l’accès au marché syrien limitépar les obstacles non tarifairesS. A.

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Pour Fadi Abboud (interrogé en tant que président de l’Associationdes industriels), « il reste de nombreuses barrières non tarifaires,notamment certaines taxes qui peuvent majorer les prix des produits libanais en Syrie de l’ordre de 20 % ».

Page 7: Bilandes relations économiques libano-syriennes

L e Liban et la Syrie partagent deuxfleuves : l’Oronte appelé Nahr el-Assi (lerebelle en arabe parce qu’il coule du Sud

vers le Nord contrairement à tous les autresfleuves du Moyen-Orient) et le Nahr el-Kébir. L’Oronte, qui prend sa source dans la régiondu Hermel au Liban avant de traverser laSyrie et de déboucher en Méditerranée via laTurquie, est un fleuve important pour laSyrie. Son exploitation est prioritaire pourl’eau potable, notamment pour alimenter laville de Hama, et pour l’irrigation de nom-breuses cultures dans les plaines syriennes.Au Liban, en revanche, son utilisation s’estlongtemps limitée à la pisciculture et à despetites parcelles irriguées par des forageslocalisés dans la région de Kaa, souligne ledirecteur général des Ressources hydrau-liques et électriques, Fadi Comair, dans sonouvrage “Gestion et hydrodiplomatie de l’eauau Proche-Orient”. Les négociations sur le partage de ces res-sources ont commencé dès les années1940. Le Liban réclamait alors 126 millionsde mètres cubes sur les 400 millions quecompte en année moyenne le débit del’Oronte, tandis que la Syrie ne souhaitait enconcéder que 60. Un accord est signésoixante ans plus tard, dans un contexte demainmise syrienne sur le Liban. En 1994, leministre de l’Énergie et de l’Eau de l’époque,Élias Hobeika, signe un texte accordant à l’É-tat libanais un droit de prélèvement de 80millions de m3/an, répartis par périodes, àcondition que le débit du fleuve soit supé-rieur à 400 mm3. Si le volume est inférieur à400 mm3, le Liban ne bénéficie que de 20 %du débit annuel. Cet accord a été dénoncé par certains expertsainsi que par le patriarche maronite commeallant à l’encontre des intérêts libanais. « Un tiers des quantités sont allouées auLiban en période d’hiver donc hors périoded’irrigation, explique Fadi Comair dans sonouvrage. Le texte ne dit rien concernant lesinfrastructures de stockages comme les bar-rages de dérivations ou d’accumulation pourexploiter la quote-part libanaise au prin-temps et en été, lorsque l’irrigation estnécessaire à l’agriculture. » Les négociations reprennent donc en 1999.

La partie libanaise réclame l’introduction desprincipes de la convention internationale desNations unies sur le partage des cours d’eauinternationaux de 1997, ratifiée par lesParlements libanais et syrien : utilisationéquitable et raisonnable de l’eau, obligationde ne pas causer de dommages significa-tifs, coordination entre pays riverains, pro-tection de la qualité de l’eau, etc. Le Liban exige également le droit deconstruire un barrage de dérivation et unestation de pompage directement auprès dessources de Aïn Zarka et Daffash, ainsi qu’unbarrage de stockage en amont du pont deHermel. Ces projets devaient permettre d’ir-riguer une superficie de 7 000 hectares dansla région pauvre du Hermel et de produirejusqu’à 50 mégawatts d’électricité hydrau-lique. Malgré la réticence de la Syrie àaccorder au Liban le contrôle du débit enamont du fleuve, un nouveau texte est signéen 2002. En plus des 80 millions de mètrescubes, le Liban obtient 16 millions supplé-mentaires correspondant aux eaux extraitespar les forages réalisés avant la signature del’accord. « Nous sommes passés d’unaccord perdant-gagnant à un accordgagnant-gagnant », affirme Fadi Comair, l’undes principaux acteurs des négociations.Mais certains chercheurs, comme le profes-

seur à l’Université libanaise Issam Khalifé,réfutent cette affirmation et réclament unereprise des négociations sur de nouvellesbases. « Il est clair que les discussions entre les prési-dents Assad et Frangié dans les années 1970avaient lieu sur des bases plus équitables,puisque le rapport des forces n’était pas lemême, tempère Moussa Nahmé, professeur àl’AUB. Mais au lieu de réclamer aujourd’hui desquantités supplémentaires, il faudrait s’interro-ger sur ce qu’ont fait les autorités libanaises desquantités allouées. » Rien. Car aucun barrage n’a encore vu le jour côtélibanais, tandis que la Syrie a entrepris tousles aménagements nécessaires pour exploi-ter les eaux de l’Oronte. Ces barrages étaient prévus dans le cadre de lastratégie décennale de l’eau de l’État libanais,financée par le budget et programmée pour2000 à 2010. Mais cette stratégie est sanscesse reportée faute de financements et d’inté-rêt pour les projets hydrauliques. Les travaux du barrage de dérivation avaientpourtant débuté quelques mois avant laguerre de juillet. Le chantier dont le coûts’est élevé à 27 millions de dollars a subi desdégâts importants durant l’offensive israé-lienne. La société chinoise en charge du pro-jet a réclamé au Haut Comité de secours

34 - Le Commerce du Levant - Février 2010

Partage des eaux fluviales :des accords controversésS. A.

économiesyrie-liban

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36 - Le Commerce du Levant - Février 2010

économiesyrie-liban800 000 dollars d’indemnités, sans succès.La compagnie a donc porté plainte et récla-me désormais plus de quatre millions de dol-lars de dédommagements. En attendant lechantier est au point mort. Quant au deuxième projet, le barrage destockage, il vient d’être envoyé pour adjudi-cation. Initialement prévu en juin 2007 pour39 millions de dollars, ce barrage devraitdésormais coûter 135 millions de dollars. Le scénario est quasi identique en ce quiconcerne le fleuve Nahr el-Kébir. Alors que,de son côté de la frontière, la Syrie a déjàconstruit deux barrages sur ce fleuve, le

Nahr el-Kébir reste inexploité au Liban. Unaccord présenté par Fadi Comair comme un« exemple de coopération entre deux paysriverains » a pourtant été signé en 2002. Letexte alloue 40 % des eaux au Liban et 60 % àla Syrie, en fonction de la surface des bas-sins versants dans les deux pays. L’accordprévoit également la construction d’un bar-rage financé par les deux parties à égalité,alors que le Liban en profite davantage,puisque la Syrie stocke déjà plus de lamoitié des eaux allouées dans les deuxbarrages situés sur son territoire. Côtélibanais, ce barrage peut « augmenter la

surface irriguée dans la région du Akkard’environ 10 000 hectares », selon l’ou-vrage de Fadi Comair. Le coût initial du projet était estimé à 50 mil-lions de dollars, dont la moitié devait êtreassurée par le Liban. Mais l’adjudication qui devait avoir lieu en2005 n’a pas été signée par le ministre del’époque et la société ayant réalisée l’étu-de préliminaire réclame des indemnitésde 600 000 dollars. Le versement de cettesomme, qui doit être partagée entre le Libanet la Syrie, doit encore faire l’objet d’unaccord entre les deux parties.

E n 2002, les ministres libanais et syriendes Transports ont posé la premièrepierre d’un projet conjoint de réhabilita-

tion d’une ligne ferroviaire de 36 kilomètresreliant le port de Tripoli au village frontalier deAbboudiyé, tête de ligne du réseau syrien. Maisle projet n’a jamais été mis en chantier.Il a été réactivé cinq ans plus tard, aumoment de la reprise des travaux de moder-nisation du port de Tripoli. Fin 2007, leConseil du développement et de la recons-truction (CDR) a donc été chargé de trouverles 35 millions de dollars nécessaires auprojet, qui prévoit le remplacement d’uneancienne ligne à large voie par une lignemoderne aux normes internationales. Untrain électrique devrait ainsi permettre derelier les quais du port de Tripoli au réseauferroviaire syrien (lui-même connecté auxréseaux turc, jordanien et iranien), à unevitesse de 160 kilomètres par heure. « Cette ligne contribuerait à relancer l’activi-té de transit du port de Tripoli, notammentvers l’Irak, au moment où les ports deTartous et Lattaquié commencent à êtresaturés », souligne une source informée. Selon l’accord libano-syrien, la nouvelle lignesera la propriété de l’Office des chemins de feret du transport en commun libanais (OCFTC)mais les travaux seront exécutés par l’Officedes chemins de fer de Homs. Ce dernier seraéventuellement appelé aussi à exploiter laligne, étant donné le manque de savoir-fairecôté libanais. L’OCFTC compte en effet unevingtaine d’employés, uniquement chargés deprotéger les propriétés de l’office.

Le choix de cette formule, au détriment del’organisation d’un appel d’offres pour uncontrat BOT par exemple, a été déterminépar « la nécessité de s’assurer la coopéra-tion syrienne, puisque le moindre problèmede l’autre côté des frontières peut paralyserla ligne », explique la source précitée. Selon l’étude de faisabilité réalisée parl’OCFTC, cette ligne pourrait rapidementdevenir rentable et pourrait à terme êtrereliée à Chekka. Encore faut-il trouver les financements.L’année dernière, le ministre Ghazi Aridiavait déclaré être en contact avec le Fondskoweïtien pour le développement à ce pro-pos, mais pour le moment aucune annonceofficielle n’a eu lieu. Une fois les fonds levés,

les travaux devraient durer 18 mois. En attendant, un autre projet est égalementsur les rails. Il s’agit de réhabiliter une petitevoie d’environ 17 kilomètres reliant Riyak,dans la Békaa, à la ville frontalière deSerghaya en Syrie, elle-même reliée àDamas. Contrairement à la ligne Tripoli-Abboudiyé, essentiellement à caractèrecommercial, ce projet vise plutôt le transportde passagers. La vitesse du train, à vapeur,ne dépassera pas les 40 kilomètres parheure. Les travaux seront également menéspar l’Office des chemins de fer syrien etfinancés par le Trésor libanais. Le coût duprojet est estimé à environ un million de dol-lars. Selon la source précitée, trois kilomètresde rails ont déjà été réhabilités.

Transport ferroviaire : deux anciens projets à nouveau sur les railsS. A.

Cérémonie de pose du dernier rail à Damas de la ligne Beyrouth-Damas inaugurée le 3 août 1895.

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Page 9: Bilandes relations économiques libano-syriennes

économiesyrie-liban

L es Syriens sont incontestablement lamain-d’œuvre étrangère la plus impor-tante au Liban. Combien sont-ils actuel-

lement ? Difficile à dire. Théoriquement, selonl’accord bilatéral signé en 1994, les Syriens doi-vent obtenir un permis de travail annuel, ou untitre temporaire pour les travailleurs saisonniers.Or, l’Administration centrale de la statistique n’arecensé que 275 nouveaux permis de travailaccordés à des Syriens et 370 permis renouve-lés en 2008, contre plus de 15 000 permisrenouvelés à des Égyptiens. De son côté, ladirection de la Sûreté générale a comptabiliséen 2008 plus de 2,5 millions d’entrées de res-sortissants syriens et 2,09 millions de sorties. C’est en se basant sur les chiffres de la Sûretégénérale (qui ne font toutefois pas de distinctionentre travailleurs et touristes, et ne permettentpas de détecter les entrées multiples d’unemême personne) que des professeurs commeBassam el-Hachem ou Michel Morkos ont esti-mé la main-d’œuvre syrienne dans les années90 à plus d’un million d’individus. Ces estima-tions avaient suscité un tollé général, alors quele Haut Comité libano-syrien avançait le nombrede 253 000 en 1998. Début 2005, AmnestyInternational parlait de 400 000 à 600 000ouvriers syriens. Selon différentes sources, aujourd’hui ilsseraient environ 300 000 à travailler au Liban,avec ou sans carte de séjour temporaire, sanspermis de travail, sans couverture sociale, dansdes logements insalubres. « Leur nombre aclairement baissé d’abord grâce à une amélio-ration des conditions économiques en Syrie,explique le professeur à l’Université libanaiseBassam el-Hachem. Il y a aussi la disparition dela “voie militaire” par laquelle passaient beau-

coup de Syriens sans aucun contrôle. » Il y a quelques années, les Syriens pratiquaienttout genre de métiers : vendeur ambulant,coursier, pompiste, employé de supermarché,gardien d’immeuble… Aujourd’hui leur présen-ce semble davantage limitée à quelques sec-teurs qui continuent de profiter, voire d’abu-ser, de cette main-d’œuvre bon marché. « 85à 90 % des ouvriers non qualifiés sur les chan-tiers sont syriens », reconnaît un entrepreneurlibanais. Leurs salaires ont été tirés vers le hautpar le boom de la construction dans la région,mais ils restent avantageux. « Autrefois, nouspayions 8 à 9 dollars par jour. Aujourd’hui, unSyrien est rémunéré entre 12 et 15 dollars,contre 20 dollars minimum pour un Libanais, sion en trouve », poursuit-il. Le mode de recrutement est simple, « nousnégocions avec des “chefs de gang”, qui repré-sentent des villages entiers en Syrie », expliquel’entrepreneur. Outre son prix imbattable, la main-d’œuvresyrienne a l’avantage d’être “flexible”. N’étantliés par aucun contrat de travail, ces ouvrierssont embauchés puis renvoyés selon le tauxd’activité et les jours chômés ne sont évidem-ment pas payés. Cette flexibilité séduit égale-ment les exploitants agricoles qui cherchent unemain-d’œuvre saisonnière. Dans l’industrie, enrevanche, « les ouvriers syriens représententmoins de 5 % de la masse salariale, car ils nesont pas stables. À peine formés, ils repartenten Syrie », affirme Fadi Abboud (actuel ministrede l’Industrie, il a été interrogé en tant que pré-sident de l’Association des industriels). Les employés d’autres nationalités viennent leplus souvent sous des contrats de trois ans,mais ils ont l’inconvénient de coûter cher.

« Pour un Égyptien, l’entreprise doit payer490 000 livres pour le permis de travail,400 000 livres pour la carte de séjour,130 000 livres le contrat chez le notaire,300 000 livres d’assurance, 900 000 livrespour la CNSS, 1 000 dollars de dépôts à laBanque de l’habitat et le coût de la procédurequi est de 300 dollars », détaille Fadi Abboud.Soit un total de plus de 2 700 dollars. La régularisation de 300 000 travailleurs syrienspourrait ainsi rapporter plus de 170 millions dedollars par an au Trésor libanais en permis detravail et de séjour, sans parler de la CNSS etdes impôts sur le revenu. Au-delà de l’aspect financier, « ce n’est pasnormal qu’un pays ne puisse pas réguler lamain-d’œuvre étrangère sur son territoire grâceaux permis de travail », estime Bassam el-Hachem. La Syrie, en revanche, n’hésite pas à intervenirdans ce domaine, comme en témoigne la déci-sion récente des autorités de limiter le tauxd’emploi des étrangers dans les banquessyriennes à 3 %, une décision qui a notammenttouché des Libanais. Mais une régularisation de la main-d’œuvresyrienne au Liban signifierait la fin du privilègeaccordé à nos voisins par rapport aux autrestravailleurs étrangers. Pour justifier ce privilège,l’argument le plus souvent avancé est celui dela compétitivité de l’économie libanaise, dopéepar la main-d’œuvre syrienne, très bon marchéet corvéable à merci. Cela était peut-être vrai àl’époque où l’agriculture libanaise avait unpoids. Selon une étude réalisée en 2008 par InfoPro,75 % des Syriens au Liban travaillent dans lebâtiment, un secteur dont la contribution globa-le à la compétitivité de l’économie est faible.Pour les professionnels du secteur, une régula-risation augmenterait les coûts de construction,« mais ce ne serait pas catastrophique, surtoutque les ouvriers du bâtiment ne bénéficient pasde la CNSS, affirme l’un d’entre eux. J’emploieaujourd’hui quelques Indiens sur le chantier quime coûtent 14 à 15 dollars par jour à cause despermis de travail et de séjour, contre 12 à 13dollars au noir ». En fermant les yeux, les autorités libanaisesincitent donc les entrepreneurs à recruter desSyriens, alors que ces derniers consomment

Les ouvriers syriens,une main-d’œuvre bon marchéS. A.

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très peu au Liban, renvoyant la quasi-totalité deleurs salaires en Syrie. Le régime baasiste a donc tout intérêt à conser-ver cet avantage. Dans un article publié en2007, le chercheur Fabrice Balanche affirmequ’« une année normale, c’est-à-dire sans

guerre ou dépression économique au Liban, lesremises des travailleurs syriens provenant duLiban peuvent être estimées approximativementà un milliard de dollars ». « Selon les années,ce sont entre 10 et 15 % des actifs syriens quitravaillent au Liban. Sans le Liban, le chômage

passerait en Syrie de 20 % à plus de 30 % dela population active », ajoute-t-il. Depuis 1991, tous les ministres du Travail liba-nais étaient d’ailleurs membres de partis poli-tiques proches de la Syrie… jusqu’à l’arrivéerécente de Boutros Harb.

39 - Le Commerce du Levant - Février 2010

D ans un rapport publié en 2007, desexperts onusiens chargés d’évaluer lasituation à la frontière libano-syrienne

(LIBAT – Lebanon Independant BorderAssessment Team) ont noté « qu’au cours despresque 30 ans de présence et d’influencesyriennes au Liban, aucune mesure de sécuritéà la frontière n’a jamais été mise en œuvre.Cette situation a (…) débouché sur la créationde réseaux politico-commerciaux des deuxcôtés de la frontière qui n’étaient pas obligés derespecter la législation sur la circulation desbiens ». Ces réseaux ont survécu au retrait destroupes syriennes et continuent d’ignorer les loisen toute impunité.« Les affaires se portent très bien », confirmeHassan*, un contrebandier du Akkar qui affir-me gagner plus de 6 000 dollars nets parmois. « Les militaires sont partis, mais lesmêmes personnes, au Liban et en Syrie, assu-rent la continuité du trafic », ajoute-t-il. Dans le Nord, comme dans d’autres régionsfrontalières, la contrebande est tellement bana-lisée que les passeurs se font appeler “com-merçants”. « Je ne travaille pas vraiment dansla clandestinité, explique-t-il. J’ai un bureau quia pignon sur rue, neuf fourgonnettes qui font letrajet vers la Syrie tous les jours et deuxcamions frigorifiques. J’emploie dix-sept per-sonnes. » Et il n’est pas seul à frauder l’État tous les jours.« Il y a environ 700 contrebandiers “connus” auLiban », affirme Hassan. Selon lui, la contrebande a commencé à« s’institutionnaliser » à partir des années 1990.« Lorsque j’ai commencé, en 1986, les paquetsétaient transportés à travers le fleuve el-Kébir[qui sert de frontière naturelle entre les deuxpays au Nord]. Puis j’ai développé des contactsqui m’ont permis d’emprunter les points depassage officiels sans être inquiété. » Des “contacts” au prix fort : Hassan consacre5 500 dollars par mois pour s’acheter la com-plicité de hauts responsables douaniers et mili-taires, sans parler des petites sommes verséesdirectement aux postes frontières.Alors qu’au début des années 90 le protection-

nisme du régime baassiste alimentait la contre-bande du Liban vers la Syrie, le sens du trafics’est progressivement inversé. « À l’époque, nous faisions passer des ciga-rettes, des pneus, du sucre, des appareils élec-troménagers… bref tout ce qui était interditd’importation en Syrie », se souvient-il.Aujourd’hui, certains produits fortement taxésen Syrie, notamment l’alcool, continuent depasser illégalement la frontière. « Les commerçants libanais qui veulent expor-ter de petites quantités, inférieures à une tonne,vers la Syrie, la Jordanie ou l’Irak, ont égale-ment recours aux passeurs pour éviter les for-malités douanières et gagner du temps », ajou-te un responsable d’une société de transports. Mais selon Hassan, la valeur des biens decontrebande introduits chaque jour en Syrie nedépasse pas 300 000 dollars, alors que lechiffre d’affaires des contrebandiers dansl’autre sens est de l’ordre de trois millions dedollars par jour. « Avec le mazout, ça peut allerjusqu’à quatre millions de dollars par jour »,ajoute-t-il. « Globalement, la contrebande de laSyrie vers le Liban représente plus de deux mil-lions de dollars par jour », confirme un hommed’affaires syrien. À part la contrebande traditionnelle de combus-tibles, tout est bon à rapporter du pays voisinétant donné la différence des prix des biens deconsommation entre les deux pays. « Le kilode sucre est à 700 livres en Syrie contre 1 250livres au Liban. Le carton de 50 cartouches decigarettes gauloises rouges coûte 330 dollarsen Syrie contre 500 dollars au Liban. Il y amême des agriculteurs qui achètent du tabacde Syrie et le revendent à la Régie ! » affirmeHassan, qui “importe” également du liquidevaisselle, du gaz, du shampoing, de la vianded’agneau, des vêtements, des vis, des équipe-ments industriels, du blanc de poulet... Unegrande partie des produits syriens sont pourtantexemptés de droits de douane. La contrebandeapparaît ainsi comme un moyen d’éviter la TVAet les formalités douanières, sans prendre derisques réels. « Des fonctionnaires de tous les niveaux ont

informé l’équipe (LIBAT) qu’ils avaient euconnaissance de cas de contrebande d’essen-ce, de vêtements et autres biens de consom-mation, et que dans une grande mesure ce typede contrebande était toléré et considéré commerelativement sans importance », lit-on dans lerapport des experts onusiens remis au Conseilde sécurité. De l’aveu même des autorités, la contrebanden’est donc pas combattue, malgré un manqueà gagner important pour le Trésor libanais, qu’ilsoit direct (TVA) ou indirect, puisque le trafic ali-mente une économie parallèle. Selon Albert Nasr, directeur du centre derecherche de la Chambre de commerce, d’in-dustrie et d’agriculture de Beyrouth (CCIAB), lacontrebande soulève aussi un problème desanté publique, car beaucoup de produits ali-mentaires en vrac sont introduits de Syrie (confi-ture, labné, kabiss…), empaquetés par depetites entreprises libanaises non déclarées etrevendus sur le marché, sans aucun contrôlehygiénique. Mais la lutte contre la contrebande engendreraitaussi un problème de taille : celui des famillesentières vivant de ces trafics le long des 320kilomètres de frontière.

(*) Le prénom a été changé.

Les millions de la contrebandeS. A.

La contrebande de mazoutLe mazout, principal carburant dechauffage, est largement subvention-né en Syrie. La flambée du pétroleen 2008 a contraint Damas à aug-menter les prix des combustibles et àprivilégier les subventions directesaux ménages, mais les prix du mar-ché restent inférieurs à ceux duLiban. Le bidon de mazout estvendu en Syrie 400 livres syriennes,soit 13 200 livres libanaises. Et ilarrive au Liban à 13 600 livres, alorsque le prix officiel y est de 16 400livres, avec la subvention de 3 000livres par bidon accordée chaquehiver. Une différence qui alimente lacontrebande.

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40 - Le Commerce du Levant - Février 2010

économiesyrie-liban

L’économie syrienne montre de plus enplus de signes d’ouverture. Quand acommencé cette libéralisation ?L’ouverture graduelle de l’économie syrienne acommencé dans les années 1980, alors quele pays était en quasi-cessation de paiements.Pour se procurer les devises étrangèresnécessaires à la relance des échanges com-merciaux, les autorités ont ouvert les frontièresaux investissements étrangers dans les sec-teurs du tourisme et de l’agriculture.

Quelles ont été les grandes étapes decette ouverture ?L’ouverture progressive a allégé la pressionfiscale sur le secteur privé à la fin de ladécennie, pour aboutir à la loi 10 sur lesinvestissements de 1991, un tournant dansl’histoire économique du pays. Cette loi a enparticulier permis aux investisseurs privésd’accéder au secteur de l’industrie. Mais ladécouverte de champs pétroliers peu après afortement ralenti le processus de réformesau cours des années 1990. La productionpétrolière a atteint un pic à 600 000 barilspar jour en 1996, pour retomber graduelle-ment à 400 000 barils quotidiens. Cettecontrainte économique a poussé Bachar el-Assad, arrivé au pouvoir en 2000, à sortirprogressivement de cette période de stagna-tion. La libéralisation du commerce extérieurs’est traduite par la levée de certaines inter-dictions d’importation, puis des taxes doua-nières. Ces dernières ont été significative-ment réduites en 2002, puis supprimées en2005 dans le cadre de la zone arabe delibre-échange. Les pressions internationalesexercées sur le pays au lendemain de l’as-sassinat de Rafic Hariri en 2005 ont relancéla machine réformatrice. En 2007, la loi sur

les investissements est remaniée, parallèle-ment à la modernisation du code du com-merce et à la création de comités de protec-tion des consommateurs et de la garantie dela concurrence. La Syrie a aussi signé unaccord de libre-échange avec Istanbul, cequi lui a ouvert les marchés du nord de laMéditerranée. De nombreuses réformes spécifiques aux diffé-rents secteurs d’activité ont par ailleurs partici-pé à libéraliser l’économie ; comme l’ouvertureà la concurrence des marchés du ciment et dusucre : la Syrie est l’un des plus gros consom-mateurs mondiaux par habitant de sucre et elleimporte les trois quarts de sa consommation. La“National Sugar Refinery”, créée en 2008, est lepremier producteur privé de sucre raffiné. Elleappartient à la « Syrian Sugar Refinery Holding

Limited », possédée à 51 % par l’homme d’af-faires syrien Najib Assaf, également à la tête dela National Sugar Company. Il s’est associé àdes partenaires étrangers comme Cargill et TheWellington Group.

Jihad Yazigi : « L’enjeu aujourd’hui est l’application des lois »Entretien avec Jihad Yazigi, rédacteur en chef de la lettre d’information économique“The Syria Report”.

Propos recueillis par C. F.

De nombreusesréformes spécifiques

aux différents secteurs d’activité

ont participé à libéraliser l’économie

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Quels ont été les changements entermes d’investissement ?Sur la question centrale des investisse-ments, la loi 8 de 2007 remplace la loi 10,considérée comme trop permissive. La nou-velle version instaure un impôt sur les socié-tés de 28 %, qui peut toutefois rapidementdevenir dégressif. Bien que certains avan-tages fiscaux de la loi 10 soient supprimés(exemption d’impôt sur les sociétés pendant5 à 7 ans) d’autres demeurent, tellel’exemption de tarifs douaniers sur l’importa-tion d’équipements. Le nouveau texte metpar ailleurs tous les investisseurs au mêmeplan, qu’ils soient dans le secteur industrielou dans un autre et quel que soit le niveaude leur investissement. En 2008, le code du commerce de 1949 a étémodernisé. Il est suivi par la création d’unecommission sur la concurrence et les mono-poles. Les investisseurs étrangers sont légale-ment libres de développer leurs activités enSyrie. Seul le système bancaire est encoreastreint à la participation d’investisseurs locaux.Jusqu’alors monopole de l’État, l’activité ban-caire s’est ouverte aux capitaux privés en 2003.Les assurances ont suivi en 2006. En 2009, unautre cap dans la libéralisation est franchi avecla création de la place boursière de Damas, enprojet depuis 2003. En janvier 2010, la Banquecentrale a autorisé les institutions internatio-nales à détenir une majorité de parts dans lesbanques locales, une mesure qui devrait aider àattirer les grands groupes bancaires régionauxet internationaux.

Y a-t-il actuellement des freins à la libé-ralisation du marché syrien ?Le poids de l’administration et les intérêts decertains acteurs économiques du pays peu-

vent parfois ralentir la tendance. Certainsmembres de la “nomenklatura” ont peu d’in-térêt à soutenir l’ouverture du marché syrien,car ils gèrent les contrats exclusifs avec l’É-tat d’importation du sucre, du riz et des pro-duits chimiques ; trois des plus gros mar-chés. En 1991, l’adoption d’une loi facilitantl’investissement privé dans les secteursmanufacturiers et des transports a libéraliséun secteur auparavant géré par une poignéed’acteurs. Mais la situation évolue progressi-vement, certains réalisent aujourd’hui qu’ilspeuvent gagner à soutenir l’ouverture écono-mique du pays, mais cela implique uneadaptation à l’économie de marché.Du côté de l’import-export, il existe encorecertaines restrictions sur les tarifs douaniersou des blocages de certains types de den-rées comme le ciment, en dépit des accords.La liberté de circulation des biens régionauxà la frontière peut encore être entravée parles habitudes de taxation informelle prati-quée sur les biens importés.En 2009, la forte chute du pays dans les clas-sements du Forum économique mondial et dela Banque mondiale a mis en lumière le freinmis aux réformes depuis deux ans. Depuis2008, la Syrie a même fait quelques discretspas en arrière. La loi qui limite à 3 % la part dessalariés étrangers dans le secteur bancaire enest un exemple. Cette mesure concerne finale-ment peu de gens, mais elle n’est pas un signepositif pour les investisseurs étrangers.L’augmentation de la mise de fonds requisepour l’implantation de nouvelles banques pri-vées – de 30 millions de dollars à 200 millionsde dollars – montre en outre les inquiétudes decertains face à une ouverture trop rapide dusecteur financier. Même tendance pour laBourse, de taille encore très modeste mais déjà

sujette à de lourdes restrictions, comme l’inter-diction pour les titres de fluctuer de plus de 2 %par journée de transactions. Le marché immobilier est également un freinau développement. Les tarifs d’achat et delocation sont chers, en particulier sur la pro-priété commerciale et les locaux à usageprofessionnel, à cause de taxes élevées etd’une offre très limitée. Par ailleurs, dans lecentre des villes, les immeubles construitssont bas, ce qui entrave l’implantation deservices dans les zones urbaines.

Quels sont les enjeux à venir ?L’enjeu aujourd’hui est l’application des lois.Le cadre législatif modernisé pour la libreconcurrence existe, mais n’est pas toujoursappliqué dans les faits. Le poids de la bureau-cratie et la corruption persistante ralentissentl’évolution du marché. Il est donc nécessairede réformer le secteur public et de réduire sonpoids, ainsi que de renforcer l’indépendancedu secteur judiciaire et d’alléger la pressionfiscale sur l’immobilier. Il faut par ailleurs atti-rer davantage d’investissements étrangers,qui sont encore timides (2,1 milliards de dol-lars en 2008), compte tenu de l’importance dumarché. Aujourd’hui, il est encore sage des’associer avec un entrepreneur local, qui faci-lite l’obtention des autorisations et passe-droits. Cette situation dissuade de nom-breuses entreprises. Enfin, un accord d’association en projet avecl’Union européenne ouvrirait la porte desmarchés occidentaux, mais surtout impose-rait des normes économiques plus strictes etplacerait le pays dans une dynamique d’ou-verture résolue. Sa signature, initialementprévue en octobre 2009, a pour le momentété reportée sine die.

41 - Le Commerce du Levant - Février 2010

�C

1) Retirer au ministère de l’Économie lacopie réglementaire des statuts.2) Remettre les statuts personnalisés auministère de l’Économie pour contrôle. 3) Rectifier éventuellement les statuts à lademande du ministère. 4) Se présenter au ministère de l’Économiepour signer les statuts devant le directeurdes sociétés commerciales. 5) Porter les statuts auprès des services duministre de l’Économie pour qu’il y appose sasignature et payer le droit de contrôle des sta-tuts (10 000 livres syriennes, soit 220 dollars).

6) Attendre la décision formelle du ministrede l’Économie autorisant la création de lasociété. 7) Remettre une copie des statuts au dépar-tement fiscal spécialisé du ministère desFinances. 8) Payer le droit de timbre sur les statutscalculé sur le montant du capital social. 9) Ouvrir obligatoirement un compte enbanque au nom de la société en cours deconstitution. 10) Déposer le capital social sur le compteen banque.

11) Obtenir un certificat de dépôt du capitalsocial.12) Publier les statuts dans le JournalOfficiel aux frais de la société en cours deconstitution. 13) Présenter un contrat de bail ou un titrede propriété du siège de la société auregistre du commerce.14) Obtenir un certificat d’immatriculationet le remettre à la banque de la société. Chaque étape peut prendre une journéeet les étapes 2, 3 et 6 peuvent durer 15jours.

Les différentes étapes de la constitution d’une SARL en Syrie