Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

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Mélanges publiés par la section historique et philologiques de l'Ecole des hautes études pour le dixième anniversaire de [...] Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

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Mélanges publiés par lasection historique et

philologiques de l'Ecoledes hautes études pourle dixième anniversaire

de [...]

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Mélanges publiés par la section historique et philologiques de l'Ecole des hautes études pour le dixième anniversaire de sa fondation. 1878.

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DES HAUTES ETUDES

PUBLIÉE SOUS LES AUSPICES

SCIENCES PHILOLOGIQUES ET HISTORIQUES

MÉLANGES PUBLIÉS PAR LA SECTION HISTORIQUE ET PHILOLOGIQUE DE L'ÉCOLE

DES HAUTES ÉTUDES POUR LE DIXIÈME ANN!VERSAIRE DE SA FONDATION

BIBLIOTHÈQUE

DE L'ECOLE

DU MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE

TRENTE-CINQUIÈME FASCICULE

F. VIEWEG, LIBRAIRE-ÉDITEUR

7, RUE RICHELIEU,67

PARIS

)S7h

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MÉLANGES

D'HISTOIRE ET DE PHILOLOGIE

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PARIS

F. VIEWEG, LIBRAIRE-ÉDITEUR

RUEBICHEUEU,6'7

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L'ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES

POUR

PAR LA SECTION HISTORIQUE ET PHILOLOGIQUE

LE DIXIÈME ANNIVERSAIRE DE SA FONDATION

IMPRIMERIE NATIONALE

M DCCCLXXVm

MÉLANGES

PUBLIÉS

DE

E

PARIS

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A

MONSIEUR VICTOR DURUY

MEMBRE DE L'INSTITUT

ANCIEN MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE

FONDATEUR

DE L'ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES

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On a commencé, il y a une quinzaine d'années, à se

préoccuper en France des réformes et desperfection-

nements que pouvait appeler notre enseignement su-

périeur. 1} y a eu sur ce sujet, d'un intérêt capital,

beaucoup d'écrits et de discours; iln'y a eu que bien

peu d'actes. Le plus important a été la fondation, par

décret en date du 3i juillet 1868, rendu conformé-

ment au rapport de M. Duruy, de l'Ecole pratique des

hautes études. Après dix ans accomplis, une institution

peut être jugée. Nous n'avons rien à dire des sections

consacrées aux sciences mathématiques, physico-chi-

miques et naturelles. La section des sciences historiques

et philologiques, qui présente aujourd'hui ce volume

en hommage à son fondateur, peut lui rendre et se

rendre à elle-même ce témoignage, qu'elle a été une

création viable, utile et bien entendue.

Dans la pensée de M. Duruy, l'École (nous entendons

toujours par là spécialement notre section) devait rem-

plir àpeu près les fonctions attribuées, dans les univer-

sités allemandes, à ce qu'on appelle les seMn'wM'res his-

toriqueset

philologiques. Elle devait être dans un

rapport ctrot avec l'enseignement de la Sorbonne et

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n

du Collège de France, et en compléter les cours par

des conférencesoù les étudiants, sous la direction de ré-

pétiteurs, prendraient la parole, auxquelles ilsappor-

teraient des travaux conçus d'après un plan commun et

soumis à lacritique

de tous. Rien de plus librequecette

sorte d'enseignement supérieur mutuel, où le répétiteur

était àpeine au-dessus des autres membres de la confé-

rence, où aucune condition d'entrée n'était exigée, où

on était amené et retenu par le seul amour de la science,

où l'on ne recherchait aucun diplôme, aucun grade,

aucun avantage matériel. Ce fut dans cet esprit et avec

ces vues que l'Ecole s'installa, comprenant un personnel

jeune et plein d'ardeur, habilement choisi par les deux

ou trois premiers collaborateurs que M. Duruy s'était

donnés. Elle n'avait pas de local dans la. première con-

ception de son fondateur, elle en avait à peine besoin

c'était chez eux, ou dans les bibliothèques, dans les

musées, dans les archives que les répétiteurs devaient

guider leurs élèves, nécessairement peu nombreux.

Comme du Collège royal, lors de son institution, on

pouvait dire de l'École qu'elle était châtie en hommes n.Ces hommes, qu'avait groupés l'adhésion~ aux mêmes

idées, se mirent résolument et librement à l'oeuvre, et

bientôt la véritable physionomie de l'École se dégagea

et s'affermit.

Dès l'origine, elle avait eu pour président, pour di-

recteur, M. Léon Renier. Ce choix, heureux entre tous,décida de son avenir. Grâce à M. Renier, l'enseignement

de l'École prit dès le premier jour et sut défendre

contre toutes les tentations et les tentatives son caractère

rigoureusement scientifique et vraiment pratique en

même temps. Grâce à lui, elle ne se recruta que parmi

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m

des hommes animés de l'esprit qui avait inspiré ses dé-

buts. Grâce à lui enfin, elle eut une installation maté-

rielle, plus que modeste, mais qui sufHsaIt à ses premiers

besoins, et qui avait l'immense avantage de la placer au

milieu même de la bibliothèque de l'Université. Cette

installation s'est agrandie depuis; elle s'agrandira en-

core mais à moins qu'une dotation magnifique ne vienne

nous fournir des ressources spéciales considérables, elle

ne devra pas être déplacée en tout cas, elle aura beau-

coup contribué à la prospérité de l'Ecole pratique.

Dans ces conditions favorables, les lignes un peu

vagues du plan primitif se précisèrent de plus en plus.

On renonça à établir entre l'École et les autres institu-

tions d'enseignement supérieur, conçues dans un es-

prit différent, des relations systématiques. On dépassa

d'ailleurs dès le début sur plusieurs points, on franchit

de plus en plus par la suite les limites de leur domaine.

Les conférences existèrent par elles-mêmes et afBrmèrent

hardiment leur méthode propre. Les jeunes répétiteurs,

entrés à l'École presque en camarades des élèves, de-

vinrent avec les années des maîtres de plus en plus con-

sidérés au lieu de les renouveler fréquemment, comme

on en avait eu l'intention, on les laissa constituer une

tradition durable. Presque tous tinrent à honneur de

justifier le choix qu'on avait fait d'eux par des travaux

conçus dans l'esprit de l'Ecole et sortis, pour la plupart,

des conférences mêmes. Ainsi, et par les contributions

que fournirent bientôt les élèves, se fonda cette Biblio-

~Ac~Mede ~'Eeo~e des hautes études, dont le présent recueil

forme le xxxv" fascicule, et qui a établi si solidement,

en France comme à l'étranger, la réputation scientifique

de notre section. Si l'on parcourt ces volumes, on est

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IV

frappé autant de l'extrême variété des sujets qu'ils traitent

que de l'unité de la méthode dans laquelle ils sont traités.

Lalinguistique générale, l'étude du sanscrit, du zend,

du grec, du latin, de l'ombrien, des langues romanes,

la mythologie, l'égyptologie, l'histoire grecque, ro-

maine, française, la géographie historique, l'histoire du

droit, la littérature indienne, persane, grecque, latine,

y sont représentées plus ou moins abondamment. A côté

despremiers maîtres qui ont secondé M. Renier dès la

fondation, MM. Bergaigne, Tournier, Guyard, Maspero,

Paris, Monod, Thévenin, Robiou, Morel, Bréal, et de

ceux qui, comme M. Thurot, sont venus s'adjoindre à

eux un peu plus tard, nous trouvons sur la liste des col-

laborateurs les noms d'élèves qui sont devenus répéti-

teurs à l'École, comme MM. Havet, Arsène Darmeste-

ter, Châtelain, James Darmesteter, Giry, et enfin ceux

d'élèves dont plusieurs sont aujourd'hui des maîtres

ailleurs, et qui ont puisé dans l'enseignement de l'Ecole

t'initiative ou l'affermissement de leur vocation scienti-

fique, commeMM. Longnon, Bauer, Joret, de Lasteyrie,

Grébaut, Le Coultre, l'abbé Auvray, Huart, Regnaud,

Berend, Fagniez. Pourquoi faut-il que précisément

dans cette dernière série nous ayons à nommer deux

morts, deux de ceux qui donnaient, qui avaient déjà

réalisé les plus brillantes espérances, LéopoldPau-

nier et Camille de la Berge! Dans tous ces écrits de

sujets si divers, on retrouve les mêmes traits caracté-

ristiques la recherche de la vérité scientifique par les

procédés de lacritique la plus sévère, sans aucun parti

pris historique, politique ou philosophique, l'emploi

exclusif de documents de première main, et en même

temps la connaissance exacte de l'état de la science, en

France et à t'étranger. Quelques traductions d'ouvrages

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v

allemands, écrits précisément dans l'esprit que l'Ecole

cherche à propager, se sont jointes aux mémoires ori-

ginaux les noms de Max Mûller, Curtius, Diez, Sohm,

Mommsen, Bücheler, Lepsius, disent assez que nous

avons choisi de bons modèles.

Par la publication de sa Bibliothèque, à laquelle elle

apporte un soin jaloux, l'École donne, pour ainsi dire,

un enseignement extérieur; mais son activité et son uti-

lité se montrent surtout dans son enseignementintérieur.

Il ne comprend pas, cette année, moins de cinquante-

trois conférences par semaine (dont beaucoup d'une

heure etdemie)

sur les sujets généraux que nous allons

énumérer

SUJETSDES COKFEBEKCES.

Philologie et axh~M:~ g'rec~K~

j4~M:<es.

P/K7oJ'6g'e/a<MM.

E?!g't'<AMet H?:<~K:'<M romaines.

Histoire

Grammaire comparée.

~SHg'MMe</<He)Y<<!<)'e~ee/~Ke.

LaMMMroMtaKe~

LaKg'KeM)Mcn<e.

Z.aH~'KfMMa'e.

Z,f<):g'Me ~er.M)!eet

/sttg'Me~.MM:tM.

/h'c/M'o/og':e oriCH&t/e.

P/M/O/Og'ïe e<H~<!<7M:<eS<?/p~CKMM.

~.iM~Mcf!em/t):~c.

DIRECTEURSET KËPEHMURS.

Mj\{Nombre.

WE[L,ToCRNfER,CRAUX. 6

RAYET. a

THUROT, HAVET, CnATELAM. 4

DESJARDINS a

MoNOD MOT, TuEVENtN GlEY. ()

DREAL. 1

GAIDOZ. 2

PAR!S A. DARMESTETER A

H'AUVETTE-BESifAULT, BERGAIG!<E. /t

J. DARMESTETER. a

GDYARD, CAHRtERE DERENBOORG. t 0

CLERMONT-GANNËAU. 3

MASPEHU GREBAUT.

HEUH.'LNN. 1

MaturcHcment, le sujet spécial de chaque conférence

changeà peu près tous les semestres; comme il n'y a

ni programme, ni examen, chaque directeur d'études

ou répétiteur est le maître de choisir et de distribuer le

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VI

travail il a égard au nombre, à l'avancement, aux dis-

positions des élèves. Dès le début, une liberté à peu

près absolue a été l'un des principes essentiels de

l'Ecole; elle est à peine limitée par les réunions trimes-

trielles où les membres du personnel enseignant se

communiquent le résultat de leurs travaux. Le Conseil

supérieur de la section, présidé par M. Renier, composé

de MM. Defrémery, Maury, Waddington et Bréal, est

avec l'assemblée des directeurs et répétiteurs dans une

telle communauté d'idées qu'il n'a pas à faire sentir

sou autorité; il se préoccupe surtout d'être auprès des

pouvoirs supérieurs l'intermédiaire etl'interprète de

l'Ecole.

Les élèves passent officiellement trois ans à l'École, et

sont répartis, pour chaque conférence, en trois années

distinctes la thèse qui leur donne droit au titre d'élève

diplômé, titre recherché, bien que purement honori-

tique, doit être présentée avant la fin de la quatrième

année. Dans la pratique, ils restent souvent plus long-

temps, et, en général, ils se décident leplus

tardqu'ils

peuvent à quitter un milieu où ils trouvent toujours à

s'instruire, où les conseils leur sont prodigués, où leurs

premiers travaux sont appréciés avec une sévérité bien-

veillante et salutaire. Beaucoup d'entre eux font de réels

sacrifices pour prolonger leur séjour. Une aide maté-

rielle, qui leur amanqué longtemps, vient de leur être

accordée le conseil municipal de la ville de Paris,

comprenant que la grande cité, qui fait tant pour l'en-

seignement primaire et secondaire, devaitfaire quelque

chose pour les études supérieures,a voté des bourses

pour les élèves désignés par la section. Il n'est pas dou-

tcux que cet intelligent appui ne fournisse à bien des

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V[t

jeunes gens privés de fortune les moyens de suivre une

vocation que l'Ecole n'encouragera jamais si elle ne l'a

pasreconnue comme sérieuse.

Il ne nous appartient pas de faire l'éloge de notre

section, d'exposerce qu'elle a fait pour les progrès de

la-science il nous su flira de rappeler qu'en i8y3 elle

.a obtenu, à l'Exposition universelle de Vienne, dans la

classe de l'enseignement supérieur, un diplôme d'hon-

neur, le seulqui

ait été décerné à un établissement scien-

tifique français. Mais il nous sera permis de dire que, si

elle fait beaucoup,on ne fait pas

assezpour elle, ou

plutôt t

qu'on ne lui demande pas tous les services qu'elle pour-

rait rendre. Dans le système de notre enseignement su-

périeur, l'École de~ hautes études n'est pas un rouage

actif, enchevêtré aux autres, leur prêtant et leur em-

pruntantdu travail c'est un petit mécanisme à part,

qui reçoit son mouvement presque au hasard et ne le

propage pas, et qui semble être considéré comme une

curiosité plutôt que comme une pièce efficace. C'est là

un état de choses très-regrettable, qui a empêché l'École

de prendre tout le développement dont elle serait bien

rapidement susceptible. Elle est prête à fournir, à qui

saura l'utiliser, des ressources qu'on ne soupçonne pas;

mais si on persiste à la laisser de côté comme on l'a

fait, elle risque, en travaillant dans le vide, de voir son

fonctionnement s'allanguir et se désorganiser.

Toutefois, ce danger n'est pas imminent. L'Ecole vit

par ses propres forces. Sans place hiérarchique, sans

utilité matérielle pour ses élèves, sans privilèges, elle a

su, par la seule qualité de son enseignement, par l'élé-

vation de ses tendances, par la sincérité de son travail,

s'assurer depuis dix ans un recrutement modeste, mais

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YH[

suffisant, dans l'élite de la jeunesse studieuse de la

France et même de l'étranger. Si toutes les espérances

qu'on a pu concevoir au début ne se sont pà& réalisées,

la faute n'en est pas à l'Ecole, mais aux circonstances

extérieures. Elle a livré tout ce qu'on pouvait attendre

d'elle; et on peut dire que, au moins dans l'ordre pure-

ment scientifique, elle a réalisé complètement ce que

se proposait en la fondant le ministre éclairé, passionné

pour le bien, vraiment ami de la science, auquel elle

est heureuse d'offrir aujourd'hui l'expression désinté-

ressée de sa profondereconnaissance. Elle associe à cette

reconnaissance M. Armand du Mesnil, directeur de l'en-

seignement supérieur au ministère de l'instruction pu-

blique, qui, après avoir activement coopéré à la fonda-

tion de l'Ecole, n'a cessé depuis lot's de la suivre, de la

protéger, de la défendre, et auquel il n'a pas tenu qu'on

ne lui ait fait une plus large placeet une sphère d'action

mieux définie.

Le volume que nous présentons à M. Duruy a été im-

provisé. L'idée de ce recueil a été soumise à la réunion

des directeurs d'études et répétiteurs dans la séance du

i~t avril 1878 dès les premiers jours de juin, le ma-

nuscrit presque entier était à l'impression. C'est ~e qui

explique pourquoi plusieursde nos collègues, malgré

leur bonne volonté, n'ayant rien deprêt, ont dû s'abs-

tenir. C'est ce qui motive aussi la brièveté de laplupart

des mémoires. Grâce à l'intérêt qu'a pris à notre œuvre

M. le directeur de l'Imprimerie nationale, nous avons puêtre prêts pour le jour voulu. M. le Ministre de l'instruc-

tion publique, de son côté, a voulu s'associer à l'hom-

mage rendu à sonprédécesseur en levant plusieurs diffi-

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IX

cultes qui nous auraient arrêtés. Ou a fait en sorte que

tous les mémoires contenus dans le recueil eussent trait

plus ou moins directement à Rome ou à l'empire romain

ce n'était pas une tâche bien dimcile, malgré la diversité

de nos étudesl'empire

romain n'est-il pas le centre de

l'histoire du monde, l'aboutissement de l'histoire an-

cienne, le point de départ de l'histoire moderne? Nous

avons voulu par là que ce volume lut pour ainsi dire

plus spécialement dédié à celuiauquel nous l'offrons,

etrappelât que le fondateur de l'Ecole des hautes études

est en mêmetemps l'auteur de l'OM~ des Romains.

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LES LIGURES

ET L'ARRIVÉE DES POPULATIONS CELTIQUES

AU MIDI DE LA GAULE ET EN ESPAGNE,

PAR L. F. ALFRED MAURY.

L'étude comparative des anciens idiomes de l'Europe et la

découverte devestiges

de l'homme et de diversproduits

de

son. industrieparaissant

antérieurs à toute histoire ont ra-

mené, depuisun

quartde siècle, l'attention des érudits sur

lespremières migrations dont cette partie du monde a été

le théâtre. On a entrepris de refaire l'ethnologie del'antiquité,

en s'efforçant de l'établir sur des basesplus

solides et sur-

tout plus larges. On est ainsi parvenuà

quelques donnéespré-

cises, qui mettent sur la voie de solutions pour plusieurs des

questions quecette science soulève. Mais dans la restitution

ainsi tentée du plus lointain des passés, on procède encore

tropsouvent dans le brouillard, faute de

moyensde détermi-

nationschronologiques.

Si l'on réussit à saisir, dans ces couches

de populations quise sont superposées avec le temps, un ordre

relatif, on n'a que rarement découvert despoints

derepère

susceptiblesd'être rattachés à des dates

approximatives, et

voilà ce qui enlève à l'ethnologie ancienne del'Europe

beau-

coupde son intérêt, pourquoi

on ne sauraitguère en appli-

quer les résultats à l'étude des monuments des âges lesplus

reculés.

Cette pénurie de données chronologiques frappe surtout

quand on considère l'histoire des racesqui peuplèrent

la

Gaule, l'Espagneet l'Italie, et tel est le motif qui nous fait re-

cueillir jusqu'aux moindres indices de nature à fournir des élé-

ments de synchronismes pourla date des migrations qu'elles

ont opérées.

Entre ces populations, il en est une dont l'origine est de-

Page 22: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

A. MAURY.2

meuréc plus obscure encore que celle des nations qui l'avoi-

sinaient ce sont les Ligures, ou, pour les désigner par l'ap-

pellation qui leur fut d'abord appliquée, les Ligyens (Atyus?),comme disaient les Grecs. Le nom de Ligures usité chez les

Latins dénote l'emploi du mot L:g'M~ pour la forme primitivede ce nom au nominatif singulier~.

Pendant longtemps on a vu dans les Ligures une race issue

d'un rameau à part de l'humanité. Certains auteurs les prirent

pour les frères des Ibères mais, depuis peu, des érudits quiont plus approfondi la question se sont prononcés contre de

telles opinions, et M. d'Arbois de Jubainville, dans un fort sa-

vant ouvrage intitulé L~ premiers habitants de f.Earope;, a pré-senté des arguments puissants, et qui me semblent décisifs.

en faveur de l'origine indo-européenne de cette antique po-

pulation. Ses vues ont été adoptées par M. Ernest Desjardins,dans sa G&gyap/H'e historique et <:<&?MM!'sM:M Gaule ~o-

maine, où les caractères de la race ligure font l'objet d'un exa-

men spécial.Les rapprochements établis par M. d'Arbois de Jubainville

ne démontrent pas seulement l'amnité générique des Liguresavec leurs voisins les Celtes, ils nous apportent encore la

preuve qu'il existait entre les idiomes des deux peuples une

ressemblance de mots dénotant une étroite parenté d'origine.

Si nous ne connaissons pas la langue ligure, nous en pou-vons du moins discerner le type par les noms géographiques

propres à l'ancienne Ligurie. Or il est à noter que c'est en

Gaule, en Bretagne, en Espagne et dans les centrées arrosées

par le Danube, que nous retrouvons les analogues des noms

géographiques fournis par la Ligurie. Ces noms appartiennenten grande majorité, par les éléments dont ils sont formés, au

vocabulaire celtique, qui avait laissé, au temps de la domina-

tion romaine, son empreinte sur nombre d'appellations géo-

graphiquesdes contrées que je viens de citer. Plusieurs de ces

noms ont une physionomie si accusée, qu'on en reconnaît la

provenance, lors même qu'on n'en peut donner avec certitude

le sens, car ils ne s'observent que là où il y a eu des Celtes.

Voyez d'Arbois de Jubainville, ~Mp)'emM)'s M~a' fiW.E'Mrqpc,

p. a~t et smv. Paris, i8yy.

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LES LIGURES. 3

Entre les noms ligures qui me semblent pouvoir être rap-

prochesdes noms

celtiques, je choisis ici lesplus signin-

catifs.

Le vocable dont l'origine ligure est le mieux établie est

Bodincus; c'était ~e nom que les Ligures,au dire de Pline

(N~.Kat.IH.vmfiG]),donnaient au

Pô(PaJMs);il signifiait,

dans leur idiome, sansfond.

M. d'Arbois de Jubainville1

a

montré quece mot doit être rapproché

du grec ~Sac~us, du

gallois ~of/! et du sanscrit M/K~. Nous retrouvons dans ce

vocable ligurele radical

quientre dans le nom, manifeste-

mentceltique,

d'un des petits golfes ou estuaires de FEcosse,

le firth du 'Forth, que Ptolémée (II, m, § 5) appelle~o~ena

(BoJ'.spt'fx s<'o-~o-<s),et ce même radical nous ramène au nom

de Bodensee, donné parles Allemands au lac de Constance,

remarquable par sa profondeur. La terminaison du vocable

BfM&tïCMs caractérise un assez grand nombre de noms géo-

graphiques gaulois, tels-que ~g'ej!MCMMt, Lemincum, Vapincum,

~a'MM!C!MK,0~'tMca

(Oëp~xa),etc. Ce qui vient à

l'appuide

l'origine celtique du mot Bodincus, c'est que nous le voyons

entrer encomposition

dans le nom d'une villeplacée

sur le

Pô, BfK&HcoMMg-M~citée par Pline, et que relate uneinscription

latine découverte en Provence(OreIII,/Mscr. /at.

sel. n°/ty3y);

or cette terminaison mag'MS est, comme on sait, celle d'un

grand nombre de villes de la Gaule et des contrées celtiques, et

quoiquel'on ne soit point encore fixé sur sa signification, on

s'accorde à y reconnaître un radical celtique.

Si nouspassons

maintenant à des nomsportés par

des loca-

Htés de la Ligurie, nous rencontrons des ressemblances non

moinsfrappantes.

LesLigyens

ou Ligures formaient, au com-

mencement de notre ère, de petites tribus qui étaient canton-

nées dans les vallées desAlpes maritimes, des Alpes Cottiennes

et de l'Apennin septentrional; elles vivaient au voisinage les

unes des autres etavaient longtemps formé desligues pour dé-

fendre leurindépendance.

Autemps

où ces Ligures n'avaient

pointencore subi le joug des Romains et été affaiblis

parle

contact des colonies marseillaises, ils avaient fondé quelques

villes, dontplusieurs

demeurèrent des cités Hérissantes; telles

Owtv~ < p. aa/).

Page 24: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

A. MAURY.

étaient (fOXM (Gènes), que Strabon nous représente comme

ayant été l'cM~or'Kfm des Ligures; les deux villes d'~?M~ AI-

~Mtn ~g'a:HiMm (Albenga) et ~4~!MN!A~e/ne~MtK (Vintimiglia);la ville des T~n'HH, appelée sous l'empire ~M~i~a 7aMn?:orMM:~

et Ticinus (Pavie). M. d'Arbois de Jubainvilj.e a fait voir queces noms sont indo-européens; j'ajoute que leurs équivalents,si l'on excepte le nom de 7~'ciHMs,se retrouvent dans la Gaule.

La physionomie en est tellement celtique que l'on nesaurait

admettre ici une similitude tenant à une amnité générique

d'idiomes quand il n'existe qu'une telleparenté entre deux

langues, leurs vocables de même sens ou de sens rapproché

offrent, sans doute, des radicaux identiques, mais les formes

des dérivés, voire même de ces radicaux, dufèrentquelquc peu,n raison des substitutions de lettres dues à la prononciation

propre a chacune d'elles. L'identité existë-t-elle entre les mots,

c'est une preuve que les deux langues ne sont séparées'que

par des ditl'érences dialectales. Or comment n'être pas frappéde rencontrer dans cesvallées des Alpes,habitées pardes peu-

plades ligures, quelques-uns des noms géographiques parti-culiers aux contrées celtiques? Sans revenir sur ceux que jeviens de mentionner, j'en rappellerai de non moins décisifs.

Cette localité nommée Oc~MN: que mentionne César, au com-

mencement de ses Commentaires (De bello C~M;o~ I, 10), et

qu'enregistre Strabon (IV, p. i&8;V,p. 180, éd. C. Müller),

porte une appellation qu'on trouve, enl'Espagne au temps

des Romains, donnée à une ville précisément Mtie sur un

fleuve, le DMrnM (Douro), dont le nom n'a pas une forme

moins celtique (Itin. ~M< &3/t, ~3a). CenomdeDurius',

que les anciens ont aussi écrit Doria (A<Mp<as, AoupM?), est

également celui de deux cours d'eau qui arrosent la contrée

où s'élevait la ville d'Occ~MH!, la DMnam~'o! aujourd'hui Dora

Baltea, et la DMn'aMtMM~ aujourd'hui jD<M'&&pana. Ce nom de

Duria ou Doria est si bien celtique que nous le rencontrons

jusqu'en Hibernie, ou il était appliqué à une rivière, le Dour,

Ao))p Ts'oTc~? (Ptolemée, II, n, § ~). Le Var (en latin FarMs,

en grecO&xpos), qui séparait, au commencement de notre ère,

L'7<)M)YH)'e~M<oK!'Hporte Ocelo Diot; on a identifié tour à tour

cette localité avec Fermosel, Toro et Zarnora. Voy. (M. Pat'they et Piu-

tter. n. 36~.

Page 25: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES LIGURES. 5

la Ligurie de la Province romaine(Pline,

~f: nat., IU,

vn[5]),

était dans le principe occupésur ses deux bords par

(les populations ligures.Toute l'étroite région montueuse

que

traverse ce fleuve torrentiel demeura ligure, et nepasse pas

pour avoir jamais été occupée parles Celtes

proprementdits.

On ne saurait doncsupposer que les Celtes lui aient imposé

son nom. Si l'on déniait au vocable Var une origine ligure, il

faudrait en chercher l'étymologie soit dans lephénicien, soit

dans le grec; mais ni l'une ni l'autre de ces langues ne fournit

de mot d'une telle forme pouvant convenir à un cours d'eau,

tandisque

nous trouvonsprécisément

en une contréeceltique,

la Calédonie, un estuaire appelé Varar; il est mentionnépar

Ptolémée( H, m, § 5 ) c'est le firth de Cromartv (Ouetpotp s<cr~u-

~).Les noms des

peuplades ligures et depetites

tribus avoisi-

liantes nous ont été conservés tant par Pline, qui transcrit

l'inscription du trophée d'Auguste, que pardes monuments

épigraphiques,entre

lesquelsse

placeen première ligne l'ins-

criptionde l'arc de

triomphe de Suse.Quelques-uns

de ces noms

sont cités dans César et d'autres historiens anciens. Sans doute,

les noms de plusieurs de ces populationsne trouvent point

ailleurs leur analogue et ne sauraient, en conséquence, être

regardés comme caractérisant des nations de même descen-

danceque

les Gaulois; mais il en est aussi dont laphysionomie

celtique est bien accusée; tels sont les Fc~MMM',homonymes des

~e~NMK: dontparle César (cf. Vellauni, Vellaunodunum, Sego-

~aMM!'); les Ca~:hs., qui s'appellent presque comme les Gau-

lois(Ca~);

les jEsM&M~ quasi-homonymesdes EmM~ peuple

de la Gaule occidentale~. Les noms dej6r<gtatM, ~Vema/sMMtj

(~cy&< nous eurent des radicaux entrant fréquemment dans

lacomposition

des nomsgéographiques gaulois.

Le nom de Varus se retrouve dans celui d'un cours d'eau de ia.

Gaule cispadane, la Verza, indiquée dans la Table de Peutinger sous le

nom de Fs?'Ms. La forme sous laquelle ce vocable de rivière s'offre en

Caiëdonie nous fait supposer qu'il est identique aux noms d'~ra~/tt'a-

y'M,~)'ar:!M,et. qu'il implique l'idée de rapidité. Le nom d'/tranM.! étant

devenu ~4m' en allemand, la forme ~?w a pu devenir Var en fie'nre.

Voyez E. Desjardins, GeoFrap/MC /<MforMMeet administrative <~ la

Gaule roMMKe, t. H, p. ~Qo, 638.

Le nom d'O~&K peut être rapproché des noms celtiques ayant

Page 26: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

A. MAURY.G

Autre rapprochement qui ne me paraît pas moins con-

cluant Ceme~MMtétait le nom de l'oppidum d'âne des peu-

plades ligures des bords du Var, les Ve~MK&'t ou Fe~Mtes ce

nom s'est conservé, quelque peu altéré, dans celui de CImIez.

Il est visiblement dérivé du mot qui désignait la hauteur où

l'oppidum était placé, car on y discerne le radical cem, qui entre

dans le nom de K~t~eMw, écrit par les Latins Ce~HM~ et qui

désignait la chaîne des Cévennes, laquelle en a tiré son ap-

pellation. Le même radical se retrouve dans les idiomes néo-

celtiques avec le sens de dos, de courbure2. Le nom de FesM~MS

que portait le mont Viso, une des montagnes de la Ligurie

(Servius, ad ~EnR: XI, 700), peut être rapproché de divers

noms des contrées celtiques et de formes voisines.

Ainsi ce n'est pas seulement chez des tribus auxquelles on

pourrait à la rigueur dénier le caractère ligurique, c'est chez

celles qui habitaient en plein pays ligure que les vocables cel-

tiques sont à signaler. D'ailleurs, -les R:M)'w~ qui portent

presque le même nom qu'une population celtique du Norique,les Taurisci, sont

qualifiés positivement, par Strabon, de Li-

gures 3.Il est diulcile d'admettre que des populations en quelque

sorte enchevêtrées les unes dans les autres, comme l'étaient les

petites tribus des Alpes, lesquelles constituèrent le royaume

de Donnus et de son fils Cottius, aient parlé des langues tout

à fait différentes, et c'eût été le cas si les Celtes n'avaient eu

aucune anmité d'idiome avec les Ligures. Du celticisme de

ceux-ci on peut produire une preuve plus décisive, et c'est

cette preuve qui me ramène précisément à la détermination de

l'élément chronologique qui fait l'objet principal de ce travail.

pour préfixe !M: dans les transcriptions grecques ou latines, Uxantis,

Uxella, MM/MMMM~ Uxellum, où apparait un radica) jM; ou plutôt uch

(voy. A. Fick, Fe~/etc/tc~MÏ~orfer&Me/t ~'Mog'et'NM)M.M/t6K~?'acAeK~3" édit., t. 1, p. 768), très-probablement identique au radical oc daus

Oce~Mmet impliquant l'idée d'élévation. Un grand nombre de localités

portent en France les noms d'Ussel, K!M<m,Uzcl. (Voyez Roget de Bello-

guet,F</mo~eHM'~m&se, glossaire, a" édit., n° 356, p. 35a.)

Voyez E. Desjardins, oMurag-ecité, t. II, p. a56, a5y.Diefenbach, Celtica, t, p. 121, ia3.Le nom de &g'!M!'o( Suse), localité située à la frontière des. 2a!M'M:~

f~t aussi tout celtique.

Page 27: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES LIGURES. 7

Justin, l'abréviateur de l'histoire qu'avait composée le Vo-

conceTrogue-Pompée,

nousapprend (XLIII, m, § i5; iv,

Sa) queles Phocéens avaient fondé la colonie de Marseille,

au paysdes Ligures, sur le territoire d'un peuple appelé

Se-

~o&r')'g-i' les Ségobrigiens, surlesquels régnait un certain

Nannus. Or, le nom de &g'o&r:g'Mest essentiellement celte,

et l'on en retrouve les deux élémentscomposants, sego

et

6n~ dans une foule de noms de la Gaule, de l'Espagne et

de laBretagne, ainsi que

l'a déjà remarquéM. d'Arbois de

Jubainville, qui ne voit dans ce nom qu'un vocable indo-euro-

péen. L'Identité est trop complète pour qu'onne reconnaisse

pas ici lapreuve

d'une étroite affinité d'idiome. Le nom même

du roi desSégobrigiens que

nous donne Justin, etqu'on

lit

aussi dans Aristote, sous la forme Nannos(Nc~o$;

cf. Athen.

XIII, 5 y 6), paraît n'être qu'une variante du nom de Ninnos,

inscrit sur des deniers d'argent gaulois découverts dans les

montagnes du Jura. Celui du successeur de Nannos, Comanos,

relaté également par Justin, nous est fourni par le vocable

Coma; que portentdes deniers d'argent de la

ligue des mon-

tagnards des Alpes contre Arioviste et les Germains.

De tous ces faits il me semble résulterque

lesLigures

ou

Ligyens parlaient un dialecte celtique, qu'ils étaient de même

souche que les Gaulois, ou avaient été celtisés par eux dès

uneépoque reculée, fort antérieure à la fondation de la colonie

phocéenne de Marseille. Les envahisseurs celtes n'avaientpu

manquer d'absorber ou de modifier profondément la popula-

tion qui occupait avant eux la région comprise entre les Alpes

au nord et la Méditerranée au sud, et qui s'étendait, dans le

principe,de la Macra jusqu'au Rhône. Or, la

présencedes

Ligures en cesparages

se rattache à un événementimportant

dans l'histoire des migrations des populations méditerra-

néennes.

Thucydide (VI, n), parlantdes anciens habitants de la

Sicile ou Trinacrie, nous ditqu'après

avoir été habitée parles

Cyclopeset les Lestrygons, cette île fut envahie par les Sicanes,

peupleibère

queles

Ligyensavaient chassé des bords du

fleuve Sicanos. Diodore de Sicile (V, vi)et Denys d'Halicar-

nasse(1, xxn)

ont euégalement

connaissance de la tradition

relatéepar Thucydide; ils t'avaient vraisemblablement puisé''

Page 28: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

A. MAURY.8

chez Philiste de Syracuse, lequel écrivait au commencement

du ive siècle avant notre ère. On a proposé pour ce fleuve

Sicanos di&'érentesidentiucations, ne le retrouvant pas parmi

les cours d'eau que mentionnent Strabon, Pline, PomponiusMêla et les historiens anciens. M. d'Arbois de Jubainville,

reprenant une assimilation déjà proposée par Grotefend et

J. F. Gail, veut voir dans le Sicanos la ~uans, autrement

dit la Seine. Cette opinion nous semble peu admissible. Com-

ment les topographes, les antiques historiens auxquels Thu-

cydide a emprunté ce qu'il rapporte touchant les Sicanes, au-

raient-ils pu citer une rivière de la Gaule, quand c'est à peine

s'ils connaissaient ce pays, vaguement désigné par eux sous le

nom de Celtiqtte, et auraient-ils étendu à cette contrée le nom

d'Ibérie, beaucoup mieux défini dans leur esprit? Parce que

FIbérie, telle que la représentaient d'abord les Grecs, s'avan-

çait jusqu'aux bouches du Rhône, cela n'autorise pas à com-

prendre toute la Gaule sous cette dénomination. D'ailleurs

l'extension du nom d'Ibérie à la région sise au nord des Pyré-

nées orientales, reposait certainement sur le fait, observé parles Grecs, que la population de cette partie de la Gaule, était

de même race que les Ibères, ainsi que le démontre la forme

des noms de lieux mentionnés par les anciens dans la contrée

répondant au Roussillon. Quelques érudits ont admis que le

Sicanos est identiqueau Secoanos (S~xoa~os) qu'Artémidore,

cité par Etienne de Byzance, donnait pour une rivière du ter-

ritoire de Marseille. Mais le Secoanos n'est pas le Sicanos, et

quand on voit le même Artémidore faire dériver du premierde ces noms celui des Séquanes (S~œMt), on est fondé à

supposer que cet auteur, qui n'avait sur la géographie de la

Gaule que des notions fort inexactes, parlait de la Seine

(6'e~M~Ma). tout au moins de la Saône (&:MCOMHs), qu'il sup-

posait arroser le territoire des Marseillais parce qu'il avait

appris que cette rivière se rencontrait au nord de la colonie

phocéenne.Nous n'avons aucune raison de rejeter le témoignage formel

de Thucydide. nous disant que le Sicanos était un fleuve de

M. Ernest Desjardins (oKN'~ec:'<e, t. [, p. 178) a émis l'opinion quete Secoanos pourrait être )'~)'c; mais le nom de ~ar, porté au moyen

u~e par cette rivière, ne confirme pas une telle assimilation.

Page 29: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES LIGURES. 9

l'Ibérie, car nous trouvons ailleurs la confirmation de cequ'il

avance. Festus Avienus, l'auteur du poëme des Ora man~Kf~

bien qu'ayantécrit au iv" siècle de notre ère, nous offre un

tableau géographique composé d'éléments empruntésà des

périégèseset à des

périplesdatant du iv° et du e siècle avant

notre ère. Eh bien, il mentionne le fleuve Sicanus, prèsdu-

quelil place une Civitas

<S:c(HM'(0?'aMM?'v. 46y, 46g, 4yo.

48o,486),où l'on reconnaît la &caM~(2tKfXf)?), ville d'ibérie,

dont parlaitHécatée de Milet

(ap. Steph. Byz. s.A.o.). Le lieu

ou Avienus parlede ce fleuve Sicanus et de la ville

quien

tirait son nom montre clairementqu'il s'agit ici du Sztcro, le

Xucar actuel. Il s'ensuit que le Sicanos était bien réellement

un fleuve d'tbérie. Or, dans la région de la Péninsulequ'ar-

rose le Xucar dans cettepartie que

les anciens désignaient

sous le nom de Celtibérie, à raison dumélange

de Celtes et

d'Ibères qu'offrait la population, se trouvaient, .à l'époque

romaine, deux villesappelées Segobriga

lapremière,

la Sé-

gorbe actuelle, etqui nous a laissé des monnaies; la seconde,

renommée par l'abondance, en son territoire, de lapierre

spéculairo (specularis lapis), quel'on y exploitait.

Ainsi voilà

précisémentdans la

régionde

l'Espagneoù coule le Xucar,

c'est-à-dire le Sicanos, deux villes portant le nom du peuple

ligure, queles Phocéens avaient rencontré à leur débarque-

ment sur le sol où ils fondèrent la colonie de Massalia. Ne

faut-il pasreconnaitre dans ces Segobrigenses que mentionne

Pline(lit.

111 [4]) les descendants des Ligures quiavaient

expulsé les Sicanes? Nullepart

ailleursqu'en

lapartie

de

l'Ibérie ici indiquée il n'estquestion

de villes du nom de Se-

gobriga,et il est à noter

que lenaturaliste romain

qualifiele

territoire de ces mêmes ~ea'o~g'eMses de <MpM<Ce/<!6&r!<s. Tout

annonceque

dans leprincipe

cepeuple,

subsistant encore au

[~ siècle de notre ère, occupait un territoire assez étendu.

Les Ligures avaient dû envahir une partie du domaine pos-

sédé auparavant par les Ibères, et, en venant s'établir à leur

voisinage,ils se mêlèrent

partiellement avec eux. Festus

Ce fleuve devait être d'autant mieux connu des Grecs, qu'il traversait

la route autant deGadès en Italie. (Voyez /<:))er.t<oM. 400, p. iga édit.

Parthey et Pindcr. Orelli, ~Mcr~<. /<!<H!c/. n°5aio. /<M:er<H'?'Mde~ie~'e//o.~

Page 30: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

A. MAURY.10

Avienus, en parlant du fleuve de Tartesse, c'est-à-dire du

/~c<s (le Guadalquivir), dit qu'il prend sa source au L~s~'cMs/acMs. Donc l'amas d'eau d'où sort le grand Heuxc de l'Anda-

lousie avait reçu d'abord son nom des Ligyens ou Ligures,

l'ethnique ~g~s~Me en étant incontestablement formé. Ce

peupledevait s'étendre alors du Xucar au cours supérieur du

Guadalquivir. Une autre preuve qu'il existait bien réellement

une population ligyenne dans cette partie de l'Espagne, c'est

que Etienne de Byzance, qui avait compilé, on le sait, d'an-

tiques données géographiques, mentionne L~ys~H~Atyuo-Tt~)comme une ville de l'ibérie occidentale, peu éloignée de Tar-

tesse. On s'explique conséquemment que Festus Avienus, en

reproduisant un tableau de la manière dont les Grecs serepré-

sentaient l'Europe occidentale au iv° et au v" siècle avant notre

<re, ait placé les Ligyens, PerM!.c L!g'Ms (OMMM! v. i<)6),au voisinage des Cempses, peuple pyrénéen dont les âges

postérieurs ne gardaient plus qu'un vague souvenir (voy. Dio-

nys, Perieg. v. 338). Il y a donc tout lieu d'admettre que les

Ligyens furent une des premières, sinon la première, des po-

pulations celtiques qui envahirent l'Espagne, et on comprendalors qu'ils en aient chassé les Sicanes, qui, après une longue

pérégrination, devaient aller s'établir enTrinacrie.

Suivant Hellanicus de Lesbos (ah. Dionys. Hal. I,xxu),l'é-

migration des SIcules, qui suivit de près celle des Sicanes, était

antérieure de trois générations à la guerre de Troie. Philiste de

Syracuse, en situation de recueillir des traditions plus précises,

plaçait l'événement quatre-vingts ans seulement avant cette

guerre; il affirmait que les Sicules, dont le nom valut à la Tri-

nacrie l'appellation de Sicile, étaient des Ligyens ayant à leur

tête un chef nommé &<Jos. On peut en inférer que les Sicules

étaient un mélange de Sicanes et de Ligyens, chassés des

cantons de l'Italie qu'ils avaient d'abord envahis par les Om-

briens et les Pélasges (voy. Festus, v° ~o'a'K~. Or remar-

quons que les habitants de la Sicile sont déjà mentionnés

souslenomdeSME~o/dansrO~M<fc(XX, 383;cf.XXlV, m 1,

.366,38()), poème qui désigne aussi l'tle sous celui de 3txet)'t);

Ce sont visiMement les Lig'yens qui out npportd en Sicile le nom de

.')(~&<c,que l'on trouve poi'Lé par mievuie de Lig'm'te, 5<ges<«T;g'!</&'o-r~m (PtioR. /f<<. M;. IH, 7).

Page 31: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES LIGURES. 11

(XXIV, 3oy).Donc l'établissement des Siculeset,conséquem-

ment, celui des Sicanes en Sicile sont antérieurs à la rédac-

tion del'Myssee.

On est dès lors en droit de faire remonter

au delà du x° siècle avant notre ère l'arrivée en Ibérie, dans la

contrée qu'arrose le Sicanos ou Xucar, des Ségobrigiens, au-

trement dits desLigyens ou Ligures; et, comme il ressort de

ce que j'ai ditplus haut que ceux-ci appartenaient

à la famille

celtique, c'est donc auplus

bas à cette datequ'il

fautrepor-

ter la migration des populations celtiques à l'occident de

l'Europe.

Unequestion

sepose

naturellement ici les Ligyens s'é-

taient-I!s, de l'Ibérie, avancés dans la contrée qui prit d'eux

le nom de Ligurie, etqui

était originairement comprise entre

le Rhône et la Macra, ou étaient-ce les Ségobngiens, établis

au commencement du vi° siècle avant J.-C. aux environs de

MarseIDe, quiavaient

pénétréen

Espagne?Si l'on accepte la

traditionque

Tite-Live nous a conservée surl'expédition

de

Bellovèse au nord de l'Italie, tradition qu'il ne me semblepas

qu'onsoit autorisé à rejeter, on devra admettre que,

dès l'an

5goenviron avant notre ère, les Ligures étaient déjà fixés

dans la Gaulecisalpine;

et l'histoire de la fondation de Mar-

seille sur le territoire ligure prouve que,moins d'un

quartde

siècle auparavant, ils se trouvaient dans ce que nous appelons

la Provence. Une très-ancienne tradition, serapportant,

selon

touteapparence,

à l'Herculephénicien,

c'est-à-dire au dieu

Melcarth.età laquelle Eschyle fai,t allusion dans son Pro-

M:e<Aee(Eschyl.

éd. Ahrens, p. 02), plaçait l'intrépide armée

desLigyens

sur la routequ'avait

suivie le dieupour

se rendre

d'Ibérie, où il avait vaincu Géryon, enTyrrhénie; cequi

montre

clairementque,

suivantl'antique légende, les Ligyens s'éten-

daient sur les bords de la Méditerranée, entrel'Espagne

et

la Toscane; et, en effet, Strabon(IV, i, p. i5a, éd. Müller)

voit dans la plaine de la Crau le théâtre du combat que

Hercule avait livré contre les barbares, combat où Zeus vint

au secours du héros divin, dont les nèches étaientépuisées,

en accablant ses ennemis d'une pluie de pierres. Le mythe de

l'expédition d'Hercule en fbérie devait avoir été apportéaux

Grecs par les Phocéens établis dans la Gaule méridionale, et

ceux-ciparaissent

l'avoir reçu des Phéniciens, dont la domi-

Page 32: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

A. MAURY.12~'),

nation précéda, sur le littoral de la Provence, celle des Grecs.

Voila donc qui nous reporte au moins au vn° ou vuf siècle

avant notre ère, et prouve que la présence des Ligyens en Li-

gurie datait d'une époque fort reculée. Ajoutons, en passant,

que le nom de Crau (prononcez craou), qu'a conservé le théâtre

des exploits d'Hercule (les C~MK~/a~ de Pline'),

a une éty-

mologie celtique et signifie p!en'c!M~; ce qui est un nouvel

indice que les Ligyens parlaient un idiome celtique, car ce

nom paraît remonter a une haute antiquité.Si l'on fait attention qu'en pénétrant dans la Gaule, les po-

pulations celtiques, venues de l'Est et du Nord-Est, durent lon-

ger les bords des grands Seuves qui constituaient à l'origineles principales artères de communication, on devra admettre

que, pour se rendre en Provence, elles avaientsuivi la Saône

et le Rhône, et l'on sera dès lors conduit à croire quelles s'é-

taient rendues sur le territoire de Marseille avant de gagner

l'Espagne. Il y a donc lieu de supposer que les Ségobrigienssur lesquels régnait Nannos étaient les frères âmes et non

les enfants de ceux des bords du Sicanos. Les Segobrigiensdurent suivre en sens inverse la route que suivit plus tard

Annibal pour se rendre sur les bords du Rhône, et leur migra-tion nous apparat comme l'avant-garde de celle des Celtes

proprement dits. Ne l'oublions pas, d'ailleurs, les peuples

que les Grecs connurent sous le nom de Celtes et les Romains

sous celui de Galli ne constituaient pas plus que toutes les

races primitives et barbares une nation dans le sens moderne

du mot; c'était un ensemble de tribus offrant une commu-

nauté de langue, d'habitudes, et une notable ressemblance de

type physique, mais gardant cependant chacune une existence

séparée, se désignant chacune par un nom particulier. Ce sont

les Grecs qui paraissent avoir les premiers imposé à la masse

de toutes ces peuplades un nom collectif, lequel était em-

prunté à celui qu'avait adopté l'une d'elles, celle que la proxi-mité de territoire avait d'abord mise en relation avec leurs co-

Yoy. sur !es Cam~M&~K< E. Desjardins, out. e<~ L t, p. t g&, i §5.Ce mot. o'aM( prononcezen provençal o'ao!t) se retrouve dans }c gal-

lois 0' le gac)ic ere< l'armoricain &Mg', et il a fourni le nom deC7'<:KCdonné aux Alpes qui séparaient la Gaule de la Ligurie. (Voyez Die-

i'cnbacu, Ccllica, t, p. 10~,10 5.)

Page 33: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES LIGURES. 13

lonies du midi de la Gaule'. De même, le nom de Bretons,

~!foHM, fut étendupar

les Latins à toutes les tribus d'Albion

congénèresde la

petitenation ainsi appelée, qui, de la Gaule

belgique,avait

pénétré dans l'île.Presque partout,

les choses

se sontpassées

ainsi pour les dénominations quiont été appli-

quéesaux nations.

Malgré leur unité ethnique, les tribus celtiques,on le sait

par de nombreux témoignages, étaientfréquemment.en

lutte

entre elles, et l'uneimposait

son joug à l'autre. Ons'explique

de la sorteque

les Celtes, nouveaux envahisseurs, aient re-

poussé les tribus ligyennes qui les avaient précédés, les aient

refoulées dans les vallées desAlpes

et de l'Apennin, où elles

se virent bientôt condamnées à une vie dure et misérable, cul-

tivant un sol ingrat et demandant encoreplus

aubrigandage

qu'àla chasse et à la pêche les moyens de subsister~. Telle

est lapeinture que nous fait des Ligyens Diodore de Sicile,

etqu'on

retrouvepresque

avec les mêmes couleurs dans

FestusAvienus(Oraman~.v. i36

etsuiv.).Le poètelatin nous

les représente comme ayantété contraints par l'arrivée des

Celtes d'abandonner la contréeplus

fertilequ'ils

avaient d'abord

occupée~; aussi une hostilité marquée subsista-t-ellelongtemps

entre les Celtes et les Ligures; ceque

dit Diodore en fait foi;

et les premiers prêtèrent contre les seconds du secours aux Grecs

de Marseille. (Voyez Justin, XLIII, iv; Polybe, XXXIII, vu, vio.)

Voyez ce que dit Strabon, V, xiv, p. i5y, éd. MùHer.

~Ligures qui Apenninum tenuerunt, latrones, insidiosi, fatfaees,

mendaces,~ écrit Nigidius, ap. Serv. ~~Em. XI, 715.Festus Avienus désigne manifestement les Alpes, que les anciens

poètes, à raison des neiges dont elles étaient couvertes, avaient dépeintescomme une chaîne de montagnes septentrionales, quand il écrit

Rigidœque rupes atque montium minœ

Cœ)o inser~ntHf,

et l'on reconnaît par la suite de la description qu'après cette Liguriesoi-disant hyperboréenne, on arrivait aux bords de la Méditerranée, car

il est question d'une mer qui s'étendait jusqu'à Ophiusa et où se trouvait

la Sardaigne. Cette île d'OpA!'M~< dont parlent Pline (III, 11) et Pom-

ponius Mé!a (M,vn,aoo), fut confondue avec les OEstrymnides, le nom

de ces îles ayant été donné par les premiers poètes et périég'ètes aux îles

voisines de la côte d'Espagne, lesquelles servaient vraisemblablement

d'entrepôt au commerce des Phéniciens, iorsque ceux-ci allaient prendre

Page 34: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

A. MAURY.l~t

Festus Avienus, qui copie les indications vagues et in-

exactes de l'antique cosmographie des Grecs, assigne au paysdes Ligyens une fausse orientation, et cela a conduit certains

modernes à supposer qu'il existait des Ligures dans l'Europe

septentrionale. Le poète latin s'imaginait que, lorsqu'on s'a-

vançait sur mer au nord des îles OEstrymnides, autrement

dit des Cassitérides, on rencontrait le pays des Ligyens. Cette

erreur tient à deux causes. La première, c'est que les anciens

se représentaient inexactement l'orientation de l'Irlande; ils

supposaient que l'Hibernie et les îles Cassitérides, qui sont les

Sorlingues et la pointe de Cornwall, étaient situées au nord de

l'Espagne et à l'ouest de la chaîne des Pyrénées, qu'ils faisaient

courir du sud au nord, au lieu de l'orienter de l'est à l'ouest.

La seconde cause, c'est que le nom d'ÛEs~n/mtMWc~ que nous

transmet Avienus, ne fut pas appliqué tout d'abord aux Cas-

sitérides, mais aux îles situées en face de la côte orientale de

l'Espagne, où les Phéniciens allaient chercher Ies_métaux, avant

qu'Us eussent poussé leur navigation jusqu'aux Sorlingues.

Le poète,qui mêle des données de différents âges, a confondu

dans la Péninsule les métaux qu'ils anèrentchercher plus tard jusqu'aux

Sorlingues. C'est a quoi fait allusion Avienus quand il dit (Ora man't.

v. loA,i55):

ha*c dicta primo OEstrymnis est

Locos et arva OEstrymnicis babitantibus.

De même que les Cassitérides se confondent, dans les- récits des navi-

gateurs, avec la presqu~ie de Cornwall, Ophiusa, FOEstt'ymnide pri-mitive, se confondait avec le continent ibérique voisin; voita pourquoile poète, qui ramassetoutes les données de cette vague géographie,

compare pour l'étendue Ophiusa au Pétoponèse

Ophiusa porro tanta panditur ]atus

Qnantam jacere Pelopis audis insulam

Gralorum in agro.

Ophiusa représente si bien dans cette cosmographie poétique ia c6te

d'Espagne, qu'il est question à son sujet du Jif~M ~merM, selon toute

apparence le cap de Ct'euz, près duquel était place le temple de Vénus

mentionné par Strabon(IV,i, p. iù8, éd. Mû!icr),jgt qui a valu son

non il Port-Vendres. Les Ora maritima parlent ensuite de deux petitesfies inhospitalières, qui doivent avoir été ceiies que les anciens appelaientles ~'&!MM(Iviça et Fermentera), et d'où il fallait cinq jours de navi-

gation pour se rendre aux Colonnes d He)'cu)e.

Page 35: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES LIGURES. 15

)cspremières OEstrymnides

avec les secondes; or, en suivant

l'ancienneterminologie,

il était exact de dire qu'on ren-

contrait lepays

desLigures

au nord-est desOEstrymnides'.

Maisquand

toutes ces notions se brouillèrent, il en résulta un

vrai chaos dans la façon dont onreprésenta

la carte de l'Eu-

rope occidentale, et c'est de ce chaosqu'Avierms

nous a con-

servel'image.

Comme onsupposait que

le littoralseptentrional

de la Gaule s'étendait au nord de l'Hibernie, les naviresqui

se

Le nom d'C!E'~r!/m)ttf~ paraîtavoir fait allusion à

l'agitation furieuse

(oMp~~et) que présentait la mer d'alentour. Lesparages

del'Espagne

étaient sipeu

connus des auteursgrecs,

au v* siècle avant notre ère,

qu'on pouvaitencore confondre à cette époque les Baléares et le con-

tinent qui leur fait face. Hérodote (111, n5) déclare ignoreren

quelle

région se trouvaient les îles Cassitérides, d'où l'on rapportait l'étain, et

cetteignorance s'explique

d'autantplus facilement que les Phéniciens,

qui importaient les métauxprécieux de l'ouest de l'Europe, cachaient soi-

gneusement leur itinéraire, ainsique

leremarque

Strabon (II, v, p. i M,1

édition Müller). Les notions inexactesqu'avaient

les auteursqu'Avienus

prend pour guides, et dont Etienne deByzance nous donne aussi quelques

extraits, fontcomprendre

comment on confondit, d'une part, sous le nom

d'O~M (Ô~oSo-ef, i')te desSerpents),

différentsgroupes d'îles, telles

que les Columbretes et les petites Batéares, avec la côted'Espagne, qui

en estpeu éloignée, et, de l'autre, ces mêmes îles avec les Cassitérides

ou Sorlingues, auxquelles on appliqua pour ce motif le nomd'OEstry-

mnides. Deux passages d'Avienus le montrent au reste suffisamment. Le

poète, en parlantdes

Cempses et des Sa~fes, qui étaient des populationsdes

montagnesdu nord-ouest de la Péninsule, les place dans l'île

d'Ophiusa

Cempsi atque Sœfps arduos colles habent

Ophiusœ inagro.

(OrcmœWt. v. ig5, fg6.)

Le promontoire que les anciens appelaient O.B'~w/MH~e est représentécomme étant peu éteigne des Colonnes d'Hercuie

Et prominentis hic jngi surgit caput

OEstrymnin istud dixit aevum antiquius.

(ibid. v. go, g t.)

La description quisuit fait comprendre que l'océan

Atlantique, qu'onrencontre au delà du détroit de Gadès, fut

désignédans le

principe

parun nom

signifiant mer fitrieuse (sinus QE'~ryNMK'etM), dénomination

qui passa aux îles Cassitérides. Ce nom tomba en désuétudequand

les

côtes de Bretagne et d'HIbernie eurent été plus explorées; voilàpourquoi

il ne se retrouve plus chez les auteurs postérieurs à ceux dont Avienus

et Etienne deByzance nous ont conservé des fragments.

Page 36: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

A. MAURY.i6

rendaient pour aller chercher l'étain aux Cassitérides et ga-

gnaient de là quelque port de la Manche, ainsi que nous

l'apprend Diodore de Sicile (V, xxxvm), étaient regardés comme

mettant le cap au septentrion. Les chargements de ces navires

étaient transportés par terre jusqu'à Marseille. Alors qu'onétait encore absolument ignorant, chez les Grecs, de la confi-

guration du nord del'Europe, comme on entendait dire que

ces marchandises remontaient par eau, on en concluait queles bâtiments pouvaient se rendre directement en Ligurie. On

sait, en effet, par Strabon, que le commerce sejaisait_par la

Seine, la Saône et le Rhône. Au reste, des confusions ana-

logues à celles dont l'emplacement respectif assigné aux OEs-

trymnides et à la Ligurie était l'objet peuvent être constatées

dans les vieilles traditions poétiques sur le voyage des Argo-nautes.

Quoique les Ligyens ou Ligures nous apparaissent comme

les anciens habitants des pays qui s'étendaient du Rhône a la

Macra, le caractère indo-européen de leur idiome prouve suf-

fisamment qu'ils n'ont pas été les premiers occupants de cette

partie du littoral de la Méditerranée. La contrée devait être

déjà habitée avant eux, et ils avaient, selon toute apparence,absorbé la population indigène. C'est ce mélange qui dut

modifier chez les Ligures le type celtique, et en constituer un

quelque peu différent. Mais cette nation reçut certainement,

a plusieurs reprises, des infusions de sang celtique, car un

courant d'émigration celtique semble avoir continué durant

des siècles à verser en Ligurie des tribus venues d'au delà des

Alpes. Quand on compare les'noms de diverses villes de cette

contrée à ceux de l'Helvétie celtique, on est frappé de la res-

semblance, parfois même de l'identité, qu'ils présentent. Ainsi

on trouve en Helvétie, comme dans la région sur laquelles'étendait la Ligurie primitive, un E~uro~KUMm (Yverdun

et

Embrun); le nom d'~feH<CMm (Avenches) est quasi-identique

avec celui des Avantici, peuplade des Alpes Cottiennes, et il ne

diffère que par l'insertion de la nasale, généralement sup-

primée dans les idiomes du midi de la France, du nom des

Avatiei, l'un des peuples de la Ligurie occidentale. Le nom

d'une ville ligure, /Mgm<MMM,se rapproche fort par le sufïixe de

f'plui (i'une ville de l'Heivétie /}g'aMHM)Mou ~caMHM?M.Plu-

Page 37: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES LIGURES. 17

tarquenous

apprend (MarîMs~c.

xix) que les Ligures, ou

du moins une partie d'entre eux, se désignaient parle nom

d'Ambrons, quiétait précisément celui que portait l'une des

quatre peuplades des Helvètes, celle qui se joignit aux Teu-

tons, lors de leur fameuse irruption. I) semble donc probable

que les Ligures étaient originairesde l'Helvétie, et leur nom

même de Ligyens, déjà connu d'Hésiode(ap. Strabon, VII, III,

p. a~q,éd.

Mùller), a toute l'apparenced'être

celtique,car il

serapproche

fort de certains vocables géographiques que nous

fournissent les contréesceltiques Ao~o<, LMgM~ peuple

de

la Germanie voisin des Helvicomes, et qui paratt avoir été allié

aux Celtes; AoSyo<, peuplede la Calédonie; Liger, la Loire;

~MS~MMMH~etc.

LesLigyens, qu'ils

aientimposé

leur nom auxpopulations

qu'ils rencontrèrent tant au sud-est de la Gaule qu'au nord de

l'Italie et aveclesquels

ils se fondirent, ouqu'ils

aient reçu

cette appellation après s'être établis dans leur nouvellepatrie,

n'en finirentpas

moinspar

constituer une nationparticulière,

queles anciens ont distinguée des Celtes; ils continuèrent

pourtant de se mêler à eux sur bien despoints,

et nombre de

leurs tribus ont été tour à tour regardées comme celtiques ou

comme ligures. Tel a été notamment le cas pour les &:M:K)H ou

Salyes. Ceci nousexplique pourquoi

le nom de Ligurie fit

placeà celui de

Celtique, pour désignerle territoire de Mar-

seille et la contréequi

s'étend entre le Rhône, la Durance et

la Méditerranée.

Seules, certainespetites peuplades

desAlpes

et del'Apen-

nin, les Deciates, les O~y&K notamment, conservèrent leur in-

dépendance. Les plus barbares de ces tribus, celles que l'on

désignait sous le nom de L~<res Comati ou C<!p!7~h (Pline,~<. nat. 111, vu),

ne furentsubjuguées par

les Romains, qui

avaient déjà, dès la fin du ni" siècle avant notre ère, soumis les

autrespeuplades (Florus, II, ni), qu'en

l'an a~t avant Jésus-

Christ.(Dion Cassius, LIV, a~t.) C'est chez ces Ligures indé-

pendants quedurent se conserver davantage les habitudes et

les traditionsqui

remontaient auxindigènes que

lesLigures-

Celtes avaient envahis. Mais, au commencement de notre ère,

toute trace de cetteantique population, qu'on peut appeler

les

Proto-Ligures,avait

disparu. Les montagnards de la Ligurie

Page 38: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

A. MAURY.18

ne parlaient plus qu'un dialecte celtique, qu'ils finirent parabandonner pour le latin, promptement corrompu dans leur

bouche, et d'où sont sortis les patois piémontais, génois et

dauphinois. On a vu souvent les descendants d'anciennes po-

pulations aborigènes abandonner leur premier idiome pour

adopter celui des populations plus puissantes qui les envelop-

paient. C'est ce qui a eu lieu pour les Kurdes, pour les tribus

du Mahreb, pour diverses tribus finnoises de la Russie.

A l'époque où GeHtM prenait son nom, où le P6 recevait

l'appellation de jSo~HCM~ où s'élevaient les oppida d'~t~:M~

~Mg-aMmMM:et d'MM! /M<emp~'MtK.,les anciens indigènes de la

Ligurie avaient déjà adopté, au moins pour la plupart, la

langue de leurs envahisseurs, descendus des Alpes et vraisem-

blablement originaires de l'HelvétIe. Ce durentêtre des Proto-

Helvètes qui Imposèrent aux Alpes leur ancien nom d'Albes,

changé ensuite en celui d'Alpes, sans doute parce que ce nom

fut apporté aux Romains par les Étrusques, qui substituaient

le p au b Tct yap AXwts xaÂeÏo'~ot: 'arpoTspof AX&<x~ écrit

.Strabon (V, v,p. t68, éd. Mùller). En effet, l'origine bel-

vetico-ligure de la forme Albe ressort d'un grand nombre de

noms visiblement dérivés du même radical, et qui appar-tiennent à la contrée que ce peuple avait occupée Alba Hel-

MM'Mm, /l~s ~M~Ms~ (Aups),Alba Po?K~eM~ etc. Ce vocable,

qui a laissé des traces dans les dialectes .ndo-celtiques et dans

une multitude d'appellations géographiques, est incontesta-

blement celtique, et comme il était aussi ligure, il nous

fournit une nouvelle preuve du celticisme de l'idiome des Li-

gyens', dès une haute antiquité. Ce sont vraisemblablement

les Sicules ou Sicano-Ligyens qui ont porté le même vocable

en Italie.

L'ensemble de ces considérations nous fait voir que l'émi-

gration ligure a été au nord-ouest de l'Italie l'avant-garde de

la grande émigration celtique, qui continua pendant plusieurssiècles. Les tribus de cette race s'avançaient rapidement, et il

n'y a pas lieu de s'étonner qu'un peuple établisur le territoire

où s'éleva Marseille, les Ségobrigiens, ait poussé une expé-

Dans les langues germaniques, la racine alb, a~ c/~ e~ veut, au

contraire, dire eau. Voyez Roget de BpHoguet, jEWMtM'HMea'mf~oMe,glos-saire, a''édition, p. 12 a.

Page 39: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES LIGURES. 1S-

dition jusqu'au cœur del'Espagne.

C'était là lepropre des

tribus celtiques de setransporter parfois

à de grandes dis-

tances, enquête

d'un solplus fertile et d'un séjour plus appro-

prié à leurs besoins. Les Gaulois poussèrent de ces expéditions

lointaines en Grèce et jusqu'en Asie Mineure. César, aupre-

mier livre de ses Commentaires, nous montre ces mêmes Hel-

vètes, quime semblent avoir été les frères des Ligures, s'ap-

prêtant àgagner le pays

des Santons et à traverser toute

la Gaule. Les noms que gardaient diverses populations de la

Cisalpine, Cénomans, Lingons, Sénons, se retrouvent, dans la

Transalpine, portés pardes

peuples quien étaient fort éloi-

gnés. On sait que les .B<M' les Tectosages, se sontpareillement

transportésà de

grandes distances. Ces tribusémigrantes

traî-

naient à leur suite dans des chariots leurs femmes, leurs en-

fants et leurs richesses. Ainsi doivent en avoir agi les Sicules

quand, repoussés par les aborigènes et les Pélasges, ils s'avan-

cèrent jusqu'en Sicile.(Dionys.

Haï. I, xxn.)La rapidité de ces

migrations, qu'attestent au reste celles des populations barbares

qui apparaissent en Occident au commencement de notre ère,

par exempledes Goths, des Vandales, des Lombards, montre

qu'il a pu ne pas s'écouler un bien long espace detemps

entre

l'établissement desCeltes-Ligures

aux embouchures du Rhône

et leur invasion enEspagne; mais, à

quelquedate

qu'onfasse

remonter celle-ci, on voit qu'elle est antérieure au moins de

neuf à dix siècles au commencement de notre ère.

Page 40: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule
Page 41: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

t/HISTOtRE ROMAINE

DANS

LE DERNIER TIERS DES ANNALES D'ENNIUS',

PAR L. HAVET.

Joseph Scaliger s'écriait, enparlant

d'Ennius Utinam ÂMMc

haberemus integrum, et amisissemus Lucanum, Statium, &7tMMïIta-

licum, et tous cesgwp(MM-M~.

Ceque Scaliger exprimait

sous

cette forme originale, c'est un regret purement littéraire;

mais laperte

des écrits du vieux poète n'estpas

moins à dé-

plorer,soit au

pointde vue du philologue, soit au point de

vue dugrammairien

ou du linguiste. Le principal ouvrage

d'Ennius, son grand poèmedes Annales, ou, selon un nom in-

venté par des littérateurs de l'époque impériale,sa Romaïde3,

eût été aussi bienprécieux pour

l'historien.

II racontait en dix-huit livres l'origine, la fondation, les ac-

croissements, lespérils,

le triomphe définitif de Rome. II renfer-

mait d'abord les vieilles légendes mythologiquessur les dieux

Consuiter, outre l'édition d'Ennius par M. Vahlen (Ennianue poesis

reliquiae, Lipsiae, Teubner, i85~, xc!v-a38 pages in-8"), les articles

de M. Théodore Bergk, Neue ya~McAer~M~ Philologie und Ps~a~-o~

LXXX!I[(i86t),p.3i6, /)a5et6i7.Ce passage du Scaligerana a été relevé fort à propos par M. Patin

(Études sur la poésie latine, tome 11, p. Sa); il eût pu ne pas citer comme

une conjecture sérieuse la plate correction de La Monnoye (et tous ces Gas-

cons-~), d'autant plus malencontreuse que Scaliger, par le lieu de sa

naissance et par sa mère, était tui-même un Gascon.

Diomedes, 111( Grammatici Latini, ed. Keil, I, p. ~8~), ligne 6).Texte restitué par M. Reifferscheid dans les Neue JsAf&ttcAe~M?' Philo-

logie MM~Ps~~o~~ tomeLXXIX (i85g), p. i5y.

4Diomedes, ibid. (ligne /().

Page 42: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

L. HAVET.22

et demi-dieux, sur Saturne 1, sur Énée et ses ancêtres~ sur

Romulus puisvenait la

mythologie humaine, lalégende

d'Horatius Codés s, par exemple;ensuite l'histoire

positive,la

surprisedu

Capitole par les Gaulois", la guerre avecPyrrhus~

5

et le discoursd'Appius

Claudius Caecus contre lespartisans

de lapaix'\

Ces récits des vieuxtemps, qui

formaient lepre-

mier tiers dupoème (six livres),

ne concordaientpas toujours

avec leslégendes que

nous ont conservées Tite-Liye ou Denys

d'Halicarnasse. Ennius neparlait point

encore de la descen-

dance fabuleuse d'Enée; il ne nommaitpoint Ascagne,

Sil-

vius, Aeneas Silvius, Latinus Silvius, Alba, Atys, Capys,Ca-

petus,etc.

pour lui, Enëe était le pèred'IIIa et le

grand-père

de Romulus Ailleurs, au contraire, Ennius avait admis des

traditionsque

les historiens ont écartées, mais_qui

sur sa foi

ont faillipasser pour authentiques.

C'est dans Ennius, selon

touteapparence, que Cicéron~

apuisé la

légendedu %M)Me-

?6?~ du troisième Décius, renouvelant9 dans laguerre

de

Pyrrhus l'exempledonné

par songrand-père

dans laguerre

des Latins etpar

sonpère dans la guerre des Étrusques

nul

autreque

Décius en effet nepouvait prononcer dans

le livre VI

Varro, De &~<: ~a<MM., V, &a. Nonius MarceHus, p. igy

Mère. Charisius, 1 (Grsmm. Zs< éd. Keil, I, p. y a, ligue i3).2

Philargyre, commentaire des Ge'org'Mes de Virgile, III, 35.

Festus, p. 178 Mueller. M. VaMen a heureusement corrige le

chiffre du livre d'Ennius, et fait voirqu'il

ne s'agit pasdu combat des

Horaces contre les Curiaces.

Macrobius, iSa!!<r):aKs~ I, iv, ly. Ici encore, ilparait nécessaire de

corrigerle chiffre du livre.

Nonius Marceuus, p. aa6; Festus, p. 286 et 3'f.3. Cicero, De

fHNMMhoKe~ Il, t.v[, it6.– Cicero, De q~cMS~ I, xu, 38; Servius,

commentaire sur l'FM~e de Virgile, XII, 709.

Cicero,Ca<oMM~M'(De~eHec<<t<e),VI,i6.Servius sur i'jE'Me:&~ I, ay3, et VI, 778. Dans le beau récit conservé

par Cicéron (De divin., I, xx, ùo), Ennius montre Hia racontant un

songeà sa soeur, fille d'Eurydice ~!t'<: <mee $<)? ~a'ej or, Lesches et

l'auteur des K.~pM appelaient jE'Mn/ce la femme d'Énëe (Pausa-

nias, X, a6).

TMeM~MM, 1, xxxvu, 8g. De~MH&iM., M, xix, 61.

En réalité, il courut seulement un bruit d'après lequel DecHis devait

à son tour se ~eM!M; Pyrrhus avisa ses soldats de le prendre vif, et

avertit Décius des traitements fàcheux qu'une telle folie lui attirerait.

(Voir Zonaras, V, 8.)

Page 43: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

L'HISTOIRE ROMAINE, ETC. 23

des Annales la formule du dévouement s Dieux, écoutez mon

vœu sans retard pour le peuple romain, en termes formels,

au milieu du combat par le fer, de ma pleine volonté, je fais

abandon de ma vie. )?

Div[i], hoc audite parumper,Ut pro Romane populo, prognariter, armis

Certando, prudens, anima[m] de corpore mitto

Ainsi, si nous possédionsen entier les six

premierslivres des

Annales, nous y trouverions de vieilles légendes, tantôt conser-

vées sous leur forme la plus simpleet la

plus ancienne, tantôt

développées par l'imagination du poète ou de ses garants.

De toute façon, nous serions éclairés sur la filiation des

récits sérieux et des fables; nous serions ainsiplus

à l'aise pour

chasser de l'histoire lamythologie,

et de lamythologie

l'évhé-

mérisme.

Cepremier

tiers des Annales n'est pourtant pas la portion

la.plus regrettable de l'oeuvre. Ennius y racontait des événe-

ments fabuleux ou défigurés par le temps, tandisque dans

les livres suivants il traitait en détail des faitscontemporains.

Aprèsavoir

glissé légèrement~ sur lapremière guerre punique

(sur laquelleil eut pu être renseigné par des témoins ocu-

laires3, mais qui déjàavait été mise en vers

par Naevius),il

racontait la guerre d'HannibaI, la guerre dePhilippe,

la

guerre d'Antiochus, laguerre d'Etolie; or Ennius avait vingt

ans lors du siège de Sagonte, trente-septlors de la bataille

de Zama, quarante-deuxlors de la bataille de

Cynoscé-

phales, quarante-neuflors de la bataille de

Magnésie, cin-

quantelors de la prise d'Ambracie. Avec la brillante cam-

pagnede Fulvius Nobilior se terminait le

quinzième livre

des Annales, et le poème lui-même, auquel les livres XVI à

XVIII furent ajoutés plustard~. Ainsi huit livres

(sil'on

NoruusMarceHus, p. i5o.

Cicero, Brutus, XIX, 76.3 La première guerre punique (init en a Ai, deux ans avant la nais-

sance d'Ennius. Celui-ci naquit en a 3g, un an après te consulat de Marcns

Sempronius Tnditanus et de Gaius Claudius Centho. (Cicero, &<hM,XVIII, 7 a.)-)

Ptinius, Hist. tM<. VU, xxvm, x.fjx, 101. Voir page 32, note 2.

Page 44: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

L. HAVET.2/)

admet avec M. Vahlen que le livre VII traitait de la première

guerre punique), les livres VIII à XV, étaient consacrés à des

événements accomplis pendant ia jeunesse ou l'âge mûr d'En-

nius. Il devait les bien connaître, car il était lié, avec les per-

sonnages les plus considérables de l'Etat. C'était Caton, qui,en 20 A, l'avait amené à Rome 1. Il avait l'amitié de Scipionle premier Africain et entretenait des rapports familiers avec

son cousin Nasica~. Il eut pour ami et pour protecteur le vain-

queur de l'Etoile, Marcus Fulvius Nobiiior~, et plus tard son

fils Quintus, qui lui donna la cité romaine' Fier de ces liai-

sons illustres, il en consigna le souvenir dans son poème et,

s'il faut en croire une opinion attribuée 6 au célèbre Aelius

Stilon, le maître de Varron, il se peignit lui-même sous les

traits de Servilius Géminus, personnage instruit, aimable et

discret, ami d'un homme de rang supérieur au sien qui ne

craignait de lui confier ni les bagatelles ni les grands se-

crets.

Ennius, qui ne devint citoyen romain qu'à cinquante-cinq

ans 7, ne put avoir lui-même une part qui compte aux événe-

ments de son temps; en so/t, lorsque Caton, alors questeur,le ramena de Sardaigne, il servait dans cette île en qualité de

simple centurion Mais il accompagna les premiers généraux

de Rome dans leurs campagnes. Claudien se trompe mani-

festement quand il rapporte qu'Ennius aurait suivi Scipion en

Espagne, car Scipion quitta l'Espagne pour la Sicile en 20 5,

et Ennius ne fut introduit dans la société romaine qu'en ao&

ou ao3. Du moins rien n'empêche de croire Claudien quand

Cornelius Nepos, Cato, I, 4. Jérôme, addition à la chronique d'Eu-

sèbe, an 1777 d'Abraham.2

Cicero, Pro ~rc~M~ IX, sa.

CIeero. De oratore, 11, LXVIII, 276.Cicero, Pro ~rc/iM., Xl, 27; Tuscul., I, u, 3. Pseudo-Victor,

De t'M'M:7~M<f!&M,LII.S

Cicero, Brutus, XX, 70.A. Geiiius, XII, zv, 5.

Il fut inscrit en 184 dans une colonie (Potenza ou Pesaro dans

l'ager gallicus), par Quintus Fulvius Nobilior. (Cicero, Sp!«M.,XX, 7g;T. Livius, XXXIX, i.xtv, 10.)

Silius Italicus, XII, 3a5.D<'CO)M!i/<:<M&!7K;&0?!!S.m,/?)'<:e/~

Page 45: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

L'HISTOIRE ROMAINE, ETC. 25

il fait faire a Ennius lacampagne de Zama, et il est certain

qu'Ennius accompagna Fulvius Nobilior en Etoile

Il est clair qu'Ennius, témoin oculaire d'unepartie

des

faits qu'il raconte, renseigné sur les autrespar

un Caton ou

un Scipion, devait être sur bien des points plus digne de foi

ouplus complet que nos sources. Malheureusement les dé-

bris de son œuvre sont sipeu considérables et si émiettés,

qu'ona

grand'peineà en tirer parti, et

que trop souvent,

au lieu d'éclairer l'histoire par Ennius, il faut se contenter

d'éclaircir Enniuspar l'histoire.

Cette besogne a été faite et bien faite par M. Vahlen dans

l'introduction étendue qu'il a placée en tête de son .ËHMtM~

ily

avingt-quatre

ans. Unegrande partie de son travail est

très-solide, et jusqu'ici n'appelle pointde modifications im-

portantes, de sorte qu'il serait peu utile de refaireaprès

lui

un travail d'ensemble; mais dans les derniers livres une er-

reur grave, commise sur un certain fragment 2, a engendré

d'autres erreurs. Je mepropose d'examiner ici les fragments

du dernier tiers des Annales, c'est-à-dire des livres XHI à XVIII,

en tirantparti des matériaux offerts par l'édition Vahlen, d'un

travail de critique publié en 1861par

M.Bergk

dans un recueil

allemande et dequelques remarques qui

neparaissent pas

encore avoir étéprésentées.

LiVMS XIII ET XIV.

Les deux livres XIII et XIV étaient consacrés à la guerre

d'Antiochus.

On saitqtl'Hanmbal

fut de ceuxqui poussèrent le

plusvivement Antiochus à faire la guerre aux Romains. Toutefois,

une anecdoterapportée parAulu-GeIle~

fait voirqu'Hannibat

ne se faisait pas d'illusions sur lestroupes

dorées du roi asia-

tique.KCrois-tu, Hannibal, que ceci sumse pour les Romains?

Oui certes, si avidesqu'ils

soient. Onpeut

conclure de

Voir à lapage précédente les notes 4 et 5.

Lefragment

où il est question du roi Épulon voirpages

33 et 34.

Voirpage a i, note i.

Geti., V, 5, d'après des ft~M<erMm)Memo;'Mn<m.~ r

Page 46: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

L. HAVET.26

làqu'Hannibal

dut exhorter Antiochus àse composer

une

arméeplus

sérieuse et à différer l'entrée encampagne.

C'est

cequ'Antiochus exposait

lui-même dans le treizième livre des

Annales 1

Hannibal audaei cum pectore de me bor[i]tatur

Ne bellum faciam; quem credidit esse meum cor

Suasorem summum et studiosum robore~ belli.

Ces conseils deprudence

donnéspar

Hannibalparaissent avoir

été inconnus des historiens.

Eniqo,

une armée commandéepar

le fils d'Antiochus

menaçait Pergame;la

garnisoneut occasion de faire une

sortie heureuse et de tailler enpièces

des ennemissurpris

et

dispersés.Ce brillant fait d'armes eut

pour spectateurstous

les habitants, hommes et femmes, massés sur lesremparts 4.

Ennius avaitpeint

dans le livre XIIIl'empressement

des dames

dePergame

Matt'ouae moet'os comptent spectare faveates'

Onrapporte conjecturalement

au livre Xlll un vers d'En-

nius sur Xerxès''

!sque Hellesponto pontemcontendit in alto.

A la veille de laguerre,

en en'et, Antiochus fut considéré

Ge)L, VI (VU), u ttScripsif. autem Caesellius Q. Ennium m XIII.

(uat'MtifeXIt.)annali. dixisse. cfNam in XIII. anna!L.. dixit.a.

Antiochus estqui hoc dixit,

Asiae ['ex.N–Nonius, p. i~5 et Ennius an-

na)i!ib.XUL~

Variante f~m.M. Bergk veut qne ?'o&o~'e soit pour t'o&ot'Mj comme ms~e pour

Msa'M, p/Mrecentre

pour pfio'M.T. Liv., XXXVII, xx, i& ~Spectaverantenime moenibusPergami

non viri modo sed feminae etiam.~ n

Servius, commentaire sur Virgile, Geor~ I, 18. Philargyre,commentaire sur Virgile, Georg' IV, a3o fApud

Enmutn in XIII.

(variante XVI.).)! Philargyre a mclos au lieu de moeros.

Varro, De /:Kg-!M Latina, VII, aitfXerxesqt)ondam.namut

Eauius ait trisque", etc.

Page 47: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

L'HISTOIRE ROMAINE, ETC. 27

comme un nouveau Xerxès'; et la nouvelle qu'il avait passé

l'Hellespont fit sensation2. Deux passages queles sources

attribuent au livre XIIIpeuvent

êtrerapportés,

comme le

précédent, aux préliminaires de laguerre.

Ils sont dirigés

contre les devins

Satin vates verant aetate in agenda ?

Quo res sapsa loco sese ostentatque jubetque'

Ils étaient probablement prononcésà l'occasion des

prodiges

de l'an i g a, des six chevreaux nés d'une ventrée, de l'enfant

à une main, de la pluiede terre et surtout du bœuf

qui pro-

nonça les mots Rama cave tibi, etque

les aruspices ordonnè-

rent de biensoigner 5.

Le livre XIV racontait une bataille navale, évidemment la

victoire remportée sur la flotte d'Antiochus par lepréteur

Lucius Aemllius Regillus, en igo, près du promontoire de

Myonnèse.

Les Romains, surpris parle voisinage des ennemis, com-

mencèrent à se préparer en tumulte lepréteur apaisa cette

effervescence dangereuse, prit le premierla mer avec le

vaisseau amiral, de façon à recevoir, au fur et à mesure,

chaquenavire

prêtà combattre, et à lui assigner sa

place.

Grâce à son sang-froid, la flotte se trouva complétement prêteavant

quel'ennemi fût en vue, et

put s'avancer en ordre de

bataille 6. Ennius avait peinten beaux vers les flots unis de

couleur changeante, et la masse silencieuse des navires volant

Florus, I, s/) =II, 8 ffXerxen atque Darium cogitarent, quando

perfossi invii montes, quando velis opertum mare nuntiarehu' In

Antiocho vicimus Xerxen Voir les pages 33, 3y et As.2

T. Liv., XXXV, xxm, 10. XXXV, xxxv, 7.3

Gell., XVIII, n, 16 nDictum esse a Q. Ennio id verbum in tertio

decimo annatium.B »

Festus etPaul. p. 3a5 et3a/t Muetter. Festus friu lib. XML~

T. Liv., XXXV, xxi, 3-5.

T. Liv., XXXVII, xxix, ~-7.

Page 48: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

L. HAVET.28

au seul frémissement des rames et de Fécume vers l'ennemi

invisible

Verruntextempio piacide mare marmore Navo

Caeruieumspumat

sale' conforta rate pu!sum\

Labitur uncta carina, volat super impetusundas\

Placide, dans lepremier vers, est la leçon des sources. L'ad-

verbe est iciplein

de sens, et c'est bien à tortque

M. Vahlen,

après Parrhasius, a voululirep~ct~Mm.

Soudain les Romainsaperçurent

les vaisseaux ennemis, qui

venaient à leur rencontre, rangésen

longuefile sur deux de

front Ennius avait noté ce momentdramatique

Cum procul aspiciunt hostes accedere véntis

Navibus veUvoUs.

Onremarquera que dans Ennius la flotte romaine se sert

de ses rames etque

la flotte d'Antiochus marche à la voile.

Ces détails, vraisemblablement exacts, ne sontpas

dans Tite-

Live. Du combat deMyonnese

lui-même il nous reste un

fragment insigninant

Litora lata sonunt~

La bataille deMagnésie, qui

mit fin à laguerre,

était cer-

tainement chantée dans le chant XIV; deuxfragments

de ce

Mare dans Autu-GeUe.

GeU., II, xxvi, si ttEx aunali quarto decimo Ennu.~ Le second

vers aussi dans Priscien, V, ym, &5 crin XIII. (cs)'MMte XVII.), anna-

)ium.!) »

3 Macrobius, Saturn., VI, t, 5t K Ennius inquarto

decimo."

T. Liv., XXXVII, xxix, y tfinter Myonnesum et Corycum pro-montorium erant, cum hostem conspexere."

Macrobius, &:tM)'B.~ VI, v, io ~Ennias inquarto

decuno.M

Dans Servius, commentaire surVirgile, Aen., I, aa~, le Cassetianus

donne cfjB')!?!MM.')M!<:MKe/tMo~K.)! La comparaison dupassage

de Macrobe

montre qu'il y a là un bourdon; it faut lire )MK:&MS !<6&<o[&MM~

!te&!M]~6

Priscianus. IX, vn, 38 ~In XIIII. (t-m-KMfMVIII., XM.).<

Page 49: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

L'HISTOIRE ROMAINE, ETC. 29

chantparaissent

fairepartie

de cepassage.

L'un est fort in-

signifiantau

pointdf vue

historique

Horrescit telis exercitus asper utrimque

L'autre n'estguère plus

intéressant à ce'point

de vue. C'est

un discours d'exhortation adressépar

un chef à ses soldats,

très-probablementle discours du consul Lucius

Scipionaux

Romains

Nunc est ille dies cum gloriamaxima sese

Nobis ostendat, si vivimus sive morimur

IIy

avait dans l'armée romaine deux mille hommes de,

troupes auxiliaires, formées de volontaires macédoniens et

thraces, qui, pendantla bataille de

Magnésie,furent commis

à lagarde

ducamp

Le chant XIVparaît

avoir fait mention

des volontaires thraces; du moins Enniusy

nommait une

arme des Thraces, larupia

ouplutôt

sans doute larMMMM<

il est malheureusementimpossible

de déterminer àpropos

de

quellecirconstance. On ne

peutdire non

plus quelssont les

guerriersdont Ennius mentionnait la mort et les funérailles

Omnes occisi obcensiquesub nocte serena 6.

Macrobius, &:fMnt. VI, ;v, 6 «Ennius inquarto decimo. T.

Priscianus, X, n, 8 ff Ennius in XIMI. annatium." »

3 T. Liv., XXXVII, xxxix, la.

Gell., X, xxv, /( ffPositumque hoc vocabulum in Q. Ennii anna-'

lium XIMI.B Il n'est guère possible quele livre XIV ait raconté les

combats livrés contre les Thraces en 188 (T. Liv., XXXVIII, Ao s.).

La rupia des manuscrits d'Aulu-Gelle est la même armeque

la

rMtHpM de Valérius Flaccus(VI, g8),

etque

la rhomphaea ou po~o:<o!.Le mot grec

a été latinisé deux fois, la première fois par voie populaire

et la seconde fois par voie savante. La latinisation populaire est n<m~K'f:

laquantité

de la seconde syllabea été modifiée (sans doute sous l'in-

fluence de l'accent, ce qui indiqueraitd'accentuer en grec p6~6tf<x, et

non po~pefM! ou po~ctMt); l'o bref est devenu u, dans une syllabe fermée

parune liquide, comme dans Umbri, HmMMM~g'MMMM, MMCM~eMteAM~

cungrum, cultus, bulbus, ampulla, CO~tMt'M~~ am!M'CS., ~MfjOMra; F/t con-

tenue dans ie <? greca été

suppriméede même que

dans ampulla. La lati-

nisation savante est r/tOMp/Mea. ~KmpM! et r/tompAaea sont donc deux

mots différents, bienque

de même étymologie; ils sont entre eux à peu

près comme ampulla et amphorula, ou comme en français blocus et ~ocA-

/MMS. La double naturalisation d'un même nom d'arme a son intérêtpour

l'histoire militaire.6

Festus, p. aoi ~Enniusquom

ait]. XHII.~ «i

Page 50: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

L. HAVET.30

M. Vahlen attribue à Antiochus vaincu un fragment de dis-

cours':

Infit r0 cives, quae me fortuna -h fero sic'

Contudit indigno, bello confecit acerbo

Je ne sais trop si le vocatif cives serait bien placé dans la bouche

d'un roi asiatique.

Ln'MS XV ET XVI.

Le livre XIV devait se terminer avec la défaite d'Antiocbus

et l'année 190. Le livre XV devait raconter les événements de

l'année t8o, c'est-à-dire avant tout la guerre d'Etoile et la

prise d'Ambracie. Ennius avait accompagné là le consul Marcus

Fulvius NobiMor~. Il était donc témoin oculaire, et il semble

qu'ilait décrit en grand détail les exploits qu'il avait vus de si

près. Ce dernier point, toutefois, n'est pas bien sûr. Le Pseudo-

Victor nous dit qu'Ennius parla en termes magnifiques de

son protecteur Nobilior; mais il est possible que ce passageait trait à un autre poème que les ~MM/p~, l'Ambracia, qui

paraît avoir été une ~aMa praetextata ou tragédie romaine.

A vrai dire, il est fort probable qu'Ennius s'étendit'sur les

louanges de son héros dans l'un et dans l'autre poème, et

qu'il ne craignit point de se répéter. Les fragments sûrement

authentiques du livre XV sont peu nombreux; nous devons

en outre négliger ici un vers sur l'arc-en-ciel, qui n'intéresse

point l'histoire 6.

Nonius a conservé un vers assez insignifiant sur les ma-chines construites pour un siège

Ma!os defindunt, fiunt tabulata faiaeqne'. 7..

Il s'agit évidemment d'Ambracie. Contre Samé, dans l'ile de

Priscinnus, X,v, 26 ffEnniusinXHtI.~

° On a conjecturé ferox s:c,crocem.Lesmss.,saufun,ont<:eerM.

Voir page a&, notes 4 et 5.De viris :7~)'(s, LII, 3 ffQuam victoriam per se magnificam

Q. Ennius amicus cjns insigni laude celebravit.t

Priscianus, VI, xtv, y~ eEnnius in XV. annati.T

Nonius, p. n/) <tEnnius)ib. XV."m

Page 51: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

L'HISTOIRE ROMAINE, ETC. 31

Céphalléme, on employa le même matériel de siège quiavait

déjà servi contre Ambracie'.

Il faut encore rapporter à Ambracie unedescription

d'assaut

que Priscien cite deux fois comme tirée du quinzième livre2

Obcumbunt multi letum ferroque iapiqueAut intra muros aut extra praecipe casu.

L'assaut enquestion

n'eut point pourrésultat la

prisede la

place. Ambracie, en effet, ne fut pas prise de vive force; elle

ouvrit ses portes par capitulation honorable 3, circonstance

qui permitaux ennemis de Fulvius de faire déclarer

parun

sénatus-consulte ~m&racMm~csp&HKKOM

!)!Jert\ 11 s'agit d'un

assautglorieux peut-être, mais, en définitive, infructueux, que

Polybe ne mentionne pas dans ce qui nous a été conservé de

son récit, nonplus que Tite-Live dans sa narration tirée de

Polybe Fulvius, aurapport

de ce même Tite-Live, le fit valoir

devant le sénat pour obtenir letriomphe,

etrappela qu'après

l'escalade des murs un combat acharné, où trois mille en-

nemispérirent,

avait durépendant

une journée entière~.

Le triomphe de Fulvius ne fut célébré que plus de deux ans

aprèssa victoire, le 2 3 décembre i8y~, et nous ignorons si

lacomposition

du livre XV des Annales lui est antérieure ou

postérieure; en tout cas, le récit d'Ennius dut nécessairement

être conforme à la version de sonprotecteur

et non à celle de

la cabale ennemie 7.

T. Liv., XXXVIII, xxvin, 10 ~Apparatum omnem tormentorum

machinarumque travectum ab Ambraciae oppugnatione habebat.n

Priscianus, VI, xvm, 95 frEnnius in XV. annati.~ Le premiervers encore VI, xn, 66 fEnnius in XV. annaU.))

T. Liv., XXXVIII, .x, q. Polybius, XXII, xm, q.

T.Liv.,XXXVIH,xLivj6.

5 T. Liv., XXXIX, iv, 10 t~Ubi a prima iuce, cam jam transcen-

disset mnros miles, usque ad noctem diu anceps proelium tenuerit, ubi

plus tria milia hostium sint caesa."

T. Liv., XXXIX, v, i3.

On peut se demander où Tite-Live a puisé le discours qu'i[ prête à

Fulvius. Ce n'est point dans sa facilité rhétorique, puisqu'il y fait invo-

quer par Fulvius un combat dont lui-même n'a pas parlé. Ou bien il yavait quelque part un souvenir écrit du langage que Fulvius tint réelle-

ment. et cette rédaction devait être d'accord avec le récit officieux d'En-

nius ou bien le discours de Fulvius n'avait point laissé de trace écrite,

Page 52: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

L. HAVET.32

Il ne semble guère que les deux vers çonservés par Priscien

puissent s'appliquer à une autre ville qu'Ambracie; à la ri-

gueur pourtant, on pourrait les rapporter à Samé, place quifut occupée de nuit par escalader

Les Annales se terminaient, à l'origine, avec le livre XV, soit

que ce livre ait été composé immédiatement après les événe-

ments qu'il racontait, et qu'ainsi le poète n'eut plus rien à dire,

soit qu'Ennius ait trouvé ingénieux de finir par la glorifica-tion de son protecteur et de faire de son triomphe l'aboutisse-

ment de l'histoire romaine. Plus tard, enthousiasmé par les

hauts faits.d'un certain «T. Caecilius Teucers et de son frère,

il se décida à composer un seizième livre pour célébrer ces

exploits obscurs, sans doute avec un peu d'exagération poé-

tique 2.

Ce seizième livre traitait de la guerre d'Istrie, qui eut lieu

en i ~8 et<Tî~, onze et douze ans après la prise d'Ambrade.

Il n'est pas probable qu'Ennius ait pris la peine de raconter

à la fin du livre XV ou au commencement du livre XVI les

événements des dix années Intermédiaires. Il considérait sans

doute son livre XVI comme un ouvrage nouveau plutôt quecomme une suite des quinze premiers livres, et peut-être, à

l'origine, le publia-t-il avec un titre a part et sans numéro

d'ordre. Par une coïncidence curieuse, Florus aussi raconte

la guerre d'Istrie de iy8 Immédiatement après la guerred'Etoile de t8a; après la guerre d'Istrie, vient dans son récit

la guerre de Galatie, conduite en cette même année i8()parle collègue de Fulvius, Gnaevus Manlius Vulso FIorus écri-

et alors il faudrait que Tite-Live (ou l'annaliste copié par Tite-Live) t'eût

composé d'après ce même récit officieux d'Emirns.

T. Liv.,XXXVIII,xx!x, lo-n fRomaninoctepcrarcem. muro

superato, in &rum pervenerunt. Samaei, postquam captam partem urbisab hostibus senserunt, cum conjugibus ac liberis in majorem refugeruntarcem. Inde postero die dediti, direpta urbe, sub corona omnes venie-runt.n n

Plinius, Hist. nat., VU, xxvm, xxix, lot tfFortitudo in quomaxime exstiterit inmensae quaestionis est, utique si poetica recipiatm'fabntositas.Q. Ennius T. Caecilitim Teucrum fratremque ejus praecipuemiratus proptpreossextum decimum adjecit annatem.N Voir page 35.

Florus. f, a5 ss. (! Q ss.).

Page 53: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

L'HISTOIRE ROMAINE, ETC. 33

3

vait souvent de mémoire, comme leprouvent

ses nombreuses

bévues. Dans le récit même de laguerre d'Istrie, on voit

qu'il

n'avaitpas

le texte de Tite-Live sous lesyeux;

il confond la

journée où les Romainsreprirent

leurcamp

en178,

et où le

roi des Histres s'enfuit ivre sur un cheval 1, avec la journée où

le consul ClaudiusPulcher prit la

ville de Nésactium enlyy,

et où le roi seperça

de sonépée

2. II estprobable qu'en

vrai

rbëteur, plussoucieux de chercher des

prétextesà déclamation

quede

poursuivrela

précision historique,il

disposales faits

dans l'ordre que lui suggéraitle souvenir du

poèmed'Ennius.

Ainsi dans la liste des sources de Florus il faudrait inscrire

les ~M~/M. C'est làpeut-être qu'il

avaitpuisé

l'idée de com-

parerAntiochus à Xerxès 3.

Un seulpassage

est à la foispositivement

attribué au

livre XVI et manifestement relatif à laguerre

des Histres;

c'est un vers où se trouve le nom de leur roiEpulon, qu'on

connaîtpar

Tite-Live et Florus 5. Il s'était enfermé, avec les

principauxdes Histres, dans

l'oppidumde Nésactium °, et il

y

T. Liv., XH, iv, y.Voir

page 38, note 2.

T. Liv., XLI, xi, 6.

Voir les pages ay, 3y et /ta.

Festus. p.33o cfEnnius !ib. XVf.B 0. Mueller donne à tort le

chinre VI; le chiffre XVI a été vérifie par M. Keil. Varro, De/M:g-M

Latina, VI, 82 rfEnnius." n

°T.Liv.,XLI,xi,t:ffAepuio.tF!orus,I,a6(I[, io):tfAputo.)!Je dois des renseignements sur cette localité à mon maître, M. Ernest

Desjardins. ~VeMc<:MM on N~o-cMTo~ (T.Liv. ,XLI,xt, i –Piinius, ~/M<.

?Mt.~III,x[x,xxiu, iac);–Ptoiemaeus,III,i,a7;–anonymusRavennas,

V, ]~, et IV, 3t) était certainement au nord-est de Po)a. entre cette

ville et le fleuve ~)'< qui,sans être nommé, est indiqué dans le récit

de Tite-Live (XLI, x;, 3). Lepassage

de Pline nousapprend que

l'on

trouvait Nésactium immédiatement après Pola en venant de Tergeste

(Trieste) et avant d'arriver au fleuve Arsia, au temps de Pline limite

de l'Italie: «Oppida Histriae civium Romanorum Aegida. Parentium,

colonia Pola, quaenunc Pietas Juiia. abest a Tergeste CV mox oppi-

dum Nésactium, et nnnc finis Italiae fluvius Arsia." Cette situation est

confirmée parles deux

passagesde

l'Anonymede Ravenne fr Arsia, Ne-

satium, Po)aT<(cf. Guido, 116 n Arsia, Nesacium, Potaj)). K Arsia.

Nessatio, Po!a" (cf. Guido, ao KÂrsia, Nissacium, Pota';). L'Anonyme,en ce qui

touche l'énumération des stations, estcalqué

sur la 7a&/e de

PeM~MM'M' celle-ci (segment IV, A, i) présente entre FArsiaet Pola une

station sans nom, qui ne peut être que Nésactium. La distance de Pola

Page 54: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

HAVET.:;A

avait résisté auxattaques

tentées en 1~8 par les consuls Mar-

cns Junius Brutus et Aulus Manlius Vulso. En t.yy, le consul

Gaius Claudius Pulcher recommença le siège avec d'autres

troupes, disposa des machines d'attaque, et enfin s'avisa d'une

manœuvre qui mit En à la résistance. Au pied des murs de la

place coulait un fleuve (l'/l~M) qui barrait }e passage aux

assiégeants et qui abreuvait les assiégés. Claudius creusa un

nouveau lit et, après un long labeur, réussit à détourner le

fleuve. Les Histres virent avec stupeur l'eau manquer soudaine;

frappés d'épouvanté, ils se mirent sauvagement à supprimerles bouches inutiles. Les Romains les virent jeter par-dessusles murailles les cadavres des enfants et des femmes, et profi-terent de cet accès de folie furieuse pour aller, _en escaladant

le mur, prendre leur part du carnage. Ennius ne pouvait né-

g)igerdes scènes si dramatiques; le vers qui nous est reste

nous montre le roi barbare assistant du haut des rochers es-

carpés~a

quelque spectacle terrible, sans doute au miracle

accompli par les ingénieurs romains

Quos ubf rex Epulo spexit de codbus ceists w

Un autre fragment appartient à coup sûr à la guerre des

Histres, qui v sont nommés: mais il ne peut être attribué au

est, H milles, celle de t'Arsia vni milles: cela nous conduit (tes distances

données par la Table dans cette région sont exagérées) dans le val Bado,

vers les bourgadesde Barbana, de Mormorano et cettea d'Attura~ et de

MortteccMo. où ont été trouvées des ruines et des inscriptions malheu-

reusement insignitiantes (Corp. inser. lat., tome V, p. a, n°' i, 3~3.

/). 5, et p. io<5, n" 8ia(!-8i3o). Nésactium était chef-lien d'une cité,

car la station sans nom de la Table estindiquée par le

signe caractéris-

tiqueen forme de double

guérite; Ptotémée, d'ailleurs, nomme Nésac-

tium parmid'autres villes de l'Istrie

quiétaient des chefs-lieux de cités.

T. Liv., XLI, Xt, 4 ftEa res barbaros mifaculo terruit abscisac

aquac."Ces rochers sont à noter pour retrouver l'emplacement exact de

Nésactium. Peut-être faut-it les identifier avec mot:!t&KS (~M~ (ou mieux

obstipis)o&s<Mh&!f.M<~eor~M'M.r dont parlait le livre XYI, cité par Fes-

tus.p. 1Q~.

Le tns. de Varron donne .Mes e/M~o po.~MttM spexit, et celui de

Festus donne Quos !;M r&v. «~ ~e.~f de co!:<:&MS c~M. VatTQn cite

sans doute de mémoire de ta /4/M/0 ~o.~M«m au lien de M&tfM' Epulo.

Page 55: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

L'HISTOIRE ROMAINE, ETC. 35

livre XVI que par une correction de chiffre H s'agit de la

résistancehéroïque opposée par un tribun à une multitude

d'assaillants

Undiqueconveniunt velut imber tela tribune;

Configunt parmam; tinnit hastilibus umbo

Aerato soaitu ga]eae. Sed nec pote quisquam

Undique nitendo corpus discerpere ferro;

Sempe!' abundantes hastasfrangitque quatitque;

Totum sudor habet corpus, multumque Jaborat

Necrespirandi

fitcopia;praepete

ferro

Histri tela manu jacientes soUicitabant.

Le tribun chanté ainsi par Ennius est connu par Tive-Live,

quiraconte ainsi sa belle défense et sa mort~ .HMKc., in vacua

castra!)?M?e<M/aC<0, Histri, CMM.alius HDKahM MS nemo obviam

isset, !M~e<on'ot'KS<rMeM<eMt

atquea~o/<Ktem suos

o~fesse~MM<.

Proe~MM ~roc:'MS ~Mam pro ~a!<c:'ta<e resistentiumfuit,

nec ante

~Kt~MMt est, OM<ïtK<t&Mt!t<S Ht!/t<M)M

0!KOMecirca eum constiterant

<M<er/ec<!NM?;<.Il appartenait selon Tite-Live à la troisième lé-

gion. Mais le texte de l'historien présente une difEcuité grave.

n donne au tribun le nom de ~f. L!C!KM<sStrabo, tandis que,

(['après Macrobe, le tribun d'Enniuss'appellait

Coe&MSOu Cae-

lius3. H n'est point croyable que dans la petite guerre d'Istrie

deux tribuns différents aient eu des aventures et exécuté des

exploitssi semblables; il faut donc croire

quel'un des deux

auteurs(que

ce soit Tite-Live ouEnnius)

a mis unnom pour un

autre. D'autrepart,

il estimpossible

de rencontrer le Caelius

qu'Ennius,au dire de Macrobe, avait chanté dans le livre XVI,

sans songer aux frères Caec~ïM~ qui, d'après Pline\ furent les

deux héros de ce même livre. Comme les noms de Caelius et

de Caecilius sont fréquemment confondus dans les manuscrits,

rien n'est plus naturel que de considérer le tribun cité par

Macrobe commeidentique

à l'un des deux frères citéspar

Pline.

-En somme i" Caelius et Caecilius sont ici deux formes d'un

Macrobius, &:<MrM.~VI, H!, 3. Le ms. de Paris a le chiffre XII, les

:)utres ie chiffre ZK Le morcean est traduit, de !'7/M~< n, 102 ss.

T. Liv., XLI, tt. <) ss.

Les tuss. de Macrobe, qni nous fait connaître ce nom, donnent les

deux formes. Le ms. (le Paris a celii par un e cédillé, c'est-à-dire. Caelii.

fnrpaHf

uote n.

Page 56: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

L. HAVET.3U

même nom, l'une correcte et l'autre incorrectgj, et a" le tri-

bun qu'Ennius avaitappelé

Caelius ou Cecct~ est le même

homme que Tite-Liveappelle ~MMMMS&i'a~o._0n comprend

ainsi une chose, aupremier

abord assezsurprenante,

a savoir

que l'héroïqueCaelius de Macrobe et

l'héroïque Caecilius de

Pline semblent avoir été laissés dans l'ombre par Tite-Live.

Ces mêmesremarques

vont nouspermettre,

en entre, et

de faire une correction dans le texte de l'historien et d'établir

quele nom du héros d'Ennius est Caelius et non Caecilius. Tite-

Live,danssonrécitde la guerre d'Istrie, nomme deux fois deux

tribuns militaires, très-vraisemblablement deux frères, qui.

comme M. Licinius Strabo, appartenaient, suivant lui, à la troi-

sième légion T. et C. ~e~t. On ne possède, pour cette partie

du livre XLI, que lacopie

exécutée au x~° siècle, par Gry-

naeus, du manuscritunique

et fort incorrect de lacinquième

décade, et l'on ignore dans quelle mesured'ynacus

s'estper-

mis de corriger le texte qu'il copiait2. Dans ces conditions, on

peut sans témérité lire T. et C. CaeK~. Dès lors, il saute aux

yeux quele Titus Cae~MS de Tite Live est le mem~ que le Titus

Caecilius Teucer ou mieux Titus Caelius TeucerdePline; que

le frère de Titus Caelius Teucer, dont Plineparle_sans dire son

prénom, s'appelait Gaius; quel'un des deux frères est le Caelius

d'Ennius dans Macrobe; qu'enfinla confusion commise par

Ennius ou par Tite-Live a consisté àprendre l'un pour l'autre

deux tribuns d'une même légion. Et nouspouvons regarder

comme à peu près acquisà l'histoire les points suivants i" la

troisième légion, quiservit contre les Histres en

iy8, avait trois

tribuns, nommés T. Caelius Teucer, C. Caelius, M. Lt'eMn'Ms'S&'s6o;

a" les deuxpremiers

étaient frères; 3° deux membres de l'i!-

lustre famille des Caecilius DcK<er, introduitspar Hardouin

dans le texte de Pline aux lieuet place des ~CaedIIus Teucer»,

sont des personnages absolument fictifs.

Macrobe nousapprend que l'épisode de Pandarus et BI-

T. Liv.. XL1. 7; XLI. iv, 3.

Madvfg, B'MCM~a&'OKMLt'M's! 9° édition, p. 5<)s.

La faute cAEni pour ccAEUi dans ie premier passage peut être attri-

buée à une distraction du copiste, et la répétition de cette fatite dans )<

second passage à une fausse correction de Grynaeus.&~M'M~M, V). n, 3a tfE\ tihrnqtunto decfmo Eanii.f

Page 57: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

L'HISTOIRE ROMAINE, ETC. 37

tias, dans Virgile est imité d'Ennius, ~Mt'M~M~ ~<fos J«o~

in obsidionee/(p!'sse ~or~a

els<ra~H

de o~~K~e /<os<e~ectsse.

Le mot important ici est Histros. Le livre d'Ennius serait le

livre XV, où il était question de la guerre d'Etolie et non de

la guerre des Histres. Il faut donc croire, ou bien qu'ici encore

le chiffre donné parles manuscrits de Macrobe doit être rem-

placé par le chiffre XVI, ou bien que des Histres prirent part

à laguerre

contre Fulvius et furent enfermés dans Ambra-

cie assiégée. M. Bergk penche pour l'hypothèse d'une altéra-

tion de chiffre, parla raison que,

s'il s'agissait du siège d'Am-

bracie, Macrobe eût dû nommer cette ville et nepas

dire in

obsidione tout court. Cette raison neparaît pas convaincante

!?<obsidioneéquivaut

à M:oMaf~HKo&s~one;, et, dans ce sens, n'a

pas besoin de complément;si l'on

rejette cette explication, le

complément ~Vesach: ne serait pas moins indispensable que le

complémentAmbraciae. Il est

plus naturel de ne rien changer

au témoignage des manuscrits de Macrobe, et d'admettrequ'il

y avait des Histres dans Ambracie etqu'Ennius parlait d'eux.

Tite-Live ne dit rien d'un secours donné par les Histres aux

Etoliens; il en est autrement de Florus, qui écrit., au commen-

cement de la guerre d'Istrie 2 Histri seeMK/Mr Aetolos; cMtiwe

bellantes eos nuper a~M~eraKt. Or, ainsi qu'on l'a vu 3, Florus

paraîts'être

inspirédu

poèmed'Ennius

précisémentà

propos

de la transition entre lesguerres

d'Etolie et d'Istrie. Ici encore

c'est Ennius qu'il suit, de sorte que son témoignage nous ren-

seigne à la fois sur les faits eux-mêmes et sur cequ'en

disaient

les Annales. Enconséquence,

nous laisseronsl'épisode

des

deux Histres dans le quinzième livre.-A cet épisode se rap-

porte sans doute, comme l'a reconnu Méruia, un fragment

citépar Servius. Virgile, précisément

dansl'épisode qu'il

a

tiré d'Ennius, ditarma~yerro~;

Serviusremarque,

àpropos

de cette expression, qu'il semble avoir suivi Ennius 5, lequela dit

succincti corda machaeris.

~teH.. tX., ôya ss.

Fio)-ns,L 26 (II, 10).Voir les pages ay, 33 et ~a.

~te)! IX, 678.nUtEnnium sit secutus.r! Point d'indication de livre.

Page 58: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

L. HAVET.38

Un autre fragment cité par Servius dans son commentaire

sur Virgile comme le précédent sans indication de livre,

doit être rapporté au livre XVI et à la guerre d'Istrie. Lorsqueles Romains, dans la campagne de 178, reprirent sur les

Histres leur propre camp, ils trouvèrent les barbares noyés

dans le vin et dans le sommeil, et en égorgèrent huit mille

sans faire de prisonniers. Le roi des Histres (sans doute Épu-

lon) était, comme les autres, gorgé de vin; on le jeta sur un

cheval et il put s'enfuir 2. Voici le passage d'Ennius

Rex deinde citatus

CouvetHt sese.

M. Bergk a signalé, comme se rapportant peut-être à la

guerre d'Istrie, un fragment corrompu du livre XVI, conservé

par Festus, à propos de la signification du mot t~'me~

Primus senex + bradyn in regimen beltique peritus.

Il faudrait lire P~ntMS ssHea; &'a~M; Bradylis serait un nom

d'homme, identique au nom illyrien Far~&s. Malheureuse-

ment, on ne voit pas comment construireregimen dont le sens

est ici le point essentiel.

Nombre de fragments du livre XVI ont trait visiblement

à des faits de guerre, mais sans qu'on puisse les rapporterà

(les événements déterminés »

lngenio tord dextra iatuspertudit

hasta

Tamen induvolans secum abstulit hasta

Insigne'5.

Concidit, et sonitum simul insuper arma dcderunt*.

Tum timido manat ex omnicorpore

sudor'.

~~M.,X.f,ic).T. Liv., XLI, tv, 7 ffRex tamen Histrorum temuientusexco&vivio,

raptim a suis ineqaum impositus, fugit.t

'Festus.p.a78:fEDmusi.X.VI.~

'Pnscianus.X.v,a6:cInXVt.~ r

Macrobius, &:&< VI, 53 "E)mius m XVI.)'

Macrobius.&:<Mr~ VI, t, a~ o'EnnmsinXVI.)' r

Macrobius. 5s<!if): VJ, ), 5o tEnnius in XV! h

Page 59: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

L'HISTOIRE ROMAINE. ETC. 39

Qui ctamor oppugnantis, vagore votaati

Hic insidiantesvigilant, partin) requiescunt

~Con]tecti gladiis, sub scutis ore faventes

Prandere jubet horiturque

Navorumimperium

servare estinduperantum".

On a en outre unfragment

dupréambule

où Enniusexpli-

quaitsa résolution de continuer ses Annales au delà de leurs

limitesprimitives 5:

Quippe vetusta virum non est satis heita moveri,

et divers fragments qu'il ne parait pas utile de reproduire ici°.

LivREs XVII ET XVIII.

Il résulte d'unpassage

de Pline cité plus haut~qu'En-

nius, aprèsavoir arrêté son poème au livre XV, fit en ma-

nière de supplémentle livre XVI. H ne conçut donc pas tout

de suite le projet de pousser son poème jusqu'à dix-huit livres

ilpeut

se faire mêmequ'il

ne se soit jamais proposécette

limite, etque

la mort seule l'aitempêché

d'écrire un livre XIX.

Néanmoins le plus probable est qu'il s'arrêta volontairement

au chiffre XVIII. De cette façon, les Annales avaient trois fois

six livres, comme l'jf/M~e en aquatre fois six, et comme plus

tard l'.ËneM/e en eut deux fois six. A la vraisemblancequi

ré-

Festus, p. SyS~EBniusHb. XVI.!)

PMargyre, sur Virgile, Geofg' IV, 280 frtn XVI. Ennius." Cf.

Servius, sur Virgile, Georg., I, 18.

3 Diomedes, 1 (G'ysMMMhc!Zf<<M:t., ed. Keil, t. I, p. a8a, aa) fEn-r)ius sexto décime annalium.

Festus, p. 169 ~ib.XVL"

'Festus,p.a57:f)ib.XV!1° GeH.JX, xiv, 5;– a° Macrobius,Ss<M)'m.. Vt, i, 17;–3° No-

nius, p. ai Merc.; ~° Priscianus, V, il!, 17; Servius, sur Virgile,.4eK. VI, 685; Grammatici Latini, ed. Keil, t. IV, p. /tgi, ay;–5° Festus, p. 333; 6° Festus, p. 229, et Paul, p. sa8;– y" Pnscia-

nus, VI. xvm, <)3;–8° Festus, p. a58;–g° Macrobius, Saturn., VI,

fv, n); 10" Charisius, 1 (Gt'oww<. Lat., ed. Keil, 1.1, p. 132, 6).Voir page 3 a, note a.

Page 60: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

L. HAVET.AO

suite du nombre 18 lui-même s'ajoute celle qu'on peut tirer

de l'étude des dates.

Le poème primitif en quinze livres a du être achevé dans

l'intervalle d'une dizaine d'années qui sépara la guerre d'Etolie

de la guerre des Histres, et plutôt au commencement de cet

intervalle qu'à la fin, vers 18 ou 186. Ennius, qui, à ce

qu'il paraît, n'avait pas songé à chanter les petits événements

de cette période, sentit sa verve se réveiller a l'occasion des

exploits accomplis en Istrie par les deux frères Caelius; il dut

donc composer son premier supplément, le livre XVI peude

temps après la guerre des Histres,c'est-à-dire dès iyy ouiy6.Il travaillait encore aux Annales à soixante-six ans, c'est-

à-dire en iy3 ou 1~2~. S'il fallait en croire les mss. d'Au)u-

Gelle, c'est du livre XII qu'il aurait été alors occupé; depms long-

temps on a reconnu que ce chiffre était faux. 11 ~st tout à fait

invraisemblable que de i y3 à la date de sa mort, juillet 16gEnnius ait eu le temps d'écrire les livres XII, XIII, XIV et XV,

de se reposer pendant un long IntervaHe, puis d'écrire encore

les livres XVI, XVII et XVIII; c'est encore plus invraisemblable

aujourd'hui qu'on sait que la composition du livre XVI fut

déterminée par des événements de l'an 178, et que, par con-

séquent, le livre XVdevait, dès cette date, être uni depuis long-

temps.Le livre auquel Ennius travaillait en iy3 ou 1~2 ne

peut être que le dix-septième ou le dix-huitième, beaucoup

plus probablement le dix-huitième, parce qu'il a pu aisément

arriver à un copiste d'Aulu-Gelle d'écrire XII pour ~7LT~ ou

bien ~MO~ecMHMmpour ~Mo~eM'cpsi'mMM.Ainsi le dernier livre

des Annales a été écrit au plus tard en i y a Ennius n'a donc

Geu., XVII, xxt, ~3 ftCtaudium et Tuditanum consules secuntur

Q. Valerius et C. Mami!ius [<:Ka5~], quibus natum esse Q. Ennium

poetam M. Varro in primo de poetis libro scripsit eu nique, cum septi-mum et sexagesimum annum haberet,+ duodecimuni annalem scripsisse,

idque ipsum Ennium in eodem libro dicere. a

Cicero, Ca<omajor (De MMe~te), V, lA; Brutus, XX, 78. Jcrûme

(CAt'on~Med'Eusèbe, an d'Abraham iS&g) indique la date 168; un an

de plus ou de moins ne ferait pas grand'chose ici, mais le témoignagede Jérôme est sans valeur auprès du témoignage très-précis et très-formel

de Cicéron. Ennius mourut, d'après le passage du Bt'M~Mjau tempsdes Jeux Apotfinaires; or ceux-ci avaient lieu en juillet.

Page 61: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

L'HISTOIRE ROMAINE, ETC. AI

plus travaillé à son poèmeen

lyi ou iyo et pendant les

six premiers mois de i6g. De ce fait on peut conclure avec

beaucoupde

probabilité qu'il avait résolu de s'en tenir à dix-

huit livres.

Si Ennius, dans le livre XVIII, disait son âge, c'était, au-

tant qu'on peutle conjecturer, en

prenant définitivement congé

des lecteurs des Annales. Ilcomparait sa vieillesse à celle d'un

glorieuxcoursier

quise

repose

Sicnt fbrtisequus, spatio qui saepe supremoVicit Olympia, nunc senio contëctus quiescit.

Maintenant, quel pouvait être le contenu historique des li-

vresXVH et XVIII? Le livreXVI, composé vers iyy-ty6, avait

chantéles événementsde < y 8-1 y y

le livre XVII dut être écrit

vers 17 y 5-1 y &, et le livre XVIII le fut en i y3 ou i y 2 le poète

necomptait pas

continuer son œuvre. Lapremière idée qui

vient àl'esprit, c'est qu'Ennius dut

remplirles deux derniers

livres avec les événementsaccomplis

den6 6 ly~t ou nS,

bien queces événements ne soit

pasdes

plus importants.Il

est malheureusement impossible de vérifier cettehypothèse,

car les fragments des deux livres enquestion ne sont pas

nombreux, et aucun ne présente un trait qui puisseêtre tant

soitpeu caractéristique,

saufpeut-être un vers où il est ques-

tion d'une caverne 2

Tum cava 3 sub monte'*iate'' specus intus patebat.

Les autres, ou bien sont obscurs ou ne paraissent rien con-

Cicéron, auquel on doit ce passage (C<!<omajor, V, t&), dit posi-tivement que la comparaison est dans Ennius lui-même. 11ne donne pasle chiffre du livre.

Nonius, p. a a a ff Ennius annalium lib. XVM.B Priscianus, VI,

xfv, 75 ffEnnius in XVII. annaliuDi.~ Festus, p. 363 crEnnius-B

Cf. Servius, sur Virgile, ~M., VII, 568 ff Ennius. sub monte specusa!te~ n

3CoHec~s Nonius, <:<? e~Ma Festus.

Mox<M Nonius.

Z,a<<'<Nonius, ~e Festus.

t'hitargyre, sur Virgile, Geo~ IV, 188 et Paul (Festus), p. i/t~);

ff. Servius. sur Virgile, Aen., XI!, 65'y.

Page 62: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

L. HAVET.A2

tenir qui intéresse l'histoire', ou enfin ont trait à des faits de

guerre quelconques

It eques et piausu cava concutit unguia tert'am*.

Tollitur in caelum damor exortus utrimquo

-Duxipsevias

Toutefois, il suffit de réuéchirpour voir que l'hypothèse est,

par elle-même, assez invraisemblable. Si l'on admet, comme

je l'ai fait plus haut, que le livre XV finissait avec la guerre

d'Etoile, et que le livre XVI commençait avec la guerre d'Istrie,

il en résulte qu'il y avait dans le récit d'Ennius un vide d'une

dizaine d'années; alors il serait étrange qu'il eût tenu à ra-

conter en deux livres les petits faits des années 176 à )7~[.Ces faits tiennent tous dans le livre XLI de TIte-Live, qui ren-

ferme en outre la guerre d'Istrie. Si. au contraire, on veut qu'il

n'y ait pas eu de lacune entre le récit de la guerre d'Etoile et

celui de laguerre d'Istrie, il faudra croire que les deux livres XV

et XVI embrassaient les treize années i8g à177, et que les

deux livres XVII et XVIII embrassaient seulement trois ou

quatre ans. Cela est on ne peut moins vraisemblable, surtout

si l'on songe que la première de ces deux périodes a vu des

événements beaucoup plus importants que la seconde. De

toute façon, il est presque incroyable que les livres XVII et

XVIII aient été la continuation du livre XVI.

En conséquence. je conjecture que ces deux livres étaient

un supplément rétrospectif, destiné à relier les événements du

livre XV a ceux du livre XVI. Le livre XVII, entre autres choses,

devait contenir la campagne conduite par Gnaevus Manlius

Vulso dans la Galatie en 180; c'est dans Ennius que Florus

aura puisé l'idée bizarre de la raconter après la guerre des

Livre XVII 1° Macrobias, &:?!'?. VI, n, a8; a" Nonius,

p.i34.Livre XVIII )° Nonius, p. 63; a°Gett., XIII, xxt (xx), 14, et H,

\\Vt. 11.

Macrobius, &!<Mm., VI, t, a a t(.m XVII.t

Macrobius, &!<m'M.~VI, ai f Ennius in XV H, Les )t)SS.ont

M<)'<MMf.

Priscianus. Vt. 6 ffEtmius in XVIL annaii.

Page 63: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

L'HISTOIRE ROMAINE, ETC. A3

Histres~. Dans le livre XVHI était sans doute racontée la ré-

conciliationqui

eut lieu, en170~,

entre Fulvius Nobilior et

son ennemi- Marcus Aemilius Lepidus.La noble conduite de

Lepidusfut en effet, nous dit Cicéron, consignée par écrit dans

des livres d'annales, et célébréepar

un grand poète,sMtMMt

jDoe~e voce3; ce grand poète est indubitablement Ennius, le

protégé de Fulvius Nobilior.

L'étudequi précède ne peut jeter

de jour que sur des dé-

tails bien minces; elle contient bien despeut-être,

des sans

~OM<~des vraisemblablement et des apeMpres;enfin elle n'aboutit

pas aune conclusion d'ensemble. Mais pour construire l'histoire

aucun débris n'est sans valeur. Je serais satisfait si j'avaisfourni

quelques grains de poussière a ceuxqui

savent en

faire du ciment.

Voirpages ay, 33 et 3y.

T.Liv.,XL, ~t6.

3 Cicero, De~)'op:KC!M coM~/sn&M~, IX, ai. Cicéron quailde Ennius

de SMMMMsjooe<adans le De or<ot'e, I, xn', ')g8; cf. De optemo~tëre

ofa~o~w; I. a.

Page 64: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule
Page 65: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES PEINTURES

DES TOMBEAUX ÉGYPTIENS

ET

LA MOSAÏQUE DE PALËSTMNE,

PAR G. MASPERO.

Les chambres accessibles des tombeaux égyptiens sont dé-

corées, à l'ordinaire, depeintures représentant les scènes de

la vie civile et domestique. ~Le prince Khnoumhotpou,fils de

Nouhri, dit une inscriptionde Beni-Hassan, a fait ceci en mo-

nument de soi-même, dès l'instant qu'il commença de tra-

vailler à son tombeau, rendant son nom fiorissant à toujours,

et se figurant lui-même pour jamais en sasyringe funéraire,

rendant le nom de ses familiers florissant, etfigurant, chacun

selon son emploi, les ouvriers et les gens de sa maison; il a

répartientre les serfs tous les métiers et a montré tous les su-

bordonnés (?) tels qu'ils sont'.M On les voit tous, en effet,

Ce début de la longue inscription de Beni-Hassan, décomposé en

ses membres constituants, doit être disposé comme il suit

C'est d'abord une propositionau

passé,rrH a fait ces choses, en

commémoration de ]ui-même, quand il commença (le construire son

Page 66: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

G. MASPERO.&()

Khnoumhotpouet ses enfants, les

pêcheurs, les artisans, les

bergers,les

prêtres.Les

paysans labourent, sèment, récoltent;

lepotier

tourne ses vases et les cuit au tour; les tisserands

sontaccroupis devant.la trame; les danseurs

écoutent leurs

pasles

plusbrillants c'est la vie

égyptiennesaisie sur le vif

et fixée, depuis cinquante siècles, sur une murailled'hypogée.

Chaque paroiforme comme un tableau dont les

parties,dis-

tribuées enregistres,

montent ets'étagent

du sol jusqu'au

plafond. Quelquefois,les scènes n'ont aucun lien entre elles

etreprésentent

des actionsindépendantes, accomplies

à diffé-

rents moments de l'année, en des endroits différents.Quelque-

fois, l'ordre danslequel

elles sontrangées

est telqu'on y

doit

reconnaître, malgréles défauts de la

perspective, une compo-

sition d'intention et d'effet voulu. Lepeintre

s'estplacé

sur le

Nil, par exemple,et a

reproduittout

ce quise

passaitentre

lui et l'extrême horizon. Au bas de laparoi,

le Nil coule à

pleins bords des bateauxpassent,

des matelots, montés sur

des canots depapyrus, échangent

descoups

degaffe

ou

tombeau, litt. tr !a fois première de construire son tombeau, a o&est pose,

d'une manière générale, le terme qu'il s'agit dedévelopper.

Viennent

ensuite quatre membres de phrase à ce temps présent, qui, de même

que le temps en e du copte, équivalait, selon les circonstances, à un

présent réel ou à un participe présent. Us sontparallèles deux à deux et

commencent, le premier et le troisième, par )' x}y J~le second et

le quatrième par t' Les régimesde ces verbes paratiètes sont

également paralièles quant au sens exprimé. Le premier membre en

r JH rapporte au !:o?K du propriétaire du tombeau le se-

cond, au nom de ses familiersj~ j }"* Le premier membre

F se rapporte à la personne même dupropriétaire, {'

°r s'estreprésenté lui-même; le second, (te pronom

x_

n'estpas exprimé

derrière le verbe, peut-être par inadvertance du scribe)

se rapporte à la personne de ses artisans, qu'il a représentés, chacun

selon son métier. Le développementest clos

par deux membres de phrase

vn passé =~et ô Je crois "1. d'ffi '1 cle trou-.nu passé et J~ Je crois qu'H est dimcite de trou-

ver un exemple plusévident de parallélisme complet. Quant au sens

matériel rcprMe~o', j~'M~)', que je donneici a.

iln'y

aqu'a

examiner les planches de Champoilion et de Lepsius, pourvoir combien

il est justifié; Kbnoumhotpou s'est repfe.K~e lui-même dans son tom-

beau ainsi qnc tous les gens de sa maison.

Page 67: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES PEfNTURES DES TOMBEAUX ÉGYPTIENS. Z[7

rhassentl'hippopotame

et le crocodile, tandisque

des bouviers

baignent leur troupeau. Au-dessus, laberge

et les terrains

(lui avoisinent le neuve des esclaves coupent des joncs,d'autres construisent des

barques, d'autres, cachés dans les

herbes, tendent le filet et prennent des oiseaux. Au-dessus

encore, leschamps

et le labour, despaysans qui

vont à leurs

travaux, des bœufs qu'on mènepaitre. Enfin, dans le haut,

h's collines nues et lesplaines ondulées du désert, où des lé-

vriers forcent ia gazelle, où des chasseurs court vêtus abattent

legibier

àcoups

de flèche.Chaque registre répond

à un des

plans du paysage; seulement, lepeintre,

au lieu de mettre

lesplans

enperspective,

les aséparés

les uns des autres et

superposés.

Barthélemyadmit ie

premier queia

grande mosaïquede

Palestrine avait été fabriquée après le voyage d'Hadrien en

Egypte Je n'aipas

àm'occuper

de laquestion

de date c'est

affaire auxarchéologues qui

fontprofession

d'étudier l'anti-

quité romaine. Mais Barthélémy et tous ceux qui sont venus

aprèslui ont considéré

quela

mosaïquede Palestrine était

une sorte depaysage historique dans lequel

un artisted'époque

tmpénale avait essayé de représenter à sa guise l'aspectde

l'Egypte et les singularités du désert africain. Le Nil baigne le

bas du tableau. Il a recouvert la vallée entière et s'est étendu

jusqu'au pied des montagnes. Des villas sortent de l'eau, des

obélisques, des fermes, des tours de style gréco-italien, plus

semblables aux fabriques des paysages pompéiens qu'aux mo-

numents des Pharaons; seul, le grand temple situé au second

plan, sur la droite, et verslequel

se dirigent deuxvoyageurs,

estprécédé

d'unpylône auquel

sont adossés quatre colosses

osiriens, etrappelle

l'ordonnance générale de l'architecture

égyptienne.A

gauche,des chasseurs, portés

sur une grosse

l'arque, poursuivent l'hippopotameet le crocodile à

coupsde

harpon. A droite, une compagnie de légionnaires, massée

devant untemple

et précédée d'unprêtre, paraît

saluer au

passage une galère quifile à toutes rames, le long du

rivage.Au centre, des hommes et des femmes à moitié nues chantent

Rty/iM'~0); f/e la MOM~rM de /M<rMte, par M. Fabbé Barthélemy,;) Paris. chez t). L. Guërin. et L. F. Defntnm', rue Saint-Jacques, a

Saint-Thomas-)!'Aquin. D<:<;t.x.

Page 68: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

G. MASPERO.~8 ô

et boivent, à l'abri d'un berceau souslequel

coule un bras du

Nil. Des canots en papyrus montés d'un seul homme, des ba-

teaux de formes diverses, circulent entre les scènes et comblent

les vides de la composition. Le désert commence derrière; la

ligne des édifices; ici l'eau forme de larges flaques que sur-

plombent des collines abruptes. Des animaux réels ou fantas-

tiques, poursuivis par des bandes d'archers égyptiens à tête

rase, occupent la partie supérieure du tableau; les noms sont

écrits en gros caractères au-dessus de chaque espèce, et per-mettent de reconnaître quelques-uns des monstres décrits par

les naturalistes anciens le crocottas, les thoanies, l'onocen-

taure, le crocodile-panthère. L'Afrique était dès lors une terre

de prodiges, que l'imagination des voyageurs peuplait d'êtres

fabuleux.Si, après avoir considéré la

mosaïquede Palestrine, on

feuillette quelqu'un des volumes de Champollion ou de Lep-

sius, on sera frappé de la ressemblance qu'elle offre avec cer-

tains tableaux gravés et peints sur les tombeaux égyptiens.

C'est la même disposition dans le bas, des scènes d'inonda-

tion et de vie civile; dans le haut, des scènes de chasse au

désert. Parfois, entre le Nil et la montagne, l'artiste a repré-

senté des pâtres, des laboureurs, des gens de métier parfois,

il a fait succéder brusquementla région des sables à la région

des eaux et supprimé l'intermédiaire 2. Les détails sont presque

identiques des deux parts; il n'est pas jusqu'aux monstres de

l'artiste européen qui ne trouvent leur analogue dans l'oeuvre

des peintres égyptiens. Parmi les animaux réels que chassent

les princes de Beni-Hassan, on rencontre plus d'une betc

imaginaire des quadrupèdes à la tête et au cou de serpent,

tigrés de fauve une espèce de griffon ailé blanc un

loup à museau courbé, à oreilles carrées, à queue droite lïJjl

L'impossibilité où je suis de donner les figures m'empêche

Cf. par exempte, dans Champollion, iVo~'ccs?MMKM)a<M,t. II, p. 338-

3A6 et p. 359-366, les peintures de deux des principaux tombeaux des

Beni-Hassan.

Par exempte. au tombeau de Ptahhotpou, sous la t* dynastie ( Durni-<'hpn. /~Mh<:<e f~r <!fe/MO~og'Mc/t-o<ogy~)/HM/<eKFapc~M'~Theii t,

pLV)[t.Bcrnn.i86().in-foi.).

Champo!)inn. A'o<!ce~,t. n, p. 33() et 36o; Rosd!ii)i, MotM/M~

Page 69: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES PEINTURES DES TOMBEAUX ÉGYPTIENS. 49

/t

d'instituer lacomparaison

trait à trait; maisqui

voudra la faire

reconnaîtra quela

mosaïquede Palestrine et les peintures

égyptiennes reproduisent un même sujet, ou plutôt un même

ensemble de sujets, traités d'après les conventions et les pro-

cédés de deux arts différents.

On sait, pardes documents certains, que,

dès une haut

antiquité,les tombeaux égyptiens étaient visités par les voya-

geurs etpar

les curieux. Les graffiti nousapprennent qu'à

la

xx" dynastie, les scribes qui passaient par Beni-Hassan ne

manquaient pas d'entrer dans leshypogées de Khnoumhotpou

et d'Ameni-Amenemhâït; ils lesprenaient, par erreur, pour

des monuments du tempsde

Khéops~.Les

inscriptions grecques

du tombeau de Séti I"' montrent qu'à l'époque impériale on

allait, comme de nos jours, au Bab-eI-Molouk. Hadrien et

Champollion, ~Voh'CM,t. II, p. ~a3-&s5. Comme ces graffiti n'ont

jamais été étudies, je crois qu'il n'est pas inutile d'en donner ici le texte

et.atraduction.-N-i.

Amenmes. Quand je suis allé pour voir la chapelle du RA-Kaouwoc le

Véridique, elle a été trouvée semblable, en son intérieur, au ciel, lorsque

le soleil s'y lève, et approvisionnée en encens frais pour la chapelle du

~o'A-f~ (?), pourvoir ia

chapelledu RA-KHonwon le Véridique; elle a été

trouvée, en son intérieur, comme le ciel quand le soleil s'y iève.!)

Page 70: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

(.. MASPERO.5')

qu'a faite le scribe 77tOM<K(?) pour voir la bellechapelle

du M-Knonwr

vdridt({ue. Elle a été trouvée belle extrêmement, plus que [tout temple

(tp?j PLtah, en encens frais, et approvisionnée do parfums. la cha-

peUf dans laquelle est te RA-Knouw) véridique. La variante donne

la raison de la transcription SoSS-t-s de Manéthon.

Page 71: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES TABELLARII,

COUHR'EHS PORTEURS DE DÉPÊCHES CHEZ LES ROMAINS', l,

PAR M. ERNEST DESJARDINS.

On lit dans le Lexicon de Forcellini ~TABELLARics, absolute

~pet~<ï'o<popos', ytf: tabellas, seu~Meras~e~?'

o

Le mot ~<&c//ae, d'où les <a&c~an't tiraient leur nom, in-

diqueles tablettes de bois sur lesquelles on écrivait; ~Merae

ouepistulae désigne toute sorte de

correspondance,sans

que la

forme matérielle en soit spécifiée. Ces dépêches étaient donc

écrites, soit sur des tablettes enduites d'une cire dont la cou-

leur différait de celle du bois2, etque

le stylum enlevait en

traçant des caractères se détachant ainsi nettement sur le fond;

soit sur duparchemin

ou dupapier (papyrus, cAar~), qu'on

roulait ou qu'on pliait en paquet, ~sctCM/Ms.

On necomprend guère que

M. Mommsen ait jugé utile

de distinguer le <<!6e~arïMs~ porteurde dépêches (tabellae),

du

~M~M~ teneur de livres, agent comptableet homme de

bureau~ personne, que nous sachions, dans ces derniers

temps du moins, ne s'était avisé de les confondre. Le même

savant croit pouvoir affirmer queles ~M/ant étaient des cour-

riers au service exclusif del'Empereur,

c'est-à-dire de l'Etat~.

Cette étude est le résumé de trois leçons professées, en 1878, à

i'Ecote des Hautes Etudes, dans le cours d'g'r~o~!e e< 6~M~ ro-

M<KM aux élèves de seconde année.

On possède plusieurs spécimens de ces tablettes, qui portent des

caractères cursifs encore lisibles, quoique le temps ait donné au bois et

à la cire une teinte à peu près uniforme. Ce ne sont pas des epM&<&t~mais leur forme et les procédés dont on avait usé pour écrire sur les

tablettes qui nous sont parvenues sont évidemment les mêmes voyez,entre autres, les fameuses tabulae een~ae conservées au musée de Pest,

et publiées par M. Zangemeister, C. 7. L., ML p. 023-066..N~'MM~ t866, p. 3~a.

&.

Page 72: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

E. DESJARDINS.52

En admettant que cela fût vrai pour l'époque impériale,et nous démontrerons plus loin qu'il n'en était rien, il est

évident que, sous la République, si nous les voyons employés

par les grands magistrats, c'était là un service assez restreint

et même plus exceptionnel que régulier. La plupart des textes

qui mentionnent les ~eMat'H nous les montrent., en effet,

comme des courriers au service de simples particuliers ou

d'entreprises, comme celle des fermiers de l'impôt (coM~KC~ores,

~M~M'aH!), qui les entretenaient à leurs frais.

1

Laplus

ancienne mention connue des &<M~t remonte au

tempsde la seconde guerre punique. Strahon~

rapporte que

PtceMtMc, l'antique capitale des Picentes, au sud de laCampa-

nie, ayant été châtiée par les Romains, à cause de sa défec-

tion et même de sa trahison, pendanfle séjour d'Hannibal à

Capoue, les habitants furent chassés de leur ville, dispersés

dans des bourgades,et

qu'aulieu du service militaire, on les

réserva pour la corvée de ~courriers:! et den~orteurs

de dé-

pêchesMfT~ <? cr7p<M'e<'<xs~spo~'po~e'c' mal ~pc!j~t&To(pppen'

aws~e~~o-c~ sf T&)T~Te ~~too-M. Il s'agit évidemment ici d'un_

service public, quoiquele texte soit fort incertain

pour ces

trois derniers mots. On peuttraduire le grec ~spo<!p(~o<

parcMrMres, coureurs M, et~pa~aïofpopot par~a~eMa)~ K por-

teurs dedépêches N;

il faut dire toutefois que le termeemployé

par Tite-Live, dans unpassage

relatif aux événements accom-

plis en Macédoine vers le mêmetemps (en aoo avant notre

ère),est ~eeM~or~ .SpeeM~O! AemeroJromo~ vocant

Graeci, ingens, die uno, cursu emetientes spatium, con-

templatus regium agmen ex specula quadam, praegressus [ex

Euripo],nocte media Athenas

pervenisset~?) Le terme de

~<a~or a dû être également employé pour désigner les courriers

V, H', t3, tK~MC.Il est inutile de faire remarquer que le mot ~pMM&tfO!'a eu un f.ou~

autre sens sous l'Empire, employé pour désigner des espions militaires,ft par suite un corps spéciat d'édaireurs.

XXX!. a~.

Page 73: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES TABELLARH. 53

porteurs de messages privés On rencontre aussi le synonyme

celeripesMais les ~e~n't agents d'un service

publicse

rencontrent dans la fameuse inscription de PoIIa du val di

Diano, commeoccupant

des stationsespacées

sur la route

queM. Mommsen a

désignée sous le nom de ~a Popilia, et dont

il fait remonter, avec toute raison, la date à l'an i3a avant

'notre ère~. Cette inscription commence ainsi

VIAM FECE1 AB REGIO -AD CAPVAM" ET

IN EA VIA PONTEIS OMNEIS MILLIARIOS

TABELAR.IOSQVE POSEIVEI, etc.

Cette précieuseindication nous prouve qu'il y avait, dès le

second siècle avant notre ère, despostes de <~e//a?'K

(ce que

nous appelonsdes

facteurs)sur les routes de la

République,

postes placés évidemment de distance en distance, pourla

transmission desdépêches.

Nous ne savons s'il existaitdéjà,

pour les messages secrets, des courriers franchissant eux-

mêmes tout l'intervalle, depuisle

départ jusqu'à l'arrivée, et

pouvant raconter comme en ayant été témoins les événements

consignésdans

lesyr<sc!CM/! dont ils étaient porteurs. Il semble,

d'après le passage si souvent cité de Suétone sur l'organisa-

tion nouvelle de laposte par Auguste, que

ce fut là une inno-

vation de cetempereur5.

Mais aucun doute n'estpossible

sur

l'existence d'un service public de dépêches sous la République,

par des courriers appelés ~eM<~M~ quoique l'on fasse d'ordi-

naire honneur aupremier

desempereurs

del'organisation

régulière de la transmission des messages de l'Etat. On doit

Cicéron lui-même semble se servir indifféremment de ce terme ou

de celui de ta&eMm'MM voyez ~.y<!M.~ II, xvn, i frLitteras a te mihi

stalor tuus reddidit Tarsi.n Le mot fr huissier" traduit évidemment fortmal l'expression du texte latin (éd. Le Cierc); cf. t~ X, xxi ffpraestomihi fuit ~or ejus.

Cic. Epist. <K/~[«!'c.~ IX, vu frVenit autem eo ipso die ce&)'t~M,

quem Salvius dixerat; attulit uberrimas tuas Utteras.~

C. 7.Z., I, n" 55), p. i5~).

Hs'ag'it d'une route créée, comme on voit, au temps du trihunat de

Tib. Gracchus, voie qui se rendait de Capoue à /?<g'?<M, dans le .6f'M<-

~MM~par la montagne.

Voy. /lMg' xL[\. ft cf. ptus loin, n. 5o.

Page 74: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

E. DESJAIIDINS.5&f4

supposer, sans parler de l'e~c<:o ou du eMrsMs~M~tc:

M/tt'eM~fMttK !KMK«s, qui constituait, sous un autre nom, un

service officiel, peu régulier il est vrai, déjà au H" siècle 'avant

notre ère, que les chefs militaires dirigeant au loin des

guerres importantes, comme Pompée en Asie et César en

Gaule, avaient à leur disposition des moyens sûrs et promptsde transmettre, en tout temps, de leurs nouvelles au Sonata

H n'en était cependant pas de même pour les gouverneurs

de province en temps de paix. Nous voyons en effet, par les

lettres de Cicéron, lorsqu'il était proconsul de Cilicie, que ce

haut fonctionnaire a recours aux ~e~H'K des publicains pour

transmettre les lettres qu'il adresse à sa famille ou à ses amis.

Il écrit à Atticus~ ~Je viens de rencontrer, pendant que nous

étions en marche, les courriers des publicains, qui retour-

naient en Italie. Je me suis souvenu de ce que vous m'avez

recommandé, et j'ai fait arrêter ma litière en pleine campagne,

pour vous écrire ce peu de mots; je pourrai, plus tard, vous

mander, avec plus de détails, ce que j'ai à vous dire. M Ce pas-

sage nous apprend donc t" qu'un gouverneur de province,

-cependant tout-puissant en vertu del'MMpemmt qui lui était

conféré, était contraint, en temps ordinaire, d'avoir re-

cours à l'obligeance des ~e~an't de l'entreprise privée des

pubileains, ou fermiers de l'impôt, pour transmettre de ses

nouvelles à Rome; et a° que les eoM~Mc~M avalent un service~

entretenu évidemment à leurs frais, pour l'expédition de leurs

dépêches et sans doute pour le transport des sommes qu'ilsavaient encaissées. Cependant les proconsuls, ayant l'e~ec~o~

Voyezpius loin, p. 58, note 4.

Pour César, le fait est comiu Cicéron écrit a sun frère Qumhis~

(.EpMt<.ad 0-y~-< xiv ).: ~Ego. quum Romam vcnero, nuHumprac-termittam Caesaris <<:&cMs!wM,cui litteras ad te non dem.~

Ë/M' .4M., V, xvt ffEtsi m ipso itinere et \'ia discedebantyM&/t-efMWMm ~e&M'K, et eramus in cursu, tamen surripiejulnm aHqmd pu-tavi spatii, ne me immemorem mandati tui putares.Jtaque suJjsedi in

ipsa via.dum haec, quae tongiorem desiderant orationeE, summatim tibi

perseriberem. Cf. ~ist.~am.j V, xxt fcAccepëram tuas litteras

autem satis ceterfte)', Iconii, perp:<&&'c<!)!0)'Mm~e&H'KM; Cic., Epist.m~/iH., V, xv, 3 ;fTu autem saepedarc ~tM&a'M~«MKM)MM<Mtpoteris.a

Coelius écrit à Cicëron, alors en Cilicie (E~~<. ~tm., VIII, vt)"Hrcviores basiitteras, propf['<uiti ~MA&caMo'iHH~f~c~'M,snMto dcdi.t

Page 75: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES TABELLARII. 55

c'est-à-dire le droit de faire circuler, à l'aide deréquisitions,

leursenvoyés olliciels, devaient avoir, à

plusforte raison, des

courriers spéciaux pourl'envoi de leurs messages; mais les

départs de ces <a6e~nt étaient sans doute limités à certaines

époques fixes, en dehorsdesquelles

ils étaient contraints de

recourir à toutes les occasionsqui

s'offraient à eux'. Nous sa-

vons, d'ailleurs, qu'ils avaient aussi leursmessagers privés,

etqu'ils

lesdépêchaient jusqu'à destination

pour porter leurs

lettres «Philogène, votre affranchi, écrit Cicéron, de Lao-

dicée, à Atticus, est venu me saluer, et, comme il m'a dit

qu'il s'embarquait pour retourner près de vous, je lui remets

cette réponse u celles de vos lettres qui me sont parvenues par

le courrier de Brutus 2. nOr Brutus était alors proconsul d'Asie, et il semble bien

quece ~e~an'Ms fut un de ceux

auxquelsce gouverneur

avait droit pour la transmission de ses dépêches officielles:

seulement, comme ils étaientpeu

nombreux sans doute, et

qu'ils avaient leur service très-nettement défini, ils ne pou-

vaient en être détournéspour les correspondances personnelles.

H fallait dequarante

acinquante jours à un ~&e/&<~MS

pourse rendre Cilicie à Rome~, et il est bien évident qu'ils

ne

franchissaient pas tout cetespace

àpied

et en bateau, mais

qu'ils prenaient souvent des chevaux; aussi bien, <a'&e//«fK<s

n'étatt-ilpas,

en ce cas, synonymede cMt'sor ou de celeripes. La

dimculté principate n'était pas de trouver des <«M~rM fai-

1 Cicéron est souvent fort embarrassé pour expédier ses lettres (jE~Mf.'M/«. I, xin) fQuibus epistolis sum equidem abs te tacessitus ad scri-

bendum, sed idcirco sum tardior qnod non invenio fidelem ~M~H-Ktm~-

quotusquisque est qui epistoiam paullo g't'aviorem ferre possit nisi eam

peUectione relevant." Ainsi ia diSicun.ë n'était pas seuiemenE'!a dépense,ttiais l'indiscrétion des courriers.

ËpM<. <K~<(.~ V!, [[ ff()uum Pniiogenes, iibertas tuus, Laodiceam.,

satutandi causa, venisset, et se statim ad te navia'aturum esse diceret.

lias ei litteras dedi, quibus ad cas rcsct'ipsi quas icceper-aiiiBruti <<!&e/-

/f:n'o.T En dehors de ces occasions, il nous apprend tui-méme qu'it est

fort en peine de faire parvenir ses tettres à ses amis, en Gaule, quand ils

n'étaient pas auprès de son frère (~pMf.yaM.. V{!, fx): ~Quia cnm

Quinto fratre fnco non eras. ({no mitterem, aut cui darem [epistotas~ ue-

scieban).

(~ic.. /~)M<. /t< V, \)\. Dans cette lettre, il s'agit d'un intervalle-

de ~8 jours, que (.!icéron nf paraît pas trouver trop )on~

Page 76: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

E. DESJARDINS.56

sant tout le voyage et remettant eux-mêmes au destinataire

la dépêche qu'ils avaient reçue de l'expéditeur, mais bien de

rencontrer des hommes sûrs et discrets'. On avait recours

aussi à l'obligeance des plaideurs qui se rendaient dans les

provinces pour leurs affaires privées, et, pour faire tenir ses

lettres au gouverneur, cette voie paraissait d'autant plus sûre

que les porteurs avaient intérêt à bien s'acquitter de leur com-

mission s'il s'agissait pour Cicéron de correspondre avec Cor-

nificius, qui était alors en Afrique, il n'avait pas d'autre occa-

sion de lui faire passer ses lettres K Itane praeter Utigatores,nemo ad te meas litteras ~? M. De même, il écrit de Rome à

Atticus qu~il n'avait guère de moyens de lui faire parvenir ses

lettres en Epire et à Athènes 3. L'expédient leplus sur était en-

core d'envoyer un de ses esclaves ou un de ses aSranchis'\ En

Italie, la correspondance, pour ceux qui n'étaient pas de grands

personnages, n'était pas beaucoup plus facile. CommeII n'y avait

certainement pas de service organisé pour les besoins privés, le

moyen le plus usité chez les particuliers parait avoir été de

confier les lettres à leurs gens, qui rapportaient la réponse 5;on profitait aussi des esclaves de ses amis~; mais, indépendam-ment des tabellarii publici, réservés au service de l'Etat et. qui

avaient, comme nous l'avons vu plus haut, leurs stations sur

les routes principales, indépendamment des ta6eM<ïn!pMM:ca-

norum, qui étaient aux gages des entrepreneurs de la ferme des.

impôts, il y avait des tabellarii qu'il était lolsible_à tout particu-

Voyez plushaut la note 1 de la page 55, et cf. Cic., .Bp: ad Att.,

V.xvn (il était alors en Cilicie) ffPaucisdiebushabebam certos hommes

quibusdaremHtteras.~)

~)M<tM., XII, xxx; cf. les autres lettres à GorniBcius.

jE~M<. ad Att., I, v, cf. !X.

Coelius écrit à Cicéron, alors en Cilicie (~Mt.~Nm.~ VIU, vin):"Libertujn Philonem istuc misi et Diogenem Graecum, quibus mandata

et litteras ad te dedi.a Cf. !& III, ix.

Cicéron écrit, de 2'brM<M:KMm, à Atticus (II, xt) ~Quoique j'espèrede vous voir bientôt, je vous envoie cet esclave, auquel j'ai ordonné de

revenir vers moi vous lui donnerez donc une lettre JMcn remplie.

Quanquamjam te ipsum expecto, tamen isti puero, quem ad me sfatim

jussi recurrere, daponderosam aliquam epistoiani.a

Cicéron écrit à son fidèle Tiron(~Mt.~<:?~ X.Vt, tx) tSorvus Cn.

Ptanci. Brundisii. mihi a te expeclatissirnas litteras reddtdit.)! »

Page 77: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES TABELLARIL 57

lier riche d'entretenir chez lui à ses frais, pourse donner le

luxe d'une active correspondance. II est très-probable qu'on

trouvait à louer des courriersportant

aussi le nom de <aMsrH.

C'est dans ce sens, selon nous, qu'ilfaut entendre ce

passage

d'une lettre de Cicéron à Atticus:KSi, n'ayant rien à vous ap-

prendre, je vous envoyais des ~e~t' ce serait ridicule; mais,

lorsque je trouvequelqu'un qui

se rend à Rome etque

ce sont

surtout des gens à moi, je nepuis m'empêcher

deproSter

des

occasions et cet autre, dans une lettre à sa femme s Je vou-

drais quevous

pussiez organiser des ~e/rK réguliers, afin de

recevoir tous les jours quelques-unes de vos lettres~. Cicéron,

qui expédiaitd'ordinaire ses lettres

parses affranchis, par

ses

esclaves à lui ou par ceux de ses amis, n'avait certainement

pas, parmises serviteurs, de ~<&6&!fM de

profession;s'il con-

sidère comme ridicule d'en envoyerà Atticus lorsqu'il

n'a rien

d'importantà lui mander, s'il forme amicalement le souhait

d'établir un serviée régulier de courriers pour correspondre

tous les jours avec sa femme 7érentia (ce qui n'est d'ailleurs

qu'une façon aimable deparler), c'est qu'on

devaitpouvoir

s'en

procurer facilement et qu'il devait y avoir des espèces de bu-

reaux de facteurspublics,

des offices de <s6eMar: où ceux-ci

se tenaient toujours prêts à toute réquisition des particuliers

qui avaient le moyende les bien

payer.Mais c'était là sans

doute uneprodigalité,

considéréepar

le grand orateur, quoi-

qu'il fût loin d'être pauvre,comme fort au-dessus de ses

moyens. Il estprobable que Cassius avait ses <a6eMarM à lui;

car Cicéron lui écrit de Rome ~Vous avez d'étranges mes-

sagers ce- n'est pas qu'ils m'oneUsent, mais lorsqu'ils me

quittent, ils me pressent de leur donner mes lettres, et lors-

qu'ils arrivent, ils ne m'enapportent point;

ils auraientplus

d'égards pour moi s'ils m'accordaient du moins un peu de

temps pour écrire; mais ils arrivent toutprêts,

coiffésdéjà

de leurs grands chapeaux de voyage, et disent que leurs cama-

Epist. s~A«., VMI, xfv 'cSed si, dedita opéra, qnum causa uuHa

est, tabellarios ad te cam inanibus epistolis mitterem, facerem inepte;cuntibns vero, domesticis praesertim, ut nihH ad te dem titteraram, là-

cere nou possnm.~ n

E/)M<.y~w.~ XIV, xv)[[ ffVphfn <a&e//fM'M.s'ins[ituaf,[s certos nt quo-tidie aliquas a vobis Htteras accipiam."

Page 78: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

E. DESJARDINS.5.S

rades les attendent la porter)) » Antoineavait aussi les sicns~:

mais, à l'époque de confusion qui précéda et qui suivit les

guerres civiles, il est bien probable que tous les grands person-

nages s'arrogèrent le droit d'user des <a6e&rHpMMi'c: de l'Etat.

dont l'existence, tout au moins depuis la fin des guerres pu-

niques, est, comme on vient de le voir, aussi indubitable

que celle des ~e~am~MMïcaKoram et des &!M~m! m'ipa! Les

/«M&!rH ne sont donc nullement une création imputable à

Auguste. Voyons quelle a été la part de cet empereur dans

l'organisation du service des dépêches.

II

Il n'entre ni dans notre dessein, ni dans le cadre restreint

de cette étude, d'esquisserune histoire de la Poste chez les

Romains cette histoire a été faite 3. On sait, depuisla décou-

verte et lapublication

des lettres de Fronton a Marc-Aurelc,

quela Poste ollicielle

(cHeG<!o, CMrsMspMMMM~t'e/iMM/aMMmmM-

KMs) existait, d'une façon peu régulièreil est vrai, dans les

provinces,au

tempsde Caton l'Ancien~. Mais, avant d'avoir

Ë~M~m.~ XV, xvu ~Praeposteros habes fa&eSst'Ms~ etsi me qui-dem non onendunt, sed tamcn, quum a me discedtmt, uagitant Rttcras;

quumad me veniunt, nuttas an'erunt. Atque id ipsnm tacereut commo-

dius, si milti aliquid spatii ad scribeudum darent; sed petasiti venhuit

comités ad portam expeetare dicuut. B Cassius cent d'Asie à GMron

(F~M~w.~ \I{, xtf) tScripsiad te, ~e//<M'MS(n.te complures

Ro-

mam misi. Mais alors ou ne peut considérer Cassius comme Mtsimple

particu)ier;c'était t'au Aa.

Voy. Cic., P/M~p. II, 3t "Quis tu? A Marco ~c&M.~

Naudet. De ~<:a'mMM's~<:<MMde la Poste c/<e~ 2?oMMHK.s',dans les ~e-

MMires de /lc< des ~:M)' t. XXML a"partie de la nouvelle série,

t.S58, p. t<)6-a~o.

Fro);<o?!. Epist., p. 150 de l'éd. de Rome. Caton s'exprime ainsi

Nunqnam cg'o evectionem datavi, que amici mei, per symbotos, pecunias

magnas caperent." Cf. Naudet, op.c!'f.

p. i6<). Notre vénère et savant

maitre traduit ~H:&o&' par ff signature",et iL

ajouteen note (&c. ctf.~

Ilote a) ft cachet, empreinte de cachet.)) et ilfait remarquer que, même

avec un ordre d'CMch'o, on ne comprendrait pas que ces personnagesen

eussent pu tirer des moyens d'amasser <tde grands biens.)? Ce fait ne s'ex-

plique '[n'enraison de l'absence de relais et

par la prestationen nature

e\igibte.sans doute, des habitants. avec tous les abus commis ators par les

jx'rsonnagf's revins d'un caract'['f' onicic!. en quaii~. soit de magistrats.

Page 79: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES TABELLARII. 59

connaissance de ce texte, il était facile desoupçonner l'orga-

tiisation d'un servicerégulier

dedépêches

en Italie; du moins

l'inscriptiondu val di Diano le

prouveavec la dernière évi-

dence.

Suétone, auchapitre

xux de sa Vied'Auguste, s'exprime

ainsi: ~Pour être instruitplus promptement

etplus

facilement

de cequi

sepassait

danschaque province

etpour y

fairepar-

venir ses ordres, il(Auguste) organisa

d'abord un service de

jeunes genssur les voies militaires, puis

bientôt un service de

voitures, moyencommode

pour savoir,au besoin, de la bouche

même desporteurs

dedépêches,

des nouvelles dupays

d'où ils

viennent M Onremarquera que

les <a6e~at'M nesont pas

men-

tionnés dans cepassage

mais cesjuvenes qui

se transmettent

lesdépêches

sur les routes, où leurspostes

sontdisposés

à des

intervalles assez courts, paraissentbien être les mêmes

queles

tabellarii de l'inscription de la via Popiliadel'an i3a avant J. C.;

aussi, la véritable innovationd'Auguste

dut-elle consister moins

dans['organisation

d'un service, plus régullerpeut-être,des cour-

riers àpied, que

dans l'établissement de relais deposte (man-

st'OHM ouMïM~MM~),

où lesmessagers

venus despoints éloignés

del'Empire,

c'est-à-dire de toutes lesprovinces,

trouvaient

des !'c/i:'cM~ et des muletspour accomplir promptement

leur

soit en vertu d'une mission, comme pour ceux qui avaient obtenu du.

Sénat ces ~g'~tose~ liberae dont parle Cicéron (De /eg-e ftg-)'. 1, 3; H, i y).

On a d'autres textes quecelui de Caton qui établissent l'existence d'une

ue/MCM&:ho, sinon organisée et permanente, du moins propre à offrir, à

un moment donne, des moyens rapides de transport pour ies magistrats

et les chefs militaires et pour la transmission des dépêches omcieHes. Voy.

Tite-Live, XXVII, y rr. per dispositosequos." César, De B. civ.

111, 11 n-Mutatis ad celeritatem jumentis.~ 101; cf. De B.

~Mp. 11 Plutarque, Ca<o m~ ,13, etc. M. Naudet (op. cit.p. ly-lyS)

établit, pard'autres textes, que

toutes cesdispositions

étaient irrégu-

tières, temporaires,et qu'it n'y avait pas, à proprement parler, de poste

aux chevaux et aux mulets étabfie avantAuguste;

mais celan'empêche

nullement l'existence d'un service dedépêches par des courriers à pied

ou à cheval.

~Quo celerius ac sub mauum annunciari cognoseique [ïmp. Augus-

tus] posset quid in pt'ovincia quaque gereretur,juvenes primo, modicis

intervanis, per mititares vias, débine vehiculadisposuit

comruodius id

visum est, ut, quia toco

perferunf!itteras. ifdem

interrneari qnoqttc.si quid rcs exigant possifit.

Page 80: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

E. DESJARDINS.60

voyage, porterleurs messages

lesplus urgents a destination,

ann depouvoir

les remettre eux-mêmes àl'Empereur et, an

besoin, l'instruire de cequ'ils

avaient vu.

Cette institution ne tardapas

à donner naissance à une ad-

ministration nouvelle, régulièreet fixe, qui

n'existait certaine-

mentpas

sous laRépublique

etqu'on appela

la ~t'eM~o.

On dutexiger, pendant

lespremiers siècles, des

propriétaires

et despossesseurs

ou détenteurslimitrophes

desgrandes

voies*

On ne voit apparaître, du moins sous la République, aucun service

régulier et permanent de voitures. On sait qu'en i '?3, le consul L. Postu-

mius. ayant forcé les Prénestins à lui tenir des chevaux prêts pour son

départde leur ville, .jamM~ cunz exiret H:<~c ~M'ae~o e.!sa:< (Tite-Live,

XLH, t), l'usage s'établit, pourles &gM& (envoyés en mission

parle

Sénat), deréquisitionner des chevaux dans les vi!)es qu'ils traversaient.

Nousvoyons

toutefois qu'en 170, pour honorer Micythonius, le députédes Chalcidiens, le Sénat loua des voitures pour

le faire reconduire Commo-

dément jusqu'à Brindes, t'~MCM~ Mtcy~/iOHH p!<M!'e6 locata (Tite-Live,

XLIII, 8), ce qui semble exclure l'idée d'un service public organisé, ainsi

que le remarque judicieusement M. Naudet (op. et /oc. cit., p. lys);

cependantil n'est parlé dans ce passage que de la location des voitures

et nullement des ~meM~ qui pouvaient fort bien être réquisitionnés;

mais la réquisition ne suppose pas nécessairement un service régu!ierce serait

plutôt le fait d'un service exceptionneLOn

sait quele fameux

Ventidius d'Asculum, qui acquit une si grande renommée en Orient

comme lieutenant d'Antoine, avait été loueur de voitures et de mulets et

qu'ilavait la clientèle des magistrats se rendant dans leurs provinces

(Aulu-Gelle, XV, :v, 3) ~eum[Ventidiumj qui sordide invenisse

[victum] comparandis mulis et vebicuus quae mag'istratibus, qui sortiti

provinciam forent, praebenda publiceconduxisset.~ Mais cela ne suppose

pas davantage l'existence d'une poste permanente. Ce sont ces -mêmes

voituresque César employait pour ses courses les

plus rapides tfLongig-simas vias incredibili celeritate confecit

expeditus [Julius Caesar], meri-

toria rheda, centena passuum miitia insingulos dies." (Suétone, Caes.,

5y.) Or, pour faire ainsi 1~8 kilomètres par jour, il fallait bien, tout

en touant des voitures, qu'on trouvât des relais de chevaux ~disposés sur sa

route, et il est probable que ces chevaux étaient réquisitionnés;mais rien

ne prouve que ces relais fussent permanents.H n'en fut plus de même

après Auguste.Il est indubitable que Tibère, longtemps

avant son avé-

nement àl'empire, taisant deux cents milles (a()6 kil.) en vingt-quatre

heurespour aller voir son frère Drusus, malade en Germanie (Pline l'An-

cien, VII, xx ), devait disposer de relais bien pourvus.U n'est pas inutile de rappeler

ici la différence juridique quiexistait

a Rome entre lespropriétaires citoyens romains, ayant le

~ot?M)H!<M;ex

/!H'e ()«M'i'<M<M sur leurs <~T! prMa<< et lessimples pMM~fM'es de l'o'g'o'

/oc~M nu)T<-<t~Y!/M, qui, bien que transmissible et aliénable, ne perdait

Page 81: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES TABELLARII. 61

dites f<«e )H</<<~e~ uneréquisition

dont la fameuse médaille

de Nerva, datée de l'an06,

nous fait connaître lasuppression 1,

cequi signifie que

l'Etat sechargea

dès lors des frais de ce ser-

vice. Mais laissons de côté lagrande

administration de laposte

des voitures et des chevaux, telleque

nous lavoyons établie,

surtout àpartir

durègne

deTrajan,

avec sescrae/ee~

!)g/t:cM~o-

~Mm~, ses ~M/sm a vehicitlis 3, ses ab velricitlis ses s commen-

tariis fe/MCM~orMM~, etc., pournous

occuperexclusivement des

courriers, porteursde

dépêchesou facteurs, désignés,

sous l'Em-

pire, parle terme

uniquede <aM/an' Nous tiendrons

compte

jamais sa qualité d'~er ptfMeiM., toujoursrecouvrable au nom des droits

imprescriptiblesdu Peuple Romain, seul vrai et éternel propriétaire, tant

que cette terre n'avait pasété convertie en

ag-er~M~M M'yMn'()MM'<M<m,

à la suite d'une vente publiquefaite à un

citoyenromain par les magis-

trats, déléguésde l'autorité, c'est-à-dire du Peuple Romain.

Cegrandbronze(voy.Eckhel,Vt,p. ~o8;cf.Spanheim,II,p.56i;

Cohen, AM. !Mp.~ I, p. ~79, n. iaa, etpl. XIX) porte,

au droit, le

&!<~e de A~'cf: lauré à droite, avec cettelégende

IMP NERVA

CAES AVG P M TR P COS III P P et, au revers, deux mules

en sens contraire et paissant: derrière, on voit les deux timons d'un char

avec les traits et les harnais et cette légende: VEHICVLATIONE

ITALIAE REMISSA S' C. On remarquera quec'est aussi de mulets

qu'il est question dans lepassage d'Aulu-Gelle cité plus haut.

Voy. le PRAEF-VEHICVL-A-COPiSAVG PER.-VIAM

FLAM1N1AM 1 CENTENARIO, etc., c'est-à-dire ,'préfet de laposte

pourle transport des troupes par la CM jf'Yam:):M; aux

appointementsde

iooooo sesterces" (Orelli, n. a 6 ~8); on sait que cet emploi fut exercé

par Macrin avant son avénement à l'empire (Dio Cass. LXXVIII, n )

'C!'OÔS~Sf T0f5 TOS Seë~pOU U~~CtO'i TOtS T))!' MttTa: T~f <PXct~[~t~;OH' 6SAf

3tcf~ouo';f streTΠCf. l'inscription de T.~ppsMM ~t~KMs &e:<M~tM~

qui fut PRAEF.VEHICVL, aprèsavoir été

~?~p?-«e/e<o de la flotte

prétoriennede Ravenne et avant d'être p!'ocMra<o~ c'est-à-dire gouverneur

de lapetite province équestre des ~M~<:c<<Mt<M (Orelli, n. aaa3;

cf. notre Ge'og't'. ~M<. ef a~M. de la Gatt~fo?~ t. I, p. 71, note 3); celle

de Z. Bft<'&tM.<7!<):CMM.!qui fut PR.AEF VEHICVLORVM, après avoir

commandé, en qualité de praefectus, une aile de cavalerie auxiliaire et

avant d'être nommé ~MfK~'ciM ~g'yph, c'est-à-dire assistant du gouverneurou

~<te/ec~!M /lfg'(: (Grùter, p. SyS, n. ). ). Cf. encorel'inscription, ligo-

rienne, il est vrai, mais seulement interpolée, de L. M!<Mt:M~<?m:7MKM.<

(vov.L. Renier, Me7. f/'eyj!g')' p. aa~t). Les praefecti ceAMM/orKm appar-

tiennent toujoursà l'ordre équestre.

Grùter, p. D\ct[, n. 3.

M.. p. \ctt. n. ~).

/f/W.

Page 82: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

E. DESJARDINS.62

toutefois df's textes où ce terme se trouverapproche

des mots

;'c/«cM~. ('«~MS~K~CM~,etc.

Mais ilimporte, pour

lapleine Intelligence du sujet,

de

définir d'abord le termede J~oma, qui

se rencontre lié souvent

aussi à celui de tabellarius. Lapremière

dénnition du mot J:-

~~o??Mdans Forcellini, K LtMcr~e

~H'MM~saut HMg'<Hs, quibus

M~M!~a&Ki' eoHce~Mr, est beaucoup plus

exacte, dans les

termesgénéraux

où elle est ici renfermée, quecelle

quien

forme lecomplément

restrictif KjRtCM~as M~Hf~ :K itinere cMt'~M

~M~!co, oMacet M'echo ~tCt~Mr. Le terme

diploma,sous la

Répu-

blique déjà,a eu des

acceptions très-différentes; ils'applique,

tantôt à unsimple jMs~oW,

tantôt à une lettresignée

des

magistratsde Rome ou des

proconsulset

propréteursde

pro-

vince. donnant assurément degrands privilèges, qui

devaient

se résumer en un mot droit deréquisitions

illimitées~

Sousl'Empire,

ce terme conserva desacceptions

variées:

ds'employait pour désigner

letémoignage

écrit d'une conces-

sionimpériale.

Néron donne undiplôme?'

de droit de cité à

deséphèbes pour

avoir bien dansé lapyrrhique~.

Dans la

confusionqui

suivit la chute de Néron, les consuls donnent

C'est bien le sens qu'it faut lui attribuer dans deux passages de Cicé-

['on dans le premier (~K'Ma., VII, xn), il écrit, l'an 45, àAmpius,

ennemi de César, en butte à despoursuites et ne demandant qu'à quitter

fitaiie en toute sécurité Diploma .;?<:?? Hon est <(Mm. Ilespère pouvoir

l'obtenir de Pansa .peree~eWfe;'se aMa~o'MM diploma. Ci~ cet autre pas-

sage (Epist. ad ~K:e., X, xvu), écrit en Ag, avant laguerre de Pharsale,

à Atticus, qui s'était formalisé de ce que son ami lui avait demandé s'it

avait son diploma fDe diplomate admiraris, quasinescio

cujus te uagitiiinsimularem. Negas enim te reperire qui

mihi id in mentem venerit. Ego

ttutom, quia scripseras te proncisci cogitare (etenim audieram nemini

aliter licere); oo te haberc censebam, et quia pueris diploma sumpseras.

Habes causamopinionis meae. B

Il est bien évident que,dans sa

haranguein Pisonem ( xxxvn), lorsque

Cicéron reproche au g'onverneur de la Macédoine toutes les exactions aux-

quellesit s'est livré et qu'il ajoute M!'Mof&'p/oMa~!of<! Mp~'ot'MMMpaMMK

~< il nepeut s'agir,

comme dans les deux casprécédents,

d'unsimple

passeport, mais bien de toutes lesprérogatives

attachées à l'eMctto, et

quele

passagede Caton, cité

plus haut, nous fait entrevoir ~Moamici

MM ?/M~Ms pccMMMx c<!pcy'Nt<. C'est la même faveur entraînant les mêmes

abus seulement le motdiploma n'est pas employé par Caton.

Suétone. A'cro. ~a: ffDipiomatacivitatis RomanaBobtutit.)! Cf.:W.

t~.5..

Page 83: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES TABELLARM. 63

;'t des Kesclaves publics qui portaient à Galba les décrets du

Sénat, des diplômes revêtus de leurs sceaux, et ces diplômes

parurent sullisants pour queles

magistrats municipauxde

toutes les citésque

traversaient ces courriers missent à leur

disposition des voitures, des chevaux, et facilitassent les relais;

Nymphtdius, le préfetdu

prétoire, s'indigne quece

privi-

lège de signer les diplômeslui ait été ravi'. Il faut recon-

naître cependant que le sens leplus généralement adopté

sousl'Empire

est celui qui entraine les prérogatives les plus

étendues aupoint

de vue du cursuspublicus

et donne droit à

l'evectio, c'est-à-dire droit de disposer des voitures et des che-

vaux. Coenus, ancien affranchi de Néron, trompeles Vitelliens

sur l'issue de la bataille de ~eJn'acMm en leurapportant

la

fausse nouvelle de la victoire d'Othon, et cela dans l'espoir

depouvoir

utiliser les diplomata revêtus du sceau de cet em-

pereur, qui n'avaient plus de valeur du jour de sa chute, et

de se faire transporter rapidementet sans frais Rome~. Il est

probable queles gouverneurs de provinces recevaient de la

chancellerie impériale cesdiplômes

en blanc etqu'ils

les rem-

plissaienten y ajoutant le nom de

l'empereur régnant et leur

propresceau

On sait que Trajan, qui s'estoccupé

deréorganiser

laposte

))npénalc\ f!t, autantqu'il le put, cesser les abus qui résul-

taient de ce droit des gouverneurs deprovince, légats

oupro-

f'onsuls, de délivrer desdiplômes

donnant l'e~c~o.'Pline le

consulte à cet égard et se justifie presqued'avoir usé de ce

privilège, dans saprovince

de Bithynie et de Pont, pour trans-

Ptntarqne, Galba, V!H, 3 Tc5f 3'uTrsTmr ofxsrcts S~oo-ious

'S'pO~StptO'a~~fMf T<X§6-y~MtTCtKO~f~,0!)TŒSTM<MTOKp<XTOptxat T6fXKÂOU-

MSMÏ §fTr/.M~O:T(X0'eo')?~C(0'~fO! §OfTM!~ & ~fmpf~OyTSS oi KCtT<X'STU~.t~

M~OfTSS S!' TCttST&)f O~OXTMf Œ~OtSïtS ë'TnTa~fOUO't T<XS'STpOWOjMretSTM!' ~p6t~C:T!700pMf, Ot3~ETptMSCt'yct~aXT~O'Sf[Nf~~tSiOs], X. T. A.

Tacite, Hist. 11, 5~ n-Causa fingendi fuit ut diplomata Othonis,

quae nee'iig'ebantur, laetiore nuncio revaiescercnt et Coenus, qnidem rapidein Urbem vectus, etc.

M. Cluvius Rufus, gouverneur d'unc des provinces d'Espaa'ne,en 6g, ne sachant lequel des deux partis embrasser, de celui d'Othon ou

<[ece)ni de Vtteiiins, t'dtptomatibns nnHnm principem praescripsisset.

(Tacite, Ii, 65.)Aurel. Victor. /);' C~MM. ~'7y;.7r<M< xm, 5.

Page 84: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

E. DESJARDINS.6~t

mettre à l'Empereur lui-même les dépêches fort urgentes du

roi Sauromates'. Ces diplômes étaient envoyés de Rome et

n'étaient valables que pour un temps; aussi Trajan se faisait-il

un devoir d'expédier les nouveaux bien avant que le délai des

anciens fût expirée C'est en tremblant que Pline confesse au

maître qu'il a pris sur lui de donner un diploma à sa femme,

partie précipitamment pour aller auprès de sa grand-mère, qui

venait de perdre son mari. Avant d'en venir à cet aveu, il a

soin de dire s Usque in hoc tempus, Domine, neque cuiquam

diplomata commodavi, neque in rem ullam, nisi tuam, misi 3.n

C'est une précaution oratoire. Les chefs militaires qui rejoi-

gnaient leur corps ne pouvaient faire usage des chevaux du

CM~MS~M~&cMss'ils n'étaient munis d'un diplôme en quittant

Rome on se rappelle Pertinax, le futur empereur, alors simple

tribun légionnaire, forcé par le légat de Syrie de se rendre à

pied d'Antioche au camp, parce qu'il avait voulu user du

cursus ~M&~cMssans être en règle à cet égard

11 existait un bureau dans la chancellerie impériale pour

l'expédition de ces diplômes, soit que l'Empereur les délivrât

directement, soit qu'il en fît expédier aux gouverneurs de pro-

vinces pour qu'ils pussent les employer, mais on'vient de voir

avec quelle discrétion. Nous trouvons, dans les inscriptions, un

affranchi qui s'intitule a f~fMKa~Ms °.

Nous avons vu que les prestations en nature pour les voi-

tures et les chevaux furent supprimées par Nerva il semble

donc que les frais du cursus publicus dussent être supportés par

Ptine, Epist. X, xtv (éd. de Mommsen, LXtv).M. ibid. X, Lv (Momms. xLVt).

Id. !'&!f/.X, cxx) (Momms. cxx).

Capitoiin, Per<M.r~ i fA praeside Synae, quod sine dipiomati-bus cursum usurpaverat, pedibus ab Antiochia ad tegationem iter facere

coactus est.~ Cf. Modestin. ap. Diffest. XLVIII, x, a?; Ventt!. !'&

XLV, t, 87; Sénèque, De clem. I, x, 3.

Muratori, p. DCOCLXxxv,n° Mo~c (ex Oonio)

T-AELIVS AVG-LIB

SATVR.NINVS S

A DIPLOMATIBVS

SARDONYCHI

ALVMNO

FIDELISSIMO

Page 85: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES TABELLARII. 65

7)

le fisc. Il est à croirecependant que,

sousTrajan,

ils le furent

par les magistrats se rendant dans leurs provinces, puisque

Hadrien les en exempteen

imputantau fisc la

dépensede la

t'e/M'cM~o cette mesure fut renouvelée par Antonin et par

Septime-Sévère~. Ce n'étaientpas

seulement les courriers de

profession, mais aussi. les soldats porteurs des nouvelles du

camp, quiavaient le

diplomaet jouissaient de l'evectio ou du

~M'sMS~M~'CMs. Macrin, après sa défaite, déguisé ensimple

soldat, ayantfait couper sa barbe, se fit

transporter à travers

toute l'Asie Mineure pourse rendre

d'Aegae,en Cilicie, jusqu'au

port voisin de NIcomédie\ A l'époque de Maximin, le service

des relais du cMrsM.!~M~'cMs

était si bien faitque

la nouvelle

de la mort de cet empereur parvint d'Aquiléeà Rome en quatre

jours~.

De cet ensemble de textes il résulte: i"que, des diverses

acceptionsdu terme

diploma,la

plususitée était celle

qui sup-

posait l'evectio, c'est-à-dire le droit de disposerdes voitures et

des chevaux de laposte impériale, soit à l'aide de la réquisi-

tion, cequi

eut lieujusqu'à Nerva, soit aux frais du fisc, ce

qui eut lieu depuis son règne; a" que les dépenses des relais

furent à la charge des porteurs de f/OM:a<<! sousTrajan;

.3"qu'Hadrien

et ses successeurs imputèrent cettedépense

au fisc, quise trouva dès lors avoir a sa

charge l'entretien des

relais et les déboursés courants du service, etqui

dutpour-

voir au transport des personnages officiels, mesure qui paraît

Spartien, /Mr. y rrStatim cursum Bscaiem instituit ne magistra-tus hoc oneregravarentur.~

Tel doit être du moins, selon nous, le sens de la phrase de Capi-tolin (/iM<o)tMKMP<M.~la): ~Vehicuiarium cursnm summa ditigentiasuHevavit.

Spartien, Sept. Sev. </) r.-Quum se vellet commendare hominibus,

vehicutariutn mnnus a priva'tis ad fiscum traduxit." H semblerait, d'aprèsce passage, que les particuliers, et non plus seulement les personnagesofficiels, eussent joui de la faculté d'user, en certains cas, de la vehiculalio,sous Septime-Sévère.

Xiphilin, LXXVIM, 80 efs Af~asT~s KfÂtx;o!SsA~Mf o~);~ctT&)fTeSMTŒS0!X,MS X<X~0'7pCtTf&)T!7STtS TM~ Œy~eAta~~pMf, C&fëTT~O' KCit

StS~Aao'e'StA T)?SK<XT7Tro!SoX(CtS,K. T. A.

5 Capitolin, Duo Maa'MMM', 25: fr.nuntius. tanto impetu, mu-

tatis animaiibus, cucurrit, ut qnarta die Romam veniret."

Page 86: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

E. DESJARMNS.66

.s'être étendue, sous Septime-Sévère, aux particuliers, sans

doute par une extension abusive des concessions de diplôme;

~t"nue les abus attachés au privilège du diplôme sous la Ré-

publique et surtout dans les provinces, abus qui pouvaient

entraîner des réquisitions illimitées en naiurq et en argent,

n'avaient pu exister, comme Fa très-jndicieussmeni. fait ob-

server M. Naudet~, qu'en raison même de l'absence de tout

service régulier; 5° que ces mêmes abus avaient fait place,

lors de la création du nouveau service, sous Auguste, à une

réglementation judicieuse dans l'octroi des diplômes par la

chancellerie impériale et dans la fixation des privMègcs qu'ils'tonnaient aux porteurs: 6° que les concessions de Ncrva. la

sévère administration de Trajan, les libéralités d'Hadrien et

de Scptime-Sévère durent amener une telle complication dans

le service, que l'administration des postes, sous les Antonins,

connée aux prae/ech~MM~Mm et à leurs agents, prit un dé-

veloppement exceptionnel2.Parmi les textes relatifs aux diplomata du CM~~sp:tM:'eK~ il en

est quelques-uns qui associent le privilège attaché aux diplômesà la mention des <a6eH<!rMporteurs de dépêches nous les rappel-lerons à leur date dans le chapitre suivant. Mais ces textes nous

permettent, dès à présent, de comprendre que c'était au di-

plôme lui-même, et non à l'importance de la personne qui en

était pourvue, qu'était attaché le privilège, puisque nous voyons

des anranchis et même des esclaves publics jouir des mêmes

avantages, quant à la fe/Hc~a~'o, que les magistrats et les plus

hauts personnages de l'État.

Deux inscriptions, dont il sera parlé plus bas, nous pré-sentent le nom tabellarii associé au terme Jt~OMM; il est pro-bable que celui de J~onMM'KM, qui figure sur l'un de ces monu-

Op. c:'<.p. 1~0 et suiv.

C'est, en ef!ët, de l'époque des Antonins que sont datdes !B plupartdes inscriptions que nous possédons touchant ce service ceues de Mura-tori (p. Mxxn', n° A), d'Oretti (aaaS), de Gruter (cccmxn],'n°/i); ceHc

de L. MMM:'M~e?M'&aKtM(voy.L. Rcmer, AMj~'e~t'. p. as& et suiv.),relatives aux p~e/ec<t M~'cM&o'MM;celle des auranchis_M. M~H~ CresceiM

et <M.C&M!M&:(t<)'KMMtS,t'un <:&ce/K'cttKs,et l'autre t:_so)KMe)~MM~e/K-

CM~ortfM(Cruter, p. ~cn, n" &); enfin celle du tabularius a vehicillis (id.

p. o\cn, n"3).

Page 87: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES TABELLARII. 67

tm'nts', nes'appliquait qu'aux courriers, et cela se comprend

aisément, puisqueles <aM&M~ de

l'Empereurdevaient être

pourvus en tout temps, c'est-à-dire d'une façon permanente,

(te leur<MoMM~

sans doutepour

se faire reconnaître au mo-

ment où tes dépêchesleur étaient livrées, et pour pouvoir,

au

besoin, requérirta ~/MCM/a<!o; il en résulterait que f~oMMn'M~

nedésignerait pas

indistinctement tous les ~e/~n~ mais ceux-

la seulement qui étaient attachés à laposte officielle, et nous

verrons bientôtqu'il y

en avait d'autres, malgré l'opinionsou-

tenue par M. Mommsen.

Sous le bénéfice des observationsqui précèdent,

il ne nous

resteplus qu'à étudier la question

des tabellarii, dégagéede

tout cequi regarde l'administration générale des postes, les

~N/CMM~<et la t'e/HCM~O.

III

Nous avons vu qu'avant Auguste,il n'existait

pasde service

ofliciel régulier, etque,

sous laRépublique,

il y avait trois

et peut-être quatresortes de tabellarii ou

porteursde

dépêches

et de lettres 1° ceux quiétaient aux ordres des magistrats,

et dont les stations, en Italie du moins, étaientespacées

le

long des grandes voies; 2° les tabellarii desentreprises pu-

bliques, confiées à de riches traitants qui avaient les fermes

de l'Etat, tels que lespublicani

ou conductores del'impôt;

3° les courriers desparticuliers,

véritables domestiques fai-

santpartie

deteur/amt/M,

et ~° peut-être les tabellariipublici

qu'une agence spéciale Jouait aux particuliers pourun

temps

ou simplement pourun voyage,

Quant à ceux que l'Etat mettait à la diposition des magis-

trats, soit en Italie, soit dans lesprovinces, ils avaient un

caractère certainement officiel, et c'était pour eux qu'étaient

faites les stationes le long des routes. Ces stationes constituaient

de véritables relais de courriers. C'est dans ce sens qu'il faut

entendre cette phrase du De belloHispanico au

chapitren

t')!?KM/OMe<7MOr/~<e//ar:S'~ ~M! « Ct!. Pomper ~.KMS!<!omnibus locis

Cf. ForceUini, à ce mot. Le seul exemple cité daus son Ze.rMOMest

tiré de cette inscription. Voy. la planche jointe' au présent travail.

5.

Page 88: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

E. DESJARDINS.68

c.~cM~ quicprhore?)t CM.

Po~Me!:(M~de Caesaris

aJ~M~M~cp/t~.Il semble, d'après cela, que ces relais dussent être

perma-nents ils l'étaient certainement en Italie, comme cela ressort

del'inscription

de Fan i3a relative à la~Mj~:?M!. Mais Ia~

disposition de ces stations de tabellarii devait être plutôt tran-

sitoire dans lesprovinces,

en ce qu'elle dépendait des besoins

et était exclusivement soumise aux ordres des proconsuls ou

despropréteurs pourvus

d'un gouvernement provincial.

Examinons d'abord les renseignements fournis par les textes

classiques; nous verrons ensuite ceuxque renferment les do-

cumentsépigraphiques.

§ 1.Lorsque

laposte impériale

fut crééepar Auguste,

le

service des courriers de l'Etat reçut nécessairement un caractère

de nxité et de régularité quiest nettement

marqué parle

pas-

sage déjà cité de Suétone. Il estindubitable, pour

nousque

ces yMtWMesdisposésmodicis HUo'M~s

permilitares vias ne sont

autres que des ~Mar! Les mots qui suivent, fMi'KC M/M'CM/a

disposuit [Augustus], n'impliquent nullementque

les relais de

courriers à pied eussent cessé d'exister, mais cela signifie que

l'onemploya pour

lesdépêches urgentes les voitures et les

chevaux. 11 ne faudrait pas croire non plus queles deux ser-

vices, bienque simultanés, fussent irrévocablement séparés.

Nous pensons,au contraire, que, pour

les cas exceptionnels

et peut-être même pourles

dépêches courantes de la haut 'e

administration, on autorisa les ~:M~K., qui* n'avaient été

jusqu'alors quedes coureurs à

pied, ce~npe~e~ statores (termes

synonymes de ~cHant dansCicéron),

à faire usage de la

oeAtCM~tM, et il est évident quec'est à cette époque

surtout'

qu'ils durent être pourvus, quelques-uns d'entre eux du

moins, d'une façon sans doute exceptionnelle, puis, plus

tard, dénnitive et permanente, d'un (~<MM!à eux concédé

dans cette fin.

Un passagefort curieux de

Xiphilinnous

prouve. que, par

suite d'une tolérance quine

pouvaitavoir un caractère géné-

rai, ces faM&n'K, courriers de l'Etat, sechargeaient

aussi des

correspondances privées. M ressort en effet de ce passage que

Vo\. p)ns haut, p. 59. note ).

Page 89: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES TABELLARII. 69

A'ëron, ayant employé exclusivement les <a~e//an: ypx~otTo-

<popo<, à porter partout la nouvelle de la mort de ses nom-

breuses victimes, ces funèbres messages leur donnèrent tant

d'occupation que letransport

de lacorrespondance privée

demeura pourun

temps suspendu

Le texte de Plutarque citéplus haut 2, et

quiest relatif

auxmessages

adressés par les consuls à Galba, aprèsla mort

de Néron, nous fait voir des esclaves publics, o'xsïcM <~oo-/o<,

convertis, pourla circonstance, en ypa~aT-ofpopot (mot

dont

la traduction en latin par le terme ~c/~nt ne donne lieu à

aucunecontestation), accompagnés d'une escorte militaire et

pourvusde

diplômes exceptionnels,intimant l'ordre aux ma-

gistrats municipaux de faciliterpartout

lapromptitude

des

relais de chevaux et de voitures.

Ce texte donne lieu à plusieurs remarques

1° Ces esclavespublics

ne sontpas

des ~e~rKréguliers:

'2° ils vont eux-mêmes jusqu'à destination; 3° ils ont avec eux

des soldats pour fairerespecter,

non leurpersonne, mais les

diptômessceHés du sceau des consuls, ~7rAM~<xT<xo'so'~<xo-~sy<x;

~° ces soldats devaient êtrepris

nécessairement dans les

cohortes urbaines, quiobéissaient au

~rae/ec<M~ ~j sans

doute d'accord avec les consuls; puisque leBrae/ec~prae~o~o~

Nymphidius,s'irrite

queles

diplômesn'aient

pasété revêtus

(te son sceau à lui, o'(ppo~s, et qu'il n'aitpas

été invité à

fournir l'escorte militaire, o'7pctT<MTOt<.Elle n'était donc pas

composéede soldats pris parmi les cohortes prétoriennes. Sa

colère et son dépit, o~ ~eTp;s ixyfXfou~o-sf, se conçoivent

d'ailleurs, car onpouvait croire qu'il y allait, pour l'auteur

(te la bonne nouvelle, non-seulement de la conservation

d'une hauteposition

et des faveurs du nouvelempereur,

mais

du salut l'événement le montra bien.

Plutarque emploie,dans le récit de la chute d'Othon 3, pour

Xiphiiin(DionCass.), LXIII, 11 AtgTps~o~yap ~pet~aTo~opot,

~Sef Ct~O StŒOfTM !7()Ti T<)fSsiXT!XTe<!)ef,Ô3s T~!));XS~. É~ yàp

S~ TM!)~a<Tt~.H[&)fypcf~i:tT&)f, o6§~f f§t&jT;xof Ste'Tre~'n'sTo. Il est bien

dif!iciie de. considérer tSf&j'nKOfcomme désignant les autres correspon*dances officielles.

Voy. p. 63, note i.

0</<o, n'. i.

Page 90: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

E. DESJARDINS.70

un cas presque semblable, -il s'agit des nouvelles apportées à

cet empereur des progrès de Vitellius, non le mot deypa~fx-

To<?~po<, mais celui deTrrspo~po~ sans doute pour mieux mar-

quer la rapidité du message.Le cas de CoeKws~ –,cet ancien affranchi de Néron qui

utilisa les diplômes périmés d'Othon, pour se faire donner la

fe/KCMMo, n'a rien à faire avec la question des <aM~rH.

Cet exemple prouve seulement que les ~t~onîa~ étaient dé-

livrés à des personnes de toute condition et non pas seulement

à des magistrats et à des porteurs de dépêches.Mais le service public des ~e&~K, organisé le long des

routes pour le transport des messages officiels, n'empêche nul-

lement l'existence simultanée des courriers de~publicains; et,

bien que nous n'ayons aucun texte qui les mentionne, comme

nous en avons de très-nombreux qui nous font connaître les

vastes entreprises des fermiers de l'impôt, il est indubitable

queles conductores avaient, comme sous la. République,

leurs

~e~arM. Quant aux tabellarii des particuliers, les textes abon-

dent pour établir leur existence. Pline a-t-il a envoyer a Spar-

sus, un de ses amis, le manuscrit d'un de ses discours, il attend

qu'il ait trouvé un &~e~:n'MS diligent et sûr~. 11 ne peut s'agir

ici que d'un courrier se chargeant de dépêches particulières,attendu que Pline n'exerçait alors aucune magistrature. C'est

donc sans aucune raison que M. Mommsen croit qu' Kil n'y

eut sans doute jamais sous l'Empire d'autres tabellarii que les

tabellarii ~Mg-Ms~. Bien différent du premier est le &:ManM~

que Pline envoie à Trajan du fond de la province de Bithynie

et de Pont, pour porter les lettres du roL&K(r<M~M;, en

facilitant la rapidité de sa course a l'aide d'un. diplôme 4. Voicidonc un texte qui nous montre le <sM~M'!MS de profession

pourvu du diploma ce/M'cM~&'onM,que n'eurent jamais, bien

entendu, les fa&eKan't des particuliers.Le &:&e~!f!Ms n'était pas toujours un esclave ou un anranchi

Voy. plus haut, p. 63, note a.

Pline, Epist. VIII, m ~Communieattjm'us tecum [ol'auonem] ut pri-n)nm diiigeutem &!M(M'!MNmvenero.M Cf. :M.~ xn.

Nerme.s'j 1866, p. 3~a.

X, X[v (éd. Mommset), xm) t.iGStuiauoncm tabcl-

~<H, quemad te rum epistolis misit. diplomate adjav).

Page 91: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES TABELLARII. 71

c'était souvent aussi un soldat. ~~eHtMs, qui devint consul, puis

préfet de la Ville sous Macrin, avait eu les débuts les plus

humbles II avait passéde

l'emploide

~ecM~oret

d'e~orafor

dans lagarde prétorienne

à celui de <a6eMa?'K< Ils'agit ici

d'un soldat qui, après un certaintemps

de service,. devient

courrier civil, et non d'un soldat transformé, par exception,en

porteurde dépêches et

pourvu,en cette

qualité,d'un diplôme

de~e/MCM~a&o, comme nous avons vu quecela se pratiquait pré-

cisément à la mêmeépoque; témoin l'exemple de Macrin lui-

même 2 il est vraique Xiphilln emploie, dans ce passage. le

terme <xyys~t<x<popos et non celui de ~pK~o!To<popo?.

Ces renseignements tirés des textes classiques vont se trouver

complétéset éclaircis

parle

témoignagedes

inscriptions.

§ 2.– Les monuments épigraphiques nous font connaitre

une certaine hiérarchie et nous révèlent l'existence d'une admi-

nistration régulière dans le service des courriers. Outre ceux de

ces monumentsqui

concernent lessimples

~e~M civils et les

~M~M'ca~t'eH~ affranchis ou esclaves, pourles

dépêches

de l'Empereur ou de l'Etat et pour les grandes administrations

publiques (<<T~e~<!fMex

o~cto aHKOKae, par exemple),nous avons

des chefs du bureau ou de la station des courriers (~?'aepos!<ï

/a&eMar!'orM!K, ~rae~o~tabellariorum s~'OMt's vigesimae AereJ~a-

~Mm)et un adjudant, ce qui prouve que

les courriers étaient

embrigadés et militairement enrégimentés, comme nosagents

Inférieurs des postes, des télégraphes et des chemins de fer;

nous connaissons en effet unoptio ~M/anorMm~a~Mom!,

K ad-

judant des courriers du domaine privé et héréditaire des em-

pereurs.»

Pour commencer parles

simples <a/'e//arK,, il nous sera per-

mis de dire, à notre tour, un mot de la fameuse plaquede

bronze en forme de miroir, c'est-à-dire pourvued'un ficbet

(voy.la

planche), quiest

aujourd'huiconservée au Musée na-

tional deNaples. Ce précieux monument provient de Rome3;

Xiphilin (Dion Cass.), LXXVIH, i~ sf TOts 3i<)w7etfsTs

JtCftSpeM~/TStS ~S~<C!'<?opop~KOTCt,XNt T~f Sf OtUTOtSTCt~ff ~.S~.O<Tr<)T6t,

M Te Tous 'ypcf~ŒTO~'opou? Te~o'ow'ro!

Vny. plus ha).))., p. 65, Hôte A.

Voy. Muratot'i, p. ~xv, n" i 'r~o~Mp. ;M<6~./o/t. ,/oM/)/<~aM~

Page 92: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

E. DESJARDINS.7l!

il a été gravé dans l'ouvrage de Gasp. Aloïs. Oderici e 5. 1

et souvent publié depuis tors~, sans avoir jamais été, selon

nous, bien compris. Cette plaque de bronze, gravée des deux

côtés, porte les deux inscriptions suivantes, qui n'ont évidem-

ment aucun rapport entre eUes

1

THOANTIS

TI-CAESAIUS

AVGDISPENSATOKI

5 ABTOR.IS

à

DESTATIONE

CAESAR.IS-AVG

TABELLAIUS

5 DIPLOMARI

DISCEDE

Il importe, avant tout, de remarquer que la forme des carac-

tères et l'ornementation qui décore ces deux faces sont très-

différentes et' ne semblent pas dues à la même main; nous

ajouterons même que les a (A, À) et les m()~) de la seconde

ne peuvent appartenir au i" siècle et difficilement même au

n°, étant plutôt caractéristiques du ni' S'il est impossible de

méconnaître le nom de l'empereur Tibère dans la première,Ti. Caesaris ~(~-Msh), II est certain pour nous, au contraire,

que les noms Caesaris ~Mg~MS~)de la seconde désignent sim-

plement un empereur quelconque,et doivent se traduire par

ces mots cde l'Empereur 3. M La première doit se lire et se

traduire ainsi ~(O~MMM ou statio) Ty~MK&'s~(servi) ?~'et':t)Caesaris ~Mg'Mh, ~e?Ma<of!'(s) ab tons. (OSicIne ou bureau)de Thoas, esclave de l'empereur Tibère, préposé au service des

lits de table". C'était donc l'indication ou l'enseigne placéesur la porte d'une espèce d'office, près des salles de festin,

dans le palais de l'empereur Tibère, à Rome.

L'autre inscription, gravée au revers, doit se lire: tt Des~s-

MKM.Cette copie est inexacte et porte TOBISpourTOR.IS la S~ligaode ta première inscription.

Di'MN'~fMKMet C~tOMMMMHt aK~MOtH:C(K&tveler. M:~C)' t. IV.

Muratori, loc. cit.; MorceHi, De ~!7o M~c?'.& I, p. ~tai (inexac-te)nent);'0re!)i, a~iy; Mommsen, N., p. 3g5, n° 6ao3 (cf. ?*)'-me. 1866. p. 343-3&~t); Forcellini, a~~oc. T~BE~~fMj etc.

Cette observation nous a été suggérée par un de nos auditeurs de

seconde année, M. René de la Blanchère.

Ton; est le coussiu sur lequel s'appuyaient les convives, et, pat'extension. tout le mobitier de la table des repas.

Page 93: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule
Page 94: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule
Page 95: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES TABELLARIl. 73

<M)KeCaesaris ~4«g'(M~<<)~a~e~n') ~omar!(~) f&cef/e;" et elle

ne peut exprimer qu'une invitation adressée aux gens de ser-

vice ou auxpassants

KEloignez-vous du bureau réservé aux

courrierspourvus

dudiplôme (de la

poste)de l'Empereur.

Iiparaît

bien difficile d'admettre quecette

plaqueait

puêtre

employée simultanément pour deux fins si différentes et ait

séparé deux services dont lacontiguïté

ne serait guère com-

préhensibleil eût été, d'ailleurs, matériellement

impossible

que la seconde inscription, dont le but est évidemment de

débarrasser les abords du bureau des courriersimpériaux afin

queleur arrivée et leur

départne rencontrassent aucun ob-

stacle et ne souffrissent aucun retard, eut été placée de telle

sorteque

l'autre faceindiquât

l'accès de l'office de table. Si l'on

ajouteà ces considérations l'époque beaucoup plus

basse des

caractères employés dans la secondeinscription,

on conviendra

sanspeine,

avec nous, que cette plaquede bronze a servi à

deux usages très-dmerents et à deux époques distinctes; en

d'autres termes, qu'ona utilisé une ancienne

plaque,en la

retournant pour y inscrire un a~ au public, à l'entrée du

bureau des courriers, près de laporte

dupalais

d'unempereur

quelconque,au if ou au nr'siècle.

L'appendiceen fichet dont

cetteplaque

étaitpourvue

lui assignait un usage restreint

quia dû la faire conserver et la destiner

spécialementà être

fichée au-dessus d'une barrière de bois. On a dû cacher le

reversportant l'ancienne

inscriptionà l'aide d'une étoffe ou

d'un montant de bois. Quant à l'invitation adressée aupassant

de débarrasser l'accès du bureau, nous en avons d'autres

exemples non moins curieux. M. Léon Renier possède, dans

son cabinet, à la Sorbonne, une petite plaque de bronze qu'il

prend lui-mêmeplaisir,

enappuyant,

non sansquelque

malice, sur la dernière ligne, a expliquer aux importuns

qui t'assiègent trop souvent; aussi a-t-il eu soin lui-même de

la clouer sur saporte

FL XYST /'Y(~:M) .~(M)EX- P' P' LE ET ex ~(r:'M!)jt)(:7sn'&!M).Ze(g'<?)el

RECEDE recede.

'r Ici Flavius Xystus, des primipilaires Lis et va-t'en. Pour

(~ettcit)scri))tiou, qui provient; de Lantbèse.Hvef ses ~reviations. in))-

Page 96: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

E. DESJARDIMS.7&

en revenir à la tablette de bronze du bureau des courriers, on

remarquera que les <<!&eMarMy sont qualifiés. de ~~omar!~ ce

qui prouve bien que l'usage s'était établi de pourvoir les tabel-

/srM d'un diplôme. Or, si ces courriers n'eussent_été que des

celeripedes, ou coureurs à pied, on ne comprendrait pas tout

d'abord la nécessité de les munir d'un diplôme dont la seule

utilité semble avoir été la prérogative de la !!e/KCM~t!'ogratuite.tt est cependant probable que les courriers à pied étaient

aussi porteurs de diplômes. C'est ce que semble prouver l'ins-

cription de Vitalis, récemment découverte dans le voisinagede Tunis, et dont Sidi-Mohamed, fils de Mustapha-el-Khasna-

dar, et neveu de l'ancien bey Achmet, a adressé l'estampageà l'Académie des inscriptions. M. Léon Renier, en la commu-

niquant à cette compagnie, à la séance du a 3 février 1866, en

a donné la lecture et l'explication, avec la merveilleuse clarté et

le savoir pénétrant qu'on lui connaît'. Nous demandons cepen-dant la permission d'en reproduire le texte ici

FL. ANTIGONAVITALIS. AVG. N.

D. M. S TABELLARIVS

VIVIT- ET- CONVIVATVR VIVIT ET CONVIVAT

DVM SVM VITALIS ET VIVO EGO- FECI- SEPVL CR.HVM~c).

ADOVE MEOS VERSVS DVM TRANSSEO PERLEGO ET- ]PSE- (~e).

DIPLOMA- CIR.CAVI TOTAM REGIONE. PEDESTR.EM-c).

ET CANIBVS PRENDI LEPORES ET DENI QyE VVLPIS.

POSTEA POTIONIS CALICES PER.DVXI- LIBENTER.-

MVLTA IVVENTVTIS FECI QVIA SVM MORITVRVS-

QVISQVE SAPIS IVVENIS-VIVOTIBI-PONESEPVLCRHVM(~'c)-

M. L. Renier a fait sur lessept lignes

ou versqu'on

vient

de lire toutes les observationsqu'ils peuvent suggérer;

nous

nous arrêterons seulement aux mots Vitalis,/lMj(MS~ K~os~i)

~e~<!?'!KS.qui

nousparaissent désigner

«un esclave de l'Em-

sit.ces a la bonneépoque, révèle, en outre, sa basse origine (dmv" siede)

aussi bien parla forme des lettres que par l'existence du service des

pn'MM/M~ devenus des espèces de sous-intendants chargés do &urnir le

blé aux troupes.

CoMpte~ !'eM<~Msde Mcnf~wie f&'&inscriptions et &cH<'s-&'Mt'M, i8C6.

nouv. sprip. t. H.p. ~y-5t.

Page 97: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES TABELLAM. 75

percur qui est courrier, et non « un courrier del'Empereur

quiest esclave. La nuance a

quelque importanceici. Le mo-

nument a été trouvé prèsde Carthage; et il semble que ce

Vitalis ait exercé son métier ou rempli son service de ~eMartMs

en Afrique. D'où il résulte qu'iln'aurait

pasété du nombre de

ces courriers dont le bureau était auxportes

dupalais impé-

rial, à Rome. Onpeut concevoir, en effet, que l'Empereur

ait eu, dans les provinces,des esclaves pourvus

d'unemploi

dans laposte

officielle et qui étaient destinés à voyager toujours

dans le mêmepays,

les courriers de toutl'Empire étant

défrayés par le fisc. Mais l'intérêtprincipal

de cetteinscrip-

tion est dans le troisième vers

Diploma circavi totam regione pedestrem,

queM. Renier traduit « J'ai parcouru, en portant des diplômes,

toutes les contrées où l'onpeut

aller àpied.

HM.Wilmanns~ af-

firme qu'on lit sur la pierre DIPIOMA'CIR.CAVI- et il lit en

un seul mot, en rectifiant le texte J~oMMtCM'caM;, lecture que

nouscroyons préférable

à cellequi, par

la division de ce texte en

deux mots, obligeà sous-entendre, comme le

proposeM. Re-

nier, ferensavant diploma. En tout cas, nous croyons, d'après les

analogies et les observations exposées plus haut, que f~/oMM:

circavi, qu'onen fasse deux mots ou un seul, ne saurait signi-

fier que Vitalis Kportait

desdiplômes;

mais bienqu'il K voya-

geaitmuni d'un

diplômece qui lui aurait donné, d'après

ce quia été dit

précédemment,le droit, en certaines occasions,

de requérir la ~e/M'c'M~o; ce serait, en tout cas, une expression

équivalente à celle de ta&e~arîMsc~N/oM!ar<Ms

del'inscription

de

Naples. Mais, d'autre part,la fin du même vers, totam

reg'tOMe

pef/es~cM~,semble faire entendre que

Vitalisvoyageait toujours

àpied

il faudrait croire, en ce cas, quele

diplômeavait

une autre utilité, et que, pour les tabellarii coureurs à pied

qui en étaient porteurs,elle-leur donnait le caractère ouicie!

qui permettait de leur confier lesdépêches,

les faisait recon-

RMWp~t MMC)'./< H" 58().M. [ienier a parfaitement établi, à t'aide d'exemptes, que la suppres-

sion de Fw dans rM'iOMc, pn)))' )'iMieM~ était tolérée dans la poésiefacite de cette époque.

Page 98: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

E. DESJARDINS.76

naître etrespecter partout, et leur

communiquait peut-êtreaussi certains avantages matériels, ce

quin'aurait

pas exclu,

bien entendu, le droitexceptionnel

à la ce~MM~o pour les

messages urgents. C'est dans ce sensque

M. Mommsen l'en-

tend le fh~oma, dit ce savant, K étant une lettre ouverte

adressée auxemployés de la

poste qui se trouvent sur lepar-

cours, pourattester le droit du

porteur àemployer la poste

impérialeet pour déterminer les limites de ce droit ce serait

uneespèce de~M'maM de voyage'.

nLe &{ccess!M qui figure dans une autre

inscriptionde

Naples2

était un esclave des deuxempereurs alors régnants, ayant

l'emploide <<~e~arM<s.

Si les textes nous ont fait connaître des tabellarii afirancbis

ou anciens soldats prétoriens, il faut avouerque les inscrip-

tions, ainsique

l'aremarqué

M. Mommsen, nous lespré-

sententpresque toujours

comme des esclaves. Seulement le

savant épigraphiste de Berlin, en généralisant son observation,

a perdu de vue lespassages

des auteursque

nous avonsrap-

portés plushaut.

Nous trouvons dans le célèbre calendrier d'Antium, fait à

l'usage d'un collège d'esclaves ou d'a8'ranchis, un certain

Princeps, qui était ~e~a~M~; ce nompropre, employé seul,

sansprénom

et sans eojnoMCH;, se rapporte évidemment à un

esclave. ~es<Ms, ~M/N~Ks exo~'cM am~oHae~ K courrier du ser-

Het'wcs, t866, p. 3~t3.

Motnmsen. 1. R. ~V. 63g5 (~e.!C!&:<)

-D-M'

SVCCESSVS AVqVSTO

R.VM TABELLARIVS AN"

-XXXV'o A

PEDISECVS -e- INIE BITE

SVA&-

M. Mommsen iit ~e/m:c<!M M: die t'!<f!e ~iMe (?). Le mot pc<~ec!M, pour

~e~MiM, signifie K valet de pied" et doit être rapproché de r~xpres-

siox qui figureau n° 6335 d'Oretti-Heuzen == 1356 de WiJmanus,

dans fequetnous

voyonsun certain E~e/M' CAES'N S(C<!MS~'M

Mo~r!) -PEDISEQVS 1 ST A TIONI. CASSTRESE.

UrfHi-Ht~uxen. 6~5.

Page 99: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES TABELLARII. 77

vice de l'annone, )) est aussi un esclave de l'Empereur~. I) en est

de mêmepour

cet esclave de Domitien, le <a6e~nMs Placidus,

qui élève un monument à sa femme, laquelleétait une affran-

chie de la famille y<fr!a &~Mrn!Hr<

Mais, de mêmeque

nous avons vu ~f~eKhM~ passerde

l'emploi militaire de.~ecM~~or

à celui de tabellarius, de même

voyons-nousla fonction, sans doute

plus relevée, de ~eMsn'Ms

castreM~, courrier des dépêches militaires, Mremplie, non plus

parun esclave, mais

parun affranchi de

l'empereurClaudel

Fabretti, 7!Mo'. f:H< p. ~97, n. 2; cf. Wilmanns, n. i36/t

D M

FLAVIAE

COMINIAE

VIX ANN XVIII M VI D XX

FESTVS-CAES-N

TABELLARIVS

EX'OFFICIO

ANNONAES

CONIVGI

Lf mot coMM~ n'exclut nullement la condition servijf du mari

'Ore!)i-Henzen, 6358 (cornac):

DIS MANIBVS

TVRIAE'SATVR-NINAE

SORANAE

LIBERTAE FECIT

PLACIDVS

IMP'DOMITIANI-AVG

TABELLARIVS

CONlVGI'OPT!MAE

ET'PIENT!SS!MAE

Voy.ptus)iaut,p. 7 1, note j.

Orfiii, ~a~t<); Mommsen, 7./?. Witmanns, i35y (!<!<?)

T~ CLAVDIVS

AVG-LIB

PHILAR.GVR.VS TABELLAR

CASTRENSIS- SIBI ET

DOMITAE-PHILARGYRIDI (.<;c)

ET TI CLAVDIO IANVARJO

FiLlS'SViS'ET

CLAVD!AE PiTHVSAE LIB SVAE

ET-SVIS

POSTER.ISQVE EORVM.

Page 100: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

Ë. DESJARDINS.78

Ces courriers descamps

devaient tenir unrang~ supérieur

a

celui des <a&e~afH civils, et uneposition

intermédiaire entr<*

ces derniers et lesaraeDos:& <~e~<H':orMM!, chefs du bureau ou

de la station des courriers ordinaires. Nous voyons, en effet,

un de cesK préposés porter,

autemps

de Commode, le nom

de M.M~'Ms M<MH't?tM~ ce

qui indique que,s'il

y avait eu

affranchissement, il remontait autemps

deTrajan~.

C'est un

simple auranchi, ~Mre~'as Alexander, quenous trouvons

pourvudu même

emploide

praepositus&:6eH<a'KH'MM:

pourle

servicespécial

desdépêches

dela Mg~'ma Acre~'MM~ c'est-à-

dire del'enregistrement

et de laperception

del'impôt

du

vingtièmesur les

héritages~.La teneur de

l'inscription qui

Ore))i. 1 g18 (F/orm~Me). C'est un autel à M~fO!

SOLI INVICTO MITRE

M-VLP-MAXIMVS- PRAE

POSITVS TABELLARI

ORVM AR.AM CVM

SVIS OR.NAMENTIS

ET BELA DOM!NI JNStGNIA HABENTES

N-'m!

VT VOVER.AT- D- D

Be&t sont des têtes de bélier sculptées; ~omMtM. c'est M~Mj le bélier

lui étant consacré; habentes estpour

/M&eKf:&Ms; ~dfsm c!tm suis of)M<-

MMfM, t?< bela, ~o?~M: M~/o'se MM~KM Aa&e)t<&MS, numero ~MaMMor, ul

'off)'a< ~OKO<M<, on p!ut6t dedicavit, et la dédicace fait suite

ARA-POSiTA ASSTANTE SACERDOTE SEX (sic)CR.VSINA SECVNDO VT VOVERANT MAXIMVS

ET'MAXIMtNVS-FIL!- JMP-COMMODO'AVG-

PIO-FEUCE-'nn'-ET-VICTORtNO'!I-COS (t83).

C'est donc lepère, M. M~MMM<M'H?KM, le ~rsepoM~M faMa!o)'MM~ qui

f!eva faute) à Mithra, pour acquitter le vœu de ses deux fils, et la dédi-

cace en fut Faite, en i83, avec t'assistance du prêtre Sext. Grusina Se-

cundus.

° 0)'e))i-Henzen, n. 6568 (greniers du Vatican)

D MM AVR AVG L!B ALEXANDER

P-P-TABELL-ST'XX-HER-FEC-DONA

TO FILIO DVLCISSIMO ET S!BI

ET SVIS ET CLAVDIAE MACA

RIAE CONIVG! SANCTJSSIMAE

ET-UBERT-UBERT-POSTER- EORVM

La troisième ligne doit se !irf ~(r<:e)N(oM<!<s) <aM/(srMr:<m) s~(a<M)Hs)

t'ia'M;mne /<f'r(MH<<!<iKm). etc.

Page 101: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES TABELLAMi. 79

nous fait connaître cepersonnage

et sonemploi

nepermet

pas de clouter qu'i! y eût des ~e~M' spéciaux pourle service

de la Mjes<MM AcreJ~h'M/K; et que, sans avoir des bureaux

particuliers,ils fussent attachés au bureau ou statio de la

perception de cet impôt. Il devait en être de même des autres

services des contributions, comme la douane oùoM~rog'e~Mm

6'aH?a?'M?K,/ihM!e, etc.; comme l'impôt sur les affranchissements,

Mg'MMM ~erMM, etc. Mais quand les impôts étaient affermés,

il est évident queles ~M/af: devenaient, comme sous la

République,les

<aM~!?'M'pM~c<!HorMm,des courriers au ser-

vice des concluctores ou fermiers, c'est-à-dire au service d'une

entreprise privée, qui avait, il est vrai, traité avec le fisc im-

périal,mais

quin'en devait

pasmoins avoir à sa

chargeles

frais de sacorrespondance

et de ses courriers.

Nous rencontrons enfin un grade au moinségal

à celui du

Braf~o~MS ~M/anorMn~ sinon plus élevé c'est celui de Kl'optio

(adjudant)des ta~/am du bureau des redevances du Patri-

moine, Mc'est-à-dire de cette partie du domaine que l'Empereur

tenait de sa famille et qu'il possédait avant son avènement à

l'empire1. Cet

emploiest confié à un affranchi de la famille

~to'e/M~ et le monument, jusqu'à ce jour unique, qui nous le

fait connaître, nous révèle l'existence de <a&e~ni spéciaux

Orelli-Henzen, 635g;cf'.Witmanns, ~353 ( trouvée sur la via Appia);cf. ~MM/<AMh'< i85a, p. 311

HOC CEPOTAPHIVM AV)'

INACHI AVG LIB OPTIOtt

TABELL ARIORVM CTAt (.s'tc)

PATMMON 'E AVRELIAE

MACARIAN ET!C' ET

AVR.EUAE RODOGYNE

ET LIB -,B LIBER.TABVs

Q~VAE POCTER.tCQ~ (s!e)

EORVM'

On rencontre, dans cette inscription,des s

figurés parle C lunaire

des Grecs; lespoints séparatifs y

sont malplacés;

elle doit se lire Hoc

c<?~o~/i:M?K ~M~'(e/M)] /Kac~ ~Mg'(~f:') lib(erti), opho~)] ~&e//(sn'o-

rum) ~f<(MMM)] P<:<nM!0):(M'), e< ~4!<re&se Afc!c<!fM?te< e< ~Mre&ae Rodo-

g')M(f~),e< Me)'<M

/!&e?'~&:<~]~M[e~ po.<efM<~[!{e]eor~tM.

Cepo<f<p/KMmn'est

pas synonymede M!:o<ap/tM<M il

désigne,non une sépulture vide,

c'est-a-dirc nnfrcënotaphe'), mais un tombeau entouré d'un jardin.

Page 102: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

E. DESJARDINS.80

pour leservice des domaines de l'Empereur et attachés, comme

ceux de !avigesinza.,

au bureauparticulier

de laperception

et

de l'administration du patrimoine personneldu

prince.

En résumant l'ensemble des données fournies par les textes

et les documents épigraphiquessous

l'Empire, depuis Auguste

jusqu'à DIoclétien,–car telle est la limite chronologique que

nous avons voulu assigner à cette étude nous dironspour

conclure i"quele service des tabellarii, courriers porteurs

de dépêches, reçut, de l'organisationdes

postes impériales

sous Auguste,une réglementation t1xe qu'il n'avait pas aupa-

ravant a°qu'ils

avaient des stationes ou bureaux, véritables

relais sur toutes les routes militaires; 3°qu'ils

n'étaient établis

que pourles

dépêches ouicielles, etque

les frais nécessites par

unpareil

service étaient supportés parle fisc; A" que

ce n'était

que parsuite d'une tolérance exceptionnelle qu'ils pouvaient

se charger de dépêches privées;5°

queles {aM&H de l'Em-

pereurou de l'Etat se distinguaient en diverses catégories,

selon les différents départementsadministratifs domaine,

enregistrement, annone, etc., ce qui n'empêchaitnullement

les entreprisesdes fermes de

l'impôt,ni même les. simples par-

ticuliers, d'entretenir des courriers à leurs frais.; 6°que

des

courriers exceptionnels,militaires ou civils, ingénus, aSran-

chis ou esclaves, pouvaientêtre envoyés, chargés de messages

extraordinaires eturgents,

etqu'ils jouissaient des mêmes pré-

rogatives que les ~a&e~arK de profession, en vertu d'un diploma

qui leur était délivré à titreprovisoire

etpour

une durée

limitée: y° que les tabellarii impériaux furent pourvus de ce

(Motna. mais à titrepermanent,

et que le diploma leur donnait

le droit de requérirla M'/MCM/a~o et les jumenta dans les relais

de laposte

aux chevaux, pour activer lestransports

de certains

messages urgents; 8° que ces diplomata devinrent, par la suite,

Pour i'époque suivante, on peut consulter le mémoire de M. Naudet

sur les Postes romaines, mémoire auquel nous avons en déjà l'occasion

t)c renvoyé)' souvent, non que l'on y trouve des renseignements spé-ciaux sur les &tM<H'M, l'auteur s'étant occupé, dans le cadre plus )arge

qu'i) avait choisi, de l'ensemble du service de la poste; mais les espritsfurieux estimeront sans doute que ces deux questions, dont t'une est em-

hrassRp par t'autre. peuvent être considérées comme inséparabies.

Page 103: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES TABELLARII. 81

t!

unsigne

de reconnaissance et comme lamarque

distinctive de

l'emploides tabellarii de

l'Empereur,soit qu'ils fissent usage

de la t'e/KCM~o~ soit qu'ilsfissent leur service à

pied;si bien

que le terme diplomarii leur fut appliqué comme complément

de celui de tabellarii; 9° queles tabellarii de la poste impériale

étaient, d'ordinaire, des esclaves de l'Empereur, sauf toutefois

les ~eMarMeas<reKMs, porteurs de dépêches militaires, qui ap-

partenaientd'ordinaire à la classe des affranchis ou même à

celle des ingénus, étant souvent des soldats ou d'anciens sol-

dats i o° queles

~raepos~t tabellariorum, ou chefs des bureaux

de courriers, étaient naturellement d'un ordre plus élevéque

lessimples courriers, et

qu'ils étaient pris,en

conséquence,

dans la classe des liberti ou des libertini, ainsique

leso~h'OHM

ouadjudants

des courriers.

Page 104: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule
Page 105: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

6.

LÉGENDE D'ALEXANDRE

CHEZ LES PARSES,

PAR JAMES DARMESTETER.

Il ya deux Alexandre, celui de l'histoire et celui de la lé-

gende.Celui-ci est le seul qu'ait connu l'Europe du moyen

âge, et le seul quel'Orient ait

jamaisconnu. De son vivant

déjà,la légende avait commence elle s'était formée, au fur et

à mesure de ses courses et de ses conquêtes, dans l'imagina-

tion ébranlée de ses soldats. Alexandre avait voulu être dieu,

il l'était non, il est vrai, comme il l'avait rêvé, fils deJupi-

ter Hammon, conçu des embrassements duserpent mythique;

homme parsa naissance, homme

parsa mort, mais au-dessus

de l'hommepar

sa vie.

Souvenirs historiques, agrandiset déformés, fables et

contes flottant dans l'imagination orientale et recueillis au

passage par l'imagination grecque, quiles fixait sur le nom de

son héros, tous ces éléments vinrent se combiner dans le

Pseudo-Callisthène, sous la main des rhéteurs d'Alexandrie.

Ces contes, traduits, abrégés, paraphrasés en vingt langues,

allèrent, durant, des siècles, émerveiller lespeuples d'Europe

et d'Asie, d'Ecosse en Arménie, d'Espagne en Syrie, du ma-

noir féodal du baron français à la tente du nomade arabe.

Héros populaireen

Europeet en Orient, Alexandre fut et

il est, en Perse, un héros national.L'orgueil iranien refusa-de

voir unconquérant

dans sonvainqueur

et fit couler dans ses

veines le sang royal des Kéanides. Le Pseudo-Callisthène avait

montré la voie rédigé en Egypte, dans la cité d'Alexandre,

il avait fait du héros macédonien l'héritier des souverains

d'Egypte,le fils du roi magicien Nectanebus. Alexandre de-

vint, en Perse, !p fils de Dârâb, roi des rois. Dârâb, vainqueur

LA

Page 106: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

JAMES DARMESTETER.8&

du roi de Rourn, Filiqos, lui avait imposé tril)ut et reçu sa

fille en mariage; il la renvoya le lendemain de ses noces,

mais elle était enceinte, et mit au jour un fils, qui fut élevé

comme fils de Filiqos jusqu'au moment ou il fut en âge de

revendiquer ses droits d'héritier contre un frère putné, né

d'une autre femme, Dârâ (le Darius de l'histoire). La victoire

d'ïskander n'est donc point l'écrasement d'Iran par Roum,

c'est le passage d'Iran d'un maître légitime à un autre non

moins légitime ce n'est point un Roumi qui usurpe le trône 0

de Djemshid, c'est un Kéanide qui succède à un Kéanide

tt Hier au soir, dit l'Iskander de Firdousi, quand il rencontre

Dârâ mourant, hier au soir quand des vieillards m'ont apprisla chose, mon cœur s'est gonné de sang et mes lèvres de

plaintes. Nous sommes d'un'e même branche, d'une même

souche, nés dans la même pourpre pourquoi par ambition

détruire notre race~N Une bénédiction s'élève de la terre

d'Iran quand il monte sur le trône, car ses paroles sont toutes

de justice: il la fait régner sur toute la face dejfunivers, et le

désert se peuple et se féconde.

Les chroniqueurs lui donnent le second rang entre les

grands hommes de la Perse, entre les dix héros qu'on cé-

lèbre comme les phénix de leurs siècles, et comme des hommes

incomparables.); Fils de Dârâb, fils de Bahman, c'était «un

grand roi, sage et savant, possédant la science des vertus~

des simples. Il avait été disciple d'Aristote, qu'il fit son con-

seiller d'État, de qui il tint les principes, et à qui il fit écrire

l'histoire naturelle dans toutes ses parties. Il se rendit maître

de la Grèce, de la Chine, de la Tartarie et des Indes 2. nCette tradition nationale n'est pourtant pas spontanée.

M. Spiegel a montré que la légende d'Alexandre, telle qu'elle

paraît en Perse, est d'origine étrangère et n'a rien de com-

mun avec l'épopée purement iranienne Il sumt de lire le

ZtM-cdes Rois, éd. MoM, V, p. 88, v. 3/ta.

Chardin, Foya~-M,d'après une chronique inédite (~d.Lenglès, VU!,

at6).3Nousn'avons pu nous procurer le premier ouvrage de M. Spiegel

sur la tégende d'Alexandre (Leipzig, i85i); mais il a repris le sujetdans ses Antiquités iraniennes, '!l, 582 (Leipzig, i8y3); c'est à ce der-nier ouvrage que nous renvoyons.

Page 107: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LA LÉGENDE D'ALEXANDRE. 85

récit de Firdousi, en faisant abstraction des épisodes musul-

mans, pour y reconnaître un écho fidèle du Pseudo-CalIis-

thène. On a d'ailleurs le témoignage direct de la plus estimée

des chroniques persanes,le

.~o~MM7-M<-yeHMt'!AA.« Les phi-

losophes grecs ontbeaucoup

de traditions sur la sagesse, les

discours et le tombeau d'Alexandre; elles ont été traduites

en arabe, et Firdousi en a mis unepartie

en vers Donc

dans cettepartie

de son œuvre, Firdousi ne suitpas

ses sources

ordinaires, les balladespopulaires,

les contes des Dih-kans,

les récits du Livre des Souverains ce ne sont pas des voix

iraniennes dont ils nous fait entendre, comme dans le reste

de son livre, le lointain écho.

Cependant,tout en reconnaissant

quela légende persane,

sous sa formeclassique,

est étrangère et non nationale, peut-

être faut-il admettre qu'à tout le moins le nom du héros s'était

maintenu vivant dans la pensée populaire,de sorte

quele

jour où les récits grecs s'introduisirent en Iran, ils éveillaient

des souvenirs lointains, maispuissants

la Perse aurait-elle pu

reconnaître en lui un héros national, si elle l'avait oublié tout

entier et avait dû rapprendre son histoire à une source étran-

gère ? Une croyance nationale ne s'importe pas du dehors et

doit avoir germé dans le sol même où elle croît; n'est-ce pas

parce quela Perse se

rappelait Alexandre, parce qu'elle l'avait

admiré et aimé, qu'elleaccueillit avec tant d'enthousiasme les

récits du dehors qui parlaient de sagloire? N'est-ce pas parce

qu'ellen'avait jamais séparé

son nom de sapropre

histoire

qu'elle put les rattacher si étroitement l'un à l'autre dans la

suite? Cette continuité de la légende, ou du moins du souvenir,

il estimpossible de l'établir directement, il est impossible de

prouver que le nom d'Alexandre était resté un nom populaire,en Perse à travers les douze siècles de révolutions

politiques

et religieuses qui séparentsa mort de l'instant où la légende'

s'offre à nouspour la première fois et

déjàformée de toutes

pièces. Mais il est une branche de la famille Iranienne, de-

puis longtemps séparéede la famille, qui

a conservé un sou-

venir direct, semble-t-il, duconquérant ce sont les Guèbres

ou Parsis. c'est-à-dire les derniersreprésentants

de lareligion.

J. Moh[, Z,n)/'e~M~o!~ préface, xux, n.

Page 108: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

JAMES DARMESTETER.86

qui régnait en Perse quand parut Alexandre. Ce souvenir rap-

pelle bien peu celui qu'il a laissé en Iran le héros admiré

là-bas est à Bombay un tyran exécré et maudit. Mais cette

différence même semble un indice que nous avons là une

source Indépendante, et il importe de la remonter aussi loin

qu'il sera possible.

II

«Je n'ai rien trouvé de plus sensé dans les enseignementsdes Guèbres, écrit Chardin, que le mal qu'ils disent d'Alexandre

le Grand. Au lieu de l'admirer et de révérer son nom, comme

font tant d'autres peuples, ils le méprisent, le détestent et le

maudissent, le regardant comme un pirate, comme un bri-

gand, comme un homme sans justice et sans cervelle, né pourtroubler l'ordre du monde et détruire une partie du genrehumain. Ils se disent à l'oreille la même chose de Mahammed,

et ils les mettent tous deux à la tête des méchants princesl'un pour avoir été lui-même l'instrument de tant de malheurs,

comme sont l'incendie, le meurtre, le viol et le sacrilège;l'autre pour avoir été la cause, l'occasion. Ils connaissent assez

que leur perte vient de ces deux usurpateurs, Alexandre et

Mahammed; en quoi ils ne se trompent pas 1. o

Le Père Gabriel de Chinon, qui avait visitéles Guèbres de

Perse une vingtaine d'années avant Chardin~, nous fait con-

naître les raisons de leur haine. Zoroastre avait rapporté du Ciel

Ksept livres de Loi que Dieu envoyait à ces peuples, pour être

dirigés dans le chemin du salut; sept autres; qui contenaient

l'explication de tous les songes qu'on pouvait avoir, et septautres où étaient écrits tous les secrets de la médecine et tous

les moyens possibles pour se conserver longtemps en parfaitesanté. Ils disent que, quand Alexandre le Grand soumit leur

pays, après leur avoir fait une cruelle guerre, il envoya les

quatorze livres qui traitaient de la médecine et de l'explicationdes songes en Macédoine, comme une rareté qui surpassaittoutes celles de la nature, et, voyant qu'il ne comprenait rien

Chardin, VIII, ~78.Vers i65o.

Page 109: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LA LÉGENDE D'ALEXANDRE. 87

de ce qui était écrit dans les sept autres, où était écrite toute

leur- loi, et quemême ils étaient écrits en une langue qui

n'était entendue que des Anges, il les fit brûler. Après sa

mort, quifut une juste punition de sa témérité et de sa ma-

lice, leurs docteurs, qui s'étaient sauvés ducarnage

et avaient

fui sur les montagnes pourconserver leur vie et leur religion,

se rassemblèrent, et, voyant qu'ilsn'avaient

plusde livre,

en écrivirent un de cequi

leur était resté en mémoire de ceux

qu'ilsavaient lu tant de fois

Les témoignagesécrits venant des Parsis mêmes confirment

les renseignements du Père de Chinon. ~Des vingt et un

Nosks de l'Avesta, disent les Rivaets, Iskander le Roumi fit

traduire en roumi tout cequi traitait d'astrologie et de mé-

decine et fit brûler le reste de l'Avesta (puisse l'âme d'Iskan-

der en brûler dansl'enfer!),

etquand

il eutpéri, les déstours

s'étant assemblés en conseil réunirent tout cequ'ils avaient

retenu de mémoire; ils écrivirent ainsi le texte complet du

Yasht(Yaçna),du Vispéred, duVendidâd, du Fravashi Yasht,

du petit Avesta, du Daroun, de l'Afrinagân, du Chidah-i-Vad-

jarkard et du Bundehesh. Ils n'écrivirent pas tout, parce qu'ilsne se

rappelaient pas tout ~.N'La conquête d'Alexandre fut

suivie, suivant leKissab-i-Sandjân~,

d'unelongue décadence

religieuse, àlaquelle

mit fin la dynastie nouvelle fondée par

Ardesbîr le Sassanide ~Sikander brûla les livres de la révé-

lation pendant trois cents ans la religion fut bas, et durant

tout ce tempsles fidèles furent

opprimés. Après cela, durant

delongues années, la vraie foi trouva

protection quand le

roi Ardeshtr eut pris le sceptre, la vraie foi se trouva rétablie

et son excellence reconnue à travers l'univers. Ces textes sont

récents; le dernier est de la fin du xv!" siècle, et cette tradi-

Relations nouvelles du Levant, Lyon, 167~, p. &36, sqq. Le passagea été presque littéraiement copié par les rédacteurs des voyages de Taver-

nier ;.seulement ils font périr Alexandre ffd'unehorriMe maladie.~

Anquetil, M~KOM'es f~ea~Mte ~M MMcr~<!<Mse< M/M-~«re~2 Anquetil, Mémoires ,/MM'M~ d'e

/s

des inscriptions et belles-lettres,

XXXVIII ~l 16; Spiegel Journal de la Société gerrnanique orientale, IX,

i~.

Récit en vers de rémigration des Guèbres; il en existe une traduc-

tion par M. Eastwick, dans le premier voiume du Journal of the Royal~Ma<c Society (Bombay &n:MeA), 18~, p. iya.

Page 110: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

JAMESDARMESTETER.88

tion est en telle contradiction avec tout ce que l'on sait de

la politique d'Alexandre, que l'on a été quelquefois tenté de

voir là une confusion établie entre la conquête d'Alexandre et

la conquête arabe ce sont les méfaits des successeurs d'Omar

qui auraient été reportés au conquérant macédonien.

Rien en effet ne fut jamais plus étranger au paganisme an-

cien que l'Intolérance à l'égard des autres religions. Le fana-

tisme est le privilège des religions morales, qui, s'étant fait un

idéal élevé, et exclusif comme tout Idéal, poursuivent tout ce

qui s'en écarte d'une haine qui ne peut pardonnersans apos-

tasie. Le paganisme, avec son large Panthéon ouvert à tout

venant, vénérait les religions étrangères où il retrouvait ses

dieux, et en découvrait d'autres encore qu'il avait soupçonnéssans les connaître il savait bien que ses théologiens et ses

aèdes n'avaient point épuisé tout le domaine dn divin, et il

prêtait une oreille curieuse à toutes les voix, si étranges

qu'elles fussent, qui venaient lui parler du monde d'en haut.,

C'est surtout à l'époque d'Alexandre que commence à se faire

sentir cette soif du divin étranger, et nul moins que lui n'était

porté, par instinct comme par politique, à se faire le cham-

pion des dieux de la Grèce contrôles dieux du dehors Égyptienen Égypte, serviteur du Très-Haut à Jérusalem, il devait être

serviteur d'Ormazd en Perse. Au passage de l'Euphrate, il

sacrifie au Soleil, à la Lune et à la Terre; en Hyrcanie, il

sacrifie aux dieux du pays suivant les rites nationaux; au-

dessus des provinces conquises, il met des Perses de nais-

sance, par suite des adorateurs d'Ormazd, ou bien des Grecs

persisés, comme ce Peukastès, qui avait oublié les moeurs

grecques pour celles de la Perse. Les satrapes grecs qui ont

insulté la religion de leurs sujets ou les ont opprimés sont

mis à mort 1. Tous les historiens grecs s'accordent à nous

montrer Alexandre préoccupé d'entrer dans les préjugés de ses

nouveaux sujets et non de les choquer et de les combattre:

il savait qu'il avait plus à gagner à les flatter qu'à les détruire,

et que, pour recevoir les adorations comme roi des rois, il

n'avait qu'à faire appel à une religion qui faisait du roi un

dieu terrestre et de la gloire royale un rayon de la gloire cé-

Rhode, Di'e heiliffe &!g-ef/M ZeK~oM-M;,i8so, p. ao.

Page 111: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LA LÉGENDE D'ALEXANDRE. 89

leste. Ses soldats auraient moins murmuré s'il avaitper-

sécuté, et leurs plaintes, comme le dévouement de~ Perses,

prouvent qu'ilne fut

pointce

queles Parses

prétendent.

Ainsi en jugeait Firdousi Dàrâ mourant donne en'mariage à

Alexandre sa fille Roshanek(Roxane),

avec l'espoir qu'ellelui

donnera un filsglorieux, « qui fera revivre le nom d'Isfendiar,

quiallumera le feu de Zoroastre, qui prendra

en main le

Zend et l'Avesta, qui observera les sorts et le feu du Sedeh,

quihonorera le nouvel an et le

templedu feu, et Ormazd,

et la Lune, et le Soleil, et Mithra; qui de l'eau de la sa-

gesse lavera son âme et sa face, fera fleurir la coutume de

Lohrasp,et fera régner la loi de Gushtasl). Iskander

promet

d'accomplirles volontés du mourant'. Etant donnée la fidélité

ordinaire de Firdousi aux idées et auxpassions de la Perse

ancienne, son attachement profond aux souvenirs de la vieille

religion, sasympathie

mal dissimuléepour les Guèbres, il

semble étrange qu'il aitaccepté

de faire d'Alexandre unpro-

tecteur de lareligion

de Zoroastre, si les Guèbres de son

temps voyaient en lui un ennemi de leur foi. Mais siétrange

quesoit le fait, il n'en est

pasmoins certain, et peut-être

faut-il voir dans l'insistance même de Firdousi uneprotesta-

tion indirecte contre le rôleprêté

à Alexandrepar

les Parses

de sontemps

etpar

lagénéralité des historiens. Car la tradi-

tion citéeplus haut, si elle est très-récente sous sa forme pré-

sente, est infinimentplus ancienne que les textes produits, et

les plus anciens historiens musulmans, antérieurs à Firdousi,

prêtentà Alexandre absolument le même rôle que les Parsis.

Hamzahd'Ispahan, qui écrit vers 061, un demi-siècle avant

Firdousi, raconte que Dârâ ayant été tuépar

un de ses gardes,Alexandre

s'emparadu

pouvoiret versa à flots le sang des

grands et des nobles. Il tenait captifs et enchaînésy,ooo

des

plusnobles de la Perse, et

chaque jour il en faisait périr

vingt et un. A laprise de Babylone (~c), enviant la science

des vaincus, il fit brûler tous ceux de leurs livresqu'il put

saisir, et mettre à mort les mobeds, les herbeds, les savants

et les sages 2. Masoudi, qui écrit vers o~3, sait aussiqu'A-

ScA<!A-/V<MKe&V, p. go.Éd. Gottwatdt, p. 5, a8, :h du texte, p. t5, /t<, ~5 de la

traduction.

Page 112: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

JAMES DARMESTETER.90

lexandre a fait brûler une partie de l'Avesta et massacrer

les nobles'. Ainsi les documents historiques les plus anciens

de la Perse musulmane s'accordent avec la légende parsie;

pour eux, comme pour elle, Alexandre est le destructeur et le

persécuteur de la religion de Zoroastre.

Ces documents, il est vrai, ne remontent pas au delà de

l'invasion arabe le plus ancien d'entre eux lui est encore

posté.rieur de trois siècles mais Hamzah et Masoudi travaillent

ici sur des documents guèbres ou remontant à la période

sassanide, de sorte que leur témoignage doit reproduire une

croyance qui existait déjà dans cette période. Or, il existe un

livre parsi qui très-probablement remonte au temps de la

splendeur sassanide et pour qui Alexandre est déjà un être in-

fernal comme il l'est pour les Parses modernes, le MMïoMA~:

le créateur du mal, Ahriman, voulait donner l'immortalité à ses

trois créatures les plus funestes, Zohak, Afrasyâb et Alexandre;

Ormazd s'y opposa, pour le bien de l'univers~. Un livre

pehlvi, de date incertaine, mais qui semble avoir appartenu

également à la période sassanide, 1' I~'rs~ décrit plus au

long les ravages d'Alexandre. ~Jadis le saint Zoroastre reçut

la loi et la répandit dans le monde; trois cents ans durant, la

loi fut pure et les hommes croyants. Mais alors, le maudit

Ahriman, le Mauvais, pour détourner les hommes de la foi,

suscitalemaudit Alaksagdar le Roumi, qui habitait en Egypteet qui vint porter en Iran la violence, la guerre, le massacre.

H tua les princes de l'Iran, détruisit là capitale et le royaume,

en fit un désert. Or, les livres sacrés, l'~pes~a et le Zend, qui

étaient écrits sur parchemin en encre d'or, étaient déposésdans les archives de Istakhar; et le malfaisant, le sinistre; l'im-

pie, le démon y fit venir le funeste Alaksagdar le Roumi,

qui habitait l'Egypte, et il y mit le feu. Et il tua les destours,

les juges, les herbeds, les mobeds, les docteurs et les sages de

l'Iran, et il sema la haine et la discorde parmi les grands et

les chefs de l'Iran, et, anéanti, se précipita dans l'enfer. »

La légende parsie peut donc se suivre jusqu'au cœur de la

Éd. Barbier de Maynard, II, p. ia5 ssq.Voir la préface de M. West à son édition du ~MO~M'e~ p. 1 h.Cb.vu!. 9g.

Éd. deHang-West, ch. i.

Page 113: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LA LÉGENDE D'ALEXANDRE. 91

période sassanide. D'autre part, si l'on considère que dans

tous les documents historiquesde la Perse, quels qu'ils

soient

d'origine, le caractère essentiel et dominant de la restaura-

tion sassanide est d'avoir été une restauration- nationale et

religieuse,il est probable que

ce n'est pas après coupet à

distance que leschroniqueurs

et les Parses firent d'ArdesMr,

Sis de Sassan, le réparateurdes désastres et

des-iniquités

d'Alexandre, maisque,

dans la réalité des faits, les choses

s'étaient passéesde cette façon, c'est-à-dire

qu'il s'était pré-

senté comme ayantla mission de

réparerles calamités politi-

queset religieuses causées

parle

conquérant roumi, et que par

suite Alexandre, aux yeux de lapartie fervente de la nation,

était le mauditdéjà

à l'époque où se fonda ladynastie nouvelle,

c'est-à-dire cinq siècles aprèssa mort.

Anquetil a émis une hypothèse quirattache directement

cette légende à un incident célèbre de la conquête d'Alexandre,

l'incendie dePersépolis K Comme Persépolis,

ou lepalais des

rois de Perse, devait renfermerbeaucoup

deprêtres

et de sa-

vants, des livres de tout espèce, et surtout ceux de Zoroastre,

peut-être le faitrapporté

dans le Rivaet du destour Barzou

n'est-il quecet incendie

queles docteurs parsis, pressés sur la

perte de plusieurs des anciens documents de leur religion,

aurontamplifié, pour

couvrir la négligence qu'on pouvait leur

reprocher1. n

Le début del'Ardâ-Virâf

confirmel'hypothèse

Alexandre

incendie la citadelle d'Istakhar, où se trouvait déposée toute la

littérature sacrée. Or, Istakhar est précisément le nompersan

dePersépolis. D'autre part, les Parses parlent souvent d'un

château édifiépar Djemshid, et où il avait construit

septou-

vrages merveilleux qui subsistèrent ~jusqu'au moment où le

maudit Iskander détruisit le palais or, les ruines de Persé-

polissont et ont été de tout

temps pourles Perses les débris

MemoM'Mde l'Académie des inscriptions, XXXVIII, ai y.

Comparer les mots de Hamzah Quant à ces contes des historiens

qu'Alexandre aurait fondé en Iran douze villes auxquelles it donna son

nom (suit rémunération). ils sont absurdes, car Alexandre était un des-

tructeur, non un constructeur. (Page/)4 t du texte, 'jii de la traduction.)Hamzah parle dans la même page d'un pont merveilleux jeté sur le Tigre

par Djernshid et détruit par Alexandre.

Page 114: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

JAMES DARMESTËTER.92

d'un palais construit par Djemshid, et le paysan montre au

voyageur, parmi les ruines, son trône colossal. La destruction

soudaine de ce palais merveilleux auquel se rattachaient tant

de souvenirshistoriques et mythiques dut produire une im-

pression profonde sur l'imagination populaire, plus profonde

que la chute même de la monarchie. Il est des monuments

qui symbolisent tout un monde et où s'incruste l'âme d'un

peuple, et il est telle pierre dont la chute retentit plus pro-fondément dans les cœurs que le bruit des hommes qui meu-

rent, des dynasties qui passent, des trônes qui croulent. Long-

temps les prêtres de Zoroastre durent venir errer avec des

pleurs et des cris de colère à travers ces voûtes désolées, quiavaient abrité tant de splendeurs, tant de souvenirs des dieux

et des hommes, et où à présent rôdaient de nuit des yeux bril-

lants de bêtes fauves Mais la catastrophe de Persépolisn'aurait point suffi à transformer Alexandre en un persécuteurde la religion sainte, si la conquête n'avait été, en effet le

signal d'une décadence profonde du mazdéisme. Ce ne fut

point l'œuvre d'une persécution, mais du simple rapproche-ment de la Grèce et de l'Orient. Les deux esprits, en se ren-

contrant, s'éclairèrent et s'obscurcirent l'un l'autre. L'Orient

déborde sur la Grèce, et la Grèce sur l'Orient. Les idées et les

rêves de l'Orient absorbés au passage par la Grèce vont fer-

menter dans cette grande cuve alexandrine où vont se déposer,

plusieurs siècles durant, aux alentours du christianisme, tant

de précipités étranges.'Phénomène analogue en Orient. Euri-

pide est applaudi à la cour sauvage des Parthes de Séleucie,

et c'est au refrain d'un vers des Bacchantes qu'un acteur jettela tête de Crassus aux pieds de Huraodha l'Ashkanide~. Athéné

et Mithra se disputent le revers des monnaies des rois grecs de

la Bactriane. Le mazdéisme ne périt pas; les Arsacides sont

disciples de Zoroastre comme l'avaient été les Achéménides

avant eux, comme le furent les Sassanides après eux; mais

imprégnés d'hellénisme, leur dévotion fut, sans doute, plus

They say the lion and the lizard keepThé courts where Jemshid gbried and drank deep.

(Tableau de M. Rivière à l'Exposition de i'Acadëttue ruyaie

de Londres, iS'y8.)

Ptntarque, Crassus,xxxm.

Page 115: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LA LÉGENDE D'ALEXANDRE. 93

souvent nominale que réelle, et dut offrir des mélanges singu-

liers, et la puissance de l'aristocratie sacerdotale était tombée

avec le trône des Acbéménides.

Aux regrets qu'excitaitchez les Mazdéens fidèles le senti-

ment de cette décadence religieuse, se joignait chezbeaucoup

le regret de l'unité nationale perdue. C'est surtout dans lapro-

vince de Perseque régnaient ces sentiments c'était elle

qui

pendantdes siècles avait dominé l'Iran, et elle était à pré-

sent tombée au rang deprovince sujette; des princes de tribu

étrangère régnaient, quise donnaient comme héritiers de

Djemshidet de Dârâb, mais

quin'avaient

pointdans leurs

veines une goutte de sangkéanide. Le grand coupable, c'était

Alexandre, et à ce nom se rattachaient encore des souvenirs

sanglants qui ne devaient pas contribuer à en rendre chère la

mémoire aux habitants du Farsistan. Si le Macédonien avait fait

souvent ostentation degénérosité,

ce n'était pas là, et les récits

de massacres dontparlent

les historiens persans etl'~r~s-FM'a~

se trouvent connrméspar

les aveux discrètement rapides de

PlutarqueLa Perse est un

pays très-âpreet d'accès diffi-

cHe; elle était défenduepar

les plus nobles d'entre les Perses,

Darius s'yétant réfugié. Ji

yeut là un grand carnage des

prisonniers. Alexandre lui-même écrit qu'il ordonna le mas-

sacre, lecroyant

utile à ses intérêts Ces mots dePlutarque

prouvent que la page de l'/4r~s-FM'<est une page d'histoire.

Enfin, depuis quela Perse n'était

plusà la tête de l'Iran,

l'Iran était, ou paraissait aux yeux des Perses, plongédans une

irrémédiable anarchie. On racontaitqu'Alexandre,

au moment

de mourir, craignant quel'Iran ne vînt venger ses

injures sur

Roum, avait voulu mettre à mort les fils desprinces qu'il

avait fait massacreraprès

sa victoire; le rusé Aristote, son

premier ministre, l'avait faitchanger d'avis: il valait mieux

partagerl'Iran entre eux; en lutte

perpétuelle pourdéfendre

leur héritage l'un contre l'autre, ils nepourraient songer à la

guerre de revanche. Alexandre suivit ce conseil de là-les rois

des ~t&Ms, KMouiouk-ut-Tevâyif~, et l'anarchiepermanente

Alexandre, xxxvn; cf. Diodore, X.VII, yo.2

Firdousi, V, p. 2/[y ssq.; Hamzah, p. sg; Masoudi, <. c. t33.

L'~r~-F!'ra/'fait allusion à cette tradition Il sema la haine et la dis-

corde parmi les grands et les chefs de l'Iran.'?

Page 116: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

JAMES DARMESTETER.9/<

Tels étaient les sentiments qui germaient dans la province

qui avait été, durant des siècles, le coeur et la tête de l'Iran

religieux et politique. L'esprit national s'y enflammait de

l'esprit religieux, et en retour servait à l'entretenu'; le dévot et

le patriote conspiraient dans la même œuvre; le mobed savait

qu'il ne reprendrait son ancienne influence que quand la

Perse aurait repris l'hégémonie, et les unitaires sentaient quela religion serait dans leur main l'arme la plus puissante, et

que c'était le seul lien capable d'établir l'unité. Ces idées trou-

vèrent leur représentant et leur champion dans la personned'Ardeshîr Babagan, de la famille des satrapes héréditaires de

la Perse, qui leva l'étendard de la révolte contre son suzerain

Arsacide et rétablit l'unité politique par la prédominance de

la Perse et l'unité religieuse par celle du mazdéisme.

Il suit de là que, s'il est probable que le passage d'Alexandre

avait laissé en Iran un souvenir heureux, capable à un mo-

ment donné de produire ou de favoriser le développementd'une légende héroïque et nationale, il est ~-pro~Me qu'ilavait laissé également, principalement en Perse, c'cst-a-dire

dans la partie vraiment nationale de l'Iran, un souvenir tout

différent, pleinement Justine, d'exécration et dehaine. Il s'était

donc produit en Iran un double courant de sens contraire le

courant hellénique ou étranger et le courant national; les uns

sont séduits par leur conquérant, par sa générosité, par la

sympathie qu'il marque à leurs mœurs, par les nouveautés de

la civilisation grecque; les autres, en Perse surtout, ne se rap-

pellent que Persépolis brûlée, les massacres qui ont signalé

l'entrée du conquérant dans leur province, la perte de leur

hégémonie. Les premiers sont tout prêts a accepter la légended'Alexandre telle qu'elle leur viendra des Grecs et telle que

peut-être eux-mêmes avaient dans le temps contribué à la for-

mer les autres en créent une eux-mêmes avec leurs souvenirs

et leurs ressentiments, ou, pour être plus exact, il n'y a pasici à parler de légende, il n'y a que des souvenirs historiques,

envenimés, mais fidèles en somme. Peut-être, si les documents

historiques étaient plus nombreux, trouverait-on qu'au fond

de cette divergence il y a une différence et une lutte de races,

que la conquête d'Alexandre fut la délivrance pour les uns et

l'écrasement pour les autres; les historiens persans attribuent

Page 117: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LA LÉGENDE D'ALEXANDRE. 95

souvent la victoire d'Alexandre aux fautes de Dârâ, à saty-

rannie, à la désan'ection dupeuple';

la division, en réalité,

fut, non entre le peuple et son roi, mais entre lepeuple

dominant et lespeuples dominés entre le Perse

conquérant

et lessatrapies soumises, et, pour employer

les termes mêmes

du premier Darius, entre «le peuple de Perses et les pro-

vinces, » le Parca kâra et les Dahyu 2; et c'est cette même cause-

qui expliqueà la fois et les succès étonnants des Grecs et la

formation des deux légendes,et

plustard les succès non moins

étonnants des Arabes et la chute sans retour de la religion

nationale.

La légende anti-alexandrine était infiniment plus dévelop-

pée qu'il ne semblerait d'après les maigres renseignements des

Parsis, et l'on en retrouve des débris là où l'on ne devrait

guère s'attendre à en trouver, dans les récits mêmes des chro-

niqueurset des poètes musulmans

quiont donné à Alexandre

un caractère de saintetéqu'il

n'avaitpas

dans la légende an-

cienne, etqui,

l'identifiant avec le Dhu-Iqarna'indu Coran, <de

prophèteaux deux cornes, ont fait de lui un saint

inspiréet

lecompagnon

duprophète Elie. Rien d'odieux comme le rôle

qu'il joue dans laChronique de Tabari. Alexandre

apprend quedeux conseillers de Ï)ârâ ont le

projetde tuer leur maître;

il leur faitpromettre des trésors s'ils réussissent. Ils

essayent

de le tuer dans la bataille, mais ne trouvent pas l'occasion

Alexandre est blessé et demande lapaix. Dârâ refuse sur l'avis

de ses deux conseillers; la lutte recommence. Alexandreeffrayé

prend la fuite, maispendant ce temps

lepoignard des assas-

sins travaille pour lui, et le fuyard se trouve vainqueur. Alors

ilpeut en sécurité, comme le César de Lucain, pleurer

et

vengerson ennemi, et les Persans, touchés de cette générosité,

l'acclament. Supposez un journal publié à PersépoHs après la

mort de Dariuspar

un des dibirs du roi; cette versionsceptique

n'yaurait

pas étédéplacée.

Le crime de Bessus venaittrop

àpropos pour ne pas éveiller les

soupçonscontre celui qui en

profitait, et nous avons là une version parallèle à la version of-

ficielle et classique des historiens et du Pseudo-Callisthène,

Tabari, trnd. Zotenberg, p. 5i~.

~Mn'MH de Persépolis, 1.

Page 118: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

JAMES DARMESTETER.96

et qui peut-être n'est pas moins ancienne. Elle était si auto-

risée qu'elle s'impose, malgré les protestations de sa conscience,

à Nizami; son Iskander, un prophète, un serviteur du Très-

Haut, descendant d'Abraham, a quelque scrupule à accepterl'onre des satrapes; mais, comme général, il ne croit pas avoir

le droit de rejeter l'avantage que lui offre la fortune, et il en

profite. Il est plus difficile de savoir si ce que Nizami raconte

de la destruction des temples du feu remonte à une source

ancienne il a pu aussi bien lui prêter, comme prophète et

bon musulman, le mérite de cette œuvre pie que répéter les

plaintes des Guèbres.

III

Si la légende anti-alexandrine a pénétré la légende alexan-

drine, l'inverse s'est produit également. Les Parses ont connu

celle-ci, et l'ont transformée au gré de leur passion. De là le

curieux récit que les Guèbres d'Ispahan faisaient au Père de

Chinon sur la naissance d'Alexandre KIls ne le mettent pasau rang des hommes, crainte de faire tort à la renommée de

leurs héros, et dire avoir été subjugués par un qui fut du

nombre des mortels. Ils le font fils du démon ~t conçu parson moyen en cette manière

« Ils feignent l'aïeul maternel d'Alexandre avoir été tribu-

taire de leurs rois, et qu'ayant été sollicité par celui qu'ilsnomment Dârâb, qui est sans doute Darius, à lui envoyer sa

fille en mariage, pour en avoir entendu faire beaucoup d'es-

time, a cause de sa beauté. Il fut fort aise de cette recherche,

qui ne lui pouvait être que très-avantageuse, et plus hono-

rable. Ce roi ayant donc envoyé sa fille à ce Dârâb, le diable

en devint aussi amoureux; et s'étant transformé en un tour-

billon de vent, et d'une couleur aussi noire qu'on le dépeint,la fille fut enveloppée

dans ce tourbillon; ce qui la rendit fort

noire, et son ventre fort enflé. Elle fut conduite en cet état

devant Dârâb, roi des Gaures, qui perdit tout l'amour qu'ilavait pour elle, la voyant en cet horrible état. Il la renvoya

a son père, et aussitôt elle enfanta un monstre de l'enfer,

qui avait une figure hideuse, et surtout les oreilles d'âne. Ce

Fils fut nommé Alexandre, et vint ensuite en cette belle forme

Page 119: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LA LÉGENDE D'ALEXANDRE. 97

7

faire un horrible ravage dans toute l'Asie, où ils'assujettit

tous les pays, par une force qui n'eût pas été appréhendée

d'eux, si elle n'eût étéplus qu'humaine H est aise de re-

trouver les sources de ce récit bizarre lapremière idée est

tirée de Firdousi même. Dans le Livre des Rois, Dârâ renvoie

Nahid le lendemain de ses noces, parce qu'ail trouvaitque

son baleine était mauvaise 2. Cela devient unepossession du

diable, le~K~a~

étant un attribut et une création d'Ahriman.

On profitede l'occasion

pourrattacher

quelqu'un des mythes

dutype Borée-Oreithyia, avec moins de grâce, il est vrai, que

ne l'aurait fait unpoète grec. Enfin, les oreilles d'âne du con-

quérant sont la transformationhumoristique

des deux cornes

dont lui ont faitprésent

les Arabes en l'identifiant à Dhu-

Iqarnaïn,et si, comme on le croit généralement, les cornes du

prophètearabe dérivent des deux

rayons lumineux dont la tra-

dition rabbinique, d'après la Bible, faitresplendir

le front de

Moïse, c'est au versetsa

duchapitre

xxxiv de l'Exode qu'A-

lexandre de Macédoine doit d'avoir vus'allonger

ses oreilles.

Mais une autre action, d'un sens tout dînèrent, s'est exer-

cée dans les derniers siècles, qui tend, au moins chez une

partie des Parses, à les réconcilier avec la mémoire d'Alexandre.

Dans son livre sur les miracles de Zoroastre, Edal Dâru,

grand prêtre des Parses de la secte des Rasamis, absout

Alexandre de l'accusation élevée contre lui IIs'appuie,

dit-

il, sur letémoignage

du .F~<M-/V~MeA;, ouvrage qui aurait

été composé parun mobed du temps d'Ardeshîr, c'est-à-dire

environ ~t5o ansaprès

la mort d'Alexandre; sur letémoignage

du Dabistan, ouvrage postérieur à l'empereur mongol Akbar,

et du .S/~nstaM~ ouvrage analogue composé sous Akbar. Il y

a sans doute erreur pour le Dabistan; du moins le texte connu

enEurope par

la traduction de Shea etTroyer ne contient

rien de tel le ~M'<M-A~NMÂ aurait besoin d'être cité d'une

façon plus explicite pour que l'on sache la nature et la valeur

de son témoignage; enfin, le témoignage du )SA<M*Mt se ré-

duit, paraît-Il,à ce fait

quel'auteur du livre déclare avoir vu

Zoé. cit.

L<M*edes Rois, V, 5 y.

D'après Wilson, Jo!<r)M/ o/'<e Bombay /'?Y;)!e/i.RoM~~Mh'e Society,t, p. lys, note.

Page 120: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

JAMES DARMESTETER.98

en songe Alexandre, qui lui affirma son Innocence. Cela ne

suffit pas sans doute à rétablir; cela suSit du moins éta-

blir qu'il y a dans notre siècle un Parse qui y croit, et peut-

être qu'il y en avait un au xvii" siècle qui y croyait. Mais si

les raisons d'Edal Dâru et de l'auteur du 6'Aan'~M ne sont pasbien décisives, ils pouvaient invoquer une autorité meilleure

que celle d'un songe, celle d'un livre qui aujourd'hui passe,chez les Parses, ou une partie d'entre eux, pour révélé, le

Dcs~M*; ce livre contient les prophéties des prophètes quiont précédé Zoroastre durant des milliards de milliards de

siècles et des prophètes qui le suivront; il est écrit dans une

langue que les hommes ne comprennent pas, mais accompa-

gné d'une traduction persane et d'un commentaire. Sylvestre

de Sacy a montré que cette langue, comprise de Dieu seul,

comme celle des livres que brûla Alexandre, appartient, en

réalité, à ce groupe de langues aHo~/H~e~ dont la langue de

~'a-fs est le type populaire. Quant au système, c'est un essai

de concilier et de combiner les idées del'IndeJbrahmapique,

de la Perse mazdéenne et de la Perse musulmane; le livre est

relativement ancien et remonte au moins au xyn" siècle. Or,

dans ce livre, Alexandre est un favori du Très-Haut, et à son

intention un livre a été révélé à Zoroastre. Quand les Iraniens

se rendirent coupables d'actes criminels, dont l'un fut la ré-

volte des deux ministres qui tuèrent Dârà, le roi Sikander, fils

de Dàrâ, roi des rois, petit-fils de Bahman, roi des rois, de

la race de Gushtasp, vint punir les Iraniens. A la fin, parl'ordre de Dieu, du consentement des mobeds, il inséra son

livre dans le Desatir. Ce livre est le livre inspiré que le pro-

phète Zoroastre avait demandé à Dieu d'envoyer ici-bas, afin

qu'Alexandre venu, les destours pussent le lui montrer et l'at-

tacher par là plus étroitement à la foi pure. Dieu, approuvantla requête de son prophète, révéla une partie de sa parolesous forme d'avis à Sikander, et le livre fut déposé dans le

trésor royal, scellé du sceau des destours. Quand Sikander

devint maître de l'Iran, Peridoukht Roushenek (fille de Da-

rius, femme d'Alexandre) lui remit le livre. Il en entendit la

lecture, applaudit à la sainte religion d'Abad, loua la gran-

deur de Zoroastre et la vérité de Dieu et recommanda aux

rnobeds d'incorporer le livre dans le Desatir. Sikander fit en-

Page 121: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LA LÉGENDE D'ALEXANDRE. 99

suite traduire les livres des Iraniens en grec, et de là dériva la

philosophierationaliste des Grecs »

Ce récit est la combinaison d'une idée musulmane et d'une

idée parsie. Aux Parses l'idée que c'est de leurs livres traduits

par Alexandreque

dérive la sciencegrecque;

les Parsis ne le

disent pas expressément,il est vrai, mais ils disent qu'Alexandre

a traduit leurs livres, et Hamzahd'Ispahan, qui

travaille sur

des documents parsis, nous apprend qu'il transporta en Occident

les sciences de l'astronomie, de la médecine, de laphilosophie

et de l'agriculture, dont il avait fait traduire les livres en grec

et enégyptien

il étaitjaloux de la science des vaincus, car la

science n'était cultivée nullepart ailleurs. Mais, d'autre part,

l'auteur du Desatir, trouvant unprophète Alexandre chez les

Musulmans, le tire à lui, ne veut pas le laisser en dehors de sa

religion universelle. Les deux légendes, l'alexandrine et l'anti-

alexandrine se fondent doncici mais auprofit

de lapremière;

la traditionparse

se noie et s'évanouit dans lalégende gréco-

musulmane. Ainsi, sa bonne fortune a suivi Alexandre jus-qu'au bout; la longue lutte engagée autour de son nom, de-

puis vingt et un siècles, parmiles descendants de Gayomert,

entre leparti étranger et le parti national, se termine enfin

par la victoire de l'étranger le Roumi est relevé de l'ana-

thème Zoroastre le revendique pour sien, et les flammes vont

s'éteindre dont il brûlait dans l'enfer.

77<eDesatir (Bombay, 1818, éd. Mulla Firuz), The &oo&o/e< the

projet Zertushi, §§55 ssq.

Page 122: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule
Page 123: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

DE L'ANALOGIE,

PAR MICHEL BRÉAL.

Du cabinet où j'écris, la vue donne sur un magasin dont

l'enseigneest ainsi conçue

PARFUMERIE DES ÉCOLES

Après que Paris aura eu le sort des capitales du monde

antique,si cette inscription se retrouve et tombe entre les

mains d'unarchéologue,

elle le conduira peut-être à des hy-

pothèseserronées. Il

pourraêtre tenté de classer ce docu-

ment parmi ceux qui se rapportent soit aux institutions uni-

versitaires, soit aux habitudes des étudiants. C'est ainsique

dans lesinscriptions ëphébiques d'Athènes sont nommés les

~s~o~o<, et que certains textes mentionnent les dons

d'huila faits auxjeunes gens du

gymnase. Rapprochement

trompeur, quel'examen de la forme des lettres et la connais-

sance de notre état social permettraient de corriger aux Duruys

et aux Reniers de l'avenir. Au lieu d'un renseignement histo-

rique,nous avons ici un fait

grammaticalc'est

l'analogie quia

suggéréle nom d'une Parfumerie des Écoles, comme il

y

avait déjà une Papeterieet une Brasserie des Écoles, qui

doi-

vent elles-mêmes leur nom auvoisinage de la rue des Ecoles.

L'analogie ne dresse pas seulement ses pièges à l'histo-

rien elle estpour

le grammairien, s'iln'y prend gardé, une

cause perpétuelle d'erreurs. C'est elle qui fait, par exemple,

qu'en français certaines désinences grammaticales ont l'air

d'être mieux conservées etplus complètes qu'en

sanscrit. C'est

ellequi fournit à l'industrie des mots dont l'aspect extraordi-

naire nous laisse interdits, comme elle met dans la bouche

de l'enfant desparticipes que le

philologue n'eût jamais trouvés

de lui-même.

Page 124: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

MICHEL BRËAL.102

L'analogie joue en grammaire le rôle que dans la société

a la Police, qui, prenant plus d'autorité à mesure que les Etats

s'assoient davantage, tend à faire entrer les actes de la vie

dans des formes constantes. Plus d'une fois nous pouvons re-

gretter son intervention car pour elle tout ce qui sort de'la

règle est suspect. Ne comprenant pas la cause des irrégularités

qu'elle pourchasse, elle donnera le nom de licence et d& dé-

sordre à tel usage plein de sens qui est un reste de la liberté

des anciens temps, et qui continue à entretenir des qualitésdont on constate la perte quand il est trop tard pour les rap-

peler, et sans s'expliquer pourquoi elles ont disparu. Si on

laissait faire l'analogie, les langues deviendraient plus aisées

a parler, mais elles achèteraient cet avantage au prix d'une

bonne partie de leurs Qualités elles deviendraient maussades

comme les grands chemins en ligne droite dans la plaine. J'ai

entendu, en ma jeunesse, de fortes têtes soutenir que l'Aca-

démie devrait débarrasser la langue des exceptions.Mais il y

a déjà assez de gens pour prendre le partidu grand nombre,

c'est-à-dire de la régularité. Là où il y a exception, il y a en-

core un reste de vie originale.Je voudrais, dans les pages qui suivent, donner quelques

exemples de l'influence de l'analogie sujet étendu et com-

pliqué, impossible à traiter ici d'une manière complète. II

nous suffira d'en avoir fait entrevoir l'importance.Prenons le participe français mordu. Si nous le comparons

au participe latin morsus, nous voyons qu'il s'est introduit dans

le mot une désinence nouvelle, car.morsus aurait dû donner.

mors. C'est ce qu'il avait donné en effet; encore au xvi" siècle,

Ambroise Paré écrit <tJe fus mors d'une vipère au bout du

doigt. Lorsque la partie morse devient purpurée, gloire ou

verdoyante. » Mais dès cette époque on commence aussi à dire

mordu, comme si le verbe latin avait été MMr~Mere., et le parti-

cipe morclûtus. C'est la forme qui a prévalu, portée et sou-

tenue qu'elle était par un grand nombre d'autres participes quiavaient déjà adopté cette désinence. Ainsi encore le verbe romprefaisait autrefois au participe roMp~, qui est le latin ?'Mp<Ms;au

xiv° siècle, Oresme dit aAdonques est l'amisté dissolue et

roupte. Encore au xvf siècle, les fractions, en mathématiques,

s'appellent les nombres roM~s. Ce participe a survécu dans le

Page 125: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

DE L'ANALOGIE. 103

substantif route, qui marqueun chemin

qu'ona fait en rom-

pantla forêt et le terrain. Il subsiste aussi dans le

composé

déroute, ainsi que dans l'anglais raout, qui désigne une assem-

blée mondaine; ce mot, revenud'Angleterre

en France, est

d'origine française, puisque une route, dans notre vieux lan-

gage, désignait une division, unetroupe,

une bande(en

allemandrotte).

Leparticipe rompu, qui est d'ailleurs fort an-

cien, supposeun verbe rumpuere.

Des observations analogues pourraientêtre faites sur une

série d'autres verbes souvent un substantif, qui n'est pasautre chose

qu'unancien

participemasculin ou féminin, nous

a conservé le souvenir de l'ancienne forme. Qu'on veuille bien

rapprochermordu et mors, tordu et tort, pendu et poids (le d

est detrop),

rendu et rente, vendu et vente, tendu et tente, ponduet ponte, y~/M

etfaute,

on verra combien ces participes en

ictus, assezpeu nombreux dans la langue latine, ont

pulluléen français. Pour

s'expliquercette fortune particulière, il

faut chercher tout d'abord quel a été le point dedépart de

ces formes, ensuitequelle

a été la cause qui en a favorisé la

propagation.Ces formes en M<Ms se retrouvent dans toutes les langues

romanes il suffit de rappeler l'italien <M~M<<~MBMto~ valuto,

potuto. Déjà en bas latin Diezsignale,

dans des chartes du

vin° siècle, sterKMtMs au lieu de stratus, decernutum au lieu de

decretum, et, dans les lois des Barbares, <HceM~M<MH!au lieu de

incensum, pendutusau lieu

depeM~Ms. Si nous nous demandons

quela été le

point initial du mouvement, nous sommes ra-

menés, comme il arrive souvent en histoire, à d'assez faibles.

commencements. Nous trouvons, par exemple, le verbe sal-

vere, avec sescomposés resolvere, (lissolvere, absolvere; la

coexistence de deux formes solutus et so~Ms(d'où

le français.

f/MsoM~ N~soMs~ à côté de dissolu, a~so~M),a

pu contribuer à

familiariser les esprits avec l'idée d'un doubleparticipe.

Ily

avait, en outre, quelques adjectifs verbaux, comme ~t&M~M~

s<a<M<M~imbutus, dilutus, consutus. L'aîné de toute la famille

pourrait bien être le verbesequor, qui faisait déjà en latin

secutus, tandis que le substantif verbal sec~ la suite, le

cortège, avec le fréquentatif sectari, mMc<an/représente la

formation ancienne. Une circonstance qui a dû aider à la for-

Page 126: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

MICHEL BRÉAL.tO~f

mation de ces participes, c'est la présence des parfaits en M:,

tels que M~Mt, uo~Mt, conui (cog'HO~), /M&M~ s«~M~ qui sem-

blaient appeler des participes en M~Ms.,comme les parfaits en

~t avaient à leurs côtés des participes en ~M$.

Dire que la grammaire a subi une déviation, c'est constater

le fait, mais non l'expliquer. Une intention plus ou moins

obscure a dirigé le langage. Les langues tendent à rétablir

l'enchaînement des formes grammaticales, là où il a été rompu

par l'action des lois phoniques le désir de maintenir une cer-

taine clarté dans la conjugaison et de laisser voir le rapport

qui existe entre le verbe et le participe ont été ici les causes

déterminantes. Entre rompM et rompre, tendu et tendre, ponduet pondre, le rapport est plus visible que si le participe est

/'o!< tent, post. C'est le désir instinctif de sauver une con-

sonne importante du radical qui a favorisé la propagation du

suffixe.

Remontons maintenant d'un degré et venons à la languelatine. L'e long des imparfaits en c~?K des verbes de la. troi-

sième conjugaison, comme ~g-~?a~ a beaucoup occupé les

linguistes: Bopp, toujours plus disposé à chercher l'étymo-

logie des désinences qu'a les expliquer par l'action réciproquedes formes existantes, a été jusqu'à soupçonner dans cet e

long la présence d'un augment. En effet, la désinence &am est

due à l'auxIliaire~MO, qui, à l'imparfait, dans une période re-

culée, a pu faire efuam, ebuam; l'e de l'augment, se mêlant à

l'e du thème legë, aurait donné la longue. Plus tard, Boppa

abandonné cette hypothèse; il suppose alors que l'e de ~cg'e&a~a été allongé d'une façon s inorganique pour donner au com-

mencement du mot la force de porter le poids du verbe auxi-

liaire annexe. Le mot « Inorganique sert souvent, en gram-maire comparée, pour expliquer ce qu'on ne comprend pas;mais heureusement dans le cas présent on n'est pas obligé

d'y avoir recours. Les imparfaits comme ~ea'e~stn ont été faits

à l'imitation de monebam, tenebam, dont l'e était naturelle-

ment long. L'action de l'analogie trouvait ici une aide dans

la présence d'un certain nombre de verbes qui sont à la fois

de la deuxième et de la troisième conjugaison, comme ~'ere,

~e~ere, /K~cre, s~ere. Ce qui prouve que la forme en c&aM

avait un penchant à sortir de ses limites et à se répandre sur

Page 127: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

DE L'ANALOGIE. 1055

les autres conjugaisons, c'est que nous avons aussi audiebam,

capiebam,veniebam. H faut remarquer qu'à

côte de legebam on

a encore legërem, quoiqu'ici égalementun verbe auxiliaire

(le

verbe SM~) soit venu s'ajouter. Il est probable que la présence

de l'infinitif, dont la ressemblance avecl'imparfait

du sub-

jonctifse vérifie dans toutes les

conjugaisons,ainsi

que dans

les verbes irréguliers, a victorieusement combattu la force de

l'analogie.

En ce quiconcerne

/eg-e&<MK_,j'ajouterai quela troisième

conjugaisona

probablement adoptéen dernier lieu cette forme

d'imparfait composéc'est celle où l'ancien

imparfait (e~s~oy)

a dû se maintenir le plus longtemps, parce qu'il s'y formait

leplus

facilement.

Ceci m'amène à mentionnerl'opinion

d'un savantqui,

pour avoir méconnu la force de l'analogie, a émis des doutes

singuliersau

sujetde

l'originedes

imparfaitset des futurs

latins. M. le docteur H. Merguet, dans un livre intitulé D~e

E~M)!c~/MKg'der ~emMcAeM

ForM;eHMJMHg' déclare qu'il est

impossibled'admettre dans aMM6<!?M~ama~o~ la

présenced'un

verbe auxiliaire. En effet, àl'époque

où ces formes ont été

composées,nos

langues possédaient déjàun

système gram-

matical parfaitement développé depuis longtemps, les noms

avaient cessé d'êtreemployés

sans être revêtus d'une désinence

casuelle. C'est donc un substantifpourvu

de sa désinence, ou

un participe, qu'onaurait dû joindre au verbe auxiliaire,

et non un thème sans flexion comme a?Hs-. Ainsi(poursuit

M. Merguet)ont fait les

langues modernes, quandelles se

sont donné un futur ou unprétérit elles ont

pris l'infinitif

(<MtMre Aa&eo)ou le

participe (/:a6eo ama~MMt).Ainsi a fait le

sanscrit lorsque, voulant se donner un parfait péripbrastique,

il a combiné avec le verbe ~j'ai fait~ un substantif à l'accu-

satif M;<MKca~My~ «j'ai régné littéralement sj'ai fait règne n.Telle est l'objection qui

a été faite. A en croire quelques sa-

vants, lesprocédés

d'imitation lesplus simples, du moment

qu'il s'agitde

périodesrelativement récentes, auraient été

au-dessus du génie populaire,tandis

qu'onaccorde sans

peine«aux créateurs du langage les

conceptionsles

plushardies.

C'est le contraire qui est plutôt l'expression de la vérité le

peupleinvente peu, mais il imite et il combine. Les mo-

Page 128: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

MICHEL BRËAL.106

dèles comme amator, amaturus, amans, sans parler de ama-

mus, amatis, fournissaient sans peine un thème anM~ d'après

lequel on a fait atnabam, Kj'étais amateur», amabo, «je serai

amateurs. On a été jusqu'à contester pour des motifs pareilsla présence du verbe SMmdans les formes comme dixi et ~s~.

Mais le présent, l'imparfait, les participes, les adjectifs et

substantifs verbaux mettaient constamment l'esprit en pré-sence d'un thème die ou Je<x, en sorte qu'il lui était moins

difficile de pénétrer jusqu'à ce noyau du verbe pour Je déta-

cher et le faire entrer en de nouvelles formations, qu'il ne l'est

à nos enfants de créer l'imparfait je courais à l'aide du verbe

courir.

M. George Curtius, qui, dans son livre sur le verbe grec,

critique l'exagération des idées de M. Merguet, nvaij, lui-

même donnél'exemple

d'un raisonnement analogue. En son

célèbre essai ~Mr c/M'OKO~ogte dans ~m'MM~'om des langues

t'M~o-eMfo~MMM~, il place l'invention de la déclinaison à une

époque extrêmement tardive, parce que le nom, s'il avait été

décliné, aurait dû emporter les signes des cas et des nombres

dans les formes composées du verbe: ainsi a-dik-sat, ail mon-

tra)), littéralement cil fut montreur ~aurait dû donner au

pluriel a-dikas-sant, et non a'~Assm~. Je ne sais si l'éminent

professeur de Leipziga encore sur ce sujet les mêmes opi-

nions mais il est clair que les imparfaits où l'on a ~ëtwo~v

au singulier et e~e~rojne~ au pluriel, les aoristes seconds où l'on

a ~<T7o~ au singulier et sX~o~ef au pluriel, avaient habitué

les esprits à un verbe dont la partie antérieure reste inva-

riable, et dont la seule partie variable est la désinence per-sonnelle.

Le numismate, l'historien de l'art, savent très-bien que les

anciens types ne sont pas abrogés tout d'un coup, et qu'ils

prolongent ordinairement leur existence à côté et en concur-

rence des types nouveaux. Les linguistes ont quelquefois perdude vue cette vérité d'expérience. Deux philologues américains,

les frères Tafel, ont contesté l'explication généralement admise

pour les formes passives latines telles que laudamini, mone-

BtM:'of/<e<jrM<'de l'École des Hautes Études, fascicule premier. Traduc-

tion de M. Bergaigne.

Page 129: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

DE L'ANALOGIE. 107

mini.Bopp

les avait identifiées avec les participes grecs comme

Tf~&~eyo~ <p<XoJ~sfOt, et cerapprochement

avait paru telle-

ment évidentque personne ne s'était avisé de le révoquer

en

doute. Ces deux savants ontobjecté que,

si lerapprochement

est valable pour le présent, il ne saurait rendre compte des

autrestemps, par exemple,

dusubjonctif présent

laudemini ou

de l'imparfait laudaremini. C'esttrop

se défier del'intelligence

romaine; une foisque

~Mf&MMMMfut admis et reçu comme

formepersonnelle du verbe, on la fit

passer par toute la fi-

iière des temps.Laudaremini

peut sembler monstrueux à l'éty-

mologiste, maispour

lepeuple

cette forme n'étaitpas

seu-

lement toute simple et toute naturelle, elle étaitimposée

et

inévitable.

Une fois que l'esprits'est habitué à certains mécanismes

grammaticaux, il n'apoint

de cesse qu'il n'yait fait

passertous ses

produits anciens et nouveaux. Une dimcultéqui

donne fort à faire à nos écoliers, c'est la formation des fémi-

nins menteur fait menteuse; mais acteur fait actrice; pécheur fait

pécheresse et supérieur fait supérieure. Si la dimculté existe

pournos écoliers, c'est

qu'ellea existé autrefois

pourla

langue elle-même; nospères

ont voulu donner des féminins

à des adjectifs rebelles. Tantôt, comme pour actrice, on s'est

servi de la formation latine; tantôt, comme pour mp~'eMre;,on a traité un

adjectifen or comme s'il était en us, a, um;

tantôt, commepour pécheresse, on a pris un suffixe qui, par

certains féminins à demi savants, tels que comtesse, duchesse,

prophétesse, abbesse, remonte jusqu'à la désinencegrecque

«yo'ot

(/3(xo-/À<o-<7a);tantôt encore, on a accouplé aux masculins en

or, comme menteur, des féminins en euse, quisont sur le mo-

dèle de odiosus, generosus. Ainsil'esprit, quand

il s'est fait une

casegrammaticale, veut la voir

remplie, et il laremplit au

mépris del'étymologie

et de la correction. Nousvoyons

ici'

l'analogie, que nous avons d'abord observée allongeant, ran-

geant, uniformisant le langage, devenirproductive etsuppléer

à des lacunesqui

existaient dans le plan primitif de nos

langues.

Nous employons tous les jours des féminins qui eussent

étéimpossibles

en latin une:NMc!Ma<MK riante, de meilleures

f,'OM<~<MNts,de loyales paroles,une

forte constitution, une douce

Page 130: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

MICHEL BRËAL.108

j?f'MseCj une habitation commune, de grandes espérances. Encore

au xv° siècle, on écrivait. ~e~res royaux. Ce ne serait pas donner

une explication que de dire que la déclinaison en us, a,

Mm gagne sur la déclinaison en :s, e; l'esprit, habitué à voir

l'adjectif varier au féminin, a, dès l'époque romaine, favorisé

la formation qui permettait la désinence féminine. Dans

L~CK~M? ad Pro~Mm~ le grammairien puriste corrige déjàceux

quidisent tristus au lieu de tristis, pauperus au lieu de

caMNef.Une des victoires les plus complètes que l'analogie ait rem-

portées, c'est le s du pluriel en anglais, qui n'est pas, comme on

pourrait le croire, emprunté aux pluriels français, mais quiest d'origine anglo-saxonne. En anglo-saxon, certains thèmes

se terminaient au nominatif et à l'accusatif pluriels en as;

ainsi fisc poissons, ende ttfin se déclinent de cette manière

SINGULIER.

Nominatif. fisc. eK~e.

Génitif. fisces. e~M.

Datif. fisce. ciMe.

Accusatif. ~Me.eHtfe.

PLCRU!

Nominatif. fiscas. e~

Génitif. fisca. e)t<-&

Datif. ~.<eMm. CH~wm.

Accusatif. fiscas. endas.

Mais, a côte de ces noms, il y en avait d'autres dont leplu-

riel était formé tout autrement. Voici, par exemple, la décli-

naison du féminin <M c action n et du neutre !por~ paroles

SINGULIER.

Nominatif. fM. mord!.

Génitif. <Mc. œor~M.

Datif. dcede. N!)or~<

Accusatif. fMe. œor~.

PLURIEL.

Kotilinatif. ~e~a. N)o?'

Génitif. f~M. toor~ft.

Datif. fMMm. moM~M.

''Lccusatit' fM~t. œM'

Page 131: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

DE L'ANALOGIE. 109

On voit que le pluriel n'a pas de s. 11 en est de même pour

toute une nombreuse classe de mots qui forment leurpluriel

en an; nousprenons

commeexemples

le masculin steorra

étoile M, le féminin <MKg'eKlangue M, le neutre

e~eRceu~:

SINGULIER.

Nominatif. steorra. <MMg'e. edffe.

Génitif. steorran. tungan. eag'aM.

Datif. s/eo~'c)!. tungan. Mg'<:M.

Accusatif. sMorrsK. <MKg-sH. Mg-e.

PLURIEL.

Nominatif. steorran. tungan. eag-~K.

Génitif. steorrena. <K):g'eM. M~eM.

Datif. ~eon'Mm. tungum. <~Mm.

Accusatif. steorran. tungan. e<<!K.

Que reste-t-il de cette variété en anglais? Apeu près rien.

En vieil anglaisas est déjà changé

en es(~ayes,, ~Mg-es),

et

commence à êtreemployé

sans distinction des genres. Ce-

pendant, il reste encore un certain nombre de pluriels en e

et surtout en en. Mais en anglais moderne la désinence es ou

s s'est uniformément introduitepartout.

De mêmequ'on

dit

~s/ies~ eKas~ on dit aussi deeds, words, stars, tongues, eyes. Ici,

comme dans toute la famille Indo-européenne, c'est la décli-

naison vocalique qui l'a emporté,car les mots comme j~sc

étaient anciennement terminéspar

unevoyelle, laquelle paraît

encore au pluriel ~sca-s. Le s a été tellement victorieux qu'il

s'imposeaux mots d'origine étrangère, tels

que cities, resolu-

tions, negroes. H est devenu une sorted'exposant algébrique

de la pluralité, car il peut s'ajouter, comme signe indépen-

dant, à des locutions assez complexes et même à de petites

phrases; un romancier, parlantd'un

échange de compliments,

dit Noted'ye

do 's ïperee.reAaKg'eJ.

Un exemple plus extraordinaire encore de la force- de l'ana-

logiedans la même langue serait, si nous

pouvionsnous

y

arrêter, le s du génitif singulier, qui s'est généralisé à tel point

qu'il est devenu l'expression abstraite marquant la possession.

Dans cette locution ~Ae queen of Great-jSn<a!'H'snavy,

nous

retrouvons le s des génitifs comme~sces~mais avec un féminin

et détaché de son substantif. Dans cette phrase, oMr eyes' reach

Page 132: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

MICHEL BRËAL.110

« la portéede nos yeuxa, le s possessif venant s'ajouter an~ du

pluriel, l'écriture a renoncé à le marquer. Telle est la puis-sance de l'analogie, qu'elle accumule les exposants sans s'ar-

réter aux conflits que peut produire leur rencontre.

Il est probable que l'extrême simplification de la gram-maire anglaise est due au mélange de races dont la Grande-

Bretagne fut le théâtre. Quand deux peuples parlant des

langues différentes se trouvent en présence, le besoin de s'en-

tendre fait qu'on sacrifie les parties trop compliquées et tropfines de la grammaire. Les exceptions, les nuances, les dési-

nences riches et variées, sont un luxe auquel il faut renoncer;

des flexions uniformes et bien apparentes, voilà ce que le be-

soin d'être compris exige. Pareille chose est arrivée en Perse au

temps ou l'idiome arien de ce pays s'est mêlé aux idiomes

sémitiques. Quand nous rencontrons une grammaire simpleet logique, c'est aller au rebours de la vraisemblance que de

conclure à la pureté et l'antiquité. La régularité est à la un~

non au commencement des langues.

Suivons maintenant l'analogie sur un autre terrain celui

de la formation des mots. Ici encore nous verrons la part im-

portante que la première conjugaison a eue en français et, à

une époque plus ancienne, en latin.

Il y avait, dans notre famille d'Idiomes, un suffixe tu for-

mant des noms abstraits en sanscrit, par exemple, la racine

~a s chanter M faItg~M «chanta. Ce suffixe se retrouve en

latin, où l'on a quantité de noms en tus (&° déclinaison),comme <:c<MS~rap<Ms~ cultus, Mf~MS, s<rep:<M~ tinnitus. U est

particulièrement fréquent avec les verbes de la première con-

jugaison <rac<<!<M~ploratus, MM<~M~/WMMS, odoratus, yM<&catus. Dans tous ces exemples, à côté du substantif, nous

constatons la présence du verbe dont il est tiré. On peut, la

rigueur, supposer aussi un verbe magistrare pour expliquer

NMg-i's<?'s<Ms~Ia magistrature H. Mais d'où viennent pontificatus,

pn'Me~s~, ~'&MMa<Ms,triumviratus ? Nous voyons ici l'a se dé-

tacher des verbes en are et faire corps avec le sufExe <M~pourformer des substantifs marquant un état. Le suSixe est

N~'O'HC/M.Un autre exemple nous est fourni par les adverbes latins

en <MK.L'ancêtre est, à ce que je crois, pat'h'Ht, qui n'est pas

Page 133: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

DE L'ANALOGIE. -Hl

autre chose quel'accusatif du substantif

pars.On trouve

partem, accompagné d'un adjectif, dans des emplois qui nous

fontcomprendre

comment il apassé

au sens adverbial. «Ma-

gnam partemex iambis nostra constat oratio,~ dit Cicéron

(Or. 56). César, parlant des Gaulois, écrit ccMaximam par-

tem lacte atque pécorevivunt~

(B.G. IV, i). Quelques

ad-

verbes de même formation sont statim, ~ac~m~MMe~M:~s<f:c<MK,raB<!m, Nrœser<:?K\ cursim, spK~m~, qui peuvent

êtrerapportés

à d'anciens substantifs en ti ainsi statimsuppose un archaïque

statis, qui répondraitau grec o''7<xo'<$.Ces substantifs en tis ont

disparu de la langue, ou plutôtils ont fait

place aux~mots en

~o(K),tels que statio, ~t'ac&o~Mnc~o. II n'en est resté

que ces

accusatifsdépareillés, qui,

étant enlevés à leur déclinaison,

se trouvaient par là d'autant, plus aptesau rôle d'adverbes.

A l'irnitation despremiers,

on a faitexquisitim, minutim, cer-

tatim, privatim, separatim, festinatim. Comme les verbes en are

étaient lesplus nombreux, les adverbes en atim se sont

bientôt multipliés assez pour que l'adhérence de l'a sepro-

duisît d'autrepart,

le sens distributif, quilui-même vient

peut-être de ~af&M! s'est introduit dans ces adverbes. On a

fait alors ceH<Mna<t?K, manipulatim, catervatim, rfg~oMa~tK~g'ra-

datim, paulatim.

La même série de faits se continue en français. Comment

expliquer les adjectifssecourable, imprenable, périssable, croyable,

recevable, convenable, re-~OMsaMe? Ils ont été faitsd'après

d'au-

tres adjectifs en ablequi s'appuient

sur des verbes en er

admirable, adorable, estimable, ~g'r~aMg~ pa;&)<e. Le modèle

latin a été donné par les mots comme habitabilis, insatiabilis,

laudabilis, o~aMM. Cependantla forme en ible, à demi savante

comme l'autre, fait concurrence possible, impossible, ~rtMe,

horrible, sensible ont fourni letype d'après lequel ont été faits

invincible, extensible, irascible, imprescriptible, e~?g':M6,, eJ'~T'/c.

Quant aux adjectifs latins comme mobilis, nobilis, ~eMts, ils

Du verbe serere ~enchatner)). Pr<B.<ertMMsignifie littéralement ffen

mettant hors de pair, hors rang". Cf. MMer~'m~disertim.En voici quelques autres pMMetMK,carptinz, sparsim, perplexim,

passim (de paK~erc), c<!?MM~cursim, confertim, contemptim, ~E<;<!M:~

confestim (du verbe/cn~e)*e rf frapper'), qui est dans o~eK~'e), /t<r<!M~

pe~e~M~M, M'M&:m.

Page 134: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

MICHEL BRËAL.112

survivent dans meuble, noble, faible; mais le suffixe, manquantde ce qu'on peut appeler la voyelle dominante,.est resté tropmêlé au corps du mot pour s'affranchir.

Si nous pouvions poursuivre cette étude, nous verrions quel'a de la première conjugaison se cache en des formations où,

à première vue, on ne serait pas tenté de le chercher. Ainsi

les mots français coMreM?*,buveur, faiseur, A'sfMf, connaisseur,

vainqueur, liseur, m'eKeMr renferment non pas le suffixe or,

mais le suŒxe ator, ainsi qu'on le voit par lesformes proven-

çales conoissedor, facedor, vencedor, &'g'e~or. De même les noms

en oir, tels que pressoir, comptoir, ouvroir, abreuvoir, sont for-

mes non de or:M!M, mais de atorium; ainsi le mot Oroir

(restésous la forme Orouer ou 0,:OMcr ou O~o~r dans quan-

tité de dénominations géographiques) représente O~ato'tMm.

On peut ajouter les noms en ier, si nombreux en fran-

çais, comme oMcne~ anKMr!~ cuisinier, écuyer, A!<M!'e~ qui ont

eu pour modèle les noms latins en anMs, tels que Q~eranMs,

s~pen~MfMM, aurarius; ceux-ci sont partis eux-mêmes des mots

comme eo<jfMNMnMs,fa&!JanMs~ qui doivent leur a aux fémi-

nins co~MMs~ tabula. De même encore en grec, les adjectifscomme et<~<xT~p~?, ~ut?p~, xu~<xTt?p~, o'7<~p<!s, sont faits

sur le type de J<~p~, To~?p<~ Tu~p~s.On peut remarquer que les suuixes les plus apparents sont

ceux qui ont le plus de chance de faire fortune, parce qu'ils

s'ajoutent avec le moins de peine à toute espèce de mots.

Quand les Romains firent connaissance avec la langue

grecque, ils y trouvèrent cette formation allée des verbes en

t~s~, les premiers poètes latins, Livius Andronicus, Na~vius,

Plaute, s'en emparèrent, mais sans se donner beaucoup de

peine pour la latiniser. Ils ajoutent au suffixe <~ les désinences

de la première conjugaison latine, et ils composent ainsi les

verbes en Msare eMM~, ~ot~&), ~(X~X{~& xu~&ii~&~

o'<xe~~ 'EruT/~N deviennent a~cMMre, ~~ssarSj ma~cMssre~

c~HtM:ss<e., sicelissare, ~<Msa?'e. La langue latine, au tempsde César et d'Auguste, a élagué peu à peu ces verbes, à l'ex-

ception d'un petit nombre, par exemple co?MMMn, qui est un

mélange de xo~o~o!< et x~o~M. On sentit la pesanteur de

ces formes, qu'un âge antérieur s'étaitappropriées avec plus

d'avidité que de goût.

Page 135: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

DE L'ANALOGIE. 113

8

Pareille chose est arrivée à l'allemand aumoyen âge on

connaît ces verbes en !'ereM, qui pullulentencore aujourd'hui

dans la langue de nos voisins. Ily avait en vieux français de

nombreux verbes en ier, comme corrigier, ~g'ï'er, copier, ~M~e~

s'~ae!er.L'allemand se contenta d'ajouter

sa désinence inn-

nitive en à l'infinitif français, en sorte qu'il eut com~ereK_,

logieren, coBte~eK~Mf&ereK;, ~azterem:formation monstrueuse,

puisquedans une troisième personne,

erlogiert, se trouve

contenu le r de l'infinitif, mais àlaquelle

l'allemandprit

tellement goût que, non-seulement ilemprunta des centaines

de verbes français, telsque visitieren, traitieren, genieren, raison-

nieren, notieren, ~/<ereH~, AoMOfî'ereK, rega~'ereH~ mais il ajouta

le suffixe à des mots germaniques et fit, par exemple, Ao~e-

ren, ~<o/z!'e'e~, lautieren, buchstabieren, ~a~M~M., erlustieren, ver-

sc/Mm~eren.Il ne faut

paschercher seulement la raison de ce

succès dans la couleur française que ces verbes donnaient au

discours il vient de l'extrême facilité aveclaquelle un suffixe

si amplement développé s'appliqueà tous les mots.

C'est parce queles suffixes les

plus apparents sont ceux

queles langues adoptent et propagent

leplus volontiers, qu'on

voit celles-ci favoriser les sufExes étrangers auxdépens

des

indigènes.Nous venons d'en avoir une

preuve pour les verbes

latins comme atticisso. En français, la même formation en

~s<f eut cette fortune particulière qu'elle est aujourd'hui de

toutes laplus

vivante et laplus prolifique.

Aussi vaut-il la

peine de remonter à son origine.

Il y avait engrec quelques substantifs en cs, comme &o<s

ttia discordes, j~~<s ~la colère M, qui appartenaient à la classe

de ~o~, et quiauraient du, comme tous les mots de cette

sorte, faire leurgénitif

en <o$. Et, en effet, à l'accusatif, ils

font encore ep~, j! Mais ces mots se sont écartés du mo-

dèle ordinaire, et ils ont fait leur génitif en J'os, comme si le

thème était ~<J,Pour

produiredes verbes, ils ont

adoptéla formation en~'<H, ce qui

a donné ep/Jy'<M, s~<&),

et, parle mélange des deux consonnes, ep/~ sÂTr/~M. Parti

de ces verbes, le modèle s'estrapidement multiplié on a

fait fX~O~T/~M, Sj~7!'0f~6~ -!3'0~e~~<t', XUf~~ e~)?M~<H, M)j~&

67r~&~ ~~t7!"7r/ et quantité d'autres. Ce sont ces verbes quivivent encore en français <fM<orMe~/crh/r~ réaliser, r~o'MMr?-

Page 136: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

MICHEL BREAL.H&

ser, t'M~cM~er, eeH<r<:hs~af6MM'se~ etc. Nous avons en outre,

issus de cette formation, les noms en iste, qui répondent, aux

mots grecs comme ao-7ncr?)/5 MeH: légiste, aM&e~~e)

fleuriste, A'o~s<e, f~M<s.fe, artiste, ~oïs~j MOMt'e~Mfc~paysa-

g'!sfe, etc. A la même origine appartiennent aussi les noms en

MM:6, dont les modèles ont été les mots grecs comme o~Tto'~o:~

TEt~<o-~<x ca~eeAtsme, ca{Ao~e:SH!e, cyH'MMme~ profM~H&tHe~

polythéisme, fanatisme, mécanisme. L'Eglise a fourni les premiers

modèles; mais aujourd'hui la formation est populaire. Tout le

monde sait ce que c'est que journalisme, jésuitisme, eiMSMe,

!M<r:0<M!Ke.Si l'on assemblait, non pas seulement en français, mais

dans toutes les langues de l'Europe moderne, les mots qui se

rattachent aux substantifs en <?, ~os, on serait confondu de

la fécondité de cette formation, et si, après cela, se reportantà ia modification phonétique qui a été le point de départ des

verbes en ~<M, on comparait les résultats à la cause, on

verrait avec quelle facilité l'esprit d'un peuple peut tirer partid'un événement en lui-même insignifiant, et avec queUe iné-

puisable richesse l'analogie multiplie le type que le langagea une fois adopté.

Nous bornons ici cet examen, remettant à une autre occa-

sion de montrer quelles sont les lois qui combattent ou qui

contiennent l'analogie car le langage, comme le monde,

subsiste par des forces qui se tiennent en équilibre.

Page 137: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

M.

DE LA PROVINCE ROMAINE,

PAR ABEL BERGAIGNE.

Le motprovincia

a en latin différentes significations. De ces

emplois variés, les deux plus éloignés sont, d'une part, le sens,

correspondantà celui du français province n, de «

circonscrip-

tion territoriale, région formant une des divisions administra-

tives de l'empire, de l'autre, le sens de n charge ou de « tâche o

dansl'acception

laplus

étendue de ces mots. Le second est bien

connu par l'usagedes

comiques.Entre ces deux extrêmes se

placent les emplois de provincia dans le sens d'~ administration

d'une province ou dans ceux, plus généraux, de «commande-

ment militaires ou mêmesimplement de ~charge d'un ma-

gistrat!! quelconque.

Quelle est de toutes cessignifications celle qui doit être

considérée comme primitive, etqui peut

nous suggérer la vé-

ritable étymologiedu mot?

L'usage descomiques

n'estprobablement qu'une extension

du sens primitif. Mais il est plus invraisemblable encore que

provincia ait désigné d'abord laprovince

en tantque r~oK~

et

plustard seulement les

fonctions exercées dans les limites de

cette région.

Tout d'abord, l'histoire des mots analogues,tels

que le grec

~o<x)?o-<s ou le français gouvernement, doitplutôt

nous dis-

poser à admettreque

le sens decharge"

aprécédé celui de

K circonscriptionterritoriales. Dans la

languelatine même,

le mot~B/ec~Mra., dont Plaute, soit dit en passant, use plai-

samment comme du mot provincia (Ca~tM, 1, i, 11 ~Quin

runes inprœfectura tua?!'),

nous offre un exemple certain du

même développement de sens.

LE NOM

Page 138: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

ABEL BERGAtGNË.n G

Les emplois de~'o~KCM: dans Tite-Live confirment ta pré-

somption tirée de l'analogie. Cet auteur s'en sert pour dési-

gner, dès les premiers temps de la République, les comman-

dements militaires distincts des deux consuls sCpnsules

T. Sicinius et C. Aquillius, Sicinio Volsci, Aquillio Hernici,

nam ii quoque in armis erant, provincia evenit?' (11, XL,

an a 6 6 de Rome; cf. t6;W. Hv; III, n; Y, ~") et~assMK).Le

sens d'une telle formule est que Sicinius eut pour tâche par-ticulière de combattre les Volsques, et Aquillius de com-

battre les Herniques. Elle s'explique par l'usage, que rappellesouvent Tite-Live, et auquel semble faire allusion le verbe

~'eH!<, de répartir entre les magistrats par la voie du sort

(soWin~M'oMKCMM~XXXII, viïi; cf. VI, xxx), quand Ils ne s'en-

tendaient pas entre eux pour les choisir eux-mêmes (compa-rare p'oM'MCM'~!), et en tout cas après l'élection, les tâches

particulières auxquelles ils se trouvaient, par le fait seul de

cette élection, collectivement appelés. Une tâchequelconque

de ce genre, tel parait avoir été, d'après Tite-Live, le sens le

plus ancien du mot provincia. Et, en effet, la première pro-vince romaine, au sens vulgaire du mot, fut la Sicile K Prima

omnium, id quod ornamentum imperiiest, provincia estap-

pellata~ (Cicéron,/? Fer; act. II, lib. II, i).

Il faut donc, a

moins de supposer que le mot provincia ne dats, lui-même quede l'an 5 ) a de Rome, admettre qu'il a design éjes commande-

ments militaires, avant de désigner les réglons ou. s'exercèrent

certains de ces commandements. Tite-Live, du reste, l'em-

ploie dans le même sens pour les temps postérieurs à l'Insti-

tution de la première province, par exemple dans l'expression

~roM'KCMM eoM~cere., qui paraît être une formule consacrée

(XXVI, xxi; XXVII, v; XL, xxxv), pouvant servir, en cette qua-

lité, d'argument direct en faveur de l'antiquité de ce sens.

On remarquera en outre que, dans les texies les plus an-

ciens où figure le mot provincia, c'est-à-dire dans Plaute et.

dans Térence, le sens propre de ce mot impliqué par l'usage

métaphorique et plaisant qu'en font les comiques est, non

pas celui de Kréglons, mais bien celui de charge s. Plaute:

Captivi, in, i, i~t «Ipsi obsonant, quse parasitorum ante erat

provincia. PseMfM:{s~ I, u, a 5 K Te, cum securi, caudicali,

pt'a'ficio prnvindœ.M Cf. I, n, t5; Tn'MMmM.~I, n, i53; M7&!

Page 139: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LE NOM DE LA PROVINCE ROMAINE. in

jO'/or:osMs~ IV, tv, 28. Térence PAorm~o, I, 11, aa «Re-

linquunt quasi magistrum.H s0 Geta, provinciam cepisti

duram Cf. ~eaM<OMhMoroMM!e?!os., 111, n, 5. L'allusion aux

commandements militairesdésignés par

lemotprovincia

est évi-

dente dans les passages suivants. Plaute Captivi, I, n, 5i

~NuIIumne interea nactus, qui possettibi Remissum, quem

dixti, t'N~MY~'e~.c~c:<Mm?K ~Quid credis?

fugitant omneis

hanc~roMHCMM.H Stichus, V, iv, 16 Vide utram tibi

lubet etiamnum capere, cape~roMKCMMH.M ~Quid istuc est

~roMMCMB~ KUtrum Fontinali an Libero/N?!)ef!Mm

te inhi-

bere mavis?~ n

Nous conclurons de ce qui précède que, même si provincia

était, comme on l'admet généralement, formé du verbe vin-

cere, il faudrait écarter l'explication qu'endonne Festus dans

['abrégé de Paul Diacre (éd. 0. Mûuer, p. a a 6)«Provinciae

appellanturquod populusRomanus eas

provicit,id est ante

v[cit. Le sens étymologique n'aurait pas été Kconquête n

en tantque Kpavs conquise,

mais Kconquête

ou victoires »

en tantque

omission confiée à un général M. Or, quoiqu'ilfût

assez dans l'espritde la

politiquedu sénat romain de dé-

créter ainsi annuellement la victoire et laconquête,

l'intro-

duction dans salangue officielle du mot

provincia, avec le

sens quenous venons de lui

supposer,n'en resterait

pasmoins

un fait assez étrange.

La forme même de notre mot est difficilement conciliable

avecFétymologie qui

lerapproche

du verbe vincere. En effet,

la nasale de t~cere., qui manquemême à certaines formes du

verbe, MC!, ~!c<M~ est absente de toutes les formations nomi-

nales de la même racine, victor, M'c<or!a~erf:es~à

l'excep-tion de celles qui

se rattachentplus étroitement au verbe,

comme le participe !):KCpKs~d'où vincenter, et lequasi-participe

MMC!&M.

Enfin, il ne fautpas

oublierque l'usage du mot provincia,

dans Tite-Live, n'est pas limité aux commandements militaires,

etque

la seule définition complète de la«provinces,

telle

qu'on peutla tirer des Histoires, est, comme nous l'avons dit,

tâche particulière échue, par le sort ou autrement, à un

magistrat, après son élection.))L'application du mot provincia

auxcharges du ~np<or urbanus et du

~p/or~er~iMMs (Tite-

Page 140: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

ABEL BERGAIGNE.ns

Live, XXV, m et passim) ne pourrait donc s'expliquer que parun oubli complet du sens étymologique. Un tel oubli n'aurait

rien d'impossible en soi; mais rien non plus ne nous force à

l'admettre, une autre étymologie pouvant être proposée, quirend compte du mot dans son sens le plus général, du moins

en tant qu'il désigne la tâche d'un magistrat quelconque, sans

soulever les mêmes objections que la première.Pour cela il n'est pas nécessaire de recourir, _comme l'a fait

M. Jos. Budenz (Z~seAr~ de Kuhn, VIII, p. 280), au go-

thique ~!M/a K maître s, et de supposer un mot latin corres-

pondant, pro~K!~ qui aurait donné le dérivé provincia dans le

sens de « commandement K. Il suffit de substituer à cmc~re un

verbe qui, lui, garde la nasale dans toutes ses formes, t':Kc:re,

vinxi, vinctus, et appartient à une famille de mots présentanttous également la nasale, comme vinctio, tKKc~or,vinctura, vin-

CM~Mm,vinceus, et ce vincia qu'Otfried MùIIer, dans son édition

de Festus(vmctAM, continentem, p. 3yo), rapporte aussi à ~H-

cire, par cette raison, identique à celle que nous invoquons ici

nous-méme, qu'un dérivé de pmcere eut été vicia.

Cette étymologie, qui parait satisfaisante en ce qui concerne

la forme, ne l'est pas moins pour le sens. P~'QMMCM!aura été

primitivement un synonyme d'obligatio. Et, en effet, il ne dé-

signe pas, comme les mots coKSM~Ms;,jOf~Mr~ etc., ou comme

le terme générique magistratus, les J:g'K:~s dont les magistratssont revêtus par l'élection, mais bien les oM~atMKs que ces

dignités leur imposent et qui sont réparties entre eux après)'électlon. Il serait peut-être excessif de chercher dans un sens,

d'ailleurs assez rare, du prénxe~ro, l'expression formelle de

l'idée d'obligation antérieure s, c'est-à-dire contractée en

principe, mais déterminée seulement par l'opération du tirageau sort, ou par le libre choix qui pouvait en tenir lieu. Ce

préfixe peut n'avoir d'autre valeur que celle, d'ailleurs assez

dimcilë à définir, du préfixe ob dans obligare.L'idée d'K obligation M devait avoir pour les Romains dans

le mot provincia, et c'est un argument de plus en faveur de

l'étymologie proposée, une précision que le mot français par

lequel j'essaye de le traduire ne peut faire suffisamment com-

prendre. Il faut, pour s'en rendre compte, se rappeler quetout magistrat prêtait serment avant d'entrer en charge. C'était

Page 141: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LE NOM DE LA PROVINCE ROMAINE. l'i!)

ce serment, qui le « liait~. En effet, c'est une métaphore cou-

rante, en latin comme en français, quele « lien du serment.

~NuUum vmcnLUM ad a~~Mg'enJa?K fidem jurejurando majores

arctius esse volueruntj?(Cic.

Deo~ 1H, xxxt). S'engager par

serment, c'était ~udem o6&g'areH (M/. Philipp. V, xvui),ou «DE-

VINOREM (id.De

0~ 111, XXXI ).

Il est remarquable que le mot munus, d'après l'étymologie

adoptée par Corssen(~Ms~racAe,, I, p. 3ya),

vient d'une ra-

cine primitive dont le sens était également lier M, et qui, par

un autredéveloppement

de sens, a donné des mots exprimant,

comme MmrMs, l'idée d'un assemblage de pierresreliées entre

elles(ou plutôt peut-être

d'uneenceinte),

d'où le,doublet MMp-

HM~ tHMMM!.Les deux sens de munus s'expliquent également

bien par l'idée d'obligation. Car on dit aussi en latin Rlibera-

litate, beneficio, donis, obligare~ (Cic.Ad. Q. fr. 11, xiv),

KDEVtNCtRE~(TIte-Live, XXII, xxn).

Le présent est ce qui

niie~ )'~obIIgé~ au bienfaiteur; la ~charge~ est ce quiRiie~ n

lemagistrat.

Page 142: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule
Page 143: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTICE

SUR

LES INSCRIPTIONS LATINES DE L'IRLANDE,

PAR H. GAIDOZ.

Nous croyons utile de faire connaître aux savants du

continent lesinscriptions

latines d'Irlande, qui (sauf une,

n°i )

n'ont pas encore été publiées hors de cette île. La tâche

est d'autantplus

aiséeque

nous n'avonsqu'à

les extraire du

magnifique recueil desInscriptions

irlandaises que publieen

ce moment M"" Marguerite Stokes, sœur de l'éminent celtiste

M. Whitley Stokes, et elle-même lapremière archéologue d'Ir-

lande. Les planches qui accompagnent cette notice sont la

reproductiondes

lithographies qui figurentdans l'ouvrage de

M"" Stokes, et qui sont presque toutes dessinées par elle,

d'aprèsles monuments ou

d'aprèsdes estampages 1.

M. Hùbner n'apas jugé à

proposde faire entrer ces ins-

criptionsdans les volumes du Corpus consacrés à la Grande-

Bretagne. Dans les Inscriptiones Bn'~KMMB ~Kœ il avait donné

un cachet d'oculiste trouvé en Irlande, mais parce que ce

cachet est conservé au MuséeBritannique.

Dans leSupplément

consacré peu aprèsaux

inscriptions chrétiennes de la Grande-

Bretagne, il s'est abstenu de comprendrecelles de l'Irlande,

parce quecette !te n'a pas été réduite en

province romaine2.

Christian Inscriptions in t/te Irish .LsMg'Mag'6~chiefly collected and

drawn by George Petrie, LL. D. edited by M. STOKES.In-~t", Dublin, 1870et années suivantes. Six livraisons ont paru M"' Stokes a eu l'obligeancede nous communiquer les épreuves de la dernière livraison, qui n'a pasencore paru.

ff Exclus!, ut parerai, Hibernica; nam romanœ tanturn provinciœmonumenta atque iatinœ jing'uœ iu ea usum indag'anda mihi proposui.HiberniHfn vero nunquam in pt'ovincice formam redactam fuisse constat.~ 7)

!7)Mf. /?< christ. p. v.) M. Hubner a pourtant donné dans son recueil

Page 144: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

H. GAIDOZ.122

Agricola,nous le savons par son gendre Tacite, avait mé-

dité la conquêtede l'Irlande. II

pensait qu'une légion et quel-

quesauxiliaires suffiraient à établir la domination romaine

dans cette île, partagée entre des tribus divisées et souvent

hostiles. Il semble même avoir noué des relations dans le

pays, si l'on en juge parce fait

qu'il avait donné asile a un

chef irlandais transfugeou exilé. Quoi qu'il en soit, les aS'aires

de la Grande-Bretagne ne luipermirent pas de réaliser ce

projetaL'Irlande

échappaà la

conquêtect-àla rojnanisation;

ellegarda

son originalité native, sa constitution, sescroyances

et sa littérature, on l'on retrouvel'esprit celtique

àpeu près

purde tout mélange.

Lorsque la domination romaine s'an'aibllt en Grande-Bre-

tagne,les Irlandais ou Scots, comme on les appelait alors

(car ce nom ne se transporta en Calédonle que plusieurs

siècles plus tard, à la suite d'une émigration irlandaise ou

scote),ne furent pas parmi

les derniers à inquiéterde leur

piraterieles côtes de l'île sœur. Leurs flottilles de CH)')'ac/!s et

leurs bandes de débarquement furent sans doute plusd'une

fois battues parles forces romaines, et ce sont ces petits

ex-

ploits qu'ont célébrés Juvénal et Claudien avecdes ampli-

ficationsplus poétiques peut-être que réelles. Ce n'étaient pas

des défaites partielles qui pouvaient arrêter les incessantes

déprédationsde voisins pauvres et barbares, et les Scots d'Ir-

lande ne cessèrent, ainsi queles Pictes de Calédonie, de dé-

soler la côte occidentale de la Grande-Bretagne les Scots

même y fondèrent d'importants établissements. C'est par ces

incursions de pirates qu'ilfaut expliquer les

quelques lots de

des inscriptions de i'e de Man, quoique cette Me n'ait pas été occupée

par les Romains. Si nous constatons cette inconséquence, ce n'estpas pournous en plaindre.

On ne peut regarder que comme un ingénieux paradoxe la thèse de

M. Thomas Wright que les Romains auraient, après Agricola, rept'ts son

p)a)t de conquête, et qu'ils s'y seraient établis, an moins dans le nord-

est de l'Irlande. (Th. Wright, 0/< fAc7?ttereoM'~eo/M&~MMs tM'f/t jft'e-

/<!M(~,dans r/ire/MM~g'M Cf!m&7'e)MM,3" série, t. XII, p. s()6-3o3.) Lathèse de M. Wright a été réfutée par M. Brash, dans ie volume suivant

du même recueil (t. XIH, p. 83-iûi).&<<.il, t5().vu. 55; v'tn, 33; XXII, aoi xxvi, ~17; xxxi,

Page 145: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES INSCRIPTIONS LATINES DE L'IRLANDE. ~3

monnaies romaines qu'on a trouvés en Irlande, monnaiesqui,

presquesans

exception,sont du Bas-Empire.

Tous les témoignages historiques s'accordent à prouver que

la culture latine pénétra en Irlande avec les missionnaires chré-

tiens, avec saint Patrice surtout, dont le succès et la gloire

éclipsèrentles efforts de

quelquesvaillants et obscurs

précur-

seurs. Pourtant, si l'inscriptionde Killeen Cormac est au-

thentique,comme le caractère chrétien en est absent, il faut

admettre quelques rapportsde l'Irlande avec le monde romain;

ces rapports peuvent,du reste, s'expliquer par

les relations

commerciales dont parle Tacite lui-même 1 oupar les hasards

de l'esclavage, qui, à cetteépoque

troublée par lapiraterie,

jetait des épaves humaines sur les côtes les plus éloignées.

N°l(pi.I).

IVVENE DRVVIDES

(Petne-Stokes,t.I!,pl.I,[i°t.)

CetteInscription

se trouve sur unepierre

eng'f'eeK~OMe

(diorite) qui atteint près de deux mètres\le hauteur etqui

est

larged'environ trente centimètres, et

qui est analogue aux

pierreslevées que les archéologues bretons

appellentdes lec'hs.

La pierre porte également uneinscription oghamique,

c'est-à-

dire en caractères formés de coches dirigées vers l'arête de

la pierre et de points marqués sur l'arête elle-même, cette

arête formant comme laligne idéale à

laquelle s'attachent les

caractères.

Cette pierre se trouve dans un vieux cimetière abandonné,

connu sous le nom de Killeen Cormac, litt. ~la petite cella

de Cormac. » Des écrivains irlandais ont cherché à identifier le

Cormac qui a laissé son nom à cette localité; mais ils ne sont

arrivésqu'à

desconjectures. Killeen Cormac se trouve dans la

paroissede Davidstown, comté de Kildare. On y voit, sur une

sorte de tertre, despierres provenant

de murs éboulés, des

pierres levées et des fragments de croix sur des pierres tom-bales.

ffAditus portusque [Hibef'niœj per commercia et negotiatores co-

gniti.))( (Tacite, ~n'co~ xx:v.)

Page 146: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

H.GAIDOZ.12A

La découverte de ce monument bilingue est due à M. l'abbé

John F. Shearman, qui le décrivit le premier dans les revues

savantes de l'Irlande.

C'est d'après M. l'abbé Shearman que M. Whitley Stokes

publia la double inscription de KiIleen Cormac dans les .S~-

tt'œg'e zur cerg'~tc/ieM~eK iS~racA/orsc/tMHg', t. V, p. 363 et suiv.

(Cf. une rectification ajoutée à l'en'a<a du tome suivant.)

Sir Samuel Ferguson a proposé de lire l'inscription latine

Quatuor vere Druides. La cinquième lettre est-en effet mutilée et

pourrait se prêter à cette lecture. Mais cela nous donnerait un

latin trop spirituel et trop élégant pour un monument bar-

bare.

Nous lisons donc IVVENE DRVVIDES.

Cette Inscription mérite de nous arrêter par des particula-

rités importantes, si importantes qu'on est d'abord tenté de

douter de son authenticité. Tel est le sentiment que M. Hûb-

ner a exprimé (préface aux TK~cr~&ones .B~aKHMB c/M~M'Mo",

p. xvin). Ce qui éveille le soupçon, ce sont les caractères

vraiment épigraphiques de l'inscription, quand les autres

inscriptions de l'Irlande (sauf pourtant celle de Gahir Conree)nous présentent les caractères de récriture cursiye; c'est sur-

tout ce mot de DrMK~equi semble se trouver sur cette pierre

pour justifier l'enthousiasme dont les Druides sont l'objet de-

puis trois siècles. Cette inscription aurait été gravée furtivement

sur la pierre, pour la plus grande gloire des Druides et de

leur religion, par un coMKtn/-g'&MMK lettré, ou par un an-

tiquaire de campagne. Cette hypothèse est probable, mais

l'hypothèse de l'authenticité nous semble pourtant plus probableencore.

La barbarie du latin et la simplicité de l'Inscription sont une

première garantie d'authenticité un faussaire se_fût piqué de

faire du bon latin, et, à supposer qu'il se fût borné à la men-

tion toute simple ~du jeune Druides, il eût écrit IVVENIS

DR.VIDAE ou DR.VIDIS. Une seconde garantie d'authenticité

est la parfaite honorabilité de M. l'abbé John F. Sbearcoan,

qui découvrit cette pierre, et n'y remarqua d'abord quel'ins-

cription oghamique. Ce n'est que dans une seconde visite, en

1860, qu'i) reconnut les lettres a demi eSacées de l'Inscription

Page 147: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES INSCRIPTIONS LATINES DE L'IRLANDE. t25

latine. Une troisième garantied'authenticité serait la concor-

dance de l'inscription latine avecl'inscription oghamique;

mais la lecture de l'inscription oghamique présente encore

bien des incertitudes. Nousacceptons

donc cetteinscrip-

tion comme authentique.

La seuleparticularité qui puisse nous étonner est ie redou-

blement du signe V dans le second mot fauted'exemples

simi-

laires, nous nepouvons

savoir si DRVVIDES nous représente

une prononciation. particulièreou si le lapicide a gravé deux

Vpar erreur, trompé par l'analogie

dupremier

mot IVVENE.

Quoi qu'ilen soit, ce fait ne doit

pasnous étonner, quand

nous rencontrons PVVER.I dans uneinscription

chrétienne de

la Grande-Bretagne (Hübner,n°

34).Les autres incorrections

de notre inscriptionsont également de leur époque. L'emploi

de l'epour

l'i est fréquentdans les

inscriptionsdu

temps;

M. Le Blant l'aremarqué

dans les inscriptions chrétiennes de

la Gaule 1, et le recueil de M. Hübner en fournit d'autres

exemples pourla

Grande-Bretagne,notammentcive

pour civis,

n" 13 5 Le même fait se rencontre égalementdans les

manuscrits latins des anciens Irlandais La suppression du s

final du premier mot n'a rien nonplus que

d'ordinaire 4.

Le lecteur saitque

lesprêtres

des Gaulois s'appelaient

Druides ce nom, conservé parles historiens, ne se rencontre

pas dans lesinscriptions5.

La forme correspondantede ce

nom en ancien irlandais est drui ou drai(plus

tardf&~KM'),

gén. druad; nom.pl.

druid.

Mais de l'identité du nom il serait téméraire de conclure à

l'identité de la fonction, et ce serait donner une idée fausse

au lecteur français quede traduire le JrM! irlandais par le nom

quenous donnons traditionnellement aux

prêtresde l'ancienne

M<!Kt<e/d'épigraphie e/~e~Mme, p. ig6.

Voyez aussi n° 66, ~per:'<M. n° 63, ~e~M; n° i3a, Hec iacet.

Voyez Nisra, G/o~<p Hib. ~<. Cod. T<n<?'M:e!M!s,p. xxvi; Reeves'

~<&:M!MM:p. XXVtI.etc.

Voyez Le Blant, p. <()&, et Hübner, à l'index. (X. Grarnmatica.)°

On a voulu voir le mot Dna's ffdrutdesse" dans une inscription du

pays messin (Orelli, aaoo);mais cette inscription, aujourd'hui perdue,

n'est connue que par d'anciennes lectures, et il n'est pas certain que le mot

hypothétique <&'<M.!y ait la valeur qu'on lui suppose. Voir Ch. Robert,

&):.o-)Y!it)/<Me'a//o-)'oM<H!!ede la M<Me~ p. 89 et suivantes.

Page 148: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

H.GAIDOZ.126

Gaule. Ces personnages occupent en Irlande un rang trop

peu élevé, la thaumaturgie domine trop chez eux, et leurs in-

cantations sont parfois trop obscènes pour qu'on puisse leur

donner le nom de « druide a, sans commettre une inexactitude,

ou sans rabaisser l'idée que nous nous faisons des Druides de

la Gaule. Pour nous, nous traduisons le mot drui par sorcier

ou par chaman.

C'était au reste l'opinion des anciens clercs irlandais, puis-

que, dans les vies de leurs saints, ils emploient comme équi-valent de drui !e mot HM~Ms, non le mot ~'M:~ terme qu'ilsconnaissaient pourtant bien par les écrivains classiques. Dans

le manuscrit irlandais des Épîtres de saint Paul, àWurzbourg,la glose sur Jannès et Mambrès, deux mages égyptiens (a* .E~.H Tim. ni, 8),

est da <~Mt</tœg'e~ac~, litt. «deux druides

égyptiens~. Les écrivains latins de l'ancienne Irlande n'ont

jamais, que nous sachions, employé le mot druida. Colgan

l'emploie au xvn° siècle dans ses Vies des s<M'K<sirlandais, mais

c'est évidemment sous une influence classique ~Extiterunt

Druidae, quos acta nostrorum sanctorum passim vocant ma-

g'os, non solum ante Christum natum in summa veneratione

apud Hibernos, eodemque honore quo apud Gallos temporeJuili Csesaris, juxta quod de eis scribit idem Caesar,~ etc.

(Colgan,A. S. p. i~Q, n. 15.)

Il n'est, on le voit, que plus étrange de trouver sur une

pierre d'Irlande ce nom qu'on ne trouve pas sous la plume

des écrivains latins du même pays. Aussi supposons-nous quecette inscription est l'oeuvre d'un Gaulois ou d'un Breton de

Grande-Bretagne, qui aura voulu rendre cet hommage au

Par exemple celle qui consiste à se retourner et à montrer à son en-

uemi la partie la moins noble de son corps (Book <F<:)tcg7~ p. ii5

et iso). Les gens mat élevés ont conservé cette pratique, comme insulte

grossière, sans se douter qu'a l'origine ce fut une incantation.

2Un des exemples les plus curieux de ce mot, dans la littérature u'-

landaise, est un vers où il est appliqué à Jésus-Christ. C'est dans un

hymne attribué a saint Columba

~s e mo <&'< CArM< mac De.

<tCm'ist, fils de Dieu, est mon sorcier, c'est-à-dire mon appui, mon pa-tron, maître du surnature). (Miscell. /)'M/t~t'cA. Soc., 1, 6.)

Page 149: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES INSCRIPTIONS LATINES DE L'IRLANDE. 127

jeune sage dont, sur la mêmepierre, l'épitaphe celtique

était

gravée parune main indigène.

Cette pierreest en effet un des rares monuments bilingues

des liesBritanniques,

contenant à la fois uneinscription

latine

en caractères romains, et uneinscription celtique

en caractères

oghamiques. Plusieurs ont été trouvés en Galles. Celui de

Killeen Cormac et le suivant sont encore les seuls quel'on

connaisse en Irlande.

L'inscription se~ développe sur la tranche de la pierre,

commençant à mi-hauteur du monument, se continue sur ie

sommet et va se tetminer de l'autre côté de lapierre. Nous

reportonscette inscription ici, en figurant par

une ligne droite

l'angle de lapierre

surlequel

elle se déroule.

M. Whitley Stokes, appliquantà cette

inscriptionla clef

ordinaire del'alphabet oghamique,

la litDuftano safet saliattos,

et la traduit (Lapis] Dubtanis sop/K sasteH<Mi~K

fia pierre]de Dub-

tan le sage savant.DM/<aKo

seraitpourDM/~aMos~

le génitif sin-

gulier d'un thème en!~ ancien *DM&M<aKMS,signifiant «le noi-

râtre et analogue, parsa formation, au mot aM~-g~as, qui glose

le latin ea~'M/e~s.~Sa/eï serait le génitif de safos

= sab, ~sage~.

Dans s~AaMos l'Amarquerait

l'hiatusproduit par

la chute d'un

sa/taMus semble en effet, pour la forme et pour le son, iden-

tiqueau latin sapiens-entis. A cette

inscription peutse

compa-

rer unpassage de l'Amra Co/MMKcM/e Bat s<:& SM!'</Mcec/t dind,

c'était unsage érudit sur toute colline. H

Nous devons ajouter quela lecture des

inscriptions ogha-

miques est encore en grande partie conjecturale, et nousap-

prenons, parun

passagedes Lectures on W?M

Philology de

M.Rhys (p. ai A), que

ce savantpropose

une autre lecture

6'HM'KOs ~t~t E~acaMos; mais il ne nous dit pas sur quels argu-

ments il fonde cette lecture. La science natt de lacomparaison,

et la lecture desinscriptions oghamiques ne pourra approcher

de la certitude que lorsqueces

inscriptions auront été réunies

et publiëfs d'après des estampages exacts.

Page 150: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

H. GAIDOZ.128

N''2(pLIV,fig. 2).FECIT CVNVRI

( Petrie-Stokes,t. II,pi.it, n"3.)

Nous regardons le quatrième signe comme un monogramme

formé des lettres ITC liées. On pourrait voir l'I dans-la barre

horizontale du T; on trouve en effet dans les inscriptions chré-

tiennes de la Grande-Bretagne des 1 horizontaux. Nous voyons

pourtant plutôt l'I dans la petite haste qui s'élève perpendicu-

lairement de l'extrémité gauche du T La ligature du T et

du C ne nous paraît pas douteuse.

Cette pierre, un bloc de grès, pensons-nous ( car ni M''° Stokes

ni sir Samuel Ferguson ne nous renseignent sur sa nature),

se trouve sur la pente ouest d'une montagne du comté de

Kerry, appelée Ca/Mr Conree. La montagne tire son nom d'un

fort primitif, qui occupait son sommet. Ca/Hr Conree signifie

en effet ~le fort de Cùroi~ et, d'après la légende, ce fort aurait

été bâti par Curoi mac Dairi vers le r" siècle de l'ère chrétienne.

Cette inscription porte, en outre, un signe (pi. IV, 6g. 3)

regardé par sir Samuel Ferguson comme une croix 2, et une

inscription en caractères oghamiques. Cette inscription a été

lue par le D~ Graves Conuneatt ?nocM! coKM?' ce. qu'il traduit

KConnait, fils de Cùroi.K Nous mentionnons cette lecture sans

la discuter, car il faudrait prendre ab CM toute la question

oghamique. Le D' Graves suppose ici l'addition de la syllabe

arbitraire un. Il semble en effet établi que les Irlandais ont

connu et pratiqué, bien avant les oisifs de nos boulevards, cet

amusement cryptographique qui consiste à insérer au milieu

des mots une syllabe adventive et dénuée de sens c'est_ce que

Sir Samuel Ferguson a donné de ce monument an dessin (Pt'o-

ce~H~'s o/'<e ~ye/ 7fM&~ea~emy~ a° série, 1.11, p. 51) qui diffère de

celui de M"°Stokes en ce qu'on voit au-dessus du T un irait perpenflien-laire qui forme un 1 grossier mais distinct.

Notons pourtant que le même signe (deux lignes formant une croix

par leur rencontre) se trouve sur des pierres qui n'ont rien de chré-

Lien, par exemple sur des pierres provenant du Mur d'Adrien, ou c'est

vraisembfaHempnt unemarque

ou uncaprice de maçon (Z.apK~<H'H<Mt

&~<cH<n<MM/c,p. 3g).

Page 151: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES INSCRIPTIONS LATINES DE L'IRLANDE. 129

0

nousappelons

duy<K)<!Ma!s.

Le cas est certain pour la curieuse

productionirlandaise intitulée Dûil ~a~/<Ke.

N"33 (pl. II).

DNI

[A]BCDEFGHiKLMNOPQRSTVXYZ&

(Petrie-Stokes, t. H, pi. V, n° 9. Ki!ma}kedar, comté de Kerry.)

C'est, on le voitfun abécédairequ'un

despremiers

chré-

tiens dupays,

soit missionnaire, soitindigène,

s'est amusé à

graversur

pierre, probablement pourl'instruction de ses

pro-

sélytes.L'historien breton Nennius dit de saint Patrice

(§5

A)

Scripsit abegetoriatrecenta

sexaginta quinque,aut eo

amplius.La

Vie irlandaise de saint Columbaparle

del'alphabet

de ce saint

écrit sur ungâteau (Reeves' Adamnan, p. 358, n.

i).

Nous lisons X lesigne qui suit le V et sur

lequelM"° Stokes

se tait. Cesigne

ne se rencontrepas

dans lesinscriptions,

non

plus queles deux suivants. Le

signe final, abréviation de ET,

se rencontre dans deuxinscriptions qu'on

trouveraplus

bas.

? &(pl. V, 6g. i).

OR.[o:<] do M~r~acA M Chomocain hic ~o~'m~.

(Petrie-Stokes, t. 11, pi. tX~n'i?.)

fr Priez pour Muredach, petit-fils de Comocan; il dort ici.

Oroit, du latin orale.

Do, préposition, signifiant frpour)).

MMre~eA, nom d'homme, écrit aussi quelquefois Muiredach, an-

gticisé aujourd'hui MM?'~y. Sur ce nom, voir &pKe Ce/~MC, t. l,

p. 263.

pour M~ dat. sing.de ua, en ancien irlandais aue ou haue,

npetit-fits)).C'est ce mot qui est écrit 0' dans les formes

ang'iiciséesdes

nomsceltiques

d'Irlande et d'Ecosse, p. ex. O'NeiH, O'Donnell, etc. La

lettre h dans M~ AsMe, est simplement prosthétique.

CAomoc<K le c initial de ce nom subit l'infectionaspirée par l'in-

fluence du mot précédent. Chomocain est pour Comocain, gen.de Como-

cfm~ nom d'homme.

Hic ~ormt<. C'est le seul exemple trouvé jusqu'ici en Irlande de cette

formule latine.

Cetteinscription

se lit sur unepierre

tombale trouvée

Page 152: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

H.GAIDOZ.1~0

dans Inis Murray. Ce nom, en ancien irlandais /M!'s MMt're-

~s!'c/~ signifie xile de Muiredach ou Murray a. C'est une tie de

l'Atlantique, sauvage et pauvre, située à cinq nulles delà. côte

du comté de Sligo. Elle portait déjà ce nom au vm" siècle,

mais on ne sait rien du saint personnage dont elle a reçu le

nom et dont nous avons ici l'inscription funéraire.

On a trouvé au même lieu l'inscription n° 5 et plusieurs

inscriptions irlandaises, et aussi des croix et pierres sculptées.

Ces débris font partie des ruines d'un monastère formé, à la

mode ancienne, d'oratoires enfermés dans un mur circulaire.

Ce mur est formé de pierres sans ciment, comme les forts pré-

historiques qu'on trouve en si grand nombre sur la côte occi-

dentale d'Irlande.

N-'5(pLVH,8g.3).

CRVX

(Petrie-Stokes, t. !t, p!. X, n" t9.)

Ceci est un fragment trouvé à Inis Murray. Le reste de la

pièce contenait certainement un nom d'homme et le reste de

la croix, dont nous avons seulement la tête ici.

N"6(pLVt.Sg.s). ).

[SAN]C[T]I BR.E[CA]NI

(Petrie-Stokes, t. H, p!. XII, n° 24.)

Cette pierre avait déjà été publiée par Petrie dans son Ec-

clesiastical ~?'c/H<ëc(M!'eof Ireland.On voit sur la pierre brisée la partie supérieure de la

lettre S; on a donc SCI, abréviation de &:Kc&. C'est le seul

exemple qu'on ait trouvé de cette formule en Mande.

La moitié du nom a été supprimée par la brisure de la

pierre, mais la localité du monument suggère une lecture cer-

taine. Cette pierre, en effet, se trouve près du Tempul Brecain,

ou église de Saint-Brecan, et en un endroit signalé par la

tradition comme la tombe de saint Brecan. Cette église se

trouve dans Aran M6r, la plus grande, comme l'indique son nom

(?Mw signifie «grand)!), des îles Aran, dans la baie de6alway.

Page 153: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES INSCRIPTIONS LATINES DE L'IRLANDE. 131

9.

Les anciennes chroniques d'Irlande parlentde

plusieurs

saints de ce nom, de sortequ'il

est difficile d'identifier ce per-

sonnage

N°7(pt.V,6g.a).

VII ROMANI

(Petrie-Stokes,t.p!.XIV,n°z8.)

F77 Romani, c'est-à-dire septem Romani lessept Romains".

Cette inscriptionest

disposée des deux côtés d'une croix

comme on en rencontrebeaucoup

sur les pierres tombales

d'Irlande c'est la croix latine, avec unpetit

cercle au croise-

ment des deux branches, et avec des demi-cercles à l'extrémité

des branches.

La pierre se trouve dans le cimetière de l'église de Saint-

Brecan, à Aran Mor. Elle avaitdéjà

étépubliée par Petrie

dans son Ecclesiasticccl Architectecre o/Tre~K~.

Comment sept personnes se trouvent-elles ainsi réunies

sous cetteappellation anonyme

«lessept

Romains,,? On est

réduit aux conjectures.Ces

sept personnagessont sans doute

morts ensemble, ou àpeu

de distance l'un de l'autre, par suite

d'un accident, ou d'un naufrage, ou d'uneépidémie,

ou d'une

-bataille avec despirates.

On a en Irlande même deux autres

exemples d'inscriptionsfunéraires collectives

Dans cette même église de Saint-Brecan on a l'inscription

irlandaise ORARIICANOIN, Or/o:</af// canoin, Kpriez pour

deux chanoines (Petrie-Stokes, t. 11, pl. XIV, n°a a). Une

pierretombale d'Iniscealtra

(~M~ pl. XXVI, n°56) porte

t ILADÏDECHENBOIR, t 7M in Jec/igM&otr, «tombe des dix

personnes M(htt. « de ladizaine,,).

C'est ainsique

dans l'his-

toire de la Restauration on nousparle

des Kquatre sergents de

la Rochelle M, expression qui figure peut-être sur leur tombe;

c'est ainsiqu'on

ne fera pas l'histoire du secondEmpire sans

nommer « les cinq».

A propos de ce titre de -*MM<,il faut remarquer que tous les saints

d'Irlande sont d'origine populaire, c'est-à-dire que leur sanctification,

consacrée par ft)a voix du peuple", est antérieure à t'éponuc où les papessn sont réserve la prérogative de la canonisation.

Page 154: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

H. GAIDOZ.~2

Le nom de Romani désigne ici, non pas des Romains au

sens étroit du mot, mais des habitants de l'empire romain 1.

Les anciens documents irlandais parlent fréquemment de

saints personnages venus de l'étranger, de Ksept moines d'E-

gypte!), de tt cent cinquante pèlerins d'outre-mer de K trois

fois cinquante c~'f'ae/ts (canots) de pèlerins romains~, etc.

N" 8 (p!. IV, f~. i).

CARI

(Petnf-Stohes, t. ![, pt. XI, n" aa.)

Fragment trouvé à Aran Mor dans un oratoire que Petrie

supposeêtre celui de saint

Benen(Benignus), disciple de saint

Patrice.

On nepeut

savoir si c'est lefragment d'un nom

propreou

le latin cari xdu cher~.

? 9 (pl. III).

XPS

~MtCMM~ft AxMC<t<M~m~et'< ofat pro Bo'ee~Mtre. sQue quiconquea lu cette inscription prie pour Berechtuire.n

( Petrie-Stokes, t. U, pt. XXX, n° 6~.)

On remarque oM!CMm<7M<tpour <jMMMMtOMeet OM<

pour oret.

Cette dernière faute se rencontre dans lecolophon

de l'Evan-

gilede Mac Reguil s Quicumque legerit et Intellcgent istam

narrationem orat pro Mac Reguil scriptori.»

L'angle supérieur du sommetgauche contenait certainement

l'abréviation IHS, commependant

à celle XPS, c'est-à-dire,

.!ésus-Christ.

L'inscription occupeles deux côtés inférieurs d'une croix

formée d'entrelacs.

Cette dalle se trouve à Tutlylease, comté de Cork, dans

les ruines de l'église fondéepar

un saint saxon, appelé con-

curremment par les écrivains irlandais Beretchert, Berichter

et Berikert.

Voir le bel article .RomfHK, Romania, etc., par lequel M. Gaston

Pfu'is a ouvert la Romania, 1.1, p. i-aa.

Page 155: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES INSCRIPTIONS LATINES DE L'IRLANDE. 133

Ce monument est le seul d'Irlande où se rencontre l'abré-

viation XPSpeut-être

est-Ii l'œuvre de Saxons, compatriotes

et compagnons de Berechtuire.

? if) (p). VII, 6g. i).

PATRJCn ET COLVMBE.

(Petrie-Stokes, t. )!, p!. XXXVI, n" 78.)

Le mot en*acé à la fin del'inscription est sans doute le mot

crM.c, car cetteinscription

est gravée sur la base d'une vieille

croix enpierre,

à Kells, comté de Meath. Ce ne peut être

ici un monument funéraire. Le style de cette croix ressemble

à celui de la croix du roi Flann à Clonmacnois, et de la. croix

del'évoque

Muiredach à Monasterboice; pour cette raison,

M"° Stokes attribue la croix de Kells au début du xe siècle. On

remarque l'abréviation pourB'r, qui se rattache au signe figuré

à la fin de l'abécédaire de Kilmalkedar.Le nom de saint Patrice se rencontre aussi sur une clo-

chette de bronze conservée au musée de l'Académie d'Irlande

PATRICI (t. II, pi. XLVI, n°08); mais cette clochette a été

fabriquéeau xiu" siècle, pour remplacer une plus ancienne

qui passait pouravoir été donnée à

l'églisede Ros Glandae par

saint Patrice lui-même.

? -]1 1 (pl. VI, fig. t).

MARTINI.

(Petrie-Stokes, t. pi. X, n'' 25.)

Nompropre

augénitif, sur une

pierre tombale, dans les

ruines dugrand monastère de Clonmacnois (comté du

Roi),fondé au milieu du Vf" siècle. Ce Nom, étranger à l'Irlande

parson

origine, s'y rencontre néanmoinsplusieurs fois, par

suite de la dévotionqu'on y

avaitpour

saint Martin de Tours.

D'anciennes traditions présentent saint Patrice, l'apôtre de

l'Irlande, comme le neveu, par sa mère, de notre saint Mar-

tin. Le Le/w Brecc, manuscrit irlandais du x;v° siècle,

contient un sermon sur saint Martin, publié et traduit parM. Wh. Stokes dans la jRefMe Cf/<!yMe, t. 11, p. 38i-/)oa.

Page 156: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

H. GAIDOZ.13&

Les annales irlandaises mentionnent la mort, en 86y,d'un Martin, abbé de Clonmacnois. On trouve Clonmacnois

même deux autres pierres tombales portant, l'une MAR-

THINE (t. I, pl. XV, n° &o), et l'autre OR DO MÂR.TA-

NAN (t. I, pl. XL, n° loS"), Rpriez poui'Martanan.~ Mar-

tanan, Kie petit Martin?), est un diminutif de Martin. Ce

diminutif est formé sur la forme irlandaise Mar~am, qui se

rencontre dans une inscription de Lismore, comté de Water-

ford, BENDACHT FOR. AN MARTAIN, K bénédiction sur

l'âme de Martan; c'est la tombe d'un abbé de Lismore, mort

en 8~8. On rencontre aussi le nom composé de Mael-

Martin, c'est-à-dire « serviteur de Martine, litt. chauve de

Martin M.

N-'12(pi.VII,Ëg.a).

OR DO DVNCHAD PSPT HIC

f Priez pour Dunchad, prêtre,ici. ))

(T. H, p. ?&, n° 8o*. Brookborough, comté de Fermanagh.)

Cette pierre a été transportée dans le musée de l'Académie

royale d'Irlande. On y remarque l'abréviation du mot p~p!~recte presbiter, prêtre

Nous ne mentionnons que pour mémoire les inscriptionslatines d'une époque très-tardive du moyen âge, et qui ngu-rent sur des œuvres d'orfèvrerie t. II, pl. XLV, n° g 3;

t~ p. g 8, n" Q3"; ibid., pl. XLV, n°<)&; ibid.,

pi. XLVIII, n° io3; pl. XLIX, n~ 10~ et io5.

ABRÉVIATIONS LATINES OU D~OmGlKE LATINE.

t

La plus fréquente est OR, souvent OR sans le signe abré-

viatif, par laquelle commencent les Inscriptions funéraires. On

la trouve quelquefois écrite OR.OIT (t. 1, pL VIII, n" ai;

pL XII, n" 3o; p!. XVIII, n° ~7; pL XX, n° 51;

pl. LXIV, n° i53; pi. LXXII, n° 1~3), avec la variante

ORAIT (t. !I, pl. XVI, n° 3a) et ORIT (t. I, pL XV, n" 38).On trouve aussi, mais une fois seulement, les étranges abré-

Page 157: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LES INSCRIPTIONS LATINES DE L'IRLANDE. 135

viations ORO (t. I, pi. XVIII, n°46)

et OT(t. I, pl. XXIII,

~7):Oroit est la forme hibernisée du latin orale.

Le nom du Seigneurse trouve placé en invocation sur

plu-

sieurs pierres et en abréviation. I! se rencontre à plusieurscas

DNS(DoMtt'MMs,

t. II, pl. III, n°6),

et de l'autre côté de

la même pierre (ibid.,n°

7 ), en caractères dont la lecture est

moins certaine, DNO (Domino). Reask, comté de Kerry.

DNE (DoMM'Me~t. M, pl. IV, n° 8), encore sur une

pierre

de Reask.

DNI(Domini),

sur la pierre alphabétique de Kilmalkedar

(cf. supra,n°

3).

EPS (t. I, pi. LXVH,n-'i6o).

L'inscriptionentière est M A LIOHAIN EP S, KMael-Io-

hain, évoque.n L'abréviation EPS peut se lire indifféremment

en latin, Episcopus, ou en irlandais, Epscop. Le nom Mael-

lohain signifie «le serviteur(litt.

lechauve)

de Jean?!. Clon-

macnois, comté du Roi.

AP, a~M~ recte aM~ abbé H, d'où l'irlandais sM ouap.

L'inscription est TOMAS AP, K Thomas, abbé)) n(t. II,

pl. XVI, n"34).

Le trait, signede l'abréviation, au-dessus

de AP, indique quele

lapicide avait en vue le mot latin, non

le mot irlandais. Eglise de Saint-Brecan Aran Mor.

P. (PR?), presbyter, dans une inscription brisée, à la-

quelle manquent la dernière lettre de la seconde ligne et une

troisième ligne ORDOCORMAC P. « Priez pour Cormac,

prêtre ( t. II pl. XXI, n" 4 a ). Lismore, comté de Waterford.

(Voir plus haut PSPT dansl'inscription

deBrookborough.)

R est peut-être l'abréviation de Re~Mtesc!<, dans le fragment

qui porte FINDLESR (t. Il, pi. XXII, n" 46). KIHpeacan,''onité de

Tipperary.

Page 158: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule
Page 159: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

:&jYyi~&Mj' Za~TZ&f <~ ~'A'~K&' '~E- ~Z.~ '7'

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Page 161: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

.MVV'~MVtJ' Z<M'J'<~ ~Tr/fT~~ 7'Z.

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Page 163: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

/~j'c/o/~/<x~<'j' a~f ~z~' III

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Page 165: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

//A~<'Mn. /M, /M~PL. !P

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Page 167: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

~)'<<7~J' ~f de 'ïf~ ~z. V.

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Page 169: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

~jYvy~c/~J' /a~&rde J'M'~ ~z.

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Page 171: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

/ffV'~p&û/:j- Z~/Mr /y&M~. PL KY

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Page 173: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

ET

CAPITULA,

CONTRIBUTION A L'HISTOIRE DE LA LÉGISLATION CAROLINGIENNE,

PAR MARCEL THÉVENIN.

Il n'estpas

encore possible depublier,

sur lalégislation

carolingienne, un travail d'ensemble ayant une réelle valeur

pour l'historien du droitgermanique, parce que

iacritique des

sources de cette législation n'estpas terminée. Les conscien-

cieuses et patientes investigations de M. Boretius, professeurà l'Université de Halle, ont

déblayéle terrain' il est désor-

mais relativement facile, avec un guide aussi sûr que lui, de

se reconnaître au milieu de cet amas de textes, juridiques ou

autres, entassés pêle-mêle par la main ignorante descompi-

lateurs, que l'on connaît sous le nom decapitulaires 2. M. Bo-

retius était tout naturellement indiqué pour donner, dans la

collection des Monumenta(Z~eg'es),

une édition descapitulaires

qui prîtla

place de l'édition de Pertz, devenue tout fait

Insumsante espérons qu'il ne tarderapas

à mener sa tâche

considérable à bonne fin.

La Revuehistorique

apublié, l'année dernière, un travail

de M. Fustel de Coulanges quia

pourtitre De la

confectiondes lois au temps des Cf<ro~K6'!6Ks. Il est regrettable qu'en

Die C<!p:<M/a?'tM!M L<:Mg'o&eM Reich, Halie, 1864. V. encore Beseler

(Fe~a&eK~w Bo?Meyer), Ueber die G6.!e~M&ra/<f<erCapitularien, Berlin,

< 871. Sohm, Die Frânkische /?etcA.!!Mf/ Gerichts Fer/a.M!< 1871, p. i o2a

pt suiv.

~sg'e 2Mr Csp:<M/<:t'MK~t'!h'A'.Leipzig, Duncker. 187~.

Op. cit. p. 42 et note i, p. 80, p. 108, p. 86, note i. Le jugement~jénér'a) porte par M. Boretius, quelque sévère qu'il paraisse, est juste.P. 56, note i f Pertz batte so hodistgeringe Kenntmssdesdentsche.n

Keclites, dass der RechtstiistoriJcer nur mit stillem Schmerze seine iiblichen

Einteitungen zu den einzetnen Capituiarien lesen kann, i etc.

LEX

Page 174: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

MARCEL THËVENÎN.138

écrivant cette étude l'auteur n'aitpas

connules quelques

tra-

vaux allemands où sont admises avec ou sans restrictions, en

tout cas discutées, lesprincipales

conclusionsprésentées par

M.Boretius dans son dernier ouvrage. S'il connaissait ces con-

clusions, il eût dû lesappliquer

àl'objet spécial

de son étude

ou lesrejeter après

examen. Pour n'avoir ainsi tenu aucun

comptedes résultats obtenus

parses devanciers, M. Fustel de

Coulangesa

publiéun travail dans

lequelon retrouve sans

doute le talent ordinaire de l'écrivain, maisqui

ne résoutpoint

l'une desimportantes questions

relatives au droitgermanique.

Il est à craindre, en revanche, quece travail ne contribue à

entretenir dans legrand public

les idées confuses ou inexactes

quiont cours sur

l'espritde la

législation germaniqueen

gé-

néral, et, enparticulier,

sur le rôlelégislatif

desCarolingiens

Voici quelques anh'mations de M. Fustel de Coulanges. P. 3 ftPour

(luia lu complètement et de suite les

capitulaires de Pépin, de Gharle-

magne,même de Louis le Pieux, il n'est

guère possiblede mettre en

doute quel'autorité

législative n'appartînttout entière au

prince.n 7&.

frLe vrai législateur est toujours le prince.!) P. 5 «Lescapitulaires

em-

brassaient les mêmes matières queles lois. Ib. ffOn voit fréquemment

les princestransformer leurs

capitulairesen lois

parleur seule volonté,

ou ordonner de les écrire parmi les lois, ou en6n prescrire qu'on leur

obéisse comme s'ils étaient des lois. P. 6 tdl est incontestable queles

capitulaires étaient l'œuvre des rois seuls et de leur conseil intime; ils

ressemblaient à ces edicta, decreta, c<MM~M<<M:M, qui, quatre siècles au-

paravant, partaientdu

palaisdes empereurs romains. -Pour ce

quiest

des lois proprement dites, p.6 "Nul indice d'une intervention des sujets,

»

P. i& Cette sorte d'assentiment (des populations, leur coMeMMs à la

loi) ressemblait beaucoup plusà un

engagement que prenait la popula-tion d'observer la loi du

prince, qu'à uneparticipation

effective de cette

populationau

pouvoir législatif. Comp. p.18 et suiv. La conclusion est

que Si nous bornons notre regard au ix" siècle, si nous donnonsaux mots

le sens qu'ils avaient dans la languedu

temps,si nous observons la pra-

tique et la réanté telles qu'elles nous sont décrites par les documents si

nombreux et si clairs (~) de cette époque, nous ne reconnaissons nulle

part quela nation, au

tempsdes quatre premiers Carolingiens, ait pos-

sédé ou ait seulement partagé avec ses rois la puissance législative.

L'examen de cette théorie, exigeant une discussion de détait, serait ici dé-

placé en quelques traits je mepermets de marquer l'impression qui

sedégage

de la lecture de ce travail en disant que l'auteur me parait

connaître imparfaitement le latin des sources juridiques carolingiennes;c'est au travers de l'allemand, et de l'allemand aussi ancien

que possible,et non d'un latin plus ou moins classique, qu'il faut le lire pour le bien

Page 175: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LEX ET CAPITULA. 139

Le manuscrit ao& nouv. ace. lat. de la Bibliothèque na-

tionale contient une indicationprécieuse,

en ce qu'elle vise

directement la législation franque au tempsde Louis le Pieux.

Cette indication, rapprochée de quelques textes qui en pré-

cisent et complètent le sens, permetde saisir sur le vif un

procédéde la législation du ix" siècle elle amène tout natu-

rellement à distinguer, tant par leur caractère extérieur que

par leur structure intime, les divers matériaux dont la réu-

nion constitue l'édifice juridique carolingien. On sepropose

donc, dans cette modeste étude, non de montrer directement

l'évolutionaccomplie par

la législation franque depuis l'époque

de la rédaction desLeges Barbarorum jusqu'à celle de la

pro-

mulgation des derniers capitulaires,mais seulement de

dégager

lepn'Kc~e~'Mt'M~tM quia

présidé,au

tempsdes Carolingiens,

à la formation de deux couches distinctes de législation.

1

Le folio 20 v° du manuscrit ao& contient une suscriptio

relatant deux événements onpeut

doncy distinguer

deux

parties;voici la

première

Incipiunt capitula quœ D. Hludovicus seren. imp. imperii sui v° cum

universo cœfMpopuli a deo sibi commissi, id est cum venerabilihus epis-

copis et abbatibus atque comitibus vel cum reliquo populo in Aquisgrani

palatio ~rom!<~<!M<atque legis ~a&'e~ addere et universis ordinibus supe-ftoris videlicet inferiorisque gradus populi imperii sui firmiter tenere

1

prcecepit.

Ce texte indique queLouis le Pieux, en 818~, dans une

assemblée générale, promulguaau

palais dAix-la-Chapelle des

chapitres, décida d'annexer ceschapitres

à la lex Salica, enjoi-

comprendre. En second lieu, l'auteur commet parfois, dans le choix et

la citation des sources, des erreurs provenant de ce qu'il ne semble pasavoir d'orientation au milieu des textes qu'il manipule. Enfin, la légis-lation carolingienne n'a de sens et d'intérêt pour l'historien que rap-

prochée de la législation qui l'a précédée chez les divers peuples germa-

niques.Firmiter lenere, c'est exactement ~M~ /M/<<'n.Le sens technique de

capitula sera fixé plus loin; je donne provisoirement à ce mot son sens

primitif.Et non pas en 82o comme l'indique Pertz, loc. cit.

Page 176: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

MARCEL THËVENIN.l&O

gnant en outre à tous les ordres, supérieurset inférieurs, de son

empirede les

garderfidèlement. Quels sont ces chapitres? C'est

ceque

le manuscrit n'indique pas. Le compilateur,comme fai-

saient souvent ses collègues en compilation,a

copieà la suite

de cettesuscriptio

des dispositions qui ne s'y rapportent pas. Il

estquestion

de ceschapitres

dans le document appelé par

Pertz Cap. /l~K!s~a. 82o (Mo/t. Zeg'. 1, p. aao,

c. 5).

Generaliter omnes admonemus, ut capitula que prœterito anno i

&{~'e<Bper omnium co?!se)MMmaddetula esse censuimus.

Du rapprochement de ces deux textes, il résulte quedes

chapitres, d'ailleurs antérieurement rédigés et réunis en bloc,

ont été promulgués,et

que,en vertu du consentement una-

nime, l'annexion de ceschapitres

à la lex Salica a été décidée

par l'empereur dans l'assemblée générale tenue à Aix-la-Cha-

pelleen 818.

Passons à la deuxième partiede la

mscr~to

ipsaque postea cum in Theodone villa generate conventum ha-

buisset ulterius capitula appeltanrla esse proltibuzt sed târnaturn (lis. tituturrz)

buisset M&Mc<H<M&!<e~<:nf~ MMab omnibus !sms(«m (~M. faM<Mm)/M; fëcen~a immocrue ea Srmtssime ab omnibus ~ro ~e ~me~t: cutn

totius optimatum suorum consilio proecepit.

Elle indiqué que «plus tard, dans une assemblée générale

tenue à Thionville, Louis le Pieux, de concert avec les grands

formant son conseil, défenditd'appeler

dorénavant ces chapi-

tres capitula, ordonnant de ne les plus appelerà l'avenir que

lex, et enjoignant à tous de les tenir strictement pour lex, ce

que confirme, au reste, la dernière partie du c. 5 cité plus

haut

Generaliter admonemus, ut capitula. MM tMM~M'KM capitula, sed

t<M<Mmlex dicantur, immo pro ~g-e teneantm'.

Ces chapitres promulguéset annexés à la lex Salica en 8188

àAix-la-Chapelle, dénommés lex en 810 a ThionvUle, se

trouvent dans les ~OKMM. (~ej. 1, p. s a 5)et ont été rédigés

peut-être en81~,

auplus

tard en 818 comment etpar qui'?

'?

C'est ce qu'on verraplus

loin.

/MM)MM!<~c'M. sed <sM<MM~c'est exacteMent )Mc/<<me/tr. Me/

wc/o'.

Page 177: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LEX ET CAPITULA. 1M

En résumé, les deux textes ci-dessus, enopposant

ainsi

capitula à lex, assignent à chacun des deux mots un sens juri-dique technique

dont on avait déjà quelque peuconscience

au tx" siècle~. ilspermettent

de constater, tout d'abord, l'exis-

tence de deux éléments distincts au sein de ialégislation caro-

lingienne les caractères propres à chacun de ces éléments

seront déterminésplus

loin. Ilsindiquent,

en outre, unpro-

cédé de législation quine

peut être biencompris que si l'on

sereporte aux Leg-es Barbarorum; c'est en se faisant une idée

aussi exacteque possible

des conditions danslesquelles

naît

et se forme la lex qu'on pourra seulement préciser en premier

lieu le sens juridique du mot lex, ensuite celui du mot ca-

pitula.

II

Pendant des siècles la coutume exista à l'état latent, sous

forme d'usages juridiques auxquels, au sein de l'association

(civitasde

Tacite)dont il faisait

partie,le Germain de condi-

tion libre obéissait d'instinct 2. Iln'y

apas

à rechercher ici

par suite de quels événements historiques, à la faveur de

quelles circonstances la conscience de ces usages s'éveillaplus

ou moins tardivement chez les divers peuples germaniques.

Un fait constant est que la coutume, organisme juridique,apparaît et se développe suivant les procédés

de tout orga-

nisme naturel. Elle n'est pas créée, en ce sens que ce n'est pas

unorgane particulier, roi, conseil

aristocratiqueou

prêtres,

quiélabore pour l'association et encore moins lui impose

3

Le sens primitif de ca~t'tM~tMest point, objet, article, division, pointen t/MCMMMM,e/te/ (Lit.irë, i3o). Ici il est évidemment pris dans un sens

technique, fdenn selbst ein Kaiser kann nicht befehlen, dass ein Abschnitt

nicht fernerhin ein Abschnitt sein soii.~ (Captk., p. 33.)

Germ.~ c. tx: "Plus ibi boni mores (usages, coutume non écrite) qaamalibi bonas /M'M. Paulus Diac. De Gestis LaM'. fV,/[A: ff. leges quas sola

memoria et usu rettne&s~.T! C~'om'c. Go</<-Pertz, Zeg'. IV, p. 6~5 f~Nam

antea (avant la rédaction), per M~<:r/M<: (coutume non écrite) et arbi-

trio seu ritus finierant causationes. » Pour les Bavarois, cf. Pro/og'. Les'. III,

p. a5q, ies Frisons, Leff. III, p. 668, XIV, 2, etc. Cf. Boretius, Capi-<M/m'M'K/i;p. 8 et suiv.

f (jehorsam war den Ueutschen ein fremfter Beg'riiT. ( Waitz, Verfas-

Page 178: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

MARCEL THÉVENIN.i~a

lesrègles qui

luipermettront

de se maintenir et de se déve-

lopperelle naît incessamment des

rapportsdes membres de

l'association(GeKOMCK)

entre eux, et s'alimente directement

au fonds populaire.

`

L'association(Volksgemeinde)

n'estpas

en état de se livrer

à un travaild'enquête

sur les usages dont l'ensemble constitue

la coutume non écrite, de les classer, de les ordonner sous forme

dedispositions rédigées

et écrites. Ellecharge

donc de ce tra-

vailpréparatoire

les chefsqu'elle

s'est donnés elle-même.

Prolog.1

ieg.Sal. (Behrend, p. ia4) « Gens Francorum. juxta

morum suorum quaiitatem. dictaverunt Safica iege~ey proceris~ ipsius

gentis quiomnes causarum

originessollicite discuciendum tractandis

de singulis judicibus decreverunt hoc modo. H

Que ce travailpréparatoire

soit fait àl'instigation

de l'as-

sociation, comme cela estindiqué pour

les Francs Saliens ou,

comme cela estindiqué pour

les autrespeuples germaniques,

àl'instigation

du rex ou du dux enqui se

résume visible-

ment l'unité de l'association, iln'importe

leprocédé

de~M-

lation constamment suivi est celui-ci des hommes choisis,

connuspour

leurexpérience,

leur habiletéjuridique,

et re-

commandablespar

leurâge,

font uneenquête

sur lesusages

existants.

Protog. ieg.Baiuw. Zeg'. III, p. 360 ~Theodericus rex Francorum.

elegit viros sapientes qui in regno suo /eg'&Ms antiquis (usages) eruditi

erant. Ipso autem dictante iussit conscriberelegem. Hœe omnia Da-

~MK~Ge~c~. I, p. 3 ta.) Ceci estégalement vrai, appliqué aux institu-

tions juridiques et aux institutions politiques.

Sur le sens de dictare, v. Sickel, tMMK&K/e~'ej I, p. ia6.

Cf. Tacitus, GerM., c. x:: sDemmoribus rébus principes consultant,

de maioribus omnes, ita ut eaquoque, quorum ~M:M ~M~em <:fët<n'!<N:

est, apud principes p)'<B<fac<eH<Mr.!) Le procédé indiqué par Tacite se re-

trouve dans Pro!. I, ieg.Sal. (Behrend, p. 125) <r.proceris ipsius

gentis qui tunc tempore eiusdem aderantfee~or~qui.. -omnes

caù-

sarum origines sollicite discuciendum tractandis (~ac<at!<M~) desingulis

iudicibus decreverunt hoc modo.)) Cf. Epil. 1 (ib. p. ia6) (tSic vero Chil-

dcbertus rex. po'&'ae&ïM')) etEpiL

II(p. 127) fr. et postea eMM

Francis ~'&'ac<nc~) etc. Cf. Edictus domniChUperici régis (Behrend,

p. i o5 ) Pe)'<:<)!<es. cum t'i'ns. o&<!mf:<:&M ve) antrustionibus et

om)t:pot)M/oMo.o convenit, etpMMm.

Page 179: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LEX ET CAPITULA. l&â

gobertusrex

perviros illustres et omnia vetera legum

in menus trans-

tulit et unicuiqueg'eM<! scriptam tradidit. n

Roth. Prolog. Leg. IV, p. atf. in

quantum per SM~M homines

didicimus.

Roth. c. 386. Leg. IV, p. 8g tf.reservantes, ut quod adhuc.

tam per nosmetipsos quam per <M<yMos homines memorare potuerimus

in hoc edictum subiungere debeamus

H en sera de mêmelorsque

lespeuples germaniques

seront

réunis sous lesceptre

desCarolingiens.

Capit.Karoti m. a.

y8o,c. 6a.

Leg. I, p. 63 «Primo namque dili-

genterdiscenda est lex a

sapientibus populo composita."

Capit. Karoli m. ital. a. 801, praef. Leg. I, p. 83 ft.qua~dam (quœs-

tiones) vero in nostri examinis arbitrium ad tempus dilata quorum iudi-

cialis sententia a legislatoribus aut penitusomissa est aut a

posteris

oblivioni tradita Ce dernier pointsera traité plus loin.

De cetteenquête,

les~s~ores rapportent

une série de

dispositions qu'ilssoumettent à rassemblée de la

gens { FoM:).

Grâce à eux, l'association a désormais conscience de sesusages

juridiques; elleapprouve

celles de cesdispositions qui lui pa-

raissent le mieuxreproduire

les traits de sapropre création;

elle les reconnaît comme constituant sa coutume. L'instinct

faisantplace

à la connaissance, elle déclareque

c'est bien là

son droit.

Prolog.ad

ieg. Burg.c. i3.

Leg. III, p. Sa~ rf .deËnitio quœ ex

tractatu nostro et communi omnium voluntate conscripta est.

Liutpr. prol. Leg. IV, p. 135 ff. et cam presentaliter fuissent capi-tula ista relicta omnibus placuerunt et preventes a~e~MM. B

Cf. lex Alam. Leg. III, p. A5 et lex Baiuw. Leg. III, p. a 60.

Tass. decreta prœf. Leg. III, p. ~63 f.MM~erM consentiente mul-

<!MMe. ')

La coutume écrite, résidu de l'ensemble desdispositions

successivement examinées, naît donc de la collaboration des

legislatores etde l'association. Il est absolument inexact

d'y

voir'le résultat d'un contrat intervenu entre les/eg's/à<orM

et

l'association 2. Ces deux facteursn'agissent pas

contradictoire-

V. Boretius, Kapitularienlcr. p. 8 et suiv.

Dans ce sens, Lôning, Vertragsb., p. i, n. i. Dans le sens de contrat,

Boretius, op. cit., p. 11, etBeseter (F~g's&eMyMrjHoMeyef), p. 5, 6.

Page 180: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

MARCEL THEVENIN.1M

ment; leur activitéconverge

vers un but nnal_commun, la

fixation de la coutume.~e~s~torM

et association s'accordent.

Prolog. leg.Sa). U (Behrend, p. 126) ffPfacM:< alque convenit inter

i

Francos et eorum proceres.7)

De là le nom depactes,

termetechnique qui désigne

la

coutume fixée, dans lesplus

anciens documents

Cod. Bibl. Mt. A~o~ Kincipiunt capitula inj~c~o Saiica'.a »

Prolog. teg. Sa). 1 (Behrend, p. ia5): ff. et quod minus iu~ac~Mm

habebatur idoneo. »

Leg. III, p.3& f.Ineipit~sc~KS lex Aiamannorun). Et sic con-

venit. )!

t'roiog.ad teg. Burgond.

c. i3. Leg. 111, p. 5~ etiam per

posteros custodita perpetaœ pactionis teneat Grmitatem. B

Cet a<*eor~ se manifeste et s'affirme dans des formes qui

varient avec les diverspeuples germaniques.

On.retrouve en

elles les formes de la vie juridique ordinaire.

Roth. c. 386. Leg. tV, p. §o s. et per ~'aM'~M?Hcs<'CM~MMt'

g-entM }:os<?'a' M)~tHS)!<es ut sit hœc iex firma et staLiiis.?

Prolog. ad teg. Burg. c. i3. Leg. III, p. Say t<GonstitutIoms vero

nostrœ seriem placuit etiam adiecta comitumSH&MnpiMKe~ma)'!

ut deft-

nitio quæ ex ti-actatu nosli*o et communi omiziuin voluiitate consci-ipla est,tM/M quas ex &'<:c<<~MHo~t'o et communi omMMH! oo~Mtttsfe coMer~~ est,

etiam per posteros custodita perpetuae pactionis teneat ~rM~teM.))»

Telles étaient encore l'acclamation, suivieprobablement

de

certains actes solennels et, peuà

peu, l'écriture. L'assenti-

ment et l'acclamation d'où résulte l'accord manifesté sont mar-

qués parles

expressions suivantes, revenant àchaque

instant

dans lesleges

Kadsensumprae&ere~

am~M~ omnipopuio,

universa coH~?t<:eM<e multitudine, ex communi omnium vo-

luntate, per suggestioneiudicum

otHtMMtKOMecoHseHSM. Il

importede se bien

pénétrertout d'abord

quela &M? nait d'un

accord et nonpas

d'un contrat, si l'on veut juridiquement

distinguerentre elles les sources de la

législation carolingienne.

Enprincipe

et tantque l'empire

des Franks n'estpas

encore constitué telqu'il

le sera sous la deuxième race, le

7/!<e)' a ici le senscopulatif de zwisclten. Cf. Leg. 111. p. ~)5 K. M/M

cuu) proeeribus suis.vêt cetero populo adunato. et ib., p. 269

fr.. apucl (avec) regem etprincipibus

eius et apud cunctopopulo.

x

Page 181: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LEX ET CAPITULA. 1h5

i 0

peupleattribue la même autorité à sa coutume écrite et à sa

coutume non écrite. M faut toutefois et il suffitque

la coutume

non écrite soit constatéepour chaque

cas particulier nonprévu

dans la lex, par les juges du tribunal. La raison en estque,

dans l'une et dans l'autre, l'association(~eKs, Volk) reconnaît

égalementsa création, la norme qu'elle

a elle-même élaborée.

Aussi le mot lex(anc. germ. eïpa~ eoa, « ce qui lie "), qui

ne dé-

signera plusdans la législation de la seconde race que la cou-

tume écrite, est-il souventemployé

dans les leges au sens de

coutume non écrite mais observée, dont l'association a con-

science

Lex Fris. XIV, 2.Leg:. IV, p. 668 rrHaec lex inter Laubachi et

Flehum custoditur. Casterum inter Flehum et Sincfa!am talis est co~Me-

/M~O. B

Edict. Roth. c. 386. Leg. IV, p. 8g antiquas ~M. ~Ma?

.scr: non erant. Cf. Prol. Baiuw., p. a5().

Au vin" siècle, l'une et l'autre sont nettement distinguées.

Pippini It. reg. cap. circa 7go,'c. 10. Leg. I, p. 4y fr.ubi lex est

prœceiiat co)MMe<M~:Memet nulla coMM<e<M~osuperponatur legi.

La coutume écrite, lex, est encore désignée par les mots

edictum, decretum, constitutio, qui, pour peu qu'on soit sollicité

par le souvenir desprocédés

de la législation romaine, sem-

blent indiquerdans la

législation germanique une évolution

quiattribuerait au rex ou au

duxun rôle de premier ordre.

Ils marquent simplement que, dans la confection de la lex

ou mieux dansla fixation

de la coutume, le rex ou le <&M;, en

quise personnifie l'association, attache son nom à l'oeuvre de

l'association elle-méme 1; sacoopération n'ajoute

rien aux ca-

ractères propres de la lex, mais elle lui est en somme favo-

rable, en ce sens que le rex ou le ~M~c est mieuxplacé que

l'association, groupe complexeet inhabile à

agir, pour voir à

quel moment il est opportun de fixer la coutume ou d'ajouter

desdispositions (capitula)

nouvelles auxdispositions déjà

fixées s.

Proiog. ieg. Baiuw. Leg. III, p.a5g frDagobertus unicuiquegenti

scriptam tradidit." Cf. Einhardi'Vita Karoli, c. xxrx, script. II, p. ~58.

ft p«M:'M.C'est ce qui résulte directement des textes et du rapprochement de

Page 182: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

MARCEL THËVEMN.1&6

Il résulte del'analyse qui précède que

la lex tire d'elle-

même sonprincipe

d'autorité etque,

chez les Germains, dans

la lex se manifestespontanément

la fonction juridique de

l'association, c'est-à-dire dupeuple

considéré comme uno~-

nisme social. Le caractère essentiel de la lex est d'êtrepo~M~Mv.

Tass. décréta adleg. Bamw. Leg. lit, p. &6& tfDe~opM&a't'&MS ~t-

AM~.!)

De ce caractèrepopulaire

de la lex découle, parvoie de

conséquences,une série de

propres queles textes

permettent

d'ailleurs de constater directement.

i ° La lex estpersonnelle.

a)Au sein du

royaume,de

l'empire des-Franks, la lex est

particulièreà

chaque élément constitutif decet empire,

c'est-

à-dire àchaque peuple;

elle est la Je cepeuple,

comme

l'idiomegermanique qu'il parle

est salangue.

De làles expres-

sions lex Salica, lex Z<?'aHC. C/M~aSOfMM, ~&mM)MMrMN~ F<M-

tpat'torMm, LaHg'o~af~orMMt,etc. Et comme, sur le territoire de

l'empire, chaque peuple occupeune

circonscription déterminée

edictum et de cfM~i'e~ de ~cr~Mm et de <feo'e!)er!tHf. V. d'unepart l'rolog.

1

Leg. SaL (plus haut, p. i fi et n. a ) et d'antre part Ft&ct. Roth. Leg. IV,

p. 8 () (f Pra'senteme~c~m quem. inquirentes et rememorantes antiquas

<<M. quœ scriptœ non erant condedimus.7! Cf. p. i55. LexBaiuw.,

Leg. 111, p. a6() fr.oc ~ecre.tMm apud regemet

principibuscius et

apud cuncto populo.x Les proceres, principes de l'association, de la

g'e)M (civitasde

Tacite) sont devenus lesproco'eSj judices, principes, etc.,

du re.r ou du dux; ceci marque une évolution politique sans doute,

mais non une modification, encore moins une altération des caractères

essentiels de la coutume. Quant à coMt!'&<<:o., ce mot signiSe simplementaction de fixer, ~'sn'&e)' (statuere), comme il est facile de s'en convaincre

parla

glosse maihergicnie (Lex Salica, xmi) Kseoland ~<<M.f Voy.

Kern, Ma&. G~s.~ p. ay "S~MM ist steuen oder ~<a<Mefc~ bestImmen.B

CoHsftMM, au sens concret, est donc tout d'abord FensemMe desdisposi-

tions fixées, tout comme lex, coutume écrite. Les précautions prises pour.s'assurer du sens d'un terme juridique et des nuances de ce sens.

pour-ront

paraître exagérées, et la lecture de ces citations sera peut-être fati-

gantec'est qu'à mon avis on ne saurait

trop se défier del'enveloppe

latine qui, dans les textes spéciaux, recouvre t'idée juridique; d'autre

part, cette idée eUe-méme, chez les Germains, ne se présente jamais

complèteet

précise dans un seul mot, et l'on ne peut, en conséquence,.arriver la saisir tout entière

qu'aprèsune série de retouches et de tâ-

tonnements.

Page 183: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LEX ET CAPITULA. 147

10.

(~roM'MCM, ~n/j!),elle est la lex de cette

circonscription (sans

être pourcela

territoriate).

Lex Franc. Chamav. (Gaupp. p. 30) <rNotitia vel commemoratio de

illa euua, ~M<Bse ad ~MoreM Aa&e<. Cf. ib. xxvi, xxvtii.

Pippini capitulare, a. 768, c. i Leg. 11, p. i/t 'r. et si de alia

provineia advenerit, secundum legem ipsius~M&'M? vivat."n

b) Partout où réside ou s'établit l'individu sur toute l'é-

tendue del'empire

des Franks, sa lex le suit, parce quela lex

est lapropriété

de Findividu(lex ma).

EHe faitpartie de

son

être (lex <7Mf<vivit).Il ne peut pas ne pas l'invoquer, tout

comme il ne peut pas ne pas parler l'idiome qu'il parle.

Pippini capit. c. trUt omnes homines eorum legis habeant, tam Ro-

mani quam et Salici, et si de aliaprovincia advenerit, secundum legem

ipsius patri~e vivat. (V. p. i~t5, note i.)

Le rex lui-même n'estpas

au-dessus ou en dehors de la

lex; individu d'origine franque (saliqueou

ripuaire);lom-

barde, etc., il vit d'après la /e.c5's&ea, Ribuaria, etc. C'est ainsi

que Clovis observe la lex Franc. en fiançant Clotilde par le

.soMe~/ef/eKMr.

Fredeg. epit. Greg. Tur. 18 ~Legati o~g?'eK<Msolidum et denarium,

ut mos erat Francorum, eam partibus C/~o~o~ .~OMMM~ Cf. Form.

de Roz. asa tf. pef solidum et denarium secundum leffem Salicam et

antiquam consnetudinem ~o~~M.x 7&. 23o.

Les Carolingiens vivaient d'après leur lex d'origine, c'est-à-

dire la lex Ribuaria.

Divisio imperii a. 817, c. 16. Leg. I, p. 200 cfSi vero a)icuiiHorum

(filiorum) coutigerit nobis decedentibus ad annos légitimes iu.xta Ribua-

riam leffem nondum pervenisse.

Un texte intéressant, cité déjà par M. Boretius (Kap. p. i /t),indique qu'a il

en coûta le trône au roi des Lombards, Rat-

chis, pour avoir, entre autres violations de la lexLangobar-

dorum, réglé, vis-à-vis de sa femme Tassia, lesdispositions

matrimoniales, quantaux biens, d'après le droit romain et non

pas d'aprèssa lex

personnelle 1.n

Chronic. Benedic. Script. t!I,p. 70 a. Voy. encore le récit intéressant

rapporté par Grégoire de Tours, Hist. FfSMc., III, ay. Cf. Sohm, ~eeA:

der Eheschliessung, p. 77,n. 3.

Page 184: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

MARCEL THÉVEMN.)M

c)C'est

précisément parce quela lex est

personnelle,c'est-

à-direqu'elle

est lapropriété

dechaque peuple

et aussi de

chaque individu, queles autres

peuplesou

individus (et aussi

le!*e~)

ont le devoir de larespecter,

de même qu'ilsont le

droit de fairerespecter

la leur.

Greg. Hist. IX, 3o K ~'NM'fe!' et itie [Charibert] cum iuramento

promisit, ut ieges consuetudinesque novas populo non infligeret. sed

in illo quo quondam patris dominatione statu t'!a;era!t!. Htipso hie eos

deinceps re<:n~'e<

Pipp. It. regis capit. c. i5. Leg. L, p. loA: ttVohitaus ut sicut nos

um!M&M~legem o~'MMM, ita et omnes mo~M ~on o&M~re ~esKf. »

KaroHII jusjur. a. 876. Leg. I, p. 5at) < Ego MMcM'~e eo~e-feHtem ~eM et iustitiam eoMso'sa&o. Cf. jForn!. de

Roz. yff. et eos

recto tramite MCMH<&<m~g'e et eoMMc<M<&'Meor~y! regas.))

a" La lex est !'HuH~c dans sa ~M! elle se transforme in-

cessamment, et dans ses transformations se reflètent les vicis-

situdes historiquesdu

peupledont elle émane Fixée à un

certain moment de sa duréepar

leprocédé que

nous avons

vu, elle nepourrait

être abolie en bloc, effacée que parle

procédéinverse.

L'organesocial

qui,sous les deux

premières

races, est ledépositaire

dupouvoir, ler&~ne peut pas plus,

par ordre, abrogerla lex d'un

peuple, qu'ilne

peut, par ordre,

anéantir salangue

et laremplacer par

une autre. Ilpeut

tou-

tefois agirsur la lex, mais indirectement et dans des limites

restreintes. Même dans ces limites, il nepeut agir

sur elleque

si, parvoie de modifications insensibles, il sait en

élaguerles

dispositionstombées en désuétude. Ces

dispositions sont, en

effet, des élémentsque l'organisme juridique ne nourrit

plus.

Quant auxdispositions

envigueur, dont l'association vit en-

core, iln'y peut pas

toucher.

Proiog. )eg. Bamw. Leg. III, p. a5() ~Et quicqoid Theodericus rex

propter vetustissimam paganorum consuetudinem eMen~cre non po<M<j

post hsBC Hildebertus rex mc/tcaM~ sed Lotharius rex pef/ec!'t.t

II sufHt de rappeler ['influence considérable qu'exercèrent: l'Ia lex

&!K<M sur les leges de quelquesautres

peuples germaniques,en partica-

lier sur la ~~Man'a/cf. Sohm, Ze:~c/t)'R)'Ree/t~g'M<He/<fe,V,p.3()&et suiv.; a" après la fondation de l'empire irank, les /eg-M j~at:co!'t<m

sur

les leges des autres peuples. La lutte pour l'existence ou la prééminence

s't!tab)it ou se poursuivit entre les divers organismes juridiques ou &§'<?.

Page 185: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LEX ET CAPITULA. 1&9

Liutpr. c. cxvm. Leg. IV, p. 156 tr. sed jNrop/er consuetudinean gentis

tMs<f<p Z,SMg'o&<!r(/orMm ~eM ipsam M<<:)'e non ~o~M~MS.n

3° La lex, dans les diversesphases

constatées de son déve-

loppement, emploie le procédé qu'ellea

employé pourse fixer

tout d'abord. Cecipourrait

être considéré comme une consé-

quencede ce

qui précède;c'est d'ailleurs ce

quirésulte direc-

tement, pourla

période mérovingienne,des

Epilogues1 et II

(Behrend, p.ia6 et

isy).Cf. Edictus domni

Chilperici

regis (ib. p. io5),c. t, et les nombreux textes cités

plus

haut 2. Pour lapériode carolingienne,

voirplus

loin.

&° La lexrègle

ou du moins tend àrégler

lesrapports que

la vie civile fait naître entre les membres libres de l'association

(civitas, natio, gens, joopM~Ms),et ne règle que

ceux-là. C'est

pour celaque

lesleges

sont avant tout des recueils deprocé-

dure et de tarifs. Le droit civily

estégalement représenté,

mais en action, mêlé à laprocédure, parce que l'association,

encoreincapable

de lapuissance

d'abstraction nécessairepour

distinguerentre elles les

grandesdivisions du droit, s'est

pro-

poséde

rédigerun recueil utile et non un recueil

systématique

et savant dedispositions juridiques3.

Lesleges contiennent, en outre, plus

ou moins dedisposi-

tionsrégtant, par quelque côté, la situation civile des étran-

gersau sein de

chaqueassociation.

Var. MMtsfe. Le chapitre est trop long pourêtre

reproduit ici; il

faut te lire en entier dans Pertz, loc. c:'<.

Lesleges, pour se mettre d'accord avec les coutumes non écrites,

procèdent tantôtpar

additions successives, tantôtpar remaniements plus

ou moins habiles, tantôt enfin à la fois par additions et remaniements de

détail. Pour bien constater ces additions, il faut évidemment avoir [es

textes sous les yeux. Dans la période mérovingienne et en s'en tenant à

la lex Salica, comp. 1° Behrend, p. g8, c. i ffDe ag'so~K'M (des essoines

nu excuses légales).Secundum legem Salicam hoc convenit observari.

et lex Salica, 1 cDe mannire') (de l'assignation au tribunal); a° Edic-

tus Chilp. (Bebrend, p. io5) r~Pertractantes in Dei nomen cum viris

magnincentissimiset omni

populonostro coMMtMf., etc. c. a Si-

miiiter convenit ut re:&Ks. M et ~'Sa~ xuvfDereipus.B

Edict.

Chilp.c. 3 et/e~M.~ nx frDe a~odis," et passim.

La proportion entre ces éléments divers, droit privé, procédure,

tarifs, varie du reste avec les différentes leges; ce quatrième point,fort

important,ne

peutêtre examiné

quedans une histoire de la

législation

franque.

Page 186: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

MARCEL THÉVENM.150

En résumé, la lex émane du peuple et s'alimente directe-

ment à la source populaire; de la son procédé de formation et

de développement. Elle est personnelle. Elle est illimitée dans

sa durée, parce qu'elle satisfait à des besoins qui sans cesse se

renouvellent.

III

A côté de ces besoins, nés spontanément des rapports des

individus entre eux au sein de chaque association (quod ad

.HK~of Mm!<??<:?!? pertinet), sedéveioppèrent, assez faibles

d'abord, puis plus grands à mesure que l'empire des Franks

prit plus de consistance, des besoins nés de la vie politique,commune aux populations germaniques et romanes réunies

sous le sceptre des rois, puis desempereurs Franks (quod ad

M<!7!ta<Bmpublicam ou encore ad M~t~e~ Jowïn~m seu rea~stM

pertinet). Le pouvoir royal, en réunissant ainsi ces popula-

tions, les avait, en effet, par cela même initiées à la culture

politique générale lui seul était en état de trouver les moyensles mieux appropriés au maintien et au progrès de son œuvre.

Les moyens avec lesquels les rois gouvernèrent et administre-

rent l'empire sont, dans l'ordre juridique, les dispositions lé-

gislatives connues sous le nom de ca~M~M'?~.En embrassant le christianisme, les peuples germaniques

vécurent désormais d'une vie religieuse commune, qu'avaient

déjà organisée, avant leur conversion, les décrets des conciles

et les règlements disciplinaires des synodes ou autres assem-

blées ecclésiastiques. L'Eglise toutefois ne pouvaitassurer l'exé-

cution de ses volontés, là où elle procédait par ordres ou

Injonctions, qu'au moyen de peines MMOtM~Mcs,telles que l'ex-

communication, les pénitences ecclésiastiques, les amendes, etc.

Les Carolingiens lui prêtèrent l'appui de leur pouvoir séculier,

en reprenant les dispositions élaborées par elle, sous la forme

Cette initiation à la vie politique générale fut d'aitieurs imposée aux

populations plutôt que volontairement acceptée par elles; c'est ce quedémontrent, juridiquement, l'existence du &a!M~ sanction pénale quinécessairement appuie toute disposition émanant du pouvoir royal, et,

historiquement, ia fragitité et l'effondrement rapide de l'édiCce politiquefnrntin~ipn.

Page 187: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LEX ET CAPITULA. 't51

de dispositions législatives, également connues sous le nom de

eas~M~Mre~dont l'exécution fut, à l'occasion, assurée par le

bannus, c'est-à-dire parune sanction

pénale d'origine royale.

Sous les Carolingiens, l'unité politique, qui,au temps des

Mérovingiens, se personnifiaitdans le rex ou le aM~c, prit corps,

pourtous les peuples

soumis àl'empire

des Franks, en la per-

sonnqde l'empereur. Ce fut au

pouvoir impérial qu'incomba

désormais la tâche, nonpas

de développer les leges, on

peut dire maintenant le droit CM~7/–mais de donner au droit

civil l'occasion de sedévelopper

en saisissant le moment précis

où il devait se mettre à la hauteur des exigences nouvelles. Ces

exigencesétaient dues à l'action exercée par

la viepolitique,

la vie économiqueet la vie religieuse sur la vie civile géné-

rale. Lapart

de ces exigences,en tant

qu'ellesmodifiaient dans

le même sens l'ensemble des leges, c'est-à-dire lesparties

du

droit civil communes aux diverspeuples

del'empire,

fut faite

aumoyen

dedispositions qui nous sont également parvenues

sous le nom de M~M~K'rM-.

Enfin, les instructions écrites données par les rois ou les

empereursà leurs agents, d'abord provisoires, puis perma-

nents (m!~), pourl'exécution des

capitulaires,la levée des

contingents militaires, l'application des dispositions adminis-

tratives, etc., dans chaque grande circonscriptionterritoriale

(MtMsahcMMt)de l'empire,

étaient aussi descajM'<!jaN-M.

Le cadre restreint de ce travail nepermet pas d'exami-

ner chacune de ces catégories decap~a

et demarquer

di-

rectement, d'après les textes mêmes, ce qui distingue juridi-quement, quant

à leur contenu, les eacttM~: proprementdits

(ausens technique

de la législation carolingienne), qu'ona

ap-

pelés aussi capitula per se scr~eM~a~ des capitula legibus addita.

Quant àl'objet

différent auquel ilss'appliquent,

ou mieux

leur distinction extérieure, elle a été dèslongtemps

faite en

Allemagne par Eichhorn,Biener et Waitz, et, bien avant ces

historiens, parnotre Montesquieu le créateur de l'histoire du

1 Esprit des lois, xxvm, io,éd. Laboulaye, p. ay8:(fLes capihuairesétaient de plusieurs espèces. Les uns avaient du rapport au gouvernement.

politique, d'autres au gouvernement économique, la pfupart au gouver-nement ecclésiastique, <jrKe/~MM-H)Mau gouvernement e: Ceux de cette

dernière espèce furent ajoutés à la loi civile, c'est-à-dire aux /OM~c)'~OM-

Page 188: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

MARCEL THËVEMN.152

droit en France, bien qu'elle n'ait été scientifiquement dé-

montrée que tout dernièrement par M. Boretius. Envisagéscomme manifestations de l'activité législative des Carolingiens,comme sources juridiques, les capitula (per se scribetida) cons-

tituent la plus grande partie de la législation des vin~ et

ix° siècles; ils ont en vue l'utilitas publica ou encore JoMt!nc<:

seu feg'M; ils se rapportent au gouvernement économique et

politiques; ils émanent directement de l' empereur, secondé parses c<Ms:7MN'K.Les populations, soit directement, soit par des

délégués ( judices, Iceislatores), ne prennent aucune part à leur

confection et ne sont point admises à donner leur adhésion

aux capitula (perse scr:&eKjs), après leur composition et avant

leur promulgation. Il suit de là

1° Que ces capitula constituent le droit territorial des po-

pulations faisant partie de l'empire frank-(sub reginaine tmpera-h~'s

Jeg'eK<es);2° Que ce droit est o~c:'e~ c'est-à-dire que, né de l'autorité

impériale, il est artificiel et voulu, tandis que la lex est le droit

populaire, organique etinconscient;

3° Que, par leur nature même, les capitula sont limités dans

leur durée. Auxiliaires indispensables de l'idée politique quitend à se réaliser dans l'empire carolingien, les dispositions

qu'ils contiennent ne sont plus appliquées dès que cette réa-

lisation n'est plus possible. A l'époque même ou l'empire ca-

rolingien paraît solide, les capitula contiennent en eux-mêmes

un principe de mort. Sans aller jusqu'à affirmer que les c<tula (per se scribenda) n'avalent force de loi que durant le

règne de l'empereur qui les avait créés etpromulgués, ce

qu'aucun texte n'indique positivement, il est permis de voir.

dans le grand nombre de ces capitula revenant sur les mêmes

sujets à de fréquents intervalles, ainsi que dans le soin. quemettait chaque empereur à s'autoriser des ca~<7<: de ses pré-

Me/&sde chaque nation. Mais ces capitulaires. ajoutés aux lois persort-nelles, firent, je crois, K~et' ? eoys même des capitulaires. Dansdes temps d'ignorance, t'abrégé d'un ouvrage disait, souvent tomber

l'ouvrage môme. Si le corps même des capitulaires (les capitula perse scft&e/M~ capit. proprement dits) fut ~néglige s, ce n'est point parla raison toute superficielle que donne Montesquieu; cela tient, commeon le voit, à des causes organiques. Cf. ib. p. 415, n. i.

Page 189: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LEX ET CAPITULA. 153

décesseurs, les traces des enorts que firent les Carolingiens pour

soutenir leur œuvrepolitique

et lui assurerquelque

durée.

Quant aux ca~o~M~ quise

rapportaientau gouvernement

civil (s!Kg'M/orM?KM<<<7s),ils doivent leur formation au même

procédé législatif que les /cg'& dont ils ont les caractères lors-

qu'ilssont

incorporésà une lex

particulière.La mise en lu-

mière de ce dernierpoint

nous ramène àl'objet direct de

cette étude.

IV

i"Lcsc<!D:<M/<ïOM<p~eMr<!6MS&.coK!<scoKS~M<<MKt,

an. y 85

ouy8a (Waitz,

Gelehrte GoM. Anz., 1860, p. ay Pertz, Leg'. I.

p. /[8), auxquelsil faut joindre IeC~K'<M/afe &M;OK!'cMm(Pertz,

jLeg'. I, p. y5),ont le caractère

populaired'une lex, ce qui est

d'autant plus intéressant que Charlemagne, tout en faisant

entrer de force les Saxons dans la viepolitique

et dans la vie

religieuse de son empire, respecta,bien inconsciemment sans

doute, les manifestations de leur vie civile.

&MCf~)<M). simulque congreg'atis Saxonibus de diversis pagis, tam

de Westt'aiabis et Angrariis, quam et de Ostfalahis, omnes MMMMN: con-

4'se?'MM<ay<~e~erMM<.

G. a rrOmnes statuerunt et~~c<e?'M;;< t

C. 3 fItemjt)/6!CK!< 0?MM&MSSaxonibus. n

G. ffHoe etiam ~s<Memn! B et~xtMtM. Cf. Cap. Paderb. cit.

20 Les diverses phases par lesquelles nous avons vu la cou-

tume non écrite passer, avant d'arriver à l'état de lex, sont in-

diquées pour les dispositions quidevaient être ajoutées à une

lex.

Voici en effet une instruction donnée par l'empereur à ses

w~M.

Cap. missorum 823, c. ig (.Leg'M., I- p. 115) tfUtjoopM&MM<ert'eg'e<M'de capitulis quee in iege w~HeKf/o;snnt. Et postguam omnes eoKseKserM<,

.fM~cr!p<M):e~et ?MaK!ma/MMM in suis capitulis faciant.

Ceque confirme, au reste, la

sM~crM)hodes

capitula OMO°in

/pje&ca mittenda ~MN<(Pertz, I, p. i a)

ln Cbt'isti nomme incipiunt capitula legis imperatorisKaroH nuper in-

D'après les manuscrits ~613 et ~t63a, Paris. Les éditions portentin iege novitot'/zfM~tSunt.i Voy. Boret. op. << p. 56. n. i.

Page 190: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

MARCEL THÉVENIN.15&

venta anno tertio domini nostri KaroHaugusti. Sub ipso anno hœc facta

capitulasnnt et consignata Stephano comiti, ut hœc manucsta fecisset in

civitate Parisius mauopnbptico,

et ipsa leffere fecisset coran! iUis scabi-

neis quodita et fecit. Et ONme.< in uno eoMe~erMHt

quod ipsi voluissent

omni tempore observareusque

in posterum; etiam omnes scabinci epi-

scopi abbatis comitis manupropria sM&~)'~r7M~erM:<.

Onpeut comprendre

maintenant le texte du ms. 3 o &, non-

seulement dans sa lettre, mais, cequi est plus important,

dans

sonesprit.

Lescapitula

enquestion

sont leschapitres qu'ont

rédiges ies~'M~i'ees~raK~ aprèsles avoir soumis l'examen et

à la discussion du peuple dans les assembléesjudiciaires.

En

sereportant

à la lex &Kca~ il est faciled'y suivre chacun des

titresauxquels chaque chapitre, pris isolément, renvoie. Ce titre

est de la sorte revisé, corrigéou

augmenté. L'examen, la dis-

cussion et ennn le consentement dupeuple sont marqués par

lesexpressions

habituelles.

Pertz, t, p. 225 ffDehoccapihdo HKHcaiKM M< t

G. -3 tDe hoccapite

!!KKes<Mm est ab omn:&Ms. t

Le consentement est constatépar

lasK&<gr~nKa~'o que

fai-

saient ceuxqui

savaient écrire. Lescapitula rédigés sont portés

à l'assembléegénérale

à AIx en 818, danslaquelle

Louis le

Pieux t~c&N'equ'en

vertu du consentement de tous-ils doivent

êtreajoutés

etincorporés

à la lex Sahca; l'année suivante il

défendd'appeler

cesdispositions capitula au sens

technique

indiqué plus haut, il ordonne de lesappeler

lex. Si l'on tient

comptede la nature de ces

capitula,il est facile de voir

qu'ils

étaient nés lex, etque

la défense de Louis le Pieux n'ajoutait

rien à leur caractèrejuridique.

L'acte de Louis le. Pieux,

comme nous dirions de nosjours,

est un acte <&fc~M'<~et

nonconstitutif

C'est encore cequi

résulte d'uncapitulaire

de

Charles le Chauve en8y3. Pertz, I, p. 5ai, c. 8

t'ropterea per capitula avi etpatris nostri, qua*

Fr<M:M~M'o &g'e

/M!c~« judicaverunt et~KMM nostri in generaU placito aostro (?) conser-

vanda ~e?'eccrMMt disceraendum est

On voit maintenant comment il fautinterpréter la phrase

"quoniam[ex fit consensn

populiet constitutione régis')

»

Karoti it edict. PisL a. 86~, c. 6(Pertz, Zeg'. p. 4<)o). Au

pointde

uc jurtdKjuc, on ne s'explique d'ailleurs pas la présence de cette décla-

ratifm de prittcipc ~<:tM le chapitre 6; <*)[e satisiait probabtenient à ce

Page 191: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LEX ET CAPITULA. i55

Outre les c~/<M/a incorporésà une lex

particulière, qu'il

n'est pas d'ailleurs facile de distinguer, grâce aux fastidieuses

compilations réunies par Baluze et Pertz, il y avait encore des

capitula ajoutésà l'ensemble des

legesou seulement à

quel-

ques-unes d'entre elles; c'étaient donc, à ne considérer que les

lignes générales, des dispositions de droit internationalprivé

(natio,au sens des textes des vm° et ix"

siècles).Le

procédé

qui leur donna naissance meparaît

tenir à la fois duprocédé

de formation des leges et de celui des capitula (per se scr:6eMf&:);

de là le caractère mixte des capitula /eg'&tMa~JeM~a. L'étude de

cette catégorie de capitulane tenant pas directement au sujet,

il me suffira, je pense,d'avoir fixé le sens juridique de lex et

de capitulaet d'avoir marqué les caractères

propresà chacune

de ces deux sources de lalégislation carolingienne.

Bien loinque

les princes aientpu

«transformer leurscapi-

<M/aM~s en lois par leur seule volonté, c'est à peine s'ils purent

en assurer l'exécution. Ils s'efforcèrent, d'instinct, il est vrai, de

procurer à une catégorie restreinte de ces capitula (les /ea~6Mss~-

~a) quelquechance de durée en

appliquantà leur confection,

autantque possible, les procédés

naturels de la lex. Leur œuvre

législative propre fut donc, en somme, artificielle; elle n'était

qu'un mécanisme, tandis que la lex est un organisme. Le méca-

nisme se disloquadu jour où le moteur, c'est-à-dire l'Idée poli-

tiquedes Carolingiens, qui le faisait marcher, ne l'anima

plus.(Je n'est pas qu'il

n'ait rien survécu de l'oeuvre législative des

empereurs franks, mais il n'en survécut précisément quece que

lespopulations purent

s'assimiler. Les capitula, que n'invoquentdu reste jamais les documents dans

lesquelsse reflète la

pratique

judiciaire des vm", ix° et x° siècles, étaient depuis longtempsou-

bliés, queies leges, retournées à l'état de coutumes non écrites,

continuaient à être invoquées parleur nom

propre, et cela

jusqu'en plein moyen âge. C'est enfin sur la souche antique et

toujoursvivace des leges que viendront se greffer les vieilles cou-

tumes de l'ancienne France, avantl'importation

savante du droit

romain, lorsque, après avoir longtemps germé au sein de la pa-

<n's qui fit jadis partie de l'empire de Charlemagne, elles trou-

vèrent des circonstanceshistoriques

favorables à leur éclosion.

besoin de phraséologie vide et fastidieuse dont les capituiait'es oHrent de

nombreux exemptes.

Page 192: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule
Page 193: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

QUELQUES NOTES

SUR

A A

LA GUERRE DE BAR KÔZÊBÂ

ET SES SUITES,

PAR J. DERENBOURG.

I.L'agitateur qui,

sous l'empereur Hadrien, a tenu tête

pendanttrois ans et demi (i3i

ài35) aux armées romaines,

conduitespar

un général aussi habileque

Jules Sévère, s'ap-

pelait-ilBar Kôzêbâ ou Bar Kocbbâ? Nous ne savons rien sur

son propre nom et peut-être, comme nous allons le voir, pas

davantagesur le nom de son

père.Son surnom véritable était,

à notre avis, Bar Kôzîbâ ou Bar Kôzebâ~. R. Akibâ, plein

d'enthousiasme pourson héros et désireux de lui

appliquer

le verset ~V<MM&.xxiv, ly, changeait ce nom en celui de Bar

Kôchbâ tde fils de l'étoile(x3Dl3 pour M!~)',

et la nation,

vaincue et désabusée, lui rendit son ancien nom, eny ajoutant

le sens de la racine kâzab «mentira. Kôzêbâ est le nom d'une

localité mentionnée 1 C/!roK. iv, 2 2 probablement identique

avec l'ancien ~<~(GeM. xxxvni, 5),

dont c'est la forme ara-

méenne. Le texte samaritainporte,

dans ce dernier verset, éga-

Le nom de Siméon ne se trouve que sur les monnaies appartenantà cette époque. Mais Bar K6zébâ se serait-il appelé ~f~~ tr princed'Israël? Ce titre était porté, a cette époque, exclusivement par les pa-triarches de la maison de Hiitêi, et, GamUé) 11 étant mort à l'époque de

la révolte, son fils Siméon avait droit à cette dignité, bien qu'il fût en-

core jeune et qu'il ne paraisse pas avoir pris une part active à la lutte

engagée avec les Romains. Voy. du reste M. A. Lévy, Jüd. MwMeK,

p. ta~f et suiv. et mon Essai, p. ~ta~t, note i.

C'est aussi l'opinion du D' Lebrecht dans le Af~'aMK/M' ~t'

sensch. f/&!y«</e<!</i!<M.S',Hf. p. 36.

Page 194: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

J. DERENBOURG.158

lement ~MM, et ia version samaritaine le rend parj~o~M, ce

qui explique l'E~MTrc: d'Eusèbe et Jérôme dans l'Onomastique.Bar Kôzébâ signifie originaire de Kôzebà ~Kôxeba était si-

tuée entre Tyr et Ptolémaïs ou ~cc<~ comme le dit Eusèbe, et

les docteurs s'y rendaient souvent en venant d'Acer ou de Tyr.

Ainsi, R. ïôsê arrive à cette dernière ville en partant de Këzîb

(&jo/n~ sur DeM<.§ 35&); R. Gamliêl s'y rend, accompagnéde son serviteur Tabi et en se promenant, venant d'Accô (Mt-f&*<:sc/;rabbâh sur Lévit. xxxvn, 208", et b. Ero~H~ 6 A*'). Nous

trouvons même, ce qui est significatif, les disciples de R. Aktbà

en route vers Këzîb, où ils sont rencontrés par des brigands

qui les interrogent sur le but de leur voyage, et qu'ils dépistenten leur indiquant comme lieu de leur destination Acc6, et en

les lâchant, une fois arrivés à Këztb (b. ~dJa/t %arN/~ a5'').Ce n'est pas là une question que des voleurs de grands chemins

adressent aux voyageurs. Mais on nomme brigands (û~D*?),

dans les temps troublés, selon le parti auquel on appartient,les conspirateurs ou ceux qui surveillent leurs secrètes dé-

marches. Nous savons, d'autre part, que l'agitation était grande

alors Rdepuis Accô jusqu'à Antioche (Ess~ A16-/[ i y ). Kêzu),

qui est sur ce parcours et où habitait le chef désigné de l'In-

surrection, pouvait donc être le centre où se rendaient, pourtenir conseil, ceux qui devaient être les principaux meneurs de

l'action qu'on préparait. La ville était importante et avait, du

temps de R. Gamliêl II, une synagogue, dont le chef portait

le nom de Scipion, p~JE! (tos. ?eroMMt< II, i3). Elle est la

dernière de la Galilée du côté nord-ouest(cf.

m. Dema!, i, 3).Il serait, du reste, peu probable que les monnaies frappées

pendant l'insurrection eussent porté le nom de m''3!3 mys

Kmonnaies cozbiennes M, si le nom de Kôzebà n'avait été qu'un

sobriquetdéshonorant (b..6aM ~tHN!~ 97*').

II. On connaît la déclaration de R. Akibâ, qui, en voyantBar Kôzebà, s'écriait Voici le roi Messie (voy. Essa< p. &a5,

Il est snperuu de démontrer que ~a' ou ben s'emploie dans ce sens.

Nous verrons plus loin (p. 161, note i) les Bene .B<'<e''d&qui tiraient

!enf origine de la ville de Battyra. î! était dans l'intérêt de celui qui se

croyait ou se disait le Messie de dissimuler son véritable nom et celui de

sa t'amitte.

Page 195: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTES SUR LA GUERRE DE BAR KÔZÊBÂ. 159

notei).

Mais R. Hanînâ ben Teradiôn, un des martyrs de

l'insurrection, croyait les temps messianiquessi bien venus,

qu'ilse croyait autorisé à

reprendre l'usage de « prononcerle

tétragramme tel qu'il est écrite T'nrtnK3 Q~n nu n~in n''n!y

(b.Abôdâh Mfa/t~ 18*'). Depuis

la mort de Siméon le Juste,

~un des derniers débris de la Grande Synagogues (m. ~[M~

t, a),les prêtres mêmes s'abstenaient de bénir le

peupleen

articulant le nom de Jéhova(tosefta ~o& xin, s et b. Idmâ,

3 a*').C'est là le sens du Midrasch sur les Psaumes, ch. xxxvi,

où il est dit « Deux époques se sont servies du tétragramme,

celle des hommes de la GrandeSynagogue

et celle du sc/MmaJs n

(iDE? «destructions). Cette dernière expression s'appliqueau

tempsde l'insurrection aussi bien

qu'àcelui des

persécutions

quienétaient la fatale conséquence.

Il nous paraît impossible de

supposeravec M. Grœtz(Gesc/c/~e~ef Juden, IV, /t58) qu'ici

l'époquedu schemad désigne l'époque qui

a suivi laguerre.

On n'aurait jamais osé prononcer encore le tétragramme après

la défaite, lorsque les événements avaient trop bienprouvé

qu'Akîbâet les autres docteurs s'étaient trompés, puisque

l'o-

pinions'était

répandue queR. Hanînâ avait souffert et mérité

la mort par le feu, parce qu'il avait enfreint la loi qui défen-

dait de Kprononcer

le nom de Dieu tel qu'il est écrit, s

M. Geiger (Lehrb. JerAfMc/MM~ II, 3) s'esttrompé lorsqu'il

a voulu voir dans la m. ~erac/<o<, ix, 5, une recommandation

deprononcer

le tétragramme, dans le salut, ~Que Dieu te

bénisses(0~3

n~n Qi'?~ nx '7x1~ ai~ Kn~'trpnrT)).

Ce pa-

ragraphe de-la Mischnâb est, dans tous les cas, incomplet.Le

mot /i!<MOMsuppose toujours un état de choses antérieur, in-

diqué parmn~i:: K autrefois s, qu'on

a dûchanger

à la suite

de certaines circonstances ou des événements survenus. (Cf.

m. A~c/t Aasc/MHaA~ !i, i et2.) Ici, on ne mentionne ni l'ha-

bitude ancienne, ni le fait quien a amené l'abolition. Quoi

qu'il en soit, M. Geiger paraît avoir deviné juste, lorsqu'il

pense quela mesure

prise parles docteurs devait aller à l'en-

contre des Samaritains'. Nous savons que ceux-ciremplaçaient

M. Geiger est revenu plusieurs fois sur ce sujet. Voir Lelirbuch der

~scA)M/~ n, 3, son artidedans ]e recueil hébreu intituiéOMrAM~Mf~

Ht, 117 (Vienne, 1860), et, sm' l'usage du tétrae-ramme en généra),

f/r~e~j p. aC) etsuiv.

Page 196: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

J. DERENBOURG.160

le tétragramme par le mot <~&K~ et ne se servaient dans aucun

cas du terme a~Ha~ comme les Juifs. (Voy. S. deSacy, <3u'e.

arabe, 1I, 33~) Tous ceux qui sont initiés aux écrits talmu-

diques savent que les rapports entre les Juifs et les-Sama-

ritains variaient continuellement. Depuis le retour de l'exil de

Babylone, les Samaritains, tantôt recherchaient l'amitié des

Juifs, tantôt leur étaient hostiles; et les Juifs, de leur côté,

tantôt les accueillaient, tantôt les repoussaient. Dans laMisch-

n&h, il s'agissait, selon nous, d'un moment où l'on se pro-

posait d'établir une distinction entre lesCuthéens (cT)'D) et les

Juifs; on voulait, en s'abordant, pouvoir reconnaître à quel

parti appartenait la personne qu'on rencontrait. Le salut pou-vait être fait avec la formule « Paix sur toi a, "p~y a~E?, ou,

dans le langage vulgaire, 'j'?y c*?~, et c'était là probablement

l'usage établi depuis longtemps (voy. Gesenins, ?7M'MMfH.

i3a~). En revenant à un salut qui se lit déjà ~M< u, A,

et en y introduisant le nom de Dieu, on savait immédiatement

a qui l'on avait affaire. Le Juif disait a~n "piy, ou'n~

tandis que le Samaritain employait la formule Q~D'7K

111. On n'a pas encore pu s'accorder sur la situation de la

ville de Bettar, où la nationalité juive a été écrasée, pour ne

plus jamais se relever. Les auteurs romains n'aiment pas à

raconter les efforts qu'il fallut faire pour étouffer cette lutte

tentée par un petit peuple qu'on méprisait,~ et qui n'était re-

doutable que par l'ardeur de ses convictions et l'attachement

à sa religion. Aussi ne mentionnent-ils pas même le nom d;e

la ville où la guerre prit fin. Dion s'était arrêté à raconter

cette guerre, qui ne dura pas moins de trois ans et demi;

mais, pour le soixante-neuvième livre de son histoire, nous

sommes réduits aux maigres extraits de Xiphilin. Ce sont donc les

rares passages des Pères de l'Eglise, tels qu'Eusèbe et Jérôme,

puis des docteurs juifs dans le Talmud et les Midraschim, qu'ilfaut consulter, et enfin il y a les récits des voyageurs modernes,

dont il s'agit de contrôler et de juger les assertions.

En premier lieu, il faut remarquer que le nom même de la

ville est devenu une cause de confusion pour son identifica-

tion. Le sens de ce nom, dérivé de in n~ ou ~n ''3 s maison

ou lieu d'f~ptoration~, a fait que bien des lieux montagneux

Page 197: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTES SUR LA GUERRE DE BAR KÔZÊBA. 161

t t

propres à FétabHssement d'unposte militaire, et dominant

par

leur hauteur les plaines environnantes, ont pu recevoir le nom

de Bettar ou Z~~r. L'Écriture connaît, pourla même raison,

un certain nombre de ~ama/t(élévation),

Ge&a~ ou G~~(col-

line), ~~aA (donjon),etc. Ainsi, lorsque Hérode établit

Zamaris (~Dï)en Batanée, afin de rassurer ce pays contre les

incursions des brigands, celui-ci construisit une citadelle qu'il

nomme J?<M/M (Jos.A. J. XVII, n, t);

or m~m estégal

à

!Tpn ''3 ou n'T'n n''3, comme mn!Cr2 (Jos. xxi, 2 y)est un

composé de mn~' D~, et m''n n'estqu'une autre forme dé-

rivée de la racine T)fi« explorer

)?.

On a essayé, dans ces derniers temps, d'expliquer le nom de

Bettar parlera castra, etpar l'ellipse du mot castra, quiestéga-

lement retranché dans <M~a et A~er~a. Bettar est, dans ce cas.

la traduction latine de C~~< /MyyeM/MK<ï de5'<orM (xiNDp

~IBS '?&' n~s'~n[KispJ),

mentionné m. ~ra~'M, tx, 6, et'S~

(éd. Weiss), to8", et cette forteresse, située sur les hauteurs

prèsde

Sepphoris.aurait été le dernier

rempartde l'indé-

pendance nationale. M. Lebrecht, quiest l'auteur de cette

nouvelle hypothèse, la soutient avec beaucoup de savoir et de

talent' Malheureusement, elle neparaît pas pouvoir

être

admise. D'abord, des ellipses comme l'ellipse du motcas~a ne

Les BeM.Be<ersA, appelés aussi les Anciens de Be/e/'a/t(r!T'm ~p!),

qu'on trouve sous Hérode à la tête du Sanhédrin et qui cèdent ensuite

la place à Hillêl, étaient sans doute originaires de cette ville. Hérode

n'aimait pas les Palestiniens, qui ne lui pardonnaient pas son origineiduméenne. De même qu'il avait fait venir ies grands prêtres de Baby-lone et d'Alexandrie, il remplaça les chefs du Sanhédrin par des doc-

teurs de la ville qu'il avait fondée, et qui, à côté des cavaliers et archers.

renfermait certainement une école, fréquentée par des Babyloniens. Seu-

lement ces Babyloniens, éloignés du sanctuaire de Jérusalem, ignoraientles traditions relatives aux sacrifices, et Hérode devait remplacer pourle sacerdoce Hananêi par la famille de Boêthos, parce que l'Egypteavait également son temple; les Bathyriens ne purent pas davantage se

maintenir à la tête des écoles. Plus tard des membres de cette famille

paraissent être retournés en Mésopotamie, où ils vécurent honorés et res-

pectés à Nisibe. Deux hommes du nom de /e/<OM<~ben Be<ef~ ou de la

famille de Be<e~ l'un vivant avant la destruction du temple, et l'autre,

contemporain de R. Josué, fils de Hananiâ, sont mentionnés dans le

Talmud. (Voy. Frankel, /Mog'c<iM~ p. t)y.)

Af~tM~, tft, 'y'~ etsuiv.

Page 198: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

J. DERENBOURG.1M

peuventêtre admises

que lorsqu'ellessont attestées

parles

auteurs latins; ni ~er~ ni KOM n'ont été ainsiemployés~.

Qu'en hébreu on connaisse une ville de la tribu de Juda

nomméesimplement n~'in

« la nouvellea (J(M. x?, 3 y ),

et une

autre, appartenantà la même tribu, appelée

n~E?'* cla -vieille »

(IICAron. XIII, i a ) ?

cela neprouve

rienpour

un nom transcrit

du latin, où, en outre, on n'auraitpas négligé d'ajouter la

ter-

minaison a(n')D''3), qui

lui aurait donnél'empreinte d'un mot

sémitique.On l'a bien fait

pour castra, qu'onn& rend jamais

par ispmais par mxp ou Kisp. Une autre diSIculté bien

grave

provientde ce

qu'une guerreaussi

longue aurait été désas-

treusepour

la ville deSepphoris.

Mais cette ville était très-

florissanteaprès

la chute de Bettar. Plusieurs docteursparais-

sents'y

être réfugiés, pourse soustraire

à la ~engeancedes

Romains(Essai, p. Asi,

note3).

R. Halaftaet son fils R: 16sê

yétaient établis

(voy.entre autres j. BeMC&~t, m, s.ctj. Ta-

~?~t, 16'). Rabbi.lerédacteur de laMischnâh, y séjourna pen-

dantdix-sept

ans(j.jEt~MK, ix, /t).Elle

ne fut détruiteque

dans l'année33o,

et à cetteépoque

les docteurs l'avaient dé-

sertéedepuis longtemps pour

se fixer, à Tibéidade~. En der-

Lesexemples tirés des noms de villes, comme Co&mM:

./tgr!p~MM,dont on n'a conservé dans la dénomination moderne que le

premiermot

Cologne, ne sont d'aucune valeur.

A. Neubauer, Geogr~Mdu 'MH!M~ p. 19~Crrœtz, Gesch.

Me)~ IV, p. 338 et suiv. et note 3o, p. &ooet Agi. R. Hataftâ,

qui était lecoiiègue de R. Hanîcâ ben Teradiôn (voy. Frankel, Bo~o~.

p. iSa), vivait tranquillement à Sepphoris, tandis que celui-ci se com-

promettait par sa participation a ia révolte (voy. ci-dessus, p. i&8).Son fils R. Iôsê, entrainé

par son imagination,va jusqu'à raconter que

l'état de la ville dans les temps anciens était tellement florissant qu'ils'yy trouvait jusqu'à 180,000 boutiques de marchands d'ingrédients de

cuisine(b.

~M &<:f)'<~ 78''),et encore traduisons-nous le mot C~pH~

par boutiques, tandis qu'il pourrait signifier ?~<M'cA<&.Ce docteur pré-tend sans doute

parlerde ('époque où Hérode Antipas

etAgrippa H dé-

ployaient a Sepphorisleur

goûteuréné

pourles constructions

magninques.

Après la chute de Bettar, sous R. Ismael, fils de R. 16sê, la ville reçut

la visite d'un grand personnage romain, ~E)~, et les maisons furent

tendues de toiles en son honneur (j..Ë'roMM~ VU!, 8, 25b; cf. b. Suc-

cs/t, 16 b). Onparle

de deux marchés, nie marchésupérieur, pl~

p~yn, qui était probablement situé hors de la ville (j. Bo'acMj :v, 6,

3 '), et «le marché inférieur, < pnnnn ptty (b. ~'OM&H~ 5&). On y menj

tionne une académie (b. Afo~ M<OK, ai etpt!ss!M) et unesynagogue

Page 199: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTES SUR LA GUERRE DE BAR KÔZÊRÂ. 163

11

nier lieu, nous nepensons pas que

le théâtre de laguerre

ait

été !aprovince

de la Galilée.Matgré

laguerre

contre les Par-

de Babyloniens, près de laquelleR. tehoudâ i (Berêschit rabbâh, xxm.

36'')et

plustard R. lôhânan

(j. jB~scM, v, i; cf. M~/sA, iv, 4, et

Sabbat, vi, a) enseignaient)a Loi; elle est probablement identique avec

lasynagogue

et l'académie, ou bê MK/raM/M de R. Banâyâh (n'3 'l).

nommée ailleurs (j. B~M MM~ n. 11, j. ~fo~s:'o<, III, fin). Une autre

synagogue portaitle nom de ~eMMC/~a de Go/xs (j. Berâchôt, 6"),

ou peut-être de Go/M (KDBH), comme on appelait une iocafité qui se

trouvait aux portes de la ville (voy. surtout j. Me/M~M~ vu, 2, etLévy,

/VeM/M&r. u. chald. ~M'<e?-&. 3o8''). Là étaitprobablement,

sur une hau-

teur (Kn~2lj== KnBH), le marché supérieur.

Les environs de la ville, seize milles à la ronde, étaient d'une fertilité

exceptionnelle (j. B~oMnm, t, là, 6~), et, entre autres, les olives

d'un tel rendement, queR. Iôsê. ayant un jour ordonné à son fils

d'en chercher augrenier,

celui-ci trouva le grenier inondé d'huile

(Sifrê, v, § 316). Le caractère des Juifs de Sepphoris paraît avoir été

difficile et irascible. Ils possédaient d'anciens registres contenant leurs

généalogies et déposésdans les archives de la ville (m..&'MMoMc~!t~

!v, ~t; cf. Bamidbar rabbâh, tx, aaS''); de là naissaient desquerelles

de préséance continuelles dans certaines cérémonies religieuses, et sur-

tout lorsqu'il s'agissait, aprèsun enterrement, de former sur le cime-

tière lesrangs

des assistants qui devaient adresser leurs condoléances

auxparents

en deuil. R. Msé fut forcé dechanger

les anciennesdispo-

sitions, afin de rétablir la paix (j. 6e?'aeAo~ III, a). Peut-être faut-il

attribuer à ia même raison l'étendue considérable que (ries juges de Sep-

phoris" (')1BS ''J') exigeaient pour l'emplacement de ces rangs sur

le cimetière (m. BaM batrâ, vi, y). Une autre prétention des Juifs de

Sepphoris se voit b. Ts'~M'~ 16 Lors de la maladie de R. leboudâ 1,

le peuple menaça de mort celui qui lui annoncerait le décès du Nâsi,

et ie spirituel Bar Kappôrâ dut se servir d'une ruse pour ne pas exas-

pérer paria mauvaise nouvelle la foule

attroupéedans les rues

(j. Pea~

vtr, 3, et ailleurs). La peste ayant sévi dans la ville, le peuple s'irrita

de ce quela rue habitée par R. Hanmâ ben Hâmâ et ses voisins n'était

pas atteinte parla maladie (j. 7'~<!M~ m. 4). Le même docteur, lors

d'nne sécheresse, voyant ses prières rester sans effet, tandisque,

dans

une autre ville, les prières de R. tosué ben Lévi avaient été exaucées,

dit ftLes habitants de Dâr6m ont ie caractère doux et s'humilient lors-

qu'ils entendent les paroles de l'Écriture; ceux de Sepphoris sont d'un

caractère revêche et ne s'humilient pas" (t&:<). (Cf.b. 7'<MK~ aS", qui

serapporte

sans doute au même fait, et où, dans les mots ~l3m ')!yBK

l!')'~ ~nyS, ii semblequ'on

a remplacé '~T)B' par KH3''2.)Aussi

les docteurs se retiraient-ils peu à peu de Sepphoris pour se fixer à Ti-

bériade. Les étrangers étaient mal accueillis àSepphoris, et on ne les

saluait pas (j. Me~~ ix, 5, 3g *). Queue figure ces gens devaient-ils

faire aux Romains, qui ne leur épargnaient pas les vexations de tout

Page 200: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

J. DERENBOURG.i6~t

thes, les forteresses de cetteprovince n'étaient pas assez dé-,

garnies pour queles Juifs eussent pu

s'enemparer par

de

hardiscoups

de main. C'est dans la Judée qu'il faut chercher

f la montagne royalesn~D tin ou *~Dn nn\ ainsi

queBettar.

La chaine demontagnes qui

s'étend du sud au nord depuis

l'Idumée jusqu'à la Samarie, enenvoyant

des ramifications a

l'est et à l'ouest, étaitparticulièrement

favorable à uneguerre

departisans.

Les rois Asmonéens et les Hécodiens avaient

construit dans cesmontagnes

les châteaux etplaces

fortesqui

permirentaux Zélotes de résister encore aux armes romaines

aprèsla

prisede Jérusalem.

Aprèsles conciliabules de Këzîh

et les nombreuxvoyages

des chefs de laconspiration

dans tous

les districts où habitaient des Juifs, onpouvait_seréunir dans

ces solitudes sans êtreaperçu.

Là onpouvait

obtenir lespre-

miers succèsqui

donnent ducourage

à des soldats improvisés

et décident les soulèvements des masses. De ce_c6té se trouvait

Bettar.

genre? Ainsi, pendant les jours de fête, les habitant des villages en-

vironnants se rendaient à la ville; or t<i! ne sepassait pas

de fête sans

qu'uneescouade d'espions

romains (KE?~13) descendit dans la viiiet

( h. Sabbat, 1&5*'). Unemployé

de la communauté, charge d'inspecter

les boîtes attachées aux portes (meM~dt) des maisons situées au marché

supérieur,fut rencontré par

unquesteur (*T)1Dp), qui iui

enleva mille

eo!<z.(b. Mma., t i*).Sous l'empereur GaUus.ie légat Ursicinus(Q1KD3''p)

forçait les Juifs de Sepphorisà cuire du pain pour les légions et à te

porter au marché pourle vendre au jour du Sabbat (j. Sc/M&~t., iv, i,

35'; .Be~~ t. 7). Ce sont ces actes de contrainte religieuse qui pous-

sèrent les habitants de Sepphorisà t'émeute et aux massacres dojtt parient

les Pères de l'Eglise, et qui déterminèrent la destruction entière de la ville

(vov. Reland, M<Mh'M, p. 1000). Les sourcestalmudiques

ne disent

rien de cette dernière catastrophe. On y raconte seulement que tfdans les

temps d'Ursicinus, on recherchait des habitants de Sepphoris; ceux-ci

s'étaient mis des emplâtres sur ie nez (p.T'T'nj ~7B''D p3D'' pinf)

pourne pas être reconnus. Mais ils finirent par être trahis par une mé-

chante langueet furent tous faits prisonniers. a (J. ZeMm~fj xvr, 3,15 ".)

–Cf. ma lettre dans Geiger, Jüd. Ze~c/H'~ 111, s()6.

Voir mon Essai, p. ~37 et suiv. Lamontagne tire probablement

son nom des constructions que des rois comme Jannée, Alexandre, Hérode

et ses successeurs y élevèrent. Le nombre des villages appartenantau rai

Jannée estporté

à deux mille par les uns et à soixante myriades par les

autres. Matgré toutes ces exagérations,ces contrées avaient été très-

peupiées. Cf., sur la MoM~g'M de Stm~o);, Neubaucr, Geogr.f~MmM~.

p. ".67.

Page 201: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

~OTES SUR LA GUERRE DE BAR KÔZËBÂ. 165

Déjà, au commencement du xtv" siècle, Estori Parhi, juifprovençal, chassé de son

paysnatal

parles lois de

Philippe le

Bel, etqui, après

bien despérégrinations,

s'établit à Jéru-

salem, avait retrouvé Bettar à trois heures de marche environ,

dans la direction sud-ouest, de Jérusalem Tobler, dans son

troisième voyage en Palestine~, aégalement visité Bettir

(~x~),

située dans un tM~t de ce nom, au pied d'une montagne assez

raide, portant des ruines queles

indigènes désignent par le

nom de j~/H'r~ e~eAoM~K ruines des Juifs'?. Enfin M. Guérin

a examiné minutieusement ]a vallée et cequi

reste encore de

l'ancienne forteresse, et se décide aussipour

leur identité avec

le Bettar de Bar Kôzébâ M. Guérin cite à cette occasion, selon

son habitude, tous les passagesdes

Septanteet des Pères, en

négligeant quelque peules auteurs modernes. Pour la distance

et la direction, Kasept

milles à l'O. S. 0. de Jérusalem, ilest d'accord avec Parhi. On

peutdonc

espérer qu'onfinira

par se décider en faveur de cette localité, qui, par sa proxi-

mité de la ville sainte, permettaitd'observer les agissements

des Romains, si, en effet, comme leprétend Dion ou son épi-

tomateur Xipbihn, l'exécution duprojet

de transformer Jéru-

s:dem en villepaïenne

avait été une des causes de la guerre,

au lieu d'en être laconséquence.

Enfin la circonstanceque

les

malheureux prisonniers furent traînés au marché d'esclaves

dans les environs de Hebrôn paraît, d'après NI. Guérin, prou-

verque

Bettar était située dans les montagnes de la Judée.

I\ous sommes parfaitementde son avis, et la tradition juive ne

s'y opposenullement.

IV. La Judée soumise, les villes dépeuplées, les prison-

niers vendus sur les marchés d'esclaves, le pays dévasté,

Hadrien ne fut pas encore satisfait. Les pertes des Romains

avaient été si considérables que l'empereur, qui n'aimait pas

A~/Mr œe/M-aA, éd. Berlin (i85a), /[8* ~TH Q~TT~ Sl~D'?

in2 Kin MINE? !N'7~3.Voy.ZunzdansBe~<:MMo/'?'K~e/<i'~éd.Asber,M,

p. &38,et GeMMme/te 5c/<r!/i'e)~ II (1876), p. ag~. L'orthographe

/~M'~?',dont Parh! se sert, provient probablement de ce qu'il se rappelaitle verset de Cantique, u, 17.

Dn~C!M~'M)!g (<85<)), [). ~Ot-tO~f.

D~c~/MM f/e la P~e6'<;Mt;,,/Mf/ee~H, p. 387-3()5.

Page 202: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

J. DERENBOURG.166

lesbruyantes solennités, en

prit prétexte pourrenoncer au

triomphe.Puis Hadrien sentit

que, pour assurer la victoire

d'une manière décisive, il fallaits'attaquer

à lareligion

elle-

même, quiavait fanatisé ce

petit peupleet l'avait

pousséà la

lutte. Il eut recours auxmoyens qu'autrefois avait

employés

AntiochusEpiphane;

il renouvela etaggrava les édits

quele

roi deSyrie

avait rendus.

Aprèsavoir fait raser l'aire du

temple, aprèsavoir démoli

et fait enlever les derniers restes du sanctuaire brûlé parTitus

et dontchaque pierre

avait été encore unobjet

de vénération

pourles vaincus, il fit traîner la charrue sur

l'emplacement

dutemple

etpeut-être

de la ville de Jérusalem Untemple

deJupiter Capitolin

étala sesmagnificences sur la

montagne

sainte; une nouvelle cité, divisée ensept quartiers, fut cons-

truite sur les collines de la ville de David; le nom de Jérusa-

lem dutdisparaître

devant celui d'~EMa, dont l'accès, dit-on,

fut interdit aux Juifs2. On défendit enmême temps

la célé-

m. ïs'tïMt, rv,7: T'rn in~irui in'Q m~~ (fia ville de Bettarfut

prise,et la charrue traînée sur ia ville.» Mais j. Te~m~ 6t)~: E"in

~3''nn DK m~SN p~nË? oan "Rutus, queses os soient broyés, traina

la charrue sur le temple. Jérôme est d'accord avec cette dernière ver-

sion il dit: frCapfa urbs Bether, adquammulta miuia confugerantJu-

dasorum, sM~Mm templum in ignominiam gentis oppressa!a Turannio

Rufo!! (CoMMeKt.Mt Zac/Mnam, ad vni, 16-17, ed. Vallars. VI, 852).

Les mots quenous avons soulignés reproduisent, à part ia

dIS~l'eneeque

nous venons de signaler, textuellement lesparoles déjà Mischnâh, com-

mentées parJérôme. Le Père de l'Église tenait, du reste, son récit de son

rabbin; cela se voit d'abord paria date, le mois d'/i&, qu'il assigne

à

l'événement, puis par le nom de Turannius qu'il donneaugénéral romain,

qui s'appetait Titus Annius, et que les Juifsappelaient, par

un jeu de

mot &ci)e,'n)pM)M)s, BjT)N.M.Gra;tz(6'escA. f~Ms~ IV,~5t) penseavec raison qu'on avait trame la charrue sur l'emplacement ~io Jérusa-

lem, pour construire la nouvelle ville d'Ilia; nous avonsdéjà indiqué

queles mots

~inignomm!am,x etc., étaientl'exptication personnelle de

Jérôme.

Nous ne savons pas quelle créance donner aux assertions de Justin

Martyr et d'Eusèbe, qui parlent d'une interdiction formelle cdc monter

vers Jérusalem" ascendere in Hierosolymam, swt~tfs~ s(? T))f îspou-

<r<][Â~ en face des preuves incontestables, fournies par les écrivains tat-

mudiques, que R. lôsê (b. Be)'acM<j 3*), son fils Ismaël (ib. 60', et

Bct'esc/Mt î'a&M~, i,xxxt, fol. go'*), contemporains de Justin, étaient allés

prier dans ia ville sainte. Noussupposons que la défense, si elle a eu lieu,

concernait les pèlerinages en masse, qui, après la destruction <)u temple,

Page 203: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTES SUR LA GUERRE DE BAR KÔZÊBÂ. 167

bration du Sabbat et des fêtes; on considéra la circoncision

comme une sorte de castration, sévèrementpunie par

les

lois romaines; les écoles furent fermées, et toute étude de

la loi juive, toute discussion sur les cérémoniesreligieuses,

touteprédication publique

futpoursuivie rigoureusement.

Trois sièclesauparavant, lorsque

letemple

était debout et

quetout le culte se concentrait dans la

capitale,il suffisait à

Antiochus de souiller l'autel de Jéhova et d'arréter à la source

même les eaux vivtfiantes de la Loi, pour concevoiri'espérance

d'en finir avec le judaïsme. Sous Hadrien, il n'y avait.p!usde

pointcentral. Le Sanhédrin et le Nâsî

siégeaientbien à Iabneh,

mais ily

avait des écoles partout.Les

disciplesamuaient à

Lôd, à Benî Berak, à Bekfîn et à dix autres endroits, où un

n'avaient pas complètement cessé. Le mot ë-!rfëcftystf= n'?y a particuliè-

rement le sens de monte)' en pèlerinage. M. Grsetz (ib. p. 462) donne lui-

même un passage d'où il résulte qu'au'm'siècle on allait de nouveau

mangerla seconde dîme à Jérusalem. Individuellement on se rendait

impunémentà la ville, bien qu'on se sentît peu de goût

à se trouver en

face des emblèmes dupaganisme,

etqu'on

dûts'exposer

sans doute à

des vexations de toutgenre

de la part des soldats et des nouveaux habi-

tants. La plainte attribuée à ceuxqui

se rendaient pendant les fêtes à

Jérusalem (MK~s~eA~c/M~ 17, foi. 6g") «Autrefois nous montions

en pèlerinage par grandes foules, et maintenant nous montons en secret

et nous revenons en secret,~ confirme cette manière de voir. Voici du

reste cequi précède cette

plainte trVespasien Ca~sar établit desgardiens

ou des postes militaires (a''ld!?. ~u~ctxs?)à une distance de dix-huit

milles d'Emmaûs, qui demandaient à ceuxqui

se rendaient à Jérusalem

Aquel parti appartenez-vous?

Ceux-cirépondaient

Auparti de Vespa-

sien, Trajan,Hadrien.)) Ces trois noms réunis

indiquentbrièvement

queles pèlerins éprouvaient les mêmes dimcuités sous chacun de ces trois

empereurs. Nous avons devant nous un résumé de trois histoires, dont

la première commençait par le nom deVespasien,

la seconde par celui

de Trajan et la troisième par celui de Hadrien. Mais la question adressée

aux pèlerins exclut l'interdiction absolue. Le mot hébreu Q~DIB ou

DtNDIB paraîtune erreur pour.DtyDIK, viMe, dont

l'orthographe varie

tant engrec

et dans le Talmud.(Voy. Neubauer. Géoffr. du Ts&Kt~

p. 100.) En concevant ainsi l'édit de l'empereur, oncomprend éga-

lement que.sans un ordre

exprèsde Rome, les

gardiensse soient peu

à

peu relâchés de leur consigne et aient fini par accorder à une société

de plusieurs individus ce qu'au début ils n'avaient accordé qu'à une ou

deux personnes. Sous Constantin, enfin, on défendit de nouveau aux Juifs

de demeurer à Jérusalem, et même depasser par

la ville (L~~sfhn-Batrik, /h:M/. f, A66).

Page 204: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

J. DERENBOURG.168

docteur avait pu répandre la renommée de sa. science~. Les

écoles fermées, chaque maison ou deux Juifs instruits se ren-

contraient devenait un asile pour l'étude de l'Écriture. La

célébration des fêtes ne provoquait plus de pèlerinage à Jéru-

salem, où jadis la nation se réunissait troisfoisparan; elle était

devenue une affaire de chaque famille; et la Pâque, comme

le Sabbat, était sanctifiée par le chef de lamaison au milieu

des siens. Comment empêcher ces agapes, comment saisir les

contrevenants?

La circoncision, ce signe de l'alliance entre le Juif et son

Dieu, était un acte unique dans l'existence de chacun; com-

ment en prévenir l'accomplissement?Pour assurer l'exécution d'une telle série de lois vexatoires,

il fallait l'organisation d'une police active, taquine et inqui-sitoriale. L'empire romain connut depuis Auguste tout ce

dont le despotisme ombrageux a besoin pour maintenir son

pouvoir: police secrète, espionnage, délation, agents provoca-teurs. K?ar une confiance irréfléchie, dit Epictete, les impru-dents se laissent prendre à Rome par les soldats. Un militaire

babillé en civil s'assied à côté de toi et commence à .dire du

mal de l'Empereur; tu t'imagines avoir ainsi obtenu un gagede la sûreté de ton interlocuteur, qui le premier a dit des

choses offensantes, et tu te prononces à ton tour selon tes

pensées. Mais aussitôt tu es mis aux fers et conduit en prison. o

M. Friediœnder~, à qui nous empruntons cette citation, pour-suit « Ceci a été probablement écrit sous Hadrien, qui, comme

tout le monde sait, avait créé uri corps d'armée spécial, les

/rMmeK<ar«, des gendarmes qu'on employait pour des affaires

de police, et surtout de police secrète dans l'acception la plus

large du mot, et cette destination leur est restée également plustard. Eh bien, nous connaissons déjà les noms par lesquelson nommait ces agents d'un nouveau genre. A Këzîb, nous

les avons rencontrés en face des disciples de R, AIdbâ, qu'ils

interrogent sur le but de leur voyage, et où ils sont appelés

~'s<uK, Â!?o-7<x/,brigands, nom qu'on donne facilement, en pays

Voy. EsMt., p. 306.

&'«cKg'Me/M'c/~e~OMM,Leipzig, i865, 1, aSy.ufaut, du reste, lire

tout ce paragraphe, de la page a85 à a8g les passages tirés de Martialsont particulièrement instructifs.

Page 205: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

i\'OTES SUR LA GUERRE DE BAR KÔZÊBÂ. 169

ennemi, aux soldats réquisitionnaires. ASépphoris,

ils sont

appelés&a/c/M< ou 6<~cAa, d'une racine &e~cA

KinquirereEnfin le mot

qui,dans les écrits rabbiniques, désigne les es-

pions, est pris du latin, ~delatores~, }~lN'?l Je~dr~. Le Tal-

mud deBabylone (Sabbat, 33*')

raconte une histoire arrivée

après la guerre deBettar, et qui, toute confusequ'elle est, est

néanmoins instructivepour

lesdangers qui menaçaient cons-

tamment les Juifs. xR. lehoudâ(bar Ha~î),

R. Iôsê (bar Ha-

)aftâ)et R. Siméon (bar lohaï) étaient réunis, et lehoudâ

ben Guénm était assis avec eux. R. leboudâ commença et dit:

Combien les travaux de cette nation sont beaux! ils établissent

des marchés, ils établissent des ponts, ils établissent des bains.

R. lôsé se tut. Mais R. Siméonprit

laparole

et dit Ils

ont établi toutes ces chosespour

leurpropre

utilité: les mar-

chés pour y entretenir des heux de débauche; les bainspour

s'y distraire; lesponts pour

en toucher lepéage. lehoudâ ben

Guénm raconta cet entretien, qui parvint jusqu'aux oreilles du

gouverneur. On rendit l'arrêt suivant: lehoudâ, quia exalté

Rome, sera exalté: lôsé, qui s'est tu, s'exilera à Sepphoris~;

Siméon, qui a dit des injures, sera mis a mort. )) On rattache

ensuite à cet arrêt la fuite de R. Siméon et de son fils, quise cachèrent

pendantde longues années dans une caverne.

Aprèsavoir lu ce récit, on se demande involontairement le-

quel des deux lehoudâ avait fait l'éloge de Rome, et si cet

éloge, bienétrange

à cetteépoque

dans la bouche d'un Juif, s'il

était sincère, n'avaitpas

le but deprovoquer le blâme. Puis

E?'73 répond a t'bëbreu Ë?3n. Il se trouve souvent dans le Targoum

pour ce mot. La racine ne parait pas exister en syriaque; M. Payne-Smith ne cite qu'un exemple de JLe.<Ë~, qu'H traduit par frfures~. La

Misehnâh (A~/w~ xv, ~) parle du ~E'~3r! '7pD, c'est-à-dire du bâton

dont se servait le perquisiteur (&<McA) chargé de remuer la paille pourvoir si l'on n'avait pas caché du blé dessous. Ce bâton avait, à ce qu'il

parait, une forme particulière; on attachait à sa tête un anneau (''t~n

~appendixB) où l'on introduisait la main afin de mieux le manier.

Cet entretien eut lieu probablement à Iabneh, comme on le voit parce qui précède. lôsé fut donc interné dans sa ville natale, et on n'aura

pas besoin de changer ~IB~ en '~IBSO. Mais ilne paraît pas que )e sé-

jour aSepphoris ait paru assez sûr à H. Iôsê, car it s'échappa et se rendit

à Laodicée, probablement en Lydie, ou se trouvait aussi la ville d'Asie

que les docteurs conseillaient à Ismaf' )e fils de H. Iôsê, de choisi l'

comme rcfug'e. (Voyez Gr:etz, :&;< p. ~71.)

Page 206: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

J. DERENBOURG.170

on parie des récompenses promises à l'un des deuxlehoudâ.

et cependant l'autre est présenté bien plutôt comme un bavard

imprudent que comme un agent provocateur*. Quoi qu'il en

soit, on voit combien il était dangereux de dire alorssa pensée,inéme dans une conversation intime entre amis.

Des disciples de R. AMbâ, il n'en était resté que six quifussent capables de continuer l'enseignement doctrinal. Mais

aucun d'eux n'était ordiné, et l'ordination était rigoureuse-ment défendue par Hadrien. R. lehoudâben Baba, un vieillard

vénérable et pieux, les réunit dans une vallée de la Galilée,

entre Uscha et Schefaram, et leur imposa les mains. Au

même moment survinrent les Romains. lehoudâ eut juste le

temps de pousser les nouveaux docteurs à la fuite et tomba

seul, victime de son dévouement à sa foi, cr:M~ de trois cents

coupsde lance, selon l'expression du Talmud (b. ~4M~aA xa-

raA, 8n). Ailleurs nous lisons K Lorsque R. 16sé ben Kisma

tomba malade, R. Hanînâ ben Teradiôn vint le voir. Mon

frère Haninâ, lui dit le malade, ne sais-tu pas que cette na-

tion(romaine) tient son pouvoir du Ciel? Elle a détruit le

temple de Dieu, brûlé son sanctuaire, égorgé ses dévots, ex-

terminé les bons, et cependant elle dure, et toi, d'après ce

que j'entends dire, tu es assis occupé de la Loi, tu tiens des

r.éunions et tu portes le livre de la Loi sur toi -Le Ciel aura

pitié, répondit Hanînâ. Comment, reprit l'autre, je te

parle raison, et tu me répliques Le Ciel aura pitié? le ne

serais pas étonné si l'on te brûlait avec le livre, de la Loi. H

(~<~aA zaraAj 18'.) On sait déjà que la prédiction de R. 16sé

se réalisa~.

Il y avait alors, comme sous Vespasien, parmi les docteurs,

des hommes prudents, qui ne croyaient pas devoir braver le

pouvoir et se livrer follement à une mort certaine. Mais le

plus grand nombre cherchait à échapper aux rigueurs de la

loi en entourant les pratiques religieuses du plus grand mys-tère. On changeait jusqu'à la dénomination des cérémonies:.

on ne parlait pas de circoncision, on l'appelait pn y~!N <da

semaine du nîsn, et on l'annonçait par le bruit des moulins

Voy. les 7'<M< SUt-Sabbat, 33' MM/M.

Ci-dessus, p. < 58.

Page 207: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTES SUR LA GUERRE DE BAR KÔZÊBÂ. -171

à bras. La célébration d'unmariage

étaitdésignée par

nn~D

repas ??,et le

signalétait donné

parune lumière, placée pro-

bablement d'une certaine façon 1. Le jour pourcette cérémonie

n'étaitplus

le mercredi ou le jeudi, mais le mardi2. Ceci de-

vait dérouter les autorités romaines, quiavaient interdit aux

Juifs d'avoir recours à leurs docteurspour

les affaires civiles,

dont lesengagements

matrimoniaux faisaientpartie 3.

On

croyait pouvoirdissimuler les

phylactèresen

changeantleur

forme carrée, quiest la forme légale,

en une boule ronde4;

Le motbiblique, qui

ne se litque Cas~Me., m, 11, est runn hâ-

<o!<tM:sA.Cependant

on rencontredéjà

ces nouveaux termes, avant. la

destruction du temple, dans la bouche d'un docteur de cette époque.

Voy. tos. Meg'tK'/M/t., tv, i5. Il est intéressant de voir, engénéral,

comment, à une certaine époque, qui est difficile à déterminer, mais qui.

dans aucun cas, n'est postérieure au deuxième siècle, les termes tech-

niques de la Bible ont complètement disparu pour faire place à des

termes tout à fait nouveaux. La lettre de divorce ne s'appelle plus 1BO

DD')3 (Deut. xx;v, i), mais N2; le gage se nomme p3S?!2, à la place

de p3iy (Go:, xxxvin, ao); !Hpon 1BD (Ver. xxxn, ) i) cède la place

à m~D 10! etc.

Grœtz, e.p. ~65, où les

passages talmudiquessont cités.

Nous ne pensons pas, avec M. Gra*tz, ~.c. p. /tyi, qu'il y ait eu une

loi nouvelle, rendue parAntonin le Pieux, qui enleva aux Juifs la justice

civile. Nous croyons plutôt que, lorsqueles lois vexatoires contre les céré-

monies religieuses et l'étude de la )oi furent aboliespar

cetempereur,

l'interdictionprononcée par

Hadrien contre la justice civile resta en vi-

gueur.Ce n'était pas une nouvelle décision amenée par une révolte sous

Antonin que M. Gra;tz tui-méme juge impossible et invraisemblable. Cer-

tes, il est malaisé de ne voir dans les mots frJudœos rebeHantes contudit»

de Capitolin ( Antoninus Pius, v, ) autre choseque

la fermeté avec laquelle

cet empereurcontint les Juifs, toujours

remuants et enclins à enfreindre

la toi. Mais lesimple

bon sensexige

cette interprétation, et lecoupable

est iciCapitolin, qui a exagéré les choses et mal choisi ses termes. Cette

expression nous parait avoir son pendant dans ie tfjudaicus triumphusn,

décerné par le sénat à Caracalla (Spartiani Severus, xvi, 7). Seulement

ici l'exagérationn'incombe pas à l'auteur, mais au sénat. Nos sources

taimudiques ne portentia trace d'une insurrection sous aucun des Anto-

nins. Les docteursdéploient pendant ce temps dans le domaine

religieuxune activité surprenante, qui n'aurait pu se concilier en aucune façon

avec mie agitation politique. Nous pensons que la juridiction civile fut

rendue aux Juifs au plus tard sous R. lehoudâ 1, qui avait un Antonin,

probablement Lucius Verus, pour ami, et certes cette faveur ne leur au-

rait pas été accordée si l'on ne s'étaitpas

montré cabne et soumis.

m.M~'tH'Mt, tv, 8.

Page 208: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

J. DERENBOURG.172

on neplaçait, pas

les boites des mezouzôl aupoteau d'entrée

en vue de tout le monde, comme il est prescrit, mais derrière

laporter

D'après le Talmud, des Juifs étaientquelquefois obligés

deprêter

à l'ennemi leurs services contre leurs frères. On

mentionne R. Ismaél ben lôsé et R. Eliézec ben SIméon, quiétaient chargés de rechercher et de livrer a l'autorité les vo-

leurs et lesbrigands juifs (a''NO'?') 0~3

Dian~. On nomme à

cetteépoque

aussi Elisée benAbouyyâ,

un des hommes les

plusinstruits de la Palestine, qui

aurait fourni aux Romains

les indications lesplus minutieuses, pour qu'ils pussent dis-

tinguer un actereligieux, qui

était interdit, d'une action

indifférente etpermise. s Ainsi les Romains ayant obligé les

Juifs à porter des charges le jour du Sabbat, ceux-ci cher-

chaient à les porter à deux, parce quele

péché devenait

moindre en n'exécutant pas le travail seul. Elisée conseillait

alors aux Romains de faire toujours faire l'ouvrage par un

seul Individu.?; (j. jHag'M~'aA, n, t, 77~.)Mais toute cette histoire d'EHsée ben

Abouyyâa

prisdans le

Talmud un caractère légendaire; et M. Weiss s'est efforcé de

démontrerqu'Elisée avait été seulement imbu des doctrines

desgnostiques, et s'était attiré par

là la haine des rabbins

de sonépoque, profondément irrités contre tous ceux

qui

.s'occupaient des questions demétaphysique, ou, comme ils

disaient, de ce qui concerne le char~'E~c/M'e~(n3~!3 n~D).

EMsée, paraît-il,était en outre non-seulement

opposé aux

agissements politiques de R. AIdbâ, mais aussi à sa méthode

Voy. tosef.<~M:Wa/~ iv, 30. Les mots mSD n:t ~1 r!J:)0, quisont etuptoyés dans les deux passages, veulent dire qu'en agissant ainsi

on s'expose à un danger sans cependant remplir le précepte.

j- M<&!M'o<, m, 8; b. jB<!&am~ 83'. Au. reproche qui est

adresse à R. tsmaet du métier qu'il fait, i) répond «Que puis-je Ëure'~

c'est l'ordre du gouvernement» (K3'?01 K~D~n).Grœtz, Ge.!e/t. YM~ett~IV, 17 et suiv.

ZMf GMC/t.~.j'M~. Tradition (hébreu), II, p. i3g-tM. M. Weiss

resutne et complète dans ces pages les travaux de ses prédécesseurs, tels

que Daubes, Smoieuski et autres. U croit que les p~tEM ')30 livres

des égarés'), que, selon le Talmud, Étisée portait en grand nombre sur

lui, étaient en réalité les a''2?T)'T) ''1BD ttiivres de ceux qui savent~, ou

des guostiaues, dont les docteurs juifs ont changé le nom, pour nétrir

t'es ouvrages en mone temps que celui qui les étudiait.

Page 209: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTES SUR LA GUERRE DE BAR KÔZÊBA. 173

d'enseignement et à ses doctrines talmudiques.Il se

peut alors

qu'il se soit aussi relâche de l'accomplissement rigoureux

de tous lespréceptes, aggravés par

ce chef d'école. Plus la

science de ce docteur était grande, plus le danger d'une telle

opposition devenait menaçant à un moment où le christia-

nisme achevait sa constitutionpuissante par l'union entre

les deuxgrandes

fractions des judéo-chrétiens et des païens

convertis, union àlaquelle

la guerre de Bar Kôzêbâ avait for-

tement contribué. Et cependant, tel parait avoir été le prestige

de cet homme, qu'onse contenta de lui

infligerun

sobriquet,

celui de ~4A~ homme~aHs/orme;

mais on neparle

d'aucune

excommunication contre lui, et R. Mêîr continuait à vivre dans

sa société, et même à s'Instruire à ses côtés. On sevengea

de

son importance enl'attaquant après

sa mort et en ramassant

sur sa tête toutes lesignominies, et aussi la honte d'avoir été

un Instrument de persécution entre les mains des ennemis

séculaires de sescoreligionnaires. C'est là l'histoire éternelle

de toutes lesquerelles religieuses. La réhabilitation

tentée parM. Weiss paraît mériter d'être prise en sérieuse considération.

Page 210: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule
Page 211: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTE

SUR

LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE

A L'ÉPOQUE DE LA TROISIÈME GUERRE PUNIQUE

PAR CHARLES GRAtX.

Polybe, en racontant avec détail le siège de Carthage, avait

dû décrire les fortifications de cetteplace.

Letémoignage

d'un aussi excellent observateur, qui avait assisté, aux côtés

de Scipion Emilien, sinon auxpremières opérations (ce que

j'ignore), au moins à la seconde partie du siège et à lapriser

serait pournous de la

plus grandevaleur. Malheureusement,

il ne nous reste, en fait d'extraits textuels de son récit dusiège,

quedeux ou trois morceaux

presque entièrement dépourvus

d'intérêt au point de vue militaire. Nous sommes obligés de

nous rabattre sur lesPuniques d'Appien.

Les données que

nous rencontrons chez ce dernier auteur doivent avoir été em-

pruntées àPolybe. Mais, étudiée de

près,la narration

d'Ap-

pien neparaît

ni complète comme ensemble, ni exacte dans

toutes sesparties.

Desexplications indispensables pour

faire

comprendreles opérations, et que Polybe avait sûrement don-

nées, ont été passéessous silence les développements décla-

matoires que l'écrivain de l'époque des Antonins s'estcomplu

à coudre à laplace

ne fournissent aucuneespèce

de com-

pensation.En changeant les expressions dont s'était servi Po-

lybe et remaniant à sa mode la rédaction, il touche, sans s'en

Le plan de Carthage joint à cette note est la reproduction pure et

simple de celui qu'a dressé Dureau de ia Malle dans ses Reclierches sur

la topographie de Carthage (Paris, i835).

Plutarque, ~o~~A~tMe.! hégémoniques, p. aoo A-B; Appien. Pu-

/M'~MM~§ ta (fin).

Page 212: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

CHARLES GRAUX.i7(iÇi

apercevoir,au fond des choses, et là est, à n'en

pasdouter,

l'originede

plusieursdiSicuItés

queles chercheurs modernes

neparviennent pas

à résoudre.

Unpetit

nombre de textes fort courts etpour

laplupart

assezpeu significatifs,

ou au contraire formels, mais sus-

pects,-ont été, en outre, recueillis de côté et d'autre chez

les auteurs'. Puis, plusieurs pointsde la

topographiede

l'ancienneCarthage

ont été mis hors de discussion à la suite

des diverses fouillesqui

ont étéentreprises

dans ce siècle

parles

archéologues sur l'emplacementde la

grandecité dis-

parue. Mais, toutcompte fait, on ne

peutencore

appuyer

que sur d'assez médiocres et faibles bases l'étude dusiège

et

la restauration des fortifications deCarthage.

Prenons le texted'Appien peut-être réussirons-nous à jeter

unpeu

dejour

surquelques-uns

despoints

obscursqui s'y

rencontrent. Apropos

deCarthage

ont étécomposées

de nos

jours beaucoupde belles

pages,dont les auteurs ne s'enten-

dentguère

entre eux; dansl'exposé

de tant de différents sys-

tèmes, on trouve rarement faite lapart

de ce quiest certain

et de cequi

ne l'estpas.

Nous tâcherons d'éviter unepareille

confusion. Etpour que

cette étudegagne

enprécision, hypo-

thèses inuti!ement hasardées et erreurs commisespar

nos de-

vanciers ne serontgénératement point

relevées'

On tes trouvera cités notamment chez Dureau de taJMaiie, A'c~r-

t'/tM, etc.

Voyez, pour la bibliographie de laquestion jusqu'à 1861, Beuje,

Fouilles<! Cs~/Mg-c (Paris, 1861).

Deuxouvrages importants ont paru

depuis le livre de Beu~é; ce sont 1° N. Davis, Cat't/Mg'e<HM~Ae;' f<MMm~

(Loudres, i8tii), et ~° Daux, Reclcerches surl'orig·irre et l'einplacemertt(Londres. 1861). eta° A.Daux,~ec/iere/iMaM?'foMg'MM~J'<p&c<'M<'?!/Il<~M emporta pAmtCM)~ <~<Ms /e ZeM~n e< /e ByzacMm (Paris, i86q). H

est extrêmement regrettable quele second volume do ce dernier ouvrage

n'aitpas été imprime; M. Daux devait y annexer un

plande

Carthage,dont M. le capitaine Hennebert notamment

(voy. son Rh~M'e <j!~)i)K~~t. [, Paris, 18~0) a obtenu communication, et qui passe pour beaucoup

plus fidèfe que tous ceux qui ont été jusqu'ici répandus dans le pubticsur ce plan, il paraît que M. Daux a

essayéde restaurer, aussi exactement

qu'illui a été possible, le tracé des remparts. Mentionnons encore ces pu-

Mications de M. E. de Sainte-Marie Les !'MM!Mde Carthage, extrait du jour-na)

/'Rr'<MYt<fM?' (Paris, i8y6); B~&o~Tan/He CM'</tM'moMe~ extrait du

Hu))etm de la Société archéologique de Constantine (i8y5), et ~M)' ~<

~w,o')'n~M' de /);'eM«')'g g'MM'r~ pM)M'~M< dans le recueil des notices et

Page 213: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE. 177

Polybe décrit la situation de Carthage au livre 1 de son

Histoire(§y3, A):

H ~<xp Kfïp~)?~~ ctUT~ ~t~ Év xo~~ xe?T<x~ Œ'pOTs<ouo'a x<x~

~eppof)7o'<~ouo'a! ry 3-eo'e<,TO

~ef Tl 3-<xÂaT7)? ro ~e T< xa!Âf~f~

's'spteyo~ef~~<xr<x 70 's's!o''7o! 6 <? o'ut«Mr7<M~ Fo'~os otUT~f T~~saptexo~~v~xaTâ TÔ ZTÂE10'ÎOV, Ô OE~ a·uvâ~r~mv ia·6Leôs ariTnv Tn

A<&!)? TO 'Sf~tÏTOS M$ e!x00'< XOft'S'~fTS 0'7<]t<~<&)f~0'7/.

Appien (Puniques, S 9 5) reproduit,à ce

qu'il semble, en

prétendantia compléter,

cettedescription

dans les termes sui-

vants

T't. 1'1. ri ~sô~rs Év ,uvy,u"~xo'X7rou ~.eyio-~ov, xePPovrjo-çeTc ~.â-Ht~ <? 'S'O~.tS S~ ~f~ XO~TTOUjHS~<0-'7ot~ ~Epp0~cr~)T< jMO:-

~.<0''7<X'S'pOO'SO~M~. A!3~f yàp CtUT!7~<X7TOT~S ~TTS/ROU~sTp~S~

SUOOSd}~ 'sys~TS XO!~S<XOO'<0''7ofJ/<H!' fXTro<M TOU OtUyefOS TOttfMt

o-7e~)7 x<x)sTT~s, )7~<o-7<xJ/ou~<xÀ<o-7<xTO 's'<xTOs, e'n'~ ~uer~a?

sYMps<~ ~teo')?À<s ïs x<x~T~s 9'<x~.<xo'o')7?. (Ict,dans les

manuscrits, une lacune évidente. que Schweighseuser a signalée

lepremier.)

Ainsi, Carthage (voy.le

plan)était bâtie dans une sorte de

presqu'île qui se dessinait sur le bord Ouest du sm~s Car~a-

gYM'e~M (golfede

Tunis).La

presqu'îlene tenait au continent

que parun isthme (Jo-~os, Pol. au; App.) large de vingt-

cinq stades( A y kitomètres ), enserré entre le /ae Je Tunis au Sud

et le lac de Soukra(ou Sebka)

au Nord, pournous servir des

dénominations de la carte actuelle. Mais au second siècle avant

J. C. le lac de Soukra n'existaitpas encore, à ce

qu'il semble,

en tant que lac; la languettede terre qui le sépare de la mer

est formée d'alluvions très-modernes, et il faut sereprésenter

quela mer venait battre librement les rives actuelles Sud et

Est de ce lac, quin'était encore

qu'un golfe, ou plutôt même

qu'ellerecouvrait au delà des bords actuels, dans ces deux di-

mémoires de la même Société, a° série, VIfF volume. Enfin, il a paru,à la date du 5 juillet tS~y, un grand plan de Carthage adressé parPh. Cai))at, ancien ingénieur de S. A. le Bey de Tunis, d'après ses levés,ie plan de M. Falbe et les travaux de MM. Dureau de fa Malle et Beuié,~n

dédié à M~ Lavigerie, éveque d'Alger.Les mots T~o~ts ~sppof~erM Tf ~fxAfo'7ot'srpoo'eoMt)f<ï forment une

expression bien peu naturelle. Une ville ne ressemble pas à une pres-

qu'ite; mais Carthage était située ~s)M une sorte de presqu'île. De toute

façon, Appien nous semble avoir remplacé l'expression ~sppon~o'~ouerefde Polybe par la paraphrase ~eppof~s'M 'Erpocrso<xuK:. Avait-H écrit, à

l'imitation de Polybe ~eppof~o'&j T); ~S-~o'ei> ~ctÂ;o'7ct 's'poo'eoixuta?

Page 214: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

CHARLES GRAUX.'!78

rections, un large ruban du sol aujourd'hui émergé. La raison

de ces changements dans la configuration du rivage est quevers ces parages débouchait jadis dans la mer le Bagrada

(oKe~Mp~'er<~), torrent qui charrie beaucoup de limon, et le

même qui ensuite ensabla, un peu plus vers le Nord, ie port

d'Utique'. Quant au lac de Tunis, qu'on ne trouvera jamais

désigné dans le récit d'Appien que par le nom générique de

~f)?, ce n'est pas un lac à proprement parler, puisqu'il

communique avec la mer par une passe, des plus étroites, il

est vrai, située près du lieu dit actuellement GoM~cMe.Cette

passe existait-elle dès l'antiquité? C'est probable a priori; et

on en a presquela preuve. Lorsque les consuls M. Manilius et

L. Marcius Censorinus~ essayèrent, en vain, de s'emparer de

Carthage, qu'ils avaient perfidement amenée à leur livrer toutes

ses armes quelques jours auparavant, voici comment ils s'é-

taient partagé les rôles Manilius donnait l'assaut à la muraille

qui regardait l'isthme, tandis que Censorinus dressait des

échelles, &t Te y~ %<x~fs<M!' (App.,§ gy), contre la partie de

l'enceinte qui confinait au lac de Tunis la flotte était donc

entrée dans le lac. Puis, plus tard, au moment des chaleurs

caniculaires, comme une épidémie sévissait dans l'armée de

Censorinus stationnée sur ce lac aux émanations peu salubres

(§ qq To KsfO'&tptfou o''7p<x'r<~e<Sbf~~o'e<,o''7<x~sSof X~f)?

cr7<x0spouxe~ ~Sap~os~Tos x-r~. ), le consul fit repasser sa flotte

dans la pleine mer (?'6: ~e~ ô Ke~o-Mp!fos s? 7~ 3-~<xo'o-<xf

?~0 T~s Â~s ~eTSo-'?p<xT07rs~suo-s~).S'il n'y avait pas eu de

communication entre le lac et la mer, il aurait donc fallu

transporter les vaisseaux par-dessus la bande de sable qui les

eût séparés une telle opération présentant quelque chose

d'insolite et de mémorable, un écrivain comme Appien, quicherche l'effet, n'eût pas manqué de nous en conserver le

souvenir.

Voy. Daux, Emporia pMKcM)!~ p. 136. Cf. la planche II de l'atlas

de Falbe, Recherches sur l'emplacement de Cs?'~Mg'e; et la ptandie XXm

de l'atlas annexé au tome 1 des GeograpA! g'fœct mmor~ édit. Charles

Mui)er. Par exemple, Utique, port de mer du temps de César, est aujour-d'hui enfoncée à deux lieues dans l'intérieur des terres.

Chez Zonaras, IX, a6 (t. I, p. ~)63 A, éd. de Paris), on-lit Aotw<os

MapKios xat MetpKos M<xft~!os; les éditeurs auraient pu corriger sans

sct'upu!e M~pKO?en MaMOs.

Page 215: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE. 179

Par les mots awo Je ToS ett~efos T0t<~<a! e7rl &o-~fxs e~-

pe<, Appien décrit fort mal la situation des lieux. De la pointe

Sud-Est de lapresqu'île,

et nonpas

de l'isthme(<xwo

ToC

<xu~efos), -partait la langue de terre très-mince dont on vient

des'occuper déjà, et qui s'appelait proprement la Langue,

y~.Mo-<T<x(App.,1

2 1),formant l'unique séparation

du Lac et

de la mer. Elle ne se dirige pas vers l'Ouest, comme le dit

l'historien(e~ Juchas),

mais bien vers le Sud, en inclinant

peuà

peu légèrement vers l'Ouest. Plaçons-nous à Fendroit

où cette inclinaison est leplus prononcée,

car laLangue

présente la forme d'une ligne courbe, on pourra.tout au plus

direqu'elle

tend à se diriger vers le couchant d'hiver. Appien

aurait-ilpar

hasard eu sous les yeux une carte de cette région

mal tracée et mal orientée? Une tellesupposition

semblerait

assez plausible. Cette bande de sable, étroite et basse, n'offre

encoreaujourd'hui

au Sud-Ouest de la Gouletteque

lalargeur

mentionnéepar Appien 1. Cependant,

il estpeu croyable qu'elle

eût moins de 100 mètres de largedans toute la longueur de

sondéveloppement. L'expression ~<o-'7<x<~ou fM~o-'7<x To ~<x-

Tos ne s'applique évidemmentqu'à

l'endroit où elle se trouvait

le plus rétrécie.

Puisqu'ondisait sans

plusle Lac et «la Langues, nous ne

pouvons nous refuser à croire qu'il n'y avait qu'une langue et

qu'unlac aux environs de l'ancienne

Carthage;et cette

simple

observation suffirait déjà à prouver que le lac de Soukra était

mer autemps de la troisième guerre punique.

Quel était le tracé des fortifications de Cartbage et comment

étaient-eltes construites? Nous sommesplus

en mesure de ré-

pondreà la seconde qu'à la première question.

A la fin de la lacune qui se présente dans le texted'Ap-

pien,on se trouve en pleine description

de fortifications

<MTÂ65TE/~S< ~SO/Xpt~MÏ ëfTO!, Ta <? 'S'OOSjMSO'~ëp/fXf

es ri~recpov, ir'vBa xai n Bvp~a nv é~ri zoû aûxévos, aPc~r~çv asi,~ec.

M~WSfpO! M~&XOM BupO-<Xt~ 6~ TOU de la lacune doit êtreSchweigbœuser suppose que l'originede la lacune doit être

cherchée dans la répétition du mot 3-<xÀ<xo-o-)?ydans le texte à

quelquesmots de distance, et pense qu'on lisait, avant la faute,

Falbe, Recherches, p. i5-i6.

Page 216: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

CHARLES GRAUX.~80

quelque chose comme 3-o~o'o'~<. K<ï~/s!'ep<TSTe<~<o-'7o(ou

o'6p<e/~7r7o) Tes ~Xe<Ms T<x ~e~ 'sfp&s T~s 9-a~c~o'o');?>ct7r~.M

T~s< XTÀ. Cette conjecture est fort bonne. Cependant, la la-

cune est peut-être plus considérable que ne dit le savant édi-

teur. Examinons les dilEcultés de ce texte une une. D'abord

~pà? ~eo~j~pt~xf & ~-n-stpof est une leçon impossible. Le côté

de la ville qui regarde l'isthme n'est pas le Sud, mais l'Ouest,

et Appien, si mal orienté fût-il, n'aurait pas pu commettre

une telle erreur, précisément en sens inverse de celle qu'on a

relevée chez lui tout à l'heure. Si l'on conserve ~p~s ~eo-)~-

~p/ay, il faudra ajouter xe~ devant ~s mrstpof et admettre quela triple enceinte régnait, non-seulement à l'Ouest, mais aussi

au Sud, ce qui n'a rien d'inacceptable. Ainsi, il serait ques-

tion, dans la fin de la phrase, des parties Ouest et Sud de l'en-

ceinte. Les mots -sTep~p~Mx c~TCt désignent, comme l'a bien

vu Scbweighs'user,Ie rivage, c'est-à-direle côtéJEst. 11 est donc

bien possible qu'Appien eût, dans la partie perdue du texte,

parlé de la muraille du Nord, à moins que, au lieu de xa~

seulement, il ne se soit perdu dans son texte après ~so~-

Sp/cH', <Ka~~Sop~ï!)K~>. Il faut que la mention des fortIËcations

septentrionales ait disparu des manuscrits par accident, ou

bien Appien serait encore, sur ce point, à taxer de négligence.A vrai dire, aucun texte exprès ne nous apprend quelles forti-

fications protégeaient la ville du côté Nord. Mais on peut espérerde le deviner en gros, rien qu'à étudier le premier épisode de

la seconde période du siège, à savoir la prise par Scipion du

faubourg de .M(~M*<t.Transportons-nous donc au moment où

Scipion vient de prendre en main la conduite des opérations.Il a établi son camp non loin de Cartbage (ot3 ~xpe~ T~s

Kap~~o~ App., §11~). Les Carthaginois se retranchent en

face de lui à cinq stades en dehors des murs_(oi <? Kap~vioc -rdv 78le,~v è«ç ae'vre ola~lOU.5 'WPQSXO~vree 4VT4ystpav av"ro~o< T&'y T.~&iy M 'sfeyTe o~a~/ot~ 'sfpcs~yTe~ <~fT~s<p<x~<xuT~

~<xp<xx(x).Les camps ne barrent point l'isthme, puisque les

Carthaginois reçoivent dans leurs retranchements six mille

fantassins et mille chevaux d'Asdrubal et de Bithyas, qui, jus-que-là, avaient tenu la campagne. D'autre part, les Cartha-

ginois conservaient leurs communications assurées avec la

ville, puisque nous les voyons, lors de la panique que pro-duisit dans leurs rangs la prise nocturne du quartier de Mé-

Page 217: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE.

gara, se réfugier dans la ville sans être même inquiétés par

l'ennemi(§ i 17). Ainsi, représentons-nous

lecamp carthagi-

noisappuyé

sur le lac de Tunis, et celui de Scipion longeant

la rive du lac de Soukra.

KScipion, dit Appien (§ 117),fit une tentative nocturne

contre le quartier dit de Mégara, l'attaquant par surprisede

deux côtés à la fois.Mégara

est un vasteemplacement

dans

la ville, contigu à la murailles (~<Mp/of<~e<r~f euf~e~ss sv

sro~.s< Têt Mey<xp(X, T&! TE/~e< 'ïB'ctpe~su'y~efOf). Reste a savoir

s'il faut entendrecontigu

!K~rtcMre?KeK< ou extérieurement à la

murailleprincipale; les mots év 7~ ~o~e~ à mon sens, ne dé-

cidentpoint.

Un faubourg situé hors de l'enceinte principale,

mais entouré lui-même d'un mur quise rattache au

système

général de défense, peut être considéré comme faisantpartie

de la ville elle-même.

Scipion dirigedonc deux colonnes d'attaque contre Mégara,

envoyant l'une dans une certaine direction en contournant le

quartier, s'avançant lui-même à la tête de l'autre division vers

un autrepoint

de l'enceinte, avec des haches, des échelles

';t des leviers, etgardant le

plus profond silence il marche

ainsipendant vingt

stades(près

de4 kilomètres) (e$

à T??

~g!' ETspot~ 'srspte'TTSfrn's, Tff <xuTos o-M~ ~B'eXsxeo-t xo~ xX<-

~<x~< xxi ~o~o?? e&x<~s o-7<ï<ous e~oo't d'~o~)7T~ ~STa o~y~s

jSot~uTfXT)??).Dans l'ignorance où nous sommes de la position

exacte et du mur de Mégara et ducamp

deScipion,

la donnée

précisede

vingt stades ne nous est d'aucun secours. Lorsque

Scipion atteint le pied du rempart, les sentinelles s'aperçoivent

de saprésence

et donnent l'éveil du haut du mur. À ce cri

répondent par des cris formidablesScipion

et les siens, puisla

colonnequi

faisait diversion àquelque

distance de là les Car-

thaginois sont saisis de terreur, se sentant attaqués à l'impro-

viste, la nuit, partantde

troupeset en flanc

(Too-ouT&w e~p<3~sv Œ'Xsupon's K(pf&) fuxTo?

e7r~e~o~EMt)f). Scipionne réussit

pourtant point à enlever d'emblée la muraille; mais, avisant

une tour déserte, qui appartenaità un

particulier, située en

dehors etprès de l'enceinte, de même hauteur

quele mur, il

y fait monter de jeunes et hardis soldats(es

~sr~o? «!<~TO~

~Jp~Of ~p!7~0y ~TOS 0!'T<XTOU TS<;(OUSxai TO ~O? <0'0f Oï'T<XTaS

Ts<~e<, fe<x!~<xstXfe~Mo-ef euT~~ou?). Ceux-ci, accablant de pro-'tdxel, veav{a5 &veb¡~lXaev srhDÀ{l.OU$).Ceux-ci, accablant de pro-

Page 218: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

CHARLES GRAUX.182

jectiles les créneaux, les ont bientôt dégarnis de leurs défen-

seurs alors, lançant de leur tour un pont volant, ils passentsur le rempart, sautent à l'intérieur de la ville, enfoncent une

porte et font entrer Scipion. Le général romain jette quatremille hommes dans le quartier de Mégara les

Carthaginoiss'enfuient à toutes jambes ~jusque dans Byrsa » (&T~f BJp-

o-af), comme si le reste de la ville était pris.Ou était situé ce quartier par rapport au reste de Carthage? '?

En l'absence de tout autre indice, il faut interroger avec atten-

tion la narration d'Appien. Il semble évident que l'action qu'onvient de retracer se passa vers l'angle Nord-Ouest des fortin-

cations. Si l'une quelconque des deux colonnes d'attaque eûtété dirigée beaucoup au Sud de cet angle, elle se fût engagéeentre la ville et le camp carthaginois, ce qui devait être évité,

et le fut, comme on le voit dans le récit. Puis, le front Ouest

des fortifications se développait, abstraction faite des saillants

et des rentrants, suivant une ligne qui allait depuis le Lac au

Sud jusque vers la mer (lac de Soukra) au Nord, en barrant

l'isthme sur presque toute sa largeur; orquelle valeur donner

à l'expression <s'sp!s~7rs, si la colonne de fausse attaque

n'opère pas son mouvement en manœuvrant autour de l'angle,

plus ou moins arrondi ou tronqué, que faisait nécessairement

la ligne de défense auNord-Ouest? L'expression 's~.sup<x<ssup*-

pose encore que les Carthaginois qui faisaient face a l'une quel-

conque des attaques avaient l'autre sur leur jSanc, ce qui ne

peut avoir lieu qu'aux alentours d'un angle. Il nous serait dif-

ucile dé pousser plus loin l'examen et de déterminer, ce quiest heureusement d'une importance secondaire~ si la diver-

sion était placée sur le flanc droit ou gauche de l'attaque prin-

cipale. Toujours est-il, à notre sens, que les deux points de

Mégara attaqués par les Romains ne peuvent être cherchés

que dans les parages Nord-Ouest de la ville.

Ce quartier était vaste (st~ys~ss); 3. était rempli de jar-dins potagers, séparés par des haies vives d'arbustes épineux,

coupés de beaucoup de canaux profonds et pleins d'eau. Sci-

pion craignit d'engager pendant la nuit sur un terrain aussi

dangereux des troupes qui n'en connaissaient pas les passages

(~f ~fMoYet jM~<o-'?(x <M<~), de les exposer à donner dans

quelque embuscade. II ne les laissa donc pas poursuivre les

Page 219: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE. 183

Carthaginois.H ne s'en trouvait

pasmoins maître, quand le

soleil se leva, d'unquartier

tout entier et, comme on le voit,

d'un immense quartier de Carthage. Comment se fait-il que

nous ne le voyions pas s'avancer au cœur de la ville, pousser

jusqu'au piedde la citadelle, en préparer l'assaut? Plus tard,

lorsqu'au prixde

prodigieuxefforts il réussit à faire brèche à

la muraille de mer et àpénétrer

dans leport militaire, puis

dans le forum, il ne recula point devant le combat des rues;

est-ce là l'obstacle quil'arrêta au matin qui suivit la

prisede

Mégara? Que se dresse-t-il donc devant lui ? On sait que rien

n'était pluscommun dans

l'antiquité quede voir des villes

divisées en plusieurs quartiers munis chacun d'une enceinte

fortifiée. Antioche en avaitquatre (Strabon, XVI, 11, 4, p. y 5 o),

Syracuse, cinq\~etc. Mégara ne devait être

qu'un faubourg

fortIHé de Carthage. Quant aurempart qu'avait

forcéScipion,

c'était unebagatelle. Que l'on

compare les obstacles contre les-

quels s'était heurtéprécédemment

le consul Manilius(§ g y),

lorsqu'ils'avisa de vouloir escalader la

tripleenceinte du côté

de l'Ouest il ne parvint pas seulement à approcher des J~~x

ïs~ ourempart principal.

Et ce même consul se serait

frotté de gaieté de cœur à une aussi puissante défense, s'il

n'avait eu, pourse dire maître de Carthage, qu'à s'emparer,'

commeScipion,

de cette médiocre muraillequi enveloppait

Mégara? Ces considérations nous forcent à conclure que Mé-

gara était un faubourg extérieur à l'enceinteprincipale

de

Carthage; et, cequi

arrêtait Scipion venant de Mégara, comme

jadis Manilius arrivant directementpar l'Ouest, ce ne pouvait

êtreque

leTp<7rXouf Ts~os. Cette formidable

triple enceinte,

dont on verra plus bas ladescription, régnait donc, non-seu-

lement à l'Ouest, et, selon ce qui nous a sembléplus

haut

(p. 180), aussi au Sud, mais encore, vraisemblablement, au

A. de Rochas d'Aiglun, Traité de fortification, d'attaque et ~ef~KM~M p&!CMpar P/K&w de ~y~s~ce (traduit pour la première fois en fran-

çais), p. 82. Cf. Philon, p. aa-()3; ch. m, § i/t et suiv. Rochas: K~TOfs

<x~<jMSoisex'XTSpM~Sf's'ùÂcts xen'fxo'xsucfo'7eoyXTÂ. A~os'M TS sfs

sxcM'7of e~OoSof SoTsof so-7~J\t~oS()/of Sexet ~f&w xat xotT6Hr<xÂ'ro!s8ùo

TpiOTr~~OUS Kaf TOM N~O§Kp~cH5 O'Uf~aTCt xai 'EMOCtO'uy-

~OtTŒ UTTO( U~OO'Uf~etTK ~Œp~ mSS.) TM~0'7pe(T~'y&)~8t'3oo'~0!tSs<

Aet'Bs )M~ xXe<eo'<?aiTŒgT3'u~<xsjM~OMrsp[xcft] ras T~s 'ar<~Âe&)s'xat 'ras

TM!~<xj'~8&w XT/L (Daus tous ces textes, e~poSos veut dire ~MM'&M'.)

Page 220: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

CHARLES GRAUX.18&

Nord de la ville proprement dite. Quant à essayer de Sxer Ie$

points par lesquels passait le tracé du Tp~otw Ts~o~ à dé-

faut de renseignements précis sur les fonda dons qui pourraientêtre cachées dans le sol même, nous n'y songeons ni pour le

Nord, ni pour le Sud, ni même pour l'Ouest.

Seul, si les déductions qui précèdent ontquelque valeur,

le côté Est de la ville, bordé par la mer, n'était défendu que

par un mur simple. Les hautes falaises au pied desquellesbrisaient les vagues et l'état perpétuellement agité de la mer

le long de cette dangereuse côte constituaient uneprotection

naturelle qui paraissait déjà presque suffisante. C'est à cette

partie de l'enceinte, comme cela a été indiqué plus haut, quefont allusion ces mots du texte d'Appien conservés intacts

.eMr~) Ts/s< -srsp/xpt~fot c~Ta;. Il n'y a point de doute

possible à cet égard. Appien explique pourquoi la flotte de

Scipion qui croisait devant Carthage ne pouvait former un

cordon continu et serré, infranchissable, et ne parvenait pas,

par suite, à empêcher les légers bâtiments frétés par Bithyasde débarquer, lorsqu'il soumait un bon vent du large', des

provisions dans la ville assiégée. 12 0 Hep~p&w <? (B,-

*~a:s) T)?!' <X~OpOW& T<ÏŒ~pp&t <~ jMtXpOUfOUM~f ÂT~n'ej'.MfS!

~(pOp~OUO'&W~Ef T~ Kap~~ft fS&if T05 Sxt77/&WO? C~~ O~TS

~<!?fSX<3s O~TS 'S!'UX~<M 0'U~e«7''7!7Xeo'<Xf &)S èv <xX<~tEf~ X<X~'!3'Sp<-

Xpt/j~) 3-<XÂ<XO'0-)?,'!B'<Xp<XTSznv 'S'CtUT~f O~X ~JfafTO <~f<X-

KMysue<f, T&)f K!ïp~t?&)~/&)f To~ Ts<Yeo'<f e<?so''?<T<Mf,xal ToS

KU~OtTOS~XS? j~~<0''7o: ~«i T~S ~Tp<X5 TOCOCtO'C'Ojjt~fOUXTÂ. Sous

Puisqu'on fait tant que de relever les inexactitudes dont_fourmi))ece fragment du texte d'Appien, signalons encore la suivante, en nousfondant sur le témoignage de Falbe, auteur digne de la confiance la piusabsotue. Les bâtiments de Bithyas attendaient, sur !a côte du golfe de

Tunis opposée àCarthage, qu'it soufflât un bon vent_du large, et c'est

alors qu'ils tentaient de forcer la croisière. Mais cela n'arrivait que rare-

ment, assure Appien (BTTfH~ms j~ ou~ ey~yfeTo, xa~~yo~ 6Te jS/atOf

e~ 'sffeC~cf sx 'N~frou). Or voici ce que dit à ce sujet Falbe (p. 23,note i) frLes vents de Nord et de N. E. sont trës-fr~quents sur toute

cette cote, et particuMèrement dans la belle saison; on leur donne le nomd'/tH&ftKoou brise du large, qui s'ëieve à dix heures du matin et rairat-

chit i'air pendant le jour. Ce n'est donc pas à ce vent qu'on pourrait

appliquer la qualification de rare dont se sert Appien.B

Page 221: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE. 185

Calpurnius Pison, qui fut consul et dirigea les opérations du

siège immédiatement avantScipion,

le lieutenantpréposé

au

commandement de la croisière, Lucius Mancinus, sesignala

par unexploit

aussi vainque téméraire. Observant de son bord

unepartie de l'enceinte qui était mal gardée,

à cause des ro-

chers d'un accès difficilequi

faisaient considérer le rempart

commeinexpugnable en cet endroit, il tente de l'escalader.

Les Carthaginois font une sortie contre lui; il lesrepousse

dans la ville, y entre à leur suite et s'établit dans une posi-

tion assez forte au dedans des murs. i 113 Mecyx~os efpop-

jM&WKotp~<, j~SpOS Tl TO? TE~OUS ~sXoU~gfOf <&Hf, OJ

Xp)7j~f0~ 'SfpoJxStfTO O'~fS~s!'? X;X<<Mo'ê<XTO<<Xt'S''Ctp'

otUTo xai (x~sXoujue~of, –~À~o'e Âa9& x~~axots STfo/o'etf e~t

TO TSt~OS. 01 K<Xp~Jo!'<0< <?. a~e&)§Xf '!B'JÂ)?f TOUS

xp~~ous M(p~pouo-<x~ XT~ Le lendemain, l'ennemi revient

l'attaquer en force; Mancinus est sur le point d'être culbuté

du haut durempart

dans lesprécipices qui

en bordaient

le pied (o'uf&)0oujnefosAr! To Ts~os ]~ x<XTexp!?~eTo).

Par bonheur, Scipion parut alors avec des renforts, et, proté-

geant la retraite de Mancinus, le tira d'affaire.

Si nousprenons

l'excellente carte ducapitaine

danois Falbe,

il nous sera aisé de nous rendre compte que le rivage, qui,à la hauteur du

port militaire, n'était qu'à 7 ou 8 mètres

au-dessus du niveau de la mer\ se relève enprenant

un aspectde

plus en plus abrupte, à mesurequ'on

s'avance vers lecap

Carthage;c'est évidemment aux environs de ce promontoire

que dut se passer cet aventureux coup de main.

Il demeure donc constatéque

toute la défense de cette

partie de la ville consistait, ainsique

le ditAppien,

dans la

force naturelle de laposition

et dans une seule enceinte. Il

paraît,du reste, que

Kla chemise organisée le longdu

rivage,n

pour employer les termes mêmes ducapitaine Hennebert 2,

(( aurait été garnie de tours, dont les bases se voient encore

sous l'eau. ??

Mais un murunique

était-il un obstaclecapable de tenir

l'assiégeant enrespect

dans la partie de la côtequi,

moins

Falbe, Recherches, p. ai.

~M<o!?-ed'Annibal, t. I. Cette assertion est empruntée à la partieinédite de l'ouvrage de Daux.

Page 222: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

CHARLES GRAUX.186

montagneuse et moins escarpée, s'étendait depuis l'entrée du

port marchand jusqu'à un point situé un peu au Nord duport

militaire? Selon le témoignage de Falbe, qui vient déjà detre

partiellement cité, de terrain qui borde le rivage entre la

mer et les bassins (c'est-à-dire les ports) est élevé (actuelle-

ment) de vingt à vingt-cinq pieds. Là régnaient de grands

quais, dont les substructions, encore visibles sous l'eau, ont

permis à Daux de mesurer les dimensions qu'ils devaient jadis

présenter. L'entrée des ports, tournée vers le Sud, était cou-

verte par un puissant môle (qu'on peut voir sur le plan). Ce

môle se prolongeait le long du rivage, en remontant vers le

Nord, par un premier quai, auquel Daux assigne 135 mètres

de large sur ~tao mètres de long. «En continuation, dit-il,

était un autre quai, extérieur également à la ville et aux ports,

ayant 60 mètres de large près du premier et 70 mètres

à l'autre extrémité, sur Mo mètres de long.s Du haut de

ces quaison pouvait combattre contre les vaisseaux ennemis

avec quelque avantage (cf. § is3). Du reste, si le mur de la

ville en avant duquel les quais étaient construits était bien

pourvu de machines, non-seulement le quai de 60 ou ~yo mè-

tres, mais même l'autre quai de i35 mètres de large, à sup-

poser qu'un corps assaillant eût pu, à un instant donné, y

prendre pied, eut été une position intenable.

Retraçons rapidement les faits qui se sont passés pendantle siège dans la région du môle et des quais. Scipion, partantde la Langue, conduit jusqu'au môle une digue bâtie en quar-

tiers de roche dure, mesurant vingt-quatre pieds de large au-

dessus de l'eau et qui ferme absolument l'entrée des ports

(§ i a t ). La base de cette digue artificielle se voit encore au

fond de la mer; elle est figurée sur le plan. Appien prétend

que, au début de cette entreprise grandiose, les Carthaginois

s'en moquèrent, estimant que Scipion ne pourrait la mener à

bonne fin (-rots<? K<xp~~o~~o<s Kp~p~e~ou ~e~ TOu~eTou ~pyou

XCtT<X<Pp~!?0'<S~f e5s ~pO~~OUTe xai ~MtKpOUKCt!~O'M?K~KTOu).

Plus tard, quand ils virent cette œuvre inouïe s'exécuter et,

grâce au concours d'une nombreuse armée qui y travaillait

tout entière sans aucun relâche, marcher rapidement vers son

.E~ot'M ~Acm'M'Ms,p. 3o6.

Page 223: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE. 187

achèvement, ilscraignirent, dit l'historien, et creusèrent une

autre entrée à leurport

vers lapleine

mer'.Appien

en sait

bienlong

sur les sentiments desCarthaginois.

Je me dé6ee

pour ma part des assertions des rhéteurs en pareille matière.

Je vois seulement deux faits qui subsistent la digue de Sci-

pion, la nouvelle sortie en mer creuséepar

lesassiégés.

L'une

et l'autreentreprise était

gigantesque. Capablesde concevoir

unepareille riposte

à l'idée si étonnamment hardie de Scipion,les Carthaginois ne durent pas être assez simples pour

se mé-

prendre, ne fût-cequ'un instant, sur la

grandeur du danger

qu'ils couraient. Aussi semble-t-il qu'ils ne perdirent pasde

temps pour tâcher de gagner Scipion de vitesse.Scipion n'avait

pas,comme cela se

répète, pour seul et unique but, en cons-

truisant la fameuse digue, de fermer l'entrée desports.

Com-

prenant l'importance de laposition

du môlepour conduire de

làl'attaque

desports (xo~ y<xp To y<5~<x e&M~pOf sTtTs/yto'~oc

fou ~.<j~oy, App., § 12~), il avait formé leprojet

des'y

éta-

blir. Ladigue, qui

était sur lepoint d'y aboutir et de le relier

ainsipar une large communication à la terre ferme, lui en four-

nirait bientôt le moyen. C'est alorsque

lesCarthaginois, ayant

achevé lapercée nouvelle du port, sortirent avec une flotte

considérable, qui avait été construite dans le plus grand secret

et sans que, mêmepar les prisonniers, les Romains en eussent

rienappris~.

Tb o-7ojM!fM~&)§xr-afspt ëM (App., § lai ). It me semble qu'ii fau-

drait corriger 'spôs- ë<u. Le sens est, d'ailleurs, évident.

[ci se remarque encore un détail suspect dans le récit d'Appien. La

percée terminée, la Hotte carthaginoise, forte de cinquante vaisseaux à

trois rangs de rames, outre une grande quantité de petits vaisseaux, sort

uniquement en vue de faire une démonstration et en quelque sorte de

narguer les Romains. Quant à ceux-ci, ils sont frappés de stupeur en

présence d'un événement aussi inattendu. Leurs vaisseaux ne sont pasarmés pour le combat; pas un rameur, pas un matelot a bord. Si les

Carthaginois les avaient attaqués, ils se seraient aisément rendus maîtres

de la flotte entière. Mais il fallait, dit Appien, que Carthage fût prise les

Carthaginois rentrèrent dans leur port sans avoir rien fait. Quand ils

vinrent offrir la bataille trois jours pius tard, les Romains avaient eu le

temps de se préparer. Cette façon de raconter les événements n'est passans couleur dramatique, et le rôle que le rhéteur assigne au destin fait

songer invotontairement aux tragédies athéniennes. Mais est-it croyable

que les Carthaginois, qui, surtout à ce moment du siège, font preuve

Page 224: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

CHARLES GRAUX.188

Si lesCarthaginois avaient pu redevenir les maîtres de la

mer, tous lesplans

deScipion

croulaientpar

la base; car,

non-seulement le ravitaillement de la ville était désormais

assuré, mais aussi tout établissement del'assiégeant

sur le

môle était renduimpraticable, puisqu'il

se seraitpar

làplacé,

comme on diraitaujourd-hui,

entre deux feux, sous la tir du

rempart,de face, et, de dos, sous celui de la Hotte.

Aprèsavoir

combattu toute la journée sansdésavantage,

comme aussi

sansavantage

bienmarqué,

lesCarthaginois prirent

leparti,

àl'approche

du soir, de se retirer dans leurport.

Lespetits

bâtiments battirent en retraite lespremiers.

Pendantqu'ils

se

pressaientautour du

goulet, tropétroit

pour livrer passage

à tant dévoiles à la fois, les grandsvaisseaux de

guerrevinrent

seréfugier

sous laprotection

du môle. «Ce môle, ditAppien,

formait en <!Mi'H< du?'eKMM~

une vasteplate-forme, qui depuis

bienlongtemps

avaittoujours

servi aux commerçants de mar-

ché pourla vente de leurs marchandises

M (~sTo XM~<x xd!T~-

yof & -sfpoTon

TS/~ot~ sup~Mpof e~opo<sès ~ta<9so'~

<popT/<Hf

d'une indomptable énergieet d'une admirable décision, aient été dans

cette seule occasion indécis et mous? H faut chercher quelqueraison ma-

térielle quiait contenu leur ardeur. Or, on ne crève pas en quelques

heures une jetée de plus de 7o mètres delarge, dépassant

de y à 8 mè-

tres le niveau de l'eau, sur une ouverture et une profondeur capables

de donnerpassage

à une flotte considérable, formée de grands navires.

Je me représente que, sitôt qu'il y eut un canal de creusé .entre le portet

la mer, les Carthaginois firent sortir triomphalementles vaisseaux

qu'é-numère

Appien;mais ce canal, encore bien étroit, nous ne, voyons

pas sortir ce jour-là, en même temps queles trirèmes, les

quinq&crèmesnouvellement construites, devait être considérablement élargi

avant

qu'on pût le considérer comme un débouché sutHsaot, Les Carthagi-

nois, yfaisant travailler un nombre immense de bras, l'agrandirent

trois jours durant. C'est seulement alorsqu'ils

crurent pouvoir risquerla

bataille. Encore voyez cequi

arriva. La lutte s'était prolongée,sans

quela victoire se décidât pour l'une ou pour

l'autre Botte, jusqu'aux appro-ches du soir. Les

Carthaginois jugèrent àpropos

de battre en retraite.

Mais l'entrée du port, encore trop étroite, tut bientôt encombrée par la

foute despetits bâtiments, et les grands vaisseaux durent aller se ranger

en ligne, proue vers l'ennemi, contre le mole, et, dans cette position,se

défendirent de leur mieux, appuyés par les troupes établies sur le môle

même. Ensuite, à la faveur de la nuit, les restes de la flotte rentrèrent

a leur tour au port. Trois jours plus tôt., il n'y avait pas, en cas d'échec,

de retraite possible.

Page 225: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE. 189

e~e~en?To ex 'sfo~oS, §ta3).

(t Dans cette guerre on y avait

élève une ligne avancée de défense, basse, destinéeà empê-

cherque

l'ennemi nepût,

sur cette plate-forme spacieuse,

établir un camp (x<x! 'MpetTs/o'~etSTT'auToS

;6ptx~~f T~S~s

T~! 'cfo~.s~M e~STro/~TO, <'t'ot~t) &'s e~supu~p~) o''7p<XT07rs~eJo'e«xf

-sTOTeol1iJ'oÀép.lOl ).

Cette ligne de défense additionnelle, appelée

par Appien,tantôt

~fxpetTe<~cr~o< (commedans le

passage

cité et au début du § ia/t), tantôt AetTe~o-~a (§§ ia3 et

ja5),est tout

simplementun avant-mur

ordinaire,-srpoTEt-

~o'jMfx, bienqu'il reçoive ici des noms

spéciaux, considéré, en

tantque

bordant le rivage (àune certaine

distance~),comme

-sftïpfXTSt~o'j'/a, en tant que traversant la plate-forme du môle

de part en part, comme A<xTs~o-

A la tombée delà nuit, les vaisseaux carthaginois rentrèrent

au port. Dès le lendemain, Scipion,dont la

digue,à ce qu'il

semble, venait justement d'être achevée, procèdeà

l'attaquedu môle. Il

approchede nombreuses tours de

charpente,bat

le mur avec des béliers ety

fait brèche(xpM<$

ow ro-srfxpcn-s~

~0-j~<X TUTTT&Wxai ~)~K!'t/j'jM{T;X~3'O~fX e7T<X~<M~~pOS <XUTOUX<XTS-

6x~.e~ §ia&).

La nuit suivante, les assiégés opèrent une

sortie dans des conditions bien particulières. ~Ils ne sortent

pas par terre, ditAppien,

car ils n'avaientpas

depassages

(ouxfxïfx ~j~, ou ~txp <~o<~o?);

ni sur leurs vaisseaux,

car la mer n'avaitpas

assez de fond(ouJs Mtuo-!f,–ct~~sf~s

yap nv 3-a~fxo'o-ct)ils arrivent par la mer, d'un côté par où

l'on ne se seraitpas

attenduqu'ils pussent venir, les uns mar-

chant dans l'eau jusqu'à lapoitrine, les autres

nageante (?$<?

T))f 9-otX<xo'o'<x~e~ëe&Te? T<? Kf 's'poo'e~ox~o'sf, o< ~e~ <p<T<St' ~e<c7'7<Mf/3ps~o~s~o< t~s6x~0f~ o< Je x<x~ ~M'eo!'). Ils ne

sontpas

armés ils neportent

rien que des torches, qu'ils

allument au dernier moment. Ilsperdent

énormément de

monde. Cependant leur audace inouïe finit par jeter le dé-

sordre dans le camp romain; les machines de l'assiégeant sont

Voyez, en effet, la situation décrite par Appien dans le combat

naval livré près du mô!e K<ït Tous s~po~s s'7rtTr~o!)TO!so; j~ <x-7r'<xu-

T&)fT&)f !'e<M!~Ot S'ŒTrÔTOU~~0!TOS, Ot S' SXTOU3;CtTSf~fO'j'jtCtTOSCt~S-

~dt~ofTO (§ i23). Les Carthaginois postés sur )e Sf~Ts~o'~o: avaient en

avant d'eux ceux qui combattaient du haut du quai et ils tiraient par-dessus leurs têtes.

Page 226: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

CHARLES GRAUX.190

incendiées. Ceux qui survivent rentrent dans la ville comme

ils en étaient venus, en nageant (-r~s ~~H~g ~~pt/o-afTes

~~eo~ <xt~s Ta ofKs<fx). Ce passage d'Appien a besoin d'un

commentaire. On comprend bien que la sortie n'ait pas été

effectuée par la brèche même, qui, naturellement, était forte-

ment surveillée, et l'on peut bien admettre, Appien l'aSu'mant,

et vu la situation sur le bord de la mer, qu'il n'y eût pas de

passages (<~Jbu~) ménagés dans le 's'apette~o'~s en vue de

sorties. Mais la mer, au pied du môle, du côté de l'Est, était

profonde et accessible même à des navires d'un grand tirant

d'eau; la preuve en est que, le soir de la bataille navale, les

grands vaisseaux de guerre desGarthaginois se rangèrent pré-cisément le long de ce môle ce n'est certes pas cette partie de

la mer qu'Appien peut qualifier par l'épithète a~Ts~. Sans

doute il faut rapporter à c& moment du siège un mot de Sci-

pion que Plutarque a emprunté, on est presque en droit de

l'affirmer, à Polybe lui-même, et qu'il a heureusement fait

précéder de quelques explications propres, jusqu'à un certain

point, à jeter un peu de jour sur la situation respective des

combattants. ~Scipion avait déjà pénétré dans l'enceinte (Mé-

gara), et les Carthaginois se défendaient du haut du promon-toire (il s'agit évidemment de la pointe du môle)~ Polybe,

Philon l'Ingénieur attache la plus grande importance à' la questiondes communications de la place avec les dehors KgTNtrK6uo!f77~ofS~)c<~

'SMp<)8ous xai 3t~SoU? ao~xAstS ST~ T~S T3'Ctp<X~O~êt<XS TOU ~RCMOS,!)'<!j~ Ot ~o~fttOt ~TnT~ ~s~A~ o'7~<yo[f'rMT~s T~poo TO~yTB'eTpoS<)-Âous~p6~iïTf ~pM~rct:xct! Te!?'sroXe~o~ [~~1 ~p~o't~oc )~& S~ <: ).

Tapps~. ( Fet. Mat&etK.,p. 85, s.fin., ou ch. i, §§53-5/), trad. A.de

Rochas.) Mais ces fossés et palissades., qui jouent, un rôle si importantdans le système de Philon, ea permettant d'entraver cf. de retarder tes

travaux d'approche de l'ennemi, nous ne pouvons guère'nons attendre

à les trouver ici, au mo)e de Cartbage dans le cas présent, nous avons

autour du 'sMptXTS~fo'j~o!,en guise de fossés, la mer eUe-méme. Partant,

pas de S~oSot.

Bien que, dans la pensée de Plutarque, les mots ~KT~s &<pasveuil-

ont peut-être dire trdu haut de i'acropote)!, il parait évident que, dans

la source à taqueUp l'anecdote a été puisée, le mot âxpa devait désignerla pointe du môle. La suite de la phrase l'indique. Mais Piutarqne n'aura

pas pris la peine de se rendre compte de la situation; les mots xŒTSfÂt;-

~6ï(ï$ Tà Ts~}? Kan T~s 's<~Ae&)sst~rôs ~~ras, que nous rapportons,sauf erreur, à la prise de Mégara, l'auront particuiiërement frappéde )a le début, ewe; §e 'n'aps~y ef? Ttt Tsf~os, qui ne laisse pas, au

Page 227: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTE SUR LES FORTÏFICATIONS DE CARTHAGE. 191

ayantobservé

quela

portionde mer

quile

séparaitde l'ennemi

n'était pas très-profonde, lui conseilla d'y semer des chausse-

trapesen fer et d'installer au fond de la mer des

planches gar-

nies de clous, afin d'empêcher l'ennemi de s'avancer parlà et

de venirattaquer

les chaussées. Mais Scipion répondit que ce

serait ridicule, après avoir forcé les murailles et lorsqu'on se

trouvait déjà dans la ville (allusion à la prise deMégara),

de

faire en sorte de nepas

avoir à se mesurer avec l'ennemi. ))

ËTTe!J~~CtpS~&W

S~S TO TS<YO?) T&WK<Xp~Jof/<Mf SX T~S axp<XS

<xp.ufOjMe~&):~e~s T))t<<~<et~eo'ou .3'e~oM'o'e~ ou 'sfafu j6<x0s?<xyOt3o"<xf

TOu no~.f&ou o'&)u~.euofTOs <xuT~)xotTtXo"7re?pet<Tp<ëo~.ous o'«~t)-

poCs 0'<X!J'fXS ~t&XÂ~.e< XS~Tp<HT<XS OTT&'S <~fX&tt:'O~TSSOt

~3'0~.e~t<0<tS'pOO'~C<Y<M!'T<X<TO??Y&~aO'<f,~<?~yS~.O<0~S~Ct< X<XTS<-

Â!?(poT<xsTtï

TS~t?xe~ T~s 'sfo~.s~s EfTo? ~fTCts, e?T<x ~3'panr7s<f

077M? OU ~<ï~o5fT<X< TO~ ~oXSjM<b<S.(/4~0jO/~&fg'?KeSÂ~'eM!OK!MeS,,

p. a ooA-B.)

Je me figure que Scipion attaquaitl'extrémité

Sud du môle, àlaquelle sa digue aboutissait; que la sortie

débouchapar

l'entrée ancienne desports; que

la merqui,

on

le sait, n'était pas profonde naturellement sur cette partie du

rivage,avait été

partiellementcomblée

parles matériaux

éboulés le long des talus sous-marinspendant

la construction

de la digue.

Le lendemain, les assiégés,n'étant

plus inquiétés parles

machines des Romains qu'ils avaient ainsi détruites à forced'audace et de bravoure, relevèrent la

portiondu mur

quiétait

abattue et la garnirent de tours de distance en distance (x<x~

~up~ou? év auT<M'aro~OM e~o/ou~ ex Acto-fXTOS, § i sS). Ces

tours, comme il arrivaitfréquemment

dans les sièges, durent

être construites en bois.Scipion refit des machines, amena

des remblais contre le front des.tours(~<M~etT<x~e<ps~ afT<-

~sr&)7Mt To!s ~up~o<s), réussit a mettre le feu à plusieurs d'entre

premier instant, que de dépayser. Mais, en y regardant à deux fois, on

s'aperçoit qu'il n'y a plus de mer entre les Romains et les Carthaginois

(T!)f 3fd ~<you &df~cfo'o'<M'),après que ces derniers se sont renfermés

dans l'acropole. Vaière-Maxime (UI, 7, 2) raconte le même épisodeen l'altérant encore davantage.

1Cf. Philon, p. a/), ch. m, § a8 Ëa~ S'sK (au lieu de S'sx, les mss.

ont Sè xe<J) S-otAdto'o'~s 's!'poo'cty&)~ o'u~Te~'nx;, xo!Ta:T<is aTro&M's<s

~-6jMs Te Kpu'n~et? ~ous e~oùo-ats Se<'Tt~efat, KCftTpt~~ous x<xfo't§)?-

poCsxo:f -sru~ous Sicfo"7re/ps;f.

Page 228: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

CHARLES GRAUX.192

elles. Les Carthaginois ne purent tenir plus longtemps. Sci-

pion, maître du <3'ap<xTe<o-~<x, établit &,ooo hommes sur le

môle dans de solides retranchements, et éleva, peu de dis-

tance du rempart de la ville, un mur en briques, de la même

hauteur que le rempart, et du hautduquel ses soldats har-

celaient par des projectiles habilement lancés l'ennemi qui

garnissait les créneaux d'en face. L'été touchait alors à sa

fin Scipion en resta là pour la saison.

Ce'snxpKTe~o'fM~ qui créa tant d'embarras aux Romains,

ne faisait pas partie des fortifications permanentes de Car-

thage il avait été construit au moment du danger. On voit

qu'en somme, dans toute l'étendue du rivage, devant les portscomme vers les hauteurs du cap Carthage, la ville ne possédaitcomme défense permanente vers l'Est qu'un rempart simple.

Au contraire, l'Ouest de Carthage, le côté qui regardait

l'isthme, et peut-être aussi les côtés Nord et Sud, étaient dé-

fendus par une triple fortification, sur laquelle Appien nous

a transmis des détails assez circonstanciée. ïl_ pourra être

intéressant d'en contrôler l'exactitude. Nous ne chercherons

pas, nous le répétons, à retrouver le tracé de cette partie de

l'enceinte, mais nous nous occuperons de, déterminer en quoi

devait consister exactement et comment devait être construit

ce triple rempart.

Appien, § g 5 TptwXMTs~.e<. To~Tc~ <~&Mt<r'7o~ S~os

f~f ~~f À') ~Mp~s e7r<xX~s<~fTs x<x!-srupy&'f, o<' ~x Jt~~pou

<!«XO'7~<XTOS<XUTO<STSTp<MpO<pO<Œ'Sp~XStfTO, jSfX~OS<? 'S!'0<&HP

~<&fp0<pof<~t~ eXOKT'7oUTSt~OUS Ta t~OS, X<X~ CtjTMX0/~&' Te

0!<T<xa) er7e~0! XO~TM~f ser~e~~EUO~ë~~SfTS? T' XC:!,3~0'CH;-

po! ~atpSXBt~TO <ÏUTO!STiM~TpO<P&)!~<T77TOC''?6M'«Xd' UTr~OOCUTOUS

~f i'T77ro<S,XCt~TN~S?<X~XoSTS xat Kpt~?, Ctf~pao't TS X6tTe{-

yMyai! <3'e~o!s e? ~x, ~Treuo't e$ Toy~s 'sfapoco'xsu~

cro~e~o~ ~eTSTo:XTOo''?<x~eJe<f ~f T0?s TS<~So'<~yo<s.

Ainsi voilà qui est entendu selon Appien, il y avait, a une

certaine distance en avant l'un de l'autre, trois murs identi-

ques. Chacun de ces murs aurait eu 3o coudées (près de

i & mètres) de hauteur sous les créneaux sur. 3 pieds (9 g mè-

tres) d'épaisseur. Philon l'Ingénieur prescrit dans le systèmeordinaire de fortification 20 coudées seulement (g'°,a,o), et

dans le système a courtines cintrées, 6 orgyes (un peu moins

Page 229: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE. 193

de Ilmètres) pour

la hauteur durempart: pour l'épaisseur,

10 coudées (A", 60)dans le système ordinaire et dans la

construction rhodienne, 12 coudées(5'°,5o)

dans lesystème

à courtines cintrées.( Fe<. Matliem., p.

80 et 83, ou trad. Ro-

chas, ch. t, ? 9, 11, i5 et 33.) Le rempart d'Utique devait

avoir, d'aprèsles mesurages de Daux

(Emporia pliéniciens,

p. a 53), 6"\6o d'épaisseur.C'est dire

queles murs de Car-

thage présentaientdes dimensions qui sortaient de l'ordinaire.

Mais il n'y a rien là qui doive étonner; et ces chiffresd'Appien

sont admissibles.

A l'intérieur de chacun des trois murs, qui étaient creux

et à deux étages, on trouvait, selon notre auteur, lelogement

1° de 3oo élépbants, et, au-dessus d'eux, 2° de A,ooo che-

vaux, 3° de a~t.ooo hommes; ce qui faisait en tout, à notre

compte, pour les trois murs:qoo éléphants, 12,000 chevaux

ety 3,ooo

hommes. En outre, on y avait ménagé de vastes ma-

gasins contenant une grande quantitéde

vivres pources nom-

breux éléphants, des fourrages et de l'orge pour toute cette

cavalerie. Jesuppose qu'Appien loge les

éléphantsau rez-de-

chaussée. Quant aux chevaux, il n'y apas

à dire, et le texte

est formel, il les fait monter, ainsi que les hommes, aupre-

mier étage (<77770o'7oK7«x <~Mrëp ct~Tou?). A raison de deux

étagesdans une hauteur de i~ mètres, le niveau du

premier

serait àmètres

d'élévation au-dessus du sol. Voilà des che-

vaux bien haut perchés! Et comment expliquera-t-on, si

le-rpt~XoLw TSt~os règne sur

plusieurs côtés de la ville,

que trois enceintes concentriques successives fussent égales

entre elles en longueur et, à épaisseur constante, égales en

superficie?It faut être logique si la

plus intérieure est ca-

pable de contenir un nombre donnéd'éléphants, de chevaux

et d'hommes, la seconde et surtout laplus extérieure des

enceintes, à épaisseur et hauteur égales, en contiendront

davantage. MaisAppien

n'a pas songé à tout cela.

Neprenons qu'une

enceinte à la fois, et commençons parla

plusIntérieure. Voici comment la muraille devait être cons-

truite. Comme le pied du mur est exposé auxcoups

du bélier,

il présentera d'abord à l'ennemi un massif de maçonnerie

assez épais pour défier les efforts de l'assiégeant. Philon (l. /.)

prescrit pour cela une épaisseur maximum de 5"5o, qui,

i3

Page 230: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

CHARLES GRAUX.1M

déduits des () mètres de l'épaisseur totain donnée par Appien,

nous laissent un espace de 3"5o, en arrière du massif, pour

construire les loges des ëléphaïlts, espace sur lequel on devra

prendre encore l'épaisseur du mur qui ferme ces loges du

côté de la ville voila pour les éléphants. Quant aux écuries

et aux chevaux, nous serions vivement tenté de les placeraussi au rez-de-chaussée. L'expression :~p <x~ToJ?serait alors

considérée comme provenant de quelque méprise d'Appien.

Après les autres bévues qu'on a relevées chez cet auteur, yaurait-il donc tant de témérité à prétendre le trouver encore

ici en défaut? Dans l'épaisseur de mur que je revendique

pour cette double destination, je logerais très-commodément

les 3 oo étépbantsetles 6,000 chevaux en question, pourvu

que le mur présentât seulement un développement de près de

6 kilomètres; or, il y a si peu d'exagération &Ladmettre pour

le Tp~oM~ Te~os une telle étendue, que cette évaluation n'ap-

proche sans doute même pas de la réalité.

Les anciens se prémunissaient contre le choc du bélier sur

une hauteur, à partir du sol, d'environ 6 mètres; cela, du.

moins, semble ressortir d'un passage, malheureusement fortaltéré, de Philon l'Ingénieur. Le mur ayant i& mètres sous

créneaux, il nous resterait & mètres pour chacun des deux,

étages dont il s'agit dans le texte d'Appien, ce qui est on ne

peut plus conforme à l'usage général des anciens en matière

de fortifications. Que ces deux étages fussent voûtés ou cou-

verts par des planchers, les voûtes ou bien les poutrelles qui

portaient les planchers prenaient sans doute leurs points

d'appui sur le mur qui faisait face à l'ennemi et sur le mur

parallèle à celui-ci. Dans ces deux étages devaient loger les

a&,ooo hommes. Cette construction ne différait de celle qu'onsemble pouvoir deviner au travers de ces lignes mutilées de

Philon, que parce que, à Carthage, la disposition décrite parPhilon se trouvait répétée à deux étages successifs,

To <? 'STCOSTOUS~B'O~.e~/OKSXK~XO!~TO~XOCtfO~ ~H ptStOUpOy~<'7r~.oSfxotTao'Meu<~s< f'Mc Mr~ TcSf X~o6<~<uf TU~eroy

Lacune? Des deux murs dont sera composé i&TO~xpetfOf, ou partie

supérieure du mur, il faudra que celui qui regarde l'ennemi soit assex

résistant pour n'avoir rien à craindre des coups de pétroboles; ces deuxmurs seront il 8 coudées de distance Fut) de l'autre (qui. retranchées du

Page 231: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

;\OTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE. 195

~tt;<~ 'SB'CM'~)?, aTTE~Ot' 3-iXTepO!~ 3-a:T~OOt/ 'Er~SfS OXTM, S7!ANT-

To~ J'e ~Je~fX o:f&)0e!' e<s ~<x~x? o'x~.e<o'6sfT& ~bx<M~

e7f<TS0sio'<Mf o<xo~o~s2r<x< <pt~<xxT)/p«x~. (Philon,Fe<.

Ma~p. 83;

ch. i, 33, Rochas~.)

Lesmagasins

de vivres avaient étépratiqués,

vraisembla-

blement, dans lapartie

de la muraillequi

recouvrait lesloges

àéléphants

et les écuries. H nous estimpossible

de décider la

questionde savoir si ces

magasinsou

greniers régnaienten-

core à ta hauteur desétages

habitéspar

les soldats.

l'épaisseur totale de 12 coudées, laissent coudées àrépartir entre les

deux murs).

tfM.Egger suppose

ici une lacune après le mot 3<6§sxo!.Le sens

générât de la phrase indique suffisamment comment on doit la combler;

il faut lire quele double mur

quitermine supérieurement la courtine

doit commencer à douze coudées au moins au-dessus du soi extérieur;

de cette façon, en effet, la base, qui est massive, peut résister au choc

du bélier. (A.de Rochas d'Aiglun, Traité de fortification. par Philon,

p. &note a.)

t. en jetant au-dessus des voûtes ou des poutrelles on construira

des corps de garde, (Trad.de Rochas.)

Rien neprouve,

à vrai dire, absolument qu'on n'avait pas adopté,h

Carthage,une autre disposition pour soutenir les voûtes ou les

pou-treites. On aurait pu, par exemple, les appuyer sur des cloisons trans-

versales, formant ainsi une série de chambres au lieu d'un immense cou-

loir. C'eût été même une disposition préférable à celleque

nous pensons

avoir été adoptée, en ce sens quela chute du mur exposé à l'ennemi

n'entraîne pas alors la chute del'étage supérieur

et du couronnement.

D'après Philon, ce dernier mode de construction avait été appliqué à

Rhodes. On suppose,comme

toujours,la base dn mur massive. Puis, à

partird'une certaine hauteur, dont Philon ne parle pas,

on avait cons-

truit: une série de voûtes cylindriques dont les axes étaient perpendicu-

laires au tracé; sous ces voûtes on avait des corps de garde, et par-dessus

régnait le chemin de ronde. Philon donne les dimensions de toutes ces

parties. Vet. Ma~e~. p. 80 (~. fin.),ou ch. t, § 16, Roch. Ttfct Se

(T&it) ~STef'n'up~i&~f o'uyTEÂstTCtf), xo!~fX'!rep s~ Po§&), ets '~o:Ât§ots cruy-

~st<)~efc:' 'sfAetT)? Ts ~ouo-if et; 'srapoSoi (les chemins de ronde)

e'n'TOtTr~ x<xf xetT&~ef puX<MtT!;pM eTr7aMXwo: (sur la valeur de la

xÂff!; considérée comme une unité de mesure pour les surfaces, cf. une

note que j'ai insérée dans la Revue critique du i juillet 1877, t. IV, p. y

et suiv.),&'f oi TOi~ot oi ~sf op~ot

so'o~T<xfSsxcnr~yets

T&) Te ~Kg;

xaf TM TT~ei, oi Se ~a~M; ~KOg j'jtef e~ouo't!) TÔ i'<yo~ TOf? ôp~Ots,

'~).aTO? §erp~u. Dans' ce système

il faut réserver un corridor en

arrière des chambres, oupercer

desportes

dans les murs transversaux.

pour. lescommunications.

i3.

Page 232: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

CHARLES GRAUX.1%

Pour achever la ~sMM&OMde ce rempart, il reste à dire

deux mots de la partie souterraine et aussi du couronnement.

En faisant des fouilles sur l'emplacement de Byrsa, la cita-

delle de Cartilage, Beulé découvrit, dans le pied des murs et

au-dessous du sol naturel, une série de cellules ou chambres c

uniformes, qui depuis ont paru à Daux s représenter, non les

chambres de la garnison, comme l'admet l'explorateur (il avait

tort en effet), mais bien des <M<e)*MMcommuniquant entre elles

par un corridor commun. Des citernes exactement pareillesse trouvent également sous terre à Hadrumète, à U tique, a

Thapsus, à Thysdrus, etc., partout enfin où il y a eu de

grandes fortincations phéniciennes'.)! En conséquence, Daux

n'hésite pas à restituer des citernes semblables sous les murs

de la triple enceinte de Carthage. Ce ne serait pas une raison

parce qu'Appien ne souffle mot des citernes, pour douter de

la justesse de cette restitution de Daux; cependant des citernes

paraitront peut-être mal situées sous des écuries. SI elles ont

réellement existé, l'eau qui tombait sur le vastc_ espace occupé

par les courtines et par les tours suHisait sans peine à les

alimenter.

Au-dessus des créneaux régnait un toit (~ T~ Ts~s< Ko/~&)

TSo~T< x<x! o-'7sy<x~ App., § g5). Cf. Philon (p. 80 des 1~e<.

Ma~em. ou ch. t, § t3, Rocb.) «On couvrira les courtines

d'un toit, et on les munira de créneaux, là où ce sera utile. 71,

no<e!rctt T<x (TtHf ~e'Tonr~'p~~Mt')K<xT<xo''?syo!KO~ETra&.çs~?~orTcc

ot3 (o!a mss.) o~<~p}7. Telles étaient les fortifications d'A-_

thènes à l'époque de Démosthène voyez pour preuve, dans la se-

conde dissertation De mMmmcKh's~&cNarMm (Goettingue, 18 3 6 ),la restitution d'Ottfried MùHer, très-exacte en ce qui concerne

les créneaux et la façon de supporter la charpente du toit.

L'enceinte intérieure se trouve ainsi restituée, tant bien que

mal, d'après les données probables combinées avec quelques

renseignements authentiques. En avant de cette enceinte, les

Carthaginois en avaient-ils établi deux-autres toutes pareilles?

Appien dit oui mais il est dans l'erreur. Supposons, en cn'et-

qu'il en eût été ainsi. A moins d'avoir e.spacé les lignes de dé-

Fm~o'M pAefMM'eMS,pp. i ()0 et suivantes.

§ <)5 TpnrA&)Te~yet. To~TtOf 3'ëx«G'7op ~f ~os ~vMf

Tpt~M~TŒXT~ AtWjM~(W§' ?KCtO'?OUTS~OUS T6 <0~ XT~

Page 233: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTE SUR LES FORTJFIGATtONS DE CARTHAGE. i97

fcnsedc 200 o 3 on mètres,–ce qui était, autantqu'on

enpeut

juger, laportée

maximum effective des machines de guerre

généralement en usage dans les sièges au second siècle avant

notre ère, une triple enceinte ainsi conçue, surtout en terrain

plat,comme à Carthage du côté de l'isthme, eût

procuré plus

de désavantage que de profità la défense. La première en-

ceinte une foisprise

eût certes fourni à l'assiégeant un éta-

blissement excellent pourbattre ta seconde, et de même en-

suite la seconde pour réduire la troisième. Le résultat qu'on

cherchait à atteindre dans les sièges antiquesau

moyende

gigantesques tours de charpente et des Mf~o/es, savoir d'éta-

blir ses batteries à une altitude au moins égale à celle des

créneaux de la défense, on t'eut obtenu d'embléepar

laprise

de lapremière enceinte; dès lors, enlever les deux autres

n'eût plus été qu'un jeu. Or,selon le

rapportde Daux, les

trois enceintes fortifiées deThapsus

et d'Hadrumète, villes

dont les fortifications semblent avoir eu laplus grande ana-

logie avec celles de Carthage, leur voisine, ne sontespacées

l'une de l'autre que de 3o à ~o mètres. Latriple enceinte de

ces deux villes et de Carthage n'était pointsans doute ce qu'a

cruAppien.

Nous nous adresserons, enpremier lieu, pour résoudre cette

diSIculté, au seul et unique livredidactique qui

nous ait

été conservé de l'antiquité en matière de fortification, c'est-à-

dire au .~MMe/de fortification, d'attaque et de

défense des places,

parPhilon l'Ingénieur (~M~'o

~Phitonis Byzantii liberquin-

tus~),le même ouvrage auquel

on adéjà

eu recours plus

d'une fois dans les pages précédentes'. Il a été rédigé, selon

les uns, au m' d'autres disent au second siècle avant Jésus-

Christ. Le livre du célèbre ingénieur contenaitd'importantes

Nous devons avertir, une fois pour toutes, le lecteur que le texte de

Phi)on que nous reproduisons dans les fragments cités au cours de ce

travail s'écarte notablement par places de celui qu'on trouvera imprimédans l'unique édition de cet auteur, moins consutté qu'il ne mérite de

l'être, dans les Veteres M~/te/MM'ci (Paris, Imprimerie royale, i6a3,t vol. in-foL). Notre texte, examen fait de tous les manuscrits jusqu'icisignalés et de quelques autres qui étaient restés ignorés, a été constitué

a t'aide des trois seuls manuscrits, de nous connus, qui comptent, à

savoir tes Pm'i.s!)MM3/~2, )~:eaM< 116~ et ~cM'M/eM~M T-HI-ii

respectivement du xf-n° siècle, du xt° et de la fin du x*.

Page 234: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

CHARLES GRAUX.)98

recommandations, peut-être énoncées alors par écrit pour la

première fois, en tout cas d'une application facile même à un

vieux système de défense. Elles n'avaient pas du être négligées

par les Carthaginois dans un temps o& ils vivaient sous le

coup d'une perpétuelle menace de destruction. Nous ne vou-

lons pas dire que le génie carthaginois se soit mis à amé-

liorer les défenses de Carthage le livre de Philon à !a main;

car si cela ne parait pas impossible, du moins n'en savons-

nous rien. Mais l'admission dans le Manuel ~e~of~ca~o~ des

principes auxquels nous faisons atlusion ne faisait, à ce

qu'on peut présumer, qu'enregistrer et consacrer une pra-

tique plus ou moins longue, datant peut-être déjà d'un demi-

siècle ou de plus haut encore 1, et qui, en raison des excellents

résultats qu'elle avait dû produire, se trouvait enfin reconnue

et recommandée comme d'une indiscutable utilité. Or voici

dans quels termes, brefs et clairs, Philon résume ces prin-cipes, qui sont ce qu'il y a de plus essentiel dans sa méthode =

de fortification

« tl faut s'occuper surtout de l'avant-mur, des fossés et des

palissades; car, avec des pétroboles et des portiques~, on

emporte facilement de simples murailles» (des murailles non

protégées par des défenses extérieures). Les manuscrits ajou-

tent Il faut donc déployer tout son zèle pour faire aussi forts

que possible les avant-murs et les palissades, aussi larges et

aussi profonds que possible les fossés. Si ces défenses ont été or-

ganisées comme il faut, la place n'a pas grand'chose à craindre. s

On constate l'usage de défenses en terre extérieures au rempart; déjàau temps de Démosthène; ces ouvrages, il est vrai, ne, devaient être en-

core à cette époque que rudimentaires. Après Chéronée, on remit en

état dé défense Athènes et le Piree; on lit à ce propos chez Lycurgue,Cotise Leocra~e, § ~ù eTrs~eÂowro yàp o< f~s TMf Tety&if xo!-

Tac'KSU!?:, ot 8~ T~s T<Bf TK<pp&)f, o< Se T}~ ~Kpamt&o'eM?. C'estdans cette occasion que Démosthène fit creuser à ses frais a'eiKCfossésautour du Pirëe (Vies des dix orateurs, p. 9y5, dans une loi. Cf. Démos'

thene, Couronne, p. 3s5).On dit encore aujourd'hui tf C'es<~o' les <rHKcAeMet le caKOt ~Me

.s'e~)'<')!He~~p~Mes.))(A.deRochas, Tt's~e~~ot'~eatMB~ par Philon,

p. 5y, note ~.) Pétrobole ou baliste, machine de guerre qui lançait des

pierres ou d'autres masses pesantes; /M~Mes, afiees couvertes en char*

pente. à t'abri desquelles rassiegeant cheminait vers la place sous le tirdns )'fmpar)s.

Page 235: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE. 199

t~e<. ;M~em., p. 85-86, ouchap. i, § 5~i, trad. de Ro-

chas 2'77ou~<xo''7eof <~eo-7~ cJ? jMxX<o-?(X'!B'ep<T<x

'arpoTSt~/o-~otTa

X<x! TKS TN<ppOUSXCM T<XS

y<XpCtK<MO'S<S'~TTO

~iXOT<S~ ~.<00~0~.fM~

X<X~0'7o&)fpK~MN

txXtO'XSTOft TCtTSt~)?. [Iïsp<

O~f T<XUTiX<P<ÂOT<-

~~TEOf eo''?!, t'fO: <MS~0'YUp~TiXT<X <~ T0t> ~'pOTS<0'j',tetT<X~ XCt! ai

~<Xp<XXcJo-StS,XNt Of<

TK<ppO~C

SUpUTCtTO:~XOt~ ~3<x6uT<XT<X<yi-

~(M~TCt~' TOUTtM~y<xp ap~o~o~e~Mf,

o~~ 's'a~ot Je<f0f )?

-B'O~S.] ]

En conséquence,Philon

( Vet. M~ern.~ p. 8~-85, ou

ctiap. ), ? && et suiv., trad. deRochas) prescrit

de creuser

trois fossés, quel quesoit le

systèmede fortification, en avant

Afin qu'on puisse juger de t'état dans lequel se trouve le texte mi-

primé de Philon, nous transcrivons ici les deux phrases citées par nous

i ° page n)o, note i, et'j° ci-dessus, dans le texte (la seconde de ces phrases

fait immédiatement suite à l'autre), tellesqu'on

les lit dans les Vet. Ma-

(/icm. KefTao'xsucto~~of §~ KO!~'arap~Sous Kat §i<)3ous Ko'<?&Asfs ewi Te!:s

TB'ctpefSo~~etCtsTou ~etpcMos,

t'oct ~?7 Ot -scÂe~tOf STrt TCf~SiX?y e~7!;o'(XfTes

TJ~S TfX~pO~ TOUS -areTpo€oAo~s SpU~etït ~pMfTat mat TOM 'SfoAsjX~Ot5 ~}}~p~cri~m?' ~j~~ Se !? Tapps~<x

o'wouSao'7~0: so'7h' &)g ~.ct~.«r'7o: -m'ept T<:t

-iB'pOTef~fo'~a'rct~Ka~ TCfppous K;x~ Tas ~o:pax<t)c'sfs (Mos

vero ~0!<er et

«eeM~ate humum fodere oportet, pr<BC!pMecirca

p?'opMg')tac«/a sa<emMt'SK<

e< circa fossas et t)N!~<MKM) uwoyàp

TMf Xt9o66Â&)f :f6tt o'7oM~ pct3;<Mgd~.to'xeTCtt Tà Ts~)?. IIsp~ ouf TauTa p;XoT;~);Teof ecr7!f, t'yo: mo'f)' fo'~u-

pOT<xïa 'srpOTef~~o'~aTO! x<Xt a< ~a!pfïx<~o'e(s xat ai Tœ~pot <Bo'f 'C!'ÂSM'7<ït,

XŒ; Sct~UTŒT'af ~t~fMi'TtXfTOUTtt)~

yàp tXp~O~O~&)!'OuS~f C[!' TS'Œ~Ot§Sf-

r0~ 'E!'6XtS.

iffΠ&)o'tf :o'~p&)T~TCf 'sfpoTet~o'~ctTa. Paris. Vatic. Escor.(Voy.

p. 107, note t.)

Qs supuirctTctt] ~o'et ~Xs~at. Paris. Fa<c. Escor. Cette correction

quenous avons admise dans le texte est rendue probable par des

pas-

hagescomme les suivants Fe<. Ma~eM., p. 97, ou ch. iv, § ] i, Roch., Éctf

§6 ~}? Sttt~ ~&)f7Ctt (T~S Tfif~pOUs) §tCt TÔ j3ct9s;'<XSXCft SURSIS S~fitt, et

surtout, p. 85, ou t, li ~tÙ, not~TeCW 3'SO'7; T(XSTCtppOUS <US~Ct~UTCtTetS

)fst eXetT7o!) Tu eupos eëSo~~KOfTef 's~~&i~. Nous ne nous dissimulons

pas, cependant, quela leçon des manuscrits, ~Âefcr?~ trouvera des

défenseurs, à cause du texte que voici ÔpuxTea!! (opuM-a~ mss.) §'s<o'~f

S~ 'SfŒO'CtfS TfXfs TSf~OTrOti'Ctt?OUX eXtXT~OUS Tp;&)~ T~p<U!' (?-. 8~,

.f.~M.,ou [,§ ù ). Mais, selon nous, le contexteindique suHIsammentque

f'huon a en vue la construction de trois fossés et non d'un plus grand

nombre. Au surplus, toute discussion relative a cette dernière partie du

texte pourrait bien rouler 'sysp;<)fou c-xicts, connue dit le proverbe; car

laphrase Hsp: ou~ 'ratiTOt 3et~of )/ 'a~fs

présente,a nos yeux

du

moins, tous les caractères d'une (le ces notes réeapitu)aiives. comme on

fn mettait aux tnarges (les manuscrits.

Page 236: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

CHARLES GRAUX.200

du rempart, savoir: le premier, à un plèthre (environ 3ojnè-

tres du rempart; le suivant, à ho coudées (i8",5o) du pre-

mier, et le plus extérieur, à la même distance du second.

Chacun de ces fossés est aussi profond que possibleet large

de yo coudées au moins (plus de 32 mètres). La terre retirée

du premier fossé sert à faire une levée en avant du rempart;la terre qui vient des autres est rejetée sur les deux inter-

valles qui séparent les trois fossés, ou, pour employer l'expres-sion technique, sur les deux brayes, afin que ces brayes, en

s'élevant, protègent l'avant-mur et le rempart. En avant des

deux fossés intérieurs~, on élève des palissadements sans avant-

mur. Philon détaille mille précautions qu'il convient en outre

de prendre, pour rendre à l'assiégeant l'approche des machines

d'attaque impossible ou au moins très-pénIMe dans une zone

de plus de 160 mètres tout autour du rempart. Au delà du

fossé extérieur, on enfouit des poteries debout et vides, l'ou-

verture fermée avec des algues seulement les hommes peuvent

passer sur ces endroits sans danger, mais sous le poids des

tortues et des tours de charpente le sol s'effondre. On creuse

des mares autour desquelles on plante des épines, etc. Tant

que l'assiégeant est retenu au delà du fossé le plus extérieur,

ses pétroboles d'un talent, c'est-à-dire des balistes lançant

des projectiles du poids de a 6 kilogrammes, sont hors de

portée pour endommager un rempart construit dans les con-

Phiion, S A6 ÔpÙT7o:ras3~ Se~TœsTcf~pousTi?s~f 'sp~T~T~yaf~ëoX~r 'sf0fe<b~<xt ToB ~oS (roû TO~ot~

sic mss. ToC ~oS, marge des

Fe<a~m.) TB-p~ ToO TS~ous, T&w Se ~Â<M~ e~ f<x §<sfc!"r~~a:TO! apa:

~CT<W, !f0: ë Te ;~Pa§ <~0'~afX<US Tf~TO:; (T~STCtt mSS.) ?Mt <i~OS Â<ÏjX&{fOfTŒ

TCt 3{efcr'7)~<i:T<x ao'~ÂSffï)' 's'ap~~Ta;TM

T?poTe<~o'~aT; xo!~T<MTei~St.

Phiton, § ~ty. Les manuscrits donnent (ce textefait [mmédtat.ementsuite

à celui qui est cité dans la note précédente): QsT~of S~ s<y7iT!fpà T~?s

8svt'ep<xs KK~ T~s Tp~T~s <x~su 's'poTsf~to'~etT&tf&

.~ctpa~. Le sens

veut, non pas ffCMavant du deuxième et du troisième fossés, mais «CK

an'i'ere (de ces deux mêmes fossés), ou, ce qui revient au même (t eKaMM:

du pt'e?/!te)'et du ~eiM'~me.BC'est un point qui n'est pas douteux. La cor-

rection qui nous paraitia plus vraisemMaMe est la suivante 'ss'p~T~s Ssu-

T~pa!?jM<T~s T7p<&T)/?.La preuve que Philon, après avoir compté les

fossés du dedans vers ie dehors, ne les numérote pas, en cet endroit,dans l'ordre inverse, ce sont les mots qui commencent la phrase suivante

!Ip« 3e T~s eo~cfT~s Tcf~pof (§ &y), où il s'agit incontëstabicmcMt du.fossé le plus extérieur.

Page 237: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

.\OTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE. '201

ditions normales. Vient-il às'emparer

dupremier

fossé et de

lasimple

levée de terrepalissadée qui

le défend, il trouve de-

vant lui un terrain danslequel

on a enfoncé despiquets,

creusé des coupures, plantédes

épines,un terrain

imprati-

cablepour

ses machines. Il comble le fossé et nivelle les ter-

rainsconquis.

Les mêmes obstacles doivent être surmontés

encore une fois, puisil

parvientau dernier fossé. Cette fois,

il nes'agit plus

de franchir unepalissade

on se heurte contre

un mur, moins élevéque

lerempart principal,

maisdéjà très-

fort. Cet avant-mur(comme

sans doute aussi lespalissades

et les fossésantérieurs)

suit le tracé durempart, auquel

il

resteparallèle~;

onpeut

déduire de l'examen attentif du texte

de Philon(qu'on paraphrase ici), qu'il

secomposait

d'une

levée de terre revêtue, du côté de l'ennemi, etpeut-être

aussi

à l'intérieur, deparements

enpierres

de taille ou enmaçon-

nerie2. Derrière ce boulevard sont installées des batteries de

machines, qui,vu leur élévation, tirent

par-dessusl'avant-

mur dans le chemin couvert, larged'une trentaine de mètres,

Philon, p. 83 (s. fin.), i, S 35 As;'§é(ë§s< mss.) r<x -srpoTSt~tcr~en-ct

:XUT&)!'&)5tO'~UpOTCtTN 'afOtStf, TÔf OtUTO~

TROTfO!~TOtS

TStySC't OiXoSo-

~oSfTCts. L'interprétation quenous

proposonsde ce texte nous parait la

seule raisonnable.

Phifon,§§/t6-ùy,citéauxnotesf etadeiapag-eaoo.Lesdeuxbrayes

qui séparent les trois fossés protègent en s'élevant l'avant-mur; ces deux

brayes sont défendues par des palissades, sans ~<M<-m?a'; la terre retirée

du fossé le plus intérieur est rejetéee~ avant du rempart; il est évident

que c'est cette dernière banquette qui, fortifiée par un mur, ou, comme

c'était le cas àThapsus, ff fortement damée entre deux murs" (voy. ci-

dessous, p. 204, 1. t5), formait le 'sfpoTSt'~o'~a.

Philon, p. 82 t, § a/) Kc~ MaT&~S]' T<Mf TS~&if MfXt T<S!' 'B7pOTSt-

~t<y~(XT(Mf Tots ~e'o'7ots xct~ TE'e<o'7o;? ~eo' (on sait que ~3eX}y

signifiemachines f/e

g'Keryeaussi bien que projectiles)

cft ~3eÂoo'7<:(s'sfs

~ctTao'xst;<it~o~TŒ< ai~sf opuxTa~ [ies

manuscritsajoutent

ici STr~eSo;

xe:~KctT&'pu~o;] ai 8s

s-n'~sio; (6w()'ye;of mss.) 's~pôs TÔTous a~t~ret? j;~

TiTp~O'XSO'~tXi X0:( 0!UTOÙSa3)~OUg TOUS E)'Ct!'TfOUS TpfXU~CtTt~Stf, XKiSUpU-

~&)pM~ ~e<f 'sro~X?)~ xa~(ces quatre derniers mots sont placés, dans le

manuscrit, immédiatementaprès 'sfpôs To) oret~ o< ~oAe~iOt -srX]7o-;a~&)o-!

('y~O't!X~OUO't mss.) S~pStOUS 'yt'feo'~i TOÙ? XŒT<XTrŒÂTet~eTC(S(KO!-

T<XTre~T<xpeT<xsmss.) ;xSu!'sTOu:'T6:s's!'ep<er7pe~etf (xfXTŒo'7pepgt!; mss.).

'rAu pied (et eu arrière) des murs et des f<MH<-MM!s, on construira,

pourla

plupart des machines et spéciafcment pour les plus grandes, des

batteries, !es unes creusées (tans le soi, les autres a nenr de terre, met-

Page 238: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

CHARLES GRAUX.aoa

qui règne entre l'avant-mur et le rempart, sont rangées les

troupes dont dispose la défense, toujours prêtes à donner, et

pouvant se porter rapidement partout où besoin sera Philon

ne conçoit pas une place forte sans ces deux lignes de défenses

extérieures i" l'avant-mur avec son fossé et a" les retran-

chements, ou palissades précédées de leurs fossés. Je ne consi-

dère les retranchements, bien qu'ils soient doubles, que comme

une seule ligne de défense. La lutte, en réalité, passe par'r

trois phases attaque des retranchements, qui sont défendus

pied à pied; attaque de l'avant-mur, qui doit s'écrouler sous le

choc du bélier; attaque du rempart, pour laquelle on met

en œuvre tout le matériel de siège.

Toute place forte présentant à l'assiégeant cette triple ligned'obstacles que décrit le 3ra:&f~e~of~ca/tOM est, selon moi,

pourvue d'un Tpt~XoSy Ts~o?. C'était le cas de Carthage.Nous ne le supposons pas seulement, nous en avojis la preuve.Par Polybe nous savons déjà l'existence du retranchement,

sans qu'aucun indice d'ailleurs ne nous permette de deviner

s'il était simple ou, ainsi que le veut Philon, double. Dans

le cours de la seconde période du siège, Asdrubal, le com-

mandant de Carthage, eut une entrevue avec Golosse,roi des

Numides, qui combattait dans les rangs des Romains. Il s'a-

vança à vingt pas en avant de son escorte, et, s'arrêtant &r-nere re&'aMc/iCMM'Ht,il fit signe à Golosse d'approcher (xa<

'S'poësë~~SfOS T<X<PpOt<X<ï! ~KpNXCt X<XT~t'EUST&i ~3eN'<~S<'

~poo-te~fït ~pos <xuTO!').Mais Appien nous fournit, sans y avoir

fait lui-même attention, des données précises pour réfuter son

système des trois enceintes identiques.

tant ainsi les artilleurs à l'abri et faisant qu'ils atteignent l'ennemi en

restant eux-mêmes invisibies, leur ménageant une )arge place libre et

évitant, si l'assiégeant s'approche, qu'ils ne deviennent imitDes, faute de

pouvoir taire converser leurs machines. 7Philon, p. f)&, m, § a5 Ef 3~ rais s~p~o'eo't T<By ~w~fitT&)!'

Kett TM)'~sX&)f&)!~

TCtfSO't~SxtfO&TCtf? STTt~S'SO-t 3s<' T0t)s Ô'n'~T<X? MCt~

TOÙ? ~tAoÙS, So'Ot 6TW TMf Te~&if <B<ytyp~O'tjXO<, 'StCtfTOtS (SM

t*'<'<.Ufif/iCM.mss. 'SftitfTes)StecrxsSMO'~fOUS gf TMT~pOT6~<T~aTt~TO~-

~OUS(sic Af<:</i<'M.;ëTOt~Otet ~TOt~Ofmss.) 6~fC«, &'0tTCt~Ù)K~

euTCtXT&Js 'sfo:Mo't TO 'sfpo~ctT~efUf T&J o''7paif~y<M.Cf. ~ncnt'p Phi)on. p. 8~). § ~t; p. 88, u, § la; p. <)o. m.

.4 il ftc.

Page 239: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE. 203'

Tout au début du siège, quandles consuls Manilius et

Censorinus livrent le premier assaut, x Manilius, ditAppien

(§ Qy), s'avança contre les murs du côte du continent, direc-

tement en venant de l'isthme; il devait combler le fossé, forcer

lepetit

murqui

se rencontre ensuite et, après cet avant-

mur, lesgrandes

murailles. ;) M<xt~<o?(~'s<

s~ To:)s ~o~e-

~<OUs)fXTTOT)3'S )7'7Te/pO~

~<XT<XTOf OtU~efM, ey~<MO'CUyTS T~f T<X-

(ppofKa;

~p<x~.u 'Œ'poTet~o'jna (e'7TiTe~<o'~<xmss. et edd. ~) 70

6'7r'et~Tp j6<ao'of/s~o?, xct~ ~sxe<t~ Têt J~<x Te< Voilà bien

les trois enceintesqui protégeaient Carthage. Nous ne

pensons

pas qu'ilsoit nécessaire d'insister sur la démonstration. Le

plurielT<x

u~~x Te/ne donne lieu à aucune objection. On

disait en grec indifféremment ro Te~o? et Ta TE/?, comme en

français lerempart

ou les rempart en parlantd'une seule et

unique ligne de murs; de même, Ta~poTe~/o'~aTa

est à

chaqueinstant l'équivalent de ro ~poTSt~o-~a.

Manilius, deux foisrepoussé,

sans avoirpu même, à ce

qu'il semble, atteindre l'avant-mur, établit un camp dans

l'Isthme même, sur la route deCarthage

au continent, e~ T&!

<xu~s~< T~ s$ ï~ ~7re<po~ 6<!oS(phrase

dans laquelleil faut

corriger, ce me semble: er T&'au~eM <s7r!> T~ xï~).Plus tard,

il tenta un nouvel effort et réussit seulement àpratiquer

une

petite brèche à l'avant-mur (Mc~/Â<os oJf ~Mpo~ ~ït -srpoo--

xot~<Mf xai ~oX<s T< Tou 'ŒrpOTe<o'~otTOs xotTtx6o(X(Mf(X'n'e'y!'&)~))Je

e'n'~s<pe<f~T<

T<xuT~).Il renonça définitivement à

dirigerde

nouvelles attaques contre cettepartie

de la ville, et cette ré-solution était, il faut le croire, bien motivée, puisque plus

tard Scipion lui-même n'essaya pasde nouveau de forcer

le Tp<77~0~ TS~OS.

ËTriTs~fo-~tx a un sens bien détermine, qui ne convient nuHement

ici. Ce terme désigne une fordfication étevée. non dans un but défensif,

mais oHensif. Cf. § iao, en parlant du camp de Scipion qui intercepteentièrement l'isthme de Carthage Kctf ~!) <xt)T<MTOtiTO(y7pcfT<)Trs§~fTe

Ô~Of X~<XCtTCfT&)!'S~pMf ë7r;TSt~tO'~(XSW;?XeS, Ô<?S!'Ôp~f~~SfOS T!)f

ayopaf (X~ypefTO Kotp~§o~;o~ 8o'~ K<XT~'y~~ <xuTOfsspepsTo. De même,

§ ~'3~), à propos du môie X~'n'i'&w Ss ewe~etost TM ~j~ctft' M<x<

yàp )?f etix~ipo!' s'TrtTef~o'~a Tou Ât~sfos. Quanta la correction quenous proposons, elle est d'aDJfm's justifiée par cet autre passage (une

vingtaine ([e Hgncs plus bas, § Q7, /?M.). on !<'même mur est appelé cette

fois -mpOTS~fT~'X.

Page 240: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

CHARLES GRAUX.20A

Quoique suffisamment édifie maintenant sur ce qu'il faut

entendre par la triple enceinte de Carthage, nous ne voulons

point passer sous silence une dernière preuve, indirecte, mais

qui ne laisse pas d'avoir sa valeur d'autres villes, voisines de

Carthage et contemporaines de sa gloire et de sa chute, étaient

entourées de fortifications toutes semblables. Voici le rapporttrès-net de Daux, qui, sur ce point, semble mériter toute con-

fiance

« La deuxième ligne de fortifications, généralement, distante

de 3o à /to mètres en avant des grands murs, se composaitd'un large fossé, derrière lequel s'élevait une banquette. Le

mur extérieur de cette banquette faisant face à l'ennemi avait,

au-dessus du fossé, de 4 à 5 mètres de haut et était crénelé.

Derrière ces créneaux, la courtine continue était un remblai

de terre fortement damé entre deux murs H(cf. ci-dessus, p. a o t,

note a ). K La largeur de cette première fortification avancée

était la même que celle du pied des grands murs, 6"5o.

Dessous, en substruction, étaient de petites citernes par séries

continues, pareilles à celles qui étaient sous les grandes mu-

railles.

K~a; t'K ces détails à jEM/'MtKe~'e~ a T/is~Ks. Cette deuxième

ligne faisait, comme les grands murs, le tour de la place.t<La troisième ligne de fortifications était simplement un

fossé précédant une banquette en terre palissadée, fortifica-tion passagère, comme celle des camps retranchés, et se déve-

loppant a 30 ou ~to mètres environ en avant de la deuxième

ligne.K~ en reste encore des parties coMSK/é'aMesà

?7taps:(.M (jE'rn-

~0)'MpMK'C<p)M, p. a 5 8-2 5().)

Ce serait téméraire à nous de prétendre dire au juste com-

ment Carthage était défendue du côté du Sud. Un système

général qui nous parait réunir beaucoup de probabilités peutêtre du moins exposé en peu de mots de la façon suivante

Ce qu'on appelait la ville de Carthage devait être la réu-

nion de la ville proprement dite et de divers faubourgs, tels

que celui de Mégara, dont on s'est occupé plus haut. La ville

proprement dite aurait été ceinte du Tp<77~.0M'Te<~o? sur tout

son pourtour, excepté le long de la mer. Aucune donnée cer-

Page 241: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE. 205'

taine, à notre connaissance, ne permet d'en restituer le tracé.

On sait seulement, s'il faut fairequelque

fond sur le témoi-

gnage d'Orose, qu'auSud la

tripleenceinte venait

longerle

piedde l'acropole « Ex una

partemurus communis erat urbis

etByrsœ,

imminens mari, quod mare stagnum vocabant, quo-niam

objectu protentœ Mnguae tranquitlatur.H D'autre part, le

port militaire, dit le Cotlion, était entouré, dit Appien, d'une

double fortification (Ts~osTe

~ap 70~ fs<Mp/o~~TrXoSf

~sTsp;e-

xetTo). Je me figure quela triple enceinte venait, en quittant

lepied

del'acropole,

se réunir à ce ~~oSf TSf~o?. Quand

Scipion s'est rendu maître du Cothon, il se répand sans ob-

stacle dans le forum et dans le cœur de la ville; il ne lui reste

plus qu'unseul mur à conquérir, c'est celui qui couronne la

colline de l'acropole (§§ iay-ia8). Cette partie centrale de

la ville, la vieille ville, comprise entre le Cothon, le Tp~Âou~

Te~os et le rivage, et renfermant l'acropole, était, à ceque

nous pensons, désignée par lenom

de Byrsa. Byrsa, dit Beuié,

c'estJ'acropole

et rienque l'acropole.

Le nom deByrsa,

au

contraire, doit signifier, tantôt proprement l'acropole, tantôt

tout ce vieux quartier qui entoure l'acropole. Voicipourquoi

nous lepensons. Lorsque

le faubourg de Mégara fut enlevé

par Scipion (§ ny), les Carthaginoisde ce

quartiers'en-

fuirent précipitamment s Byrsa, comme si tout le reste de la

ville était pris (<?~)) To~E~Te~ Kap~o~/M~es T!)f BJpo-af

T~ txÂX)?? ~oXe~sfxÂouo-~).

Lapanique gagne le

corps

d'armée qui campait à 5 stades en dehors des murs, prèsdu

lac de Tunis; ils abandonnent leurs retranchements et courent

s'enfermer avec les autres dans~y?'~ (xct!

ss T~ B6paav ôjnoC

To!s o~o~<xMxJpo~ts<f).

Si l'on entend dans ces deuxphrases

Byrsade l'acropole même, on admettra donc que le

Tp~ÂoS~

Ts~os fut taissé, dans cette occasion, à la merci de l'ennemi,

qui, heureusement, à la faveur de la nuit, ne s'en seraitpas

aperçu; puis,le

premiermoment de terreur passé, le Tp<'n'ouf

Ts~os aurait retrouvé ses défenseurs. Rien de tout cela n'aurait

l'ombre de la vraisemblance. Lapeur

livra àScipion

un fau-

bourg et un camp situés e~M MtMros; mais, derrière la triple

enceinte, les fuyards carthaginois durent retrouver leur sang-

froid là, ils se sentaient parfaitement en sûreté. La preuvequ'on

ne s'étaitpoint sauvé jusque dans l'acropole, mais seu-

Page 242: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

CHARLES GRAUX.~06

tentent dans la vieille ville, nous la rencontrons dans lapre-

.1 j¡,:

Ó1'\ t

nncrc phrase(tu §

110Ô <? 2x<7r/< To~ jMe~ ~apaxfx

T<5~

EY~p&)! Of T~ ~ROTEpa XCtTet~.E~.OiTrSO'fXfES TO <XCr7u <peJ-êX pcvv, 0 T17 apo-r-IP 1 xaTaAêAOl7l"êaaV ê~ Ta aa U yêU-

~o~Te$, s~gn-p~o-ef. D'où il résulte que M T))f Bupo-a~ et es

Tà ao-7u sont ici deux expressions synonymes. La mince autorité

de Zonaras vient encore donner quelque appui à notre con-

clusion. Racontant, unpeu

à sa manière, les mêmes événe-

ments dont il s'agit ici, il emploie les expressions que voici

T~f j~sf o~}~ 'Ef&tf e~e).<7ro~ e<s Je Tof K&tX T!~ Te Bup-

o-ett~xtXTs~~o~. Or, on nepeut admettre que

les assiégés se

réfugièrent dans le Cothon et dans Byrsa qu'à condition de

prendre Byrsa comme le nom de la ville centrale; car, sans

cela, leport

etl'acropole

n'ontpoint

de communications.

Un passage de Strabon fournit encore unargument dans le

même sens. KLesCarthaginois,

dit-il(XVII, i 5, p. 83s), après

s'être réfugies dans Byrsa, construisirent, dans l'espace de

deux mois, une flotte de iao vaisseauxpontés et, voyant

l'entrée de leur port bouchée, creusèrent une autre entrées n

(roTs xo<i7rep ~); o'KjM'n'efpe~yoTEs et? T~f Bupo'otf, ef ~jH)?:~ xe<-

TEO'XSUao-0!!<TOfO!USeX<XTOfSMOO-<XNT<X<ppaXTOU?,~Ott TOU0-'7ojMa-

TOS ToS KfM0&)~OS<pp0~pO!~tEfOU J«MpU§Xf a~O O''7o~).Il est évi-

dentque Byrsa

ne signifie pasici

l'acropole.En considérant

ce résultat comme acquis, on peut se rendre compte d'une

expression d'Appien qu'onserait tenté, dans le

premiermo-

ment, de condamner comme inexacte Td Je -srpos ~eo-~ëp/af

<xet!ss> ~Trs~pO!~~~o! x<x< )? Bupo'ot t?~ e'7r~ Tou otu~e~o~

ïp~ÀM Te<~e< (§ o5). Byrsa,la vieille ville, devait être bornée,

en cnet, du côté du continent, vers l'isthme, par la tripleen-

ceinte on n'enpourrait pas

dire autant de Byrsa acropole,

qui était située àpeu de distance du rivage de l'Est, et

pasdu

tout STTtTOUNt~erO?

Dans lesystème que

nousprésentons,

à titre, du reste,

purement hypothétique, nous aurons, au Sud du Tpt~o~

Tg<~?et à l'Ouest des ports, un faubourg assez considérable,

enfermé dans une enceinte qui se reliait à celle du portmar-

Cf. encore Servius, in ~Me: I, 368 ffCarthago antea speciemhabuit duplicis oppidi, quasi aiiud alterum comptecteretur; cujus inte-

f'icr pars Z~/rM dicebatur, exterior Mng'a/M. Hujus rei testis est Cornelius

\cpos. in co Hbro qui Vit.a i))nstriun) inscribitur.~ (Af~'<!&'s==-Me'yefpa!.)

Page 243: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE. 207

chand. Cette enceinte secomposait

d'unsimple mur, faible et

bas, selon Apptcn, qui se détachait(nous

ne saurions dire en

quel endroit)de la

triple enceinte, en formant un angle. Il est

supposable qu'elle suivait, dans une partiede son

développe-

ment, ce pli de terrain qu'on voitmarqué

sur leplan,

àpeu

près dans ia direction N.O.–S.E., et qui commence un peu

au-dessus de DoM~e~c/Mt, se dirigeant presqueen ligne

droite vers l'entrée duport

marchand. Le lac de Tunis devait

s'étendre, à cetteépoque,

bien au delà, vers le Nord, de ses

limites actuelles, et mouiller tout du longle

pied de ce mur,

et, par suite, la langue commencerbeaucoup plus au Nord

que maintenant, à la hauteur de lapartie méridionale du

portmarchand. Si tel était vraiment l'état des lieux, 1° la

description suivante, jusqu'Ici incomprise,devient intelli-

g)bler&)f<Ct <~ ~CMCCT))f ~X<5o'0'C<féx TOU~e TOC TS~OUS 67~

Tous A<~M'ct$ ~s'spisxc<~7r7ef, ao-~Sf))? ~f ~o:~ xe~ Ta'n's~)), XCM

~e~To ~e?p~s(App.,§ oS, s.j~K.);a° rien de

plusclair

que

l'exposésuivant

(§ qa)Kufo$ f~f s7r:To~)), xe~ 70 Ke~o'<H-

ptfOK o'7paTowe<~ot~ s~oo'Et, f7'7<x0~eSof e7r! ~.<~)? er'7<x9epoS~ot~ j6<x-

OeOSU~O!TO? XCt~ ~7f0

Ter~EO'i ~S~/0''7o<S, OUXOtTCfTTfSO~SfOfSX T?S

9-ix~o-o-)?s. KC'étaitl'époque

de la canicule; uneépidémie

ré-

gnait dans l'armée de Censorinus, parsuite de son station-

nement sur un lac d'eau stagnante et aux exhalaisons mal-

saines, aupied

de hautes murailles qui empêchaient la brise

de mer de souffler sur la flotte, x On chercherait vainement à

concilier avec ces deux textes l'hypothèse que le lac de Tunis

n'a pas été refoulé vers le Sud depuis l'an i ~6 avant J. C.

On n'a rien de nouveau à dire surl'acropole de Carthage,

bien décrite par Beulé. Beulé a restauré aussi, à la suite de

ses fouilles, lesports

de Carthage; Jal et Daux2 ont par-

faitement montrél'impossibilité

de sa restauration. Il neparaît

pas yavoir de doute sur

l'emplacement qui est assigné au Co-

thon sur les plans modernes de Carthage. En dehors de cela,

on saitqu'il n'était pas

entièrement rond, etqu'il avait une

partie carrée 0 <? Acr~pou&xs î~~Tos efeTr/n'p!? To ~spps ToS

D:ct:<MMmreM'i~M &K)g'<Y!p/i<eet <iM<~)'g,, art. CARTHiGE(L'an-:

tique port de).

7t~M'Mp/tenicieM~, pp. 188 et ~oo.

Page 244: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

CHARLES GRAUX.208

KfM~fDfOS TOTETO'X~'fH~O~.

Ë~/cr<XS J'6T< TOf 2x<7r/&!ftX 67!

6)/crEO'00f<,XOHcrpOS TO~ST(M~KfXp~O~f e7!'eo-7pO{~E!~&)f,~<X0e

Aott'<os e~r! 3-KTSpo; ToS KcJ~fos ss TO '5]'ep<~spes <xuToS

~epo?a~s~Mf

(App.,§

iay).Il faudrait se décider à ne plus

tracer, jusqu'à nouvel ordre, les contours du Cothon sur les

plans qu'on publiera de Carthage.

Le lecteur, nous lecraignons, ne quittera pas ce trop long

et laborieux mémoire sans éprouver quelque désappointement.H désirerait

peut-êtrenous voir donner maintenant un

corps

a nos déductions en dessinant à notre tour sur la cartequelque

tracé des fortifications de la Carthage punique. N'en est-il

donc aucun quenous considérions comme plus particuliè-

rement d'accord avec les textes et les fouilles, commepou-

vant être restitué avecl'espoir

des'approcher

dansquelque

mesure de la vérité? Peut-être saurions-nous, après tout,

comme un autre, imaginer un tracé élégant, possible, d'un dé-

veloppement égal a celuique

tel ou tel des anciens attribuait

aux murs de Carthage~. Nous n'avons eu garde de céder à une

aussi dangereuse tentation. A peine est-on assuré de bien con-

naître l'orientation généralede ces murs; quant

à despoints

dedépart fixes, où en a-t-on? Il n'est que sage, en

pareil cas,

de s'abstenir de paraître tropbien renseigné. Dureau de la

llalle(voy.

leplan ) semblerait, à première vue, avoir retrouvé

toutes les diverses enceintes dont était munie lacapitale pu-

niquefondations romaines ou

byzantineslui servent, sans

qu'ils'en doute, de points de repère;

ilinterprète les textes à

sa manière, quin'est

pas toujoursla bonne; enfin, le désir de

bien faire aidant, il restaure une fortification des plus com-

pliquées, logique peut-être,certainement de fantaisie. Elle a

été souventreproduite

etcopiée fidèlement jusqu'à ces der-

niers jours", et l'on nous dit que nous avons là les fortifica-

tions restaurées de Carthage. Il faut se défier d'unpareil

tracé

il n'a rien d'authentique; et, pour notre part, nous sommes

d'avis qu'ilfaut détruire cette Carthage-là.

Les anciens ne s'accordaient pas sur le périmètre de Carthage. Voy.!es textes chez Dureau de la Malle, Recherches sMr la M~OBT~~M de 6~-

//«M'e, p. 38 et suiv.

Voy. j):H' ext'mp!e le pian Cai!!at.

Page 245: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

PLAN DE CARTMAGE ET DE LA rENINSULE.

Page 246: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule
Page 247: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

t&

NOTICE

SUR UN TRAITÉ DU MOYEN ÂGE

INTITULÉ

z)E cozoMjB~ Ey ~~r7~~ ~om~vo~~M,

PAR A. &IRY.

Le traité dont nous allons parler n'est point inconnu. Dès

longtemps,les savants ont été

attirés parson titre; beaucoup

ont pensé, avec Lessing, qu'on pouvait y trouver des renseigne-

ments nouveaux sur les arts del'antiquité;

mais cette illusion

n'apas résisté à la lecture.

Quelques centaines d'hexamètres

obscurs relatifs à la fabrication des couleurs, àl'application

d'émaux sur lespoteries

et I~s verreries, à la gravure et à la

taille du verre et despierres précieuses,

à la fabrication des

pierresfausses et à la dorure, suivis d'une soixantaine de re-

cettes enprose,

les unesparaphrasant

lesprécédentes, les autres

concernant lacalligraphie, l'enluminure, la peinture sur bois,

sur mur ou sur verre, la verrerie, la céramique, le travail des

métaux et de l'ivoire et la niellure, le tout très-visiblement t

du moyen âge, c'est un assez maigre régal pour qui a été mis

en éveil parles mots Arles Romanorum.

Du moins, la connaissance de la technique des arts du

moyen âge et par conséquentla

critiquedes monuments de

cette époque peuvent faire leurprofit de l'étude de ce

petittraité. Par cela seul il mérite

qu'on recherche soigneusement

àquelle époque,

dansquel pays, par qui il fut écrit, qu'on se

rende un compte exact des procédés qu'il expose, qu'onétudie

la trace del'application de ses recettes dans les monuments

qui les expliquent, qu'on en suive ledéveloppement

ou la con-

nrmation chez les écrivains postérieurs, et surtoutqu'on en

recherche avec le plus grand soin toutes les sources. On se

tromperait si, de ce qu'un pareil traité a été fait aumoyen

Il

Page 248: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

A. GIRY.210

âge et pour des artisans de cette époque, on se hâtait de con-

clure que la connaissance de l'industrie de l'antiquité ne

saurait aussi trouver son compte à un pareil travail. On ne

rencontre pas, en comparant la main-d'œuvre et les procédésdu moyen âge à ceux de l'antiquité, les mêmes diu*érences

qu'entre le style et les arts des deux époques; lapratique

du

moyen âge presque tout entière lui est venue des anciens,

soit par une tradition de plusieurs siècles non interrompue,soit par suite d'emprunts faits aux Grecs du Bas-Empire. N'est-

il pas intéressant de prendre sur le fait cette tradition ou ces

emprunts, qui touchent à la grosse question de l'influence by-zantine ? N'est-il pas possible même de demander à des recueils

de recettes de cette nature des éclaircissements sur l'industrie

des anciens?

Ces réflexions n'ont pas échappé aux nombreux érudits

qui, depuis le siècle dernier, ont étudié les recueils de pro-cédés ou les manuels d'artisans du moyen âge. On sait l'im-

portance de l'ouvrage composé par le moine Théophile; tous

les traités n'ont pas l'Intérêt de la jScAp~M~~MwrMnm arlium;

tous du moins, ceux qui sontplus modernes comme ceux qui

sont plus anciens, méritent d'être comparés entre eux et étu-

diés avec soin; des travaux de ce genre, on n'en saurait douter,

accroîtraient dans une bonne mesure les notions encore si peu

précises que l'on possède sur l'histoire de la technologie.Pour en revenir à l'ouvrage auquel est consacrée la présente

notice, disons tout d'abord qu'il a été déjà publié trois fois et

traduit deux fois. L'Anglais Raspe,à la fin du siècle dernier, a

donné le texte d'un manuscrit qui se trouvait alors à Cam-

bridge 1; mistress Merrineld, en 18~0, en a publié, avec une

traduction anglaise, une nouvelle édition bien meilleure, d'a-

près le même manuscrit et un manuscrit de Paris, dans sa col-

lection de traités originaux sur les arts du moyen âge~. Enfin,

il y a quelques années, M. Ilg, de Vienne, a reproduit l'édition

de Mrs. Merrineld, en y joignant une traduction allemande,

dans les QMe~eHscAf~'K~Mr ~MKS~'esc/MC/!feund .KMKsMecAtM~des

er~'e~ essay on o~paMh'ng'~ London, iy8i, in-4°, p. go-ng.

Or!g-MM~Treatises on t&Parts q/'JM!K<Mg'in oil, miniature, M(M<MC~f;)t~on jO'&!M,of gilding, <~e:M6',a!~Ae~M'~M)'a<KMtO~CO&M)'~f:M~0~

/M'M/ypHM, London, i8ÙQ, m-8", t. ï, p. i66-a5y.

Page 249: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTICE SUR UN TRAITÉ DU MOYEN ÂGE. 211

lA

Mt'Me~er~ publiéesà Vienne sous la direction du professeur

Eitelberger 1. Aucun des éditeurs n'a utIMsé tous les manuscrits

de ce traitéqui

nous sontparvenus, et, quoique

chacun d'eux

ait faitprécéder

ou suivre son édition d'études ou d'éclair-

cissements, aucun n'a connu toutes ses sources, aucun n'a

recherché ses recettes dans lescompilations postérieures

elles ont passé.Il n'est donc

pas sans utilité de reprendreà

nouveau l'examen de ce texte, en profitant des recherches et

des découvertes dues à chacun des trois éditeurs, ainsi qu'à

quelquesautres savants.

Trois manuscrits, à ma connaissance, nous ont conservé le

texte à peu près complet de cet ouvrage.

Le plus ancien et leplus correct est du xjf siècle et n'a encore

étéemployé par

aucun éditeur. Ilprovient

del'abbaye

de Saint-

Amand, et fait aujourd'hui partie de labibliothèque de Valen-

ciennes, où il porte le n° 145. C'est un ms. in-folio enpar-

chemin, dont lespages ont 38o millimètres de hauteur sur

a 60 de largeur;il se

compose deiyo feuillets; chaque page

est écrite sur deux colonnes de 44 lignes chacune, en belle

minuscule. Notre traité se trouve au feuillet iy8; il occupe,

avecquelques

autres pièces de vers, parmi lesquellesle

poèmesur les

pierres précieuses (Evaxrex Arabum, etc. )

qui y est attribué à Hildebert, les six derniers feuillets du

manuscrit. Le commencement contient lesquinze premiers

livres de la Cité de Dieu de saintAugustin.

Dans ce manus-

crit, notre traité neporte

aucun titre, nonplus que

ses divers

chapitres, qui sont cependant séparés les uns des autres et dont

le commencement est indiqué par des initiales alternativement

rouges et vertes. Il se compose de 208 vers hexamètres. La

partie en prose, qui fait suite aux vers dans les autres manus-

crits ne s'y trouve pas. La présence de ces vers dans ce manus-

crit a été signalée par M. Waitz(Pertz, ~rc/M~ VIII, ~36)

et, plus tard, par M. Mangeart (Cataloguedes manuscrits de Va-

lenciennes); ni l'un ni l'autre ne savaient à qui les attribuer.

Le dernier éditeur, M. Ilg, n'en a été avisé qu'après avoir im-

priméson texte.

Un second manuscrit est au Muséebritannique (Egerton

Ns'M/KM, ~M~eKFar/'MMK~MM<<borner;, Vienne, i8y3,in-8°.

Page 250: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

A. GIRY.212

8&o,A). Il a fait autrefois partie de la bibliothèque du collègede la Trinité de Cambridge, où Raspe fa étudié en 1770De là il passa, je ne sais comment, dans la collection de James

Orchard Halliwell, ainsi qu'en témoigne le timbre humide

qu'on voit au folio a 5v",et qui porte la mention .St&Mteca

.HaMM~eMtMKa.Il est entré dans la collection Egertonen 18~0

Mrs. Merrineld en a donné une description". M. Albert Ilg ena parlé aussi dans la préface de son édition; mais, malgré les

termes équivoques de sa notice, il paraît certain qu'il nen a

pas fait une étude personnelle. Enfin Hendrie, dans son édition

de Théophile' et Eastlake, dans son livre sur la peinture à

l'huile~, l'ont tous deux mentionné, mais ne semblent pas l'a-

voir connu.

Ce ms. est un volume de très-petit format, dont les feuillets,

de parchemin, ont i&5 millimètres de hauteur~ur 106 de lar-

geur. Il débute par un fragment de cmqfeulllets d'un ouvrage

théologique qui ne faisait pas autrefois partie du même vo-

lume. Les folios 6 à 16 v°sont occupés parles trente-sept pre-miers chapitres du manuel du moine Théophile, qui y sont

intitulés ?racMMS LïMK&ar~eïM qualiter &}mpe!'aK~ colores.

Notre traité commence à la suite de Théophile, à la huitième

ligne du feuillet 16 v" et va jusqu'au recto du feuillet a 5 et

dernier. Le titre en rubrique est en haut du folio 16, avant

les sept dernières lignes de Théophile Hic M!/e)'!MSincipit /&e~

Erac~t sapientissimi viri de coloribus et de artibus Romanorum.

Il est répété à la huitième ligne Incipit liber .Efae~K sapien-~mnM viri, etc. Le Catalogus manuscriptorum ~Kg'H<~ dans la

notice consacrée à ce manuscrit, lui donne pour titre Gratsius,

f/e artibus Romanorum. Il n'est pas inutile de relever cette faute

de lecture, qui a été plusieurs fois reproduite.Les feuillets 6 à a 5, qui contiennent Théophile et Éraclius,

ont dû faire partie anciennement, d'un manuscrit beaucoup

ctt<:ca~essay, etc., p. ~)i.

La mention; Pm'e/iase~ of J. Hom. j; a! ïS~o, se trouve sur l'un

des feuillets de garde.

Ona'MM/ 7n'a<MM, I, p. 66.

.~MMM~ !<p0)tMr!'OMS<!)' &y 27MOp/M7!M.T~'aHS~a~N!M MO<M

~Robert Hendrie, London, 18~7, in-8°, p. ai.

lllaterials for s /M'~oryo/'o:7paMh')~ LondoM, 18~7, m-8°,p. 33.

Page 251: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTICE SUR UN TRAITE DU MOYEN AGE. 213

plus considérable, car plusieurs d'entre eux, dont la marge

a été moins écourtée, conservent la trace d'une ancienne

paginationdu xv° siècle, dans

laquellele folio

a portait le

n° 228. Les ~fo pages qui contiennent les deux traités ont en

moyenne 2lignes chacune, d'une minuscule

gothique très-nne,

très-chargée d'abréviations. Raspel'attribuait au x)u° siècle,

Mrs..Merrineld, à la seconde moitié du même siècle; il me

semble qu'on peutla reculer

jusquevers i2/to ou ia5o.Iln'y

a derubriques que pour les titres des traités; ceux des cha-

pitres sont soulignésd'un trait

rouge;pourla

partieen vers,

dans laquelle les vers sont séparés, les titres sont à la marge

de droite dans un cadre formépar quatre

traits noirs. Le

copistesemble avoir été assez négligent,, mais un correcteur

contemporain a soigneusement exponctué les mots répétés et

a essayé, sans avoir de manuscrit pour le guider, de restituer

les mots omis, de corrigerles

phraseset les mots altérés.

Quelquesmots d'une

orthographe plus archaïque quene l'est

en général celle du manuscrit, telsque karissime, habundanter,

panxMKCMo~ nicliil, semblentindiquer que

le textequi

a servi

à cettecopie était notablement

plusancien. Le traité d'Era-

clius, dans ce manuscrit, comprend,outre les ai

chapitres en

vers, 25 chapitres

en prose.

Un troisième texte de ce même document se trouve dans un

recueil manuscrit qu'un curieux du xv" siècle, connu par une

traduction de l'histoire de la première guerre puniquede

LéonardArétin\auteurde divers inventaires royaux et enpar-

ticulier d'un inventaire de labibliothèque du roi Charles VI

M" Jean le Bègue, notaire etgreffier

de la Chambre des.

comptes de Paris, écrivit en entier de sa main en i/t3j

Detiste, Ca&M:ef maMMser~ I, y3.'7M., p. a~4

3 Au foi. ga de son manuscrit, Jean le Bègue, parlant d'une addition

qu'ii y fait, s'exprime ainsi: rffuit addita per me Johannem le Begue licen-

ciatam in legibus qui presens opns seu capitula in hac (sic) votumine

aggregata propria manu. licet non assuetus, scripsi, armo Domini

M'CCCC'XXXI', etatis vero mee LXIH°.~ A la fin (f. 101 ~),il a ajouté: :ff Compositesest liber iste a.magistro .lohanne le Bègue, gre~fario genefatium Hiagistrurum rnonete regis, Pansius.!) Ne en i368,Jean ie Bègue mourut en t~5y, à l'âge de 89 ans. Consulter sur lui de

Boisiisie, Chambredes eoM~M de Paris, notice préliminaire, p. )~.

Page 252: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

A. GIRY.21&

Ce manuscrit est un petit in-&°, composé de- 101 feuillets

de papier; l'écriture est courante, ferme et très-lisible; chaque

page, écrite à longues lignes.. avec rubriques et initiales al-

ternativement rouges et bleues, a 2 2 o millimètres de haut sur

i&~ de large, et contient une trentaine de lignes. Ce volume

fut possédé au xvi° siècle par un amateur rouennais, Louis

Martel, dont l'e~-M'n's se trouve sur un feuillet de garde;

c'est lui qui a écrit la table des matières qui se trouve sur

le premier feuillet, à la fin de laquelle est la devise Illustra

DeMs oct~MM( anagramme

de Ludovicus Martellus). De la bi-

bliothèque de Martel, il passa dans la bibliothèque formée à

Rouen, au commencement du xvn" siècle, par Jean Bigot, dont

les armoiries sont encore collées sur le verso du premierfeuillet de garde; de là, avec les autres manuscrits des Bigot,il passa dans la bibliothèque du roi; il est aujourd'hui à la

Bibliothèque nationale, où il porte la cote lat. 6y&i.C'est un très-curieux recueil de recettes relatives à la

peinture. On y trouve, outre notre traité, des glossaires de

noms de couleurs, le premier livre du moine Théophile, le

traité sur les couleurs de Pierre de Saint-Omer, des recettes

qu'un certain Jean Aucher avait reçues en communication de

divers artistes et, entre autres, d'un peintre flamand nommé

Jacques Conan, d'un enlumineur nommé Antoine de Corn-

piègne, d'un calligraphe de Milan, Alberto Porzello, des

peintres Jean de Modène, Micheline de Vesucio, Pierre de

Vérone; d'autres qu'il était allé chercher en Italie, parti-

culièrement en Lombardie.à Venise et à Bologne; d'autres

enfin que Jean le Bègue lui-même y avait ajoutées.Le traité attribué à EracMus commence au ~feuillet 6& v°

/ncMMt NrMKMset metricus liber Efraclii sapientissimi viri ~e colori-

bus et de artibus jRo!M<:HorMm,et se termine au fol. 86 v°. Il y est

divisé en trois livres, les deux premiers en vers et le troisième

en prose; celui-ci contient un chapitre de moins et a 3 chapitresde plus que le même livre du précédent manuscrit, et, en

outre, tous les chapitres de ce troisième livre y sont disposésdans un ordre tout différent.

Mrs. Merrineld a publié ce manuscrit en i8/tg .moins ce-

qu'il contient de Théophile; mais, pour le traité d'Ëraclius,

elle a adopté de préférence les leçons du manuscrit du Musée

Page 253: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTICE SUR UN TRAITE DU MOYEN ÂGE. 215

britannique; elle a suivi de même l'ordre donnépar ce

dernier

manuscrit pour les chapitres du Ille livre, et classé à la suite,

en ordre méthodique, les 23chapitres

nouveaux fournis par

le manuscrit de Paris. M. IIg, malgré la description qu'il en

donne, n'apas plus connu ce manuscrit

quele

précédent.Outre ces trois manuscrits, qui contiennent le texte

plusou

moins complet du traité d'Eradius,ilen est beaucoup d'autres

quin'en contiennent que des fragments. Ils n'en sont pas moins

importants à connaître, parce qu'i~ peuvent contribuer Hon-seulement à établir le texte, mais encore servir à montrer com-

bien cet ouvrage a été répandu aumoyen âge et comment se

formaient les recueils de recettesqui

nous sontparvenus.

Ces

fragments sont, en outre, un élémentimportant pour déter-

miner l'âge de cettecomposition

etpour

aider à retrouver les

différentes sources auxquelles l'auteur a empruntéses

pro-

cédés. Nous allons les passer en revue, en examinant d'abord

ceuxqui

contiennent les recettes en vers, ensuite ceuxqui

contiennent les chapitres en prose.

Le manuscrit du Musée britannique (Harleian Soi 5),de

la fin du xn" siècle, quicontient le traité de

Théophileavec

beaucoup d'additions, et quia été la base de l'édition publiée

par Hendrie, contient, dans ses additions, leschapitres

en

vers d'Eraclius relatifs à l'écriture en lettres d'or(vu),

à la

fabrication des couleurs végétales (n),àla gravure du verre et

des pierres précieuses ()v,vi),et à l'émaillage despoteries(m),

chapitres quiont été

publiés parHendrie 1.

Un autre manuscrit du Musée britannique (Harleian sy3),

recueil de la fin du XIIIe siècle, contenant ungrand nombre

de recettes de toutes sortes, compte parmielles le chapitre

relatif àl'émaillage des poteries (fol.

211v~).

Le ms. n"a yde la

bibliothèquede l'Ecole de médecine

de Montpellier contient, dans la copiedu xiv" siècle d'une

compilation extrêmement curieuse, intitulée, comme celle de

Théophile, Liber diversarum <M'(KNK~etpubliée par Libri à la

suite ducatalogue

des manuscrits de cettebibliothèque,

le

chapitre d'Éraclius relatif à l'écriture en lettres d'or 2.

1 Théophile, ëd. Hendrie, p. 3ga, 3g6, 3g8, ~02.

6s<<Og'!<e~'<'Her«/~M manuscrits, t. I. p. ~85.

Page 254: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

A. GIRY.316

Trois de ces chapitres versifiés sont transcrits dans le ms.

de la Bibl. nat. lat. 3343, au folio i45. Ce manuscrit, écrit

tout d'une même main, dans la seconde moitié du xv" siècle,

est un très-curieux recueil de récits pieux, d'énigmes, d'épi-

taphes, d'extraits de classiques latins, de poésies françaises et

latines, de fragments de traductions, etc. Plusieurs de ces

pièces ont été, d'après le copiste, empruntées à des ouvrages

ou peut-être à des recueils analogues de Jean le Bègue, comme

en témoigne en particulier une note du rédacteur, qui, dans

une espèce de catalogue detravaux historiques, mentionne un

extrait de la fin de la première décade de Tite-Live s pênesJ. le Bègues (fol. io5), et un autre passage ou il reproduit

deux petites pièces de deux distiques chacune, qu'il a trouvées

Kin fine rhetorice magistri Jo. le Bègues (fol. i&6). Comme

nos trois chapitres sont de tous points semblables à ceux quise trouvent dans le ms. 6y~t, il n'y a aucun doute qu'il

n'aient été empruntés au recueil de recettes formé par Jean

le Bègue.

Enfin, le texte des chapitres n et vu se retrouve, mais très-

dénguré, dans une compilation intitulée Deco~r!&Ms~:c!'eN~'s,contenue dans un ms. du xv" siècle de la bibliothèque impé-riale de Vienne ( n° 55is, fol. iy5).

Les chapitres en prose se retrouvent dans plus de manuscrits

encore. Le chapitre xxIII (j'accepte l'ordre des chapitres de

l'édition de Mrs. Merrineld), sur l'essai des matières d'or et

d'argent, est contenu dans un grand nombre; les plusan-

ciens sont le ms. de la Bibliothèque nationale lat. laaoa 2

(fol. i), le ms. n° 33& de la bibliothèque de l'École de méde-

cine de Montpellier, qui sont du ix" siècle, et le ms. n° 2355

de la bibliothèque d'Avranches, du xie siècle.

Les chapitres ix, xvn, XVIII, xix, xxni, t.Tt, t.vn, LVIII,

relatifs aux procédés pour couper le verre et les pierres fines,

à la dorure sur métal, au travail de l'ivoire, à l'essai des

métaux précieux, aux règles du mélange des couleurs, sont

empruntés à un curieux traité intitulé Ma~a' clavicula, pu-

blié en i8/t6 par A. Way\ d'après un ms. du xu" siècle,

~ire/Mpo/oa'Mor MMce&H60M~<r<!e~ pM~M/tef!by </ieSociety o~<Hi-

<!yM<H'!MO/'LoH~O)~t. XXXt, p. l83-aM.

Page 255: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTICE SUR UN TRAITÉ DU MOYEN ÂGE. 217

acheté en 182~, parfeu sir Thos.

Phillips,au curé de Saint-

Eustache de Paris. J'ai retrouvé, au mois d'août i8yy, dans

la bibliothèque de la ville de Schlestadt, un ms. de cet ou-

vrage, que le rédacteur du Catalogue des manuscrits publiéau t. 111 du

Catalogue général des manuscrits des départements

n'avait pas connu, etqui

estbeaucoup plus ancien

quecelui

de Thos. Phillips. C'est unpetit

in-/[°qui

a étépossédé

au

xvi° siècle par un évêquede Worms; il n'est pas paginé;

ses feuillets de parchemin ont 180 millimètres de haut sur

i3o de large; ilporte

dans labibliothèque

le numéroprovi-

soire i 15 bis. Il est écrit en belle minuscule du x° siècle et

contient, outre leMappœ c~CM/s, par lequel

commence le

manuscrit, un Vitruve complet qu'aucun éditeur n'ajamais

connu, et lepetit traité abrégé d'architecture que l'on trouve,

sans nom d'auteur, dans laplupart

des manuscrits de Vitruve,

maisqui, ici, -est sous le nom de M. Cetus Faventinus, nom

qu'un fragment de la bibliothèque de Vienne, publié en 18'y i

dans lescomptes

rendus de l'Académie~, avait déjà fait con-

naître. Lacompilation désignée sous le nom de

Mascocla-

vicula, telle qu'elle-se trouve dans ce ms., est très-din'érente

de celle du ms. de Thos. Phillips. Elle contient quelques cha-

pitres de moins etquelques chapitres

deplus;

l'ordre dans

lequelils sont

disposésn'est

pasle même, enfin les diffé-

rences de rédaction et les variantes d'orthographe sont très-

nombreuses. Laprincipale

source de ce recueil est un traité

deplusieurs siècles antérieurs, publié par Muratori 2, et dont

on possèdeun ms. de l'époque

deCharlemagne,

tout entier

en onciales, que j'ai pu collationner, au mois de septembre

dernier, dans labibliothèque

des chanoines deLucques.

Les

chapitresdu Ille livre d'Eraclius ix, xvii, xvni, xix, xxin, ne

se trouvent quedans le ms. de Thos.

Phillips;les

chapitres

LVi, Lvn, Lvm sont dans le ms. de Thos. Phillips et dans

celui de Schlestadt; aucun d'eux n'a été emprunté au ms. de

Lucques.

Le chapitre xxxvni, sur la fabrication de la couleur verte, a

été emprunté à la Schedula deThéophile (livre I, chap. XLII).

.S!<M<M's&e)'K'~ecler ~/M~M:e cler M~MetMc~~e~ 1871, octobre,

p. 31.

~H<!OM:<<!<M/<(t/M<F,t. If, p. 346.

Page 256: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

A.GIRY.218

Les chapitres XL, xu, XLII et XHU, sur la préparation de

l'orpiment et diverses applications de la dorure, ont passédans un curieux recueil de recettes de toutes sortes, écrit en An-

gleterre vers la fin duxnf ou le commencement du xty° siècle,

et qui se trouve aujourd'hui au Musée britannique (Sloane

iy5&Me!'<& eo~on&MS&?MMM!torMNtsK'e~M'c&H'Mm.,fol. lAs2

à i~tQ.) Il en est de même des chapitres i.vi, LYn, Lvm,

relatifs au mélange des couleurs. Mrs. Merrineld a utilisé ce

manuscrit pour son édition d'Éraclius.

Ces trois derniers chapitres sont, du reste, ceux de tout le

livre qui ont été les plus répandus. Nous avons déjà dit qu'ils se

trouvent dans laMa~œ clavicula; il n'est guère de recueil de

recettes où ils n'aient passé; je me contenterai de citer les

suivants le manuscrit de Théophile reproduit par Hendrie

(Harl. 3oQ5), dont il a. été question plus haut le recueil

du Musée britannique (Harl. a y S), qui a 'été également

cité2; le Liber diversarum artium du manuscrit de Montpel-

lier~, un traité du xtv" siècle FsrM c~enmeHfa; de coloribus

(Brit. Mus. Cottonian. Julius D. VIII, fol. 86v°); enfin, un

recueil italien du xvf siècle (BIM. nat. lat. 18 515, fol. i5 v°).Les manuscrits n'ont pas été les seuls à reproduire certaines

parties de ce recueil; dès le xvi° siècle, la plupart des recettes

en vers ont été imprimées. Les chapitres n, ni, iv, vi, ix,

x, XII, xm, xvm, xix, xx, xxi, ont été, les uns attribués

alors à un alchimiste de la fin du x!ii° siècle, Arnaud de

Villeneuve, les autres mis sous le nom deMarceIlus Palinge-

nius (ManzeIII,écrivain de Ferrare du xvt° siècle). Ce fut

avec ces attributions qu'ils passèrent dans les Secreti de Don

Alessio (publiés à Lucques en t55y) et de là dans le f~eiSe-

et'e~'s de J. J. Wecker, ou du moins dans l'édition publiée à

Baie en i5g8, qui n'est qu'une reproduction des Secreti de

Don Alessio (pages &a8, ~Ag, 643-6~5). Les très-nom-

breuses éditions de cet ouvrage sont toutes très-différentes les

unes des autres pour le contenu~.

Parmi les modernes, Lessing, le premier, en ~77~, dans

r/Mo~/t~e,, éd. Hendrie, p. ~).

Fo!. an V.

Cs<s/og'Meg'c;:f~'aJ~ma<!M.scn~,t. [, p. 768.

Voyez à ce sujet Merrifield, osM.cité, I, p. 168.

Page 257: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTICE SUR UN TRAITÉ DU MOYEN ÂGE. 219

ses recherches sur l'ancienneté de lapeinture

à l'huile, a dé-

signé à l'attention le traité d'Éraclius, qu'il ne connaissaitque

parla notice du manuscrit latin

6y~i, quedonne le cata-

logue des manuscrits de la bibliothèquedu roi de iy&

lesexpressions

dont il se sert indiquent qu'il espérait qu'on y

trouverait des renseignementssur l'art

antique

En 1~81, Raspe, nous l'avons dit, publia,d'une manière

très-défectueuse, le fragment de Théophile et le traite d'E-

raclius, quecontenait le manuscrit du collège de la Trinité

de Cambridge. Naturellement, il chercha à résoudre les divers

problèmes que soulève le traité d'Eraclius. Suivant lui, ce

nom grec a dû être porté parun écrivain vivant dans la

partie de l'Italie soumise auxempereurs d'Orient; la désigna-

tion virM~ëK~mHMs que

lui donne le titreindique que

ce

devait être un personnage revêtu d'une dignité ecclésiastique;

il émet, tout en la déclarantpeu acceptable,

laconjecture

quece singulier poème pourrait

bien être une mauvaise tra-

duction latine d'un ouvrage grec; dans tous les cas, Eraclius

n'était qu'un charlatan ignare (an ignorant quack);sa langue,

sa crédulité, lapauvreté de ses recettes, prouvent qu'il

a vécu

à uneépoque

de grande barbarie; Raspene saurait guère

préciser davantage; de ce qu'Eracliuscite Isidore, il conclut

seulement qu'il a dû vivre entre le vu" et le XIIIe siècle, époqueoù fut écrit le manuscrit

qu'il publie.

Eméric David dans son Discours historique sur lapeinture

mo-

derne, écrit en 1811, a consacré à Eraclius une note judicieuse2.Suivant lui, cet auteur a dû vivre

après l'époquede Charles

le Chauve, puisqu'il mentionne la peinture sur verre; les dé-

sordres qui affligeaient Rome de son temps et lemépris

où les

arts étaient tombés alors doivent correspondreaux

pontifi-cats de Jean XI, Jean XIII, Grégoire V, ou bien à ceux de

Voici la phrase de Lessing tfEs konnte leicht kommen, dass er

unter andern das fM~e Stück ebenso wichtig und interessant fânde, ats

ich den Theophilus gefunden habe. Mir scheint wenigstens der Titel, ich

weiss nicht was zu versprechen De artibus Romanorum. Und wenn auch

dieserHeraciius nurso attwareats Theophilus; anchdannkonnten sehr

vie! Nachrichten darin stehen, nach welchen wir uns ietzt vergebens um

sehefi.T (Fo)MAlter cler Oelmalerei, note K.)

Voy. cet ouvrage réimprimé sous ce titre Flistoire de la peM<<~e<< Moye~ âge, éd. de i8~a, p. 83.

Page 258: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

A. GIRY.230

Jean XIX ou de Benoît IX, c'est-à-dire à la fin du x° ou au

commencement du xi° siècle.

Eastlake, dans ses études sur l'histoire de la peinture à

l'huile publiées en i8& a été naturellement conduit à étu-

dier divers passages du traité d'Eraclius, qu'il fait un peu

plus ancien que celui de, Théophile, date par lui de la fin

du xn° siècle. Certains indices lui font conjecturer que c'est

en Angleterre que l'ouvrage a été composé. Hendrie, dans

la préface de son édition de Théophile qu'il publia -la même

année, le place au milieu du x° siècle par les mêmes raisons

qui avaient déterminé l'opinion d'Eméric David 2.

La véritable étude critique de ce texte a été faite parMrs. Merrifield, dont l'édition avec traduction anglaise a paruen < 8~. Comme nous l'avons dit, elle a utilisé les deux ma-

nuscrits de Londres et de Paris; elle a retrouvé divers chapitresdans le manuscrit Sloane iy5&, et dans les recettes publiées

par Wccker, elle a connu les sources de plusieurs autres, et

principalement la compilation connue sous le nom de Afa~MBclavicula. La première, elle a distingué la partie versiHée de la

partie en prose et émis l'opinion que les vers seuls formaient

un tout et constituaient l'œuvre d'Eraclius; le livre en prose

est, suivant elle, une addition postérieure, composée de para-

phrases des chapitres des deux premiers livres, de recettes pui-sées dans Pline, Vitruve et Isidore de Séville, de traductions

de procédés grecs et byzantins et de notes empruntées à la

pratique d'artistes contemporains, et particulièrement de Fran-

çais. Tandis qu'elle suppose qu'Eraclius était un Lombard

du duché de Bénévent, qui vécut entre le vm" et le x° siècle,

elle pense que son continuateur doit avoir écrit au xu" ou au

xm° siècle dans la France du Nord, ainsi qu'en témoignent

les allusions à des arts ou à des usages qui sont de cette

époque et de ce pays. Nous aurons occasion de revenir sur

plusieurs des remarques fines et judicieuses dont elle a ap-

puyé son argumentation. T-Le dernier éditeur, M. Ilg, de Vienne, a consacré à Eraclius

~:<C)'Mt&yM'a /tM<on/ 0/'0~pS:'Kh')!g', p. 3a, 38, 53.

~K ~.s'ay Mpo): t)M':OMs arts, London, p. i3.

Ot'M< r)'M<MM on </t6 arts 0/'pf!Mt&'Mg', p. tM-aSy.

Page 259: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTICE SUR UN TRAITÉ DU MOYEN ÂGE. 221

un fascicule de l'intéressante collection des (~Me~eMscAn~eH~.

Son texte n'est que la reproduction page pour page,mais non

toujours correcte, de celui donnépar

Mrs. Merrifield; M. Ilg

a conservé le même moded'indiquer les variantes, a

repro-

duit chapitre par chapitreles mêmes notes; et, bien que

sapré-

face contienne ladescription

des deux manuscrits connus de

Mrs. Merrifield, il n'a vu, onpourrait

leprouver,

ni l'un ni

l'autre; il n'a luque très-légèrement

le livre deRaspe,

et

semble bien n'avoir connu les sources d'Eradius et laplupart

des autres autorités qu'ilcite

que parsa devancière. Une bonne

partiede sa

préface reprend à soncompte

les arguments de

Mrs. Merrifield, cequi n'empêche pas qu'il

ne lui reproche en

terminant de manquer de critique.Il

y a cependant du nou-

veau dans cette préface, et en particulier une vue ingénieuse

et originalesur la

personnalité d'Éraclius, quilui a été

suggé-

réepar

lapublication

de Massmann 2. Selon lui, ce nom ne

saurait s'appliquer à unpersonnage

ce n'estpas

l'auteurqui

s'est nommé dans le titre, car il n'auraitpoint

osés'appeler

lui-

même M'fsa~!eK~Mm!M;le

nom d'Eradius est dû à unelégende.

Herakleos(HpeH~.e<fx~t19os),

dansl'antiquité,

c'est lapierre

de

touche, lapierre

à aiguiser, l'aimant, l'ardoise~, toutes pierres

douées de propriétés extraordinaires, que l'imagination orien-

tale amétamorphosées

en homme, et qui ont fourni le thème

d'un conte indo-européen quel'on rencontre dans les Mille e<

MM A~M'~ et que l'on retrouve en Occident au xn" siècle, en

particutierdans Gautier d'Arras, qui en a fait l'épisode par

lequeldébute son

poèmesur

l'empereurÉracle.

Il s'agit toujours d'un enfant merveilleux, nommé Eraclius,

vendu à l'empereur de Rome. Entre autres dons, cet enfant

a celui de connaître admirablement lespierres précieuses, de

distinguerles fausses des vraies. Il est

Li mioutdres counisieres,

Qi onkes fust, de bonnes pieres.

jEferacKM~, Fomden far&em und ~M)M<eMder Rômer.

Massmann, &<tc&M. DeM~c/iM MK~j~HMzo~Mc/tMG~tc~ des zNw'M'eMJaAt'&MM~er~ He&MK'K~AocMeM~c/ieK.,g'necAMcAeK~&:<<)tMeAeM~M/xHt-

FeKM~gMcAte/~&c/tM't/n~f~Mc/tMtg'. Leipzig, t8~a, in-8". Voy. surtout

la note C, Seine Steinkunde, p. ù68-~y3.3

Pline, Hist. ?K:<.XXXVI, 25.

Page 260: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

A. GIRY.322

Pour l'éprouver, l'empereur fait apporter sur le marché

toutes les pierres des bourgeois de Rome. L'enfant les déclare

toutes fausses, à l'exception d'une seule, de peu d'apparence.

L'empereur se croit trompé et veut noyer Éraclius,

Sa bonne piere au col Ii met.

Mais celle-ci le fait surnager au-dessus des flots .et prouve sa

science. Dès le xn° siècle, ce merveilleux connaisseur de pierress'était confondu dans la légende avec l'empereur de Constanti-

nople Éraclius, fameux au moyen âge, à cause de la conquêtede la vraie croix.

Si l'on songe au goût du moyen âge pour les pierres pré-

cieuses, à l'espèce de vénération qu'il a manifestée pour les

camées et les intailles antiques, auxquelles il attribuait toutes

sortes de vertus magiques, quoi d'étonnant qu'un traité con-

tenant des recettes pour polir et tailler les pierres, pour fa-

briquer des pierres fausses et pour teindre des verroteries, ait

été attribué au merveilleux connaisseur de pierres de la lé-

gende, à cet Ëraclius qui, dans la version allemande d'Ottc,

s'irrite de ne trouver sur la place de Rome. que des pierres fal-

sifiées ? (Cf. le chap. xiv du livre 1 d'Ëraclius.)On ne saurait refuser à cette ingénieuse conjecture une cer-

taine vraisemblance. 11 s'en faut malheureusement qu'elle se

puisse prouver. Ce n'est point, comme le croit M, Hg, le ma-

nuscrit de Paris seul qui attribue à Eraclius le traité en ques-

tion le manuscrit de Londres porte exactement le même titre;

le Ca~og'Ks HM:MMs<H*~o?'Mm~K~M? seul a lu Gratsius, au lieu

d'Éraclius., qui est très-lisible, et c'est gratuitement que M. Ilgattribue a Raspe la reproduction de cette erreur, qu'il a au

contraire rectifiée. Ce n'est que la moindre partie du traité

mis sous ce nom qui a trait aux pierres précieuses; il n'en

est pas question dans le prologue, et six chapitres seulement

sur vingt et un qui composent la partie ancienne parlent de

pierreries vraies ou imitées. N'y a-t-il pas apparence en outre

que, si le nom d'Ëraclius placé en tête de cet ouvrage venait

de la légende, le titre ferait quelque allusion aux chapitres quisont relatifs aux pierres? Le moyen âge nous a laissé de nom-

breux Z~M~H'fM, uniquement consacrés à célébrer les vertus

des pierres; comment expliquer qu'il ait choisi pour le mettre

Page 261: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTICE SUR UN TRAITÉ DU MOYEN ÂGE. 223

sons ce nomcaractéristique d'Éraclius. un ouvrage dont les

passages relatifs aux pierres forment la moindrepartie, ne

font aucune allusion à leurs propriétés merveilleuses et n'en-

seignent pasnon

plusà reconnaître les fausses des vraies ou les

bonnes des mauvaises?

Qu'y a-t-il d'invraisemblable à ce qu'un certain Eraclius,

que nous ne connaitrons probablement jamais que par là, ait

écrit ce livre, et ait été gratine, par quelque copisteadmirateur

de son œuvre, del'épithète sa~en~sMKMS? Qu'on veuille

y voir

un Gréco-Romain avec Mrs. Merrifield, cela est d'autant plus

naturel que son livre, comme l'art italien de son époque, est

tout imprégné de l'influencebyzantine.

Son nom, cependant,ne saurait suffire à le faire croire un Grec réfugié; car il n'est

pointaussi rare en Occident que

semblent le croire ses édi-

teurs, témoin, pourn'en citer qu'un exemple, l'ëvéque de

Liège, Éraclius, qui vivaitprécisément

au ix° siècle et auquel

la tradition attribue diverses œuvres d'art.

Nous n'avons pasà examiner ici les intéressants éclaircis-

sementsqui

donnent une réelle valeur à l'édition de M. Ilg; ils

visent particulièrement l'interprétationdu texte, et nous ne

voulonspas

en faire ici une étudeparticulière.

L'examen que nous venons de faire des différentes éditions

du traité d'Eraclius peut fairepressentir

nos conclusions à son

égard. La revue des manuscrits suffit à démontrer que, sui-

vant le sentiment de Mrs. MerrISeld, les vingt et unchapitres

en vers forment à eux seuls un traitécomplet,

dû à un seul

écrivain et antérieur à lacompilation

de recettes enprose

quiforme le 111° livre dans deux des manuscrits d'Eraclius.

Il n'est donc pas légitime d'interroger ces additions pour

déterminerl'époque

et lepays

où a vécu l'auteur dupoème.

Il fautessayer

de ne résoudre ceproblème qu'à l'aide des

recettes contenues dans ses deux cents vers.

Remarquons tout d'abord que ce sont les Byzantins, et

particulièrementles Grecs, établis en Italie

aprèsla lutte des

iconoclastes, qui ont exercé au moyen âge plusieursdes arts

industriels, la glyptique, l'émalllerle sur verre et surpoterie et

la dorure, dont il est question dans ces recettes. Outre les

monumentsqui

nous ont été conservés etqui appuient cette

opinion, nous avons sur cepoint

destémoignages

anciens. Le

Page 262: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

A.GIRY.224

moine Théophile, dont on doit placer l'existence vers le milieu

du xn° siècle, dit, dans sa préface, qu'on trouvera dans son

livre des indications sur l'emploi des couleurs et leurs mélanges

que pratique la Grèce (<~MK;<ptM~in ~NjeMorMMeo~r&c:g'eH<'n~Ms et

mixtwris /M~e<Gt'ecM) et, de fait, c'est à des Grecs que l'on doit

de nombreux manuels de C/~ograp/Mf le traité contenu

dans un manuscrit de Lucques, du vme ou du ix° siècle, dont

il a été question plus haut, écrit dans un mélange de latin

et de grec latinisé, qui a certainement pour auteur un grec

d'Italie, donne de nombreux détails sur la fabrication des

couleurs, particulièrement des couleurs végétales, et sur l'ap-

plication des ors à la peinture sur mur, sur bois, sur cuir ou

sur parchemin. On retrouve ses recettes versinées dans les

chapitres d'Eraclius, expliquées et précisées dans la Schedula

de Théophile et dans les autres compilations.

Théophile dit encore qu'il enseignera les diverses fabrica-

tions de vases, la sculpture des pierres fines et de l'os et leur

ornementation avec de l'or, que l'on pratique en Italie (~M!c-

quid in tMMFMMt~efS~N~e, seu g'emMMFMtKOSMMtKPe~CM&~Mra<:M~*0

~eeo?*<t</&i;?Mt); ailleurs, cependant, il attribue aux Grecs les

émaux dorés appliqués sur des vases de verre (liv. II, eh. xm

et xiv), ta fabrication des cubes dorés des mosaïques (ibid.ch. xv ) et les émaux qui décorent les poteries et les verreries

(!&ch. xvt); il dit que ce sont les Grecs qui fabriquent le

verre qui sert de fondant dans ces opérations, et le nomme

M<rMmg'recMMt; c'est le même verre qui est nommé à diverses

reprises verre romain (P:<rM)n romanum) dans Ëraclius; il re-

çoit le même nom dans une recette qui a trouvé place dans

le Liber ~uerMrMm artium du ms. de Montpellier, où il est dit

que la fabrication de l'émail sur poterie, qu'elle enseigne, est

un travail grec (opus ~MO~nzcne n:aj!s <nKa<GfecMt)~. On voit

combien l'art grec et l'art italien se sont trouvés confondus

pendant le moyen âge. On sait en outre qu'en dépit de l'opi-nion soutenue par M. Labarte (Histoire Jes af~stM~MS~e/s~ nouv.

Voy. entre autres dans le ms. grec aay5 de la Bibl. nat. des re-

cettes pour colorer des pâtes de verre, de faience et de porcelaine avecdes oxydes métalliques. Cet écrit est à peu près du vm* siècle, et pré-sente des anaio~tes nombreuses avec celui du ms. de Lucques.

C~a/O~Keg'MM'f!~MM(M!M.K'nf. t. Lp. 8o~t.

Page 263: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTICE SUH UN TRAITÉ DU MOYEN AGE. 225

i5

édition, t. t, p. i<)y), qui prétend qu'Eracliusn'a

parlé que

(F objets anciens qui ne se fabriquaient plusde son

temps,l'art

de laglyptique

s'estperpétué

en Occident au moyen âge, et

que les produits italiens ont une grande supérioritésur les

rares monuments présumés français, quelques signets 1, qui

nous sontparvenus.

Le titre du traité d'Eraclius n'est donc

pas menteur, et c'est de l'art italien perpétuantau xe siècle la

pratiquede l'antiquité à

peu près, qu'il nous livre les secrets.

Et maintenant, qu'étaitcet Eraclius? On

comprendra que

nous n'ayons pu songer à reconstituer, à l'aide de documents,

la personnalité d'un personnage aussi ancien, et que nous en

soyons réduit à son œuvrepour apprécier

cequ'il

a dû être.

Endépit

de sa prétention d'avoir expérimenté ou découvert les

recettes dont il donne les formules rythmées (niltibi seribo

quidem OMO~non

pr: ipse Nfo&aMeMï) et des !~M{ipse probavi

qui lui fournissent des fins de vers, nous ne le croironspas

surparole2. S'il avait été un artisan

gréco-romain, il n'eût

point écrit en vers un bon spécimen d'une œuvre de praticien

est lalangue

barbare et si curieuse du traité du ms. deLucques.

C'est bienplutôt

dans le cerveau d'un moine qui avaitplus

ou

moins fréquenté les artisans, quil'était

peut-êtreun

peu lui-

même, que pouvait germer l'idée de réduire en formules ver-

sifiées des recettes detechnologie.

Il apayé largement

son

tribut à la crédulité; certes, l'urine et le sang de bouc, s'il s'en

est servi, ne lui ont pointfacilité la taille des pierres fines,

et l'on ne sauraitappliquer l'expérience à la recherche des

procédés qu'il expose.II ne faudrait

pourtant point se hâter

de juger légèrement toutes ses recettes parce qu'elles sont obs-

cures, bizarres ou incomplètes. Pour les expliquer, il faut re-

Voy. le mémoire snr les Pierres grsHee.s employées dans les sceaux

f/Mmoyen âge que M. Demay a publié dans son Inventaire des sceaux de

/~4?'fo~ et de la Picardie, Paris, i8yy. M. Demay ne s'est pas prononcésur la question de l'abandon de la glyptique, mais vingt-cinq intailles

qu'il a trouvées dans les sceaux lui paraissent devoir être attribuées au

moyen âge. Deux de ces pierres font partie de sceaux du x" siècle et

trois de sceaux du xu°. Au commencement du xi" siècle, ie moine

Foulques, de l'abbaye de Saint-Hubert, passait pour très-habUe M in-

M'M'OM'&M.S/WMM. (DoCMMeK~inédits de .Be~rM~ t. VII, p. 3~6.)OmM'a ~ro&a<e!/M&em!M,dit de même et sans plus de raison l'auteur

de la /MM~M"c/a'MCM/a.(/tr<«M/M'M, XXXf, p. 213.)

Page 264: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

A.GtRY.~26

chercher à quelles sources il les a puisées, il faut les compareraux paraphrases des mêmes recettes qu'a données le compila-teur du Ille livre, aux recettes analogues que donnent Théo-

phile, Pierre de Saint-Omer, d'autres encore. La forme adoptée

par Eraclius ne prête guère à la précision; d'autres, heureu-

sement, ont ajouté à ces formules ce qui leur manquait, et

c'est en les comparant que nous pourrons en essayer l'inter-

prétation. Alors aussi, en interrogeant Pline, Vitruve, Dios-

eoride et les monuments, nous pourrons voir ce _que l'on peut,dans ces procédés, rapporter légitimement a la technique de

l'antiquité. Mais nous sommes forcé d'ajourner l'expositiondes résultats de cette étude à l'époque, peu éloignée, nous l'es-

pérons, où nous donnerons une édition et une traduction nou-

velles de ces différents textes.

L'emphase avec laquelle Eraclius parle du~temps où les

arts étaient florissants à Rome, le soin qu'il met à rappelerdes souvenirs romains empruntés à Pline, qu'il cite du reste

(Plinius auctor, ar<M qui scn~s:{ quas plebs fp)Na?!ap!'o&aM't),nous confirment dans la pensée qu'il était certainement Ro-

main, et qu'il ne manquait pas d'une certaine culture classique.Les allusions à la décadence profonde au milieu de laquelleil vit s'ajoutent à ce que nous indiquent les"procédés qu'il

expose, pour nous le faire placer au x" siècle. L'étude de sa

langue, qui est loin du latin classique, mais qui n'est pasnon plus, à proprement parler, la basse latinité, l'examen de

sa versification, où l'on commence seulement à sentir les rimes

et les formes qu'affectionnera le moyen àge\ conduisent à la

même conclusion.

Quant au troisième livre, c'est une compilation qui s'est

augmentée à diverses reprises. Elle contient des recettes de

valeur très-Inégale, quelques-unes plus anciennes, la plupartbien plus récentes que les précédentes. Il est probable que tout

d'abord ce troisième livre n'a contenu que les chapitres qui

expliquent ou paraphrasent les chapitres en vers (ch. i, n, iv,ix, x, xt) et quelques anecdotes empruntées à des auteurs an-

ciens, telles que l'histoire de la découverte du verre d'après

Voy. éd. de Ilg, pref. p. xu. M. Hg a relevé les rimes que Fou ren-

contre et compte ses vers léonins.

Page 265: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

NOTICE SUR UN TRAITÉ DU MOYEN ÂGE. 227

< 5.

Isidore(ch. v),

l'histoire de l'artisandécapité par

Tibère

pour avoir inventé le verre incassable(ch. vi), empruntée à

Pline(XXXVI, 66), et, en outre, quelques

recettes plus an-

ciennes. C'est àpeu près

tout ce que contient cette continua-

tion dans le manuscrit du Musée britannique, où je ne trouve

de recetteoriginale que celle, si

importante,relative à la

gla-

çure plombifère des poteries (ch. m) et le petit traité de fabri-

cation du verrequi

forme lechapitre vn, traité

quia été récem-

ment publié de nouveau etingénieusement traduit, ainsi

que

le M<:KMe/deThéophile, par

un verrier, M.Georges Bontempsl.

Toute cette première partie à pu êtreajoutée

vers le xn" siècle

et en Italie.Depuis,

comme tous les recueils de ce genre, la

compilation s'est grossie, probablement à plusieurs reprises

encore, avant de nousparvenir

tellequ'elle

est dans le manus-

crit de Jean le Bègue, et plusieurs des chapitres dont elle

s'estaugmentée

ainsi n'ontpu y être ajoutés, ainsi que l'a très-

bien vu Mrs. Merrineld et par les raisonsqu'elle

aexposées,

que dans la France du Nord et vers la fin du xin° siècle.

Deuaième livre ~&!s: sur f/tpe!'s arts par Tltéophile, prêtre et moine,traduit parGeora'es Bontemps. Paris, i8y6.

Page 266: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule
Page 267: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

SUR UN TEXTE

DE

LA COMPILATION DITE DE FRÉDÉGAIRE

RELATIF

A L'ÉTABLISSEMENT DES BURGUNDIONS

DAj\S L'EMPIRE ROMAIN,

PAR G. MONOD.

L'auteur de lacompilation

dite deFrédégaire 1, qui

était

probablementun moine de Saint-Marcel de Chalon-sur-Saône

etqui

écrivait entre 660 et 663 2, en transcrivant dans son

recueil lachronique

de saint Jérôme, ya intercalé

quelques

passages empruntésà des sources

perdues,les uns d'un ca-

ractère fabuleux, telsque

le récit surl'origine

des Franks

(dans Canisius, LectionesaK~M~

édit.Basnage,

t. II. I. II,

ch.III),

les autres d'un caractèreplus historique

etpuisés

dans

des.chroniques

ou des annalesplus

anciennes 3. Parmi ces

Cette compilation comprend 1° une série de notices chronologiques

connues sous le titre de Libergenerationis;

a° lachronique

de saint Jé-

rôme 3° la chronique d'Idace, suivie de quelques légendes sur Aétius,

Théodoric, Clovis, Justinien, etc.; ~° la chronique d'Isidore de Séville;

5° un abrégé des sixpremiers livres de Grégoire de Tours, connu sous

le nom d'Historia Epitomata;6° une

chronique originale s'étendant de

58~t à 6~1. Plus tard d'autres chroniqueurs ont continué cette œuvre

jusqu'en 768.

Voy. Brosien, KritischeC?:<er~McAMMa'

der Quellen der Geschichie des

/rœM~eAeM jEœ?M~ Dog'o&e?'< I; Gœttingen, 1868. -Revue critique;,

i8y3, t. II, p. a5y. G. Monod, Du lieud'oriffine de la

chronique dite

deFrédégaire,

dans leJa~~MeA/M?*

'Se/t~eMe)' Geschichte, t. III, 1878,

p. i3Q à i63. Le nom de Frédégaire n'offre aucune certitude.

Fondation de Lyon (dans Canisius, II, ch. xxxu); mort d'Archélaüs

Page 268: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

G. MONOD.230

derniers, le plus important est celui qui serapporte à l'éta-

blissement des Burgundions dans la Gaule.

A l'année 3 y s (0°année de Valentinien), là ou saint Jé-

rôme avait écrit «Burgundionum i,xxx ferme milia, quod nun-

quam ante, ad Rhenum descenderunt~, n le compilateur a mis

«Qui superfuerunt illo tempore Burgundionum octoginta'tfere millia, quot numquam antea nec nominabantur, ad

« Rbenum descenderunt, et ubi (MM. Berne ibi) castra posue-

«runt, quasi Burgo vocetaverunt, ob hocnomen(~. nomme)

« acceperunt Burgundiones (ibid. Burgundionis); ibique nihil

Kaliud praesumebant (le ms.de Berne ome< ce MM<), nisi quan-

Ktum pretium ementis (ibid. ementes) a Germânis eorum sti-

«pendia accipiebant. Et cum ibidem duobusannis (!6: duos

« annos) resedissent, per legatos (ibid. licatisunt) invitati Ro-

« manis vel Gallis qui Lugdunensium provinciam (ibid. pro-

Kvintia) et Gallea Comata (ibid. domata), Gallea Domata et

MGallea Cisalpina manebant (ibid. commanebant), ut jff~MfcfM

~~«Mtc~~ (t~. publice) potuissent rennuere, ibi~ cum uxo-

«res et libères (t~'J. uxoribus et liberis) visi suut consedisse. M

Tel est du moins le texte donné par D. Ruinaft et parD. Bouquets.

`

La première partie de ce texte, jusqu'à JeseeaJefMn~, est em-

pruntée au passage de saint Jérôme que nous avons cité plushaut. L'étymologie fantaisiste du nom de Burgundions, jus-qu'à nomen acceperunt Burgundiones, est tirée, avec quelques

modifications, du chapitre xxxn du livre Vil d'Qrose, qui lui-

même copiait la phrase de saint Jérôme, mais en la défigu-

à Vienne sous Tibère (cb, xxxm); tbndadond'Aveïidiesous Vespasien et

Titus (eh. xxxv~); dévastation d'Avenche par les Aiamaas (ch. xt.); éta-

blissement des Bu~undions en Gaule (ch. xLvi).Cf. Jahn, Die <SMcA!'eA<e~e)' BM~MN~tOMtt,1, p. a~i.

Ms. de Berne et C<:):MK<s.'a Romanis. B

CaHMt'Ks.'KprovinciaBet GaHiasdomita cisalpina ut tributaru. JahK.'

provinciaet GaHia comata et Gallia cisalpina commanebant. »

Cf:K.e( Ja/M (tptiMice.')C<!K.et ./n&tt

n ibique. Bc,

Can. et ,lalan tr ibique.Ruiuart, 6')'~wM Tïo'otMtM~o~eftt~ p. 707; N~o)'M)M~e FfaMec~

U,p. ~69.

Page 269: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

L'ÉTABLISSEMENT DES BURGUNDIONS EN GAULE. 23-1

rant et sans lacomprendre'.

La fin de laphrase,

très-obscure

d'ailleurs, nepeut pas,

comme l'asupposé

M.Binding~,

avoir

pour origineun

passagede Socrate dans son Histoire ecclé-

sio'~MMe~,mais se rattache

peut-êtreau

passage correspon-

dant del'Histoire Tripartite [1.

It semble en effetque

ce membre

dephrase signifie

Leur seule activité consistait à vendre

aux Germains et à recevoir ainsi d'eux de quoi vivre.

Enfin la dernièrepartie

du texte deFrédégaire

est tirée

d'une source inconnue, car c'estpar

uneétrange

erreur de

critique queM.

Binding yvoit une

paraphrased'un

passage

d'Orose, où cet auteurparle

des Romainsréfugiés

chez les

barbarespour

fuir les impôts impériauxUn

compi)ateur

du vi!° siècle eût étécomplètement incapable

d'inventer le fait

précis quiest ici

rapporté, d'aprèsun

passaged'Orose

quine

concerne mêmepas

les Burgundions,mais les Goths et les

populationsromaines

d'Espagne,et

quirelate d'ailleurs un

fait tout différent etpour

ainsi direopposé,

bienque pro-

tfburg'undionum quoquenovorum hostium novum nomen, qui

plus quam octogintamima, ut ferunt, armatorumripœ

Rheni fiuminis

insederunt. Hosquondam subacta interiori Germania a Draso et Tiberio

adoptivis filiis CœsarisAugusti per castra

dispositos,aiunt in magnum

coaluissegentem atque ita etiam nomen ex

opere prœsumsisse, quiacrebra

perlimitem habitacuia constituta, Burgos vulgo vocanL B Évidem-

ment Orose acompris que le quod MMM~tMM<tm<ede saint Jérôme voû-

lait dire queles

Burgundionsétaient inconnus auparavant, et notre com-

pilateur a reproduit l'idée d'Orose novorum /io~MMM novum mome~ en

disant quot K!<M~Ma?K0!<M MM !tomMM&6Mt<M~ où il se sert des termes

mêmes de saint Jérôme, en les détournant de leur sens. Geloi-ei ava~

simplementvoulu dire

que jusqu'alors lesBurgundions n'étaient jamais

venus jusqu'au Rhin.

Das B:<?'s'Mn~Mc/t-RomsKMc/te ~œK!g't'e<c/~ p. 10. note.

Liv. VM. ch. xxx O~TOt (Boupyou~'M~es) j3t0!' <xTp<x~~o~K ~o'~

SSt' TeXTOfSS yàp f7~S§~ 'Bm~TSS S:0't! xai SX T(XUt')ys j~fO'~Of ~.Ct~~Ct-

forTSs, ctTroTp~pofTCM. L'ouvragede Socrate n'était connu en Occident

au vn*' siècle que par i'B!s!o:e Tripartite où Cassiodore l'areproduit en

latin enl'abrégeant,

et en lemélangeant

aux Histoiresecc/M!'<M~MM de

Sozomène et de Théodoret.

Liv. XII, ch. tv ffisti vitam quietam agunt,et

pene omnes fabri

iignorum sunt, ex qua mercede pascuntur."»

Liv. VII, ch. xxxH ff Quidam Romani (inveniuntur) quimalint

inter barbares paupercni iibertatem. quam inter Romanos tributariam

servitutem." »

Page 270: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

G. MONOD.233 ~)

duitpar

les mêmes causes. H suSit d'étudier dequelle

manière

lecompilateur

aabrégé

etinterpolé Grégoire

de Tours dans

l'NM&M'MEpitomata, pour

réfuterl'opinion

de M.Binding.

Dans le textequi

nousoccupe,

ily

aquelques mots qui

sont

probablementde lui c'est d'abord l'indication

chronologique,

cMm ibidem duobus annis resedissent, qui,comme nous le ver-

ronsplus bas, est certainement inexacte; et en second lieu

l'énumération desprovinces

de la Gaulequi appellent

les

BurgundionsGallea Comata, Gallea DoMta~ et Ga~a Cisal-

BMM,énumération toute de fantaisie, œuvre d'un homme

qui

ne saitpas

au juste le sens des motsqu'il emploie~;

mais le

reste du passage est certainement un texteemprunté

directe-

ment àquelque

source antérieure. L'auteur de lacompilation

dite de Frédégaire n'est ni un falsificateur ni unamplificateur

de textes; il n'a niimagination inventive, ni

prétentionslitté-

raires. Il est facile de déterminer dans son œuvre cequ'il

ra-

conte comme témoin oculaire, cequ'il emprunte

à des sources

orales cequ'il

transcrit de documents antérieurs. Ces docu-

ments, en dehors deslongues chroniques qu'il

transcrit ou

abrège,saint Jérôme, Idace, Isidore, Grégoire,

sont exclu-

sivement des annales écrites en Burgundie.Le caractère même

desimplicité

et deprécision

dupassage qui

nousoccupe

nous

permetde croire

qu'ilfaisait

partiede ces sources annalis-

Les Lyonnais, dont i) est ici question, se trouvaient dans la Gaule C/!p-

velue; aucunepartie

de la Gaule n'a jamais reçu le nom de Gaule Dom~ec,

et lesBurgundions

n'ont jamais occupéaucune partie de la Gaule C!'M~-

pMte. Onpourrait

croire que le chroniqueur, songeant au royaume de.

Burgundie tel qu'il a existé sous Gondebaud et sous Je roi Frank Gontran,

appelle Gaule Dom~fe'ela Province romaine, Gaule C/Mt'e&M te_paysau

nord deLyon qui fut occupé par les Burgundions jusqu'à Auxerre, e!:

CMs~MS le pays entre le Rhône, la Durance et les Alpes. Au cti. <x de

}'ZfMt..Ep:t. il traduit en effet le trans /o<&MMM M!'<<Ht<M de Grégoire

de Tours (II, x) par M~eK<M M Cisalpinis.

Ce qu'il emprunteaux traditions orales est peu

de chose, même

pour les temps rapprochesde lui. Les

légendes quise trouvent dans son

recueil à la suite de la chronique d'Idace avaient probablement cté écrites

avant )ui, et le récit fabuleux sur l'origine des Franks se trouvait proba-

blement dans le texte de lachronique

de saintJérôme qu'H

avait sous les

yeux. C'est pour cela que dans l'Historia .E~foMMh:il dit (ch. u) «De

Francorum vero regibusbeatus

Hieronymus, qui jam oiim fuerant,

scripsit.

Page 271: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

L'ÉTABLISSEMENT DES BURGUNDIONS EN GAULE. 233

tiques burgundes dont il est aisé de reconnaître la présence

dans les autresparties

de la compilation

Voyons maintenant quel sens il faut attribuer à notre texte,

qui,réduit à ses éléments essentiels, est ainsi conçu (en

le ci-

tant toujours d'aprèsles éditions suivies jusqu'ici par tous les

historiens) per legatosinvitati Romanis vel Gallis qui Lugdu-

KeK~MtMBfOïXKCtaM manebant, ut tributarii SM&C<B potuissent re-

nuere, ibi cum uxores et liberes visi sunt consedisse.

M. Binding a été seul à refuser à ce texte toute impor-

tancehistorique,

enn'y voyant,

comme nous l'avons dit,

qu'une paraphrased'un passage d'Orose qui n'a nullement le

même sens. Tous les autres historiens s'en sont servis, mais

ils sont loin de l'avoir tous interprété de la même façon.

Comme il est très-diGicHe de le traduirepar

un mot à mot

exact, chacun des historiens aadopté

le sens leplus conforme

à la conception qu'il se faisait de l'établissement des barbares

dansl'empire

romain. Or, laplupart

d'entre eux ont été d'avis

que les Burgundions se sont établis en Gaulepar

suite d'un

accord à l'amiable avec les Gallo-Romains, qui, écrasés d'im-

pôts,aimaient mieux

partagerleurs terres avec les barbares

quede continuer à subir les charges intolérables

queleur

imposait l'Empire.C'est

l'opiniond'Adrien Valois 2, de Forel~,

de Gingins la Sarraz~ de Valentin Smith~deWietersbeim'

Mais d'autres écrivains, Dubos~, Würstemberger8,et en der-

nier lieu M. Fustel de CouJanges' n'ont voulu voir dans les

Voy. Brosien, op. cit., p. 3o-3~.JaA)'~Me/~r5eAw. Gesch., p. i5i.2

Rerum ffSMCtearMmlib. 111, c. ir rrQuos [Burgundiones] Fredesariusait per legatos a Romanis vel Gallis provincis! Lugdunensis ac GalHas

ComatcB, gravium et intolerabilium tributorum onere oppressis, invitâtes

Rhenum transisse et in Gallia cum uxoribus et liberis consedisse. n

/~eg'M!ededocuments relatifs à l'histoire de la &H&Mromande. Introd.,

[). XXVft.F~Mt sur Ms&MeMeMf des ~Mr~MK~e.!dans la Gaule, p. aïo, dans

les MeM<M?'Mde ~4ea~emM de Turin, t. XL, p. a.

Notions historiques sur les BMt'a'MM~~ p. 8a, dans ia TPeoMe~K Lyon-

)MM, l86o.

Ge~cAM/<<e~<'?'Fa~M'NMM~enMg', t. I, p. 65.

Histoire critique de la ?KOt:areAM_/r<:Mem~, t. I, p. i6i-i65; If,

p. 181 et suiv.

GMe/McA~f/e~ a&e)t ~H«~c/M</<~<f<~ t. t, p. 168, !()(), aoi.° ?.!<. f/M ~M<~H<MMancieHHMf/e ~t Fra~ce~ p.ëdit. 1.1, 2oi.

oHist. rles f~tslitutio`as anciennesdc la hr·ance, 2' édit. t. I, p. 6oo-6oi.

Page 272: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

G. MONOD.2Mit

Burgundions que des vaincus, puis des allies de l'Empire, éta-

blis par les empereurs mêmes sur le sol romain et soumis à

des redevances d'une nature particulière. Dubos ne cite point,il est vrai, le texte qui nous occupe, n'ayant point trouvé, sans

doute, le moyen d'en accommoder le sens à son système; mais

M. Würstemherger, sans en donner le mot à mot~ y a vu queles Burgundions étaient appelés en Gaule ut ~M~ftt, comme

tributaires, comme colons soumis à une redevance. M. Fustel

de Coulanges a soutenu la même thèse; tout en faisant remar-

quer l'obscurité de la phrase, il dit qu'un seul mot en parait

certain, le mot ut &&M~?'M~qui ne peut, d'après lui, se rappor-ter qu'aux Burgundions et non aux Romains. Il en, conclut queles Burgundions étaient des colons tributaires'.

M. Jahn dans son ouvrage récent sur l'histoire des Burgun-

dions, a cherché à expliquer grammaticalement cette phraseobscure 2. Il a soutenu que, ~M~arM signifiant <:ceux quiétaient soumis à l'impôt personnel (~o~/s~Me)'eAhg'<'M)3, par

opposition à ceux qui payaient l'impôt foncier (Cran&feMMy-

j~cA&jem), etreMMere pouvant, d'après lui, être pris dans un

sens absolu pour dire refuser les impôts a, on devait traduire

«appelés par les Gallo-Romains de la province de Lyon, sou-

mis à l'impôt personnel, qui voulaient cesser de le payer, ils

s'y établirent avec femmes et enfants. »

Malheureusement cette interprétation de M. Jahn, en dépitde ses renvois à Savigny et à Troya, et au G7oM<:f!M)KKOMM'CMM

du code Théodosien~- est bien tirée par les cheveux; et surtout

Loc. cit. M. Fustel de Coulanges, qui cite M. Jahtt, ne parait pasavoir attaclié d'importance aux fortes raisons par lesquelles

celui-ci ré-

voqueen doute )a date assignée par Frédégaire

à cetappel

des Ga)Io-

Romains. it admet qu'il eut lieu en 872. Dans sa première édition il avait

donné comme tiré de D.Bouquet (U, t6a) un texte dont la clarté ne

laissait rien à désirer, mais qui ma}heureusement ne se~trouve ni dans

D. Bouquet, ni dans aucune édition ni aucun manuscrit <t.per le-

gatos invitati a Romanis vel Gallis qui Lugdunensett) provinciam mane-

bant, ut tributarii cum uxoribus et liberis consederunt.!)

I, a58.

Ed. Ritter, t. VI, aoo. Le G&MMH'Mmrenvoie au Xt, titre 36, où

t'on trouve en eHet le mot fMMMre dans le sens de refuser une dette,

mais ~e&~MM est exprimé, et jamais reKMO'c tout seul n'asigniSé

!'e/tMC?' les :M/)0'

Page 273: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

L'ÉTABLISSEMENT DES BURGUNDIONS EN GAULE. 235

il a été mal inspiré en repoussant comme inadmissible ja cor-

rection sisimple proposée par M. Binding, qui

voulait lire

tr~M~: re!~MMt'c<p au lieu de <n7'M<an'MM!c~ et en prétendant

que Frédégaire n'auraitpas employé

le mot re~MMtc~ mais

le motimperii pour désigner l'empire

romain. Ignore-t-il

quedu ve au vu" siècle tous les écrivains latins

emploientle

mot re~M~ca pour désigner l'E~~ et en particulier l'empireromain~ ?

M.Binding, en proposant cette excellente et nécessaire cor-

rection, M. Jahn, avant de torturer le texte pour luiimposer

un mot à mot qu'ilne

comporte pas,M. Fustel de Coulanges,

avant d'aSirmer si péremptoirement que le mot tributarii est

le seul mot certain de laphrase

et serapporte

auxBurgun-

dions, auraient dû recourir aux manuscrits ou plutôt au seul

manuscrit qui fasse autorité, au manuscrit10010

du fonds

latin de laBibliothèque

nationale de Paris, leplus

ancien

comme leplus complet

et le meilleur de tous~. Voici cequ'ils

y auraient lu, écrit avec une nettetéparfaite,

au verso du

folio 58

~In illo tempore Burgundionum octoaginta fere milia quod

snunquam antea nec nominabantur ad Renum discenderunt

Ket ubi castra posuerunt quasi burgo vocitaverunt ob hoc

«nomenacciperunt Burgundiones; ibique

nihilaliudpraesu-

~mebant nisi quantum praecium ementis a Germanis eorum

« stipendia accipiebant; et cum ibidem duobus annis resedis-

Ksentper legatis invitati a Romanis vel Gallis

qui Lugdunen-

~sium provinciamet Gallea comata, Gallea domata et Gallea

Prosper, Chronique, Theodosioxvn et Festo. Grégoire de Tours,

II, 3. Frédégaire, Chronique, ch.xxni. Continuateur de Frédég'aire,ch. cxx. Jonas, ~'(a S. Jo/iMM!M, ch. xti; Af<r<!c.S. Joh., ch. iv.

!<<! S. jE'g' t, 3-2.

Les deux mss. ies plus complets de Frédégaire sont celui de

Paris io()io et celui de Berne 318. Mais celui-ci est d'un siècle et demi

postérieur, il est moins complet et beaucoup plus fautif. Les leçons quenous avons données pour le passage qui nous occupe le prouvent à elles

seules. M. Fustel de Coulanges parie du manuscrit de f)'M~Mre sans

autre indication, comme s'il n'y en avait qu'un seul, et il s'agit, dans sa

pensée, de celui (le Berne, Ils sont, au'contraire, assez nombreux, mais

le ms. de Paris t0f)) o est seul presque contemporain de l'auteur de la

compilation; il date des premières années dn vu~ siècle.

Page 274: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

G. MONOD.236

xcesalpina manebant Mf~'&Mta î'e~MM!'c(p potuisscnt rennuere,

« 11)1cum uxores et liberes visi sunt consedisse. o

Le sens de la dernière partie de ce texte n'offre ici aucune

dimculté «Les Burgundions, appelés par les Gallo-Romains

de la province de Lyon, qui voulaient secouer le fardeau des

impôts impériaux, s'établissent dans cette province avec leursfemmes et leurs enfants. »

En faisant abstraction des indications chronologiques et

géographiques ajoutées par le compilateur et des formes M~o~es

et liberes, où se manifeste l'ignorance des flexions casuelles

commune aux écrivains du vn° siècle, cette phrase a toute l'ap-

parence d'un texte de chronique du v" siècle Per ~'a~os invi-

tati a Romanis vel Gallis qui LM~MM&H~Mmprovinciam manebant,

M<&K&! ?'e:pM&/<cae~o~M!sseM<renuere, ibi cum uxoribus e<&M

visi szcnt consedisse.

A quelle époque se rapporte ce texte? M. Jahn, dans le

livre que nous avons déjà cité, livre que sa confusion et sa

lourdeur rendent difficile à lire, mais qui est néanmoins dignede la plus sérieuse attention par l'abondance de l'érudition et

la solidité de la critique, nous parait avoir résolu la questionde la manière la plus satisfaisante.

Les Burgundions, qui se trouvaient, depuis la fin du ju° siè-

cle, dans la Germanie occidentale, dans le voisinage des Ala-

mans 1, vinrent pour la première fois jusqu'au Rhin en 3yo,

appelés par Valentinien le' pour combattre ce peuple, quime-

naçait l'empire 2. C'est à cette expédition que se rapporte évi-

demment le passage de saint Jérôme que nous avons cité au

début de ce travail, et qui semble signifier que les Burgun-dions vinrent s'établir sur la rive droite du Rhin; mais la date

est mal indiquée. Saint Jérôme place le fait à l'année 3 y A et

à la neuvième année de Valentinien, qui est 3~2. Ces données

ne s'accordent pas entre elles ni avec Ammien, qui doit évi-

demment avoir ici la préférence. Orose suit Saint-Jérôme,

Voy. Mamertin, PanM-y~Mede .tVa~HNMMHm'CM/e,ch. v. Am-

.uicn MarceUm. XVMI. a; XXVHI, 5.

Ammien, XXVIII, 5.

VU. 3 a; t'~e ,s'M~r< n. a 3 y.

Page 275: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

L'ÉTABUSSEMENT DES BURGUNDIONS EN GAULE. 237

mais il ditplus expressément que lui

queles

Burgundions

firent un établissement sur le Rhin'. C'est ici que Frédégaire,

aprèsavoir

reproduitsaint Jérôme et Orose, ajoute

lepassage

qui fait l'objet de notre étude et qui n'est évidemment pas à

saplace, puisque

aucun texte neparle

d'un établissement des

Burgundionsdans la Gaule au me siècle.

°

Aprèsavoir pris part

à lagrande invasion de la Gaule en

Aoy~,les Burgundions passent

en t 3 sur la rive gauche du

Rhin3. Ils'agit ici, comme l'avait

déjàvu dom

Bouquet(I,6a5),de la

partiede la

premièreGermanie

quiest le théâtre de la

première partiedu

poèmedes

/V!e~e/MK~'eK_,le

pays de Worms

et de Spire. Ce fut Ataulphe et Constantin qui, après avoir

battu Jovin, durent établir là les Burgundions, à titre de fé-

dérés, pourdéfendre le

passagedu Rhin. Ce n'est

pasà cet

établissement que peut se rapporter le passage de Frédégaire.

Les Burgundions ne tardèrentpas

à vouloir étendre leur

territoire; mais leur ambition fut durement réprimée, d'abord

parla défaite

qu'Aétiusleur infligea en ~35, puis par le dé-

sastre, plus complet encore, que les Huns, auxiliaires d'Aétius,

leur firent éprouver en ~36

Aétius jugea utile detransporter

la nation vaincue dans

l'intérieur de la Gaule, sans doute pour ne pas la laisser en

contact avec les Germains, et pour lui donner des terres à cul-

M. Jahn (I, p. a3y et suiv.) croit qu'il n'y eut pas d'établissement.

et qu'Orose a mal compris le texte de saint Jérôme quand il a écrit r<p~

/~6M!MKMM'.sMM~en<M<.Pourtant, le texte de saint Jérôme :jBM?'g~<t:<Ko!M<)Kt~jr~ ferme milia ad Rhenum descenderunt, semble indiquer le dé-

placement d'un peuple plutôt qu'une expédition militaire faite à la de-

mande de l'empereur. L'expédition de 3yo peut très-bien avoir eu pour

conséquence en 3ya une émigration des Burgundions vers l'Ouest. On

s'étonne seulement qu'Ammien n'en eût rien dit.°

Saint Jérôme, lettre i23. Orose, VII. 38.

Prosper d~Aquitaine, CAroM. /n3 rfBurgundiones partem Gainas

Rheno propinquam obtinuerunt. B

Prosper d'Aq. ~35 ffGundicarimu, Burgundionum regem intraGal-

lias habitantes, Aetius bello obtrivit pacemque ei supplicanti dedit; quanon diu potitus est. Siquidem iHum Hunni cum populo suo ac stirpedeievenmt." C7<r<MH'c<Ktimperiale, dit de Prosper Tiro, ~36 trBe!!um

contra Burgundionum gentem memorahue exarsit, qno univers pene

gens cum rege perAetium deieta.- –Idace, C/ox. ~t3G-3y 'rBurgun-dionum ca'sn viginti miiia.

Page 276: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

G. MONOD.~38

tiver, comme il avait fait pour les Alains en ~f/to~. Il établit

donc en &A3 ce qui restait de la nation burgunde en &MK~:e

(d'où &M'o!e), c'est-à-dire dans le pays montagneux qui s'étend

entre le Rhône et Genève au nord jusqu'à la Durance, mais

sans leur rien donner du territoire de Lyon ni de la Viennoise 2.

11 ne peut être ici question d'un appel de populations dési-

reuses de secouer le joug de Rome; ce n'est donc pas à cet

établissement en Sapaudie que peut se rapporter le texte de

Frédégaire.

Les choses changèrent singulièrement en Gaule pendantles années qui suivirent. Aétius survécut peu à sa brillante

campagne contre Attila, dans laquelle les Burgundions lui

servirent d'auxiliaires3.. Il mourut en AS~t.Valentinien III le

suivit dans le tombeau le t mars 45&. Maxime fut tuéaprès

cinq mois de règne, et Avitus se fit proclamer empereur en

Gaule. Les Burgundions sortent alors du r6le subordonné

qu'ils avaient joué jusque-là. Leurs rois Gundioc et Chilpéricsont les alliés de Théodoric II, roi des Wisigoths, et d'Avi-

tus, contre le roi des Suèves Réchiaire~; et lorsque Avitus,

abandonné par les Goths, est battu par Ricimer le ly oc-

tobre &56, puis tué, les Burgundions profitent de l'anarchie

qui éclate dans l'Empire pour étendre leur domination dans la

vallée du Rhône. Marius nous dit à l'année ~56 <Eo anno

Burgundiones partem Gallise occupaverunt, terrasque cum

Gallis senatoribus diviserunt;~ et le continuateur de Prosper

(CoHt. NaMH'eKSM)écrit, à la date de &5'y «Gundiocus, rex

Burgundionum, cum gente et omni prœsidio, annuente sibi

Tbeuderico ac Gothis, intra Galliam ad habitandum Ingres-

sus, societatc et amicitia Gotborum functus. MC'est évidemment

entre la défaite d'Avitus et l'avènement de Majorien, accompliseulement le i"' avril &5y, que les Burgundions étendirent

leur domination en Gaule et s'établirent dans, le pays des

Lyonnais, non plus avec l'aide de l'Empire, mais avec celle

C/M'oM'cMMHpcn'a/e, 440 «Déserta Vatentinœ urMs t'm'a Alaais

partiendatraduntur."CAt'o! imp. &~3 ftSapaudia Burgundionum retiqaiis datur cum

indigents dividenda.rn

Jordanis, De re&M~Geticis, ch. xxxvt. Le~c B~M~MSMM,XVÏt, i.

Jordanis, ch. xnv. Idace. a. &56.

Page 277: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

L'ÉTABLISSEMENT DES BURGUNDIONS EN GAULE. 239

des Wisigoths et des Gallo-Romains. Aussi Majorien, quandil

passe lesAlpes

en A58pour

faire reconnaître son autorité

en Gaule, est-il obligé de commencerpar

soumettre la ville

de Lyon révoltée~. Là se trouvaient en effet ces Gallo-Ro-

mains qui, lassés des impôts, avaient appelé les Burgundions.

C'est à cette extension de la domination burgunde que s'ap-

plique le passage de Frédégaire. C'est le seul moment de l'his-

toire des Burgundions auquelil puisse s'appliquer.

Ne recon-

naît-on pas aisément, dans les GaMiet.RoNMNM qui appellent les

Burgundions pour échapperaux officiers du fisc

impérial,les

sénateurs gatilois dont parle Marius, et qui partagent leurs

terres avec les barbares~?A partir de ce moment d'ailleurs, bien

queles Burgundions

reconnaissenttoujours

lesuprématie

de Rome, leur domina-

tion change de caractère. Ils ne se tiennent plus dans laposi-

tion humble et effacée qu'ils occupaient au temps d'Aétius.

Chaque année, ils étendent leur territoire, au delà du Jura,

dans la Viennoise et dans le bassin de la Saône. Ils de-

viennent bientôt des maîtres impérieux et gênants pour ces

Gallo-Romains qui les avaient appelés comme des libérateurs;

ils soumettent les terres à cespartages, souvent onéreux, dont

nous parle la Loi f/es Burgundions, et Gondebaud se trouveplus

tard obligé d'adoucir le joug queses

compatriotes, entrés sur

le territoire del'Empire

en vaincus et en colons, mais bientôt

devenusconquérants

et dominateurs, faisaient pesersur la

population Indigène~.

Sidoine ApoHinaire, CsrmtMa, V, XIII. M. Fustel de Coulanges dit

dans sa première édition (Hist. des Instit., I, p. 358) que les Burgun-dions servirent avec zèle l'empereur Majorien et reçurent en récompensela province qui s'appelait première Lyonnaise. Il ne cite aucun texte à

l'appui de cette aflirmation, qui me parait contredite par les dates. Dans

sa seconde édition, il dit simplement que Majorien, Anthémius, Gtycé-rins, tes récompensèrent (p. ùo6 ). Dans les deux éditions, l'établissement

de &56-5y est passé sous siienëe.

Ce sont probablement tes se')M<eM's, les curiales, les propriétairesfonciers, qui appelèrent les Burgundions, et non les gens du peuple sou-

mis seulement à la capitation, comme le voudrait M. Jahn, se fondant

sur le mot h't'&M~n!

Grégoire de Tours, tt, 33 'rMitiores teges Romanis instituit.~

Page 278: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule
Page 279: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

t6

DU RÔLE

DES LÉGATS DE LA COUR DE ROME

EN ORIENT ET EN OCCIDENT

UUIV"AU)X''S!ÈCLE',

PAR JULES ROY.

Hien dans l'éternelle transformation

<!es choses ne s'improvise.

V.DcnD!,HM(.~7!omm;)s,V,A8t.

Le mot/egv~Ms~

dans le sens où nous l'entendrons ici, en-

voyéd'un

gouvernementà un autre

gouvernement,ambassa-

deurpublic, plénipotentiaire,

se trouvefréquemment

dans les

auteursclassiques

des RomainsK Legati responsa

ferunt.

Legatusubi ad fines eorum

pervenit.Dictatore

Syllale-

gatusad Senatum de Rhodiorum

prœmiisvénérât~ n

Ce titre est donné aux ambassadeurs engénéral,

soit à

ceuxque

Rome envoyaitdans les

pays étrangers,soit à ceux

queles

princes étrangers envoyaientà Rome. Il est donné

aussi à certains fonctionnaires, dont il est à propos derap-

pelersommairement les attributions.

Cf. ~oMaHOf«Mpon~cMM epistolce, ed. Constant, Thiel, Migne,

Patrol. lat. Collections des coKCt~e~ Mansi, Hardouin, Labbe.

Héfélé, Histoire des conciles. P. de Marca, De concordia &K:e~o<a et

Imperii,lib. V. Thomassin, Ancienne et nouvelle

discipline de l'Église,édition française de 1670. Paul Hinschius, Das ~'t?'e~e)t~ecA< der

~a~oKA~M und Pro<M~MfeK in De:<~c/~sKa'. Erster Band &6M des

&a<Ao&~c/iM! ~M'cAeMt'ec~~ NM<besonderer RücksichtOM/'De«~cA~:MS'~ Ber-

lin, 1870. -Ferdinand Walter, Ze/t~&MeA des ~rc~M?'M&~ aller christ-

lichen Co!eM:ot:eH. Vierzehnte Ausgabe, Bonn, i8yi.

Virg., A., XI, v. aay. Livius, 1,32. Cie., De c&M-. 0!'a<

c. xc.

Page 280: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

JULES ROY.M2 I-)

Sous la République, les proconsuls des diS'ércjutes provincesavaient, des lieutenants qui portaient le titre de ~a'M'MOM-y~/s. Sous l'Empire, les provinces furent divisées ça deux

''lasses provinces du Sénat et provinces de l'Empereur; et,

tandis que les gouverneurs des premières conservèrent le titre

de proconsuls, ceux des secondes, dont l'Empereur était le

véritable proconsul, ne prirent que le titre de lieutenants de

l'Empereur, ~eg'a<!~t~Msft ou C<pMt's.

11 v avait dans cette organisation de précieux éléments de

centralisation monarchique, qui devaient survivre a l'invasion

des barbares et à la dissolution de l'empire romain. L'Egliseles recueillit et les appropria à son administration, comme

elle sut, dans la morale et dans le culte, sauver d'autres élé-

ments conformes à sa nature et à son esprit, et qui lui ser-

virent à entrer au cœur des populations et à l'incliner douce-

ment vers elle. Aussi Walafrid Strabon put-il, au ix° siècle,

rapprocher les titres portés par les dignitaires de l'Eglise des

titres portés par les dignitaires de l'Empire, comme Tertullien,

saint Justin, Minucius Félix, Clément d'Alexandrie, saint

Augustin, avaient si souvent rapproché, dans les siècles précé-

dents, les principes des chrétiens des principes de la philo-

sophie païenne Le parallèle de Walafrid Strabon mérite

d'être rapporté ici, au moins dans ses traits essentiels ~Circa

harum calcem rerum placet inscrere quamdam SiBcnIarium

atquR ecclesiasticarum comparationem dignitatum.

Omissis ergo incertis, quœ notiora~sunt invicem

comparemus, ut ostendamus ordinationes mundanœ sapientiaein spiritalem Ecclesiœ universalis rempublicam sacris distinc-

tionibus commutatas SicutautenigensRoma-norum totius orbis monarchiam tenuisse fertur~ ita summus

pontifex, in sede Romana vicem beati Pétri .gerens, totius

Ecclesiœ apice sublimatur. Similiter in-

telligendum de principatibus sseculi, quod quamvis in diversis

orbis partibus per tempora sua fulserint, tamen ad jus Ro-

manum, quasi unum apicem, postremo omnËS peenc rclati

sunt'2. M Ensuite l'auteur compare le pape à l'empereur,

Cf. Duruv, Histoire des RoMMMts,tome lit, p. aaa sqcr.; tome V.

)). ~79 sqq.

t'P'«~?'. 5<a~. opM'< cd. M)gne, t. I!, col. g63 sqq.

Page 281: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

DES LÉGATS DE LA COUR DE ROME. 243

tes patriarches aux patrices, les métropolitainsaux ducs, les

évoques aux comtes, en un mot tous les membres de la hié-

rarchie cléricale aux membres de la hiérarchie administrative

del'Empire.

De ceparallèle,

dont plusieurs parties sont con-

nrmées par letémoignage

despapes et des conciles et par

plusieurs textes des capitulaires, il résulteque l'Eglise ne rêva

pointle

brusqueet violent renversement de l'ordre de choses

établi au moment où elle s'organisait, qu'elle adopta le cadre

de l'administration romaine, et.qu'elle maintint une certaine

correspondanceentre les

dignitésciviles et les

dignités ecclé-

siastiques,entre les

provincesciviles et les

provincesecclésias-

tiques, entre les cités et les diocèses. C'est unpoint acquis

à

la science, et sur lequel Guérard1

accumulé les preuves

lesplus convaincantes; aussi je n'insiste

pas,et je ne reviens

à Walafrid Strabon que pour détacher de sonparallèle le trait

relatif au pouvoir du pape ~Summuspontifex

totius Ecclesiae

apicesublimatur!n

Cette idée de laprééminence religieuse de Rome, que

Walafrid Strabonexprime

dans cepassage,

s'était formée et

développéesous l'influence de causes diverses, et, sans songer

a faire ici l'histoire de sesprogrès, je me contente de

rappeler

qu'au v° siècle elle étaitacceptée

desempereurs

d'Occident.

Un curieux rescrit de Valentinien III, rendu à l'occasion d'un

conflit entre saint Hilaire et Léon le Grand, nous fait com-

prendre quelleétait

déjàla

puissancedu

pontificat romain,

jusqu'à quel point même il était maître du pouvoir civil

~Certum est et nobis et imperio nostro unicum essepraesi-

dium insupernaa

divinitatis favore, adquem promerendum

prsecipuechristiana fides et veneranda nobis religio sunraga-

tur. Cum Igitur sedisapostolicae primatum

sancti Petri meri-

tum qui princepsest episcopalis coronae, et Romanse dignitas

civitatis, sacras etiamsynodi firmarit auctoritas, ne quid

prêter auctoritatem sedis istius illicitapraesumptio

attentare

nitatur; tune enim demum ecclesiarumpax ubique servabi-

tur, si rectorem suumagnoscat universitas. His talibus et

contraimperii majestatem

et contra reverentiamapostolicae

Guérard, Essai sur le système des divisions territoriales de la Gaule

depuis /~g'e ?'oM<HyM~<! &:j~M:de /<: ~y:n.!f:e cfir/ootMg'ieHne. Paris,

imprimerie Royale, 1832 in-8°.

i(i.

Page 282: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

JULES ROY.2M

sedis admissesperordinem religiosi viri

urb!s papae cogni-

tione decursa certa in eum(Hilaire d'Arles) et dehis quos

male ordinaverat, lata sententia est. Et eratquidem ipsa sen-

tentiaper Gallias etiam sine

imperiuli sanctione valitura.

Quid enim tantipontificis

auctoritati non liceret? Sed. nos-

iram quoque praeceptionem bœc ratioprovocavit ncc oj.tcrms

vel Hilario, quemadhuc

episcopum nuïicupan so!a mansuct)

praesulis pcrmittit humanitas, nec cuiquam alteri Itceat eccle-

siasticis rebus arma miscere ~ut prœc~ptis Romani antistitis

obviare. Ausibus enim talihus fides et reverenila Hostri vio-

latur imperii.Née hoc solum

quodest maximi crimints sum-

movemus, vcrum ne levis salteni inter ecclesias im'ba nascatur

vel in alifpiommut religtonis disciplina videatmY hac pcrcnni

nanctione decernimus ne quid tam episcopis gaUtcanis quam

aliarum provulciarum contra consuetudineni veterum Hceat

sine viri venerabiils papseurbis seternae auct9E~i.ta<.e.,tsptarG.

Scd hoc iUts omnibusquc pro legcsit

quiequidsanxit vcl

sanxerit apostoliCBe sedis auctoritas, ita utquisquis episco-

porum ad judicium-Romaniantistitis vocatus e~enire negicxe-

nt, permoderatorcm ejusdem provincig~ adesse cogaLur, per

omnia servatisquse divi parentes nostri Romanae ecclesia~ de-

tulerunt K

Bien des années avant que ce rescrit vint consacrer la pri-

mauté de t'EgHsc romaine en Occident, le pape avait travaillé

à l'établir et à la faire reconnaîtreappuyé

d'unepart

sur le

texte évangéliqueTu es Petrus, d'autre part

sur la croyance

générale parmi les chrétiens, qui plaçait à RoHie et sous Néron

la mort des deuxprincipaux apôtres de la religion, il avait fait,

sentir son action dans les assemblées lesplus solennelles de

la société chrétienne, et dansplusieurs parties

del'Empire;

et pour établir promptementune nouvelle suprématie romaine,

il avait emprunté au gouvernement des Césars~un des moyens-

les plus propresà fortifier l'action du

pouvoir central;il en-

voyaitdes légats dans tout l'Occident comme dans tout l'Orient,

et il étendait partout son influence au moyen de missions tem-

porairesou

permanentes.Comme les Césars, jl avait des re-

présentants directs dans les diocèses de l'Empire, intermé-

'Yot). F~eH<MM'<MMJ/ ht. 16, ed. Haenel, p. i~a.

Page 283: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

DES LÉGATS DE LA COUR DE ROME. 2&5

(Maires dévoués entre le Saint-Siège et les évéques, investis

d'une autoritéplus

ou moins considérable, préoccupés par-

dessus tout de faire observer les commandements du maître

qui lesdéléguait.

Ceslégats

furent assurément, au moins en

Occident, l'un des principaux instruments de la grandeur de

l'Eglise romaine.Cependant

ils sont loin d'avoir eu à l'origine

l'influence qu'ilsdevaient avoir au

temps de Walafrid Strabon,

l'attitude d'unpouvoir incontesté telle

quel'auront les légats

dupape

Nicolas 1~. Leur situation, pendant plusieurs siècles,

ne présente rien d'uniforme, de fixe elle est d'abord très-

modeste et très-limitée; puis elle s'élève et sedéveloppe peu

a peu, ainsi que la papauté elle-même, dont elle suit les vicis-

situdes en Orient comme en Occident.

Aussi loinque

les textes historiques oucanoniques nous

permettent de remonter, nous trouvons deux sortes de délé-

gués du papeles uns

temporaires, les autres permanents;ceux-là, N!!6'.s<,Nï:ss! ~osto~ca? M~s, legati, sont munis de pou-

voirs particuliers pour chacune de leurs missions; ceux-ci,

tricarii aNo~o/tc<-e sedis, ~oensMtrM, responsales,ont des attribu-

tions plus générales~. Dans laplupart

des cas, du iv" au

ix'' siècle, ce sont des prêtres, des diacres et des sous-diacres

qui remplissentles fonctions de légats; elles sont aussi confiées

a des abbés, souvent à desévoques, principalement

àpartir

du vin" siècle; quelquefoisà de

grands personnages laïques,

consuls, ducs, maîtres de la milice; ou a desimples employés

de la Courpontificale, clercs, notaires, bibliothécaires.

Dans les décrétâtes, par conséquent dans le langage officiel, les

légats sont appcfes HM-Mt,wi'&M~o~<o~c<B sedis; le Liber pontificalis

emploie les termes et les Annales emploient surtout ~g'a~Dès la fin du ix" siècle, la désignation de /< ou /eg's~' sedis aposto-/;<w.est fféqueniment employée dans les lettres des papes, et même

deux fois avec l'expression latere: une fois par Nicolas I", qui, dans un

concile tenu à Rome eu 860, ct'ëa les deux évêques Radoatdde Porto et

Zacharie d'Anag'ni ses iégats f< latere, et tes envoya a Constantinople à

propos de la déposition du patriarche Ignace; une autre fois parJean VIII

ffegatos sane e latere nostro pieneinstructos direximus.~ (Migue, P~ro~.

lat., CXXVI, coL~9.)

Page 284: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

JULES ROY.2M

I.

LE&ATS TEMPORAIRES.

Le texte des conciles leplus

ancienqui confère au

pape

le droit d'exercer une juridiction pardes

légats dans lespro-

vincesecclésiastiques

est le 5° canon du concile deSardique

(3~3 ap. J.C.).En voici le sens Si un

évoque déposé parles

autresëvéques

de saprovince

enappelle

a Rome, et si lepape

juge quela révision du

procèsest nécessaire, alors le

pape

doit écrire auxévêques qui sont le plus près de la province

enquestion

d'examiner toute l'affaire en détail, et de rendre

un jugement conforme à la vérité. Mais si celuiqui veut être

jugé une deuxième fois obtient del'évéque

romain~M~cMMïe

f~spr~fesde son

e~oMMg'p,afin

qu'ils forment, avce lesévêques

déjà indiqués,le tribunal de deuxième instance, jouissant de

l'autoritéqui

revient a celuiqui

les envoie, lepape

est libre

d'agirainsi'.

Outre le droitd'appellation

a Rome, ce texte concède au

papele droit non moins

important d'exercer, en des cas déter-

minés, unejuridiction par

sesdélégués. Les successeurs du

papeJules I" l'ont

pratiquéet étendu; ainsi Zosime

délègue

saintAugustin pour

traiterquelques

affaires en Mauritanie~,

c'est-à-dire hors de son diocèse et de saprovince.

Léon P\

C. 5 ffPiacuit autem utsiquis episcopus accusahisfaerit, ctjudica-verint coagregati episcopireg'ionis ipsius eldearadusno eumde}ocermt,

si appeUaverit is qui dejectus est,, et confugent ad episcopum RomaHae

ccctesia! et voiaerit se audiri, sijustum putavent

ut renoveturjudicium

vel discussionis examen, scribere hisepiscopis dignetur qui in

(mitima

'?t propinqua provineia sunt, utipsi diiigenter omnm

re(p.urantet juxta

iidem veritatis de6niant. Quod si is qui rogat causam guam iterum au-

dirideprecatione sua moverit episcopum romanum, Mf & &?'e suo ~r~

~y<a'MH: M!'K<:<, erit in potestate episcopi quid velit et quid se&timct; et si

decreverit mittendos essequi pra:sentes

cumepiscopis judicent, habentes

ejus auctoritatem a qao destinati sunt, erit msno arbitrio. Siverocredj-

deritepiscopos suiEcere ut

negotio terminum imponant,faciet

quodsa-

pientissimoconsiiM suojudicaverit.o (Heielë, J. c. I, p. S5y.)

ff Apud Ca'saream, quo nos injmicta nobis a vencrabiH papa Zosimo,

<)posto)icœ sedis episcopo, ecciesiastica nécessitas traxerat." ('4! op. cd.

Ganme. tonc !t. en). io5o.~

Page 285: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

DES LÉGATS DE LA COUR DE ROME. 2&7

aprèsle concile dit le brigandage ffjE~Aese~ envoie un

éfequeet

unprêtre

àConstantinople,

et leur adjoint Anatolius, évéque

de cette dernière ville, avec ordre de s'entendrepour

rétablir

la foi ébranlée, par suite de ce concile, à Constantin.ople et

dans tout l'Orient~. Lepape

Gélase accusel'évoque

de Cons-

tantinople, Acacius, d'avoir été l'auteur d'excès étranges qui

s'étaient commis dans les églises patriarcales d'Alexandrie et

d'Antioche, parce qu'il n'avait pas usé de l'autorité que /e&K'H<-

&elui avait ~M~e pour les prévenir

oupour y remédier~.

L'usage des légations romaines avec juridiction plus ou

moins étendue était même sollicité des Orientaux, témoin

saint Basile, qui, écrivant à saint Athanase àpropos

de l'ef-

froyable renversement de la foi et de la discipline en Orient,

lui dit KVisum est mihi consentaneum ut scribaturepiscopo

Roma~, ut quœ hic geruntur consideret, et sententiam suam

expromat. Ipsesua auctoritate in ista causa usus, viros

cfigat ad hoc accommodos ut. eos quidistorti et

obliqui

apudnos sunt, corngant.K L'empereur Léon! demanda au

papeLéon 1°'

d'envoyerdes

légatsen Orient pour

remédier aux

excès desEutycbiens, et les évoques Domitien et Géminien

lui furentdélégués~.

Le but leplus

ordinaire de ces légations est de rétablir la

paix religieuse, si fréquemment troublée par les nombreuses

hérésies dont l'Orient était alors le théâtre, et dereprésenter

t'évoque de Rome aux conciles œcuméniques. Cette dernière

mission était la plus importante qui pûtêtre confiée à un

légaten Orient, et c'est un des

points quel'on doit le plus

attentivement examiner quandon veut se rendre

comptede la

positiondes

papesdevant les conciles dans les

premierssiècles

de l'Église.

~Congruum fuit iratres meos Lucentinm episcopum et Basiiiuni

presbyterunt destinare quibus ditectio tua societur, ut nil in his quœ ad

nniversalis Ecctesiœ statum pertinent, aut dubie ag'atur aut segniter."n

(Migne, op. cit., Leon. ep. 85.)2

ffCur tantopere cum ista gererentur, vel gerenda coa'noscere6, non

a(t sedem apostoticam, a qua sibi euram iUarun) regionum noverat dele-

gatam. referfematuravit?" (Migne, op. c~ Gf/as. fp. i3, coL y~t.)ffPt'œcept.inni vfsh'a' in eo adnitar obedire ut ntiquos de fratribus meis

du'ig'am. (Mia'nc. op. e!< Z,M!i. <?p.i6a.~

Page 286: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

JULES ROY.M8

L'histoire du concile de Nicée a suscité bien des contro-

verses dans les pays où l'on s'est appliqué sérieusement à

l'étude du droit canonique. Sans entrer dans des détails quiseraient inutiles ici, nous constatons avec tous les critiques quele concile de Nicée a été présidé par Osius, évoque de Cordoue.

Osius était-il le légat du pape et a-t-il présidé en cette qua-lité ? Un certain nombre d'érudits ne semblent

pas convaincus

par les raisons que l'on invoque communément pour prouver

qu'il présida comme légat du pape; cependant il en est deux

que l'historien de bonne foi ne peut tout à fait rejeter: 1° Osius

et deux prêtres romains signent' les premiers, et après eux

seulement signe Alexandre, patriarche d'Alexandrie. On peutconsulter à ce sujet les deux listes de signatures données par

Mansi~, de même que les deux qui sont données par Gélase de

Cyzique, auteur d'une histoire du concile deNicée~. Dans ces

deux dernières listes, Osius signe explicitement au nom de

l'Eglise de Rome, des Eglises d'Italie, d'Espagne et des autres

contrées de l'Occident; les deux prêtres romains ne paraissentlà que pour lui faire cortège. Dans les deux listes de Mansi~

rien n'indique, il est vrai, qu'Osius ait agi au nom du pape,mais l'on a soin de dire des deux prêtres romains qu'ils

ont

agi en son nom. s° Ce témoignage est corroboré par celui de

Gélase, qui dit « Osius fut le représentant de l'évoque de Rome,

et il assista au concile de Nicée avec les deux prêtres romains

Vite et Vincent~. n

Au concile de Sardique (3~3), tout le monde reconnaît

qu'Osius a encore présidé, mais rien ne prouve que ce soit

comme légat du pape plutôt qu'au nom des empereurs Cons-

tance et Constant, qui avaient convoqué ce concile. Nous lisons

simplement ce qui suit dans les signatures R Osius ab His-

pania, Julius Romae per Archidamum et Philoxenum presby-tères. »

Le second concile œcuménique, tenu à Constantinople en

38i, ne fut présidé ni par le pape, qui était alors Damase,

ni par ses légats, mais par Mélétius, archevêque d'Antioche, et,

Mansi, CoMc.~ II, 6c)a, 6~.Geiasius, volumen actorum concil. Nie. Mansi, II, 806.

Hé~ie, /.c. I.p./n.

Page 287: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

DES LÉGATS DE LA COUR DE ROME. 2~.9

après sa mort, survenue presque au début du concile, par

Grégoirede Naziance, archevêque

deConstantinople.

Au troisième concile œcuménique, tenu àEphèse

en /t3t,

nous retrouvons des légats, avec une position bien nette

les légats de Célestin I' avaient reçu la mission de juger les

opinions des Nestoriens et de leurs adversaires, sans se mêler

à leursdisputes; Cyrille, patriarche d'Alexandrie, présidait

le synode et y représentait le pape avec les deuxévêques

Arcadius etProjectus'.

Léon P', à la demande del'empereur

Théodose H, avait

envoyé des légats au deuxième concile d'Epbèse, mais l'em-

pereur désigna Dioscore d'Alexandrie pour présider. D'aprèsune source du vi° siècle, les légats auraient demandé la

pré-

sidence, et elle ne leur futpas

accordée jEcc/c~œ T~OMMtMp

JtacoM vices habentes jM~p Leonis assidere non passi MM!~ eoquod

MOM/M~<Ja<~

prc&se&MOsaMc&p sedi eorMm~. K

Le concile de Cbalcédoine(~5t)

futprésidé parles com-

missaires impériaux,bien

quele

pape Léon le Grand eût écrit

àl'empereur

Marcienqu'il

avait nommé, pour le représenter

à ce concile, Pascbasinus, évêquede Liiybée en Sicile, et que

cetéveque

devait présider le synode à saplace. Les commis-

saires sont nommés lespremiers

dans les comptes rendus; ils

font voter, indiquent l'ordre du jour, fixent la clôture des ses-

sions, etremplissent

ainsi toutes les fonctionsqui

reviennent

de droit auxprésidents

des assemblées. Dans la sixième session

Marcien, étant présent, proposa les questions et conduisit la

discussion. Dans les actes, l'empereur et ses commissairesap-

paraissentaussi comme les présidents,

mais leslégats

du

pape apparaissentles premiers parmi ceux

quivotent3.

frSiquidem et instructionesqnœ

vobis traditœ sunt, hoctoquantur,

ut interesse com'entui debeatis, ad disceptationem si fuerit ventum, vos

de eorum sententiis judicaredehcatis,non subit'e certamen.N

(Mansi,

IV, 5 6.)

Actio prima conc. Ephes trSynodo congres'atain

Ephesiorum

metropoii ex décrètereiig'iosissnnormn

et christianissimorumimperato-

rum etconsidentibus.religiosissimis

et sanctissifmsepiscopis Cy-

ri[)o Aiexandriœ, quiet Cœiestini

quoque, sanctissimisacratissimique

Romande ecclesim archiepiscopi, !ocutn obtinebat.'? (Mansi, IV, na3.)Liherati arc))idiaconi eccL Cart))ag'. /)')'«' < ta. Mansi, IX, 6y8.Cf. Hétëtë, c. 1,

Page 288: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

JULES ROY.~50

Si l'on veut savoir combien le pape pouvait compter sur la

soumission des Orientaux, et quelle autorité il pouvait exercer

nu milieu d'eux, quand leur intérêt personnel ne les ralliait

plus à son parti, il faut lire le récit du cinquième concile

général, tenu à Constantinople en 553. Assemblé par ordre

de Justinien, il fut ouvert sans l'approbation du pape Vigile,

et l'empereur, pour punir le pape de son refus d'assister au

concile, ordonna que le nom de Vigile fut 6té des diptyques

sacrés. Cet énorme abus de la puissance Impériale n'excita pasles réclamations du concile il laissa exécuter l'ordre césarien,

et il abandonna la personne du pape, tout en déclarant qu'ilrestait toujours uni au siège apostolique 1 VfgUe dut acheter

sa réconciliation avec l'empereur par la reconnaissance d'un

concile tenu contre sa volonté.

Dans les siècles suivants, la plus mémorable des légations

papales en Orient est celle qui fut envoyée au sixième concile

général, convoqué à Constantinople en 680 pour la condam-

nation des Monothélltes. Constantin Pogonat avait demandé

des légats au pape et a toutes les Eglises d'Occident. Agathon

députa deux prêtres et un diacre, et ces légats souscrivirent

les premiers. Ils eurent la même position qu'à Chalcédolne.

Au septième concile œcuménique, tenu à Mcée en y8y, à la

demande de l'impératrice Irène, Adrien 1~ envoya des légats,

qui n'eurent qu'une préséance purement honorIËque; ils pa-

raissent les premiers dans toutes les sessions, mais la direction

des affaires est constamment entre les mains de Tarasius,

archevêque de Constantinople.

Enfin, le huitième concile général, de Constantinople, en

86g, fut, pour l'Eglise romaine, un triomphe passager mais

brillant sur l'Eglise grecque, et les légats du pape Adrien Il

eurent la présidence. Le rang qu'y tient la papauté, l'harmonie

qui existe entre elle et la cour d'Orient, s'expliquent par les

troubles qui avaient agité l'Eglise grecque, etauxquels

l'em-

pereur Basile voulait mettre un terme. C'était aussi un résultat

de l'autorité considérable que te Saint-Siège avait acquise sous

te pontificat de Nicolas I*

Maret. Dit cwic~e~e')ter< et de /<t~M" re/ig'MMM.,Paris, 1869, 1.1.

p. ;'&().<!(' sur !f' rf'')f ~nct'at des papesdans les conci)osd'Orient, les dis-

Page 289: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

DES LÉGATS DE LA COUR DE ROME. 35-1

Cette revuerapide

des huit premiers conciles généraux

suffitpour nous faire connaître la situation des légats tempo-

raires en Orient; leur rôle était entièrement subordonné à

la considération et au crédit dont jouissaient personnellementles

papes qui les déléguaient, et ils eurent dans les conciles

d'Orient d'autantplus d'autorité que les papes avaient eux-

mêmes plusde

prestige,et

que leur concours étaitplus

ou

moins utile aux Orientaux.

En Occident, nous trouvons aussi des légats chargés, comme

en Orient, de missionsspéciales

etpassagères

et exerçant une

juridiction au nom du pape. Ils se rencontrenttrès-fréquem-

ment en Italie, en Sicile et en Sardaigne, chargés de la con-

servation dupatrimoine que l'Eglise possède dans ces

provinces

et de la surveillance des mœurs du clergé. Investis par lepape

desplus grands pouvoirs pour

les anairesecclésiastiques,

ils

assemblent les conciles provinciaux, répriment les désordres

du clergé, arrêtent lesoppressions

deslaïques,

font bonne et

prompte police partout où le besoin s'en fait sentir. Pierre,

sous-diacre romain, est letype

leplus parfait de ces

représen-

tants dupape. Grégoire 1°', notifiant aux évêques de Sicile

qu'il le délègue auprès d'eux, les invite à s'assembler en con-

cile et à régler avec lui tout cequi

concerne ladiscipline

ecclésiastique et le soulagement des pauvres. Tantôt il lui or-

donne de pourvoir leséglises

vacantes de bonsévoques

ou de

rassembler desreligieux dispersés par l'invasion; tantôt il

l'envoie enCampanie apaiser

un dissentiment entre unévequc

et son clergé, oupresser les habitants de

Naples d'élire un

éveque.Instruments de l'infatigable vigilance

desgrands pon-

tifes, les légats de cegenre

furent en Italie de véritables ins-

pecteurs généraux du ctergé sous le gouvernement de Gré-

goireI~.

T

En Espagne, dans les Gaules, en Angleterre,où l'Eglise

romaine n'avait point de patrimoine, comme dans lesprovinces

lesplus éloignées de l'Italie, elle n'envoyait des légats tempo-

raires que dans des circonstances exceptionnelles. En 603,

sertations placées en tête du premier votume de )WM<oM'edes conciles

d'Héfe!e, et aussi Hinschins. c. p. ~t')8.

Mi~ne, .(;'o/t<. Cre~. f~i.s~/ff~tM tib. 1. 18, A 1,6g; ]ib. H,

i, 5; tih. IfL ~t, M.

Page 290: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

JULES ROY.252

Grégoire 1°'délègue le défenseur Jean, pour faire une enquête

judiciaire en Espagne; en 5 g a, l'abbé Cyriac et l'éveque Sya-

gri us, pour détruire la simonie dans l'Eglise franque cette der-

nière délégation n'ayant pas eu d'effet, il pria Brunehaut de

lui demander elle-même un légat, qui, avec l'appui de l'auto-

rité royale, suppléerait,à la négligence des évoques du royaume'.

Quoique l'Eglise franque fût alors dans le plus déplorable état,

les papes néanmoins n'y envoyaient de légats extraordinaires

et n'y faisaient assembler des conciles qu'en s'assurant ordi-

nairement de l'agrément des princes et des éveques, tant on

était persuadé qu'on ne pouvait réformer l'Église que par un

parfait accord de la puissance civile et du'pouvoir ecclésias-

tique. Les choses changèrent dans les deux siècles suivants, et

les légations se multiplièrent sur le territoire de l'ancienne

Gaule, principalement sous le pontificat de Nicolas P% qui, de

sa propre autorité, y fit convoquer plusieurs conciles au sujetdu divorce de Lothaire, roi de Lorraine, de la déposition de

Rothade, évêque de Soissons, de l'élévation de Photius au siège

patriarcal de Constantinople

L'Angleterre et l'Allemagne eurent également des légats tem-

poraires, dont les plus célèbres furent Augustin et Boniface.

En 5a6, Grégoire F" envoie Augustin prêcher le christianisme

<'n Angleterre; il y convertit un roi de Kent, dix mille Saxons

idolâtres, crée plusieurs évéchés, dont il devient le métropoli-

tain, agissant partout au nom du pape, demandant et recevant

fréquemment ses conseils. En yao, sous Grégoire 11, Winfrid,

moine anglais, récolta Rome des reliques et des instructions pouraller convertir les peuples Idolâtres de la Thuringc. Il échange

son nom d'origine barbare contre le nom latin de Boniface, et

va dans les contrées les plus sauvages de l'Allemagne prêcher

Cf. Thomassin, l. c. part. Il, !ib. t, ch. m.

Cf. Migne, .P~'o/. ~f. A~'co/.ep. ad ann. 860, 869, 865. Hinschius

(/oc. cit. p. 5o5) fait remarquer qu'en dehors de ces envoyés, repré-sentants du pape dans l'exercice de ses droits spirituels. il y eut aussi, au

\'ni° siècle, des légats chargés de missions politiques, par exemple, de

conduire des négociations entre les rois Lombards et les rois Francs. Cf.

Ft<0 ~C/M)' t~<t $<ep/M)M'J7/~ Vita Stephani 7~, in Z!'&. p0!

I:pi.st. SteplzazeiIll acl Pip[~in. a. ~5(i (Jalré, ~ioaauzrt.G'arvl., [3.47: 54);/~M<. &ep/MM ~7/ad Pippin. a. y 56 (Jaffë, MoKKM. C~fo/ [). ~7, 5~);

:). ~5~ (!'& p. <)()); /M&' ad eund. a. 708 (:'M., p. yy).

Page 291: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

DES LÉGATS DE LA COUR DE ROME. 253

l'Évangile et établir lasuprématie du pape De temporaires,

les légations de ces deux missionnaires sont devenues perma-

nentes, et les lettresqui

les investissent, l'un du siège de

Cantorbéry, l'autre du siège de Mayence, nous montrent les

papescréant et distribuant des évéchés sur les bords du Rhin

et de la Tamise, et attestent l'influence considérable que les

légats leur avaient assurée dans ces pays.

Les évêques d'Afriquesemblent n'avoir

pas favorisé le déve-

loppementdes

légations romaines au milieu de leurs Eglises,

à en juger du moins par une réponse qu'ils firent à Zosime.

Cepape

leur avaitenvoyé Faustin, évêque

de Potenza, pourleur porter les canons des conciles de Nicée et de

Sardique, et

maintenir parmi eux le droit d'appellation au Saint-Siège.

Cette mission leurdéplut,

et ils écrivirent aupape

Célestin

queles

légats que le Saint-Siège envoyait dans les provinces

n'étaient autorisés par aucun canon des conciles, qu'ils espé-raient qu'il rappellerait

auplus

tôt Faustin, qu'ils le conju-raient de ne

plus envoyerde ses

ecclésiastiques pour exécu-

teurs de ses sentences, avec un faste et une terreurplus propres

auxpuissances

séculières qu'aux ministres de Jésus-Christ.

Cette réponsen'a

pas besoin de commentaire~.

II

LHGATS PEKMA~Ej\TS.

En parcourantla

correspondance des papes du v''auvn''sièc!e,

nous avons remarqué que les effets desprincipes posés

dans

le canon E) du concile deSardique,

comme dans la Novelle

de Valentinien III citée plus haut, se produisirent assez vite,

etque

les recours au siège de Rome semultiplièrent dans des

proportions assez considérables. De là l'usage des légations

permanentes, pourfaciliter les rapports des

provinces éloignées

avec le Saint-Siège et rendre sa juridiction véritablement effec-

tive. C'est ainsi qu'à partir du v" siècle, furent successivement

Cf. Thomassin, l. c. part.. H, liv. I, ch. vu.

° Cf., pour les dëtai)s (le cette affaire, Thomassin, c. part. 1 liv. t.

ch. Lvn.

Page 292: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

JULES ROY.25&14

fondés tes vicariats apostoliques et c'est ainsi que nous

voyons figurer comme vicaires apostoliques un certain nombre

desmétropolitains

de Thessalonique, d'Arles, de Reims, de

Séville, de Tolède, de Mayence,de

Cantorbéry, d'York. Cette

dignité était d'abord toute personnelle, puis on prit l'habi-

tude de la conférer au successeur d'unmétropolitain qui en

avait été investi, etquand

cet usage se fut renouveléplusieurs

fois de suitepour

le même siège, on considéra le titre de

vicaire apostolique comme attaché à ce siège. Cela n'assura

point aux titulaires la perpétuité des droits primitivement

attachés à ladignité

de vicaireapostolique passé

le ix" siècle,

celle-ci dégénère en titre purement honorifique,car les

papes

préférèrent envoyer plus régulièrement des légats a latere ou con-

férer momentanément despouvoirs extraordinaires à un évéque

de la contrée où il v avait lieu d'exercer leur action.

Les pouvoirs des vicaires apostoliques se ramènent à quel-

ques attributions assez nettement déterminées. Dans les lettres

de nomination qu'ils recevaient, il leur est toujours recom-

mandé derespecter

les droits desmétropolitains placés sous

leur juridiction, et les formules Salvis ~<M/eg'MS ~M<BtM-

<?'ONO~a?Hs cp:sc(M)M ~ereM< aKtMM!<as; &rM!~ jt:'rK):7ea'HS

m~'o~o~MorMtH, se trouvent dans laplupart

des lettres de ce

genre. Les droits ordinaires desmétropolitains réservés, 1&

vicaire apostoliquea les attributions suivantes i" il confirme

les évequeset les

métropolitains élus, avant qu'on puisse les

ordonner; a° il termine les différendsqui n'ont pu

être décidés

dans les conciles provinciaux 3° ilconvoque le concile des

éveques de toute saprimatie;

&° il veille sur toutes les Eglises

de son ressort, doit yfaire exactement observer la

discipline

Thomassih ( c. part. II, liv ch. vi ) a montré que c'est de Kt qu'estvenue la dignité de primat, et que les primaties de Scviiie et de Tolède,d'Aries et de Reims, n'étaientque des vicariats ou commfssions du Saint-

Siège. Le pape Simpiioius fut le premier ai accorda cette iëg'atioûapos-

folique à J'évêque de Séville (&8a). Saint Remy lut ëtaHLyicaire aposto-

uquedaas le royaume de Ctovis par Hormisdas. L'ëvéque d'Arles disputa

longtemps la qualité de métropolitain à celui de Vienne; mais Symmaque.

révoquant les décrets d'Anastase. qui étaient favorables au. siège de Vienne

et lui semblaient contraires à ceux de ses prédécesseurs, donna à Cësaire,

évêque d'Ar)es. un vicariat ou une légation apostolique sur toutes les

Gaules.

Page 293: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

DES LÉGATS DE LA COUR DE ROME. ~55

ecclésiastique et Informer lepape

des désordresauxquels

il

ne pourrait pas remédier'.

Tout autres étaient le caractère et les pouvoirs des apocri-

siaires. Voici cequ'en

dit Du Cange xldporro

nominis

Inditum legatis, quod a7roxp<o'e<s seu responsa principum

déferrent. Responsa enim non modo rescripta principum ad

supplicantium libellos, sed etiamquœvis

decreta et mandata

appellabant;)

Thomassin fait entrer dans sonexplication

du motapocri-

.M!fe une expression moderne qui nous permettra d'arriver à

une définition assez complète «Les apocrisiairesétaient des

commissaires dont lescharges

sedéveloppèrent

surtout au

temps de saint Grégoire. C'était comme uneespèce de léga-

tion ou nonciature; les nonces d'aujourd'hui ont à peu près les

mêmes fonctions dansquelques royaumes. Le nom

d'apocri-

.sMH're, quiest

grec,est rendu

par le terme latinrëspONsa~'s et

il n'estpas

malexprimé par

celui de nonce ;)

En rapprochant ces deux explicationset en les comparant

à ceque

nous savons de la mission desapocrisiaires par

les

lettres des papes, nous pouvons définir l'apocrisiaire le nonce

ordinaire dupape

résidant à la courimpériale

de Constan-

tinople. Les Grecsl'appelaient o~ocrMt'a~Ms et les Latins res-

~OHM/ parce qu'iln'avait

pourmission

que d'exposerà

l'empereur les ordres qu'il avait reçus du pape, au papeles

volontés de l'empereur, à l'un et à l'autre leurs réponses res-

pectivessur les affaires ecclésiastiques en voie de

négociation

entre les deux cours. Ils n'avaient aucune juridiction à Constan-

Cf.. pour les attributions des vicaires apostoliques, les lettres a~t, 26

41, 43 deHormisdas(Mig'ne, c.), et surtout la belle lettre de Léon1"

a Anastase (Migne, c. ep. 14).- L'usage de sauvegarder les droits des

métropolitains ne s'est pas maintenu. Les rapports du pape Nicolas I' avec

Hincmar prouvent surabondamment qu'au ix' siècle les métropolitainsavaient perdu plusieurs de Jours prérogatives. Les papes, au moins à l'o-

rigine, ne concédaient aux évéques le titre de vicaire apostolique qu'après

que les évéques l'avaient demandé et fait demander par les rois. Cf. à ce

sujet tes lettres des papes a Césait'e, Auxanien, Auréiien, Sapaudus et

Virgiie, qui se succédèrent sur le siège d'Arles au v° et au vt" siècle. Cf.

aussi G<i<t C/H'MtKMM~t. I, p. 53~.Du Cange. G~sarMOK~ verbo ~oe)'s'M?'H<

Thomassin, part. 11, liv. ï, ch. L.Tlioiiiassin, pii-t. 11, ]iV. 1, Cll. L.

Page 294: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

JULES ROY.256

tinople, et il leur était même interdit de se mêler des causes

qui appartenaient aux autres évoques', a moins qu'ils ne re-

çussent du pape une délégation spéciale à cet effet. Quoique

représentants du pape, ils cédaient le pas aux évêques, comme

on le voit en 536 au concile de Constantinople, où Pelage,

apocrisiaire du pape Agapet, souscrivit après les évoques.Néanmoins leur situation était fort considérée, car plusieurs

diacres, tels que Pelage, Grégoire, Boniface, Martin, etc.,

sont montés sur la chaire de saint Pierre, après avoir exercé

les fonctions d'apocrisiaire àConstantinople.

Quant à l'époque où apparaît cette fonction, voici ce quedit Adalhard dans son traité De orJme ~a&~K' rapporté par

Hincmar, dans une lettre aux grands du royaume pour l'ins-

truction du roi Carloman ~Apocrisiarli ministerium ex eo

tempore sumpsit exordium, quando Constantinus magnussedem suam in civitate sua, quae antea Byzantium vocabaturt

aedincavit. Et sicresponsales

tam romanas sedis quam et alia-

rum prœcipuarum sedium in Palatio pro ecclesiasticis Dcgo-tiis excubabant. Aliquando per episcopos, aliquando vero perdiaconos apostolica sedes hoc officio fungebatur~.K »

Il est très-vraisemblable que cette institution date de

Constantin, et que du jour où les empereurs furent convertis

au christianisme et intervinrent dans les affaires de l'Eglise,les papes aient été obligés d'avoir des représentants à la cour

impériale; mais il ne faut pas en conclure que les papes se

soient crus obligés de détacher dès ce jour à Constantinopledes apocrisiaircs choisis dans leur entourage. Nous savons po-sitivement que les éveques de Constantinople ont été quelque

temps les apocrisiaires et les agents de toute l'Eglise. Le papeLéon 1" n'envoya Julien, évêque de Cos, résider à la cour de

l'empereur Marcien, que parce qu'Anatolius, évêque de Cons-

tantinople, négligeait étrangement les intérêts de la foi. Le

pape Célestin regardait évidemment Maximien, éveque de

Constantinople, comme son apocrisiaire, quand il écrivait à

l'empereur Théodose le Jeune qu'il devait écouter cet évequeet lui prêter secours pour la défense de la foi orthodoxe

Thomassin, part. H, liv. I. ch. n.

H<'CMK7~M~<<K'tMM~M (~M~M, t. )X, )). aC3.

Page 295: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

DES LÉGATS DE LA COUR DE ROME. 257

~Huic taliter electo ad componendumeccleslae statum, et

omne viruspravse

hseresis radicitus evellendum, obsecramus

et poscimus, ut consuestis, arma prsestetis'.M Il le considé-

rait bien encore comme son représentant quand il écrivait au

peuplede Constantinople « Nostro vobis loquitur ore collega~.

MAu

tempsde Justinien, le

patriarchede

Constantinopie

devait encorepasser pour intermédiaire naturel entre les diffé-

rentes Eglises etl'empereur, puisqu'une

novelle de ce prince

prescrit aux évoques qui viennent àConstantinopie

de nepoint

luiprésenter

leursrequêtes

sans les avoir, au préalable, sou-

mises au patriarche ou aux apocrisiaires ~Huc advenientes

nonprœsumant per semetipsos se prius pronunciare ad Impe-

rium, se primitus aut ad Deo amabilempatriarcham profi-

cisci, aut aduniuscujusque

diœceseos exqua

suntapocrisia-

rios, et cum ipsis conférant causaspropter quas venerunt,

et ingredi ad imperium ejus, et deinceps imperiali perfrui

aspectu3. Si nous

complétonsce texte

parcet autre passage

de la même novelle Kper religiosos apocrisiarios cujusque

diœceseos sanctissimorumpatnarcharum.M

nous voyons que

non-seulement le pape,mais encore les

patriarches devaient

avoir unapocrisiaire

à Constantinopie pourle règlement de

leurs anaires~. Cependant l'influence des apocrisiaires des

Eglises patriarcales d'Orient dut être détruite assezprompte-

meni par Ie& apocrisiaires de Reme, à ea juger du moms par

les pouvoirs queceux-ci recevaient des

papeset par les affaires

dont ils étaient chargés. Ainsi l'évoque de Cos, que nous avons

déjà cité, a sous une forme générale des attributionsqui

lui

permettentd'intervenir dans toutes les affaires ecclésiastiques

de l'Orient. En le déléguant, Léon 1~ le charge d'arrêter en

Orient lesprogrès

des hérésies nouvelles de Nestorius et d'Eu-

Migne, c. Co' ep. 23.

Cf. Thomassin, c. part. II, liv. I, ch. u.

~Vo~.VI, c. n et 111.Cf. aussi ce passage, Nov. VI, c. n tfSancimus itaque, ut si ecde-

siastica quasdam causa incidat, illa vel per eos qui negotia sanctissima-

rum ecclesiarum gerunt, quos apocrisiarios vocant, vel per clericos

quosdam hue missos vel per œconomos imperatori vel magistratibusnostris nota reddatur atque decidatur. x

Nous savons par !e Liber ~MnMM(éd. de Rozière, n° LX[t[, p. isù)

que les papes eurent aussi un apocrisiaire à Ravenne.

'7

Page 296: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

JULES ROY.258

tychès, et il écrit à l'empereur Marcien pour lui faire agréer

Julien, tant comme son représentant permanent à la cour im-

périale que comme son délégué contre les hérétiques nou-

veaux. Dans d'autres instructions adressées a ce~meme Julien,

il lui est tout particulièrement recommandé de veiller à l'ob-

servation des ordres du pape en Orient et défaire exécuter l'

par l'empereur les décisions du Saint-Siège L'hérésie re-

naissait sans cesse dans tout l'Orient a cette époque, et un

envoyé qui avait la mission de la combattre pouvait facile-

ment intervenir dans l'administration de chaque diocèse, ainsi

que dans le règlement de chaque affaire ecclésiastique qui ar-

rivait au palais Impérial.Dès le v!" siècle, nous voyons un certain nombre d'apocri-

siaires romains se succéder à Constantinopler sous le pape

Agapet 1~, le diacre Pélage; sous Silvère, Vigile; sous Silvère

et Vigile, une seconde fois Pelage, qui assiste et souscrit

au concile tenu à Constantinople par le patriarche Menas, et

qui est ensuite délégué par l'empereur lui-même pour pro-

céder, avec plusieurs évéques, à la déposition de Paul, évêquc

d'Alexandrie~. Sous Pelage F* nous trouvons comme apocri-siaires les diacres Etienne, Laurent, Grégoire. Nous ne con-

naissons pas ceux que Jean HI et Benoît 1"' envoyèrent à

Constantinople, mais on dut continuer à en déléguer, puisque

le pape Grégoire I"' dit de celui qui avait été constitué parson

prédécesseur «onEM JUKTA MonEM AD VESTiciA DomnomiM

THANSM!SERAT,K et qu'il envoie lui-même Sabinien en SgS~.

Cependant Phocas, en arrivant au pouvoir, se plaint de ne

pas trouver d'apocrisiaire romain dans son palais; le pape lui

répond que, par suite des rigueurs du règne précédent, per-

sonne ne veut aller remplirces fonctions à Constantinople

Cf. Migne, loc. e:~Ieo):. ep. lia, n3, n5, it~, ti8.

Libérat (~. c. liv. I, c. xxm) rapporte ainsi ce fait

ffMisit imperator Pelagium diaconum et apocrisiarium prima: sedis

Homœ Antiocbiam cnm sacris suis, quibus pra'cepit at. cum Ephremio,

ejusdem urbis episcopo, etc. venirent Gazam etPaulo episcopo pa!!iumauferrent et eum depouerent.-n

Cf. Migne, op. cit. G~. ep. iib. V, 18; iib. 111,5~, 53.

f-Nam quod permanere in Palatio juxta antiquam coDsuetudinem

apostoticœ sedis diaconum Vestra Serenitas non invenit, non hoc meaî

negiigentiœ, sed g'ravissimse necessitatisfuit. B (CM~. iib. X!H,38.)

Page 297: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

DES LÉGATS DE LA COUR DE ROME. 259

Il lui envoiecependant

le diacre Boniface(6o3).

Nous re-

trouvons ensuite, quoiqueà une assez longue distance l'un de

l'autre, les apocrisiaires Martin, Anastase, Constantin; celui-

ci envoyé à la sollicitation de Constantin Pogonat, restau-

rateur de la foi orthodoxe en Orient.'Le pape Léon H, quile

delégua, ne voulut point accorder unecomplète

satisfaction

àl'empereur,

et au lieu de la pleine légation qui avait été

demandéepour l'apocrisiaire romain, Léon ne lui donna

qu'unecommission ordinaire, c'est-à-dire qu'il fut chargé de

transmettre al'empereur

les vœux dupape,

decommuniquer

aupape

lesréponses

del'empereur,

et d'attendre, sur toute

affaire, la décision du Saint-Siège.Si l'on se

rappelle que

les Orientaux furent quelquefois assez habiles pour corrompre

les légats des papes, on ne sera point surpris que Léon II n'ait

pas conféré à sonapocrisiaire

lepouvoir

de décider toutes

choses en son nom.

La persécution des Iconoclastes ayant de nouveau sus-

pendules relations entre Rome et

Constantinople,les papes

cessèrent d'envoyer des apocrisiaires d~sle commencement du

vin" siècle 1.

Toutefois le rôle des envoyés de la cour de Rome n'était

pasfini dans cette partie du monde. Au ixe siècle, sous le

pontificatde Nicolas 1~, la

papautéfera un effort

pourressaisir

cet Orient, quine s'était jamais soumis franchement à sa juri-

diction, etquelques légats fort habilement dirigés contribue-

ront à rétablir son influence en Orient. Restauration bien

éphémèreLe siècle

qui en fut témoin devait voir se réveiller

tous les sujets de discussion qui s'étaient élevés entre les deux

Eglises depuisle concile de Chalcédoine, et se préparer la

rupturedéfinitive de Rome et de

Constantinople.

Plus heureux en Occident, les légats, permanents ou tem-

poraires,avaient contribué à rattacher à Rome tous les

peuples qui devaient jouer un rôle important dans l'histoire.

En les habituant insensiblement à reconnaîtrel'indépendance

de lapapauté,

sa haute suzeraineté, sa primauté absolue, ils

Baronius en cite encore un sous Constantin Copronyme, en y~3.Cf., sur les apocrisiaires ci-dessus nommés, Du Cange, G~oMNnKm,

verbo ~tpoen.tMfMM.

'7-

Page 298: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

JULES ROY.260

avaient subordonné à la juridiction romaine les Eglises parti-

culières, les évéques et les archevêques, les métropolitainset les conciles, les rois eux-mêmes. Bien avant l'an mille, ils

avaient réussi à supprimer tout intermédiaire entre le pape et

les simples évéques, et à établir-dans les esprits l'idée que le

pape est le chef de l'Eglise universelle~, l'interprètede la foi,

et qu'il a en tout et partout la juridiction la-plus étendue.

Cette idée a pris corps; elle est formée et ne fera que se dé-

velopper, car elle trouvera dans les Légats-nés, les iVoMcesapos-

toliques, les Légats a latere de l'âge suivant, des propagateursaussi heureux qu'habiles qui lui donneront une force nou-

velle et un incomparable éclat.

Cette idée revient fréquemmentdans les

instructions qui sont adres-

sées auxlégats par les papes. Voir dans Migno, op. cit., la correspon-

dance de Léon I" Grégoire I" Nicolas I". -Voir aussi la correspondance

d'Hincmar, quicombattit si vaillamment

pour l'indépendance des métro-

politains, et ne parvint pasà la sauver.

Page 299: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LA LÉGENDE DE TRAJAN,

PAR GASTON PARIS

1

LA JUSTICE DE TRAJAN.

Dans deux textes, l'un du vm" siècle, l'autre du ixe, dont

nous examinerons plus tard l'origine et le rapport, mais qui

ont sans doute puisé ce qu'ils contiennent à une source com-

mune, qui était du vue siècle, nous lisons l'histoire suivante,

rapportéeà

Trajan. J'imprimeces deux textes en regard, en

laissant en blanc, dans chacun, desespaces correspondant aux

passages quel'autre a seul. Les auteurs de ces textes sont

pour nous, jusqu'à nouvel ordre, Paul (vnr' siècle) et Jean

(ixe siècle),tous deux diacres.

PAUL. JEAN.

Cum idem orbisprinceps

in ex-

peditionem circumvaitatus mili-

tum cuneis pergeret, ibidem ob-

viam habuit vetustissimam viduam,

simulque dolore ac paupertate

confectam, cujus lacrymis atquevocibus sic

compeUatur Princeps

piissime Trajane, ecce ii sunt

homines qui modo mihi unicum

filium, senectutis mea' scilicet ba-

culum et solatium, occiderunt,

meque cum eo volentes occidére,

dedignantur mihi pro eo etiam

aliquam rationem reddere.

Gui ille, festinato, ut resexige-

bat, pertransiens Cum rediero,

mquit, dicito mihi, et faciam tibi

Trajanoad imminentem belli

procinctum vehementissime festi-

nanti

viduaqus6dam

processit flebili-

ter

Filius meus innocens te regnante

peremptus est.

Obsecro ut quia eum mihi reddere

non vales sangninem ejus digneris

iegaiitervindicare.

Cumque Trajanus,

sisanusrevert.ereturaprse-

iio, hune se vindicaturumper

om-

Page 300: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

GASTON PARIS.

omuem justitiam.Tune illa Do-

mine, inquit, et si tu non rcdie-

t'is, ego quidfaciam?

Ad quam vocem

substitit, et reos coram se adduci

fecit, neque,cum

snggereretura

cunetis accelerare negotnim, gres-

sum a loco movit, quousque (et.?)

viduas fiseo quod juridicissanctio-

mbns decretum est persoM pras~

cepit denique supplicationum pre-cibus et fletibus

superfacto suo

pœnitentes, visceraE clementia

tixus, non tantum potestate quam

precatu et lenitate vinctos pra'to-

rialibus catenis absolvit

niaresponderet, vîdua dixit Si

tu in prœ!io mortuus fueris, qmsmihi prœstabit? Trajanus respon-dit Ille

qui postnie

imperabit.Vidua dixït ht quid tibi

proderitsi alter mihijustitiam fecerri? Tra-

janus respondit Utique nihil. Et

vidua: Nonne, inquit, melius tibi

est ut tu mihi justitiam facias et

prohoc mercedem tuam acciplas,

quam~terihanc transmittas? Tum

Trajanus raf.ione~pariter et pietateeommotas

equo descendit, nec

ante discessit quam judicium vi-

duaepe!*

semet imminens profli-

garet.

Il est clair que ces deux récits ne dérivent pas l'un de

l'autre; mais lequel a le plus udèlement suivi l'original com-

mun ? II est difficile de le dire. Je suis porté à croire que pres-

que tout ce qui se trouve dans un seul des ~leux textes est

ajouté par le rédacteur respectif. Les additions semblent en

effet s'expliquer des deux parts par le désir, suivi d'ailleurs

d'un médiocre succès, d'embellir le récit. C'est_ainsi que Paul

ajoute à la douleur de la veuve, pour la rendre plus intéres-

sante, une extrême vieillesse et une cruelle pauvreté, ce quiamène plus tard la mention des dommages-intérêts que lui

paye le fisc. Le même auteur, voulant mettre en lumière la

c~KPKce de Trajan autant que sa justice, a ajouté le dénoue-

ment inutile et même ridicule de la grâce faite aux meurtriers.

Jean, de son côté, parait avoir fait au dialogue entre la

/M..&S. M<<. t. !I, p. 135. Cette dernière phrase est visiblement

attët'ée.

/)/t. 55..V~. t. 11, p. 15:

Page 301: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LA LÉGENDE DE TRAJAN. 263

veuve etTrajan

l'addition malheureuse où il estquestion

du

mérite et de la récompense de l'action du prince. Outre que

lespensées

de cegenre

sont toutes chrétiennes, etque

la con-

sidération qui décide ici Trajan affaiblit beaucoup la portée

de son action, il est sensible quecette addition diminue l'effet

du court et énergique dialogue qui précède. Un seul trait me

semble authentique, bien qu'il ne figure quedans Jean, c'est

la mention du cheval surlequel l'empereur

est monté et

duquelil descend

pourrendre justice à la veuve. On peut

donc croire que l'anecdote, tellequ'on

la racontait à Rome

au vt" siècle, était bornée aux traits suivants Trajan partait

pour une expédition militaire, quand une veuve l'arrêta et lui

demanda justice du meurtre de son fils. Je te ferai justice,

dit-Il, quand je reviendrai. Et si tu ne reviens pas?

Frappéde ces

paroles,il descendit de cheval et jugea lui-

même l'affaire." ~a

La version de Jean apassé

dansplusieurs

écrivainsposté-

rieurs nous la retrouvons, par exemple, avec de simples varia-

tions.de style, dans les Annales Majf/e~Mrg-e~es ( fin du xn" siè-

cle)dans la -SKMMKs

MYeJMMK<!Mm2 de l'Anglais John Brotnyard

('{' i&K)),et dans plusieurs

autresouvrages d'histoire et de

piété La version de Paul, bienque

la V~Greg'om

ou elle

se trouve ait été fort répandue, n'a pas eu le même succès.

Mais une troisième version, qui paraît composéeà l'aide de

l'une et de l'autre, a obtenu au contraire une vogue durable

<*tglorieuse. La voici telle

qu'ellese lit dans le Po~'cr~cMs de

Jean deSalisbury,

écrit eni i5q

Quuru [Trajarms] jam equum adscendisset ad bellum profecturus,vidua, s~)'e/MMMp~e!7/< miserabi!iter)ugenssibijustitiam neri petiit

Mot. Cet-m. &S.. t. XVI, p. 11 a..f, xlij, 8. La veuve, pour décider Trajan, lui cite EzéchieLEntre antres en abrégé dans Théodore Engetirnsen (1~2~), cité par

Massmann (A'SMercAroK/i-, Hi, ySi). Le récit versifié de Godet~pi de

VIterbe(éd. Pistorius, p. 36())parau,avoir iameme source,mais FatYleur,suivant son usage, y a fait quelques modifications, Il indique le lieu dela scène Po<:<Mapud 2Y&e?':mproperans ~MMh'<!M!< nrc!M, 0&M<t ~<<t<

t)~;M. Ces parotes offrent un remarquable rapport avec celles de Hugod'Eteria (voy. ci-dessous, p. ago, note).

Vny. Scbaarschrtndt, ~/M?M!ps&<re~&e)'?n!.s- p. i~X.

Page 302: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

GASTON PARIS.26&

de his qui iiiium ejus, optimum et innocentissimum juvenem, injusteocciderant. Tu, inquit, Auguste, imperas, et ego tam atrocem injuriam

patior? Ego, ait ilIe, satisfaciam tibi quum rediero. Quid, inquitilla, si non redieris? Successor meus, ait Trajanus, satisfaciet tibi.

Et iUa Quid tibi proderit si alius bene fecerit? Tu mihi débiter es,secundum opéra tua mercedem recepturus. Fraus utique est noi!e red-

dere quod debetur. Successor tuus injuriam patientibus pro se tenebitur.Te non liberabit justitia aliena. Bene agetur cum successore tuo si libe-

raverit se ipsum. His verbis motus imperator descendit de equo et cau-

sam prœsentiaiiter examinavit et condigna satisfactione viduam conso-iatus est

Je pense que Jean de Salisbury est l'auteur de cette ver-

sion, qui se retrouve textuellement dans Hélinand (~ tsay),

reproduit par Vincent de Beauvais 2; il n'y a rien d'étonnant

à ce qu'Hélinand, simple compilateur, ait inséré dans sa mo-

saïque l'extrait qu'il avait fait du P'cra~eMs, tandis qu'il serait

tout à fait contraire aux habitudes de Jean de Salisbury d'avoir

copié un écrivain plus ancien sans modifier son style. L'auteur

du Policraticus parait, comme je l'ai dit, avoir eu sous les yeuxles deux versions anciennes il a emprunté à Paul le nombre

pluriel des meurtriers, les expressions <jfMHMtrediero (dans Jean

.M sanus repe~ere<Mr) et si K&Kredieris (dans Jean sttM!'K~f~:o'

mo~MM~/MerM); il a pris à Jean l'épithète d'innocent donnée au

fils, l'amplification du dialogue (qu'il a lui-même varié et

allongé en partie, bien qu'en supprimant la réplique de Tra-

jan utique nihil), et enfin la mention du cheval. Il a ajoutéde son chef, outre les réflexions insérées dans le dialogue, un

détail pittoresque la veuve arrête l'empereur à cheval en le

saisissant par le pied.L'auteur du poème français sur Girart de Roussillon, écrit

entre i33o et t3A8, qui a pris pour base la légende latine

composée au xf siècle et a consulté aussi l'ancienne chanson

de geste provençale, a inséré dans son œuvre, plus ou moins

à propos, un certain nombre de récits, d'exemples, qui ont été

étudiés et ramenés à leur source par M. Reinhold Kôhler~

Po~-a< V, 8.

Et par bien d'autres, notamment par l'auteur du DM&~s e~a<<t-

tWMK (n° 68), par Arnoid Geilhoven de Rotterdam (~ i~a) dans son

CMO~(Moë<<M(Bruxei[es,1476, I, xvt, a).

y<t)'&!<e/t~2r?'omt:HMcAeZ!M)' XIV, i63.

Page 303: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LA LÉGENDE DE TRAJAN. 265

l'un de cesexemples

est celui de la justice deTrajan, traduit

fidèlement sur le texte d'Hélinand, c'est-à-dire de Jean de Sa-

lisbury, que l'auteur avait lu dans Vincent de Beauvais.

C'est sans doute directement du Po&cf~tCMsque notre récit

avait passé dans unecompilation

latinequi

ne s'estpas

en-

core retrouvée, mais dont nouspossédons

une traduction ita-

lienne, intitulée NonJt~/oso~ et attribuée sans motifs suffi-

sants à Brunetto Latino 1. L'auteur, qui écrivait certainement

au xiii'' siècle, a traduit exactement sonoriginal, ajoutant seule-

mentquelques mots à la seconde réplique de la veuve.

Trajanlui dit K E s' io non

reggio,e ti soddisfarà il successore mio. n

Ellerépond K.Em come il so ? E pognamo eA' elli

Io faccia,a te

che fia se quell' altro farà bene? A la fin aussi, le traducteur

italien(ou peut-être déjà le compilateur latin qu'il tradui-

sait) a cru devoir ajouter ~E poscia salio a cavallo, e ando

allabattaglia

e sconfisse llnimici~. Le récit des Fioridifilosofi

a servi de base à la 60° des Cento ~Vo~eMc<:M~'cAe~, où le styleseul a été changé, rendu

plus populaireet

plus vif. Comme

dans lepremier récit, on lit à la fin de celui-ci ~E

poica-

valco e sconfisse i suoi nemiéi, cequi

met hors de doute

la dépendance de ces deux textes l'un de l'autre~ le texte

des Cento lyovelle s'éloignant sensiblementplus du latin, il est

sûr, cequi

était d'ailleurs probable a~non', quele

rapport est

telque je l'ai indiqué, et non inverse 5.

Voy. sur ce point Th. Sundby, Brunetto Latinos ZeMM< og- Slcrifter

(Copenh., i86g), p. 5~, et A. d'Ancona, Romania, 11, &o3.

La même addition se remarque dans le récit latin qui sert d'inscrip-tion à la tapisserie de Berne, dont il sera parle .pins loin; mais cette ins-

cription comprend en outre ia mention de la Perse comme lieu de ['expé-dition projetée, et des détails sur la mort et la sépulture de Trajan qui

prouvent qu'elle a emprunté sa conclusion à une des nombreuses compi-lations historiques qui, au moyen âge, reproduisent ces renseignementssur Trajan.

Voyez le texte dans Nannucci, AfaMMa/edella letteratura del primosecolo (a'' edizione, i858), p. 3i5. Le même recueil contient,p.76, la

version du ~Vo!)e/&'Ko.-Voy. A. d'Ancona, dans la .RoMMMM,III, i~g.Cette ressemblance a déjà été remarquée, et M. Bartoli (I primi ~:<ese-

coli della &Mefo<MY<t<<:&'stM~MUano, i873,p.a()3)a reconnu, que c'étaitfe Novellirao qui avait imité les Fiori et non t'inverse la comparaison du

latin met le fait hors de doute.fi

M. A. d'Ancona (R<WMM:'M, /.) a établi que le ~op~&'Mo a été écrit,

Page 304: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

GASTON PARIS.266

Mais le récit des jRo~oso~ mérite surtout l'attention

parce qu'il a certainement inspiré les vers célèbres où Dante

a son tour a raconté l'histoire de Trajan et de la veuve. Tout

le monde les connaît, et cependant je ne puis les omettre. On

y retrouve textuellement une phrase des Fiori que j'ai citée

plus haut «A te che fia se queIT altro fara bene?~, ce quine laisse aucun doute sur la source où Dante a puisée On sait

que c'est dans le Purgatoire, surunmurd'enceiate,quelepoete

voit, sculptée d'une main divine, cette histoire avec d'autres~.

L'ouvrier céleste avait employé un art plus merveilleux encore

que celui d'Hephaistos les figures sculptées parlaient, et on

comprenaitleurs paroles. C'est ce qui explique comment le

poète put voir et entendre le dialogue entre Trajan et la femme

qui l'implorait

QuivierastQrtatai'altagloria

Del roman prince.

Io dico di Traianoimperatore

Edutiavedove)!ag'!Le['aatft'euo\Di !agrime atte~giata e di dolore

Dintoruo a lui Parea calcato e pieno

Di cavalieri, e l'aquile neH' oro

Sovr' essi in vista at vente si movieno.

Lamisereitaintratutttcostoro

Parea dicor Signor,fammi vendetta

De) mio fig)inol ch' è morto, ond' io m' accoro.

sans doute par un seul auteur qui puisait à des sources diverses, dans

les dernières années du xm° siècle.

Cette remarque a déjà été faite par Nannucci elle est décisive.

Un autre trait aurait pu porter a croire que Dante avait suivi le Novel-

~M tandis que les Fiori portent tquando io rcddiro. c se tu non

riedi," le iVoop~'Mo dit, comme Dante, ~quando io tornero.se tu

non terni; mais iln'y a ia qu'une coïncidence facilement

explicable,tandis

quecelle qui existe entre les Fiori et la CoMM.M~'<ï_ne peut guère

t~tre due au hasard.

Toutes ces histoires sont données comme desexemptes

d'/MMH&&

En effet, l'aetion de Trajan, surtout dans sa formeprimitive, était moins

remarquable comme trait de justice que de simplicité et de bonté fomi-

)ière l'empereurse laissait faire la leçon par une femmc:_du peuple.

Dante a substitué cette attitude, plus noble, au geste qu'avaitima-

giné Jean de Saiisbury.

"Pians'cndo mo!to teneramente,* (tisfnt. les J'*M)'t. Ce trait estsup-

primé dansles Ceo/o /Vo!'e~.

`

Page 305: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LA LÉGENDE DE TRAJAN. 267

Edeg'ti a lei rispondere Ora aspetta

Tanto eh' io torni. Equeiia Signer

mio

(Come personain cui dotor s* auretta),

Se tu non torni? Ed et Chi fia dov' io

La ti farà. Ed ella L' aitrai bene

A te che fia, se il tuo metti in obblio?

Ond' egli Or ti conforta, che conviene

C!t' io solva il mio dovere anzi ch' io muova

Giustizia vuole, e pietà mi ritiene

Dante n'a rien ajouté au récitqu'il

avait lu il l'a au contraire

abrégéet Fa d'ailleurs

reproduit fidèlement et simplement; mais

parla seule force du style, par

le choix des mots, par la sévère

allure des vers, il l'a transformé et idéalise. Ce qu'il a fait de

plus heureux a été de changer le récit en tableau le lecteur

voit, parles

yeuxdu

poète, Trajanà cheval, la vedovella le sai-

sissant parle frein, et cet incomparable ondoiement de che-

vaux, d'armes et d'or qu'il a fait, en trois vers, resplendir dans

le ventqui l'agite.

Ungrand peintre

moderne a voulu rendre

a son tour ce qu'il avait ainsi vu, et dans le beau tableauqui

fait l'honneur du musée de Rouen, le génie de Delacroix a

osé se mesurer avec celui de Dante. Au reste, c'est ici le cas

deparler de ces Rmalentendus féconds~ dont un éminent cri-

tique a si nnementindiqué l'importance

dans l'histoire de la

pensée humaine. Dante sereprésentait

les aigles romaines

comme des figures brodées sur des étendards d'or-, ainsique

celles del'empire romain de son temps. De la le beau vers

quinous les montre «se mouvant au vent M. C'est cet or mobile et

étincelant qui a fasciné, comme un éclair, l'imagination du

peintre français; mais cequ'il

a dû mettre sur son tableau est

tout autre chose quece

qu'avait penséle

poète florentin ses

Ces dernières paroles ont une ressemblance qui semble difficilement

pouvoir être fortuite avec celles du diacre Jean ratione pariter et pietatecomMM<!M.H est donc probable que Dante a eu sous les yeux le texte latin

de Jean avec le texte italien des Fiori.

C'est ainsi qu'elles sont représentées sm' la tapisserie de Berne,dont je vais parler on porte derrière Trajan de grandes bannières où

sont brodées des aigles à deux têtes. Les anciens commentateurs de Dante

expliquent ses paroles de même; il s'agit, dit par exemple Fr. da Buti.

d'~aquite nere net cafnpo ad oro, corne è la insegna (lel rumano imperio.~ -1

Aussi la [eçon tM/ M'oest-elle prefërabte'a la correction mafadroite ~e/foro.

Page 306: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

GASTON PARIS.268

aiglesd'or se dressent hautaines et immobiles, et les bannières

qu'agitele souille du vent ne sont là

que parsouvenir et ne

répondentà rien de

précis

Delacroix n'estpas

lepremier qui

aitreprésenté

avec le

pinceaule

sujetdes vers de Dante, mais ses

prédécesseurs

avaientpuisé

directement aux sources latines. On conserve à

Berne, parmiles

dépouillesde Charles le Téméraire, une

grande tapisserie représentantdeux

exemplesde justice sé-

vère, visiblementapprouvés par Dieu; l'un d'eux~ est

emprunté

à notre histoire, que l'artiste, pouratteindre son but, a com-

plétée parune seconde scène, représentant

l'exécution du

meurtrier. M. Pinchart et, plus récemment, M. KInkel~

ont démontréque

cettetapisserie,

dont Jubinal a donné une

gravure,est la

reproductiondes célèbres

peinturesdont

Roger dele Pasture

(quenous avons tort

d'appeleravec les

Flamands Van derWeyden, puisqu'il

était de-langue

wal-

lone)avait décoré la salle des jugements de l'hôtel de

ville de Bruxelles. Au bas de lapeinture

on lisait et on lit

au bas de latapisserie l'exposition

en latin dusujet repré-

senté. Cette version, dontj'ai parlé plus

haut en note, se

rattache à celle de Jean deSalisbury.

M. Kinkel a suivi,

dans un travail fort intéressant, toute la série de ces tableaux

Le tableau de Delacroix est d'ailleurs bien différent de celui que se

représentait Dante il est aussi mouvementé que l'autre était serein. La

veuve a jeté le cadavre de sonpetit

enfant (la tradition en faisait un

jeune homme) devant les pieds du cheval del'empereur, qui se cabre

Trajan regardela mère, plus emportée qu'éplorée, avec une sorte d'effroi.

L'autre est une histoire tirée de Césaire d'Heisterbach et dont le

héros, comme l'a tort bien reconnu M. Kinkel, est un Archambaud de

Bourbon. Césaire, qui écrivait vers iaa5, dit l'événement arrivé deux

ans avant il ne peut doncs'appliquer

ni à Archambaud VII, mort à la

troisième croisade, ni à Archambaud VIII, mort vers iaùa. Au reste,

l'authenticité en est plus que contestable; aucun historien-français n'en

dit mot. Jeremarque

enpassant que

la Mm'a~e <~MKempereur quitua

~OK~epMBM qui avoit ~rMM M:e~& à force (A:e. TAf~&'e/ t. III, n° 53)

n'est autre chose que cette histoirerapportée

àun empereur romain.

Bull. de ~c<tf/. ?-oy. de jB~~KC, a" série, t. XVII (i86&), n" i.

Le mémoire de M. Pinchait, qui soutient, à i'aide des mêmes arguments,la thèse

qu'adéfendue

depuisM. Kinkei, est resté inconnu à celui-ci.

-Fen dois ia connaissance àl'obligeante

érudition de M.Eugène

Mûntz.

.4:f«Mt:& ::<r A'M)M~esc/M'c&<e,'Berhn, 1876, p. 3oa ss.

Page 307: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LA LÉGENDE DE TRAJAN. 269

de justice, dont il fut de mode, dans l'Allemagne occidentale

et les Pays-Bas, vers la fin du xv° et le commencement du xvi°

siècle, de décorer les salles où l'on rendait les jugements. Il

faut ajouterà sa liste la

peinture qui, d'aprèsla

Chroniquede

Cologne, ornait l'hôtel de ville de Cologne et représentait,

comme celle de Bruxelles, la justice deTrajan

et la récom-

pense qu'ilen reçut. Cette

chroniquea été rédigée dans la

seconde moitié du xv° siècle il n'ya donc aucune raison pour

attribuer auxpeintures

de Cologne l'antériorité sur celles de

Bruxelles et pour contester l'opinion de M. Kinkel, qui regarde

le travail de Roger de le Pasture comme ayant été lepoint

dedépart

de tout ce mouvement Roger l'exécuta sans doute

entre i43o et i Mo.

En se transmettant de procheen

proche,souvent orale-

ment, la légende ne se maintintpas toujours dans sa

simplicité

primitive.Dans un

poème allemand qui remonte environ au

milieu du xif siècle, laCAroKMMeJes~m~ereMfs~

nous trouvons

le récit augmenté d'un dénouement l'auteur de cette version,

comme jadis Paul, a trouvé quele jugement rendu

parl'em-

pereurdevait être raconté en détail, mais il a suivi une idée

toute différente, etplus

raisonnable. On recherche et on trouve

le meurtrier du jeune homme; il se défend unprocès

com-

pliqué s'engage; mais finalement justice est faite, le meurtrier

estdécapité

et l'empereur fait envoyer sa tête à la veuve, quile comble de

louanges et de bénédictions~.

Mais, à uneépoque qu'il

ne m'estpas possible

depréciser,

l'anecdotequi

nousoccupe reçut une modification bien autre-

mentimportante, qui la fit

passer tout à fait dans le domaine

du roman. Onsupposa que

le meurtrier du fils de la veuve

était le fils même del'empereur,

etque

cela n'arrêtait pas sa

justice. Il a dû exister une forme où il le faisait réellement

périr, formequi

se greffait naturellement sur celle dont la

La Chronique de ~ep~on~ citée par Massmann, ~a~efcAf. III, 7 5 3,n'a guère fait, ici comme ailleurs, que suivre et abréger la ~aM~c/tfo~.

2La source de ia ~MMre/tfOKt/f devait beaucoup ressembler à la lé-

gende de la tapisserie de Berne. Elle se terminait, comme elle, par des

renseignements empruntés aux compilations historiques authentiques.Seulement le poète allemand, suivant son usage de tout ramener au style

contemporain, appelle /Von/M<M~iesennemis que Trajan allait combattre.

Page 308: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

GASTON PARIS.370

ÂaMCfc/;?'o)MAreprésente

une version sans douteamplifiée;

mais elle ne nous estpas parvenue

nous en trouvons seulement

la trace enEspagne,

dans ces vers de la romance n° n sur

V.ddovinos

Acuerdate de TrajanoEn iajusticia guai'dare,

Que no de sincastigo

Su unico hijo carnale

Aunque perdond la parte,Ei no quiso perdonare'.

Ainsi la veuve elle-même demandait àl'empereur,

dans cette

version, de nepas punir

son fils de mort, et il refusait d'a-

doucirlapeine, pour

nepas manquer

à la justice.Dans une variante de ce récit

quiest certainement fort an-

cienne, etque

nous trouvons d'abord dansdiverses chroniques

allemandes~, l'empereurse rend, au contraire, aux

prières

de la veuve celle-ci, en effet, quandil a condamné son fils a

mort, déclareque

ce n'estpas pour

elle uneréparation,

et

demandequ'au

lieu de le tuer on le lui donne enéchange

de

celui dont il l'aprivée. L'empereur hésite, ne trouvant

pas

lapeine

assez forte, mais ses conseillersl'engagent

à céder

il donne alors son fils à la veuve, àcondition qu'il remplisse

envers elle tous tes devoirs d'un fils et d'un serviteur~. Encore

ici, on a cru embellir le récit, en mêlant dans la sentence de

l'empereurla

justice,le sens

pratique (compensation pourla

veuve)et la tendresse

paternelle.C'est la mémo histoire

que

rapportenten

généralles anciens commentateurs de Dante,

Sur ces romances et ce personnage, voy. ~M<. ~oet. deCA(t)'?Mg'HCj

p. a 10.

Duran, ~oMnncero~'eHcr~,t. {, p. ai 3.

La chronique rhnée du Viennois Jansen EnenM (vers 1250), ia

chroniqueen

prose du Strasbourgeois Jacob Twinger deKonigshoien

(fin du xtv° siècle), et la traduction allemande (xtv° siècle) des .~M:<~M

Co/oHt'MMs NMHtm: ( vers ia~o).Pour les citations, je renvoie hàlassminn,

A~K'.sM'c/t)'<MK~ t. iM. Hermann de Fritziar, dans sa Vie des SsM~(vers

i35o), rapporte aussi, mais très-brièvement, les mêmesfaits(\oy.

Mass-

mann, /.).

Konigshofenet la

chronique deCologne

disentque l'empereur

le lui

donnapour mari; mais c'est sans doute une confusion causée par les deux

sens du mot m~t.

Page 309: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LA LÉGENDE DE TRAJAN. 271

qui semblent, en la racontant, croireque

Dante- aussi la

connaissait sous cette formel Un résumé de cette version, qui

est caractérisée dès le débutpar

la circonstanceque

le fils de

l'empereura tué l'autre non méchamment, mais

par impru-

dence, en lançant tropinconsidérément son cheval, qui

l'a

écrase, se trouve dans la~eg'eMja aurea, compilée,

comme on

sait, par l'archevêquede Gènes, Jacques deVaraggio (')' i a~8).

Jacquesdonne d'abord la forme ancienne, dans un texte

qui

reproduità

peu prèscelui de Jean, puis

ilajoute

notre va-

riante comme une aventure distincte

Ferturquoque quod

cum quidam filius Trajani per urbem equitando

nimis lascive discurreret, filium cujusdamviduœ interemit; quod

cum

viduaTrajano

lacrimabiliter exponeret, ipsefiiium suum

quihoc fecerat

viduae loco niiisui defnneti tradidit, etmagnifice ipsam dotavit~.

Le même doubleemploi

se retrouve dans JohnBromyard,

quenous avons cité

plushaut

parmiceux

qui reproduisent

le récit de Jean; seulement, au lieude placer

la varianteaprès

le récitprimitif,

comme laLégende dorée, il la donne avant

Scribiturquod [Trajanus]

tantam in suis justitiam exercuit, quodfi-

Humproprium

ad'serviendum cuidam vidua' tradidit, quiafilius suus

indiscrete equitando viduas filium impotentem pro matris servitio fecerat'\

Cette version, quia fourni le

sujetd'un conte de Hans

Sachs 4, a sûrement aussi existé en français: ily

est fait allu-

Voy. le texte de Jacopo della Lana dans l'édition de son Commentaire

publiéeà

Bologneen 1866, et dans Zambrini, Lib,'o di A'bue& antiche

(Bologna, 1868), n° xnx. La même histoire se lit dans le Commentaire

anonymedu xiv° siècle qu'a pubtié

M. Fanfani (Boiogna, Romagnoli,

i86<), t. H, p. 176). Voyez aussi Fr. da Buti, éd. Giannini, Pisa, t. If,

p. s3/t.2

~eg-. <!Mr., ed. Grasse, Leipzig, 18~6, p. i()6. On est étonné, en

présence de ces deux versions et des réflexionsthéologiques qui les

accompagnent,de lire dans l'Histoire de la ville de Rome de M.

Grego-rovius (a" éd.

p. 87) ~Le livre de Jacques deVoragine,

chose remar-

quable,n'a pas

admis cettelégende."

Une formeégalement très-

abrëg'éede ce récit se trouve dans Gritsch, ()!M<&*ag'MMM/6, xxxii, S.

Onpourrait

croire que Bromyard fait allusion à un récit où le

jeune homme était seulement blessé; mais ce n'est sans doute làqu'une

négiigence d'expression.Hans Sachs, ~rmf~'eg'e&en von von Keller

(Stuttgart, 1870).

Page 310: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

GASTON PARIS.272 9

slon dans les vers suivants de la M)r< oM /K's<oH'e }'oMMM?pJ'MHe

j~mme ~Mtapott t'OM~M ~a/iï'r cité Je ~ome; l'un des

jasesdit à

l'autre:

Valerius, chose piteuseSi

peult en pitié moderer.

N'avez vous pas ouy compter

Que Trajan jugea son enfant

A mort, puisle voult

repiter (cf~. répéter)?C'estoit empereur triomphant.

Ha! ce fut ung cas suffisant

Et qui estoit de noble arroy.

H enacquist renom bruyant

Et si tint justice en son ptoy

Cette version, qui figureà la fois, comme nous l'avons vu,

dans deschroniques

allemandes de lapremière moitié du

xnr' siècle, dans laLégende Jor~ et dans des textes italiens du

xtv° siècle, s'est en outre introduite, sans doutepar

transmis-

sion orale, dans la rédactioninterpolée,

faite au xiv° siècle,

du livre curieux, certainement antérieur au xn° siècle dans sa

formeprimitive, qui,

sous le nom de Ma'a~M: jRoNMf;, a servi,

pendanttout le

moyen âge,de

guideaux

pèlerinset aux tou-

ristesqui

visitaient Rome. L'altération du réclt_ est sensible

dès lespremières lignes,

oùl'empereur (le

nom deTrajan

a

disparu)est

représentésur son char et non à cheval; on la

remarqueaussi dans l'abréviation du

dialogue, quise trouve

fortuitement réduit ici, àpeu près,

à cequ'il

était dans le récit

primitif.Voici ce texte

Cum esset imperator paratusin curru ad eundum extra pugnaturus,

quœdam paupercuiavidua

pt'ociditante pedes ejus, plorans et ctamans:

Domine, antequam vadas mihi facias rationem. Cul eum promisisset. in

reditu facere plenissimum jus,dixit i))a Forsitan morieris prius. Impe-

rator hoc considerans pra:si!iit de curru ibique posuitconsistorium.

t. II, p. 3y8. Le récit de Hans Sachs est fort maladroit la veuve de-

mande dès l'abord justice à l'empereur eo)!<)'e MK~, ce qui rend absurde

le dialogue quisuit. Il le lui donne CM

g'a~ jusqu'à ce-qu'il revienne;

la veuve t'accepte volontiers, et on ne raconte pas ensuite que Trajan soit

revenu ni qu'il ait fait justice. Hans Sachs a écrit cette faible pièce le

t3septembre

i553. H ne dit rien de la libération de l'âme de Trajan.~nciM Théâtre /?WK'<K~ p. p. Vio)!ct-)e-Duc, t. III, p. 178.

Page 311: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LA LÉGENDE DE TRAJAN. 273

Muuer inquit: Habebam unicum filinm, qui interfectus esta quodam

juvene. Ad banc vocem sententiavit imperator Moriatur, inquit, homi-

cida et non vivat. Morietur ergo filius tuus, qui ludens cum filio

occidit ipsum*. Qui cum duceretur ad mortem, mufier ingemuit voce

magna: Reddatur mihi iste moriturus in loco niii mei, et sic erit mihi

recompensatio alioquin nunquam me fatear plénum jus accepisse. Quod

et factum est, et ditata nimium abimperatore recessit 2.

C'est sans doute aussipar

la tradition orale, maispropagée

bien entendu dans lalangue

des clercs, quenotre histoire,

toujourssous cette forme

particulière,est venue à la con-

naissance de Jean, moine de Haute-Seille en Lorraine, qui

écrivait dans les dernières années du xu° siècle son curieux

roman deDolopathos.

Le nom deTrajan manque

dans son

récit; mais, comme la scène duDolopathos

estplacée

autemps

d'Auguste,il était

obligéde le

supprimer,même s'il le trouvait

dans sa source ils'agit simplement

de rexquidam

.~OMMMorMM:.

Ledialogue

est àpeu près

exactementpareil,

sauf les termes,

à celuique

donne le diacre Jean 3, d'ou il suitque

notre

groupede versions se rattache directement au texte de cet

auteur et n'apoint passé par

la rédaction de Jean de Salis-

bury.Nous ne nous

tromperonssans doute

pasde

beaucoupen

enplaçant

la rédaction vers le milieu du xn" siècle. Jean

de Haute-Seille, suivant sonusage4,

a cru devoir remanier

le contequ'il

voulait insérer dans son œuvre il apuérilement

ajouté pourla veuve, a la perte de son fils

unique,la

perte

de sonunique poule il a

transportéla scène hors de Rome,

pourrendre l'action de

l'empereur plus étonnante, en le fai-

sant non-seulement s'arrêter, mais revenir à la villepour

rendre

Dans toutes les autres dérivations de la source commune de ces ré-

cits, lé fils de J'empereureef<Me celui de la veuve c'est encore ici une

altération.

Voy. Urlichs, Codex <opograpAMtMM'&MjRoMM~ p. iBg.

Comme dans ce texte. la veuve demande àTrajan quelle récompense

il recevra du bien accompli parson successeur, et il

répond ~Aucune."

Cette réplique,comme nous l'avons vu plus haut, a été

supprimée parJean de Salisbury.

Surfœavre et les procédés littéraires de Jean de Hatite-Seille, voy.

Romania, If, ù8i ss.

Sur une addition du même genre,mais encore p~s ridicule, faite

par Jean à un autre conte, voy. Romania,

~8

Page 312: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

GASTONPARIS.27&

justice; enfin il a donné à la mort du jeune liomm<y un motif

nouveau, qui prête au récit, à l'insu de l'auteur, un caractère

tout à fait t?:oye~ ag'e. Voici ce conte, traduit sur le~texte iatinKUn roi des Romains marchait un jour avec son armée contre

les ennemis, qui avaient envahi la plus grande~partic de son

royaume. 1) traversa un villageoù habitait, avec spn fils unique,dans une maisonnette, une pauvre veuve, qui de tous les biens

de la terre ne possédait qu'une poule. Comme l'armée passait

devant sa porte, le fils du roi, qui, suivant l'usage des jeunes

nobles de son âge, portait sur son poing un épervier, le jetasur la poule de la veuve, et l'épervier l'eut bientôt broyée sousses ongles recourbés le fils de la veuve, accourant au secours,

frappa l'oiseau de proie de son bâton et le tua raide. Le fils

du roi entra dans une violente fureur, et.pourvengersonéper-

vier, il perça de son épée le-fils de la veuve. -La voilà donc

privée de son fils unique et dépouillée du seul bien qu'elle

possédait. Que faire? Elle courut après le roi, l'atteignit, et

avec force larmes et sanglots, elle lui demanda-de venger son

filsinjustement tué. Le roi, dont le cœurdtaitbon et pitoyable,

s'arrêta un instant, et dit doucement à la vieille d'attendre

qu'il fût revenu de la guerre: Alors, dit-il, je vengerai vo-

lontiers ton fils. Mais la veuve: Et si tu es tué dans cette

guerre, qui le vengera? -Je te renvoie, dit-il, à celui quime succédera. -Et quelle récompense en recevras-tu, dit-elle,

si un autre venge celui qui a été tuésous ton règne?–Aucune.Fais donc toi-même ce que tu aurais laissé à un autre,

pour mériter la reconnaissance des hommes etja. récompensedes dieux. Le roi, touché de ce discours, différa son départ et

revint a la ville. Mais quand il sut que c'était son fils qui était

le meurtrier: Je pense, dit-il à la mère, que ta poule .est

suffisamment payée par l'épervier. Quant à ton fils, pour te

D faut remarquer que cette histoire est racontée pour engager le roih ne pas taire périr son fils accusé, mais à tenir compte la fois, comme

le fit Trajan, de la justice et de l'amour paternel. C'est, dans une inten-

tion semblable qu'elle est rapportée (ainsi que celle de Zaïencus) dans

la Morale dont j'ai donné les vers plus haut. Ainsi l'esprit qui avait ins-

piré cette forme particulière de l'histoire s'en était presque tout à fait

éloigné, depuis qu'on avait représenté l'empereur cédant aux prières de

la veuve et faisant grâce à son fils de la peine capitate.

Page 313: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LA LÉGENDE DE TRAJAN. 275

)8.

donner satisfaction, je te laisse le choix entre deux choses ou

je mettrai mon fils à mort, ou, si tupréfères qu'il vive, je te le

donnerai au lieu du mort, pour t'honorer comme mère, t'adorer

comme reine, te craindre comme maîtresse ette servirjusqu'à la

fin de tes jours. Tu décideras. Elle, considérantqu'il

lui valait

mieuxprendre

le secondparti, reçut le jeune homme commefils;

elle quittasa cabane

pourun

palais;elle changea ses pauvres

habits pour des robes de pourpre. Quant au roi, aprèsavoir

fait justice, il marcha contre ses ennemis~.

Cette version a subi en Allemagne une nouvelle et curieuse

déviation. Déjà dans les contesque

nous venons de parcourir,

l'espritdu récit

primitifétait

singulièrement changé le juge-ment, qui,

à l'origine, était seulement indiqué, avaitpris

l'im-

portance prépondérante:le merveilleux n'était plus qu'un em-

pereur, pourrendre justice à une pauvre femme, s'arrêtât avec

toute son armée déjà en marche, mais bienqu'un

souverain

condamnât à mort sonpropre

filscoupable

de meurtre. Dès

lors, la première partie pouvait et devait tomber; la seconde

étaitexposée

à se confondre avec des récitsanalogues.

Ce fut

cequi

arriva d'après Enenkel, le fils de Trajan avait, non

pas tué le fils de la veuve, mais déshonoré sa fille; l'empereur

le condamna à mort; en vain la veuve demanda sagrâce, en

vain les conseillers du prince se joignirent à elle «Rien ne

doit porter atteinte, dit-il, à maréputation

de justice. Mais

un homme aveuglé ne peut être mis à mort; je consens à ce

quemon fils soit seulement privé de la vue. II

ajoutaensuite

«Mon fils et moi ne faisons qu'une chair; puisque lecoupable

doit perdre deuxyeux,

il estpermis

departager

lapeine entre

nous. H Et, ayant fait crever un œil à son fils, il s'infligea le

même supplice.-Ona

depuis longtemps reconnu la confusion

quis'est introduite dans ce récit Enenkel a mêlé avec l'his-

toire de Trajan etde la veuve celledeZaieucus.Ielégislateurdes

Locricns, qui, ayant porté contre l'adultère lapeine

de l'aveu-

glement, ne voulut pas, malgré lesprières

dupeuple, y sous-

Z)o/oj)M</MM,éd. Oesterley, p. 6a. La traduction de Herbert ( Li~o-

Ma~~e Do/o~/t(M., éd. Brunet et de Montaig-ion, v. ~68 a-ySSo) n'ajouteni ne change rien d'essentiel au récit original.

Massmann, A7;Me~/t)-otK~ !H, y 5 5.

Page 314: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

GASTON PARIS.276 6

traire son fils, mais consentit à la diminuer en-lapartageant

t

avec lui'. Uncompilateur qui

avait sousles yeux

le récit

d'Enenkel et le texte de la ~H'sercAfOM:~ 2 a résumé le'premier

avant derapporter

le seconde

Parmi les traitsplus

ou moins semblables a cjeluiqu'on

at-

tribue àTrajan qui

se retrouvent dans différentes littératures

il en estplus

d'un sans doutequi

apour

source l'histoire

même quinous

occupe;mais l'étude de ce

pointnous en-

traîneraittrop

loin de notresujet,

sans nous fournir de ré-

sultatsvraiment dignes

d'attention

Voyez, sur les différents auteurs qui ont rapporté cette histoire, la

note de M. Oesterley sur le n° 5o des Gesta jRo.M!<M:o)'uM.

C'est Fauteur du ms. de Gotha (xiv* s.)de la

chronique de Repgow

fTrajânus was en sô reht rihtére dat he durch dat relit cme se!vcn ên

6ge ut brac, und smeme sone en~ (Massmann, ~aMereAf. HI, 755).

Le rapprochement des histoires de Trajan et de Zaïeucus s'est fait

plus d'unefois la M<M'aK<e citée

plushaut mentionne ie second immé-

diatement après le premier.On

représentait volontiers, dans les saUes de

jugement, Faction dulégislateur

locrien comme celle de l'empereur ro-

main de là la singulière confusion de Van Mander, qui, dëcrHfant les

peintures de Roger de le Pasture à Bruxelles, substitue rune à l'autre, et

prétend qu'on voit tfunpère et son 61s, auxquels

on crève un oeil))(Pin-

chart, p. 10; Kinkel, p. 3~t6).

Massmann cite une anecdote rapportée par Nicéphore Hcraclius,

une autre attribuée au comte Lédéric de Flandre, une autre dont on fait

honneur à un grand vizir. Sur l'anecdote relative à Saladin, indiquée par

A

Nannucci, ManMa~, t. l, p. 76, voy. ci-dessous, p, a88, note 3.

L'histoire de Basanus et de son fils, racontée par Trithème dans le faux

Hunibald, est certainement unesimple

imitation de celles de Trajanet

de Zaleucus.°

Massmann comprend (et M. Oesterley après lui) parmi les variantes

(te notre histoire celle quifait le sujet du n* 3og du Ltb'o los

J?M;cm~os/ mais ily a là une confusion manifeste cette histoire, est ceHe

que Godefroi de Viterbe et d'autres auteurs cités par Massmann iui-même

(jE~aMercA)' t. III, p. io84) attribuent à Otton 111, etqui n'a que très-

peu de rapport avec la nôtre. Cette histoire a aussi ét~ peinte dans des

salles de justice (voy. Kinkel, p. 33o). Une autre anecdote dont

Otton IH est le héros(Grimm,

DeM~cAe S<!g'e; n'* ~78) commence

comme la nûtre, mais a un développement tout différent.

Page 315: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LA LÉGENDE DE TRAJAN. 277

II

TRAJAN ET SAINT GREGOIRE.

Revenons au récit leplus simple

et leplus

ancien. Il ne

nous estparvenu qu'enveloppé

dans une autre légende. On

raconte quele

papesaint Grégoire le Grand

(5go-6oA),en

se rappelant l'acte de justice deTrajan,

fut saisi d'unepro-

fonde douleur à lapensée qu'un homme si vertueux était

damné, 11pleura

etpria longtemps pour lui, et une voix d'en

haut lui annonça, dans une vision, que Dieu avait exaucé sa

prière pour Trajan,mais

qu'ilse

gardâtbien désormais de

prier pourd'autres

que pourdes chrétiens. Ce sont les bio-

graphes de Grégoire qui, en nous racontant cette histoire,

nous font connaître le trait de la vie de Trajan qui avait tant

ému lepape.

Nous possédons, en comptant celle de Bède, trois vies de

saint Grégoire qui ont toutespour

source principale une K lé-

gende composée,sans doute peu

detemps après sa mort,

pour l'usagedes Eglises anglo-saxonnes, qui

lui devaient leur

existence. Cette légende est perdue elle a été d'abord utilisée

par Bède(y 3 5), qui

a inséré dans son ~îstona ecc~MM&ea

Anglorum une véritable biographie de saint Grégoire; l'ouvrage

de Bède a fourni le fond de la Vie rédigée vers y 60~ par

Paul, fils de Warnefrid, connu sous le nom de Paul Diacre.

Enfin, vers l'an 880, un diacre romain, nommé Jean et sur-

nomméHymonide, composa

une Viebeaucoup plus étendue,

à la prière dupape

Jean VIII. Cepape

avaitremarqué

avec

étonnementquesaint

Grégoiren'avait

pastrouvé de biographe

dansl'Eglise romaine, tandis que les Saxons et les Lombards,

La Vie publiée par Canisius (Lectiones aM<MM<Bjéd. Basnage, t. !I,

p. m, p. 256) ne compte pas: ce n'est qu'un sec abrégé de celle de

Jean.

C'est une œuvre de la jeunesse de Paul (voy. Bethmann, dans }'~)'-

e/«Mde Pertz, X, 303).3 C'est par suite d'une confusion que M. R. Reuss (Rev, eM'< i8ya,

t. II, p. a 8 3) fait de Jean un moine du Mont-Cassin, La même erreur se

trouve dansGreg'orovius, G~e~'c/~e f~' Stadt ~OM., 2' éfl. t. II, p. ()3,n. 1.

Page 316: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

GASTON PARIS.278

peuples, l'un si éloigné, l'autre si ennemi- de Rome, possé-daient des vies du pontife romain écrites pour leurs Eglises.Ce fut pour combler cette lacune que Jean composa sa vie en

quatre livres il put puiser pour l'écrire dans les archives pon-

tiHcales mais il n'y trouva que des lettres ou des actes de

Grégoire il ne put ajouter aucun document réellement, bio-

graphique à la légende saxonne et à l'opuscule de Paul.

La légende anglaise contenait l'histoire des prières pour

Trajan et du fait qui les avait provoquées. Jean_le dit expres-sément KLegitur penes easdem Anglorum ecclesias~ Bède

l'avait donc lue, mais, la jugeant sans doute fabuleuse et dan-

gereuse, il l'a omise. Elle figure cependant dans les diverses

éditions de l'ouvrage de Paul, qui n'avait d'autre source que

Bède; mais, comme Fa montré M. Betbmann~toute la partieoù elle se trouve est une interpolation postérieure. D'oh pro-vient cette interpolation, qui remonte au moins au xi" siècle,

puisqu'elle se lit dans un grand nombre de manuscrits dn xn° ?2

Elle peut avoir deux sources ou la légende saxonne (quePaul n'avait connue que par l'extrait de Bède), ou la Ftt~ de

Jean. M. Bethmann croit que c'est la légende saxonne.qui en

a fourni le fond, etplusieurs circonstances rendent cette opi-

nion à peu près assurée. En ce qui concerne notre anecdote,

l'ouvrage de Jean et l'interpolation pratiquée dans le livre de

Paul nous offrent donc deux dérivations indépendantes de

cette légende, aujourd'hui perdue. Je vais, comme je l'ai fait

pour la partie relative à Trajan, donner en regard l'une de

l'autre les deux rédactions qui la représentent i

PAUL.

Cumquadam

die per forum

Trajani, quod opere mirifico cons-

tat esse constructum, procederet,et

insignia misencordise ejus conspi-

ceret, inter cetera memorabile il-

iudcomperit quod, etc.

1

Gujusrci

gratia compunctus

~6'6'.Mar< II, i53.

~irc/Mt' de Pertz, l.

MM.

Gregorius per forum

Trajani, quod ipse quondam pul-cherrimis œdiCciis yenustacat, pro-

cedens, judicii ejus, quo viduamconsoiatus fuerat, recordatus at-

que memoratus est, etc.

Hujus ergo mansuetudinem ju-

Page 317: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LA LÉGENDE DE TRAJAN. 27U

venerabins pontifex cœpit lacry-

mosisg'emif.ibussecum inter verba

precantia hœc, siquidem prophe-tica e!. evang'eiica, evolvere ora-

cula Tu, Domine, dixisti JM~

catepupillo, ~e/eK~e viduam, et

!'eM'<<' et s~ Me.; J:M<H!'(e et

<&'HM'Me<M?'vôbis. Me immemor sis

(quasso peccator ego indignissi-

mus), propternomen sanctissimœ

g'tonœ tuœ, (et) Metissimaa pro-

missionis tua; in hujus devotissimi

viri facto. Perveniensque ad sepui-crum beati Pétri

apostoli,ibidem

diutius oravit et ilevit;

atque veluti gravissimo somno

correptusin extasi mentis

raptus

est, duo per revelationem se exau-

ditum discit, et ne ulterius jamtalia de

quoquamsine baptismate

sacro defuncto praesumeret petere

promeruit castigari

dicis assenintGregorium

recor-

datum.

.ad sanctiapost,o)ibasiiicam

percoluisse, ibique tam diusuper

errore clementissimiprincipis de-

Hevisse, quousque respohsum se-

quenti nocte cepisset:se

pro Trajano fuisse audi-

tum.tantumpronu!loulterius

pagano.

preces eftunderet~. 2.

.Ce sontprobablement les dernières

parolesdu texte de

Paul, malinterprétées, qui

ont donné lieu à undéveloppe-

ment postérieur de la légende. D'après un manuscrit du Va-

tican 3, qui rapporte cette histoire sous le nom(certainement

feint)du diacre Pierre, le meilleur ami de

Grégoire, et d'un

diacre Jean, dont le nom est sans douteemprunté

au bio-

graphe plus jeune de deux siècles, Grégoire aurait raconté

tui-mémcqu'un ange lui avait annoncé

qu'en punitionde son

intervention indiscrète, quoique heureuse il souffrirait dans

soncorps (de

nèvres et de mauxd'estomac) jusqu'à la fin de

ses jours. Ce récit existait certainement à .uneépoque

an-

cienne, puisquela ~MsereAroM~ au xu° siècle, l'a

reproduit

~/t. i35.

.M.&S. i53.

Ce rns., découvert et cité par Chacon, portait de son temps la cote

/VM;.nn n° i53.11 contenait les Ot's~Mes de Grégoire, et la note censée

rédigée par Pierre et Jean était écrite sur la dernière page. Baronius, quila déclare avec raison bien postérieure au vff" siècle, n'indique pas la datede l'écriture. Cette note ne mentionne notre légende qu'en passant; elle

a réellement pour but de faire croire à certains privilèges obtenus du ciel

par Grégoire pour la paroisse de Saint-André.

Page 318: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

GASTON PARIS.380

dans son style archaïque et naïf l'ange qui annonce à Gré-

goire que Dieu est prêt à exaucer son voeu le laisse encore

libre d'y renoncer; s'il y persiste, il sera frappe de Ksept ma-

ladies» et il mourra bientôt. Grégoire accepte de payer la

rançon de Trajan; alors l'âme de l'empereur sort de la tombe

où elle était chargée de liens, aux cris de fureur des démons;

elle est remise à Grégoire, qui s'en fait le gardien jusqu'aujour du jugement dernier. Bientôt après, les maladies annon-

cées le saisissent, et il ne tarde pas à mourir.D~nsIa j~cK~e

f/or~e., nous retrouvons la punition de Grégoire, mais elle n'est

pas facultative, non plus que dans le récit attribué à Pierre et

à Jean; l'ange donne seulement au pape le choix entre deux

genres de châtiment ou un état constant de maladie jusqu'àsa mort, ou deux jours de purgatoire; il n'hésite pas à choisir

la maladie 1. Ce choix n'est pas marqué dans le récit de Go-

defroi de Viterbe, et la punition est autre

Angelico putsu iëmnr ejus tempore multo

Giaudicat, et pœnœ corpore signa tenet.

L'histoire de la rédemption de l'âme de Trajan par les

prières de Grégoire ne nous est pas connue seulement par les

deux biographies de Jean et de Paul un autre témoignage,

apparemment plus ancien, nous atteste et son antiquité et sa

diffusion. L'auteur grec d'un traité attribué a tort à saint. Jean

Damascène, mais qui n'est sans doute pas beaucoup plus

récent, nous rapporte que Grégoire adressa au Dieu miséri-

cordieux des prières ardentes pour la rémission des péchésde Trajan, et qu'il entendit aussitôt une voix divine lui dire

« J'ai exaucé tes prières, et je pardonne a Trajan; mais garde-toi dorénavant de m'implorer pour des impies. L'auteur

ajoute ctQuc ce soit là un fait réel et à l'abri de toute con-

testation, c'est ce qu'attestent l'Orient et l'Occident tout en-

Ce trait se retrouve dans le Cefa&~MssaMc<o)'!N?:de Pierre de Nata-

libus (III, 19 a) aut biduo MjMMt'g'a~On'OM'MCM~ Stt! in vita sua M!/M'-

MMMï'&Ks~B~'an.H est reproduit dans les FM~t <E~~o~, mais il n'a pas

passé dans le ~VoM~Mo;il est indiqué dans le Commentaire de Dante

connu sous le nom de i'OH:'mo.L'anonyme de Florencene parte qued'un

jour de purgatoire, Butique d'une heure.

Page 319: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LA LÉGENDE DE TRAJAN. 281

tier'.M Faut-il croireque

l'auteurgrec

avait lu lalégende

saxonne? Il estbeaucoup plus probable, d'après les termes

mêmes, dont il se sert, qu'ilconnaissait

parla tradition l'inter-

cession extraordinaire deGrégoire.

S'il en est ainsi, il nous

fournitpour

cette histoire une seconde source, indépendante

de lapremière~.

Quoi qu'ilen soit, cette histoire fut accueillie avec faveur,

pendant tout lemoyen âge, par

les historiens et mêmepar

beaucoupde

théologiens.C'est le

plussouvent à

propos(le

Grégoirele Grand

qu'estraconté ce trait de la mansuétude et

de la justice deTrajan, qui

excita à un si hautdegré

son ad-

miration et sapitié. Sigebert

de Gembloux se contente de

rappelerbrièvement la délivrance

opérée par Grégoire;mais

laplupart

des auteursque j'ai cités

plushaut à

proposde

Trajanencadrent l'un des récits dans l'autre ou mentionnent

l'un àpropos

de l'autre. C'est le caspour

la Kaiserchronik,

Godefroi de Viterbe, Jean deSalisbury,

les Annales~fag'Je-

~Kfg'eKMs, Hélinand, reproduit parVincent de Beauvais, G~art

de ~OM~<7/OM, les FioriJ~/o~le Novellino, Dante' et ses

commentateurs, Bromyard,et sans doute

beaucoupd'autres

ouvrages pieuxet

historiques quin'ont

pasencore été cités.

Quelques-unsde ces textes

ajoutentdiverses circonstances,

S. yosMK..OaMMSc.op~ éd. Migne (t.XCV), col. 261. L'inauthen-

ticité du traité Sur ceuxqui

se sont endormis dansla foi a été démontrée

par LéonAltatius et, après lui, par l'auteur des Dissertationes damasce-

!M'ca~ reproduites dans le tome XCIV de laPa&'o~ne grecque de

Migne.C'est

probablement au prétendu Jean Damascène que l'histoire a été

empruntée par i'~c/M/og-e grec que cite Baronins tfDe même que tu as

délivré Trajan de sa peine par l'ardente intercession de ton serviteur Gré-

goire, écoute-nous, qui t'implorons non pour un idolâtre,~ etc. Ungrand

nombre depassages d'écrivains grecs,

réunispar Preuser dans

l'ouvrage

qui sera cité tout à l'heure, ont aussi pour unique base lepassage du

traité attribué a Jean de Damas. Hugo d'Eteria (De <HMWMeorpot-e exuta,

c. xv) a, bien que Latin, emprunté cette histoire à la traditiongrecque.

C'est ce qui ressort de la façon dont il raconte, et surtout de ses der-

niers mots ()MtH'!<e~ .Mjs~ec~ spM~ G)'<Beo~/ ë')'<M<: <;?'? OMMM ~a~M*

/MPCecc/MMt(Migne,

P<:<r. /<:<. t. CCII, p. aoo). Cet écrivain a d'ailleursIzcec ecclesia(ifligne,

Pcztr.lat. t. CCII, p. 200). Cet écrivain a d'ailleurs

vécu longtemps à Constautinople et connaissait à fond les théologiens

grecs. S. Thomas aussi s'appuie sur S. Jean Damascène.

tfDei romanprince,

lo cuigran

valore mosse Gregorio alla suagran

\ittoria~) dit-il dans le passage cité plushaut

(Cf. ci-dessous, p. a85.)

Page 320: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

GASTON PARIS.282

qui nous offrent le développement à la fois logique et puéril(te la donnée légendaire.

La Chronique des ENtpereMrs semble déjà dire quesaint

Grégoire fit ouvrir le tombeau de Trajan (voyez ci-dessus):

l'imagination du moyen âge devait naturellement se deman-

der dans quel état on avait trouvé le corps'. D'après un récit

que nous connaissons, non pas sans doute dans sa forme ori-

ginale, qui était certainement latine2, mais par la rédactionallemande de la C/~Kt~Me Cologne et la rédaction italienne

des Fiori fK~/oso~, source de celle du Novellino, quand on ou-

vrit la tombe, nla langue, dit la Chronique, était encore chair

et sang, M signe, dit le texte italien, qu'il avait parlé juste-

ment «mais, ajoute la C/M'OM~Keallemande, quand elle

eut été à l'air, elle redevint poussière Cette histoire forme

le sujet du second tableau relatif à notre légende, exécuté

par Roger de le Pasture et reproduit sur la tapisserie de

Berne d'un côté saint Grégoire est en prières, de l'autre on

trouve le crâne de Trajan, où la langue est encore pleine etfraîche. L'inscription latine s'exprime ainsi «

Cum beatus papa Gregorius rem tam diflicilem a Dec suis precibus

impetrare meruisset, corpus Trayant jamversum in ptdverem reverenter

detegcns, linguam ejus quasi hominis vivi integram atunvenit,qu.od

propterjusticiam quam )mgu.a sua persolvit pie cceditHr contig'isse~

Les mêmes scènes étaient sans doute représentées à l'hôtel

de ville de Cologne (voyez ci-dessus, p. a6a); au-dessous,

d'après la CAroH~Me, était écrit ce vers que prononçait Trajan

Justus ego baritro gentilis salvor ah af.ro\

On devait aller plus loin du moment que Trajan avait

Bien entendu on ne savait pas que le sépulcre pratiqué sous ta

cotonne Trajane n'avait contenu que des cendres et non un cadavre. Tant

le souvenir de l'antiquité avait complètement disparu!Au moins n'oserais-je pas affirmer que cette forme primitive fut

ccife que donne l'inscription de Berne.

La C/M'oM~Mest citée dans Massmann, l. l.; les deux textes italiens

se trouvent dans le Manuale deNannucci, 1.

KinM, p. 36~.

Notonsque, d'après le témoignage de Saimeronet: de Chacon (voy.ci-dessous), l'intercession de Grégoire était représentée sur un retable de

t'egtise consacrée, à Rome, a ce saint.

Page 321: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LA LÉGENDE DE TRAJAN. 283

conservé sa langue, ce devait être pour s'en servir. D'après

plusieurscommentateurs de Dante, on avait par

hasard 1 ou-

vert une tombe inconnue on y trouva, parmi des ossements,

un crâne danslequel

lalangue

était encore fraîche; conjurée

par le pape Grégoire, elle se mit à parler, à dire qu'elle avait

appartenuà Trajan, et à raconter sa justice, en demandant

au pape de prier pour lui. Telle fut, d'après cette légende,

qui s'éloigne sensiblement du point dedépart,

l'occasion des

prières dupape.

xlta fabulas, dit Baronius, fabulis addidere,

ut ridiculum etiam illud demum sit superadditum de Tra-

jani cranio cum vivida adhuclingua reperto, qua ipse

suam

miseriamdeplorans

ad commiserationem sanctum Gregorium

movit. nL'auteur des Annales de

F-Eo'Hse;,on le voit, parle

avec grand

mépris de ces fables dumoyen âge;

il est d'ailleurs absolu-

ment hostile à la légende elle-même. Rien n'estplus naturel,

et cequi surprend,

au contraire, c'est que des théologiens

aient laissé passer et même répétéun récit

qui,estdirectement

contraires à deux dogmes fondamentaux del'Eglise

l'unque

les infidèles sont damnés, l'autre qu'il est défendu de prier pour

les damnés. Dès lesplus

ancienstemps,

il faut le constater,

des objections s'étaient produites. La légende saxonne n'en

élevait aucune elle racontait naïvement cette histoire bizarre

et touchante. Mais le diacre Jean en. sentait les diE&cultés, et

la manière dont il en parle prouve que ce trait de la vie de

Grégoire, profondémentoublié à Rome lorsqu'il le raconta

d'aprèsla

légende saxonne, yavait rencontré des doutes et

des scrupules Tandis que personneà Rome ne doute des

miraclesprécédents~, dit-il, cet endroit de la légende saxonne

1C'est ce que disent Buti (éd. Giannini, t. I[, p. a3ù) et J. délia

Lana (voyez ci-dessus, p. syi). D'après l'Ottimo (Pisa, i8a6, H, 161),c'était l'empereur Maurice qui avait donné ordre d'ouvrir le tombeau.

Le même conte a été inséré par Bernardine Corio dans son Histoire

de AMM: (i5o3), et c'est par cet ouvrage que l'a connu Chacon (voy.

ci-dessous) et, à travers fui, Baronius.

L'Egtise romaine, on Fa vu, ne possédait aucune biographie de

Grégoire; celle de Bède, qu'on connaissait à Rome par le rt/MMHe~o de

Paul Diacre, avait supprimé tous les miracles racontés dans la légendesaxonne; en sorte que Jean, qui les reprenait dans cette légende, était le

premier à les faire connaître a Home.

Page 322: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

GASTON PARIS.28&

où on raconte que Famé de Trajan fut, par les prières de Gré-

goire, délivrée des tourments de l'enfer, n'est pas cru de tous;

on fait surtout remarquer que le grand docteur enseigne au

quatrième livre de sesDia~Mes que la même raison empêcherales saints, au jugement dernier, de prier pour les damnés qui

empêche aujourd'hui les Mêles de prier pour les infidèles dé-

funts, et que celui qui parle ainsi n'aurait certainement jamaissongé à prier pour un païen. On ne fait pas attention que la lé-

gende ne dit pas que Grégoire pria pour Trajan, mais seulement

qu'il pleura. Or, sans qu'il ait prié, ses larmes ont pu être

exaucées. Il faut encore noter que la légende ne ditpas que

par les prières de Grégoire l'âme de Trajan ait été délivrée de

l'enfer et mise dans le paradis, ce qui parait absolument in-

croyable, puisqu'il est écrit moins que FAoMme ne renaisse

de l'eau et de r&Br!t-&K~ il n'entrern pas dans lé royaume des

cMM.c.On dit simplement que l'âme fut délivrée des tourments de

l'enfer, ce qui peut paraître croyable. Une âme peut être dans

l'enfer, et, par la grâce de Dieu, ne pas en sentir les tourments

de même dans l'enfer c'est un seul et même feu qui embrase

tous les damnés, mais, par la justice de Dieu, il ne les brûle

pas tous également: car autant la faute de chacun est grave,autant sa peine est douloureuse. M Des deux atténuations de

Jean, la première est peu sérieuse et manque même de bonne

foi dans son texte, il est vrai, on lit simplement~c~ïsse, tandis

que le texte attribué à Paul, plus fidèle sans doute à la lé-

gende saxonne, porte oravit etj~6M<; mais ilrapporte lui-même

que l'ange avertit Grégoire de ne plus pi-ier pour un paient. n

Quant à l'idée que l'âme de Trajan avait obtenu par l'interces-

sion de Grégoire non pas une grâce entière, mais-une commu-

tation de peine, elle est évidemment contraire à l'esprit de la

légende, et à l'interprétation qu'elle a reçue généralement au

moyen âge, mais elle peut se défendre suivant la lettre et elle

a été admise par quelques auteurs. Le rédacteur des ~HH~es

M~e&!H'g'eMse~ par exemple, l'a précisée encore plus que le

diacre romain de ne voudrais pas, dit-il, affirmer que cette

intervention ait valu à Trajan le salut complet; je pense seu-

D'aitteurs, comme font fait remarquer plusieurs thcoioMCM, on

prie avec le cœur et non avec les tèvt'es.

Page 323: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LA LÉGENDE DE TRAJAN. 285

lement que, grâce aux larmes de Grégoire, il a obtenu une

peine plus douce. o

Ce ne fut pas toutefois la seule tentativequ'on

fitpour

conserver le récit légendaire sansporter

atteinte à lapureté

de la foi. «La peine de Trajan, dit l'un', avait dès l'ori-

gine été conditionnelle; Grégoire n'a passauvé un damné,

mais mis à unsupplice temporaire

le termeprévu.

M C'est

n'expliquer rien car comment un homme nonbaptisé pou-

vait-il nepas

être damné pour l'éternité ? « La peine de

Trajan, parl'intercession de

Grégoire,fut seulement

suspen-

due jusqu'au jugement dernier. Cette hypothèse paraît avoir

été cellequ'a

suivie la Chronique desEmpereurs (voy. plus haut);

elle est ingénieuse, mais elle ne résoutpas

laquestion

au

jugement dernier que deviendra l'amer–Enfin laplus heu-

reuse, quoiquela

plushardie des

explications,fut donnée

par

un théologien inventif, Guillaume d'Auxerre(t is3o) «Nul

ne peut, dit-il, être sauvé s'il n'estbaptisé

mais ce futpréci-

sément ceque

saint Grégoire obtint pour Trajan à saprière,

il revint à la vie, son âme rentra dans soncorps, Grégoire le

baptisa, et l'âme, quittantde nouveau son

enveloppe terrestre,

monta droit au ciel3. Ainsi tout était concilié. Saint Thomas

d'Aquin ne s'en tint pas là il fallait auxprières

deGrégoire

joindre quelquemérite personnel de Trajan, et tant qu'il était

païen,il n'avait pu mériter il admit donc

quel'âme de

Trajan

anima un nouveaucorps, qui,

une foisbaptisé,

vécut chrétien-

nement et mérita le paradis4. Dante, qui vit l'âme de Trajan

S. Thom. Aqu. Quaest. ~<f. VI, 6 (éd. Fretté, t. XIV, p. 463).Saint Thomas d'Aquin, auquel cette question de l'âme de Trajan a

donné beaucoup de mal, et qui en a proposé des solutions contradic-

toires, semble bien dire à un endroit (Ad libr. IV Sent. xLv, 2, a; éd.

Fretté, t. XI, p. 3ya) qu'après le jugement dernier l'âme de Trajan sera

rendue aux enfers. Ce n'était presque pas la peine d'un miracle.3

Voy. Chacon, p. 18. Toutes ces expHca.tions atténuantes sont réunies

dans la Légende dorée. L'âme seule aurait été baptisée, d'après une des

solutions de saint Thomas, adoptée par saint Vincent et saint Antonin.

Voy. l'endroit cité dans la n. 2. C'est une opinion qui, d'après Preu-

ser, a été admise par plusieurs théologiens. Ceux qui rejettent ta légendeont fait remarquer, non sans raison, que cette résurrection et cette se-

conde vie de Trajan auraient fait quelque bruit à Rome, et que Grégoireiui-méme en aurait sans doute parlé dans ses lettres.

Page 324: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

GASTON PARIS.386

formant, avec d'autres, le sourcil de l'aigle qui vole devant

Jupiter (Parad. XX, M), a exposé à sa manière le système

du docteur angélique. Ainsi l'imagination, dirigée par la lo-

gique, indiffèrente à la réalité, c'est la vraie scolastique,

s'exerça sur ce sujet pendant des siècles, et déposa autour du

simple noyau primitif ses cristallisations bizarres.

Sans s'embarrasser de ces subtilités, on admit générale-

ment, au moyen âge, que l'âme de Trajan était sauvée, par les

prières de saint Grégoire et en considération de sa justice 2.

Si quelque esprit rénéchi s'étonnait de la contradiction in-

nigée par une pareille croyance a la doctrinecatholique,

les

âmes pieuses se contentaient facilement des' réflexions par

lesquelles l'interpolateur de Paul termine son récit. ~Le plus

sûr est de voir ici un acte de la justice et de la puissance di-

vine, qu'il faut vénérer et non pas discuter~. ?) LesBollandistes

se sont approprié ces paroles et ont respecté le mystère.I! n'en avait pas été ainsi de la théologie du xvt" siècle. Je ne

sache pas que les protestants aient alors touché Ma question;Ils se seraient sans doute bornés à tourner en ridicule ce qu'ilsauraient traité de fable papiste car, moins encore que les ca-

tholiques, ils pouvaient admettre le salut d'un païen, surtout

obtenu par des prières~. Mais les organes omciels de cette

Ou avait même profité de cette croyance pour l'exploiter. Ochino,dans le a 3" de ses ~o&~t;, nous montre un charlatan vendant nue

prière de Grégoire le Grand qui, chaque fois qu'on ta récite, tire une

âme de l'enfer, et s'appuyant pour prouver son dire sur ('histoire de l'âme

de Trajan. Ce conte, mentionné par Prouser, se trouveia page

3l d<*la

version allemande d'Ochino par Wirsing (i55<), in-4°); je nai pu voir

i'origina! italien.je n ai pii voir

Sainte Brigitte de Suède (f i SyS) eut une ?'<&e'&:<KMtqui lui conitrma

le salut de l'âme de Trajan. Une visionnaire plus ancienne, sainte Ma-

thUde (+ vers 1160), avait entendu Dieu lui dire qu'il ne voulait pas ré-

vé)er aux hommes le sort de cette âme, non plus que de celles de Samson,de Salomon etd'Origène. Rolewink(J~MCMM&<steN~m'Mm,éd. Pistorius,

p. ~)o) fait sur ces révéiations et d'autres semblables, qu'il avait entendu

raconter, des réSexions assez curieuses. Chacon cite ces témoignagescomme démontrant la iégende, et ils embarrassent quelque peu Baronius.

'Les phrases qui précèdent ce)!e-ià, sur les doutes auxquels l'histoire

peut donner lieu, sont, dans ie texte des Bouandistes, inintelligibleset sans doute altérées.

Salmeron parle, au début de sa dissertation, des raiUeries des hé-

Page 325: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LA LÉGENDE DE TRAJAN. 287

théologie à moitié rationaliste, qui marqua,vers la fin du

xvi° siècle, la renaissance de l'Eglise romaine, se prononcèrent

énergiquement contre l'authenticité du miracle attribué à saint

Grégoire. Ils v furentprovoqués par une tentative en sons

contraire, qui semblasans doute dangereuse en i5~6, le

savantAlphonse Cbacon~, connu, entre autres travaux d'éru-

dition, parune

monographiede la colonne Trajane que

l'on

consulte encore avecprofit, publia

à Rome un livre exprès

pour démontrer que l'âme de Trajan était sauvée. Chacon

avait été précédé parun autre

Espagnol, Salmeron, l'un des

douze premiers compagnons d'Ignace de Loyola, qui,dans

le tome XIV de ses Dissertations ~eo~Mes~, en a une spé-

ciale(xxvn)

sur cesujet.

Salmeron et Chacon s'intéressaient

à l'âme de Trajan comme à celle d'un compatriote. La thèse

du premier passa inaperçue,mais le petit

livre de Chacon,

oùpour

lapremière

fois était cité leprétendu témoignage

des diacres Pierre et Jean, fit du bruit 3. Ce fut à cause de

cet écritque

Baronius se crut obligé de détruire de fond en

comble la légende que le monde chrétien avaitacceptée depuis

près de mille ans 4. Bellarmin ne mit pas moins d'ardeur à sou-

tenir la même thèse, et cet accordindique qu'à

Rome on était

gêné parce récit, et on voulait s'en débarrasser. Quand on a lu

les deux grands théologiensdu catholicisme moderne5, quand

rétiques à ce sujet, mais il n'en cite aucun. H est peu probable qu'ilfasse allusion à l'apologue d'Ochino.

Le livre de Cbacon sur l'âme de Trajan, comme celui sur !a colonne

Trajane, ayant paru (en latin) en Italie, il est appelé sur le titre CMe-

conus, d'où l'on a tiré le nom Ciacconi ou Ciaccone, qu'on lui donne

souvent à propos de ces livres. Sa dissertation porte le titre suivant:

H:'S<Or:Sceu !)M'!M:M<ta Cft/MMMMmultorum f:')!f&C<!<<<jf:<fCrifért Trajanianimam precibus divi Greg'orK a Tartareis crM<;M<:&!Mereptam. Elle a

a pages in-folio et est dédiée à Grégoire XIII.

2 Ed. de Madrid, i5f)y-i6oa. Mais il doit y avoir une édition an-

térieure, Salmeron étant mort en i585. Chacon n'a pas connu son de-

vancier.

Une traduction italienne par le camaldule Fr. Pifferi parut à Sienne

eni5<)5 (in-8°, 88 pages). Le traducteur, sur le titre et dans le corps

del'ouvrage, appelle l'auteur original Giaccone, faute qui a été souvent

reproduite.Annales, éd. Luc., t. XI, p. 59 ss.

La ~M<H'a'M<:o/tM<o;'MF~eMWM?r<f: /<era<a, Mc~cre Ber?MtrJo

Page 326: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

GASTON PARIS.288

ony

a joint la dissertation, d'ailleurs fort érudite, duprotes-

tant P. Preuser', on est bien convaincuque l'âme de Trajan

n'apas

été délivréepar saint Grégoire,

etqu'elle

subit et su-

bira éternellement dans l'enfer lapeine

de son initdélité.

III

ORIGINE DE LA LÉGENDE.

On a reconnu, ily

alongtemps que l'histoire de la veuve

et de Trajana

poursource une anecdote

rapportée parDion

Cassius a Hadrien «Unjour,

il rencontra dans la rue une

femmequi

lui adressa unerequête;

il luirépondit d'abord

Je n'aipas

letemps.

Elle s'écria Alors nerègne pas

Il se

retourna et lui donna audience Ce trait devaitfrapper

lepeuple;

on en conserva le souvenir, mais on l'attribua

bientôt àTrajan.

Rien n'estplus fréquent que

les substitu-

tions de cegenre,

et celle-cis'explique

sans peine. Hadrien

BrMM/M, theologo yeroncHse (Vérone, s. a.), n'a pas d'intérêt; c'est une

simple compilationde ce qu'ont

dit lesthéologiens antérieurs. Parmi

ceux qui, aprèsBaronius et Bellarmin, se sont encore occupés

de notre

légende, il faut surtout citer le théologien français Noël Alexandre, quil'a

égalementréfutée en forme.

De T~sHo !'Mpe)'a<o!'e precibus Grejon't ma~tK ea? ot/enzoliberato

( thcsesoutenue à

Leipzig le la février lyio).Je ne sais quel érudit est le premier à l'avoir iait. jGhacon

signale

déjà ce rapprochement, mais, convaincu de t'authËBtictté de t'histoire

relative à Trajan,il est porté

à croire que c'est par confusion ou mal-

veillance que Dion !'a transportée, en l'altérant, à Hadrien.

Dion, LXfX, 6. 1) est curieuxqu'un

traitpresque identiquement

pareil soit raconté de Saladin. Voici comment le rapporte Reinaud (B~'M.des Croisades, IV, 3i8) (fUne autre fois, pendant qu'il

délibérait avec

ses généraux, une femme lui présenta un placet; il lu~ <U dire d'attendre.

Etpourquoi, s'écria cette femme, êtes-vous notre roi, si vous ne voulez

pas être notre juge? Elle a raison, réponditle sultan. H

quitta aussitôt

l'assemblée, s'approchade cette femme, et lui accorda ce qu'eue dési-

rait. Reinaud ne ditpas

dequel auteur il tire cette anecdote, qui ne se

trouve pas dans Beha-Eddin, comme onpourrait

le croire par le con-

texte. M. Defrémery, qui a bien voulu s'assurer pour moi de ce point,

pense cependant que l'histoire est authentique et puisée dans le récit

d'un auteur contemporain. Sans cela on pourrait croire à un emprnnt

Saladin, ainsique Trajan, a été considéré comme un

typede souverain

justicier, et on sait que les chrétiens ont essayé aussi de croire au salut

(te son âme.

Page 327: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LA LÉGENDE DE TRAJAN. 289

'K

ne fut pasaimé il ne savait

passe rendre

poputaire. Trajan,

au. contraire, laissa un souvenirincomparable

degrandeur,

dejustice,

et surtout de bonté. Tout concourut àperpétuer

le souvenir de sa bonté. Achaque

nouvel avènement, on sou-

haitait auprince d'être plus

heureux~M'~Mg'M~

meilleurque

Tra/'aM. Ce type d'un prince équitableet

puissant, que l'es-

pritconstruit à l'aide de

quelques grands faits bien constatés,

ne saurait suffire àl'imagination populaire.

Elle invente, ou

elle emprunte ailleurs des traits caractéristiques. Dès le

m~ siècle, on saisit autour de la personne de Trajan les

traces d'un semblable travail. Tous les traits unpèu

remar-

quablesde bonté lui sont attribués. Alexandre Sévère tire d'un

conspirateur une vengeance généreuse accompagnée, dans

l'exécution, d'une certaineespièglerie (Lampride,

Sev. Alex.

~8)on en fait honneur à

Trajan. Lampridediscute la ver-

sionpopulaire

et montre qu'elle n'est pas fondée, mais il ne

se cache pas qu'il est trop tard pour ébranler cette tradition

déjà invétérée. On relève un traitd'équité

dans la vie d'Ha-

drien, on l'embellit. alors il devient digne deTrajan~

La

substitution avait dû se faire de bonne heure, peut-être aussi

anciennementque

celle dontpouvait se plaindre Alexandre

Sévère dès l'époque de Lampride.

Mais d'où provient la transformationqui

a fait changer de

caractère à cette anecdote, etqui

l'a rendue invraisemblable et

romanesque? Pourquoi s'est-onreprésenté Trajan à cheval,

au milieu de ses généraux, partant pourune

expédition,

quandla suppliante le rencontre et l'arrête?

Pourquoia-t-on

fait de cette femme une veuve?Pourquoi

a-t-on raconté

qu'elledemandait justice de la mort de son fils? C'est ce

que

pourra nous indiquer l'examen attentif de nosplus

anciens

textes. t<Grégoire, dit la légende saxonne conservée dans

l'ouvrage interpolé de Paul Diacre, passaitun jour par le

forum de Trajan, construit, comme on sait, avec une rare

magnificence;il regardait les

marquesde la bonté de cet

empereur, et ilprit connaissance entre autres de cette mémo-

rable action, etc. Le texte de Jean est moinsprécis mais il

acependant

conservé la circonstance essentielle ce fut en

G. de la Berge, /M<K.<Mf/e reg'M de 7'?' p. ~)H.

Page 328: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

GASTON PARIS..290

passant parle forum de

Trajan que Grégoire se ressouvint du

plusbeau trait de la vie de ce

princeLa tradition d'un bas-

relief vupar Grégoire paraît

d'ailleurs s'être conservée, car

les Annales Mag'dMtN'g'~MM disentexpressément

~Inejus foro

ubi cunctaTrajani insignia

factaexpressa sunt, inter cetera

hocquoque

mira caelaturadepictum

est. a

Ainsi, vers la fin du Y<" siècle, etdéjà

sans douteplus

an-

ciennement, oncroyait

voirreprésentée,

sur un monument du

forum deTrajan,

l'action dont on lui faisait honneur, aupré.

judice d'Hadrien. Entre Faction et lareprésentation,

il fallait

qu'il y eût unpoint commun, qui

avait motivé cetteopinion

cepoint

commun nepouvait

êtreque

la rencontre de Trajan

et d'une femme. Les traitspropres

à lareprésentation pas-

sèrent ensuite à l'histoire leplus natureltemen.t du monde.

Trajan.sur le bas-relief, était a cheval, entouré de

troupes:

c'est doncqu'il partait pour

uneexpédition militaire, et

qu'il

avait arrêté sa marchepour

rendrejustice

à lapauvre

femme.

Cette femme étaitéplorée,

elle était àgenoux peut-être,

elle

semblaitprofondément

émue ce devait être une veuve, ce

Les paroles du traitégrec

attribuées à samt JeanDamascëne sont

tort obscures: oST<)s ~OTe ~a T~ X~tfOf'sMps~tf 'ë'OMf~fos,Ka~

o'7&5 ~e'n'~Sss. Les traducteurs latins rendent Tt;f Â~tMw par JocMM

/<M'fM'M.ssb'a<!fm, ce qui ne veut pasdire

grand'cbose. Hugo d'Eteria,

qui suivait, comme on l'a vu (p. a8i, n. a), le texte grec, dit: /jf:'e ali-

fjf!KM<&)pet' ~i'~Km pontem ~Mem Tnt/aMMS M~&'Ma'M'at ~*a<&!M Moc!eMM

<<a<o eMnf<: o~cM !t!~fM:n'a!. t! semble donc que quelques mots

comme 'ye~upsu ~vo auTOKp~TMp TpaMfôs jMTscxe'&aKS~ soient tombés

entre ~.i<?(f0!) et'smpstcw.

Godefroi de Viterbe parie aussi d'un pont

(voy. ci-dessus, p. s63, n. 3), ce qui indiqueune soNree commune

il est vrai que cepont

est ici la scène de l'action de Tmjan et non de

l'émotion de Grégoire, mais cela revient àpeu près au même. Saimeron

et Cbacon donnent, comme texte de Jean Damascène~cMM ~ef~m'MM

?rs/<MM., /spK/t&!M .!&'a<KH!, !cere<.Ces deux auteurs ont-i)s suppléé

ex ingenio les mots ~arMm R'a/aH:? C'est peu probable, car its sont in-

dépendants l'un de l'autre. U faut doncqu'ils aient eu sous les yeux la

même traduction latine du traité attribué a Jean de Damas, mais dans

cette traduction les mots en question étaient peut-être interpoiés. LRpont

dont ils'agit

ici paraît d'ailleurs être ie pont Saint-Ange, cansfrmtpar

Hadrien, et peut-être le texte grec nous a-t-il conservé une forme par-

ticulière du récit, où saint Grégoire auraitsongé à Trajan

en passant sur

ce p')!)til est probable que

la tradition populaire attribuait à Trajan

cet ouvrage tort admiré, dépounbnt encore ici son successeur a son proGt.

Page 329: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LA LÉGENDE DE TRAJAN. 291

'9-

typeéternel de la faiblesse innocente et persécutée, cet objet

toujours rappelé de la protectioncomme de la–violence; et

qu'avait-on pu iui faire qui la jetât dans un tel état de dé-

sespoir,et lui fît demander

justiceavec tant d'ardeur, si ce

n'est de lui tuer sans raison son filsunique?

Ainsi la légende

se constitue, par des procédés simpleset

pourainsi dire né-

cessaires ainsi Grégoire l'avait sans doute entendu raconter

dans son enfance et se larappelait

naturellement enpassant

dans le-forum où se dressait la colonne Trajane.

Le forum de Trajan parait avoir existé en partie jusqu'auvin" siècle la bibliothèque même et la

basilique,à en croire

des indices, à la vérité, quelque peu contestables, servaient en-

core du temps de Grégoire~. Dans cette œuvre colossale d'ApoIlo-

dore de Damas, l'art gréco-romain avait fait un suprême effort

et avait atteint sonapogée

la décadence commença presque

aussitôt. L'Imagination de ceuxqui voyaient pour

lapremière

fois cet ensemble unique de monuments somptueux en était

tellementfrappée que plusieurs témoignages d'admiration en-

thousiaste sont arrivés jusqu'à nous Constructions gigan-

tesques,dit Ammien Marcellin, qu'on ne peut essayer de dé-

crire, et que les efforts des mortels ne sauraient réaliser une

seconde fois s Même quandon le voit constamment, s'écrie

Cassiodore, le forum de Trajan est une merveille~ Plusieurs

médailles 5 nous en ont conservé leplan nous savons qu'on

y accédait par un arc triomphal. On a crulongtemps,

mais à

tort, que c'était cet arc qui avait été dépouillé des bas-reliefs

qui ornent aujourd'hui l'arc de Constantin près du Colisée

c'est un autre monument, élevé aussi par Trajan,quia subi ce

traitement barbare' Il est doncpossible que

lareprésentation

quinous

occupe figurât sur l'une des faces intérieures de l'arc

L'anonyme d'Einsiedeln, dont le ms. est de cette époque, le men-

tionne(Urlichs, Codextopogr., p. ~).2

Fortunat, Carm. III, 23; Gregorovius, CMc/KC/~e der' Stadt ~om~

t. II, p. 85.

XVi. io.

F<M'.VII, 6. Voyez la description de ce forum, ainsi que les

témoignages des anciens et l'indication des événements dont il fut le té-

moin., dans C. de la Berge, &.<< sur le règne de ?V<<M, p. oS.

Voy. C. de la Berge, 1. l.

Voy.C. de la Berge, p.a5.

Page 330: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

GASTON PAtUS.29~

en question; cependant,à vrai dire, il semble résulter des

termes de lalégende que saint Grégoire, quand il s'arrêta de-

vant cettereprésentation, passait

sur laplace et non sous l'arc.

On conserve au musée de Latran un bas-relief lui représente

Trajan, accompagnéde licteurs, adressant une allocution à des

sénateurs~; ce bas-relief provient du forum Trajani et ne se

trouvait certainement passur l'arc de triomphe.

Il formait sans

doute avec d'autres le revêtement d'un des mursqui entouraient

l'area Trajani 2. C'est là qu'il faut aussi chercher le bas-relief

devantlequel

s'arrêta saintGrégoire. Et que représentait-il?

Sans doute l'empereur à cheval, et devant lui une province

conquise, Sgurée par une femme agenouillée, implorantsa

clémence. C'est un symbolisme dont l'art romain nous offre

plusd'un

exemple~,notamment en ce qui concerne Trajan:

nous avons plusieurs médailles de lui où la Dacie est Ggurée

comme une femme dans diverses attitudes; Fujie d'elles nous

la montre même à genoux". Qu'on se figure sur un bas-

relief une scène dans cegenre; qu'on mette Trajan à cheval;

qu'on l'entoure de ses principaux oiRciers et de ses troupes;

qu'on opposeà toute cette

grandeur,à cette

puissanceécla-

tante, la figure isolée, douloureuse, prosternée de la femme

suppliante,et on aura la scène qu'Interprétaient comme nous

l'avons vu les Romains du vf siècle. Plus d'un des tableaux

de la colonne Trajane pourrait,en

y changeant peude chose,

donner lieu à une interprétation semblable

Ce n'est pasla

premièrefois

qu'on expliqueà

peu près

comme je viens de le faire l'origine de notre légende~,mais

Benndorf et Schoene, Die <M<MMB!'Mw&r/(e~M~ef<m. ~Meitms

(Leipzig, 1867), n° 98.

Voy. C. de la Berge, l.

On a de nombreuses médaittes d'Hadrien, où une province, une na-

tion vaincue, sont à genoux devant lui.

Voy. Cohen, Médailles irnpériales, Trajan, n° 365.

On peut encore comparer plusieurs médailles de Trajan ou ie che-

vu) qu'il monte et qui galopeva fouler aux pieds un Dace suppliant.

tfH racconto di Trajano e della vedova, immortaiato da Dante,esisteva già prima d' esser riferito a Trajano. Probabitmente pero un

bassorilievo d' arco trionfate rappresentante queti' imperatore trionfante

a cavallo e dinanzi a lui la provincia sottomessa, in sembianza di donna

in ginocchio, t'ece attribuir quel racconto a Trajano." Je suis presque

Page 331: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LA LÉGENDE DE TRAJAN. 29S

on ne s'estpas

attaché autant qu'il aurait fallu à cette circons-

tance essentielle que Grégoire, d'après les anciens récits, en

aurait vu lesujet représenté

sur un monument du~orM~

Trajani. M. de Rossi; grand connaisseur assurément de Rome

antiqueet chrétienne, est tombé à ce propos dans une erreur

qui meparaît

évidenteparlant

du bas-reliefque

Dante

vit dans le Purgatoireet où était représenté Trajan écoutant

la veuve, il ajoute ~Ce relief n'était pas imaginaire, mais

réel; il ne se trouvaitpas

dans l'autre monde, il étaitsculpté

sur un arctriomphal

élevépresque

en face du Panthéon d'A-

grippa.C'est ce que

nousindique l'auteur inconnu du

petit

livre intitulé Mirabilia urbis jRomcp~ et il en décrit l'aspect de

telle manière quece sont pour ainsi dire ses

paroles versinées

que nous lisons dans la D~tMe Comédie. La sculpture quifaisait

l'ornement de cet arcreprésentait certainement une nation

vaincue suppliante, demandant merci àl'auguste vainqueur.

L'imagination ignorante des hommes du moyen âge y ci'ut voir

la fameuse légendede

Trajan,tout à fait digne d'être enre-

gistrée, avec tant d'autres contes, dans le livre barbare des

lirabilia Ily

a dans cesparoles plusieurs

erreurs ou inexac-

titudes la forme de la légende qu'offrent les Mirabilia n'est

pascelle

qu'aconnue Dante

(voy. ci-dessus),et une différence

essentielle, quiaurait dû frapper le savant antiquaire, c'est

queles lllirabilia

représentent l'empereursur un char; Dante,

au contraire, d'accord avec toute la tradition, à cheval. En

second lieu, M. de Rossi aurait dû faire attentionque

cette

histoiren'apparaît pas

dans les Mirabilia avant les manuscrits

du -xive siècle, où elle a été Interpolée; j'ai d'ailleurs montré

plus haut qu'elle appartient à undéveloppement

de la légende

relativement récent. Ce texte dit, en enet, après avoir parlé

des arcs de triomphe ccSunt pra~terea alii arcusqui

non

sunttriumphales

sed memoriales, ut est arcus Pietatis ante

Sanctam Mariam Rotundam, ubi cum esset imperator paratusin curru, etc. Mais quelle valeur

peutavoir ce témoignage si

tout à fait d'accord avec ces paroles de M. Comparetti (VM'gt'/M me~'o

eco. H, 68); je ferai seulement remarquer que, d'après moi, le récit

n'existait pas tel quel avant d'être attribué à Trajan; en outre, je ne

pense pas que la scène ait été représentée sur un arc de triomphe./?M//eKM:of&'com'OK~MS arc~eo/og't'Mt, 187), p. 6.

Page 332: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

GASTON PARIS.29&

récent, et, si je ne metrompe,

absolumentunique',

en faveur

d'un monumentque l'interpolateur paraît avoir introduit là

fortgauchement,

etuniquement pour

servir deprétexte

à

l'histoirequ'il

voulait raconter?Remarquons, d'ailleurs, qdil

ne dit nullementque

l'entretien del'empereur (il

ne sait

mêmepas

sonnom!)

et de la veuve ait étéreprésenté

sur cet

arcprétendu;

il ditque

l'arc fut élevé en souvenir de cette

action. Iln'y

a doncpas lieu, à mon avis, de s'arrêter à la

conjecture de M. de Rossi, et de faire des fouilles devant la

Rotonde avecl'espoir

de retrouver desvestiges

de l'arc de la

Piété etpeut-être

même le bas-relief décritpar

Dante2.

Une autre hypothèse, présentée parun écrivain fort dis-

tingué,mais

parfois peu exact, est encore moinsacceptable,

bienqu'elle

ait le mérite de, nous ramener _au forum de

Trajan.«Le

regard de Grégoire, dit M.Gregorovius

enpré-

tendant résumer lalégende

du vm° siècle 3, s'arrêta sar un

groupede bronze

qui représentait Trajan a cheval, et devant

lui une femme àgenoux".

II n'est dit un mot, ni dans Paul

ni dans Jean, d'ungroupe

de bronze, et lespirituel historien

de la ville de Rome substitue unpeu trop

librement son ima-

ginationaux textes 5.

Ayantainsi

préparéle terrain, il rccon-

M. de Rossi dit en note qu'il parlera plus en détail de cet arc a mie

outre occasion; c'est une promesse que jusqu'à présent: il n'a pas tenue.

Notonsqu'en parlant

de ttl'imagination

des hommesdu moyen âge;),

fauteur semble donner à la légende une date trop moderne elle remonte

au moins au v:'siècle..

ffAu temps de Paul Diacre, qui raconte ia légende, ainsi an ym* siècle, o

dit ailleurs l'auteur. Il n'a pas distingué les éléments qui entrent dans ia

F:ie Gregorii de Paul; il aurait vuque

ialégende saxonne, qui

sert de

buse à cette partie de la Ft'ta, est du vn" siècle, et qu'elle supposel'exis-

tence du récit surTrajan

dès le vi° siècle..

G~c/M'e/t~ ~M- Stadt Rom, t. II, p. 86.

Peut-être a-t-il été in&uencé parla discussion de Baronius avec

Chacon, quiraconte en effet, comme s'il le trouvait dans ses sources,

que l'action de Trajan fut, parordre du sénat, représentée sur son forum

par une statue de marbre ou de bronze. Le commentateur anonymede

Dante publié par M. Fanfani(voy. ci-dessus, p. sy<, n. i) dit, sans plusde fondement, que

saintGrégoire

vit l'histoirepeinte dans un temple.

Buti (voy. ci-dessus, p. a83, n. i) rapporte que «per questaiustizia

tu latta la statua di Traiano ne la piassa, come &ce iustizia a la vedova;))

ft c'est là, sans doute, la source plus ou moins directe de l'assertion de

(~l)acon.

Page 333: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LA LÉGENDE DE TRAJAN. 295

naît naturellement ce~groupe

de bronze dans la statue

équestre de Trajan qui ornait le milieu du forum. M y a à cela

une première difïiculté, c'estque

cette statue n'était accom-

pagnée d'aucune figure de femme à genoux. Nous en avons la

représentationsur une médaille l'empereur, comme dans la

statue pédestre qui figuraitau sommet de la colonne, tenait

une lance de la main droite et portaitdans la main gauche

étendue unepetite

victoire Puis il est fortpeu probable que

la statue deTrajan ait encore orné son forum à

l'époque de

saint Grégoire nous savons que, plus tard, elle se trouvait à

Constantinople~,et il est vraisemblable que, comme d'autres

monuments romains, elle fut enlevée et transportée à Byzance

du temps de Justinien.

Il faut donc s'en tenir à l'idée d'un bas-relief, qu'un heu-

reux hasard ferapeut-être retrouver, où se voyait une scène

symboliquetelle

que je l'aisupposée. Cette scène, en devenant

aux yeux dupeuple la représentation de l'histoire de Trajan

et de la solliciteuse, transforma à son tour cette histoire à

son Image. Que pensermaintenant de l'anecdote relative à

saint Grégoire ? Je suis fort disposé à la croireauthentique.

Grégoire n'étaitpas

un savant, tant s'en faut; ilinterprétait

comme tout le monde alors le bas-relief devantlequel

ilpas-

sait souvent en allant du Latran à Saint-Pierre, et rien ne

s'opposeà ce que son âme, naïve et tendre malgré son ar-

deur et son activité prodigieuse, ait été émue à cette terrible

pensée, quetant de chrétiens ont

peineà

regarder en face

la damnation irrémissible des infidèles, même vertueux. Qu'il

ait, sousl'empire

de cette émotion, prié pour Trajan3, qu'ilait cru. dans une vision, entendre une voix qui lui disait

qu'il

C. de la Berge,C. de la Berge,

frTrajan, dit M. Pingaud (La po&<t~«e~e saint Greg'OM'ele Gr<:M~,

Paris, 1873, p. aïo), était digne d'être admiré par Grégoire, et Une faut

pas s'étonner si, dans la tradition populaire, le saint pontife a demandé

à Dieu pour un aussi bon prince t'entrée du ciel des chrétiens." Ba-

ronius et Bellarmin n'en jugeaient pas ainsi; mais c'est se tromper quede croire que Grégoire

ait admiré ou même connu les qualités du Trajan

historique. Il est encore moins juste d'attribuer les iarmes du pape à

frun élan de fierté patriotique.~ De sembtahies idées étaient bien étran-

gères à l'esprit des hommes d'alors et surtout de Grégoire.

Page 334: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

GASTON PARIS.396

était exaucé, c'est ce qui ne me semble pas plus impossible

qu'aux auteurs des ~4c<<:Sanctorum. On objecte qu'il a enseignélui-même qu'il ne faut pas prier pour les infidèles; on pour-rait objecter aussi que cette tendresse pour l'âme d'un païenest étrange dans le cœur de l'homme qui gourmandait si sévè-

rement un évoque pour avoir lu et enseigné Virgile, et quia constamment manifesté une telle aversion pour ce qui, de

près ou de loin, pouvait rappeler l'époque de l'idolâtrie. Mais

l'homme est plein de contradictions, et Grégoire surtout en

offre plus d'une à qui étudie sa vie et son œuvre Esprit

mystique et contemplatif, a dit un excellent critique, il s'aban-

donnait aux impulsions du moment, et ces impulsions étant

souvent contradictoires, il en résultait un certain décousu

dans sa conduite 1. ') Le même homme qu'indignait Virgile

a donc pu pleurer sur Trajan. Son attendrissement dans cette

circonstance rappelle celui qu'il éprouva en voyant pour la

première fois des enfants angles, qu'on vendait à Rome comme

esclaves « Ce sont des anges, dit-il, et non des Angles Hélas

quelle douleur de songer que le prince des ténèbres possèdeces visages lumineux H Et il s'occupa de convertir la Bre-

tagne. L'impression de justice et de puissance qui se dégageait,

pour son esprit, de la contemplation du bas-relief impérial le

frappa d'autant plus, qu'il se sentait vivre dans un temps bien

différent de celui dont les monuments magnifiques du forum

Trajani attestaient la splendeur et la majesté. Grégoire, qui

passait sa vie à défendre des violences le troupeau qui lui était

confié, Grégoire, sans cesse abandonné par la protection im-

puissante des Césars byzantins, se prit à rêver à ce que pourraitêtre le monde si un Trajan unissait la soumission à l'Eglise à

tant de gloire et de vertu. Il pleura devant Dieu et sur son

temps, qui n'avait pas de Trajan, et sur Trajan, qui n'avait

pas connu la vérité; il se persuada qu'il l'aurait aimée comme

la justice s'il l'avait connue; il osa demander à Dieu de faire

pour lui. en considération de cet acte magnanime, où il avait

laissé un si bel exemple aux rois, une exception à ses décrets.

Que se passa-t-il alors? Sans doute il crut entendre une voix

lui dire qu'à sa prière l'âme de Trajan était délivrée, et il ne

M. Reuss,dans la A*MteCM'~«e, 1873, t. II, p. a85.

Page 335: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LA LÉGENDE DE TRAJAN. 297

s'étonna pasde cette réponse divine à sa méditation et à ses

pleurs. Certains traits de sabiographie

nous montrent qu'autour

de lui on le croyait en relations habituelles et familières avec le

ciel, et ilparaît

n'avoirpas trop découragé

cette croyance. Il

est donc fort possible qu'il ait raconté à quelquetémoin de

ses larmes, par exempleau diacre Pierre, son confident, ordi-

naire l, la vision qui l'avait consolé, et que celui-ci l'ait redite

à son tour, comme il raconta l'histoire de la colombe céleste

qu'ilavait vue dicter à

Grégoire ses écrits. Mais il estpossible

aussi que le pape ait eu plus tard des remords de cette infrac-

tion aux lois del'Eglise, qu'il

en ait demandépardon

à Dieu

et qu'il ait vu dans la continuité de la maladie dont il souf-

frait uneexpiation

de sa témérité.

L'intérêt de l'étude qu'onvient de lire est surtout de mettre

en lumière ledéveloppement

d'une légende, nonpas préci-

sément dans lepeuple,

mais dans cepublic

à moitié instruit

quiest seul

propre à conserver et à amplifier les fables histo-

riques. Née d'un fait réel, quihonore Hadrien, transportée

à

Trajan par uneusurpation comme les riches, même involon-

tairement, en commettent sur les pauvres, transformée une

première fois sous l'influence d'une de cesinterprétations.po-

pulaires auxquelles les œuvres d'art ont si souvent donné lieu,

l'histoire de la justice de Trajan, une foisque

l'intérêt qu'elleavait inspiré à saint

Grégoirel'eut conservée pour le moyen

âge littéraire, se modifia de différentes façons, mais toujoursdans une direction logique et explicable. On la rendit

pluschrétienne en

amplifiantle

dialogue;on la rendit

plusdrama-

tique enplaçant Trajan

entre son devoir de juge et son amour

depère;

on la confondit avec l'histoire de Zaleucus, où ces

deux mobiles étaient également en lutte.L'imagination

de

Dante, retrouvant à son insu l'une desétapes les plus impor-

tantesqu'elle avait parcourues, s'en

empara pourun tableau

saisissantque

Delacroix a crureproduire en ie transformant.

H lui en raconte bien d'autres dans ses Dialogues. n est vrai que les

miracles qui en remplissent toutes les pages ne se font pas par lui, mais

par les saints dont il rapporte les vertus; mais comment l'homme qui

croyait tout cela aurait-il douté que Dieu pat communiquer avec lui?'?

Page 336: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

GASTON PARIS.~98

D'autrepart,

l'intercession de saintGrégoire,

contraire au

dogme rigoureux,a charmé les uns, étonné, scanda)isé les

autres; lesthéologiens

l'ont adoucie, expliquéeou niée; les

légendairesl'ont insensiblement travestie, jusqu'à donner à

leur récitl'apparence

d'un conte d'enfant. Grâce aux larmes

deGrégoire,

l'âme deTrajan

n'a sans doutepas

été tirée de

l'enfer, mais sa mémoire a bien réellement été tirée des

gouS'resd'oubli où

l'antiquitétout entière avait sombré

pour

lemoyen âge, elle a reçu, pendant

des siècles, l'admiration

àlaquelle

elle avait droit sansqu'on

le sût, et deux fois, par

la lyreet le

pinceau, l'hommage glorieuxdu génie

i.

Lalégende de Trajan

a été étudiée plus d'une fois, notamment parMassmann et

parMM. A. d'Ancona, Oesterley et R. KoNer; j'ai trouvé

dans leurs travaux les indications les plus utiles. Je ne prétends pasavoir réuni ici tous les passages

relatifs à notrelégende

dans les auteurs

du moyen âge il y en a certainement que je n'ai pas connus; il y en a

( par exemple. saint Antomn, Jacques-Ph.ilippede

Bergame, etc.parmi

les

théotogiens; Scot, Durand de Saint-Pourçain, etc.parmi les historiens)

qui, vu ieur date on leur caractère, ne méritaientguère

d'être cités;

enfin, il y en a dont j'ai connu l'existence et que je n'ai pu vérifier (par

exempte,le ~o~H'tMm de Bernardinus de Bustis et Je~M' cités

parM. Oesterley, ou le

passage d'Hugues de Saint-Victor donné parPreuser

avec une fausse indication). -Je dois remercier, en terminant, MM. les

employés de'laBibliothèque nationale, dont FinépuisaNe obligeance

m'a

faciuté des recherches et des vérifications souvent malaisées.

Page 337: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

t~SCRiPTION

INÉDITE

I~t? lOIFVMf~tïT'UDE BEYROUTH,

PAR LÉON REMER.

Mon savant confrère M. de Saulcv avait bien voulu me

communiquerla copie

d'une inscriptionlatine découverte

par un habitant de Beyrouth, &hm ~V~ser, le 3o juîllet i8y5,

à Deyr-e)-KaI'a, couvent maronite construit sur les ruines d'un

templede BaaI-Mareod, près

duvillage

de Beit-Mëri, à deux

heures et demie de marche de Beyrouth, sur les premières

pentesdu Liban. Cette copie

avait étéprise par

Selim Nasser

lui-même, dequi

M. de Saulcyl'avait reçue, et le texte

qu'elle

reproduisait présentaitde telles particularités que je crus

devoir, avant d'en entreprendre l'interprétation, priermon

confrère de tâcher de m'en procurer un estampage.Il voulut

bien accueillir ma demande avec son'obligeance ordinaire; il1

écrivit à Selim Nasser, et celui-cis'empressa

de lui envoyer l'es-

tampage dont il s'agit.

Cet estampage,exécuté avec beaucoup

de soin etparfaite-

ment réussi, me permitde lire presque tout ce qui restait de

l'inscriptionet d'en essayer

une restitution, que je crus pou-

voir communiquerà l'Académie des Inscriptions, dans sa séance

du a 5 août i8y6. Cette communication, je dois le dire, sou-

leva parmimes confrères un certain nombre d'objections; et,

quoique l'un d'eux, M. Louis Quicherat, se soit empressé de

désavouer cellesqu'il

avait formulées, je crus devoir en rester

là sur cette inscription, jusqu'à ce que M. de Saulcyeût ac-

compliune

obligeante promesse qu'il me fit alors, celle de me'

procurer le monument lui-même. Cettepromesse,

il l'a tenue

ce monument est arrivé à Paris; il se trouve aujourd'hui dans

Page 338: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LÉON RENIER.300

mon cabinet, et c'est sur lui qu'a été prise la photogravure

qui accompagne cette notice.

On voit par cette photogravure que l'inscription a souffert

clans sa partie supérieure, dans sa partie inférieure, et quele marbre sur lequel elle est gravée a été écorné son coin su-

périeur du côté gauche. Mais ce qui en reste, quoique formé

de caractères d'une époque assez basse, se lit très-distincte-

ment ainsi qu'il suit

SSSSFORTVN~~SMN- COL

~~îm~RTVNATVS DEC GEN !VM CVM

ET AETOMATE ET INCR.VSTA

aSSNE~ MARM DE SVO FEC PRO SALVTE

SVA SVORVMQjOMNIVM-ET-COMMV

N 1 S T R. 1 C E N S 1 M A E V L A S <?

MMIVS MAGNILIVS

<-equi

doit se lire et se restituer ainsi

Decej Fortun(ae) [MCt'(Mm) Ge]n(ium) CoJ(oniae).T. F/(sM!M~) Fo)rtunatus. dec(urio), Genium, cum

eo~jmnis et aetomate et incrusta-

fMJne mamt(orea), de suo fëc(!t), prosaiute

suasuorumq(ae)omQimne(,commu-uis trieensimae, v(otum) 1(ibenter) a(nimo) s(oivens).

Mt<]mmius Magniiias [y(ac!'6)!~Mm) e(Mff!M!

C'est-à-dire 1.

Génie de la Colonie consacré à la Déesse Fortune.

Titus Flavius Fortunatus, décurion, a fait faire & ses J&'ais ce Génie

avec les colonnes, le &'onton et !e revêtement en marbre, pour son salut

etpour celui de tous ies siens et de leur trentaine commune accom-

ptissant ainsi son vœu volontairement et même avec empressement.Mummius

Magnifius a surveillé l'exécution du monuntent.

L'Inscription suivante, trouvée aussi àDeyr-ct-Kal'a,

me

paraît justifier complètementla restitution

que je propose

C'est-à-dire "ducottègG

des trente dont lui et les siens taisaient

partie. n

Page 339: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

n

:rNS~IPT~N~B!E~Rm~

`

Page 340: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule
Page 341: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

INSCRIPTION DE BEYROUTH. 301

pour la première ligne de la nôtre, avec laquelle elle pré-

sente, d'ailleurs, une certaine analogie

AE.

GENIVM'COL-

ANTISTIA VICTO

R-INA FABAR.IA

PKO SALVTE.S~A

e t C ANTISTI ELAINI

ET VICTORINI ET SALVI

ET-HOTAR.IONIS-ET-CAR.AE

/IL-V-S

On voit qu'elle rappelle égalementla consécration du Génie

de la Colonie à la Fortune~.pour

le salut de lapersonne

quia fait élever le monument et pour celui de ses

parents.

Beyrouth était une colonie romaine de date assez ancienne;

fondée par Jules César, elle avait été agrandie par Auguste,

sous le règne duquel, en l'an j /[ avant notre ère, Agrippa yavait établi des vétérans des légions V° Macédonique et VHl°Au-

gusta 3 elle s'appelait Colonia jMtaAugusta

FelixBerytus4.

L'auteur de notreinscription, qui y était décurion, était donc

citoyen romain, et devait, par conséquent, porter, outre son

surnom Fortunatus, un gentilicium et un prénom. Mais il n'y

a, au commencement de la seconde ligne, avant le surnom

Fortunatus, que l'espacede deux ou trois lettres; c'est

pour-

quoi j'ai proposé de restituer ainsi le commencement de cette

ligne

T-F/'FoR.TVNATVS,

le gentilicium Flavius étant celui qui s'abrège leplus fréquem-

ment. On pourrait aussi restituer

TY-C~-Fo~TVNATVS,

c'est-à-dire Tiberius C/aM~M<s For(MHa<MS; mais cela nous don-

Corp. inscr. /<t<.t. tM, n. i53.

H me semble, en effet, que la première ligne doit être ainsi resti-

tuée FortVnAE MCt'MK. 1

Strabon, ). XVI, c. n, § 1~; voy. Borghesi, ÛE'MM'e-9.,t. IV, p. ~1 a.4

Ce sont les noms qu'elle porte dans que!ques inscriptions Coty.ot.s'er. /s(. t. III, 165 et 166, et sur un grand nombre de médaines

Eckhel, D. N. K t. III, p. 356.

Page 342: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

LÉON RENIER.soa

nerait une lettre de plus, et ce point n'a, d'ailleurs, que peu

d'importance. Le reste de l'inscription, dont la lecture est cer-

taine, présente, au contraire, quelques particularités d'un vé-

ritable intérêt, aupoint de vue surtout de la philologie.

Ainsi, c'est la première fois que le mot AETOMATE se

présente dans un document latin. Aetoma est la transcriptiondu grec a~T&~o:, <xET<M~<xTos,et il devrait être neutre, comme

en grec, et faire au génitif ae~MM!< et à l'ablatif aefoBM~

comme dans notre inscription. Cependant, dans les deux seuls

exemples qu'on en connaissait jusqu'ici, il est féminin, et écrit

au génitif ae&)MM< à l'ablatif ae<o?yM: Ce n'est pas, du reste,

le seul fait de ce genre que l'on puisse signaler, et Priscien

nous apprend que ce changement du genre et de la décli-

naison des noms grecs terminés en a, <xTos, était un usageancien chez les auteurs latins. On conçoit, du reste, que, dans

une ville comme Berytus, où le grec était parlé au moins au-

tant que le latin, on ait cru devoir revenir, pour le mot dont

il s'agit, à l'orthographe régulière.

On ne connaissait jusqu'ici que deux exemples du mot IN-

CRVSTATIO, tous deux dans le D~'s~. Notre inscriptionest le premier texte épigraphique ou historique dans lequelil se soit rencontré.

Quant au mot TRICENSIMA, c'est évidemment la traduc-

tion du mot TptcuMs, par lequel on désignait, dans les villes

grecques, une subdivision de la tribu, composée ordinaire-

ment de trente familles de citoyens5. On sait que les citoyens

des colonies romaines étaient divisés en curies, correspondant

aux tribus des cités grecques. Les tricensimae de Berytus étaient

donc des subdivisions de ses cM~'es~ et il n'y a pas lieu de s'é-

tonner que cette ville ait conservé cette partie de son an-

AD EXTR.VCTION AETOMAE DEO ? N VI, mscr.

d'Aputum (Co?y. HMo-.&!<.t. IH, ima; Orelii, 3aa6).SCHOLAM SVAM CVM AETOMA PECVNIA-SVA-

FECIT, autre inscr. d'Apuhim (Co?'p. :'MC)'.lat. t. Hf, ~iL~A; Henzen,

69~)-/Ms<.~r<[MM.p. <()() et suiv. ed. Keil.

Lib. VIII, tit. n, § t3,et lib. L, tit. xvi, § 79.

Voy. Boeckh. Corp. inscr. g'?', note sur le n° 101, vol. t, p. iSg et

i4o. et ifs m/~M~ f)n même Yohune, p. goo.

Page 343: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

INSCRIPTION DE BEYROUTH. 303

cienne constitutionlorsqu'elle

avait été faite colonie romaine;

onpourrait

citer beaucoup d'exemples analogues, surtout dans

les colonies de date aussi ancienne.

Enfin, COMMVNIS ne meparaît pas pouvoir se traduire

autrementque je ne l'ai fait. On a, d'ailleurs. dans une ins-

criptionde Bénévent, vue et

publiée parM. Mommsen, un

autreexemple

de ce motemployé

dans le même sens'.

~M. Nasellius M. f. Pal. Sabinus, et Nasettius Vitalis pater PAGA-

NIS COMMVNIBM pagi Lucu)(!!ani) porticum pecunia sua fece-

runt,n etc. (Momms. J. N. i5o~t; Orelli, ~)i3a et ù~3).

Page 344: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule
Page 345: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule

20

TABLE DES MATIÈRES.

Pages.

Les Ligureset l'arrivée des populations celtiques au midi de la Gaule

et en Espagne, par M. Alfred MAuRy i

L'histoire romaine dans le dernier tiers des Annales d'Ennius, par

M. Louis HAVET. ~t 1

Les peinturesdes tombeaux

égyptiens et lamosaïque de Palestrine.

parM.GastonMAspERo. ~55

Les 7abellarii, courriers porteurs dedépêches

chez les Romains.

par M. Ernest DEsjARDtNs (coec MM p/~Kc&e). 5 v

La légende d'Alexandre chez tes Parses, par M. James D.ARHESTETEK. 8H'l

Dei'anatogie, parM. Michel BRÉAL im s

Le nom de la province romaine, parM. Abel BER&AiGNE. un 5

Notice sur lesinscriptions latines de l'Irlande, par

M. Henri GAfDOx

(sMCMjt~sttc/tM). tat i

Lea etCa~t'tM/ff., contribution à l'histoire de ia iégistation carot'n-

gienne, par M. MarceiTHEVENiN. i3y

Quelques notes sur la guerre de Bar Kôzébâ et ses suites, par

M.JosephDEREKBOURG. i5y

Note sur les fortifications deCarthage

àl'époque

de la troisième

guerre punique, par M. Charles GpAux (avec KMep&me/M). lyti fi

Notice sur un traité du moyen âge intitulé De e~ort'&!M et artibus

~omaKorMM, par M. ArthurGiRY. ao<)

Sur un texte de la compilation dite de Fre'~g'tK're relatif à l'éta-

blissement des Burgundionsdans

l'empire romain, par M. Ga-

briel MoNOD. a-~)cl

Uu rôle des légats de la cour romaine en Orient et en Occident du

ly'au n" siècle, parM. Jules Roy. '2Aii

La légendede

Trajan, par M. Gaston PARts. a6i 1

Inscription inédite de Beyrouth, par M. Léon RENIER (aMc <Me

planche) a()t)\1

Page 346: Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule