Bien chers parents,

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Alsace le 16 Octobre 1914.

Bien chers parents,

Aujourd’hui vendredi, je reçois une longue lettre de la Marie qui me fait toujours bien plaisir.Elle date du 6, elle me dit que ses travaux sont à peu près finis, elle sait comme toujours biense débrouiller et trouve le temps encore d’aller plusieurs fois chaque semaine à la St Messe yprier pour les besoins de toute la famille. De mon côté, j’y coopère aussi toujours beaucoup ?Hier, nous avons quitté un patelin que nous occupions depuis le 22 septembre. Avant de lequitter, j’ai encore été faire une visite à l’église pour remercier le Bon Dieu et la Sainte Viergequi m’avaient protégé pendant 23 jours.

Le 13, notre village a été bombardé par les Allemands, ils ont mis le feu à deux maisons etdémoli plusieurs. La toiture de l’église a été trouée, il n’y a pas eu d’accident de personne,autant civils que militaires autre qu’un garçon de quinze ans qui a été tué d’un éclat d’obus.Le 14, je faisais une patrouille avec 2 hommes et arrivés à la lisière d’un bois lorsque jem’avançais à la sortie pour observer une vive fusillade fut diriger sur moi de la lisière du boisopposée, distant de 250 mètres environ. Heureusement, personne n’a été touché et cette foisencore, j’en suis sorti sain et sauf. J’ai été ce matin à la Sainte Messe et ce midi encore j’ai étédire mon rosaire entier à genoux sur les dalles devant l’autel de la Sainte Vierge. Je ne suisheureux que lorsque je peux saisir l’occasion d’aller quelques instants prier à l’Eglise, ou jepeux à l’aire exposer mes maux, mes embarras, mes inquiétudes et mes vœux au pied de celuiqui est notre commencement et qui sera notre fin et de qui tout dépend. Hier, jeudi en venant,j’ai vu Maurice, il s’était fait porter malade le matin, ayant mal à un côté, on lui a posé desventouses et j’espère que ce ne sera rien. Je lui ai conseillé de se faire porter malade encorequelques jours afin de se bien reposer. Il est bien portant, il s’est même engraissé beaucoup,ainsi que moi. Il porte toute sa barbe qui est très jolie, bien noire. Il me dit aussi que le boucme va bien, de ne pas le faire couper. Je ne peux pas finir ma lettre aujourd’hui, je laterminerai demain, samedi. Ce soir, je vais faire ma prière du soir à l’Eglise. Je suis de jour,de 5h à 5h de samedi soir. Ce matin samedi, je fais faire la corvée de quartier dans la rue.Nous sommes un jour au repos. On nettoye ses effets et ne faisons que peu d’exercices. Maisd’ici peu je pense, on nous fera marcher de l’avant. Avez-vous vendu des bêtes, en avez-vousacheté. Il paraît que les chevaux sont extra chers. La pouliche de Vercel, comment est-ellevenue. Puisque vous avez du foin, surtout ne donnez pas vos bêtes car elles seront très chèresà l’avenir. Herbert Cottet me dit que ses parents lui disent que les vaches à embarquer sontaussi chères que les années précédentes. Je pense que vous avez vendu la vieillotte et lagrivotte bien au dessous des cours…Enfin, je comprends bien que vous aviez peur qu’elles vous restent …ont déjà assez de travailsans tout traire. Quel fromager avez-vous maintenant.J’ai cru acheter un tricot ici mais il faudrait mettre 9 francs pour avoir presque rien.J’en conclus que vous pourriez m’envoyer mon petit tricot en laine rose avec une paire dechaussette en laine. Vous vous intéresserez comment il faut l’envoyer, mais recommandez-lecar s’ils ne sont pas recommandés, ils ont de chances de ne pas arriver. Vous m’enverrez celaquand vous aurez l’occasion seulement ca cela ne presse pas. Quand je vois Maurice, il mepasse ses lettres, et moi, je lui passe les miennes.J’aimerais que vous conserviez mes lettres, qui sait, si ce ne sera pas dés fois le seul souvenirque vous aurez de moi et même si je m’en retourne, je me plairai à les relire. Ne m’envoyezpas de boustifaille, car avec de l’argent, ici on a ce que l’on veut quoique l’ordinaire soit déjàbien suffisant. On touche du vin presque tous les jours, on touche aussi du fromage, duchocolat, en somme on est bien nourri.J’attends de vous une lettre ces jours-ci. En attendant le plaisir de vous lire et plus encore devous revoir, croyez bien chers parents à l’amitié sincères de votre fils et frère toujours dévouéqui vous embrasse tous les trois bien affectueusement.

Joseph Gaume