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•9pw o5Qi J'A PATINE DU BRONZE ANTIQUE La patine (je ne m'occuperai ici que de celle des bronzes an- tiques) offre les nuances les pins diverses, d'un objet à l'autre ou sur le même. Si parfoissa présence défigure quelques oeu- vres d'art, elle en complète d'autres si heureusement, qu'on s'est pris à regretter que celle altération du métal fùl l'effet du hasard, au lieu d'avoir été voulue par l'artiste. De là à se de- mander s'il n'en aurait pas été réellement ainsi, puis à considé- rer comme un fait certain cette opinion combal tue cependant par tous les hommes du métier, il n'y a qu'un pas facile à franchir. Un passage de Plutarque' montre que ce problème, ou plulAt ce voeu, préoccupait déjà les amateurs au début de noire ère. Il met en scène plusieurs touristes qui, arrêtés à Delphes devant les statues des navarques athéniens, se demandent l'origine de la belle patine qui les recouvre. Nous trouvons déjà dans leur dialogue les deux opinions en présence de nos jours effet na- turel du temps et des agents atmosphériques, ou coloration du métal par le sculpteur. C'est à la première. que se rallient les pèlerins, et cette doctrine na pas cessé d'être universellement admise jusqu'à ces dernières années. Cependant, lorsque M. Carapanos s'est assuré le concotfrs des archéologues les plus éminents pour la publication de ses fouilles de Dodone, M. Heuzey a signalé, à la page 217 de Do- done et ses ruines, que le jugement porté, pouvait n'être pas t. Plutarque, DePyth. crac., 395, Bet seq. Document h %sc# 1111111111 liii II! 111111111 L 0000005397440

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•9pw o5Qi

J'A

PATINE DU BRONZE ANTIQUE

La patine (je ne m'occuperai ici que de celle des bronzes an-tiques) offre les nuances les pins diverses, d'un objet à l'autreou sur le même. Si parfoissa présence défigure quelques oeu-vres d'art, elle en complète d'autres si heureusement, qu'ons'est pris à regretter que celle altération du métal fùl l'effet duhasard, au lieu d'avoir été voulue par l'artiste. De là à se de-mander s'il n'en aurait pas été réellement ainsi, puis à considé-rer comme un fait certain cette opinion combal tue cependant partous les hommes du métier, il n'y a qu'un pas facile à franchir.

Un passage de Plutarque' montre que ce problème, ou plulAtce voeu, préoccupait déjà les amateurs au début de noire ère. Ilmet en scène plusieurs touristes qui, arrêtés à Delphes devantles statues des navarques athéniens, se demandent l'origine dela belle patine qui les recouvre. Nous trouvons déjà dans leurdialogue les deux opinions en présence de nos jours effet na-turel du temps et des agents atmosphériques, ou coloration dumétal par le sculpteur. C'est à la première. que se rallient lespèlerins, et cette doctrine na pas cessé d'être universellementadmise jusqu'à ces dernières années.

Cependant, lorsque M. Carapanos s'est assuré le concotfrs desarchéologues les plus éminents pour la publication de sesfouilles de Dodone, M. Heuzey a signalé, à la page 217 de Do-done et ses ruines, que le jugement porté, pouvait n'être pas

t. Plutarque, DePyth. crac., 395, Bet seq.

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2 ItEVUÉ APCHÉOLOGIOCj

sans appel, et eue la patine était peut-être clans certains casl'oeuvre du sculpteur; par exeoepiOE pour les figurines et lesplaques sorties (le ces fouilles. il ajoutait, en rappelant le textede Plutarque, que s'il y avait eu là un secret des artistes grecs,il avait dû se perdre de borine heure, ainsi qu'il résultait impli-citement des termes employés.

L'opinion dubitativement présentée par M. Heuzey a été re-produite par M. fleuri Lechat , à l'occasion d'une statuette d'A-phrodite, découverte en Épire, et acquise par M. Carapanos. Ilreprend, pour en faire la base de son argumentation, le texte de.Plutarque, qu'il cite d'après la traduction d'Amiot, et conclut -en faveur d'une mise en couleur pu lui parait incontestable.

Les arguments de M. Lechat doivent être suivis de très près,car nul encore n'avail mis plus detalent et de conviction au ser-vice d'une thèse spécieuse et attachante, mais que je crois abso-lurnent inexacte, malgré mon regret de restituer au hasard cette

•collaboration si délicate avec l'artiste.- M. Lechat attachant aux expressions de Plutarque une impot-

- lance peut-être exagérée, il faut en faire nu examen préalable,ainsi que des doctrines chimiques admises au 10r siècle de notreère. L'étranger qui visite l'enceinte sacrée, remplie de, statuesde bronze déjà anciennes, admire r la fleur de la bronze commene ressemblant point à une crasse ni à une rouille, mais à uneteinture d'azur reluisant et brillant ». Il se demande « si les an-ciens ouvriers n'usaient point de quelque mixtion et de quelquecomposition expresse, pour donner cette teinture à leurs ou-vrages . C'est là la thèse de la patine voulue, mais le contextepermet de se demander si Plutarque ne pense pas, moins àune mise en couleur, qu'à l'emploi d'un alliage apte à prendrerapidement la patine désirée. Les interlocuteurs opposent deuxautres opinions.:

4' L'air « pénétrant et coupant Je cuivre en fait sortit forcerouille,.... et cette rouille jette cette fleur de couleur, et prend

1. RuilcHn de Correspondance heiMniquc, 1891, p. 461 et suivantes,

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LA PATINE DU BRONZE ANTFQUE 3lueur et splendeur eu sa superficie »; 2 0 l'air n'intervient pas,mais « le cuivre vieillissant, de lui-même exhale et met dehoScette rouille ». C'est h l'influence de Unir que l'on se t'allie, et dePair de Delphes.

M. Lechat critique cette dernière assertion. Plutarque, dit-il,e attribue à l'atmosphère de Delphes des vertus spéciales surlesquelles il disserte avec complaisance. Il n'a réussi par là qu'àdiminuer la valeur de son explication, puisque la patine dont ils'agit existait sur bien d'autres bronzes que ceux de Delphes.Mais je ne crois pas devoir abuser de cette erreur; j'aime mieuxici défendre Plutarque contré lui-même, et donner h sou expli-cation le sens le plus large possible. On verra plus loin que,sans attribuer à l'air de Delphes des qualités ne se rencontrantnulle part ailleurs, il n' y a rien de déraisonnable à lui accorderquelque influence dans l'oxydation du bronze.

Du reste, dans des matières aussi délicates que les questiontechniques, la part du traducteur devient prépondérante dans lesens doiiné au texte. Si l'on passe en effet d'Amiot à l'édition deVictor llétolaud, on trouve le § 3 traduit ainsi

« il y a, répondit Théon, quatre éléments primitifs, es-sentiellement naturels, qui existent et existeront de toute éter-nité,, à savoir le feu, la terre, l'air et l'eau. Lorsque, parmi cesquatre éléments, l'air seul s'approche du bronze et se met encontact avec lui, il est évident que cet air agit sur le métal, etque l'entourant toujours; lui étant toujours superposé, il déter-mine la couleur particulière qui caractérise le bronze. » Onemploierait de nos joursd'autres expressions que Plutarque;mais on ne saurait être ni plus précis, ni plus exact.

Il signale ensuite, avec Aristote, que l'huile (c'est-à-dire lescorps gras) active l'oxydation du bronze. C'est une observationfort juste, mais il tombe dans l'erreur en pensant, avec cet-auteur, que l'huile n'y est en réalité pour rien, et ne fait que re-tenir l'oxyde qui, dans d'autres circonstances, se disperse auet à mesure de sa production. C'est là ce qui l'amène à parler duclimat de Delphes. Je suis cette fois la traduction Bétolaud

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A REVUE ARCHÉOLOGiQUÉ

« L'air de Delphes est épais, d'une grande consistance, et à causede la répulsion et de la résistance des montagnes il a beau-coup de force. De plus il est apéritif et mordant, comme leprouverait au besoin la facilité avec laquelle s'y opèrent les di-gestions. il pénètre donc l'airain par sa subtilité, il l'entame, etil en détache une grande quantité de rouille mêlée à des mé-tières terreuses. D'un antre côté il les retient à la surface du ma-tai et les y plaque. attendu que sa densité n'en permet peint l'éva-poration. C'est ainsi que la rouille, se fixant là, détermine enraison :de sa quantité une sorte d'efflorescence, et prend uneteinte lustrée qui donne de l'éclat à toute la surface. 'i Un sa-vant moderne ayant à exprimer les mêmes idées, supprimeraitcet le thèse fausse que la pression de l'air intervient pourmaintenir l'oxyde à la surface du métal et dirait «L q climat (leDelphes présente tons les caractères des climats de montagne;d'une saison à l'autre, les écarts de température y sont consi-dérables, il devient humide après avoir été très sec, l'air enfiny est particulièrement riche en ozone; ce sont 'là les circons-tances qui favorient le plus l'oxydation du bronze. » Nul nepourrait alors le contredire.

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La patine (le l'Aphrodite semblant être la même que celle desstatues de Delphes qui, toujours exposées sur leurs piédestaux,n'avaient jamais séjourné dans le sol, M. Lechat conclut qu'ellen'est pas d'origine tellurique; elle adùprécéderl'enfouissenientdela statuelte. D'autre part en ne saurait, comme pour les statues enplein air, invoquer l'action de la pluie et du vent. « On comprend,dit-il, que la crasse et la rouille aient envahi des statues qui re-cevaient la pluie, et que le vent et la poussière venaient battre;on le comprend moins quand il s'agit de menus objets bien abri.tés, qui, pour être entretenus en bon état, demandaient à peineun coup do plumeau de temps en temps. o II ne reste donc,làses yqux, d'h ypothse satisfaisante que la mise en couleur,

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LA PATINÉ DU BRONZE ANTIQUE. h

Il y a là, à propos des expressions crasse et rouille, une confu-sion que le savant helléniste aurait évitée en se reportant auxdoctrines métallurgiques des anciens, telles qu'elles sont expo-sées par Pline, doctrines admises du reste jusqu'aux travaux ileLavoisier sur l'oxygène. Plutarque ne veut pas parler de lacrassnqui souille des objets mal nettoyés, mais de la crasse et de larouille rejetées par le métal sous l'action du temps et des agentsatmosphériques. Les anciens ignoraient la natbre intime desmétaux et celle de leurs alliages, qu'ils prenaient parfois pour desmétaux simples. Cela leur est arrivé longtemps, peut-être tou-jours pour le bronze. Voyant ce dernier alliage se couvrir d'unecroûte verdâtre sous l'action de l'air humide (oxyde de cuivre),ou rejeter des poussières blanches (oxydes d'étain ou de Zinc) etdes écailles noires ou rouges pendant sa fusion, ils croyaientque le métal s'était épuré. Ils considéraient le feu comme legrand épurateur du bronze, et cette opinion était confirmée parles propriétés nouvelles qu'il y acquérait seul le bronze recuitsupportait le martelage sans se rompre. Les scories blanches quivenaient flotter sur le bain étaient des crasses, les oxydes cui-vreux étaient des rouilles. Le feu faisait rapidement sortir dubronze les unes et les autres, niais l'air ne pouvait-il pas à lalongue provoquer lui aussi une épuration analogue? C'est lit lapensée de Plutarque, ce sont même . ses termes, et il ne s'agitnullement, on le voit, des souillures possibles (l'une statue expo-sée aux intempéries sans être nettoyée à temps.

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Si la patine était une laque appliquée sut' le métal pour l'ornerou le protéger, ou une altération superficielle provoquée pourles mêmes motifs, on ne devrait pas l'observer sur des catégo-ries d'objets dont l'usage en est exclusif, tels que les instrumentsculinaires, les monnaies, les outils, et tout ce qui, par son peude valeur ou la vulgarité de sa destination, tic méritait pas cethonneur. Il pourrait s'y trouver de l'oxyde, mais jamais de la

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6 nIcvuE ARCHÉOLOGIQUE

patine. Or il n'en est pas ainsi, les patines les plus belles se yen-contrent sur des patères ou casseroles, des cuillères, des strigiles,enfin sur des armes, des couteaux et des haches de l'époque dubronze. Je citerai, au Musée de Saint-Germain : lépée de Van-drevange cL celles portant les n os 41174 et 29689; la premièreet la dernière d'un Superbe vert sombre, une roue briséedécouverte h Langres, des haches-spatules, tous les objets polisdu dépôt de Larnaude, les seuls bracelets de celui de Iléallon,qudiques torques, la clef 14398, la jugulaire de casque romain4764; ail une hache de bronze à ailettes, des pointes delance, des clefs, les miroirs 7131, 7171 et 7187. J'insiste sur lesmiroirs, car leur surface réfléchissante exigeait des polissagesfréquents; Pline, XXXIiI, 45, signale même qu'ils donnaientune image agrandie lorsque l'usure les avait rendus concaves.D'autre part, les gravures fréquentes au revers sont incon-ciliables avec l'hypothèse d'une laque, car l'enduit le plus légeraurait fait disparaître ces lignes d'une finesse parfois excessive;or il se trouve que tout au contraire la patine ne fait souvent queles accentuer.

Si elle décore parfois des objets qui ont toujours été sans va-leur, elle fait plus fréquemment défaut sur des oeuvres admira-bles, où on regrette de ne pas la voir, et qui proviennent d'écoles,peut-être môme d'ateliers ayant produit des oeuvres qui en sontrecouvertes.

On a invoqué le goût de la polychromie pour attribuer aux an-ciens l'invention de la patine; mais tous les textes .sont con-traires à cette hypothèse. Dès l'époque d'Flotn'ere on recherchaitdans le bronze l'éclat métallique, et on l'entretenait par des net-toyages fréquents; l'Iliade est sur ce point très formelle. Plustard on a fait de môme pour les oeuvres d'art.

On admettait bien la polychromie dans les oeuvres de métalmais on l'obtenait par la combinaison d'alliages de nuances dif-férentes. Presque tout ce que Pline a écrit sur l'airain, ailXXXIII, se rapporte aux colorations qu'il pouvait prendre. L'au-richalque était jaune d'or; l'adjonction de six scrupules d'or par

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LA PATINE DU BRONZE ANTIQUE 7

once de bronze le rendait rouge; l'airain de Chypre sans addi-tion de plomb servait à représenter la bande de pourpre de la togeprétexte. L'examen des statuettes de l'époque impériale confirmeson témoignage. On y trouve un fréquent emploi des pièces rap-portées de couleurs différentes, et si parfois l'altération superfi-cielle n fait disparaître l'harmonie des nuances qui était une desbeautés de ]'œuvre, elle décèle encore la présence de ces piècespar clos contrastes dans l'oxyde ou dans la patine. L'Apollon deïMillingen, au Louvre, a des seins en cuivre rouge; sur l'admi-rable Bacchus enfant du Musée de Chàtillon, les lèvres et lespaupières sont d'un autre alliage qui, étant électro-positif parrapport à celui qui forme le corps de la statuette, s'est seuloxydé. On ne compte plus les masques de bronze avec des yeuxd'argent. -

La patine présentant une série de couleurs nettement tranchéeset toute là gamme des nuances intermédiaires, il y aurait eu 1hune ressource précieuse pour des artistes qui mariaient lesmarbres de couleurs dans une même statue, rapportaient à leursbronzes des yeux d'argent, des lèvres et des seins de métal rougeet qui multipliaient les camées à plusieurs couches. On nepeut cependant citer aucun bronze où la diversité des patines aitservi à en mettre en valeur les différentes parties. On répondrapeut-être que la polychromie du bronze caractérise les foutesd'une époque de décadence, et que le secret de la patine n'avaitpas survécu à h grande période de l'art grec, ainsi qu'on peutle déduire (lu texte de Phitarque. Cet argument porterait, si onne pouvait citer aucune patine de l'époque impériale, mais toutau contraire, c'est dans la série des bronzes impériaux que lesnumismates rencontrent les plus belles, semblables en tout àcelles du iv 0 siècle avant J.-C. L'argument a contrario tiré dePlutarque tombe ainsi de lui-même.

En insistant sur la belle nuance des bronzesde Dodone et ensignalant que Plutarque ne mentionne de patine à Delphes quesur des statues anciennes, M. Lechat fournit à son insu des argu-ments favorables à la thèse qu'il repousse.

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8 1EEVI'Ê ARChÉOLOGIQUE

A Dodone, il est venu pendant des siècles des pèlerins origi-nains de tontes ]es parties de la Grèce; ils consacraient desoffrandes apportées des pays les plus divers; si la patine était ar-tificielle, elle devrait varier sur ces ex-voto suivant les atelierset les époques; or il n'en est pas ainsi, celle qui les recouvresans distinction de valeur ou de provenance, est uniforme, c'estla potine de Dodone. Pour comprendre toute la valeur de cetteobjection, il faut se rappeler avec quelle jalouse méfiance ou dé-fendait auLrefois, et on défend même encore maintenant les se-crets d'atelier.

Si on ne voyait k Delphes de belles patines que sur desbronzes anciens, c'est que peut-être il ne s'y trouvait pas debronzes réellement récents. Plularque vivait à une époque oùtoute la vie liitéraire et artistique s'était concentrée à Reine; lesartistes de talent s'y rendaient, et la prodigieuse infériorité desmédailles grecques de notre ère, comparées à celles frappées enItalie, montre qu'alors il n'y avait certainement plus en Grèced'artistes capables de fondre et (le ciseler, le bronze. Pendant lesdeux siècles précédents c'était à Alexandrie que le génie grecs'était réfugié, désertant déift son pays d'origine. Enfin le sanc-tuaire de Delphes était bien déchu de son ancienne réputation etles offrandes allaient ailleurs.

Un enduit purement décoratif ne devrait jamais s'étendre auxparties destinées à n'être pas visibles, et cependant la patinepeut exister k la face interne des statues ou à. des intérieurs detuyaux, lorsqu'une fracture a mis cers parties k découvert. Demême elle se rencontre sur des points engagés sous le métal aumoment où l'artiste aurait pu patiner soir oeuvre. Ce dernier casse présente pour une statuette d'athlète, acquise par le Louvreetpnbliéè par M.Jiéron deVillefosse dans le recueil Piot, I, lOti.

Elle fournit un exemple intéressant des moyens par lsquelson tournait certaines diffidultés de la fonte, et une preuve trèssérieuse de l'origine naturelle de la patine vert sombre, dontelle est un fort beau spécimen Si l'écartement de quelque partierendait problématique le succès de la coulée en une seule pièce,

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LA PATINE DU lIflONzjt ANTTÙTJE 9on la fondait it part et on la sondait, en masquant le joint sousquelque pli de vêtement. La soudure au plomb employée à cetusage était très altérable, ce qui explique que beaucoup de petitsbronzes soient incomplets, sans porter cependant aucune tracede choc. C'est le cas pour l'athlète du Louvre, et néanmoins lemoignon préparé pour recevoir le bras gauche offre la mêmepatine que le reste. Elle est donc certainement postérieure à ladestruction de la soudure, car cette opération n'est possible quesi le métal est absolument exempt de tout corps étranger, detoute trace d'oxyde ou de graisse. L'ouvrier doit aviver les sur-faces à la lime, puis y appliquer un fondant capable de dissoudrel'oxyde qui pourrait se former au contact de la flamme.

IV

On voit que si la patine donne à certaines statues une gràcedigne d'avoir été conçue par l'artiste, il y a cependant beaucoupd'invraisemblance à ce qu'il en ait été, réellement ainsi. Le sou-tenir serait substituer à l'observation directe des objets eux-mômes des raisons de sentiment, dont M. Lechat, s'est fait lebrillant avocat. Aussi son argumentation devient-elle nécessaire-ment inexacte dès qu'il aborde la discussion du phénomène chi-mique de l'oxydation. L'uniformité de nuance de la patine surtoutes les parties d'un même bronze se concilie mal avec l'idéequ'il se fait de l'oxydation d'un alliage de cuivre. Mais la discus-sion de ce passage exige encore une citation complète « Puis ilest remarquable que cette coloration soit si régulière, que la sur-face du métal soit partout si bien unie, et qu'elle ait partout lebrillant et la solidité de l'émail; car ce ne sont pas les effets ordi-naires de l'oxydation. Celle-ri, qui est une décomposition dumétal, produit à la surface une sorte de poussière colorée quipeut, il est vrai, former une croûte dure, mais qui ne sauraitprendre l'aspect d'un vernis à la fois solide et fin, parfaitementuni et poli; d'autre part.cette poussière est plus ou moins abon-dante suivant les endroits, attendu que les divers éléments de

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10 REVuE ÀRC1IÉ0L0GIQUE.

l'alliage ne sont jamais répartis d'une façon égale, et que, parsuite la désagrégation des molécules s'opère aussi d'une façoninégale; de plus, pour cette raison encore, elle n'offre pas par-tout la même couleur. Ces irrégulari tés, 'lion pourrait dire cescaprices (le l'oxydation, ne se retrouvent nullement sur notrestatuette, non pins que sur les plaques de Dodone (auxquelles ilfaut toujours revenir comme aux types des plus belles patines);et c'est là un point fort important à noter, et qui doit nous faireréfléchir. Enfin le raclement du couteau sur le con, sur iesjoueset sur le haut de la poitrine a servi du moins à nous apprendre.que la couche colorée avait une certaine épaisseur et n'était pasune simple efflorescence de la surface du bronze. Or pour quetoute cette rouille fùt exhalée et mise dehors par le métal lui-même, il eût fallu que celui-ci, qui est Ires mince par places,n

entrât en pleine décomposition; au contraire il est resté parfai-tement net et sain. Certaines plaques estampées de Dodone,parmi celles qui ont, les plus admirables colorations, sont aussiminces qu'une feuille de papier; si leur patine était une -rouille,il semble qu'elle devrait tomber en poudre, ou tout au moins quele métal eût dû devenir cassant; pourtant il n'a rien perdu de satenacité et de sa souplesse.

Il y a dans ces affirmations de nombreuses erreurs. Un exa-men attentif des objets dont les uns ont une patine et les autresde l'oxyde (en donnant à ce mot le sens usuel en archéologie),montre que patine » et « oxyde offrent les mêmes caractèresphysiques, sont produits par les mêmes causes et doivent avoirla même composition chimique. Mais la patine, qui respecte laforme extérieure des objets, ne s'est jamais produite que sur dessurfaces polies, ou au. moins parfaitement unies. Celles quiétaient rugueuses ne se sont couvertes que d'oxyde. Sur desobjets partiellement polis, on observe patine et oxyde, mais ayantla même nuance. Cependant la texture intime n'est pas identiquedans les deux cas. Les patines entamées par des chocs révèlentune superposition de couches parfois diversement colorées, maistoujours parallèles et à grain très fin. Dans l'oxyde, au contraire,

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LA PATINE 1W ]IRONZE ANTIQUE (I

le grain est perceptible à l'oeil, parfois gros, et les couches, bienque superposées dans le même ordre, perdent leur parallélismeet s'enchevêtrent suivant la plus ou moins grande compacité dumétal et la forme des aspérités de la surface;

L'oxydation prépare la destruction de Vobjel, car chaquesaillie est exposée aux chocs et aux arrachements, et l'équilibrede résistance est détruit dans la couche extérieure. Au contrairele poli sous lequel s'est formée la patine la protège mieux contreces dangers; niais les deux couches ne s'en composent pas moinsdes mêmes substances. Il n'est donc pas juste de voir dansl'oxyde une décomposition du métalmétal produisant une poudrecolorée dont l'épaisseur varie d'un point à un autre en mêmetemps que la composition de l'alliage qui la produit. L'alliage,dans une pièce d'un faible volume, peut être considéré commehomogène, en tous cas il n'offre pas de différences suffisantespour modifier l'aspect de l'oxyde, et c'est de l'extérieur à l'inté-rieur qu'elles se produiraient le plus souvent. Il est vrai que ladésagrégation des molécules a lieu d'une façon inégale, maispour une autre cause; l'eau de pluie ou les matières corrosivesque renferme le sol séjournent dans les creux et autour dessaillies du métal, l'y attaquent plus profondément, cri détachentdes parcelles, et la ruine de la surface entamée est dès lors plusrapide.

Ii ne faut pas oublier cependant que l'oxyde n'est pas unedécomposition du métal, c'est au contraire un composé dû àl'absorption d'oxygène, aussi le métal non encore uni h cegaz conserve-t-il toutes ses propriétés; il ne fait (lue s'amincirjusqu'à disparaître complètement mesure que des couches plusprofondes sont atteintes. En disant que pour que toute cetterouille fût exhalée et mise dehors par le métal lui-même,il eût fallu que celui-ci, qui est très mince par places, entrât enpleine décomposition, alors qu'il est au contraire porfaitefnentsain, M. Lechat revient aux idées chimiques sinon fausses, dumoins incomplètes, des anciens sur la pirification des métauxpar le feu. Il est à son insu influencé par les expressions de

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'12 REVUE ARCHÉOLOGIQUE

Plutarque et d'Àmiot, et il leur donne cette fois un autre sensque dans le passage où il affirme plus haut qu'un objet d'étagèrene pouvait être, comme une statue placée au dehors, envahi parla crasse et la rouille. La minceur des lames de Dodone, siadmirables de patine, et dont le métal non encore oxydé restetenace et souple, provient justement de la soustraction de métalprôduitepar l'oxydation des couches superficielles; elles n'avaientauôun motif de devenir cassantes.

V

On aurait tort de ne voir dans les bronzes, antiques qu'unalliage de cuivre et d'étain, où ce dernier métal figure presquetoujours pour un dixième. Le faible avancement de la métal-lurgie et l'ignorance absolue des sciences chimiques qui en sontla base, amenaient 'n produire des alliages beaucoup plus coru-plcxes, et renfermant encore la plupart des impuretés des mine-rais. De là des alliages de compositions diverses et susceptiblesd'une plus grande' variété de patine que ceux obtenus de nosjours. Parfois, au sortir du fourneau, ils pouvaient présenter lemême aspect, bien que différant de composition, et par suite nepas se comporter de même plus tard. Le Bacchus de Chûtillon.sur-Seine en fournit un exemple; il parait neuf, et conserve toutson éclat métallique, avec un poli tel que le reflet rend la photo-graphie très difficile à faire. Les réparations y sont fort nom-breuses, et toutes les petites pièces qui les constituent sont dunecouleurdiiTérente, généralement plus claire. On ne peut cepen-dant plus avancer ici, comme pour l'Aphrodite, qu'elles étaientdestinées à disparaître sous un'enduit, car l'insertion de lèvreset de paupières en métal plus rouge prouve que partout il devaitrester à ni!. Les divers alliages coin posant le corps de la statuettene se sont donc différenciés que plus tard.

Les métallurgistes anciens n'opéraient pas en unissant dansle bain des métaux déjà isolés, mais en réduisant par le charbon

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LA PATINE DU BRONZE ANTIQUE 43

un mélange de minerais de cuivre ci d'un autre métal, le secondservant de fondant au premier. C'était un minerai d'étain, deplomb ou de zinc, et les refontes successives n'enlevaient quebien imparfaitement les impuretés (les deux éléments princi-paux, en même temps qu'elles faisaient disparaître la majeurepartie de l'étain.

Les Romains dont les bronzes sont parfois très riches en étain,étain,en plomb et en zinc et renferment des traces notables de fer, yintroduisaient volontairement et l'état métallique, du plomb etdu fer , . Ils ne paraissent avoir bien distingué l'étain du plombqu'assez tard et ils n'ont sans doute jamais connu le tzinc indus-trriellement pur et à l'état métallique.

C'est sous forme de cassitérite, de cadmie et de blende qu'ilsemployaient ces trois métaux dans Je traitement du minerai decuivre, obtenant ainsi du premier jet un bronze ou un laiton gé-néralement assez impur, mais parfois susceptible d'une trèsriche patine.

Les principaux agents minéralisateurs qui ont provoqué lesaltérations des alliages sont: l'oxygène simple, qui, en géné-ral, a très peu d'action sur le cuivre 'n l'état sec, mais qui l'at-taque en présence de l'humidité, et l'oxygène condensé ou ozone,

actif même sans le concours de l'eau; puis le soufre sous toutesses formes, l'ammoniaque, l'acide carbonique et petit-être diverscarbures. L'eau pure est sans action dans la plupart des cas,mais elle intervient comme véhicule des divers agents en disse-]Lltion. et s'unit aux oxydes ou aux carbonates produits. A cetteliste il faut ajouter une série nombreuse et encore peu connued'acides organiques, produits dans le sel par la décomposition(les matières végétales ou animales.

Les métaux ou métalloïdes présents dans l'alliage peuvent su-bir une transformation à (Jeux degrés. Tantôt ils s'unissent iso-lément à l'agent minéralisateur pour constituer un oxyde, un sul-fure, un carbonate ou un mélange de ces composés, tantôt,

j , Pline, XXXIV, 20.

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14- REVUE ARCHÉOLOGIQUE

polissant les réactions chimiques plus 1on, ces corps à peine for-niés réagissent les uns sur les autres pour produire une secondesérie. L'étain oxydé donnera par exemple (les stannates de cuivre,de plomb eu de zinc; l'ammoniaque interviendra pour former descomposés ternaires, ou seulement pour amorcer des réactionsoù elle ne restera pas engagée. Les sels insolubles produits se-ront anhydres ou plus souvent, hydratés. il faut se souvenir aussique les actions très lentes mais continues, comme celles quiont provoqué la plupart des patines, donnent parfois des réactionsà peu près impossibles à reproduire ou à étudier sérieusementdans le laboratoire.

Voici les résultats les plus fréquents de l'action des principauxminéralisateurs sur les quatre métaux qui dominent dans lesbronzes antiques cuivre, étain, zinc et plomb.

Des six oxydes de cuivre, deux seulement méritent notre exa-men; les antres n'étant que des composés peu stables, qui à l'airsont ramenés à l'état d'oxydnle CuO ou d'oxyde CuO, Le sous-oxyde on oxydule est rouge cochenille, inaltérable à l'air; il acomme dérivé un hydrate et forme avec l'ammoniaque un corpsincolore qui bleuit à l'air. L'oxyde CtiO assez hygrométrique, decouleur noire oit brun très foncé, est soluble dans l'ammoniaque.

L'étain ne donne dans les conditions ordinaires que du bi-oxyde ou acide stanriique SnO, poudre blanche cri brune, suscep-tible de former un stannate vert de cuivre, CuSnO', et un stan-nate de plomb anhydre, blanc et insoluble.

L'oxyde de zinc ZnO est une poudre blanche, dont l'hydrateest soluble dans l'ammoniaque.

Le plomb donne cinq combinaisons pxygénées. Le sous-oxydePb'O est noir et se forme à l'air libre sur le métal. Le protoxydePbO est jaune et amorphe; il porte le nom de massicot, et prendcelui de liiharge lorsqu'il a été fondu. Le minium Ph 2 0 3 estrouge et se produit souvent dans ].a par la décompositiondu carbonate. Le peroxyde, ou oxyde puce, PhO', se forme natu-rellement par l'action de l'air humide en présence kie vapeursammoniacales, en même temps que du carbonate.

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LÀ I'ATrNE DU IIRONZE ANTIQUE 15

Le soufre, surtout sous forme de gaz hydrogène sulfuré,attaque le cuivre, le plomb et presque tous les métaux, en donnant des sulfures qui généralement sont noirs. Cependant celui(le zinc est blanc.-

L'ammoniaque agit de trois façons elle prépare et facilitel'hydratation pour disparattre ensuite; elle est tin dissolvanténergique; enflu elle forme en composition des sels doubles. Lapremière action est en général difficile à établir dans les patines;la seconde n'en forme jamais, car la production de sels solublesn'est qu'une des phases de la destruction chimiques. Le rôle con-sidérable de l'ammoniaque se rapporte à la forniation des;selsdoubles qui sont très nombreux.

Un minéralisateur non moins important est l'acide carboniquequi existe toujours en quantité notable dans l'atmosphère et dansle sol. En présence de l'humidité, il attaque le cuivre, le plomb,le fer, et il est bien poil formés à la surface des métauxexposés aux intempéries qui ne renferment une portion plus oumoins grande de carbonate.

Le cuivre donne un carbonate dicuivrique hydrté bien, pou-dre volumineuse dont la formation accélère la ruine de beaucobpd'objets de cuivre ou de bronze. En se déshydratant, il devientvert, c'est la malachite. Le carbonate de soude le convertit encarbonate hexacuivrique. Il existe en outre un sesquicarbonate,la malachite bleue.

A l'air, l'oxyde de plomb, surtout s'il est hydraté, se trans-forme en carbonate ou céruse. C'est la poudre blanche dont laformation provoque des fentes dans les plombs et finit par les dé-truire.

Les carbûres et hydrocarburesproduits dans le sol par la dé--composition des matières végétales ou animales sont nombreuxet ont une part considérable dans la patination du bronze. Mal-heureusement cette branche de la chimie est encofe bien peuétudiée; je n'en dirai donc que peu, de chose, quoiqu'il faillepeut-être y voir la source principale des belles patines, sur-tout celles de la série bleue.

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I & REVUE A1C1IÉOLOG!QIJE

Les végétaux renferment naturellement, ou par leur décompo-sition, des résines, des essences oxydables, des acides ci des iso-mères du tannin qui attaquent les métaux. En général les setsainsi produits se détruisent à la longue, n'ayant fait que prépa-rer la naissance d'un oxyde ou d'un carbonate.

Les produits d'origine animale sont également nombreux, maisle plus important de beaucoup est l'ammoniaque'.

VI

Tels sont les principaux corps dont la formation est possibleau cours des phénomènes qui transforment la surface du métal.Les circonstances qui protègent le cuivre contre l'accès de l'oxy-gène entravent, si elles ne l'empêchent pas complètement, laformation de la patine; c'est ainsi que les bronzes lacustres con-servés sous l'eau pure du lac du Bourget ont encore l'aspect dumétal neuf. L'eau, en effet; n'agit que comme véhicule d'autressubstances.

L'action de l'oxygène est régie par ]a composition du métal, lemilieu où il se trouve et unefoule d'autres circonstances; aussi, surlin même échantillon de métal, la patine peut-elle varier du grisau noir en passant par le bleu turquoise, le vert pomme elle vertfoncé. En prenant mes exemples au Musée du Louvre, je citeraicomme preuves de l'influence des agonl.s extérieurs sur un métalhomogène no guerrier acquis k la vente Gréau, qui varie duvol , [ vif an gris; un .Jupiter casqué, vert et bleu, un Dionysos de!la collection Gréau, un autre portant le 11 0 265, la Victoire n°50,pièces sur lesquelles j'aurai k revenir plus loin et qui réunis-sent le rouge, le vert et le noir;

On voit là les suites d'influences les unes telluriques, les

L On en tire parti polir la production de patines artifleielles Fait en exposantle métal préalablement décapé à des vapPurs ammoniacales, soit en l'enfouissanten terre, où il est arrosé de temps en temps n'urine, de lait aigri eu de chlorhy-drate d'ammoniaque.

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LA PATINE DU BRONZE ANTIQUE 17

autres atmosphériques, car les exhalaisons du sol peuvent agitau hiême titre que les substances fixes qu'il renferme. Peut-êtreles vapeurs méphitiques, qui provoquaient dans L'antre de Del-phes les crises prophétiques de la pythie, n'étaient-elles pasétrangères àl'altération (les statues que l'on y consacrait.

Sur les bronzes exposés à l'air, la pluie donne une teinte diffé-rente aux parties sur lesquelles elle ruisselle davantage.

Sous terre, mêmes différences, dès quclesol ne présenlepas unenature uniforme sur tous les points decontact. Les parties du mé-tal atteintesles premières par les eaux venues de la surface sontparfois teintées en jaune. Le terrain peut par lui-même donnerdes différences analogues sur un même métal. Le meilleurexemple que j'en puisse fournir est la roue du Musée de Saint -Germain n' 34432; elle reposait obliquemeut à la rencontre dedeux couches du sol; l'une a donné une patine vert sombre, l'au-tre une teinte jaune, et la ligne de démarcation est très nette'.

Ce sont là des objets homogènes placés dans un milieu qui nel'était pas; on a aussi des exemples de l'inverse. L'Apollonn° 60 du Louvre nous montre une pièce rectangulaire, inséréedans la cuisse, d'après le procédé si minutieusement décrit parM. Lechat, et qui a pris une patine non moins belle que le restede la figurine, bien que d'une nuance toute différente. Il en estde même pour le buste de Mercure formant boîte n' 241; leslèvres sont rapportées, peut-être aussi les seins, et la patine estplus épaisse sur une pièce do réparation. Mais c'est à Dodoneque l'on trouve la preuve la plus indiscutable de l'influence dumilieu sur des bronzes dont la composition n'est pas la même etl'âge non plus.

Ce que l'on peut appeler la patine locale est presque toujoursle fait d'un minéralisateur assez énergique pour vaincre la résis-tance que lui oppose la variété de composition des alliages; l'am-moniaque, par exemple.

L'influence des milieux et des alliages étant nettement établie1. PIns d'une Lois les morceaux d'une inéme statue retrouvés à di re ps endroits

y ont acquis des patines différentes.

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18 REVUE ÀRCfl)OLO,IÇjUE

par des exemples dont le contrôle est facile, il reste à indiquerles différentes familles de patines. Je n'ai pas la prétentiond'épuiser le sujet, car leur composition est' extrêmement com-plexe; et des analyses chimiques, aussi nombreuses que délicatesà exécuter, seraient nécessaires,

Elles peuvent se répartir en trois groupes bien tranchésPatine bleue, qui s'étend du gris au vert turquoise et au vert

pomme;Patine vert sombrePatine noire.

La patine blette dérive de l'action de l'ammoniaque sur les pro-duits d'une oxydation antérieure. Aucune autre no permet mieuxl'étude des objets qui en sont recouverts; sa nuance, qui parcourttoute la gamme du gris cendré au bleu turquoise et à la tur-quoise verdâtre, souligne tous les détails de la gravure; il estfaiIe, grâce àelle, de voir les scènes burinées au revers des mi-roirs étrusques. En revanche elle est peu favorable à la conserva-tion du métal; formée intérieurement d'une masse blanchâtrepeu cohérente, sa porosité ne le protège pas contre l'action pro-longée des agents extérieurs. Elle doit se composer de stan-nate et de carbonate de plomb mêlés de carbonate ammoniacalde cuivre. L'objet peut sembler sain encore et recouvert seule-ment d'une mince couche d'oxyde, alors que les dernières traces(le bronze ont depuis longtemps disparu; le moindre effort suffitalors k le briser, comme s'il s'agissait d'une bulle de plombtransformée en carbonate ! . La patine •estd'autant moins solideque ta nuance est plus grise, sans doute par suite de sa richesseen carbonate de plomb: elle est alors plus ou moins absorbante,les sucs du sol la pénètrent en abandonnant k la surface les sub-stances qu'ils ne tenaient qu'en suspension. De là cette nuanceambrée; que M. Lechat signale sur certaines parties de l'Aphro-dite, et qu'il admet comme étant seule une véritable patine. Il

t. Dans un miroir du Louvre à patine mategris brun, une cassure montre- l'intérieur gris bleu et la destruction du inètal jusqu'au centre de la plaque,

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LA PATINE 1)13 BRONZE ANTIQUE 49

est douteux qu'elle ait recouvert la statuette entière, car elle nes'étend en général que sur les parties en saillie où elle formeparfois une crasse' épaisse et disgracieuse. Néanmoins il y auraitdanger à 'ouloir faire disparaître cette crasse, car presque tou-jours elle entraîne avec elle une partie de l'épiderme de la patine,qui dès lors se détruit rapidement après avoir perdu sa surfacebrillante.

Je signalerai à celte occasion que les objets à patine bleue,lorsque la nuance n'en est pas très franche, qu'ils sont envahispar la crasse jaune ou endommagés si peu quo ce soit, ne doi-vent être moulés qu'avec les plus grandes précautions. Il fautexclure l'emploi de la gélatine et de tous les procédés nécessi-tant une pression sensible, comme l'estampage à la terre glaise.

Oit rencontre parfois des objets dont la surface lisse, à grainfin et de nuance très égale, offre tous les caractères de la patine,

et qui cependant sont mais au lieu d'être lustrés. Au Musée de *Saint-Germain le vase de . Santenay et le dieu accroupi d'Autunen sont de bons exemples. Presque toujours on doit y recon-naître le résultat de la décortication d'une patine de la famillebleue envahie autrefois par la crasse jaune. Sur l'objet de Saint-Germain 27991 on voit à découvert un dessous gris verdâtre.Sur le vase, tIc Santenay où le phénomène est très facile à étudier,la décortication partielle du col et du haut de la panse a faitréapparaître la couleur bleu de ciel, le reste est lustré et de cou-leur rousse.

Le if 22299 présente la réunion plus exceptionnelle de lacouche jaune s'attaquant à la patine vert sombre.

A l'inverse de la précédente, qui est généralement tellurique,la patine vert sombre se produità la fois sous terre et à l'air libre.Comme exemple du premier cas, je citerai les armes de ladécou-verte de Vaudrevange, la roue de char de Langres, les braceletsdu dépôt de RéaIon. La patine est au contraire aérienne sur lesstatues de Delphes (elles devaient être plutôt vertes que bleues),les pièces d'artillerie et de nombreuses cloches de toutes les épo-ques et de tous les pays; par exemple la cloche chinoise de

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20 REVUE ARCHÉOLOGIQUE

Nankin, fondue eu 4389 de notre 'crû par ordre de l'empereurTchou-Yuen-Tchang. Restée longtemps abandennéb dans lacampagne', elle a été relevée enfin en 1888.

De ce que sur les canons et les cloches la patine vertesemble exister à l'exclusion de la bleue, il y a peut-être lieu deprésumer que la présence du plomb dans l'alliage lui est peufavorable, car les bronzes durs on sonores doivent en êtreexempts. C'est là, du reste, un point qui ne peut être tranchéque par l'analyse chimique.

Cette patine se compose principalement d'un mélange en pro-portions variables d'hydrate et de carbonate de l'oxyde CuO. Lacouche verte repose toujours sur une antre rouge, qui la sépare dumétal encore sain. C'estla preuve que la patine vert sombre résultede deux réactions successives; il se forme d'abord du sous-oxyderot-ê, qui s'hydrate et emprunte à l'air, de l'acide carbonique.L'étain doit figurer dans le mélange sous forme de stannate deenivre également vert 2 . Le sous-oxyde étant considéré par leschimistes comme inaltérable à l'air, on peut se demander si l'am-moniaque n'intervient pas pour provoquer son hydratation etdisparaître ensuite; peut-Aire aussi est-il moins résistant qu'onne le croit à l'attaque très prolongée de l'air humide en présenced'un acide.

Toute écaillure de la patine verte rend visible le sous-oxydequ'elle recouvre; mais en outre, il est nombre d'autres objets quiprésentent également surcertaines de leurs parties le sous-oxyderouge. La patine noire suit parfois un processus identique; ellese rattache alors à la patine verte, de même que la patine vertclair se relie à la bleue. Le Louire fournit encore ici (le bonsexemples; la Vénus n' 151 est rouge, l'Apollon de Patras pré-sente des plaques rouges, de môme qu'un Bacchus, que le tipi-

1. Père jésuite Colombe], qui l'a vue, en donne l'histoire el la description

dans }kudcs religieuses.... octobre 1888, p. 201 à 296, avec figure. Ellereste seule ries quatre grandes cloches fondues sous ce règne; deux onL étébrisées, une est encore au rond du fleuve où elle est tombée pendant son tiens-

port sur la rive gauche.2. Le cuivre non allié .j l'étain ne prend jamais une patine de couleur agréable.

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LA PATINE DU BRONZE ANTIQUE 21

ter n o 107, le no 469, l'Amour 481, une Gorgone et le taureau885. :Deux. Vénus oxydées vertes et rouges témoignent de l'ori-gine identique de l'oxyde et de h patine dans la série verte.

Toutes les nuances de cette série: rouge, vert et noir, se super-

posent sur le Dion ysos Gréau, le no 265, le Jupiter de Dalheirnet la Victoire n° 50.

Le passage réitéré de Veau de pluie amène un certain éclair-cissement de la teinte verte. Le fait est fréquent pour la tête etles épaules des statues en plein air et pour les parties le longdesquelles l'eau s'écoule'; on l'observe sur la statuette publiéepar M. héron de Villefosse. Cette nuance vert clair, issue d'unedécoloration, doit étie,je crois, distinguée de celte qui se rattacheau groupe bleu. Il se pourrait cependant 'que cette dernière fûtdue à l'action de l'ammoniaque très diluée sur une patine clairedestinée, sans cette circonstance, à devenir vert foncé en acqué-rant une épaisseur suffisante. La pluie d'orage renferme en effetdes traces d'ozone, d'acide azotique et d'ammoniaque, formésdans l'air sous l'action des décharges électriques

Si la patine bleue rend facile l'étude des détails, mais est pourle bronze une protection médiocre, c'est tout l'inverse pour lapatine verte. Celle-ci, à grain très fin, très homogène, extrême-ment adhérente au métal, le protège aussi bien que pourrait lafaire un émail vitriflé. Avec elle le moulage est toujours facile,et ne fait courir aucun risque k l'objet, mais sa nuance sombre,son reflet intense, rendent souvent peu visibles les détails les plusdélicats. Pour la beauté des bronzes et la facilité de leur étude,on peutsouhaiter la nuance bleue ouvert clair sur les objets trèsfouillés, petits ou représentant des sujets riants, et au contrairele vert foncé, plus austère, sur ceux plus grands ou qui offrentavec peu de détails des surfaces planes d'une certaine étendue.

La patine noire, qui forme le dernier groupe, a parfois, comme

I. On en a un exemple saisissant et peu connu dans les plaques de cuivrequi couvrent ta toiture de l'église de ]a Madelaine. Voir aussi les torchères au-tour de t'Opéra de Paris.

2. Les cheminées d'usines déversent également dans l'atmosphère des villes,de l'ammoniaque et de l'acide carbonique, parCois des gaz sulfureux.

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22 'niviji AnduÉoLoulQur

Je l'ai dit déjà, des affinités avec le précédent; on peut cependantse demander s'il n'y a pas plusieurs patines noires, d'originedifférente; pour ma part, j'inclinerais à l'admettre. Le vertsombre, uni au noir, se rencontre particulièrement beau et pursur des objets qui par nature excluent tout alliage plombeux,tels que les cloches et les canons. Dans ce dernier cas, le soufrecontenu dans la poudre ne peut manquer d'intervenir.

Or ]a patine noire est la plus fréquente sur les bronzes, auplomb. Les Japonais la produisent artificiellement k l'aide dure-cuit; rare sur les oeuvres des Grecs, qui se servaient surtout del'étain, elle abonde à l'époque romaine, où le plomb était plusemployé. Enfin, si la patine noire u souvent nnsubstratum rouge,comme sur un Auguste du Louvre et sur tous les objets où elles'llie au vert, il en est un grand nombre où sa formation n'a pasété précédée parcelle du sous-oxyde de cuivre.

Parmi les composés noirs, nous trouvons l'oxyde, de cuivreanhydre CuO; c'est peut-être lui qui forme la patine noire k des-sous rouges; le sous-oxyde de plomb Ph'O, le peroxyde PbO' et]es sulfurés de cuivre et de plomb. On le voit, c'est surtout leplomb qui se prête à cette coloration, car l'oxyde de cuivre s'hy-drate facilement et devient vert; dès lors on peut admettre que,sauf exception, le bronze non plombeux ne noircit que par sul-furation.

Il faut cependant convenir que lapatine noire est relativementrare; l'oxyde au contraire est très fréquent. Peut-être cela tient-il à ce que, sous les Romains, les artistes n'apportaient plus la•même attention à polir leurs œuvres; . la surface demeurant ru-gueuse, telle que la fonte l'avait produite, la condition primor-diale de la patine faisait défaut. Du reste il ne faut passe dissi-muler non plus que, sauf clans certains endroits particulièrementfavorisés, comme Dodone, les objets non pas oxydés, mais pa-tinés; sont toujours rares, et plus encore ceux dont la patine estréellement belle, car il fallait pour sa production un concours decirconstances toujours exceptionnelles. Si l'homme était inter-venu pour la créer elle serait plus fréquente.

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tA IATÏNE DIT BRONE ANTIQUÉ 28

Onnesaurait soutenir que jamais dans leste tops ancien il n'estvenu à la pensée d'un sculpteur de.provoquer à la surface de sonoeuvré une oxydation semblable à l'une de celles qu'il pouvaitobserver sur des ouvrages d'époque antérieure. Une assertionsemblable, et nécessairement dénuée de preuves, est fort loin dema pensée; je n'oublie pas le texte où Pline signale la mode fortéphémère de goudronner les statues de bronze, qui fit place à.l'usage de la dorure; mais ou peut affirmer hardiment que jamaisle patinage ou le laquage du bronze ne fut une pratique suiviedes sculpteurs antiques. Tout dans leur éducation artistique ettechnique devait les cri éloigner.

C'est à peine s'il y aurait eu là une fraude de contrefacteur, untruquage commis par des marchands peu scrupuleux, à l'époqueoù l'aristocratie impériale collectionnait avec ardeur les oeuvresde l'antiquité grecque. Les fraudes étaient alors nombreuses danstoutes les industries d'art ou de luxe, surtout pour les pierresprécieuses. Pline nous a fait connaître les moyens employés deson temps par les joailliers pour démasquer les faussaires, maisil ne dit rien pour le bronze, peut-être parce que la toreutiqueavait échappé à ce genre d'industrie, au moins en ce qui concernela coloration.

F. DE \TILLEN0ISY

1. Pljn p , XXXiV, 9,

ANCF.as DII'. A. SCIIDIN ET C 1 ', 4, RUE OÀFUtEO,