Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944

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    1/407

    BIBLIOTH?QUE D'

    HUMANISME

    ET

    RENAISSANCE

    TRAVAUX

    &

    DOCUMENTS

    Tome V

    LIBRAIRIE

    E.DR02

    25,

    RUE

    DE

    TOURNON

    PARIS,VIe

    1944

  • 8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944

    2/407

    BIBLIOTH?QUE

    D

    HUMANISME

    ET

    RENAISSANCE

    PtUkation

    non

    p?riodique

  • 8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944

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    ? 360

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    ExemplaireN?

    R?imprim?

    avec

    l'autorisation

    e la

    Librairie

    roz S.A.

    et

    de

    Mademoiselle

    E.

    Droz

    par

    Librairie

    Droz S.A.

    Slatkine

    Reprints

    Swets&

    Zeitlinger

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    BIBLIOTH?QUE

    D*

    HUMANISME

    ET

    RENAISSANCE

    TRAVAUX

    & DOCUMENTS

    Tome

    V

    LIBRAIRIE

    E.DR02

    25,

    RUE

    DE

    TOURNON

    PARIS

    VIe

    1944

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    TRAVAUX

    LES MOYENS D'EXISTENCE D'?RASME

    I

    Les

    trente

    premi?res

    ann?es

    de la

    vie

    d'?rasme

    sont

    sans

    int?r?t

    pour

    l'histoire

    de

    ses ressources.

    Malgr?

    sa

    naissance

    irr?guli?re,

    il

    a une

    enfance

    prot?g?e

    par

    une

    m?re

    d?vou?e

    et

    tendre.

    ?lev?

    dans

    un

    milieu

    ais?,

    puis

    dans lesmeilleures ?coles, il n'a pas ? souffrir. A 18 ans,

    il

    entre

    au

    couvent

    o?

    toujours

    et

    pour

    tous,

    la

    table

    est

    mise.

    Il

    n'en

    sort,

    ?

    26

    ans,

    que

    pour

    devenir le client

    d'un

    pr?lat,

    Henri de

    Berghes, ?v?que

    de

    Cambrai

    et,

    en

    1495,

    lorsque

    cette

    tutelle

    lui fait

    d?faut,

    il

    se

    r?fugie

    au

    coll?ge

    de

    Montaigu,

    comme

    boursier.

    Jusqu'?

    Tage

    de

    29

    ans,

    ?rasme

    n'a

    jamais

    affront?

    la vie

    ;

    il

    a

    tou

    jours

    mang?

    ?

    la

    table

    commune

    ;

    il

    n'a

    jamais

    eu

    d'ar

    gent ? lui.

    *

    *

    *

    Lorsqu'enfin,

    ?

    30

    ans,

    il

    essayera

    de

    voler

    de

    ses

    propres

    ailes,

    comme

    tous

    les

    intellectuels

    sans

    place,

    il

    cherchera

    ?

    enseigner

    ce

    qu'il

    sait,

    en

    l'occurrence,

    le latin.

    Des

    appuis

    consid?rables

    dans les

    milieux universitaires

    lui

    valent

    des

    ?l?ves

    riches,

    ?

    peine

    une

    demi-douzaine

    :

    les deux fr?res Christian et Henri Northoff, fils d'un

    gros

    marchand

    de

    L?beck

    qui

    devinrent

    eux-m?mes

    des

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    8

    JEAN HOYOUX

    marchands

    Thomas

    Grey,

    Robert

    Fisher,

    appel?

    plus

    tard

    ?

    de

    hautes

    destin?es

    2,

    et

    William

    Blount,

    lord

    Mountjoy.

    Nous

    ignorons

    tout

    des

    le?ons

    orales

    qu'?rasme

    a

    pu

    leur

    donner

    et

    m?me

    s'il

    leur

    en a

    donn?.

    Ce

    qui

    est

    s?r,

    c'est

    qu'il

    leur

    a

    fait

    un

    cours

    par

    correspondance

    dont

    il nous reste des fragments dans des lettres que trop de

    biographes

    ont eu

    le

    tort

    de

    prendre

    au

    s?rieux.

    ?tant

    donn?e

    l'horreur

    d'?rasme

    pour

    l'enseignement,

    nous

    avons

    m?me

    les

    meilleures

    raisons de

    croire

    qu'il

    n'a

    gu?re

    donn? de

    le?ons,

    qu'il

    a

    gagn?

    ses

    cachets

    en

    en

    voyant

    ?

    ses

    ?l?ves des

    lettres,

    qui

    ne

    sont

    que

    des

    mo

    d?les de

    narration

    et

    de

    style

    ?crits

    sur

    n'importe quel

    sujet.

    Il

    pratique

    d?j?

    la

    p?dagogie

    qui

    aboutira

    aux

    Colloques 3.

    Uu

    jour,

    par

    exemple

    (f?vrier

    1497),

    il

    raconte

    ?

    Christian

    Northof?

    une

    banale

    sc?ne

    de

    rue

    :

    ?

    J'ai

    vu

    aujourd'hui

    ma

    servante

    lutter

    contre

    une

    forte

    matrone

    d'une

    fa?on

    bien

    ?nergique.

    La

    trompette

    du

    rassem

    blement avait

    sonn?

    bien

    avant

    le

    combat,

    on

    s'?tait

    lanc?

    1

    D?j?

    en

    f?vrier

    1498,

    dans

    la

    suseription

    d'une

    lettre,

    Erasme

    qualifie

    Christian

    Northof?

    de

    ?

    mercator

    Lubecensis

    ?, Allen,

    Opus

    EpistolarumDes.

    Er

    asmi

    Roter

    odami,

    1.1,

    p.

    196,

    ep.

    70.

    2

    Si

    les

    origines

    de

    Grey

    sont

    peu

    connues,

    nous savons

    que

    Robert

    Fisher

    ?tait

    le cousin

    de

    Jean

    Fisher,

    futur

    ?v?que

    de

    Rochester.

    Lui-m?me

    fit

    sa

    carri?re

    dans

    l'Eglise,

    nous

    le

    retrouvons

    plus

    tard

    chanoine

    ?

    Windsor.

    Erasme

    ?crivit

    pour

    lui,

    vers

    1500,

    une

    para

    phrase

    sur

    les

    Elegantise

    de Laurent

    Valla,

    travail

    qui

    ne

    parut

    qu'en

    1531,

    l'humaniste

    l'ayant

    repris

    pour

    lutter

    contre

    Gymnich

    qui,

    s'?tant

    empar?

    de

    son

    premier

    manuscrit,

    l'imprimait

    ?

    Co

    logne,

    en

    1529,

    d'une

    fa?on

    frauduleuse,

    et contre

    Robert

    ?tienne

    qui

    ?ditait

    ?

    Paris,

    en

    1530,

    l'ouvrage

    vol? de

    Gymnich,

    apr?s

    avoir

    traduit

    les

    notes

    allemandes

    en

    fran?ais.

    3

    Erasme

    a

    cependant

    ?crit

    des

    ouvrages

    p?dagogiques,

    tel

    le

    De

    ratione studii

    compos? pour

    Thomas

    Grey (Allen,

    I,

    p.

    193,

    ep. 66),

    mais

    dans la

    lettre

    ?

    Botzheim,

    ?crite

    en

    1523

    (Allen,

    I,

    p.

    9,

    ep.

    1),

    Erasme

    pr?tend qu'il

    a

    ?crit

    cet

    ouvrage

    en

    l'honneur de

    Petrus

    Viterius,

    trait

    de

    caract?re

    dont

    nous

    aurons

    bient?t

    ?

    parler.

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    MOYENS d'EXISTENCE d'?RASME 9

    des

    gros

    mots

    de

    part

    et

    d'autre,

    puis

    on

    s'?tait

    s?par?

    avec

    une

    rage

    ?gale,

    personne

    ne

    s'avouant

    vaincu. Cela

    se

    passait

    dans

    le

    jardin

    ;

    de

    ma

    chambre,

    je

    suivais

    la

    sc?ne

    sans

    rien

    dire,

    en

    proie

    ?

    une

    bien douce

    joie.

    Mais voici

    comment

    les

    choses

    se

    g?t?rent.

    Ma

    servante

    revient

    et

    monte

    pour

    ar

    ranger

    le

    lit

    ;

    nous

    parlons,

    je

    la

    f?licite d'un

    courage

    qui

    ne

    faiblissait

    pas

    devant

    les

    coups

    de

    gueule,

    mais

    je

    lui

    dis

    regretter que

    la

    vaillance

    de,

    ses

    bras

    n'?gal?t pas l'agi

    lit?

    de

    sa

    langue.

    Car

    hier,

    cette

    jument,

    v?ritable

    hercule,

    avait

    battu

    ?

    coups

    de

    poings

    la

    pauvre

    fille

    qui

    n'avait

    m?me

    pas

    r?sist?.

    ?

    Mais

    tu

    n'as

    donc

    pas

    d'ongles

    pour

    te

    laisser traiter

    de

    pareille

    fa?on

    ?

    ?

    Elle

    me

    r?pondit,

    un

    peu

    g?n?e,

    que

    sa

    force

    n'?galait

    pas

    son

    courage.

    ?

    Mais

    est-ce

    que

    tu

    penses que

    la

    force

    seule

    joue

    un

    r?le ?

    la

    guerre.

    La

    ruse

    ne

    triomphe-t-elle

    pas

    partout

    ?

    ?

    Et

    comme

    elle

    me

    demandait

    ce

    qu'il

    fallait

    faire

    :

    ?

    Il

    faut,

    quand

    tu

    la

    rencontre

    ras,

    lui arracher

    son

    peigne

    et

    lui

    sauter

    aux

    cheveux

    ?...

    On

    devine

    sans

    peine

    le

    r?sultat de

    pareil

    conseil,

    pourtant

    l'humaniste

    ne

    nous

    fait

    gr?ce

    d'aucun

    d?tail

    :

    On

    accourut

    et

    on

    retrouva

    la

    matrone

    se

    roulant ?

    terre

    avec ma

    servante

    et

    c'est

    ?

    grand

    peine

    qu'on

    put

    les

    s?

    parer

    1

    ?.

    Une

    autre

    fois

    (4

    f?vrier

    1497),

    ?rasme

    envoie

    ?

    Montjoy

    une

    esp?ce

    de r?daction

    sur

    l'hiver

    et

    les diffi

    cult?s

    des

    voyages,

    le

    tout

    relev?

    de

    mythologie

    scolaire

    :

    ?

    Enfin

    nous

    sommes

    arriv?s

    et,

    malgr?

    tout,

    sains

    et

    saufs.

    Pourtant

    les dieux

    infernaux

    et

    c?lestes

    ?taient

    contre

    nous.

    Quel ?pouvantable

    chemin

    Quel

    Hercule

    ou

    quel Ulysse

    n'ai

    je

    pas

    le

    droit de

    m?priser

    maintenant

    ? Junon

    qui

    harc?le

    toujours

    les

    po?tes

    luttait

    contre

    moi,

    de

    nouveau

    elle

    implo

    rait

    Eole

    et

    les

    vents

    s'acharnaient

    contre

    nous,

    nous

    com

    battaient

    de

    toutes leurs

    armes,

    le

    froid,

    la

    neige,

    la

    gr?le,

    la

    pluie,

    le

    brouillard...

    de

    tous

    leurs

    maux...

    La

    terre ?tait

    cou

    1

    Allen,

    I,

    p.

    170,

    ep.

    55.

  • 8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944

    8/407

    10

    JEAN HOYOUX

    verte

    de

    glace

    qui

    ne

    formait

    pas

    une

    surface

    plane

    mais

    de

    petites

    ?l?vations

    pointues qui

    ?mergeaient

    ??

    et

    l?...

    Les

    arbres

    paraissaient

    rev?tus

    d'un

    manteau

    glac?...1

    ?.

    Beaucoup

    d'auteurs

    ont

    pris

    ?

    la

    lettre

    ces

    belles

    phrases

    d'?rasme

    et

    les

    citent

    comme

    preuve

    de

    sa

    mi

    s?re

    et

    de

    son

    courage.

    De plus, inaugurant une m?thode qui lui est ch?re

    et

    qu'il

    appliquera

    plus

    tard

    dans les

    Colloques,

    il

    bourre

    ses

    lettres

    d'exercices

    de

    vocabulaire,

    exprimant plusieurs

    fois

    la

    m?me

    id?e

    avec

    des

    mots

    diff?rents.

    Citons

    des

    exemples

    de

    ces

    jeux

    litt?raires

    :

    ?

    Tu

    parais

    plus

    pr?s

    de

    l'?l?gance

    de

    Timon

    que

    de

    celle de

    Cicer?n,

    j'aimerais

    cependant

    mieux

    que

    tu

    suives

    Cicer?n.

    La

    beaut?

    attique

    est

    beaucoup

    meilleure. Tu

    es

    loin de

    la

    formeasiatique. La rhodienne n'est pas celle que tu cherches.

    Tu

    parais

    rappeler

    le

    genre

    punique

    et

    m?me

    allobroge

    quoique

    ce

    soit

    de

    tr?s

    loin

    et

    qu'il paraisse

    m?l? d'Arabe

    et

    d'Espagnol,

    le

    patois

    de C?lin

    y

    cachant

    son

    dard...

    2

    ?.

    ?

    Quel

    Cerb?re,

    quel

    Sphynx, quelle

    Chim?re,

    quelle

    Tisi

    phone,

    quelle

    larve

    est

    assez

    mauvaise

    pour

    ?tre

    compar?e

    ?

    ce

    cauchemar

    que

    vient

    de

    nous

    vomir

    la

    Gothie

    ?

    Quel

    scorpion,

    quel

    mille

    pieds,

    quel

    serpent

    venimeux

    est

    plus

    dangereux

    ?...3

    ?

    Je

    t'appellerai

    vaurien,

    bourreau,

    gibier

    de

    potence,

    pen

    dard,

    sc?l?rat,

    bandit,

    monstre,

    fain?ant, fumier,

    fosse

    ?

    purin,

    peste,

    malheur,

    infamie,

    fourbe,

    dissipateur,

    porte

    de

    prison,

    prison,

    honte

    d'?cole,

    compagnon

    du

    fouet,

    et

    si

    je

    pouvais

    trouver

    une

    expression

    plus

    infamante

    encore,

    je

    te

    l'endosserais

    tout de

    suite,

    en

    plus

    de

    toutes

    celles-l?...

    4.

    ?

    Dans

    le

    programme

    id?al

    trac?

    par

    le

    professeur,

    ses

    ?l?ves,

    pour

    se

    perfectionner,

    devaient

    r?pondre

    ?

    toutes

    1

    Allen,

    I,

    p.

    224,

    ep.

    88

    2

    Allen, 1,

    p.

    169,

    ep.

    54.

    3

    Allen,

    I,

    p.

    176,

    ep.

    58,

    Paris,

    juillet

    1497,

    ? Thomas

    Grey.

    4

    Allen,

    I,

    p.

    96,

    ep.

    70,

    Paris,

    13

    f?v.

    1498,

    ?

    Christian

    Northof?.

  • 8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944

    9/407

    MOYENS

    d'EXISTENCE d'?RASME 11

    ses

    lettres aussi

    longuement

    et

    aussi

    soigneusement

    que

    possible.

    Mais

    ils

    n'en

    faisaient

    rien,

    les

    louanges

    exces

    sives

    dont ils

    sont

    accabl?s

    au

    moindre

    de

    leur

    billet1

    alternant

    avec

    des

    reproches

    cinglants2

    sont,

    je pense,la

    preuve

    certaine

    de leur

    n?gligence.

    En

    plus

    de

    cet

    enseignement

    par

    correspondance,

    ?rasme

    prend

    des

    ?l?ves

    ?

    demeure,

    chez

    lui, pour

    leur

    donner

    une

    ?ducation

    compl?te.

    C'est

    le

    syst?me

    habi

    tuel de

    l'?poque

    que

    pratiquaient

    sur

    une

    grande

    ?chelle

    ce

    James

    Voecht

    et

    cet

    Augustin

    Caminade

    dont

    nous

    parle

    M.

    Renaudet,

    qui

    avaient

    des

    Acad?mies

    ?

    eux,

    avec

    leur

    internat

    et

    leurs

    pensionnaires

    3.

    Nous

    ne

    connaissons

    que

    deux

    de

    ses

    ?l?ves

    pour

    les

    quels

    il

    ?tait

    un

    v?ritable

    pr?cepteur,

    Henri

    Northof?,

    le

    fr?re de

    ce

    Christian

    Northof?

    qui

    suivait

    les

    cours

    par

    lettres,

    et

    un

    inconnu de

    L?beck,

    amen?

    du reste

    par

    Henri.

    Avec

    eux,

    les

    rapports

    de

    l'humaniste

    sont

    vraiment

    ?troits.

    Il

    les

    a

    aim?s d'un

    amour

    profond

    et

    tendre de

    professeur.

    Ils

    logent

    chez

    ?rasme,

    et

    man

    gent

    ?

    sa

    table

    ;

    quand

    ils

    tombent

    malades,

    ils

    sont

    soi

    gn?s

    par

    le

    ma?tre

    qui

    en

    parle

    toujours

    comme

    de

    ses

    petits

    gar?ons

    4.

    Mais

    ses

    pr?f?rences

    vont nettement

    1

    Allen,

    I,

    p.

    169,

    ep.

    54,

    Paris,

    Printemps

    1497,

    ? Christian

    Northoi?

    :

    Ita

    me

    deus

    omet,

    haud

    expectaram

    abs

    te

    tantum

    elegantiae,

    vel

    potius

    eloquentiae

    ;

    nom

    elegantem

    futurum

    facile prospexi.

    Quare

    tuae

    l?terae

    voluptati

    mihi in

    primis

    fuerunt.

    Proinde

    te

    hortor

    ut

    isto

    cursu

    per

    gas,

    propediem

    tui

    pr

    ceptoris

    simillimus

    evasurus.

    2

    Allen,

    I,

    p.

    196,

    ep.

    70,13

    f?v.

    1498,

    ?

    Christian

    Northof?.

    3

    A.

    Renaudet,

    Pr?r?forme

    et

    Humanisme

    ?

    Paris,

    Paris,

    1916,

    pp.

    287

    et

    398.

    4Allen, I,

    p.

    215,

    ep.

    82, Paris, d?cembre 1498, ? un homme de

    L?beck

    :

    Aegrotavit

    graviter

    nuper,

    sed

    convoluti

    Dei

    beneficio

    et

    medicorum

    opera.

    Fuit in

    tutela

    mea

    complusculos

    menses,

    quibus

    ei

  • 8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944

    10/407

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    MOYENS

    D'EXISTENCE

    d'?RASME

    13

    Lorsque

    Ton voit

    ?rasme

    ?

    ce

    point besogneux,

    ?

    la

    merci

    de

    tous et

    m?me

    d'un

    seul

    ?l?ve,

    on

    est

    effray?

    de

    la

    rapidit?

    et

    de

    la

    violence

    avec

    laquelle

    l'humaniste

    rejette

    comme

    un

    carcan

    cet

    enseignement qu'il

    d?

    teste,

    ces

    rab?chages

    qui

    l'assomment.

    Au

    printemps

    de l'ann?e

    1499,

    Mountjoy

    propose

    ?

    ?rasme

    de

    l'accompagner

    en

    Angleterre

    et

    celui-ci,

    avec

    un

    m?pris

    total

    de

    ses

    ?l?ves

    et

    de

    sa

    vie,

    aban

    donne

    tout

    et

    y

    va.

    Avec

    une

    impr?voyance

    inou?e,

    il

    s'installe

    dans

    ces vacances comme

    dans

    une

    vie

    d?fini

    tive.

    Dans

    ce

    pays

    ?tranger

    o?

    il est

    uniquement

    l'invit?

    de

    Mountjoy,

    ?rasme

    se

    sent

    ?

    son

    aise.

    On

    le

    comprend

    au

    ton

    de

    ses

    lettres. Certaines trahissent

    un

    enthou

    siasme

    qui

    ?tonne,

    qui

    ?meut m?me.

    ?rasme

    ne

    songe

    pas

    au

    lendemain,

    il

    se

    croit devenu

    un

    homme

    nouveau,

    qui

    peut

    s'int?resser

    ?

    la

    chasse,

    aux

    chevaux

    et

    aux

    femmes.

    T?moin

    cette

    lettre

    extraordinaire

    ?crite

    ?

    Faustus Andrelinus

    en

    1499

    et

    unique

    dans

    toute

    la

    correspondance.

    Tout

    l'?picurisme

    d'?rasme,

    brusque

    ment

    d?brid?

    apr?s

    trente

    ans

    de contrainte

    et

    trois

    ans

    de

    mis?re,

    ?clate enfin

    avec une

    joie

    na?ve

    :

    ?

    Moi

    aussi

    je

    fais

    des

    progr?s

    en

    Angleterre.

    Cet

    ?rasme

    que

    tu

    as

    connu

    jadis,

    le

    voil?

    devenu

    presque

    bon

    chasseur,

    cavalier

    passable,

    homme

    de

    cour

    habile,

    sachant

    saluer

    et

    sourire

    avec

    gr?ce

    et

    tout

    cela

    comme

    malgr?

    lui.

    Si

    tu

    ?tais

    raisonnable,

    tu

    volerais

    bien

    vite

    jusqu'ici.

    Comment

    un

    homme

    tel

    que

    toi

    peut-il

    supporter

    de

    vieillir

    parmi

    ces

    ?

    merdas

    gallicas

    ?...

    Si

    tu

    connaissais

    l'Angleterre

    et

    ses

    charmes,

    tu

    accourrais,

    des

    ailes

    aux

    talons,

    tu

    souhaiterais

    ?tre

    D?dale...

    Il

    y

    a

    ici

    des

    nymphes

    aux

    traits

    divins,

    gentilles

    et

    faciles,

    bien

    sup?rieures

    ?

    vos muses.

    Et

    n'oublie

    pas

    qu'il

  • 8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944

    12/407

    14

    JEAN HOYOUX

    y

    a

    en

    Angleterre

    une

    coutume,

    que

    nous ne

    pouvons

    pas

    assez

    louer,

    qui

    veut

    que,

    o?

    qu'on

    aille,

    on

    soit

    re?u

    par

    des baisers.

    Si

    tu

    prends

    cong?,

    on

    t'embrasse. Si

    tu

    reviens,

    on

    t'accueille

    par

    des

    baisers. Si

    l'on vient

    te

    visiter,

    on

    t'embrasse. Si

    l'on

    te

    quitte,

    encore

    des

    baisers. Si

    l'on

    se

    rencontre,

    toujours

    des

    baisers.

    O

    Faustus,

    si

    tu

    avais

    go?t?

    une

    fois

    combien

    doux

    et

    parfum?s

    sont

    ces

    baisers,

    tu

    voudrais

    ?tre

    un

    voyageur,

    non

    pas

    dix

    ans

    seulement,

    comme

    Solon,

    mais

    pendant

    la

    vie

    en

    ti?re,

    pour

    la

    passer

    toute en

    Angleterre

    1 ?.

    Au

    surplus,

    ne

    nous

    y

    trompons

    pas.

    ?rasme

    n'est

    pas,

    ne

    sera

    jamais

    un

    ?

    mondain

    ?.

    Son

    euphorie

    vient

    sur

    tout

    de

    ce

    qu'il

    jouit

    de

    bonnes

    conditions

    de

    travail.

    Son

    intelligence,

    pour

    s'?panouir,

    a

    besoin

    d'un

    certain

    confort.

    En

    Angleterre,

    il

    travaille

    ?norm?ment.

    C'est

    l'?poque

    de la

    premi?re

    rencontre

    avec

    Thomas

    More,

    des discussions

    passionn?es

    avec

    Colet

    sur

    la

    Sueur de

    Sang,

    la

    p?riode

    de

    pr?paration

    des

    Adages

    et

    du

    Nou

    veau

    Testament.

    *

    Mais

    apr?s

    cette

    accalmie

    anglaise,

    ?rasme

    revient

    en

    France

    et

    c'est

    ?videmment

    la

    mis?re

    puisqu'il

    n'a

    plus

    rien

    pour

    le

    soutenir,

    ayant

    abandonn?, pour

    suivre

    Mountjoy,

    ses

    moyens

    de

    subsistance,

    c'est-?-dire ses

    ?l?ves.

    L'hiver

    1500-1501

    lui

    est

    surtout

    p?nible.

    Il

    rassemble

    ses

    maigres

    ressources,

    fait

    le

    compte

    de

    ses

    derniers

    amis,

    ?crit

    des

    lettres

    d?sesp?r?es

    ?

    Batt

    qu'il

    avait

    connu

    secr?taire

    municipal

    de

    Bergen

    et

    qui,

    dans

    l'entretemps,

    est

    devenu

    pr?cepteur

    du

    jeune

    Adolphe,

    fils

    de la

    marquise

    de Veere. Deux

    jours

    de

    suite2,

    il

    re

    1

    Allen,

    I,

    p.

    238,

    ep.

    103.

    Allen,

    I,

    p.

    320

    et

    p.

    325,

    ep.

    138

    et

    139,

    Orl?ans,

    11

    et

    12

    d?

    cembre

    1500.

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    14/407

    16

    JEAN

    HOYOUX

    moins d'une chance

    anormale,

    d'une

    carri?re

    extraor

    dinairement

    rapide.

    Elle

    a

    laiss?

    ?

    ?rasme

    un

    souvenir

    particuli?rement

    cruel

    ;

    ?

    c'est le

    temps,

    dira-t-il

    lui

    m?me,

    en en

    parlant plus

    tard,

    o?

    j'ai

    tra?n?

    mis?rable

    ment

    une

    existence

    inutile,

    o?

    je

    n'ai

    fait

    que

    vivre

    sans

    pouvoir

    travailler

    ?

    Et

    il

    sait

    que

    s'il

    n'arrive

    pas

    ?

    se

    procurer

    des

    ressources,

    il

    devra

    rentrer

    au

    couvent.

    Pendant

    cette

    p?riode

    de

    g?ne,

    ?rasme

    loue

    une

    chambre

    2

    et,

    pour

    le

    servir,

    il

    a

    un

    puer,

    un

    domes

    tique

    qu'il

    ne

    paye

    peut-?tre

    pas,

    mais

    qu'il

    nourrit

    et

    qu'il

    habille

    3.

    Il

    n'a

    pas

    d'?curie,

    ou

    du moins

    il

    n'a

    que

    des

    rosses.

    Pour

    voyager,

    il

    demande

    ?

    Batt de

    lui

    en

    voyer

    des

    chevaux

    :

    ?

    Je

    ne

    d?sire

    pas,

    ?crit-il,

    un

    Buc?

    phale

    mais

    je

    voudrais

    quand

    m?me

    une

    monture

    sur

    laquelle

    on

    soit d?cent

    ?.

    Puis

    tout

    de

    suite,

    il

    demande

    un

    second

    cheval

    pour

    son

    valet,

    car

    il

    a

    l'intention

    de

    l'emmener

    avec

    lui

    4.

    Quand

    il

    a

    un

    peu

    d'argent,

    c'est

    pour

    acheter

    des

    livres

    grecs.

    La toilette

    passe

    apr?s

    5.

    ?rasme

    ? cette

    ?poque

    devait

    ?tre

    tr?s

    mal

    habill?,

    de

    quoi

    son

    raffine

    ment

    souffrait

    peut-?tre.

    Entre

    lui

    et

    son

    puer,

    c'est

    la

    vie

    simple

    de

    ma?tre

    ?

    valet

    si

    plaisamment

    d?crite

    dans

    les

    Colloques

    :

    1

    Allen,

    I,

    p.

    50,

    Compendium

    vitae Erasmi

    :

    vixit

    verius

    quam

    studuit.

    Le

    texte

    n'est

    peut-?tre

    pas

    authentique

    (cf.

    R.

    Crahay,

    Humanisme

    et

    Renaissance,

    t.

    VI,

    1939,

    pp.

    7

    et

    135)

    mais

    l'expres

    sion

    rend

    exactement

    le

    sentiment

    d'Erasme.

    2

    Allen, I,

    p.

    209,

    ep.

    80,

    Paris,

    29

    nov.

    1498,

    ? J. Batt

    :

    Cubiculi

    locationem

    persolvi.

    3

    Allen,

    I,

    p.

    329,

    ep.

    139,

    Orl?ans,

    12 d?c.

    1500,

    ?

    J. Batt

    :

    De

    veste

    quod

    scribis

    nimis

    contumeliose,

    jac

    ut

    videbitur.

    Mihi

    tarnen

    ridiculum videtur

    puerum

    alere

    et

    non

    vestire.

    ?

    Le

    domestique qui

    servait

    Erasme

    ?tait,

    en

    1501

    du

    moins,

    un

    certain Louis

    men

    tionn?

    dans

    les

    lettres

    146,151,155,157,

    etc.

    4

    Allen,

    I,

    p.

    211,

    ep.

    80, Paris,

    29

    nov.

    1498.

    5

    Allen,

    I,

    p.

    288,

    ep.

    124,

    Paris,

    12 avril

    1500,

    ?

    J.

    Batt.

  • 8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944

    15/407

    MOYENS d'EXISTENCE d'?RASME 17

    ?

    Quel

    ma?tre

    imp?rieux

    j'ai

    l?,

    dix

    serviteurs

    d?gourdis

    ?

    ses

    ordres

    seraient

    ?

    peine

    assez.

    ?

    Que

    dis-tu

    fain?ant ?

    Rien

    du

    tout.

    ?

    Est-ce

    que

    je

    ne

    t'entends

    pas

    murmurer

    ?

    En

    effet,

    je prie.

    ?

    Tu

    dis,

    je

    crois,

    ton Pater

    ? rebours.

    La

    ?

    pri?re

    du ma?tre

    ?,

    tu

    la

    dis ? l'envers.

    Qu'est-ce

    que

    tu

    grognes

    au

    sujet

    de l'ordre

    ?

    Je demande

    que

    tu

    sois fait

    g?n?ral

    en

    chef. Et

    moi

    que,

    de souche

    que

    tu

    es,

    tu

    sois

    fait

    homme

    de

    nouveau.

    Suis-moi

    jusqu'? l'?glise.

    Cours ?

    la maison

    et

    pr?pare

    les

    lits.

    Mets-moi

    tout

    cela

    en

    ordre. Fais

    que

    toute

    la

    maison

    brille.

    Nettoie

    le

    vase

    de

    nuit.

    ?carte

    des

    yeux

    ces

    salet?s.

    Peut-?tre certains

    courtisans

    viendront

    me

    voir.

    Si

    je

    vois

    quelque

    chose

    omis,

    tu recevras

    force

    coups.

    ?

    Je

    connais

    en

    effet

    ta

    bont?.

    ?

    Prends

    donc

    garde,

    si tu

    n'es

    sage.

    ?

    Mais

    en

    attendant,

    aucune

    mention

    du

    repas.

    ?

    Voil?

    ce

    qu'il

    a

    dans

    l'esprit

    ce

    fripon.

    Je

    ne

    mange

    pas

    ? la

    maison,

    c'est

    pourquoi,

    vers

    10

    heures,

    viens

    me

    rejoindre

    et

    conduis

    moi

    l?

    o?

    je mangerai.

    ?

    C'est

    ce

    que

    tu te

    proposes

    en

    effet,

    mais ici, entre temps, je n'ai rien ?manger. ? Si tun'as pas de

    quoi

    manger,

    tu

    as

    de

    quoi

    avoir

    faim.

    Personne

    ne

    peut

    apaiser

    sa

    faim

    en

    je?nant.

    ?

    Il

    y

    a

    du

    pain.

    ?Oui,

    mais

    tout

    noir

    et

    plein

    de

    son.

    ?

    Quel

    homme

    d?licieux

    tu

    fais.

    Il

    te

    faudrait

    du foin

    si

    on

    te

    donnait

    une

    nourriture

    digne

    de toi.

    Est-ce

    que

    tu

    me

    demandes

    pour

    toi,

    ?ne,

    un

    plein chargement

    de

    g?teaux.

    Si le

    pain

    te

    d?go?tes,

    ?

    d?faut

    de

    viande,

    ajoutes-y

    du

    poireau

    ou

    de

    l'oignon

    1

    ?.

    Ces

    deux

    ann?es 1500-1501

    sont

    pour

    ?rasme

    les

    pires

    de

    toutes

    ;

    il

    s'y

    est

    d?crit dans

    sa

    fameuse boutade

    ?

    Guillaume

    Hermans

    :

    ?

    Si

    tu

    veux

    te

    repr?senter

    ?rasme

    tel

    qu'il

    est,

    n'imagine

    pas

    un

    arrogant

    ou un

    f?tard,

    mais

    figure-toi

    un

    homme

    triste,

    afflig?,

    m?pris?

    de

    tous

    et

    de

    lui-m?me,

    tr?s

    malheureux,

    pas

    de

    sa

    faute,

    mais

    malheureux

    quand

    m?me

    2.

    ?

    Cette

    p?riode

    pass?e,

    la

    1

    Er.

    Coll.

    F

    am.

    Lipsiae,

    H

    er

    Ma,

    Rabinus

    Syrus,

    ?d.

    Holtze,

    t.

    I,

    p.

    33.

    2

    Allen,

    I,

    p.

    219,

    ep.

    83.

    2

  • 8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944

    16/407

    18

    JEAN

    HOYOUX

    chance

    tourne.

    D'abord,

    il

    fait

    un

    long

    s?jour

    aux

    Pays

    Bas,

    chez

    la

    marquise

    de

    Veere

    puis

    ?

    Saint-Omer. Par

    tout,

    il

    est

    re?u

    chez des

    amis.

    En

    1504,

    il

    fait

    un

    cours

    de

    rh?torique

    ?

    l'Universit? de

    Louvain,

    c'est

    l'?poque

    o?

    il

    prononce

    son

    Pan?gyrique

    ?

    Bruxelles,

    en

    l'honneur

    de

    Philippe

    le Beau. Il

    rentre

    ensuite

    ?

    Paris.

    En

    1505,

    nous

    le

    retrouvons

    dans

    sa

    bien aim?e

    Angleterre

    chez

    Mountjoy.

    A

    Cambridge,

    ?rasme

    rencontre

    deux

    jeunes

    gar?ons

    qui

    devaient

    quitter

    l'?le

    pour

    aller

    poursuivre

    leurs

    ?tudes

    ?

    Bologne.

    C'?taient

    les

    fils

    du

    docteur

    Baptiste

    Boerio,

    m?decin

    g?nois

    ?tabli

    en

    Angleterre

    et

    au

    service

    du

    roi. On

    propose

    ?

    ?rasme

    de

    les

    accompa

    gner,

    afin

    de

    diriger

    leurs

    ?tudes.

    Il

    accepte

    d'embl?e

    et

    r?alise

    ainsi

    son

    r?ve

    de

    voyage

    en

    Italie.

    Il

    y

    s?journe

    deux

    ans

    sans

    que

    l'on

    sache bien

    ce

    qu'il

    y

    fait,

    car sa

    correspondance

    est

    tr?s

    rare

    pendant

    ces

    ann?es

    1506-1508. On

    s'aper?oit

    seulement

    qu'il

    corrige

    les

    ?preuves

    de

    ses

    Adages

    chez

    Aide

    et

    surtout

    qu'il

    y

    d?couvre

    le

    moyen

    de s'enrichir

    car,

    ?

    partir

    de

    ce

    mo

    ment,

    et

    pendant

    les

    trente

    derni?res ann?es

    de

    son

    existence,

    il

    ne

    conna?tra

    plus

    que

    la vie

    large

    et

    ais?e.

    Exposons,

    comme

    nous

    l'avons

    fait

    pour

    la

    premi?re

    partie,

    la

    situation

    mat?rielle

    de

    l'humaniste

    pendant

    ces

    trente

    ann?es de

    chance,

    en nous

    basant

    sur

    sa

    corres

    pondance

    et

    les

    Colloques,

    mais

    faisons-le

    avec

    prudence,

    car

    la

    litt?rature,

    on

    le

    sait,

    est

    essentiellement

    une

    fonc

    tion

    de

    compensation.

    Or,

    ?rasme

    adorait

    le

    confort,

    la

    vie

    large,

    ais?e,

    d?barrass?e

    de

    tout

    souci

    d'argent.

    Sa

    jeunesse

    besogneuse

    lui avait laiss? un tr?s mauvais

    souvenir.

    Aussi

    ne nous

    ?tonnons

    pas

    si

    dans

    les

    Colloques

  • 8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944

    17/407

    MOYENS d'EXISTENCE d'?RASME 19

    on

    trouve

    inscrits

    quelques

    uns

    de

    ses

    r?ves,

    telle

    la

    mai

    son

    d'Eus?be,

    dans le

    Convivium

    Religiosum,

    ch?teau

    entour?

    d'un

    jardin

    d'agr?ment,

    d'un

    potager,

    de

    par

    terres o?

    l'on

    cueille

    des

    herbes

    m?dicinales,

    de

    pelouses

    et

    de

    vergers.

    Il

    y

    a

    des

    ruches

    et

    une

    basse-cour

    ;

    il

    y

    a

    aussi

    une

    chapelle

    pour

    les

    visiteurs

    pieux.

    Autour

    de

    l'habitation

    court

    une

    galerie orn?e de fresques et de

    mosa?ques

    qui

    racontent

    l'?vangile,

    l'histoire

    ancienne

    et

    aussi

    l'histoire

    naturelle.

    Une

    magnifique

    biblioth?que

    domine

    le

    jardin

    et

    donne

    acc?s

    ?

    la

    chapelle.

    Chapelle,

    jardin,

    biblioth?que

    :

    ce

    triptyque

    symbolise

    exactement

    tout

    l'?picurisme

    ?rasmien. Au

    bout

    de

    la

    propri?t?,

    il

    y

    a

    un

    pavillon

    o?

    l'on

    soigne

    les

    gens

    atteints

    de

    maladies

    contagieuses

    :

    voil?

    l'utopisme.

    Thomas

    More,

    d?cri

    vant l'?le de Nulle-Part, y met aussi des cliniques d'iso

    lement.

    Mais

    ce

    qui

    est

    s?r,

    c'est

    qu'?rasme,

    pendant

    cette

    p?riode,

    ne

    loue

    plus

    de

    chambre,

    mais

    habite

    des

    mai

    sons.

    Rappelons

    la

    confortable

    maison

    du

    Cygne,

    ?

    Anderlecht,

    o?

    il

    passa

    quelques

    mois

    en

    1521,

    et

    tout

    le

    charme

    de

    son

    beau

    jardin.

    Une

    ?tude

    r?cente

    1

    nous

    apporte

    des

    renseignements

    sur

    la

    fa?on

    princi?re

    dont

    il

    v?cut

    ?

    Fribourg (1529-1535).

    Le

    conseiller

    et

    tr?sorier

    Jacob

    Villinger

    lui

    pr?ta

    la

    somptueuse

    maison

    ?

    zum

    Weifisch

    ?,

    un

    v?ritable

    palais

    qui

    avait

    ?t? b?ti

    comme

    r?sidence

    pour

    l'empereur

    lui-m?me.

    La

    demeure

    a

    un

    magnifique

    encorbellement

    et

    un

    portail

    tr?s orn?

    ;

    c'est

    un

    des chefs-d'

    uvre

    de

    l'architecture

    priv?e

    du

    gothique

    tardif.

    Apr?s

    deux

    ans,

    les

    choses

    se

    g?t?rent

    ;

    il

    y

    eut

    des d?m?l?s

    entre

    l'humaniste

    et

    le

    conseil

    com

    1

    Gerhard

    Ritter,

    Erasmus

    und

    der

    deutsche

    Humanistenkreis

    am

    Oberrhein,

    1937,

    Fribourg

    en

    Brisgau,

    p.

    6.

  • 8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944

    18/407

    20

    JEAN

    HOYOUX

    munal

    ?

    la

    suite

    de

    quoi

    on

    l'invita

    ?

    se

    loger

    ailleurs.

    Il

    acheta

    alors

    la

    maison

    ?

    zum

    kindlein

    Jesu

    ?

    et

    en

    fit

    une

    demeure

    des

    plus

    confortables.

    Il

    mourut,

    on

    le

    sait,

    ?

    B?le,

    dans

    la belle

    maison

    ?

    zum

    Luft

    ?

    qui

    lui

    avait

    ?t?

    pr?t?e

    par

    Froben.

    ?rasme

    vit

    et

    vit bien. A vrai

    dire,

    il

    est

    sur

    ce

    point

    extr?mement discret, mais quelques mots, dans

    sa corres

    pondance,

    permettent

    de

    juger

    ce

    que

    fut

    son

    standard

    de

    vie.

    Il

    n'en

    est

    plus

    maintenant

    ?

    des

    haridelles

    que

    l'on

    a

    honte de

    monter,

    il

    poss?de

    des ?curies

    et

    des

    chevaux

    de

    prix

    qui

    le suivent

    m?me

    en

    Angleterre.

    A

    Cambridge,

    c'est

    un

    ami

    de

    l'endroit,

    William

    Gonell,

    qui

    en

    prend

    soin. L'humaniste

    ?crit

    ?

    plusieurs reprises

    pour

    lui

    exprimer

    sa

    satisfaction. Le 26 septembre 1513

    :

    ?

    Mon

    cheval

    me

    revient

    toujours

    plus

    facile

    et

    plus

    alerte,

    mon

    cher

    Gonell

    ;

    rien

    qu'?

    le

    voir,

    je

    comprends

    ?

    quel

    point

    tu

    le

    soignes

    1.

    ?

    En

    octobre

    1513

    :

    ?

    Si

    le

    cheval

    a

    besoin

    d'?tre

    ferr?, fais-le,

    car

    je

    pense

    qu'il

    aura,

    d'ici

    peu,

    une

    dure

    ?tape

    ?

    fournir 2.

    ?

    En

    avril

    1514

    :

    ?

    Tu

    me

    donnes

    des

    nouvelles

    de

    ma

    monture

    avant

    m?me

    de

    me

    dire

    si

    toi-m?me

    tu

    es en

    bonne

    sant?,

    voil?

    ce

    qui

    s'appelle

    un

    h?te aimable

    3.

    ?

    Et

    le

    28 avril

    1514

    :

    ?

    Tu

    m'annonces

    des

    choses

    bien

    agr?ables

    au

    sujet

    de

    mon

    cheval,

    cher

    Gonell,

    et

    je

    reconnais

    bien

    l?

    ta

    gentillesse

    ?

    4.

    Paroles d'amateur

    de

    chevaux, pour

    qui

    un

    domestique

    devient

    un

    personnage

    important

    par

    le

    seul

    fait

    qu'il

    soigne

    une

    b?te favorite.

    Le

    menu

    du

    Convivium

    religiosum,

    repas

    o?

    l'on

    1

    Allen, I, p. 532, ep.

    274.

    8

    Allen, I,

    p.

    534,

    ep.

    276.

    3

    Allen, I,

    p.

    555,

    ep.

    289.

    4

    Allen, I,

    p.

    561,

    ep.

    292.

  • 8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944

    19/407

    MOYENS d'EXISTENCE d'?RASME 21

    mange

    bien

    sans

    doute,

    mais

    sans

    exc?s,

    est

    le

    suivant

    :

    une

    ?paule

    de

    mouton,

    un

    chapon

    et

    quatre

    perdrix,

    sans

    compter

    les hors-d'oeuvres

    et

    les

    desserts 1.

    ?rasme

    ach?te

    lui-m?me

    ses

    vins,

    indice

    d'un

    connais

    seur.

    Ses

    tonneaux

    le

    pr?occupent,

    t?moins

    les lettres

    que

    voici.

    Le 7

    septembre

    1526

    :

    ?

    J'avais trois

    tonneaux

    de Bourgogne avec lesquels je comptais passer l'hiver.

    Mais

    pendant

    que

    j'en

    bois

    un,

    voil?

    qu'il

    devient

    pi

    quette

    ;

    j'ouvre

    alors

    les deux

    autres

    et

    je m'aper?ois

    qu'ils

    sont

    ?galement g?t?s.

    Tu

    m'obligerais

    beaucoup

    si

    tu

    voulais

    m'envoyer

    un

    gros

    tonneau

    de

    rouge,

    non

    pas

    du*

    tout

    ?

    fait

    alcoolis?,

    mais du

    g?n?reux

    quand

    m?me,

    assez

    ancien

    ?videmment

    2

    ?.

    Le

    1er

    avril

    1529

    :

    ?

    Pendant

    que

    je

    t'?crivais

    ceci,

    un

    messager

    est venu

    m'annoncer que le vin ?tait en chemin et qu'il serait ici

    aujourd'hui

    ou

    demain.

    D'apr?s

    la lettre

    d'?tienne

    ?

    J?r?me

    Froben,

    j'ai

    compris

    que

    le

    camionneur n'avait

    pas

    ?t?

    pay?.

    Il

    demande

    trois

    couronnes,

    je

    les

    lui

    donnerai

    bien volontiers.

    S'il

    demande

    plus,

    il

    aura

    autant

    qu'il

    faudra

    3

    ?.

    Le

    3

    mars

    1531,

    Jean

    Choler,

    vicaire

    g?n?ral

    de

    l'?v?que

    de

    Coire,

    lui

    ?crit

    d'Augsbourg

    :

    ?

    Je m'?tonne

    que

    tu ne nous

    aies pas

    encore

    donn? des nouvelles du

    vin

    que

    nous

    t'avons

    envoy?

    par

    ces

    charretiers

    de

    Fri

    bourg qui

    nous

    apportent

    d'ordinaire

    le

    n?tre,

    et

    par

    les

    quels

    Jean

    Baugartner

    d'Augsbourg

    exp?diait

    quelques

    tonneaux ?

    Zasius 4.

    ?

    Le

    4

    avril

    1531,

    ?rasme

    ?crit

    ?

    Antoine

    Fugger

    :

    ?

    A

    propos

    du

    tonneau

    de vin

    que

    1

    Er.

    Coll.

    Fam.

    Lipsiae

    :

    Convivium

    religiosum

    ;

    ?d.

    Holtze,

    t.

    I,

    p. 118.2

    Allen,

    VI,

    p.

    411,

    ep.

    1749,

    ?

    Ferry

    Carondelet.

    3

    Allen, VIII,

    p.

    124,

    ep.

    2139,

    ?

    L?onard de

    Gruy?res.

    *

    Allen,

    IX,

    p.

    149,

    ep.

    2438.

  • 8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944

    20/407

    22

    JEAN HOYOUX

    m'as

    envoy?

    par

    un

    autre

    convoyeur...1

    ?.

    Et

    le

    6

    avril

    1531

    ?

    L?onard de

    Gruy?res

    :

    ?

    Aujourd'hui,

    nous

    avons

    go?t?

    le

    vin

    que

    tu

    nous

    as

    donn?...

    2

    ?

    Trois

    lettres

    en

    un

    mois,

    trois

    envois

    de

    vin

    Il

    consid?re la bi?re

    comme

    la

    source

    de

    tous

    les

    maux,

    l'ayant

    toujours

    accus?e,

    les

    rares

    fois

    o? il

    en a

    bu,

    de

    lui

    avoir

    amen?

    des calculs

    aux

    reins

    pour

    le

    reste

    de

    sa

    vie

    3.

    Quant

    ?

    l'eau,

    pour

    lui,

    c'est

    ce

    que

    boivent

    les

    chiens 4.

    Or,

    la

    goutte

    l'accabla

    tr?s

    t?t.

    Elle

    est

    cruelle

    ment

    traduite dans le

    portrait

    de

    D?rer

    qui

    nous

    montre

    un

    ?rasme

    aux

    doigts

    tordus,

    d?form?s,

    qui

    contrastent

    si

    curieusement

    avec

    la

    beaut?

    parfaite

    d'un

    vase

    rempli

    de

    fleurs dessin?es

    avec une

    minutie

    gracieuse.

    Cette

    goutte,

    maladie douloureuse

    qu'aggrave

    la

    trop

    bonne

    ch?re, ?rasme, par

    une

    aberration

    opini?tre

    et

    d?con

    certante,

    la

    soignait

    avec

    des ufs

    battus

    5

    et

    du

    vin

    d?licat. On

    voit

    son

    id?e

    :

    le

    vin

    est

    la

    seule boisson

    qui

    ne

    soit

    pas

    nocive,

    tout

    ce

    que

    l'on

    peut faire,

    dans

    les

    cas

    graves,

    c'est

    y

    ajouter

    de

    l'eau

    sucr?e et

    bouillie

    ou

    en

    boire

    de

    l'autre

    plus

    d?licat,

    mais

    jamais

    de

    qualit?

    inf?rieure. Le

    bon vin

    n'am?ne

    pas

    les

    maladies,

    c'est

    la

    bi?re

    et

    la

    piquette qui

    les

    causent

    6.

    Habitu?

    ?

    la bonne

    ch?re,

    ?rasme

    aime

    les

    beaux

    v?te

    ments et il est

    loin

    le

    temps

    o? il

    devait choisir

    entre

    les

    livres

    et

    les

    habits.

    Maintenant

    quand

    il

    voyage,

    deux

    chariots

    remplis

    d'effets

    le

    pr?c?dent.

    En

    juillet

    1529,

    1

    Allen,

    IX,

    p.

    249,

    ep.

    2476.

    2

    Allen,

    IX,

    p.

    250,

    ep.

    2479.

    8

    Allen,

    I,

    p.

    549,

    ep.

    285,

    ?

    William

    Warham,

    janvier

    1514,

    Allen,

    I,

    p.

    552,

    ep.

    288,14

    mars

    1514,

    ?

    Antoine

    de

    Berghes,allen,

    VI,

    p.

    47,14

    mars

    1525,

    ?

    Willibald

    Pirckheimer.

    4

    Er.

    Coll.

    Fam.

    Lipsiae

    :

    Convivium

    Fabulosum

    ;

    ?d.

    Holtze,

    t.

    I,

    p.

    306.

    ?

    Quid

    igitur

    bibebat

    Romulus

    ??

    Idem

    quod

    bibunt

    canes.

    5

    Allen, VI,

    p.

    169,

    ep.

    1610,

    Baie,

    septembre

    1525,

    ? No?l Beda.

    6

    Allen, VI,

    p.

    422,

    ep.

    1759,

    B?le,

    octobre

    1526,

    ?

    Jean

    Francis

    et

    VII,

    p.

    507,

    ep.

    2057,

    B?le,

    1eroctobre

    1528,

    ? Er.

    Schets.

  • 8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944

    21/407

    MOYENS d'EXISTENCE d'?RASME 23

    ?rasme

    d?cide

    de

    quitter

    Baie

    pour

    Fribourg

    o? il

    s?journera

    six

    ans

    et

    voici

    sa

    lettre

    ?

    Willibald

    Pirckhei

    mer

    :

    ?

    J'avais

    d?cid?

    de

    quitter

    B?le,

    mais

    je

    ne

    savais

    pas

    si

    je

    devais le

    faire

    en me

    cachant

    ou

    d'une

    fa?on

    ouverte.

    Me

    cacher

    ?tait

    plus

    s?r,

    mais

    l'autre

    moyen

    ?tait

    plus digne.

    J'ai

    pr?f?r?

    le

    digne

    au

    s?r,

    D?j?,

    j'avais

    envoy? en avant deux chariots (plaustra) charg?s de

    coffres

    et

    de

    bagages

    :

    car

    cela

    il

    n'y

    avait

    pas moyen

    de

    le

    faire

    en

    secret

    x.

    ?

    Tout

    ?rasme

    est

    dans

    cette

    sorte

    de

    grandeur

    o?

    il

    se

    compla?t

    na?vement.

    Enfin,

    il

    vit dans

    une

    atmosph?re

    de

    luxe faite

    de

    mille

    bibelots,

    objets

    futiles

    et

    pr?cieux,

    vases,

    coupes d'or,

    sans

    doute

    cadeaux

    pour

    la

    plupart

    qui

    flattaient

    en en

    tretenaient

    ses

    go?ts

    de

    grand

    seigneur.

    Citons, d'apr?s les lettres, quelques-uns de ces ca

    deaux

    :

    des

    gobelets

    en

    argent

    (cyathos

    arg?nteos)

    que

    lui

    envoie

    le

    m?decin Henri

    Afinius

    au

    mois

    d'ao?t

    1517

    2

    ;

    une

    coupe

    remplie

    de

    fruits

    ?trangers

    (vasculum

    fructuum

    Barbaricorum)

    que

    lui

    transmet,

    en

    janvier

    1526,

    Eras

    mus

    Schets

    3

    ;

    en

    septembre

    1526,

    une

    horloge

    en

    or,

    une

    cuiller

    et

    une

    fourchette

    en

    or,

    qui

    lui

    viennent de

    Chris

    tophe

    de

    Schydlowyetz,

    chancelier

    du

    roi

    de

    Pologne

    4

    ;

    en juillet 1529, une pat?re ouvr?e et un anneau, dons de

    Willibald

    Pirekheimer,

    un

    vase

    ?

    boire

    (poculum)

    mer

    veilleux

    de

    forme

    et

    rehauss?

    d'or

    que

    lui

    offre

    Antoine

    Fugger

    5

    ;

    en

    mars

    1530,

    une

    coupe

    en

    argent,

    cadeau

    du

    jeune

    duc

    de

    Cl?ves

    qui

    le

    remercie

    de

    lui

    avoir

    d?di?

    le

    De

    pueris

    statim

    ac

    liberaiiter

    instituendis 6...

    1

    Allen,

    VIII,

    p.

    232,

    ep.

    2196.

    2

    Allen,

    III,

    p.

    60,

    ep.

    638.

    8

    Allen, VI, p. 246, ep. 1658.4

    Allen,

    VI,

    p.

    413,

    ep.

    1752.

    5

    Allen,

    VIII,

    p.

    233,

    ep.

    2196.

    6

    Allen,

    VIII,

    p.

    399,

    ep.

    2298.

  • 8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944

    22/407

    24

    JEAN

    HOYOUX

    Si

    on

    offre

    souvent

    ?

    ?rasme

    des

    vases,

    des

    coupes,

    des

    objets

    pr?cieux

    de

    toutes

    sortes,

    il

    doit,

    de

    son

    c?t?,

    donner

    beaucoup.

    Il

    semble

    que

    c'?tait

    alors

    l'usage.

    Dans le

    Convivium

    religiosum,

    Eus?be,

    ?

    l'issue

    du

    repas,

    fait

    des

    cadeaux

    ?

    chacun de

    ses

    h?tes.

    A

    Timoth?e,

    un

    petit

    volume

    sur

    parchemin

    contenant

    les Proverbes

    de

    Salomon

    ;

    ?

    Sophron,

    une

    montre

    qui

    vient

    des

    confins

    de

    la

    Dalmatie

    ;

    ?

    Th?ophile,

    un

    Evangile

    selon saint

    Matthieu

    ;

    ?

    Eulale,

    les

    Epitres

    de saint

    Paul

    ;

    ?

    Chryso

    glotte,

    une

    ?critoire

    et

    des

    plumes

    ;

    ?

    Urane,

    un

    trait?

    grec

    de

    Plutarque

    ;

    ?

    N?phale,

    une

    montre

    ?rasme, quand

    il

    recevait,

    devait

    sacrifier

    ?

    cet

    usage

    qu'il

    d?crit si

    bien

    dans

    les

    Pieuses

    Agapes.

    Il

    ne

    nous

    reste

    malheureusement rien

    de

    tout

    cela.

    Tout

    ce

    que

    nous

    savons,

    c'est

    qu'un jour

    l'humaniste

    a

    envoy?

    un

    anneau

    d'or b?ni

    par

    le

    roi

    d'Angleterre

    ?

    la

    femme

    d'Erasmus

    Schets

    en

    s'excusant

    de

    ne

    rien

    avoir

    trouv?

    d'autre

    2.

    Il

    lui

    avait

    donn?

    auparavant

    une

    petite

    licorne

    qu'elle

    avait

    perdue.

    Ces

    quelques

    signes

    de

    richesse

    sont

    diss?min?s dans

    une

    correspondance

    aux

    trois

    quarts

    litt?raire

    o?

    ?rasme

    parle

    forc?ment

    de

    tout

    autre

    chose

    que

    de

    ses

    affaires

    int?rieures.

    Ils

    nous

    permettent

    cependant

    de

    conclure

    que

    la

    vie

    d'?rasme

    respire

    un

    luxe

    tranquillement

    magnifique.

    N'oublions

    pas que

    cet

    homme,

    qui

    n'?tait

    ni

    avare,

    ni

    ?conome,

    laisse

    en

    mourant

    une

    fortune

    ?va

    lu?e

    ?

    7.000

    ducats.

    Lui

    qui,

    dans

    le

    Convivium

    Religio

    sum,

    ?

    s'indignant

    de voir

    des

    sommes

    excessives

    con

    sacr?es ?

    l'embellissement de

    monast?res

    alors

    que

    trop

    1

    Er.

    Coll.

    Fam.

    Lipsiae,

    ?d.

    Holtze,

    t.

    I,

    p.

    135

    et

    suiv.

    2

    Allen,

    VI,

    p.

    241,

    ep.

    1654, Bale,

    24

    d?cembre

    1525.

    ?

    Sur

    ces

    anneaux

    magiques

    b?nis

    par

    les

    rois

    d'Angleterre,

    voir

    M.

    Bloch,

    Les

    rois

    thaumaturges,

    Strasbourg,

    1924,

    pp.

    159-172.

  • 8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944

    23/407

    MOYENS

    d'EXISTENCE

    d'?RASME 25

    de

    chr?tiens,

    temples

    vivants

    de

    Dieu,

    souffrent

    de

    pau

    vret?, mentionne,

    comme

    l'exemple

    le

    plus

    typique

    de

    ces

    exag?rations,

    le

    cas

    de

    la Chartreuse

    de

    Pavie

    qui

    re?oit

    des

    legs

    ?normes

    faisant

    un

    total

    de 3.000 ducats

    par

    an,

    ?

    consacrer

    ?

    des constructions.

    Somme

    tellement

    exag?r?e

    que

    les

    moines,-ne

    sachant

    qu'en

    faire,

    d?mo

    lissent

    ce

    qui

    existe

    et

    le

    r??difient, afin

    de

    se

    conformer

    ?

    la volont?

    des

    testateurs

    1

    ?.

    Et

    qui,

    dans

    le

    m?me

    colloque

    de

    1522,

    consid?re

    un

    legs

    de

    2.000

    ducats

    comme

    tellement

    fabuleux

    que

    ce

    ne

    peut

    ?tre

    qu'une plaisan

    terie

    :

    ?

    Timoth?e

    :

    Pieuse

    chasse

    :

    Le

    Christ

    vous

    aide,

    en

    lieu

    et

    place

    de

    Diane.

    ?

    Eus?be

    :

    Cette

    proie

    me

    sou

    rirait

    plus

    qu'un

    legs

    de

    2.000 ducats

    2.

    ?

    II

    D'o?

    ?rasme

    tire-t-il les

    revenus

    capables

    de

    lui

    faire

    mener

    une

    vie

    aussi

    large

    ?

    Des

    le?ons

    ? Il

    n'en donne

    plus.

    Impossible

    d'ailleurs

    de

    vouloir

    expliquer

    un

    luxe

    pareil

    par

    de

    pauvres

    ca

    chets.

    Est-ce

    uniquement

    des

    pensions

    qu'il

    re?oit

    ?

    C'est

    l'opinion g?n?ralement admise. Les ?crivains vivent

    parce

    que

    les

    grands

    s'occupent

    d'eux

    et

    leur

    servent

    des

    pensions.

    On

    cite

    m?me

    des

    exemples

    :

    P?trarque

    qui

    a

    v?cu

    longtemps

    ?

    la

    remorque

    des

    Colonna.

    Pourtant,

    ?rasme

    n'a

    pas

    de

    protecteur

    officiel.

    Mountjoy,

    le

    pre

    mier

    nom

    qui

    vient

    ?

    l'esprit,

    semble

    ne

    lui

    avoir

    fait

    que

    des

    pr?sents

    isol?s...

    Pour

    ne

    pas

    conclure

    h?tivement,

    sans

    preuves

    cer

    1

    Er.

    Coll.

    Fam.

    Lipsiae,

    ?d.

    Holtze,

    t.

    I,

    p.

    130.

    2

    Ibid.,

    p.

    140.

  • 8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944

    24/407

    26

    JEAN HOYOUX

    taines,

    faisons

    rapidement

    le

    compte

    des

    rentes

    qu'on

    a

    pu

    servir

    ?

    ?rasme.

    En

    dehors

    des

    dons

    occasionnels

    qu'on

    fit

    ?

    ?rasme

    au

    d?but

    de

    sa

    carri?re,

    ?

    l'?poque

    o? il

    pouvait

    les

    rece

    voir

    encore sans

    trop

    de

    g?ne

    ?

    en

    1511,

    il

    se

    demande

    si

    son

    ?

    M?c?ne

    ?

    donnera

    20 nobles

    1

    ;

    en

    1514,

    il

    ?crit

    ? Andr? Ammonius :

    ?

    En s'en allant, l'?v?que de

    Durham

    m'a

    donn?

    six

    nobles,

    sans

    que

    je

    lui

    demande

    rien,

    et

    c'est,

    je

    pense

    la

    quatri?me

    fois

    qu'il

    le fait

    2

    ?

    ;

    citons

    ?galement

    une

    lettre

    fort

    tardive

    de 1528

    :

    ?

    Je

    t'envoie

    100

    pi?ces

    d'or

    de

    Hongrie,

    j'esp?re qu'elles

    t'arriveront

    rapidement.

    D?s

    que

    tu

    les

    auras

    re?ues,

    veux-tu

    faire

    signe

    ?

    l'?v?que

    de

    Cracovie,

    de

    cette

    fa?on,

    il

    verra

    que

    je

    n'ai

    pas

    ?t?

    n?gligent3.?

    ?

    Les

    bienfai

    teurs de l'humaniste forment deux groupes : le groupe

    anglais

    et

    le

    groupe

    belge.

    William

    Warharn

    est

    le

    chef

    du

    groupe

    anglais.

    ?rasme

    para?t

    avoir

    connu

    tr?s

    t?t,

    d?s

    son

    premier

    s?jour

    en

    Angleterre,

    cet

    homme ?minent

    appel?

    suc

    cessivement

    aux

    plus

    hautes

    situations,

    master

    of

    the

    rolls,

    ?v?que

    de

    Londres,

    archev?que

    de

    Canterbury,

    chancelier

    d'Angleterre.

    Il

    lui

    a,

    en

    tous

    cas,

    ?crit

    sou

    vent

    et

    sur

    un

    ton

    presque

    amical.

    L'archev?que

    servait

    ?

    l'humaniste

    une

    rente

    annuelle

    de

    20

    livres

    sterlings,

    contribution

    modeste

    peut-?tre

    mais

    qui

    ?tait

    pay?e

    avec

    une

    r?gularit?

    extr?me,

    puisque

    nous

    ne

    trouvons

    pas

    une

    seule r?clamation

    dans

    toute

    la

    correspondance

    d'?rasme,

    esprit

    pourtant

    grincheux.

    Le

    seul

    reproche

    que

    l'on

    pouvait

    faire

    ?

    l'archev?que

    ?tait

    de

    payer

    ?

    terme

    ?chu.

    Pour

    prouver

    la

    r?gularit?

    de

    la

    pension,

    1

    Allen,

    I, p.

    495, ep.

    248,

    ?

    Andr?

    Ammonius.

    2

    Allen,

    I,

    p.

    563,

    ep.

    295.

    8

    Allen,

    VII,

    p.

    337,

    ep.

    1958,

    de

    Justus

    Decius.

  • 8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944

    25/407

    MOYENS

    d'EXISTENCE d'?RASME 27

    rappelons

    encore

    cette

    r?flexion

    d'?rasme

    ?

    William

    Blount,

    lord

    Mountjoy,

    en

    1530,

    alors

    que

    l'archev?que

    avait

    plus

    de 80

    ans

    et

    qu'on

    annon?ait

    sa

    fin

    prochaine

    :

    ?

    Les

    nouvelles

    de

    l'archev?que

    sont

    mauvaises,

    s'il

    lui

    arrive

    malheur,

    je

    pense

    que

    les

    pensions

    seront

    bien

    finies

    pour

    moi

    x.

    ?

    Mais la rente arrivait souvent rogn?e ? cause des diff?

    rences

    de

    change

    et

    des

    commissions

    que

    pr?levaient

    les

    interm?diaires

    entre

    les

    mains

    desquels

    elle

    passait

    2.

    ?

    Je

    n'en touche

    plus

    que

    le

    quart

    ?

    ?crit

    ?rasme

    en

    1530

    8

    'y

    videmment,

    il

    exag?re,

    mais

    sa

    boutade

    doit

    contenir

    une

    grande

    part

    de v?rit?

    et,

    tous

    comptes

    faits,

    la

    pension

    de

    Canterbury

    lui

    ?tait

    une

    aide

    m?diocre,

    ainsi

    d'ailleurs

    que

    l'autre

    pension

    anglaise,

    une

    rente

    de 10 livres dont il ne parle presque jamais 4.

    Le

    groupe

    belge

    est

    constitu?

    par

    Charles-Quint.

    La

    pension

    que

    l'empereur

    sert ?

    l'humaniste

    correspond

    ?

    une

    place

    de

    conseiller

    ?

    la

    cour,

    qu'il

    d?tenait

    depuis

    1515

    5

    et ?

    laquelle

    ?tait

    attach?

    un

    revenu

    de

    200

    flo

    rins

    ou

    300

    livres.

    Cette

    contribution

    plus importante

    ?tait

    incapable

    toutefois

    de

    le

    faire

    vivre

    m?me

    petite

    ment.

    Elle

    ?tait

    d'ailleurs

    pay?e

    on

    ne

    peut plus

    irr?

    guli?rement.

    La

    charge

    cr??e

    et

    donn?e

    par

    Charles-Quint

    n'avait

    pas

    ?t?

    ratifi?e

    par

    les

    organismes

    officiels,

    d'o?

    des diffi

    cult?s

    pour

    en

    obtenir

    le

    r?glement.

    Cette

    pension

    qui

    n'?tait

    inscrite

    sur

    aucun

    budget r?gulier,

    ?rasme

    n'en

    1

    Allen,

    VU,

    p.

    396,

    ep.

    2295.

    ?

    Allen,

    VI,

    p.

    110,

    ep.

    1583,

    juillet

    1525,

    ? Erasmus

    Schets.

    8

    Allen,

    VIII,

    p.

    458,

    ep.

    2332,

    ?

    Christophe

    de Stadion.

    4

    Simple allusion dans la lettre 2332

    :

    E duabus Angliae pen

    sionibus

    debentur

    quotannis

    plus

    minus

    ducenti

    floreni,

    sed

    ea

    pecunia

    per

    negociatores

    ad

    me

    pervenit

    accisa.

    6

    Allen, II,

    p.

    161,

    note

    18.

  • 8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944

    26/407

    28

    JEAN HOYOUX

    obtenait

    le

    paiement

    qu'?

    force

    de

    r?clamations

    et

    de

    pri?res.

    Pas

    moyen

    d'envoyer

    de

    protestations

    par

    la

    fili?re

    administrative

    ;

    il

    fallait

    supplier

    l'empereur

    qui

    parfois payait

    sur sa

    cassette

    personnelle1,

    mais

    en

    g?n?

    ral,

    accordait

    peu

    d'attention

    ?

    ?rasme.

    Les 300 livres

    furent

    pay?es

    une

    seule

    fois

    en

    entier

    ? ?rasme, et alors, comble de malchance, Barbirius lui

    en

    d?tourna le

    tiers

    2.

    Pour

    les

    autres

    ann?es,

    il

    re?ut

    des

    avances

    plus

    ou

    moins

    consid?rables

    au

    prix

    de

    plaintes

    nombreuses

    dont

    est

    remplie

    la

    correspondance.

    25

    f?

    vrier

    1525

    :

    ?

    On

    me

    doit

    plus

    de

    3

    ans.

    Il

    m'avait

    pro

    mis

    un

    paiement

    extraordinaire,

    j'ai

    re?u

    de

    bonnes

    pa

    roles,

    mais

    rien

    de

    plus

    3.

    ?

    30 octobre

    1525

    :

    ?

    La

    pen

    sion

    de

    l'Empereur, je

    n'ai

    aucun

    espoir

    de la

    toucher

    si je ne rentre pas. Ici la vie est ch?re, les rentr?es ? peu

    pr?s

    nulles.

    Tu

    (Pierre

    Barbirius)

    passes

    ton

    temps

    ?

    me

    promettre

    des

    tas

    d'or...

    un

    peu

    de

    terre

    ferait

    mieux

    mon

    affaire4.

    ?

    24

    d?cembre

    1525

    :

    ?

    Je

    t'envoie

    (?

    Eras

    mus

    Schets)

    Charles

    Hartus,

    mon

    tr?s

    fid?le

    ami

    et

    famulus

    qui

    va

    en

    Angleterre

    y

    recueillir

    le

    peu

    d'argent

    (pecuniolas)

    de

    mes

    pensions.

    Car

    l'Empereur

    ne

    me

    donne

    rien

    ;

    en

    revanche,

    on

    m'arrose

    d'eau

    b?nite

    de

    cour

    5

    ;

    ?

    29 avril 1526

    :

    ?

    Aucun espoir de pension 6.

    ?

    1er

    septembre

    1527

    :

    ?

    Aucune

    chance

    de

    toucher

    la

    pen

    1

    Allen,

    VI,

    p.

    35,

    ep.

    1553,

    24

    f?v.

    1525,

    ?

    Maximilien

    Transsyl

    vain

    ;

    Allen, VI,

    p.

    36,

    ep.

    1554,

    24

    f?v.

    1525,

    ? Jean

    Alemannus

    ;

    Allen,

    VIII,

    p.

    225,

    ep.

    2192,

    7

    juillet

    1529,

    ?

    Antoine

    Fugger.

    2

    Allen, III,

    p.

    52,

    ep.

    628,

    23

    ao?t

    1517,

    ? Beatus

    Rhenanus.

    Remarquons qu'?

    cette

    ?poque,

    Erasme

    para?t

    heureux d'avoir

    touch?

    son

    argent,

    ce

    n'est

    que

    plus

    tard

    qu'il

    accusera

    Barbirius

    de

    l'avoir

    vol?

    :

    Allen, VI,

    p.

    440,

    ep.

    1769,

    d?cembre

    1526,

    ?

    Erasmus

    Schets.

    3

    Allen, VI, p. 36, ep. 1554,

    ?

    Jean

    Alemannus.

    4

    Allen, VI,

    p.

    183,

    ep.

    1621.

    5

    Allen,

    VI,

    p.

    241,

    ep.

    1654.

    6

    Allen,

    VI,

    p.

    327,

    ep.

    1700,

    ?

    M. Gattinara.

  • 8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944

    27/407

    MOYENS d'EXISTENCE d'?RASME 29

    sion

    de

    l'empereur

    si

    je

    ne

    rentre

    pas.

    Par deux

    fois

    ila

    ordonn?

    qu'on

    me

    fasse

    un

    paiement

    extraordinaire,

    mais

    on

    lui

    ob?it

    quand

    il

    commande de faire

    rentrer

    de

    l'ar

    gent,

    non

    quand

    il

    ordonne d'en laisser sortir *.

    ?

    7

    juillet

    1529

    :

    ?

    La

    pension

    de

    l'Empereur

    n'a

    plus

    ?t?

    pay?e

    depuis

    7

    ans

    ;

    on

    m'a

    fait

    souvent

    de

    belles

    promesses,

    mais on n'a jamais rien envoy?. L'Empereur a ?crit

    plus

    d'une

    fois

    d'Espagne

    pour

    qu'on

    me

    paie,

    mais

    Mar

    guerite

    a

    dict?

    cette

    loi

    :

    Que

    je

    rentre

    en

    Brabant

    et

    des

    montagnes

    d'or,

    plus

    grandes

    que

    celles

    qu'on

    a

    jamais

    vues

    en

    Perse

    m'attendent,

    mais

    pas

    de

    pen

    sion

    2.

    ?

    ?rasme

    n'est

    presque pas

    aid?

    par

    les

    pensions

    qu'il

    re?oit

    ;

    ce

    n'est

    donc

    pas

    l?

    qu'il

    faut

    chercher

    le

    secret

    de

    sa

    richesse consid?rable.

    Mais

    ?rasme

    est

    un

    ?crivain

    et

    les

    ?crivains vivent

    de

    leur

    plume.

    Actuellement,

    le

    ro

    mancier

    passe

    un

    contrat

    avec

    son

    ?diteur

    qui

    lui

    aban

    donne

    un

    certain

    pourcentage

    sur

    la

    vente

    de

    ses

    livres.

    Le

    livre

    est

    un

    capital

    appartenant

    ?

    l'auteur

    et

    sur

    le

    quel

    on

    lui

    paye

    une

    rente.

    Cette

    propri?t?,

    c'est

    le

    droit

    d'auteur.

    Mais

    au

    xvie

    si?cle,

    le

    droit

    d'auteur

    n'est

    qu'un

    mythe.

    Caminade,

    par

    exemple,

    vole

    les

    Colloques,

    d'?rasme

    3

    ;

    en

    1513,

    Froben

    r?imprime

    sans

    autorisa

    tion

    l'?dition

    aldine

    des

    Adages4"

    et

    parvient,

    peu

    apr?s,

    ?

    employer,

    sans

    ?tre

    inqui?t?

    lemoins du

    monde,

    un

    ma

    1

    Allen,

    VII,

    p.

    157,

    ep.

    1871.

    2

    Allen, VIII,

    p.

    225,

    ep.

    2192.

    3

    Bibliotheca

    Belgica,

    t.

    VIII,

    2e

    s?rie,

    nov.

    1518.

    4

    Allen, I,

    p.

    521,

    introduction

    ? la

    lettre

    269.

  • 8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944

    28/407

    30

    JEAN

    HOYOUX

    nuscrit

    amplifi?

    et

    corrig?

    de

    la

    m?me

    uvre,

    subtilis?

    par

    lui d'une

    fa?on

    malhonn?te.

    ?

    Il

    a

    imprim?

    ?

    B?le

    quel

    ques-uns

    de

    mes

    Adages

    ?

    ?crit

    ?rasme

    ?

    Ammonius,

    ?

    la

    copie

    de l'?dition aldine

    est si

    bien faite

    qu'il

    faut

    vrai

    ment

    de

    bons

    yeux

    pour

    faire la

    diff?rence

    1.

    ?

    A

    son

    tour,

    Froben

    est

    bient?t victime

    de

    cette

    ind?li

    catesse

    courante.

    ?rasme,

    saisi

    de

    cette

    nouvelle

    affaire

    et

    oblig?

    de

    s'y

    int?resser,

    puisqu'il

    s'agit

    encore

    une

    fois

    d'un de

    ses

    livres,

    ne

    peut,

    pour

    d?fendre

    Froben,

    que

    composer

    une

    pr?face

    qui

    indiquera

    au

    lecteur la

    bonne

    foi

    de

    l'imprimeur

    b?lois.

    Lettre du

    mois de

    juillet

    1517,

    adress?e

    ?

    Jean Froben

    :

    ?

    Badius

    a

    imit?

    ton

    uvre...

    Pour

    lutter

    contre

    lui,

    ajoute

    cette

    pr?face

    ?

    tes exem

    plaires

    :

    Jean Froben au lecteur honn?te : ?En imprimant des livres,

    j'ai

    toujours

    eu en vue

    l'int?r?t des bonnes

    ?tudes

    et

    non

    pas

    le

    mien

    propre,

    j'ai

    toujours

    voulu

    pour

    mes uvres

    l'assenti

    ment

    de l'?lite

    et

    non

    pas

    de la foule. Si

    tous

    les

    imprimeurs

    agissaient

    comme

    cela

    ..

    Mais

    maintenant,

    beaucoup

    n'?coutent

    que

    leur

    soif

    d'argent

    et

    se

    moquent

    des ?tudes.

    Sachant combien

    peu

    nombreux

    sont

    les

    vrais connaisseurs

    de

    livres,

    les

    ?diteurs

    ne

    tentent

    les

    lecteurs

    que

    par

    le

    bas

    prix

    de

    leurmarchandise...

    2

    ?

    On se rend compte du ton g?n?ral : il s'agit d'argu

    ments

    d'ordre

    sentimental

    et

    non

    pas

    de

    droit

    qu'on

    exige.

    Comme

    on

    vole les

    ouvrages

    et

    les

    manuscrits

    d'?rasme,

    ?

    plus

    forte

    raison

    traduit-on

    ses

    livres

    sans

    qu'il

    l'ait

    autoris?,

    bien

    mieux,

    ?

    son

    insu.

    Quand

    il

    l'apprend

    par

    1

    Allen, 1,

    p.

    547,

    ep.

    283,

    21

    d?cembre

    1513.

    ?

    J'imagine

    que

    Froben s'?tait

    appliqu?

    ?

    imiter

    les

    caract?res de

    l'?dition aldine

    parce que celle-ci ?tait plus renomm?e, se vendait mieux et non pas

    pour

    dissimuler

    la

    fraude.

    2

    Allen,

    III,

    p.

    13,

    ep.

    602.

  • 8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944

    29/407

    MOYENS

    d'EXISTENCE

    d'?RASME

    31

    hasard,

    il

    ne

    songe pas

    ?

    s'en f?cher.

    En

    1525,

    J?r?me

    Emser

    le

    pr?vient

    candidement

    :

    ?

    Ta

    paraphrase

    de Jean

    a

    ?t?

    tr?s

    bien

    traduite

    par

    un

    de

    mes

    amis

    dans

    notre

    langue (l'allemand),

    nous

    l'avons

    imprim?e

    cet

    hiver1?.

    Le

    17

    mai

    1527,

    ?rasme

    ?crit

    de B?le

    ?

    Jean

    Lasky

    :

    ?

    Il

    para?t

    que

    Y

    Enchiridion

    a

    ?t?

    traduit

    chez les

    Espagnols

    en

    langue vulgaire,

    au

    grand

    scandale des

    moines 2.

    ?

    Le

    15

    mars

    1528,

    ?

    Alfonso

    Vives

    :

    ?

    Je

    ne

    savais

    pas

    que

    l'archidiacre Alcorano

    avait traduit Enchiridion 3.

    ?

    Le 13 novembre 1527

    :

    ?

    Je

    ne

    sais

    pas

    si

    ceux

    qui

    tra

    duisent

    mes

    ouvrages

    en

    espagnol

    ont

    en

    vue mon

    in

    t?r?t

    ;

    mais

    ce

    que

    je

    sais,

    c'est

    qu'ils

    accumulent

    contre

    moi

    bien

    de la

    haine

    4.

    ?

    Les

    historiens

    qui

    ont

    ?tudi?

    les

    droits d'auteur

    dans le

    pass? n'ont gu?re fait

    remonter

    leurs investigations plus

    haut

    que

    le

    xvne

    si?cle.

    Pour

    l'?poque

    qui

    nous

    occupe,

    ils

    se

    bornent

    ?

    citer

    les

    faits

    qu'ils

    ont

    pu

    r?unir et

    qui

    sont

    loin

    de

    circonscrire

    la

    question.

    Tout

    ce

    qu'ils

    peu

    vent

    ?tablir c'est

    que

    la

    propri?t?

    litt?raire,

    ?

    l'?poque

    d'?rasme,

    n'existait

    pas,

    et

    que

    le

    privil?ge,

    lorsqu'il

    apparut,

    ?tait

    fait

    pour

    prot?ger

    les

    imprimeurs,

    non

    les

    auteurs.

    Voici

    ce

    que

    dit J.

    de

    Borchgrave

    5

    :

    ?

    Au

    d?but,

    sous

    le

    r?gne

    de Louis

    XII,

    le

    privil?ge

    ?tait

    exceptionnel.

    Ses

    rares

    titulaires

    ?taient

    les libraires-?di

    teurs,

    ?

    l'exclusion des

    auteurs

    et

    la

    reproduction

    des

    ou

    vrages

    anciens

    en

    ?tait

    l'objet

    presque

    exclusif.

    C'est

    ainsi

    que

    l'on

    vit,

    en

    1507,

    accorder

    ?

    Antoine

    V?rard

    le

    privil?ge

    1

    Allen,

    VI,

    p.

    29,

    ep.

    1551.

    2

    Allen,

    VII,

    p.

    66,

    ep.

    1821.

    3

    Allen, VII, p. 355, ep.

    1968.

    *

    Allen,

    VII,

    p.

    244, ep.

    1904.

    5

    J. de

    BoncuGKA\E,Evolution

    historique

    du

    droit

    d'auteur,Bruxelles

    1916,

    p.

    11.

  • 8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944

    30/407

    32

    JEAN

    HOYOUX

    d'imprimer

    les

    Ep?tres

    de saint

    Paul,

    traduites

    en

    fran?ais

    par

    un

    Docteur

    en

    Th?ologie

    ;

    et,

    plus

    tard,

    en

    1516,

    ?

    Jean

    de

    Lagarde,

    libraire

    de

    l'Universit?

    de

    Paris,

    le

    privil?ge

    de

    l'impression

    des

    Coutumes

    de

    France.

    Ailleurs,

    on

    avait

    vu

    d?j?

    le

    S?nat

    de

    Venise

    conc?der des

    privil?ges

    ayant

    un

    r?el

    caract?re de

    protection

    industrielle. C'est

    ainsi

    que,

    en

    1469,

    il

    avait

    accord? ? Jean

    de

    Spire

    un

    privil?ge

    de

    librairie

    pour

    avoir

    ?

    par

    ses

    soins

    et

    ses

    ?tudes,

    introduit

    dans l'illustre Cit? de Venise l'art

    d'imprimerie

    ?

    et,

    en

    1495,

    ?

    Aide

    Manuce,

    un

    privil?ge

    pour

    l'usage

    exclusif des caract?res

    italiques

    dont

    il

    ?tait

    l'inventeur

    et

    aussi,

    pour

    le

    r?compenser

    de

    cette

    invention,

    le

    privil?ge

    d'imprimer

    les

    uvres

    d'Aris

    tote.

    Dans

    tous

    les

    cas,

    l'?rudition

    de

    l'imprimeur,

    son

    m?rite,

    et

    son

    habilet?

    professionnelle

    constituaient

    le

    titre

    d?termi

    nant

    l'octroi

    du

    privil?ge

    ;

    et

    le

    but de

    celui-ci,

    tout

    en

    assurant

    ?

    l'ouvrage

    la

    reproduction

    la

    plus

    soign?e,

    n'?tait

    autre

    que

    d'indemniser

    l'imprimeur

    de

    ses

    frais

    et

    avances

    et

    de

    le

    r?com

    penser de son initiative ?.

    Et

    plus

    r?cemment,

    Nicola

    Stolfi

    ?crit1

    :

    ?

    Aux

    premiers

    temps

    de

    l'imprimerie,

    la

    protection

    s'orienta

    naturellement

    vers

    l'?diteur.

    On

    ne

    voulait

    pas

    tant,

    en

    effet,

    publier

    de

    nouveaux

    livres, que

    mettre

    ?

    la

    port?e

    de

    tous

    l'immense

    tr?sor

    des

    cultures

    grecques

    et

    la

    tines

    que

    les humanistes

    du

    temps

    portaient

    si

    haut...

    Les

    privil?ges

    et

    les

    monopoles

    n'avaient

    ?videmment

    de

    va

    leur

    que

    dans

    les

    pays

    ou

    les

    provinces qui

    les

    conf?raient.

    Tel

    fut, par

    exemple,

    le

    fameux

    privil?ge

    accord? le 25

    f?

    vrier

    1496

    par

    la

    R?publique

    de

    Venise

    ?

    Aide

    Manuce

    pour

    l'?dition

    des

    auteurs

    grecs

    ?.

    Lorsque

    nous

    disons

    qu'un

    humaniste

    vit

    de

    la vente

    de

    ses

    livres,

    gardons-nous

    donc

    de

    prendre

    la

    formule

    au sens

    moderne.

    Aucun

    ?diteur

    ne

    lui

    envoyait

    le

    re

    lev?

    annuel

    des

    pourcentages

    qui

    lui

    ?taient

    d?s. En

    re

    1

    Nicola

    Stolfi,

    Il

    Diritto di

    Autore,

    tome

    I,

    p.

    Ill,

    3e

    ?dition,

    Milan,

    1932.

  • 8/9/2019 Bibliotheque d'Humanisme Et Renaissance Tome v - 1944

    31/407

    MOYENS

    d'EXISTENCE

    d'?RASME

    33

    vanche,

    il

    connaissait

    un

    proc?d?

    bien

    plus

    simple,

    qu'?rasme

    lui-m?me

    d?finit

    comme

    ceci

    :

    ?

    Si

    vous

    ne

    parvenez

    pas

    ?

    vendre

    un

    ouvrage,

    offrez-le

    aux

    Grands,

    en

    voyageant,

    vous en

    retirerez

    beaucoup

    de

    profit,

    plus

    m?me

    que

    si

    vous

    l'aviez

    vraiment

    vendu

    l.

    ?

    Cela

    ?tait

    possible

    parce

    que

    les

    auteurs

    recevaient

    de

    l'imprimeur

    un

    certain nombre

    d'exemplaires

    dont

    ils

    pouvaient

    disposer

    ?

    leur

    guise.

    Cette

    stipulation,

    qui

    figure

    encore,

    mais

    en

    ordre

    secondaire,

    dans les contrats

    modernes,

    ?tait

    essentielle

    dans

    ceux

    du

    xvie

    si?cle

    2.

    Comme

    nous

    le

    verrons

    ci-dessous,

    le

    nombre

    d'exem

    plaires

    que

    recevait

    un

    ?rasme

    ?tait

    beaucoup

    plus

    ?lev?

    que

    ce

    qu'un

    auteur

    re?oit

    de

    nos

    jours.

    Cependant,

    m?me

    la

    vente

    de

    ces

    livres n'e?t

    pu

    le

    faire

    vivre

    s'il

    n'y

    avait

    joint

    la

    m?thode

    qu'il

    r?sume

    dans

    son

    mot ?

    Cuthbert

    Tunstall,

    ?

    savoir

    :

    utiliser le livre

    comme

    ca

    deau

    qui

    sera

    largement

    r?mun?r?.

    Pratiquement,

    voici comment

    les

    auteurs

    s'y

    pre

    1

    Allen,

    III,

    p.

    424,

    ep.

    886,

    Louvain,

    22

    octobre

    1518,

    ?

    Cuthbert

    Tunstall

    :

    Opus

    quoniam

    vendi

    non

    potest,

    donat

    magnatibus

    obam

    bulans,

    atque

    ita charius

    vendi