Bibliothèque Des Hautes Etudes (1878) 35e fascicule
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Mélanges publiés par lasection historique et
philologiques de l'Ecoledes hautes études pourle dixième anniversaire
de [...]
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Mélanges publiés par la section historique et philologiques de l'Ecole des hautes études pour le dixième anniversaire de sa fondation. 1878.
1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de laBnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produitsélaborés ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sansl'autorisation préalable du titulaire des droits. *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèquemunicipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateurde vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de nonrespect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].
DES HAUTES ETUDES
PUBLIÉE SOUS LES AUSPICES
SCIENCES PHILOLOGIQUES ET HISTORIQUES
MÉLANGES PUBLIÉS PAR LA SECTION HISTORIQUE ET PHILOLOGIQUE DE L'ÉCOLE
DES HAUTES ÉTUDES POUR LE DIXIÈME ANN!VERSAIRE DE SA FONDATION
BIBLIOTHÈQUE
DE L'ECOLE
DU MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
TRENTE-CINQUIÈME FASCICULE
F. VIEWEG, LIBRAIRE-ÉDITEUR
7, RUE RICHELIEU,67
PARIS
)S7h
MÉLANGES
D'HISTOIRE ET DE PHILOLOGIE
PARIS
F. VIEWEG, LIBRAIRE-ÉDITEUR
RUEBICHEUEU,6'7
L'ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES
POUR
PAR LA SECTION HISTORIQUE ET PHILOLOGIQUE
LE DIXIÈME ANNIVERSAIRE DE SA FONDATION
IMPRIMERIE NATIONALE
M DCCCLXXVm
MÉLANGES
PUBLIÉS
DE
E
PARIS
A
MONSIEUR VICTOR DURUY
MEMBRE DE L'INSTITUT
ANCIEN MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
FONDATEUR
DE L'ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES
On a commencé, il y a une quinzaine d'années, à se
préoccuper en France des réformes et desperfection-
nements que pouvait appeler notre enseignement su-
périeur. 1} y a eu sur ce sujet, d'un intérêt capital,
beaucoup d'écrits et de discours; iln'y a eu que bien
peu d'actes. Le plus important a été la fondation, par
décret en date du 3i juillet 1868, rendu conformé-
ment au rapport de M. Duruy, de l'Ecole pratique des
hautes études. Après dix ans accomplis, une institution
peut être jugée. Nous n'avons rien à dire des sections
consacrées aux sciences mathématiques, physico-chi-
miques et naturelles. La section des sciences historiques
et philologiques, qui présente aujourd'hui ce volume
en hommage à son fondateur, peut lui rendre et se
rendre à elle-même ce témoignage, qu'elle a été une
création viable, utile et bien entendue.
Dans la pensée de M. Duruy, l'École (nous entendons
toujours par là spécialement notre section) devait rem-
plir àpeu près les fonctions attribuées, dans les univer-
sités allemandes, à ce qu'on appelle les seMn'wM'res his-
toriqueset
philologiques. Elle devait être dans un
rapport ctrot avec l'enseignement de la Sorbonne et
n
du Collège de France, et en compléter les cours par
des conférencesoù les étudiants, sous la direction de ré-
pétiteurs, prendraient la parole, auxquelles ilsappor-
teraient des travaux conçus d'après un plan commun et
soumis à lacritique
de tous. Rien de plus librequecette
sorte d'enseignement supérieur mutuel, où le répétiteur
était àpeine au-dessus des autres membres de la confé-
rence, où aucune condition d'entrée n'était exigée, où
on était amené et retenu par le seul amour de la science,
où l'on ne recherchait aucun diplôme, aucun grade,
aucun avantage matériel. Ce fut dans cet esprit et avec
ces vues que l'Ecole s'installa, comprenant un personnel
jeune et plein d'ardeur, habilement choisi par les deux
ou trois premiers collaborateurs que M. Duruy s'était
donnés. Elle n'avait pas de local dans la. première con-
ception de son fondateur, elle en avait à peine besoin
c'était chez eux, ou dans les bibliothèques, dans les
musées, dans les archives que les répétiteurs devaient
guider leurs élèves, nécessairement peu nombreux.
Comme du Collège royal, lors de son institution, on
pouvait dire de l'École qu'elle était châtie en hommes n.Ces hommes, qu'avait groupés l'adhésion~ aux mêmes
idées, se mirent résolument et librement à l'oeuvre, et
bientôt la véritable physionomie de l'École se dégagea
et s'affermit.
Dès l'origine, elle avait eu pour président, pour di-
recteur, M. Léon Renier. Ce choix, heureux entre tous,décida de son avenir. Grâce à M. Renier, l'enseignement
de l'École prit dès le premier jour et sut défendre
contre toutes les tentations et les tentatives son caractère
rigoureusement scientifique et vraiment pratique en
même temps. Grâce à lui, elle ne se recruta que parmi
m
des hommes animés de l'esprit qui avait inspiré ses dé-
buts. Grâce à lui enfin, elle eut une installation maté-
rielle, plus que modeste, mais qui sufHsaIt à ses premiers
besoins, et qui avait l'immense avantage de la placer au
milieu même de la bibliothèque de l'Université. Cette
installation s'est agrandie depuis; elle s'agrandira en-
core mais à moins qu'une dotation magnifique ne vienne
nous fournir des ressources spéciales considérables, elle
ne devra pas être déplacée en tout cas, elle aura beau-
coup contribué à la prospérité de l'Ecole pratique.
Dans ces conditions favorables, les lignes un peu
vagues du plan primitif se précisèrent de plus en plus.
On renonça à établir entre l'École et les autres institu-
tions d'enseignement supérieur, conçues dans un es-
prit différent, des relations systématiques. On dépassa
d'ailleurs dès le début sur plusieurs points, on franchit
de plus en plus par la suite les limites de leur domaine.
Les conférences existèrent par elles-mêmes et afBrmèrent
hardiment leur méthode propre. Les jeunes répétiteurs,
entrés à l'École presque en camarades des élèves, de-
vinrent avec les années des maîtres de plus en plus con-
sidérés au lieu de les renouveler fréquemment, comme
on en avait eu l'intention, on les laissa constituer une
tradition durable. Presque tous tinrent à honneur de
justifier le choix qu'on avait fait d'eux par des travaux
conçus dans l'esprit de l'Ecole et sortis, pour la plupart,
des conférences mêmes. Ainsi, et par les contributions
que fournirent bientôt les élèves, se fonda cette Biblio-
~Ac~Mede ~'Eeo~e des hautes études, dont le présent recueil
forme le xxxv" fascicule, et qui a établi si solidement,
en France comme à l'étranger, la réputation scientifique
de notre section. Si l'on parcourt ces volumes, on est
IV
frappé autant de l'extrême variété des sujets qu'ils traitent
que de l'unité de la méthode dans laquelle ils sont traités.
Lalinguistique générale, l'étude du sanscrit, du zend,
du grec, du latin, de l'ombrien, des langues romanes,
la mythologie, l'égyptologie, l'histoire grecque, ro-
maine, française, la géographie historique, l'histoire du
droit, la littérature indienne, persane, grecque, latine,
y sont représentées plus ou moins abondamment. A côté
despremiers maîtres qui ont secondé M. Renier dès la
fondation, MM. Bergaigne, Tournier, Guyard, Maspero,
Paris, Monod, Thévenin, Robiou, Morel, Bréal, et de
ceux qui, comme M. Thurot, sont venus s'adjoindre à
eux un peu plus tard, nous trouvons sur la liste des col-
laborateurs les noms d'élèves qui sont devenus répéti-
teurs à l'École, comme MM. Havet, Arsène Darmeste-
ter, Châtelain, James Darmesteter, Giry, et enfin ceux
d'élèves dont plusieurs sont aujourd'hui des maîtres
ailleurs, et qui ont puisé dans l'enseignement de l'Ecole
t'initiative ou l'affermissement de leur vocation scienti-
fique, commeMM. Longnon, Bauer, Joret, de Lasteyrie,
Grébaut, Le Coultre, l'abbé Auvray, Huart, Regnaud,
Berend, Fagniez. Pourquoi faut-il que précisément
dans cette dernière série nous ayons à nommer deux
morts, deux de ceux qui donnaient, qui avaient déjà
réalisé les plus brillantes espérances, LéopoldPau-
nier et Camille de la Berge! Dans tous ces écrits de
sujets si divers, on retrouve les mêmes traits caracté-
ristiques la recherche de la vérité scientifique par les
procédés de lacritique la plus sévère, sans aucun parti
pris historique, politique ou philosophique, l'emploi
exclusif de documents de première main, et en même
temps la connaissance exacte de l'état de la science, en
France et à t'étranger. Quelques traductions d'ouvrages
v
allemands, écrits précisément dans l'esprit que l'Ecole
cherche à propager, se sont jointes aux mémoires ori-
ginaux les noms de Max Mûller, Curtius, Diez, Sohm,
Mommsen, Bücheler, Lepsius, disent assez que nous
avons choisi de bons modèles.
Par la publication de sa Bibliothèque, à laquelle elle
apporte un soin jaloux, l'École donne, pour ainsi dire,
un enseignement extérieur; mais son activité et son uti-
lité se montrent surtout dans son enseignementintérieur.
Il ne comprend pas, cette année, moins de cinquante-
trois conférences par semaine (dont beaucoup d'une
heure etdemie)
sur les sujets généraux que nous allons
énumérer
SUJETSDES COKFEBEKCES.
Philologie et axh~M:~ g'rec~K~
j4~M:<es.
P/K7oJ'6g'e/a<MM.
E?!g't'<AMet H?:<~K:'<M romaines.
Histoire
Grammaire comparée.
~SHg'MMe</<He)Y<<!<)'e~ee/~Ke.
LaMMMroMtaKe~
LaKg'KeM)Mcn<e.
Z.aH~'KfMMa'e.
Z,f<):g'Me ~er.M)!eet
/sttg'Me~.MM:tM.
/h'c/M'o/og':e oriCH&t/e.
P/M/O/Og'ïe e<H~<!<7M:<eS<?/p~CKMM.
~.iM~Mcf!em/t):~c.
DIRECTEURSET KËPEHMURS.
Mj\{Nombre.
WE[L,ToCRNfER,CRAUX. 6
RAYET. a
THUROT, HAVET, CnATELAM. 4
DESJARDINS a
MoNOD MOT, TuEVENtN GlEY. ()
DREAL. 1
GAIDOZ. 2
PAR!S A. DARMESTETER A
H'AUVETTE-BESifAULT, BERGAIG!<E. /t
J. DARMESTETER. a
GDYARD, CAHRtERE DERENBOORG. t 0
CLERMONT-GANNËAU. 3
MASPEHU GREBAUT.
HEUH.'LNN. 1
MaturcHcment, le sujet spécial de chaque conférence
changeà peu près tous les semestres; comme il n'y a
ni programme, ni examen, chaque directeur d'études
ou répétiteur est le maître de choisir et de distribuer le
VI
travail il a égard au nombre, à l'avancement, aux dis-
positions des élèves. Dès le début, une liberté à peu
près absolue a été l'un des principes essentiels de
l'Ecole; elle est à peine limitée par les réunions trimes-
trielles où les membres du personnel enseignant se
communiquent le résultat de leurs travaux. Le Conseil
supérieur de la section, présidé par M. Renier, composé
de MM. Defrémery, Maury, Waddington et Bréal, est
avec l'assemblée des directeurs et répétiteurs dans une
telle communauté d'idées qu'il n'a pas à faire sentir
sou autorité; il se préoccupe surtout d'être auprès des
pouvoirs supérieurs l'intermédiaire etl'interprète de
l'Ecole.
Les élèves passent officiellement trois ans à l'École, et
sont répartis, pour chaque conférence, en trois années
distinctes la thèse qui leur donne droit au titre d'élève
diplômé, titre recherché, bien que purement honori-
tique, doit être présentée avant la fin de la quatrième
année. Dans la pratique, ils restent souvent plus long-
temps, et, en général, ils se décident leplus
tardqu'ils
peuvent à quitter un milieu où ils trouvent toujours à
s'instruire, où les conseils leur sont prodigués, où leurs
premiers travaux sont appréciés avec une sévérité bien-
veillante et salutaire. Beaucoup d'entre eux font de réels
sacrifices pour prolonger leur séjour. Une aide maté-
rielle, qui leur amanqué longtemps, vient de leur être
accordée le conseil municipal de la ville de Paris,
comprenant que la grande cité, qui fait tant pour l'en-
seignement primaire et secondaire, devaitfaire quelque
chose pour les études supérieures,a voté des bourses
pour les élèves désignés par la section. Il n'est pas dou-
tcux que cet intelligent appui ne fournisse à bien des
V[t
jeunes gens privés de fortune les moyens de suivre une
vocation que l'Ecole n'encouragera jamais si elle ne l'a
pasreconnue comme sérieuse.
Il ne nous appartient pas de faire l'éloge de notre
section, d'exposerce qu'elle a fait pour les progrès de
la-science il nous su flira de rappeler qu'en i8y3 elle
.a obtenu, à l'Exposition universelle de Vienne, dans la
classe de l'enseignement supérieur, un diplôme d'hon-
neur, le seulqui
ait été décerné à un établissement scien-
tifique français. Mais il nous sera permis de dire que, si
elle fait beaucoup,on ne fait pas
assezpour elle, ou
plutôt t
qu'on ne lui demande pas tous les services qu'elle pour-
rait rendre. Dans le système de notre enseignement su-
périeur, l'École de~ hautes études n'est pas un rouage
actif, enchevêtré aux autres, leur prêtant et leur em-
pruntantdu travail c'est un petit mécanisme à part,
qui reçoit son mouvement presque au hasard et ne le
propage pas, et qui semble être considéré comme une
curiosité plutôt que comme une pièce efficace. C'est là
un état de choses très-regrettable, qui a empêché l'École
de prendre tout le développement dont elle serait bien
rapidement susceptible. Elle est prête à fournir, à qui
saura l'utiliser, des ressources qu'on ne soupçonne pas;
mais si on persiste à la laisser de côté comme on l'a
fait, elle risque, en travaillant dans le vide, de voir son
fonctionnement s'allanguir et se désorganiser.
Toutefois, ce danger n'est pas imminent. L'Ecole vit
par ses propres forces. Sans place hiérarchique, sans
utilité matérielle pour ses élèves, sans privilèges, elle a
su, par la seule qualité de son enseignement, par l'élé-
vation de ses tendances, par la sincérité de son travail,
s'assurer depuis dix ans un recrutement modeste, mais
YH[
suffisant, dans l'élite de la jeunesse studieuse de la
France et même de l'étranger. Si toutes les espérances
qu'on a pu concevoir au début ne se sont pà& réalisées,
la faute n'en est pas à l'Ecole, mais aux circonstances
extérieures. Elle a livré tout ce qu'on pouvait attendre
d'elle; et on peut dire que, au moins dans l'ordre pure-
ment scientifique, elle a réalisé complètement ce que
se proposait en la fondant le ministre éclairé, passionné
pour le bien, vraiment ami de la science, auquel elle
est heureuse d'offrir aujourd'hui l'expression désinté-
ressée de sa profondereconnaissance. Elle associe à cette
reconnaissance M. Armand du Mesnil, directeur de l'en-
seignement supérieur au ministère de l'instruction pu-
blique, qui, après avoir activement coopéré à la fonda-
tion de l'Ecole, n'a cessé depuis lot's de la suivre, de la
protéger, de la défendre, et auquel il n'a pas tenu qu'on
ne lui ait fait une plus large placeet une sphère d'action
mieux définie.
Le volume que nous présentons à M. Duruy a été im-
provisé. L'idée de ce recueil a été soumise à la réunion
des directeurs d'études et répétiteurs dans la séance du
i~t avril 1878 dès les premiers jours de juin, le ma-
nuscrit presque entier était à l'impression. C'est ~e qui
explique pourquoi plusieursde nos collègues, malgré
leur bonne volonté, n'ayant rien deprêt, ont dû s'abs-
tenir. C'est ce qui motive aussi la brièveté de laplupart
des mémoires. Grâce à l'intérêt qu'a pris à notre œuvre
M. le directeur de l'Imprimerie nationale, nous avons puêtre prêts pour le jour voulu. M. le Ministre de l'instruc-
tion publique, de son côté, a voulu s'associer à l'hom-
mage rendu à sonprédécesseur en levant plusieurs diffi-
IX
cultes qui nous auraient arrêtés. Ou a fait en sorte que
tous les mémoires contenus dans le recueil eussent trait
plus ou moins directement à Rome ou à l'empire romain
ce n'était pas une tâche bien dimcile, malgré la diversité
de nos étudesl'empire
romain n'est-il pas le centre de
l'histoire du monde, l'aboutissement de l'histoire an-
cienne, le point de départ de l'histoire moderne? Nous
avons voulu par là que ce volume lut pour ainsi dire
plus spécialement dédié à celuiauquel nous l'offrons,
etrappelât que le fondateur de l'Ecole des hautes études
est en mêmetemps l'auteur de l'OM~ des Romains.
LES LIGURES
ET L'ARRIVÉE DES POPULATIONS CELTIQUES
AU MIDI DE LA GAULE ET EN ESPAGNE,
PAR L. F. ALFRED MAURY.
L'étude comparative des anciens idiomes de l'Europe et la
découverte devestiges
de l'homme et de diversproduits
de
son. industrieparaissant
antérieurs à toute histoire ont ra-
mené, depuisun
quartde siècle, l'attention des érudits sur
lespremières migrations dont cette partie du monde a été
le théâtre. On a entrepris de refaire l'ethnologie del'antiquité,
en s'efforçant de l'établir sur des basesplus
solides et sur-
tout plus larges. On est ainsi parvenuà
quelques donnéespré-
cises, qui mettent sur la voie de solutions pour plusieurs des
questions quecette science soulève. Mais dans la restitution
ainsi tentée du plus lointain des passés, on procède encore
tropsouvent dans le brouillard, faute de
moyensde détermi-
nationschronologiques.
Si l'on réussit à saisir, dans ces couches
de populations quise sont superposées avec le temps, un ordre
relatif, on n'a que rarement découvert despoints
derepère
susceptiblesd'être rattachés à des dates
approximatives, et
voilà ce qui enlève à l'ethnologie ancienne del'Europe
beau-
coupde son intérêt, pourquoi
on ne sauraitguère en appli-
quer les résultats à l'étude des monuments des âges lesplus
reculés.
Cette pénurie de données chronologiques frappe surtout
quand on considère l'histoire des racesqui peuplèrent
la
Gaule, l'Espagneet l'Italie, et tel est le motif qui nous fait re-
cueillir jusqu'aux moindres indices de nature à fournir des élé-
ments de synchronismes pourla date des migrations qu'elles
ont opérées.
Entre ces populations, il en est une dont l'origine est de-
A. MAURY.2
meuréc plus obscure encore que celle des nations qui l'avoi-
sinaient ce sont les Ligures, ou, pour les désigner par l'ap-
pellation qui leur fut d'abord appliquée, les Ligyens (Atyus?),comme disaient les Grecs. Le nom de Ligures usité chez les
Latins dénote l'emploi du mot L:g'M~ pour la forme primitivede ce nom au nominatif singulier~.
Pendant longtemps on a vu dans les Ligures une race issue
d'un rameau à part de l'humanité. Certains auteurs les prirent
pour les frères des Ibères mais, depuis peu, des érudits quiont plus approfondi la question se sont prononcés contre de
telles opinions, et M. d'Arbois de Jubainville, dans un fort sa-
vant ouvrage intitulé L~ premiers habitants de f.Earope;, a pré-senté des arguments puissants, et qui me semblent décisifs.
en faveur de l'origine indo-européenne de cette antique po-
pulation. Ses vues ont été adoptées par M. Ernest Desjardins,dans sa G&gyap/H'e historique et <:<&?MM!'sM:M Gaule ~o-
maine, où les caractères de la race ligure font l'objet d'un exa-
men spécial.Les rapprochements établis par M. d'Arbois de Jubainville
ne démontrent pas seulement l'amnité générique des Liguresavec leurs voisins les Celtes, ils nous apportent encore la
preuve qu'il existait entre les idiomes des deux peuples une
ressemblance de mots dénotant une étroite parenté d'origine.
Si nous ne connaissons pas la langue ligure, nous en pou-vons du moins discerner le type par les noms géographiques
propres à l'ancienne Ligurie. Or il est à noter que c'est en
Gaule, en Bretagne, en Espagne et dans les centrées arrosées
par le Danube, que nous retrouvons les analogues des noms
géographiques fournis par la Ligurie. Ces noms appartiennenten grande majorité, par les éléments dont ils sont formés, au
vocabulaire celtique, qui avait laissé, au temps de la domina-
tion romaine, son empreinte sur nombre d'appellations géo-
graphiquesdes contrées que je viens de citer. Plusieurs de ces
noms ont une physionomie si accusée, qu'on en reconnaît la
provenance, lors même qu'on n'en peut donner avec certitude
le sens, car ils ne s'observent que là où il y a eu des Celtes.
Voyez d'Arbois de Jubainville, ~Mp)'emM)'s M~a' fiW.E'Mrqpc,
p. a~t et smv. Paris, i8yy.
LES LIGURES. 3
Entre les noms ligures qui me semblent pouvoir être rap-
prochesdes noms
celtiques, je choisis ici lesplus signin-
catifs.
Le vocable dont l'origine ligure est le mieux établie est
Bodincus; c'était ~e nom que les Ligures,au dire de Pline
(N~.Kat.IH.vmfiG]),donnaient au
Pô(PaJMs);il signifiait,
dans leur idiome, sansfond.
M. d'Arbois de Jubainville1
a
montré quece mot doit être rapproché
du grec ~Sac~us, du
gallois ~of/! et du sanscrit M/K~. Nous retrouvons dans ce
vocable ligurele radical
quientre dans le nom, manifeste-
mentceltique,
d'un des petits golfes ou estuaires de FEcosse,
le firth du 'Forth, que Ptolémée (II, m, § 5) appelle~o~ena
(BoJ'.spt'fx s<'o-~o-<s),et ce même radical nous ramène au nom
de Bodensee, donné parles Allemands au lac de Constance,
remarquable par sa profondeur. La terminaison du vocable
BfM&tïCMs caractérise un assez grand nombre de noms géo-
graphiques gaulois, tels-que ~g'ej!MCMMt, Lemincum, Vapincum,
~a'MM!C!MK,0~'tMca
(Oëp~xa),etc. Ce qui vient à
l'appuide
l'origine celtique du mot Bodincus, c'est que nous le voyons
entrer encomposition
dans le nom d'une villeplacée
sur le
Pô, BfK&HcoMMg-M~citée par Pline, et que relate uneinscription
latine découverte en Provence(OreIII,/Mscr. /at.
sel. n°/ty3y);
or cette terminaison mag'MS est, comme on sait, celle d'un
grand nombre de villes de la Gaule et des contrées celtiques, et
quoiquel'on ne soit point encore fixé sur sa signification, on
s'accorde à y reconnaître un radical celtique.
Si nouspassons
maintenant à des nomsportés par
des loca-
Htés de la Ligurie, nous rencontrons des ressemblances non
moinsfrappantes.
LesLigyens
ou Ligures formaient, au com-
mencement de notre ère, de petites tribus qui étaient canton-
nées dans les vallées desAlpes maritimes, des Alpes Cottiennes
et de l'Apennin septentrional; elles vivaient au voisinage les
unes des autres etavaient longtemps formé desligues pour dé-
fendre leurindépendance.
Autemps
où ces Ligures n'avaient
pointencore subi le joug des Romains et été affaiblis
parle
contact des colonies marseillaises, ils avaient fondé quelques
villes, dontplusieurs
demeurèrent des cités Hérissantes; telles
Owtv~ < p. aa/).
A. MAURY.
étaient (fOXM (Gènes), que Strabon nous représente comme
ayant été l'cM~or'Kfm des Ligures; les deux villes d'~?M~ AI-
~Mtn ~g'a:HiMm (Albenga) et ~4~!MN!A~e/ne~MtK (Vintimiglia);la ville des T~n'HH, appelée sous l'empire ~M~i~a 7aMn?:orMM:~
et Ticinus (Pavie). M. d'Arbois de Jubainvilj.e a fait voir queces noms sont indo-européens; j'ajoute que leurs équivalents,si l'on excepte le nom de 7~'ciHMs,se retrouvent dans la Gaule.
La physionomie en est tellement celtique que l'on nesaurait
admettre ici une similitude tenant à une amnité générique
d'idiomes quand il n'existe qu'une telleparenté entre deux
langues, leurs vocables de même sens ou de sens rapproché
offrent, sans doute, des radicaux identiques, mais les formes
des dérivés, voire même de ces radicaux, dufèrentquelquc peu,n raison des substitutions de lettres dues à la prononciation
propre a chacune d'elles. L'identité existë-t-elle entre les mots,
c'est une preuve que les deux langues ne sont séparées'que
par des ditl'érences dialectales. Or comment n'être pas frappéde rencontrer dans cesvallées des Alpes,habitées pardes peu-
plades ligures, quelques-uns des noms géographiques parti-culiers aux contrées celtiques? Sans revenir sur ceux que jeviens de mentionner, j'en rappellerai de non moins décisifs.
Cette localité nommée Oc~MN: que mentionne César, au com-
mencement de ses Commentaires (De bello C~M;o~ I, 10), et
qu'enregistre Strabon (IV, p. i&8;V,p. 180, éd. C. Müller),
porte une appellation qu'on trouve, enl'Espagne au temps
des Romains, donnée à une ville précisément Mtie sur un
fleuve, le DMrnM (Douro), dont le nom n'a pas une forme
moins celtique (Itin. ~M< &3/t, ~3a). CenomdeDurius',
que les anciens ont aussi écrit Doria (A<Mp<as, AoupM?), est
également celui de deux cours d'eau qui arrosent la contrée
où s'élevait la ville d'Occ~MH!, la DMnam~'o! aujourd'hui Dora
Baltea, et la DMn'aMtMM~ aujourd'hui jD<M'&&pana. Ce nom de
Duria ou Doria est si bien celtique que nous le rencontrons
jusqu'en Hibernie, ou il était appliqué à une rivière, le Dour,
Ao))p Ts'oTc~? (Ptolemée, II, n, § ~). Le Var (en latin FarMs,
en grecO&xpos), qui séparait, au commencement de notre ère,
L'7<)M)YH)'e~M<oK!'Hporte Ocelo Diot; on a identifié tour à tour
cette localité avec Fermosel, Toro et Zarnora. Voy. (M. Pat'they et Piu-
tter. n. 36~.
LES LIGURES. 5
la Ligurie de la Province romaine(Pline,
~f: nat., IU,
vn[5]),
était dans le principe occupésur ses deux bords par
(les populations ligures.Toute l'étroite région montueuse
que
traverse ce fleuve torrentiel demeura ligure, et nepasse pas
pour avoir jamais été occupée parles Celtes
proprementdits.
On ne saurait doncsupposer que les Celtes lui aient imposé
son nom. Si l'on déniait au vocable Var une origine ligure, il
faudrait en chercher l'étymologie soit dans lephénicien, soit
dans le grec; mais ni l'une ni l'autre de ces langues ne fournit
de mot d'une telle forme pouvant convenir à un cours d'eau,
tandisque
nous trouvonsprécisément
en une contréeceltique,
la Calédonie, un estuaire appelé Varar; il est mentionnépar
Ptolémée( H, m, § 5 ) c'est le firth de Cromartv (Ouetpotp s<cr~u-
~).Les noms des
peuplades ligures et depetites
tribus avoisi-
liantes nous ont été conservés tant par Pline, qui transcrit
l'inscription du trophée d'Auguste, que pardes monuments
épigraphiques,entre
lesquelsse
placeen première ligne l'ins-
criptionde l'arc de
triomphe de Suse.Quelques-uns
de ces noms
sont cités dans César et d'autres historiens anciens. Sans doute,
les noms de plusieurs de ces populationsne trouvent point
ailleurs leur analogue et ne sauraient, en conséquence, être
regardés comme caractérisant des nations de même descen-
danceque
les Gaulois; mais il en est aussi dont laphysionomie
celtique est bien accusée; tels sont les Fc~MMM',homonymes des
~e~NMK: dontparle César (cf. Vellauni, Vellaunodunum, Sego-
~aMM!'); les Ca~:hs., qui s'appellent presque comme les Gau-
lois(Ca~);
les jEsM&M~ quasi-homonymesdes EmM~ peuple
de la Gaule occidentale~. Les noms dej6r<gtatM, ~Vema/sMMtj
(~cy&< nous eurent des radicaux entrant fréquemment dans
lacomposition
des nomsgéographiques gaulois.
Le nom de Varus se retrouve dans celui d'un cours d'eau de ia.
Gaule cispadane, la Verza, indiquée dans la Table de Peutinger sous le
nom de Fs?'Ms. La forme sous laquelle ce vocable de rivière s'offre en
Caiëdonie nous fait supposer qu'il est identique aux noms d'~ra~/tt'a-
y'M,~)'ar:!M,et. qu'il implique l'idée de rapidité. Le nom d'/tranM.! étant
devenu ~4m' en allemand, la forme ~?w a pu devenir Var en fie'nre.
Voyez E. Desjardins, GeoFrap/MC /<MforMMeet administrative <~ la
Gaule roMMKe, t. H, p. ~Qo, 638.
Le nom d'O~&K peut être rapproché des noms celtiques ayant
A. MAURY.G
Autre rapprochement qui ne me paraît pas moins con-
cluant Ceme~MMtétait le nom de l'oppidum d'âne des peu-
plades ligures des bords du Var, les Ve~MK&'t ou Fe~Mtes ce
nom s'est conservé, quelque peu altéré, dans celui de CImIez.
Il est visiblement dérivé du mot qui désignait la hauteur où
l'oppidum était placé, car on y discerne le radical cem, qui entre
dans le nom de K~t~eMw, écrit par les Latins Ce~HM~ et qui
désignait la chaîne des Cévennes, laquelle en a tiré son ap-
pellation. Le même radical se retrouve dans les idiomes néo-
celtiques avec le sens de dos, de courbure2. Le nom de FesM~MS
que portait le mont Viso, une des montagnes de la Ligurie
(Servius, ad ~EnR: XI, 700), peut être rapproché de divers
noms des contrées celtiques et de formes voisines.
Ainsi ce n'est pas seulement chez des tribus auxquelles on
pourrait à la rigueur dénier le caractère ligurique, c'est chez
celles qui habitaient en plein pays ligure que les vocables cel-
tiques sont à signaler. D'ailleurs, -les R:M)'w~ qui portent
presque le même nom qu'une population celtique du Norique,les Taurisci, sont
qualifiés positivement, par Strabon, de Li-
gures 3.Il est diulcile d'admettre que des populations en quelque
sorte enchevêtrées les unes dans les autres, comme l'étaient les
petites tribus des Alpes, lesquelles constituèrent le royaume
de Donnus et de son fils Cottius, aient parlé des langues tout
à fait différentes, et c'eût été le cas si les Celtes n'avaient eu
aucune anmité d'idiome avec les Ligures. Du celticisme de
ceux-ci on peut produire une preuve plus décisive, et c'est
cette preuve qui me ramène précisément à la détermination de
l'élément chronologique qui fait l'objet principal de ce travail.
pour préfixe !M: dans les transcriptions grecques ou latines, Uxantis,
Uxella, MM/MMMM~ Uxellum, où apparait un radica) jM; ou plutôt uch
(voy. A. Fick, Fe~/etc/tc~MÏ~orfer&Me/t ~'Mog'et'NM)M.M/t6K~?'acAeK~3" édit., t. 1, p. 768), très-probablement identique au radical oc daus
Oce~Mmet impliquant l'idée d'élévation. Un grand nombre de localités
portent en France les noms d'Ussel, K!M<m,Uzcl. (Voyez Roget de Bello-
guet,F</mo~eHM'~m&se, glossaire, a" édit., n° 356, p. 35a.)
Voyez E. Desjardins, oMurag-ecité, t. II, p. a56, a5y.Diefenbach, Celtica, t, p. 121, ia3.Le nom de &g'!M!'o( Suse), localité située à la frontière des. 2a!M'M:~
f~t aussi tout celtique.
LES LIGURES. 7
Justin, l'abréviateur de l'histoire qu'avait composée le Vo-
conceTrogue-Pompée,
nousapprend (XLIII, m, § i5; iv,
Sa) queles Phocéens avaient fondé la colonie de Marseille,
au paysdes Ligures, sur le territoire d'un peuple appelé
Se-
~o&r')'g-i' les Ségobrigiens, surlesquels régnait un certain
Nannus. Or, le nom de &g'o&r:g'Mest essentiellement celte,
et l'on en retrouve les deux élémentscomposants, sego
et
6n~ dans une foule de noms de la Gaule, de l'Espagne et
de laBretagne, ainsi que
l'a déjà remarquéM. d'Arbois de
Jubainville, qui ne voit dans ce nom qu'un vocable indo-euro-
péen. L'Identité est trop complète pour qu'onne reconnaisse
pas ici lapreuve
d'une étroite affinité d'idiome. Le nom même
du roi desSégobrigiens que
nous donne Justin, etqu'on
lit
aussi dans Aristote, sous la forme Nannos(Nc~o$;
cf. Athen.
XIII, 5 y 6), paraît n'être qu'une variante du nom de Ninnos,
inscrit sur des deniers d'argent gaulois découverts dans les
montagnes du Jura. Celui du successeur de Nannos, Comanos,
relaté également par Justin, nous est fourni par le vocable
Coma; que portentdes deniers d'argent de la
ligue des mon-
tagnards des Alpes contre Arioviste et les Germains.
De tous ces faits il me semble résulterque
lesLigures
ou
Ligyens parlaient un dialecte celtique, qu'ils étaient de même
souche que les Gaulois, ou avaient été celtisés par eux dès
uneépoque reculée, fort antérieure à la fondation de la colonie
phocéenne de Marseille. Les envahisseurs celtes n'avaientpu
manquer d'absorber ou de modifier profondément la popula-
tion qui occupait avant eux la région comprise entre les Alpes
au nord et la Méditerranée au sud, et qui s'étendait, dans le
principe,de la Macra jusqu'au Rhône. Or, la
présencedes
Ligures en cesparages
se rattache à un événementimportant
dans l'histoire des migrations des populations méditerra-
néennes.
Thucydide (VI, n), parlantdes anciens habitants de la
Sicile ou Trinacrie, nous ditqu'après
avoir été habitée parles
Cyclopeset les Lestrygons, cette île fut envahie par les Sicanes,
peupleibère
queles
Ligyensavaient chassé des bords du
fleuve Sicanos. Diodore de Sicile (V, vi)et Denys d'Halicar-
nasse(1, xxn)
ont euégalement
connaissance de la tradition
relatéepar Thucydide; ils t'avaient vraisemblablement puisé''
A. MAURY.8
chez Philiste de Syracuse, lequel écrivait au commencement
du ive siècle avant notre ère. On a proposé pour ce fleuve
Sicanos di&'érentesidentiucations, ne le retrouvant pas parmi
les cours d'eau que mentionnent Strabon, Pline, PomponiusMêla et les historiens anciens. M. d'Arbois de Jubainville,
reprenant une assimilation déjà proposée par Grotefend et
J. F. Gail, veut voir dans le Sicanos la ~uans, autrement
dit la Seine. Cette opinion nous semble peu admissible. Com-
ment les topographes, les antiques historiens auxquels Thu-
cydide a emprunté ce qu'il rapporte touchant les Sicanes, au-
raient-ils pu citer une rivière de la Gaule, quand c'est à peine
s'ils connaissaient ce pays, vaguement désigné par eux sous le
nom de Celtiqtte, et auraient-ils étendu à cette contrée le nom
d'Ibérie, beaucoup mieux défini dans leur esprit? Parce que
FIbérie, telle que la représentaient d'abord les Grecs, s'avan-
çait jusqu'aux bouches du Rhône, cela n'autorise pas à com-
prendre toute la Gaule sous cette dénomination. D'ailleurs
l'extension du nom d'Ibérie à la région sise au nord des Pyré-
nées orientales, reposait certainement sur le fait, observé parles Grecs, que la population de cette partie de la Gaule, était
de même race que les Ibères, ainsi que le démontre la forme
des noms de lieux mentionnés par les anciens dans la contrée
répondant au Roussillon. Quelques érudits ont admis que le
Sicanos est identiqueau Secoanos (S~xoa~os) qu'Artémidore,
cité par Etienne de Byzance, donnait pour une rivière du ter-
ritoire de Marseille. Mais le Secoanos n'est pas le Sicanos, et
quand on voit le même Artémidore faire dériver du premierde ces noms celui des Séquanes (S~œMt), on est fondé à
supposer que cet auteur, qui n'avait sur la géographie de la
Gaule que des notions fort inexactes, parlait de la Seine
(6'e~M~Ma). tout au moins de la Saône (&:MCOMHs), qu'il sup-
posait arroser le territoire des Marseillais parce qu'il avait
appris que cette rivière se rencontrait au nord de la colonie
phocéenne.Nous n'avons aucune raison de rejeter le témoignage formel
de Thucydide. nous disant que le Sicanos était un fleuve de
M. Ernest Desjardins (oKN'~ec:'<e, t. [, p. 178) a émis l'opinion quete Secoanos pourrait être )'~)'c; mais le nom de ~ar, porté au moyen
u~e par cette rivière, ne confirme pas une telle assimilation.
LES LIGURES. 9
l'Ibérie, car nous trouvons ailleurs la confirmation de cequ'il
avance. Festus Avienus, l'auteur du poëme des Ora man~Kf~
bien qu'ayantécrit au iv" siècle de notre ère, nous offre un
tableau géographique composé d'éléments empruntésà des
périégèseset à des
périplesdatant du iv° et du e siècle avant
notre ère. Eh bien, il mentionne le fleuve Sicanus, prèsdu-
quelil place une Civitas
<S:c(HM'(0?'aMM?'v. 46y, 46g, 4yo.
48o,486),où l'on reconnaît la &caM~(2tKfXf)?), ville d'ibérie,
dont parlaitHécatée de Milet
(ap. Steph. Byz. s.A.o.). Le lieu
ou Avienus parlede ce fleuve Sicanus et de la ville
quien
tirait son nom montre clairementqu'il s'agit ici du Sztcro, le
Xucar actuel. Il s'ensuit que le Sicanos était bien réellement
un fleuve d'tbérie. Or, dans la région de la Péninsulequ'ar-
rose le Xucar dans cettepartie que
les anciens désignaient
sous le nom de Celtibérie, à raison dumélange
de Celtes et
d'Ibères qu'offrait la population, se trouvaient, .à l'époque
romaine, deux villesappelées Segobriga
lapremière,
la Sé-
gorbe actuelle, etqui nous a laissé des monnaies; la seconde,
renommée par l'abondance, en son territoire, de lapierre
spéculairo (specularis lapis), quel'on y exploitait.
Ainsi voilà
précisémentdans la
régionde
l'Espagneoù coule le Xucar,
c'est-à-dire le Sicanos, deux villes portant le nom du peuple
ligure, queles Phocéens avaient rencontré à leur débarque-
ment sur le sol où ils fondèrent la colonie de Massalia. Ne
faut-il pasreconnaitre dans ces Segobrigenses que mentionne
Pline(lit.
111 [4]) les descendants des Ligures quiavaient
expulsé les Sicanes? Nullepart
ailleursqu'en
lapartie
de
l'Ibérie ici indiquée il n'estquestion
de villes du nom de Se-
gobriga,et il est à noter
que lenaturaliste romain
qualifiele
territoire de ces mêmes ~ea'o~g'eMses de <MpM<Ce/<!6&r!<s. Tout
annonceque
dans leprincipe
cepeuple,
subsistant encore au
[~ siècle de notre ère, occupait un territoire assez étendu.
Les Ligures avaient dû envahir une partie du domaine pos-
sédé auparavant par les Ibères, et, en venant s'établir à leur
voisinage,ils se mêlèrent
partiellement avec eux. Festus
Ce fleuve devait être d'autant mieux connu des Grecs, qu'il traversait
la route autant deGadès en Italie. (Voyez /<:))er.t<oM. 400, p. iga édit.
Parthey et Pindcr. Orelli, ~Mcr~<. /<!<H!c/. n°5aio. /<M:er<H'?'Mde~ie~'e//o.~
A. MAURY.10
Avienus, en parlant du fleuve de Tartesse, c'est-à-dire du
/~c<s (le Guadalquivir), dit qu'il prend sa source au L~s~'cMs/acMs. Donc l'amas d'eau d'où sort le grand Heuxc de l'Anda-
lousie avait reçu d'abord son nom des Ligyens ou Ligures,
l'ethnique ~g~s~Me en étant incontestablement formé. Ce
peupledevait s'étendre alors du Xucar au cours supérieur du
Guadalquivir. Une autre preuve qu'il existait bien réellement
une population ligyenne dans cette partie de l'Espagne, c'est
que Etienne de Byzance, qui avait compilé, on le sait, d'an-
tiques données géographiques, mentionne L~ys~H~Atyuo-Tt~)comme une ville de l'ibérie occidentale, peu éloignée de Tar-
tesse. On s'explique conséquemment que Festus Avienus, en
reproduisant un tableau de la manière dont les Grecs serepré-
sentaient l'Europe occidentale au iv° et au v" siècle avant notre
<re, ait placé les Ligyens, PerM!.c L!g'Ms (OMMM! v. i<)6),au voisinage des Cempses, peuple pyrénéen dont les âges
postérieurs ne gardaient plus qu'un vague souvenir (voy. Dio-
nys, Perieg. v. 338). Il y a donc tout lieu d'admettre que les
Ligyens furent une des premières, sinon la première, des po-
pulations celtiques qui envahirent l'Espagne, et on comprendalors qu'ils en aient chassé les Sicanes, qui, après une longue
pérégrination, devaient aller s'établir enTrinacrie.
Suivant Hellanicus de Lesbos (ah. Dionys. Hal. I,xxu),l'é-
migration des SIcules, qui suivit de près celle des Sicanes, était
antérieure de trois générations à la guerre de Troie. Philiste de
Syracuse, en situation de recueillir des traditions plus précises,
plaçait l'événement quatre-vingts ans seulement avant cette
guerre; il affirmait que les Sicules, dont le nom valut à la Tri-
nacrie l'appellation de Sicile, étaient des Ligyens ayant à leur
tête un chef nommé &<Jos. On peut en inférer que les Sicules
étaient un mélange de Sicanes et de Ligyens, chassés des
cantons de l'Italie qu'ils avaient d'abord envahis par les Om-
briens et les Pélasges (voy. Festus, v° ~o'a'K~. Or remar-
quons que les habitants de la Sicile sont déjà mentionnés
souslenomdeSME~o/dansrO~M<fc(XX, 383;cf.XXlV, m 1,
.366,38()), poème qui désigne aussi l'tle sous celui de 3txet)'t);
Ce sont visiMement les Lig'yens qui out npportd en Sicile le nom de
.')(~&<c,que l'on trouve poi'Lé par mievuie de Lig'm'te, 5<ges<«T;g'!</&'o-r~m (PtioR. /f<<. M;. IH, 7).
LES LIGURES. 11
(XXIV, 3oy).Donc l'établissement des Siculeset,conséquem-
ment, celui des Sicanes en Sicile sont antérieurs à la rédac-
tion del'Myssee.
On est dès lors en droit de faire remonter
au delà du x° siècle avant notre ère l'arrivée en Ibérie, dans la
contrée qu'arrose le Sicanos ou Xucar, des Ségobrigiens, au-
trement dits desLigyens ou Ligures; et, comme il ressort de
ce que j'ai ditplus haut que ceux-ci appartenaient
à la famille
celtique, c'est donc auplus
bas à cette datequ'il
fautrepor-
ter la migration des populations celtiques à l'occident de
l'Europe.
Unequestion
sepose
naturellement ici les Ligyens s'é-
taient-I!s, de l'Ibérie, avancés dans la contrée qui prit d'eux
le nom de Ligurie, etqui
était originairement comprise entre
le Rhône et la Macra, ou étaient-ce les Ségobngiens, établis
au commencement du vi° siècle avant J.-C. aux environs de
MarseIDe, quiavaient
pénétréen
Espagne?Si l'on accepte la
traditionque
Tite-Live nous a conservée surl'expédition
de
Bellovèse au nord de l'Italie, tradition qu'il ne me semblepas
qu'onsoit autorisé à rejeter, on devra admettre que,
dès l'an
5goenviron avant notre ère, les Ligures étaient déjà fixés
dans la Gaulecisalpine;
et l'histoire de la fondation de Mar-
seille sur le territoire ligure prouve que,moins d'un
quartde
siècle auparavant, ils se trouvaient dans ce que nous appelons
la Provence. Une très-ancienne tradition, serapportant,
selon
touteapparence,
à l'Herculephénicien,
c'est-à-dire au dieu
Melcarth.età laquelle Eschyle fai,t allusion dans son Pro-
M:e<Aee(Eschyl.
éd. Ahrens, p. 02), plaçait l'intrépide armée
desLigyens
sur la routequ'avait
suivie le dieupour
se rendre
d'Ibérie, où il avait vaincu Géryon, enTyrrhénie; cequi
montre
clairementque,
suivantl'antique légende, les Ligyens s'éten-
daient sur les bords de la Méditerranée, entrel'Espagne
et
la Toscane; et, en effet, Strabon(IV, i, p. i5a, éd. Müller)
voit dans la plaine de la Crau le théâtre du combat que
Hercule avait livré contre les barbares, combat où Zeus vint
au secours du héros divin, dont les nèches étaientépuisées,
en accablant ses ennemis d'une pluie de pierres. Le mythe de
l'expédition d'Hercule en fbérie devait avoir été apportéaux
Grecs par les Phocéens établis dans la Gaule méridionale, et
ceux-ciparaissent
l'avoir reçu des Phéniciens, dont la domi-
A. MAURY.12~'),
nation précéda, sur le littoral de la Provence, celle des Grecs.
Voila donc qui nous reporte au moins au vn° ou vuf siècle
avant notre ère, et prouve que la présence des Ligyens en Li-
gurie datait d'une époque fort reculée. Ajoutons, en passant,
que le nom de Crau (prononcez craou), qu'a conservé le théâtre
des exploits d'Hercule (les C~MK~/a~ de Pline'),
a une éty-
mologie celtique et signifie p!en'c!M~; ce qui est un nouvel
indice que les Ligyens parlaient un idiome celtique, car ce
nom paraît remonter a une haute antiquité.Si l'on fait attention qu'en pénétrant dans la Gaule, les po-
pulations celtiques, venues de l'Est et du Nord-Est, durent lon-
ger les bords des grands Seuves qui constituaient à l'origineles principales artères de communication, on devra admettre
que, pour se rendre en Provence, elles avaientsuivi la Saône
et le Rhône, et l'on sera dès lors conduit à croire quelles s'é-
taient rendues sur le territoire de Marseille avant de gagner
l'Espagne. Il y a donc lieu de supposer que les Ségobrigienssur lesquels régnait Nannos étaient les frères âmes et non
les enfants de ceux des bords du Sicanos. Les Segobrigiensdurent suivre en sens inverse la route que suivit plus tard
Annibal pour se rendre sur les bords du Rhône, et leur migra-tion nous apparat comme l'avant-garde de celle des Celtes
proprement dits. Ne l'oublions pas, d'ailleurs, les peuples
que les Grecs connurent sous le nom de Celtes et les Romains
sous celui de Galli ne constituaient pas plus que toutes les
races primitives et barbares une nation dans le sens moderne
du mot; c'était un ensemble de tribus offrant une commu-
nauté de langue, d'habitudes, et une notable ressemblance de
type physique, mais gardant cependant chacune une existence
séparée, se désignant chacune par un nom particulier. Ce sont
les Grecs qui paraissent avoir les premiers imposé à la masse
de toutes ces peuplades un nom collectif, lequel était em-
prunté à celui qu'avait adopté l'une d'elles, celle que la proxi-mité de territoire avait d'abord mise en relation avec leurs co-
Yoy. sur !es Cam~M&~K< E. Desjardins, out. e<~ L t, p. t g&, i §5.Ce mot. o'aM( prononcezen provençal o'ao!t) se retrouve dans }c gal-
lois 0' le gac)ic ere< l'armoricain &Mg', et il a fourni le nom deC7'<:KCdonné aux Alpes qui séparaient la Gaule de la Ligurie. (Voyez Die-
i'cnbacu, Ccllica, t, p. 10~,10 5.)
LES LIGURES. 13
lonies du midi de la Gaule'. De même, le nom de Bretons,
~!foHM, fut étendupar
les Latins à toutes les tribus d'Albion
congénèresde la
petitenation ainsi appelée, qui, de la Gaule
belgique,avait
pénétré dans l'île.Presque partout,
les choses
se sontpassées
ainsi pour les dénominations quiont été appli-
quéesaux nations.
Malgré leur unité ethnique, les tribus celtiques,on le sait
par de nombreux témoignages, étaientfréquemment.en
lutte
entre elles, et l'uneimposait
son joug à l'autre. Ons'explique
de la sorteque
les Celtes, nouveaux envahisseurs, aient re-
poussé les tribus ligyennes qui les avaient précédés, les aient
refoulées dans les vallées desAlpes
et de l'Apennin, où elles
se virent bientôt condamnées à une vie dure et misérable, cul-
tivant un sol ingrat et demandant encoreplus
aubrigandage
qu'àla chasse et à la pêche les moyens de subsister~. Telle
est lapeinture que nous fait des Ligyens Diodore de Sicile,
etqu'on
retrouvepresque
avec les mêmes couleurs dans
FestusAvienus(Oraman~.v. i36
etsuiv.).Le poètelatin nous
les représente comme ayantété contraints par l'arrivée des
Celtes d'abandonner la contréeplus
fertilequ'ils
avaient d'abord
occupée~; aussi une hostilité marquée subsista-t-ellelongtemps
entre les Celtes et les Ligures; ceque
dit Diodore en fait foi;
et les premiers prêtèrent contre les seconds du secours aux Grecs
de Marseille. (Voyez Justin, XLIII, iv; Polybe, XXXIII, vu, vio.)
Voyez ce que dit Strabon, V, xiv, p. i5y, éd. MùHer.
~Ligures qui Apenninum tenuerunt, latrones, insidiosi, fatfaees,
mendaces,~ écrit Nigidius, ap. Serv. ~~Em. XI, 715.Festus Avienus désigne manifestement les Alpes, que les anciens
poètes, à raison des neiges dont elles étaient couvertes, avaient dépeintescomme une chaîne de montagnes septentrionales, quand il écrit
Rigidœque rupes atque montium minœ
Cœ)o inser~ntHf,
et l'on reconnaît par la suite de la description qu'après cette Liguriesoi-disant hyperboréenne, on arrivait aux bords de la Méditerranée, car
il est question d'une mer qui s'étendait jusqu'à Ophiusa et où se trouvait
la Sardaigne. Cette île d'OpA!'M~< dont parlent Pline (III, 11) et Pom-
ponius Mé!a (M,vn,aoo), fut confondue avec les OEstrymnides, le nom
de ces îles ayant été donné par les premiers poètes et périég'ètes aux îles
voisines de la côte d'Espagne, lesquelles servaient vraisemblablement
d'entrepôt au commerce des Phéniciens, iorsque ceux-ci allaient prendre
A. MAURY.l~t
Festus Avienus, qui copie les indications vagues et in-
exactes de l'antique cosmographie des Grecs, assigne au paysdes Ligyens une fausse orientation, et cela a conduit certains
modernes à supposer qu'il existait des Ligures dans l'Europe
septentrionale. Le poète latin s'imaginait que, lorsqu'on s'a-
vançait sur mer au nord des îles OEstrymnides, autrement
dit des Cassitérides, on rencontrait le pays des Ligyens. Cette
erreur tient à deux causes. La première, c'est que les anciens
se représentaient inexactement l'orientation de l'Irlande; ils
supposaient que l'Hibernie et les îles Cassitérides, qui sont les
Sorlingues et la pointe de Cornwall, étaient situées au nord de
l'Espagne et à l'ouest de la chaîne des Pyrénées, qu'ils faisaient
courir du sud au nord, au lieu de l'orienter de l'est à l'ouest.
La seconde cause, c'est que le nom d'ÛEs~n/mtMWc~ que nous
transmet Avienus, ne fut pas appliqué tout d'abord aux Cas-
sitérides, mais aux îles situées en face de la côte orientale de
l'Espagne, où les Phéniciens allaient chercher Ies_métaux, avant
qu'Us eussent poussé leur navigation jusqu'aux Sorlingues.
Le poète,qui mêle des données de différents âges, a confondu
dans la Péninsule les métaux qu'ils anèrentchercher plus tard jusqu'aux
Sorlingues. C'est a quoi fait allusion Avienus quand il dit (Ora man't.
v. loA,i55):
ha*c dicta primo OEstrymnis est
Locos et arva OEstrymnicis babitantibus.
De même que les Cassitérides se confondent, dans les- récits des navi-
gateurs, avec la presqu~ie de Cornwall, Ophiusa, FOEstt'ymnide pri-mitive, se confondait avec le continent ibérique voisin; voita pourquoile poète, qui ramassetoutes les données de cette vague géographie,
compare pour l'étendue Ophiusa au Pétoponèse
Ophiusa porro tanta panditur ]atus
Qnantam jacere Pelopis audis insulam
Gralorum in agro.
Ophiusa représente si bien dans cette cosmographie poétique ia c6te
d'Espagne, qu'il est question à son sujet du Jif~M ~merM, selon toute
apparence le cap de Ct'euz, près duquel était place le temple de Vénus
mentionné par Strabon(IV,i, p. iù8, éd. Mû!icr),jgt qui a valu son
non il Port-Vendres. Les Ora maritima parlent ensuite de deux petitesfies inhospitalières, qui doivent avoir été ceiies que les anciens appelaientles ~'&!MM(Iviça et Fermentera), et d'où il fallait cinq jours de navi-
gation pour se rendre aux Colonnes d He)'cu)e.
LES LIGURES. 15
)cspremières OEstrymnides
avec les secondes; or, en suivant
l'ancienneterminologie,
il était exact de dire qu'on ren-
contrait lepays
desLigures
au nord-est desOEstrymnides'.
Maisquand
toutes ces notions se brouillèrent, il en résulta un
vrai chaos dans la façon dont onreprésenta
la carte de l'Eu-
rope occidentale, et c'est de ce chaosqu'Avierms
nous a con-
servel'image.
Comme onsupposait que
le littoralseptentrional
de la Gaule s'étendait au nord de l'Hibernie, les naviresqui
se
Le nom d'C!E'~r!/m)ttf~ paraîtavoir fait allusion à
l'agitation furieuse
(oMp~~et) que présentait la mer d'alentour. Lesparages
del'Espagne
étaient sipeu
connus des auteursgrecs,
au v* siècle avant notre ère,
qu'on pouvaitencore confondre à cette époque les Baléares et le con-
tinent qui leur fait face. Hérodote (111, n5) déclare ignoreren
quelle
région se trouvaient les îles Cassitérides, d'où l'on rapportait l'étain, et
cetteignorance s'explique
d'autantplus facilement que les Phéniciens,
qui importaient les métauxprécieux de l'ouest de l'Europe, cachaient soi-
gneusement leur itinéraire, ainsique
leremarque
Strabon (II, v, p. i M,1
édition Müller). Les notions inexactesqu'avaient
les auteursqu'Avienus
prend pour guides, et dont Etienne deByzance nous donne aussi quelques
extraits, fontcomprendre
comment on confondit, d'une part, sous le nom
d'O~M (Ô~oSo-ef, i')te desSerpents),
différentsgroupes d'îles, telles
que les Columbretes et les petites Batéares, avec la côted'Espagne, qui
en estpeu éloignée, et, de l'autre, ces mêmes îles avec les Cassitérides
ou Sorlingues, auxquelles on appliqua pour ce motif le nomd'OEstry-
mnides. Deux passages d'Avienus le montrent au reste suffisamment. Le
poète, en parlantdes
Cempses et des Sa~fes, qui étaient des populationsdes
montagnesdu nord-ouest de la Péninsule, les place dans l'île
d'Ophiusa
Cempsi atque Sœfps arduos colles habent
Ophiusœ inagro.
(OrcmœWt. v. ig5, fg6.)
Le promontoire que les anciens appelaient O.B'~w/MH~e est représentécomme étant peu éteigne des Colonnes d'Hercuie
Et prominentis hic jngi surgit caput
OEstrymnin istud dixit aevum antiquius.
(ibid. v. go, g t.)
La description quisuit fait comprendre que l'océan
Atlantique, qu'onrencontre au delà du détroit de Gadès, fut
désignédans le
principe
parun nom
signifiant mer fitrieuse (sinus QE'~ryNMK'etM), dénomination
qui passa aux îles Cassitérides. Ce nom tomba en désuétudequand
les
côtes de Bretagne et d'HIbernie eurent été plus explorées; voilàpourquoi
il ne se retrouve plus chez les auteurs postérieurs à ceux dont Avienus
et Etienne deByzance nous ont conservé des fragments.
A. MAURY.i6
rendaient pour aller chercher l'étain aux Cassitérides et ga-
gnaient de là quelque port de la Manche, ainsi que nous
l'apprend Diodore de Sicile (V, xxxvm), étaient regardés comme
mettant le cap au septentrion. Les chargements de ces navires
étaient transportés par terre jusqu'à Marseille. Alors qu'onétait encore absolument ignorant, chez les Grecs, de la confi-
guration du nord del'Europe, comme on entendait dire que
ces marchandises remontaient par eau, on en concluait queles bâtiments pouvaient se rendre directement en Ligurie. On
sait, en effet, par Strabon, que le commerce sejaisait_par la
Seine, la Saône et le Rhône. Au reste, des confusions ana-
logues à celles dont l'emplacement respectif assigné aux OEs-
trymnides et à la Ligurie était l'objet peuvent être constatées
dans les vieilles traditions poétiques sur le voyage des Argo-nautes.
Quoique les Ligyens ou Ligures nous apparaissent comme
les anciens habitants des pays qui s'étendaient du Rhône a la
Macra, le caractère indo-européen de leur idiome prouve suf-
fisamment qu'ils n'ont pas été les premiers occupants de cette
partie du littoral de la Méditerranée. La contrée devait être
déjà habitée avant eux, et ils avaient, selon toute apparence,absorbé la population indigène. C'est ce mélange qui dut
modifier chez les Ligures le type celtique, et en constituer un
quelque peu différent. Mais cette nation reçut certainement,
a plusieurs reprises, des infusions de sang celtique, car un
courant d'émigration celtique semble avoir continué durant
des siècles à verser en Ligurie des tribus venues d'au delà des
Alpes. Quand on compare les'noms de diverses villes de cette
contrée à ceux de l'Helvétie celtique, on est frappé de la res-
semblance, parfois même de l'identité, qu'ils présentent. Ainsi
on trouve en Helvétie, comme dans la région sur laquelles'étendait la Ligurie primitive, un E~uro~KUMm (Yverdun
et
Embrun); le nom d'~feH<CMm (Avenches) est quasi-identique
avec celui des Avantici, peuplade des Alpes Cottiennes, et il ne
diffère que par l'insertion de la nasale, généralement sup-
primée dans les idiomes du midi de la France, du nom des
Avatiei, l'un des peuples de la Ligurie occidentale. Le nom
d'une ville ligure, /Mgm<MMM,se rapproche fort par le sufïixe de
f'plui (i'une ville de l'Heivétie /}g'aMHM)Mou ~caMHM?M.Plu-
LES LIGURES. 17
tarquenous
apprend (MarîMs~c.
xix) que les Ligures, ou
du moins une partie d'entre eux, se désignaient parle nom
d'Ambrons, quiétait précisément celui que portait l'une des
quatre peuplades des Helvètes, celle qui se joignit aux Teu-
tons, lors de leur fameuse irruption. I) semble donc probable
que les Ligures étaient originairesde l'Helvétie, et leur nom
même de Ligyens, déjà connu d'Hésiode(ap. Strabon, VII, III,
p. a~q,éd.
Mùller), a toute l'apparenced'être
celtique,car il
serapproche
fort de certains vocables géographiques que nous
fournissent les contréesceltiques Ao~o<, LMgM~ peuple
de
la Germanie voisin des Helvicomes, et qui paratt avoir été allié
aux Celtes; AoSyo<, peuplede la Calédonie; Liger, la Loire;
~MS~MMMH~etc.
LesLigyens, qu'ils
aientimposé
leur nom auxpopulations
qu'ils rencontrèrent tant au sud-est de la Gaule qu'au nord de
l'Italie et aveclesquels
ils se fondirent, ouqu'ils
aient reçu
cette appellation après s'être établis dans leur nouvellepatrie,
n'en finirentpas
moinspar
constituer une nationparticulière,
queles anciens ont distinguée des Celtes; ils continuèrent
pourtant de se mêler à eux sur bien despoints,
et nombre de
leurs tribus ont été tour à tour regardées comme celtiques ou
comme ligures. Tel a été notamment le cas pour les &:M:K)H ou
Salyes. Ceci nousexplique pourquoi
le nom de Ligurie fit
placeà celui de
Celtique, pour désignerle territoire de Mar-
seille et la contréequi
s'étend entre le Rhône, la Durance et
la Méditerranée.
Seules, certainespetites peuplades
desAlpes
et del'Apen-
nin, les Deciates, les O~y&K notamment, conservèrent leur in-
dépendance. Les plus barbares de ces tribus, celles que l'on
désignait sous le nom de L~<res Comati ou C<!p!7~h (Pline,~<. nat. 111, vu),
ne furentsubjuguées par
les Romains, qui
avaient déjà, dès la fin du ni" siècle avant notre ère, soumis les
autrespeuplades (Florus, II, ni), qu'en
l'an a~t avant Jésus-
Christ.(Dion Cassius, LIV, a~t.) C'est chez ces Ligures indé-
pendants quedurent se conserver davantage les habitudes et
les traditionsqui
remontaient auxindigènes que
lesLigures-
Celtes avaient envahis. Mais, au commencement de notre ère,
toute trace de cetteantique population, qu'on peut appeler
les
Proto-Ligures,avait
disparu. Les montagnards de la Ligurie
A. MAURY.18
ne parlaient plus qu'un dialecte celtique, qu'ils finirent parabandonner pour le latin, promptement corrompu dans leur
bouche, et d'où sont sortis les patois piémontais, génois et
dauphinois. On a vu souvent les descendants d'anciennes po-
pulations aborigènes abandonner leur premier idiome pour
adopter celui des populations plus puissantes qui les envelop-
paient. C'est ce qui a eu lieu pour les Kurdes, pour les tribus
du Mahreb, pour diverses tribus finnoises de la Russie.
A l'époque où GeHtM prenait son nom, où le P6 recevait
l'appellation de jSo~HCM~ où s'élevaient les oppida d'~t~:M~
~Mg-aMmMM:et d'MM! /M<emp~'MtK.,les anciens indigènes de la
Ligurie avaient déjà adopté, au moins pour la plupart, la
langue de leurs envahisseurs, descendus des Alpes et vraisem-
blablement originaires de l'HelvétIe. Ce durentêtre des Proto-
Helvètes qui Imposèrent aux Alpes leur ancien nom d'Albes,
changé ensuite en celui d'Alpes, sans doute parce que ce nom
fut apporté aux Romains par les Étrusques, qui substituaient
le p au b Tct yap AXwts xaÂeÏo'~ot: 'arpoTspof AX&<x~ écrit
.Strabon (V, v,p. t68, éd. Mùller). En effet, l'origine bel-
vetico-ligure de la forme Albe ressort d'un grand nombre de
noms visiblement dérivés du même radical, et qui appar-tiennent à la contrée que ce peuple avait occupée Alba Hel-
MM'Mm, /l~s ~M~Ms~ (Aups),Alba Po?K~eM~ etc. Ce vocable,
qui a laissé des traces dans les dialectes .ndo-celtiques et dans
une multitude d'appellations géographiques, est incontesta-
blement celtique, et comme il était aussi ligure, il nous
fournit une nouvelle preuve du celticisme de l'idiome des Li-
gyens', dès une haute antiquité. Ce sont vraisemblablement
les Sicules ou Sicano-Ligyens qui ont porté le même vocable
en Italie.
L'ensemble de ces considérations nous fait voir que l'émi-
gration ligure a été au nord-ouest de l'Italie l'avant-garde de
la grande émigration celtique, qui continua pendant plusieurssiècles. Les tribus de cette race s'avançaient rapidement, et il
n'y a pas lieu de s'étonner qu'un peuple établisur le territoire
où s'éleva Marseille, les Ségobrigiens, ait poussé une expé-
Dans les langues germaniques, la racine alb, a~ c/~ e~ veut, au
contraire, dire eau. Voyez Roget de BpHoguet, jEWMtM'HMea'mf~oMe,glos-saire, a''édition, p. 12 a.
LES LIGURES. 1S-
dition jusqu'au cœur del'Espagne.
C'était là lepropre des
tribus celtiques de setransporter parfois
à de grandes dis-
tances, enquête
d'un solplus fertile et d'un séjour plus appro-
prié à leurs besoins. Les Gaulois poussèrent de ces expéditions
lointaines en Grèce et jusqu'en Asie Mineure. César, aupre-
mier livre de ses Commentaires, nous montre ces mêmes Hel-
vètes, quime semblent avoir été les frères des Ligures, s'ap-
prêtant àgagner le pays
des Santons et à traverser toute
la Gaule. Les noms que gardaient diverses populations de la
Cisalpine, Cénomans, Lingons, Sénons, se retrouvent, dans la
Transalpine, portés pardes
peuples quien étaient fort éloi-
gnés. On sait que les .B<M' les Tectosages, se sontpareillement
transportésà de
grandes distances. Ces tribusémigrantes
traî-
naient à leur suite dans des chariots leurs femmes, leurs en-
fants et leurs richesses. Ainsi doivent en avoir agi les Sicules
quand, repoussés par les aborigènes et les Pélasges, ils s'avan-
cèrent jusqu'en Sicile.(Dionys.
Haï. I, xxn.)La rapidité de ces
migrations, qu'attestent au reste celles des populations barbares
qui apparaissent en Occident au commencement de notre ère,
par exempledes Goths, des Vandales, des Lombards, montre
qu'il a pu ne pas s'écouler un bien long espace detemps
entre
l'établissement desCeltes-Ligures
aux embouchures du Rhône
et leur invasion enEspagne; mais, à
quelquedate
qu'onfasse
remonter celle-ci, on voit qu'elle est antérieure au moins de
neuf à dix siècles au commencement de notre ère.
t/HISTOtRE ROMAINE
DANS
LE DERNIER TIERS DES ANNALES D'ENNIUS',
PAR L. HAVET.
Joseph Scaliger s'écriait, enparlant
d'Ennius Utinam ÂMMc
haberemus integrum, et amisissemus Lucanum, Statium, &7tMMïIta-
licum, et tous cesgwp(MM-M~.
Ceque Scaliger exprimait
sous
cette forme originale, c'est un regret purement littéraire;
mais laperte
des écrits du vieux poète n'estpas
moins à dé-
plorer,soit au
pointde vue du philologue, soit au point de
vue dugrammairien
ou du linguiste. Le principal ouvrage
d'Ennius, son grand poèmedes Annales, ou, selon un nom in-
venté par des littérateurs de l'époque impériale,sa Romaïde3,
eût été aussi bienprécieux pour
l'historien.
II racontait en dix-huit livres l'origine, la fondation, les ac-
croissements, lespérils,
le triomphe définitif de Rome. II renfer-
mait d'abord les vieilles légendes mythologiquessur les dieux
Consuiter, outre l'édition d'Ennius par M. Vahlen (Ennianue poesis
reliquiae, Lipsiae, Teubner, i85~, xc!v-a38 pages in-8"), les articles
de M. Théodore Bergk, Neue ya~McAer~M~ Philologie und Ps~a~-o~
LXXX!I[(i86t),p.3i6, /)a5et6i7.Ce passage du Scaligerana a été relevé fort à propos par M. Patin
(Études sur la poésie latine, tome 11, p. Sa); il eût pu ne pas citer comme
une conjecture sérieuse la plate correction de La Monnoye (et tous ces Gas-
cons-~), d'autant plus malencontreuse que Scaliger, par le lieu de sa
naissance et par sa mère, était tui-même un Gascon.
Diomedes, 111( Grammatici Latini, ed. Keil, I, p. ~8~), ligne 6).Texte restitué par M. Reifferscheid dans les Neue JsAf&ttcAe~M?' Philo-
logie MM~Ps~~o~~ tomeLXXIX (i85g), p. i5y.
4Diomedes, ibid. (ligne /().
L. HAVET.22
et demi-dieux, sur Saturne 1, sur Énée et ses ancêtres~ sur
Romulus puisvenait la
mythologie humaine, lalégende
d'Horatius Codés s, par exemple;ensuite l'histoire
positive,la
surprisedu
Capitole par les Gaulois", la guerre avecPyrrhus~
5
et le discoursd'Appius
Claudius Caecus contre lespartisans
de lapaix'\
Ces récits des vieuxtemps, qui
formaient lepre-
mier tiers dupoème (six livres),
ne concordaientpas toujours
avec leslégendes que
nous ont conservées Tite-Liye ou Denys
d'Halicarnasse. Ennius neparlait point
encore de la descen-
dance fabuleuse d'Enée; il ne nommaitpoint Ascagne,
Sil-
vius, Aeneas Silvius, Latinus Silvius, Alba, Atys, Capys,Ca-
petus,etc.
pour lui, Enëe était le pèred'IIIa et le
grand-père
de Romulus Ailleurs, au contraire, Ennius avait admis des
traditionsque
les historiens ont écartées, mais_qui
sur sa foi
ont faillipasser pour authentiques.
C'est dans Ennius, selon
touteapparence, que Cicéron~
apuisé la
légendedu %M)Me-
?6?~ du troisième Décius, renouvelant9 dans laguerre
de
Pyrrhus l'exempledonné
par songrand-père
dans laguerre
des Latins etpar
sonpère dans la guerre des Étrusques
nul
autreque
Décius en effet nepouvait prononcer dans
le livre VI
Varro, De &~<: ~a<MM., V, &a. Nonius MarceHus, p. igy
Mère. Charisius, 1 (Grsmm. Zs< éd. Keil, I, p. y a, ligue i3).2
Philargyre, commentaire des Ge'org'Mes de Virgile, III, 35.
Festus, p. 178 Mueller. M. VaMen a heureusement corrige le
chiffre du livre d'Ennius, et fait voirqu'il
ne s'agit pasdu combat des
Horaces contre les Curiaces.
Macrobius, iSa!!<r):aKs~ I, iv, ly. Ici encore, ilparait nécessaire de
corrigerle chiffre du livre.
Nonius Marceuus, p. aa6; Festus, p. 286 et 3'f.3. Cicero, De
fHNMMhoKe~ Il, t.v[, it6.– Cicero, De q~cMS~ I, xu, 38; Servius,
commentaire sur l'FM~e de Virgile, XII, 709.
Cicero,Ca<oMM~M'(De~eHec<<t<e),VI,i6.Servius sur i'jE'Me:&~ I, ay3, et VI, 778. Dans le beau récit conservé
par Cicéron (De divin., I, xx, ùo), Ennius montre Hia racontant un
songeà sa soeur, fille d'Eurydice ~!t'<: <mee $<)? ~a'ej or, Lesches et
l'auteur des K.~pM appelaient jE'Mn/ce la femme d'Énëe (Pausa-
nias, X, a6).
TMeM~MM, 1, xxxvu, 8g. De~MH&iM., M, xix, 61.
En réalité, il courut seulement un bruit d'après lequel DecHis devait
à son tour se ~eM!M; Pyrrhus avisa ses soldats de le prendre vif, et
avertit Décius des traitements fàcheux qu'une telle folie lui attirerait.
(Voir Zonaras, V, 8.)
L'HISTOIRE ROMAINE, ETC. 23
des Annales la formule du dévouement s Dieux, écoutez mon
vœu sans retard pour le peuple romain, en termes formels,
au milieu du combat par le fer, de ma pleine volonté, je fais
abandon de ma vie. )?
Div[i], hoc audite parumper,Ut pro Romane populo, prognariter, armis
Certando, prudens, anima[m] de corpore mitto
Ainsi, si nous possédionsen entier les six
premierslivres des
Annales, nous y trouverions de vieilles légendes, tantôt conser-
vées sous leur forme la plus simpleet la
plus ancienne, tantôt
développées par l'imagination du poète ou de ses garants.
De toute façon, nous serions éclairés sur la filiation des
récits sérieux et des fables; nous serions ainsiplus
à l'aise pour
chasser de l'histoire lamythologie,
et de lamythologie
l'évhé-
mérisme.
Cepremier
tiers des Annales n'est pourtant pas la portion
la.plus regrettable de l'oeuvre. Ennius y racontait des événe-
ments fabuleux ou défigurés par le temps, tandisque dans
les livres suivants il traitait en détail des faitscontemporains.
Aprèsavoir
glissé légèrement~ sur lapremière guerre punique
(sur laquelleil eut pu être renseigné par des témoins ocu-
laires3, mais qui déjàavait été mise en vers
par Naevius),il
racontait la guerre d'HannibaI, la guerre dePhilippe,
la
guerre d'Antiochus, laguerre d'Etolie; or Ennius avait vingt
ans lors du siège de Sagonte, trente-septlors de la bataille
de Zama, quarante-deuxlors de la bataille de
Cynoscé-
phales, quarante-neuflors de la bataille de
Magnésie, cin-
quantelors de la prise d'Ambracie. Avec la brillante cam-
pagnede Fulvius Nobilior se terminait le
quinzième livre
des Annales, et le poème lui-même, auquel les livres XVI à
XVIII furent ajoutés plustard~. Ainsi huit livres
(sil'on
NoruusMarceHus, p. i5o.
Cicero, Brutus, XIX, 76.3 La première guerre punique (init en a Ai, deux ans avant la nais-
sance d'Ennius. Celui-ci naquit en a 3g, un an après te consulat de Marcns
Sempronius Tnditanus et de Gaius Claudius Centho. (Cicero, &<hM,XVIII, 7 a.)-)
Ptinius, Hist. tM<. VU, xxvm, x.fjx, 101. Voir page 32, note 2.
L. HAVET.2/)
admet avec M. Vahlen que le livre VII traitait de la première
guerre punique), les livres VIII à XV, étaient consacrés à des
événements accomplis pendant ia jeunesse ou l'âge mûr d'En-
nius. Il devait les bien connaître, car il était lié, avec les per-
sonnages les plus considérables de l'Etat. C'était Caton, qui,en 20 A, l'avait amené à Rome 1. Il avait l'amitié de Scipionle premier Africain et entretenait des rapports familiers avec
son cousin Nasica~. Il eut pour ami et pour protecteur le vain-
queur de l'Etoile, Marcus Fulvius Nobiiior~, et plus tard son
fils Quintus, qui lui donna la cité romaine' Fier de ces liai-
sons illustres, il en consigna le souvenir dans son poème et,
s'il faut en croire une opinion attribuée 6 au célèbre Aelius
Stilon, le maître de Varron, il se peignit lui-même sous les
traits de Servilius Géminus, personnage instruit, aimable et
discret, ami d'un homme de rang supérieur au sien qui ne
craignait de lui confier ni les bagatelles ni les grands se-
crets.
Ennius, qui ne devint citoyen romain qu'à cinquante-cinq
ans 7, ne put avoir lui-même une part qui compte aux événe-
ments de son temps; en so/t, lorsque Caton, alors questeur,le ramena de Sardaigne, il servait dans cette île en qualité de
simple centurion Mais il accompagna les premiers généraux
de Rome dans leurs campagnes. Claudien se trompe mani-
festement quand il rapporte qu'Ennius aurait suivi Scipion en
Espagne, car Scipion quitta l'Espagne pour la Sicile en 20 5,
et Ennius ne fut introduit dans la société romaine qu'en ao&
ou ao3. Du moins rien n'empêche de croire Claudien quand
Cornelius Nepos, Cato, I, 4. Jérôme, addition à la chronique d'Eu-
sèbe, an 1777 d'Abraham.2
Cicero, Pro ~rc~M~ IX, sa.
CIeero. De oratore, 11, LXVIII, 276.Cicero, Pro ~rc/iM., Xl, 27; Tuscul., I, u, 3. Pseudo-Victor,
De t'M'M:7~M<f!&M,LII.S
Cicero, Brutus, XX, 70.A. Geiiius, XII, zv, 5.
Il fut inscrit en 184 dans une colonie (Potenza ou Pesaro dans
l'ager gallicus), par Quintus Fulvius Nobilior. (Cicero, Sp!«M.,XX, 7g;T. Livius, XXXIX, i.xtv, 10.)
Silius Italicus, XII, 3a5.D<'CO)M!i/<:<M&!7K;&0?!!S.m,/?)'<:e/~
L'HISTOIRE ROMAINE, ETC. 25
il fait faire a Ennius lacampagne de Zama, et il est certain
qu'Ennius accompagna Fulvius Nobilior en Etoile
Il est clair qu'Ennius, témoin oculaire d'unepartie
des
faits qu'il raconte, renseigné sur les autrespar
un Caton ou
un Scipion, devait être sur bien des points plus digne de foi
ouplus complet que nos sources. Malheureusement les dé-
bris de son œuvre sont sipeu considérables et si émiettés,
qu'ona
grand'peineà en tirer parti, et
que trop souvent,
au lieu d'éclairer l'histoire par Ennius, il faut se contenter
d'éclaircir Enniuspar l'histoire.
Cette besogne a été faite et bien faite par M. Vahlen dans
l'introduction étendue qu'il a placée en tête de son .ËHMtM~
ily
avingt-quatre
ans. Unegrande partie de son travail est
très-solide, et jusqu'ici n'appelle pointde modifications im-
portantes, de sorte qu'il serait peu utile de refaireaprès
lui
un travail d'ensemble; mais dans les derniers livres une er-
reur grave, commise sur un certain fragment 2, a engendré
d'autres erreurs. Je mepropose d'examiner ici les fragments
du dernier tiers des Annales, c'est-à-dire des livres XHI à XVIII,
en tirantparti des matériaux offerts par l'édition Vahlen, d'un
travail de critique publié en 1861par
M.Bergk
dans un recueil
allemande et dequelques remarques qui
neparaissent pas
encore avoir étéprésentées.
LiVMS XIII ET XIV.
Les deux livres XIII et XIV étaient consacrés à la guerre
d'Antiochus.
On saitqtl'Hanmbal
fut de ceuxqui poussèrent le
plusvivement Antiochus à faire la guerre aux Romains. Toutefois,
une anecdoterapportée parAulu-GeIle~
fait voirqu'Hannibat
ne se faisait pas d'illusions sur lestroupes
dorées du roi asia-
tique.KCrois-tu, Hannibal, que ceci sumse pour les Romains?
Oui certes, si avidesqu'ils
soient. Onpeut
conclure de
Voir à lapage précédente les notes 4 et 5.
Lefragment
où il est question du roi Épulon voirpages
33 et 34.
Voirpage a i, note i.
Geti., V, 5, d'après des ft~M<erMm)Memo;'Mn<m.~ r
L. HAVET.26
làqu'Hannibal
dut exhorter Antiochus àse composer
une
arméeplus
sérieuse et à différer l'entrée encampagne.
C'est
cequ'Antiochus exposait
lui-même dans le treizième livre des
Annales 1
Hannibal audaei cum pectore de me bor[i]tatur
Ne bellum faciam; quem credidit esse meum cor
Suasorem summum et studiosum robore~ belli.
Ces conseils deprudence
donnéspar
Hannibalparaissent avoir
été inconnus des historiens.
Eniqo,
une armée commandéepar
le fils d'Antiochus
menaçait Pergame;la
garnisoneut occasion de faire une
sortie heureuse et de tailler enpièces
des ennemissurpris
et
dispersés.Ce brillant fait d'armes eut
pour spectateurstous
les habitants, hommes et femmes, massés sur lesremparts 4.
Ennius avaitpeint
dans le livre XIIIl'empressement
des dames
dePergame
Matt'ouae moet'os comptent spectare faveates'
Onrapporte conjecturalement
au livre Xlll un vers d'En-
nius sur Xerxès''
!sque Hellesponto pontemcontendit in alto.
A la veille de laguerre,
en en'et, Antiochus fut considéré
Ge)L, VI (VU), u ttScripsif. autem Caesellius Q. Ennium m XIII.
(uat'MtifeXIt.)annali. dixisse. cfNam in XIII. anna!L.. dixit.a.
Antiochus estqui hoc dixit,
Asiae ['ex.N–Nonius, p. i~5 et Ennius an-
na)i!ib.XUL~
Variante f~m.M. Bergk veut qne ?'o&o~'e soit pour t'o&ot'Mj comme ms~e pour
Msa'M, p/Mrecentre
pour pfio'M.T. Liv., XXXVII, xx, i& ~Spectaverantenime moenibusPergami
non viri modo sed feminae etiam.~ n
Servius, commentaire sur Virgile, Geor~ I, 18. Philargyre,commentaire sur Virgile, Georg' IV, a3o fApud
Enmutn in XIII.
(variante XVI.).)! Philargyre a mclos au lieu de moeros.
Varro, De /:Kg-!M Latina, VII, aitfXerxesqt)ondam.namut
Eauius ait trisque", etc.
L'HISTOIRE ROMAINE, ETC. 27
comme un nouveau Xerxès'; et la nouvelle qu'il avait passé
l'Hellespont fit sensation2. Deux passages queles sources
attribuent au livre XIIIpeuvent
êtrerapportés,
comme le
précédent, aux préliminaires de laguerre.
Ils sont dirigés
contre les devins
Satin vates verant aetate in agenda ?
Quo res sapsa loco sese ostentatque jubetque'
Ils étaient probablement prononcésà l'occasion des
prodiges
de l'an i g a, des six chevreaux nés d'une ventrée, de l'enfant
à une main, de la pluiede terre et surtout du bœuf
qui pro-
nonça les mots Rama cave tibi, etque
les aruspices ordonnè-
rent de biensoigner 5.
Le livre XIV racontait une bataille navale, évidemment la
victoire remportée sur la flotte d'Antiochus par lepréteur
Lucius Aemllius Regillus, en igo, près du promontoire de
Myonnèse.
Les Romains, surpris parle voisinage des ennemis, com-
mencèrent à se préparer en tumulte lepréteur apaisa cette
effervescence dangereuse, prit le premierla mer avec le
vaisseau amiral, de façon à recevoir, au fur et à mesure,
chaquenavire
prêtà combattre, et à lui assigner sa
place.
Grâce à son sang-froid, la flotte se trouva complétement prêteavant
quel'ennemi fût en vue, et
put s'avancer en ordre de
bataille 6. Ennius avait peinten beaux vers les flots unis de
couleur changeante, et la masse silencieuse des navires volant
Florus, I, s/) =II, 8 ffXerxen atque Darium cogitarent, quando
perfossi invii montes, quando velis opertum mare nuntiarehu' In
Antiocho vicimus Xerxen Voir les pages 33, 3y et As.2
T. Liv., XXXV, xxm, 10. XXXV, xxxv, 7.3
Gell., XVIII, n, 16 nDictum esse a Q. Ennio id verbum in tertio
decimo annatium.B »
Festus etPaul. p. 3a5 et3a/t Muetter. Festus friu lib. XML~
T. Liv., XXXV, xxi, 3-5.
T. Liv., XXXVII, xxix, ~-7.
L. HAVET.28
au seul frémissement des rames et de Fécume vers l'ennemi
invisible
Verruntextempio piacide mare marmore Navo
Caeruieumspumat
sale' conforta rate pu!sum\
Labitur uncta carina, volat super impetusundas\
Placide, dans lepremier vers, est la leçon des sources. L'ad-
verbe est iciplein
de sens, et c'est bien à tortque
M. Vahlen,
après Parrhasius, a voululirep~ct~Mm.
Soudain les Romainsaperçurent
les vaisseaux ennemis, qui
venaient à leur rencontre, rangésen
longuefile sur deux de
front Ennius avait noté ce momentdramatique
Cum procul aspiciunt hostes accedere véntis
Navibus veUvoUs.
Onremarquera que dans Ennius la flotte romaine se sert
de ses rames etque
la flotte d'Antiochus marche à la voile.
Ces détails, vraisemblablement exacts, ne sontpas
dans Tite-
Live. Du combat deMyonnese
lui-même il nous reste un
fragment insigninant
Litora lata sonunt~
La bataille deMagnésie, qui
mit fin à laguerre,
était cer-
tainement chantée dans le chant XIV; deuxfragments
de ce
Mare dans Autu-GeUe.
GeU., II, xxvi, si ttEx aunali quarto decimo Ennu.~ Le second
vers aussi dans Priscien, V, ym, &5 crin XIII. (cs)'MMte XVII.), anna-
)ium.!) »
3 Macrobius, Saturn., VI, t, 5t K Ennius inquarto
decimo."
T. Liv., XXXVII, xxix, y tfinter Myonnesum et Corycum pro-montorium erant, cum hostem conspexere."
Macrobius, &:tM)'B.~ VI, v, io ~Ennias inquarto
decuno.M
Dans Servius, commentaire surVirgile, Aen., I, aa~, le Cassetianus
donne cfjB')!?!MM.')M!<:MKe/tMo~K.)! La comparaison dupassage
de Macrobe
montre qu'il y a là un bourdon; it faut lire )MK:&MS !<6&<o[&MM~
!te&!M]~6
Priscianus. IX, vn, 38 ~In XIIII. (t-m-KMfMVIII., XM.).<
L'HISTOIRE ROMAINE, ETC. 29
chantparaissent
fairepartie
de cepassage.
L'un est fort in-
signifiantau
pointdf vue
historique
Horrescit telis exercitus asper utrimque
L'autre n'estguère plus
intéressant à ce'point
de vue. C'est
un discours d'exhortation adressépar
un chef à ses soldats,
très-probablementle discours du consul Lucius
Scipionaux
Romains
Nunc est ille dies cum gloriamaxima sese
Nobis ostendat, si vivimus sive morimur
IIy
avait dans l'armée romaine deux mille hommes de,
troupes auxiliaires, formées de volontaires macédoniens et
thraces, qui, pendantla bataille de
Magnésie,furent commis
à lagarde
ducamp
Le chant XIVparaît
avoir fait mention
des volontaires thraces; du moins Enniusy
nommait une
arme des Thraces, larupia
ouplutôt
sans doute larMMMM<
il est malheureusementimpossible
de déterminer àpropos
de
quellecirconstance. On ne
peutdire non
plus quelssont les
guerriersdont Ennius mentionnait la mort et les funérailles
Omnes occisi obcensiquesub nocte serena 6.
Macrobius, &:fMnt. VI, ;v, 6 «Ennius inquarto decimo. T.
Priscianus, X, n, 8 ff Ennius in XIMI. annatium." »
3 T. Liv., XXXVII, xxxix, la.
Gell., X, xxv, /( ffPositumque hoc vocabulum in Q. Ennii anna-'
lium XIMI.B Il n'est guère possible quele livre XIV ait raconté les
combats livrés contre les Thraces en 188 (T. Liv., XXXVIII, Ao s.).
La rupia des manuscrits d'Aulu-Gelle est la même armeque
la
rMtHpM de Valérius Flaccus(VI, g8),
etque
la rhomphaea ou po~o:<o!.Le mot grec
a été latinisé deux fois, la première fois par voie populaire
et la seconde fois par voie savante. La latinisation populaire est n<m~K'f:
laquantité
de la seconde syllabea été modifiée (sans doute sous l'in-
fluence de l'accent, ce qui indiqueraitd'accentuer en grec p6~6tf<x, et
non po~pefM! ou po~ctMt); l'o bref est devenu u, dans une syllabe fermée
parune liquide, comme dans Umbri, HmMMM~g'MMMM, MMCM~eMteAM~
cungrum, cultus, bulbus, ampulla, CO~tMt'M~~ am!M'CS., ~MfjOMra; F/t con-
tenue dans ie <? greca été
suppriméede même que
dans ampulla. La lati-
nisation savante est r/tOMp/Mea. ~KmpM! et r/tompAaea sont donc deux
mots différents, bienque
de même étymologie; ils sont entre eux à peu
près comme ampulla et amphorula, ou comme en français blocus et ~ocA-
/MMS. La double naturalisation d'un même nom d'arme a son intérêtpour
l'histoire militaire.6
Festus, p. aoi ~Enniusquom
ait]. XHII.~ «i
L. HAVET.30
M. Vahlen attribue à Antiochus vaincu un fragment de dis-
cours':
Infit r0 cives, quae me fortuna -h fero sic'
Contudit indigno, bello confecit acerbo
Je ne sais trop si le vocatif cives serait bien placé dans la bouche
d'un roi asiatique.
Ln'MS XV ET XVI.
Le livre XIV devait se terminer avec la défaite d'Antiocbus
et l'année 190. Le livre XV devait raconter les événements de
l'année t8o, c'est-à-dire avant tout la guerre d'Etoile et la
prise d'Ambracie. Ennius avait accompagné là le consul Marcus
Fulvius NobiMor~. Il était donc témoin oculaire, et il semble
qu'ilait décrit en grand détail les exploits qu'il avait vus de si
près. Ce dernier point, toutefois, n'est pas bien sûr. Le Pseudo-
Victor nous dit qu'Ennius parla en termes magnifiques de
son protecteur Nobilior; mais il est possible que ce passageait trait à un autre poème que les ~MM/p~, l'Ambracia, qui
paraît avoir été une ~aMa praetextata ou tragédie romaine.
A vrai dire, il est fort probable qu'Ennius s'étendit'sur les
louanges de son héros dans l'un et dans l'autre poème, et
qu'il ne craignit point de se répéter. Les fragments sûrement
authentiques du livre XV sont peu nombreux; nous devons
en outre négliger ici un vers sur l'arc-en-ciel, qui n'intéresse
point l'histoire 6.
Nonius a conservé un vers assez insignifiant sur les ma-chines construites pour un siège
Ma!os defindunt, fiunt tabulata faiaeqne'. 7..
Il s'agit évidemment d'Ambracie. Contre Samé, dans l'ile de
Priscinnus, X,v, 26 ffEnniusinXHtI.~
° On a conjecturé ferox s:c,crocem.Lesmss.,saufun,ont<:eerM.
Voir page a&, notes 4 et 5.De viris :7~)'(s, LII, 3 ffQuam victoriam per se magnificam
Q. Ennius amicus cjns insigni laude celebravit.t
Priscianus, VI, xtv, y~ eEnnius in XV. annati.T
Nonius, p. n/) <tEnnius)ib. XV."m
L'HISTOIRE ROMAINE, ETC. 31
Céphalléme, on employa le même matériel de siège quiavait
déjà servi contre Ambracie'.
Il faut encore rapporter à Ambracie unedescription
d'assaut
que Priscien cite deux fois comme tirée du quinzième livre2
Obcumbunt multi letum ferroque iapiqueAut intra muros aut extra praecipe casu.
L'assaut enquestion
n'eut point pourrésultat la
prisede la
place. Ambracie, en effet, ne fut pas prise de vive force; elle
ouvrit ses portes par capitulation honorable 3, circonstance
qui permitaux ennemis de Fulvius de faire déclarer
parun
sénatus-consulte ~m&racMm~csp&HKKOM
!)!Jert\ 11 s'agit d'un
assautglorieux peut-être, mais, en définitive, infructueux, que
Polybe ne mentionne pas dans ce qui nous a été conservé de
son récit, nonplus que Tite-Live dans sa narration tirée de
Polybe Fulvius, aurapport
de ce même Tite-Live, le fit valoir
devant le sénat pour obtenir letriomphe,
etrappela qu'après
l'escalade des murs un combat acharné, où trois mille en-
nemispérirent,
avait durépendant
une journée entière~.
Le triomphe de Fulvius ne fut célébré que plus de deux ans
aprèssa victoire, le 2 3 décembre i8y~, et nous ignorons si
lacomposition
du livre XV des Annales lui est antérieure ou
postérieure; en tout cas, le récit d'Ennius dut nécessairement
être conforme à la version de sonprotecteur
et non à celle de
la cabale ennemie 7.
T. Liv., XXXVIII, xxvin, 10 ~Apparatum omnem tormentorum
machinarumque travectum ab Ambraciae oppugnatione habebat.n
Priscianus, VI, xvm, 95 frEnnius in XV. annati.~ Le premiervers encore VI, xn, 66 fEnnius in XV. annaU.))
T. Liv., XXXVIII, .x, q. Polybius, XXII, xm, q.
T.Liv.,XXXVIH,xLivj6.
5 T. Liv., XXXIX, iv, 10 t~Ubi a prima iuce, cam jam transcen-
disset mnros miles, usque ad noctem diu anceps proelium tenuerit, ubi
plus tria milia hostium sint caesa."
T. Liv., XXXIX, v, i3.
On peut se demander où Tite-Live a puisé le discours qu'i[ prête à
Fulvius. Ce n'est point dans sa facilité rhétorique, puisqu'il y fait invo-
quer par Fulvius un combat dont lui-même n'a pas parlé. Ou bien il yavait quelque part un souvenir écrit du langage que Fulvius tint réelle-
ment. et cette rédaction devait être d'accord avec le récit officieux d'En-
nius ou bien le discours de Fulvius n'avait point laissé de trace écrite,
L. HAVET.32
Il ne semble guère que les deux vers çonservés par Priscien
puissent s'appliquer à une autre ville qu'Ambracie; à la ri-
gueur pourtant, on pourrait les rapporter à Samé, place quifut occupée de nuit par escalader
Les Annales se terminaient, à l'origine, avec le livre XV, soit
que ce livre ait été composé immédiatement après les événe-
ments qu'il racontait, et qu'ainsi le poète n'eut plus rien à dire,
soit qu'Ennius ait trouvé ingénieux de finir par la glorifica-tion de son protecteur et de faire de son triomphe l'aboutisse-
ment de l'histoire romaine. Plus tard, enthousiasmé par les
hauts faits.d'un certain «T. Caecilius Teucers et de son frère,
il se décida à composer un seizième livre pour célébrer ces
exploits obscurs, sans doute avec un peu d'exagération poé-
tique 2.
Ce seizième livre traitait de la guerre d'Istrie, qui eut lieu
en i ~8 et<Tî~, onze et douze ans après la prise d'Ambrade.
Il n'est pas probable qu'Ennius ait pris la peine de raconter
à la fin du livre XV ou au commencement du livre XVI les
événements des dix années Intermédiaires. Il considérait sans
doute son livre XVI comme un ouvrage nouveau plutôt quecomme une suite des quinze premiers livres, et peut-être, à
l'origine, le publia-t-il avec un titre a part et sans numéro
d'ordre. Par une coïncidence curieuse, Florus aussi raconte
la guerre d'Istrie de iy8 Immédiatement après la guerred'Etoile de t8a; après la guerre d'Istrie, vient dans son récit
la guerre de Galatie, conduite en cette même année i8()parle collègue de Fulvius, Gnaevus Manlius Vulso FIorus écri-
et alors il faudrait que Tite-Live (ou l'annaliste copié par Tite-Live) t'eût
composé d'après ce même récit officieux d'Emirns.
T. Liv.,XXXVIII,xx!x, lo-n fRomaninoctepcrarcem. muro
superato, in &rum pervenerunt. Samaei, postquam captam partem urbisab hostibus senserunt, cum conjugibus ac liberis in majorem refugeruntarcem. Inde postero die dediti, direpta urbe, sub corona omnes venie-runt.n n
Plinius, Hist. nat., VU, xxvm, xxix, lot tfFortitudo in quomaxime exstiterit inmensae quaestionis est, utique si poetica recipiatm'fabntositas.Q. Ennius T. Caecilitim Teucrum fratremque ejus praecipuemiratus proptpreossextum decimum adjecit annatem.N Voir page 35.
Florus. f, a5 ss. (! Q ss.).
L'HISTOIRE ROMAINE, ETC. 33
3
vait souvent de mémoire, comme leprouvent
ses nombreuses
bévues. Dans le récit même de laguerre d'Istrie, on voit
qu'il
n'avaitpas
le texte de Tite-Live sous lesyeux;
il confond la
journée où les Romainsreprirent
leurcamp
en178,
et où le
roi des Histres s'enfuit ivre sur un cheval 1, avec la journée où
le consul ClaudiusPulcher prit la
ville de Nésactium enlyy,
et où le roi seperça
de sonépée
2. II estprobable qu'en
vrai
rbëteur, plussoucieux de chercher des
prétextesà déclamation
quede
poursuivrela
précision historique,il
disposales faits
dans l'ordre que lui suggéraitle souvenir du
poèmed'Ennius.
Ainsi dans la liste des sources de Florus il faudrait inscrire
les ~M~/M. C'est làpeut-être qu'il
avaitpuisé
l'idée de com-
parerAntiochus à Xerxès 3.
Un seulpassage
est à la foispositivement
attribué au
livre XVI et manifestement relatif à laguerre
des Histres;
c'est un vers où se trouve le nom de leur roiEpulon, qu'on
connaîtpar
Tite-Live et Florus 5. Il s'était enfermé, avec les
principauxdes Histres, dans
l'oppidumde Nésactium °, et il
y
T. Liv., XH, iv, y.Voir
page 38, note 2.
T. Liv., XLI, xi, 6.
Voir les pages ay, 3y et /ta.
Festus. p.33o cfEnnius !ib. XVf.B 0. Mueller donne à tort le
chinre VI; le chiffre XVI a été vérifie par M. Keil. Varro, De/M:g-M
Latina, VI, 82 rfEnnius." n
°T.Liv.,XLI,xi,t:ffAepuio.tF!orus,I,a6(I[, io):tfAputo.)!Je dois des renseignements sur cette localité à mon maître, M. Ernest
Desjardins. ~VeMc<:MM on N~o-cMTo~ (T.Liv. ,XLI,xt, i –Piinius, ~/M<.
?Mt.~III,x[x,xxiu, iac);–Ptoiemaeus,III,i,a7;–anonymusRavennas,
V, ]~, et IV, 3t) était certainement au nord-est de Po)a. entre cette
ville et le fleuve ~)'< qui,sans être nommé, est indiqué dans le récit
de Tite-Live (XLI, x;, 3). Lepassage
de Pline nousapprend que
l'on
trouvait Nésactium immédiatement après Pola en venant de Tergeste
(Trieste) et avant d'arriver au fleuve Arsia, au temps de Pline limite
de l'Italie: «Oppida Histriae civium Romanorum Aegida. Parentium,
colonia Pola, quaenunc Pietas Juiia. abest a Tergeste CV mox oppi-
dum Nésactium, et nnnc finis Italiae fluvius Arsia." Cette situation est
confirmée parles deux
passagesde
l'Anonymede Ravenne fr Arsia, Ne-
satium, Po)aT<(cf. Guido, 116 n Arsia, Nesacium, Potaj)). K Arsia.
Nessatio, Po!a" (cf. Guido, ao KÂrsia, Nissacium, Pota';). L'Anonyme,en ce qui
touche l'énumération des stations, estcalqué
sur la 7a&/e de
PeM~MM'M' celle-ci (segment IV, A, i) présente entre FArsiaet Pola une
station sans nom, qui ne peut être que Nésactium. La distance de Pola
HAVET.:;A
avait résisté auxattaques
tentées en 1~8 par les consuls Mar-
cns Junius Brutus et Aulus Manlius Vulso. En t.yy, le consul
Gaius Claudius Pulcher recommença le siège avec d'autres
troupes, disposa des machines d'attaque, et enfin s'avisa d'une
manœuvre qui mit En à la résistance. Au pied des murs de la
place coulait un fleuve (l'/l~M) qui barrait }e passage aux
assiégeants et qui abreuvait les assiégés. Claudius creusa un
nouveau lit et, après un long labeur, réussit à détourner le
fleuve. Les Histres virent avec stupeur l'eau manquer soudaine;
frappés d'épouvanté, ils se mirent sauvagement à supprimerles bouches inutiles. Les Romains les virent jeter par-dessusles murailles les cadavres des enfants et des femmes, et profi-terent de cet accès de folie furieuse pour aller, _en escaladant
le mur, prendre leur part du carnage. Ennius ne pouvait né-
g)igerdes scènes si dramatiques; le vers qui nous est reste
nous montre le roi barbare assistant du haut des rochers es-
carpés~a
quelque spectacle terrible, sans doute au miracle
accompli par les ingénieurs romains
Quos ubf rex Epulo spexit de codbus ceists w
Un autre fragment appartient à coup sûr à la guerre des
Histres, qui v sont nommés: mais il ne peut être attribué au
est, H milles, celle de t'Arsia vni milles: cela nous conduit (tes distances
données par la Table dans cette région sont exagérées) dans le val Bado,
vers les bourgadesde Barbana, de Mormorano et cettea d'Attura~ et de
MortteccMo. où ont été trouvées des ruines et des inscriptions malheu-
reusement insignitiantes (Corp. inser. lat., tome V, p. a, n°' i, 3~3.
/). 5, et p. io<5, n" 8ia(!-8i3o). Nésactium était chef-lien d'une cité,
car la station sans nom de la Table estindiquée par le
signe caractéris-
tiqueen forme de double
guérite; Ptotémée, d'ailleurs, nomme Nésac-
tium parmid'autres villes de l'Istrie
quiétaient des chefs-lieux de cités.
T. Liv., XLI, Xt, 4 ftEa res barbaros mifaculo terruit abscisac
aquac."Ces rochers sont à noter pour retrouver l'emplacement exact de
Nésactium. Peut-être faut-it les identifier avec mot:!t&KS (~M~ (ou mieux
obstipis)o&s<Mh&!f.M<~eor~M'M.r dont parlait le livre XYI, cité par Fes-
tus.p. 1Q~.
Le tns. de Varron donne .Mes e/M~o po.~MttM spexit, et celui de
Festus donne Quos !;M r&v. «~ ~e.~f de co!:<:&MS c~M. VatTQn cite
sans doute de mémoire de ta /4/M/0 ~o.~M«m au lien de M&tfM' Epulo.
L'HISTOIRE ROMAINE, ETC. 35
livre XVI que par une correction de chiffre H s'agit de la
résistancehéroïque opposée par un tribun à une multitude
d'assaillants
Undiqueconveniunt velut imber tela tribune;
Configunt parmam; tinnit hastilibus umbo
Aerato soaitu ga]eae. Sed nec pote quisquam
Undique nitendo corpus discerpere ferro;
Sempe!' abundantes hastasfrangitque quatitque;
Totum sudor habet corpus, multumque Jaborat
Necrespirandi
fitcopia;praepete
ferro
Histri tela manu jacientes soUicitabant.
Le tribun chanté ainsi par Ennius est connu par Tive-Live,
quiraconte ainsi sa belle défense et sa mort~ .HMKc., in vacua
castra!)?M?e<M/aC<0, Histri, CMM.alius HDKahM MS nemo obviam
isset, !M~e<on'ot'KS<rMeM<eMt
atquea~o/<Ktem suos
o~fesse~MM<.
Proe~MM ~roc:'MS ~Mam pro ~a!<c:'ta<e resistentiumfuit,
nec ante
~Kt~MMt est, OM<ïtK<t&Mt!t<S Ht!/t<M)M
0!KOMecirca eum constiterant
<M<er/ec<!NM?;<.Il appartenait selon Tite-Live à la troisième lé-
gion. Mais le texte de l'historien présente une difEcuité grave.
n donne au tribun le nom de ~f. L!C!KM<sStrabo, tandis que,
(['après Macrobe, le tribun d'Enniuss'appellait
Coe&MSOu Cae-
lius3. H n'est point croyable que dans la petite guerre d'Istrie
deux tribuns différents aient eu des aventures et exécuté des
exploitssi semblables; il faut donc croire
quel'un des deux
auteurs(que
ce soit Tite-Live ouEnnius)
a mis unnom pour un
autre. D'autrepart,
il estimpossible
de rencontrer le Caelius
qu'Ennius,au dire de Macrobe, avait chanté dans le livre XVI,
sans songer aux frères Caec~ïM~ qui, d'après Pline\ furent les
deux héros de ce même livre. Comme les noms de Caelius et
de Caecilius sont fréquemment confondus dans les manuscrits,
rien n'est plus naturel que de considérer le tribun cité par
Macrobe commeidentique
à l'un des deux frères citéspar
Pline.
-En somme i" Caelius et Caecilius sont ici deux formes d'un
Macrobius, &:<MrM.~VI, H!, 3. Le ms. de Paris a le chiffre XII, les
:)utres ie chiffre ZK Le morcean est traduit, de !'7/M~< n, 102 ss.
T. Liv., XLI, tt. <) ss.
Les tuss. de Macrobe, qni nous fait connaître ce nom, donnent les
deux formes. Le ms. (le Paris a celii par un e cédillé, c'est-à-dire. Caelii.
fnrpaHf
uote n.
L. HAVET.3U
même nom, l'une correcte et l'autre incorrectgj, et a" le tri-
bun qu'Ennius avaitappelé
Caelius ou Cecct~ est le même
homme que Tite-Liveappelle ~MMMMS&i'a~o._0n comprend
ainsi une chose, aupremier
abord assezsurprenante,
a savoir
que l'héroïqueCaelius de Macrobe et
l'héroïque Caecilius de
Pline semblent avoir été laissés dans l'ombre par Tite-Live.
Ces mêmesremarques
vont nouspermettre,
en entre, et
de faire une correction dans le texte de l'historien et d'établir
quele nom du héros d'Ennius est Caelius et non Caecilius. Tite-
Live,danssonrécitde la guerre d'Istrie, nomme deux fois deux
tribuns militaires, très-vraisemblablement deux frères, qui.
comme M. Licinius Strabo, appartenaient, suivant lui, à la troi-
sième légion T. et C. ~e~t. On ne possède, pour cette partie
du livre XLI, que lacopie
exécutée au x~° siècle, par Gry-
naeus, du manuscritunique
et fort incorrect de lacinquième
décade, et l'on ignore dans quelle mesured'ynacus
s'estper-
mis de corriger le texte qu'il copiait2. Dans ces conditions, on
peut sans témérité lire T. et C. CaeK~. Dès lors, il saute aux
yeux quele Titus Cae~MS de Tite Live est le mem~ que le Titus
Caecilius Teucer ou mieux Titus Caelius TeucerdePline; que
le frère de Titus Caelius Teucer, dont Plineparle_sans dire son
prénom, s'appelait Gaius; quel'un des deux frères est le Caelius
d'Ennius dans Macrobe; qu'enfinla confusion commise par
Ennius ou par Tite-Live a consisté àprendre l'un pour l'autre
deux tribuns d'une même légion. Et nouspouvons regarder
comme à peu près acquisà l'histoire les points suivants i" la
troisième légion, quiservit contre les Histres en
iy8, avait trois
tribuns, nommés T. Caelius Teucer, C. Caelius, M. Lt'eMn'Ms'S&'s6o;
a" les deuxpremiers
étaient frères; 3° deux membres de l'i!-
lustre famille des Caecilius DcK<er, introduitspar Hardouin
dans le texte de Pline aux lieuet place des ~CaedIIus Teucer»,
sont des personnages absolument fictifs.
Macrobe nousapprend que l'épisode de Pandarus et BI-
T. Liv.. XL1. 7; XLI. iv, 3.
Madvfg, B'MCM~a&'OKMLt'M's! 9° édition, p. 5<)s.
La faute cAEni pour ccAEUi dans ie premier passage peut être attri-
buée à une distraction du copiste, et la répétition de cette fatite dans )<
second passage à une fausse correction de Grynaeus.&~M'M~M, V). n, 3a tfE\ tihrnqtunto decfmo Eanii.f
L'HISTOIRE ROMAINE, ETC. 37
tias, dans Virgile est imité d'Ennius, ~Mt'M~M~ ~<fos J«o~
in obsidionee/(p!'sse ~or~a
els<ra~H
de o~~K~e /<os<e~ectsse.
Le mot important ici est Histros. Le livre d'Ennius serait le
livre XV, où il était question de la guerre d'Etolie et non de
la guerre des Histres. Il faut donc croire, ou bien qu'ici encore
le chiffre donné parles manuscrits de Macrobe doit être rem-
placé par le chiffre XVI, ou bien que des Histres prirent part
à laguerre
contre Fulvius et furent enfermés dans Ambra-
cie assiégée. M. Bergk penche pour l'hypothèse d'une altéra-
tion de chiffre, parla raison que,
s'il s'agissait du siège d'Am-
bracie, Macrobe eût dû nommer cette ville et nepas
dire in
obsidione tout court. Cette raison neparaît pas convaincante
!?<obsidioneéquivaut
à M:oMaf~HKo&s~one;, et, dans ce sens, n'a
pas besoin de complément;si l'on
rejette cette explication, le
complément ~Vesach: ne serait pas moins indispensable que le
complémentAmbraciae. Il est
plus naturel de ne rien changer
au témoignage des manuscrits de Macrobe, et d'admettrequ'il
y avait des Histres dans Ambracie etqu'Ennius parlait d'eux.
Tite-Live ne dit rien d'un secours donné par les Histres aux
Etoliens; il en est autrement de Florus, qui écrit., au commen-
cement de la guerre d'Istrie 2 Histri seeMK/Mr Aetolos; cMtiwe
bellantes eos nuper a~M~eraKt. Or, ainsi qu'on l'a vu 3, Florus
paraîts'être
inspirédu
poèmed'Ennius
précisémentà
propos
de la transition entre lesguerres
d'Etolie et d'Istrie. Ici encore
c'est Ennius qu'il suit, de sorte que son témoignage nous ren-
seigne à la fois sur les faits eux-mêmes et sur cequ'en
disaient
les Annales. Enconséquence,
nous laisseronsl'épisode
des
deux Histres dans le quinzième livre.-A cet épisode se rap-
porte sans doute, comme l'a reconnu Méruia, un fragment
citépar Servius. Virgile, précisément
dansl'épisode qu'il
a
tiré d'Ennius, ditarma~yerro~;
Serviusremarque,
àpropos
de cette expression, qu'il semble avoir suivi Ennius 5, lequela dit
succincti corda machaeris.
~teH.. tX., ôya ss.
Fio)-ns,L 26 (II, 10).Voir les pages ay, 33 et ~a.
~te)! IX, 678.nUtEnnium sit secutus.r! Point d'indication de livre.
L. HAVET.38
Un autre fragment cité par Servius dans son commentaire
sur Virgile comme le précédent sans indication de livre,
doit être rapporté au livre XVI et à la guerre d'Istrie. Lorsqueles Romains, dans la campagne de 178, reprirent sur les
Histres leur propre camp, ils trouvèrent les barbares noyés
dans le vin et dans le sommeil, et en égorgèrent huit mille
sans faire de prisonniers. Le roi des Histres (sans doute Épu-
lon) était, comme les autres, gorgé de vin; on le jeta sur un
cheval et il put s'enfuir 2. Voici le passage d'Ennius
Rex deinde citatus
CouvetHt sese.
M. Bergk a signalé, comme se rapportant peut-être à la
guerre d'Istrie, un fragment corrompu du livre XVI, conservé
par Festus, à propos de la signification du mot t~'me~
Primus senex + bradyn in regimen beltique peritus.
Il faudrait lire P~ntMS ssHea; &'a~M; Bradylis serait un nom
d'homme, identique au nom illyrien Far~&s. Malheureuse-
ment, on ne voit pas comment construireregimen dont le sens
est ici le point essentiel.
Nombre de fragments du livre XVI ont trait visiblement
à des faits de guerre, mais sans qu'on puisse les rapporterà
(les événements déterminés »
lngenio tord dextra iatuspertudit
hasta
Tamen induvolans secum abstulit hasta
Insigne'5.
Concidit, et sonitum simul insuper arma dcderunt*.
Tum timido manat ex omnicorpore
sudor'.
~~M.,X.f,ic).T. Liv., XLI, tv, 7 ffRex tamen Histrorum temuientusexco&vivio,
raptim a suis ineqaum impositus, fugit.t
'Festus.p.a78:fEDmusi.X.VI.~
'Pnscianus.X.v,a6:cInXVt.~ r
Macrobius, &:&< VI, 53 "E)mius m XVI.)'
Macrobius.&:<Mr~ VI, t, a~ o'EnnmsinXVI.)' r
Macrobius. 5s<!if): VJ, ), 5o tEnnius in XV! h
L'HISTOIRE ROMAINE. ETC. 39
Qui ctamor oppugnantis, vagore votaati
Hic insidiantesvigilant, partin) requiescunt
~Con]tecti gladiis, sub scutis ore faventes
Prandere jubet horiturque
Navorumimperium
servare estinduperantum".
On a en outre unfragment
dupréambule
où Enniusexpli-
quaitsa résolution de continuer ses Annales au delà de leurs
limitesprimitives 5:
Quippe vetusta virum non est satis heita moveri,
et divers fragments qu'il ne parait pas utile de reproduire ici°.
LivREs XVII ET XVIII.
Il résulte d'unpassage
de Pline cité plus haut~qu'En-
nius, aprèsavoir arrêté son poème au livre XV, fit en ma-
nière de supplémentle livre XVI. H ne conçut donc pas tout
de suite le projet de pousser son poème jusqu'à dix-huit livres
ilpeut
se faire mêmequ'il
ne se soit jamais proposécette
limite, etque
la mort seule l'aitempêché
d'écrire un livre XIX.
Néanmoins le plus probable est qu'il s'arrêta volontairement
au chiffre XVIII. De cette façon, les Annales avaient trois fois
six livres, comme l'jf/M~e en aquatre fois six, et comme plus
tard l'.ËneM/e en eut deux fois six. A la vraisemblancequi
ré-
Festus, p. SyS~EBniusHb. XVI.!)
PMargyre, sur Virgile, Geofg' IV, 280 frtn XVI. Ennius." Cf.
Servius, sur Virgile, Georg., I, 18.
3 Diomedes, 1 (G'ysMMMhc!Zf<<M:t., ed. Keil, t. I, p. a8a, aa) fEn-r)ius sexto décime annalium.
Festus, p. 169 ~ib.XVL"
'Festus,p.a57:f)ib.XV!1° GeH.JX, xiv, 5;– a° Macrobius,Ss<M)'m.. Vt, i, 17;–3° No-
nius, p. ai Merc.; ~° Priscianus, V, il!, 17; Servius, sur Virgile,.4eK. VI, 685; Grammatici Latini, ed. Keil, t. IV, p. /tgi, ay;–5° Festus, p. 333; 6° Festus, p. 229, et Paul, p. sa8;– y" Pnscia-
nus, VI. xvm, <)3;–8° Festus, p. a58;–g° Macrobius, Saturn., VI,
fv, n); 10" Charisius, 1 (Gt'oww<. Lat., ed. Keil, 1.1, p. 132, 6).Voir page 3 a, note a.
L. HAVET.AO
suite du nombre 18 lui-même s'ajoute celle qu'on peut tirer
de l'étude des dates.
Le poème primitif en quinze livres a du être achevé dans
l'intervalle d'une dizaine d'années qui sépara la guerre d'Etolie
de la guerre des Histres, et plutôt au commencement de cet
intervalle qu'à la fin, vers 18 ou 186. Ennius, qui, à ce
qu'il paraît, n'avait pas songé à chanter les petits événements
de cette période, sentit sa verve se réveiller a l'occasion des
exploits accomplis en Istrie par les deux frères Caelius; il dut
donc composer son premier supplément, le livre XVI peude
temps après la guerre des Histres,c'est-à-dire dès iyy ouiy6.Il travaillait encore aux Annales à soixante-six ans, c'est-
à-dire en iy3 ou 1~2~. S'il fallait en croire les mss. d'Au)u-
Gelle, c'est du livre XII qu'il aurait été alors occupé; depms long-
temps on a reconnu que ce chiffre était faux. 11 ~st tout à fait
invraisemblable que de i y3 à la date de sa mort, juillet 16gEnnius ait eu le temps d'écrire les livres XII, XIII, XIV et XV,
de se reposer pendant un long IntervaHe, puis d'écrire encore
les livres XVI, XVII et XVIII; c'est encore plus invraisemblable
aujourd'hui qu'on sait que la composition du livre XVI fut
déterminée par des événements de l'an 178, et que, par con-
séquent, le livre XVdevait, dès cette date, être uni depuis long-
temps.Le livre auquel Ennius travaillait en iy3 ou 1~2 ne
peut être que le dix-septième ou le dix-huitième, beaucoup
plus probablement le dix-huitième, parce qu'il a pu aisément
arriver à un copiste d'Aulu-Gelle d'écrire XII pour ~7LT~ ou
bien ~MO~ecMHMmpour ~Mo~eM'cpsi'mMM.Ainsi le dernier livre
des Annales a été écrit au plus tard en i y a Ennius n'a donc
Geu., XVII, xxt, ~3 ftCtaudium et Tuditanum consules secuntur
Q. Valerius et C. Mami!ius [<:Ka5~], quibus natum esse Q. Ennium
poetam M. Varro in primo de poetis libro scripsit eu nique, cum septi-mum et sexagesimum annum haberet,+ duodecimuni annalem scripsisse,
idque ipsum Ennium in eodem libro dicere. a
Cicero, Ca<omajor (De MMe~te), V, lA; Brutus, XX, 78. Jcrûme
(CAt'on~Med'Eusèbe, an d'Abraham iS&g) indique la date 168; un an
de plus ou de moins ne ferait pas grand'chose ici, mais le témoignagede Jérôme est sans valeur auprès du témoignage très-précis et très-formel
de Cicéron. Ennius mourut, d'après le passage du Bt'M~Mjau tempsdes Jeux Apotfinaires; or ceux-ci avaient lieu en juillet.
L'HISTOIRE ROMAINE, ETC. AI
plus travaillé à son poèmeen
lyi ou iyo et pendant les
six premiers mois de i6g. De ce fait on peut conclure avec
beaucoupde
probabilité qu'il avait résolu de s'en tenir à dix-
huit livres.
Si Ennius, dans le livre XVIII, disait son âge, c'était, au-
tant qu'on peutle conjecturer, en
prenant définitivement congé
des lecteurs des Annales. Ilcomparait sa vieillesse à celle d'un
glorieuxcoursier
quise
repose
Sicnt fbrtisequus, spatio qui saepe supremoVicit Olympia, nunc senio contëctus quiescit.
Maintenant, quel pouvait être le contenu historique des li-
vresXVH et XVIII? Le livreXVI, composé vers iyy-ty6, avait
chantéles événementsde < y 8-1 y y
le livre XVII dut être écrit
vers 17 y 5-1 y &, et le livre XVIII le fut en i y3 ou i y 2 le poète
necomptait pas
continuer son œuvre. Lapremière idée qui
vient àl'esprit, c'est qu'Ennius dut
remplirles deux derniers
livres avec les événementsaccomplis
den6 6 ly~t ou nS,
bien queces événements ne soit
pasdes
plus importants.Il
est malheureusement impossible de vérifier cettehypothèse,
car les fragments des deux livres enquestion ne sont pas
nombreux, et aucun ne présente un trait qui puisseêtre tant
soitpeu caractéristique,
saufpeut-être un vers où il est ques-
tion d'une caverne 2
Tum cava 3 sub monte'*iate'' specus intus patebat.
Les autres, ou bien sont obscurs ou ne paraissent rien con-
Cicéron, auquel on doit ce passage (C<!<omajor, V, t&), dit posi-tivement que la comparaison est dans Ennius lui-même. 11ne donne pasle chiffre du livre.
Nonius, p. a a a ff Ennius annalium lib. XVM.B Priscianus, VI,
xfv, 75 ffEnnius in XVII. annaliuDi.~ Festus, p. 363 crEnnius-B
Cf. Servius, sur Virgile, ~M., VII, 568 ff Ennius. sub monte specusa!te~ n
3CoHec~s Nonius, <:<? e~Ma Festus.
Mox<M Nonius.
Z,a<<'<Nonius, ~e Festus.
t'hitargyre, sur Virgile, Geo~ IV, 188 et Paul (Festus), p. i/t~);
ff. Servius. sur Virgile, Aen., XI!, 65'y.
L. HAVET.A2
tenir qui intéresse l'histoire', ou enfin ont trait à des faits de
guerre quelconques
It eques et piausu cava concutit unguia tert'am*.
Tollitur in caelum damor exortus utrimquo
-Duxipsevias
Toutefois, il suffit de réuéchirpour voir que l'hypothèse est,
par elle-même, assez invraisemblable. Si l'on admet, comme
je l'ai fait plus haut, que le livre XV finissait avec la guerre
d'Etoile, et que le livre XVI commençait avec la guerre d'Istrie,
il en résulte qu'il y avait dans le récit d'Ennius un vide d'une
dizaine d'années; alors il serait étrange qu'il eût tenu à ra-
conter en deux livres les petits faits des années 176 à )7~[.Ces faits tiennent tous dans le livre XLI de TIte-Live, qui ren-
ferme en outre la guerre d'Istrie. Si. au contraire, on veut qu'il
n'y ait pas eu de lacune entre le récit de la guerre d'Etoile et
celui de laguerre d'Istrie, il faudra croire que les deux livres XV
et XVI embrassaient les treize années i8g à177, et que les
deux livres XVII et XVIII embrassaient seulement trois ou
quatre ans. Cela est on ne peut moins vraisemblable, surtout
si l'on songe que la première de ces deux périodes a vu des
événements beaucoup plus importants que la seconde. De
toute façon, il est presque incroyable que les livres XVII et
XVIII aient été la continuation du livre XVI.
En conséquence. je conjecture que ces deux livres étaient
un supplément rétrospectif, destiné à relier les événements du
livre XV a ceux du livre XVI. Le livre XVII, entre autres choses,
devait contenir la campagne conduite par Gnaevus Manlius
Vulso dans la Galatie en 180; c'est dans Ennius que Florus
aura puisé l'idée bizarre de la raconter après la guerre des
Livre XVII 1° Macrobias, &:?!'?. VI, n, a8; a" Nonius,
p.i34.Livre XVIII )° Nonius, p. 63; a°Gett., XIII, xxt (xx), 14, et H,
\\Vt. 11.
Macrobius, &!<Mm., VI, t, a a t(.m XVII.t
Macrobius, &!<m'M.~VI, ai f Ennius in XV H, Les )t)SS.ont
M<)'<MMf.
Priscianus. Vt. 6 ffEtmius in XVIL annaii.
L'HISTOIRE ROMAINE, ETC. A3
Histres~. Dans le livre XVHI était sans doute racontée la ré-
conciliationqui
eut lieu, en170~,
entre Fulvius Nobilior et
son ennemi- Marcus Aemilius Lepidus.La noble conduite de
Lepidusfut en effet, nous dit Cicéron, consignée par écrit dans
des livres d'annales, et célébréepar
un grand poète,sMtMMt
jDoe~e voce3; ce grand poète est indubitablement Ennius, le
protégé de Fulvius Nobilior.
L'étudequi précède ne peut jeter
de jour que sur des dé-
tails bien minces; elle contient bien despeut-être,
des sans
~OM<~des vraisemblablement et des apeMpres;enfin elle n'aboutit
pas aune conclusion d'ensemble. Mais pour construire l'histoire
aucun débris n'est sans valeur. Je serais satisfait si j'avaisfourni
quelques grains de poussière a ceuxqui
savent en
faire du ciment.
Voirpages ay, 33 et 3y.
T.Liv.,XL, ~t6.
3 Cicero, De~)'op:KC!M coM~/sn&M~, IX, ai. Cicéron quailde Ennius
de SMMMMsjooe<adans le De or<ot'e, I, xn', ')g8; cf. De optemo~tëre
ofa~o~w; I. a.
LES PEINTURES
DES TOMBEAUX ÉGYPTIENS
ET
LA MOSAÏQUE DE PALËSTMNE,
PAR G. MASPERO.
Les chambres accessibles des tombeaux égyptiens sont dé-
corées, à l'ordinaire, depeintures représentant les scènes de
la vie civile et domestique. ~Le prince Khnoumhotpou,fils de
Nouhri, dit une inscriptionde Beni-Hassan, a fait ceci en mo-
nument de soi-même, dès l'instant qu'il commença de tra-
vailler à son tombeau, rendant son nom fiorissant à toujours,
et se figurant lui-même pour jamais en sasyringe funéraire,
rendant le nom de ses familiers florissant, etfigurant, chacun
selon son emploi, les ouvriers et les gens de sa maison; il a
répartientre les serfs tous les métiers et a montré tous les su-
bordonnés (?) tels qu'ils sont'.M On les voit tous, en effet,
Ce début de la longue inscription de Beni-Hassan, décomposé en
ses membres constituants, doit être disposé comme il suit
C'est d'abord une propositionau
passé,rrH a fait ces choses, en
commémoration de ]ui-même, quand il commença (le construire son
G. MASPERO.&()
Khnoumhotpouet ses enfants, les
pêcheurs, les artisans, les
bergers,les
prêtres.Les
paysans labourent, sèment, récoltent;
lepotier
tourne ses vases et les cuit au tour; les tisserands
sontaccroupis devant.la trame; les danseurs
écoutent leurs
pasles
plusbrillants c'est la vie
égyptiennesaisie sur le vif
et fixée, depuis cinquante siècles, sur une murailled'hypogée.
Chaque paroiforme comme un tableau dont les
parties,dis-
tribuées enregistres,
montent ets'étagent
du sol jusqu'au
plafond. Quelquefois,les scènes n'ont aucun lien entre elles
etreprésentent
des actionsindépendantes, accomplies
à diffé-
rents moments de l'année, en des endroits différents.Quelque-
fois, l'ordre danslequel
elles sontrangées
est telqu'on y
doit
reconnaître, malgréles défauts de la
perspective, une compo-
sition d'intention et d'effet voulu. Lepeintre
s'estplacé
sur le
Nil, par exemple,et a
reproduittout
ce quise
passaitentre
lui et l'extrême horizon. Au bas de laparoi,
le Nil coule à
pleins bords des bateauxpassent,
des matelots, montés sur
des canots depapyrus, échangent
descoups
degaffe
ou
tombeau, litt. tr !a fois première de construire son tombeau, a o&est pose,
d'une manière générale, le terme qu'il s'agit dedévelopper.
Viennent
ensuite quatre membres de phrase à ce temps présent, qui, de même
que le temps en e du copte, équivalait, selon les circonstances, à un
présent réel ou à un participe présent. Us sontparallèles deux à deux et
commencent, le premier et le troisième, par )' x}y J~le second et
le quatrième par t' Les régimesde ces verbes paratiètes sont
également paralièles quant au sens exprimé. Le premier membre en
r JH rapporte au !:o?K du propriétaire du tombeau le se-
cond, au nom de ses familiersj~ j }"* Le premier membre
F se rapporte à la personne même dupropriétaire, {'
°r s'estreprésenté lui-même; le second, (te pronom
x_
n'estpas exprimé
derrière le verbe, peut-être par inadvertance du scribe)
se rapporte à la personne de ses artisans, qu'il a représentés, chacun
selon son métier. Le développementest clos
par deux membres de phrase
vn passé =~et ô Je crois "1. d'ffi '1 cle trou-.nu passé et J~ Je crois qu'H est dimcite de trou-
ver un exemple plusévident de parallélisme complet. Quant au sens
matériel rcprMe~o', j~'M~)', que je donneici a.
iln'y
aqu'a
examiner les planches de Champoilion et de Lepsius, pourvoir combien
il est justifié; Kbnoumhotpou s'est repfe.K~e lui-même dans son tom-
beau ainsi qnc tous les gens de sa maison.
LES PEfNTURES DES TOMBEAUX ÉGYPTIENS. Z[7
rhassentl'hippopotame
et le crocodile, tandisque
des bouviers
baignent leur troupeau. Au-dessus, laberge
et les terrains
(lui avoisinent le neuve des esclaves coupent des joncs,d'autres construisent des
barques, d'autres, cachés dans les
herbes, tendent le filet et prennent des oiseaux. Au-dessus
encore, leschamps
et le labour, despaysans qui
vont à leurs
travaux, des bœufs qu'on mènepaitre. Enfin, dans le haut,
h's collines nues et lesplaines ondulées du désert, où des lé-
vriers forcent ia gazelle, où des chasseurs court vêtus abattent
legibier
àcoups
de flèche.Chaque registre répond
à un des
plans du paysage; seulement, lepeintre,
au lieu de mettre
lesplans
enperspective,
les aséparés
les uns des autres et
superposés.
Barthélemyadmit ie
premier queia
grande mosaïquede
Palestrine avait été fabriquée après le voyage d'Hadrien en
Egypte Je n'aipas
àm'occuper
de laquestion
de date c'est
affaire auxarchéologues qui
fontprofession
d'étudier l'anti-
quité romaine. Mais Barthélémy et tous ceux qui sont venus
aprèslui ont considéré
quela
mosaïquede Palestrine était
une sorte depaysage historique dans lequel
un artisted'époque
tmpénale avait essayé de représenter à sa guise l'aspectde
l'Egypte et les singularités du désert africain. Le Nil baigne le
bas du tableau. Il a recouvert la vallée entière et s'est étendu
jusqu'au pied des montagnes. Des villas sortent de l'eau, des
obélisques, des fermes, des tours de style gréco-italien, plus
semblables aux fabriques des paysages pompéiens qu'aux mo-
numents des Pharaons; seul, le grand temple situé au second
plan, sur la droite, et verslequel
se dirigent deuxvoyageurs,
estprécédé
d'unpylône auquel
sont adossés quatre colosses
osiriens, etrappelle
l'ordonnance générale de l'architecture
égyptienne.A
gauche,des chasseurs, portés
sur une grosse
l'arque, poursuivent l'hippopotameet le crocodile à
coupsde
harpon. A droite, une compagnie de légionnaires, massée
devant untemple
et précédée d'unprêtre, paraît
saluer au
passage une galère quifile à toutes rames, le long du
rivage.Au centre, des hommes et des femmes à moitié nues chantent
Rty/iM'~0); f/e la MOM~rM de /M<rMte, par M. Fabbé Barthélemy,;) Paris. chez t). L. Guërin. et L. F. Defntnm', rue Saint-Jacques, a
Saint-Thomas-)!'Aquin. D<:<;t.x.
G. MASPERO.~8 ô
et boivent, à l'abri d'un berceau souslequel
coule un bras du
Nil. Des canots en papyrus montés d'un seul homme, des ba-
teaux de formes diverses, circulent entre les scènes et comblent
les vides de la composition. Le désert commence derrière; la
ligne des édifices; ici l'eau forme de larges flaques que sur-
plombent des collines abruptes. Des animaux réels ou fantas-
tiques, poursuivis par des bandes d'archers égyptiens à tête
rase, occupent la partie supérieure du tableau; les noms sont
écrits en gros caractères au-dessus de chaque espèce, et per-mettent de reconnaître quelques-uns des monstres décrits par
les naturalistes anciens le crocottas, les thoanies, l'onocen-
taure, le crocodile-panthère. L'Afrique était dès lors une terre
de prodiges, que l'imagination des voyageurs peuplait d'êtres
fabuleux.Si, après avoir considéré la
mosaïquede Palestrine, on
feuillette quelqu'un des volumes de Champollion ou de Lep-
sius, on sera frappé de la ressemblance qu'elle offre avec cer-
tains tableaux gravés et peints sur les tombeaux égyptiens.
C'est la même disposition dans le bas, des scènes d'inonda-
tion et de vie civile; dans le haut, des scènes de chasse au
désert. Parfois, entre le Nil et la montagne, l'artiste a repré-
senté des pâtres, des laboureurs, des gens de métier parfois,
il a fait succéder brusquementla région des sables à la région
des eaux et supprimé l'intermédiaire 2. Les détails sont presque
identiques des deux parts; il n'est pas jusqu'aux monstres de
l'artiste européen qui ne trouvent leur analogue dans l'oeuvre
des peintres égyptiens. Parmi les animaux réels que chassent
les princes de Beni-Hassan, on rencontre plus d'une betc
imaginaire des quadrupèdes à la tête et au cou de serpent,
tigrés de fauve une espèce de griffon ailé blanc un
loup à museau courbé, à oreilles carrées, à queue droite lïJjl
L'impossibilité où je suis de donner les figures m'empêche
Cf. par exempte, dans Champollion, iVo~'ccs?MMKM)a<M,t. II, p. 338-
3A6 et p. 359-366, les peintures de deux des principaux tombeaux des
Beni-Hassan.
Par exempte. au tombeau de Ptahhotpou, sous la t* dynastie ( Durni-<'hpn. /~Mh<:<e f~r <!fe/MO~og'Mc/t-o<ogy~)/HM/<eKFapc~M'~Theii t,
pLV)[t.Bcrnn.i86().in-foi.).
Champo!)inn. A'o<!ce~,t. n, p. 33() et 36o; Rosd!ii)i, MotM/M~
LES PEINTURES DES TOMBEAUX ÉGYPTIENS. 49
/t
d'instituer lacomparaison
trait à trait; maisqui
voudra la faire
reconnaîtra quela
mosaïquede Palestrine et les peintures
égyptiennes reproduisent un même sujet, ou plutôt un même
ensemble de sujets, traités d'après les conventions et les pro-
cédés de deux arts différents.
On sait, pardes documents certains, que,
dès une haut
antiquité,les tombeaux égyptiens étaient visités par les voya-
geurs etpar
les curieux. Les graffiti nousapprennent qu'à
la
xx" dynastie, les scribes qui passaient par Beni-Hassan ne
manquaient pas d'entrer dans leshypogées de Khnoumhotpou
et d'Ameni-Amenemhâït; ils lesprenaient, par erreur, pour
des monuments du tempsde
Khéops~.Les
inscriptions grecques
du tombeau de Séti I"' montrent qu'à l'époque impériale on
allait, comme de nos jours, au Bab-eI-Molouk. Hadrien et
Champollion, ~Voh'CM,t. II, p. ~a3-&s5. Comme ces graffiti n'ont
jamais été étudies, je crois qu'il n'est pas inutile d'en donner ici le texte
et.atraduction.-N-i.
Amenmes. Quand je suis allé pour voir la chapelle du RA-Kaouwoc le
Véridique, elle a été trouvée semblable, en son intérieur, au ciel, lorsque
le soleil s'y lève, et approvisionnée en encens frais pour la chapelle du
~o'A-f~ (?), pourvoir ia
chapelledu RA-KHonwon le Véridique; elle a été
trouvée, en son intérieur, comme le ciel quand le soleil s'y iève.!)
(.. MASPERO.5')
qu'a faite le scribe 77tOM<K(?) pour voir la bellechapelle
du M-Knonwr
vdridt({ue. Elle a été trouvée belle extrêmement, plus que [tout temple
(tp?j PLtah, en encens frais, et approvisionnée do parfums. la cha-
peUf dans laquelle est te RA-Knouw) véridique. La variante donne
la raison de la transcription SoSS-t-s de Manéthon.
LES TABELLARII,
COUHR'EHS PORTEURS DE DÉPÊCHES CHEZ LES ROMAINS', l,
PAR M. ERNEST DESJARDINS.
On lit dans le Lexicon de Forcellini ~TABELLARics, absolute
~pet~<ï'o<popos', ytf: tabellas, seu~Meras~e~?'
o
Le mot ~<&c//ae, d'où les <a&c~an't tiraient leur nom, in-
diqueles tablettes de bois sur lesquelles on écrivait; ~Merae
ouepistulae désigne toute sorte de
correspondance,sans
que la
forme matérielle en soit spécifiée. Ces dépêches étaient donc
écrites, soit sur des tablettes enduites d'une cire dont la cou-
leur différait de celle du bois2, etque
le stylum enlevait en
traçant des caractères se détachant ainsi nettement sur le fond;
soit sur duparchemin
ou dupapier (papyrus, cAar~), qu'on
roulait ou qu'on pliait en paquet, ~sctCM/Ms.
On necomprend guère que
M. Mommsen ait jugé utile
de distinguer le <<!6e~arïMs~ porteurde dépêches (tabellae),
du
~M~M~ teneur de livres, agent comptableet homme de
bureau~ personne, que nous sachions, dans ces derniers
temps du moins, ne s'était avisé de les confondre. Le même
savant croit pouvoir affirmer queles ~M/ant étaient des cour-
riers au service exclusif del'Empereur,
c'est-à-dire de l'Etat~.
Cette étude est le résumé de trois leçons professées, en 1878, à
i'Ecote des Hautes Etudes, dans le cours d'g'r~o~!e e< 6~M~ ro-
M<KM aux élèves de seconde année.
On possède plusieurs spécimens de ces tablettes, qui portent des
caractères cursifs encore lisibles, quoique le temps ait donné au bois et
à la cire une teinte à peu près uniforme. Ce ne sont pas des epM&<&t~mais leur forme et les procédés dont on avait usé pour écrire sur les
tablettes qui nous sont parvenues sont évidemment les mêmes voyez,entre autres, les fameuses tabulae een~ae conservées au musée de Pest,
et publiées par M. Zangemeister, C. 7. L., ML p. 023-066..N~'MM~ t866, p. 3~a.
&.
E. DESJARDINS.52
En admettant que cela fût vrai pour l'époque impériale,et nous démontrerons plus loin qu'il n'en était rien, il est
évident que, sous la République, si nous les voyons employés
par les grands magistrats, c'était là un service assez restreint
et même plus exceptionnel que régulier. La plupart des textes
qui mentionnent les ~eMat'H nous les montrent., en effet,
comme des courriers au service de simples particuliers ou
d'entreprises, comme celle des fermiers de l'impôt (coM~KC~ores,
~M~M'aH!), qui les entretenaient à leurs frais.
1
Laplus
ancienne mention connue des &<M~t remonte au
tempsde la seconde guerre punique. Strahon~
rapporte que
PtceMtMc, l'antique capitale des Picentes, au sud de laCampa-
nie, ayant été châtiée par les Romains, à cause de sa défec-
tion et même de sa trahison, pendanfle séjour d'Hannibal à
Capoue, les habitants furent chassés de leur ville, dispersés
dans des bourgades,et
qu'aulieu du service militaire, on les
réserva pour la corvée de ~courriers:! et den~orteurs
de dé-
pêchesMfT~ <? cr7p<M'e<'<xs~spo~'po~e'c' mal ~pc!j~t&To(pppen'
aws~e~~o-c~ sf T&)T~Te ~~too-M. Il s'agit évidemment ici d'un_
service public, quoiquele texte soit fort incertain
pour ces
trois derniers mots. On peuttraduire le grec ~spo<!p(~o<
parcMrMres, coureurs M, et~pa~aïofpopot par~a~eMa)~ K por-
teurs dedépêches N;
il faut dire toutefois que le termeemployé
par Tite-Live, dans unpassage
relatif aux événements accom-
plis en Macédoine vers le mêmetemps (en aoo avant notre
ère),est ~eeM~or~ .SpeeM~O! AemeroJromo~ vocant
Graeci, ingens, die uno, cursu emetientes spatium, con-
templatus regium agmen ex specula quadam, praegressus [ex
Euripo],nocte media Athenas
pervenisset~?) Le terme de
~<a~or a dû être également employé pour désigner les courriers
V, H', t3, tK~MC.Il est inutile de faire remarquer que le mot ~pMM&tfO!'a eu un f.ou~
autre sens sous l'Empire, employé pour désigner des espions militaires,ft par suite un corps spéciat d'édaireurs.
XXX!. a~.
LES TABELLARH. 53
porteurs de messages privés On rencontre aussi le synonyme
celeripesMais les ~e~n't agents d'un service
publicse
rencontrent dans la fameuse inscription de PoIIa du val di
Diano, commeoccupant
des stationsespacées
sur la route
queM. Mommsen a
désignée sous le nom de ~a Popilia, et dont
il fait remonter, avec toute raison, la date à l'an i3a avant
'notre ère~. Cette inscription commence ainsi
VIAM FECE1 AB REGIO -AD CAPVAM" ET
IN EA VIA PONTEIS OMNEIS MILLIARIOS
TABELAR.IOSQVE POSEIVEI, etc.
Cette précieuseindication nous prouve qu'il y avait, dès le
second siècle avant notre ère, despostes de <~e//a?'K
(ce que
nous appelonsdes
facteurs)sur les routes de la
République,
postes placés évidemment de distance en distance, pourla
transmission desdépêches.
Nous ne savons s'il existaitdéjà,
pour les messages secrets, des courriers franchissant eux-
mêmes tout l'intervalle, depuisle
départ jusqu'à l'arrivée, et
pouvant raconter comme en ayant été témoins les événements
consignésdans
lesyr<sc!CM/! dont ils étaient porteurs. Il semble,
d'après le passage si souvent cité de Suétone sur l'organisa-
tion nouvelle de laposte par Auguste, que
ce fut là une inno-
vation de cetempereur5.
Mais aucun doute n'estpossible
sur
l'existence d'un service public de dépêches sous la République,
par des courriers appelés ~eM<~M~ quoique l'on fasse d'ordi-
naire honneur aupremier
desempereurs
del'organisation
régulière de la transmission des messages de l'Etat. On doit
Cicéron lui-même semble se servir indifféremment de ce terme ou
de celui de ta&eMm'MM voyez ~.y<!M.~ II, xvn, i frLitteras a te mihi
stalor tuus reddidit Tarsi.n Le mot fr huissier" traduit évidemment fortmal l'expression du texte latin (éd. Le Cierc); cf. t~ X, xxi ffpraestomihi fuit ~or ejus.
Cic. Epist. <K/~[«!'c.~ IX, vu frVenit autem eo ipso die ce&)'t~M,
quem Salvius dixerat; attulit uberrimas tuas Utteras.~
C. 7.Z., I, n" 55), p. i5~).
Hs'ag'it d'une route créée, comme on voit, au temps du trihunat de
Tib. Gracchus, voie qui se rendait de Capoue à /?<g'?<M, dans le .6f'M<-
~MM~par la montagne.
Voy. /lMg' xL[\. ft cf. ptus loin, n. 5o.
E. DESJAIIDINS.5&f4
supposer, sans parler de l'e~c<:o ou du eMrsMs~M~tc:
M/tt'eM~fMttK !KMK«s, qui constituait, sous un autre nom, un
service officiel, peu régulier il est vrai, déjà au H" siècle 'avant
notre ère, que les chefs militaires dirigeant au loin des
guerres importantes, comme Pompée en Asie et César en
Gaule, avaient à leur disposition des moyens sûrs et promptsde transmettre, en tout temps, de leurs nouvelles au Sonata
H n'en était cependant pas de même pour les gouverneurs
de province en temps de paix. Nous voyons en effet, par les
lettres de Cicéron, lorsqu'il était proconsul de Cilicie, que ce
haut fonctionnaire a recours aux ~e~H'K des publicains pour
transmettre les lettres qu'il adresse à sa famille ou à ses amis.
Il écrit à Atticus~ ~Je viens de rencontrer, pendant que nous
étions en marche, les courriers des publicains, qui retour-
naient en Italie. Je me suis souvenu de ce que vous m'avez
recommandé, et j'ai fait arrêter ma litière en pleine campagne,
pour vous écrire ce peu de mots; je pourrai, plus tard, vous
mander, avec plus de détails, ce que j'ai à vous dire. M Ce pas-
sage nous apprend donc t" qu'un gouverneur de province,
-cependant tout-puissant en vertu del'MMpemmt qui lui était
conféré, était contraint, en temps ordinaire, d'avoir re-
cours à l'obligeance des ~e~an't de l'entreprise privée des
pubileains, ou fermiers de l'impôt, pour transmettre de ses
nouvelles à Rome; et a° que les eoM~Mc~M avalent un service~
entretenu évidemment à leurs frais, pour l'expédition de leurs
dépêches et sans doute pour le transport des sommes qu'ilsavaient encaissées. Cependant les proconsuls, ayant l'e~ec~o~
Voyezpius loin, p. 58, note 4.
Pour César, le fait est comiu Cicéron écrit a sun frère Qumhis~
(.EpMt<.ad 0-y~-< xiv ).: ~Ego. quum Romam vcnero, nuHumprac-termittam Caesaris <<:&cMs!wM,cui litteras ad te non dem.~
Ë/M' .4M., V, xvt ffEtsi m ipso itinere et \'ia discedebantyM&/t-efMWMm ~e&M'K, et eramus in cursu, tamen surripiejulnm aHqmd pu-tavi spatii, ne me immemorem mandati tui putares.Jtaque suJjsedi in
ipsa via.dum haec, quae tongiorem desiderant orationeE, summatim tibi
perseriberem. Cf. ~ist.~am.j V, xxt fcAccepëram tuas litteras
autem satis ceterfte)', Iconii, perp:<&&'c<!)!0)'Mm~e&H'KM; Cic., Epist.m~/iH., V, xv, 3 ;fTu autem saepedarc ~tM&a'M~«MKM)MM<Mtpoteris.a
Coelius écrit à Cicëron, alors en Cilicie (E~~<. ~tm., VIII, vt)"Hrcviores basiitteras, propf['<uiti ~MA&caMo'iHH~f~c~'M,snMto dcdi.t
LES TABELLARII. 55
c'est-à-dire le droit de faire circuler, à l'aide deréquisitions,
leursenvoyés olliciels, devaient avoir, à
plusforte raison, des
courriers spéciaux pourl'envoi de leurs messages; mais les
départs de ces <a6e~nt étaient sans doute limités à certaines
époques fixes, en dehorsdesquelles
ils étaient contraints de
recourir à toutes les occasionsqui
s'offraient à eux'. Nous sa-
vons, d'ailleurs, qu'ils avaient aussi leursmessagers privés,
etqu'ils
lesdépêchaient jusqu'à destination
pour porter leurs
lettres «Philogène, votre affranchi, écrit Cicéron, de Lao-
dicée, à Atticus, est venu me saluer, et, comme il m'a dit
qu'il s'embarquait pour retourner près de vous, je lui remets
cette réponse u celles de vos lettres qui me sont parvenues par
le courrier de Brutus 2. nOr Brutus était alors proconsul d'Asie, et il semble bien
quece ~e~an'Ms fut un de ceux
auxquelsce gouverneur
avait droit pour la transmission de ses dépêches officielles:
seulement, comme ils étaientpeu
nombreux sans doute, et
qu'ils avaient leur service très-nettement défini, ils ne pou-
vaient en être détournéspour les correspondances personnelles.
H fallait dequarante
acinquante jours à un ~&e/&<~MS
pourse rendre Cilicie à Rome~, et il est bien évident qu'ils
ne
franchissaient pas tout cetespace
àpied
et en bateau, mais
qu'ils prenaient souvent des chevaux; aussi bien, <a'&e//«fK<s
n'étatt-ilpas,
en ce cas, synonymede cMt'sor ou de celeripes. La
dimculté principate n'était pas de trouver des <«M~rM fai-
1 Cicéron est souvent fort embarrassé pour expédier ses lettres (jE~Mf.'M/«. I, xin) fQuibus epistolis sum equidem abs te tacessitus ad scri-
bendum, sed idcirco sum tardior qnod non invenio fidelem ~M~H-Ktm~-
quotusquisque est qui epistoiam paullo g't'aviorem ferre possit nisi eam
peUectione relevant." Ainsi ia diSicun.ë n'était pas seuiemenE'!a dépense,ttiais l'indiscrétion des courriers.
ËpM<. <K~<(.~ V!, [[ ff()uum Pniiogenes, iibertas tuus, Laodiceam.,
satutandi causa, venisset, et se statim ad te navia'aturum esse diceret.
lias ei litteras dedi, quibus ad cas rcsct'ipsi quas icceper-aiiiBruti <<!&e/-
/f:n'o.T En dehors de ces occasions, il nous apprend tui-méme qu'it est
fort en peine de faire parvenir ses tettres à ses amis, en Gaule, quand ils
n'étaient pas auprès de son frère (~pMf.yaM.. V{!, fx): ~Quia cnm
Quinto fratre fnco non eras. ({no mitterem, aut cui darem [epistotas~ ue-
scieban).
(~ic.. /~)M<. /t< V, \)\. Dans cette lettre, il s'agit d'un intervalle-
de ~8 jours, que (.!icéron nf paraît pas trouver trop )on~
E. DESJARDINS.56
sant tout le voyage et remettant eux-mêmes au destinataire
la dépêche qu'ils avaient reçue de l'expéditeur, mais bien de
rencontrer des hommes sûrs et discrets'. On avait recours
aussi à l'obligeance des plaideurs qui se rendaient dans les
provinces pour leurs affaires privées, et, pour faire tenir ses
lettres au gouverneur, cette voie paraissait d'autant plus sûre
que les porteurs avaient intérêt à bien s'acquitter de leur com-
mission s'il s'agissait pour Cicéron de correspondre avec Cor-
nificius, qui était alors en Afrique, il n'avait pas d'autre occa-
sion de lui faire passer ses lettres K Itane praeter Utigatores,nemo ad te meas litteras ~? M. De même, il écrit de Rome à
Atticus qu~il n'avait guère de moyens de lui faire parvenir ses
lettres en Epire et à Athènes 3. L'expédient leplus sur était en-
core d'envoyer un de ses esclaves ou un de ses aSranchis'\ En
Italie, la correspondance, pour ceux qui n'étaient pas de grands
personnages, n'était pas beaucoup plus facile. CommeII n'y avait
certainement pas de service organisé pour les besoins privés, le
moyen le plus usité chez les particuliers parait avoir été de
confier les lettres à leurs gens, qui rapportaient la réponse 5;on profitait aussi des esclaves de ses amis~; mais, indépendam-ment des tabellarii publici, réservés au service de l'Etat et. qui
avaient, comme nous l'avons vu plus haut, leurs stations sur
les routes principales, indépendamment des ta6eM<ïn!pMM:ca-
norum, qui étaient aux gages des entrepreneurs de la ferme des.
impôts, il y avait des tabellarii qu'il était lolsible_à tout particu-
Voyez plushaut la note 1 de la page 55, et cf. Cic., .Bp: ad Att.,
V.xvn (il était alors en Cilicie) ffPaucisdiebushabebam certos hommes
quibusdaremHtteras.~)
~)M<tM., XII, xxx; cf. les autres lettres à GorniBcius.
jE~M<. ad Att., I, v, cf. !X.
Coelius écrit à Cicéron, alors en Cilicie (~Mt.~Nm.~ VIU, vin):"Libertujn Philonem istuc misi et Diogenem Graecum, quibus mandata
et litteras ad te dedi.a Cf. !& III, ix.
Cicéron écrit, de 2'brM<M:KMm, à Atticus (II, xt) ~Quoique j'espèrede vous voir bientôt, je vous envoie cet esclave, auquel j'ai ordonné de
revenir vers moi vous lui donnerez donc une lettre JMcn remplie.
Quanquamjam te ipsum expecto, tamen isti puero, quem ad me sfatim
jussi recurrere, daponderosam aliquam epistoiani.a
Cicéron écrit à son fidèle Tiron(~Mt.~<:?~ X.Vt, tx) tSorvus Cn.
Ptanci. Brundisii. mihi a te expeclatissirnas litteras reddtdit.)! »
LES TABELLARIL 57
lier riche d'entretenir chez lui à ses frais, pourse donner le
luxe d'une active correspondance. II est très-probable qu'on
trouvait à louer des courriersportant
aussi le nom de <aMsrH.
C'est dans ce sens, selon nous, qu'ilfaut entendre ce
passage
d'une lettre de Cicéron à Atticus:KSi, n'ayant rien à vous ap-
prendre, je vous envoyais des ~e~t' ce serait ridicule; mais,
lorsque je trouvequelqu'un qui
se rend à Rome etque
ce sont
surtout des gens à moi, je nepuis m'empêcher
deproSter
des
occasions et cet autre, dans une lettre à sa femme s Je vou-
drais quevous
pussiez organiser des ~e/rK réguliers, afin de
recevoir tous les jours quelques-unes de vos lettres~. Cicéron,
qui expédiaitd'ordinaire ses lettres
parses affranchis, par
ses
esclaves à lui ou par ceux de ses amis, n'avait certainement
pas, parmises serviteurs, de ~<&6&!fM de
profession;s'il con-
sidère comme ridicule d'en envoyerà Atticus lorsqu'il
n'a rien
d'importantà lui mander, s'il forme amicalement le souhait
d'établir un serviée régulier de courriers pour correspondre
tous les jours avec sa femme 7érentia (ce qui n'est d'ailleurs
qu'une façon aimable deparler), c'est qu'on
devaitpouvoir
s'en
procurer facilement et qu'il devait y avoir des espèces de bu-
reaux de facteurspublics,
des offices de <s6eMar: où ceux-ci
se tenaient toujours prêts à toute réquisition des particuliers
qui avaient le moyende les bien
payer.Mais c'était là sans
doute uneprodigalité,
considéréepar
le grand orateur, quoi-
qu'il fût loin d'être pauvre,comme fort au-dessus de ses
moyens. Il estprobable que Cassius avait ses <a6eMarM à lui;
car Cicéron lui écrit de Rome ~Vous avez d'étranges mes-
sagers ce- n'est pas qu'ils m'oneUsent, mais lorsqu'ils me
quittent, ils me pressent de leur donner mes lettres, et lors-
qu'ils arrivent, ils ne m'enapportent point;
ils auraientplus
d'égards pour moi s'ils m'accordaient du moins un peu de
temps pour écrire; mais ils arrivent toutprêts,
coiffésdéjà
de leurs grands chapeaux de voyage, et disent que leurs cama-
Epist. s~A«., VMI, xfv 'cSed si, dedita opéra, qnum causa uuHa
est, tabellarios ad te cam inanibus epistolis mitterem, facerem inepte;cuntibns vero, domesticis praesertim, ut nihH ad te dem titteraram, là-
cere nou possnm.~ n
E/)M<.y~w.~ XIV, xv)[[ ffVphfn <a&e//fM'M.s'ins[ituaf,[s certos nt quo-tidie aliquas a vobis Htteras accipiam."
E. DESJARDINS.5.S
rades les attendent la porter)) » Antoineavait aussi les sicns~:
mais, à l'époque de confusion qui précéda et qui suivit les
guerres civiles, il est bien probable que tous les grands person-
nages s'arrogèrent le droit d'user des <a6e&rHpMMi'c: de l'Etat.
dont l'existence, tout au moins depuis la fin des guerres pu-
niques, est, comme on vient de le voir, aussi indubitable
que celle des ~e~am~MMïcaKoram et des &!M~m! m'ipa! Les
/«M&!rH ne sont donc nullement une création imputable à
Auguste. Voyons quelle a été la part de cet empereur dans
l'organisation du service des dépêches.
II
Il n'entre ni dans notre dessein, ni dans le cadre restreint
de cette étude, d'esquisserune histoire de la Poste chez les
Romains cette histoire a été faite 3. On sait, depuisla décou-
verte et lapublication
des lettres de Fronton a Marc-Aurelc,
quela Poste ollicielle
(cHeG<!o, CMrsMspMMMM~t'e/iMM/aMMmmM-
KMs) existait, d'une façon peu régulièreil est vrai, dans les
provinces,au
tempsde Caton l'Ancien~. Mais, avant d'avoir
Ë~M~m.~ XV, xvu ~Praeposteros habes fa&eSst'Ms~ etsi me qui-dem non onendunt, sed tamcn, quum a me discedtmt, uagitant Rttcras;
quumad me veniunt, nuttas an'erunt. Atque id ipsnm tacereut commo-
dius, si milti aliquid spatii ad scribeudum darent; sed petasiti venhuit
comités ad portam expeetare dicuut. B Cassius cent d'Asie à GMron
(F~M~w.~ \I{, xtf) tScripsiad te, ~e//<M'MS(n.te complures
Ro-
mam misi. Mais alors ou ne peut considérer Cassius comme Mtsimple
particu)ier;c'était t'au Aa.
Voy. Cic., P/M~p. II, 3t "Quis tu? A Marco ~c&M.~
Naudet. De ~<:a'mMM's~<:<MMde la Poste c/<e~ 2?oMMHK.s',dans les ~e-
MMires de /lc< des ~:M)' t. XXML a"partie de la nouvelle série,
t.S58, p. t<)6-a~o.
Fro);<o?!. Epist., p. 150 de l'éd. de Rome. Caton s'exprime ainsi
Nunqnam cg'o evectionem datavi, que amici mei, per symbotos, pecunias
magnas caperent." Cf. Naudet, op.c!'f.
p. i6<). Notre vénère et savant
maitre traduit ~H:&o&' par ff signature",et iL
ajouteen note (&c. ctf.~
Ilote a) ft cachet, empreinte de cachet.)) et ilfait remarquer que, même
avec un ordre d'CMch'o, on ne comprendrait pas que ces personnagesen
eussent pu tirer des moyens d'amasser <tde grands biens.)? Ce fait ne s'ex-
plique '[n'enraison de l'absence de relais et
par la prestationen nature
e\igibte.sans doute, des habitants. avec tous les abus commis ators par les
jx'rsonnagf's revins d'un caract'['f' onicic!. en quaii~. soit de magistrats.
LES TABELLARII. 59
connaissance de ce texte, il était facile desoupçonner l'orga-
tiisation d'un servicerégulier
dedépêches
en Italie; du moins
l'inscriptiondu val di Diano le
prouveavec la dernière évi-
dence.
Suétone, auchapitre
xux de sa Vied'Auguste, s'exprime
ainsi: ~Pour être instruitplus promptement
etplus
facilement
de cequi
sepassait
danschaque province
etpour y
fairepar-
venir ses ordres, il(Auguste) organisa
d'abord un service de
jeunes genssur les voies militaires, puis
bientôt un service de
voitures, moyencommode
pour savoir,au besoin, de la bouche
même desporteurs
dedépêches,
des nouvelles dupays
d'où ils
viennent M Onremarquera que
les <a6e~at'M nesont pas
men-
tionnés dans cepassage
mais cesjuvenes qui
se transmettent
lesdépêches
sur les routes, où leurspostes
sontdisposés
à des
intervalles assez courts, paraissentbien être les mêmes
queles
tabellarii de l'inscription de la via Popiliadel'an i3a avant J. C.;
aussi, la véritable innovationd'Auguste
dut-elle consister moins
dans['organisation
d'un service, plus régullerpeut-être,des cour-
riers àpied, que
dans l'établissement de relais deposte (man-
st'OHM ouMïM~MM~),
où lesmessagers
venus despoints éloignés
del'Empire,
c'est-à-dire de toutes lesprovinces,
trouvaient
des !'c/i:'cM~ et des muletspour accomplir promptement
leur
soit en vertu d'une mission, comme pour ceux qui avaient obtenu du.
Sénat ces ~g'~tose~ liberae dont parle Cicéron (De /eg-e ftg-)'. 1, 3; H, i y).
On a d'autres textes quecelui de Caton qui établissent l'existence d'une
ue/MCM&:ho, sinon organisée et permanente, du moins propre à offrir, à
un moment donne, des moyens rapides de transport pour ies magistrats
et les chefs militaires et pour la transmission des dépêches omcieHes. Voy.
Tite-Live, XXVII, y rr. per dispositosequos." César, De B. civ.
111, 11 n-Mutatis ad celeritatem jumentis.~ 101; cf. De B.
~Mp. 11 Plutarque, Ca<o m~ ,13, etc. M. Naudet (op. cit.p. ly-lyS)
établit, pard'autres textes, que
toutes cesdispositions
étaient irrégu-
tières, temporaires,et qu'it n'y avait pas, à proprement parler, de poste
aux chevaux et aux mulets étabfie avantAuguste;
mais celan'empêche
nullement l'existence d'un service dedépêches par des courriers à pied
ou à cheval.
~Quo celerius ac sub mauum annunciari cognoseique [ïmp. Augus-
tus] posset quid in pt'ovincia quaque gereretur,juvenes primo, modicis
intervanis, per mititares vias, débine vehiculadisposuit
comruodius id
visum est, ut, quia toco
perferunf!itteras. ifdem
interrneari qnoqttc.si quid rcs exigant possifit.
E. DESJARDINS.60
voyage, porterleurs messages
lesplus urgents a destination,
ann depouvoir
les remettre eux-mêmes àl'Empereur et, an
besoin, l'instruire de cequ'ils
avaient vu.
Cette institution ne tardapas
à donner naissance à une ad-
ministration nouvelle, régulièreet fixe, qui
n'existait certaine-
mentpas
sous laRépublique
etqu'on appela
la ~t'eM~o.
On dutexiger, pendant
lespremiers siècles, des
propriétaires
et despossesseurs
ou détenteurslimitrophes
desgrandes
voies*
On ne voit apparaître, du moins sous la République, aucun service
régulier et permanent de voitures. On sait qu'en i '?3, le consul L. Postu-
mius. ayant forcé les Prénestins à lui tenir des chevaux prêts pour son
départde leur ville, .jamM~ cunz exiret H:<~c ~M'ae~o e.!sa:< (Tite-Live,
XLH, t), l'usage s'établit, pourles &gM& (envoyés en mission
parle
Sénat), deréquisitionner des chevaux dans les vi!)es qu'ils traversaient.
Nousvoyons
toutefois qu'en 170, pour honorer Micythonius, le députédes Chalcidiens, le Sénat loua des voitures pour
le faire reconduire Commo-
dément jusqu'à Brindes, t'~MCM~ Mtcy~/iOHH p!<M!'e6 locata (Tite-Live,
XLIII, 8), ce qui semble exclure l'idée d'un service public organisé, ainsi
que le remarque judicieusement M. Naudet (op. et /oc. cit., p. lys);
cependantil n'est parlé dans ce passage que de la location des voitures
et nullement des ~meM~ qui pouvaient fort bien être réquisitionnés;
mais la réquisition ne suppose pas nécessairement un service régu!ierce serait
plutôt le fait d'un service exceptionneLOn
sait quele fameux
Ventidius d'Asculum, qui acquit une si grande renommée en Orient
comme lieutenant d'Antoine, avait été loueur de voitures et de mulets et
qu'ilavait la clientèle des magistrats se rendant dans leurs provinces
(Aulu-Gelle, XV, :v, 3) ~eum[Ventidiumj qui sordide invenisse
[victum] comparandis mulis et vebicuus quae mag'istratibus, qui sortiti
provinciam forent, praebenda publiceconduxisset.~ Mais cela ne suppose
pas davantage l'existence d'une poste permanente. Ce sont ces -mêmes
voituresque César employait pour ses courses les
plus rapides tfLongig-simas vias incredibili celeritate confecit
expeditus [Julius Caesar], meri-
toria rheda, centena passuum miitia insingulos dies." (Suétone, Caes.,
5y.) Or, pour faire ainsi 1~8 kilomètres par jour, il fallait bien, tout
en touant des voitures, qu'on trouvât des relais de chevaux ~disposés sur sa
route, et il est probable que ces chevaux étaient réquisitionnés;mais rien
ne prouve que ces relais fussent permanents.H n'en fut plus de même
après Auguste.Il est indubitable que Tibère, longtemps
avant son avé-
nement àl'empire, taisant deux cents milles (a()6 kil.) en vingt-quatre
heurespour aller voir son frère Drusus, malade en Germanie (Pline l'An-
cien, VII, xx ), devait disposer de relais bien pourvus.U n'est pas inutile de rappeler
ici la différence juridique quiexistait
a Rome entre lespropriétaires citoyens romains, ayant le
~ot?M)H!<M;ex
/!H'e ()«M'i'<M<M sur leurs <~T! prMa<< et lessimples pMM~fM'es de l'o'g'o'
/oc~M nu)T<-<t~Y!/M, qui, bien que transmissible et aliénable, ne perdait
LES TABELLARII. 61
dites f<«e )H</<<~e~ uneréquisition
dont la fameuse médaille
de Nerva, datée de l'an06,
nous fait connaître lasuppression 1,
cequi signifie que
l'Etat sechargea
dès lors des frais de ce ser-
vice. Mais laissons de côté lagrande
administration de laposte
des voitures et des chevaux, telleque
nous lavoyons établie,
surtout àpartir
durègne
deTrajan,
avec sescrae/ee~
!)g/t:cM~o-
~Mm~, ses ~M/sm a vehicitlis 3, ses ab velricitlis ses s commen-
tariis fe/MCM~orMM~, etc., pournous
occuperexclusivement des
courriers, porteursde
dépêchesou facteurs, désignés,
sous l'Em-
pire, parle terme
uniquede <aM/an' Nous tiendrons
compte
jamais sa qualité d'~er ptfMeiM., toujoursrecouvrable au nom des droits
imprescriptiblesdu Peuple Romain, seul vrai et éternel propriétaire, tant
que cette terre n'avait pasété convertie en
ag-er~M~M M'yMn'()MM'<M<m,
à la suite d'une vente publiquefaite à un
citoyenromain par les magis-
trats, déléguésde l'autorité, c'est-à-dire du Peuple Romain.
Cegrandbronze(voy.Eckhel,Vt,p. ~o8;cf.Spanheim,II,p.56i;
Cohen, AM. !Mp.~ I, p. ~79, n. iaa, etpl. XIX) porte,
au droit, le
&!<~e de A~'cf: lauré à droite, avec cettelégende
IMP NERVA
CAES AVG P M TR P COS III P P et, au revers, deux mules
en sens contraire et paissant: derrière, on voit les deux timons d'un char
avec les traits et les harnais et cette légende: VEHICVLATIONE
ITALIAE REMISSA S' C. On remarquera quec'est aussi de mulets
qu'il est question dans lepassage d'Aulu-Gelle cité plus haut.
Voy. le PRAEF-VEHICVL-A-COPiSAVG PER.-VIAM
FLAM1N1AM 1 CENTENARIO, etc., c'est-à-dire ,'préfet de laposte
pourle transport des troupes par la CM jf'Yam:):M; aux
appointementsde
iooooo sesterces" (Orelli, n. a 6 ~8); on sait que cet emploi fut exercé
par Macrin avant son avénement à l'empire (Dio Cass. LXXVIII, n )
'C!'OÔS~Sf T0f5 TOS Seë~pOU U~~CtO'i TOtS T))!' MttTa: T~f <PXct~[~t~;OH' 6SAf
3tcf~ouo';f streTŒ Cf. l'inscription de T.~ppsMM ~t~KMs &e:<M~tM~
qui fut PRAEF.VEHICVL, aprèsavoir été
~?~p?-«e/e<o de la flotte
prétoriennede Ravenne et avant d'être p!'ocMra<o~ c'est-à-dire gouverneur
de lapetite province équestre des ~M~<:c<<Mt<M (Orelli, n. aaa3;
cf. notre Ge'og't'. ~M<. ef a~M. de la Gatt~fo?~ t. I, p. 71, note 3); celle
de Z. Bft<'&tM.<7!<):CMM.!qui fut PR.AEF VEHICVLORVM, après avoir
commandé, en qualité de praefectus, une aile de cavalerie auxiliaire et
avant d'être nommé ~MfK~'ciM ~g'yph, c'est-à-dire assistant du gouverneurou
~<te/ec~!M /lfg'(: (Grùter, p. SyS, n. ). ). Cf. encorel'inscription, ligo-
rienne, il est vrai, mais seulement interpolée, de L. M!<Mt:M~<?m:7MKM.<
(vov.L. Renier, Me7. f/'eyj!g')' p. aa~t). Les praefecti ceAMM/orKm appar-
tiennent toujoursà l'ordre équestre.
Grùter, p. D\ct[, n. 3.
M.. p. \ctt. n. ~).
/f/W.
E. DESJARDINS.62
toutefois df's textes où ce terme se trouverapproche
des mots
;'c/«cM~. ('«~MS~K~CM~,etc.
Mais ilimporte, pour
lapleine Intelligence du sujet,
de
définir d'abord le termede J~oma, qui
se rencontre lié souvent
aussi à celui de tabellarius. Lapremière
dénnition du mot J:-
~~o??Mdans Forcellini, K LtMcr~e
~H'MM~saut HMg'<Hs, quibus
M~M!~a&Ki' eoHce~Mr, est beaucoup plus
exacte, dans les
termesgénéraux
où elle est ici renfermée, quecelle
quien
forme lecomplément
restrictif KjRtCM~as M~Hf~ :K itinere cMt'~M
~M~!co, oMacet M'echo ~tCt~Mr. Le terme
diploma,sous la
Répu-
blique déjà,a eu des
acceptions très-différentes; ils'applique,
tantôt à unsimple jMs~oW,
tantôt à une lettresignée
des
magistratsde Rome ou des
proconsulset
propréteursde
pro-
vince. donnant assurément degrands privilèges, qui
devaient
se résumer en un mot droit deréquisitions
illimitées~
Sousl'Empire,
ce terme conserva desacceptions
variées:
ds'employait pour désigner
letémoignage
écrit d'une conces-
sionimpériale.
Néron donne undiplôme?'
de droit de cité à
deséphèbes pour
avoir bien dansé lapyrrhique~.
Dans la
confusionqui
suivit la chute de Néron, les consuls donnent
C'est bien le sens qu'it faut lui attribuer dans deux passages de Cicé-
['on dans le premier (~K'Ma., VII, xn), il écrit, l'an 45, àAmpius,
ennemi de César, en butte à despoursuites et ne demandant qu'à quitter
fitaiie en toute sécurité Diploma .;?<:?? Hon est <(Mm. Ilespère pouvoir
l'obtenir de Pansa .peree~eWfe;'se aMa~o'MM diploma. Ci~ cet autre pas-
sage (Epist. ad ~K:e., X, xvu), écrit en Ag, avant laguerre de Pharsale,
à Atticus, qui s'était formalisé de ce que son ami lui avait demandé s'it
avait son diploma fDe diplomate admiraris, quasinescio
cujus te uagitiiinsimularem. Negas enim te reperire qui
mihi id in mentem venerit. Ego
ttutom, quia scripseras te proncisci cogitare (etenim audieram nemini
aliter licere); oo te haberc censebam, et quia pueris diploma sumpseras.
Habes causamopinionis meae. B
Il est bien évident que,dans sa
haranguein Pisonem ( xxxvn), lorsque
Cicéron reproche au g'onverneur de la Macédoine toutes les exactions aux-
quellesit s'est livré et qu'il ajoute M!'Mof&'p/oMa~!of<! Mp~'ot'MMMpaMMK
~< il nepeut s'agir,
comme dans les deux casprécédents,
d'unsimple
passeport, mais bien de toutes lesprérogatives
attachées à l'eMctto, et
quele
passagede Caton, cité
plus haut, nous fait entrevoir ~Moamici
MM ?/M~Ms pccMMMx c<!pcy'Nt<. C'est la même faveur entraînant les mêmes
abus seulement le motdiploma n'est pas employé par Caton.
Suétone. A'cro. ~a: ffDipiomatacivitatis RomanaBobtutit.)! Cf.:W.
t~.5..
LES TABELLARM. 63
;'t des Kesclaves publics qui portaient à Galba les décrets du
Sénat, des diplômes revêtus de leurs sceaux, et ces diplômes
parurent sullisants pour queles
magistrats municipauxde
toutes les citésque
traversaient ces courriers missent à leur
disposition des voitures, des chevaux, et facilitassent les relais;
Nymphtdius, le préfetdu
prétoire, s'indigne quece
privi-
lège de signer les diplômeslui ait été ravi'. Il faut recon-
naître cependant que le sens leplus généralement adopté
sousl'Empire
est celui qui entraine les prérogatives les plus
étendues aupoint
de vue du cursuspublicus
et donne droit à
l'evectio, c'est-à-dire droit de disposer des voitures et des che-
vaux. Coenus, ancien affranchi de Néron, trompeles Vitelliens
sur l'issue de la bataille de ~eJn'acMm en leurapportant
la
fausse nouvelle de la victoire d'Othon, et cela dans l'espoir
depouvoir
utiliser les diplomata revêtus du sceau de cet em-
pereur, qui n'avaient plus de valeur du jour de sa chute, et
de se faire transporter rapidementet sans frais Rome~. Il est
probable queles gouverneurs de provinces recevaient de la
chancellerie impériale cesdiplômes
en blanc etqu'ils
les rem-
plissaienten y ajoutant le nom de
l'empereur régnant et leur
propresceau
On sait que Trajan, qui s'estoccupé
deréorganiser
laposte
))npénalc\ f!t, autantqu'il le put, cesser les abus qui résul-
taient de ce droit des gouverneurs deprovince, légats
oupro-
f'onsuls, de délivrer desdiplômes
donnant l'e~c~o.'Pline le
consulte à cet égard et se justifie presqued'avoir usé de ce
privilège, dans saprovince
de Bithynie et de Pont, pour trans-
Ptntarqne, Galba, V!H, 3 Tc5f 3'uTrsTmr ofxsrcts S~oo-ious
'S'pO~StptO'a~~fMf T<X§6-y~MtTCtKO~f~,0!)TŒSTM<MTOKp<XTOptxat T6fXKÂOU-
MSMÏ §fTr/.M~O:T(X0'eo')?~C(0'~fO! §OfTM!~ & ~fmpf~OyTSS oi KCtT<X'STU~.t~
M~OfTSS S!' TCttST&)f O~OXTMf Œ~OtSïtS ë'TnTa~fOUO't T<XS'STpOWOjMretSTM!' ~p6t~C:T!700pMf, Ot3~ETptMSCt'yct~aXT~O'Sf[Nf~~tSiOs], X. T. A.
Tacite, Hist. 11, 5~ n-Causa fingendi fuit ut diplomata Othonis,
quae nee'iig'ebantur, laetiore nuncio revaiescercnt et Coenus, qnidem rapidein Urbem vectus, etc.
M. Cluvius Rufus, gouverneur d'unc des provinces d'Espaa'ne,en 6g, ne sachant lequel des deux partis embrasser, de celui d'Othon ou
<[ece)ni de Vtteiiins, t'dtptomatibns nnHnm principem praescripsisset.
(Tacite, Ii, 65.)Aurel. Victor. /);' C~MM. ~'7y;.7r<M< xm, 5.
E. DESJARDINS.6~t
mettre à l'Empereur lui-même les dépêches fort urgentes du
roi Sauromates'. Ces diplômes étaient envoyés de Rome et
n'étaient valables que pour un temps; aussi Trajan se faisait-il
un devoir d'expédier les nouveaux bien avant que le délai des
anciens fût expirée C'est en tremblant que Pline confesse au
maître qu'il a pris sur lui de donner un diploma à sa femme,
partie précipitamment pour aller auprès de sa grand-mère, qui
venait de perdre son mari. Avant d'en venir à cet aveu, il a
soin de dire s Usque in hoc tempus, Domine, neque cuiquam
diplomata commodavi, neque in rem ullam, nisi tuam, misi 3.n
C'est une précaution oratoire. Les chefs militaires qui rejoi-
gnaient leur corps ne pouvaient faire usage des chevaux du
CM~MS~M~&cMss'ils n'étaient munis d'un diplôme en quittant
Rome on se rappelle Pertinax, le futur empereur, alors simple
tribun légionnaire, forcé par le légat de Syrie de se rendre à
pied d'Antioche au camp, parce qu'il avait voulu user du
cursus ~M&~cMssans être en règle à cet égard
11 existait un bureau dans la chancellerie impériale pour
l'expédition de ces diplômes, soit que l'Empereur les délivrât
directement, soit qu'il en fît expédier aux gouverneurs de pro-
vinces pour qu'ils pussent les employer, mais on'vient de voir
avec quelle discrétion. Nous trouvons, dans les inscriptions, un
affranchi qui s'intitule a f~fMKa~Ms °.
Nous avons vu que les prestations en nature pour les voi-
tures et les chevaux furent supprimées par Nerva il semble
donc que les frais du cursus publicus dussent être supportés par
Ptine, Epist. X, xtv (éd. de Mommsen, LXtv).M. ibid. X, Lv (Momms. xLVt).
Id. !'&!f/.X, cxx) (Momms. cxx).
Capitoiin, Per<M.r~ i fA praeside Synae, quod sine dipiomati-bus cursum usurpaverat, pedibus ab Antiochia ad tegationem iter facere
coactus est.~ Cf. Modestin. ap. Diffest. XLVIII, x, a?; Ventt!. !'&
XLV, t, 87; Sénèque, De clem. I, x, 3.
Muratori, p. DCOCLXxxv,n° Mo~c (ex Oonio)
T-AELIVS AVG-LIB
SATVR.NINVS S
A DIPLOMATIBVS
SARDONYCHI
ALVMNO
FIDELISSIMO
LES TABELLARII. 65
7)
le fisc. Il est à croirecependant que,
sousTrajan,
ils le furent
par les magistrats se rendant dans leurs provinces, puisque
Hadrien les en exempteen
imputantau fisc la
dépensede la
t'e/M'cM~o cette mesure fut renouvelée par Antonin et par
Septime-Sévère~. Ce n'étaientpas
seulement les courriers de
profession, mais aussi. les soldats porteurs des nouvelles du
camp, quiavaient le
diplomaet jouissaient de l'evectio ou du
~M'sMS~M~'CMs. Macrin, après sa défaite, déguisé ensimple
soldat, ayantfait couper sa barbe, se fit
transporter à travers
toute l'Asie Mineure pourse rendre
d'Aegae,en Cilicie, jusqu'au
port voisin de NIcomédie\ A l'époque de Maximin, le service
des relais du cMrsM.!~M~'cMs
était si bien faitque
la nouvelle
de la mort de cet empereur parvint d'Aquiléeà Rome en quatre
jours~.
De cet ensemble de textes il résulte: i"que, des diverses
acceptionsdu terme
diploma,la
plususitée était celle
qui sup-
posait l'evectio, c'est-à-dire le droit de disposerdes voitures et
des chevaux de laposte impériale, soit à l'aide de la réquisi-
tion, cequi
eut lieujusqu'à Nerva, soit aux frais du fisc, ce
qui eut lieu depuis son règne; a" que les dépenses des relais
furent à la charge des porteurs de f/OM:a<<! sousTrajan;
.3"qu'Hadrien
et ses successeurs imputèrent cettedépense
au fisc, quise trouva dès lors avoir a sa
charge l'entretien des
relais et les déboursés courants du service, etqui
dutpour-
voir au transport des personnages officiels, mesure qui paraît
Spartien, /Mr. y rrStatim cursum Bscaiem instituit ne magistra-tus hoc oneregravarentur.~
Tel doit être du moins, selon nous, le sens de la phrase de Capi-tolin (/iM<o)tMKMP<M.~la): ~Vehicuiarium cursnm summa ditigentiasuHevavit.
Spartien, Sept. Sev. </) r.-Quum se vellet commendare hominibus,
vehicutariutn mnnus a priva'tis ad fiscum traduxit." H semblerait, d'aprèsce passage, que les particuliers, et non plus seulement les personnagesofficiels, eussent joui de la faculté d'user, en certains cas, de la vehiculalio,sous Septime-Sévère.
Xiphilin, LXXVIM, 80 efs Af~asT~s KfÂtx;o!SsA~Mf o~);~ctT&)fTeSMTŒS0!X,MS X<X~0'7pCtTf&)T!7STtS TM~ Œy~eAta~~pMf, C&fëTT~O' KCit
StS~Aao'e'StA T)?SK<XT7Tro!SoX(CtS,K. T. A.
5 Capitolin, Duo Maa'MMM', 25: fr.nuntius. tanto impetu, mu-
tatis animaiibus, cucurrit, ut qnarta die Romam veniret."
E. DESJARMNS.66
.s'être étendue, sous Septime-Sévère, aux particuliers, sans
doute par une extension abusive des concessions de diplôme;
~t"nue les abus attachés au privilège du diplôme sous la Ré-
publique et surtout dans les provinces, abus qui pouvaient
entraîner des réquisitions illimitées en naiurq et en argent,
n'avaient pu exister, comme Fa très-jndicieussmeni. fait ob-
server M. Naudet~, qu'en raison même de l'absence de tout
service régulier; 5° que ces mêmes abus avaient fait place,
lors de la création du nouveau service, sous Auguste, à une
réglementation judicieuse dans l'octroi des diplômes par la
chancellerie impériale et dans la fixation des privMègcs qu'ils'tonnaient aux porteurs: 6° que les concessions de Ncrva. la
sévère administration de Trajan, les libéralités d'Hadrien et
de Scptime-Sévère durent amener une telle complication dans
le service, que l'administration des postes, sous les Antonins,
connée aux prae/ech~MM~Mm et à leurs agents, prit un dé-
veloppement exceptionnel2.Parmi les textes relatifs aux diplomata du CM~~sp:tM:'eK~ il en
est quelques-uns qui associent le privilège attaché aux diplômesà la mention des <a6eH<!rMporteurs de dépêches nous les rappel-lerons à leur date dans le chapitre suivant. Mais ces textes nous
permettent, dès à présent, de comprendre que c'était au di-
plôme lui-même, et non à l'importance de la personne qui en
était pourvue, qu'était attaché le privilège, puisque nous voyons
des anranchis et même des esclaves publics jouir des mêmes
avantages, quant à la fe/Hc~a~'o, que les magistrats et les plus
hauts personnages de l'État.
Deux inscriptions, dont il sera parlé plus bas, nous pré-sentent le nom tabellarii associé au terme Jt~OMM; il est pro-bable que celui de J~onMM'KM, qui figure sur l'un de ces monu-
Op. c:'<.p. 1~0 et suiv.
C'est, en ef!ët, de l'époque des Antonins que sont datdes !B plupartdes inscriptions que nous possédons touchant ce service ceues de Mura-tori (p. Mxxn', n° A), d'Oretti (aaaS), de Gruter (cccmxn],'n°/i); ceHc
de L. MMM:'M~e?M'&aKtM(voy.L. Rcmer, AMj~'e~t'. p. as& et suiv.),relatives aux p~e/ec<t M~'cM&o'MM;celle des auranchis_M. M~H~ CresceiM
et <M.C&M!M&:(t<)'KMMtS,t'un <:&ce/K'cttKs,et l'autre t:_so)KMe)~MM~e/K-
CM~ortfM(Cruter, p. ~cn, n" &); enfin celle du tabularius a vehicillis (id.
p. o\cn, n"3).
LES TABELLARII. 67
tm'nts', nes'appliquait qu'aux courriers, et cela se comprend
aisément, puisqueles <aM&M~ de
l'Empereurdevaient être
pourvus en tout temps, c'est-à-dire d'une façon permanente,
(te leur<MoMM~
sans doutepour
se faire reconnaître au mo-
ment où tes dépêchesleur étaient livrées, et pour pouvoir,
au
besoin, requérirta ~/MCM/a<!o; il en résulterait que f~oMMn'M~
nedésignerait pas
indistinctement tous les ~e/~n~ mais ceux-
la seulement qui étaient attachés à laposte officielle, et nous
verrons bientôtqu'il y
en avait d'autres, malgré l'opinionsou-
tenue par M. Mommsen.
Sous le bénéfice des observationsqui précèdent,
il ne nous
resteplus qu'à étudier la question
des tabellarii, dégagéede
tout cequi regarde l'administration générale des postes, les
~N/CMM~<et la t'e/HCM~O.
III
Nous avons vu qu'avant Auguste,il n'existait
pasde service
ofliciel régulier, etque,
sous laRépublique,
il y avait trois
et peut-être quatresortes de tabellarii ou
porteursde
dépêches
et de lettres 1° ceux quiétaient aux ordres des magistrats,
et dont les stations, en Italie du moins, étaientespacées
le
long des grandes voies; 2° les tabellarii desentreprises pu-
bliques, confiées à de riches traitants qui avaient les fermes
de l'Etat, tels que lespublicani
ou conductores del'impôt;
3° les courriers desparticuliers,
véritables domestiques fai-
santpartie
deteur/amt/M,
et ~° peut-être les tabellariipublici
qu'une agence spéciale Jouait aux particuliers pourun
temps
ou simplement pourun voyage,
Quant à ceux que l'Etat mettait à la diposition des magis-
trats, soit en Italie, soit dans lesprovinces, ils avaient un
caractère certainement officiel, et c'était pour eux qu'étaient
faites les stationes le long des routes. Ces stationes constituaient
de véritables relais de courriers. C'est dans ce sens qu'il faut
entendre cette phrase du De belloHispanico au
chapitren
t')!?KM/OMe<7MOr/~<e//ar:S'~ ~M! « Ct!. Pomper ~.KMS!<!omnibus locis
Cf. ForceUini, à ce mot. Le seul exemple cité daus son Ze.rMOMest
tiré de cette inscription. Voy. la planche jointe' au présent travail.
5.
E. DESJARDINS.68
c.~cM~ quicprhore?)t CM.
Po~Me!:(M~de Caesaris
aJ~M~M~cp/t~.Il semble, d'après cela, que ces relais dussent être
perma-nents ils l'étaient certainement en Italie, comme cela ressort
del'inscription
de Fan i3a relative à la~Mj~:?M!. Mais Ia~
disposition de ces stations de tabellarii devait être plutôt tran-
sitoire dans lesprovinces,
en ce qu'elle dépendait des besoins
et était exclusivement soumise aux ordres des proconsuls ou
despropréteurs pourvus
d'un gouvernement provincial.
Examinons d'abord les renseignements fournis par les textes
classiques; nous verrons ensuite ceuxque renferment les do-
cumentsépigraphiques.
§ 1.Lorsque
laposte impériale
fut crééepar Auguste,
le
service des courriers de l'Etat reçut nécessairement un caractère
de nxité et de régularité quiest nettement
marqué parle
pas-
sage déjà cité de Suétone. Il estindubitable, pour
nousque
ces yMtWMesdisposésmodicis HUo'M~s
permilitares vias ne sont
autres que des ~Mar! Les mots qui suivent, fMi'KC M/M'CM/a
disposuit [Augustus], n'impliquent nullementque
les relais de
courriers à pied eussent cessé d'exister, mais cela signifie que
l'onemploya pour
lesdépêches urgentes les voitures et les
chevaux. 11 ne faudrait pas croire non plus queles deux ser-
vices, bienque simultanés, fussent irrévocablement séparés.
Nous pensons,au contraire, que, pour
les cas exceptionnels
et peut-être même pourles
dépêches courantes de la haut 'e
administration, on autorisa les ~:M~K., qui* n'avaient été
jusqu'alors quedes coureurs à
pied, ce~npe~e~ statores (termes
synonymes de ~cHant dansCicéron),
à faire usage de la
oeAtCM~tM, et il est évident quec'est à cette époque
surtout'
qu'ils durent être pourvus, quelques-uns d'entre eux du
moins, d'une façon sans doute exceptionnelle, puis, plus
tard, dénnitive et permanente, d'un (~<MM!à eux concédé
dans cette fin.
Un passagefort curieux de
Xiphilinnous
prouve. que, par
suite d'une tolérance quine
pouvaitavoir un caractère géné-
rai, ces faM&n'K, courriers de l'Etat, sechargeaient
aussi des
correspondances privées. M ressort en effet de ce passage que
Vo\. p)ns haut, p. 59. note ).
LES TABELLARII. 69
A'ëron, ayant employé exclusivement les <a~e//an: ypx~otTo-
<popo<, à porter partout la nouvelle de la mort de ses nom-
breuses victimes, ces funèbres messages leur donnèrent tant
d'occupation que letransport
de lacorrespondance privée
demeura pourun
temps suspendu
Le texte de Plutarque citéplus haut 2, et
quiest relatif
auxmessages
adressés par les consuls à Galba, aprèsla mort
de Néron, nous fait voir des esclaves publics, o'xsïcM <~oo-/o<,
convertis, pourla circonstance, en ypa~aT-ofpopot (mot
dont
la traduction en latin par le terme ~c/~nt ne donne lieu à
aucunecontestation), accompagnés d'une escorte militaire et
pourvusde
diplômes exceptionnels,intimant l'ordre aux ma-
gistrats municipaux de faciliterpartout
lapromptitude
des
relais de chevaux et de voitures.
Ce texte donne lieu à plusieurs remarques
1° Ces esclavespublics
ne sontpas
des ~e~rKréguliers:
'2° ils vont eux-mêmes jusqu'à destination; 3° ils ont avec eux
des soldats pour fairerespecter,
non leurpersonne, mais les
diptômessceHés du sceau des consuls, ~7rAM~<xT<xo'so'~<xo-~sy<x;
~° ces soldats devaient êtrepris
nécessairement dans les
cohortes urbaines, quiobéissaient au
~rae/ec<M~ ~j sans
doute d'accord avec les consuls; puisque leBrae/ec~prae~o~o~
Nymphidius,s'irrite
queles
diplômesn'aient
pasété revêtus
(te son sceau à lui, o'(ppo~s, et qu'il n'aitpas
été invité à
fournir l'escorte militaire, o'7pctT<MTOt<.Elle n'était donc pas
composéede soldats pris parmi les cohortes prétoriennes. Sa
colère et son dépit, o~ ~eTp;s ixyfXfou~o-sf, se conçoivent
d'ailleurs, car onpouvait croire qu'il y allait, pour l'auteur
(te la bonne nouvelle, non-seulement de la conservation
d'une hauteposition
et des faveurs du nouvelempereur,
mais
du salut l'événement le montra bien.
Plutarque emploie,dans le récit de la chute d'Othon 3, pour
Xiphiiin(DionCass.), LXIII, 11 AtgTps~o~yap ~pet~aTo~opot,
~Sef Ct~O StŒOfTM !7()Ti T<)fSsiXT!XTe<!)ef,Ô3s T~!));XS~. É~ yàp
S~ TM!)~a<Tt~.H[&)fypcf~i:tT&)f, o6§~f f§t&jT;xof Ste'Tre~'n'sTo. Il est bien
dif!iciie de. considérer tSf&j'nKOfcomme désignant les autres correspon*dances officielles.
Voy. p. 63, note i.
0</<o, n'. i.
E. DESJARDINS.70
un cas presque semblable, -il s'agit des nouvelles apportées à
cet empereur des progrès de Vitellius, non le mot deypa~fx-
To<?~po<, mais celui deTrrspo~po~ sans doute pour mieux mar-
quer la rapidité du message.Le cas de CoeKws~ –,cet ancien affranchi de Néron qui
utilisa les diplômes périmés d'Othon, pour se faire donner la
fe/KCMMo, n'a rien à faire avec la question des <aM~rH.
Cet exemple prouve seulement que les ~t~onîa~ étaient dé-
livrés à des personnes de toute condition et non pas seulement
à des magistrats et à des porteurs de dépêches.Mais le service public des ~e&~K, organisé le long des
routes pour le transport des messages officiels, n'empêche nul-
lement l'existence simultanée des courriers de~publicains; et,
bien que nous n'ayons aucun texte qui les mentionne, comme
nous en avons de très-nombreux qui nous font connaître les
vastes entreprises des fermiers de l'impôt, il est indubitable
queles conductores avaient, comme sous la. République,
leurs
~e~arM. Quant aux tabellarii des particuliers, les textes abon-
dent pour établir leur existence. Pline a-t-il a envoyer a Spar-
sus, un de ses amis, le manuscrit d'un de ses discours, il attend
qu'il ait trouvé un &~e~:n'MS diligent et sûr~. 11 ne peut s'agir
ici que d'un courrier se chargeant de dépêches particulières,attendu que Pline n'exerçait alors aucune magistrature. C'est
donc sans aucune raison que M. Mommsen croit qu' Kil n'y
eut sans doute jamais sous l'Empire d'autres tabellarii que les
tabellarii ~Mg-Ms~. Bien différent du premier est le &:ManM~
que Pline envoie à Trajan du fond de la province de Bithynie
et de Pont, pour porter les lettres du roL&K(r<M~M;, en
facilitant la rapidité de sa course a l'aide d'un. diplôme 4. Voicidonc un texte qui nous montre le <sM~M'!MS de profession
pourvu du diploma ce/M'cM~&'onM,que n'eurent jamais, bien
entendu, les fa&eKan't des particuliers.Le &:&e~!f!Ms n'était pas toujours un esclave ou un anranchi
Voy. plus haut, p. 63, note a.
Pline, Epist. VIII, m ~Communieattjm'us tecum [ol'auonem] ut pri-n)nm diiigeutem &!M(M'!MNmvenero.M Cf. :M.~ xn.
Nerme.s'j 1866, p. 3~a.
X, X[v (éd. Mommset), xm) t.iGStuiauoncm tabcl-
~<H, quemad te rum epistolis misit. diplomate adjav).
LES TABELLARII. 71
c'était souvent aussi un soldat. ~~eHtMs, qui devint consul, puis
préfet de la Ville sous Macrin, avait eu les débuts les plus
humbles II avait passéde
l'emploide
~ecM~oret
d'e~orafor
dans lagarde prétorienne
à celui de <a6eMa?'K< Ils'agit ici
d'un soldat qui, après un certaintemps
de service,. devient
courrier civil, et non d'un soldat transformé, par exception,en
porteurde dépêches et
pourvu,en cette
qualité,d'un diplôme
de~e/MCM~a&o, comme nous avons vu quecela se pratiquait pré-
cisément à la mêmeépoque; témoin l'exemple de Macrin lui-
même 2 il est vraique Xiphilln emploie, dans ce passage. le
terme <xyys~t<x<popos et non celui de ~pK~o!To<popo?.
Ces renseignements tirés des textes classiques vont se trouver
complétéset éclaircis
parle
témoignagedes
inscriptions.
§ 2.– Les monuments épigraphiques nous font connaitre
une certaine hiérarchie et nous révèlent l'existence d'une admi-
nistration régulière dans le service des courriers. Outre ceux de
ces monumentsqui
concernent lessimples
~e~M civils et les
~M~M'ca~t'eH~ affranchis ou esclaves, pourles
dépêches
de l'Empereur ou de l'Etat et pour les grandes administrations
publiques (<<T~e~<!fMex
o~cto aHKOKae, par exemple),nous avons
des chefs du bureau ou de la station des courriers (~?'aepos!<ï
/a&eMar!'orM!K, ~rae~o~tabellariorum s~'OMt's vigesimae AereJ~a-
~Mm)et un adjudant, ce qui prouve que
les courriers étaient
embrigadés et militairement enrégimentés, comme nosagents
Inférieurs des postes, des télégraphes et des chemins de fer;
nous connaissons en effet unoptio ~M/anorMm~a~Mom!,
K ad-
judant des courriers du domaine privé et héréditaire des em-
pereurs.»
Pour commencer parles
simples <a/'e//arK,, il nous sera per-
mis de dire, à notre tour, un mot de la fameuse plaquede
bronze en forme de miroir, c'est-à-dire pourvued'un ficbet
(voy.la
planche), quiest
aujourd'huiconservée au Musée na-
tional deNaples. Ce précieux monument provient de Rome3;
Xiphilin (Dion Cass.), LXXVIH, i~ sf TOts 3i<)w7etfsTs
JtCftSpeM~/TStS ~S~<C!'<?opop~KOTCt,XNt T~f Sf OtUTOtSTCt~ff ~.S~.O<Tr<)T6t,
M Te Tous 'ypcf~ŒTO~'opou? Te~o'ow'ro!
Vny. plus ha).))., p. 65, Hôte A.
Voy. Muratot'i, p. ~xv, n" i 'r~o~Mp. ;M<6~./o/t. ,/oM/)/<~aM~
E. DESJARDINS.7l!
il a été gravé dans l'ouvrage de Gasp. Aloïs. Oderici e 5. 1
et souvent publié depuis tors~, sans avoir jamais été, selon
nous, bien compris. Cette plaque de bronze, gravée des deux
côtés, porte les deux inscriptions suivantes, qui n'ont évidem-
ment aucun rapport entre eUes
1
THOANTIS
TI-CAESAIUS
AVGDISPENSATOKI
5 ABTOR.IS
à
DESTATIONE
CAESAR.IS-AVG
TABELLAIUS
5 DIPLOMARI
DISCEDE
Il importe, avant tout, de remarquer que la forme des carac-
tères et l'ornementation qui décore ces deux faces sont très-
différentes et' ne semblent pas dues à la même main; nous
ajouterons même que les a (A, À) et les m()~) de la seconde
ne peuvent appartenir au i" siècle et difficilement même au
n°, étant plutôt caractéristiques du ni' S'il est impossible de
méconnaître le nom de l'empereur Tibère dans la première,Ti. Caesaris ~(~-Msh), II est certain pour nous, au contraire,
que les noms Caesaris ~Mg~MS~)de la seconde désignent sim-
plement un empereur quelconque,et doivent se traduire par
ces mots cde l'Empereur 3. M La première doit se lire et se
traduire ainsi ~(O~MMM ou statio) Ty~MK&'s~(servi) ?~'et':t)Caesaris ~Mg'Mh, ~e?Ma<of!'(s) ab tons. (OSicIne ou bureau)de Thoas, esclave de l'empereur Tibère, préposé au service des
lits de table". C'était donc l'indication ou l'enseigne placéesur la porte d'une espèce d'office, près des salles de festin,
dans le palais de l'empereur Tibère, à Rome.
L'autre inscription, gravée au revers, doit se lire: tt Des~s-
MKM.Cette copie est inexacte et porte TOBISpourTOR.IS la S~ligaode ta première inscription.
Di'MN'~fMKMet C~tOMMMMHt aK~MOtH:C(K&tveler. M:~C)' t. IV.
Muratori, loc. cit.; MorceHi, De ~!7o M~c?'.& I, p. ~tai (inexac-te)nent);'0re!)i, a~iy; Mommsen, N., p. 3g5, n° 6ao3 (cf. ?*)'-me. 1866. p. 343-3&~t); Forcellini, a~~oc. T~BE~~fMj etc.
Cette observation nous a été suggérée par un de nos auditeurs de
seconde année, M. René de la Blanchère.
Ton; est le coussiu sur lequel s'appuyaient les convives, et, pat'extension. tout le mobitier de la table des repas.
LES TABELLARIl. 73
<M)KeCaesaris ~4«g'(M~<<)~a~e~n') ~omar!(~) f&cef/e;" et elle
ne peut exprimer qu'une invitation adressée aux gens de ser-
vice ou auxpassants
KEloignez-vous du bureau réservé aux
courrierspourvus
dudiplôme (de la
poste)de l'Empereur.
Iiparaît
bien difficile d'admettre quecette
plaqueait
puêtre
employée simultanément pour deux fins si différentes et ait
séparé deux services dont lacontiguïté
ne serait guère com-
préhensibleil eût été, d'ailleurs, matériellement
impossible
que la seconde inscription, dont le but est évidemment de
débarrasser les abords du bureau des courriersimpériaux afin
queleur arrivée et leur
départne rencontrassent aucun ob-
stacle et ne souffrissent aucun retard, eut été placée de telle
sorteque
l'autre faceindiquât
l'accès de l'office de table. Si l'on
ajouteà ces considérations l'époque beaucoup plus
basse des
caractères employés dans la secondeinscription,
on conviendra
sanspeine,
avec nous, que cette plaquede bronze a servi à
deux usages très-dmerents et à deux époques distinctes; en
d'autres termes, qu'ona utilisé une ancienne
plaque,en la
retournant pour y inscrire un a~ au public, à l'entrée du
bureau des courriers, près de laporte
dupalais
d'unempereur
quelconque,au if ou au nr'siècle.
L'appendiceen fichet dont
cetteplaque
étaitpourvue
lui assignait un usage restreint
quia dû la faire conserver et la destiner
spécialementà être
fichée au-dessus d'une barrière de bois. On a dû cacher le
reversportant l'ancienne
inscriptionà l'aide d'une étoffe ou
d'un montant de bois. Quant à l'invitation adressée aupassant
de débarrasser l'accès du bureau, nous en avons d'autres
exemples non moins curieux. M. Léon Renier possède, dans
son cabinet, à la Sorbonne, une petite plaque de bronze qu'il
prend lui-mêmeplaisir,
enappuyant,
non sansquelque
malice, sur la dernière ligne, a expliquer aux importuns
qui t'assiègent trop souvent; aussi a-t-il eu soin lui-même de
la clouer sur saporte
FL XYST /'Y(~:M) .~(M)EX- P' P' LE ET ex ~(r:'M!)jt)(:7sn'&!M).Ze(g'<?)el
RECEDE recede.
'r Ici Flavius Xystus, des primipilaires Lis et va-t'en. Pour
(~ettcit)scri))tiou, qui provient; de Lantbèse.Hvef ses ~reviations. in))-
E. DESJARDIMS.7&
en revenir à la tablette de bronze du bureau des courriers, on
remarquera que les <<!&eMarMy sont qualifiés. de ~~omar!~ ce
qui prouve bien que l'usage s'était établi de pourvoir les tabel-
/srM d'un diplôme. Or, si ces courriers n'eussent_été que des
celeripedes, ou coureurs à pied, on ne comprendrait pas tout
d'abord la nécessité de les munir d'un diplôme dont la seule
utilité semble avoir été la prérogative de la !!e/KCM~t!'ogratuite.tt est cependant probable que les courriers à pied étaient
aussi porteurs de diplômes. C'est ce que semble prouver l'ins-
cription de Vitalis, récemment découverte dans le voisinagede Tunis, et dont Sidi-Mohamed, fils de Mustapha-el-Khasna-
dar, et neveu de l'ancien bey Achmet, a adressé l'estampageà l'Académie des inscriptions. M. Léon Renier, en la commu-
niquant à cette compagnie, à la séance du a 3 février 1866, en
a donné la lecture et l'explication, avec la merveilleuse clarté et
le savoir pénétrant qu'on lui connaît'. Nous demandons cepen-dant la permission d'en reproduire le texte ici
FL. ANTIGONAVITALIS. AVG. N.
D. M. S TABELLARIVS
VIVIT- ET- CONVIVATVR VIVIT ET CONVIVAT
DVM SVM VITALIS ET VIVO EGO- FECI- SEPVL CR.HVM~c).
ADOVE MEOS VERSVS DVM TRANSSEO PERLEGO ET- ]PSE- (~e).
DIPLOMA- CIR.CAVI TOTAM REGIONE. PEDESTR.EM-c).
ET CANIBVS PRENDI LEPORES ET DENI QyE VVLPIS.
POSTEA POTIONIS CALICES PER.DVXI- LIBENTER.-
MVLTA IVVENTVTIS FECI QVIA SVM MORITVRVS-
QVISQVE SAPIS IVVENIS-VIVOTIBI-PONESEPVLCRHVM(~'c)-
M. L. Renier a fait sur lessept lignes
ou versqu'on
vient
de lire toutes les observationsqu'ils peuvent suggérer;
nous
nous arrêterons seulement aux mots Vitalis,/lMj(MS~ K~os~i)
~e~<!?'!KS.qui
nousparaissent désigner
«un esclave de l'Em-
sit.ces a la bonneépoque, révèle, en outre, sa basse origine (dmv" siede)
aussi bien parla forme des lettres que par l'existence du service des
pn'MM/M~ devenus des espèces de sous-intendants chargés do &urnir le
blé aux troupes.
CoMpte~ !'eM<~Msde Mcnf~wie f&'&inscriptions et &cH<'s-&'Mt'M, i8C6.
nouv. sprip. t. H.p. ~y-5t.
LES TABELLAM. 75
percur qui est courrier, et non « un courrier del'Empereur
quiest esclave. La nuance a
quelque importanceici. Le mo-
nument a été trouvé prèsde Carthage; et il semble que ce
Vitalis ait exercé son métier ou rempli son service de ~eMartMs
en Afrique. D'où il résulte qu'iln'aurait
pasété du nombre de
ces courriers dont le bureau était auxportes
dupalais impé-
rial, à Rome. Onpeut concevoir, en effet, que l'Empereur
ait eu, dans les provinces,des esclaves pourvus
d'unemploi
dans laposte
officielle et qui étaient destinés à voyager toujours
dans le mêmepays,
les courriers de toutl'Empire étant
défrayés par le fisc. Mais l'intérêtprincipal
de cetteinscrip-
tion est dans le troisième vers
Diploma circavi totam regione pedestrem,
queM. Renier traduit « J'ai parcouru, en portant des diplômes,
toutes les contrées où l'onpeut
aller àpied.
HM.Wilmanns~ af-
firme qu'on lit sur la pierre DIPIOMA'CIR.CAVI- et il lit en
un seul mot, en rectifiant le texte J~oMMtCM'caM;, lecture que
nouscroyons préférable
à cellequi, par
la division de ce texte en
deux mots, obligeà sous-entendre, comme le
proposeM. Re-
nier, ferensavant diploma. En tout cas, nous croyons, d'après les
analogies et les observations exposées plus haut, que f~/oMM:
circavi, qu'onen fasse deux mots ou un seul, ne saurait signi-
fier que Vitalis Kportait
desdiplômes;
mais bienqu'il K voya-
geaitmuni d'un
diplômece qui lui aurait donné, d'après
ce quia été dit
précédemment,le droit, en certaines occasions,
de requérir la ~e/M'c'M~o; ce serait, en tout cas, une expression
équivalente à celle de ta&e~arîMsc~N/oM!ar<Ms
del'inscription
de
Naples. Mais, d'autre part,la fin du même vers, totam
reg'tOMe
pef/es~cM~,semble faire entendre que
Vitalisvoyageait toujours
àpied
il faudrait croire, en ce cas, quele
diplômeavait
une autre utilité, et que, pour les tabellarii coureurs à pied
qui en étaient porteurs,elle-leur donnait le caractère ouicie!
qui permettait de leur confier lesdépêches,
les faisait recon-
RMWp~t MMC)'./< H" 58().M. [ienier a parfaitement établi, à t'aide d'exemptes, que la suppres-
sion de Fw dans rM'iOMc, pn)))' )'iMieM~ était tolérée dans la poésiefacite de cette époque.
E. DESJARDINS.76
naître etrespecter partout, et leur
communiquait peut-êtreaussi certains avantages matériels, ce
quin'aurait
pas exclu,
bien entendu, le droitexceptionnel
à la ce~MM~o pour les
messages urgents. C'est dans ce sensque
M. Mommsen l'en-
tend le fh~oma, dit ce savant, K étant une lettre ouverte
adressée auxemployés de la
poste qui se trouvent sur lepar-
cours, pourattester le droit du
porteur àemployer la poste
impérialeet pour déterminer les limites de ce droit ce serait
uneespèce de~M'maM de voyage'.
nLe &{ccess!M qui figure dans une autre
inscriptionde
Naples2
était un esclave des deuxempereurs alors régnants, ayant
l'emploide <<~e~arM<s.
Si les textes nous ont fait connaître des tabellarii afirancbis
ou anciens soldats prétoriens, il faut avouerque les inscrip-
tions, ainsique
l'aremarqué
M. Mommsen, nous lespré-
sententpresque toujours
comme des esclaves. Seulement le
savant épigraphiste de Berlin, en généralisant son observation,
a perdu de vue lespassages
des auteursque
nous avonsrap-
portés plushaut.
Nous trouvons dans le célèbre calendrier d'Antium, fait à
l'usage d'un collège d'esclaves ou d'a8'ranchis, un certain
Princeps, qui était ~e~a~M~; ce nompropre, employé seul,
sansprénom
et sans eojnoMCH;, se rapporte évidemment à un
esclave. ~es<Ms, ~M/N~Ks exo~'cM am~oHae~ K courrier du ser-
Het'wcs, t866, p. 3~t3.
Motnmsen. 1. R. ~V. 63g5 (~e.!C!&:<)
-D-M'
SVCCESSVS AVqVSTO
R.VM TABELLARIVS AN"
-XXXV'o A
PEDISECVS -e- INIE BITE
SVA&-
M. Mommsen iit ~e/m:c<!M M: die t'!<f!e ~iMe (?). Le mot pc<~ec!M, pour
~e~MiM, signifie K valet de pied" et doit être rapproché de r~xpres-
siox qui figureau n° 6335 d'Oretti-Heuzen == 1356 de WiJmanus,
dans fequetnous
voyonsun certain E~e/M' CAES'N S(C<!MS~'M
Mo~r!) -PEDISEQVS 1 ST A TIONI. CASSTRESE.
UrfHi-Ht~uxen. 6~5.
LES TABELLARII. 77
vice de l'annone, )) est aussi un esclave de l'Empereur~. I) en est
de mêmepour
cet esclave de Domitien, le <a6e~nMs Placidus,
qui élève un monument à sa femme, laquelleétait une affran-
chie de la famille y<fr!a &~Mrn!Hr<
Mais, de mêmeque
nous avons vu ~f~eKhM~ passerde
l'emploi militaire de.~ecM~~or
à celui de tabellarius, de même
voyons-nousla fonction, sans doute
plus relevée, de ~eMsn'Ms
castreM~, courrier des dépêches militaires, Mremplie, non plus
parun esclave, mais
parun affranchi de
l'empereurClaudel
Fabretti, 7!Mo'. f:H< p. ~97, n. 2; cf. Wilmanns, n. i36/t
D M
FLAVIAE
COMINIAE
VIX ANN XVIII M VI D XX
FESTVS-CAES-N
TABELLARIVS
EX'OFFICIO
ANNONAES
CONIVGI
Lf mot coMM~ n'exclut nullement la condition servijf du mari
'Ore!)i-Henzen, 6358 (cornac):
DIS MANIBVS
TVRIAE'SATVR-NINAE
SORANAE
LIBERTAE FECIT
PLACIDVS
IMP'DOMITIANI-AVG
TABELLARIVS
CONlVGI'OPT!MAE
ET'PIENT!SS!MAE
Voy.ptus)iaut,p. 7 1, note j.
Orfiii, ~a~t<); Mommsen, 7./?. Witmanns, i35y (!<!<?)
T~ CLAVDIVS
AVG-LIB
PHILAR.GVR.VS TABELLAR
CASTRENSIS- SIBI ET
DOMITAE-PHILARGYRIDI (.<;c)
ET TI CLAVDIO IANVARJO
FiLlS'SViS'ET
CLAVD!AE PiTHVSAE LIB SVAE
ET-SVIS
POSTER.ISQVE EORVM.
Ë. DESJARDINS.78
Ces courriers descamps
devaient tenir unrang~ supérieur
a
celui des <a&e~afH civils, et uneposition
intermédiaire entr<*
ces derniers et lesaraeDos:& <~e~<H':orMM!, chefs du bureau ou
de la station des courriers ordinaires. Nous voyons, en effet,
un de cesK préposés porter,
autemps
de Commode, le nom
de M.M~'Ms M<MH't?tM~ ce
qui indique que,s'il
y avait eu
affranchissement, il remontait autemps
deTrajan~.
C'est un
simple auranchi, ~Mre~'as Alexander, quenous trouvons
pourvudu même
emploide
praepositus&:6eH<a'KH'MM:
pourle
servicespécial
desdépêches
dela Mg~'ma Acre~'MM~ c'est-à-
dire del'enregistrement
et de laperception
del'impôt
du
vingtièmesur les
héritages~.La teneur de
l'inscription qui
Ore))i. 1 g18 (F/orm~Me). C'est un autel à M~fO!
SOLI INVICTO MITRE
M-VLP-MAXIMVS- PRAE
POSITVS TABELLARI
ORVM AR.AM CVM
SVIS OR.NAMENTIS
ET BELA DOM!NI JNStGNIA HABENTES
N-'m!
VT VOVER.AT- D- D
Be&t sont des têtes de bélier sculptées; ~omMtM. c'est M~Mj le bélier
lui étant consacré; habentes estpour
/M&eKf:&Ms; ~dfsm c!tm suis of)M<-
MMfM, t?< bela, ~o?~M: M~/o'se MM~KM Aa&e)t<&MS, numero ~MaMMor, ul
'off)'a< ~OKO<M<, on p!ut6t dedicavit, et la dédicace fait suite
ARA-POSiTA ASSTANTE SACERDOTE SEX (sic)CR.VSINA SECVNDO VT VOVERANT MAXIMVS
ET'MAXIMtNVS-FIL!- JMP-COMMODO'AVG-
PIO-FEUCE-'nn'-ET-VICTORtNO'!I-COS (t83).
C'est donc lepère, M. M~MMM<M'H?KM, le ~rsepoM~M faMa!o)'MM~ qui
f!eva faute) à Mithra, pour acquitter le vœu de ses deux fils, et la dédi-
cace en fut Faite, en i83, avec t'assistance du prêtre Sext. Grusina Se-
cundus.
° 0)'e))i-Henzen, n. 6568 (greniers du Vatican)
D MM AVR AVG L!B ALEXANDER
P-P-TABELL-ST'XX-HER-FEC-DONA
TO FILIO DVLCISSIMO ET S!BI
ET SVIS ET CLAVDIAE MACA
RIAE CONIVG! SANCTJSSIMAE
ET-UBERT-UBERT-POSTER- EORVM
La troisième ligne doit se !irf ~(r<:e)N(oM<!<s) <aM/(srMr:<m) s~(a<M)Hs)
t'ia'M;mne /<f'r(MH<<!<iKm). etc.
LES TABELLAMi. 79
nous fait connaître cepersonnage
et sonemploi
nepermet
pas de clouter qu'i! y eût des ~e~M' spéciaux pourle service
de la Mjes<MM AcreJ~h'M/K; et que, sans avoir des bureaux
particuliers,ils fussent attachés au bureau ou statio de la
perception de cet impôt. Il devait en être de même des autres
services des contributions, comme la douane oùoM~rog'e~Mm
6'aH?a?'M?K,/ihM!e, etc.; comme l'impôt sur les affranchissements,
Mg'MMM ~erMM, etc. Mais quand les impôts étaient affermés,
il est évident queles ~M/af: devenaient, comme sous la
République,les
<aM~!?'M'pM~c<!HorMm,des courriers au ser-
vice des concluctores ou fermiers, c'est-à-dire au service d'une
entreprise privée, qui avait, il est vrai, traité avec le fisc im-
périal,mais
quin'en devait
pasmoins avoir à sa
chargeles
frais de sacorrespondance
et de ses courriers.
Nous rencontrons enfin un grade au moinségal
à celui du
Braf~o~MS ~M/anorMn~ sinon plus élevé c'est celui de Kl'optio
(adjudant)des ta~/am du bureau des redevances du Patri-
moine, Mc'est-à-dire de cette partie du domaine que l'Empereur
tenait de sa famille et qu'il possédait avant son avènement à
l'empire1. Cet
emploiest confié à un affranchi de la famille
~to'e/M~ et le monument, jusqu'à ce jour unique, qui nous le
fait connaître, nous révèle l'existence de <a&e~ni spéciaux
Orelli-Henzen, 635g;cf'.Witmanns, ~353 ( trouvée sur la via Appia);cf. ~MM/<AMh'< i85a, p. 311
HOC CEPOTAPHIVM AV)'
INACHI AVG LIB OPTIOtt
TABELL ARIORVM CTAt (.s'tc)
PATMMON 'E AVRELIAE
MACARIAN ET!C' ET
AVR.EUAE RODOGYNE
ET LIB -,B LIBER.TABVs
Q~VAE POCTER.tCQ~ (s!e)
EORVM'
On rencontre, dans cette inscription,des s
figurés parle C lunaire
des Grecs; lespoints séparatifs y
sont malplacés;
elle doit se lire Hoc
c<?~o~/i:M?K ~M~'(e/M)] /Kac~ ~Mg'(~f:') lib(erti), opho~)] ~&e//(sn'o-
rum) ~f<(MMM)] P<:<nM!0):(M'), e< ~4!<re&se Afc!c<!fM?te< e< ~Mre&ae Rodo-
g')M(f~),e< Me)'<M
/!&e?'~&:<~]~M[e~ po.<efM<~[!{e]eor~tM.
Cepo<f<p/KMmn'est
pas synonymede M!:o<ap/tM<M il
désigne,non une sépulture vide,
c'est-a-dirc nnfrcënotaphe'), mais un tombeau entouré d'un jardin.
E. DESJARDINS.80
pour leservice des domaines de l'Empereur et attachés, comme
ceux de !avigesinza.,
au bureauparticulier
de laperception
et
de l'administration du patrimoine personneldu
prince.
En résumant l'ensemble des données fournies par les textes
et les documents épigraphiquessous
l'Empire, depuis Auguste
jusqu'à DIoclétien,–car telle est la limite chronologique que
nous avons voulu assigner à cette étude nous dironspour
conclure i"quele service des tabellarii, courriers porteurs
de dépêches, reçut, de l'organisationdes
postes impériales
sous Auguste,une réglementation t1xe qu'il n'avait pas aupa-
ravant a°qu'ils
avaient des stationes ou bureaux, véritables
relais sur toutes les routes militaires; 3°qu'ils
n'étaient établis
que pourles
dépêches ouicielles, etque
les frais nécessites par
unpareil
service étaient supportés parle fisc; A" que
ce n'était
que parsuite d'une tolérance exceptionnelle qu'ils pouvaient
se charger de dépêches privées;5°
queles {aM&H de l'Em-
pereurou de l'Etat se distinguaient en diverses catégories,
selon les différents départementsadministratifs domaine,
enregistrement, annone, etc., ce qui n'empêchaitnullement
les entreprisesdes fermes de
l'impôt,ni même les. simples par-
ticuliers, d'entretenir des courriers à leurs frais.; 6°que
des
courriers exceptionnels,militaires ou civils, ingénus, aSran-
chis ou esclaves, pouvaientêtre envoyés, chargés de messages
extraordinaires eturgents,
etqu'ils jouissaient des mêmes pré-
rogatives que les ~a&e~arK de profession, en vertu d'un diploma
qui leur était délivré à titreprovisoire
etpour
une durée
limitée: y° que les tabellarii impériaux furent pourvus de ce
(Motna. mais à titrepermanent,
et que le diploma leur donnait
le droit de requérirla M'/MCM/a~o et les jumenta dans les relais
de laposte
aux chevaux, pour activer lestransports
de certains
messages urgents; 8° que ces diplomata devinrent, par la suite,
Pour i'époque suivante, on peut consulter le mémoire de M. Naudet
sur les Postes romaines, mémoire auquel nous avons en déjà l'occasion
t)c renvoyé)' souvent, non que l'on y trouve des renseignements spé-ciaux sur les &tM<H'M, l'auteur s'étant occupé, dans le cadre plus )arge
qu'i) avait choisi, de l'ensemble du service de la poste; mais les espritsfurieux estimeront sans doute que ces deux questions, dont t'une est em-
hrassRp par t'autre. peuvent être considérées comme inséparabies.
LES TABELLARII. 81
t!
unsigne
de reconnaissance et comme lamarque
distinctive de
l'emploides tabellarii de
l'Empereur,soit qu'ils fissent usage
de la t'e/KCM~o~ soit qu'ilsfissent leur service à
pied;si bien
que le terme diplomarii leur fut appliqué comme complément
de celui de tabellarii; 9° queles tabellarii de la poste impériale
étaient, d'ordinaire, des esclaves de l'Empereur, sauf toutefois
les ~eMarMeas<reKMs, porteurs de dépêches militaires, qui ap-
partenaientd'ordinaire à la classe des affranchis ou même à
celle des ingénus, étant souvent des soldats ou d'anciens sol-
dats i o° queles
~raepos~t tabellariorum, ou chefs des bureaux
de courriers, étaient naturellement d'un ordre plus élevéque
lessimples courriers, et
qu'ils étaient pris,en
conséquence,
dans la classe des liberti ou des libertini, ainsique
leso~h'OHM
ouadjudants
des courriers.
6.
LÉGENDE D'ALEXANDRE
CHEZ LES PARSES,
PAR JAMES DARMESTETER.
Il ya deux Alexandre, celui de l'histoire et celui de la lé-
gende.Celui-ci est le seul qu'ait connu l'Europe du moyen
âge, et le seul quel'Orient ait
jamaisconnu. De son vivant
déjà,la légende avait commence elle s'était formée, au fur et
à mesure de ses courses et de ses conquêtes, dans l'imagina-
tion ébranlée de ses soldats. Alexandre avait voulu être dieu,
il l'était non, il est vrai, comme il l'avait rêvé, fils deJupi-
ter Hammon, conçu des embrassements duserpent mythique;
homme parsa naissance, homme
parsa mort, mais au-dessus
de l'hommepar
sa vie.
Souvenirs historiques, agrandiset déformés, fables et
contes flottant dans l'imagination orientale et recueillis au
passage par l'imagination grecque, quiles fixait sur le nom de
son héros, tous ces éléments vinrent se combiner dans le
Pseudo-Callisthène, sous la main des rhéteurs d'Alexandrie.
Ces contes, traduits, abrégés, paraphrasés en vingt langues,
allèrent, durant, des siècles, émerveiller lespeuples d'Europe
et d'Asie, d'Ecosse en Arménie, d'Espagne en Syrie, du ma-
noir féodal du baron français à la tente du nomade arabe.
Héros populaireen
Europeet en Orient, Alexandre fut et
il est, en Perse, un héros national.L'orgueil iranien refusa-de
voir unconquérant
dans sonvainqueur
et fit couler dans ses
veines le sang royal des Kéanides. Le Pseudo-Callisthène avait
montré la voie rédigé en Egypte, dans la cité d'Alexandre,
il avait fait du héros macédonien l'héritier des souverains
d'Egypte,le fils du roi magicien Nectanebus. Alexandre de-
vint, en Perse, !p fils de Dârâb, roi des rois. Dârâb, vainqueur
LA
JAMES DARMESTETER.8&
du roi de Rourn, Filiqos, lui avait imposé tril)ut et reçu sa
fille en mariage; il la renvoya le lendemain de ses noces,
mais elle était enceinte, et mit au jour un fils, qui fut élevé
comme fils de Filiqos jusqu'au moment ou il fut en âge de
revendiquer ses droits d'héritier contre un frère putné, né
d'une autre femme, Dârâ (le Darius de l'histoire). La victoire
d'ïskander n'est donc point l'écrasement d'Iran par Roum,
c'est le passage d'Iran d'un maître légitime à un autre non
moins légitime ce n'est point un Roumi qui usurpe le trône 0
de Djemshid, c'est un Kéanide qui succède à un Kéanide
tt Hier au soir, dit l'Iskander de Firdousi, quand il rencontre
Dârâ mourant, hier au soir quand des vieillards m'ont apprisla chose, mon cœur s'est gonné de sang et mes lèvres de
plaintes. Nous sommes d'un'e même branche, d'une même
souche, nés dans la même pourpre pourquoi par ambition
détruire notre race~N Une bénédiction s'élève de la terre
d'Iran quand il monte sur le trône, car ses paroles sont toutes
de justice: il la fait régner sur toute la face dejfunivers, et le
désert se peuple et se féconde.
Les chroniqueurs lui donnent le second rang entre les
grands hommes de la Perse, entre les dix héros qu'on cé-
lèbre comme les phénix de leurs siècles, et comme des hommes
incomparables.); Fils de Dârâb, fils de Bahman, c'était «un
grand roi, sage et savant, possédant la science des vertus~
des simples. Il avait été disciple d'Aristote, qu'il fit son con-
seiller d'État, de qui il tint les principes, et à qui il fit écrire
l'histoire naturelle dans toutes ses parties. Il se rendit maître
de la Grèce, de la Chine, de la Tartarie et des Indes 2. nCette tradition nationale n'est pourtant pas spontanée.
M. Spiegel a montré que la légende d'Alexandre, telle qu'elle
paraît en Perse, est d'origine étrangère et n'a rien de com-
mun avec l'épopée purement iranienne Il sumt de lire le
ZtM-cdes Rois, éd. MoM, V, p. 88, v. 3/ta.
Chardin, Foya~-M,d'après une chronique inédite (~d.Lenglès, VU!,
at6).3Nousn'avons pu nous procurer le premier ouvrage de M. Spiegel
sur la tégende d'Alexandre (Leipzig, i85i); mais il a repris le sujetdans ses Antiquités iraniennes, '!l, 582 (Leipzig, i8y3); c'est à ce der-nier ouvrage que nous renvoyons.
LA LÉGENDE D'ALEXANDRE. 85
récit de Firdousi, en faisant abstraction des épisodes musul-
mans, pour y reconnaître un écho fidèle du Pseudo-CalIis-
thène. On a d'ailleurs le témoignage direct de la plus estimée
des chroniques persanes,le
.~o~MM7-M<-yeHMt'!AA.« Les phi-
losophes grecs ontbeaucoup
de traditions sur la sagesse, les
discours et le tombeau d'Alexandre; elles ont été traduites
en arabe, et Firdousi en a mis unepartie
en vers Donc
dans cettepartie
de son œuvre, Firdousi ne suitpas
ses sources
ordinaires, les balladespopulaires,
les contes des Dih-kans,
les récits du Livre des Souverains ce ne sont pas des voix
iraniennes dont ils nous fait entendre, comme dans le reste
de son livre, le lointain écho.
Cependant,tout en reconnaissant
quela légende persane,
sous sa formeclassique,
est étrangère et non nationale, peut-
être faut-il admettre qu'à tout le moins le nom du héros s'était
maintenu vivant dans la pensée populaire,de sorte
quele
jour où les récits grecs s'introduisirent en Iran, ils éveillaient
des souvenirs lointains, maispuissants
la Perse aurait-elle pu
reconnaître en lui un héros national, si elle l'avait oublié tout
entier et avait dû rapprendre son histoire à une source étran-
gère ? Une croyance nationale ne s'importe pas du dehors et
doit avoir germé dans le sol même où elle croît; n'est-ce pas
parce quela Perse se
rappelait Alexandre, parce qu'elle l'avait
admiré et aimé, qu'elleaccueillit avec tant d'enthousiasme les
récits du dehors qui parlaient de sagloire? N'est-ce pas parce
qu'ellen'avait jamais séparé
son nom de sapropre
histoire
qu'elle put les rattacher si étroitement l'un à l'autre dans la
suite? Cette continuité de la légende, ou du moins du souvenir,
il estimpossible de l'établir directement, il est impossible de
prouver que le nom d'Alexandre était resté un nom populaire,en Perse à travers les douze siècles de révolutions
politiques
et religieuses qui séparentsa mort de l'instant où la légende'
s'offre à nouspour la première fois et
déjàformée de toutes
pièces. Mais il est une branche de la famille Iranienne, de-
puis longtemps séparéede la famille, qui
a conservé un sou-
venir direct, semble-t-il, duconquérant ce sont les Guèbres
ou Parsis. c'est-à-dire les derniersreprésentants
de lareligion.
J. Moh[, Z,n)/'e~M~o!~ préface, xux, n.
JAMES DARMESTETER.86
qui régnait en Perse quand parut Alexandre. Ce souvenir rap-
pelle bien peu celui qu'il a laissé en Iran le héros admiré
là-bas est à Bombay un tyran exécré et maudit. Mais cette
différence même semble un indice que nous avons là une
source Indépendante, et il importe de la remonter aussi loin
qu'il sera possible.
II
«Je n'ai rien trouvé de plus sensé dans les enseignementsdes Guèbres, écrit Chardin, que le mal qu'ils disent d'Alexandre
le Grand. Au lieu de l'admirer et de révérer son nom, comme
font tant d'autres peuples, ils le méprisent, le détestent et le
maudissent, le regardant comme un pirate, comme un bri-
gand, comme un homme sans justice et sans cervelle, né pourtroubler l'ordre du monde et détruire une partie du genrehumain. Ils se disent à l'oreille la même chose de Mahammed,
et ils les mettent tous deux à la tête des méchants princesl'un pour avoir été lui-même l'instrument de tant de malheurs,
comme sont l'incendie, le meurtre, le viol et le sacrilège;l'autre pour avoir été la cause, l'occasion. Ils connaissent assez
que leur perte vient de ces deux usurpateurs, Alexandre et
Mahammed; en quoi ils ne se trompent pas 1. o
Le Père Gabriel de Chinon, qui avait visitéles Guèbres de
Perse une vingtaine d'années avant Chardin~, nous fait con-
naître les raisons de leur haine. Zoroastre avait rapporté du Ciel
Ksept livres de Loi que Dieu envoyait à ces peuples, pour être
dirigés dans le chemin du salut; sept autres; qui contenaient
l'explication de tous les songes qu'on pouvait avoir, et septautres où étaient écrits tous les secrets de la médecine et tous
les moyens possibles pour se conserver longtemps en parfaitesanté. Ils disent que, quand Alexandre le Grand soumit leur
pays, après leur avoir fait une cruelle guerre, il envoya les
quatorze livres qui traitaient de la médecine et de l'explicationdes songes en Macédoine, comme une rareté qui surpassaittoutes celles de la nature, et, voyant qu'il ne comprenait rien
Chardin, VIII, ~78.Vers i65o.
LA LÉGENDE D'ALEXANDRE. 87
de ce qui était écrit dans les sept autres, où était écrite toute
leur- loi, et quemême ils étaient écrits en une langue qui
n'était entendue que des Anges, il les fit brûler. Après sa
mort, quifut une juste punition de sa témérité et de sa ma-
lice, leurs docteurs, qui s'étaient sauvés ducarnage
et avaient
fui sur les montagnes pourconserver leur vie et leur religion,
se rassemblèrent, et, voyant qu'ilsn'avaient
plusde livre,
en écrivirent un de cequi
leur était resté en mémoire de ceux
qu'ilsavaient lu tant de fois
Les témoignagesécrits venant des Parsis mêmes confirment
les renseignements du Père de Chinon. ~Des vingt et un
Nosks de l'Avesta, disent les Rivaets, Iskander le Roumi fit
traduire en roumi tout cequi traitait d'astrologie et de mé-
decine et fit brûler le reste de l'Avesta (puisse l'âme d'Iskan-
der en brûler dansl'enfer!),
etquand
il eutpéri, les déstours
s'étant assemblés en conseil réunirent tout cequ'ils avaient
retenu de mémoire; ils écrivirent ainsi le texte complet du
Yasht(Yaçna),du Vispéred, duVendidâd, du Fravashi Yasht,
du petit Avesta, du Daroun, de l'Afrinagân, du Chidah-i-Vad-
jarkard et du Bundehesh. Ils n'écrivirent pas tout, parce qu'ilsne se
rappelaient pas tout ~.N'La conquête d'Alexandre fut
suivie, suivant leKissab-i-Sandjân~,
d'unelongue décadence
religieuse, àlaquelle
mit fin la dynastie nouvelle fondée par
Ardesbîr le Sassanide ~Sikander brûla les livres de la révé-
lation pendant trois cents ans la religion fut bas, et durant
tout ce tempsles fidèles furent
opprimés. Après cela, durant
delongues années, la vraie foi trouva
protection quand le
roi Ardeshtr eut pris le sceptre, la vraie foi se trouva rétablie
et son excellence reconnue à travers l'univers. Ces textes sont
récents; le dernier est de la fin du xv!" siècle, et cette tradi-
Relations nouvelles du Levant, Lyon, 167~, p. &36, sqq. Le passagea été presque littéraiement copié par les rédacteurs des voyages de Taver-
nier ;.seulement ils font périr Alexandre ffd'unehorriMe maladie.~
Anquetil, M~KOM'es f~ea~Mte ~M MMcr~<!<Mse< M/M-~«re~2 Anquetil, Mémoires ,/MM'M~ d'e
/s
des inscriptions et belles-lettres,
XXXVIII ~l 16; Spiegel Journal de la Société gerrnanique orientale, IX,
i~.
Récit en vers de rémigration des Guèbres; il en existe une traduc-
tion par M. Eastwick, dans le premier voiume du Journal of the Royal~Ma<c Society (Bombay &n:MeA), 18~, p. iya.
JAMESDARMESTETER.88
tion est en telle contradiction avec tout ce que l'on sait de
la politique d'Alexandre, que l'on a été quelquefois tenté de
voir là une confusion établie entre la conquête d'Alexandre et
la conquête arabe ce sont les méfaits des successeurs d'Omar
qui auraient été reportés au conquérant macédonien.
Rien en effet ne fut jamais plus étranger au paganisme an-
cien que l'Intolérance à l'égard des autres religions. Le fana-
tisme est le privilège des religions morales, qui, s'étant fait un
idéal élevé, et exclusif comme tout Idéal, poursuivent tout ce
qui s'en écarte d'une haine qui ne peut pardonnersans apos-
tasie. Le paganisme, avec son large Panthéon ouvert à tout
venant, vénérait les religions étrangères où il retrouvait ses
dieux, et en découvrait d'autres encore qu'il avait soupçonnéssans les connaître il savait bien que ses théologiens et ses
aèdes n'avaient point épuisé tout le domaine dn divin, et il
prêtait une oreille curieuse à toutes les voix, si étranges
qu'elles fussent, qui venaient lui parler du monde d'en haut.,
C'est surtout à l'époque d'Alexandre que commence à se faire
sentir cette soif du divin étranger, et nul moins que lui n'était
porté, par instinct comme par politique, à se faire le cham-
pion des dieux de la Grèce contrôles dieux du dehors Égyptienen Égypte, serviteur du Très-Haut à Jérusalem, il devait être
serviteur d'Ormazd en Perse. Au passage de l'Euphrate, il
sacrifie au Soleil, à la Lune et à la Terre; en Hyrcanie, il
sacrifie aux dieux du pays suivant les rites nationaux; au-
dessus des provinces conquises, il met des Perses de nais-
sance, par suite des adorateurs d'Ormazd, ou bien des Grecs
persisés, comme ce Peukastès, qui avait oublié les moeurs
grecques pour celles de la Perse. Les satrapes grecs qui ont
insulté la religion de leurs sujets ou les ont opprimés sont
mis à mort 1. Tous les historiens grecs s'accordent à nous
montrer Alexandre préoccupé d'entrer dans les préjugés de ses
nouveaux sujets et non de les choquer et de les combattre:
il savait qu'il avait plus à gagner à les flatter qu'à les détruire,
et que, pour recevoir les adorations comme roi des rois, il
n'avait qu'à faire appel à une religion qui faisait du roi un
dieu terrestre et de la gloire royale un rayon de la gloire cé-
Rhode, Di'e heiliffe &!g-ef/M ZeK~oM-M;,i8so, p. ao.
LA LÉGENDE D'ALEXANDRE. 89
leste. Ses soldats auraient moins murmuré s'il avaitper-
sécuté, et leurs plaintes, comme le dévouement de~ Perses,
prouvent qu'ilne fut
pointce
queles Parses
prétendent.
Ainsi en jugeait Firdousi Dàrâ mourant donne en'mariage à
Alexandre sa fille Roshanek(Roxane),
avec l'espoir qu'ellelui
donnera un filsglorieux, « qui fera revivre le nom d'Isfendiar,
quiallumera le feu de Zoroastre, qui prendra
en main le
Zend et l'Avesta, qui observera les sorts et le feu du Sedeh,
quihonorera le nouvel an et le
templedu feu, et Ormazd,
et la Lune, et le Soleil, et Mithra; qui de l'eau de la sa-
gesse lavera son âme et sa face, fera fleurir la coutume de
Lohrasp,et fera régner la loi de Gushtasl). Iskander
promet
d'accomplirles volontés du mourant'. Etant donnée la fidélité
ordinaire de Firdousi aux idées et auxpassions de la Perse
ancienne, son attachement profond aux souvenirs de la vieille
religion, sasympathie
mal dissimuléepour les Guèbres, il
semble étrange qu'il aitaccepté
de faire d'Alexandre unpro-
tecteur de lareligion
de Zoroastre, si les Guèbres de son
temps voyaient en lui un ennemi de leur foi. Mais siétrange
quesoit le fait, il n'en est
pasmoins certain, et peut-être
faut-il voir dans l'insistance même de Firdousi uneprotesta-
tion indirecte contre le rôleprêté
à Alexandrepar
les Parses
de sontemps
etpar
lagénéralité des historiens. Car la tradi-
tion citéeplus haut, si elle est très-récente sous sa forme pré-
sente, est infinimentplus ancienne que les textes produits, et
les plus anciens historiens musulmans, antérieurs à Firdousi,
prêtentà Alexandre absolument le même rôle que les Parsis.
Hamzahd'Ispahan, qui écrit vers 061, un demi-siècle avant
Firdousi, raconte que Dârâ ayant été tuépar
un de ses gardes,Alexandre
s'emparadu
pouvoiret versa à flots le sang des
grands et des nobles. Il tenait captifs et enchaînésy,ooo
des
plusnobles de la Perse, et
chaque jour il en faisait périr
vingt et un. A laprise de Babylone (~c), enviant la science
des vaincus, il fit brûler tous ceux de leurs livresqu'il put
saisir, et mettre à mort les mobeds, les herbeds, les savants
et les sages 2. Masoudi, qui écrit vers o~3, sait aussiqu'A-
ScA<!A-/V<MKe&V, p. go.Éd. Gottwatdt, p. 5, a8, :h du texte, p. t5, /t<, ~5 de la
traduction.
JAMES DARMESTETER.90
lexandre a fait brûler une partie de l'Avesta et massacrer
les nobles'. Ainsi les documents historiques les plus anciens
de la Perse musulmane s'accordent avec la légende parsie;
pour eux, comme pour elle, Alexandre est le destructeur et le
persécuteur de la religion de Zoroastre.
Ces documents, il est vrai, ne remontent pas au delà de
l'invasion arabe le plus ancien d'entre eux lui est encore
posté.rieur de trois siècles mais Hamzah et Masoudi travaillent
ici sur des documents guèbres ou remontant à la période
sassanide, de sorte que leur témoignage doit reproduire une
croyance qui existait déjà dans cette période. Or, il existe un
livre parsi qui très-probablement remonte au temps de la
splendeur sassanide et pour qui Alexandre est déjà un être in-
fernal comme il l'est pour les Parses modernes, le MMïoMA~:
le créateur du mal, Ahriman, voulait donner l'immortalité à ses
trois créatures les plus funestes, Zohak, Afrasyâb et Alexandre;
Ormazd s'y opposa, pour le bien de l'univers~. Un livre
pehlvi, de date incertaine, mais qui semble avoir appartenu
également à la période sassanide, 1' I~'rs~ décrit plus au
long les ravages d'Alexandre. ~Jadis le saint Zoroastre reçut
la loi et la répandit dans le monde; trois cents ans durant, la
loi fut pure et les hommes croyants. Mais alors, le maudit
Ahriman, le Mauvais, pour détourner les hommes de la foi,
suscitalemaudit Alaksagdar le Roumi, qui habitait en Egypteet qui vint porter en Iran la violence, la guerre, le massacre.
H tua les princes de l'Iran, détruisit là capitale et le royaume,
en fit un désert. Or, les livres sacrés, l'~pes~a et le Zend, qui
étaient écrits sur parchemin en encre d'or, étaient déposésdans les archives de Istakhar; et le malfaisant, le sinistre; l'im-
pie, le démon y fit venir le funeste Alaksagdar le Roumi,
qui habitait l'Egypte, et il y mit le feu. Et il tua les destours,
les juges, les herbeds, les mobeds, les docteurs et les sages de
l'Iran, et il sema la haine et la discorde parmi les grands et
les chefs de l'Iran, et, anéanti, se précipita dans l'enfer. »
La légende parsie peut donc se suivre jusqu'au cœur de la
Éd. Barbier de Maynard, II, p. ia5 ssq.Voir la préface de M. West à son édition du ~MO~M'e~ p. 1 h.Cb.vu!. 9g.
Éd. deHang-West, ch. i.
LA LÉGENDE D'ALEXANDRE. 91
période sassanide. D'autre part, si l'on considère que dans
tous les documents historiquesde la Perse, quels qu'ils
soient
d'origine, le caractère essentiel et dominant de la restaura-
tion sassanide est d'avoir été une restauration- nationale et
religieuse,il est probable que
ce n'est pas après coupet à
distance que leschroniqueurs
et les Parses firent d'ArdesMr,
Sis de Sassan, le réparateurdes désastres et
des-iniquités
d'Alexandre, maisque,
dans la réalité des faits, les choses
s'étaient passéesde cette façon, c'est-à-dire
qu'il s'était pré-
senté comme ayantla mission de
réparerles calamités politi-
queset religieuses causées
parle
conquérant roumi, et que par
suite Alexandre, aux yeux de lapartie fervente de la nation,
était le mauditdéjà
à l'époque où se fonda ladynastie nouvelle,
c'est-à-dire cinq siècles aprèssa mort.
Anquetil a émis une hypothèse quirattache directement
cette légende à un incident célèbre de la conquête d'Alexandre,
l'incendie dePersépolis K Comme Persépolis,
ou lepalais des
rois de Perse, devait renfermerbeaucoup
deprêtres
et de sa-
vants, des livres de tout espèce, et surtout ceux de Zoroastre,
peut-être le faitrapporté
dans le Rivaet du destour Barzou
n'est-il quecet incendie
queles docteurs parsis, pressés sur la
perte de plusieurs des anciens documents de leur religion,
aurontamplifié, pour
couvrir la négligence qu'on pouvait leur
reprocher1. n
Le début del'Ardâ-Virâf
confirmel'hypothèse
Alexandre
incendie la citadelle d'Istakhar, où se trouvait déposée toute la
littérature sacrée. Or, Istakhar est précisément le nompersan
dePersépolis. D'autre part, les Parses parlent souvent d'un
château édifiépar Djemshid, et où il avait construit
septou-
vrages merveilleux qui subsistèrent ~jusqu'au moment où le
maudit Iskander détruisit le palais or, les ruines de Persé-
polissont et ont été de tout
temps pourles Perses les débris
MemoM'Mde l'Académie des inscriptions, XXXVIII, ai y.
Comparer les mots de Hamzah Quant à ces contes des historiens
qu'Alexandre aurait fondé en Iran douze villes auxquelles it donna son
nom (suit rémunération). ils sont absurdes, car Alexandre était un des-
tructeur, non un constructeur. (Page/)4 t du texte, 'jii de la traduction.)Hamzah parle dans la même page d'un pont merveilleux jeté sur le Tigre
par Djernshid et détruit par Alexandre.
JAMES DARMESTËTER.92
d'un palais construit par Djemshid, et le paysan montre au
voyageur, parmi les ruines, son trône colossal. La destruction
soudaine de ce palais merveilleux auquel se rattachaient tant
de souvenirshistoriques et mythiques dut produire une im-
pression profonde sur l'imagination populaire, plus profonde
que la chute même de la monarchie. Il est des monuments
qui symbolisent tout un monde et où s'incruste l'âme d'un
peuple, et il est telle pierre dont la chute retentit plus pro-fondément dans les cœurs que le bruit des hommes qui meu-
rent, des dynasties qui passent, des trônes qui croulent. Long-
temps les prêtres de Zoroastre durent venir errer avec des
pleurs et des cris de colère à travers ces voûtes désolées, quiavaient abrité tant de splendeurs, tant de souvenirs des dieux
et des hommes, et où à présent rôdaient de nuit des yeux bril-
lants de bêtes fauves Mais la catastrophe de Persépolisn'aurait point suffi à transformer Alexandre en un persécuteurde la religion sainte, si la conquête n'avait été, en effet le
signal d'une décadence profonde du mazdéisme. Ce ne fut
point l'œuvre d'une persécution, mais du simple rapproche-ment de la Grèce et de l'Orient. Les deux esprits, en se ren-
contrant, s'éclairèrent et s'obscurcirent l'un l'autre. L'Orient
déborde sur la Grèce, et la Grèce sur l'Orient. Les idées et les
rêves de l'Orient absorbés au passage par la Grèce vont fer-
menter dans cette grande cuve alexandrine où vont se déposer,
plusieurs siècles durant, aux alentours du christianisme, tant
de précipités étranges.'Phénomène analogue en Orient. Euri-
pide est applaudi à la cour sauvage des Parthes de Séleucie,
et c'est au refrain d'un vers des Bacchantes qu'un acteur jettela tête de Crassus aux pieds de Huraodha l'Ashkanide~. Athéné
et Mithra se disputent le revers des monnaies des rois grecs de
la Bactriane. Le mazdéisme ne périt pas; les Arsacides sont
disciples de Zoroastre comme l'avaient été les Achéménides
avant eux, comme le furent les Sassanides après eux; mais
imprégnés d'hellénisme, leur dévotion fut, sans doute, plus
They say the lion and the lizard keepThé courts where Jemshid gbried and drank deep.
(Tableau de M. Rivière à l'Exposition de i'Acadëttue ruyaie
de Londres, iS'y8.)
Ptntarque, Crassus,xxxm.
LA LÉGENDE D'ALEXANDRE. 93
souvent nominale que réelle, et dut offrir des mélanges singu-
liers, et la puissance de l'aristocratie sacerdotale était tombée
avec le trône des Acbéménides.
Aux regrets qu'excitaitchez les Mazdéens fidèles le senti-
ment de cette décadence religieuse, se joignait chezbeaucoup
le regret de l'unité nationale perdue. C'est surtout dans lapro-
vince de Perseque régnaient ces sentiments c'était elle
qui
pendantdes siècles avait dominé l'Iran, et elle était à pré-
sent tombée au rang deprovince sujette; des princes de tribu
étrangère régnaient, quise donnaient comme héritiers de
Djemshidet de Dârâb, mais
quin'avaient
pointdans leurs
veines une goutte de sangkéanide. Le grand coupable, c'était
Alexandre, et à ce nom se rattachaient encore des souvenirs
sanglants qui ne devaient pas contribuer à en rendre chère la
mémoire aux habitants du Farsistan. Si le Macédonien avait fait
souvent ostentation degénérosité,
ce n'était pas là, et les récits
de massacres dontparlent
les historiens persans etl'~r~s-FM'a~
se trouvent connrméspar
les aveux discrètement rapides de
PlutarqueLa Perse est un
pays très-âpreet d'accès diffi-
cHe; elle était défenduepar
les plus nobles d'entre les Perses,
Darius s'yétant réfugié. Ji
yeut là un grand carnage des
prisonniers. Alexandre lui-même écrit qu'il ordonna le mas-
sacre, lecroyant
utile à ses intérêts Ces mots dePlutarque
prouvent que la page de l'/4r~s-FM'<est une page d'histoire.
Enfin, depuis quela Perse n'était
plusà la tête de l'Iran,
l'Iran était, ou paraissait aux yeux des Perses, plongédans une
irrémédiable anarchie. On racontaitqu'Alexandre,
au moment
de mourir, craignant quel'Iran ne vînt venger ses
injures sur
Roum, avait voulu mettre à mort les fils desprinces qu'il
avait fait massacreraprès
sa victoire; le rusé Aristote, son
premier ministre, l'avait faitchanger d'avis: il valait mieux
partagerl'Iran entre eux; en lutte
perpétuelle pourdéfendre
leur héritage l'un contre l'autre, ils nepourraient songer à la
guerre de revanche. Alexandre suivit ce conseil de là-les rois
des ~t&Ms, KMouiouk-ut-Tevâyif~, et l'anarchiepermanente
Alexandre, xxxvn; cf. Diodore, X.VII, yo.2
Firdousi, V, p. 2/[y ssq.; Hamzah, p. sg; Masoudi, <. c. t33.
L'~r~-F!'ra/'fait allusion à cette tradition Il sema la haine et la dis-
corde parmi les grands et les chefs de l'Iran.'?
JAMES DARMESTETER.9/<
Tels étaient les sentiments qui germaient dans la province
qui avait été, durant des siècles, le coeur et la tête de l'Iran
religieux et politique. L'esprit national s'y enflammait de
l'esprit religieux, et en retour servait à l'entretenu'; le dévot et
le patriote conspiraient dans la même œuvre; le mobed savait
qu'il ne reprendrait son ancienne influence que quand la
Perse aurait repris l'hégémonie, et les unitaires sentaient quela religion serait dans leur main l'arme la plus puissante, et
que c'était le seul lien capable d'établir l'unité. Ces idées trou-
vèrent leur représentant et leur champion dans la personned'Ardeshîr Babagan, de la famille des satrapes héréditaires de
la Perse, qui leva l'étendard de la révolte contre son suzerain
Arsacide et rétablit l'unité politique par la prédominance de
la Perse et l'unité religieuse par celle du mazdéisme.
Il suit de là que, s'il est probable que le passage d'Alexandre
avait laissé en Iran un souvenir heureux, capable à un mo-
ment donné de produire ou de favoriser le développementd'une légende héroïque et nationale, il est ~-pro~Me qu'ilavait laissé également, principalement en Perse, c'cst-a-dire
dans la partie vraiment nationale de l'Iran, un souvenir tout
différent, pleinement Justine, d'exécration et dehaine. Il s'était
donc produit en Iran un double courant de sens contraire le
courant hellénique ou étranger et le courant national; les uns
sont séduits par leur conquérant, par sa générosité, par la
sympathie qu'il marque à leurs mœurs, par les nouveautés de
la civilisation grecque; les autres, en Perse surtout, ne se rap-
pellent que Persépolis brûlée, les massacres qui ont signalé
l'entrée du conquérant dans leur province, la perte de leur
hégémonie. Les premiers sont tout prêts a accepter la légended'Alexandre telle qu'elle leur viendra des Grecs et telle que
peut-être eux-mêmes avaient dans le temps contribué à la for-
mer les autres en créent une eux-mêmes avec leurs souvenirs
et leurs ressentiments, ou, pour être plus exact, il n'y a pasici à parler de légende, il n'y a que des souvenirs historiques,
envenimés, mais fidèles en somme. Peut-être, si les documents
historiques étaient plus nombreux, trouverait-on qu'au fond
de cette divergence il y a une différence et une lutte de races,
que la conquête d'Alexandre fut la délivrance pour les uns et
l'écrasement pour les autres; les historiens persans attribuent
LA LÉGENDE D'ALEXANDRE. 95
souvent la victoire d'Alexandre aux fautes de Dârâ, à saty-
rannie, à la désan'ection dupeuple';
la division, en réalité,
fut, non entre le peuple et son roi, mais entre lepeuple
dominant et lespeuples dominés entre le Perse
conquérant
et lessatrapies soumises, et, pour employer
les termes mêmes
du premier Darius, entre «le peuple de Perses et les pro-
vinces, » le Parca kâra et les Dahyu 2; et c'est cette même cause-
qui expliqueà la fois et les succès étonnants des Grecs et la
formation des deux légendes,et
plustard les succès non moins
étonnants des Arabes et la chute sans retour de la religion
nationale.
La légende anti-alexandrine était infiniment plus dévelop-
pée qu'il ne semblerait d'après les maigres renseignements des
Parsis, et l'on en retrouve des débris là où l'on ne devrait
guère s'attendre à en trouver, dans les récits mêmes des chro-
niqueurset des poètes musulmans
quiont donné à Alexandre
un caractère de saintetéqu'il
n'avaitpas
dans la légende an-
cienne, etqui,
l'identifiant avec le Dhu-Iqarna'indu Coran, <de
prophèteaux deux cornes, ont fait de lui un saint
inspiréet
lecompagnon
duprophète Elie. Rien d'odieux comme le rôle
qu'il joue dans laChronique de Tabari. Alexandre
apprend quedeux conseillers de Ï)ârâ ont le
projetde tuer leur maître;
il leur faitpromettre des trésors s'ils réussissent. Ils
essayent
de le tuer dans la bataille, mais ne trouvent pas l'occasion
Alexandre est blessé et demande lapaix. Dârâ refuse sur l'avis
de ses deux conseillers; la lutte recommence. Alexandreeffrayé
prend la fuite, maispendant ce temps
lepoignard des assas-
sins travaille pour lui, et le fuyard se trouve vainqueur. Alors
ilpeut en sécurité, comme le César de Lucain, pleurer
et
vengerson ennemi, et les Persans, touchés de cette générosité,
l'acclament. Supposez un journal publié à PersépoHs après la
mort de Dariuspar
un des dibirs du roi; cette versionsceptique
n'yaurait
pas étédéplacée.
Le crime de Bessus venaittrop
àpropos pour ne pas éveiller les
soupçonscontre celui qui en
profitait, et nous avons là une version parallèle à la version of-
ficielle et classique des historiens et du Pseudo-Callisthène,
Tabari, trnd. Zotenberg, p. 5i~.
~Mn'MH de Persépolis, 1.
JAMES DARMESTETER.96
et qui peut-être n'est pas moins ancienne. Elle était si auto-
risée qu'elle s'impose, malgré les protestations de sa conscience,
à Nizami; son Iskander, un prophète, un serviteur du Très-
Haut, descendant d'Abraham, a quelque scrupule à accepterl'onre des satrapes; mais, comme général, il ne croit pas avoir
le droit de rejeter l'avantage que lui offre la fortune, et il en
profite. Il est plus difficile de savoir si ce que Nizami raconte
de la destruction des temples du feu remonte à une source
ancienne il a pu aussi bien lui prêter, comme prophète et
bon musulman, le mérite de cette œuvre pie que répéter les
plaintes des Guèbres.
III
Si la légende anti-alexandrine a pénétré la légende alexan-
drine, l'inverse s'est produit également. Les Parses ont connu
celle-ci, et l'ont transformée au gré de leur passion. De là le
curieux récit que les Guèbres d'Ispahan faisaient au Père de
Chinon sur la naissance d'Alexandre KIls ne le mettent pasau rang des hommes, crainte de faire tort à la renommée de
leurs héros, et dire avoir été subjugués par un qui fut du
nombre des mortels. Ils le font fils du démon ~t conçu parson moyen en cette manière
« Ils feignent l'aïeul maternel d'Alexandre avoir été tribu-
taire de leurs rois, et qu'ayant été sollicité par celui qu'ilsnomment Dârâb, qui est sans doute Darius, à lui envoyer sa
fille en mariage, pour en avoir entendu faire beaucoup d'es-
time, a cause de sa beauté. Il fut fort aise de cette recherche,
qui ne lui pouvait être que très-avantageuse, et plus hono-
rable. Ce roi ayant donc envoyé sa fille à ce Dârâb, le diable
en devint aussi amoureux; et s'étant transformé en un tour-
billon de vent, et d'une couleur aussi noire qu'on le dépeint,la fille fut enveloppée
dans ce tourbillon; ce qui la rendit fort
noire, et son ventre fort enflé. Elle fut conduite en cet état
devant Dârâb, roi des Gaures, qui perdit tout l'amour qu'ilavait pour elle, la voyant en cet horrible état. Il la renvoya
a son père, et aussitôt elle enfanta un monstre de l'enfer,
qui avait une figure hideuse, et surtout les oreilles d'âne. Ce
Fils fut nommé Alexandre, et vint ensuite en cette belle forme
LA LÉGENDE D'ALEXANDRE. 97
7
faire un horrible ravage dans toute l'Asie, où ils'assujettit
tous les pays, par une force qui n'eût pas été appréhendée
d'eux, si elle n'eût étéplus qu'humaine H est aise de re-
trouver les sources de ce récit bizarre lapremière idée est
tirée de Firdousi même. Dans le Livre des Rois, Dârâ renvoie
Nahid le lendemain de ses noces, parce qu'ail trouvaitque
son baleine était mauvaise 2. Cela devient unepossession du
diable, le~K~a~
étant un attribut et une création d'Ahriman.
On profitede l'occasion
pourrattacher
quelqu'un des mythes
dutype Borée-Oreithyia, avec moins de grâce, il est vrai, que
ne l'aurait fait unpoète grec. Enfin, les oreilles d'âne du con-
quérant sont la transformationhumoristique
des deux cornes
dont lui ont faitprésent
les Arabes en l'identifiant à Dhu-
Iqarnaïn,et si, comme on le croit généralement, les cornes du
prophètearabe dérivent des deux
rayons lumineux dont la tra-
dition rabbinique, d'après la Bible, faitresplendir
le front de
Moïse, c'est au versetsa
duchapitre
xxxiv de l'Exode qu'A-
lexandre de Macédoine doit d'avoir vus'allonger
ses oreilles.
Mais une autre action, d'un sens tout dînèrent, s'est exer-
cée dans les derniers siècles, qui tend, au moins chez une
partie des Parses, à les réconcilier avec la mémoire d'Alexandre.
Dans son livre sur les miracles de Zoroastre, Edal Dâru,
grand prêtre des Parses de la secte des Rasamis, absout
Alexandre de l'accusation élevée contre lui IIs'appuie,
dit-
il, sur letémoignage
du .F~<M-/V~MeA;, ouvrage qui aurait
été composé parun mobed du temps d'Ardeshîr, c'est-à-dire
environ ~t5o ansaprès
la mort d'Alexandre; sur letémoignage
du Dabistan, ouvrage postérieur à l'empereur mongol Akbar,
et du .S/~nstaM~ ouvrage analogue composé sous Akbar. Il y
a sans doute erreur pour le Dabistan; du moins le texte connu
enEurope par
la traduction de Shea etTroyer ne contient
rien de tel le ~M'<M-A~NMÂ aurait besoin d'être cité d'une
façon plus explicite pour que l'on sache la nature et la valeur
de son témoignage; enfin, le témoignage du )SA<M*Mt se ré-
duit, paraît-Il,à ce fait
quel'auteur du livre déclare avoir vu
Zoé. cit.
L<M*edes Rois, V, 5 y.
D'après Wilson, Jo!<r)M/ o/'<e Bombay /'?Y;)!e/i.RoM~~Mh'e Society,t, p. lys, note.
JAMES DARMESTETER.98
en songe Alexandre, qui lui affirma son Innocence. Cela ne
suffit pas sans doute à rétablir; cela suSit du moins éta-
blir qu'il y a dans notre siècle un Parse qui y croit, et peut-
être qu'il y en avait un au xvii" siècle qui y croyait. Mais si
les raisons d'Edal Dâru et de l'auteur du 6'Aan'~M ne sont pasbien décisives, ils pouvaient invoquer une autorité meilleure
que celle d'un songe, celle d'un livre qui aujourd'hui passe,chez les Parses, ou une partie d'entre eux, pour révélé, le
Dcs~M*; ce livre contient les prophéties des prophètes quiont précédé Zoroastre durant des milliards de milliards de
siècles et des prophètes qui le suivront; il est écrit dans une
langue que les hommes ne comprennent pas, mais accompa-
gné d'une traduction persane et d'un commentaire. Sylvestre
de Sacy a montré que cette langue, comprise de Dieu seul,
comme celle des livres que brûla Alexandre, appartient, en
réalité, à ce groupe de langues aHo~/H~e~ dont la langue de
~'a-fs est le type populaire. Quant au système, c'est un essai
de concilier et de combiner les idées del'IndeJbrahmapique,
de la Perse mazdéenne et de la Perse musulmane; le livre est
relativement ancien et remonte au moins au xyn" siècle. Or,
dans ce livre, Alexandre est un favori du Très-Haut, et à son
intention un livre a été révélé à Zoroastre. Quand les Iraniens
se rendirent coupables d'actes criminels, dont l'un fut la ré-
volte des deux ministres qui tuèrent Dârà, le roi Sikander, fils
de Dàrâ, roi des rois, petit-fils de Bahman, roi des rois, de
la race de Gushtasp, vint punir les Iraniens. A la fin, parl'ordre de Dieu, du consentement des mobeds, il inséra son
livre dans le Desatir. Ce livre est le livre inspiré que le pro-
phète Zoroastre avait demandé à Dieu d'envoyer ici-bas, afin
qu'Alexandre venu, les destours pussent le lui montrer et l'at-
tacher par là plus étroitement à la foi pure. Dieu, approuvantla requête de son prophète, révéla une partie de sa parolesous forme d'avis à Sikander, et le livre fut déposé dans le
trésor royal, scellé du sceau des destours. Quand Sikander
devint maître de l'Iran, Peridoukht Roushenek (fille de Da-
rius, femme d'Alexandre) lui remit le livre. Il en entendit la
lecture, applaudit à la sainte religion d'Abad, loua la gran-
deur de Zoroastre et la vérité de Dieu et recommanda aux
rnobeds d'incorporer le livre dans le Desatir. Sikander fit en-
LA LÉGENDE D'ALEXANDRE. 99
suite traduire les livres des Iraniens en grec, et de là dériva la
philosophierationaliste des Grecs »
Ce récit est la combinaison d'une idée musulmane et d'une
idée parsie. Aux Parses l'idée que c'est de leurs livres traduits
par Alexandreque
dérive la sciencegrecque;
les Parsis ne le
disent pas expressément,il est vrai, mais ils disent qu'Alexandre
a traduit leurs livres, et Hamzahd'Ispahan, qui
travaille sur
des documents parsis, nous apprend qu'il transporta en Occident
les sciences de l'astronomie, de la médecine, de laphilosophie
et de l'agriculture, dont il avait fait traduire les livres en grec
et enégyptien
il étaitjaloux de la science des vaincus, car la
science n'était cultivée nullepart ailleurs. Mais, d'autre part,
l'auteur du Desatir, trouvant unprophète Alexandre chez les
Musulmans, le tire à lui, ne veut pas le laisser en dehors de sa
religion universelle. Les deux légendes, l'alexandrine et l'anti-
alexandrine se fondent doncici mais auprofit
de lapremière;
la traditionparse
se noie et s'évanouit dans lalégende gréco-
musulmane. Ainsi, sa bonne fortune a suivi Alexandre jus-qu'au bout; la longue lutte engagée autour de son nom, de-
puis vingt et un siècles, parmiles descendants de Gayomert,
entre leparti étranger et le parti national, se termine enfin
par la victoire de l'étranger le Roumi est relevé de l'ana-
thème Zoroastre le revendique pour sien, et les flammes vont
s'éteindre dont il brûlait dans l'enfer.
77<eDesatir (Bombay, 1818, éd. Mulla Firuz), The &oo&o/e< the
projet Zertushi, §§55 ssq.
DE L'ANALOGIE,
PAR MICHEL BRÉAL.
Du cabinet où j'écris, la vue donne sur un magasin dont
l'enseigneest ainsi conçue
PARFUMERIE DES ÉCOLES
Après que Paris aura eu le sort des capitales du monde
antique,si cette inscription se retrouve et tombe entre les
mains d'unarchéologue,
elle le conduira peut-être à des hy-
pothèseserronées. Il
pourraêtre tenté de classer ce docu-
ment parmi ceux qui se rapportent soit aux institutions uni-
versitaires, soit aux habitudes des étudiants. C'est ainsique
dans lesinscriptions ëphébiques d'Athènes sont nommés les
~s~o~o<, et que certains textes mentionnent les dons
d'huila faits auxjeunes gens du
gymnase. Rapprochement
trompeur, quel'examen de la forme des lettres et la connais-
sance de notre état social permettraient de corriger aux Duruys
et aux Reniers de l'avenir. Au lieu d'un renseignement histo-
rique,nous avons ici un fait
grammaticalc'est
l'analogie quia
suggéréle nom d'une Parfumerie des Écoles, comme il
y
avait déjà une Papeterieet une Brasserie des Écoles, qui
doi-
vent elles-mêmes leur nom auvoisinage de la rue des Ecoles.
L'analogie ne dresse pas seulement ses pièges à l'histo-
rien elle estpour
le grammairien, s'iln'y prend gardé, une
cause perpétuelle d'erreurs. C'est elle qui fait, par exemple,
qu'en français certaines désinences grammaticales ont l'air
d'être mieux conservées etplus complètes qu'en
sanscrit. C'est
ellequi fournit à l'industrie des mots dont l'aspect extraordi-
naire nous laisse interdits, comme elle met dans la bouche
de l'enfant desparticipes que le
philologue n'eût jamais trouvés
de lui-même.
MICHEL BRËAL.102
L'analogie joue en grammaire le rôle que dans la société
a la Police, qui, prenant plus d'autorité à mesure que les Etats
s'assoient davantage, tend à faire entrer les actes de la vie
dans des formes constantes. Plus d'une fois nous pouvons re-
gretter son intervention car pour elle tout ce qui sort de'la
règle est suspect. Ne comprenant pas la cause des irrégularités
qu'elle pourchasse, elle donnera le nom de licence et d& dé-
sordre à tel usage plein de sens qui est un reste de la liberté
des anciens temps, et qui continue à entretenir des qualitésdont on constate la perte quand il est trop tard pour les rap-
peler, et sans s'expliquer pourquoi elles ont disparu. Si on
laissait faire l'analogie, les langues deviendraient plus aisées
a parler, mais elles achèteraient cet avantage au prix d'une
bonne partie de leurs Qualités elles deviendraient maussades
comme les grands chemins en ligne droite dans la plaine. J'ai
entendu, en ma jeunesse, de fortes têtes soutenir que l'Aca-
démie devrait débarrasser la langue des exceptions.Mais il y
a déjà assez de gens pour prendre le partidu grand nombre,
c'est-à-dire de la régularité. Là où il y a exception, il y a en-
core un reste de vie originale.Je voudrais, dans les pages qui suivent, donner quelques
exemples de l'influence de l'analogie sujet étendu et com-
pliqué, impossible à traiter ici d'une manière complète. II
nous suffira d'en avoir fait entrevoir l'importance.Prenons le participe français mordu. Si nous le comparons
au participe latin morsus, nous voyons qu'il s'est introduit dans
le mot une désinence nouvelle, car.morsus aurait dû donner.
mors. C'est ce qu'il avait donné en effet; encore au xvi" siècle,
Ambroise Paré écrit <tJe fus mors d'une vipère au bout du
doigt. Lorsque la partie morse devient purpurée, gloire ou
verdoyante. » Mais dès cette époque on commence aussi à dire
mordu, comme si le verbe latin avait été MMr~Mere., et le parti-
cipe morclûtus. C'est la forme qui a prévalu, portée et sou-
tenue qu'elle était par un grand nombre d'autres participes quiavaient déjà adopté cette désinence. Ainsi encore le verbe romprefaisait autrefois au participe roMp~, qui est le latin ?'Mp<Ms;au
xiv° siècle, Oresme dit aAdonques est l'amisté dissolue et
roupte. Encore au xvf siècle, les fractions, en mathématiques,
s'appellent les nombres roM~s. Ce participe a survécu dans le
DE L'ANALOGIE. 103
substantif route, qui marqueun chemin
qu'ona fait en rom-
pantla forêt et le terrain. Il subsiste aussi dans le
composé
déroute, ainsi que dans l'anglais raout, qui désigne une assem-
blée mondaine; ce mot, revenud'Angleterre
en France, est
d'origine française, puisque une route, dans notre vieux lan-
gage, désignait une division, unetroupe,
une bande(en
allemandrotte).
Leparticipe rompu, qui est d'ailleurs fort an-
cien, supposeun verbe rumpuere.
Des observations analogues pourraientêtre faites sur une
série d'autres verbes souvent un substantif, qui n'est pasautre chose
qu'unancien
participemasculin ou féminin, nous
a conservé le souvenir de l'ancienne forme. Qu'on veuille bien
rapprochermordu et mors, tordu et tort, pendu et poids (le d
est detrop),
rendu et rente, vendu et vente, tendu et tente, ponduet ponte, y~/M
etfaute,
on verra combien ces participes en
ictus, assezpeu nombreux dans la langue latine, ont
pulluléen français. Pour
s'expliquercette fortune particulière, il
faut chercher tout d'abord quel a été le point dedépart de
ces formes, ensuitequelle
a été la cause qui en a favorisé la
propagation.Ces formes en M<Ms se retrouvent dans toutes les langues
romanes il suffit de rappeler l'italien <M~M<<~MBMto~ valuto,
potuto. Déjà en bas latin Diezsignale,
dans des chartes du
vin° siècle, sterKMtMs au lieu de stratus, decernutum au lieu de
decretum, et, dans les lois des Barbares, <HceM~M<MH!au lieu de
incensum, pendutusau lieu
depeM~Ms. Si nous nous demandons
quela été le
point initial du mouvement, nous sommes ra-
menés, comme il arrive souvent en histoire, à d'assez faibles.
commencements. Nous trouvons, par exemple, le verbe sal-
vere, avec sescomposés resolvere, (lissolvere, absolvere; la
coexistence de deux formes solutus et so~Ms(d'où
le français.
f/MsoM~ N~soMs~ à côté de dissolu, a~so~M),a
pu contribuer à
familiariser les esprits avec l'idée d'un doubleparticipe.
Ily
avait, en outre, quelques adjectifs verbaux, comme ~t&M~M~
s<a<M<M~imbutus, dilutus, consutus. L'aîné de toute la famille
pourrait bien être le verbesequor, qui faisait déjà en latin
secutus, tandis que le substantif verbal sec~ la suite, le
cortège, avec le fréquentatif sectari, mMc<an/représente la
formation ancienne. Une circonstance qui a dû aider à la for-
MICHEL BRÉAL.tO~f
mation de ces participes, c'est la présence des parfaits en M:,
tels que M~Mt, uo~Mt, conui (cog'HO~), /M&M~ s«~M~ qui sem-
blaient appeler des participes en M~Ms.,comme les parfaits en
~t avaient à leurs côtés des participes en ~M$.
Dire que la grammaire a subi une déviation, c'est constater
le fait, mais non l'expliquer. Une intention plus ou moins
obscure a dirigé le langage. Les langues tendent à rétablir
l'enchaînement des formes grammaticales, là où il a été rompu
par l'action des lois phoniques le désir de maintenir une cer-
taine clarté dans la conjugaison et de laisser voir le rapport
qui existe entre le verbe et le participe ont été ici les causes
déterminantes. Entre rompM et rompre, tendu et tendre, ponduet pondre, le rapport est plus visible que si le participe est
/'o!< tent, post. C'est le désir instinctif de sauver une con-
sonne importante du radical qui a favorisé la propagation du
suffixe.
Remontons maintenant d'un degré et venons à la languelatine. L'e long des imparfaits en c~?K des verbes de la. troi-
sième conjugaison, comme ~g-~?a~ a beaucoup occupé les
linguistes: Bopp, toujours plus disposé à chercher l'étymo-
logie des désinences qu'a les expliquer par l'action réciproquedes formes existantes, a été jusqu'à soupçonner dans cet e
long la présence d'un augment. En effet, la désinence &am est
due à l'auxIliaire~MO, qui, à l'imparfait, dans une période re-
culée, a pu faire efuam, ebuam; l'e de l'augment, se mêlant à
l'e du thème legë, aurait donné la longue. Plus tard, Boppa
abandonné cette hypothèse; il suppose alors que l'e de ~cg'e&a~a été allongé d'une façon s inorganique pour donner au com-
mencement du mot la force de porter le poids du verbe auxi-
liaire annexe. Le mot « Inorganique sert souvent, en gram-maire comparée, pour expliquer ce qu'on ne comprend pas;mais heureusement dans le cas présent on n'est pas obligé
d'y avoir recours. Les imparfaits comme ~ea'e~stn ont été faits
à l'imitation de monebam, tenebam, dont l'e était naturelle-
ment long. L'action de l'analogie trouvait ici une aide dans
la présence d'un certain nombre de verbes qui sont à la fois
de la deuxième et de la troisième conjugaison, comme ~'ere,
~e~ere, /K~cre, s~ere. Ce qui prouve que la forme en c&aM
avait un penchant à sortir de ses limites et à se répandre sur
DE L'ANALOGIE. 1055
les autres conjugaisons, c'est que nous avons aussi audiebam,
capiebam,veniebam. H faut remarquer qu'à
côte de legebam on
a encore legërem, quoiqu'ici égalementun verbe auxiliaire
(le
verbe SM~) soit venu s'ajouter. Il est probable que la présence
de l'infinitif, dont la ressemblance avecl'imparfait
du sub-
jonctifse vérifie dans toutes les
conjugaisons,ainsi
que dans
les verbes irréguliers, a victorieusement combattu la force de
l'analogie.
En ce quiconcerne
/eg-e&<MK_,j'ajouterai quela troisième
conjugaisona
probablement adoptéen dernier lieu cette forme
d'imparfait composéc'est celle où l'ancien
imparfait (e~s~oy)
a dû se maintenir le plus longtemps, parce qu'il s'y formait
leplus
facilement.
Ceci m'amène à mentionnerl'opinion
d'un savantqui,
pour avoir méconnu la force de l'analogie, a émis des doutes
singuliersau
sujetde
l'originedes
imparfaitset des futurs
latins. M. le docteur H. Merguet, dans un livre intitulé D~e
E~M)!c~/MKg'der ~emMcAeM
ForM;eHMJMHg' déclare qu'il est
impossibled'admettre dans aMM6<!?M~ama~o~ la
présenced'un
verbe auxiliaire. En effet, àl'époque
où ces formes ont été
composées,nos
langues possédaient déjàun
système gram-
matical parfaitement développé depuis longtemps, les noms
avaient cessé d'êtreemployés
sans être revêtus d'une désinence
casuelle. C'est donc un substantifpourvu
de sa désinence, ou
un participe, qu'onaurait dû joindre au verbe auxiliaire,
et non un thème sans flexion comme a?Hs-. Ainsi(poursuit
M. Merguet)ont fait les
langues modernes, quandelles se
sont donné un futur ou unprétérit elles ont
pris l'infinitif
(<MtMre Aa&eo)ou le
participe (/:a6eo ama~MMt).Ainsi a fait le
sanscrit lorsque, voulant se donner un parfait péripbrastique,
il a combiné avec le verbe ~j'ai fait~ un substantif à l'accu-
satif M;<MKca~My~ «j'ai régné littéralement sj'ai fait règne n.Telle est l'objection qui
a été faite. A en croire quelques sa-
vants, lesprocédés
d'imitation lesplus simples, du moment
qu'il s'agitde
périodesrelativement récentes, auraient été
au-dessus du génie populaire,tandis
qu'onaccorde sans
peine«aux créateurs du langage les
conceptionsles
plushardies.
C'est le contraire qui est plutôt l'expression de la vérité le
peupleinvente peu, mais il imite et il combine. Les mo-
MICHEL BRËAL.106
dèles comme amator, amaturus, amans, sans parler de ama-
mus, amatis, fournissaient sans peine un thème anM~ d'après
lequel on a fait atnabam, Kj'étais amateur», amabo, «je serai
amateurs. On a été jusqu'à contester pour des motifs pareilsla présence du verbe SMmdans les formes comme dixi et ~s~.
Mais le présent, l'imparfait, les participes, les adjectifs et
substantifs verbaux mettaient constamment l'esprit en pré-sence d'un thème die ou Je<x, en sorte qu'il lui était moins
difficile de pénétrer jusqu'à ce noyau du verbe pour Je déta-
cher et le faire entrer en de nouvelles formations, qu'il ne l'est
à nos enfants de créer l'imparfait je courais à l'aide du verbe
courir.
M. George Curtius, qui, dans son livre sur le verbe grec,
critique l'exagération des idées de M. Merguet, nvaij, lui-
même donnél'exemple
d'un raisonnement analogue. En son
célèbre essai ~Mr c/M'OKO~ogte dans ~m'MM~'om des langues
t'M~o-eMfo~MMM~, il place l'invention de la déclinaison à une
époque extrêmement tardive, parce que le nom, s'il avait été
décliné, aurait dû emporter les signes des cas et des nombres
dans les formes composées du verbe: ainsi a-dik-sat, ail mon-
tra)), littéralement cil fut montreur ~aurait dû donner au
pluriel a-dikas-sant, et non a'~Assm~. Je ne sais si l'éminent
professeur de Leipziga encore sur ce sujet les mêmes opi-
nions mais il est clair que les imparfaits où l'on a ~ëtwo~v
au singulier et e~e~rojne~ au pluriel, les aoristes seconds où l'on
a ~<T7o~ au singulier et sX~o~ef au pluriel, avaient habitué
les esprits à un verbe dont la partie antérieure reste inva-
riable, et dont la seule partie variable est la désinence per-sonnelle.
Le numismate, l'historien de l'art, savent très-bien que les
anciens types ne sont pas abrogés tout d'un coup, et qu'ils
prolongent ordinairement leur existence à côté et en concur-
rence des types nouveaux. Les linguistes ont quelquefois perdude vue cette vérité d'expérience. Deux philologues américains,
les frères Tafel, ont contesté l'explication généralement admise
pour les formes passives latines telles que laudamini, mone-
BtM:'of/<e<jrM<'de l'École des Hautes Études, fascicule premier. Traduc-
tion de M. Bergaigne.
DE L'ANALOGIE. 107
mini.Bopp
les avait identifiées avec les participes grecs comme
Tf~&~eyo~ <p<XoJ~sfOt, et cerapprochement
avait paru telle-
ment évidentque personne ne s'était avisé de le révoquer
en
doute. Ces deux savants ontobjecté que,
si lerapprochement
est valable pour le présent, il ne saurait rendre compte des
autrestemps, par exemple,
dusubjonctif présent
laudemini ou
de l'imparfait laudaremini. C'esttrop
se défier del'intelligence
romaine; une foisque
~Mf&MMMMfut admis et reçu comme
formepersonnelle du verbe, on la fit
passer par toute la fi-
iière des temps.Laudaremini
peut sembler monstrueux à l'éty-
mologiste, maispour
lepeuple
cette forme n'étaitpas
seu-
lement toute simple et toute naturelle, elle étaitimposée
et
inévitable.
Une fois que l'esprits'est habitué à certains mécanismes
grammaticaux, il n'apoint
de cesse qu'il n'yait fait
passertous ses
produits anciens et nouveaux. Une dimcultéqui
donne fort à faire à nos écoliers, c'est la formation des fémi-
nins menteur fait menteuse; mais acteur fait actrice; pécheur fait
pécheresse et supérieur fait supérieure. Si la dimculté existe
pournos écoliers, c'est
qu'ellea existé autrefois
pourla
langue elle-même; nospères
ont voulu donner des féminins
à des adjectifs rebelles. Tantôt, comme pour actrice, on s'est
servi de la formation latine; tantôt, comme pour mp~'eMre;,on a traité un
adjectifen or comme s'il était en us, a, um;
tantôt, commepour pécheresse, on a pris un suffixe qui, par
certains féminins à demi savants, tels que comtesse, duchesse,
prophétesse, abbesse, remonte jusqu'à la désinencegrecque
«yo'ot
(/3(xo-/À<o-<7a);tantôt encore, on a accouplé aux masculins en
or, comme menteur, des féminins en euse, quisont sur le mo-
dèle de odiosus, generosus. Ainsil'esprit, quand
il s'est fait une
casegrammaticale, veut la voir
remplie, et il laremplit au
mépris del'étymologie
et de la correction. Nousvoyons
ici'
l'analogie, que nous avons d'abord observée allongeant, ran-
geant, uniformisant le langage, devenirproductive etsuppléer
à des lacunesqui
existaient dans le plan primitif de nos
langues.
Nous employons tous les jours des féminins qui eussent
étéimpossibles
en latin une:NMc!Ma<MK riante, de meilleures
f,'OM<~<MNts,de loyales paroles,une
forte constitution, une douce
MICHEL BRËAL.108
j?f'MseCj une habitation commune, de grandes espérances. Encore
au xv° siècle, on écrivait. ~e~res royaux. Ce ne serait pas donner
une explication que de dire que la déclinaison en us, a,
Mm gagne sur la déclinaison en :s, e; l'esprit, habitué à voir
l'adjectif varier au féminin, a, dès l'époque romaine, favorisé
la formation qui permettait la désinence féminine. Dans
L~CK~M? ad Pro~Mm~ le grammairien puriste corrige déjàceux
quidisent tristus au lieu de tristis, pauperus au lieu de
caMNef.Une des victoires les plus complètes que l'analogie ait rem-
portées, c'est le s du pluriel en anglais, qui n'est pas, comme on
pourrait le croire, emprunté aux pluriels français, mais quiest d'origine anglo-saxonne. En anglo-saxon, certains thèmes
se terminaient au nominatif et à l'accusatif pluriels en as;
ainsi fisc poissons, ende ttfin se déclinent de cette manière
SINGULIER.
Nominatif. fisc. eK~e.
Génitif. fisces. e~M.
Datif. fisce. ciMe.
Accusatif. ~Me.eHtfe.
PLCRU!
Nominatif. fiscas. e~
Génitif. fisca. e)t<-&
Datif. ~.<eMm. CH~wm.
Accusatif. fiscas. endas.
Mais, a côte de ces noms, il y en avait d'autres dont leplu-
riel était formé tout autrement. Voici, par exemple, la décli-
naison du féminin <M c action n et du neutre !por~ paroles
SINGULIER.
Nominatif. fM. mord!.
Génitif. <Mc. œor~M.
Datif. dcede. N!)or~<
Accusatif. fMe. œor~.
PLURIEL.
Kotilinatif. ~e~a. N)o?'
Génitif. f~M. toor~ft.
Datif. fMMm. moM~M.
''Lccusatit' fM~t. œM'
DE L'ANALOGIE. 109
On voit que le pluriel n'a pas de s. 11 en est de même pour
toute une nombreuse classe de mots qui forment leurpluriel
en an; nousprenons
commeexemples
le masculin steorra
étoile M, le féminin <MKg'eKlangue M, le neutre
e~eRceu~:
SINGULIER.
Nominatif. steorra. <MMg'e. edffe.
Génitif. steorran. tungan. eag'aM.
Datif. s/eo~'c)!. tungan. Mg'<:M.
Accusatif. sMorrsK. <MKg-sH. Mg-e.
PLURIEL.
Nominatif. steorran. tungan. eag-~K.
Génitif. steorrena. <K):g'eM. M~eM.
Datif. ~eon'Mm. tungum. <~Mm.
Accusatif. steorran. tungan. e<<!K.
Que reste-t-il de cette variété en anglais? Apeu près rien.
En vieil anglaisas est déjà changé
en es(~ayes,, ~Mg-es),
et
commence à êtreemployé
sans distinction des genres. Ce-
pendant, il reste encore un certain nombre de pluriels en e
et surtout en en. Mais en anglais moderne la désinence es ou
s s'est uniformément introduitepartout.
De mêmequ'on
dit
~s/ies~ eKas~ on dit aussi deeds, words, stars, tongues, eyes. Ici,
comme dans toute la famille Indo-européenne, c'est la décli-
naison vocalique qui l'a emporté,car les mots comme j~sc
étaient anciennement terminéspar
unevoyelle, laquelle paraît
encore au pluriel ~sca-s. Le s a été tellement victorieux qu'il
s'imposeaux mots d'origine étrangère, tels
que cities, resolu-
tions, negroes. H est devenu une sorted'exposant algébrique
de la pluralité, car il peut s'ajouter, comme signe indépen-
dant, à des locutions assez complexes et même à de petites
phrases; un romancier, parlantd'un
échange de compliments,
dit Noted'ye
do 's ïperee.reAaKg'eJ.
Un exemple plus extraordinaire encore de la force- de l'ana-
logiedans la même langue serait, si nous
pouvionsnous
y
arrêter, le s du génitif singulier, qui s'est généralisé à tel point
qu'il est devenu l'expression abstraite marquant la possession.
Dans cette locution ~Ae queen of Great-jSn<a!'H'snavy,
nous
retrouvons le s des génitifs comme~sces~mais avec un féminin
et détaché de son substantif. Dans cette phrase, oMr eyes' reach
MICHEL BRËAL.110
« la portéede nos yeuxa, le s possessif venant s'ajouter an~ du
pluriel, l'écriture a renoncé à le marquer. Telle est la puis-sance de l'analogie, qu'elle accumule les exposants sans s'ar-
réter aux conflits que peut produire leur rencontre.
Il est probable que l'extrême simplification de la gram-maire anglaise est due au mélange de races dont la Grande-
Bretagne fut le théâtre. Quand deux peuples parlant des
langues différentes se trouvent en présence, le besoin de s'en-
tendre fait qu'on sacrifie les parties trop compliquées et tropfines de la grammaire. Les exceptions, les nuances, les dési-
nences riches et variées, sont un luxe auquel il faut renoncer;
des flexions uniformes et bien apparentes, voilà ce que le be-
soin d'être compris exige. Pareille chose est arrivée en Perse au
temps ou l'idiome arien de ce pays s'est mêlé aux idiomes
sémitiques. Quand nous rencontrons une grammaire simpleet logique, c'est aller au rebours de la vraisemblance que de
conclure à la pureté et l'antiquité. La régularité est à la un~
non au commencement des langues.
Suivons maintenant l'analogie sur un autre terrain celui
de la formation des mots. Ici encore nous verrons la part im-
portante que la première conjugaison a eue en français et, à
une époque plus ancienne, en latin.
Il y avait, dans notre famille d'Idiomes, un suffixe tu for-
mant des noms abstraits en sanscrit, par exemple, la racine
~a s chanter M faItg~M «chanta. Ce suffixe se retrouve en
latin, où l'on a quantité de noms en tus (&° déclinaison),comme <:c<MS~rap<Ms~ cultus, Mf~MS, s<rep:<M~ tinnitus. U est
particulièrement fréquent avec les verbes de la première con-
jugaison <rac<<!<M~ploratus, MM<~M~/WMMS, odoratus, yM<&catus. Dans tous ces exemples, à côté du substantif, nous
constatons la présence du verbe dont il est tiré. On peut, la
rigueur, supposer aussi un verbe magistrare pour expliquer
NMg-i's<?'s<Ms~Ia magistrature H. Mais d'où viennent pontificatus,
pn'Me~s~, ~'&MMa<Ms,triumviratus ? Nous voyons ici l'a se dé-
tacher des verbes en are et faire corps avec le sufExe <M~pourformer des substantifs marquant un état. Le suSixe est
N~'O'HC/M.Un autre exemple nous est fourni par les adverbes latins
en <MK.L'ancêtre est, à ce que je crois, pat'h'Ht, qui n'est pas
DE L'ANALOGIE. -Hl
autre chose quel'accusatif du substantif
pars.On trouve
partem, accompagné d'un adjectif, dans des emplois qui nous
fontcomprendre
comment il apassé
au sens adverbial. «Ma-
gnam partemex iambis nostra constat oratio,~ dit Cicéron
(Or. 56). César, parlant des Gaulois, écrit ccMaximam par-
tem lacte atque pécorevivunt~
(B.G. IV, i). Quelques
ad-
verbes de même formation sont statim, ~ac~m~MMe~M:~s<f:c<MK,raB<!m, Nrœser<:?K\ cursim, spK~m~, qui peuvent
êtrerapportés
à d'anciens substantifs en ti ainsi statimsuppose un archaïque
statis, qui répondraitau grec o''7<xo'<$.Ces substantifs en tis ont
disparu de la langue, ou plutôtils ont fait
place aux~mots en
~o(K),tels que statio, ~t'ac&o~Mnc~o. II n'en est resté
que ces
accusatifsdépareillés, qui,
étant enlevés à leur déclinaison,
se trouvaient par là d'autant, plus aptesau rôle d'adverbes.
A l'irnitation despremiers,
on a faitexquisitim, minutim, cer-
tatim, privatim, separatim, festinatim. Comme les verbes en are
étaient lesplus nombreux, les adverbes en atim se sont
bientôt multipliés assez pour que l'adhérence de l'a sepro-
duisît d'autrepart,
le sens distributif, quilui-même vient
peut-être de ~af&M! s'est introduit dans ces adverbes. On a
fait alors ceH<Mna<t?K, manipulatim, catervatim, rfg~oMa~tK~g'ra-
datim, paulatim.
La même série de faits se continue en français. Comment
expliquer les adjectifssecourable, imprenable, périssable, croyable,
recevable, convenable, re-~OMsaMe? Ils ont été faitsd'après
d'au-
tres adjectifs en ablequi s'appuient
sur des verbes en er
admirable, adorable, estimable, ~g'r~aMg~ pa;&)<e. Le modèle
latin a été donné par les mots comme habitabilis, insatiabilis,
laudabilis, o~aMM. Cependantla forme en ible, à demi savante
comme l'autre, fait concurrence possible, impossible, ~rtMe,
horrible, sensible ont fourni letype d'après lequel ont été faits
invincible, extensible, irascible, imprescriptible, e~?g':M6,, eJ'~T'/c.
Quant aux adjectifs latins comme mobilis, nobilis, ~eMts, ils
Du verbe serere ~enchatner)). Pr<B.<ertMMsignifie littéralement ffen
mettant hors de pair, hors rang". Cf. MMer~'m~disertim.En voici quelques autres pMMetMK,carptinz, sparsim, perplexim,
passim (de paK~erc), c<!?MM~cursim, confertim, contemptim, ~E<;<!M:~
confestim (du verbe/cn~e)*e rf frapper'), qui est dans o~eK~'e), /t<r<!M~
pe~e~M~M, M'M&:m.
MICHEL BRËAL.112
survivent dans meuble, noble, faible; mais le suffixe, manquantde ce qu'on peut appeler la voyelle dominante,.est resté tropmêlé au corps du mot pour s'affranchir.
Si nous pouvions poursuivre cette étude, nous verrions quel'a de la première conjugaison se cache en des formations où,
à première vue, on ne serait pas tenté de le chercher. Ainsi
les mots français coMreM?*,buveur, faiseur, A'sfMf, connaisseur,
vainqueur, liseur, m'eKeMr renferment non pas le suffixe or,
mais le suŒxe ator, ainsi qu'on le voit par lesformes proven-
çales conoissedor, facedor, vencedor, &'g'e~or. De même les noms
en oir, tels que pressoir, comptoir, ouvroir, abreuvoir, sont for-
mes non de or:M!M, mais de atorium; ainsi le mot Oroir
(restésous la forme Orouer ou 0,:OMcr ou O~o~r dans quan-
tité de dénominations géographiques) représente O~ato'tMm.
On peut ajouter les noms en ier, si nombreux en fran-
çais, comme oMcne~ anKMr!~ cuisinier, écuyer, A!<M!'e~ qui ont
eu pour modèle les noms latins en anMs, tels que Q~eranMs,
s~pen~MfMM, aurarius; ceux-ci sont partis eux-mêmes des mots
comme eo<jfMNMnMs,fa&!JanMs~ qui doivent leur a aux fémi-
nins co~MMs~ tabula. De même encore en grec, les adjectifscomme et<~<xT~p~?, ~ut?p~, xu~<xTt?p~, o'7<~p<!s, sont faits
sur le type de J<~p~, To~?p<~ Tu~p~s.On peut remarquer que les suuixes les plus apparents sont
ceux qui ont le plus de chance de faire fortune, parce qu'ils
s'ajoutent avec le moins de peine à toute espèce de mots.
Quand les Romains firent connaissance avec la langue
grecque, ils y trouvèrent cette formation allée des verbes en
t~s~, les premiers poètes latins, Livius Andronicus, Na~vius,
Plaute, s'en emparèrent, mais sans se donner beaucoup de
peine pour la latiniser. Ils ajoutent au suffixe <~ les désinences
de la première conjugaison latine, et ils composent ainsi les
verbes en Msare eMM~, ~ot~&), ~(X~X{~& xu~&ii~&~
o'<xe~~ 'EruT/~N deviennent a~cMMre, ~~ssarSj ma~cMssre~
c~HtM:ss<e., sicelissare, ~<Msa?'e. La langue latine, au tempsde César et d'Auguste, a élagué peu à peu ces verbes, à l'ex-
ception d'un petit nombre, par exemple co?MMMn, qui est un
mélange de xo~o~o!< et x~o~M. On sentit la pesanteur de
ces formes, qu'un âge antérieur s'étaitappropriées avec plus
d'avidité que de goût.
DE L'ANALOGIE. 113
8
Pareille chose est arrivée à l'allemand aumoyen âge on
connaît ces verbes en !'ereM, qui pullulentencore aujourd'hui
dans la langue de nos voisins. Ily avait en vieux français de
nombreux verbes en ier, comme corrigier, ~g'ï'er, copier, ~M~e~
s'~ae!er.L'allemand se contenta d'ajouter
sa désinence inn-
nitive en à l'infinitif français, en sorte qu'il eut com~ereK_,
logieren, coBte~eK~Mf&ereK;, ~azterem:formation monstrueuse,
puisquedans une troisième personne,
erlogiert, se trouve
contenu le r de l'infinitif, mais àlaquelle
l'allemandprit
tellement goût que, non-seulement ilemprunta des centaines
de verbes français, telsque visitieren, traitieren, genieren, raison-
nieren, notieren, ~/<ereH~, AoMOfî'ereK, rega~'ereH~ mais il ajouta
le suffixe à des mots germaniques et fit, par exemple, Ao~e-
ren, ~<o/z!'e'e~, lautieren, buchstabieren, ~a~M~M., erlustieren, ver-
sc/Mm~eren.Il ne faut
paschercher seulement la raison de ce
succès dans la couleur française que ces verbes donnaient au
discours il vient de l'extrême facilité aveclaquelle un suffixe
si amplement développé s'appliqueà tous les mots.
C'est parce queles suffixes les
plus apparents sont ceux
queles langues adoptent et propagent
leplus volontiers, qu'on
voit celles-ci favoriser les sufExes étrangers auxdépens
des
indigènes.Nous venons d'en avoir une
preuve pour les verbes
latins comme atticisso. En français, la même formation en
~s<f eut cette fortune particulière qu'elle est aujourd'hui de
toutes laplus
vivante et laplus prolifique.
Aussi vaut-il la
peine de remonter à son origine.
Il y avait engrec quelques substantifs en cs, comme &o<s
ttia discordes, j~~<s ~la colère M, qui appartenaient à la classe
de ~o~, et quiauraient du, comme tous les mots de cette
sorte, faire leurgénitif
en <o$. Et, en effet, à l'accusatif, ils
font encore ep~, j! Mais ces mots se sont écartés du mo-
dèle ordinaire, et ils ont fait leur génitif en J'os, comme si le
thème était ~<J,Pour
produiredes verbes, ils ont
adoptéla formation en~'<H, ce qui
a donné ep/Jy'<M, s~<&),
et, parle mélange des deux consonnes, ep/~ sÂTr/~M. Parti
de ces verbes, le modèle s'estrapidement multiplié on a
fait fX~O~T/~M, Sj~7!'0f~6~ -!3'0~e~~<t', XUf~~ e~)?M~<H, M)j~&
67r~&~ ~~t7!"7r/ et quantité d'autres. Ce sont ces verbes quivivent encore en français <fM<orMe~/crh/r~ réaliser, r~o'MMr?-
MICHEL BREAL.H&
ser, t'M~cM~er, eeH<r<:hs~af6MM'se~ etc. Nous avons en outre,
issus de cette formation, les noms en iste, qui répondent, aux
mots grecs comme ao-7ncr?)/5 MeH: légiste, aM&e~~e)
fleuriste, A'o~s<e, f~M<s.fe, artiste, ~oïs~j MOMt'e~Mfc~paysa-
g'!sfe, etc. A la même origine appartiennent aussi les noms en
MM:6, dont les modèles ont été les mots grecs comme o~Tto'~o:~
TEt~<o-~<x ca~eeAtsme, ca{Ao~e:SH!e, cyH'MMme~ profM~H&tHe~
polythéisme, fanatisme, mécanisme. L'Eglise a fourni les premiers
modèles; mais aujourd'hui la formation est populaire. Tout le
monde sait ce que c'est que journalisme, jésuitisme, eiMSMe,
!M<r:0<M!Ke.Si l'on assemblait, non pas seulement en français, mais
dans toutes les langues de l'Europe moderne, les mots qui se
rattachent aux substantifs en <?, ~os, on serait confondu de
la fécondité de cette formation, et si, après cela, se reportantà ia modification phonétique qui a été le point de départ des
verbes en ~<M, on comparait les résultats à la cause, on
verrait avec quelle facilité l'esprit d'un peuple peut tirer partid'un événement en lui-même insignifiant, et avec queUe iné-
puisable richesse l'analogie multiplie le type que le langagea une fois adopté.
Nous bornons ici cet examen, remettant à une autre occa-
sion de montrer quelles sont les lois qui combattent ou qui
contiennent l'analogie car le langage, comme le monde,
subsiste par des forces qui se tiennent en équilibre.
M.
DE LA PROVINCE ROMAINE,
PAR ABEL BERGAIGNE.
Le motprovincia
a en latin différentes significations. De ces
emplois variés, les deux plus éloignés sont, d'une part, le sens,
correspondantà celui du français province n, de «
circonscrip-
tion territoriale, région formant une des divisions administra-
tives de l'empire, de l'autre, le sens de n charge ou de « tâche o
dansl'acception
laplus
étendue de ces mots. Le second est bien
connu par l'usagedes
comiques.Entre ces deux extrêmes se
placent les emplois de provincia dans le sens d'~ administration
d'une province ou dans ceux, plus généraux, de «commande-
ment militaires ou mêmesimplement de ~charge d'un ma-
gistrat!! quelconque.
Quelle est de toutes cessignifications celle qui doit être
considérée comme primitive, etqui peut
nous suggérer la vé-
ritable étymologiedu mot?
L'usage descomiques
n'estprobablement qu'une extension
du sens primitif. Mais il est plus invraisemblable encore que
provincia ait désigné d'abord laprovince
en tantque r~oK~
et
plustard seulement les
fonctions exercées dans les limites de
cette région.
Tout d'abord, l'histoire des mots analogues,tels
que le grec
~o<x)?o-<s ou le français gouvernement, doitplutôt
nous dis-
poser à admettreque
le sens decharge"
aprécédé celui de
K circonscriptionterritoriales. Dans la
languelatine même,
le mot~B/ec~Mra., dont Plaute, soit dit en passant, use plai-
samment comme du mot provincia (Ca~tM, 1, i, 11 ~Quin
runes inprœfectura tua?!'),
nous offre un exemple certain du
même développement de sens.
LE NOM
ABEL BERGAtGNË.n G
Les emplois de~'o~KCM: dans Tite-Live confirment ta pré-
somption tirée de l'analogie. Cet auteur s'en sert pour dési-
gner, dès les premiers temps de la République, les comman-
dements militaires distincts des deux consuls sCpnsules
T. Sicinius et C. Aquillius, Sicinio Volsci, Aquillio Hernici,
nam ii quoque in armis erant, provincia evenit?' (11, XL,
an a 6 6 de Rome; cf. t6;W. Hv; III, n; Y, ~") et~assMK).Le
sens d'une telle formule est que Sicinius eut pour tâche par-ticulière de combattre les Volsques, et Aquillius de com-
battre les Herniques. Elle s'explique par l'usage, que rappellesouvent Tite-Live, et auquel semble faire allusion le verbe
~'eH!<, de répartir entre les magistrats par la voie du sort
(soWin~M'oMKCMM~XXXII, viïi; cf. VI, xxx), quand Ils ne s'en-
tendaient pas entre eux pour les choisir eux-mêmes (compa-rare p'oM'MCM'~!), et en tout cas après l'élection, les tâches
particulières auxquelles ils se trouvaient, par le fait seul de
cette élection, collectivement appelés. Une tâchequelconque
de ce genre, tel parait avoir été, d'après Tite-Live, le sens le
plus ancien du mot provincia. Et, en effet, la première pro-vince romaine, au sens vulgaire du mot, fut la Sicile K Prima
omnium, id quod ornamentum imperiiest, provincia estap-
pellata~ (Cicéron,/? Fer; act. II, lib. II, i).
Il faut donc, a
moins de supposer que le mot provincia ne dats, lui-même quede l'an 5 ) a de Rome, admettre qu'il a design éjes commande-
ments militaires, avant de désigner les réglons ou. s'exercèrent
certains de ces commandements. Tite-Live, du reste, l'em-
ploie dans le même sens pour les temps postérieurs à l'Insti-
tution de la première province, par exemple dans l'expression
~roM'KCMM eoM~cere., qui paraît être une formule consacrée
(XXVI, xxi; XXVII, v; XL, xxxv), pouvant servir, en cette qua-
lité, d'argument direct en faveur de l'antiquité de ce sens.
On remarquera en outre que, dans les texies les plus an-
ciens où figure le mot provincia, c'est-à-dire dans Plaute et.
dans Térence, le sens propre de ce mot impliqué par l'usage
métaphorique et plaisant qu'en font les comiques est, non
pas celui de Kréglons, mais bien celui de charge s. Plaute:
Captivi, in, i, i~t «Ipsi obsonant, quse parasitorum ante erat
provincia. PseMfM:{s~ I, u, a 5 K Te, cum securi, caudicali,
pt'a'ficio prnvindœ.M Cf. I, n, t5; Tn'MMmM.~I, n, i53; M7&!
LE NOM DE LA PROVINCE ROMAINE. in
jO'/or:osMs~ IV, tv, 28. Térence PAorm~o, I, 11, aa «Re-
linquunt quasi magistrum.H s0 Geta, provinciam cepisti
duram Cf. ~eaM<OMhMoroMM!e?!os., 111, n, 5. L'allusion aux
commandements militairesdésignés par
lemotprovincia
est évi-
dente dans les passages suivants. Plaute Captivi, I, n, 5i
~NuIIumne interea nactus, qui possettibi Remissum, quem
dixti, t'N~MY~'e~.c~c:<Mm?K ~Quid credis?
fugitant omneis
hanc~roMHCMM.H Stichus, V, iv, 16 Vide utram tibi
lubet etiamnum capere, cape~roMKCMMH.M ~Quid istuc est
~roMMCMB~ KUtrum Fontinali an Libero/N?!)ef!Mm
te inhi-
bere mavis?~ n
Nous conclurons de ce qui précède que, même si provincia
était, comme on l'admet généralement, formé du verbe vin-
cere, il faudrait écarter l'explication qu'endonne Festus dans
['abrégé de Paul Diacre (éd. 0. Mûuer, p. a a 6)«Provinciae
appellanturquod populusRomanus eas
provicit,id est ante
v[cit. Le sens étymologique n'aurait pas été Kconquête n
en tantque Kpavs conquise,
mais Kconquête
ou victoires »
en tantque
omission confiée à un général M. Or, quoiqu'ilfût
assez dans l'espritde la
politiquedu sénat romain de dé-
créter ainsi annuellement la victoire et laconquête,
l'intro-
duction dans salangue officielle du mot
provincia, avec le
sens quenous venons de lui
supposer,n'en resterait
pasmoins
un fait assez étrange.
La forme même de notre mot est difficilement conciliable
avecFétymologie qui
lerapproche
du verbe vincere. En effet,
la nasale de t~cere., qui manquemême à certaines formes du
verbe, MC!, ~!c<M~ est absente de toutes les formations nomi-
nales de la même racine, victor, M'c<or!a~erf:es~à
l'excep-tion de celles qui
se rattachentplus étroitement au verbe,
comme le participe !):KCpKs~d'où vincenter, et lequasi-participe
MMC!&M.
Enfin, il ne fautpas
oublierque l'usage du mot provincia,
dans Tite-Live, n'est pas limité aux commandements militaires,
etque
la seule définition complète de la«provinces,
telle
qu'on peutla tirer des Histoires, est, comme nous l'avons dit,
tâche particulière échue, par le sort ou autrement, à un
magistrat, après son élection.))L'application du mot provincia
auxcharges du ~np<or urbanus et du
~p/or~er~iMMs (Tite-
ABEL BERGAIGNE.ns
Live, XXV, m et passim) ne pourrait donc s'expliquer que parun oubli complet du sens étymologique. Un tel oubli n'aurait
rien d'impossible en soi; mais rien non plus ne nous force à
l'admettre, une autre étymologie pouvant être proposée, quirend compte du mot dans son sens le plus général, du moins
en tant qu'il désigne la tâche d'un magistrat quelconque, sans
soulever les mêmes objections que la première.Pour cela il n'est pas nécessaire de recourir, _comme l'a fait
M. Jos. Budenz (Z~seAr~ de Kuhn, VIII, p. 280), au go-
thique ~!M/a K maître s, et de supposer un mot latin corres-
pondant, pro~K!~ qui aurait donné le dérivé provincia dans le
sens de « commandement K. Il suffit de substituer à cmc~re un
verbe qui, lui, garde la nasale dans toutes ses formes, t':Kc:re,
vinxi, vinctus, et appartient à une famille de mots présentanttous également la nasale, comme vinctio, tKKc~or,vinctura, vin-
CM~Mm,vinceus, et ce vincia qu'Otfried MùIIer, dans son édition
de Festus(vmctAM, continentem, p. 3yo), rapporte aussi à ~H-
cire, par cette raison, identique à celle que nous invoquons ici
nous-méme, qu'un dérivé de pmcere eut été vicia.
Cette étymologie, qui parait satisfaisante en ce qui concerne
la forme, ne l'est pas moins pour le sens. P~'QMMCM!aura été
primitivement un synonyme d'obligatio. Et, en effet, il ne dé-
signe pas, comme les mots coKSM~Ms;,jOf~Mr~ etc., ou comme
le terme générique magistratus, les J:g'K:~s dont les magistratssont revêtus par l'élection, mais bien les oM~atMKs que ces
dignités leur imposent et qui sont réparties entre eux après)'électlon. Il serait peut-être excessif de chercher dans un sens,
d'ailleurs assez rare, du prénxe~ro, l'expression formelle de
l'idée d'obligation antérieure s, c'est-à-dire contractée en
principe, mais déterminée seulement par l'opération du tirageau sort, ou par le libre choix qui pouvait en tenir lieu. Ce
préfixe peut n'avoir d'autre valeur que celle, d'ailleurs assez
dimcilë à définir, du préfixe ob dans obligare.L'idée d'K obligation M devait avoir pour les Romains dans
le mot provincia, et c'est un argument de plus en faveur de
l'étymologie proposée, une précision que le mot français par
lequel j'essaye de le traduire ne peut faire suffisamment com-
prendre. Il faut, pour s'en rendre compte, se rappeler quetout magistrat prêtait serment avant d'entrer en charge. C'était
LE NOM DE LA PROVINCE ROMAINE. l'i!)
ce serment, qui le « liait~. En effet, c'est une métaphore cou-
rante, en latin comme en français, quele « lien du serment.
~NuUum vmcnLUM ad a~~Mg'enJa?K fidem jurejurando majores
arctius esse volueruntj?(Cic.
Deo~ 1H, xxxt). S'engager par
serment, c'était ~udem o6&g'areH (M/. Philipp. V, xvui),ou «DE-
VINOREM (id.De
0~ 111, XXXI ).
Il est remarquable que le mot munus, d'après l'étymologie
adoptée par Corssen(~Ms~racAe,, I, p. 3ya),
vient d'une ra-
cine primitive dont le sens était également lier M, et qui, par
un autredéveloppement
de sens, a donné des mots exprimant,
comme MmrMs, l'idée d'un assemblage de pierresreliées entre
elles(ou plutôt peut-être
d'uneenceinte),
d'où le,doublet MMp-
HM~ tHMMM!.Les deux sens de munus s'expliquent également
bien par l'idée d'obligation. Car on dit aussi en latin Rlibera-
litate, beneficio, donis, obligare~ (Cic.Ad. Q. fr. 11, xiv),
KDEVtNCtRE~(TIte-Live, XXII, xxn).
Le présent est ce qui
niie~ )'~obIIgé~ au bienfaiteur; la ~charge~ est ce quiRiie~ n
lemagistrat.
NOTICE
SUR
LES INSCRIPTIONS LATINES DE L'IRLANDE,
PAR H. GAIDOZ.
Nous croyons utile de faire connaître aux savants du
continent lesinscriptions
latines d'Irlande, qui (sauf une,
n°i )
n'ont pas encore été publiées hors de cette île. La tâche
est d'autantplus
aiséeque
nous n'avonsqu'à
les extraire du
magnifique recueil desInscriptions
irlandaises que publieen
ce moment M"" Marguerite Stokes, sœur de l'éminent celtiste
M. Whitley Stokes, et elle-même lapremière archéologue d'Ir-
lande. Les planches qui accompagnent cette notice sont la
reproductiondes
lithographies qui figurentdans l'ouvrage de
M"" Stokes, et qui sont presque toutes dessinées par elle,
d'aprèsles monuments ou
d'aprèsdes estampages 1.
M. Hùbner n'apas jugé à
proposde faire entrer ces ins-
criptionsdans les volumes du Corpus consacrés à la Grande-
Bretagne. Dans les Inscriptiones Bn'~KMMB ~Kœ il avait donné
un cachet d'oculiste trouvé en Irlande, mais parce que ce
cachet est conservé au MuséeBritannique.
Dans leSupplément
consacré peu aprèsaux
inscriptions chrétiennes de la Grande-
Bretagne, il s'est abstenu de comprendrecelles de l'Irlande,
parce quecette !te n'a pas été réduite en
province romaine2.
Christian Inscriptions in t/te Irish .LsMg'Mag'6~chiefly collected and
drawn by George Petrie, LL. D. edited by M. STOKES.In-~t", Dublin, 1870et années suivantes. Six livraisons ont paru M"' Stokes a eu l'obligeancede nous communiquer les épreuves de la dernière livraison, qui n'a pasencore paru.
ff Exclus!, ut parerai, Hibernica; nam romanœ tanturn provinciœmonumenta atque iatinœ jing'uœ iu ea usum indag'anda mihi proposui.HiberniHfn vero nunquam in pt'ovincice formam redactam fuisse constat.~ 7)
!7)Mf. /?< christ. p. v.) M. Hubner a pourtant donné dans son recueil
H. GAIDOZ.122
Agricola,nous le savons par son gendre Tacite, avait mé-
dité la conquêtede l'Irlande. II
pensait qu'une légion et quel-
quesauxiliaires suffiraient à établir la domination romaine
dans cette île, partagée entre des tribus divisées et souvent
hostiles. Il semble même avoir noué des relations dans le
pays, si l'on en juge parce fait
qu'il avait donné asile a un
chef irlandais transfugeou exilé. Quoi qu'il en soit, les aS'aires
de la Grande-Bretagne ne luipermirent pas de réaliser ce
projetaL'Irlande
échappaà la
conquêtect-àla rojnanisation;
ellegarda
son originalité native, sa constitution, sescroyances
et sa littérature, on l'on retrouvel'esprit celtique
àpeu près
purde tout mélange.
Lorsque la domination romaine s'an'aibllt en Grande-Bre-
tagne,les Irlandais ou Scots, comme on les appelait alors
(car ce nom ne se transporta en Calédonle que plusieurs
siècles plus tard, à la suite d'une émigration irlandaise ou
scote),ne furent pas parmi
les derniers à inquiéterde leur
piraterieles côtes de l'île sœur. Leurs flottilles de CH)')'ac/!s et
leurs bandes de débarquement furent sans doute plusd'une
fois battues parles forces romaines, et ce sont ces petits
ex-
ploits qu'ont célébrés Juvénal et Claudien avecdes ampli-
ficationsplus poétiques peut-être que réelles. Ce n'étaient pas
des défaites partielles qui pouvaient arrêter les incessantes
déprédationsde voisins pauvres et barbares, et les Scots d'Ir-
lande ne cessèrent, ainsi queles Pictes de Calédonie, de dé-
soler la côte occidentale de la Grande-Bretagne les Scots
même y fondèrent d'importants établissements. C'est par ces
incursions de pirates qu'ilfaut expliquer les
quelques lots de
des inscriptions de i'e de Man, quoique cette Me n'ait pas été occupée
par les Romains. Si nous constatons cette inconséquence, ce n'estpas pournous en plaindre.
On ne peut regarder que comme un ingénieux paradoxe la thèse de
M. Thomas Wright que les Romains auraient, après Agricola, rept'ts son
p)a)t de conquête, et qu'ils s'y seraient établis, an moins dans le nord-
est de l'Irlande. (Th. Wright, 0/< fAc7?ttereoM'~eo/M&~MMs tM'f/t jft'e-
/<!M(~,dans r/ire/MM~g'M Cf!m&7'e)MM,3" série, t. XII, p. s()6-3o3.) Lathèse de M. Wright a été réfutée par M. Brash, dans ie volume suivant
du même recueil (t. XIH, p. 83-iûi).&<<.il, t5().vu. 55; v'tn, 33; XXII, aoi xxvi, ~17; xxxi,
LES INSCRIPTIONS LATINES DE L'IRLANDE. ~3
monnaies romaines qu'on a trouvés en Irlande, monnaiesqui,
presquesans
exception,sont du Bas-Empire.
Tous les témoignages historiques s'accordent à prouver que
la culture latine pénétra en Irlande avec les missionnaires chré-
tiens, avec saint Patrice surtout, dont le succès et la gloire
éclipsèrentles efforts de
quelquesvaillants et obscurs
précur-
seurs. Pourtant, si l'inscriptionde Killeen Cormac est au-
thentique,comme le caractère chrétien en est absent, il faut
admettre quelques rapportsde l'Irlande avec le monde romain;
ces rapports peuvent,du reste, s'expliquer par
les relations
commerciales dont parle Tacite lui-même 1 oupar les hasards
de l'esclavage, qui, à cetteépoque
troublée par lapiraterie,
jetait des épaves humaines sur les côtes les plus éloignées.
N°l(pi.I).
IVVENE DRVVIDES
(Petne-Stokes,t.I!,pl.I,[i°t.)
CetteInscription
se trouve sur unepierre
eng'f'eeK~OMe
(diorite) qui atteint près de deux mètres\le hauteur etqui
est
larged'environ trente centimètres, et
qui est analogue aux
pierreslevées que les archéologues bretons
appellentdes lec'hs.
La pierre porte également uneinscription oghamique,
c'est-à-
dire en caractères formés de coches dirigées vers l'arête de
la pierre et de points marqués sur l'arête elle-même, cette
arête formant comme laligne idéale à
laquelle s'attachent les
caractères.
Cette pierre se trouve dans un vieux cimetière abandonné,
connu sous le nom de Killeen Cormac, litt. ~la petite cella
de Cormac. » Des écrivains irlandais ont cherché à identifier le
Cormac qui a laissé son nom à cette localité; mais ils ne sont
arrivésqu'à
desconjectures. Killeen Cormac se trouve dans la
paroissede Davidstown, comté de Kildare. On y voit, sur une
sorte de tertre, despierres provenant
de murs éboulés, des
pierres levées et des fragments de croix sur des pierres tom-bales.
ffAditus portusque [Hibef'niœj per commercia et negotiatores co-
gniti.))( (Tacite, ~n'co~ xx:v.)
H.GAIDOZ.12A
La découverte de ce monument bilingue est due à M. l'abbé
John F. Shearman, qui le décrivit le premier dans les revues
savantes de l'Irlande.
C'est d'après M. l'abbé Shearman que M. Whitley Stokes
publia la double inscription de KiIleen Cormac dans les .S~-
tt'œg'e zur cerg'~tc/ieM~eK iS~racA/orsc/tMHg', t. V, p. 363 et suiv.
(Cf. une rectification ajoutée à l'en'a<a du tome suivant.)
Sir Samuel Ferguson a proposé de lire l'inscription latine
Quatuor vere Druides. La cinquième lettre est-en effet mutilée et
pourrait se prêter à cette lecture. Mais cela nous donnerait un
latin trop spirituel et trop élégant pour un monument bar-
bare.
Nous lisons donc IVVENE DRVVIDES.
Cette Inscription mérite de nous arrêter par des particula-
rités importantes, si importantes qu'on est d'abord tenté de
douter de son authenticité. Tel est le sentiment que M. Hûb-
ner a exprimé (préface aux TK~cr~&ones .B~aKHMB c/M~M'Mo",
p. xvin). Ce qui éveille le soupçon, ce sont les caractères
vraiment épigraphiques de l'inscription, quand les autres
inscriptions de l'Irlande (sauf pourtant celle de Gahir Conree)nous présentent les caractères de récriture cursiye; c'est sur-
tout ce mot de DrMK~equi semble se trouver sur cette pierre
pour justifier l'enthousiasme dont les Druides sont l'objet de-
puis trois siècles. Cette inscription aurait été gravée furtivement
sur la pierre, pour la plus grande gloire des Druides et de
leur religion, par un coMKtn/-g'&MMK lettré, ou par un an-
tiquaire de campagne. Cette hypothèse est probable, mais
l'hypothèse de l'authenticité nous semble pourtant plus probableencore.
La barbarie du latin et la simplicité de l'Inscription sont une
première garantie d'authenticité un faussaire se_fût piqué de
faire du bon latin, et, à supposer qu'il se fût borné à la men-
tion toute simple ~du jeune Druides, il eût écrit IVVENIS
DR.VIDAE ou DR.VIDIS. Une seconde garantie d'authenticité
est la parfaite honorabilité de M. l'abbé John F. Sbearcoan,
qui découvrit cette pierre, et n'y remarqua d'abord quel'ins-
cription oghamique. Ce n'est que dans une seconde visite, en
1860, qu'i) reconnut les lettres a demi eSacées de l'Inscription
LES INSCRIPTIONS LATINES DE L'IRLANDE. t25
latine. Une troisième garantied'authenticité serait la concor-
dance de l'inscription latine avecl'inscription oghamique;
mais la lecture de l'inscription oghamique présente encore
bien des incertitudes. Nousacceptons
donc cetteinscrip-
tion comme authentique.
La seuleparticularité qui puisse nous étonner est ie redou-
blement du signe V dans le second mot fauted'exemples
simi-
laires, nous nepouvons
savoir si DRVVIDES nous représente
une prononciation. particulièreou si le lapicide a gravé deux
Vpar erreur, trompé par l'analogie
dupremier
mot IVVENE.
Quoi qu'ilen soit, ce fait ne doit
pasnous étonner, quand
nous rencontrons PVVER.I dans uneinscription
chrétienne de
la Grande-Bretagne (Hübner,n°
34).Les autres incorrections
de notre inscriptionsont également de leur époque. L'emploi
de l'epour
l'i est fréquentdans les
inscriptionsdu
temps;
M. Le Blant l'aremarqué
dans les inscriptions chrétiennes de
la Gaule 1, et le recueil de M. Hübner en fournit d'autres
exemples pourla
Grande-Bretagne,notammentcive
pour civis,
n" 13 5 Le même fait se rencontre égalementdans les
manuscrits latins des anciens Irlandais La suppression du s
final du premier mot n'a rien nonplus que
d'ordinaire 4.
Le lecteur saitque
lesprêtres
des Gaulois s'appelaient
Druides ce nom, conservé parles historiens, ne se rencontre
pas dans lesinscriptions5.
La forme correspondantede ce
nom en ancien irlandais est drui ou drai(plus
tardf&~KM'),
gén. druad; nom.pl.
druid.
Mais de l'identité du nom il serait téméraire de conclure à
l'identité de la fonction, et ce serait donner une idée fausse
au lecteur français quede traduire le JrM! irlandais par le nom
quenous donnons traditionnellement aux
prêtresde l'ancienne
M<!Kt<e/d'épigraphie e/~e~Mme, p. ig6.
Voyez aussi n° 66, ~per:'<M. n° 63, ~e~M; n° i3a, Hec iacet.
Voyez Nisra, G/o~<p Hib. ~<. Cod. T<n<?'M:e!M!s,p. xxvi; Reeves'
~<&:M!MM:p. XXVtI.etc.
Voyez Le Blant, p. <()&, et Hübner, à l'index. (X. Grarnmatica.)°
On a voulu voir le mot Dna's ffdrutdesse" dans une inscription du
pays messin (Orelli, aaoo);mais cette inscription, aujourd'hui perdue,
n'est connue que par d'anciennes lectures, et il n'est pas certain que le mot
hypothétique <&'<M.!y ait la valeur qu'on lui suppose. Voir Ch. Robert,
&):.o-)Y!it)/<Me'a//o-)'oM<H!!ede la M<Me~ p. 89 et suivantes.
H.GAIDOZ.126
Gaule. Ces personnages occupent en Irlande un rang trop
peu élevé, la thaumaturgie domine trop chez eux, et leurs in-
cantations sont parfois trop obscènes pour qu'on puisse leur
donner le nom de « druide a, sans commettre une inexactitude,
ou sans rabaisser l'idée que nous nous faisons des Druides de
la Gaule. Pour nous, nous traduisons le mot drui par sorcier
ou par chaman.
C'était au reste l'opinion des anciens clercs irlandais, puis-
que, dans les vies de leurs saints, ils emploient comme équi-valent de drui !e mot HM~Ms, non le mot ~'M:~ terme qu'ilsconnaissaient pourtant bien par les écrivains classiques. Dans
le manuscrit irlandais des Épîtres de saint Paul, àWurzbourg,la glose sur Jannès et Mambrès, deux mages égyptiens (a* .E~.H Tim. ni, 8),
est da <~Mt</tœg'e~ac~, litt. «deux druides
égyptiens~. Les écrivains latins de l'ancienne Irlande n'ont
jamais, que nous sachions, employé le mot druida. Colgan
l'emploie au xvn° siècle dans ses Vies des s<M'K<sirlandais, mais
c'est évidemment sous une influence classique ~Extiterunt
Druidae, quos acta nostrorum sanctorum passim vocant ma-
g'os, non solum ante Christum natum in summa veneratione
apud Hibernos, eodemque honore quo apud Gallos temporeJuili Csesaris, juxta quod de eis scribit idem Caesar,~ etc.
(Colgan,A. S. p. i~Q, n. 15.)
Il n'est, on le voit, que plus étrange de trouver sur une
pierre d'Irlande ce nom qu'on ne trouve pas sous la plume
des écrivains latins du même pays. Aussi supposons-nous quecette inscription est l'oeuvre d'un Gaulois ou d'un Breton de
Grande-Bretagne, qui aura voulu rendre cet hommage au
Par exemple celle qui consiste à se retourner et à montrer à son en-
uemi la partie la moins noble de son corps (Book <F<:)tcg7~ p. ii5
et iso). Les gens mat élevés ont conservé cette pratique, comme insulte
grossière, sans se douter qu'a l'origine ce fut une incantation.
2Un des exemples les plus curieux de ce mot, dans la littérature u'-
landaise, est un vers où il est appliqué à Jésus-Christ. C'est dans un
hymne attribué a saint Columba
~s e mo <&'< CArM< mac De.
<tCm'ist, fils de Dieu, est mon sorcier, c'est-à-dire mon appui, mon pa-tron, maître du surnature). (Miscell. /)'M/t~t'cA. Soc., 1, 6.)
LES INSCRIPTIONS LATINES DE L'IRLANDE. 127
jeune sage dont, sur la mêmepierre, l'épitaphe celtique
était
gravée parune main indigène.
Cette pierreest en effet un des rares monuments bilingues
des liesBritanniques,
contenant à la fois uneinscription
latine
en caractères romains, et uneinscription celtique
en caractères
oghamiques. Plusieurs ont été trouvés en Galles. Celui de
Killeen Cormac et le suivant sont encore les seuls quel'on
connaisse en Irlande.
L'inscription se~ développe sur la tranche de la pierre,
commençant à mi-hauteur du monument, se continue sur ie
sommet et va se tetminer de l'autre côté de lapierre. Nous
reportonscette inscription ici, en figurant par
une ligne droite
l'angle de lapierre
surlequel
elle se déroule.
M. Whitley Stokes, appliquantà cette
inscriptionla clef
ordinaire del'alphabet oghamique,
la litDuftano safet saliattos,
et la traduit (Lapis] Dubtanis sop/K sasteH<Mi~K
fia pierre]de Dub-
tan le sage savant.DM/<aKo
seraitpourDM/~aMos~
le génitif sin-
gulier d'un thème en!~ ancien *DM&M<aKMS,signifiant «le noi-
râtre et analogue, parsa formation, au mot aM~-g~as, qui glose
le latin ea~'M/e~s.~Sa/eï serait le génitif de safos
= sab, ~sage~.
Dans s~AaMos l'Amarquerait
l'hiatusproduit par
la chute d'un
sa/taMus semble en effet, pour la forme et pour le son, iden-
tiqueau latin sapiens-entis. A cette
inscription peutse
compa-
rer unpassage de l'Amra Co/MMKcM/e Bat s<:& SM!'</Mcec/t dind,
c'était unsage érudit sur toute colline. H
Nous devons ajouter quela lecture des
inscriptions ogha-
miques est encore en grande partie conjecturale, et nousap-
prenons, parun
passagedes Lectures on W?M
Philology de
M.Rhys (p. ai A), que
ce savantpropose
une autre lecture
6'HM'KOs ~t~t E~acaMos; mais il ne nous dit pas sur quels argu-
ments il fonde cette lecture. La science natt de lacomparaison,
et la lecture desinscriptions oghamiques ne pourra approcher
de la certitude que lorsqueces
inscriptions auront été réunies
et publiëfs d'après des estampages exacts.
H. GAIDOZ.128
N''2(pLIV,fig. 2).FECIT CVNVRI
( Petrie-Stokes,t. II,pi.it, n"3.)
Nous regardons le quatrième signe comme un monogramme
formé des lettres ITC liées. On pourrait voir l'I dans-la barre
horizontale du T; on trouve en effet dans les inscriptions chré-
tiennes de la Grande-Bretagne des 1 horizontaux. Nous voyons
pourtant plutôt l'I dans la petite haste qui s'élève perpendicu-
lairement de l'extrémité gauche du T La ligature du T et
du C ne nous paraît pas douteuse.
Cette pierre, un bloc de grès, pensons-nous ( car ni M''° Stokes
ni sir Samuel Ferguson ne nous renseignent sur sa nature),
se trouve sur la pente ouest d'une montagne du comté de
Kerry, appelée Ca/Mr Conree. La montagne tire son nom d'un
fort primitif, qui occupait son sommet. Ca/Hr Conree signifie
en effet ~le fort de Cùroi~ et, d'après la légende, ce fort aurait
été bâti par Curoi mac Dairi vers le r" siècle de l'ère chrétienne.
Cette inscription porte, en outre, un signe (pi. IV, 6g. 3)
regardé par sir Samuel Ferguson comme une croix 2, et une
inscription en caractères oghamiques. Cette inscription a été
lue par le D~ Graves Conuneatt ?nocM! coKM?' ce. qu'il traduit
KConnait, fils de Cùroi.K Nous mentionnons cette lecture sans
la discuter, car il faudrait prendre ab CM toute la question
oghamique. Le D' Graves suppose ici l'addition de la syllabe
arbitraire un. Il semble en effet établi que les Irlandais ont
connu et pratiqué, bien avant les oisifs de nos boulevards, cet
amusement cryptographique qui consiste à insérer au milieu
des mots une syllabe adventive et dénuée de sens c'est_ce que
Sir Samuel Ferguson a donné de ce monument an dessin (Pt'o-
ce~H~'s o/'<e ~ye/ 7fM&~ea~emy~ a° série, 1.11, p. 51) qui diffère de
celui de M"°Stokes en ce qu'on voit au-dessus du T un irait perpenflien-laire qui forme un 1 grossier mais distinct.
Notons pourtant que le même signe (deux lignes formant une croix
par leur rencontre) se trouve sur des pierres qui n'ont rien de chré-
Lien, par exemple sur des pierres provenant du Mur d'Adrien, ou c'est
vraisembfaHempnt unemarque
ou uncaprice de maçon (Z.apK~<H'H<Mt
&~<cH<n<MM/c,p. 3g).
LES INSCRIPTIONS LATINES DE L'IRLANDE. 129
0
nousappelons
duy<K)<!Ma!s.
Le cas est certain pour la curieuse
productionirlandaise intitulée Dûil ~a~/<Ke.
N"33 (pl. II).
DNI
[A]BCDEFGHiKLMNOPQRSTVXYZ&
(Petrie-Stokes, t. H, pi. V, n° 9. Ki!ma}kedar, comté de Kerry.)
C'est, on le voitfun abécédairequ'un
despremiers
chré-
tiens dupays,
soit missionnaire, soitindigène,
s'est amusé à
graversur
pierre, probablement pourl'instruction de ses
pro-
sélytes.L'historien breton Nennius dit de saint Patrice
(§5
A)
Scripsit abegetoriatrecenta
sexaginta quinque,aut eo
amplius.La
Vie irlandaise de saint Columbaparle
del'alphabet
de ce saint
écrit sur ungâteau (Reeves' Adamnan, p. 358, n.
i).
Nous lisons X lesigne qui suit le V et sur
lequelM"° Stokes
se tait. Cesigne
ne se rencontrepas
dans lesinscriptions,
non
plus queles deux suivants. Le
signe final, abréviation de ET,
se rencontre dans deuxinscriptions qu'on
trouveraplus
bas.
? &(pl. V, 6g. i).
OR.[o:<] do M~r~acA M Chomocain hic ~o~'m~.
(Petrie-Stokes, t. 11, pi. tX~n'i?.)
fr Priez pour Muredach, petit-fils de Comocan; il dort ici.
Oroit, du latin orale.
Do, préposition, signifiant frpour)).
MMre~eA, nom d'homme, écrit aussi quelquefois Muiredach, an-
gticisé aujourd'hui MM?'~y. Sur ce nom, voir &pKe Ce/~MC, t. l,
p. 263.
pour M~ dat. sing.de ua, en ancien irlandais aue ou haue,
npetit-fits)).C'est ce mot qui est écrit 0' dans les formes
ang'iiciséesdes
nomsceltiques
d'Irlande et d'Ecosse, p. ex. O'NeiH, O'Donnell, etc. La
lettre h dans M~ AsMe, est simplement prosthétique.
CAomoc<K le c initial de ce nom subit l'infectionaspirée par l'in-
fluence du mot précédent. Chomocain est pour Comocain, gen.de Como-
cfm~ nom d'homme.
Hic ~ormt<. C'est le seul exemple trouvé jusqu'ici en Irlande de cette
formule latine.
Cetteinscription
se lit sur unepierre
tombale trouvée
H.GAIDOZ.1~0
dans Inis Murray. Ce nom, en ancien irlandais /M!'s MMt're-
~s!'c/~ signifie xile de Muiredach ou Murray a. C'est une tie de
l'Atlantique, sauvage et pauvre, située à cinq nulles delà. côte
du comté de Sligo. Elle portait déjà ce nom au vm" siècle,
mais on ne sait rien du saint personnage dont elle a reçu le
nom et dont nous avons ici l'inscription funéraire.
On a trouvé au même lieu l'inscription n° 5 et plusieurs
inscriptions irlandaises, et aussi des croix et pierres sculptées.
Ces débris font partie des ruines d'un monastère formé, à la
mode ancienne, d'oratoires enfermés dans un mur circulaire.
Ce mur est formé de pierres sans ciment, comme les forts pré-
historiques qu'on trouve en si grand nombre sur la côte occi-
dentale d'Irlande.
N-'5(pLVH,8g.3).
CRVX
(Petrie-Stokes, t. !t, p!. X, n" t9.)
Ceci est un fragment trouvé à Inis Murray. Le reste de la
pièce contenait certainement un nom d'homme et le reste de
la croix, dont nous avons seulement la tête ici.
N"6(pLVt.Sg.s). ).
[SAN]C[T]I BR.E[CA]NI
(Petrie-Stokes, t. H, p!. XII, n° 24.)
Cette pierre avait déjà été publiée par Petrie dans son Ec-
clesiastical ~?'c/H<ëc(M!'eof Ireland.On voit sur la pierre brisée la partie supérieure de la
lettre S; on a donc SCI, abréviation de &:Kc&. C'est le seul
exemple qu'on ait trouvé de cette formule en Mande.
La moitié du nom a été supprimée par la brisure de la
pierre, mais la localité du monument suggère une lecture cer-
taine. Cette pierre, en effet, se trouve près du Tempul Brecain,
ou église de Saint-Brecan, et en un endroit signalé par la
tradition comme la tombe de saint Brecan. Cette église se
trouve dans Aran M6r, la plus grande, comme l'indique son nom
(?Mw signifie «grand)!), des îles Aran, dans la baie de6alway.
LES INSCRIPTIONS LATINES DE L'IRLANDE. 131
9.
Les anciennes chroniques d'Irlande parlentde
plusieurs
saints de ce nom, de sortequ'il
est difficile d'identifier ce per-
sonnage
N°7(pt.V,6g.a).
VII ROMANI
(Petrie-Stokes,t.p!.XIV,n°z8.)
F77 Romani, c'est-à-dire septem Romani lessept Romains".
Cette inscriptionest
disposée des deux côtés d'une croix
comme on en rencontrebeaucoup
sur les pierres tombales
d'Irlande c'est la croix latine, avec unpetit
cercle au croise-
ment des deux branches, et avec des demi-cercles à l'extrémité
des branches.
La pierre se trouve dans le cimetière de l'église de Saint-
Brecan, à Aran Mor. Elle avaitdéjà
étépubliée par Petrie
dans son Ecclesiasticccl Architectecre o/Tre~K~.
Comment sept personnes se trouvent-elles ainsi réunies
sous cetteappellation anonyme
«lessept
Romains,,? On est
réduit aux conjectures.Ces
sept personnagessont sans doute
morts ensemble, ou àpeu
de distance l'un de l'autre, par suite
d'un accident, ou d'un naufrage, ou d'uneépidémie,
ou d'une
-bataille avec despirates.
On a en Irlande même deux autres
exemples d'inscriptionsfunéraires collectives
Dans cette même église de Saint-Brecan on a l'inscription
irlandaise ORARIICANOIN, Or/o:</af// canoin, Kpriez pour
deux chanoines (Petrie-Stokes, t. 11, pl. XIV, n°a a). Une
pierretombale d'Iniscealtra
(~M~ pl. XXVI, n°56) porte
t ILADÏDECHENBOIR, t 7M in Jec/igM&otr, «tombe des dix
personnes M(htt. « de ladizaine,,).
C'est ainsique
dans l'his-
toire de la Restauration on nousparle
des Kquatre sergents de
la Rochelle M, expression qui figure peut-être sur leur tombe;
c'est ainsiqu'on
ne fera pas l'histoire du secondEmpire sans
nommer « les cinq».
A propos de ce titre de -*MM<,il faut remarquer que tous les saints
d'Irlande sont d'origine populaire, c'est-à-dire que leur sanctification,
consacrée par ft)a voix du peuple", est antérieure à t'éponuc où les papessn sont réserve la prérogative de la canonisation.
H. GAIDOZ.~2
Le nom de Romani désigne ici, non pas des Romains au
sens étroit du mot, mais des habitants de l'empire romain 1.
Les anciens documents irlandais parlent fréquemment de
saints personnages venus de l'étranger, de Ksept moines d'E-
gypte!), de tt cent cinquante pèlerins d'outre-mer de K trois
fois cinquante c~'f'ae/ts (canots) de pèlerins romains~, etc.
N" 8 (p!. IV, f~. i).
CARI
(Petnf-Stohes, t. ![, pt. XI, n" aa.)
Fragment trouvé à Aran Mor dans un oratoire que Petrie
supposeêtre celui de saint
Benen(Benignus), disciple de saint
Patrice.
On nepeut
savoir si c'est lefragment d'un nom
propreou
le latin cari xdu cher~.
? 9 (pl. III).
XPS
~MtCMM~ft AxMC<t<M~m~et'< ofat pro Bo'ee~Mtre. sQue quiconquea lu cette inscription prie pour Berechtuire.n
( Petrie-Stokes, t. U, pt. XXX, n° 6~.)
On remarque oM!CMm<7M<tpour <jMMMMtOMeet OM<
pour oret.
Cette dernière faute se rencontre dans lecolophon
de l'Evan-
gilede Mac Reguil s Quicumque legerit et Intellcgent istam
narrationem orat pro Mac Reguil scriptori.»
L'angle supérieur du sommetgauche contenait certainement
l'abréviation IHS, commependant
à celle XPS, c'est-à-dire,
.!ésus-Christ.
L'inscription occupeles deux côtés inférieurs d'une croix
formée d'entrelacs.
Cette dalle se trouve à Tutlylease, comté de Cork, dans
les ruines de l'église fondéepar
un saint saxon, appelé con-
curremment par les écrivains irlandais Beretchert, Berichter
et Berikert.
Voir le bel article .RomfHK, Romania, etc., par lequel M. Gaston
Pfu'is a ouvert la Romania, 1.1, p. i-aa.
LES INSCRIPTIONS LATINES DE L'IRLANDE. 133
Ce monument est le seul d'Irlande où se rencontre l'abré-
viation XPSpeut-être
est-Ii l'œuvre de Saxons, compatriotes
et compagnons de Berechtuire.
? if) (p). VII, 6g. i).
PATRJCn ET COLVMBE.
(Petrie-Stokes, t. )!, p!. XXXVI, n" 78.)
Le mot en*acé à la fin del'inscription est sans doute le mot
crM.c, car cetteinscription
est gravée sur la base d'une vieille
croix enpierre,
à Kells, comté de Meath. Ce ne peut être
ici un monument funéraire. Le style de cette croix ressemble
à celui de la croix du roi Flann à Clonmacnois, et de la. croix
del'évoque
Muiredach à Monasterboice; pour cette raison,
M"° Stokes attribue la croix de Kells au début du xe siècle. On
remarque l'abréviation pourB'r, qui se rattache au signe figuré
à la fin de l'abécédaire de Kilmalkedar.Le nom de saint Patrice se rencontre aussi sur une clo-
chette de bronze conservée au musée de l'Académie d'Irlande
PATRICI (t. II, pi. XLVI, n°08); mais cette clochette a été
fabriquéeau xiu" siècle, pour remplacer une plus ancienne
qui passait pouravoir été donnée à
l'églisede Ros Glandae par
saint Patrice lui-même.
? -]1 1 (pl. VI, fig. t).
MARTINI.
(Petrie-Stokes, t. pi. X, n'' 25.)
Nompropre
augénitif, sur une
pierre tombale, dans les
ruines dugrand monastère de Clonmacnois (comté du
Roi),fondé au milieu du Vf" siècle. Ce Nom, étranger à l'Irlande
parson
origine, s'y rencontre néanmoinsplusieurs fois, par
suite de la dévotionqu'on y
avaitpour
saint Martin de Tours.
D'anciennes traditions présentent saint Patrice, l'apôtre de
l'Irlande, comme le neveu, par sa mère, de notre saint Mar-
tin. Le Le/w Brecc, manuscrit irlandais du x;v° siècle,
contient un sermon sur saint Martin, publié et traduit parM. Wh. Stokes dans la jRefMe Cf/<!yMe, t. 11, p. 38i-/)oa.
H. GAIDOZ.13&
Les annales irlandaises mentionnent la mort, en 86y,d'un Martin, abbé de Clonmacnois. On trouve Clonmacnois
même deux autres pierres tombales portant, l'une MAR-
THINE (t. I, pl. XV, n° &o), et l'autre OR DO MÂR.TA-
NAN (t. I, pl. XL, n° loS"), Rpriez poui'Martanan.~ Mar-
tanan, Kie petit Martin?), est un diminutif de Martin. Ce
diminutif est formé sur la forme irlandaise Mar~am, qui se
rencontre dans une inscription de Lismore, comté de Water-
ford, BENDACHT FOR. AN MARTAIN, K bénédiction sur
l'âme de Martan; c'est la tombe d'un abbé de Lismore, mort
en 8~8. On rencontre aussi le nom composé de Mael-
Martin, c'est-à-dire « serviteur de Martine, litt. chauve de
Martin M.
N-'12(pi.VII,Ëg.a).
OR DO DVNCHAD PSPT HIC
f Priez pour Dunchad, prêtre,ici. ))
(T. H, p. ?&, n° 8o*. Brookborough, comté de Fermanagh.)
Cette pierre a été transportée dans le musée de l'Académie
royale d'Irlande. On y remarque l'abréviation du mot p~p!~recte presbiter, prêtre
Nous ne mentionnons que pour mémoire les inscriptionslatines d'une époque très-tardive du moyen âge, et qui ngu-rent sur des œuvres d'orfèvrerie t. II, pl. XLV, n° g 3;
t~ p. g 8, n" Q3"; ibid., pl. XLV, n°<)&; ibid.,
pi. XLVIII, n° io3; pl. XLIX, n~ 10~ et io5.
ABRÉVIATIONS LATINES OU D~OmGlKE LATINE.
t
La plus fréquente est OR, souvent OR sans le signe abré-
viatif, par laquelle commencent les Inscriptions funéraires. On
la trouve quelquefois écrite OR.OIT (t. 1, pL VIII, n" ai;
pL XII, n" 3o; p!. XVIII, n° ~7; pL XX, n° 51;
pl. LXIV, n° i53; pi. LXXII, n° 1~3), avec la variante
ORAIT (t. !I, pl. XVI, n° 3a) et ORIT (t. I, pL XV, n" 38).On trouve aussi, mais une fois seulement, les étranges abré-
LES INSCRIPTIONS LATINES DE L'IRLANDE. 135
viations ORO (t. I, pi. XVIII, n°46)
et OT(t. I, pl. XXIII,
~7):Oroit est la forme hibernisée du latin orale.
Le nom du Seigneurse trouve placé en invocation sur
plu-
sieurs pierres et en abréviation. I! se rencontre à plusieurscas
DNS(DoMtt'MMs,
t. II, pl. III, n°6),
et de l'autre côté de
la même pierre (ibid.,n°
7 ), en caractères dont la lecture est
moins certaine, DNO (Domino). Reask, comté de Kerry.
DNE (DoMM'Me~t. M, pl. IV, n° 8), encore sur une
pierre
de Reask.
DNI(Domini),
sur la pierre alphabétique de Kilmalkedar
(cf. supra,n°
3).
EPS (t. I, pi. LXVH,n-'i6o).
L'inscriptionentière est M A LIOHAIN EP S, KMael-Io-
hain, évoque.n L'abréviation EPS peut se lire indifféremment
en latin, Episcopus, ou en irlandais, Epscop. Le nom Mael-
lohain signifie «le serviteur(litt.
lechauve)
de Jean?!. Clon-
macnois, comté du Roi.
AP, a~M~ recte aM~ abbé H, d'où l'irlandais sM ouap.
L'inscription est TOMAS AP, K Thomas, abbé)) n(t. II,
pl. XVI, n"34).
Le trait, signede l'abréviation, au-dessus
de AP, indique quele
lapicide avait en vue le mot latin, non
le mot irlandais. Eglise de Saint-Brecan Aran Mor.
P. (PR?), presbyter, dans une inscription brisée, à la-
quelle manquent la dernière lettre de la seconde ligne et une
troisième ligne ORDOCORMAC P. « Priez pour Cormac,
prêtre ( t. II pl. XXI, n" 4 a ). Lismore, comté de Waterford.
(Voir plus haut PSPT dansl'inscription
deBrookborough.)
R est peut-être l'abréviation de Re~Mtesc!<, dans le fragment
qui porte FINDLESR (t. Il, pi. XXII, n" 46). KIHpeacan,''onité de
Tipperary.
:&jYyi~&Mj' Za~TZ&f <~ ~'A'~K&' '~E- ~Z.~ '7'
.MVV'~MVtJ' Z<M'J'<~ ~Tr/fT~~ 7'Z.
/~j'c/o/~/<x~<'j' a~f ~z~' III
//A~<'Mn. /M, /M~PL. !P
~)'<<7~J' ~f de 'ïf~ ~z. V.
~jYvy~c/~J' /a~&rde J'M'~ ~z.
/ffV'~p&û/:j- Z~/Mr /y&M~. PL KY
ET
CAPITULA,
CONTRIBUTION A L'HISTOIRE DE LA LÉGISLATION CAROLINGIENNE,
PAR MARCEL THÉVENIN.
Il n'estpas
encore possible depublier,
sur lalégislation
carolingienne, un travail d'ensemble ayant une réelle valeur
pour l'historien du droitgermanique, parce que
iacritique des
sources de cette législation n'estpas terminée. Les conscien-
cieuses et patientes investigations de M. Boretius, professeurà l'Université de Halle, ont
déblayéle terrain' il est désor-
mais relativement facile, avec un guide aussi sûr que lui, de
se reconnaître au milieu de cet amas de textes, juridiques ou
autres, entassés pêle-mêle par la main ignorante descompi-
lateurs, que l'on connaît sous le nom decapitulaires 2. M. Bo-
retius était tout naturellement indiqué pour donner, dans la
collection des Monumenta(Z~eg'es),
une édition descapitulaires
qui prîtla
place de l'édition de Pertz, devenue tout fait
Insumsante espérons qu'il ne tarderapas
à mener sa tâche
considérable à bonne fin.
La Revuehistorique
apublié, l'année dernière, un travail
de M. Fustel de Coulanges quia
pourtitre De la
confectiondes lois au temps des Cf<ro~K6'!6Ks. Il est regrettable qu'en
Die C<!p:<M/a?'tM!M L<:Mg'o&eM Reich, Halie, 1864. V. encore Beseler
(Fe~a&eK~w Bo?Meyer), Ueber die G6.!e~M&ra/<f<erCapitularien, Berlin,
< 871. Sohm, Die Frânkische /?etcA.!!Mf/ Gerichts Fer/a.M!< 1871, p. i o2a
pt suiv.
~sg'e 2Mr Csp:<M/<:t'MK~t'!h'A'.Leipzig, Duncker. 187~.
Op. cit. p. 42 et note i, p. 80, p. 108, p. 86, note i. Le jugement~jénér'a) porte par M. Boretius, quelque sévère qu'il paraisse, est juste.P. 56, note i f Pertz batte so hodistgeringe Kenntmssdesdentsche.n
Keclites, dass der RechtstiistoriJcer nur mit stillem Schmerze seine iiblichen
Einteitungen zu den einzetnen Capituiarien lesen kann, i etc.
LEX
MARCEL THËVENÎN.138
écrivant cette étude l'auteur n'aitpas
connules quelques
tra-
vaux allemands où sont admises avec ou sans restrictions, en
tout cas discutées, lesprincipales
conclusionsprésentées par
M.Boretius dans son dernier ouvrage. S'il connaissait ces con-
clusions, il eût dû lesappliquer
àl'objet spécial
de son étude
ou lesrejeter après
examen. Pour n'avoir ainsi tenu aucun
comptedes résultats obtenus
parses devanciers, M. Fustel de
Coulangesa
publiéun travail dans
lequelon retrouve sans
doute le talent ordinaire de l'écrivain, maisqui
ne résoutpoint
l'une desimportantes questions
relatives au droitgermanique.
Il est à craindre, en revanche, quece travail ne contribue à
entretenir dans legrand public
les idées confuses ou inexactes
quiont cours sur
l'espritde la
législation germaniqueen
gé-
néral, et, enparticulier,
sur le rôlelégislatif
desCarolingiens
Voici quelques anh'mations de M. Fustel de Coulanges. P. 3 ftPour
(luia lu complètement et de suite les
capitulaires de Pépin, de Gharle-
magne,même de Louis le Pieux, il n'est
guère possiblede mettre en
doute quel'autorité
législative n'appartînttout entière au
prince.n 7&.
frLe vrai législateur est toujours le prince.!) P. 5 «Lescapitulaires
em-
brassaient les mêmes matières queles lois. Ib. ffOn voit fréquemment
les princestransformer leurs
capitulairesen lois
parleur seule volonté,
ou ordonner de les écrire parmi les lois, ou en6n prescrire qu'on leur
obéisse comme s'ils étaient des lois. P. 6 tdl est incontestable queles
capitulaires étaient l'œuvre des rois seuls et de leur conseil intime; ils
ressemblaient à ces edicta, decreta, c<MM~M<<M:M, qui, quatre siècles au-
paravant, partaientdu
palaisdes empereurs romains. -Pour ce
quiest
des lois proprement dites, p.6 "Nul indice d'une intervention des sujets,
»
P. i& Cette sorte d'assentiment (des populations, leur coMeMMs à la
loi) ressemblait beaucoup plusà un
engagement que prenait la popula-tion d'observer la loi du
prince, qu'à uneparticipation
effective de cette
populationau
pouvoir législatif. Comp. p.18 et suiv. La conclusion est
que Si nous bornons notre regard au ix" siècle, si nous donnonsaux mots
le sens qu'ils avaient dans la languedu
temps,si nous observons la pra-
tique et la réanté telles qu'elles nous sont décrites par les documents si
nombreux et si clairs (~) de cette époque, nous ne reconnaissons nulle
part quela nation, au
tempsdes quatre premiers Carolingiens, ait pos-
sédé ou ait seulement partagé avec ses rois la puissance législative.
L'examen de cette théorie, exigeant une discussion de détait, serait ici dé-
placé en quelques traits je mepermets de marquer l'impression qui
sedégage
de la lecture de ce travail en disant que l'auteur me parait
connaître imparfaitement le latin des sources juridiques carolingiennes;c'est au travers de l'allemand, et de l'allemand aussi ancien
que possible,et non d'un latin plus ou moins classique, qu'il faut le lire pour le bien
LEX ET CAPITULA. 139
Le manuscrit ao& nouv. ace. lat. de la Bibliothèque na-
tionale contient une indicationprécieuse,
en ce qu'elle vise
directement la législation franque au tempsde Louis le Pieux.
Cette indication, rapprochée de quelques textes qui en pré-
cisent et complètent le sens, permetde saisir sur le vif un
procédéde la législation du ix" siècle elle amène tout natu-
rellement à distinguer, tant par leur caractère extérieur que
par leur structure intime, les divers matériaux dont la réu-
nion constitue l'édifice juridique carolingien. On sepropose
donc, dans cette modeste étude, non de montrer directement
l'évolutionaccomplie par
la législation franque depuis l'époque
de la rédaction desLeges Barbarorum jusqu'à celle de la
pro-
mulgation des derniers capitulaires,mais seulement de
dégager
lepn'Kc~e~'Mt'M~tM quia
présidé,au
tempsdes Carolingiens,
à la formation de deux couches distinctes de législation.
1
Le folio 20 v° du manuscrit ao& contient une suscriptio
relatant deux événements onpeut
doncy distinguer
deux
parties;voici la
première
Incipiunt capitula quœ D. Hludovicus seren. imp. imperii sui v° cum
universo cœfMpopuli a deo sibi commissi, id est cum venerabilihus epis-
copis et abbatibus atque comitibus vel cum reliquo populo in Aquisgrani
palatio ~rom!<~<!M<atque legis ~a&'e~ addere et universis ordinibus supe-ftoris videlicet inferiorisque gradus populi imperii sui firmiter tenere
1
prcecepit.
Ce texte indique queLouis le Pieux, en 818~, dans une
assemblée générale, promulguaau
palais dAix-la-Chapelle des
chapitres, décida d'annexer ceschapitres
à la lex Salica, enjoi-
comprendre. En second lieu, l'auteur commet parfois, dans le choix et
la citation des sources, des erreurs provenant de ce qu'il ne semble pasavoir d'orientation au milieu des textes qu'il manipule. Enfin, la légis-lation carolingienne n'a de sens et d'intérêt pour l'historien que rap-
prochée de la législation qui l'a précédée chez les divers peuples germa-
niques.Firmiter lenere, c'est exactement ~M~ /M/<<'n.Le sens technique de
capitula sera fixé plus loin; je donne provisoirement à ce mot son sens
primitif.Et non pas en 82o comme l'indique Pertz, loc. cit.
MARCEL THËVENIN.l&O
gnant en outre à tous les ordres, supérieurset inférieurs, de son
empirede les
garderfidèlement. Quels sont ces chapitres? C'est
ceque
le manuscrit n'indique pas. Le compilateur,comme fai-
saient souvent ses collègues en compilation,a
copieà la suite
de cettesuscriptio
des dispositions qui ne s'y rapportent pas. Il
estquestion
de ceschapitres
dans le document appelé par
Pertz Cap. /l~K!s~a. 82o (Mo/t. Zeg'. 1, p. aao,
c. 5).
Generaliter omnes admonemus, ut capitula que prœterito anno i
&{~'e<Bper omnium co?!se)MMmaddetula esse censuimus.
Du rapprochement de ces deux textes, il résulte quedes
chapitres, d'ailleurs antérieurement rédigés et réunis en bloc,
ont été promulgués,et
que,en vertu du consentement una-
nime, l'annexion de ceschapitres
à la lex Salica a été décidée
par l'empereur dans l'assemblée générale tenue à Aix-la-Cha-
pelleen 818.
Passons à la deuxième partiede la
mscr~to
ipsaque postea cum in Theodone villa generate conventum ha-
buisset ulterius capitula appeltanrla esse proltibuzt sed târnaturn (lis. tituturrz)
buisset M&Mc<H<M&!<e~<:nf~ MMab omnibus !sms(«m (~M. faM<Mm)/M; fëcen~a immocrue ea Srmtssime ab omnibus ~ro ~e ~me~t: cutn
totius optimatum suorum consilio proecepit.
Elle indiqué que «plus tard, dans une assemblée générale
tenue à Thionville, Louis le Pieux, de concert avec les grands
formant son conseil, défenditd'appeler
dorénavant ces chapi-
tres capitula, ordonnant de ne les plus appelerà l'avenir que
lex, et enjoignant à tous de les tenir strictement pour lex, ce
que confirme, au reste, la dernière partie du c. 5 cité plus
haut
Generaliter admonemus, ut capitula. MM tMM~M'KM capitula, sed
t<M<Mmlex dicantur, immo pro ~g-e teneantm'.
Ces chapitres promulguéset annexés à la lex Salica en 8188
àAix-la-Chapelle, dénommés lex en 810 a ThionvUle, se
trouvent dans les ~OKMM. (~ej. 1, p. s a 5)et ont été rédigés
peut-être en81~,
auplus
tard en 818 comment etpar qui'?
'?
C'est ce qu'on verraplus
loin.
/MM)MM!<~c'M. sed <sM<MM~c'est exacteMent )Mc/<<me/tr. Me/
wc/o'.
LEX ET CAPITULA. 1M
En résumé, les deux textes ci-dessus, enopposant
ainsi
capitula à lex, assignent à chacun des deux mots un sens juri-dique technique
dont on avait déjà quelque peuconscience
au tx" siècle~. ilspermettent
de constater, tout d'abord, l'exis-
tence de deux éléments distincts au sein de ialégislation caro-
lingienne les caractères propres à chacun de ces éléments
seront déterminésplus
loin. Ilsindiquent,
en outre, unpro-
cédé de législation quine
peut être biencompris que si l'on
sereporte aux Leg-es Barbarorum; c'est en se faisant une idée
aussi exacteque possible
des conditions danslesquelles
naît
et se forme la lex qu'on pourra seulement préciser en premier
lieu le sens juridique du mot lex, ensuite celui du mot ca-
pitula.
II
Pendant des siècles la coutume exista à l'état latent, sous
forme d'usages juridiques auxquels, au sein de l'association
(civitasde
Tacite)dont il faisait
partie,le Germain de condi-
tion libre obéissait d'instinct 2. Iln'y
apas
à rechercher ici
par suite de quels événements historiques, à la faveur de
quelles circonstances la conscience de ces usages s'éveillaplus
ou moins tardivement chez les divers peuples germaniques.
Un fait constant est que la coutume, organisme juridique,apparaît et se développe suivant les procédés
de tout orga-
nisme naturel. Elle n'est pas créée, en ce sens que ce n'est pas
unorgane particulier, roi, conseil
aristocratiqueou
prêtres,
quiélabore pour l'association et encore moins lui impose
3
Le sens primitif de ca~t'tM~tMest point, objet, article, division, pointen t/MCMMMM,e/te/ (Lit.irë, i3o). Ici il est évidemment pris dans un sens
technique, fdenn selbst ein Kaiser kann nicht befehlen, dass ein Abschnitt
nicht fernerhin ein Abschnitt sein soii.~ (Captk., p. 33.)
Germ.~ c. tx: "Plus ibi boni mores (usages, coutume non écrite) qaamalibi bonas /M'M. Paulus Diac. De Gestis LaM'. fV,/[A: ff. leges quas sola
memoria et usu rettne&s~.T! C~'om'c. Go</<-Pertz, Zeg'. IV, p. 6~5 f~Nam
antea (avant la rédaction), per M~<:r/M<: (coutume non écrite) et arbi-
trio seu ritus finierant causationes. » Pour les Bavarois, cf. Pro/og'. Les'. III,
p. a5q, ies Frisons, Leff. III, p. 668, XIV, 2, etc. Cf. Boretius, Capi-<M/m'M'K/i;p. 8 et suiv.
f (jehorsam war den Ueutschen ein fremfter Beg'riiT. ( Waitz, Verfas-
MARCEL THÉVENIN.i~a
lesrègles qui
luipermettront
de se maintenir et de se déve-
lopperelle naît incessamment des
rapportsdes membres de
l'association(GeKOMCK)
entre eux, et s'alimente directement
au fonds populaire.
`
L'association(Volksgemeinde)
n'estpas
en état de se livrer
à un travaild'enquête
sur les usages dont l'ensemble constitue
la coutume non écrite, de les classer, de les ordonner sous forme
dedispositions rédigées
et écrites. Ellecharge
donc de ce tra-
vailpréparatoire
les chefsqu'elle
s'est donnés elle-même.
Prolog.1
ieg.Sal. (Behrend, p. ia4) « Gens Francorum. juxta
morum suorum quaiitatem. dictaverunt Safica iege~ey proceris~ ipsius
gentis quiomnes causarum
originessollicite discuciendum tractandis
de singulis judicibus decreverunt hoc modo. H
Que ce travailpréparatoire
soit fait àl'instigation
de l'as-
sociation, comme cela estindiqué pour
les Francs Saliens ou,
comme cela estindiqué pour
les autrespeuples germaniques,
àl'instigation
du rex ou du dux enqui se
résume visible-
ment l'unité de l'association, iln'importe
leprocédé
de~M-
lation constamment suivi est celui-ci des hommes choisis,
connuspour
leurexpérience,
leur habiletéjuridique,
et re-
commandablespar
leurâge,
font uneenquête
sur lesusages
existants.
Protog. ieg.Baiuw. Zeg'. III, p. 360 ~Theodericus rex Francorum.
elegit viros sapientes qui in regno suo /eg'&Ms antiquis (usages) eruditi
erant. Ipso autem dictante iussit conscriberelegem. Hœe omnia Da-
~MK~Ge~c~. I, p. 3 ta.) Ceci estégalement vrai, appliqué aux institu-
tions juridiques et aux institutions politiques.
Sur le sens de dictare, v. Sickel, tMMK&K/e~'ej I, p. ia6.
Cf. Tacitus, GerM., c. x:: sDemmoribus rébus principes consultant,
de maioribus omnes, ita ut eaquoque, quorum ~M:M ~M~em <:fët<n'!<N:
est, apud principes p)'<B<fac<eH<Mr.!) Le procédé indiqué par Tacite se re-
trouve dans Pro!. I, ieg.Sal. (Behrend, p. 125) <r.proceris ipsius
gentis qui tunc tempore eiusdem aderantfee~or~qui.. -omnes
caù-
sarum origines sollicite discuciendum tractandis (~ac<at!<M~) desingulis
iudicibus decreverunt hoc modo.)) Cf. Epil. 1 (ib. p. ia6) (tSic vero Chil-
dcbertus rex. po'&'ae&ïM')) etEpiL
II(p. 127) fr. et postea eMM
Francis ~'&'ac<nc~) etc. Cf. Edictus domniChUperici régis (Behrend,
p. i o5 ) Pe)'<:<)!<es. cum t'i'ns. o&<!mf:<:&M ve) antrustionibus et
om)t:pot)M/oMo.o convenit, etpMMm.
LEX ET CAPITULA. l&â
gobertusrex
perviros illustres et omnia vetera legum
in menus trans-
tulit et unicuiqueg'eM<! scriptam tradidit. n
Roth. Prolog. Leg. IV, p. atf. in
quantum per SM~M homines
didicimus.
Roth. c. 386. Leg. IV, p. 8g tf.reservantes, ut quod adhuc.
tam per nosmetipsos quam per <M<yMos homines memorare potuerimus
in hoc edictum subiungere debeamus
H en sera de mêmelorsque
lespeuples germaniques
seront
réunis sous lesceptre
desCarolingiens.
Capit.Karoti m. a.
y8o,c. 6a.
Leg. I, p. 63 «Primo namque dili-
genterdiscenda est lex a
sapientibus populo composita."
Capit. Karoli m. ital. a. 801, praef. Leg. I, p. 83 ft.qua~dam (quœs-
tiones) vero in nostri examinis arbitrium ad tempus dilata quorum iudi-
cialis sententia a legislatoribus aut penitusomissa est aut a
posteris
oblivioni tradita Ce dernier pointsera traité plus loin.
De cetteenquête,
les~s~ores rapportent
une série de
dispositions qu'ilssoumettent à rassemblée de la
gens { FoM:).
Grâce à eux, l'association a désormais conscience de sesusages
juridiques; elleapprouve
celles de cesdispositions qui lui pa-
raissent le mieuxreproduire
les traits de sapropre création;
elle les reconnaît comme constituant sa coutume. L'instinct
faisantplace
à la connaissance, elle déclareque
c'est bien là
son droit.
Prolog.ad
ieg. Burg.c. i3.
Leg. III, p. Sa~ rf .deËnitio quœ ex
tractatu nostro et communi omnium voluntate conscripta est.
Liutpr. prol. Leg. IV, p. 135 ff. et cam presentaliter fuissent capi-tula ista relicta omnibus placuerunt et preventes a~e~MM. B
Cf. lex Alam. Leg. III, p. A5 et lex Baiuw. Leg. III, p. a 60.
Tass. decreta prœf. Leg. III, p. ~63 f.MM~erM consentiente mul-
<!MMe. ')
La coutume écrite, résidu de l'ensemble desdispositions
successivement examinées, naît donc de la collaboration des
legislatores etde l'association. Il est absolument inexact
d'y
voir'le résultat d'un contrat intervenu entre les/eg's/à<orM
et
l'association 2. Ces deux facteursn'agissent pas
contradictoire-
V. Boretius, Kapitularienlcr. p. 8 et suiv.
Dans ce sens, Lôning, Vertragsb., p. i, n. i. Dans le sens de contrat,
Boretius, op. cit., p. 11, etBeseter (F~g's&eMyMrjHoMeyef), p. 5, 6.
MARCEL THEVENIN.1M
ment; leur activitéconverge
vers un but nnal_commun, la
fixation de la coutume.~e~s~torM
et association s'accordent.
Prolog. leg.Sa). U (Behrend, p. 126) ffPfacM:< alque convenit inter
i
Francos et eorum proceres.7)
De là le nom depactes,
termetechnique qui désigne
la
coutume fixée, dans lesplus
anciens documents
Cod. Bibl. Mt. A~o~ Kincipiunt capitula inj~c~o Saiica'.a »
Prolog. teg. Sa). 1 (Behrend, p. ia5): ff. et quod minus iu~ac~Mm
habebatur idoneo. »
Leg. III, p.3& f.Ineipit~sc~KS lex Aiamannorun). Et sic con-
venit. )!
t'roiog.ad teg. Burgond.
c. i3. Leg. 111, p. 5~ etiam per
posteros custodita perpetaœ pactionis teneat Grmitatem. B
Cet a<*eor~ se manifeste et s'affirme dans des formes qui
varient avec les diverspeuples germaniques.
On.retrouve en
elles les formes de la vie juridique ordinaire.
Roth. c. 386. Leg. tV, p. §o s. et per ~'aM'~M?Hcs<'CM~MMt'
g-entM }:os<?'a' M)~tHS)!<es ut sit hœc iex firma et staLiiis.?
Prolog. ad teg. Burg. c. i3. Leg. III, p. Say t<GonstitutIoms vero
nostrœ seriem placuit etiam adiecta comitumSH&MnpiMKe~ma)'!
ut deft-
nitio quæ ex ti-actatu nosli*o et communi omiziuin voluiitate consci-ipla est,tM/M quas ex &'<:c<<~MHo~t'o et communi omMMH! oo~Mtttsfe coMer~~ est,
etiam per posteros custodita perpetuae pactionis teneat ~rM~teM.))»
Telles étaient encore l'acclamation, suivieprobablement
de
certains actes solennels et, peuà
peu, l'écriture. L'assenti-
ment et l'acclamation d'où résulte l'accord manifesté sont mar-
qués parles
expressions suivantes, revenant àchaque
instant
dans lesleges
Kadsensumprae&ere~
am~M~ omnipopuio,
universa coH~?t<:eM<e multitudine, ex communi omnium vo-
luntate, per suggestioneiudicum
otHtMMtKOMecoHseHSM. Il
importede se bien
pénétrertout d'abord
quela &M? nait d'un
accord et nonpas
d'un contrat, si l'on veut juridiquement
distinguerentre elles les sources de la
législation carolingienne.
Enprincipe
et tantque l'empire
des Franks n'estpas
encore constitué telqu'il
le sera sous la deuxième race, le
7/!<e)' a ici le senscopulatif de zwisclten. Cf. Leg. 111. p. ~)5 K. M/M
cuu) proeeribus suis.vêt cetero populo adunato. et ib., p. 269
fr.. apucl (avec) regem etprincipibus
eius et apud cunctopopulo.
x
LEX ET CAPITULA. 1h5
i 0
peupleattribue la même autorité à sa coutume écrite et à sa
coutume non écrite. M faut toutefois et il suffitque
la coutume
non écrite soit constatéepour chaque
cas particulier nonprévu
dans la lex, par les juges du tribunal. La raison en estque,
dans l'une et dans l'autre, l'association(~eKs, Volk) reconnaît
égalementsa création, la norme qu'elle
a elle-même élaborée.
Aussi le mot lex(anc. germ. eïpa~ eoa, « ce qui lie "), qui
ne dé-
signera plusdans la législation de la seconde race que la cou-
tume écrite, est-il souventemployé
dans les leges au sens de
coutume non écrite mais observée, dont l'association a con-
science
Lex Fris. XIV, 2.Leg:. IV, p. 668 rrHaec lex inter Laubachi et
Flehum custoditur. Casterum inter Flehum et Sincfa!am talis est co~Me-
/M~O. B
Edict. Roth. c. 386. Leg. IV, p. 8g antiquas ~M. ~Ma?
.scr: non erant. Cf. Prol. Baiuw., p. a5().
Au vin" siècle, l'une et l'autre sont nettement distinguées.
Pippini It. reg. cap. circa 7go,'c. 10. Leg. I, p. 4y fr.ubi lex est
prœceiiat co)MMe<M~:Memet nulla coMM<e<M~osuperponatur legi.
La coutume écrite, lex, est encore désignée par les mots
edictum, decretum, constitutio, qui, pour peu qu'on soit sollicité
par le souvenir desprocédés
de la législation romaine, sem-
blent indiquerdans la
législation germanique une évolution
quiattribuerait au rex ou au
duxun rôle de premier ordre.
Ils marquent simplement que, dans la confection de la lex
ou mieux dansla fixation
de la coutume, le rex ou le <&M;, en
quise personnifie l'association, attache son nom à l'oeuvre de
l'association elle-méme 1; sacoopération n'ajoute
rien aux ca-
ractères propres de la lex, mais elle lui est en somme favo-
rable, en ce sens que le rex ou le ~M~c est mieuxplacé que
l'association, groupe complexeet inhabile à
agir, pour voir à
quel moment il est opportun de fixer la coutume ou d'ajouter
desdispositions (capitula)
nouvelles auxdispositions déjà
fixées s.
Proiog. ieg. Baiuw. Leg. III, p.a5g frDagobertus unicuiquegenti
scriptam tradidit." Cf. Einhardi'Vita Karoli, c. xxrx, script. II, p. ~58.
ft p«M:'M.C'est ce qui résulte directement des textes et du rapprochement de
MARCEL THËVEMN.1&6
Il résulte del'analyse qui précède que
la lex tire d'elle-
même sonprincipe
d'autorité etque,
chez les Germains, dans
la lex se manifestespontanément
la fonction juridique de
l'association, c'est-à-dire dupeuple
considéré comme uno~-
nisme social. Le caractère essentiel de la lex est d'êtrepo~M~Mv.
Tass. décréta adleg. Bamw. Leg. lit, p. &6& tfDe~opM&a't'&MS ~t-
AM~.!)
De ce caractèrepopulaire
de la lex découle, parvoie de
conséquences,une série de
propres queles textes
permettent
d'ailleurs de constater directement.
i ° La lex estpersonnelle.
a)Au sein du
royaume,de
l'empire des-Franks, la lex est
particulièreà
chaque élément constitutif decet empire,
c'est-
à-dire àchaque peuple;
elle est la Je cepeuple,
comme
l'idiomegermanique qu'il parle
est salangue.
De làles expres-
sions lex Salica, lex Z<?'aHC. C/M~aSOfMM, ~&mM)MMrMN~ F<M-
tpat'torMm, LaHg'o~af~orMMt,etc. Et comme, sur le territoire de
l'empire, chaque peuple occupeune
circonscription déterminée
edictum et de cfM~i'e~ de ~cr~Mm et de <feo'e!)er!tHf. V. d'unepart l'rolog.
1
Leg. SaL (plus haut, p. i fi et n. a ) et d'antre part Ft&ct. Roth. Leg. IV,
p. 8 () (f Pra'senteme~c~m quem. inquirentes et rememorantes antiquas
<<M. quœ scriptœ non erant condedimus.7! Cf. p. i55. LexBaiuw.,
Leg. 111, p. a6() fr.oc ~ecre.tMm apud regemet
principibuscius et
apud cuncto populo.x Les proceres, principes de l'association, de la
g'e)M (civitasde
Tacite) sont devenus lesproco'eSj judices, principes, etc.,
du re.r ou du dux; ceci marque une évolution politique sans doute,
mais non une modification, encore moins une altération des caractères
essentiels de la coutume. Quant à coMt!'&<<:o., ce mot signiSe simplementaction de fixer, ~'sn'&e)' (statuere), comme il est facile de s'en convaincre
parla
glosse maihergicnie (Lex Salica, xmi) Kseoland ~<<M.f Voy.
Kern, Ma&. G~s.~ p. ay "S~MM ist steuen oder ~<a<Mefc~ bestImmen.B
CoHsftMM, au sens concret, est donc tout d'abord FensemMe desdisposi-
tions fixées, tout comme lex, coutume écrite. Les précautions prises pour.s'assurer du sens d'un terme juridique et des nuances de ce sens.
pour-ront
paraître exagérées, et la lecture de ces citations sera peut-être fati-
gantec'est qu'à mon avis on ne saurait
trop se défier del'enveloppe
latine qui, dans les textes spéciaux, recouvre t'idée juridique; d'autre
part, cette idée eUe-méme, chez les Germains, ne se présente jamais
complèteet
précise dans un seul mot, et l'on ne peut, en conséquence,.arriver la saisir tout entière
qu'aprèsune série de retouches et de tâ-
tonnements.
LEX ET CAPITULA. 147
10.
(~roM'MCM, ~n/j!),elle est la lex de cette
circonscription (sans
être pourcela
territoriate).
Lex Franc. Chamav. (Gaupp. p. 30) <rNotitia vel commemoratio de
illa euua, ~M<Bse ad ~MoreM Aa&e<. Cf. ib. xxvi, xxvtii.
Pippini capitulare, a. 768, c. i Leg. 11, p. i/t 'r. et si de alia
provineia advenerit, secundum legem ipsius~M&'M? vivat."n
b) Partout où réside ou s'établit l'individu sur toute l'é-
tendue del'empire
des Franks, sa lex le suit, parce quela lex
est lapropriété
de Findividu(lex ma).
EHe faitpartie de
son
être (lex <7Mf<vivit).Il ne peut pas ne pas l'invoquer, tout
comme il ne peut pas ne pas parler l'idiome qu'il parle.
Pippini capit. c. trUt omnes homines eorum legis habeant, tam Ro-
mani quam et Salici, et si de aliaprovincia advenerit, secundum legem
ipsius patri~e vivat. (V. p. i~t5, note i.)
Le rex lui-même n'estpas
au-dessus ou en dehors de la
lex; individu d'origine franque (saliqueou
ripuaire);lom-
barde, etc., il vit d'après la /e.c5's&ea, Ribuaria, etc. C'est ainsi
que Clovis observe la lex Franc. en fiançant Clotilde par le
.soMe~/ef/eKMr.
Fredeg. epit. Greg. Tur. 18 ~Legati o~g?'eK<Msolidum et denarium,
ut mos erat Francorum, eam partibus C/~o~o~ .~OMMM~ Cf. Form.
de Roz. asa tf. pef solidum et denarium secundum leffem Salicam et
antiquam consnetudinem ~o~~M.x 7&. 23o.
Les Carolingiens vivaient d'après leur lex d'origine, c'est-à-
dire la lex Ribuaria.
Divisio imperii a. 817, c. 16. Leg. I, p. 200 cfSi vero a)icuiiHorum
(filiorum) coutigerit nobis decedentibus ad annos légitimes iu.xta Ribua-
riam leffem nondum pervenisse.
Un texte intéressant, cité déjà par M. Boretius (Kap. p. i /t),indique qu'a il
en coûta le trône au roi des Lombards, Rat-
chis, pour avoir, entre autres violations de la lexLangobar-
dorum, réglé, vis-à-vis de sa femme Tassia, lesdispositions
matrimoniales, quantaux biens, d'après le droit romain et non
pas d'aprèssa lex
personnelle 1.n
Chronic. Benedic. Script. t!I,p. 70 a. Voy. encore le récit intéressant
rapporté par Grégoire de Tours, Hist. FfSMc., III, ay. Cf. Sohm, ~eeA:
der Eheschliessung, p. 77,n. 3.
MARCEL THÉVEMN.)M
c)C'est
précisément parce quela lex est
personnelle,c'est-
à-direqu'elle
est lapropriété
dechaque peuple
et aussi de
chaque individu, queles autres
peuplesou
individus (et aussi
le!*e~)
ont le devoir de larespecter,
de même qu'ilsont le
droit de fairerespecter
la leur.
Greg. Hist. IX, 3o K ~'NM'fe!' et itie [Charibert] cum iuramento
promisit, ut ieges consuetudinesque novas populo non infligeret. sed
in illo quo quondam patris dominatione statu t'!a;era!t!. Htipso hie eos
deinceps re<:n~'e<
Pipp. It. regis capit. c. i5. Leg. L, p. loA: ttVohitaus ut sicut nos
um!M&M~legem o~'MMM, ita et omnes mo~M ~on o&M~re ~esKf. »
KaroHII jusjur. a. 876. Leg. I, p. 5at) < Ego MMcM'~e eo~e-feHtem ~eM et iustitiam eoMso'sa&o. Cf. jForn!. de
Roz. yff. et eos
recto tramite MCMH<&<m~g'e et eoMMc<M<&'Meor~y! regas.))
a" La lex est !'HuH~c dans sa ~M! elle se transforme in-
cessamment, et dans ses transformations se reflètent les vicis-
situdes historiquesdu
peupledont elle émane Fixée à un
certain moment de sa duréepar
leprocédé que
nous avons
vu, elle nepourrait
être abolie en bloc, effacée que parle
procédéinverse.
L'organesocial
qui,sous les deux
premières
races, est ledépositaire
dupouvoir, ler&~ne peut pas plus,
par ordre, abrogerla lex d'un
peuple, qu'ilne
peut, par ordre,
anéantir salangue
et laremplacer par
une autre. Ilpeut
tou-
tefois agirsur la lex, mais indirectement et dans des limites
restreintes. Même dans ces limites, il nepeut agir
sur elleque
si, parvoie de modifications insensibles, il sait en
élaguerles
dispositionstombées en désuétude. Ces
dispositions sont, en
effet, des élémentsque l'organisme juridique ne nourrit
plus.
Quant auxdispositions
envigueur, dont l'association vit en-
core, iln'y peut pas
toucher.
Proiog. )eg. Bamw. Leg. III, p. a5() ~Et quicqoid Theodericus rex
propter vetustissimam paganorum consuetudinem eMen~cre non po<M<j
post hsBC Hildebertus rex mc/tcaM~ sed Lotharius rex pef/ec!'t.t
II sufHt de rappeler ['influence considérable qu'exercèrent: l'Ia lex
&!K<M sur les leges de quelquesautres
peuples germaniques,en partica-
lier sur la ~~Man'a/cf. Sohm, Ze:~c/t)'R)'Ree/t~g'M<He/<fe,V,p.3()&et suiv.; a" après la fondation de l'empire irank, les /eg-M j~at:co!'t<m
sur
les leges des autres peuples. La lutte pour l'existence ou la prééminence
s't!tab)it ou se poursuivit entre les divers organismes juridiques ou &§'<?.
LEX ET CAPITULA. 1&9
Liutpr. c. cxvm. Leg. IV, p. 156 tr. sed jNrop/er consuetudinean gentis
tMs<f<p Z,SMg'o&<!r(/orMm ~eM ipsam M<<:)'e non ~o~M~MS.n
3° La lex, dans les diversesphases
constatées de son déve-
loppement, emploie le procédé qu'ellea
employé pourse fixer
tout d'abord. Cecipourrait
être considéré comme une consé-
quencede ce
qui précède;c'est d'ailleurs ce
quirésulte direc-
tement, pourla
période mérovingienne,des
Epilogues1 et II
(Behrend, p.ia6 et
isy).Cf. Edictus domni
Chilperici
regis (ib. p. io5),c. t, et les nombreux textes cités
plus
haut 2. Pour lapériode carolingienne,
voirplus
loin.
&° La lexrègle
ou du moins tend àrégler
lesrapports que
la vie civile fait naître entre les membres libres de l'association
(civitas, natio, gens, joopM~Ms),et ne règle que
ceux-là. C'est
pour celaque
lesleges
sont avant tout des recueils deprocé-
dure et de tarifs. Le droit civily
estégalement représenté,
mais en action, mêlé à laprocédure, parce que l'association,
encoreincapable
de lapuissance
d'abstraction nécessairepour
distinguerentre elles les
grandesdivisions du droit, s'est
pro-
poséde
rédigerun recueil utile et non un recueil
systématique
et savant dedispositions juridiques3.
Lesleges contiennent, en outre, plus
ou moins dedisposi-
tionsrégtant, par quelque côté, la situation civile des étran-
gersau sein de
chaqueassociation.
Var. MMtsfe. Le chapitre est trop long pourêtre
reproduit ici; il
faut te lire en entier dans Pertz, loc. c:'<.
Lesleges, pour se mettre d'accord avec les coutumes non écrites,
procèdent tantôtpar
additions successives, tantôtpar remaniements plus
ou moins habiles, tantôt enfin à la fois par additions et remaniements de
détail. Pour bien constater ces additions, il faut évidemment avoir [es
textes sous les yeux. Dans la période mérovingienne et en s'en tenant à
la lex Salica, comp. 1° Behrend, p. g8, c. i ffDe ag'so~K'M (des essoines
nu excuses légales).Secundum legem Salicam hoc convenit observari.
et lex Salica, 1 cDe mannire') (de l'assignation au tribunal); a° Edic-
tus Chilp. (Bebrend, p. io5) r~Pertractantes in Dei nomen cum viris
magnincentissimiset omni
populonostro coMMtMf., etc. c. a Si-
miiiter convenit ut re:&Ks. M et ~'Sa~ xuvfDereipus.B
Edict.
Chilp.c. 3 et/e~M.~ nx frDe a~odis," et passim.
La proportion entre ces éléments divers, droit privé, procédure,
tarifs, varie du reste avec les différentes leges; ce quatrième point,fort
important,ne
peutêtre examiné
quedans une histoire de la
législation
franque.
MARCEL THÉVENM.150
En résumé, la lex émane du peuple et s'alimente directe-
ment à la source populaire; de la son procédé de formation et
de développement. Elle est personnelle. Elle est illimitée dans
sa durée, parce qu'elle satisfait à des besoins qui sans cesse se
renouvellent.
III
A côté de ces besoins, nés spontanément des rapports des
individus entre eux au sein de chaque association (quod ad
.HK~of Mm!<??<:?!? pertinet), sedéveioppèrent, assez faibles
d'abord, puis plus grands à mesure que l'empire des Franks
prit plus de consistance, des besoins nés de la vie politique,commune aux populations germaniques et romanes réunies
sous le sceptre des rois, puis desempereurs Franks (quod ad
M<!7!ta<Bmpublicam ou encore ad M~t~e~ Jowïn~m seu rea~stM
pertinet). Le pouvoir royal, en réunissant ainsi ces popula-
tions, les avait, en effet, par cela même initiées à la culture
politique générale lui seul était en état de trouver les moyensles mieux appropriés au maintien et au progrès de son œuvre.
Les moyens avec lesquels les rois gouvernèrent et administre-
rent l'empire sont, dans l'ordre juridique, les dispositions lé-
gislatives connues sous le nom de ca~M~M'?~.En embrassant le christianisme, les peuples germaniques
vécurent désormais d'une vie religieuse commune, qu'avaient
déjà organisée, avant leur conversion, les décrets des conciles
et les règlements disciplinaires des synodes ou autres assem-
blées ecclésiastiques. L'Eglise toutefois ne pouvaitassurer l'exé-
cution de ses volontés, là où elle procédait par ordres ou
Injonctions, qu'au moyen de peines MMOtM~Mcs,telles que l'ex-
communication, les pénitences ecclésiastiques, les amendes, etc.
Les Carolingiens lui prêtèrent l'appui de leur pouvoir séculier,
en reprenant les dispositions élaborées par elle, sous la forme
Cette initiation à la vie politique générale fut d'aitieurs imposée aux
populations plutôt que volontairement acceptée par elles; c'est ce quedémontrent, juridiquement, l'existence du &a!M~ sanction pénale quinécessairement appuie toute disposition émanant du pouvoir royal, et,
historiquement, ia fragitité et l'effondrement rapide de l'édiCce politiquefnrntin~ipn.
LEX ET CAPITULA. 't51
de dispositions législatives, également connues sous le nom de
eas~M~Mre~dont l'exécution fut, à l'occasion, assurée par le
bannus, c'est-à-dire parune sanction
pénale d'origine royale.
Sous les Carolingiens, l'unité politique, qui,au temps des
Mérovingiens, se personnifiaitdans le rex ou le aM~c, prit corps,
pourtous les peuples
soumis àl'empire
des Franks, en la per-
sonnqde l'empereur. Ce fut au
pouvoir impérial qu'incomba
désormais la tâche, nonpas
de développer les leges, on
peut dire maintenant le droit CM~7/–mais de donner au droit
civil l'occasion de sedévelopper
en saisissant le moment précis
où il devait se mettre à la hauteur des exigences nouvelles. Ces
exigencesétaient dues à l'action exercée par
la viepolitique,
la vie économiqueet la vie religieuse sur la vie civile géné-
rale. Lapart
de ces exigences,en tant
qu'ellesmodifiaient dans
le même sens l'ensemble des leges, c'est-à-dire lesparties
du
droit civil communes aux diverspeuples
del'empire,
fut faite
aumoyen
dedispositions qui nous sont également parvenues
sous le nom de M~M~K'rM-.
Enfin, les instructions écrites données par les rois ou les
empereursà leurs agents, d'abord provisoires, puis perma-
nents (m!~), pourl'exécution des
capitulaires,la levée des
contingents militaires, l'application des dispositions adminis-
tratives, etc., dans chaque grande circonscriptionterritoriale
(MtMsahcMMt)de l'empire,
étaient aussi descajM'<!jaN-M.
Le cadre restreint de ce travail nepermet pas d'exami-
ner chacune de ces catégories decap~a
et demarquer
di-
rectement, d'après les textes mêmes, ce qui distingue juridi-quement, quant
à leur contenu, les eacttM~: proprementdits
(ausens technique
de la législation carolingienne), qu'ona
ap-
pelés aussi capitula per se scr~eM~a~ des capitula legibus addita.
Quant àl'objet
différent auquel ilss'appliquent,
ou mieux
leur distinction extérieure, elle a été dèslongtemps
faite en
Allemagne par Eichhorn,Biener et Waitz, et, bien avant ces
historiens, parnotre Montesquieu le créateur de l'histoire du
1 Esprit des lois, xxvm, io,éd. Laboulaye, p. ay8:(fLes capihuairesétaient de plusieurs espèces. Les uns avaient du rapport au gouvernement.
politique, d'autres au gouvernement économique, la pfupart au gouver-nement ecclésiastique, <jrKe/~MM-H)Mau gouvernement e: Ceux de cette
dernière espèce furent ajoutés à la loi civile, c'est-à-dire aux /OM~c)'~OM-
MARCEL THËVEMN.152
droit en France, bien qu'elle n'ait été scientifiquement dé-
montrée que tout dernièrement par M. Boretius. Envisagéscomme manifestations de l'activité législative des Carolingiens,comme sources juridiques, les capitula (per se scribetida) cons-
tituent la plus grande partie de la législation des vin~ et
ix° siècles; ils ont en vue l'utilitas publica ou encore JoMt!nc<:
seu feg'M; ils se rapportent au gouvernement économique et
politiques; ils émanent directement de l' empereur, secondé parses c<Ms:7MN'K.Les populations, soit directement, soit par des
délégués ( judices, Iceislatores), ne prennent aucune part à leur
confection et ne sont point admises à donner leur adhésion
aux capitula (perse scr:&eKjs), après leur composition et avant
leur promulgation. Il suit de là
1° Que ces capitula constituent le droit territorial des po-
pulations faisant partie de l'empire frank-(sub reginaine tmpera-h~'s
Jeg'eK<es);2° Que ce droit est o~c:'e~ c'est-à-dire que, né de l'autorité
impériale, il est artificiel et voulu, tandis que la lex est le droit
populaire, organique etinconscient;
3° Que, par leur nature même, les capitula sont limités dans
leur durée. Auxiliaires indispensables de l'idée politique quitend à se réaliser dans l'empire carolingien, les dispositions
qu'ils contiennent ne sont plus appliquées dès que cette réa-
lisation n'est plus possible. A l'époque même ou l'empire ca-
rolingien paraît solide, les capitula contiennent en eux-mêmes
un principe de mort. Sans aller jusqu'à affirmer que les c<tula (per se scribenda) n'avalent force de loi que durant le
règne de l'empereur qui les avait créés etpromulgués, ce
qu'aucun texte n'indique positivement, il est permis de voir.
dans le grand nombre de ces capitula revenant sur les mêmes
sujets à de fréquents intervalles, ainsi que dans le soin. quemettait chaque empereur à s'autoriser des ca~<7<: de ses pré-
Me/&sde chaque nation. Mais ces capitulaires. ajoutés aux lois persort-nelles, firent, je crois, K~et' ? eoys même des capitulaires. Dansdes temps d'ignorance, t'abrégé d'un ouvrage disait, souvent tomber
l'ouvrage môme. Si le corps même des capitulaires (les capitula perse scft&e/M~ capit. proprement dits) fut ~néglige s, ce n'est point parla raison toute superficielle que donne Montesquieu; cela tient, commeon le voit, à des causes organiques. Cf. ib. p. 415, n. i.
LEX ET CAPITULA. 153
décesseurs, les traces des enorts que firent les Carolingiens pour
soutenir leur œuvrepolitique
et lui assurerquelque
durée.
Quant aux ca~o~M~ quise
rapportaientau gouvernement
civil (s!Kg'M/orM?KM<<<7s),ils doivent leur formation au même
procédé législatif que les /cg'& dont ils ont les caractères lors-
qu'ilssont
incorporésà une lex
particulière.La mise en lu-
mière de ce dernierpoint
nous ramène àl'objet direct de
cette étude.
IV
i"Lcsc<!D:<M/<ïOM<p~eMr<!6MS&.coK!<scoKS~M<<MKt,
an. y 85
ouy8a (Waitz,
Gelehrte GoM. Anz., 1860, p. ay Pertz, Leg'. I.
p. /[8), auxquelsil faut joindre IeC~K'<M/afe &M;OK!'cMm(Pertz,
jLeg'. I, p. y5),ont le caractère
populaired'une lex, ce qui est
d'autant plus intéressant que Charlemagne, tout en faisant
entrer de force les Saxons dans la viepolitique
et dans la vie
religieuse de son empire, respecta,bien inconsciemment sans
doute, les manifestations de leur vie civile.
&MCf~)<M). simulque congreg'atis Saxonibus de diversis pagis, tam
de Westt'aiabis et Angrariis, quam et de Ostfalahis, omnes MMMMN: con-
4'se?'MM<ay<~e~erMM<.
G. a rrOmnes statuerunt et~~c<e?'M;;< t
C. 3 fItemjt)/6!CK!< 0?MM&MSSaxonibus. n
G. ffHoe etiam ~s<Memn! B et~xtMtM. Cf. Cap. Paderb. cit.
20 Les diverses phases par lesquelles nous avons vu la cou-
tume non écrite passer, avant d'arriver à l'état de lex, sont in-
diquées pour les dispositions quidevaient être ajoutées à une
lex.
Voici en effet une instruction donnée par l'empereur à ses
w~M.
Cap. missorum 823, c. ig (.Leg'M., I- p. 115) tfUtjoopM&MM<ert'eg'e<M'de capitulis quee in iege w~HeKf/o;snnt. Et postguam omnes eoKseKserM<,
.fM~cr!p<M):e~et ?MaK!ma/MMM in suis capitulis faciant.
Ceque confirme, au reste, la
sM~crM)hodes
capitula OMO°in
/pje&ca mittenda ~MN<(Pertz, I, p. i a)
ln Cbt'isti nomme incipiunt capitula legis imperatorisKaroH nuper in-
D'après les manuscrits ~613 et ~t63a, Paris. Les éditions portentin iege novitot'/zfM~tSunt.i Voy. Boret. op. << p. 56. n. i.
MARCEL THÉVENIN.15&
venta anno tertio domini nostri KaroHaugusti. Sub ipso anno hœc facta
capitulasnnt et consignata Stephano comiti, ut hœc manucsta fecisset in
civitate Parisius mauopnbptico,
et ipsa leffere fecisset coran! iUis scabi-
neis quodita et fecit. Et ONme.< in uno eoMe~erMHt
quod ipsi voluissent
omni tempore observareusque
in posterum; etiam omnes scabinci epi-
scopi abbatis comitis manupropria sM&~)'~r7M~erM:<.
Onpeut comprendre
maintenant le texte du ms. 3 o &, non-
seulement dans sa lettre, mais, cequi est plus important,
dans
sonesprit.
Lescapitula
enquestion
sont leschapitres qu'ont
rédiges ies~'M~i'ees~raK~ aprèsles avoir soumis l'examen et
à la discussion du peuple dans les assembléesjudiciaires.
En
sereportant
à la lex &Kca~ il est faciled'y suivre chacun des
titresauxquels chaque chapitre, pris isolément, renvoie. Ce titre
est de la sorte revisé, corrigéou
augmenté. L'examen, la dis-
cussion et ennn le consentement dupeuple sont marqués par
lesexpressions
habituelles.
Pertz, t, p. 225 ffDehoccapihdo HKHcaiKM M< t
G. -3 tDe hoccapite
!!KKes<Mm est ab omn:&Ms. t
Le consentement est constatépar
lasK&<gr~nKa~'o que
fai-
saient ceuxqui
savaient écrire. Lescapitula rédigés sont portés
à l'assembléegénérale
à AIx en 818, danslaquelle
Louis le
Pieux t~c&N'equ'en
vertu du consentement de tous-ils doivent
êtreajoutés
etincorporés
à la lex Sahca; l'année suivante il
défendd'appeler
cesdispositions capitula au sens
technique
indiqué plus haut, il ordonne de lesappeler
lex. Si l'on tient
comptede la nature de ces
capitula,il est facile de voir
qu'ils
étaient nés lex, etque
la défense de Louis le Pieux n'ajoutait
rien à leur caractèrejuridique.
L'acte de Louis le. Pieux,
comme nous dirions de nosjours,
est un acte <&fc~M'<~et
nonconstitutif
C'est encore cequi
résulte d'uncapitulaire
de
Charles le Chauve en8y3. Pertz, I, p. 5ai, c. 8
t'ropterea per capitula avi etpatris nostri, qua*
Fr<M:M~M'o &g'e
/M!c~« judicaverunt et~KMM nostri in generaU placito aostro (?) conser-
vanda ~e?'eccrMMt disceraendum est
On voit maintenant comment il fautinterpréter la phrase
"quoniam[ex fit consensn
populiet constitutione régis')
»
Karoti it edict. PisL a. 86~, c. 6(Pertz, Zeg'. p. 4<)o). Au
pointde
uc jurtdKjuc, on ne s'explique d'ailleurs pas la présence de cette décla-
ratifm de prittcipc ~<:tM le chapitre 6; <*)[e satisiait probabtenient à ce
LEX ET CAPITULA. i55
Outre les c~/<M/a incorporésà une lex
particulière, qu'il
n'est pas d'ailleurs facile de distinguer, grâce aux fastidieuses
compilations réunies par Baluze et Pertz, il y avait encore des
capitula ajoutésà l'ensemble des
legesou seulement à
quel-
ques-unes d'entre elles; c'étaient donc, à ne considérer que les
lignes générales, des dispositions de droit internationalprivé
(natio,au sens des textes des vm° et ix"
siècles).Le
procédé
qui leur donna naissance meparaît
tenir à la fois duprocédé
de formation des leges et de celui des capitula (per se scr:6eMf&:);
de là le caractère mixte des capitula /eg'&tMa~JeM~a. L'étude de
cette catégorie de capitulane tenant pas directement au sujet,
il me suffira, je pense,d'avoir fixé le sens juridique de lex et
de capitulaet d'avoir marqué les caractères
propresà chacune
de ces deux sources de lalégislation carolingienne.
Bien loinque
les princes aientpu
«transformer leurscapi-
<M/aM~s en lois par leur seule volonté, c'est à peine s'ils purent
en assurer l'exécution. Ils s'efforcèrent, d'instinct, il est vrai, de
procurer à une catégorie restreinte de ces capitula (les /ea~6Mss~-
~a) quelquechance de durée en
appliquantà leur confection,
autantque possible, les procédés
naturels de la lex. Leur œuvre
législative propre fut donc, en somme, artificielle; elle n'était
qu'un mécanisme, tandis que la lex est un organisme. Le méca-
nisme se disloquadu jour où le moteur, c'est-à-dire l'Idée poli-
tiquedes Carolingiens, qui le faisait marcher, ne l'anima
plus.(Je n'est pas qu'il
n'ait rien survécu de l'oeuvre législative des
empereurs franks, mais il n'en survécut précisément quece que
lespopulations purent
s'assimiler. Les capitula, que n'invoquentdu reste jamais les documents dans
lesquelsse reflète la
pratique
judiciaire des vm", ix° et x° siècles, étaient depuis longtempsou-
bliés, queies leges, retournées à l'état de coutumes non écrites,
continuaient à être invoquées parleur nom
propre, et cela
jusqu'en plein moyen âge. C'est enfin sur la souche antique et
toujoursvivace des leges que viendront se greffer les vieilles cou-
tumes de l'ancienne France, avantl'importation
savante du droit
romain, lorsque, après avoir longtemps germé au sein de la pa-
<n's qui fit jadis partie de l'empire de Charlemagne, elles trou-
vèrent des circonstanceshistoriques
favorables à leur éclosion.
besoin de phraséologie vide et fastidieuse dont les capituiait'es oHrent de
nombreux exemptes.
QUELQUES NOTES
SUR
A A
LA GUERRE DE BAR KÔZÊBÂ
ET SES SUITES,
PAR J. DERENBOURG.
I.L'agitateur qui,
sous l'empereur Hadrien, a tenu tête
pendanttrois ans et demi (i3i
ài35) aux armées romaines,
conduitespar
un général aussi habileque
Jules Sévère, s'ap-
pelait-ilBar Kôzêbâ ou Bar Kocbbâ? Nous ne savons rien sur
son propre nom et peut-être, comme nous allons le voir, pas
davantagesur le nom de son
père.Son surnom véritable était,
à notre avis, Bar Kôzîbâ ou Bar Kôzebâ~. R. Akibâ, plein
d'enthousiasme pourson héros et désireux de lui
appliquer
le verset ~V<MM&.xxiv, ly, changeait ce nom en celui de Bar
Kôchbâ tde fils de l'étoile(x3Dl3 pour M!~)',
et la nation,
vaincue et désabusée, lui rendit son ancien nom, eny ajoutant
le sens de la racine kâzab «mentira. Kôzêbâ est le nom d'une
localité mentionnée 1 C/!roK. iv, 2 2 probablement identique
avec l'ancien ~<~(GeM. xxxvni, 5),
dont c'est la forme ara-
méenne. Le texte samaritainporte,
dans ce dernier verset, éga-
Le nom de Siméon ne se trouve que sur les monnaies appartenantà cette époque. Mais Bar K6zébâ se serait-il appelé ~f~~ tr princed'Israël? Ce titre était porté, a cette époque, exclusivement par les pa-triarches de la maison de Hiitêi, et, GamUé) 11 étant mort à l'époque de
la révolte, son fils Siméon avait droit à cette dignité, bien qu'il fût en-
core jeune et qu'il ne paraisse pas avoir pris une part active à la lutte
engagée avec les Romains. Voy. du reste M. A. Lévy, Jüd. MwMeK,
p. ta~f et suiv. et mon Essai, p. ~ta~t, note i.
C'est aussi l'opinion du D' Lebrecht dans le Af~'aMK/M' ~t'
sensch. f/&!y«</e<!</i!<M.S',Hf. p. 36.
J. DERENBOURG.158
lement ~MM, et ia version samaritaine le rend parj~o~M, ce
qui explique l'E~MTrc: d'Eusèbe et Jérôme dans l'Onomastique.Bar Kôzébâ signifie originaire de Kôzebà ~Kôxeba était si-
tuée entre Tyr et Ptolémaïs ou ~cc<~ comme le dit Eusèbe, et
les docteurs s'y rendaient souvent en venant d'Acer ou de Tyr.
Ainsi, R. ïôsê arrive à cette dernière ville en partant de Këzîb
(&jo/n~ sur DeM<.§ 35&); R. Gamliêl s'y rend, accompagnéde son serviteur Tabi et en se promenant, venant d'Accô (Mt-f&*<:sc/;rabbâh sur Lévit. xxxvn, 208", et b. Ero~H~ 6 A*'). Nous
trouvons même, ce qui est significatif, les disciples de R. Aktbà
en route vers Këzîb, où ils sont rencontrés par des brigands
qui les interrogent sur le but de leur voyage, et qu'ils dépistenten leur indiquant comme lieu de leur destination Acc6, et en
les lâchant, une fois arrivés à Këztb (b. ~dJa/t %arN/~ a5'').Ce n'est pas là une question que des voleurs de grands chemins
adressent aux voyageurs. Mais on nomme brigands (û~D*?),
dans les temps troublés, selon le parti auquel on appartient,les conspirateurs ou ceux qui surveillent leurs secrètes dé-
marches. Nous savons, d'autre part, que l'agitation était grande
alors Rdepuis Accô jusqu'à Antioche (Ess~ A16-/[ i y ). Kêzu),
qui est sur ce parcours et où habitait le chef désigné de l'In-
surrection, pouvait donc être le centre où se rendaient, pourtenir conseil, ceux qui devaient être les principaux meneurs de
l'action qu'on préparait. La ville était importante et avait, du
temps de R. Gamliêl II, une synagogue, dont le chef portait
le nom de Scipion, p~JE! (tos. ?eroMMt< II, i3). Elle est la
dernière de la Galilée du côté nord-ouest(cf.
m. Dema!, i, 3).Il serait, du reste, peu probable que les monnaies frappées
pendant l'insurrection eussent porté le nom de m''3!3 mys
Kmonnaies cozbiennes M, si le nom de Kôzebà n'avait été qu'un
sobriquetdéshonorant (b..6aM ~tHN!~ 97*').
II. On connaît la déclaration de R. Akibâ, qui, en voyantBar Kôzebà, s'écriait Voici le roi Messie (voy. Essa< p. &a5,
Il est snperuu de démontrer que ~a' ou ben s'emploie dans ce sens.
Nous verrons plus loin (p. 161, note i) les Bene .B<'<e''d&qui tiraient
!enf origine de la ville de Battyra. î! était dans l'intérêt de celui qui se
croyait ou se disait le Messie de dissimuler son véritable nom et celui de
sa t'amitte.
NOTES SUR LA GUERRE DE BAR KÔZÊBÂ. 159
notei).
Mais R. Hanînâ ben Teradiôn, un des martyrs de
l'insurrection, croyait les temps messianiquessi bien venus,
qu'ilse croyait autorisé à
reprendre l'usage de « prononcerle
tétragramme tel qu'il est écrite T'nrtnK3 Q~n nu n~in n''n!y
(b.Abôdâh Mfa/t~ 18*'). Depuis
la mort de Siméon le Juste,
~un des derniers débris de la Grande Synagogues (m. ~[M~
t, a),les prêtres mêmes s'abstenaient de bénir le
peupleen
articulant le nom de Jéhova(tosefta ~o& xin, s et b. Idmâ,
3 a*').C'est là le sens du Midrasch sur les Psaumes, ch. xxxvi,
où il est dit « Deux époques se sont servies du tétragramme,
celle des hommes de la GrandeSynagogue
et celle du sc/MmaJs n
(iDE? «destructions). Cette dernière expression s'appliqueau
tempsde l'insurrection aussi bien
qu'àcelui des
persécutions
quienétaient la fatale conséquence.
Il nous paraît impossible de
supposeravec M. Grœtz(Gesc/c/~e~ef Juden, IV, /t58) qu'ici
l'époquedu schemad désigne l'époque qui
a suivi laguerre.
On n'aurait jamais osé prononcer encore le tétragramme après
la défaite, lorsque les événements avaient trop bienprouvé
qu'Akîbâet les autres docteurs s'étaient trompés, puisque
l'o-
pinions'était
répandue queR. Hanînâ avait souffert et mérité
la mort par le feu, parce qu'il avait enfreint la loi qui défen-
dait de Kprononcer
le nom de Dieu tel qu'il est écrit, s
M. Geiger (Lehrb. JerAfMc/MM~ II, 3) s'esttrompé lorsqu'il
a voulu voir dans la m. ~erac/<o<, ix, 5, une recommandation
deprononcer
le tétragramme, dans le salut, ~Que Dieu te
bénisses(0~3
n~n Qi'?~ nx '7x1~ ai~ Kn~'trpnrT)).
Ce pa-
ragraphe de-la Mischnâb est, dans tous les cas, incomplet.Le
mot /i!<MOMsuppose toujours un état de choses antérieur, in-
diqué parmn~i:: K autrefois s, qu'on
a dûchanger
à la suite
de certaines circonstances ou des événements survenus. (Cf.
m. A~c/t Aasc/MHaA~ !i, i et2.) Ici, on ne mentionne ni l'ha-
bitude ancienne, ni le fait quien a amené l'abolition. Quoi
qu'il en soit, M. Geiger paraît avoir deviné juste, lorsqu'il
pense quela mesure
prise parles docteurs devait aller à l'en-
contre des Samaritains'. Nous savons que ceux-ciremplaçaient
M. Geiger est revenu plusieurs fois sur ce sujet. Voir Lelirbuch der
~scA)M/~ n, 3, son artidedans ]e recueil hébreu intituiéOMrAM~Mf~
Ht, 117 (Vienne, 1860), et, sm' l'usage du tétrae-ramme en généra),
f/r~e~j p. aC) etsuiv.
J. DERENBOURG.160
le tétragramme par le mot <~&K~ et ne se servaient dans aucun
cas du terme a~Ha~ comme les Juifs. (Voy. S. deSacy, <3u'e.
arabe, 1I, 33~) Tous ceux qui sont initiés aux écrits talmu-
diques savent que les rapports entre les Juifs et les-Sama-
ritains variaient continuellement. Depuis le retour de l'exil de
Babylone, les Samaritains, tantôt recherchaient l'amitié des
Juifs, tantôt leur étaient hostiles; et les Juifs, de leur côté,
tantôt les accueillaient, tantôt les repoussaient. Dans laMisch-
n&h, il s'agissait, selon nous, d'un moment où l'on se pro-
posait d'établir une distinction entre lesCuthéens (cT)'D) et les
Juifs; on voulait, en s'abordant, pouvoir reconnaître à quel
parti appartenait la personne qu'on rencontrait. Le salut pou-vait être fait avec la formule « Paix sur toi a, "p~y a~E?, ou,
dans le langage vulgaire, 'j'?y c*?~, et c'était là probablement
l'usage établi depuis longtemps (voy. Gesenins, ?7M'MMfH.
i3a~). En revenant à un salut qui se lit déjà ~M< u, A,
et en y introduisant le nom de Dieu, on savait immédiatement
a qui l'on avait affaire. Le Juif disait a~n "piy, ou'n~
tandis que le Samaritain employait la formule Q~D'7K
111. On n'a pas encore pu s'accorder sur la situation de la
ville de Bettar, où la nationalité juive a été écrasée, pour ne
plus jamais se relever. Les auteurs romains n'aiment pas à
raconter les efforts qu'il fallut faire pour étouffer cette lutte
tentée par un petit peuple qu'on méprisait,~ et qui n'était re-
doutable que par l'ardeur de ses convictions et l'attachement
à sa religion. Aussi ne mentionnent-ils pas même le nom d;e
la ville où la guerre prit fin. Dion s'était arrêté à raconter
cette guerre, qui ne dura pas moins de trois ans et demi;
mais, pour le soixante-neuvième livre de son histoire, nous
sommes réduits aux maigres extraits de Xiphilin. Ce sont donc les
rares passages des Pères de l'Eglise, tels qu'Eusèbe et Jérôme,
puis des docteurs juifs dans le Talmud et les Midraschim, qu'ilfaut consulter, et enfin il y a les récits des voyageurs modernes,
dont il s'agit de contrôler et de juger les assertions.
En premier lieu, il faut remarquer que le nom même de la
ville est devenu une cause de confusion pour son identifica-
tion. Le sens de ce nom, dérivé de in n~ ou ~n ''3 s maison
ou lieu d'f~ptoration~, a fait que bien des lieux montagneux
NOTES SUR LA GUERRE DE BAR KÔZÊBA. 161
t t
propres à FétabHssement d'unposte militaire, et dominant
par
leur hauteur les plaines environnantes, ont pu recevoir le nom
de Bettar ou Z~~r. L'Écriture connaît, pourla même raison,
un certain nombre de ~ama/t(élévation),
Ge&a~ ou G~~(col-
line), ~~aA (donjon),etc. Ainsi, lorsque Hérode établit
Zamaris (~Dï)en Batanée, afin de rassurer ce pays contre les
incursions des brigands, celui-ci construisit une citadelle qu'il
nomme J?<M/M (Jos.A. J. XVII, n, t);
or m~m estégal
à
!Tpn ''3 ou n'T'n n''3, comme mn!Cr2 (Jos. xxi, 2 y)est un
composé de mn~' D~, et m''n n'estqu'une autre forme dé-
rivée de la racine T)fi« explorer
)?.
On a essayé, dans ces derniers temps, d'expliquer le nom de
Bettar parlera castra, etpar l'ellipse du mot castra, quiestéga-
lement retranché dans <M~a et A~er~a. Bettar est, dans ce cas.
la traduction latine de C~~< /MyyeM/MK<ï de5'<orM (xiNDp
~IBS '?&' n~s'~n[KispJ),
mentionné m. ~ra~'M, tx, 6, et'S~
(éd. Weiss), to8", et cette forteresse, située sur les hauteurs
prèsde
Sepphoris.aurait été le dernier
rempartde l'indé-
pendance nationale. M. Lebrecht, quiest l'auteur de cette
nouvelle hypothèse, la soutient avec beaucoup de savoir et de
talent' Malheureusement, elle neparaît pas pouvoir
être
admise. D'abord, des ellipses comme l'ellipse du motcas~a ne
Les BeM.Be<ersA, appelés aussi les Anciens de Be/e/'a/t(r!T'm ~p!),
qu'on trouve sous Hérode à la tête du Sanhédrin et qui cèdent ensuite
la place à Hillêl, étaient sans doute originaires de cette ville. Hérode
n'aimait pas les Palestiniens, qui ne lui pardonnaient pas son origineiduméenne. De même qu'il avait fait venir ies grands prêtres de Baby-lone et d'Alexandrie, il remplaça les chefs du Sanhédrin par des doc-
teurs de la ville qu'il avait fondée, et qui, à côté des cavaliers et archers.
renfermait certainement une école, fréquentée par des Babyloniens. Seu-
lement ces Babyloniens, éloignés du sanctuaire de Jérusalem, ignoraientles traditions relatives aux sacrifices, et Hérode devait remplacer pourle sacerdoce Hananêi par la famille de Boêthos, parce que l'Egypteavait également son temple; les Bathyriens ne purent pas davantage se
maintenir à la tête des écoles. Plus tard des membres de cette famille
paraissent être retournés en Mésopotamie, où ils vécurent honorés et res-
pectés à Nisibe. Deux hommes du nom de /e/<OM<~ben Be<ef~ ou de la
famille de Be<e~ l'un vivant avant la destruction du temple, et l'autre,
contemporain de R. Josué, fils de Hananiâ, sont mentionnés dans le
Talmud. (Voy. Frankel, /Mog'c<iM~ p. t)y.)
Af~tM~, tft, 'y'~ etsuiv.
J. DERENBOURG.1M
peuventêtre admises
que lorsqu'ellessont attestées
parles
auteurs latins; ni ~er~ ni KOM n'ont été ainsiemployés~.
Qu'en hébreu on connaisse une ville de la tribu de Juda
nomméesimplement n~'in
« la nouvellea (J(M. x?, 3 y ),
et une
autre, appartenantà la même tribu, appelée
n~E?'* cla -vieille »
(IICAron. XIII, i a ) ?
cela neprouve
rienpour
un nom transcrit
du latin, où, en outre, on n'auraitpas négligé d'ajouter la
ter-
minaison a(n')D''3), qui
lui aurait donnél'empreinte d'un mot
sémitique.On l'a bien fait
pour castra, qu'onn& rend jamais
par ispmais par mxp ou Kisp. Une autre diSIculté bien
grave
provientde ce
qu'une guerreaussi
longue aurait été désas-
treusepour
la ville deSepphoris.
Mais cette ville était très-
florissanteaprès
la chute de Bettar. Plusieurs docteursparais-
sents'y
être réfugiés, pourse soustraire
à la ~engeancedes
Romains(Essai, p. Asi,
note3).
R. Halaftaet son fils R: 16sê
yétaient établis
(voy.entre autres j. BeMC&~t, m, s.ctj. Ta-
~?~t, 16'). Rabbi.lerédacteur de laMischnâh, y séjourna pen-
dantdix-sept
ans(j.jEt~MK, ix, /t).Elle
ne fut détruiteque
dans l'année33o,
et à cetteépoque
les docteurs l'avaient dé-
sertéedepuis longtemps pour
se fixer, à Tibéidade~. En der-
Lesexemples tirés des noms de villes, comme Co&mM:
./tgr!p~MM,dont on n'a conservé dans la dénomination moderne que le
premiermot
Cologne, ne sont d'aucune valeur.
A. Neubauer, Geogr~Mdu 'MH!M~ p. 19~Crrœtz, Gesch.
Me)~ IV, p. 338 et suiv. et note 3o, p. &ooet Agi. R. Hataftâ,
qui était lecoiiègue de R. Hanîcâ ben Teradiôn (voy. Frankel, Bo~o~.
p. iSa), vivait tranquillement à Sepphoris, tandis que celui-ci se com-
promettait par sa participation a ia révolte (voy. ci-dessus, p. i&8).Son fils R. Iôsê, entrainé
par son imagination,va jusqu'à raconter que
l'état de la ville dans les temps anciens était tellement florissant qu'ils'yy trouvait jusqu'à 180,000 boutiques de marchands d'ingrédients de
cuisine(b.
~M &<:f)'<~ 78''),et encore traduisons-nous le mot C~pH~
par boutiques, tandis qu'il pourrait signifier ?~<M'cA<&.Ce docteur pré-tend sans doute
parlerde ('époque où Hérode Antipas
etAgrippa H dé-
ployaient a Sepphorisleur
goûteuréné
pourles constructions
magninques.
Après la chute de Bettar, sous R. Ismael, fils de R. 16sê, la ville reçut
la visite d'un grand personnage romain, ~E)~, et les maisons furent
tendues de toiles en son honneur (j..Ë'roMM~ VU!, 8, 25b; cf. b. Suc-
cs/t, 16 b). Onparle
de deux marchés, nie marchésupérieur, pl~
p~yn, qui était probablement situé hors de la ville (j. Bo'acMj :v, 6,
3 '), et «le marché inférieur, < pnnnn ptty (b. ~'OM&H~ 5&). On y menj
tionne une académie (b. Afo~ M<OK, ai etpt!ss!M) et unesynagogue
NOTES SUR LA GUERRE DE BAR KÔZÊRÂ. 163
11
nier lieu, nous nepensons pas que
le théâtre de laguerre
ait
été !aprovince
de la Galilée.Matgré
laguerre
contre les Par-
de Babyloniens, près de laquelleR. tehoudâ i (Berêschit rabbâh, xxm.
36'')et
plustard R. lôhânan
(j. jB~scM, v, i; cf. M~/sA, iv, 4, et
Sabbat, vi, a) enseignaient)a Loi; elle est probablement identique avec
lasynagogue
et l'académie, ou bê MK/raM/M de R. Banâyâh (n'3 'l).
nommée ailleurs (j. B~M MM~ n. 11, j. ~fo~s:'o<, III, fin). Une autre
synagogue portaitle nom de ~eMMC/~a de Go/xs (j. Berâchôt, 6"),
ou peut-être de Go/M (KDBH), comme on appelait une iocafité qui se
trouvait aux portes de la ville (voy. surtout j. Me/M~M~ vu, 2, etLévy,
/VeM/M&r. u. chald. ~M'<e?-&. 3o8''). Là étaitprobablement,
sur une hau-
teur (Kn~2lj== KnBH), le marché supérieur.
Les environs de la ville, seize milles à la ronde, étaient d'une fertilité
exceptionnelle (j. B~oMnm, t, là, 6~), et, entre autres, les olives
d'un tel rendement, queR. Iôsê. ayant un jour ordonné à son fils
d'en chercher augrenier,
celui-ci trouva le grenier inondé d'huile
(Sifrê, v, § 316). Le caractère des Juifs de Sepphoris paraît avoir été
difficile et irascible. Ils possédaient d'anciens registres contenant leurs
généalogies et déposésdans les archives de la ville (m..&'MMoMc~!t~
!v, ~t; cf. Bamidbar rabbâh, tx, aaS''); de là naissaient desquerelles
de préséance continuelles dans certaines cérémonies religieuses, et sur-
tout lorsqu'il s'agissait, aprèsun enterrement, de former sur le cime-
tière lesrangs
des assistants qui devaient adresser leurs condoléances
auxparents
en deuil. R. Msé fut forcé dechanger
les anciennesdispo-
sitions, afin de rétablir la paix (j. 6e?'aeAo~ III, a). Peut-être faut-il
attribuer à ia même raison l'étendue considérable que (ries juges de Sep-
phoris" (')1BS ''J') exigeaient pour l'emplacement de ces rangs sur
le cimetière (m. BaM batrâ, vi, y). Une autre prétention des Juifs de
Sepphoris se voit b. Ts'~M'~ 16 Lors de la maladie de R. leboudâ 1,
le peuple menaça de mort celui qui lui annoncerait le décès du Nâsi,
et ie spirituel Bar Kappôrâ dut se servir d'une ruse pour ne pas exas-
pérer paria mauvaise nouvelle la foule
attroupéedans les rues
(j. Pea~
vtr, 3, et ailleurs). La peste ayant sévi dans la ville, le peuple s'irrita
de ce quela rue habitée par R. Hanmâ ben Hâmâ et ses voisins n'était
pas atteinte parla maladie (j. 7'~<!M~ m. 4). Le même docteur, lors
d'nne sécheresse, voyant ses prières rester sans effet, tandisque,
dans
une autre ville, les prières de R. tosué ben Lévi avaient été exaucées,
dit ftLes habitants de Dâr6m ont ie caractère doux et s'humilient lors-
qu'ils entendent les paroles de l'Écriture; ceux de Sepphoris sont d'un
caractère revêche et ne s'humilient pas" (t&:<). (Cf.b. 7'<MK~ aS", qui
serapporte
sans doute au même fait, et où, dans les mots ~l3m ')!yBK
l!')'~ ~nyS, ii semblequ'on
a remplacé '~T)B' par KH3''2.)Aussi
les docteurs se retiraient-ils peu à peu de Sepphoris pour se fixer à Ti-
bériade. Les étrangers étaient mal accueillis àSepphoris, et on ne les
saluait pas (j. Me~~ ix, 5, 3g *). Queue figure ces gens devaient-ils
faire aux Romains, qui ne leur épargnaient pas les vexations de tout
J. DERENBOURG.i6~t
thes, les forteresses de cetteprovince n'étaient pas assez dé-,
garnies pour queles Juifs eussent pu
s'enemparer par
de
hardiscoups
de main. C'est dans la Judée qu'il faut chercher
f la montagne royalesn~D tin ou *~Dn nn\ ainsi
queBettar.
La chaine demontagnes qui
s'étend du sud au nord depuis
l'Idumée jusqu'à la Samarie, enenvoyant
des ramifications a
l'est et à l'ouest, étaitparticulièrement
favorable à uneguerre
departisans.
Les rois Asmonéens et les Hécodiens avaient
construit dans cesmontagnes
les châteaux etplaces
fortesqui
permirentaux Zélotes de résister encore aux armes romaines
aprèsla
prisede Jérusalem.
Aprèsles conciliabules de Këzîh
et les nombreuxvoyages
des chefs de laconspiration
dans tous
les districts où habitaient des Juifs, onpouvait_seréunir dans
ces solitudes sans êtreaperçu.
Là onpouvait
obtenir lespre-
miers succèsqui
donnent ducourage
à des soldats improvisés
et décident les soulèvements des masses. De ce_c6té se trouvait
Bettar.
genre? Ainsi, pendant les jours de fête, les habitant des villages en-
vironnants se rendaient à la ville; or t<i! ne sepassait pas
de fête sans
qu'uneescouade d'espions
romains (KE?~13) descendit dans la viiiet
( h. Sabbat, 1&5*'). Unemployé
de la communauté, charge d'inspecter
les boîtes attachées aux portes (meM~dt) des maisons situées au marché
supérieur,fut rencontré par
unquesteur (*T)1Dp), qui iui
enleva mille
eo!<z.(b. Mma., t i*).Sous l'empereur GaUus.ie légat Ursicinus(Q1KD3''p)
forçait les Juifs de Sepphorisà cuire du pain pour les légions et à te
porter au marché pourle vendre au jour du Sabbat (j. Sc/M&~t., iv, i,
35'; .Be~~ t. 7). Ce sont ces actes de contrainte religieuse qui pous-
sèrent les habitants de Sepphorisà t'émeute et aux massacres dojtt parient
les Pères de l'Eglise, et qui déterminèrent la destruction entière de la ville
(vov. Reland, M<Mh'M, p. 1000). Les sourcestalmudiques
ne disent
rien de cette dernière catastrophe. On y raconte seulement que tfdans les
temps d'Ursicinus, on recherchait des habitants de Sepphoris; ceux-ci
s'étaient mis des emplâtres sur ie nez (p.T'T'nj ~7B''D p3D'' pinf)
pourne pas être reconnus. Mais ils finirent par être trahis par une mé-
chante langueet furent tous faits prisonniers. a (J. ZeMm~fj xvr, 3,15 ".)
–Cf. ma lettre dans Geiger, Jüd. Ze~c/H'~ 111, s()6.
Voir mon Essai, p. ~37 et suiv. Lamontagne tire probablement
son nom des constructions que des rois comme Jannée, Alexandre, Hérode
et ses successeurs y élevèrent. Le nombre des villages appartenantau rai
Jannée estporté
à deux mille par les uns et à soixante myriades par les
autres. Matgré toutes ces exagérations,ces contrées avaient été très-
peupiées. Cf., sur la MoM~g'M de Stm~o);, Neubaucr, Geogr.f~MmM~.
p. ".67.
~OTES SUR LA GUERRE DE BAR KÔZËBÂ. 165
Déjà, au commencement du xtv" siècle, Estori Parhi, juifprovençal, chassé de son
paysnatal
parles lois de
Philippe le
Bel, etqui, après
bien despérégrinations,
s'établit à Jéru-
salem, avait retrouvé Bettar à trois heures de marche environ,
dans la direction sud-ouest, de Jérusalem Tobler, dans son
troisième voyage en Palestine~, aégalement visité Bettir
(~x~),
située dans un tM~t de ce nom, au pied d'une montagne assez
raide, portant des ruines queles
indigènes désignent par le
nom de j~/H'r~ e~eAoM~K ruines des Juifs'?. Enfin M. Guérin
a examiné minutieusement ]a vallée et cequi
reste encore de
l'ancienne forteresse, et se décide aussipour
leur identité avec
le Bettar de Bar Kôzébâ M. Guérin cite à cette occasion, selon
son habitude, tous les passagesdes
Septanteet des Pères, en
négligeant quelque peules auteurs modernes. Pour la distance
et la direction, Kasept
milles à l'O. S. 0. de Jérusalem, ilest d'accord avec Parhi. On
peutdonc
espérer qu'onfinira
par se décider en faveur de cette localité, qui, par sa proxi-
mité de la ville sainte, permettaitd'observer les agissements
des Romains, si, en effet, comme leprétend Dion ou son épi-
tomateur Xipbihn, l'exécution duprojet
de transformer Jéru-
s:dem en villepaïenne
avait été une des causes de la guerre,
au lieu d'en être laconséquence.
Enfin la circonstanceque
les
malheureux prisonniers furent traînés au marché d'esclaves
dans les environs de Hebrôn paraît, d'après NI. Guérin, prou-
verque
Bettar était située dans les montagnes de la Judée.
I\ous sommes parfaitementde son avis, et la tradition juive ne
s'y opposenullement.
IV. La Judée soumise, les villes dépeuplées, les prison-
niers vendus sur les marchés d'esclaves, le pays dévasté,
Hadrien ne fut pas encore satisfait. Les pertes des Romains
avaient été si considérables que l'empereur, qui n'aimait pas
A~/Mr œe/M-aA, éd. Berlin (i85a), /[8* ~TH Q~TT~ Sl~D'?
in2 Kin MINE? !N'7~3.Voy.ZunzdansBe~<:MMo/'?'K~e/<i'~éd.Asber,M,
p. &38,et GeMMme/te 5c/<r!/i'e)~ II (1876), p. ag~. L'orthographe
/~M'~?',dont Parh! se sert, provient probablement de ce qu'il se rappelaitle verset de Cantique, u, 17.
Dn~C!M~'M)!g (<85<)), [). ~Ot-tO~f.
D~c~/MM f/e la P~e6'<;Mt;,,/Mf/ee~H, p. 387-3()5.
J. DERENBOURG.166
lesbruyantes solennités, en
prit prétexte pourrenoncer au
triomphe.Puis Hadrien sentit
que, pour assurer la victoire
d'une manière décisive, il fallaits'attaquer
à lareligion
elle-
même, quiavait fanatisé ce
petit peupleet l'avait
pousséà la
lutte. Il eut recours auxmoyens qu'autrefois avait
employés
AntiochusEpiphane;
il renouvela etaggrava les édits
quele
roi deSyrie
avait rendus.
Aprèsavoir fait raser l'aire du
temple, aprèsavoir démoli
et fait enlever les derniers restes du sanctuaire brûlé parTitus
et dontchaque pierre
avait été encore unobjet
de vénération
pourles vaincus, il fit traîner la charrue sur
l'emplacement
dutemple
etpeut-être
de la ville de Jérusalem Untemple
deJupiter Capitolin
étala sesmagnificences sur la
montagne
sainte; une nouvelle cité, divisée ensept quartiers, fut cons-
truite sur les collines de la ville de David; le nom de Jérusa-
lem dutdisparaître
devant celui d'~EMa, dont l'accès, dit-on,
fut interdit aux Juifs2. On défendit enmême temps
la célé-
m. ïs'tïMt, rv,7: T'rn in~irui in'Q m~~ (fia ville de Bettarfut
prise,et la charrue traînée sur ia ville.» Mais j. Te~m~ 6t)~: E"in
~3''nn DK m~SN p~nË? oan "Rutus, queses os soient broyés, traina
la charrue sur le temple. Jérôme est d'accord avec cette dernière ver-
sion il dit: frCapfa urbs Bether, adquammulta miuia confugerantJu-
dasorum, sM~Mm templum in ignominiam gentis oppressa!a Turannio
Rufo!! (CoMMeKt.Mt Zac/Mnam, ad vni, 16-17, ed. Vallars. VI, 852).
Les mots quenous avons soulignés reproduisent, à part ia
dIS~l'eneeque
nous venons de signaler, textuellement lesparoles déjà Mischnâh, com-
mentées parJérôme. Le Père de l'Église tenait, du reste, son récit de son
rabbin; cela se voit d'abord paria date, le mois d'/i&, qu'il assigne
à
l'événement, puis par le nom de Turannius qu'il donneaugénéral romain,
qui s'appetait Titus Annius, et que les Juifsappelaient, par
un jeu de
mot &ci)e,'n)pM)M)s, BjT)N.M.Gra;tz(6'escA. f~Ms~ IV,~5t) penseavec raison qu'on avait trame la charrue sur l'emplacement ~io Jérusa-
lem, pour construire la nouvelle ville d'Ilia; nous avonsdéjà indiqué
queles mots
~inignomm!am,x etc., étaientl'exptication personnelle de
Jérôme.
Nous ne savons pas quelle créance donner aux assertions de Justin
Martyr et d'Eusèbe, qui parlent d'une interdiction formelle cdc monter
vers Jérusalem" ascendere in Hierosolymam, swt~tfs~ s(? T))f îspou-
<r<][Â~ en face des preuves incontestables, fournies par les écrivains tat-
mudiques, que R. lôsê (b. Be)'acM<j 3*), son fils Ismaël (ib. 60', et
Bct'esc/Mt î'a&M~, i,xxxt, fol. go'*), contemporains de Justin, étaient allés
prier dans ia ville sainte. Noussupposons que la défense, si elle a eu lieu,
concernait les pèlerinages en masse, qui, après la destruction <)u temple,
NOTES SUR LA GUERRE DE BAR KÔZÊBÂ. 167
bration du Sabbat et des fêtes; on considéra la circoncision
comme une sorte de castration, sévèrementpunie par
les
lois romaines; les écoles furent fermées, et toute étude de
la loi juive, toute discussion sur les cérémoniesreligieuses,
touteprédication publique
futpoursuivie rigoureusement.
Trois sièclesauparavant, lorsque
letemple
était debout et
quetout le culte se concentrait dans la
capitale,il suffisait à
Antiochus de souiller l'autel de Jéhova et d'arréter à la source
même les eaux vivtfiantes de la Loi, pour concevoiri'espérance
d'en finir avec le judaïsme. Sous Hadrien, il n'y avait.p!usde
pointcentral. Le Sanhédrin et le Nâsî
siégeaientbien à Iabneh,
mais ily
avait des écoles partout.Les
disciplesamuaient à
Lôd, à Benî Berak, à Bekfîn et à dix autres endroits, où un
n'avaient pas complètement cessé. Le mot ë-!rfëcftystf= n'?y a particuliè-
rement le sens de monte)' en pèlerinage. M. Grsetz (ib. p. 462) donne lui-
même un passage d'où il résulte qu'au'm'siècle on allait de nouveau
mangerla seconde dîme à Jérusalem. Individuellement on se rendait
impunémentà la ville, bien qu'on se sentît peu de goût
à se trouver en
face des emblèmes dupaganisme,
etqu'on
dûts'exposer
sans doute à
des vexations de toutgenre
de la part des soldats et des nouveaux habi-
tants. La plainte attribuée à ceuxqui
se rendaient pendant les fêtes à
Jérusalem (MK~s~eA~c/M~ 17, foi. 6g") «Autrefois nous montions
en pèlerinage par grandes foules, et maintenant nous montons en secret
et nous revenons en secret,~ confirme cette manière de voir. Voici du
reste cequi précède cette
plainte trVespasien Ca~sar établit desgardiens
ou des postes militaires (a''ld!?. ~u~ctxs?)à une distance de dix-huit
milles d'Emmaûs, qui demandaient à ceuxqui
se rendaient à Jérusalem
Aquel parti appartenez-vous?
Ceux-cirépondaient
Auparti de Vespa-
sien, Trajan,Hadrien.)) Ces trois noms réunis
indiquentbrièvement
queles pèlerins éprouvaient les mêmes dimcuités sous chacun de ces trois
empereurs. Nous avons devant nous un résumé de trois histoires, dont
la première commençait par le nom deVespasien,
la seconde par celui
de Trajan et la troisième par celui de Hadrien. Mais la question adressée
aux pèlerins exclut l'interdiction absolue. Le mot hébreu Q~DIB ou
DtNDIB paraîtune erreur pour.DtyDIK, viMe, dont
l'orthographe varie
tant engrec
et dans le Talmud.(Voy. Neubauer. Géoffr. du Ts&Kt~
p. 100.) En concevant ainsi l'édit de l'empereur, oncomprend éga-
lement que.sans un ordre
exprèsde Rome, les
gardiensse soient peu
à
peu relâchés de leur consigne et aient fini par accorder à une société
de plusieurs individus ce qu'au début ils n'avaient accordé qu'à une ou
deux personnes. Sous Constantin, enfin, on défendit de nouveau aux Juifs
de demeurer à Jérusalem, et même depasser par
la ville (L~~sfhn-Batrik, /h:M/. f, A66).
J. DERENBOURG.168
docteur avait pu répandre la renommée de sa. science~. Les
écoles fermées, chaque maison ou deux Juifs instruits se ren-
contraient devenait un asile pour l'étude de l'Écriture. La
célébration des fêtes ne provoquait plus de pèlerinage à Jéru-
salem, où jadis la nation se réunissait troisfoisparan; elle était
devenue une affaire de chaque famille; et la Pâque, comme
le Sabbat, était sanctifiée par le chef de lamaison au milieu
des siens. Comment empêcher ces agapes, comment saisir les
contrevenants?
La circoncision, ce signe de l'alliance entre le Juif et son
Dieu, était un acte unique dans l'existence de chacun; com-
ment en prévenir l'accomplissement?Pour assurer l'exécution d'une telle série de lois vexatoires,
il fallait l'organisation d'une police active, taquine et inqui-sitoriale. L'empire romain connut depuis Auguste tout ce
dont le despotisme ombrageux a besoin pour maintenir son
pouvoir: police secrète, espionnage, délation, agents provoca-teurs. K?ar une confiance irréfléchie, dit Epictete, les impru-dents se laissent prendre à Rome par les soldats. Un militaire
babillé en civil s'assied à côté de toi et commence à .dire du
mal de l'Empereur; tu t'imagines avoir ainsi obtenu un gagede la sûreté de ton interlocuteur, qui le premier a dit des
choses offensantes, et tu te prononces à ton tour selon tes
pensées. Mais aussitôt tu es mis aux fers et conduit en prison. o
M. Friediœnder~, à qui nous empruntons cette citation, pour-suit « Ceci a été probablement écrit sous Hadrien, qui, comme
tout le monde sait, avait créé uri corps d'armée spécial, les
/rMmeK<ar«, des gendarmes qu'on employait pour des affaires
de police, et surtout de police secrète dans l'acception la plus
large du mot, et cette destination leur est restée également plustard. Eh bien, nous connaissons déjà les noms par lesquelson nommait ces agents d'un nouveau genre. A Këzîb, nous
les avons rencontrés en face des disciples de R, AIdbâ, qu'ils
interrogent sur le but de leur voyage, et où ils sont appelés
~'s<uK, Â!?o-7<x/,brigands, nom qu'on donne facilement, en pays
Voy. EsMt., p. 306.
&'«cKg'Me/M'c/~e~OMM,Leipzig, i865, 1, aSy.ufaut, du reste, lire
tout ce paragraphe, de la page a85 à a8g les passages tirés de Martialsont particulièrement instructifs.
i\'OTES SUR LA GUERRE DE BAR KÔZÊBÂ. 169
ennemi, aux soldats réquisitionnaires. ASépphoris,
ils sont
appelés&a/c/M< ou 6<~cAa, d'une racine &e~cA
KinquirereEnfin le mot
qui,dans les écrits rabbiniques, désigne les es-
pions, est pris du latin, ~delatores~, }~lN'?l Je~dr~. Le Tal-
mud deBabylone (Sabbat, 33*')
raconte une histoire arrivée
après la guerre deBettar, et qui, toute confusequ'elle est, est
néanmoins instructivepour
lesdangers qui menaçaient cons-
tamment les Juifs. xR. lehoudâ(bar Ha~î),
R. Iôsê (bar Ha-
)aftâ)et R. Siméon (bar lohaï) étaient réunis, et lehoudâ
ben Guénm était assis avec eux. R. leboudâ commença et dit:
Combien les travaux de cette nation sont beaux! ils établissent
des marchés, ils établissent des ponts, ils établissent des bains.
R. lôsé se tut. Mais R. Siméonprit
laparole
et dit Ils
ont établi toutes ces chosespour
leurpropre
utilité: les mar-
chés pour y entretenir des heux de débauche; les bainspour
s'y distraire; lesponts pour
en toucher lepéage. lehoudâ ben
Guénm raconta cet entretien, qui parvint jusqu'aux oreilles du
gouverneur. On rendit l'arrêt suivant: lehoudâ, quia exalté
Rome, sera exalté: lôsé, qui s'est tu, s'exilera à Sepphoris~;
Siméon, qui a dit des injures, sera mis a mort. )) On rattache
ensuite à cet arrêt la fuite de R. Siméon et de son fils, quise cachèrent
pendantde longues années dans une caverne.
Aprèsavoir lu ce récit, on se demande involontairement le-
quel des deux lehoudâ avait fait l'éloge de Rome, et si cet
éloge, bienétrange
à cetteépoque
dans la bouche d'un Juif, s'il
était sincère, n'avaitpas
le but deprovoquer le blâme. Puis
E?'73 répond a t'bëbreu Ë?3n. Il se trouve souvent dans le Targoum
pour ce mot. La racine ne parait pas exister en syriaque; M. Payne-Smith ne cite qu'un exemple de JLe.<Ë~, qu'H traduit par frfures~. La
Misehnâh (A~/w~ xv, ~) parle du ~E'~3r! '7pD, c'est-à-dire du bâton
dont se servait le perquisiteur (&<McA) chargé de remuer la paille pourvoir si l'on n'avait pas caché du blé dessous. Ce bâton avait, à ce qu'il
parait, une forme particulière; on attachait à sa tête un anneau (''t~n
~appendixB) où l'on introduisait la main afin de mieux le manier.
Cet entretien eut lieu probablement à Iabneh, comme on le voit parce qui précède. lôsé fut donc interné dans sa ville natale, et on n'aura
pas besoin de changer ~IB~ en '~IBSO. Mais ilne paraît pas que )e sé-
jour aSepphoris ait paru assez sûr à H. Iôsê, car it s'échappa et se rendit
à Laodicée, probablement en Lydie, ou se trouvait aussi la ville d'Asie
que les docteurs conseillaient à Ismaf' )e fils de H. Iôsê, de choisi l'
comme rcfug'e. (Voyez Gr:etz, :&;< p. ~71.)
J. DERENBOURG.170
on parie des récompenses promises à l'un des deuxlehoudâ.
et cependant l'autre est présenté bien plutôt comme un bavard
imprudent que comme un agent provocateur*. Quoi qu'il en
soit, on voit combien il était dangereux de dire alorssa pensée,inéme dans une conversation intime entre amis.
Des disciples de R. AMbâ, il n'en était resté que six quifussent capables de continuer l'enseignement doctrinal. Mais
aucun d'eux n'était ordiné, et l'ordination était rigoureuse-ment défendue par Hadrien. R. lehoudâben Baba, un vieillard
vénérable et pieux, les réunit dans une vallée de la Galilée,
entre Uscha et Schefaram, et leur imposa les mains. Au
même moment survinrent les Romains. lehoudâ eut juste le
temps de pousser les nouveaux docteurs à la fuite et tomba
seul, victime de son dévouement à sa foi, cr:M~ de trois cents
coupsde lance, selon l'expression du Talmud (b. ~4M~aA xa-
raA, 8n). Ailleurs nous lisons K Lorsque R. 16sé ben Kisma
tomba malade, R. Hanînâ ben Teradiôn vint le voir. Mon
frère Haninâ, lui dit le malade, ne sais-tu pas que cette na-
tion(romaine) tient son pouvoir du Ciel? Elle a détruit le
temple de Dieu, brûlé son sanctuaire, égorgé ses dévots, ex-
terminé les bons, et cependant elle dure, et toi, d'après ce
que j'entends dire, tu es assis occupé de la Loi, tu tiens des
r.éunions et tu portes le livre de la Loi sur toi -Le Ciel aura
pitié, répondit Hanînâ. Comment, reprit l'autre, je te
parle raison, et tu me répliques Le Ciel aura pitié? le ne
serais pas étonné si l'on te brûlait avec le livre, de la Loi. H
(~<~aA zaraAj 18'.) On sait déjà que la prédiction de R. 16sé
se réalisa~.
Il y avait alors, comme sous Vespasien, parmi les docteurs,
des hommes prudents, qui ne croyaient pas devoir braver le
pouvoir et se livrer follement à une mort certaine. Mais le
plus grand nombre cherchait à échapper aux rigueurs de la
loi en entourant les pratiques religieuses du plus grand mys-tère. On changeait jusqu'à la dénomination des cérémonies:.
on ne parlait pas de circoncision, on l'appelait pn y~!N <da
semaine du nîsn, et on l'annonçait par le bruit des moulins
Voy. les 7'<M< SUt-Sabbat, 33' MM/M.
Ci-dessus, p. < 58.
NOTES SUR LA GUERRE DE BAR KÔZÊBÂ. -171
à bras. La célébration d'unmariage
étaitdésignée par
nn~D
repas ??,et le
signalétait donné
parune lumière, placée pro-
bablement d'une certaine façon 1. Le jour pourcette cérémonie
n'étaitplus
le mercredi ou le jeudi, mais le mardi2. Ceci de-
vait dérouter les autorités romaines, quiavaient interdit aux
Juifs d'avoir recours à leurs docteurspour
les affaires civiles,
dont lesengagements
matrimoniaux faisaientpartie 3.
On
croyait pouvoirdissimuler les
phylactèresen
changeantleur
forme carrée, quiest la forme légale,
en une boule ronde4;
Le motbiblique, qui
ne se litque Cas~Me., m, 11, est runn hâ-
<o!<tM:sA.Cependant
on rencontredéjà
ces nouveaux termes, avant. la
destruction du temple, dans la bouche d'un docteur de cette époque.
Voy. tos. Meg'tK'/M/t., tv, i5. Il est intéressant de voir, engénéral,
comment, à une certaine époque, qui est difficile à déterminer, mais qui.
dans aucun cas, n'est postérieure au deuxième siècle, les termes tech-
niques de la Bible ont complètement disparu pour faire place à des
termes tout à fait nouveaux. La lettre de divorce ne s'appelle plus 1BO
DD')3 (Deut. xx;v, i), mais N2; le gage se nomme p3S?!2, à la place
de p3iy (Go:, xxxvin, ao); !Hpon 1BD (Ver. xxxn, ) i) cède la place
à m~D 10! etc.
Grœtz, e.p. ~65, où les
passages talmudiquessont cités.
Nous ne pensons pas, avec M. Gra*tz, ~.c. p. /tyi, qu'il y ait eu une
loi nouvelle, rendue parAntonin le Pieux, qui enleva aux Juifs la justice
civile. Nous croyons plutôt que, lorsqueles lois vexatoires contre les céré-
monies religieuses et l'étude de la )oi furent aboliespar
cetempereur,
l'interdictionprononcée par
Hadrien contre la justice civile resta en vi-
gueur.Ce n'était pas une nouvelle décision amenée par une révolte sous
Antonin que M. Gra;tz tui-méme juge impossible et invraisemblable. Cer-
tes, il est malaisé de ne voir dans les mots frJudœos rebeHantes contudit»
de Capitolin ( Antoninus Pius, v, ) autre choseque
la fermeté avec laquelle
cet empereurcontint les Juifs, toujours
remuants et enclins à enfreindre
la toi. Mais lesimple
bon sensexige
cette interprétation, et lecoupable
est iciCapitolin, qui a exagéré les choses et mal choisi ses termes. Cette
expression nous parait avoir son pendant dans ie tfjudaicus triumphusn,
décerné par le sénat à Caracalla (Spartiani Severus, xvi, 7). Seulement
ici l'exagérationn'incombe pas à l'auteur, mais au sénat. Nos sources
taimudiques ne portentia trace d'une insurrection sous aucun des Anto-
nins. Les docteursdéploient pendant ce temps dans le domaine
religieuxune activité surprenante, qui n'aurait pu se concilier en aucune façon
avec mie agitation politique. Nous pensons que la juridiction civile fut
rendue aux Juifs au plus tard sous R. lehoudâ 1, qui avait un Antonin,
probablement Lucius Verus, pour ami, et certes cette faveur ne leur au-
rait pas été accordée si l'on ne s'étaitpas
montré cabne et soumis.
m.M~'tH'Mt, tv, 8.
J. DERENBOURG.172
on neplaçait, pas
les boites des mezouzôl aupoteau d'entrée
en vue de tout le monde, comme il est prescrit, mais derrière
laporter
D'après le Talmud, des Juifs étaientquelquefois obligés
deprêter
à l'ennemi leurs services contre leurs frères. On
mentionne R. Ismaél ben lôsé et R. Eliézec ben SIméon, quiétaient chargés de rechercher et de livrer a l'autorité les vo-
leurs et lesbrigands juifs (a''NO'?') 0~3
Dian~. On nomme à
cetteépoque
aussi Elisée benAbouyyâ,
un des hommes les
plusinstruits de la Palestine, qui
aurait fourni aux Romains
les indications lesplus minutieuses, pour qu'ils pussent dis-
tinguer un actereligieux, qui
était interdit, d'une action
indifférente etpermise. s Ainsi les Romains ayant obligé les
Juifs à porter des charges le jour du Sabbat, ceux-ci cher-
chaient à les porter à deux, parce quele
péché devenait
moindre en n'exécutant pas le travail seul. Elisée conseillait
alors aux Romains de faire toujours faire l'ouvrage par un
seul Individu.?; (j. jHag'M~'aA, n, t, 77~.)Mais toute cette histoire d'EHsée ben
Abouyyâa
prisdans le
Talmud un caractère légendaire; et M. Weiss s'est efforcé de
démontrerqu'Elisée avait été seulement imbu des doctrines
desgnostiques, et s'était attiré par
là la haine des rabbins
de sonépoque, profondément irrités contre tous ceux
qui
.s'occupaient des questions demétaphysique, ou, comme ils
disaient, de ce qui concerne le char~'E~c/M'e~(n3~!3 n~D).
EMsée, paraît-il,était en outre non-seulement
opposé aux
agissements politiques de R. AIdbâ, mais aussi à sa méthode
Voy. tosef.<~M:Wa/~ iv, 30. Les mots mSD n:t ~1 r!J:)0, quisont etuptoyés dans les deux passages, veulent dire qu'en agissant ainsi
on s'expose à un danger sans cependant remplir le précepte.
j- M<&!M'o<, m, 8; b. jB<!&am~ 83'. Au. reproche qui est
adresse à R. tsmaet du métier qu'il fait, i) répond «Que puis-je Ëure'~
c'est l'ordre du gouvernement» (K3'?01 K~D~n).Grœtz, Ge.!e/t. YM~ett~IV, 17 et suiv.
ZMf GMC/t.~.j'M~. Tradition (hébreu), II, p. i3g-tM. M. Weiss
resutne et complète dans ces pages les travaux de ses prédécesseurs, tels
que Daubes, Smoieuski et autres. U croit que les p~tEM ')30 livres
des égarés'), que, selon le Talmud, Étisée portait en grand nombre sur
lui, étaient en réalité les a''2?T)'T) ''1BD ttiivres de ceux qui savent~, ou
des guostiaues, dont les docteurs juifs ont changé le nom, pour nétrir
t'es ouvrages en mone temps que celui qui les étudiait.
NOTES SUR LA GUERRE DE BAR KÔZÊBA. 173
d'enseignement et à ses doctrines talmudiques.Il se
peut alors
qu'il se soit aussi relâche de l'accomplissement rigoureux
de tous lespréceptes, aggravés par
ce chef d'école. Plus la
science de ce docteur était grande, plus le danger d'une telle
opposition devenait menaçant à un moment où le christia-
nisme achevait sa constitutionpuissante par l'union entre
les deuxgrandes
fractions des judéo-chrétiens et des païens
convertis, union àlaquelle
la guerre de Bar Kôzêbâ avait for-
tement contribué. Et cependant, tel parait avoir été le prestige
de cet homme, qu'onse contenta de lui
infligerun
sobriquet,
celui de ~4A~ homme~aHs/orme;
mais on neparle
d'aucune
excommunication contre lui, et R. Mêîr continuait à vivre dans
sa société, et même à s'Instruire à ses côtés. On sevengea
de
son importance enl'attaquant après
sa mort et en ramassant
sur sa tête toutes lesignominies, et aussi la honte d'avoir été
un Instrument de persécution entre les mains des ennemis
séculaires de sescoreligionnaires. C'est là l'histoire éternelle
de toutes lesquerelles religieuses. La réhabilitation
tentée parM. Weiss paraît mériter d'être prise en sérieuse considération.
NOTE
SUR
LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE
A L'ÉPOQUE DE LA TROISIÈME GUERRE PUNIQUE
PAR CHARLES GRAtX.
Polybe, en racontant avec détail le siège de Carthage, avait
dû décrire les fortifications de cetteplace.
Letémoignage
d'un aussi excellent observateur, qui avait assisté, aux côtés
de Scipion Emilien, sinon auxpremières opérations (ce que
j'ignore), au moins à la seconde partie du siège et à lapriser
serait pournous de la
plus grandevaleur. Malheureusement,
il ne nous reste, en fait d'extraits textuels de son récit dusiège,
quedeux ou trois morceaux
presque entièrement dépourvus
d'intérêt au point de vue militaire. Nous sommes obligés de
nous rabattre sur lesPuniques d'Appien.
Les données que
nous rencontrons chez ce dernier auteur doivent avoir été em-
pruntées àPolybe. Mais, étudiée de
près,la narration
d'Ap-
pien neparaît
ni complète comme ensemble, ni exacte dans
toutes sesparties.
Desexplications indispensables pour
faire
comprendreles opérations, et que Polybe avait sûrement don-
nées, ont été passéessous silence les développements décla-
matoires que l'écrivain de l'époque des Antonins s'estcomplu
à coudre à laplace
ne fournissent aucuneespèce
de com-
pensation.En changeant les expressions dont s'était servi Po-
lybe et remaniant à sa mode la rédaction, il touche, sans s'en
Le plan de Carthage joint à cette note est la reproduction pure et
simple de celui qu'a dressé Dureau de ia Malle dans ses Reclierches sur
la topographie de Carthage (Paris, i835).
Plutarque, ~o~~A~tMe.! hégémoniques, p. aoo A-B; Appien. Pu-
/M'~MM~§ ta (fin).
CHARLES GRAUX.i7(iÇi
apercevoir,au fond des choses, et là est, à n'en
pasdouter,
l'originede
plusieursdiSicuItés
queles chercheurs modernes
neparviennent pas
à résoudre.
Unpetit
nombre de textes fort courts etpour
laplupart
assezpeu significatifs,
ou au contraire formels, mais sus-
pects,-ont été, en outre, recueillis de côté et d'autre chez
les auteurs'. Puis, plusieurs pointsde la
topographiede
l'ancienneCarthage
ont été mis hors de discussion à la suite
des diverses fouillesqui
ont étéentreprises
dans ce siècle
parles
archéologues sur l'emplacementde la
grandecité dis-
parue. Mais, toutcompte fait, on ne
peutencore
appuyer
que sur d'assez médiocres et faibles bases l'étude dusiège
et
la restauration des fortifications deCarthage.
Prenons le texted'Appien peut-être réussirons-nous à jeter
unpeu
dejour
surquelques-uns
despoints
obscursqui s'y
rencontrent. Apropos
deCarthage
ont étécomposées
de nos
jours beaucoupde belles
pages,dont les auteurs ne s'enten-
dentguère
entre eux; dansl'exposé
de tant de différents sys-
tèmes, on trouve rarement faite lapart
de ce quiest certain
et de cequi
ne l'estpas.
Nous tâcherons d'éviter unepareille
confusion. Etpour que
cette étudegagne
enprécision, hypo-
thèses inuti!ement hasardées et erreurs commisespar
nos de-
vanciers ne serontgénératement point
relevées'
On tes trouvera cités notamment chez Dureau de taJMaiie, A'c~r-
t'/tM, etc.
Voyez, pour la bibliographie de laquestion jusqu'à 1861, Beuje,
Fouilles<! Cs~/Mg-c (Paris, 1861).
Deuxouvrages importants ont paru
depuis le livre de Beu~é; ce sont 1° N. Davis, Cat't/Mg'e<HM~Ae;' f<MMm~
(Loudres, i8tii), et ~° Daux, Reclcerches surl'orig·irre et l'einplacemertt(Londres. 1861). eta° A.Daux,~ec/iere/iMaM?'foMg'MM~J'<p&c<'M<'?!/Il<~M emporta pAmtCM)~ <~<Ms /e ZeM~n e< /e ByzacMm (Paris, i86q). H
est extrêmement regrettable quele second volume do ce dernier ouvrage
n'aitpas été imprime; M. Daux devait y annexer un
plande
Carthage,dont M. le capitaine Hennebert notamment
(voy. son Rh~M'e <j!~)i)K~~t. [, Paris, 18~0) a obtenu communication, et qui passe pour beaucoup
plus fidèfe que tous ceux qui ont été jusqu'ici répandus dans le pubticsur ce plan, il paraît que M. Daux a
essayéde restaurer, aussi exactement
qu'illui a été possible, le tracé des remparts. Mentionnons encore ces pu-
Mications de M. E. de Sainte-Marie Les !'MM!Mde Carthage, extrait du jour-na)
/'Rr'<MYt<fM?' (Paris, i8y6); B~&o~Tan/He CM'</tM'moMe~ extrait du
Hu))etm de la Société archéologique de Constantine (i8y5), et ~M)' ~<
~w,o')'n~M' de /);'eM«')'g g'MM'r~ pM)M'~M< dans le recueil des notices et
NOTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE. 177
Polybe décrit la situation de Carthage au livre 1 de son
Histoire(§y3, A):
H ~<xp Kfïp~)?~~ ctUT~ ~t~ Év xo~~ xe?T<x~ Œ'pOTs<ouo'a x<x~
~eppof)7o'<~ouo'a! ry 3-eo'e<,TO
~ef Tl 3-<xÂaT7)? ro ~e T< xa!Âf~f~
's'spteyo~ef~~<xr<x 70 's's!o''7o! 6 <? o'ut«Mr7<M~ Fo'~os otUT~f T~~saptexo~~v~xaTâ TÔ ZTÂE10'ÎOV, Ô OE~ a·uvâ~r~mv ia·6Leôs ariTnv Tn
A<&!)? TO 'Sf~tÏTOS M$ e!x00'< XOft'S'~fTS 0'7<]t<~<&)f~0'7/.
Appien (Puniques, S 9 5) reproduit,à ce
qu'il semble, en
prétendantia compléter,
cettedescription
dans les termes sui-
vants
T't. 1'1. ri ~sô~rs Év ,uvy,u"~xo'X7rou ~.eyio-~ov, xePPovrjo-çeTc ~.â-Ht~ <? 'S'O~.tS S~ ~f~ XO~TTOUjHS~<0-'7ot~ ~Epp0~cr~)T< jMO:-
~.<0''7<X'S'pOO'SO~M~. A!3~f yàp CtUT!7~<X7TOT~S ~TTS/ROU~sTp~S~
SUOOSd}~ 'sys~TS XO!~S<XOO'<0''7ofJ/<H!' fXTro<M TOU OtUyefOS TOttfMt
o-7e~)7 x<x)sTT~s, )7~<o-7<xJ/ou~<xÀ<o-7<xTO 's'<xTOs, e'n'~ ~uer~a?
sYMps<~ ~teo')?À<s ïs x<x~T~s 9'<x~.<xo'o')7?. (Ict,dans les
manuscrits, une lacune évidente. que Schweighseuser a signalée
lepremier.)
Ainsi, Carthage (voy.le
plan)était bâtie dans une sorte de
presqu'île qui se dessinait sur le bord Ouest du sm~s Car~a-
gYM'e~M (golfede
Tunis).La
presqu'îlene tenait au continent
que parun isthme (Jo-~os, Pol. au; App.) large de vingt-
cinq stades( A y kitomètres ), enserré entre le /ae Je Tunis au Sud
et le lac de Soukra(ou Sebka)
au Nord, pournous servir des
dénominations de la carte actuelle. Mais au second siècle avant
J. C. le lac de Soukra n'existaitpas encore, à ce
qu'il semble,
en tant que lac; la languettede terre qui le sépare de la mer
est formée d'alluvions très-modernes, et il faut sereprésenter
quela mer venait battre librement les rives actuelles Sud et
Est de ce lac, quin'était encore
qu'un golfe, ou plutôt même
qu'ellerecouvrait au delà des bords actuels, dans ces deux di-
mémoires de la même Société, a° série, VIfF volume. Enfin, il a paru,à la date du 5 juillet tS~y, un grand plan de Carthage adressé parPh. Cai))at, ancien ingénieur de S. A. le Bey de Tunis, d'après ses levés,ie plan de M. Falbe et les travaux de MM. Dureau de fa Malle et Beuié,~n
dédié à M~ Lavigerie, éveque d'Alger.Les mots T~o~ts ~sppof~erM Tf ~fxAfo'7ot'srpoo'eoMt)f<ï forment une
expression bien peu naturelle. Une ville ne ressemble pas à une pres-
qu'ite; mais Carthage était située ~s)M une sorte de presqu'île. De toute
façon, Appien nous semble avoir remplacé l'expression ~sppon~o'~ouerefde Polybe par la paraphrase ~eppof~s'M 'Erpocrso<xuK:. Avait-H écrit, à
l'imitation de Polybe ~eppof~o'&j T); ~S-~o'ei> ~ctÂ;o'7ct 's'poo'eoixuta?
CHARLES GRAUX.'!78
rections, un large ruban du sol aujourd'hui émergé. La raison
de ces changements dans la configuration du rivage est quevers ces parages débouchait jadis dans la mer le Bagrada
(oKe~Mp~'er<~), torrent qui charrie beaucoup de limon, et le
même qui ensuite ensabla, un peu plus vers le Nord, ie port
d'Utique'. Quant au lac de Tunis, qu'on ne trouvera jamais
désigné dans le récit d'Appien que par le nom générique de
~f)?, ce n'est pas un lac à proprement parler, puisqu'il
communique avec la mer par une passe, des plus étroites, il
est vrai, située près du lieu dit actuellement GoM~cMe.Cette
passe existait-elle dès l'antiquité? C'est probable a priori; et
on en a presquela preuve. Lorsque les consuls M. Manilius et
L. Marcius Censorinus~ essayèrent, en vain, de s'emparer de
Carthage, qu'ils avaient perfidement amenée à leur livrer toutes
ses armes quelques jours auparavant, voici comment ils s'é-
taient partagé les rôles Manilius donnait l'assaut à la muraille
qui regardait l'isthme, tandis que Censorinus dressait des
échelles, &t Te y~ %<x~fs<M!' (App.,§ gy), contre la partie de
l'enceinte qui confinait au lac de Tunis la flotte était donc
entrée dans le lac. Puis, plus tard, au moment des chaleurs
caniculaires, comme une épidémie sévissait dans l'armée de
Censorinus stationnée sur ce lac aux émanations peu salubres
(§ qq To KsfO'&tptfou o''7p<x'r<~e<Sbf~~o'e<,o''7<x~sSof X~f)?
cr7<x0spouxe~ ~Sap~os~Tos x-r~. ), le consul fit repasser sa flotte
dans la pleine mer (?'6: ~e~ ô Ke~o-Mp!fos s? 7~ 3-~<xo'o-<xf
?~0 T~s Â~s ~eTSo-'?p<xT07rs~suo-s~).S'il n'y avait pas eu de
communication entre le lac et la mer, il aurait donc fallu
transporter les vaisseaux par-dessus la bande de sable qui les
eût séparés une telle opération présentant quelque chose
d'insolite et de mémorable, un écrivain comme Appien, quicherche l'effet, n'eût pas manqué de nous en conserver le
souvenir.
Voy. Daux, Emporia pMKcM)!~ p. 136. Cf. la planche II de l'atlas
de Falbe, Recherches sur l'emplacement de Cs?'~Mg'e; et la ptandie XXm
de l'atlas annexé au tome 1 des GeograpA! g'fœct mmor~ édit. Charles
Mui)er. Par exemple, Utique, port de mer du temps de César, est aujour-d'hui enfoncée à deux lieues dans l'intérieur des terres.
Chez Zonaras, IX, a6 (t. I, p. ~)63 A, éd. de Paris), on-lit Aotw<os
MapKios xat MetpKos M<xft~!os; les éditeurs auraient pu corriger sans
sct'upu!e M~pKO?en MaMOs.
NOTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE. 179
Par les mots awo Je ToS ett~efos T0t<~<a! e7rl &o-~fxs e~-
pe<, Appien décrit fort mal la situation des lieux. De la pointe
Sud-Est de lapresqu'île,
et nonpas
de l'isthme(<xwo
ToC
<xu~efos), -partait la langue de terre très-mince dont on vient
des'occuper déjà, et qui s'appelait proprement la Langue,
y~.Mo-<T<x(App.,1
2 1),formant l'unique séparation
du Lac et
de la mer. Elle ne se dirige pas vers l'Ouest, comme le dit
l'historien(e~ Juchas),
mais bien vers le Sud, en inclinant
peuà
peu légèrement vers l'Ouest. Plaçons-nous à Fendroit
où cette inclinaison est leplus prononcée,
car laLangue
présente la forme d'une ligne courbe, on pourra.tout au plus
direqu'elle
tend à se diriger vers le couchant d'hiver. Appien
aurait-ilpar
hasard eu sous les yeux une carte de cette région
mal tracée et mal orientée? Une tellesupposition
semblerait
assez plausible. Cette bande de sable, étroite et basse, n'offre
encoreaujourd'hui
au Sud-Ouest de la Gouletteque
lalargeur
mentionnéepar Appien 1. Cependant,
il estpeu croyable qu'elle
eût moins de 100 mètres de largedans toute la longueur de
sondéveloppement. L'expression ~<o-'7<x<~ou fM~o-'7<x To ~<x-
Tos ne s'applique évidemmentqu'à
l'endroit où elle se trouvait
le plus rétrécie.
Puisqu'ondisait sans
plusle Lac et «la Langues, nous ne
pouvons nous refuser à croire qu'il n'y avait qu'une langue et
qu'unlac aux environs de l'ancienne
Carthage;et cette
simple
observation suffirait déjà à prouver que le lac de Soukra était
mer autemps de la troisième guerre punique.
Quel était le tracé des fortifications de Cartbage et comment
étaient-eltes construites? Nous sommesplus
en mesure de ré-
pondreà la seconde qu'à la première question.
A la fin de la lacune qui se présente dans le texted'Ap-
pien,on se trouve en pleine description
de fortifications
<MTÂ65TE/~S< ~SO/Xpt~MÏ ëfTO!, Ta <? 'S'OOSjMSO'~ëp/fXf
es ri~recpov, ir'vBa xai n Bvp~a nv é~ri zoû aûxévos, aPc~r~çv asi,~ec.
M~WSfpO! M~&XOM BupO-<Xt~ 6~ TOU de la lacune doit êtreSchweigbœuser suppose que l'originede la lacune doit être
cherchée dans la répétition du mot 3-<xÀ<xo-o-)?ydans le texte à
quelquesmots de distance, et pense qu'on lisait, avant la faute,
Falbe, Recherches, p. i5-i6.
CHARLES GRAUX.~80
quelque chose comme 3-o~o'o'~<. K<ï~/s!'ep<TSTe<~<o-'7o(ou
o'6p<e/~7r7o) Tes ~Xe<Ms T<x ~e~ 'sfp&s T~s 9-a~c~o'o');?>ct7r~.M
T~s< XTÀ. Cette conjecture est fort bonne. Cependant, la la-
cune est peut-être plus considérable que ne dit le savant édi-
teur. Examinons les dilEcultés de ce texte une une. D'abord
~pà? ~eo~j~pt~xf & ~-n-stpof est une leçon impossible. Le côté
de la ville qui regarde l'isthme n'est pas le Sud, mais l'Ouest,
et Appien, si mal orienté fût-il, n'aurait pas pu commettre
une telle erreur, précisément en sens inverse de celle qu'on a
relevée chez lui tout à l'heure. Si l'on conserve ~p~s ~eo-)~-
~p/ay, il faudra ajouter xe~ devant ~s mrstpof et admettre quela triple enceinte régnait, non-seulement à l'Ouest, mais aussi
au Sud, ce qui n'a rien d'inacceptable. Ainsi, il serait ques-
tion, dans la fin de la phrase, des parties Ouest et Sud de l'en-
ceinte. Les mots -sTep~p~Mx c~TCt désignent, comme l'a bien
vu Scbweighs'user,Ie rivage, c'est-à-direle côtéJEst. 11 est donc
bien possible qu'Appien eût, dans la partie perdue du texte,
parlé de la muraille du Nord, à moins que, au lieu de xa~
seulement, il ne se soit perdu dans son texte après ~so~-
Sp/cH', <Ka~~Sop~ï!)K~>. Il faut que la mention des fortIËcations
septentrionales ait disparu des manuscrits par accident, ou
bien Appien serait encore, sur ce point, à taxer de négligence.A vrai dire, aucun texte exprès ne nous apprend quelles forti-
fications protégeaient la ville du côté Nord. Mais on peut espérerde le deviner en gros, rien qu'à étudier le premier épisode de
la seconde période du siège, à savoir la prise par Scipion du
faubourg de .M(~M*<t.Transportons-nous donc au moment où
Scipion vient de prendre en main la conduite des opérations.Il a établi son camp non loin de Cartbage (ot3 ~xpe~ T~s
Kap~~o~ App., §11~). Les Carthaginois se retranchent en
face de lui à cinq stades en dehors des murs_(oi <? Kap~vioc -rdv 78le,~v è«ç ae'vre ola~lOU.5 'WPQSXO~vree 4VT4ystpav av"ro~o< T&'y T.~&iy M 'sfeyTe o~a~/ot~ 'sfpcs~yTe~ <~fT~s<p<x~<xuT~
~<xp<xx(x).Les camps ne barrent point l'isthme, puisque les
Carthaginois reçoivent dans leurs retranchements six mille
fantassins et mille chevaux d'Asdrubal et de Bithyas, qui, jus-que-là, avaient tenu la campagne. D'autre part, les Cartha-
ginois conservaient leurs communications assurées avec la
ville, puisque nous les voyons, lors de la panique que pro-duisit dans leurs rangs la prise nocturne du quartier de Mé-
NOTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE.
gara, se réfugier dans la ville sans être même inquiétés par
l'ennemi(§ i 17). Ainsi, représentons-nous
lecamp carthagi-
noisappuyé
sur le lac de Tunis, et celui de Scipion longeant
la rive du lac de Soukra.
KScipion, dit Appien (§ 117),fit une tentative nocturne
contre le quartier dit de Mégara, l'attaquant par surprisede
deux côtés à la fois.Mégara
est un vasteemplacement
dans
la ville, contigu à la murailles (~<Mp/of<~e<r~f euf~e~ss sv
sro~.s< Têt Mey<xp(X, T&! TE/~e< 'ïB'ctpe~su'y~efOf). Reste a savoir
s'il faut entendrecontigu
!K~rtcMre?KeK< ou extérieurement à la
murailleprincipale; les mots év 7~ ~o~e~ à mon sens, ne dé-
cidentpoint.
Un faubourg situé hors de l'enceinte principale,
mais entouré lui-même d'un mur quise rattache au
système
général de défense, peut être considéré comme faisantpartie
de la ville elle-même.
Scipion dirigedonc deux colonnes d'attaque contre Mégara,
envoyant l'une dans une certaine direction en contournant le
quartier, s'avançant lui-même à la tête de l'autre division vers
un autrepoint
de l'enceinte, avec des haches, des échelles
';t des leviers, etgardant le
plus profond silence il marche
ainsipendant vingt
stades(près
de4 kilomètres) (e$
à T??
~g!' ETspot~ 'srspte'TTSfrn's, Tff <xuTos o-M~ ~B'eXsxeo-t xo~ xX<-
~<x~< xxi ~o~o?? e&x<~s o-7<ï<ous e~oo't d'~o~)7T~ ~STa o~y~s
jSot~uTfXT)??).Dans l'ignorance où nous sommes de la position
exacte et du mur de Mégara et ducamp
deScipion,
la donnée
précisede
vingt stades ne nous est d'aucun secours. Lorsque
Scipion atteint le pied du rempart, les sentinelles s'aperçoivent
de saprésence
et donnent l'éveil du haut du mur. À ce cri
répondent par des cris formidablesScipion
et les siens, puisla
colonnequi
faisait diversion àquelque
distance de là les Car-
thaginois sont saisis de terreur, se sentant attaqués à l'impro-
viste, la nuit, partantde
troupeset en flanc
(Too-ouT&w e~p<3~sv Œ'Xsupon's K(pf&) fuxTo?
e7r~e~o~EMt)f). Scipionne réussit
pourtant point à enlever d'emblée la muraille; mais, avisant
une tour déserte, qui appartenaità un
particulier, située en
dehors etprès de l'enceinte, de même hauteur
quele mur, il
y fait monter de jeunes et hardis soldats(es
~sr~o? «!<~TO~
~Jp~Of ~p!7~0y ~TOS 0!'T<XTOU TS<;(OUSxai TO ~O? <0'0f Oï'T<XTaS
Ts<~e<, fe<x!~<xstXfe~Mo-ef euT~~ou?). Ceux-ci, accablant de pro-'tdxel, veav{a5 &veb¡~lXaev srhDÀ{l.OU$).Ceux-ci, accablant de pro-
CHARLES GRAUX.182
jectiles les créneaux, les ont bientôt dégarnis de leurs défen-
seurs alors, lançant de leur tour un pont volant, ils passentsur le rempart, sautent à l'intérieur de la ville, enfoncent une
porte et font entrer Scipion. Le général romain jette quatremille hommes dans le quartier de Mégara les
Carthaginoiss'enfuient à toutes jambes ~jusque dans Byrsa » (&T~f BJp-
o-af), comme si le reste de la ville était pris.Ou était situé ce quartier par rapport au reste de Carthage? '?
En l'absence de tout autre indice, il faut interroger avec atten-
tion la narration d'Appien. Il semble évident que l'action qu'onvient de retracer se passa vers l'angle Nord-Ouest des fortin-
cations. Si l'une quelconque des deux colonnes d'attaque eûtété dirigée beaucoup au Sud de cet angle, elle se fût engagéeentre la ville et le camp carthaginois, ce qui devait être évité,
et le fut, comme on le voit dans le récit. Puis, le front Ouest
des fortifications se développait, abstraction faite des saillants
et des rentrants, suivant une ligne qui allait depuis le Lac au
Sud jusque vers la mer (lac de Soukra) au Nord, en barrant
l'isthme sur presque toute sa largeur; orquelle valeur donner
à l'expression <s'sp!s~7rs, si la colonne de fausse attaque
n'opère pas son mouvement en manœuvrant autour de l'angle,
plus ou moins arrondi ou tronqué, que faisait nécessairement
la ligne de défense auNord-Ouest? L'expression 's~.sup<x<ssup*-
pose encore que les Carthaginois qui faisaient face a l'une quel-
conque des attaques avaient l'autre sur leur jSanc, ce qui ne
peut avoir lieu qu'aux alentours d'un angle. Il nous serait dif-
ucile dé pousser plus loin l'examen et de déterminer, ce quiest heureusement d'une importance secondaire~ si la diver-
sion était placée sur le flanc droit ou gauche de l'attaque prin-
cipale. Toujours est-il, à notre sens, que les deux points de
Mégara attaqués par les Romains ne peuvent être cherchés
que dans les parages Nord-Ouest de la ville.
Ce quartier était vaste (st~ys~ss); 3. était rempli de jar-dins potagers, séparés par des haies vives d'arbustes épineux,
coupés de beaucoup de canaux profonds et pleins d'eau. Sci-
pion craignit d'engager pendant la nuit sur un terrain aussi
dangereux des troupes qui n'en connaissaient pas les passages
(~f ~fMoYet jM~<o-'?(x <M<~), de les exposer à donner dans
quelque embuscade. II ne les laissa donc pas poursuivre les
NOTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE. 183
Carthaginois.H ne s'en trouvait
pasmoins maître, quand le
soleil se leva, d'unquartier
tout entier et, comme on le voit,
d'un immense quartier de Carthage. Comment se fait-il que
nous ne le voyions pas s'avancer au cœur de la ville, pousser
jusqu'au piedde la citadelle, en préparer l'assaut? Plus tard,
lorsqu'au prixde
prodigieuxefforts il réussit à faire brèche à
la muraille de mer et àpénétrer
dans leport militaire, puis
dans le forum, il ne recula point devant le combat des rues;
est-ce là l'obstacle quil'arrêta au matin qui suivit la
prisede
Mégara? Que se dresse-t-il donc devant lui ? On sait que rien
n'était pluscommun dans
l'antiquité quede voir des villes
divisées en plusieurs quartiers munis chacun d'une enceinte
fortifiée. Antioche en avaitquatre (Strabon, XVI, 11, 4, p. y 5 o),
Syracuse, cinq\~etc. Mégara ne devait être
qu'un faubourg
fortIHé de Carthage. Quant aurempart qu'avait
forcéScipion,
c'était unebagatelle. Que l'on
compare les obstacles contre les-
quels s'était heurtéprécédemment
le consul Manilius(§ g y),
lorsqu'ils'avisa de vouloir escalader la
tripleenceinte du côté
de l'Ouest il ne parvint pas seulement à approcher des J~~x
ïs~ ourempart principal.
Et ce même consul se serait
frotté de gaieté de cœur à une aussi puissante défense, s'il
n'avait eu, pourse dire maître de Carthage, qu'à s'emparer,'
commeScipion,
de cette médiocre muraillequi enveloppait
Mégara? Ces considérations nous forcent à conclure que Mé-
gara était un faubourg extérieur à l'enceinteprincipale
de
Carthage; et, cequi
arrêtait Scipion venant de Mégara, comme
jadis Manilius arrivant directementpar l'Ouest, ce ne pouvait
êtreque
leTp<7rXouf Ts~os. Cette formidable
triple enceinte,
dont on verra plus bas ladescription, régnait donc, non-seu-
lement à l'Ouest, et, selon ce qui nous a sembléplus
haut
(p. 180), aussi au Sud, mais encore, vraisemblablement, au
A. de Rochas d'Aiglun, Traité de fortification, d'attaque et ~ef~KM~M p&!CMpar P/K&w de ~y~s~ce (traduit pour la première fois en fran-
çais), p. 82. Cf. Philon, p. aa-()3; ch. m, § i/t et suiv. Rochas: K~TOfs
<x~<jMSoisex'XTSpM~Sf's'ùÂcts xen'fxo'xsucfo'7eoyXTÂ. A~os'M TS sfs
sxcM'7of e~OoSof SoTsof so-7~J\t~oS()/of Sexet ~f&w xat xotT6Hr<xÂ'ro!s8ùo
TpiOTr~~OUS Kaf TOM N~O§Kp~cH5 O'Uf~aTCt xai 'EMOCtO'uy-
~OtTŒ UTTO( U~OO'Uf~etTK ~Œp~ mSS.) TM~0'7pe(T~'y&)~8t'3oo'~0!tSs<
Aet'Bs )M~ xXe<eo'<?aiTŒgT3'u~<xsjM~OMrsp[xcft] ras T~s 'ar<~Âe&)s'xat 'ras
TM!~<xj'~8&w XT/L (Daus tous ces textes, e~poSos veut dire ~MM'&M'.)
CHARLES GRAUX.18&
Nord de la ville proprement dite. Quant à essayer de Sxer Ie$
points par lesquels passait le tracé du Tp~otw Ts~o~ à dé-
faut de renseignements précis sur les fonda dons qui pourraientêtre cachées dans le sol même, nous n'y songeons ni pour le
Nord, ni pour le Sud, ni même pour l'Ouest.
Seul, si les déductions qui précèdent ontquelque valeur,
le côté Est de la ville, bordé par la mer, n'était défendu que
par un mur simple. Les hautes falaises au pied desquellesbrisaient les vagues et l'état perpétuellement agité de la mer
le long de cette dangereuse côte constituaient uneprotection
naturelle qui paraissait déjà presque suffisante. C'est à cette
partie de l'enceinte, comme cela a été indiqué plus haut, quefont allusion ces mots du texte d'Appien conservés intacts
.eMr~) Ts/s< -srsp/xpt~fot c~Ta;. Il n'y a point de doute
possible à cet égard. Appien explique pourquoi la flotte de
Scipion qui croisait devant Carthage ne pouvait former un
cordon continu et serré, infranchissable, et ne parvenait pas,
par suite, à empêcher les légers bâtiments frétés par Bithyasde débarquer, lorsqu'il soumait un bon vent du large', des
provisions dans la ville assiégée. 12 0 Hep~p&w <? (B,-
*~a:s) T)?!' <X~OpOW& T<ÏŒ~pp&t <~ jMtXpOUfOUM~f ÂT~n'ej'.MfS!
~(pOp~OUO'&W~Ef T~ Kap~~ft fS&if T05 Sxt77/&WO? C~~ O~TS
~<!?fSX<3s O~TS 'S!'UX~<M 0'U~e«7''7!7Xeo'<Xf &)S èv <xX<~tEf~ X<X~'!3'Sp<-
Xpt/j~) 3-<XÂ<XO'0-)?,'!B'<Xp<XTSznv 'S'CtUT~f O~X ~JfafTO <~f<X-
KMysue<f, T&)f K!ïp~t?&)~/&)f To~ Ts<Yeo'<f e<?so''?<T<Mf,xal ToS
KU~OtTOS~XS? j~~<0''7o: ~«i T~S ~Tp<X5 TOCOCtO'C'Ojjt~fOUXTÂ. Sous
Puisqu'on fait tant que de relever les inexactitudes dont_fourmi))ece fragment du texte d'Appien, signalons encore la suivante, en nousfondant sur le témoignage de Falbe, auteur digne de la confiance la piusabsotue. Les bâtiments de Bithyas attendaient, sur !a côte du golfe de
Tunis opposée àCarthage, qu'it soufflât un bon vent_du large, et c'est
alors qu'ils tentaient de forcer la croisière. Mais cela n'arrivait que rare-
ment, assure Appien (BTTfH~ms j~ ou~ ey~yfeTo, xa~~yo~ 6Te jS/atOf
e~ 'sffeC~cf sx 'N~frou). Or voici ce que dit à ce sujet Falbe (p. 23,note i) frLes vents de Nord et de N. E. sont trës-fr~quents sur toute
cette cote, et particuMèrement dans la belle saison; on leur donne le nomd'/tH&ftKoou brise du large, qui s'ëieve à dix heures du matin et rairat-
chit i'air pendant le jour. Ce n'est donc pas à ce vent qu'on pourrait
appliquer la qualification de rare dont se sert Appien.B
NOTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE. 185
Calpurnius Pison, qui fut consul et dirigea les opérations du
siège immédiatement avantScipion,
le lieutenantpréposé
au
commandement de la croisière, Lucius Mancinus, sesignala
par unexploit
aussi vainque téméraire. Observant de son bord
unepartie de l'enceinte qui était mal gardée,
à cause des ro-
chers d'un accès difficilequi
faisaient considérer le rempart
commeinexpugnable en cet endroit, il tente de l'escalader.
Les Carthaginois font une sortie contre lui; il lesrepousse
dans la ville, y entre à leur suite et s'établit dans une posi-
tion assez forte au dedans des murs. i 113 Mecyx~os efpop-
jM&WKotp~<, j~SpOS Tl TO? TE~OUS ~sXoU~gfOf <&Hf, OJ
Xp)7j~f0~ 'SfpoJxStfTO O'~fS~s!'? X;X<<Mo'ê<XTO<<Xt'S''Ctp'
otUTo xai (x~sXoujue~of, –~À~o'e Âa9& x~~axots STfo/o'etf e~t
TO TSt~OS. 01 K<Xp~Jo!'<0< <?. a~e&)§Xf '!B'JÂ)?f TOUS
xp~~ous M(p~pouo-<x~ XT~ Le lendemain, l'ennemi revient
l'attaquer en force; Mancinus est sur le point d'être culbuté
du haut durempart
dans lesprécipices qui
en bordaient
le pied (o'uf&)0oujnefosAr! To Ts~os ]~ x<XTexp!?~eTo).
Par bonheur, Scipion parut alors avec des renforts, et, proté-
geant la retraite de Mancinus, le tira d'affaire.
Si nousprenons
l'excellente carte ducapitaine
danois Falbe,
il nous sera aisé de nous rendre compte que le rivage, qui,à la hauteur du
port militaire, n'était qu'à 7 ou 8 mètres
au-dessus du niveau de la mer\ se relève enprenant
un aspectde
plus en plus abrupte, à mesurequ'on
s'avance vers lecap
Carthage;c'est évidemment aux environs de ce promontoire
que dut se passer cet aventureux coup de main.
Il demeure donc constatéque
toute la défense de cette
partie de la ville consistait, ainsique
le ditAppien,
dans la
force naturelle de laposition
et dans une seule enceinte. Il
paraît,du reste, que
Kla chemise organisée le longdu
rivage,n
pour employer les termes mêmes ducapitaine Hennebert 2,
(( aurait été garnie de tours, dont les bases se voient encore
sous l'eau. ??
Mais un murunique
était-il un obstaclecapable de tenir
l'assiégeant enrespect
dans la partie de la côtequi,
moins
Falbe, Recherches, p. ai.
~M<o!?-ed'Annibal, t. I. Cette assertion est empruntée à la partieinédite de l'ouvrage de Daux.
CHARLES GRAUX.186
montagneuse et moins escarpée, s'étendait depuis l'entrée du
port marchand jusqu'à un point situé un peu au Nord duport
militaire? Selon le témoignage de Falbe, qui vient déjà detre
partiellement cité, de terrain qui borde le rivage entre la
mer et les bassins (c'est-à-dire les ports) est élevé (actuelle-
ment) de vingt à vingt-cinq pieds. Là régnaient de grands
quais, dont les substructions, encore visibles sous l'eau, ont
permis à Daux de mesurer les dimensions qu'ils devaient jadis
présenter. L'entrée des ports, tournée vers le Sud, était cou-
verte par un puissant môle (qu'on peut voir sur le plan). Ce
môle se prolongeait le long du rivage, en remontant vers le
Nord, par un premier quai, auquel Daux assigne 135 mètres
de large sur ~tao mètres de long. «En continuation, dit-il,
était un autre quai, extérieur également à la ville et aux ports,
ayant 60 mètres de large près du premier et 70 mètres
à l'autre extrémité, sur Mo mètres de long.s Du haut de
ces quaison pouvait combattre contre les vaisseaux ennemis
avec quelque avantage (cf. § is3). Du reste, si le mur de la
ville en avant duquel les quais étaient construits était bien
pourvu de machines, non-seulement le quai de 60 ou ~yo mè-
tres, mais même l'autre quai de i35 mètres de large, à sup-
poser qu'un corps assaillant eût pu, à un instant donné, y
prendre pied, eut été une position intenable.
Retraçons rapidement les faits qui se sont passés pendantle siège dans la région du môle et des quais. Scipion, partantde la Langue, conduit jusqu'au môle une digue bâtie en quar-
tiers de roche dure, mesurant vingt-quatre pieds de large au-
dessus de l'eau et qui ferme absolument l'entrée des ports
(§ i a t ). La base de cette digue artificielle se voit encore au
fond de la mer; elle est figurée sur le plan. Appien prétend
que, au début de cette entreprise grandiose, les Carthaginois
s'en moquèrent, estimant que Scipion ne pourrait la mener à
bonne fin (-rots<? K<xp~~o~~o<s Kp~p~e~ou ~e~ TOu~eTou ~pyou
XCtT<X<Pp~!?0'<S~f e5s ~pO~~OUTe xai ~MtKpOUKCt!~O'M?K~KTOu).
Plus tard, quand ils virent cette œuvre inouïe s'exécuter et,
grâce au concours d'une nombreuse armée qui y travaillait
tout entière sans aucun relâche, marcher rapidement vers son
.E~ot'M ~Acm'M'Ms,p. 3o6.
NOTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE. 187
achèvement, ilscraignirent, dit l'historien, et creusèrent une
autre entrée à leurport
vers lapleine
mer'.Appien
en sait
bienlong
sur les sentiments desCarthaginois.
Je me dé6ee
pour ma part des assertions des rhéteurs en pareille matière.
Je vois seulement deux faits qui subsistent la digue de Sci-
pion, la nouvelle sortie en mer creuséepar
lesassiégés.
L'une
et l'autreentreprise était
gigantesque. Capablesde concevoir
unepareille riposte
à l'idée si étonnamment hardie de Scipion,les Carthaginois ne durent pas être assez simples pour
se mé-
prendre, ne fût-cequ'un instant, sur la
grandeur du danger
qu'ils couraient. Aussi semble-t-il qu'ils ne perdirent pasde
temps pour tâcher de gagner Scipion de vitesse.Scipion n'avait
pas,comme cela se
répète, pour seul et unique but, en cons-
truisant la fameuse digue, de fermer l'entrée desports.
Com-
prenant l'importance de laposition
du môlepour conduire de
làl'attaque
desports (xo~ y<xp To y<5~<x e&M~pOf sTtTs/yto'~oc
fou ~.<j~oy, App., § 12~), il avait formé leprojet
des'y
éta-
blir. Ladigue, qui
était sur lepoint d'y aboutir et de le relier
ainsipar une large communication à la terre ferme, lui en four-
nirait bientôt le moyen. C'est alorsque
lesCarthaginois, ayant
achevé lapercée nouvelle du port, sortirent avec une flotte
considérable, qui avait été construite dans le plus grand secret
et sans que, mêmepar les prisonniers, les Romains en eussent
rienappris~.
Tb o-7ojM!fM~&)§xr-afspt ëM (App., § lai ). It me semble qu'ii fau-
drait corriger 'spôs- ë<u. Le sens est, d'ailleurs, évident.
[ci se remarque encore un détail suspect dans le récit d'Appien. La
percée terminée, la Hotte carthaginoise, forte de cinquante vaisseaux à
trois rangs de rames, outre une grande quantité de petits vaisseaux, sort
uniquement en vue de faire une démonstration et en quelque sorte de
narguer les Romains. Quant à ceux-ci, ils sont frappés de stupeur en
présence d'un événement aussi inattendu. Leurs vaisseaux ne sont pasarmés pour le combat; pas un rameur, pas un matelot a bord. Si les
Carthaginois les avaient attaqués, ils se seraient aisément rendus maîtres
de la flotte entière. Mais il fallait, dit Appien, que Carthage fût prise les
Carthaginois rentrèrent dans leur port sans avoir rien fait. Quand ils
vinrent offrir la bataille trois jours pius tard, les Romains avaient eu le
temps de se préparer. Cette façon de raconter les événements n'est passans couleur dramatique, et le rôle que le rhéteur assigne au destin fait
songer invotontairement aux tragédies athéniennes. Mais est-it croyable
que les Carthaginois, qui, surtout à ce moment du siège, font preuve
CHARLES GRAUX.188
Si lesCarthaginois avaient pu redevenir les maîtres de la
mer, tous lesplans
deScipion
croulaientpar
la base; car,
non-seulement le ravitaillement de la ville était désormais
assuré, mais aussi tout établissement del'assiégeant
sur le
môle était renduimpraticable, puisqu'il
se seraitpar
làplacé,
comme on diraitaujourd-hui,
entre deux feux, sous la tir du
rempart,de face, et, de dos, sous celui de la Hotte.
Aprèsavoir
combattu toute la journée sansdésavantage,
comme aussi
sansavantage
bienmarqué,
lesCarthaginois prirent
leparti,
àl'approche
du soir, de se retirer dans leurport.
Lespetits
bâtiments battirent en retraite lespremiers.
Pendantqu'ils
se
pressaientautour du
goulet, tropétroit
pour livrer passage
à tant dévoiles à la fois, les grandsvaisseaux de
guerrevinrent
seréfugier
sous laprotection
du môle. «Ce môle, ditAppien,
formait en <!Mi'H< du?'eKMM~
une vasteplate-forme, qui depuis
bienlongtemps
avaittoujours
servi aux commerçants de mar-
ché pourla vente de leurs marchandises
M (~sTo XM~<x xd!T~-
yof & -sfpoTon
TS/~ot~ sup~Mpof e~opo<sès ~ta<9so'~
<popT/<Hf
d'une indomptable énergieet d'une admirable décision, aient été dans
cette seule occasion indécis et mous? H faut chercher quelqueraison ma-
térielle quiait contenu leur ardeur. Or, on ne crève pas en quelques
heures une jetée de plus de 7o mètres delarge, dépassant
de y à 8 mè-
tres le niveau de l'eau, sur une ouverture et une profondeur capables
de donnerpassage
à une flotte considérable, formée de grands navires.
Je me représente que, sitôt qu'il y eut un canal de creusé .entre le portet
la mer, les Carthaginois firent sortir triomphalementles vaisseaux
qu'é-numère
Appien;mais ce canal, encore bien étroit, nous ne, voyons
pas sortir ce jour-là, en même temps queles trirèmes, les
quinq&crèmesnouvellement construites, devait être considérablement élargi
avant
qu'on pût le considérer comme un débouché sutHsaot, Les Carthagi-
nois, yfaisant travailler un nombre immense de bras, l'agrandirent
trois jours durant. C'est seulement alorsqu'ils
crurent pouvoir risquerla
bataille. Encore voyez cequi
arriva. La lutte s'était prolongée,sans
quela victoire se décidât pour l'une ou pour
l'autre Botte, jusqu'aux appro-ches du soir. Les
Carthaginois jugèrent àpropos
de battre en retraite.
Mais l'entrée du port, encore trop étroite, tut bientôt encombrée par la
foute despetits bâtiments, et les grands vaisseaux durent aller se ranger
en ligne, proue vers l'ennemi, contre le mole, et, dans cette position,se
défendirent de leur mieux, appuyés par les troupes établies sur le môle
même. Ensuite, à la faveur de la nuit, les restes de la flotte rentrèrent
a leur tour au port. Trois jours plus tôt., il n'y avait pas, en cas d'échec,
de retraite possible.
NOTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE. 189
e~e~en?To ex 'sfo~oS, §ta3).
(t Dans cette guerre on y avait
élève une ligne avancée de défense, basse, destinéeà empê-
cherque
l'ennemi nepût,
sur cette plate-forme spacieuse,
établir un camp (x<x! 'MpetTs/o'~etSTT'auToS
;6ptx~~f T~S~s
T~! 'cfo~.s~M e~STro/~TO, <'t'ot~t) &'s e~supu~p~) o''7p<XT07rs~eJo'e«xf
-sTOTeol1iJ'oÀép.lOl ).
Cette ligne de défense additionnelle, appelée
par Appien,tantôt
~fxpetTe<~cr~o< (commedans le
passage
cité et au début du § ia/t), tantôt AetTe~o-~a (§§ ia3 et
ja5),est tout
simplementun avant-mur
ordinaire,-srpoTEt-
~o'jMfx, bienqu'il reçoive ici des noms
spéciaux, considéré, en
tantque
bordant le rivage (àune certaine
distance~),comme
-sftïpfXTSt~o'j'/a, en tant que traversant la plate-forme du môle
de part en part, comme A<xTs~o-
A la tombée delà nuit, les vaisseaux carthaginois rentrèrent
au port. Dès le lendemain, Scipion,dont la
digue,à ce qu'il
semble, venait justement d'être achevée, procèdeà
l'attaquedu môle. Il
approchede nombreuses tours de
charpente,bat
le mur avec des béliers ety
fait brèche(xpM<$
ow ro-srfxpcn-s~
~0-j~<X TUTTT&Wxai ~)~K!'t/j'jM{T;X~3'O~fX e7T<X~<M~~pOS <XUTOUX<XTS-
6x~.e~ §ia&).
La nuit suivante, les assiégés opèrent une
sortie dans des conditions bien particulières. ~Ils ne sortent
pas par terre, ditAppien,
car ils n'avaientpas
depassages
(ouxfxïfx ~j~, ou ~txp <~o<~o?);
ni sur leurs vaisseaux,
car la mer n'avaitpas
assez de fond(ouJs Mtuo-!f,–ct~~sf~s
yap nv 3-a~fxo'o-ct)ils arrivent par la mer, d'un côté par où
l'on ne se seraitpas
attenduqu'ils pussent venir, les uns mar-
chant dans l'eau jusqu'à lapoitrine, les autres
nageante (?$<?
T))f 9-otX<xo'o'<x~e~ëe&Te? T<? Kf 's'poo'e~ox~o'sf, o< ~e~ <p<T<St' ~e<c7'7<Mf/3ps~o~s~o< t~s6x~0f~ o< Je x<x~ ~M'eo!'). Ils ne
sontpas
armés ils neportent
rien que des torches, qu'ils
allument au dernier moment. Ilsperdent
énormément de
monde. Cependant leur audace inouïe finit par jeter le dé-
sordre dans le camp romain; les machines de l'assiégeant sont
Voyez, en effet, la situation décrite par Appien dans le combat
naval livré près du mô!e K<ït Tous s~po~s s'7rtTr~o!)TO!so; j~ <x-7r'<xu-
T&)fT&)f !'e<M!~Ot S'ŒTrÔTOU~~0!TOS, Ot S' SXTOU3;CtTSf~fO'j'jtCtTOSCt~S-
~dt~ofTO (§ i23). Les Carthaginois postés sur )e Sf~Ts~o'~o: avaient en
avant d'eux ceux qui combattaient du haut du quai et ils tiraient par-dessus leurs têtes.
CHARLES GRAUX.190
incendiées. Ceux qui survivent rentrent dans la ville comme
ils en étaient venus, en nageant (-r~s ~~H~g ~~pt/o-afTes
~~eo~ <xt~s Ta ofKs<fx). Ce passage d'Appien a besoin d'un
commentaire. On comprend bien que la sortie n'ait pas été
effectuée par la brèche même, qui, naturellement, était forte-
ment surveillée, et l'on peut bien admettre, Appien l'aSu'mant,
et vu la situation sur le bord de la mer, qu'il n'y eût pas de
passages (<~Jbu~) ménagés dans le 's'apette~o'~s en vue de
sorties. Mais la mer, au pied du môle, du côté de l'Est, était
profonde et accessible même à des navires d'un grand tirant
d'eau; la preuve en est que, le soir de la bataille navale, les
grands vaisseaux de guerre desGarthaginois se rangèrent pré-cisément le long de ce môle ce n'est certes pas cette partie de
la mer qu'Appien peut qualifier par l'épithète a~Ts~. Sans
doute il faut rapporter à c& moment du siège un mot de Sci-
pion que Plutarque a emprunté, on est presque en droit de
l'affirmer, à Polybe lui-même, et qu'il a heureusement fait
précéder de quelques explications propres, jusqu'à un certain
point, à jeter un peu de jour sur la situation respective des
combattants. ~Scipion avait déjà pénétré dans l'enceinte (Mé-
gara), et les Carthaginois se défendaient du haut du promon-toire (il s'agit évidemment de la pointe du môle)~ Polybe,
Philon l'Ingénieur attache la plus grande importance à' la questiondes communications de la place avec les dehors KgTNtrK6uo!f77~ofS~)c<~
'SMp<)8ous xai 3t~SoU? ao~xAstS ST~ T~S T3'Ctp<X~O~êt<XS TOU ~RCMOS,!)'<!j~ Ot ~o~fttOt ~TnT~ ~s~A~ o'7~<yo[f'rMT~s T~poo TO~yTB'eTpoS<)-Âous~p6~iïTf ~pM~rct:xct! Te!?'sroXe~o~ [~~1 ~p~o't~oc )~& S~ <: ).
Tapps~. ( Fet. Mat&etK.,p. 85, s.fin., ou ch. i, §§53-5/), trad. A.de
Rochas.) Mais ces fossés et palissades., qui jouent, un rôle si importantdans le système de Philon, ea permettant d'entraver cf. de retarder tes
travaux d'approche de l'ennemi, nous ne pouvons guère'nons attendre
à les trouver ici, au mo)e de Cartbage dans le cas présent, nous avons
autour du 'sMptXTS~fo'j~o!,en guise de fossés, la mer eUe-méme. Partant,
pas de S~oSot.
Bien que, dans la pensée de Plutarque, les mots ~KT~s &<pasveuil-
ont peut-être dire trdu haut de i'acropote)!, il parait évident que, dans
la source à taqueUp l'anecdote a été puisée, le mot âxpa devait désignerla pointe du môle. La suite de la phrase l'indique. Mais Piutarqne n'aura
pas pris la peine de se rendre compte de la situation; les mots xŒTSfÂt;-
~6ï(ï$ Tà Ts~}? Kan T~s 's<~Ae&)sst~rôs ~~ras, que nous rapportons,sauf erreur, à la prise de Mégara, l'auront particuiiërement frappéde )a le début, ewe; §e 'n'aps~y ef? Ttt Tsf~os, qui ne laisse pas, au
NOTE SUR LES FORTÏFICATIONS DE CARTHAGE. 191
ayantobservé
quela
portionde mer
quile
séparaitde l'ennemi
n'était pas très-profonde, lui conseilla d'y semer des chausse-
trapesen fer et d'installer au fond de la mer des
planches gar-
nies de clous, afin d'empêcher l'ennemi de s'avancer parlà et
de venirattaquer
les chaussées. Mais Scipion répondit que ce
serait ridicule, après avoir forcé les murailles et lorsqu'on se
trouvait déjà dans la ville (allusion à la prise deMégara),
de
faire en sorte de nepas
avoir à se mesurer avec l'ennemi. ))
ËTTe!J~~CtpS~&W
S~S TO TS<YO?) T&WK<Xp~Jof/<Mf SX T~S axp<XS
<xp.ufOjMe~&):~e~s T))t<<~<et~eo'ou .3'e~oM'o'e~ ou 'sfafu j6<x0s?<xyOt3o"<xf
TOu no~.f&ou o'&)u~.euofTOs <xuT~)xotTtXo"7re?pet<Tp<ëo~.ous o'«~t)-
poCs 0'<X!J'fXS ~t&XÂ~.e< XS~Tp<HT<XS OTT&'S <~fX&tt:'O~TSSOt
~3'0~.e~t<0<tS'pOO'~C<Y<M!'T<X<TO??Y&~aO'<f,~<?~yS~.O<0~S~Ct< X<XTS<-
Â!?(poT<xsTtï
TS~t?xe~ T~s 'sfo~.s~s EfTo? ~fTCts, e?T<x ~3'panr7s<f
077M? OU ~<ï~o5fT<X< TO~ ~oXSjM<b<S.(/4~0jO/~&fg'?KeSÂ~'eM!OK!MeS,,
p. a ooA-B.)
Je me figure que Scipion attaquaitl'extrémité
Sud du môle, àlaquelle sa digue aboutissait; que la sortie
débouchapar
l'entrée ancienne desports; que
la merqui,
on
le sait, n'était pas profonde naturellement sur cette partie du
rivage,avait été
partiellementcomblée
parles matériaux
éboulés le long des talus sous-marinspendant
la construction
de la digue.
Le lendemain, les assiégés,n'étant
plus inquiétés parles
machines des Romains qu'ils avaient ainsi détruites à forced'audace et de bravoure, relevèrent la
portiondu mur
quiétait
abattue et la garnirent de tours de distance en distance (x<x~
~up~ou? év auT<M'aro~OM e~o/ou~ ex Acto-fXTOS, § i sS). Ces
tours, comme il arrivaitfréquemment
dans les sièges, durent
être construites en bois.Scipion refit des machines, amena
des remblais contre le front des.tours(~<M~etT<x~e<ps~ afT<-
~sr&)7Mt To!s ~up~o<s), réussit a mettre le feu à plusieurs d'entre
premier instant, que de dépayser. Mais, en y regardant à deux fois, on
s'aperçoit qu'il n'y a plus de mer entre les Romains et les Carthaginois
(T!)f 3fd ~<you &df~cfo'o'<M'),après que ces derniers se sont renfermés
dans l'acropole. Vaière-Maxime (UI, 7, 2) raconte le même épisodeen l'altérant encore davantage.
1Cf. Philon, p. a/), ch. m, § a8 Ëa~ S'sK (au lieu de S'sx, les mss.
ont Sè xe<J) S-otAdto'o'~s 's!'poo'cty&)~ o'u~Te~'nx;, xo!Ta:T<is aTro&M's<s
~-6jMs Te Kpu'n~et? ~ous e~oùo-ats Se<'Tt~efat, KCftTpt~~ous x<xfo't§)?-
poCsxo:f -sru~ous Sicfo"7re/ps;f.
CHARLES GRAUX.192
elles. Les Carthaginois ne purent tenir plus longtemps. Sci-
pion, maître du <3'ap<xTe<o-~<x, établit &,ooo hommes sur le
môle dans de solides retranchements, et éleva, peu de dis-
tance du rempart de la ville, un mur en briques, de la même
hauteur que le rempart, et du hautduquel ses soldats har-
celaient par des projectiles habilement lancés l'ennemi qui
garnissait les créneaux d'en face. L'été touchait alors à sa
fin Scipion en resta là pour la saison.
Ce'snxpKTe~o'fM~ qui créa tant d'embarras aux Romains,
ne faisait pas partie des fortifications permanentes de Car-
thage il avait été construit au moment du danger. On voit
qu'en somme, dans toute l'étendue du rivage, devant les portscomme vers les hauteurs du cap Carthage, la ville ne possédaitcomme défense permanente vers l'Est qu'un rempart simple.
Au contraire, l'Ouest de Carthage, le côté qui regardait
l'isthme, et peut-être aussi les côtés Nord et Sud, étaient dé-
fendus par une triple fortification, sur laquelle Appien nous
a transmis des détails assez circonstanciée. ïl_ pourra être
intéressant d'en contrôler l'exactitude. Nous ne chercherons
pas, nous le répétons, à retrouver le tracé de cette partie de
l'enceinte, mais nous nous occuperons de, déterminer en quoi
devait consister exactement et comment devait être construit
ce triple rempart.
Appien, § g 5 TptwXMTs~.e<. To~Tc~ <~&Mt<r'7o~ S~os
f~f ~~f À') ~Mp~s e7r<xX~s<~fTs x<x!-srupy&'f, o<' ~x Jt~~pou
<!«XO'7~<XTOS<XUTO<STSTp<MpO<pO<Œ'Sp~XStfTO, jSfX~OS<? 'S!'0<&HP
~<&fp0<pof<~t~ eXOKT'7oUTSt~OUS Ta t~OS, X<X~ CtjTMX0/~&' Te
0!<T<xa) er7e~0! XO~TM~f ser~e~~EUO~ë~~SfTS? T' XC:!,3~0'CH;-
po! ~atpSXBt~TO <ÏUTO!STiM~TpO<P&)!~<T77TOC''?6M'«Xd' UTr~OOCUTOUS
~f i'T77ro<S,XCt~TN~S?<X~XoSTS xat Kpt~?, Ctf~pao't TS X6tTe{-
yMyai! <3'e~o!s e? ~x, ~Treuo't e$ Toy~s 'sfapoco'xsu~
cro~e~o~ ~eTSTo:XTOo''?<x~eJe<f ~f T0?s TS<~So'<~yo<s.
Ainsi voilà qui est entendu selon Appien, il y avait, a une
certaine distance en avant l'un de l'autre, trois murs identi-
ques. Chacun de ces murs aurait eu 3o coudées (près de
i & mètres) de hauteur sous les créneaux sur. 3 pieds (9 g mè-
tres) d'épaisseur. Philon l'Ingénieur prescrit dans le systèmeordinaire de fortification 20 coudées seulement (g'°,a,o), et
dans le système a courtines cintrées, 6 orgyes (un peu moins
NOTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE. 193
de Ilmètres) pour
la hauteur durempart: pour l'épaisseur,
10 coudées (A", 60)dans le système ordinaire et dans la
construction rhodienne, 12 coudées(5'°,5o)
dans lesystème
à courtines cintrées.( Fe<. Matliem., p.
80 et 83, ou trad. Ro-
chas, ch. t, ? 9, 11, i5 et 33.) Le rempart d'Utique devait
avoir, d'aprèsles mesurages de Daux
(Emporia pliéniciens,
p. a 53), 6"\6o d'épaisseur.C'est dire
queles murs de Car-
thage présentaientdes dimensions qui sortaient de l'ordinaire.
Mais il n'y a rien là qui doive étonner; et ces chiffresd'Appien
sont admissibles.
A l'intérieur de chacun des trois murs, qui étaient creux
et à deux étages, on trouvait, selon notre auteur, lelogement
1° de 3oo élépbants, et, au-dessus d'eux, 2° de A,ooo che-
vaux, 3° de a~t.ooo hommes; ce qui faisait en tout, à notre
compte, pour les trois murs:qoo éléphants, 12,000 chevaux
ety 3,ooo
hommes. En outre, on y avait ménagé de vastes ma-
gasins contenant une grande quantitéde
vivres pources nom-
breux éléphants, des fourrages et de l'orge pour toute cette
cavalerie. Jesuppose qu'Appien loge les
éléphantsau rez-de-
chaussée. Quant aux chevaux, il n'y apas
à dire, et le texte
est formel, il les fait monter, ainsi que les hommes, aupre-
mier étage (<77770o'7oK7«x <~Mrëp ct~Tou?). A raison de deux
étagesdans une hauteur de i~ mètres, le niveau du
premier
serait àmètres
d'élévation au-dessus du sol. Voilà des che-
vaux bien haut perchés! Et comment expliquera-t-on, si
le-rpt~XoLw TSt~os règne sur
plusieurs côtés de la ville,
que trois enceintes concentriques successives fussent égales
entre elles en longueur et, à épaisseur constante, égales en
superficie?It faut être logique si la
plus intérieure est ca-
pable de contenir un nombre donnéd'éléphants, de chevaux
et d'hommes, la seconde et surtout laplus extérieure des
enceintes, à épaisseur et hauteur égales, en contiendront
davantage. MaisAppien
n'a pas songé à tout cela.
Neprenons qu'une
enceinte à la fois, et commençons parla
plusIntérieure. Voici comment la muraille devait être cons-
truite. Comme le pied du mur est exposé auxcoups
du bélier,
il présentera d'abord à l'ennemi un massif de maçonnerie
assez épais pour défier les efforts de l'assiégeant. Philon (l. /.)
prescrit pour cela une épaisseur maximum de 5"5o, qui,
i3
CHARLES GRAUX.1M
déduits des () mètres de l'épaisseur totain donnée par Appien,
nous laissent un espace de 3"5o, en arrière du massif, pour
construire les loges des ëléphaïlts, espace sur lequel on devra
prendre encore l'épaisseur du mur qui ferme ces loges du
côté de la ville voila pour les éléphants. Quant aux écuries
et aux chevaux, nous serions vivement tenté de les placeraussi au rez-de-chaussée. L'expression :~p <x~ToJ?serait alors
considérée comme provenant de quelque méprise d'Appien.
Après les autres bévues qu'on a relevées chez cet auteur, yaurait-il donc tant de témérité à prétendre le trouver encore
ici en défaut? Dans l'épaisseur de mur que je revendique
pour cette double destination, je logerais très-commodément
les 3 oo étépbantsetles 6,000 chevaux en question, pourvu
que le mur présentât seulement un développement de près de
6 kilomètres; or, il y a si peu d'exagération &Ladmettre pour
le Tp~oM~ Te~os une telle étendue, que cette évaluation n'ap-
proche sans doute même pas de la réalité.
Les anciens se prémunissaient contre le choc du bélier sur
une hauteur, à partir du sol, d'environ 6 mètres; cela, du.
moins, semble ressortir d'un passage, malheureusement fortaltéré, de Philon l'Ingénieur. Le mur ayant i& mètres sous
créneaux, il nous resterait & mètres pour chacun des deux,
étages dont il s'agit dans le texte d'Appien, ce qui est on ne
peut plus conforme à l'usage général des anciens en matière
de fortifications. Que ces deux étages fussent voûtés ou cou-
verts par des planchers, les voûtes ou bien les poutrelles qui
portaient les planchers prenaient sans doute leurs points
d'appui sur le mur qui faisait face à l'ennemi et sur le mur
parallèle à celui-ci. Dans ces deux étages devaient loger les
a&,ooo hommes. Cette construction ne différait de celle qu'onsemble pouvoir deviner au travers de ces lignes mutilées de
Philon, que parce que, à Carthage, la disposition décrite parPhilon se trouvait répétée à deux étages successifs,
To <? 'STCOSTOUS~B'O~.e~/OKSXK~XO!~TO~XOCtfO~ ~H ptStOUpOy~<'7r~.oSfxotTao'Meu<~s< f'Mc Mr~ TcSf X~o6<~<uf TU~eroy
Lacune? Des deux murs dont sera composé i&TO~xpetfOf, ou partie
supérieure du mur, il faudra que celui qui regarde l'ennemi soit assex
résistant pour n'avoir rien à craindre des coups de pétroboles; ces deuxmurs seront il 8 coudées de distance Fut) de l'autre (qui. retranchées du
;\OTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE. 195
~tt;<~ 'SB'CM'~)?, aTTE~Ot' 3-iXTepO!~ 3-a:T~OOt/ 'Er~SfS OXTM, S7!ANT-
To~ J'e ~Je~fX o:f&)0e!' e<s ~<x~x? o'x~.e<o'6sfT& ~bx<M~
e7f<TS0sio'<Mf o<xo~o~s2r<x< <pt~<xxT)/p«x~. (Philon,Fe<.
Ma~p. 83;
ch. i, 33, Rochas~.)
Lesmagasins
de vivres avaient étépratiqués,
vraisembla-
blement, dans lapartie
de la muraillequi
recouvrait lesloges
àéléphants
et les écuries. H nous estimpossible
de décider la
questionde savoir si ces
magasinsou
greniers régnaienten-
core à ta hauteur desétages
habitéspar
les soldats.
l'épaisseur totale de 12 coudées, laissent coudées àrépartir entre les
deux murs).
tfM.Egger suppose
ici une lacune après le mot 3<6§sxo!.Le sens
générât de la phrase indique suffisamment comment on doit la combler;
il faut lire quele double mur
quitermine supérieurement la courtine
doit commencer à douze coudées au moins au-dessus du soi extérieur;
de cette façon, en effet, la base, qui est massive, peut résister au choc
du bélier. (A.de Rochas d'Aiglun, Traité de fortification. par Philon,
p. ¬e a.)
t. en jetant au-dessus des voûtes ou des poutrelles on construira
des corps de garde, (Trad.de Rochas.)
Rien neprouve,
à vrai dire, absolument qu'on n'avait pas adopté,h
Carthage,une autre disposition pour soutenir les voûtes ou les
pou-treites. On aurait pu, par exemple, les appuyer sur des cloisons trans-
versales, formant ainsi une série de chambres au lieu d'un immense cou-
loir. C'eût été même une disposition préférable à celleque
nous pensons
avoir été adoptée, en ce sens quela chute du mur exposé à l'ennemi
n'entraîne pas alors la chute del'étage supérieur
et du couronnement.
D'après Philon, ce dernier mode de construction avait été appliqué à
Rhodes. On suppose,comme
toujours,la base dn mur massive. Puis, à
partird'une certaine hauteur, dont Philon ne parle pas,
on avait cons-
truit: une série de voûtes cylindriques dont les axes étaient perpendicu-
laires au tracé; sous ces voûtes on avait des corps de garde, et par-dessus
régnait le chemin de ronde. Philon donne les dimensions de toutes ces
parties. Vet. Ma~e~. p. 80 (~. fin.),ou ch. t, § 16, Roch. Ttfct Se
(T&it) ~STef'n'up~i&~f o'uyTEÂstTCtf), xo!~fX'!rep s~ Po§&), ets '~o:Ât§ots cruy-
~st<)~efc:' 'sfAetT)? Ts ~ouo-if et; 'srapoSoi (les chemins de ronde)
e'n'TOtTr~ x<xf xetT&~ef puX<MtT!;pM eTr7aMXwo: (sur la valeur de la
xÂff!; considérée comme une unité de mesure pour les surfaces, cf. une
note que j'ai insérée dans la Revue critique du i juillet 1877, t. IV, p. y
et suiv.),&'f oi TOi~ot oi ~sf op~ot
so'o~T<xfSsxcnr~yets
T&) Te ~Kg;
xaf TM TT~ei, oi Se ~a~M; ~KOg j'jtef e~ouo't!) TÔ i'<yo~ TOf? ôp~Ots,
'~).aTO? §erp~u. Dans' ce système
il faut réserver un corridor en
arrière des chambres, oupercer
desportes
dans les murs transversaux.
pour. lescommunications.
i3.
CHARLES GRAUX.1%
Pour achever la ~sMM&OMde ce rempart, il reste à dire
deux mots de la partie souterraine et aussi du couronnement.
En faisant des fouilles sur l'emplacement de Byrsa, la cita-
delle de Cartilage, Beulé découvrit, dans le pied des murs et
au-dessous du sol naturel, une série de cellules ou chambres c
uniformes, qui depuis ont paru à Daux s représenter, non les
chambres de la garnison, comme l'admet l'explorateur (il avait
tort en effet), mais bien des <M<e)*MMcommuniquant entre elles
par un corridor commun. Des citernes exactement pareillesse trouvent également sous terre à Hadrumète, à U tique, a
Thapsus, à Thysdrus, etc., partout enfin où il y a eu de
grandes fortincations phéniciennes'.)! En conséquence, Daux
n'hésite pas à restituer des citernes semblables sous les murs
de la triple enceinte de Carthage. Ce ne serait pas une raison
parce qu'Appien ne souffle mot des citernes, pour douter de
la justesse de cette restitution de Daux; cependant des citernes
paraitront peut-être mal situées sous des écuries. SI elles ont
réellement existé, l'eau qui tombait sur le vastc_ espace occupé
par les courtines et par les tours suHisait sans peine à les
alimenter.
Au-dessus des créneaux régnait un toit (~ T~ Ts~s< Ko/~&)
TSo~T< x<x! o-'7sy<x~ App., § g5). Cf. Philon (p. 80 des 1~e<.
Ma~em. ou ch. t, § t3, Rocb.) «On couvrira les courtines
d'un toit, et on les munira de créneaux, là où ce sera utile. 71,
no<e!rctt T<x (TtHf ~e'Tonr~'p~~Mt')K<xT<xo''?syo!KO~ETra&.çs~?~orTcc
ot3 (o!a mss.) o~<~p}7. Telles étaient les fortifications d'A-_
thènes à l'époque de Démosthène voyez pour preuve, dans la se-
conde dissertation De mMmmcKh's~&cNarMm (Goettingue, 18 3 6 ),la restitution d'Ottfried MùHer, très-exacte en ce qui concerne
les créneaux et la façon de supporter la charpente du toit.
L'enceinte intérieure se trouve ainsi restituée, tant bien que
mal, d'après les données probables combinées avec quelques
renseignements authentiques. En avant de cette enceinte, les
Carthaginois en avaient-ils établi deux-autres toutes pareilles?
Appien dit oui mais il est dans l'erreur. Supposons, en cn'et-
qu'il en eût été ainsi. A moins d'avoir e.spacé les lignes de dé-
Fm~o'M pAefMM'eMS,pp. i ()0 et suivantes.
§ <)5 TpnrA&)Te~yet. To~TtOf 3'ëx«G'7op ~f ~os ~vMf
Tpt~M~TŒXT~ AtWjM~(W§' ?KCtO'?OUTS~OUS T6 <0~ XT~
NOTE SUR LES FORTJFIGATtONS DE CARTHAGE. i97
fcnsedc 200 o 3 on mètres,–ce qui était, autantqu'on
enpeut
juger, laportée
maximum effective des machines de guerre
généralement en usage dans les sièges au second siècle avant
notre ère, une triple enceinte ainsi conçue, surtout en terrain
plat,comme à Carthage du côté de l'isthme, eût
procuré plus
de désavantage que de profità la défense. La première en-
ceinte une foisprise
eût certes fourni à l'assiégeant un éta-
blissement excellent pourbattre ta seconde, et de même en-
suite la seconde pour réduire la troisième. Le résultat qu'on
cherchait à atteindre dans les sièges antiquesau
moyende
gigantesques tours de charpente et des Mf~o/es, savoir d'éta-
blir ses batteries à une altitude au moins égale à celle des
créneaux de la défense, on t'eut obtenu d'embléepar
laprise
de lapremière enceinte; dès lors, enlever les deux autres
n'eût plus été qu'un jeu. Or,selon le
rapportde Daux, les
trois enceintes fortifiées deThapsus
et d'Hadrumète, villes
dont les fortifications semblent avoir eu laplus grande ana-
logie avec celles de Carthage, leur voisine, ne sontespacées
l'une de l'autre que de 3o à ~o mètres. Latriple enceinte de
ces deux villes et de Carthage n'était pointsans doute ce qu'a
cruAppien.
Nous nous adresserons, enpremier lieu, pour résoudre cette
diSIculté, au seul et unique livredidactique qui
nous ait
été conservé de l'antiquité en matière de fortification, c'est-à-
dire au .~MMe/de fortification, d'attaque et de
défense des places,
parPhilon l'Ingénieur (~M~'o
~Phitonis Byzantii liberquin-
tus~),le même ouvrage auquel
on adéjà
eu recours plus
d'une fois dans les pages précédentes'. Il a été rédigé, selon
les uns, au m' d'autres disent au second siècle avant Jésus-
Christ. Le livre du célèbre ingénieur contenaitd'importantes
Nous devons avertir, une fois pour toutes, le lecteur que le texte de
Phi)on que nous reproduisons dans les fragments cités au cours de ce
travail s'écarte notablement par places de celui qu'on trouvera imprimédans l'unique édition de cet auteur, moins consutté qu'il ne mérite de
l'être, dans les Veteres M~/te/MM'ci (Paris, Imprimerie royale, i6a3,t vol. in-foL). Notre texte, examen fait de tous les manuscrits jusqu'icisignalés et de quelques autres qui étaient restés ignorés, a été constitué
a t'aide des trois seuls manuscrits, de nous connus, qui comptent, à
savoir tes Pm'i.s!)MM3/~2, )~:eaM< 116~ et ~cM'M/eM~M T-HI-ii
respectivement du xf-n° siècle, du xt° et de la fin du x*.
CHARLES GRAUX.)98
recommandations, peut-être énoncées alors par écrit pour la
première fois, en tout cas d'une application facile même à un
vieux système de défense. Elles n'avaient pas du être négligées
par les Carthaginois dans un temps o& ils vivaient sous le
coup d'une perpétuelle menace de destruction. Nous ne vou-
lons pas dire que le génie carthaginois se soit mis à amé-
liorer les défenses de Carthage le livre de Philon à !a main;
car si cela ne parait pas impossible, du moins n'en savons-
nous rien. Mais l'admission dans le Manuel ~e~of~ca~o~ des
principes auxquels nous faisons atlusion ne faisait, à ce
qu'on peut présumer, qu'enregistrer et consacrer une pra-
tique plus ou moins longue, datant peut-être déjà d'un demi-
siècle ou de plus haut encore 1, et qui, en raison des excellents
résultats qu'elle avait dû produire, se trouvait enfin reconnue
et recommandée comme d'une indiscutable utilité. Or voici
dans quels termes, brefs et clairs, Philon résume ces prin-cipes, qui sont ce qu'il y a de plus essentiel dans sa méthode =
de fortification
« tl faut s'occuper surtout de l'avant-mur, des fossés et des
palissades; car, avec des pétroboles et des portiques~, on
emporte facilement de simples murailles» (des murailles non
protégées par des défenses extérieures). Les manuscrits ajou-
tent Il faut donc déployer tout son zèle pour faire aussi forts
que possible les avant-murs et les palissades, aussi larges et
aussi profonds que possible les fossés. Si ces défenses ont été or-
ganisées comme il faut, la place n'a pas grand'chose à craindre. s
On constate l'usage de défenses en terre extérieures au rempart; déjàau temps de Démosthène; ces ouvrages, il est vrai, ne, devaient être en-
core à cette époque que rudimentaires. Après Chéronée, on remit en
état dé défense Athènes et le Piree; on lit à ce propos chez Lycurgue,Cotise Leocra~e, § ~ù eTrs~eÂowro yàp o< f~s TMf Tety&if xo!-
Tac'KSU!?:, ot 8~ T~s T<Bf TK<pp&)f, o< Se T}~ ~Kpamt&o'eM?. C'estdans cette occasion que Démosthène fit creuser à ses frais a'eiKCfossésautour du Pirëe (Vies des dix orateurs, p. 9y5, dans une loi. Cf. Démos'
thene, Couronne, p. 3s5).On dit encore aujourd'hui tf C'es<~o' les <rHKcAeMet le caKOt ~Me
.s'e~)'<')!He~~p~Mes.))(A.deRochas, Tt's~e~~ot'~eatMB~ par Philon,
p. 5y, note ~.) Pétrobole ou baliste, machine de guerre qui lançait des
pierres ou d'autres masses pesantes; /M~Mes, afiees couvertes en char*
pente. à t'abri desquelles rassiegeant cheminait vers la place sous le tirdns )'fmpar)s.
NOTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE. 199
t~e<. ;M~em., p. 85-86, ouchap. i, § 5~i, trad. de Ro-
chas 2'77ou~<xo''7eof <~eo-7~ cJ? jMxX<o-?(X'!B'ep<T<x
'arpoTSt~/o-~otTa
X<x! TKS TN<ppOUSXCM T<XS
y<XpCtK<MO'S<S'~TTO
~iXOT<S~ ~.<00~0~.fM~
X<X~0'7o&)fpK~MN
txXtO'XSTOft TCtTSt~)?. [Iïsp<
O~f T<XUTiX<P<ÂOT<-
~~TEOf eo''?!, t'fO: <MS~0'YUp~TiXT<X <~ T0t> ~'pOTS<0'j',tetT<X~ XCt! ai
~<Xp<XXcJo-StS,XNt Of<
TK<ppO~C
SUpUTCtTO:~XOt~ ~3<x6uT<XT<X<yi-
~(M~TCt~' TOUTtM~y<xp ap~o~o~e~Mf,
o~~ 's'a~ot Je<f0f )?
-B'O~S.] ]
En conséquence,Philon
( Vet. M~ern.~ p. 8~-85, ou
ctiap. ), ? && et suiv., trad. deRochas) prescrit
de creuser
trois fossés, quel quesoit le
systèmede fortification, en avant
Afin qu'on puisse juger de t'état dans lequel se trouve le texte mi-
primé de Philon, nous transcrivons ici les deux phrases citées par nous
i ° page n)o, note i, et'j° ci-dessus, dans le texte (la seconde de ces phrases
fait immédiatement suite à l'autre), tellesqu'on
les lit dans les Vet. Ma-
(/icm. KefTao'xsucto~~of §~ KO!~'arap~Sous Kat §i<)3ous Ko'<?&Asfs ewi Te!:s
TB'ctpefSo~~etCtsTou ~etpcMos,
t'oct ~?7 Ot -scÂe~tOf STrt TCf~SiX?y e~7!;o'(XfTes
TJ~S TfX~pO~ TOUS -areTpo€oAo~s SpU~etït ~pMfTat mat TOM 'SfoAsjX~Ot5 ~}}~p~cri~m?' ~j~~ Se !? Tapps~<x
o'wouSao'7~0: so'7h' &)g ~.ct~.«r'7o: -m'ept T<:t
-iB'pOTef~fo'~a'rct~Ka~ TCfppous K;x~ Tas ~o:pax<t)c'sfs (Mos
vero ~0!<er et
«eeM~ate humum fodere oportet, pr<BC!pMecirca
p?'opMg')tac«/a sa<emMt'SK<
e< circa fossas et t)N!~<MKM) uwoyàp
TMf Xt9o66Â&)f :f6tt o'7oM~ pct3;<Mgd~.to'xeTCtt Tà Ts~)?. IIsp~ ouf TauTa p;XoT;~);Teof ecr7!f, t'yo: mo'f)' fo'~u-
pOT<xïa 'srpOTef~~o'~aTO! x<Xt a< ~a!pfïx<~o'e(s xat ai Tœ~pot <Bo'f 'C!'ÂSM'7<ït,
XŒ; Sct~UTŒT'af ~t~fMi'TtXfTOUTtt)~
yàp tXp~O~O~&)!'OuS~f C[!' TS'Œ~Ot§Sf-
r0~ 'E!'6XtS.
iffŒ &)o'tf :o'~p&)T~TCf 'sfpoTet~o'~ctTa. Paris. Vatic. Escor.(Voy.
p. 107, note t.)
Qs supuirctTctt] ~o'et ~Xs~at. Paris. Fa<c. Escor. Cette correction
quenous avons admise dans le texte est rendue probable par des
pas-
hagescomme les suivants Fe<. Ma~eM., p. 97, ou ch. iv, § ] i, Roch., Éctf
§6 ~}? Sttt~ ~&)f7Ctt (T~S Tfif~pOUs) §tCt TÔ j3ct9s;'<XSXCft SURSIS S~fitt, et
surtout, p. 85, ou t, li ~tÙ, not~TeCW 3'SO'7; T(XSTCtppOUS <US~Ct~UTCtTetS
)fst eXetT7o!) Tu eupos eëSo~~KOfTef 's~~&i~. Nous ne nous dissimulons
pas, cependant, quela leçon des manuscrits, ~Âefcr?~ trouvera des
défenseurs, à cause du texte que voici ÔpuxTea!! (opuM-a~ mss.) §'s<o'~f
S~ 'SfŒO'CtfS TfXfs TSf~OTrOti'Ctt?OUX eXtXT~OUS Tp;&)~ T~p<U!' (?-. 8~,
.f.~M.,ou [,§ ù ). Mais, selon nous, le contexteindique suHIsammentque
f'huon a en vue la construction de trois fossés et non d'un plus grand
nombre. Au surplus, toute discussion relative a cette dernière partie du
texte pourrait bien rouler 'sysp;<)fou c-xicts, connue dit le proverbe; car
laphrase Hsp: ou~ 'ratiTOt 3et~of )/ 'a~fs
présente,a nos yeux
du
moins, tous les caractères d'une (le ces notes réeapitu)aiives. comme on
fn mettait aux tnarges (les manuscrits.
CHARLES GRAUX.200
du rempart, savoir: le premier, à un plèthre (environ 3ojnè-
tres du rempart; le suivant, à ho coudées (i8",5o) du pre-
mier, et le plus extérieur, à la même distance du second.
Chacun de ces fossés est aussi profond que possibleet large
de yo coudées au moins (plus de 32 mètres). La terre retirée
du premier fossé sert à faire une levée en avant du rempart;la terre qui vient des autres est rejetée sur les deux inter-
valles qui séparent les trois fossés, ou, pour employer l'expres-sion technique, sur les deux brayes, afin que ces brayes, en
s'élevant, protègent l'avant-mur et le rempart. En avant des
deux fossés intérieurs~, on élève des palissadements sans avant-
mur. Philon détaille mille précautions qu'il convient en outre
de prendre, pour rendre à l'assiégeant l'approche des machines
d'attaque impossible ou au moins très-pénIMe dans une zone
de plus de 160 mètres tout autour du rempart. Au delà du
fossé extérieur, on enfouit des poteries debout et vides, l'ou-
verture fermée avec des algues seulement les hommes peuvent
passer sur ces endroits sans danger, mais sous le poids des
tortues et des tours de charpente le sol s'effondre. On creuse
des mares autour desquelles on plante des épines, etc. Tant
que l'assiégeant est retenu au delà du fossé le plus extérieur,
ses pétroboles d'un talent, c'est-à-dire des balistes lançant
des projectiles du poids de a 6 kilogrammes, sont hors de
portée pour endommager un rempart construit dans les con-
Phiion, S A6 ÔpÙT7o:ras3~ Se~TœsTcf~pousTi?s~f 'sp~T~T~yaf~ëoX~r 'sf0fe<b~<xt ToB ~oS (roû TO~ot~
sic mss. ToC ~oS, marge des
Fe<a~m.) TB-p~ ToO TS~ous, T&w Se ~Â<M~ e~ f<x §<sfc!"r~~a:TO! apa:
~CT<W, !f0: ë Te ;~Pa§ <~0'~afX<US Tf~TO:; (T~STCtt mSS.) ?Mt <i~OS Â<ÏjX&{fOfTŒ
TCt 3{efcr'7)~<i:T<x ao'~ÂSffï)' 's'ap~~Ta;TM
T?poTe<~o'~aT; xo!~T<MTei~St.
Phiton, § ~ty. Les manuscrits donnent (ce textefait [mmédtat.ementsuite
à celui qui est cité dans la note précédente): QsT~of S~ s<y7iT!fpà T~?s
8svt'ep<xs KK~ T~s Tp~T~s <x~su 's'poTsf~to'~etT&tf&
.~ctpa~. Le sens
veut, non pas ffCMavant du deuxième et du troisième fossés, mais «CK
an'i'ere (de ces deux mêmes fossés), ou, ce qui revient au même (t eKaMM:
du pt'e?/!te)'et du ~eiM'~me.BC'est un point qui n'est pas douteux. La cor-
rection qui nous paraitia plus vraisemMaMe est la suivante 'ss'p~T~s Ssu-
T~pa!?jM<T~s T7p<&T)/?.La preuve que Philon, après avoir compté les
fossés du dedans vers ie dehors, ne les numérote pas, en cet endroit,dans l'ordre inverse, ce sont les mots qui commencent la phrase suivante
!Ip« 3e T~s eo~cfT~s Tcf~pof (§ &y), où il s'agit incontëstabicmcMt du.fossé le plus extérieur.
.\OTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE. '201
ditions normales. Vient-il às'emparer
dupremier
fossé et de
lasimple
levée de terrepalissadée qui
le défend, il trouve de-
vant lui un terrain danslequel
on a enfoncé despiquets,
creusé des coupures, plantédes
épines,un terrain
imprati-
cablepour
ses machines. Il comble le fossé et nivelle les ter-
rainsconquis.
Les mêmes obstacles doivent être surmontés
encore une fois, puisil
parvientau dernier fossé. Cette fois,
il nes'agit plus
de franchir unepalissade
on se heurte contre
un mur, moins élevéque
lerempart principal,
maisdéjà très-
fort. Cet avant-mur(comme
sans doute aussi lespalissades
et les fossésantérieurs)
suit le tracé durempart, auquel
il
resteparallèle~;
onpeut
déduire de l'examen attentif du texte
de Philon(qu'on paraphrase ici), qu'il
secomposait
d'une
levée de terre revêtue, du côté de l'ennemi, etpeut-être
aussi
à l'intérieur, deparements
enpierres
de taille ou enmaçon-
nerie2. Derrière ce boulevard sont installées des batteries de
machines, qui,vu leur élévation, tirent
par-dessusl'avant-
mur dans le chemin couvert, larged'une trentaine de mètres,
Philon, p. 83 (s. fin.), i, S 35 As;'§é(ë§s< mss.) r<x -srpoTSt~tcr~en-ct
:XUT&)!'&)5tO'~UpOTCtTN 'afOtStf, TÔf OtUTO~
TROTfO!~TOtS
TStySC't OiXoSo-
~oSfTCts. L'interprétation quenous
proposonsde ce texte nous parait la
seule raisonnable.
Phifon,§§/t6-ùy,citéauxnotesf etadeiapag-eaoo.Lesdeuxbrayes
qui séparent les trois fossés protègent en s'élevant l'avant-mur; ces deux
brayes sont défendues par des palissades, sans ~<M<-m?a'; la terre retirée
du fossé le plus intérieur est rejetéee~ avant du rempart; il est évident
que c'est cette dernière banquette qui, fortifiée par un mur, ou, comme
c'était le cas àThapsus, ff fortement damée entre deux murs" (voy. ci-
dessous, p. 204, 1. t5), formait le 'sfpoTSt'~o'~a.
Philon, p. 82 t, § a/) Kc~ MaT&~S]' T<Mf TS~&if MfXt T<S!' 'B7pOTSt-
~t<y~(XT(Mf Tots ~e'o'7ots xct~ TE'e<o'7o;? ~eo' (on sait que ~3eX}y
signifiemachines f/e
g'Keryeaussi bien que projectiles)
cft ~3eÂoo'7<:(s'sfs
~ctTao'xst;<it~o~TŒ< ai~sf opuxTa~ [ies
manuscritsajoutent
ici STr~eSo;
xe:~KctT&'pu~o;] ai 8s
s-n'~sio; (6w()'ye;of mss.) 's~pôs TÔTous a~t~ret? j;~
TiTp~O'XSO'~tXi X0:( 0!UTOÙSa3)~OUg TOUS E)'Ct!'TfOUS TpfXU~CtTt~Stf, XKiSUpU-
~&)pM~ ~e<f 'sro~X?)~ xa~(ces quatre derniers mots sont placés, dans le
manuscrit, immédiatementaprès 'sfpôs To) oret~ o< ~oAe~iOt -srX]7o-;a~&)o-!
('y~O't!X~OUO't mss.) S~pStOUS 'yt'feo'~i TOÙ? XŒT<XTrŒÂTet~eTC(S(KO!-
T<XTre~T<xpeT<xsmss.) ;xSu!'sTOu:'T6:s's!'ep<er7pe~etf (xfXTŒo'7pepgt!; mss.).
'rAu pied (et eu arrière) des murs et des f<MH<-MM!s, on construira,
pourla
plupart des machines et spéciafcment pour les plus grandes, des
batteries, !es unes creusées (tans le soi, les autres a nenr de terre, met-
CHARLES GRAUX.aoa
qui règne entre l'avant-mur et le rempart, sont rangées les
troupes dont dispose la défense, toujours prêtes à donner, et
pouvant se porter rapidement partout où besoin sera Philon
ne conçoit pas une place forte sans ces deux lignes de défenses
extérieures i" l'avant-mur avec son fossé et a" les retran-
chements, ou palissades précédées de leurs fossés. Je ne consi-
dère les retranchements, bien qu'ils soient doubles, que comme
une seule ligne de défense. La lutte, en réalité, passe par'r
trois phases attaque des retranchements, qui sont défendus
pied à pied; attaque de l'avant-mur, qui doit s'écrouler sous le
choc du bélier; attaque du rempart, pour laquelle on met
en œuvre tout le matériel de siège.
Toute place forte présentant à l'assiégeant cette triple ligned'obstacles que décrit le 3ra:&f~e~of~ca/tOM est, selon moi,
pourvue d'un Tpt~XoSy Ts~o?. C'était le cas de Carthage.Nous ne le supposons pas seulement, nous en avojis la preuve.Par Polybe nous savons déjà l'existence du retranchement,
sans qu'aucun indice d'ailleurs ne nous permette de deviner
s'il était simple ou, ainsi que le veut Philon, double. Dans
le cours de la seconde période du siège, Asdrubal, le com-
mandant de Carthage, eut une entrevue avec Golosse,roi des
Numides, qui combattait dans les rangs des Romains. Il s'a-
vança à vingt pas en avant de son escorte, et, s'arrêtant &r-nere re&'aMc/iCMM'Ht,il fit signe à Golosse d'approcher (xa<
'S'poësë~~SfOS T<X<PpOt<X<ï! ~KpNXCt X<XT~t'EUST&i ~3eN'<~S<'
~poo-te~fït ~pos <xuTO!').Mais Appien nous fournit, sans y avoir
fait lui-même attention, des données précises pour réfuter son
système des trois enceintes identiques.
tant ainsi les artilleurs à l'abri et faisant qu'ils atteignent l'ennemi en
restant eux-mêmes invisibies, leur ménageant une )arge place libre et
évitant, si l'assiégeant s'approche, qu'ils ne deviennent imitDes, faute de
pouvoir taire converser leurs machines. 7Philon, p. f)&, m, § a5 Ef 3~ rais s~p~o'eo't T<By ~w~fitT&)!'
Kett TM)'~sX&)f&)!~
TCtfSO't~SxtfO&TCtf? STTt~S'SO-t 3s<' T0t)s Ô'n'~T<X? MCt~
TOÙ? ~tAoÙS, So'Ot 6TW TMf Te~&if <B<ytyp~O'tjXO<, 'StCtfTOtS (SM
t*'<'<.Ufif/iCM.mss. 'SftitfTes)StecrxsSMO'~fOUS gf TMT~pOT6~<T~aTt~TO~-
~OUS(sic Af<:</i<'M.;ëTOt~Otet ~TOt~Ofmss.) 6~fC«, &'0tTCt~Ù)K~
euTCtXT&Js 'sfo:Mo't TO 'sfpo~ctT~efUf T&J o''7paif~y<M.Cf. ~ncnt'p Phi)on. p. 8~). § ~t; p. 88, u, § la; p. <)o. m.
.4 il ftc.
NOTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE. 203'
Tout au début du siège, quandles consuls Manilius et
Censorinus livrent le premier assaut, x Manilius, ditAppien
(§ Qy), s'avança contre les murs du côte du continent, direc-
tement en venant de l'isthme; il devait combler le fossé, forcer
lepetit
murqui
se rencontre ensuite et, après cet avant-
mur, lesgrandes
murailles. ;) M<xt~<o?(~'s<
s~ To:)s ~o~e-
~<OUs)fXTTOT)3'S )7'7Te/pO~
~<XT<XTOf OtU~efM, ey~<MO'CUyTS T~f T<X-
(ppofKa;
~p<x~.u 'Œ'poTet~o'jna (e'7TiTe~<o'~<xmss. et edd. ~) 70
6'7r'et~Tp j6<ao'of/s~o?, xct~ ~sxe<t~ Têt J~<x Te< Voilà bien
les trois enceintesqui protégeaient Carthage. Nous ne
pensons
pas qu'ilsoit nécessaire d'insister sur la démonstration. Le
plurielT<x
u~~x Te/ne donne lieu à aucune objection. On
disait en grec indifféremment ro Te~o? et Ta TE/?, comme en
français lerempart
ou les rempart en parlantd'une seule et
unique ligne de murs; de même, Ta~poTe~/o'~aTa
est à
chaqueinstant l'équivalent de ro ~poTSt~o-~a.
Manilius, deux foisrepoussé,
sans avoirpu même, à ce
qu'il semble, atteindre l'avant-mur, établit un camp dans
l'Isthme même, sur la route deCarthage
au continent, e~ T&!
<xu~s~< T~ s$ ï~ ~7re<po~ 6<!oS(phrase
dans laquelleil faut
corriger, ce me semble: er T&'au~eM <s7r!> T~ xï~).Plus tard,
il tenta un nouvel effort et réussit seulement àpratiquer
une
petite brèche à l'avant-mur (Mc~/Â<os oJf ~Mpo~ ~ït -srpoo--
xot~<Mf xai ~oX<s T< Tou 'ŒrpOTe<o'~otTOs xotTtx6o(X(Mf(X'n'e'y!'&)~))Je
e'n'~s<pe<f~T<
T<xuT~).Il renonça définitivement à
dirigerde
nouvelles attaques contre cettepartie
de la ville, et cette ré-solution était, il faut le croire, bien motivée, puisque plus
tard Scipion lui-même n'essaya pasde nouveau de forcer
le Tp<77~0~ TS~OS.
ËTriTs~fo-~tx a un sens bien détermine, qui ne convient nuHement
ici. Ce terme désigne une fordfication étevée. non dans un but défensif,
mais oHensif. Cf. § iao, en parlant du camp de Scipion qui intercepteentièrement l'isthme de Carthage Kctf ~!) <xt)T<MTOtiTO(y7pcfT<)Trs§~fTe
Ô~Of X~<XCtTCfT&)!'S~pMf ë7r;TSt~tO'~(XSW;?XeS, Ô<?S!'Ôp~f~~SfOS T!)f
ayopaf (X~ypefTO Kotp~§o~;o~ 8o'~ K<XT~'y~~ <xuTOfsspepsTo. De même,
§ ~'3~), à propos du môie X~'n'i'&w Ss ewe~etost TM ~j~ctft' M<x<
yàp )?f etix~ipo!' s'TrtTef~o'~a Tou Ât~sfos. Quanta la correction quenous proposons, elle est d'aDJfm's justifiée par cet autre passage (une
vingtaine ([e Hgncs plus bas, § Q7, /?M.). on !<'même mur est appelé cette
fois -mpOTS~fT~'X.
CHARLES GRAUX.20A
Quoique suffisamment édifie maintenant sur ce qu'il faut
entendre par la triple enceinte de Carthage, nous ne voulons
point passer sous silence une dernière preuve, indirecte, mais
qui ne laisse pas d'avoir sa valeur d'autres villes, voisines de
Carthage et contemporaines de sa gloire et de sa chute, étaient
entourées de fortifications toutes semblables. Voici le rapporttrès-net de Daux, qui, sur ce point, semble mériter toute con-
fiance
« La deuxième ligne de fortifications, généralement, distante
de 3o à /to mètres en avant des grands murs, se composaitd'un large fossé, derrière lequel s'élevait une banquette. Le
mur extérieur de cette banquette faisant face à l'ennemi avait,
au-dessus du fossé, de 4 à 5 mètres de haut et était crénelé.
Derrière ces créneaux, la courtine continue était un remblai
de terre fortement damé entre deux murs H(cf. ci-dessus, p. a o t,
note a ). K La largeur de cette première fortification avancée
était la même que celle du pied des grands murs, 6"5o.
Dessous, en substruction, étaient de petites citernes par séries
continues, pareilles à celles qui étaient sous les grandes mu-
railles.
K~a; t'K ces détails à jEM/'MtKe~'e~ a T/is~Ks. Cette deuxième
ligne faisait, comme les grands murs, le tour de la place.t<La troisième ligne de fortifications était simplement un
fossé précédant une banquette en terre palissadée, fortifica-tion passagère, comme celle des camps retranchés, et se déve-
loppant a 30 ou ~to mètres environ en avant de la deuxième
ligne.K~ en reste encore des parties coMSK/é'aMesà
?7taps:(.M (jE'rn-
~0)'MpMK'C<p)M, p. a 5 8-2 5().)
Ce serait téméraire à nous de prétendre dire au juste com-
ment Carthage était défendue du côté du Sud. Un système
général qui nous parait réunir beaucoup de probabilités peutêtre du moins exposé en peu de mots de la façon suivante
Ce qu'on appelait la ville de Carthage devait être la réu-
nion de la ville proprement dite et de divers faubourgs, tels
que celui de Mégara, dont on s'est occupé plus haut. La ville
proprement dite aurait été ceinte du Tp<77~.0M'Te<~o? sur tout
son pourtour, excepté le long de la mer. Aucune donnée cer-
NOTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE. 205'
taine, à notre connaissance, ne permet d'en restituer le tracé.
On sait seulement, s'il faut fairequelque
fond sur le témoi-
gnage d'Orose, qu'auSud la
tripleenceinte venait
longerle
piedde l'acropole « Ex una
partemurus communis erat urbis
etByrsœ,
imminens mari, quod mare stagnum vocabant, quo-niam
objectu protentœ Mnguae tranquitlatur.H D'autre part, le
port militaire, dit le Cotlion, était entouré, dit Appien, d'une
double fortification (Ts~osTe
~ap 70~ fs<Mp/o~~TrXoSf
~sTsp;e-
xetTo). Je me figure quela triple enceinte venait, en quittant
lepied
del'acropole,
se réunir à ce ~~oSf TSf~o?. Quand
Scipion s'est rendu maître du Cothon, il se répand sans ob-
stacle dans le forum et dans le cœur de la ville; il ne lui reste
plus qu'unseul mur à conquérir, c'est celui qui couronne la
colline de l'acropole (§§ iay-ia8). Cette partie centrale de
la ville, la vieille ville, comprise entre le Cothon, le Tp~Âou~
Te~os et le rivage, et renfermant l'acropole, était, à ceque
nous pensons, désignée par lenom
de Byrsa. Byrsa, dit Beuié,
c'estJ'acropole
et rienque l'acropole.
Le nom deByrsa,
au
contraire, doit signifier, tantôt proprement l'acropole, tantôt
tout ce vieux quartier qui entoure l'acropole. Voicipourquoi
nous lepensons. Lorsque
le faubourg de Mégara fut enlevé
par Scipion (§ ny), les Carthaginoisde ce
quartiers'en-
fuirent précipitamment s Byrsa, comme si tout le reste de la
ville était pris (<?~)) To~E~Te~ Kap~o~/M~es T!)f BJpo-af
T~ txÂX)?? ~oXe~sfxÂouo-~).
Lapanique gagne le
corps
d'armée qui campait à 5 stades en dehors des murs, prèsdu
lac de Tunis; ils abandonnent leurs retranchements et courent
s'enfermer avec les autres dans~y?'~ (xct!
ss T~ B6paav ôjnoC
To!s o~o~<xMxJpo~ts<f).
Si l'on entend dans ces deuxphrases
Byrsade l'acropole même, on admettra donc que le
Tp~ÂoS~
Ts~os fut taissé, dans cette occasion, à la merci de l'ennemi,
qui, heureusement, à la faveur de la nuit, ne s'en seraitpas
aperçu; puis,le
premiermoment de terreur passé, le Tp<'n'ouf
Ts~os aurait retrouvé ses défenseurs. Rien de tout cela n'aurait
l'ombre de la vraisemblance. Lapeur
livra àScipion
un fau-
bourg et un camp situés e~M MtMros; mais, derrière la triple
enceinte, les fuyards carthaginois durent retrouver leur sang-
froid là, ils se sentaient parfaitement en sûreté. La preuvequ'on
ne s'étaitpoint sauvé jusque dans l'acropole, mais seu-
CHARLES GRAUX.~06
tentent dans la vieille ville, nous la rencontrons dans lapre-
.1 j¡,:
Ó1'\ t
nncrc phrase(tu §
110Ô <? 2x<7r/< To~ jMe~ ~apaxfx
T<5~
EY~p&)! Of T~ ~ROTEpa XCtTet~.E~.OiTrSO'fXfES TO <XCr7u <peJ-êX pcvv, 0 T17 apo-r-IP 1 xaTaAêAOl7l"êaaV ê~ Ta aa U yêU-
~o~Te$, s~gn-p~o-ef. D'où il résulte que M T))f Bupo-a~ et es
Tà ao-7u sont ici deux expressions synonymes. La mince autorité
de Zonaras vient encore donner quelque appui à notre con-
clusion. Racontant, unpeu
à sa manière, les mêmes événe-
ments dont il s'agit ici, il emploie les expressions que voici
T~f j~sf o~}~ 'Ef&tf e~e).<7ro~ e<s Je Tof K&tX T!~ Te Bup-
o-ett~xtXTs~~o~. Or, on nepeut admettre que
les assiégés se
réfugièrent dans le Cothon et dans Byrsa qu'à condition de
prendre Byrsa comme le nom de la ville centrale; car, sans
cela, leport
etl'acropole
n'ontpoint
de communications.
Un passage de Strabon fournit encore unargument dans le
même sens. KLesCarthaginois,
dit-il(XVII, i 5, p. 83s), après
s'être réfugies dans Byrsa, construisirent, dans l'espace de
deux mois, une flotte de iao vaisseauxpontés et, voyant
l'entrée de leur port bouchée, creusèrent une autre entrées n
(roTs xo<i7rep ~); o'KjM'n'efpe~yoTEs et? T~f Bupo'otf, ef ~jH)?:~ xe<-
TEO'XSUao-0!!<TOfO!USeX<XTOfSMOO-<XNT<X<ppaXTOU?,~Ott TOU0-'7ojMa-
TOS ToS KfM0&)~OS<pp0~pO!~tEfOU J«MpU§Xf a~O O''7o~).Il est évi-
dentque Byrsa
ne signifie pasici
l'acropole.En considérant
ce résultat comme acquis, on peut se rendre compte d'une
expression d'Appien qu'onserait tenté, dans le
premiermo-
ment, de condamner comme inexacte Td Je -srpos ~eo-~ëp/af
<xet!ss> ~Trs~pO!~~~o! x<x< )? Bupo'ot t?~ e'7r~ Tou otu~e~o~
ïp~ÀM Te<~e< (§ o5). Byrsa,la vieille ville, devait être bornée,
en cnet, du côté du continent, vers l'isthme, par la tripleen-
ceinte on n'enpourrait pas
dire autant de Byrsa acropole,
qui était située àpeu de distance du rivage de l'Est, et
pasdu
tout STTtTOUNt~erO?
Dans lesystème que
nousprésentons,
à titre, du reste,
purement hypothétique, nous aurons, au Sud du Tpt~o~
Tg<~?et à l'Ouest des ports, un faubourg assez considérable,
enfermé dans une enceinte qui se reliait à celle du portmar-
Cf. encore Servius, in ~Me: I, 368 ffCarthago antea speciemhabuit duplicis oppidi, quasi aiiud alterum comptecteretur; cujus inte-
f'icr pars Z~/rM dicebatur, exterior Mng'a/M. Hujus rei testis est Cornelius
\cpos. in co Hbro qui Vit.a i))nstriun) inscribitur.~ (Af~'<!&'s==-Me'yefpa!.)
NOTE SUR LES FORTIFICATIONS DE CARTHAGE. 207
chand. Cette enceinte secomposait
d'unsimple mur, faible et
bas, selon Apptcn, qui se détachait(nous
ne saurions dire en
quel endroit)de la
triple enceinte, en formant un angle. Il est
supposable qu'elle suivait, dans une partiede son
développe-
ment, ce pli de terrain qu'on voitmarqué
sur leplan,
àpeu
près dans ia direction N.O.–S.E., et qui commence un peu
au-dessus de DoM~e~c/Mt, se dirigeant presqueen ligne
droite vers l'entrée duport
marchand. Le lac de Tunis devait
s'étendre, à cetteépoque,
bien au delà, vers le Nord, de ses
limites actuelles, et mouiller tout du longle
pied de ce mur,
et, par suite, la langue commencerbeaucoup plus au Nord
que maintenant, à la hauteur de lapartie méridionale du
portmarchand. Si tel était vraiment l'état des lieux, 1° la
description suivante, jusqu'Ici incomprise,devient intelli-
g)bler&)f<Ct <~ ~CMCCT))f ~X<5o'0'C<féx TOU~e TOC TS~OUS 67~
Tous A<~M'ct$ ~s'spisxc<~7r7ef, ao-~Sf))? ~f ~o:~ xe~ Ta'n's~)), XCM
~e~To ~e?p~s(App.,§ oS, s.j~K.);a° rien de
plusclair
que
l'exposésuivant
(§ qa)Kufo$ f~f s7r:To~)), xe~ 70 Ke~o'<H-
ptfOK o'7paTowe<~ot~ s~oo'Et, f7'7<x0~eSof e7r! ~.<~)? er'7<x9epoS~ot~ j6<x-
OeOSU~O!TO? XCt~ ~7f0
Ter~EO'i ~S~/0''7o<S, OUXOtTCfTTfSO~SfOfSX T?S
9-ix~o-o-)?s. KC'étaitl'époque
de la canicule; uneépidémie
ré-
gnait dans l'armée de Censorinus, parsuite de son station-
nement sur un lac d'eau stagnante et aux exhalaisons mal-
saines, aupied
de hautes murailles qui empêchaient la brise
de mer de souffler sur la flotte, x On chercherait vainement à
concilier avec ces deux textes l'hypothèse que le lac de Tunis
n'a pas été refoulé vers le Sud depuis l'an i ~6 avant J. C.
On n'a rien de nouveau à dire surl'acropole de Carthage,
bien décrite par Beulé. Beulé a restauré aussi, à la suite de
ses fouilles, lesports
de Carthage; Jal et Daux2 ont par-
faitement montrél'impossibilité
de sa restauration. Il neparaît
pas yavoir de doute sur
l'emplacement qui est assigné au Co-
thon sur les plans modernes de Carthage. En dehors de cela,
on saitqu'il n'était pas
entièrement rond, etqu'il avait une
partie carrée 0 <? Acr~pou&xs î~~Tos efeTr/n'p!? To ~spps ToS
D:ct:<MMmreM'i~M &K)g'<Y!p/i<eet <iM<~)'g,, art. CARTHiGE(L'an-:
tique port de).
7t~M'Mp/tenicieM~, pp. 188 et ~oo.
CHARLES GRAUX.208
KfM~fDfOS TOTETO'X~'fH~O~.
Ë~/cr<XS J'6T< TOf 2x<7r/&!ftX 67!
6)/crEO'00f<,XOHcrpOS TO~ST(M~KfXp~O~f e7!'eo-7pO{~E!~&)f,~<X0e
Aott'<os e~r! 3-KTSpo; ToS KcJ~fos ss TO '5]'ep<~spes <xuToS
~epo?a~s~Mf
(App.,§
iay).Il faudrait se décider à ne plus
tracer, jusqu'à nouvel ordre, les contours du Cothon sur les
plans qu'on publiera de Carthage.
Le lecteur, nous lecraignons, ne quittera pas ce trop long
et laborieux mémoire sans éprouver quelque désappointement.H désirerait
peut-êtrenous voir donner maintenant un
corps
a nos déductions en dessinant à notre tour sur la cartequelque
tracé des fortifications de la Carthage punique. N'en est-il
donc aucun quenous considérions comme plus particuliè-
rement d'accord avec les textes et les fouilles, commepou-
vant être restitué avecl'espoir
des'approcher
dansquelque
mesure de la vérité? Peut-être saurions-nous, après tout,
comme un autre, imaginer un tracé élégant, possible, d'un dé-
veloppement égal a celuique
tel ou tel des anciens attribuait
aux murs de Carthage~. Nous n'avons eu garde de céder à une
aussi dangereuse tentation. A peine est-on assuré de bien con-
naître l'orientation généralede ces murs; quant
à despoints
dedépart fixes, où en a-t-on? Il n'est que sage, en
pareil cas,
de s'abstenir de paraître tropbien renseigné. Dureau de la
llalle(voy.
leplan ) semblerait, à première vue, avoir retrouvé
toutes les diverses enceintes dont était munie lacapitale pu-
niquefondations romaines ou
byzantineslui servent, sans
qu'ils'en doute, de points de repère;
ilinterprète les textes à
sa manière, quin'est
pas toujoursla bonne; enfin, le désir de
bien faire aidant, il restaure une fortification des plus com-
pliquées, logique peut-être,certainement de fantaisie. Elle a
été souventreproduite
etcopiée fidèlement jusqu'à ces der-
niers jours", et l'on nous dit que nous avons là les fortifica-
tions restaurées de Carthage. Il faut se défier d'unpareil
tracé
il n'a rien d'authentique; et, pour notre part, nous sommes
d'avis qu'ilfaut détruire cette Carthage-là.
Les anciens ne s'accordaient pas sur le périmètre de Carthage. Voy.!es textes chez Dureau de la Malle, Recherches sMr la M~OBT~~M de 6~-
//«M'e, p. 38 et suiv.
Voy. j):H' ext'mp!e le pian Cai!!at.
PLAN DE CARTMAGE ET DE LA rENINSULE.
t&
NOTICE
SUR UN TRAITÉ DU MOYEN ÂGE
INTITULÉ
z)E cozoMjB~ Ey ~~r7~~ ~om~vo~~M,
PAR A. &IRY.
Le traité dont nous allons parler n'est point inconnu. Dès
longtemps,les savants ont été
attirés parson titre; beaucoup
ont pensé, avec Lessing, qu'on pouvait y trouver des renseigne-
ments nouveaux sur les arts del'antiquité;
mais cette illusion
n'apas résisté à la lecture.
Quelques centaines d'hexamètres
obscurs relatifs à la fabrication des couleurs, àl'application
d'émaux sur lespoteries
et I~s verreries, à la gravure et à la
taille du verre et despierres précieuses,
à la fabrication des
pierresfausses et à la dorure, suivis d'une soixantaine de re-
cettes enprose,
les unesparaphrasant
lesprécédentes, les autres
concernant lacalligraphie, l'enluminure, la peinture sur bois,
sur mur ou sur verre, la verrerie, la céramique, le travail des
métaux et de l'ivoire et la niellure, le tout très-visiblement t
du moyen âge, c'est un assez maigre régal pour qui a été mis
en éveil parles mots Arles Romanorum.
Du moins, la connaissance de la technique des arts du
moyen âge et par conséquentla
critiquedes monuments de
cette époque peuvent faire leurprofit de l'étude de ce
petittraité. Par cela seul il mérite
qu'on recherche soigneusement
àquelle époque,
dansquel pays, par qui il fut écrit, qu'on se
rende un compte exact des procédés qu'il expose, qu'onétudie
la trace del'application de ses recettes dans les monuments
qui les expliquent, qu'on en suive ledéveloppement
ou la con-
nrmation chez les écrivains postérieurs, et surtoutqu'on en
recherche avec le plus grand soin toutes les sources. On se
tromperait si, de ce qu'un pareil traité a été fait aumoyen
Il
A. GIRY.210
âge et pour des artisans de cette époque, on se hâtait de con-
clure que la connaissance de l'industrie de l'antiquité ne
saurait aussi trouver son compte à un pareil travail. On ne
rencontre pas, en comparant la main-d'œuvre et les procédésdu moyen âge à ceux de l'antiquité, les mêmes diu*érences
qu'entre le style et les arts des deux époques; lapratique
du
moyen âge presque tout entière lui est venue des anciens,
soit par une tradition de plusieurs siècles non interrompue,soit par suite d'emprunts faits aux Grecs du Bas-Empire. N'est-
il pas intéressant de prendre sur le fait cette tradition ou ces
emprunts, qui touchent à la grosse question de l'influence by-zantine ? N'est-il pas possible même de demander à des recueils
de recettes de cette nature des éclaircissements sur l'industrie
des anciens?
Ces réflexions n'ont pas échappé aux nombreux érudits
qui, depuis le siècle dernier, ont étudié les recueils de pro-cédés ou les manuels d'artisans du moyen âge. On sait l'im-
portance de l'ouvrage composé par le moine Théophile; tous
les traités n'ont pas l'Intérêt de la jScAp~M~~MwrMnm arlium;
tous du moins, ceux qui sontplus modernes comme ceux qui
sont plus anciens, méritent d'être comparés entre eux et étu-
diés avec soin; des travaux de ce genre, on n'en saurait douter,
accroîtraient dans une bonne mesure les notions encore si peu
précises que l'on possède sur l'histoire de la technologie.Pour en revenir à l'ouvrage auquel est consacrée la présente
notice, disons tout d'abord qu'il a été déjà publié trois fois et
traduit deux fois. L'Anglais Raspe,à la fin du siècle dernier, a
donné le texte d'un manuscrit qui se trouvait alors à Cam-
bridge 1; mistress Merrineld, en 18~0, en a publié, avec une
traduction anglaise, une nouvelle édition bien meilleure, d'a-
près le même manuscrit et un manuscrit de Paris, dans sa col-
lection de traités originaux sur les arts du moyen âge~. Enfin,
il y a quelques années, M. Ilg, de Vienne, a reproduit l'édition
de Mrs. Merrineld, en y joignant une traduction allemande,
dans les QMe~eHscAf~'K~Mr ~MKS~'esc/MC/!feund .KMKsMecAtM~des
er~'e~ essay on o~paMh'ng'~ London, iy8i, in-4°, p. go-ng.
Or!g-MM~Treatises on t&Parts q/'JM!K<Mg'in oil, miniature, M(M<MC~f;)t~on jO'&!M,of gilding, <~e:M6',a!~Ae~M'~M)'a<KMtO~CO&M)'~f:M~0~
/M'M/ypHM, London, i8ÙQ, m-8", t. ï, p. i66-a5y.
NOTICE SUR UN TRAITÉ DU MOYEN ÂGE. 211
lA
Mt'Me~er~ publiéesà Vienne sous la direction du professeur
Eitelberger 1. Aucun des éditeurs n'a utIMsé tous les manuscrits
de ce traitéqui
nous sontparvenus, et, quoique
chacun d'eux
ait faitprécéder
ou suivre son édition d'études ou d'éclair-
cissements, aucun n'a connu toutes ses sources, aucun n'a
recherché ses recettes dans lescompilations postérieures
où
elles ont passé.Il n'est donc
pas sans utilité de reprendreà
nouveau l'examen de ce texte, en profitant des recherches et
des découvertes dues à chacun des trois éditeurs, ainsi qu'à
quelquesautres savants.
Trois manuscrits, à ma connaissance, nous ont conservé le
texte à peu près complet de cet ouvrage.
Le plus ancien et leplus correct est du xjf siècle et n'a encore
étéemployé par
aucun éditeur. Ilprovient
del'abbaye
de Saint-
Amand, et fait aujourd'hui partie de labibliothèque de Valen-
ciennes, où il porte le n° 145. C'est un ms. in-folio enpar-
chemin, dont lespages ont 38o millimètres de hauteur sur
a 60 de largeur;il se
compose deiyo feuillets; chaque page
est écrite sur deux colonnes de 44 lignes chacune, en belle
minuscule. Notre traité se trouve au feuillet iy8; il occupe,
avecquelques
autres pièces de vers, parmi lesquellesle
poèmesur les
pierres précieuses (Evaxrex Arabum, etc. )
qui y est attribué à Hildebert, les six derniers feuillets du
manuscrit. Le commencement contient lesquinze premiers
livres de la Cité de Dieu de saintAugustin.
Dans ce manus-
crit, notre traité neporte
aucun titre, nonplus que
ses divers
chapitres, qui sont cependant séparés les uns des autres et dont
le commencement est indiqué par des initiales alternativement
rouges et vertes. Il se compose de 208 vers hexamètres. La
partie en prose, qui fait suite aux vers dans les autres manus-
crits ne s'y trouve pas. La présence de ces vers dans ce manus-
crit a été signalée par M. Waitz(Pertz, ~rc/M~ VIII, ~36)
et, plus tard, par M. Mangeart (Cataloguedes manuscrits de Va-
lenciennes); ni l'un ni l'autre ne savaient à qui les attribuer.
Le dernier éditeur, M. Ilg, n'en a été avisé qu'après avoir im-
priméson texte.
Un second manuscrit est au Muséebritannique (Egerton
Ns'M/KM, ~M~eKFar/'MMK~MM<<borner;, Vienne, i8y3,in-8°.
A. GIRY.212
8&o,A). Il a fait autrefois partie de la bibliothèque du collègede la Trinité de Cambridge, où Raspe fa étudié en 1770De là il passa, je ne sais comment, dans la collection de James
Orchard Halliwell, ainsi qu'en témoigne le timbre humide
qu'on voit au folio a 5v",et qui porte la mention .St&Mteca
.HaMM~eMtMKa.Il est entré dans la collection Egertonen 18~0
Mrs. Merrineld en a donné une description". M. Albert Ilg ena parlé aussi dans la préface de son édition; mais, malgré les
termes équivoques de sa notice, il paraît certain qu'il nen a
pas fait une étude personnelle. Enfin Hendrie, dans son édition
de Théophile' et Eastlake, dans son livre sur la peinture à
l'huile~, l'ont tous deux mentionné, mais ne semblent pas l'a-
voir connu.
Ce ms. est un volume de très-petit format, dont les feuillets,
de parchemin, ont i&5 millimètres de hauteur~ur 106 de lar-
geur. Il débute par un fragment de cmqfeulllets d'un ouvrage
théologique qui ne faisait pas autrefois partie du même vo-
lume. Les folios 6 à 16 v°sont occupés parles trente-sept pre-miers chapitres du manuel du moine Théophile, qui y sont
intitulés ?racMMS LïMK&ar~eïM qualiter &}mpe!'aK~ colores.
Notre traité commence à la suite de Théophile, à la huitième
ligne du feuillet 16 v" et va jusqu'au recto du feuillet a 5 et
dernier. Le titre en rubrique est en haut du folio 16, avant
les sept dernières lignes de Théophile Hic M!/e)'!MSincipit /&e~
Erac~t sapientissimi viri de coloribus et de artibus Romanorum.
Il est répété à la huitième ligne Incipit liber .Efae~K sapien-~mnM viri, etc. Le Catalogus manuscriptorum ~Kg'H<~ dans la
notice consacrée à ce manuscrit, lui donne pour titre Gratsius,
f/e artibus Romanorum. Il n'est pas inutile de relever cette faute
de lecture, qui a été plusieurs fois reproduite.Les feuillets 6 à a 5, qui contiennent Théophile et Éraclius,
ont dû faire partie anciennement, d'un manuscrit beaucoup
ctt<:ca~essay, etc., p. ~)i.
La mention; Pm'e/iase~ of J. Hom. j; a! ïS~o, se trouve sur l'un
des feuillets de garde.
Ona'MM/ 7n'a<MM, I, p. 66.
.~MMM~ !<p0)tMr!'OMS<!)' &y 27MOp/M7!M.T~'aHS~a~N!M MO<M
~Robert Hendrie, London, 18~7, in-8°, p. ai.
lllaterials for s /M'~oryo/'o:7paMh')~ LondoM, 18~7, m-8°,p. 33.
NOTICE SUR UN TRAITE DU MOYEN AGE. 213
plus considérable, car plusieurs d'entre eux, dont la marge
a été moins écourtée, conservent la trace d'une ancienne
paginationdu xv° siècle, dans
laquellele folio
a portait le
n° 228. Les ~fo pages qui contiennent les deux traités ont en
moyenne 2lignes chacune, d'une minuscule
gothique très-nne,
très-chargée d'abréviations. Raspel'attribuait au x)u° siècle,
Mrs..Merrineld, à la seconde moitié du même siècle; il me
semble qu'on peutla reculer
jusquevers i2/to ou ia5o.Iln'y
a derubriques que pour les titres des traités; ceux des cha-
pitres sont soulignésd'un trait
rouge;pourla
partieen vers,
dans laquelle les vers sont séparés, les titres sont à la marge
de droite dans un cadre formépar quatre
traits noirs. Le
copistesemble avoir été assez négligent,, mais un correcteur
contemporain a soigneusement exponctué les mots répétés et
a essayé, sans avoir de manuscrit pour le guider, de restituer
les mots omis, de corrigerles
phraseset les mots altérés.
Quelquesmots d'une
orthographe plus archaïque quene l'est
en général celle du manuscrit, telsque karissime, habundanter,
panxMKCMo~ nicliil, semblentindiquer que
le textequi
a servi
à cettecopie était notablement
plusancien. Le traité d'Era-
clius, dans ce manuscrit, comprend,outre les ai
chapitres en
vers, 25 chapitres
en prose.
Un troisième texte de ce même document se trouve dans un
recueil manuscrit qu'un curieux du xv" siècle, connu par une
traduction de l'histoire de la première guerre puniquede
LéonardArétin\auteurde divers inventaires royaux et enpar-
ticulier d'un inventaire de labibliothèque du roi Charles VI
M" Jean le Bègue, notaire etgreffier
de la Chambre des.
comptes de Paris, écrivit en entier de sa main en i/t3j
Detiste, Ca&M:ef maMMser~ I, y3.'7M., p. a~4
3 Au foi. ga de son manuscrit, Jean le Bègue, parlant d'une addition
qu'ii y fait, s'exprime ainsi: rffuit addita per me Johannem le Begue licen-
ciatam in legibus qui presens opns seu capitula in hac (sic) votumine
aggregata propria manu. licet non assuetus, scripsi, armo Domini
M'CCCC'XXXI', etatis vero mee LXIH°.~ A la fin (f. 101 ~),il a ajouté: :ff Compositesest liber iste a.magistro .lohanne le Bègue, gre~fario genefatium Hiagistrurum rnonete regis, Pansius.!) Ne en i368,Jean ie Bègue mourut en t~5y, à l'âge de 89 ans. Consulter sur lui de
Boisiisie, Chambredes eoM~M de Paris, notice préliminaire, p. )~.
A. GIRY.21&
Ce manuscrit est un petit in-&°, composé de- 101 feuillets
de papier; l'écriture est courante, ferme et très-lisible; chaque
page, écrite à longues lignes.. avec rubriques et initiales al-
ternativement rouges et bleues, a 2 2 o millimètres de haut sur
i&~ de large, et contient une trentaine de lignes. Ce volume
fut possédé au xvi° siècle par un amateur rouennais, Louis
Martel, dont l'e~-M'n's se trouve sur un feuillet de garde;
c'est lui qui a écrit la table des matières qui se trouve sur
le premier feuillet, à la fin de laquelle est la devise Illustra
DeMs oct~MM( anagramme
de Ludovicus Martellus). De la bi-
bliothèque de Martel, il passa dans la bibliothèque formée à
Rouen, au commencement du xvn" siècle, par Jean Bigot, dont
les armoiries sont encore collées sur le verso du premierfeuillet de garde; de là, avec les autres manuscrits des Bigot,il passa dans la bibliothèque du roi; il est aujourd'hui à la
Bibliothèque nationale, où il porte la cote lat. 6y&i.C'est un très-curieux recueil de recettes relatives à la
peinture. On y trouve, outre notre traité, des glossaires de
noms de couleurs, le premier livre du moine Théophile, le
traité sur les couleurs de Pierre de Saint-Omer, des recettes
qu'un certain Jean Aucher avait reçues en communication de
divers artistes et, entre autres, d'un peintre flamand nommé
Jacques Conan, d'un enlumineur nommé Antoine de Corn-
piègne, d'un calligraphe de Milan, Alberto Porzello, des
peintres Jean de Modène, Micheline de Vesucio, Pierre de
Vérone; d'autres qu'il était allé chercher en Italie, parti-
culièrement en Lombardie.à Venise et à Bologne; d'autres
enfin que Jean le Bègue lui-même y avait ajoutées.Le traité attribué à EracMus commence au ~feuillet 6& v°
/ncMMt NrMKMset metricus liber Efraclii sapientissimi viri ~e colori-
bus et de artibus jRo!M<:HorMm,et se termine au fol. 86 v°. Il y est
divisé en trois livres, les deux premiers en vers et le troisième
en prose; celui-ci contient un chapitre de moins et a 3 chapitresde plus que le même livre du précédent manuscrit, et, en
outre, tous les chapitres de ce troisième livre y sont disposésdans un ordre tout différent.
Mrs. Merrineld a publié ce manuscrit en i8/tg .moins ce-
qu'il contient de Théophile; mais, pour le traité d'Ëraclius,
elle a adopté de préférence les leçons du manuscrit du Musée
NOTICE SUR UN TRAITE DU MOYEN ÂGE. 215
britannique; elle a suivi de même l'ordre donnépar ce
dernier
manuscrit pour les chapitres du Ille livre, et classé à la suite,
en ordre méthodique, les 23chapitres
nouveaux fournis par
le manuscrit de Paris. M. IIg, malgré la description qu'il en
donne, n'apas plus connu ce manuscrit
quele
précédent.Outre ces trois manuscrits, qui contiennent le texte
plusou
moins complet du traité d'Eradius,ilen est beaucoup d'autres
quin'en contiennent que des fragments. Ils n'en sont pas moins
importants à connaître, parce qu'i~ peuvent contribuer Hon-seulement à établir le texte, mais encore servir à montrer com-
bien cet ouvrage a été répandu aumoyen âge et comment se
formaient les recueils de recettesqui
nous sontparvenus.
Ces
fragments sont, en outre, un élémentimportant pour déter-
miner l'âge de cettecomposition
etpour
aider à retrouver les
différentes sources auxquelles l'auteur a empruntéses
pro-
cédés. Nous allons les passer en revue, en examinant d'abord
ceuxqui
contiennent les recettes en vers, ensuite ceuxqui
contiennent les chapitres en prose.
Le manuscrit du Musée britannique (Harleian Soi 5),de
la fin du xn" siècle, quicontient le traité de
Théophileavec
beaucoup d'additions, et quia été la base de l'édition publiée
par Hendrie, contient, dans ses additions, leschapitres
en
vers d'Eraclius relatifs à l'écriture en lettres d'or(vu),
à la
fabrication des couleurs végétales (n),àla gravure du verre et
des pierres précieuses ()v,vi),et à l'émaillage despoteries(m),
chapitres quiont été
publiés parHendrie 1.
Un autre manuscrit du Musée britannique (Harleian sy3),
recueil de la fin du XIIIe siècle, contenant ungrand nombre
de recettes de toutes sortes, compte parmielles le chapitre
relatif àl'émaillage des poteries (fol.
211v~).
Le ms. n"a yde la
bibliothèquede l'Ecole de médecine
de Montpellier contient, dans la copiedu xiv" siècle d'une
compilation extrêmement curieuse, intitulée, comme celle de
Théophile, Liber diversarum <M'(KNK~etpubliée par Libri à la
suite ducatalogue
des manuscrits de cettebibliothèque,
le
chapitre d'Éraclius relatif à l'écriture en lettres d'or 2.
1 Théophile, ëd. Hendrie, p. 3ga, 3g6, 3g8, ~02.
6s<<Og'!<e~'<'Her«/~M manuscrits, t. I. p. ~85.
A. GIRY.316
Trois de ces chapitres versifiés sont transcrits dans le ms.
de la Bibl. nat. lat. 3343, au folio i45. Ce manuscrit, écrit
tout d'une même main, dans la seconde moitié du xv" siècle,
est un très-curieux recueil de récits pieux, d'énigmes, d'épi-
taphes, d'extraits de classiques latins, de poésies françaises et
latines, de fragments de traductions, etc. Plusieurs de ces
pièces ont été, d'après le copiste, empruntées à des ouvrages
ou peut-être à des recueils analogues de Jean le Bègue, comme
en témoigne en particulier une note du rédacteur, qui, dans
une espèce de catalogue detravaux historiques, mentionne un
extrait de la fin de la première décade de Tite-Live s pênesJ. le Bègues (fol. io5), et un autre passage ou il reproduit
deux petites pièces de deux distiques chacune, qu'il a trouvées
Kin fine rhetorice magistri Jo. le Bègues (fol. i&6). Comme
nos trois chapitres sont de tous points semblables à ceux quise trouvent dans le ms. 6y~t, il n'y a aucun doute qu'il
n'aient été empruntés au recueil de recettes formé par Jean
le Bègue.
Enfin, le texte des chapitres n et vu se retrouve, mais très-
dénguré, dans une compilation intitulée Deco~r!&Ms~:c!'eN~'s,contenue dans un ms. du xv" siècle de la bibliothèque impé-riale de Vienne ( n° 55is, fol. iy5).
Les chapitres en prose se retrouvent dans plus de manuscrits
encore. Le chapitre xxIII (j'accepte l'ordre des chapitres de
l'édition de Mrs. Merrineld), sur l'essai des matières d'or et
d'argent, est contenu dans un grand nombre; les plusan-
ciens sont le ms. de la Bibliothèque nationale lat. laaoa 2
(fol. i), le ms. n° 33& de la bibliothèque de l'École de méde-
cine de Montpellier, qui sont du ix" siècle, et le ms. n° 2355
de la bibliothèque d'Avranches, du xie siècle.
Les chapitres ix, xvn, XVIII, xix, xxni, t.Tt, t.vn, LVIII,
relatifs aux procédés pour couper le verre et les pierres fines,
à la dorure sur métal, au travail de l'ivoire, à l'essai des
métaux précieux, aux règles du mélange des couleurs, sont
empruntés à un curieux traité intitulé Ma~a' clavicula, pu-
blié en i8/t6 par A. Way\ d'après un ms. du xu" siècle,
~ire/Mpo/oa'Mor MMce&H60M~<r<!e~ pM~M/tef!by </ieSociety o~<Hi-
<!yM<H'!MO/'LoH~O)~t. XXXt, p. l83-aM.
NOTICE SUR UN TRAITÉ DU MOYEN ÂGE. 217
acheté en 182~, parfeu sir Thos.
Phillips,au curé de Saint-
Eustache de Paris. J'ai retrouvé, au mois d'août i8yy, dans
la bibliothèque de la ville de Schlestadt, un ms. de cet ou-
vrage, que le rédacteur du Catalogue des manuscrits publiéau t. 111 du
Catalogue général des manuscrits des départements
n'avait pas connu, etqui
estbeaucoup plus ancien
quecelui
de Thos. Phillips. C'est unpetit
in-/[°qui
a étépossédé
au
xvi° siècle par un évêquede Worms; il n'est pas paginé;
ses feuillets de parchemin ont 180 millimètres de haut sur
i3o de large; ilporte
dans labibliothèque
le numéroprovi-
soire i 15 bis. Il est écrit en belle minuscule du x° siècle et
contient, outre leMappœ c~CM/s, par lequel
commence le
manuscrit, un Vitruve complet qu'aucun éditeur n'ajamais
connu, et lepetit traité abrégé d'architecture que l'on trouve,
sans nom d'auteur, dans laplupart
des manuscrits de Vitruve,
maisqui, ici, -est sous le nom de M. Cetus Faventinus, nom
qu'un fragment de la bibliothèque de Vienne, publié en 18'y i
dans lescomptes
rendus de l'Académie~, avait déjà fait con-
naître. Lacompilation désignée sous le nom de
Mascocla-
vicula, telle qu'elle-se trouve dans ce ms., est très-din'érente
de celle du ms. de Thos. Phillips. Elle contient quelques cha-
pitres de moins etquelques chapitres
deplus;
l'ordre dans
lequelils sont
disposésn'est
pasle même, enfin les diffé-
rences de rédaction et les variantes d'orthographe sont très-
nombreuses. Laprincipale
source de ce recueil est un traité
deplusieurs siècles antérieurs, publié par Muratori 2, et dont
on possèdeun ms. de l'époque
deCharlemagne,
tout entier
en onciales, que j'ai pu collationner, au mois de septembre
dernier, dans labibliothèque
des chanoines deLucques.
Les
chapitresdu Ille livre d'Eraclius ix, xvii, xvni, xix, xxin, ne
se trouvent quedans le ms. de Thos.
Phillips;les
chapitres
LVi, Lvn, Lvm sont dans le ms. de Thos. Phillips et dans
celui de Schlestadt; aucun d'eux n'a été emprunté au ms. de
Lucques.
Le chapitre xxxvni, sur la fabrication de la couleur verte, a
été emprunté à la Schedula deThéophile (livre I, chap. XLII).
.S!<M<M's&e)'K'~ecler ~/M~M:e cler M~MetMc~~e~ 1871, octobre,
p. 31.
~H<!OM:<<!<M/<(t/M<F,t. If, p. 346.
A.GIRY.218
Les chapitres XL, xu, XLII et XHU, sur la préparation de
l'orpiment et diverses applications de la dorure, ont passédans un curieux recueil de recettes de toutes sortes, écrit en An-
gleterre vers la fin duxnf ou le commencement du xty° siècle,
et qui se trouve aujourd'hui au Musée britannique (Sloane
iy5&Me!'<& eo~on&MS&?MMM!torMNtsK'e~M'c&H'Mm.,fol. lAs2
à i~tQ.) Il en est de même des chapitres i.vi, LYn, Lvm,
relatifs au mélange des couleurs. Mrs. Merrineld a utilisé ce
manuscrit pour son édition d'Éraclius.
Ces trois derniers chapitres sont, du reste, ceux de tout le
livre qui ont été les plus répandus. Nous avons déjà dit qu'ils se
trouvent dans laMa~œ clavicula; il n'est guère de recueil de
recettes où ils n'aient passé; je me contenterai de citer les
suivants le manuscrit de Théophile reproduit par Hendrie
(Harl. 3oQ5), dont il a. été question plus haut le recueil
du Musée britannique (Harl. a y S), qui a 'été également
cité2; le Liber diversarum artium du manuscrit de Montpel-
lier~, un traité du xtv" siècle FsrM c~enmeHfa; de coloribus
(Brit. Mus. Cottonian. Julius D. VIII, fol. 86v°); enfin, un
recueil italien du xvf siècle (BIM. nat. lat. 18 515, fol. i5 v°).Les manuscrits n'ont pas été les seuls à reproduire certaines
parties de ce recueil; dès le xvi° siècle, la plupart des recettes
en vers ont été imprimées. Les chapitres n, ni, iv, vi, ix,
x, XII, xm, xvm, xix, xx, xxi, ont été, les uns attribués
alors à un alchimiste de la fin du x!ii° siècle, Arnaud de
Villeneuve, les autres mis sous le nom deMarceIlus Palinge-
nius (ManzeIII,écrivain de Ferrare du xvt° siècle). Ce fut
avec ces attributions qu'ils passèrent dans les Secreti de Don
Alessio (publiés à Lucques en t55y) et de là dans le f~eiSe-
et'e~'s de J. J. Wecker, ou du moins dans l'édition publiée à
Baie en i5g8, qui n'est qu'une reproduction des Secreti de
Don Alessio (pages &a8, ~Ag, 643-6~5). Les très-nom-
breuses éditions de cet ouvrage sont toutes très-différentes les
unes des autres pour le contenu~.
Parmi les modernes, Lessing, le premier, en ~77~, dans
r/Mo~/t~e,, éd. Hendrie, p. ~).
Fo!. an V.
Cs<s/og'Meg'c;:f~'aJ~ma<!M.scn~,t. [, p. 768.
Voyez à ce sujet Merrifield, osM.cité, I, p. 168.
NOTICE SUR UN TRAITÉ DU MOYEN ÂGE. 219
ses recherches sur l'ancienneté de lapeinture
à l'huile, a dé-
signé à l'attention le traité d'Éraclius, qu'il ne connaissaitque
parla notice du manuscrit latin
6y~i, quedonne le cata-
logue des manuscrits de la bibliothèquedu roi de iy&
lesexpressions
dont il se sert indiquent qu'il espérait qu'on y
trouverait des renseignementssur l'art
antique
En 1~81, Raspe, nous l'avons dit, publia,d'une manière
très-défectueuse, le fragment de Théophile et le traite d'E-
raclius, quecontenait le manuscrit du collège de la Trinité
de Cambridge. Naturellement, il chercha à résoudre les divers
problèmes que soulève le traité d'Eraclius. Suivant lui, ce
nom grec a dû être porté parun écrivain vivant dans la
partie de l'Italie soumise auxempereurs d'Orient; la désigna-
tion virM~ëK~mHMs que
lui donne le titreindique que
ce
devait être un personnage revêtu d'une dignité ecclésiastique;
il émet, tout en la déclarantpeu acceptable,
laconjecture
quece singulier poème pourrait
bien être une mauvaise tra-
duction latine d'un ouvrage grec; dans tous les cas, Eraclius
n'était qu'un charlatan ignare (an ignorant quack);sa langue,
sa crédulité, lapauvreté de ses recettes, prouvent qu'il
a vécu
à uneépoque
de grande barbarie; Raspene saurait guère
préciser davantage; de ce qu'Eracliuscite Isidore, il conclut
seulement qu'il a dû vivre entre le vu" et le XIIIe siècle, époqueoù fut écrit le manuscrit
qu'il publie.
Eméric David dans son Discours historique sur lapeinture
mo-
derne, écrit en 1811, a consacré à Eraclius une note judicieuse2.Suivant lui, cet auteur a dû vivre
après l'époquede Charles
le Chauve, puisqu'il mentionne la peinture sur verre; les dé-
sordres qui affligeaient Rome de son temps et lemépris
où les
arts étaient tombés alors doivent correspondreaux
pontifi-cats de Jean XI, Jean XIII, Grégoire V, ou bien à ceux de
Voici la phrase de Lessing tfEs konnte leicht kommen, dass er
unter andern das fM~e Stück ebenso wichtig und interessant fânde, ats
ich den Theophilus gefunden habe. Mir scheint wenigstens der Titel, ich
weiss nicht was zu versprechen De artibus Romanorum. Und wenn auch
dieserHeraciius nurso attwareats Theophilus; anchdannkonnten sehr
vie! Nachrichten darin stehen, nach welchen wir uns ietzt vergebens um
sehefi.T (Fo)MAlter cler Oelmalerei, note K.)
Voy. cet ouvrage réimprimé sous ce titre Flistoire de la peM<<~e<< Moye~ âge, éd. de i8~a, p. 83.
A. GIRY.230
Jean XIX ou de Benoît IX, c'est-à-dire à la fin du x° ou au
commencement du xi° siècle.
Eastlake, dans ses études sur l'histoire de la peinture à
l'huile publiées en i8& a été naturellement conduit à étu-
dier divers passages du traité d'Eraclius, qu'il fait un peu
plus ancien que celui de, Théophile, date par lui de la fin
du xn° siècle. Certains indices lui font conjecturer que c'est
en Angleterre que l'ouvrage a été composé. Hendrie, dans
la préface de son édition de Théophile qu'il publia -la même
année, le place au milieu du x° siècle par les mêmes raisons
qui avaient déterminé l'opinion d'Eméric David 2.
La véritable étude critique de ce texte a été faite parMrs. Merrifield, dont l'édition avec traduction anglaise a paruen < 8~. Comme nous l'avons dit, elle a utilisé les deux ma-
nuscrits de Londres et de Paris; elle a retrouvé divers chapitresdans le manuscrit Sloane iy5&, et dans les recettes publiées
par Wccker, elle a connu les sources de plusieurs autres, et
principalement la compilation connue sous le nom de Afa~MBclavicula. La première, elle a distingué la partie versiHée de la
partie en prose et émis l'opinion que les vers seuls formaient
un tout et constituaient l'œuvre d'Eraclius; le livre en prose
est, suivant elle, une addition postérieure, composée de para-
phrases des chapitres des deux premiers livres, de recettes pui-sées dans Pline, Vitruve et Isidore de Séville, de traductions
de procédés grecs et byzantins et de notes empruntées à la
pratique d'artistes contemporains, et particulièrement de Fran-
çais. Tandis qu'elle suppose qu'Eraclius était un Lombard
du duché de Bénévent, qui vécut entre le vm" et le x° siècle,
elle pense que son continuateur doit avoir écrit au xu" ou au
xm° siècle dans la France du Nord, ainsi qu'en témoignent
les allusions à des arts ou à des usages qui sont de cette
époque et de ce pays. Nous aurons occasion de revenir sur
plusieurs des remarques fines et judicieuses dont elle a ap-
puyé son argumentation. T-Le dernier éditeur, M. Ilg, de Vienne, a consacré à Eraclius
~:<C)'Mt&yM'a /tM<on/ 0/'0~pS:'Kh')!g', p. 3a, 38, 53.
~K ~.s'ay Mpo): t)M':OMs arts, London, p. i3.
Ot'M< r)'M<MM on </t6 arts 0/'pf!Mt&'Mg', p. tM-aSy.
NOTICE SUR UN TRAITÉ DU MOYEN ÂGE. 221
un fascicule de l'intéressante collection des (~Me~eMscAn~eH~.
Son texte n'est que la reproduction page pour page,mais non
toujours correcte, de celui donnépar
Mrs. Merrifield; M. Ilg
a conservé le même moded'indiquer les variantes, a
repro-
duit chapitre par chapitreles mêmes notes; et, bien que
sapré-
face contienne ladescription
des deux manuscrits connus de
Mrs. Merrifield, il n'a vu, onpourrait
leprouver,
ni l'un ni
l'autre; il n'a luque très-légèrement
le livre deRaspe,
et
semble bien n'avoir connu les sources d'Eradius et laplupart
des autres autorités qu'ilcite
que parsa devancière. Une bonne
partiede sa
préface reprend à soncompte
les arguments de
Mrs. Merrifield, cequi n'empêche pas qu'il
ne lui reproche en
terminant de manquer de critique.Il
y a cependant du nou-
veau dans cette préface, et en particulier une vue ingénieuse
et originalesur la
personnalité d'Éraclius, quilui a été
suggé-
réepar
lapublication
de Massmann 2. Selon lui, ce nom ne
saurait s'appliquer à unpersonnage
ce n'estpas
l'auteurqui
s'est nommé dans le titre, car il n'auraitpoint
osés'appeler
lui-
même M'fsa~!eK~Mm!M;le
nom d'Eradius est dû à unelégende.
Herakleos(HpeH~.e<fx~t19os),
dansl'antiquité,
c'est lapierre
de
touche, lapierre
à aiguiser, l'aimant, l'ardoise~, toutes pierres
douées de propriétés extraordinaires, que l'imagination orien-
tale amétamorphosées
en homme, et qui ont fourni le thème
d'un conte indo-européen quel'on rencontre dans les Mille e<
MM A~M'~ et que l'on retrouve en Occident au xn" siècle, en
particutierdans Gautier d'Arras, qui en a fait l'épisode par
lequeldébute son
poèmesur
l'empereurÉracle.
Il s'agit toujours d'un enfant merveilleux, nommé Eraclius,
vendu à l'empereur de Rome. Entre autres dons, cet enfant
a celui de connaître admirablement lespierres précieuses, de
distinguerles fausses des vraies. Il est
Li mioutdres counisieres,
Qi onkes fust, de bonnes pieres.
jEferacKM~, Fomden far&em und ~M)M<eMder Rômer.
Massmann, &<tc&M. DeM~c/iM MK~j~HMzo~Mc/tMG~tc~ des zNw'M'eMJaAt'&MM~er~ He&MK'K~AocMeM~c/ieK.,g'necAMcAeK~&:<<)tMeAeM~M/xHt-
FeKM~gMcAte/~&c/tM't/n~f~Mc/tMtg'. Leipzig, t8~a, in-8". Voy. surtout
la note C, Seine Steinkunde, p. ù68-~y3.3
Pline, Hist. ?K:<.XXXVI, 25.
A. GIRY.322
Pour l'éprouver, l'empereur fait apporter sur le marché
toutes les pierres des bourgeois de Rome. L'enfant les déclare
toutes fausses, à l'exception d'une seule, de peu d'apparence.
L'empereur se croit trompé et veut noyer Éraclius,
Sa bonne piere au col Ii met.
Mais celle-ci le fait surnager au-dessus des flots .et prouve sa
science. Dès le xn° siècle, ce merveilleux connaisseur de pierress'était confondu dans la légende avec l'empereur de Constanti-
nople Éraclius, fameux au moyen âge, à cause de la conquêtede la vraie croix.
Si l'on songe au goût du moyen âge pour les pierres pré-
cieuses, à l'espèce de vénération qu'il a manifestée pour les
camées et les intailles antiques, auxquelles il attribuait toutes
sortes de vertus magiques, quoi d'étonnant qu'un traité con-
tenant des recettes pour polir et tailler les pierres, pour fa-
briquer des pierres fausses et pour teindre des verroteries, ait
été attribué au merveilleux connaisseur de pierres de la lé-
gende, à cet Ëraclius qui, dans la version allemande d'Ottc,
s'irrite de ne trouver sur la place de Rome. que des pierres fal-
sifiées ? (Cf. le chap. xiv du livre 1 d'Ëraclius.)On ne saurait refuser à cette ingénieuse conjecture une cer-
taine vraisemblance. 11 s'en faut malheureusement qu'elle se
puisse prouver. Ce n'est point, comme le croit M, Hg, le ma-
nuscrit de Paris seul qui attribue à Eraclius le traité en ques-
tion le manuscrit de Londres porte exactement le même titre;
le Ca~og'Ks HM:MMs<H*~o?'Mm~K~M? seul a lu Gratsius, au lieu
d'Éraclius., qui est très-lisible, et c'est gratuitement que M. Ilgattribue a Raspe la reproduction de cette erreur, qu'il a au
contraire rectifiée. Ce n'est que la moindre partie du traité
mis sous ce nom qui a trait aux pierres précieuses; il n'en
est pas question dans le prologue, et six chapitres seulement
sur vingt et un qui composent la partie ancienne parlent de
pierreries vraies ou imitées. N'y a-t-il pas apparence en outre
que, si le nom d'Ëraclius placé en tête de cet ouvrage venait
de la légende, le titre ferait quelque allusion aux chapitres quisont relatifs aux pierres? Le moyen âge nous a laissé de nom-
breux Z~M~H'fM, uniquement consacrés à célébrer les vertus
des pierres; comment expliquer qu'il ait choisi pour le mettre
NOTICE SUR UN TRAITÉ DU MOYEN ÂGE. 223
sons ce nomcaractéristique d'Éraclius. un ouvrage dont les
passages relatifs aux pierres forment la moindrepartie, ne
font aucune allusion à leurs propriétés merveilleuses et n'en-
seignent pasnon
plusà reconnaître les fausses des vraies ou les
bonnes des mauvaises?
Qu'y a-t-il d'invraisemblable à ce qu'un certain Eraclius,
que nous ne connaitrons probablement jamais que par là, ait
écrit ce livre, et ait été gratine, par quelque copisteadmirateur
de son œuvre, del'épithète sa~en~sMKMS? Qu'on veuille
y voir
un Gréco-Romain avec Mrs. Merrifield, cela est d'autant plus
naturel que son livre, comme l'art italien de son époque, est
tout imprégné de l'influencebyzantine.
Son nom, cependant,ne saurait suffire à le faire croire un Grec réfugié; car il n'est
pointaussi rare en Occident que
semblent le croire ses édi-
teurs, témoin, pourn'en citer qu'un exemple, l'ëvéque de
Liège, Éraclius, qui vivaitprécisément
au ix° siècle et auquel
la tradition attribue diverses œuvres d'art.
Nous n'avons pasà examiner ici les intéressants éclaircis-
sementsqui
donnent une réelle valeur à l'édition de M. Ilg; ils
visent particulièrement l'interprétationdu texte, et nous ne
voulonspas
en faire ici une étudeparticulière.
L'examen que nous venons de faire des différentes éditions
du traité d'Eraclius peut fairepressentir
nos conclusions à son
égard. La revue des manuscrits suffit à démontrer que, sui-
vant le sentiment de Mrs. MerrISeld, les vingt et unchapitres
en vers forment à eux seuls un traitécomplet,
dû à un seul
écrivain et antérieur à lacompilation
de recettes enprose
quiforme le 111° livre dans deux des manuscrits d'Eraclius.
Il n'est donc pas légitime d'interroger ces additions pour
déterminerl'époque
et lepays
où a vécu l'auteur dupoème.
Il fautessayer
de ne résoudre ceproblème qu'à l'aide des
recettes contenues dans ses deux cents vers.
Remarquons tout d'abord que ce sont les Byzantins, et
particulièrementles Grecs, établis en Italie
aprèsla lutte des
iconoclastes, qui ont exercé au moyen âge plusieursdes arts
industriels, la glyptique, l'émalllerle sur verre et surpoterie et
la dorure, dont il est question dans ces recettes. Outre les
monumentsqui
nous ont été conservés etqui appuient cette
opinion, nous avons sur cepoint
destémoignages
anciens. Le
A.GIRY.224
moine Théophile, dont on doit placer l'existence vers le milieu
du xn° siècle, dit, dans sa préface, qu'on trouvera dans son
livre des indications sur l'emploi des couleurs et leurs mélanges
que pratique la Grèce (<~MK;<ptM~in ~NjeMorMMeo~r&c:g'eH<'n~Ms et
mixtwris /M~e<Gt'ecM) et, de fait, c'est à des Grecs que l'on doit
de nombreux manuels de C/~ograp/Mf le traité contenu
dans un manuscrit de Lucques, du vme ou du ix° siècle, dont
il a été question plus haut, écrit dans un mélange de latin
et de grec latinisé, qui a certainement pour auteur un grec
d'Italie, donne de nombreux détails sur la fabrication des
couleurs, particulièrement des couleurs végétales, et sur l'ap-
plication des ors à la peinture sur mur, sur bois, sur cuir ou
sur parchemin. On retrouve ses recettes versinées dans les
chapitres d'Eraclius, expliquées et précisées dans la Schedula
de Théophile et dans les autres compilations.
Théophile dit encore qu'il enseignera les diverses fabrica-
tions de vases, la sculpture des pierres fines et de l'os et leur
ornementation avec de l'or, que l'on pratique en Italie (~M!c-
quid in tMMFMMt~efS~N~e, seu g'emMMFMtKOSMMtKPe~CM&~Mra<:M~*0
~eeo?*<t</&i;?Mt); ailleurs, cependant, il attribue aux Grecs les
émaux dorés appliqués sur des vases de verre (liv. II, eh. xm
et xiv), ta fabrication des cubes dorés des mosaïques (ibid.ch. xv ) et les émaux qui décorent les poteries et les verreries
(!&ch. xvt); il dit que ce sont les Grecs qui fabriquent le
verre qui sert de fondant dans ces opérations, et le nomme
M<rMmg'recMMt; c'est le même verre qui est nommé à diverses
reprises verre romain (P:<rM)n romanum) dans Ëraclius; il re-
çoit le même nom dans une recette qui a trouvé place dans
le Liber ~uerMrMm artium du ms. de Montpellier, où il est dit
que la fabrication de l'émail sur poterie, qu'elle enseigne, est
un travail grec (opus ~MO~nzcne n:aj!s <nKa<GfecMt)~. On voit
combien l'art grec et l'art italien se sont trouvés confondus
pendant le moyen âge. On sait en outre qu'en dépit de l'opi-nion soutenue par M. Labarte (Histoire Jes af~stM~MS~e/s~ nouv.
Voy. entre autres dans le ms. grec aay5 de la Bibl. nat. des re-
cettes pour colorer des pâtes de verre, de faience et de porcelaine avecdes oxydes métalliques. Cet écrit est à peu près du vm* siècle, et pré-sente des anaio~tes nombreuses avec celui du ms. de Lucques.
C~a/O~Keg'MM'f!~MM(M!M.K'nf. t. Lp. 8o~t.
NOTICE SUH UN TRAITÉ DU MOYEN AGE. 225
i5
édition, t. t, p. i<)y), qui prétend qu'Eracliusn'a
parlé que
(F objets anciens qui ne se fabriquaient plusde son
temps,l'art
de laglyptique
s'estperpétué
en Occident au moyen âge, et
que les produits italiens ont une grande supérioritésur les
rares monuments présumés français, quelques signets 1, qui
nous sontparvenus.
Le titre du traité d'Eraclius n'est donc
pas menteur, et c'est de l'art italien perpétuantau xe siècle la
pratiquede l'antiquité à
peu près, qu'il nous livre les secrets.
Et maintenant, qu'étaitcet Eraclius? On
comprendra que
nous n'ayons pu songer à reconstituer, à l'aide de documents,
la personnalité d'un personnage aussi ancien, et que nous en
soyons réduit à son œuvrepour apprécier
cequ'il
a dû être.
Endépit
de sa prétention d'avoir expérimenté ou découvert les
recettes dont il donne les formules rythmées (niltibi seribo
quidem OMO~non
pr: ipse Nfo&aMeMï) et des !~M{ipse probavi
qui lui fournissent des fins de vers, nous ne le croironspas
surparole2. S'il avait été un artisan
gréco-romain, il n'eût
point écrit en vers un bon spécimen d'une œuvre de praticien
est lalangue
barbare et si curieuse du traité du ms. deLucques.
C'est bienplutôt
dans le cerveau d'un moine qui avaitplus
ou
moins fréquenté les artisans, quil'était
peut-êtreun
peu lui-
même, que pouvait germer l'idée de réduire en formules ver-
sifiées des recettes detechnologie.
Il apayé largement
son
tribut à la crédulité; certes, l'urine et le sang de bouc, s'il s'en
est servi, ne lui ont pointfacilité la taille des pierres fines,
et l'on ne sauraitappliquer l'expérience à la recherche des
procédés qu'il expose.II ne faudrait
pourtant point se hâter
de juger légèrement toutes ses recettes parce qu'elles sont obs-
cures, bizarres ou incomplètes. Pour les expliquer, il faut re-
Voy. le mémoire snr les Pierres grsHee.s employées dans les sceaux
f/Mmoyen âge que M. Demay a publié dans son Inventaire des sceaux de
/~4?'fo~ et de la Picardie, Paris, i8yy. M. Demay ne s'est pas prononcésur la question de l'abandon de la glyptique, mais vingt-cinq intailles
qu'il a trouvées dans les sceaux lui paraissent devoir être attribuées au
moyen âge. Deux de ces pierres font partie de sceaux du x" siècle et
trois de sceaux du xu°. Au commencement du xi" siècle, ie moine
Foulques, de l'abbaye de Saint-Hubert, passait pour très-habUe M in-
M'M'OM'&M.S/WMM. (DoCMMeK~inédits de .Be~rM~ t. VII, p. 3~6.)OmM'a ~ro&a<e!/M&em!M,dit de même et sans plus de raison l'auteur
de la /MM~M"c/a'MCM/a.(/tr<«M/M'M, XXXf, p. 213.)
A.GtRY.~26
chercher à quelles sources il les a puisées, il faut les compareraux paraphrases des mêmes recettes qu'a données le compila-teur du Ille livre, aux recettes analogues que donnent Théo-
phile, Pierre de Saint-Omer, d'autres encore. La forme adoptée
par Eraclius ne prête guère à la précision; d'autres, heureu-
sement, ont ajouté à ces formules ce qui leur manquait, et
c'est en les comparant que nous pourrons en essayer l'inter-
prétation. Alors aussi, en interrogeant Pline, Vitruve, Dios-
eoride et les monuments, nous pourrons voir ce _que l'on peut,dans ces procédés, rapporter légitimement a la technique de
l'antiquité. Mais nous sommes forcé d'ajourner l'expositiondes résultats de cette étude à l'époque, peu éloignée, nous l'es-
pérons, où nous donnerons une édition et une traduction nou-
velles de ces différents textes.
L'emphase avec laquelle Eraclius parle du~temps où les
arts étaient florissants à Rome, le soin qu'il met à rappelerdes souvenirs romains empruntés à Pline, qu'il cite du reste
(Plinius auctor, ar<M qui scn~s:{ quas plebs fp)Na?!ap!'o&aM't),nous confirment dans la pensée qu'il était certainement Ro-
main, et qu'il ne manquait pas d'une certaine culture classique.Les allusions à la décadence profonde au milieu de laquelleil vit s'ajoutent à ce que nous indiquent les"procédés qu'il
expose, pour nous le faire placer au x" siècle. L'étude de sa
langue, qui est loin du latin classique, mais qui n'est pasnon plus, à proprement parler, la basse latinité, l'examen de
sa versification, où l'on commence seulement à sentir les rimes
et les formes qu'affectionnera le moyen àge\ conduisent à la
même conclusion.
Quant au troisième livre, c'est une compilation qui s'est
augmentée à diverses reprises. Elle contient des recettes de
valeur très-Inégale, quelques-unes plus anciennes, la plupartbien plus récentes que les précédentes. Il est probable que tout
d'abord ce troisième livre n'a contenu que les chapitres qui
expliquent ou paraphrasent les chapitres en vers (ch. i, n, iv,ix, x, xt) et quelques anecdotes empruntées à des auteurs an-
ciens, telles que l'histoire de la découverte du verre d'après
Voy. éd. de Ilg, pref. p. xu. M. Hg a relevé les rimes que Fou ren-
contre et compte ses vers léonins.
NOTICE SUR UN TRAITÉ DU MOYEN ÂGE. 227
< 5.
Isidore(ch. v),
l'histoire de l'artisandécapité par
Tibère
pour avoir inventé le verre incassable(ch. vi), empruntée à
Pline(XXXVI, 66), et, en outre, quelques
recettes plus an-
ciennes. C'est àpeu près
tout ce que contient cette continua-
tion dans le manuscrit du Musée britannique, où je ne trouve
de recetteoriginale que celle, si
importante,relative à la
gla-
çure plombifère des poteries (ch. m) et le petit traité de fabri-
cation du verrequi
forme lechapitre vn, traité
quia été récem-
ment publié de nouveau etingénieusement traduit, ainsi
que
le M<:KMe/deThéophile, par
un verrier, M.Georges Bontempsl.
Toute cette première partie à pu êtreajoutée
vers le xn" siècle
et en Italie.Depuis,
comme tous les recueils de ce genre, la
compilation s'est grossie, probablement à plusieurs reprises
encore, avant de nousparvenir
tellequ'elle
est dans le manus-
crit de Jean le Bègue, et plusieurs des chapitres dont elle
s'estaugmentée
ainsi n'ontpu y être ajoutés, ainsi que l'a très-
bien vu Mrs. Merrineld et par les raisonsqu'elle
aexposées,
que dans la France du Nord et vers la fin du xin° siècle.
Deuaième livre ~&!s: sur f/tpe!'s arts par Tltéophile, prêtre et moine,traduit parGeora'es Bontemps. Paris, i8y6.
SUR UN TEXTE
DE
LA COMPILATION DITE DE FRÉDÉGAIRE
RELATIF
A L'ÉTABLISSEMENT DES BURGUNDIONS
DAj\S L'EMPIRE ROMAIN,
PAR G. MONOD.
L'auteur de lacompilation
dite deFrédégaire 1, qui
était
probablementun moine de Saint-Marcel de Chalon-sur-Saône
etqui
écrivait entre 660 et 663 2, en transcrivant dans son
recueil lachronique
de saint Jérôme, ya intercalé
quelques
passages empruntésà des sources
perdues,les uns d'un ca-
ractère fabuleux, telsque
le récit surl'origine
des Franks
(dans Canisius, LectionesaK~M~
édit.Basnage,
t. II. I. II,
ch.III),
les autres d'un caractèreplus historique
etpuisés
dans
des.chroniques
ou des annalesplus
anciennes 3. Parmi ces
Cette compilation comprend 1° une série de notices chronologiques
connues sous le titre de Libergenerationis;
a° lachronique
de saint Jé-
rôme 3° la chronique d'Idace, suivie de quelques légendes sur Aétius,
Théodoric, Clovis, Justinien, etc.; ~° la chronique d'Isidore de Séville;
5° un abrégé des sixpremiers livres de Grégoire de Tours, connu sous
le nom d'Historia Epitomata;6° une
chronique originale s'étendant de
58~t à 6~1. Plus tard d'autres chroniqueurs ont continué cette œuvre
jusqu'en 768.
Voy. Brosien, KritischeC?:<er~McAMMa'
der Quellen der Geschichie des
/rœM~eAeM jEœ?M~ Dog'o&e?'< I; Gœttingen, 1868. -Revue critique;,
i8y3, t. II, p. a5y. G. Monod, Du lieud'oriffine de la
chronique dite
deFrédégaire,
dans leJa~~MeA/M?*
'Se/t~eMe)' Geschichte, t. III, 1878,
p. i3Q à i63. Le nom de Frédégaire n'offre aucune certitude.
Fondation de Lyon (dans Canisius, II, ch. xxxu); mort d'Archélaüs
G. MONOD.230
derniers, le plus important est celui qui serapporte à l'éta-
blissement des Burgundions dans la Gaule.
A l'année 3 y s (0°année de Valentinien), là ou saint Jé-
rôme avait écrit «Burgundionum i,xxx ferme milia, quod nun-
quam ante, ad Rhenum descenderunt~, n le compilateur a mis
«Qui superfuerunt illo tempore Burgundionum octoginta'tfere millia, quot numquam antea nec nominabantur, ad
« Rbenum descenderunt, et ubi (MM. Berne ibi) castra posue-
«runt, quasi Burgo vocetaverunt, ob hocnomen(~. nomme)
« acceperunt Burgundiones (ibid. Burgundionis); ibique nihil
Kaliud praesumebant (le ms.de Berne ome< ce MM<), nisi quan-
Ktum pretium ementis (ibid. ementes) a Germânis eorum sti-
«pendia accipiebant. Et cum ibidem duobusannis (!6: duos
« annos) resedissent, per legatos (ibid. licatisunt) invitati Ro-
« manis vel Gallis qui Lugdunensium provinciam (ibid. pro-
Kvintia) et Gallea Comata (ibid. domata), Gallea Domata et
MGallea Cisalpina manebant (ibid. commanebant), ut jff~MfcfM
~~«Mtc~~ (t~. publice) potuissent rennuere, ibi~ cum uxo-
«res et libères (t~'J. uxoribus et liberis) visi suut consedisse. M
Tel est du moins le texte donné par D. Ruinaft et parD. Bouquets.
`
La première partie de ce texte, jusqu'à JeseeaJefMn~, est em-
pruntée au passage de saint Jérôme que nous avons cité plushaut. L'étymologie fantaisiste du nom de Burgundions, jus-qu'à nomen acceperunt Burgundiones, est tirée, avec quelques
modifications, du chapitre xxxn du livre Vil d'Qrose, qui lui-
même copiait la phrase de saint Jérôme, mais en la défigu-
à Vienne sous Tibère (cb, xxxm); tbndadond'Aveïidiesous Vespasien et
Titus (eh. xxxv~); dévastation d'Avenche par les Aiamaas (ch. xt.); éta-
blissement des Bu~undions en Gaule (ch. xLvi).Cf. Jahn, Die <SMcA!'eA<e~e)' BM~MN~tOMtt,1, p. a~i.
Ms. de Berne et C<:):MK<s.'a Romanis. B
CaHMt'Ks.'KprovinciaBet GaHiasdomita cisalpina ut tributaru. JahK.'
provinciaet GaHia comata et Gallia cisalpina commanebant. »
Cf:K.e( Ja/M (tptiMice.')C<!K.et ./n&tt
n ibique. Bc,
Can. et ,lalan tr ibique.Ruiuart, 6')'~wM Tïo'otMtM~o~eftt~ p. 707; N~o)'M)M~e FfaMec~
U,p. ~69.
L'ÉTABLISSEMENT DES BURGUNDIONS EN GAULE. 23-1
rant et sans lacomprendre'.
La fin de laphrase,
très-obscure
d'ailleurs, nepeut pas,
comme l'asupposé
M.Binding~,
avoir
pour origineun
passagede Socrate dans son Histoire ecclé-
sio'~MMe~,mais se rattache
peut-êtreau
passage correspon-
dant del'Histoire Tripartite [1.
It semble en effetque
ce membre
dephrase signifie
Leur seule activité consistait à vendre
aux Germains et à recevoir ainsi d'eux de quoi vivre.
Enfin la dernièrepartie
du texte deFrédégaire
est tirée
d'une source inconnue, car c'estpar
uneétrange
erreur de
critique queM.
Binding yvoit une
paraphrased'un
passage
d'Orose, où cet auteurparle
des Romainsréfugiés
chez les
barbarespour
fuir les impôts impériauxUn
compi)ateur
du vi!° siècle eût étécomplètement incapable
d'inventer le fait
précis quiest ici
rapporté, d'aprèsun
passaged'Orose
quine
concerne mêmepas
les Burgundions,mais les Goths et les
populationsromaines
d'Espagne,et
quirelate d'ailleurs un
fait tout différent etpour
ainsi direopposé,
bienque pro-
tfburg'undionum quoquenovorum hostium novum nomen, qui
plus quam octogintamima, ut ferunt, armatorumripœ
Rheni fiuminis
insederunt. Hosquondam subacta interiori Germania a Draso et Tiberio
adoptivis filiis CœsarisAugusti per castra
dispositos,aiunt in magnum
coaluissegentem atque ita etiam nomen ex
opere prœsumsisse, quiacrebra
perlimitem habitacuia constituta, Burgos vulgo vocanL B Évidem-
ment Orose acompris que le quod MMM~tMM<tm<ede saint Jérôme voû-
lait dire queles
Burgundionsétaient inconnus auparavant, et notre com-
pilateur a reproduit l'idée d'Orose novorum /io~MMM novum mome~ en
disant quot K!<M~Ma?K0!<M MM !tomMM&6Mt<M~ où il se sert des termes
mêmes de saint Jérôme, en les détournant de leur sens. Geloi-ei ava~
simplementvoulu dire
que jusqu'alors lesBurgundions n'étaient jamais
venus jusqu'au Rhin.
Das B:<?'s'Mn~Mc/t-RomsKMc/te ~œK!g't'e<c/~ p. 10. note.
Liv. VM. ch. xxx O~TOt (Boupyou~'M~es) j3t0!' <xTp<x~~o~K ~o'~
SSt' TeXTOfSS yàp f7~S§~ 'Bm~TSS S:0't! xai SX T(XUt')ys j~fO'~Of ~.Ct~~Ct-
forTSs, ctTroTp~pofTCM. L'ouvragede Socrate n'était connu en Occident
au vn*' siècle que par i'B!s!o:e Tripartite où Cassiodore l'areproduit en
latin enl'abrégeant,
et en lemélangeant
aux Histoiresecc/M!'<M~MM de
Sozomène et de Théodoret.
Liv. XII, ch. tv ffisti vitam quietam agunt,et
pene omnes fabri
iignorum sunt, ex qua mercede pascuntur."»
Liv. VII, ch. xxxH ff Quidam Romani (inveniuntur) quimalint
inter barbares paupercni iibertatem. quam inter Romanos tributariam
servitutem." »
G. MONOD.233 ~)
duitpar
les mêmes causes. H suSit d'étudier dequelle
manière
lecompilateur
aabrégé
etinterpolé Grégoire
de Tours dans
l'NM&M'MEpitomata, pour
réfuterl'opinion
de M.Binding.
Dans le textequi
nousoccupe,
ily
aquelques mots qui
sont
probablementde lui c'est d'abord l'indication
chronologique,
cMm ibidem duobus annis resedissent, qui,comme nous le ver-
ronsplus bas, est certainement inexacte; et en second lieu
l'énumération desprovinces
de la Gaulequi appellent
les
BurgundionsGallea Comata, Gallea DoMta~ et Ga~a Cisal-
BMM,énumération toute de fantaisie, œuvre d'un homme
qui
ne saitpas
au juste le sens des motsqu'il emploie~;
mais le
reste du passage est certainement un texteemprunté
directe-
ment àquelque
source antérieure. L'auteur de lacompilation
dite de Frédégaire n'est ni un falsificateur ni unamplificateur
de textes; il n'a niimagination inventive, ni
prétentionslitté-
raires. Il est facile de déterminer dans son œuvre cequ'il
ra-
conte comme témoin oculaire, cequ'il emprunte
à des sources
orales cequ'il
transcrit de documents antérieurs. Ces docu-
ments, en dehors deslongues chroniques qu'il
transcrit ou
abrège,saint Jérôme, Idace, Isidore, Grégoire,
sont exclu-
sivement des annales écrites en Burgundie.Le caractère même
desimplicité
et deprécision
dupassage qui
nousoccupe
nous
permetde croire
qu'ilfaisait
partiede ces sources annalis-
Les Lyonnais, dont i) est ici question, se trouvaient dans la Gaule C/!p-
velue; aucunepartie
de la Gaule n'a jamais reçu le nom de Gaule Dom~ec,
et lesBurgundions
n'ont jamais occupéaucune partie de la Gaule C!'M~-
pMte. Onpourrait
croire que le chroniqueur, songeant au royaume de.
Burgundie tel qu'il a existé sous Gondebaud et sous Je roi Frank Gontran,
appelle Gaule Dom~fe'ela Province romaine, Gaule C/Mt'e&M te_paysau
nord deLyon qui fut occupé par les Burgundions jusqu'à Auxerre, e!:
CMs~MS le pays entre le Rhône, la Durance et les Alpes. Au cti. <x de
}'ZfMt..Ep:t. il traduit en effet le trans /o<&MMM M!'<<Ht<M de Grégoire
de Tours (II, x) par M~eK<M M Cisalpinis.
Ce qu'il emprunteaux traditions orales est peu
de chose, même
pour les temps rapprochesde lui. Les
légendes quise trouvent dans son
recueil à la suite de la chronique d'Idace avaient probablement cté écrites
avant )ui, et le récit fabuleux sur l'origine des Franks se trouvait proba-
blement dans le texte de lachronique
de saintJérôme qu'H
avait sous les
yeux. C'est pour cela que dans l'Historia .E~foMMh:il dit (ch. u) «De
Francorum vero regibusbeatus
Hieronymus, qui jam oiim fuerant,
scripsit.
L'ÉTABLISSEMENT DES BURGUNDIONS EN GAULE. 233
tiques burgundes dont il est aisé de reconnaître la présence
dans les autresparties
de la compilation
Voyons maintenant quel sens il faut attribuer à notre texte,
qui,réduit à ses éléments essentiels, est ainsi conçu (en
le ci-
tant toujours d'aprèsles éditions suivies jusqu'ici par tous les
historiens) per legatosinvitati Romanis vel Gallis qui Lugdu-
KeK~MtMBfOïXKCtaM manebant, ut tributarii SM&C<B potuissent re-
nuere, ibi cum uxores et liberes visi sunt consedisse.
M. Binding a été seul à refuser à ce texte toute impor-
tancehistorique,
enn'y voyant,
comme nous l'avons dit,
qu'une paraphrased'un passage d'Orose qui n'a nullement le
même sens. Tous les autres historiens s'en sont servis, mais
ils sont loin de l'avoir tous interprété de la même façon.
Comme il est très-diGicHe de le traduirepar
un mot à mot
exact, chacun des historiens aadopté
le sens leplus conforme
à la conception qu'il se faisait de l'établissement des barbares
dansl'empire
romain. Or, laplupart
d'entre eux ont été d'avis
que les Burgundions se sont établis en Gaulepar
suite d'un
accord à l'amiable avec les Gallo-Romains, qui, écrasés d'im-
pôts,aimaient mieux
partagerleurs terres avec les barbares
quede continuer à subir les charges intolérables
queleur
imposait l'Empire.C'est
l'opiniond'Adrien Valois 2, de Forel~,
de Gingins la Sarraz~ de Valentin Smith~deWietersbeim'
Mais d'autres écrivains, Dubos~, Würstemberger8,et en der-
nier lieu M. Fustel de CouJanges' n'ont voulu voir dans les
Voy. Brosien, op. cit., p. 3o-3~.JaA)'~Me/~r5eAw. Gesch., p. i5i.2
Rerum ffSMCtearMmlib. 111, c. ir rrQuos [Burgundiones] Fredesariusait per legatos a Romanis vel Gallis provincis! Lugdunensis ac GalHas
ComatcB, gravium et intolerabilium tributorum onere oppressis, invitâtes
Rhenum transisse et in Gallia cum uxoribus et liberis consedisse. n
/~eg'M!ededocuments relatifs à l'histoire de la &H&Mromande. Introd.,
[). XXVft.F~Mt sur Ms&MeMeMf des ~Mr~MK~e.!dans la Gaule, p. aïo, dans
les MeM<M?'Mde ~4ea~emM de Turin, t. XL, p. a.
Notions historiques sur les BMt'a'MM~~ p. 8a, dans ia TPeoMe~K Lyon-
)MM, l86o.
Ge~cAM/<<e~<'?'Fa~M'NMM~enMg', t. I, p. 65.
Histoire critique de la ?KOt:areAM_/r<:Mem~, t. I, p. i6i-i65; If,
p. 181 et suiv.
GMe/McA~f/e~ a&e)t ~H«~c/M</<~<f<~ t. t, p. 168, !()(), aoi.° ?.!<. f/M ~M<~H<MMancieHHMf/e ~t Fra~ce~ p.ëdit. 1.1, 2oi.
oHist. rles f~tslitutio`as anciennesdc la hr·ance, 2' édit. t. I, p. 6oo-6oi.
G. MONOD.2Mit
Burgundions que des vaincus, puis des allies de l'Empire, éta-
blis par les empereurs mêmes sur le sol romain et soumis à
des redevances d'une nature particulière. Dubos ne cite point,il est vrai, le texte qui nous occupe, n'ayant point trouvé, sans
doute, le moyen d'en accommoder le sens à son système; mais
M. Würstemherger, sans en donner le mot à mot~ y a vu queles Burgundions étaient appelés en Gaule ut ~M~ftt, comme
tributaires, comme colons soumis à une redevance. M. Fustel
de Coulanges a soutenu la même thèse; tout en faisant remar-
quer l'obscurité de la phrase, il dit qu'un seul mot en parait
certain, le mot ut &&M~?'M~qui ne peut, d'après lui, se rappor-ter qu'aux Burgundions et non aux Romains. Il en, conclut queles Burgundions étaient des colons tributaires'.
M. Jahn dans son ouvrage récent sur l'histoire des Burgun-
dions, a cherché à expliquer grammaticalement cette phraseobscure 2. Il a soutenu que, ~M~arM signifiant <:ceux quiétaient soumis à l'impôt personnel (~o~/s~Me)'eAhg'<'M)3, par
opposition à ceux qui payaient l'impôt foncier (Cran&feMMy-
j~cA&jem), etreMMere pouvant, d'après lui, être pris dans un
sens absolu pour dire refuser les impôts a, on devait traduire
«appelés par les Gallo-Romains de la province de Lyon, sou-
mis à l'impôt personnel, qui voulaient cesser de le payer, ils
s'y établirent avec femmes et enfants. »
Malheureusement cette interprétation de M. Jahn, en dépitde ses renvois à Savigny et à Troya, et au G7oM<:f!M)KKOMM'CMM
du code Théodosien~- est bien tirée par les cheveux; et surtout
Loc. cit. M. Fustel de Coulanges, qui cite M. Jahtt, ne parait pasavoir attaclié d'importance aux fortes raisons par lesquelles
celui-ci ré-
voqueen doute )a date assignée par Frédégaire
à cetappel
des Ga)Io-
Romains. it admet qu'il eut lieu en 872. Dans sa première édition il avait
donné comme tiré de D.Bouquet (U, t6a) un texte dont la clarté ne
laissait rien à désirer, mais qui ma}heureusement ne se~trouve ni dans
D. Bouquet, ni dans aucune édition ni aucun manuscrit <t.per le-
gatos invitati a Romanis vel Gallis qui Lugdunensett) provinciam mane-
bant, ut tributarii cum uxoribus et liberis consederunt.!)
I, a58.
Ed. Ritter, t. VI, aoo. Le G&MMH'Mmrenvoie au Xt, titre 36, où
t'on trouve en eHet le mot fMMMre dans le sens de refuser une dette,
mais ~e&~MM est exprimé, et jamais reKMO'c tout seul n'asigniSé
!'e/tMC?' les :M/)0'
L'ÉTABLISSEMENT DES BURGUNDIONS EN GAULE. 235
il a été mal inspiré en repoussant comme inadmissible ja cor-
rection sisimple proposée par M. Binding, qui
voulait lire
tr~M~: re!~MMt'c<p au lieu de <n7'M<an'MM!c~ et en prétendant
que Frédégaire n'auraitpas employé
le mot re~MMtc~ mais
le motimperii pour désigner l'empire
romain. Ignore-t-il
quedu ve au vu" siècle tous les écrivains latins
emploientle
mot re~M~ca pour désigner l'E~~ et en particulier l'empireromain~ ?
M.Binding, en proposant cette excellente et nécessaire cor-
rection, M. Jahn, avant de torturer le texte pour luiimposer
un mot à mot qu'ilne
comporte pas,M. Fustel de Coulanges,
avant d'aSirmer si péremptoirement que le mot tributarii est
le seul mot certain de laphrase
et serapporte
auxBurgun-
dions, auraient dû recourir aux manuscrits ou plutôt au seul
manuscrit qui fasse autorité, au manuscrit10010
du fonds
latin de laBibliothèque
nationale de Paris, leplus
ancien
comme leplus complet
et le meilleur de tous~. Voici cequ'ils
y auraient lu, écrit avec une nettetéparfaite,
au verso du
folio 58
~In illo tempore Burgundionum octoaginta fere milia quod
snunquam antea nec nominabantur ad Renum discenderunt
Ket ubi castra posuerunt quasi burgo vocitaverunt ob hoc
«nomenacciperunt Burgundiones; ibique
nihilaliudpraesu-
~mebant nisi quantum praecium ementis a Germanis eorum
« stipendia accipiebant; et cum ibidem duobus annis resedis-
Ksentper legatis invitati a Romanis vel Gallis
qui Lugdunen-
~sium provinciamet Gallea comata, Gallea domata et Gallea
Prosper, Chronique, Theodosioxvn et Festo. Grégoire de Tours,
II, 3. Frédégaire, Chronique, ch.xxni. Continuateur de Frédég'aire,ch. cxx. Jonas, ~'(a S. Jo/iMM!M, ch. xti; Af<r<!c.S. Joh., ch. iv.
!<<! S. jE'g' t, 3-2.
Les deux mss. ies plus complets de Frédégaire sont celui de
Paris io()io et celui de Berne 318. Mais celui-ci est d'un siècle et demi
postérieur, il est moins complet et beaucoup plus fautif. Les leçons quenous avons données pour le passage qui nous occupe le prouvent à elles
seules. M. Fustel de Coulanges parie du manuscrit de f)'M~Mre sans
autre indication, comme s'il n'y en avait qu'un seul, et il s'agit, dans sa
pensée, de celui (le Berne, Ils sont, au'contraire, assez nombreux, mais
le ms. de Paris t0f)) o est seul presque contemporain de l'auteur de la
compilation; il date des premières années dn vu~ siècle.
G. MONOD.236
xcesalpina manebant Mf~'&Mta î'e~MM!'c(p potuisscnt rennuere,
« 11)1cum uxores et liberes visi sunt consedisse. o
Le sens de la dernière partie de ce texte n'offre ici aucune
dimculté «Les Burgundions, appelés par les Gallo-Romains
de la province de Lyon, qui voulaient secouer le fardeau des
impôts impériaux, s'établissent dans cette province avec leursfemmes et leurs enfants. »
En faisant abstraction des indications chronologiques et
géographiques ajoutées par le compilateur et des formes M~o~es
et liberes, où se manifeste l'ignorance des flexions casuelles
commune aux écrivains du vn° siècle, cette phrase a toute l'ap-
parence d'un texte de chronique du v" siècle Per ~'a~os invi-
tati a Romanis vel Gallis qui LM~MM&H~Mmprovinciam manebant,
M<&K&! ?'e:pM&/<cae~o~M!sseM<renuere, ibi cum uxoribus e<&M
visi szcnt consedisse.
A quelle époque se rapporte ce texte? M. Jahn, dans le
livre que nous avons déjà cité, livre que sa confusion et sa
lourdeur rendent difficile à lire, mais qui est néanmoins dignede la plus sérieuse attention par l'abondance de l'érudition et
la solidité de la critique, nous parait avoir résolu la questionde la manière la plus satisfaisante.
Les Burgundions, qui se trouvaient, depuis la fin du ju° siè-
cle, dans la Germanie occidentale, dans le voisinage des Ala-
mans 1, vinrent pour la première fois jusqu'au Rhin en 3yo,
appelés par Valentinien le' pour combattre ce peuple, quime-
naçait l'empire 2. C'est à cette expédition que se rapporte évi-
demment le passage de saint Jérôme que nous avons cité au
début de ce travail, et qui semble signifier que les Burgun-dions vinrent s'établir sur la rive droite du Rhin; mais la date
est mal indiquée. Saint Jérôme place le fait à l'année 3 y A et
à la neuvième année de Valentinien, qui est 3~2. Ces données
ne s'accordent pas entre elles ni avec Ammien, qui doit évi-
demment avoir ici la préférence. Orose suit Saint-Jérôme,
Voy. Mamertin, PanM-y~Mede .tVa~HNMMHm'CM/e,ch. v. Am-
.uicn MarceUm. XVMI. a; XXVHI, 5.
Ammien, XXVIII, 5.
VU. 3 a; t'~e ,s'M~r< n. a 3 y.
L'ÉTABUSSEMENT DES BURGUNDIONS EN GAULE. 237
mais il ditplus expressément que lui
queles
Burgundions
firent un établissement sur le Rhin'. C'est ici que Frédégaire,
aprèsavoir
reproduitsaint Jérôme et Orose, ajoute
lepassage
qui fait l'objet de notre étude et qui n'est évidemment pas à
saplace, puisque
aucun texte neparle
d'un établissement des
Burgundionsdans la Gaule au me siècle.
°
Aprèsavoir pris part
à lagrande invasion de la Gaule en
Aoy~,les Burgundions passent
en t 3 sur la rive gauche du
Rhin3. Ils'agit ici, comme l'avait
déjàvu dom
Bouquet(I,6a5),de la
partiede la
premièreGermanie
quiest le théâtre de la
première partiedu
poèmedes
/V!e~e/MK~'eK_,le
pays de Worms
et de Spire. Ce fut Ataulphe et Constantin qui, après avoir
battu Jovin, durent établir là les Burgundions, à titre de fé-
dérés, pourdéfendre le
passagedu Rhin. Ce n'est
pasà cet
établissement que peut se rapporter le passage de Frédégaire.
Les Burgundions ne tardèrentpas
à vouloir étendre leur
territoire; mais leur ambition fut durement réprimée, d'abord
parla défaite
qu'Aétiusleur infligea en ~35, puis par le dé-
sastre, plus complet encore, que les Huns, auxiliaires d'Aétius,
leur firent éprouver en ~36
Aétius jugea utile detransporter
la nation vaincue dans
l'intérieur de la Gaule, sans doute pour ne pas la laisser en
contact avec les Germains, et pour lui donner des terres à cul-
M. Jahn (I, p. a3y et suiv.) croit qu'il n'y eut pas d'établissement.
et qu'Orose a mal compris le texte de saint Jérôme quand il a écrit r<p~
/~6M!MKMM'.sMM~en<M<.Pourtant, le texte de saint Jérôme :jBM?'g~<t:<Ko!M<)Kt~jr~ ferme milia ad Rhenum descenderunt, semble indiquer le dé-
placement d'un peuple plutôt qu'une expédition militaire faite à la de-
mande de l'empereur. L'expédition de 3yo peut très-bien avoir eu pour
conséquence en 3ya une émigration des Burgundions vers l'Ouest. On
s'étonne seulement qu'Ammien n'en eût rien dit.°
Saint Jérôme, lettre i23. Orose, VII. 38.
Prosper d~Aquitaine, CAroM. /n3 rfBurgundiones partem Gainas
Rheno propinquam obtinuerunt. B
Prosper d'Aq. ~35 ffGundicarimu, Burgundionum regem intraGal-
lias habitantes, Aetius bello obtrivit pacemque ei supplicanti dedit; quanon diu potitus est. Siquidem iHum Hunni cum populo suo ac stirpedeievenmt." C7<r<MH'c<Ktimperiale, dit de Prosper Tiro, ~36 trBe!!um
contra Burgundionum gentem memorahue exarsit, qno univers pene
gens cum rege perAetium deieta.- –Idace, C/ox. ~t3G-3y 'rBurgun-dionum ca'sn viginti miiia.
G. MONOD.~38
tiver, comme il avait fait pour les Alains en ~f/to~. Il établit
donc en &A3 ce qui restait de la nation burgunde en &MK~:e
(d'où &M'o!e), c'est-à-dire dans le pays montagneux qui s'étend
entre le Rhône et Genève au nord jusqu'à la Durance, mais
sans leur rien donner du territoire de Lyon ni de la Viennoise 2.
11 ne peut être ici question d'un appel de populations dési-
reuses de secouer le joug de Rome; ce n'est donc pas à cet
établissement en Sapaudie que peut se rapporter le texte de
Frédégaire.
Les choses changèrent singulièrement en Gaule pendantles années qui suivirent. Aétius survécut peu à sa brillante
campagne contre Attila, dans laquelle les Burgundions lui
servirent d'auxiliaires3.. Il mourut en AS~t.Valentinien III le
suivit dans le tombeau le t mars 45&. Maxime fut tuéaprès
cinq mois de règne, et Avitus se fit proclamer empereur en
Gaule. Les Burgundions sortent alors du r6le subordonné
qu'ils avaient joué jusque-là. Leurs rois Gundioc et Chilpéricsont les alliés de Théodoric II, roi des Wisigoths, et d'Avi-
tus, contre le roi des Suèves Réchiaire~; et lorsque Avitus,
abandonné par les Goths, est battu par Ricimer le ly oc-
tobre &56, puis tué, les Burgundions profitent de l'anarchie
qui éclate dans l'Empire pour étendre leur domination dans la
vallée du Rhône. Marius nous dit à l'année ~56 <Eo anno
Burgundiones partem Gallise occupaverunt, terrasque cum
Gallis senatoribus diviserunt;~ et le continuateur de Prosper
(CoHt. NaMH'eKSM)écrit, à la date de &5'y «Gundiocus, rex
Burgundionum, cum gente et omni prœsidio, annuente sibi
Tbeuderico ac Gothis, intra Galliam ad habitandum Ingres-
sus, societatc et amicitia Gotborum functus. MC'est évidemment
entre la défaite d'Avitus et l'avènement de Majorien, accompliseulement le i"' avril &5y, que les Burgundions étendirent
leur domination en Gaule et s'établirent dans, le pays des
Lyonnais, non plus avec l'aide de l'Empire, mais avec celle
C/M'oM'cMMHpcn'a/e, 440 «Déserta Vatentinœ urMs t'm'a Alaais
partiendatraduntur."CAt'o! imp. &~3 ftSapaudia Burgundionum retiqaiis datur cum
indigents dividenda.rn
Jordanis, De re&M~Geticis, ch. xxxvt. Le~c B~M~MSMM,XVÏt, i.
Jordanis, ch. xnv. Idace. a. &56.
L'ÉTABLISSEMENT DES BURGUNDIONS EN GAULE. 239
des Wisigoths et des Gallo-Romains. Aussi Majorien, quandil
passe lesAlpes
en A58pour
faire reconnaître son autorité
en Gaule, est-il obligé de commencerpar
soumettre la ville
de Lyon révoltée~. Là se trouvaient en effet ces Gallo-Ro-
mains qui, lassés des impôts, avaient appelé les Burgundions.
C'est à cette extension de la domination burgunde que s'ap-
plique le passage de Frédégaire. C'est le seul moment de l'his-
toire des Burgundions auquelil puisse s'appliquer.
Ne recon-
naît-on pas aisément, dans les GaMiet.RoNMNM qui appellent les
Burgundions pour échapperaux officiers du fisc
impérial,les
sénateurs gatilois dont parle Marius, et qui partagent leurs
terres avec les barbares~?A partir de ce moment d'ailleurs, bien
queles Burgundions
reconnaissenttoujours
lesuprématie
de Rome, leur domina-
tion change de caractère. Ils ne se tiennent plus dans laposi-
tion humble et effacée qu'ils occupaient au temps d'Aétius.
Chaque année, ils étendent leur territoire, au delà du Jura,
dans la Viennoise et dans le bassin de la Saône. Ils de-
viennent bientôt des maîtres impérieux et gênants pour ces
Gallo-Romains qui les avaient appelés comme des libérateurs;
ils soumettent les terres à cespartages, souvent onéreux, dont
nous parle la Loi f/es Burgundions, et Gondebaud se trouveplus
tard obligé d'adoucir le joug queses
compatriotes, entrés sur
le territoire del'Empire
en vaincus et en colons, mais bientôt
devenusconquérants
et dominateurs, faisaient pesersur la
population Indigène~.
Sidoine ApoHinaire, CsrmtMa, V, XIII. M. Fustel de Coulanges dit
dans sa première édition (Hist. des Instit., I, p. 358) que les Burgun-dions servirent avec zèle l'empereur Majorien et reçurent en récompensela province qui s'appelait première Lyonnaise. Il ne cite aucun texte à
l'appui de cette aflirmation, qui me parait contredite par les dates. Dans
sa seconde édition, il dit simplement que Majorien, Anthémius, Gtycé-rins, tes récompensèrent (p. ùo6 ). Dans les deux éditions, l'établissement
de &56-5y est passé sous siienëe.
Ce sont probablement tes se')M<eM's, les curiales, les propriétairesfonciers, qui appelèrent les Burgundions, et non les gens du peuple sou-
mis seulement à la capitation, comme le voudrait M. Jahn, se fondant
sur le mot h't'&M~n!
Grégoire de Tours, tt, 33 'rMitiores teges Romanis instituit.~
t6
DU RÔLE
DES LÉGATS DE LA COUR DE ROME
EN ORIENT ET EN OCCIDENT
UUIV"AU)X''S!ÈCLE',
PAR JULES ROY.
Hien dans l'éternelle transformation
<!es choses ne s'improvise.
V.DcnD!,HM(.~7!omm;)s,V,A8t.
Le mot/egv~Ms~
dans le sens où nous l'entendrons ici, en-
voyéd'un
gouvernementà un autre
gouvernement,ambassa-
deurpublic, plénipotentiaire,
se trouvefréquemment
dans les
auteursclassiques
des RomainsK Legati responsa
ferunt.
Legatusubi ad fines eorum
pervenit.Dictatore
Syllale-
gatusad Senatum de Rhodiorum
prœmiisvénérât~ n
Ce titre est donné aux ambassadeurs engénéral,
soit à
ceuxque
Rome envoyaitdans les
pays étrangers,soit à ceux
queles
princes étrangers envoyaientà Rome. Il est donné
aussi à certains fonctionnaires, dont il est à propos derap-
pelersommairement les attributions.
Cf. ~oMaHOf«Mpon~cMM epistolce, ed. Constant, Thiel, Migne,
Patrol. lat. Collections des coKCt~e~ Mansi, Hardouin, Labbe.
Héfélé, Histoire des conciles. P. de Marca, De concordia &K:e~o<a et
Imperii,lib. V. Thomassin, Ancienne et nouvelle
discipline de l'Église,édition française de 1670. Paul Hinschius, Das ~'t?'e~e)t~ecA< der
~a~oKA~M und Pro<M~MfeK in De:<~c/~sKa'. Erster Band &6M des
&a<Ao&~c/iM! ~M'cAeMt'ec~~ NM<besonderer RücksichtOM/'De«~cA~:MS'~ Ber-
lin, 1870. -Ferdinand Walter, Ze/t~&MeA des ~rc~M?'M&~ aller christ-
lichen Co!eM:ot:eH. Vierzehnte Ausgabe, Bonn, i8yi.
Virg., A., XI, v. aay. Livius, 1,32. Cie., De c&M-. 0!'a<
c. xc.
JULES ROY.M2 I-)
Sous la République, les proconsuls des diS'ércjutes provincesavaient, des lieutenants qui portaient le titre de ~a'M'MOM-y~/s. Sous l'Empire, les provinces furent divisées ça deux
''lasses provinces du Sénat et provinces de l'Empereur; et,
tandis que les gouverneurs des premières conservèrent le titre
de proconsuls, ceux des secondes, dont l'Empereur était le
véritable proconsul, ne prirent que le titre de lieutenants de
l'Empereur, ~eg'a<!~t~Msft ou C<pMt's.
11 v avait dans cette organisation de précieux éléments de
centralisation monarchique, qui devaient survivre a l'invasion
des barbares et à la dissolution de l'empire romain. L'Egliseles recueillit et les appropria à son administration, comme
elle sut, dans la morale et dans le culte, sauver d'autres élé-
ments conformes à sa nature et à son esprit, et qui lui ser-
virent à entrer au cœur des populations et à l'incliner douce-
ment vers elle. Aussi Walafrid Strabon put-il, au ix° siècle,
rapprocher les titres portés par les dignitaires de l'Eglise des
titres portés par les dignitaires de l'Empire, comme Tertullien,
saint Justin, Minucius Félix, Clément d'Alexandrie, saint
Augustin, avaient si souvent rapproché, dans les siècles précé-
dents, les principes des chrétiens des principes de la philo-
sophie païenne Le parallèle de Walafrid Strabon mérite
d'être rapporté ici, au moins dans ses traits essentiels ~Circa
harum calcem rerum placet inscrere quamdam SiBcnIarium
atquR ecclesiasticarum comparationem dignitatum.
Omissis ergo incertis, quœ notiora~sunt invicem
comparemus, ut ostendamus ordinationes mundanœ sapientiaein spiritalem Ecclesiœ universalis rempublicam sacris distinc-
tionibus commutatas SicutautenigensRoma-norum totius orbis monarchiam tenuisse fertur~ ita summus
pontifex, in sede Romana vicem beati Pétri .gerens, totius
Ecclesiœ apice sublimatur. Similiter in-
telligendum de principatibus sseculi, quod quamvis in diversis
orbis partibus per tempora sua fulserint, tamen ad jus Ro-
manum, quasi unum apicem, postremo omnËS peenc rclati
sunt'2. M Ensuite l'auteur compare le pape à l'empereur,
Cf. Duruv, Histoire des RoMMMts,tome lit, p. aaa sqcr.; tome V.
)). ~79 sqq.
t'P'«~?'. 5<a~. opM'< cd. M)gne, t. I!, col. g63 sqq.
DES LÉGATS DE LA COUR DE ROME. 243
tes patriarches aux patrices, les métropolitainsaux ducs, les
évoques aux comtes, en un mot tous les membres de la hié-
rarchie cléricale aux membres de la hiérarchie administrative
del'Empire.
De ceparallèle,
dont plusieurs parties sont con-
nrmées par letémoignage
despapes et des conciles et par
plusieurs textes des capitulaires, il résulteque l'Eglise ne rêva
pointle
brusqueet violent renversement de l'ordre de choses
établi au moment où elle s'organisait, qu'elle adopta le cadre
de l'administration romaine, et.qu'elle maintint une certaine
correspondanceentre les
dignitésciviles et les
dignités ecclé-
siastiques,entre les
provincesciviles et les
provincesecclésias-
tiques, entre les cités et les diocèses. C'est unpoint acquis
à
la science, et sur lequel Guérard1
accumulé les preuves
lesplus convaincantes; aussi je n'insiste
pas,et je ne reviens
à Walafrid Strabon que pour détacher de sonparallèle le trait
relatif au pouvoir du pape ~Summuspontifex
totius Ecclesiae
apicesublimatur!n
Cette idée de laprééminence religieuse de Rome, que
Walafrid Strabonexprime
dans cepassage,
s'était formée et
développéesous l'influence de causes diverses, et, sans songer
a faire ici l'histoire de sesprogrès, je me contente de
rappeler
qu'au v° siècle elle étaitacceptée
desempereurs
d'Occident.
Un curieux rescrit de Valentinien III, rendu à l'occasion d'un
conflit entre saint Hilaire et Léon le Grand, nous fait com-
prendre quelleétait
déjàla
puissancedu
pontificat romain,
jusqu'à quel point même il était maître du pouvoir civil
~Certum est et nobis et imperio nostro unicum essepraesi-
dium insupernaa
divinitatis favore, adquem promerendum
prsecipuechristiana fides et veneranda nobis religio sunraga-
tur. Cum Igitur sedisapostolicae primatum
sancti Petri meri-
tum qui princepsest episcopalis coronae, et Romanse dignitas
civitatis, sacras etiamsynodi firmarit auctoritas, ne quid
prêter auctoritatem sedis istius illicitapraesumptio
attentare
nitatur; tune enim demum ecclesiarumpax ubique servabi-
tur, si rectorem suumagnoscat universitas. His talibus et
contraimperii majestatem
et contra reverentiamapostolicae
Guérard, Essai sur le système des divisions territoriales de la Gaule
depuis /~g'e ?'oM<HyM~<! &:j~M:de /<: ~y:n.!f:e cfir/ootMg'ieHne. Paris,
imprimerie Royale, 1832 in-8°.
i(i.
JULES ROY.2M
sedis admissesperordinem religiosi viri
urb!s papae cogni-
tione decursa certa in eum(Hilaire d'Arles) et dehis quos
male ordinaverat, lata sententia est. Et eratquidem ipsa sen-
tentiaper Gallias etiam sine
imperiuli sanctione valitura.
Quid enim tantipontificis
auctoritati non liceret? Sed. nos-
iram quoque praeceptionem bœc ratioprovocavit ncc oj.tcrms
vel Hilario, quemadhuc
episcopum nuïicupan so!a mansuct)
praesulis pcrmittit humanitas, nec cuiquam alteri Itceat eccle-
siasticis rebus arma miscere ~ut prœc~ptis Romani antistitis
obviare. Ausibus enim talihus fides et reverenila Hostri vio-
latur imperii.Née hoc solum
quodest maximi crimints sum-
movemus, vcrum ne levis salteni inter ecclesias im'ba nascatur
vel in alifpiommut religtonis disciplina videatmY hac pcrcnni
nanctione decernimus ne quid tam episcopis gaUtcanis quam
aliarum provulciarum contra consuetudineni veterum Hceat
sine viri venerabiils papseurbis seternae auct9E~i.ta<.e.,tsptarG.
Scd hoc iUts omnibusquc pro legcsit
quiequidsanxit vcl
sanxerit apostoliCBe sedis auctoritas, ita utquisquis episco-
porum ad judicium-Romaniantistitis vocatus e~enire negicxe-
nt, permoderatorcm ejusdem provincig~ adesse cogaLur, per
omnia servatisquse divi parentes nostri Romanae ecclesia~ de-
tulerunt K
Bien des années avant que ce rescrit vint consacrer la pri-
mauté de t'EgHsc romaine en Occident, le pape avait travaillé
à l'établir et à la faire reconnaîtreappuyé
d'unepart
sur le
texte évangéliqueTu es Petrus, d'autre part
sur la croyance
générale parmi les chrétiens, qui plaçait à RoHie et sous Néron
la mort des deuxprincipaux apôtres de la religion, il avait fait,
sentir son action dans les assemblées lesplus solennelles de
la société chrétienne, et dansplusieurs parties
del'Empire;
et pour établir promptementune nouvelle suprématie romaine,
il avait emprunté au gouvernement des Césars~un des moyens-
les plus propresà fortifier l'action du
pouvoir central;il en-
voyaitdes légats dans tout l'Occident comme dans tout l'Orient,
et il étendait partout son influence au moyen de missions tem-
porairesou
permanentes.Comme les Césars, jl avait des re-
présentants directs dans les diocèses de l'Empire, intermé-
'Yot). F~eH<MM'<MMJ/ ht. 16, ed. Haenel, p. i~a.
DES LÉGATS DE LA COUR DE ROME. 2&5
(Maires dévoués entre le Saint-Siège et les évéques, investis
d'une autoritéplus
ou moins considérable, préoccupés par-
dessus tout de faire observer les commandements du maître
qui lesdéléguait.
Ceslégats
furent assurément, au moins en
Occident, l'un des principaux instruments de la grandeur de
l'Eglise romaine.Cependant
ils sont loin d'avoir eu à l'origine
l'influence qu'ilsdevaient avoir au
temps de Walafrid Strabon,
l'attitude d'unpouvoir incontesté telle
quel'auront les légats
dupape
Nicolas 1~. Leur situation, pendant plusieurs siècles,
ne présente rien d'uniforme, de fixe elle est d'abord très-
modeste et très-limitée; puis elle s'élève et sedéveloppe peu
a peu, ainsi que la papauté elle-même, dont elle suit les vicis-
situdes en Orient comme en Occident.
Aussi loinque
les textes historiques oucanoniques nous
permettent de remonter, nous trouvons deux sortes de délé-
gués du papeles uns
temporaires, les autres permanents;ceux-là, N!!6'.s<,Nï:ss! ~osto~ca? M~s, legati, sont munis de pou-
voirs particuliers pour chacune de leurs missions; ceux-ci,
tricarii aNo~o/tc<-e sedis, ~oensMtrM, responsales,ont des attribu-
tions plus générales~. Dans laplupart
des cas, du iv" au
ix'' siècle, ce sont des prêtres, des diacres et des sous-diacres
qui remplissentles fonctions de légats; elles sont aussi confiées
a des abbés, souvent à desévoques, principalement
àpartir
du vin" siècle; quelquefoisà de
grands personnages laïques,
consuls, ducs, maîtres de la milice; ou a desimples employés
de la Courpontificale, clercs, notaires, bibliothécaires.
Dans les décrétâtes, par conséquent dans le langage officiel, les
légats sont appcfes HM-Mt,wi'&M~o~<o~c<B sedis; le Liber pontificalis
emploie les termes et les Annales emploient surtout ~g'a~Dès la fin du ix" siècle, la désignation de /< ou /eg's~' sedis aposto-/;<w.est fféqueniment employée dans les lettres des papes, et même
deux fois avec l'expression latere: une fois par Nicolas I", qui, dans un
concile tenu à Rome eu 860, ct'ëa les deux évêques Radoatdde Porto et
Zacharie d'Anag'ni ses iégats f< latere, et tes envoya a Constantinople à
propos de la déposition du patriarche Ignace; une autre fois parJean VIII
ffegatos sane e latere nostro pieneinstructos direximus.~ (Migue, P~ro~.
lat., CXXVI, coL~9.)
JULES ROY.2M
I.
LE&ATS TEMPORAIRES.
Le texte des conciles leplus
ancienqui confère au
pape
le droit d'exercer une juridiction pardes
légats dans lespro-
vincesecclésiastiques
est le 5° canon du concile deSardique
(3~3 ap. J.C.).En voici le sens Si un
évoque déposé parles
autresëvéques
de saprovince
enappelle
a Rome, et si lepape
juge quela révision du
procèsest nécessaire, alors le
pape
doit écrire auxévêques qui sont le plus près de la province
enquestion
d'examiner toute l'affaire en détail, et de rendre
un jugement conforme à la vérité. Mais si celuiqui veut être
jugé une deuxième fois obtient del'évéque
romain~M~cMMïe
f~spr~fesde son
e~oMMg'p,afin
qu'ils forment, avce lesévêques
déjà indiqués,le tribunal de deuxième instance, jouissant de
l'autoritéqui
revient a celuiqui
les envoie, lepape
est libre
d'agirainsi'.
Outre le droitd'appellation
a Rome, ce texte concède au
papele droit non moins
important d'exercer, en des cas déter-
minés, unejuridiction par
sesdélégués. Les successeurs du
papeJules I" l'ont
pratiquéet étendu; ainsi Zosime
délègue
saintAugustin pour
traiterquelques
affaires en Mauritanie~,
c'est-à-dire hors de son diocèse et de saprovince.
Léon P\
C. 5 ffPiacuit autem utsiquis episcopus accusahisfaerit, ctjudica-verint coagregati episcopireg'ionis ipsius eldearadusno eumde}ocermt,
si appeUaverit is qui dejectus est,, et confugent ad episcopum RomaHae
ccctesia! et voiaerit se audiri, sijustum putavent
ut renoveturjudicium
vel discussionis examen, scribere hisepiscopis dignetur qui in
(mitima
'?t propinqua provineia sunt, utipsi diiigenter omnm
re(p.urantet juxta
iidem veritatis de6niant. Quod si is qui rogat causam guam iterum au-
dirideprecatione sua moverit episcopum romanum, Mf & &?'e suo ~r~
~y<a'MH: M!'K<:<, erit in potestate episcopi quid velit et quid se&timct; et si
decreverit mittendos essequi pra:sentes
cumepiscopis judicent, habentes
ejus auctoritatem a qao destinati sunt, erit msno arbitrio. Siverocredj-
deritepiscopos suiEcere ut
negotio terminum imponant,faciet
quodsa-
pientissimoconsiiM suojudicaverit.o (Heielë, J. c. I, p. S5y.)
ff Apud Ca'saream, quo nos injmicta nobis a vencrabiH papa Zosimo,
<)posto)icœ sedis episcopo, ecciesiastica nécessitas traxerat." ('4! op. cd.
Ganme. tonc !t. en). io5o.~
DES LÉGATS DE LA COUR DE ROME. 2&7
aprèsle concile dit le brigandage ffjE~Aese~ envoie un
éfequeet
unprêtre
àConstantinople,
et leur adjoint Anatolius, évéque
de cette dernière ville, avec ordre de s'entendrepour
rétablir
la foi ébranlée, par suite de ce concile, à Constantin.ople et
dans tout l'Orient~. Lepape
Gélase accusel'évoque
de Cons-
tantinople, Acacius, d'avoir été l'auteur d'excès étranges qui
s'étaient commis dans les églises patriarcales d'Alexandrie et
d'Antioche, parce qu'il n'avait pas usé de l'autorité que /e&K'H<-
&elui avait ~M~e pour les prévenir
oupour y remédier~.
L'usage des légations romaines avec juridiction plus ou
moins étendue était même sollicité des Orientaux, témoin
saint Basile, qui, écrivant à saint Athanase àpropos
de l'ef-
froyable renversement de la foi et de la discipline en Orient,
lui dit KVisum est mihi consentaneum ut scribaturepiscopo
Roma~, ut quœ hic geruntur consideret, et sententiam suam
expromat. Ipsesua auctoritate in ista causa usus, viros
cfigat ad hoc accommodos ut. eos quidistorti et
obliqui
apudnos sunt, corngant.K L'empereur Léon! demanda au
papeLéon 1°'
d'envoyerdes
légatsen Orient pour
remédier aux
excès desEutycbiens, et les évoques Domitien et Géminien
lui furentdélégués~.
Le but leplus
ordinaire de ces légations est de rétablir la
paix religieuse, si fréquemment troublée par les nombreuses
hérésies dont l'Orient était alors le théâtre, et dereprésenter
t'évoque de Rome aux conciles œcuméniques. Cette dernière
mission était la plus importante qui pûtêtre confiée à un
légaten Orient, et c'est un des
points quel'on doit le plus
attentivement examiner quandon veut se rendre
comptede la
positiondes
papesdevant les conciles dans les
premierssiècles
de l'Église.
~Congruum fuit iratres meos Lucentinm episcopum et Basiiiuni
presbyterunt destinare quibus ditectio tua societur, ut nil in his quœ ad
nniversalis Ecctesiœ statum pertinent, aut dubie ag'atur aut segniter."n
(Migne, op. cit., Leon. ep. 85.)2
ffCur tantopere cum ista gererentur, vel gerenda coa'noscere6, non
a(t sedem apostoticam, a qua sibi euram iUarun) regionum noverat dele-
gatam. referfematuravit?" (Migne, op. c~ Gf/as. fp. i3, coL y~t.)ffPt'œcept.inni vfsh'a' in eo adnitar obedire ut ntiquos de fratribus meis
du'ig'am. (Mia'nc. op. e!< Z,M!i. <?p.i6a.~
JULES ROY.M8
L'histoire du concile de Nicée a suscité bien des contro-
verses dans les pays où l'on s'est appliqué sérieusement à
l'étude du droit canonique. Sans entrer dans des détails quiseraient inutiles ici, nous constatons avec tous les critiques quele concile de Nicée a été présidé par Osius, évoque de Cordoue.
Osius était-il le légat du pape et a-t-il présidé en cette qua-lité ? Un certain nombre d'érudits ne semblent
pas convaincus
par les raisons que l'on invoque communément pour prouver
qu'il présida comme légat du pape; cependant il en est deux
que l'historien de bonne foi ne peut tout à fait rejeter: 1° Osius
et deux prêtres romains signent' les premiers, et après eux
seulement signe Alexandre, patriarche d'Alexandrie. On peutconsulter à ce sujet les deux listes de signatures données par
Mansi~, de même que les deux qui sont données par Gélase de
Cyzique, auteur d'une histoire du concile deNicée~. Dans ces
deux dernières listes, Osius signe explicitement au nom de
l'Eglise de Rome, des Eglises d'Italie, d'Espagne et des autres
contrées de l'Occident; les deux prêtres romains ne paraissentlà que pour lui faire cortège. Dans les deux listes de Mansi~
rien n'indique, il est vrai, qu'Osius ait agi au nom du pape,mais l'on a soin de dire des deux prêtres romains qu'ils
ont
agi en son nom. s° Ce témoignage est corroboré par celui de
Gélase, qui dit « Osius fut le représentant de l'évoque de Rome,
et il assista au concile de Nicée avec les deux prêtres romains
Vite et Vincent~. n
Au concile de Sardique (3~3), tout le monde reconnaît
qu'Osius a encore présidé, mais rien ne prouve que ce soit
comme légat du pape plutôt qu'au nom des empereurs Cons-
tance et Constant, qui avaient convoqué ce concile. Nous lisons
simplement ce qui suit dans les signatures R Osius ab His-
pania, Julius Romae per Archidamum et Philoxenum presby-tères. »
Le second concile œcuménique, tenu à Constantinople en
38i, ne fut présidé ni par le pape, qui était alors Damase,
ni par ses légats, mais par Mélétius, archevêque d'Antioche, et,
Mansi, CoMc.~ II, 6c)a, 6~.Geiasius, volumen actorum concil. Nie. Mansi, II, 806.
Hé~ie, /.c. I.p./n.
DES LÉGATS DE LA COUR DE ROME. 2~.9
après sa mort, survenue presque au début du concile, par
Grégoirede Naziance, archevêque
deConstantinople.
Au troisième concile œcuménique, tenu àEphèse
en /t3t,
nous retrouvons des légats, avec une position bien nette
les légats de Célestin I' avaient reçu la mission de juger les
opinions des Nestoriens et de leurs adversaires, sans se mêler
à leursdisputes; Cyrille, patriarche d'Alexandrie, présidait
le synode et y représentait le pape avec les deuxévêques
Arcadius etProjectus'.
Léon P', à la demande del'empereur
Théodose H, avait
envoyé des légats au deuxième concile d'Epbèse, mais l'em-
pereur désigna Dioscore d'Alexandrie pour présider. D'aprèsune source du vi° siècle, les légats auraient demandé la
pré-
sidence, et elle ne leur futpas
accordée jEcc/c~œ T~OMMtMp
JtacoM vices habentes jM~p Leonis assidere non passi MM!~ eoquod
MOM/M~<Ja<~
prc&se&MOsaMc&p sedi eorMm~. K
Le concile de Cbalcédoine(~5t)
futprésidé parles com-
missaires impériaux,bien
quele
pape Léon le Grand eût écrit
àl'empereur
Marcienqu'il
avait nommé, pour le représenter
à ce concile, Pascbasinus, évêquede Liiybée en Sicile, et que
cetéveque
devait présider le synode à saplace. Les commis-
saires sont nommés lespremiers
dans les comptes rendus; ils
font voter, indiquent l'ordre du jour, fixent la clôture des ses-
sions, etremplissent
ainsi toutes les fonctionsqui
reviennent
de droit auxprésidents
des assemblées. Dans la sixième session
Marcien, étant présent, proposa les questions et conduisit la
discussion. Dans les actes, l'empereur et ses commissairesap-
paraissentaussi comme les présidents,
mais leslégats
du
pape apparaissentles premiers parmi ceux
quivotent3.
frSiquidem et instructionesqnœ
vobis traditœ sunt, hoctoquantur,
ut interesse com'entui debeatis, ad disceptationem si fuerit ventum, vos
de eorum sententiis judicaredehcatis,non subit'e certamen.N
(Mansi,
IV, 5 6.)
Actio prima conc. Ephes trSynodo congres'atain
Ephesiorum
metropoii ex décrètereiig'iosissnnormn
et christianissimorumimperato-
rum etconsidentibus.religiosissimis
et sanctissifmsepiscopis Cy-
ri[)o Aiexandriœ, quiet Cœiestini
quoque, sanctissimisacratissimique
Romande ecclesim archiepiscopi, !ocutn obtinebat.'? (Mansi, IV, na3.)Liherati arc))idiaconi eccL Cart))ag'. /)')'«' < ta. Mansi, IX, 6y8.Cf. Hétëtë, c. 1,
JULES ROY.~50
Si l'on veut savoir combien le pape pouvait compter sur la
soumission des Orientaux, et quelle autorité il pouvait exercer
nu milieu d'eux, quand leur intérêt personnel ne les ralliait
plus à son parti, il faut lire le récit du cinquième concile
général, tenu à Constantinople en 553. Assemblé par ordre
de Justinien, il fut ouvert sans l'approbation du pape Vigile,
et l'empereur, pour punir le pape de son refus d'assister au
concile, ordonna que le nom de Vigile fut 6té des diptyques
sacrés. Cet énorme abus de la puissance Impériale n'excita pasles réclamations du concile il laissa exécuter l'ordre césarien,
et il abandonna la personne du pape, tout en déclarant qu'ilrestait toujours uni au siège apostolique 1 VfgUe dut acheter
sa réconciliation avec l'empereur par la reconnaissance d'un
concile tenu contre sa volonté.
Dans les siècles suivants, la plus mémorable des légations
papales en Orient est celle qui fut envoyée au sixième concile
général, convoqué à Constantinople en 680 pour la condam-
nation des Monothélltes. Constantin Pogonat avait demandé
des légats au pape et a toutes les Eglises d'Occident. Agathon
députa deux prêtres et un diacre, et ces légats souscrivirent
les premiers. Ils eurent la même position qu'à Chalcédolne.
Au septième concile œcuménique, tenu à Mcée en y8y, à la
demande de l'impératrice Irène, Adrien 1~ envoya des légats,
qui n'eurent qu'une préséance purement honorIËque; ils pa-
raissent les premiers dans toutes les sessions, mais la direction
des affaires est constamment entre les mains de Tarasius,
archevêque de Constantinople.
Enfin, le huitième concile général, de Constantinople, en
86g, fut, pour l'Eglise romaine, un triomphe passager mais
brillant sur l'Eglise grecque, et les légats du pape Adrien Il
eurent la présidence. Le rang qu'y tient la papauté, l'harmonie
qui existe entre elle et la cour d'Orient, s'expliquent par les
troubles qui avaient agité l'Eglise grecque, etauxquels
l'em-
pereur Basile voulait mettre un terme. C'était aussi un résultat
de l'autorité considérable que te Saint-Siège avait acquise sous
te pontificat de Nicolas I*
Maret. Dit cwic~e~e')ter< et de /<t~M" re/ig'MMM.,Paris, 1869, 1.1.
p. ;'&().<!(' sur !f' rf'')f ~nct'at des papesdans les conci)osd'Orient, les dis-
DES LÉGATS DE LA COUR DE ROME. 35-1
Cette revuerapide
des huit premiers conciles généraux
suffitpour nous faire connaître la situation des légats tempo-
raires en Orient; leur rôle était entièrement subordonné à
la considération et au crédit dont jouissaient personnellementles
papes qui les déléguaient, et ils eurent dans les conciles
d'Orient d'autantplus d'autorité que les papes avaient eux-
mêmes plusde
prestige,et
que leur concours étaitplus
ou
moins utile aux Orientaux.
En Occident, nous trouvons aussi des légats chargés, comme
en Orient, de missionsspéciales
etpassagères
et exerçant une
juridiction au nom du pape. Ils se rencontrenttrès-fréquem-
ment en Italie, en Sicile et en Sardaigne, chargés de la con-
servation dupatrimoine que l'Eglise possède dans ces
provinces
et de la surveillance des mœurs du clergé. Investis par lepape
desplus grands pouvoirs pour
les anairesecclésiastiques,
ils
assemblent les conciles provinciaux, répriment les désordres
du clergé, arrêtent lesoppressions
deslaïques,
font bonne et
prompte police partout où le besoin s'en fait sentir. Pierre,
sous-diacre romain, est letype
leplus parfait de ces
représen-
tants dupape. Grégoire 1°', notifiant aux évêques de Sicile
qu'il le délègue auprès d'eux, les invite à s'assembler en con-
cile et à régler avec lui tout cequi
concerne ladiscipline
ecclésiastique et le soulagement des pauvres. Tantôt il lui or-
donne de pourvoir leséglises
vacantes de bonsévoques
ou de
rassembler desreligieux dispersés par l'invasion; tantôt il
l'envoie enCampanie apaiser
un dissentiment entre unévequc
et son clergé, oupresser les habitants de
Naples d'élire un
éveque.Instruments de l'infatigable vigilance
desgrands pon-
tifes, les légats de cegenre
furent en Italie de véritables ins-
pecteurs généraux du ctergé sous le gouvernement de Gré-
goireI~.
T
En Espagne, dans les Gaules, en Angleterre,où l'Eglise
romaine n'avait point de patrimoine, comme dans lesprovinces
lesplus éloignées de l'Italie, elle n'envoyait des légats tempo-
raires que dans des circonstances exceptionnelles. En 603,
sertations placées en tête du premier votume de )WM<oM'edes conciles
d'Héfe!e, et aussi Hinschins. c. p. ~t')8.
Mi~ne, .(;'o/t<. Cre~. f~i.s~/ff~tM tib. 1. 18, A 1,6g; ]ib. H,
i, 5; tih. IfL ~t, M.
JULES ROY.252
Grégoire 1°'délègue le défenseur Jean, pour faire une enquête
judiciaire en Espagne; en 5 g a, l'abbé Cyriac et l'éveque Sya-
gri us, pour détruire la simonie dans l'Eglise franque cette der-
nière délégation n'ayant pas eu d'effet, il pria Brunehaut de
lui demander elle-même un légat, qui, avec l'appui de l'auto-
rité royale, suppléerait,à la négligence des évoques du royaume'.
Quoique l'Eglise franque fût alors dans le plus déplorable état,
les papes néanmoins n'y envoyaient de légats extraordinaires
et n'y faisaient assembler des conciles qu'en s'assurant ordi-
nairement de l'agrément des princes et des éveques, tant on
était persuadé qu'on ne pouvait réformer l'Église que par un
parfait accord de la puissance civile et du'pouvoir ecclésias-
tique. Les choses changèrent dans les deux siècles suivants, et
les légations se multiplièrent sur le territoire de l'ancienne
Gaule, principalement sous le pontificat de Nicolas P% qui, de
sa propre autorité, y fit convoquer plusieurs conciles au sujetdu divorce de Lothaire, roi de Lorraine, de la déposition de
Rothade, évêque de Soissons, de l'élévation de Photius au siège
patriarcal de Constantinople
L'Angleterre et l'Allemagne eurent également des légats tem-
poraires, dont les plus célèbres furent Augustin et Boniface.
En 5a6, Grégoire F" envoie Augustin prêcher le christianisme
<'n Angleterre; il y convertit un roi de Kent, dix mille Saxons
idolâtres, crée plusieurs évéchés, dont il devient le métropoli-
tain, agissant partout au nom du pape, demandant et recevant
fréquemment ses conseils. En yao, sous Grégoire 11, Winfrid,
moine anglais, récolta Rome des reliques et des instructions pouraller convertir les peuples Idolâtres de la Thuringc. Il échange
son nom d'origine barbare contre le nom latin de Boniface, et
va dans les contrées les plus sauvages de l'Allemagne prêcher
Cf. Thomassin, l. c. part. Il, !ib. t, ch. m.
Cf. Migne, .P~'o/. ~f. A~'co/.ep. ad ann. 860, 869, 865. Hinschius
(/oc. cit. p. 5o5) fait remarquer qu'en dehors de ces envoyés, repré-sentants du pape dans l'exercice de ses droits spirituels. il y eut aussi, au
\'ni° siècle, des légats chargés de missions politiques, par exemple, de
conduire des négociations entre les rois Lombards et les rois Francs. Cf.
Ft<0 ~C/M)' t~<t $<ep/M)M'J7/~ Vita Stephani 7~, in Z!'&. p0!
I:pi.st. SteplzazeiIll acl Pip[~in. a. ~5(i (Jalré, ~ioaauzrt.G'arvl., [3.47: 54);/~M<. &ep/MM ~7/ad Pippin. a. y 56 (Jaffë, MoKKM. C~fo/ [). ~7, 5~);
:). ~5~ (!'& p. <)()); /M&' ad eund. a. 708 (:'M., p. yy).
DES LÉGATS DE LA COUR DE ROME. 253
l'Évangile et établir lasuprématie du pape De temporaires,
les légations de ces deux missionnaires sont devenues perma-
nentes, et les lettresqui
les investissent, l'un du siège de
Cantorbéry, l'autre du siège de Mayence, nous montrent les
papescréant et distribuant des évéchés sur les bords du Rhin
et de la Tamise, et attestent l'influence considérable que les
légats leur avaient assurée dans ces pays.
Les évêques d'Afriquesemblent n'avoir
pas favorisé le déve-
loppementdes
légations romaines au milieu de leurs Eglises,
à en juger du moins par une réponse qu'ils firent à Zosime.
Cepape
leur avaitenvoyé Faustin, évêque
de Potenza, pourleur porter les canons des conciles de Nicée et de
Sardique, et
maintenir parmi eux le droit d'appellation au Saint-Siège.
Cette mission leurdéplut,
et ils écrivirent aupape
Célestin
queles
légats que le Saint-Siège envoyait dans les provinces
n'étaient autorisés par aucun canon des conciles, qu'ils espé-raient qu'il rappellerait
auplus
tôt Faustin, qu'ils le conju-raient de ne
plus envoyerde ses
ecclésiastiques pour exécu-
teurs de ses sentences, avec un faste et une terreurplus propres
auxpuissances
séculières qu'aux ministres de Jésus-Christ.
Cette réponsen'a
pas besoin de commentaire~.
II
LHGATS PEKMA~Ej\TS.
En parcourantla
correspondance des papes du v''auvn''sièc!e,
nous avons remarqué que les effets desprincipes posés
dans
le canon E) du concile deSardique,
comme dans la Novelle
de Valentinien III citée plus haut, se produisirent assez vite,
etque
les recours au siège de Rome semultiplièrent dans des
proportions assez considérables. De là l'usage des légations
permanentes, pourfaciliter les rapports des
provinces éloignées
avec le Saint-Siège et rendre sa juridiction véritablement effec-
tive. C'est ainsi qu'à partir du v" siècle, furent successivement
Cf. Thomassin, l. c. part.. H, liv. I, ch. vu.
° Cf., pour les dëtai)s (le cette affaire, Thomassin, c. part. 1 liv. t.
ch. Lvn.
JULES ROY.25&14
fondés tes vicariats apostoliques et c'est ainsi que nous
voyons figurer comme vicaires apostoliques un certain nombre
desmétropolitains
de Thessalonique, d'Arles, de Reims, de
Séville, de Tolède, de Mayence,de
Cantorbéry, d'York. Cette
dignité était d'abord toute personnelle, puis on prit l'habi-
tude de la conférer au successeur d'unmétropolitain qui en
avait été investi, etquand
cet usage se fut renouveléplusieurs
fois de suitepour
le même siège, on considéra le titre de
vicaire apostolique comme attaché à ce siège. Cela n'assura
point aux titulaires la perpétuité des droits primitivement
attachés à ladignité
de vicaireapostolique passé
le ix" siècle,
celle-ci dégénère en titre purement honorifique,car les
papes
préférèrent envoyer plus régulièrement des légats a latere ou con-
férer momentanément despouvoirs extraordinaires à un évéque
de la contrée où il v avait lieu d'exercer leur action.
Les pouvoirs des vicaires apostoliques se ramènent à quel-
ques attributions assez nettement déterminées. Dans les lettres
de nomination qu'ils recevaient, il leur est toujours recom-
mandé derespecter
les droits desmétropolitains placés sous
leur juridiction, et les formules Salvis ~<M/eg'MS ~M<BtM-
<?'ONO~a?Hs cp:sc(M)M ~ereM< aKtMM!<as; &rM!~ jt:'rK):7ea'HS
m~'o~o~MorMtH, se trouvent dans laplupart
des lettres de ce
genre. Les droits ordinaires desmétropolitains réservés, 1&
vicaire apostoliquea les attributions suivantes i" il confirme
les évequeset les
métropolitains élus, avant qu'on puisse les
ordonner; a° il termine les différendsqui n'ont pu
être décidés
dans les conciles provinciaux 3° ilconvoque le concile des
éveques de toute saprimatie;
&° il veille sur toutes les Eglises
de son ressort, doit yfaire exactement observer la
discipline
Thomassih ( c. part. II, liv ch. vi ) a montré que c'est de Kt qu'estvenue la dignité de primat, et que les primaties de Scviiie et de Tolède,d'Aries et de Reims, n'étaientque des vicariats ou commfssions du Saint-
Siège. Le pape Simpiioius fut le premier ai accorda cette iëg'atioûapos-
folique à J'évêque de Séville (&8a). Saint Remy lut ëtaHLyicaire aposto-
uquedaas le royaume de Ctovis par Hormisdas. L'ëvéque d'Arles disputa
longtemps la qualité de métropolitain à celui de Vienne; mais Symmaque.
révoquant les décrets d'Anastase. qui étaient favorables au. siège de Vienne
et lui semblaient contraires à ceux de ses prédécesseurs, donna à Cësaire,
évêque d'Ar)es. un vicariat ou une légation apostolique sur toutes les
Gaules.
DES LÉGATS DE LA COUR DE ROME. ~55
ecclésiastique et Informer lepape
des désordresauxquels
il
ne pourrait pas remédier'.
Tout autres étaient le caractère et les pouvoirs des apocri-
siaires. Voici cequ'en
dit Du Cange xldporro
nominis
Inditum legatis, quod a7roxp<o'e<s seu responsa principum
déferrent. Responsa enim non modo rescripta principum ad
supplicantium libellos, sed etiamquœvis
decreta et mandata
appellabant;)
Thomassin fait entrer dans sonexplication
du motapocri-
.M!fe une expression moderne qui nous permettra d'arriver à
une définition assez complète «Les apocrisiairesétaient des
commissaires dont lescharges
sedéveloppèrent
surtout au
temps de saint Grégoire. C'était comme uneespèce de léga-
tion ou nonciature; les nonces d'aujourd'hui ont à peu près les
mêmes fonctions dansquelques royaumes. Le nom
d'apocri-
.sMH're, quiest
grec,est rendu
par le terme latinrëspONsa~'s et
il n'estpas
malexprimé par
celui de nonce ;)
En rapprochant ces deux explicationset en les comparant
à ceque
nous savons de la mission desapocrisiaires par
les
lettres des papes, nous pouvons définir l'apocrisiaire le nonce
ordinaire dupape
résidant à la courimpériale
de Constan-
tinople. Les Grecsl'appelaient o~ocrMt'a~Ms et les Latins res-
~OHM/ parce qu'iln'avait
pourmission
que d'exposerà
l'empereur les ordres qu'il avait reçus du pape, au papeles
volontés de l'empereur, à l'un et à l'autre leurs réponses res-
pectivessur les affaires ecclésiastiques en voie de
négociation
entre les deux cours. Ils n'avaient aucune juridiction à Constan-
Cf.. pour les attributions des vicaires apostoliques, les lettres a~t, 26
41, 43 deHormisdas(Mig'ne, c.), et surtout la belle lettre de Léon1"
a Anastase (Migne, c. ep. 14).- L'usage de sauvegarder les droits des
métropolitains ne s'est pas maintenu. Les rapports du pape Nicolas I' avec
Hincmar prouvent surabondamment qu'au ix' siècle les métropolitainsavaient perdu plusieurs de Jours prérogatives. Les papes, au moins à l'o-
rigine, ne concédaient aux évéques le titre de vicaire apostolique qu'après
que les évéques l'avaient demandé et fait demander par les rois. Cf. à ce
sujet tes lettres des papes a Césait'e, Auxanien, Auréiien, Sapaudus et
Virgiie, qui se succédèrent sur le siège d'Arles au v° et au vt" siècle. Cf.
aussi G<i<t C/H'MtKMM~t. I, p. 53~.Du Cange. G~sarMOK~ verbo ~oe)'s'M?'H<
Thomassin, part. 11, liv. ï, ch. L.Tlioiiiassin, pii-t. 11, ]iV. 1, Cll. L.
JULES ROY.256
tinople, et il leur était même interdit de se mêler des causes
qui appartenaient aux autres évoques', a moins qu'ils ne re-
çussent du pape une délégation spéciale à cet effet. Quoique
représentants du pape, ils cédaient le pas aux évêques, comme
on le voit en 536 au concile de Constantinople, où Pelage,
apocrisiaire du pape Agapet, souscrivit après les évoques.Néanmoins leur situation était fort considérée, car plusieurs
diacres, tels que Pelage, Grégoire, Boniface, Martin, etc.,
sont montés sur la chaire de saint Pierre, après avoir exercé
les fonctions d'apocrisiaire àConstantinople.
Quant à l'époque où apparaît cette fonction, voici ce quedit Adalhard dans son traité De orJme ~a&~K' rapporté par
Hincmar, dans une lettre aux grands du royaume pour l'ins-
truction du roi Carloman ~Apocrisiarli ministerium ex eo
tempore sumpsit exordium, quando Constantinus magnussedem suam in civitate sua, quae antea Byzantium vocabaturt
aedincavit. Et sicresponsales
tam romanas sedis quam et alia-
rum prœcipuarum sedium in Palatio pro ecclesiasticis Dcgo-tiis excubabant. Aliquando per episcopos, aliquando vero perdiaconos apostolica sedes hoc officio fungebatur~.K »
Il est très-vraisemblable que cette institution date de
Constantin, et que du jour où les empereurs furent convertis
au christianisme et intervinrent dans les affaires de l'Eglise,les papes aient été obligés d'avoir des représentants à la cour
impériale; mais il ne faut pas en conclure que les papes se
soient crus obligés de détacher dès ce jour à Constantinopledes apocrisiaircs choisis dans leur entourage. Nous savons po-sitivement que les éveques de Constantinople ont été quelque
temps les apocrisiaires et les agents de toute l'Eglise. Le papeLéon 1" n'envoya Julien, évêque de Cos, résider à la cour de
l'empereur Marcien, que parce qu'Anatolius, évêque de Cons-
tantinople, négligeait étrangement les intérêts de la foi. Le
pape Célestin regardait évidemment Maximien, éveque de
Constantinople, comme son apocrisiaire, quand il écrivait à
l'empereur Théodose le Jeune qu'il devait écouter cet évequeet lui prêter secours pour la défense de la foi orthodoxe
Thomassin, part. H, liv. I. ch. n.
H<'CMK7~M~<<K'tMM~M (~M~M, t. )X, )). aC3.
DES LÉGATS DE LA COUR DE ROME. 257
~Huic taliter electo ad componendumeccleslae statum, et
omne viruspravse
hseresis radicitus evellendum, obsecramus
et poscimus, ut consuestis, arma prsestetis'.M Il le considé-
rait bien encore comme son représentant quand il écrivait au
peuplede Constantinople « Nostro vobis loquitur ore collega~.
MAu
tempsde Justinien, le
patriarchede
Constantinopie
devait encorepasser pour intermédiaire naturel entre les diffé-
rentes Eglises etl'empereur, puisqu'une
novelle de ce prince
prescrit aux évoques qui viennent àConstantinopie
de nepoint
luiprésenter
leursrequêtes
sans les avoir, au préalable, sou-
mises au patriarche ou aux apocrisiaires ~Huc advenientes
nonprœsumant per semetipsos se prius pronunciare ad Impe-
rium, se primitus aut ad Deo amabilempatriarcham profi-
cisci, aut aduniuscujusque
diœceseos exqua
suntapocrisia-
rios, et cum ipsis conférant causaspropter quas venerunt,
et ingredi ad imperium ejus, et deinceps imperiali perfrui
aspectu3. Si nous
complétonsce texte
parcet autre passage
de la même novelle Kper religiosos apocrisiarios cujusque
diœceseos sanctissimorumpatnarcharum.M
nous voyons que
non-seulement le pape,mais encore les
patriarches devaient
avoir unapocrisiaire
à Constantinopie pourle règlement de
leurs anaires~. Cependant l'influence des apocrisiaires des
Eglises patriarcales d'Orient dut être détruite assezprompte-
meni par Ie& apocrisiaires de Reme, à ea juger du moms par
les pouvoirs queceux-ci recevaient des
papeset par les affaires
dont ils étaient chargés. Ainsi l'évoque de Cos, que nous avons
déjà cité, a sous une forme générale des attributionsqui
lui
permettentd'intervenir dans toutes les affaires ecclésiastiques
de l'Orient. En le déléguant, Léon 1~ le charge d'arrêter en
Orient lesprogrès
des hérésies nouvelles de Nestorius et d'Eu-
Migne, c. Co' ep. 23.
Cf. Thomassin, c. part. II, liv. I, ch. u.
~Vo~.VI, c. n et 111.Cf. aussi ce passage, Nov. VI, c. n tfSancimus itaque, ut si ecde-
siastica quasdam causa incidat, illa vel per eos qui negotia sanctissima-
rum ecclesiarum gerunt, quos apocrisiarios vocant, vel per clericos
quosdam hue missos vel per œconomos imperatori vel magistratibusnostris nota reddatur atque decidatur. x
Nous savons par !e Liber ~MnMM(éd. de Rozière, n° LX[t[, p. isù)
que les papes eurent aussi un apocrisiaire à Ravenne.
'7
JULES ROY.258
tychès, et il écrit à l'empereur Marcien pour lui faire agréer
Julien, tant comme son représentant permanent à la cour im-
périale que comme son délégué contre les hérétiques nou-
veaux. Dans d'autres instructions adressées a ce~meme Julien,
il lui est tout particulièrement recommandé de veiller à l'ob-
servation des ordres du pape en Orient et défaire exécuter l'
par l'empereur les décisions du Saint-Siège L'hérésie re-
naissait sans cesse dans tout l'Orient a cette époque, et un
envoyé qui avait la mission de la combattre pouvait facile-
ment intervenir dans l'administration de chaque diocèse, ainsi
que dans le règlement de chaque affaire ecclésiastique qui ar-
rivait au palais Impérial.Dès le v!" siècle, nous voyons un certain nombre d'apocri-
siaires romains se succéder à Constantinopler sous le pape
Agapet 1~, le diacre Pélage; sous Silvère, Vigile; sous Silvère
et Vigile, une seconde fois Pelage, qui assiste et souscrit
au concile tenu à Constantinople par le patriarche Menas, et
qui est ensuite délégué par l'empereur lui-même pour pro-
céder, avec plusieurs évéques, à la déposition de Paul, évêquc
d'Alexandrie~. Sous Pelage F* nous trouvons comme apocri-siaires les diacres Etienne, Laurent, Grégoire. Nous ne con-
naissons pas ceux que Jean HI et Benoît 1"' envoyèrent à
Constantinople, mais on dut continuer à en déléguer, puisque
le pape Grégoire I"' dit de celui qui avait été constitué parson
prédécesseur «onEM JUKTA MonEM AD VESTiciA DomnomiM
THANSM!SERAT,K et qu'il envoie lui-même Sabinien en SgS~.
Cependant Phocas, en arrivant au pouvoir, se plaint de ne
pas trouver d'apocrisiaire romain dans son palais; le pape lui
répond que, par suite des rigueurs du règne précédent, per-
sonne ne veut aller remplirces fonctions à Constantinople
Cf. Migne, loc. e:~Ieo):. ep. lia, n3, n5, it~, ti8.
Libérat (~. c. liv. I, c. xxm) rapporte ainsi ce fait
ffMisit imperator Pelagium diaconum et apocrisiarium prima: sedis
Homœ Antiocbiam cnm sacris suis, quibus pra'cepit at. cum Ephremio,
ejusdem urbis episcopo, etc. venirent Gazam etPaulo episcopo pa!!iumauferrent et eum depouerent.-n
Cf. Migne, op. cit. G~. ep. iib. V, 18; iib. 111,5~, 53.
f-Nam quod permanere in Palatio juxta antiquam coDsuetudinem
apostoticœ sedis diaconum Vestra Serenitas non invenit, non hoc meaî
negiigentiœ, sed g'ravissimse necessitatisfuit. B (CM~. iib. X!H,38.)
DES LÉGATS DE LA COUR DE ROME. 259
Il lui envoiecependant
le diacre Boniface(6o3).
Nous re-
trouvons ensuite, quoiqueà une assez longue distance l'un de
l'autre, les apocrisiaires Martin, Anastase, Constantin; celui-
ci envoyé à la sollicitation de Constantin Pogonat, restau-
rateur de la foi orthodoxe en Orient.'Le pape Léon H, quile
delégua, ne voulut point accorder unecomplète
satisfaction
àl'empereur,
et au lieu de la pleine légation qui avait été
demandéepour l'apocrisiaire romain, Léon ne lui donna
qu'unecommission ordinaire, c'est-à-dire qu'il fut chargé de
transmettre al'empereur
les vœux dupape,
decommuniquer
aupape
lesréponses
del'empereur,
et d'attendre, sur toute
affaire, la décision du Saint-Siège.Si l'on se
rappelle que
les Orientaux furent quelquefois assez habiles pour corrompre
les légats des papes, on ne sera point surpris que Léon II n'ait
pas conféré à sonapocrisiaire
lepouvoir
de décider toutes
choses en son nom.
La persécution des Iconoclastes ayant de nouveau sus-
pendules relations entre Rome et
Constantinople,les papes
cessèrent d'envoyer des apocrisiaires d~sle commencement du
vin" siècle 1.
Toutefois le rôle des envoyés de la cour de Rome n'était
pasfini dans cette partie du monde. Au ixe siècle, sous le
pontificatde Nicolas 1~, la
papautéfera un effort
pourressaisir
cet Orient, quine s'était jamais soumis franchement à sa juri-
diction, etquelques légats fort habilement dirigés contribue-
ront à rétablir son influence en Orient. Restauration bien
éphémèreLe siècle
qui en fut témoin devait voir se réveiller
tous les sujets de discussion qui s'étaient élevés entre les deux
Eglises depuisle concile de Chalcédoine, et se préparer la
rupturedéfinitive de Rome et de
Constantinople.
Plus heureux en Occident, les légats, permanents ou tem-
poraires,avaient contribué à rattacher à Rome tous les
peuples qui devaient jouer un rôle important dans l'histoire.
En les habituant insensiblement à reconnaîtrel'indépendance
de lapapauté,
sa haute suzeraineté, sa primauté absolue, ils
Baronius en cite encore un sous Constantin Copronyme, en y~3.Cf., sur les apocrisiaires ci-dessus nommés, Du Cange, G~oMNnKm,
verbo ~tpoen.tMfMM.
'7-
JULES ROY.260
avaient subordonné à la juridiction romaine les Eglises parti-
culières, les évéques et les archevêques, les métropolitainset les conciles, les rois eux-mêmes. Bien avant l'an mille, ils
avaient réussi à supprimer tout intermédiaire entre le pape et
les simples évéques, et à établir-dans les esprits l'idée que le
pape est le chef de l'Eglise universelle~, l'interprètede la foi,
et qu'il a en tout et partout la juridiction la-plus étendue.
Cette idée a pris corps; elle est formée et ne fera que se dé-
velopper, car elle trouvera dans les Légats-nés, les iVoMcesapos-
toliques, les Légats a latere de l'âge suivant, des propagateursaussi heureux qu'habiles qui lui donneront une force nou-
velle et un incomparable éclat.
Cette idée revient fréquemmentdans les
instructions qui sont adres-
sées auxlégats par les papes. Voir dans Migno, op. cit., la correspon-
dance de Léon I" Grégoire I" Nicolas I". -Voir aussi la correspondance
d'Hincmar, quicombattit si vaillamment
pour l'indépendance des métro-
politains, et ne parvint pasà la sauver.
LA LÉGENDE DE TRAJAN,
PAR GASTON PARIS
1
LA JUSTICE DE TRAJAN.
Dans deux textes, l'un du vm" siècle, l'autre du ixe, dont
nous examinerons plus tard l'origine et le rapport, mais qui
ont sans doute puisé ce qu'ils contiennent à une source com-
mune, qui était du vue siècle, nous lisons l'histoire suivante,
rapportéeà
Trajan. J'imprimeces deux textes en regard, en
laissant en blanc, dans chacun, desespaces correspondant aux
passages quel'autre a seul. Les auteurs de ces textes sont
pour nous, jusqu'à nouvel ordre, Paul (vnr' siècle) et Jean
(ixe siècle),tous deux diacres.
PAUL. JEAN.
Cum idem orbisprinceps
in ex-
peditionem circumvaitatus mili-
tum cuneis pergeret, ibidem ob-
viam habuit vetustissimam viduam,
simulque dolore ac paupertate
confectam, cujus lacrymis atquevocibus sic
compeUatur Princeps
piissime Trajane, ecce ii sunt
homines qui modo mihi unicum
filium, senectutis mea' scilicet ba-
culum et solatium, occiderunt,
meque cum eo volentes occidére,
dedignantur mihi pro eo etiam
aliquam rationem reddere.
Gui ille, festinato, ut resexige-
bat, pertransiens Cum rediero,
mquit, dicito mihi, et faciam tibi
Trajanoad imminentem belli
procinctum vehementissime festi-
nanti
viduaqus6dam
processit flebili-
ter
Filius meus innocens te regnante
peremptus est.
Obsecro ut quia eum mihi reddere
non vales sangninem ejus digneris
iegaiitervindicare.
Cumque Trajanus,
sisanusrevert.ereturaprse-
iio, hune se vindicaturumper
om-
GASTON PARIS.
omuem justitiam.Tune illa Do-
mine, inquit, et si tu non rcdie-
t'is, ego quidfaciam?
Ad quam vocem
substitit, et reos coram se adduci
fecit, neque,cum
snggereretura
cunetis accelerare negotnim, gres-
sum a loco movit, quousque (et.?)
viduas fiseo quod juridicissanctio-
mbns decretum est persoM pras~
cepit denique supplicationum pre-cibus et fletibus
superfacto suo
pœnitentes, visceraE clementia
tixus, non tantum potestate quam
precatu et lenitate vinctos pra'to-
rialibus catenis absolvit
niaresponderet, vîdua dixit Si
tu in prœ!io mortuus fueris, qmsmihi prœstabit? Trajanus respon-dit Ille
qui postnie
imperabit.Vidua dixït ht quid tibi
proderitsi alter mihijustitiam fecerri? Tra-
janus respondit Utique nihil. Et
vidua: Nonne, inquit, melius tibi
est ut tu mihi justitiam facias et
prohoc mercedem tuam acciplas,
quam~terihanc transmittas? Tum
Trajanus raf.ione~pariter et pietateeommotas
equo descendit, nec
ante discessit quam judicium vi-
duaepe!*
semet imminens profli-
garet.
Il est clair que ces deux récits ne dérivent pas l'un de
l'autre; mais lequel a le plus udèlement suivi l'original com-
mun ? II est difficile de le dire. Je suis porté à croire que pres-
que tout ce qui se trouve dans un seul des ~leux textes est
ajouté par le rédacteur respectif. Les additions semblent en
effet s'expliquer des deux parts par le désir, suivi d'ailleurs
d'un médiocre succès, d'embellir le récit. C'est_ainsi que Paul
ajoute à la douleur de la veuve, pour la rendre plus intéres-
sante, une extrême vieillesse et une cruelle pauvreté, ce quiamène plus tard la mention des dommages-intérêts que lui
paye le fisc. Le même auteur, voulant mettre en lumière la
c~KPKce de Trajan autant que sa justice, a ajouté le dénoue-
ment inutile et même ridicule de la grâce faite aux meurtriers.
Jean, de son côté, parait avoir fait au dialogue entre la
/M..&S. M<<. t. !I, p. 135. Cette dernière phrase est visiblement
attët'ée.
/)/t. 55..V~. t. 11, p. 15:
LA LÉGENDE DE TRAJAN. 263
veuve etTrajan
l'addition malheureuse où il estquestion
du
mérite et de la récompense de l'action du prince. Outre que
lespensées
de cegenre
sont toutes chrétiennes, etque
la con-
sidération qui décide ici Trajan affaiblit beaucoup la portée
de son action, il est sensible quecette addition diminue l'effet
du court et énergique dialogue qui précède. Un seul trait me
semble authentique, bien qu'il ne figure quedans Jean, c'est
la mention du cheval surlequel l'empereur
est monté et
duquelil descend
pourrendre justice à la veuve. On peut
donc croire que l'anecdote, tellequ'on
la racontait à Rome
au vt" siècle, était bornée aux traits suivants Trajan partait
pour une expédition militaire, quand une veuve l'arrêta et lui
demanda justice du meurtre de son fils. Je te ferai justice,
dit-Il, quand je reviendrai. Et si tu ne reviens pas?
Frappéde ces
paroles,il descendit de cheval et jugea lui-
même l'affaire." ~a
La version de Jean apassé
dansplusieurs
écrivainsposté-
rieurs nous la retrouvons, par exemple, avec de simples varia-
tions.de style, dans les Annales Majf/e~Mrg-e~es ( fin du xn" siè-
cle)dans la -SKMMKs
MYeJMMK<!Mm2 de l'Anglais John Brotnyard
('{' i&K)),et dans plusieurs
autresouvrages d'histoire et de
piété La version de Paul, bienque
la V~Greg'om
ou elle
se trouve ait été fort répandue, n'a pas eu le même succès.
Mais une troisième version, qui paraît composéeà l'aide de
l'une et de l'autre, a obtenu au contraire une vogue durable
<*tglorieuse. La voici telle
qu'ellese lit dans le Po~'cr~cMs de
Jean deSalisbury,
écrit eni i5q
Quuru [Trajarms] jam equum adscendisset ad bellum profecturus,vidua, s~)'e/MMMp~e!7/< miserabi!iter)ugenssibijustitiam neri petiit
Mot. Cet-m. &S.. t. XVI, p. 11 a..f, xlij, 8. La veuve, pour décider Trajan, lui cite EzéchieLEntre antres en abrégé dans Théodore Engetirnsen (1~2~), cité par
Massmann (A'SMercAroK/i-, Hi, ySi). Le récit versifié de Godet~pi de
VIterbe(éd. Pistorius, p. 36())parau,avoir iameme source,mais FatYleur,suivant son usage, y a fait quelques modifications, Il indique le lieu dela scène Po<:<Mapud 2Y&e?':mproperans ~MMh'<!M!< nrc!M, 0&M<t ~<<t<
t)~;M. Ces parotes offrent un remarquable rapport avec celles de Hugod'Eteria (voy. ci-dessous, p. ago, note).
Vny. Scbaarschrtndt, ~/M?M!ps&<re~&e)'?n!.s- p. i~X.
GASTON PARIS.26&
de his qui iiiium ejus, optimum et innocentissimum juvenem, injusteocciderant. Tu, inquit, Auguste, imperas, et ego tam atrocem injuriam
patior? Ego, ait ilIe, satisfaciam tibi quum rediero. Quid, inquitilla, si non redieris? Successor meus, ait Trajanus, satisfaciet tibi.
Et iUa Quid tibi proderit si alius bene fecerit? Tu mihi débiter es,secundum opéra tua mercedem recepturus. Fraus utique est noi!e red-
dere quod debetur. Successor tuus injuriam patientibus pro se tenebitur.Te non liberabit justitia aliena. Bene agetur cum successore tuo si libe-
raverit se ipsum. His verbis motus imperator descendit de equo et cau-
sam prœsentiaiiter examinavit et condigna satisfactione viduam conso-iatus est
Je pense que Jean de Salisbury est l'auteur de cette ver-
sion, qui se retrouve textuellement dans Hélinand (~ tsay),
reproduit par Vincent de Beauvais 2; il n'y a rien d'étonnant
à ce qu'Hélinand, simple compilateur, ait inséré dans sa mo-
saïque l'extrait qu'il avait fait du P'cra~eMs, tandis qu'il serait
tout à fait contraire aux habitudes de Jean de Salisbury d'avoir
copié un écrivain plus ancien sans modifier son style. L'auteur
du Policraticus parait, comme je l'ai dit, avoir eu sous les yeuxles deux versions anciennes il a emprunté à Paul le nombre
pluriel des meurtriers, les expressions <jfMHMtrediero (dans Jean
.M sanus repe~ere<Mr) et si K&Kredieris (dans Jean sttM!'K~f~:o'
mo~MM~/MerM); il a pris à Jean l'épithète d'innocent donnée au
fils, l'amplification du dialogue (qu'il a lui-même varié et
allongé en partie, bien qu'en supprimant la réplique de Tra-
jan utique nihil), et enfin la mention du cheval. Il a ajoutéde son chef, outre les réflexions insérées dans le dialogue, un
détail pittoresque la veuve arrête l'empereur à cheval en le
saisissant par le pied.L'auteur du poème français sur Girart de Roussillon, écrit
entre i33o et t3A8, qui a pris pour base la légende latine
composée au xf siècle et a consulté aussi l'ancienne chanson
de geste provençale, a inséré dans son œuvre, plus ou moins
à propos, un certain nombre de récits, d'exemples, qui ont été
étudiés et ramenés à leur source par M. Reinhold Kôhler~
Po~-a< V, 8.
Et par bien d'autres, notamment par l'auteur du DM&~s e~a<<t-
tWMK (n° 68), par Arnoid Geilhoven de Rotterdam (~ i~a) dans son
CMO~(Moë<<M(Bruxei[es,1476, I, xvt, a).
y<t)'&!<e/t~2r?'omt:HMcAeZ!M)' XIV, i63.
LA LÉGENDE DE TRAJAN. 265
l'un de cesexemples
est celui de la justice deTrajan, traduit
fidèlement sur le texte d'Hélinand, c'est-à-dire de Jean de Sa-
lisbury, que l'auteur avait lu dans Vincent de Beauvais.
C'est sans doute directement du Po&cf~tCMsque notre récit
avait passé dans unecompilation
latinequi
ne s'estpas
en-
core retrouvée, mais dont nouspossédons
une traduction ita-
lienne, intitulée NonJt~/oso~ et attribuée sans motifs suffi-
sants à Brunetto Latino 1. L'auteur, qui écrivait certainement
au xiii'' siècle, a traduit exactement sonoriginal, ajoutant seule-
mentquelques mots à la seconde réplique de la veuve.
Trajanlui dit K E s' io non
reggio,e ti soddisfarà il successore mio. n
Ellerépond K.Em come il so ? E pognamo eA' elli
Io faccia,a te
che fia se quell' altro farà bene? A la fin aussi, le traducteur
italien(ou peut-être déjà le compilateur latin qu'il tradui-
sait) a cru devoir ajouter ~E poscia salio a cavallo, e ando
allabattaglia
e sconfisse llnimici~. Le récit des Fioridifilosofi
a servi de base à la 60° des Cento ~Vo~eMc<:M~'cAe~, où le styleseul a été changé, rendu
plus populaireet
plus vif. Comme
dans lepremier récit, on lit à la fin de celui-ci ~E
poica-
valco e sconfisse i suoi nemiéi, cequi
met hors de doute
la dépendance de ces deux textes l'un de l'autre~ le texte
des Cento lyovelle s'éloignant sensiblementplus du latin, il est
sûr, cequi
était d'ailleurs probable a~non', quele
rapport est
telque je l'ai indiqué, et non inverse 5.
Voy. sur ce point Th. Sundby, Brunetto Latinos ZeMM< og- Slcrifter
(Copenh., i86g), p. 5~, et A. d'Ancona, Romania, 11, &o3.
La même addition se remarque dans le récit latin qui sert d'inscrip-tion à la tapisserie de Berne, dont il sera parle .pins loin; mais cette ins-
cription comprend en outre ia mention de la Perse comme lieu de ['expé-dition projetée, et des détails sur la mort et la sépulture de Trajan qui
prouvent qu'elle a emprunté sa conclusion à une des nombreuses compi-lations historiques qui, au moyen âge, reproduisent ces renseignementssur Trajan.
Voyez le texte dans Nannucci, AfaMMa/edella letteratura del primosecolo (a'' edizione, i858), p. 3i5. Le même recueil contient,p.76, la
version du ~Vo!)e/&'Ko.-Voy. A. d'Ancona, dans la .RoMMMM,III, i~g.Cette ressemblance a déjà été remarquée, et M. Bartoli (I primi ~:<ese-
coli della &Mefo<MY<t<<:&'stM~MUano, i873,p.a()3)a reconnu, que c'étaitfe Novellirao qui avait imité les Fiori et non t'inverse la comparaison du
latin met le fait hors de doute.fi
M. A. d'Ancona (R<WMM:'M, /.) a établi que le ~op~&'Mo a été écrit,
GASTON PARIS.266
Mais le récit des jRo~oso~ mérite surtout l'attention
parce qu'il a certainement inspiré les vers célèbres où Dante
a son tour a raconté l'histoire de Trajan et de la veuve. Tout
le monde les connaît, et cependant je ne puis les omettre. On
y retrouve textuellement une phrase des Fiori que j'ai citée
plus haut «A te che fia se queIT altro fara bene?~, ce quine laisse aucun doute sur la source où Dante a puisée On sait
que c'est dans le Purgatoire, surunmurd'enceiate,quelepoete
voit, sculptée d'une main divine, cette histoire avec d'autres~.
L'ouvrier céleste avait employé un art plus merveilleux encore
que celui d'Hephaistos les figures sculptées parlaient, et on
comprenaitleurs paroles. C'est ce qui explique comment le
poète put voir et entendre le dialogue entre Trajan et la femme
qui l'implorait
QuivierastQrtatai'altagloria
Del roman prince.
Io dico di Traianoimperatore
Edutiavedove)!ag'!Le['aatft'euo\Di !agrime atte~giata e di dolore
Dintoruo a lui Parea calcato e pieno
Di cavalieri, e l'aquile neH' oro
Sovr' essi in vista at vente si movieno.
Lamisereitaintratutttcostoro
Parea dicor Signor,fammi vendetta
De) mio fig)inol ch' è morto, ond' io m' accoro.
sans doute par un seul auteur qui puisait à des sources diverses, dans
les dernières années du xm° siècle.
Cette remarque a déjà été faite par Nannucci elle est décisive.
Un autre trait aurait pu porter a croire que Dante avait suivi le Novel-
~M tandis que les Fiori portent tquando io rcddiro. c se tu non
riedi," le iVoop~'Mo dit, comme Dante, ~quando io tornero.se tu
non terni; mais iln'y a ia qu'une coïncidence facilement
explicable,tandis
quecelle qui existe entre les Fiori et la CoMM.M~'<ï_ne peut guère
t~tre due au hasard.
Toutes ces histoires sont données comme desexemptes
d'/MMH&&
En effet, l'aetion de Trajan, surtout dans sa formeprimitive, était moins
remarquable comme trait de justice que de simplicité et de bonté fomi-
)ière l'empereurse laissait faire la leçon par une femmc:_du peuple.
Dante a substitué cette attitude, plus noble, au geste qu'avaitima-
giné Jean de Saiisbury.
"Pians'cndo mo!to teneramente,* (tisfnt. les J'*M)'t. Ce trait estsup-
primé dansles Ceo/o /Vo!'e~.
`
LA LÉGENDE DE TRAJAN. 267
Edeg'ti a lei rispondere Ora aspetta
Tanto eh' io torni. Equeiia Signer
mio
(Come personain cui dotor s* auretta),
Se tu non torni? Ed et Chi fia dov' io
La ti farà. Ed ella L' aitrai bene
A te che fia, se il tuo metti in obblio?
Ond' egli Or ti conforta, che conviene
C!t' io solva il mio dovere anzi ch' io muova
Giustizia vuole, e pietà mi ritiene
Dante n'a rien ajouté au récitqu'il
avait lu il l'a au contraire
abrégéet Fa d'ailleurs
reproduit fidèlement et simplement; mais
parla seule force du style, par
le choix des mots, par la sévère
allure des vers, il l'a transformé et idéalise. Ce qu'il a fait de
plus heureux a été de changer le récit en tableau le lecteur
voit, parles
yeuxdu
poète, Trajanà cheval, la vedovella le sai-
sissant parle frein, et cet incomparable ondoiement de che-
vaux, d'armes et d'or qu'il a fait, en trois vers, resplendir dans
le ventqui l'agite.
Ungrand peintre
moderne a voulu rendre
a son tour ce qu'il avait ainsi vu, et dans le beau tableauqui
fait l'honneur du musée de Rouen, le génie de Delacroix a
osé se mesurer avec celui de Dante. Au reste, c'est ici le cas
deparler de ces Rmalentendus féconds~ dont un éminent cri-
tique a si nnementindiqué l'importance
dans l'histoire de la
pensée humaine. Dante sereprésentait
les aigles romaines
comme des figures brodées sur des étendards d'or-, ainsique
celles del'empire romain de son temps. De la le beau vers
quinous les montre «se mouvant au vent M. C'est cet or mobile et
étincelant qui a fasciné, comme un éclair, l'imagination du
peintre français; mais cequ'il
a dû mettre sur son tableau est
tout autre chose quece
qu'avait penséle
poète florentin ses
Ces dernières paroles ont une ressemblance qui semble difficilement
pouvoir être fortuite avec celles du diacre Jean ratione pariter et pietatecomMM<!M.H est donc probable que Dante a eu sous les yeux le texte latin
de Jean avec le texte italien des Fiori.
C'est ainsi qu'elles sont représentées sm' la tapisserie de Berne,dont je vais parler on porte derrière Trajan de grandes bannières où
sont brodées des aigles à deux têtes. Les anciens commentateurs de Dante
expliquent ses paroles de même; il s'agit, dit par exemple Fr. da Buti.
d'~aquite nere net cafnpo ad oro, corne è la insegna (lel rumano imperio.~ -1
Aussi la [eçon tM/ M'oest-elle prefërabte'a la correction mafadroite ~e/foro.
GASTON PARIS.268
aiglesd'or se dressent hautaines et immobiles, et les bannières
qu'agitele souille du vent ne sont là
que parsouvenir et ne
répondentà rien de
précis
Delacroix n'estpas
lepremier qui
aitreprésenté
avec le
pinceaule
sujetdes vers de Dante, mais ses
prédécesseurs
avaientpuisé
directement aux sources latines. On conserve à
Berne, parmiles
dépouillesde Charles le Téméraire, une
grande tapisserie représentantdeux
exemplesde justice sé-
vère, visiblementapprouvés par Dieu; l'un d'eux~ est
emprunté
à notre histoire, que l'artiste, pouratteindre son but, a com-
plétée parune seconde scène, représentant
l'exécution du
meurtrier. M. Pinchart et, plus récemment, M. KInkel~
ont démontréque
cettetapisserie,
dont Jubinal a donné une
gravure,est la
reproductiondes célèbres
peinturesdont
Roger dele Pasture
(quenous avons tort
d'appeleravec les
Flamands Van derWeyden, puisqu'il
était de-langue
wal-
lone)avait décoré la salle des jugements de l'hôtel de
ville de Bruxelles. Au bas de lapeinture
on lisait et on lit
au bas de latapisserie l'exposition
en latin dusujet repré-
senté. Cette version, dontj'ai parlé plus
haut en note, se
rattache à celle de Jean deSalisbury.
M. Kinkel a suivi,
dans un travail fort intéressant, toute la série de ces tableaux
Le tableau de Delacroix est d'ailleurs bien différent de celui que se
représentait Dante il est aussi mouvementé que l'autre était serein. La
veuve a jeté le cadavre de sonpetit
enfant (la tradition en faisait un
jeune homme) devant les pieds du cheval del'empereur, qui se cabre
Trajan regardela mère, plus emportée qu'éplorée, avec une sorte d'effroi.
L'autre est une histoire tirée de Césaire d'Heisterbach et dont le
héros, comme l'a tort bien reconnu M. Kinkel, est un Archambaud de
Bourbon. Césaire, qui écrivait vers iaa5, dit l'événement arrivé deux
ans avant il ne peut doncs'appliquer
ni à Archambaud VII, mort à la
troisième croisade, ni à Archambaud VIII, mort vers iaùa. Au reste,
l'authenticité en est plus que contestable; aucun historien-français n'en
dit mot. Jeremarque
enpassant que
la Mm'a~e <~MKempereur quitua
~OK~epMBM qui avoit ~rMM M:e~& à force (A:e. TAf~&'e/ t. III, n° 53)
n'est autre chose que cette histoirerapportée
àun empereur romain.
Bull. de ~c<tf/. ?-oy. de jB~~KC, a" série, t. XVII (i86&), n" i.
Le mémoire de M. Pinchait, qui soutient, à i'aide des mêmes arguments,la thèse
qu'adéfendue
depuisM. Kinkei, est resté inconnu à celui-ci.
-Fen dois ia connaissance àl'obligeante
érudition de M.Eugène
Mûntz.
.4:f«Mt:& ::<r A'M)M~esc/M'c&<e,'Berhn, 1876, p. 3oa ss.
LA LÉGENDE DE TRAJAN. 269
de justice, dont il fut de mode, dans l'Allemagne occidentale
et les Pays-Bas, vers la fin du xv° et le commencement du xvi°
siècle, de décorer les salles où l'on rendait les jugements. Il
faut ajouterà sa liste la
peinture qui, d'aprèsla
Chroniquede
Cologne, ornait l'hôtel de ville de Cologne et représentait,
comme celle de Bruxelles, la justice deTrajan
et la récom-
pense qu'ilen reçut. Cette
chroniquea été rédigée dans la
seconde moitié du xv° siècle il n'ya donc aucune raison pour
attribuer auxpeintures
de Cologne l'antériorité sur celles de
Bruxelles et pour contester l'opinion de M. Kinkel, qui regarde
le travail de Roger de le Pasture comme ayant été lepoint
dedépart
de tout ce mouvement Roger l'exécuta sans doute
entre i43o et i Mo.
En se transmettant de procheen
proche,souvent orale-
ment, la légende ne se maintintpas toujours dans sa
simplicité
primitive.Dans un
poème allemand qui remonte environ au
milieu du xif siècle, laCAroKMMeJes~m~ereMfs~
nous trouvons
le récit augmenté d'un dénouement l'auteur de cette version,
comme jadis Paul, a trouvé quele jugement rendu
parl'em-
pereurdevait être raconté en détail, mais il a suivi une idée
toute différente, etplus
raisonnable. On recherche et on trouve
le meurtrier du jeune homme; il se défend unprocès
com-
pliqué s'engage; mais finalement justice est faite, le meurtrier
estdécapité
et l'empereur fait envoyer sa tête à la veuve, quile comble de
louanges et de bénédictions~.
Mais, à uneépoque qu'il
ne m'estpas possible
depréciser,
l'anecdotequi
nousoccupe reçut une modification bien autre-
mentimportante, qui la fit
passer tout à fait dans le domaine
du roman. Onsupposa que
le meurtrier du fils de la veuve
était le fils même del'empereur,
etque
cela n'arrêtait pas sa
justice. Il a dû exister une forme où il le faisait réellement
périr, formequi
se greffait naturellement sur celle dont la
La Chronique de ~ep~on~ citée par Massmann, ~a~efcAf. III, 7 5 3,n'a guère fait, ici comme ailleurs, que suivre et abréger la ~aM~c/tfo~.
2La source de ia ~MMre/tfOKt/f devait beaucoup ressembler à la lé-
gende de la tapisserie de Berne. Elle se terminait, comme elle, par des
renseignements empruntés aux compilations historiques authentiques.Seulement le poète allemand, suivant son usage de tout ramener au style
contemporain, appelle /Von/M<M~iesennemis que Trajan allait combattre.
GASTON PARIS.370
ÂaMCfc/;?'o)MAreprésente
une version sans douteamplifiée;
mais elle ne nous estpas parvenue
nous en trouvons seulement
la trace enEspagne,
dans ces vers de la romance n° n sur
V.ddovinos
Acuerdate de TrajanoEn iajusticia guai'dare,
Que no de sincastigo
Su unico hijo carnale
Aunque perdond la parte,Ei no quiso perdonare'.
Ainsi la veuve elle-même demandait àl'empereur,
dans cette
version, de nepas punir
son fils de mort, et il refusait d'a-
doucirlapeine, pour
nepas manquer
à la justice.Dans une variante de ce récit
quiest certainement fort an-
cienne, etque
nous trouvons d'abord dansdiverses chroniques
allemandes~, l'empereurse rend, au contraire, aux
prières
de la veuve celle-ci, en effet, quandil a condamné son fils a
mort, déclareque
ce n'estpas pour
elle uneréparation,
et
demandequ'au
lieu de le tuer on le lui donne enéchange
de
celui dont il l'aprivée. L'empereur hésite, ne trouvant
pas
lapeine
assez forte, mais ses conseillersl'engagent
à céder
il donne alors son fils à la veuve, àcondition qu'il remplisse
envers elle tous tes devoirs d'un fils et d'un serviteur~. Encore
ici, on a cru embellir le récit, en mêlant dans la sentence de
l'empereurla
justice,le sens
pratique (compensation pourla
veuve)et la tendresse
paternelle.C'est la mémo histoire
que
rapportenten
généralles anciens commentateurs de Dante,
Sur ces romances et ce personnage, voy. ~M<. ~oet. deCA(t)'?Mg'HCj
p. a 10.
Duran, ~oMnncero~'eHcr~,t. {, p. ai 3.
La chronique rhnée du Viennois Jansen EnenM (vers 1250), ia
chroniqueen
prose du Strasbourgeois Jacob Twinger deKonigshoien
(fin du xtv° siècle), et la traduction allemande (xtv° siècle) des .~M:<~M
Co/oHt'MMs NMHtm: ( vers ia~o).Pour les citations, je renvoie hàlassminn,
A~K'.sM'c/t)'<MK~ t. iM. Hermann de Fritziar, dans sa Vie des SsM~(vers
i35o), rapporte aussi, mais très-brièvement, les mêmesfaits(\oy.
Mass-
mann, /.).
Konigshofenet la
chronique deCologne
disentque l'empereur
le lui
donnapour mari; mais c'est sans doute une confusion causée par les deux
sens du mot m~t.
LA LÉGENDE DE TRAJAN. 271
qui semblent, en la racontant, croireque
Dante- aussi la
connaissait sous cette formel Un résumé de cette version, qui
est caractérisée dès le débutpar
la circonstanceque
le fils de
l'empereura tué l'autre non méchamment, mais
par impru-
dence, en lançant tropinconsidérément son cheval, qui
l'a
écrase, se trouve dans la~eg'eMja aurea, compilée,
comme on
sait, par l'archevêquede Gènes, Jacques deVaraggio (')' i a~8).
Jacquesdonne d'abord la forme ancienne, dans un texte
qui
reproduità
peu prèscelui de Jean, puis
ilajoute
notre va-
riante comme une aventure distincte
Ferturquoque quod
cum quidam filius Trajani per urbem equitando
nimis lascive discurreret, filium cujusdamviduœ interemit; quod
cum
viduaTrajano
lacrimabiliter exponeret, ipsefiiium suum
quihoc fecerat
viduae loco niiisui defnneti tradidit, etmagnifice ipsam dotavit~.
Le même doubleemploi
se retrouve dans JohnBromyard,
quenous avons cité
plushaut
parmiceux
qui reproduisent
le récit de Jean; seulement, au lieude placer
la varianteaprès
le récitprimitif,
comme laLégende dorée, il la donne avant
Scribiturquod [Trajanus]
tantam in suis justitiam exercuit, quodfi-
Humproprium
ad'serviendum cuidam vidua' tradidit, quiafilius suus
indiscrete equitando viduas filium impotentem pro matris servitio fecerat'\
Cette version, quia fourni le
sujetd'un conte de Hans
Sachs 4, a sûrement aussi existé en français: ily
est fait allu-
Voy. le texte de Jacopo della Lana dans l'édition de son Commentaire
publiéeà
Bologneen 1866, et dans Zambrini, Lib,'o di A'bue& antiche
(Bologna, 1868), n° xnx. La même histoire se lit dans le Commentaire
anonymedu xiv° siècle qu'a pubtié
M. Fanfani (Boiogna, Romagnoli,
i86<), t. H, p. 176). Voyez aussi Fr. da Buti, éd. Giannini, Pisa, t. If,
p. s3/t.2
~eg-. <!Mr., ed. Grasse, Leipzig, 18~6, p. i()6. On est étonné, en
présence de ces deux versions et des réflexionsthéologiques qui les
accompagnent,de lire dans l'Histoire de la ville de Rome de M.
Grego-rovius (a" éd.
p. 87) ~Le livre de Jacques deVoragine,
chose remar-
quable,n'a pas
admis cettelégende."
Une formeégalement très-
abrëg'éede ce récit se trouve dans Gritsch, ()!M<&*ag'MMM/6, xxxii, S.
Onpourrait
croire que Bromyard fait allusion à un récit où le
jeune homme était seulement blessé; mais ce n'est sans doute làqu'une
négiigence d'expression.Hans Sachs, ~rmf~'eg'e&en von von Keller
(Stuttgart, 1870).
GASTON PARIS.272 9
slon dans les vers suivants de la M)r< oM /K's<oH'e }'oMMM?pJ'MHe
j~mme ~Mtapott t'OM~M ~a/iï'r cité Je ~ome; l'un des
jasesdit à
l'autre:
Valerius, chose piteuseSi
peult en pitié moderer.
N'avez vous pas ouy compter
Que Trajan jugea son enfant
A mort, puisle voult
repiter (cf~. répéter)?C'estoit empereur triomphant.
Ha! ce fut ung cas suffisant
Et qui estoit de noble arroy.
H enacquist renom bruyant
Et si tint justice en son ptoy
Cette version, qui figureà la fois, comme nous l'avons vu,
dans deschroniques
allemandes de lapremière moitié du
xnr' siècle, dans laLégende Jor~ et dans des textes italiens du
xtv° siècle, s'est en outre introduite, sans doutepar
transmis-
sion orale, dans la rédactioninterpolée,
faite au xiv° siècle,
du livre curieux, certainement antérieur au xn° siècle dans sa
formeprimitive, qui,
sous le nom de Ma'a~M: jRoNMf;, a servi,
pendanttout le
moyen âge,de
guideaux
pèlerinset aux tou-
ristesqui
visitaient Rome. L'altération du réclt_ est sensible
dès lespremières lignes,
oùl'empereur (le
nom deTrajan
a
disparu)est
représentésur son char et non à cheval; on la
remarqueaussi dans l'abréviation du
dialogue, quise trouve
fortuitement réduit ici, àpeu près,
à cequ'il
était dans le récit
primitif.Voici ce texte
Cum esset imperator paratusin curru ad eundum extra pugnaturus,
quœdam paupercuiavidua
pt'ociditante pedes ejus, plorans et ctamans:
Domine, antequam vadas mihi facias rationem. Cul eum promisisset. in
reditu facere plenissimum jus,dixit i))a Forsitan morieris prius. Impe-
rator hoc considerans pra:si!iit de curru ibique posuitconsistorium.
t. II, p. 3y8. Le récit de Hans Sachs est fort maladroit la veuve de-
mande dès l'abord justice à l'empereur eo)!<)'e MK~, ce qui rend absurde
le dialogue quisuit. Il le lui donne CM
g'a~ jusqu'à ce-qu'il revienne;
la veuve t'accepte volontiers, et on ne raconte pas ensuite que Trajan soit
revenu ni qu'il ait fait justice. Hans Sachs a écrit cette faible pièce le
t3septembre
i553. H ne dit rien de la libération de l'âme de Trajan.~nciM Théâtre /?WK'<K~ p. p. Vio)!ct-)e-Duc, t. III, p. 178.
LA LÉGENDE DE TRAJAN. 273
Muuer inquit: Habebam unicum filinm, qui interfectus esta quodam
juvene. Ad banc vocem sententiavit imperator Moriatur, inquit, homi-
cida et non vivat. Morietur ergo filius tuus, qui ludens cum filio
occidit ipsum*. Qui cum duceretur ad mortem, mufier ingemuit voce
magna: Reddatur mihi iste moriturus in loco niii mei, et sic erit mihi
recompensatio alioquin nunquam me fatear plénum jus accepisse. Quod
et factum est, et ditata nimium abimperatore recessit 2.
C'est sans doute aussipar
la tradition orale, maispropagée
bien entendu dans lalangue
des clercs, quenotre histoire,
toujourssous cette forme
particulière,est venue à la con-
naissance de Jean, moine de Haute-Seille en Lorraine, qui
écrivait dans les dernières années du xu° siècle son curieux
roman deDolopathos.
Le nom deTrajan manque
dans son
récit; mais, comme la scène duDolopathos
estplacée
autemps
d'Auguste,il était
obligéde le
supprimer,même s'il le trouvait
dans sa source ils'agit simplement
de rexquidam
.~OMMMorMM:.
Ledialogue
est àpeu près
exactementpareil,
sauf les termes,
à celuique
donne le diacre Jean 3, d'ou il suitque
notre
groupede versions se rattache directement au texte de cet
auteur et n'apoint passé par
la rédaction de Jean de Salis-
bury.Nous ne nous
tromperonssans doute
pasde
beaucoupen
enplaçant
la rédaction vers le milieu du xn" siècle. Jean
de Haute-Seille, suivant sonusage4,
a cru devoir remanier
le contequ'il
voulait insérer dans son œuvre il apuérilement
ajouté pourla veuve, a la perte de son fils
unique,la
perte
de sonunique poule il a
transportéla scène hors de Rome,
pourrendre l'action de
l'empereur plus étonnante, en le fai-
sant non-seulement s'arrêter, mais revenir à la villepour
rendre
Dans toutes les autres dérivations de la source commune de ces ré-
cits, lé fils de J'empereureef<Me celui de la veuve c'est encore ici une
altération.
Voy. Urlichs, Codex <opograpAMtMM'&MjRoMM~ p. iBg.
Comme dans ce texte. la veuve demande àTrajan quelle récompense
il recevra du bien accompli parson successeur, et il
répond ~Aucune."
Cette réplique,comme nous l'avons vu plus haut, a été
supprimée parJean de Salisbury.
Surfœavre et les procédés littéraires de Jean de Hatite-Seille, voy.
Romania, If, ù8i ss.
Sur une addition du même genre,mais encore p~s ridicule, faite
par Jean à un autre conte, voy. Romania,
~8
GASTONPARIS.27&
justice; enfin il a donné à la mort du jeune liomm<y un motif
nouveau, qui prête au récit, à l'insu de l'auteur, un caractère
tout à fait t?:oye~ ag'e. Voici ce conte, traduit sur le~texte iatinKUn roi des Romains marchait un jour avec son armée contre
les ennemis, qui avaient envahi la plus grande~partic de son
royaume. 1) traversa un villageoù habitait, avec spn fils unique,dans une maisonnette, une pauvre veuve, qui de tous les biens
de la terre ne possédait qu'une poule. Comme l'armée passait
devant sa porte, le fils du roi, qui, suivant l'usage des jeunes
nobles de son âge, portait sur son poing un épervier, le jetasur la poule de la veuve, et l'épervier l'eut bientôt broyée sousses ongles recourbés le fils de la veuve, accourant au secours,
frappa l'oiseau de proie de son bâton et le tua raide. Le fils
du roi entra dans une violente fureur, et.pourvengersonéper-
vier, il perça de son épée le-fils de la veuve. -La voilà donc
privée de son fils unique et dépouillée du seul bien qu'elle
possédait. Que faire? Elle courut après le roi, l'atteignit, et
avec force larmes et sanglots, elle lui demanda-de venger son
filsinjustement tué. Le roi, dont le cœurdtaitbon et pitoyable,
s'arrêta un instant, et dit doucement à la vieille d'attendre
qu'il fût revenu de la guerre: Alors, dit-il, je vengerai vo-
lontiers ton fils. Mais la veuve: Et si tu es tué dans cette
guerre, qui le vengera? -Je te renvoie, dit-il, à celui quime succédera. -Et quelle récompense en recevras-tu, dit-elle,
si un autre venge celui qui a été tuésous ton règne?–Aucune.Fais donc toi-même ce que tu aurais laissé à un autre,
pour mériter la reconnaissance des hommes etja. récompensedes dieux. Le roi, touché de ce discours, différa son départ et
revint a la ville. Mais quand il sut que c'était son fils qui était
le meurtrier: Je pense, dit-il à la mère, que ta poule .est
suffisamment payée par l'épervier. Quant à ton fils, pour te
D faut remarquer que cette histoire est racontée pour engager le roih ne pas taire périr son fils accusé, mais à tenir compte la fois, comme
le fit Trajan, de la justice et de l'amour paternel. C'est, dans une inten-
tion semblable qu'elle est rapportée (ainsi que celle de Zaïencus) dans
la Morale dont j'ai donné les vers plus haut. Ainsi l'esprit qui avait ins-
piré cette forme particulière de l'histoire s'en était presque tout à fait
éloigné, depuis qu'on avait représenté l'empereur cédant aux prières de
la veuve et faisant grâce à son fils de la peine capitate.
LA LÉGENDE DE TRAJAN. 275
)8.
donner satisfaction, je te laisse le choix entre deux choses ou
je mettrai mon fils à mort, ou, si tupréfères qu'il vive, je te le
donnerai au lieu du mort, pour t'honorer comme mère, t'adorer
comme reine, te craindre comme maîtresse ette servirjusqu'à la
fin de tes jours. Tu décideras. Elle, considérantqu'il
lui valait
mieuxprendre
le secondparti, reçut le jeune homme commefils;
elle quittasa cabane
pourun
palais;elle changea ses pauvres
habits pour des robes de pourpre. Quant au roi, aprèsavoir
fait justice, il marcha contre ses ennemis~.
Cette version a subi en Allemagne une nouvelle et curieuse
déviation. Déjà dans les contesque
nous venons de parcourir,
l'espritdu récit
primitifétait
singulièrement changé le juge-ment, qui,
à l'origine, était seulement indiqué, avaitpris
l'im-
portance prépondérante:le merveilleux n'était plus qu'un em-
pereur, pourrendre justice à une pauvre femme, s'arrêtât avec
toute son armée déjà en marche, mais bienqu'un
souverain
condamnât à mort sonpropre
filscoupable
de meurtre. Dès
lors, la première partie pouvait et devait tomber; la seconde
étaitexposée
à se confondre avec des récitsanalogues.
Ce fut
cequi
arriva d'après Enenkel, le fils de Trajan avait, non
pas tué le fils de la veuve, mais déshonoré sa fille; l'empereur
le condamna à mort; en vain la veuve demanda sagrâce, en
vain les conseillers du prince se joignirent à elle «Rien ne
doit porter atteinte, dit-il, à maréputation
de justice. Mais
un homme aveuglé ne peut être mis à mort; je consens à ce
quemon fils soit seulement privé de la vue. II
ajoutaensuite
«Mon fils et moi ne faisons qu'une chair; puisque lecoupable
doit perdre deuxyeux,
il estpermis
departager
lapeine entre
nous. H Et, ayant fait crever un œil à son fils, il s'infligea le
même supplice.-Ona
depuis longtemps reconnu la confusion
quis'est introduite dans ce récit Enenkel a mêlé avec l'his-
toire de Trajan etde la veuve celledeZaieucus.Ielégislateurdes
Locricns, qui, ayant porté contre l'adultère lapeine
de l'aveu-
glement, ne voulut pas, malgré lesprières
dupeuple, y sous-
Z)o/oj)M</MM,éd. Oesterley, p. 6a. La traduction de Herbert ( Li~o-
Ma~~e Do/o~/t(M., éd. Brunet et de Montaig-ion, v. ~68 a-ySSo) n'ajouteni ne change rien d'essentiel au récit original.
Massmann, A7;Me~/t)-otK~ !H, y 5 5.
GASTON PARIS.276 6
traire son fils, mais consentit à la diminuer en-lapartageant
t
avec lui'. Uncompilateur qui
avait sousles yeux
le récit
d'Enenkel et le texte de la ~H'sercAfOM:~ 2 a résumé le'premier
avant derapporter
le seconde
Parmi les traitsplus
ou moins semblables a cjeluiqu'on
at-
tribue àTrajan qui
se retrouvent dans différentes littératures
il en estplus
d'un sans doutequi
apour
source l'histoire
même quinous
occupe;mais l'étude de ce
pointnous en-
traîneraittrop
loin de notresujet,
sans nous fournir de ré-
sultatsvraiment dignes
d'attention
Voyez, sur les différents auteurs qui ont rapporté cette histoire, la
note de M. Oesterley sur le n° 5o des Gesta jRo.M!<M:o)'uM.
C'est Fauteur du ms. de Gotha (xiv* s.)de la
chronique de Repgow
fTrajânus was en sô reht rihtére dat he durch dat relit cme se!vcn ên
6ge ut brac, und smeme sone en~ (Massmann, ~aMereAf. HI, 755).
Le rapprochement des histoires de Trajan et de Zaïeucus s'est fait
plus d'unefois la M<M'aK<e citée
plushaut mentionne ie second immé-
diatement après le premier.On
représentait volontiers, dans les saUes de
jugement, Faction dulégislateur
locrien comme celle de l'empereur ro-
main de là la singulière confusion de Van Mander, qui, dëcrHfant les
peintures de Roger de le Pasture à Bruxelles, substitue rune à l'autre, et
prétend qu'on voit tfunpère et son 61s, auxquels
on crève un oeil))(Pin-
chart, p. 10; Kinkel, p. 3~t6).
Massmann cite une anecdote rapportée par Nicéphore Hcraclius,
une autre attribuée au comte Lédéric de Flandre, une autre dont on fait
honneur à un grand vizir. Sur l'anecdote relative à Saladin, indiquée par
A
Nannucci, ManMa~, t. l, p. 76, voy. ci-dessous, p, a88, note 3.
L'histoire de Basanus et de son fils, racontée par Trithème dans le faux
Hunibald, est certainement unesimple
imitation de celles de Trajanet
de Zaleucus.°
Massmann comprend (et M. Oesterley après lui) parmi les variantes
(te notre histoire celle quifait le sujet du n* 3og du Ltb'o los
J?M;cm~os/ mais ily a là une confusion manifeste cette histoire, est ceHe
que Godefroi de Viterbe et d'autres auteurs cités par Massmann iui-même
(jE~aMercA)' t. III, p. io84) attribuent à Otton 111, etqui n'a que très-
peu de rapport avec la nôtre. Cette histoire a aussi ét~ peinte dans des
salles de justice (voy. Kinkel, p. 33o). Une autre anecdote dont
Otton IH est le héros(Grimm,
DeM~cAe S<!g'e; n'* ~78) commence
comme la nûtre, mais a un développement tout différent.
LA LÉGENDE DE TRAJAN. 277
II
TRAJAN ET SAINT GREGOIRE.
Revenons au récit leplus simple
et leplus
ancien. Il ne
nous estparvenu qu'enveloppé
dans une autre légende. On
raconte quele
papesaint Grégoire le Grand
(5go-6oA),en
se rappelant l'acte de justice deTrajan,
fut saisi d'unepro-
fonde douleur à lapensée qu'un homme si vertueux était
damné, 11pleura
etpria longtemps pour lui, et une voix d'en
haut lui annonça, dans une vision, que Dieu avait exaucé sa
prière pour Trajan,mais
qu'ilse
gardâtbien désormais de
prier pourd'autres
que pourdes chrétiens. Ce sont les bio-
graphes de Grégoire qui, en nous racontant cette histoire,
nous font connaître le trait de la vie de Trajan qui avait tant
ému lepape.
Nous possédons, en comptant celle de Bède, trois vies de
saint Grégoire qui ont toutespour
source principale une K lé-
gende composée,sans doute peu
detemps après sa mort,
pour l'usagedes Eglises anglo-saxonnes, qui
lui devaient leur
existence. Cette légende est perdue elle a été d'abord utilisée
par Bède(y 3 5), qui
a inséré dans son ~îstona ecc~MM&ea
Anglorum une véritable biographie de saint Grégoire; l'ouvrage
de Bède a fourni le fond de la Vie rédigée vers y 60~ par
Paul, fils de Warnefrid, connu sous le nom de Paul Diacre.
Enfin, vers l'an 880, un diacre romain, nommé Jean et sur-
nomméHymonide, composa
une Viebeaucoup plus étendue,
à la prière dupape
Jean VIII. Cepape
avaitremarqué
avec
étonnementquesaint
Grégoiren'avait
pastrouvé de biographe
dansl'Eglise romaine, tandis que les Saxons et les Lombards,
La Vie publiée par Canisius (Lectiones aM<MM<Bjéd. Basnage, t. !I,
p. m, p. 256) ne compte pas: ce n'est qu'un sec abrégé de celle de
Jean.
C'est une œuvre de la jeunesse de Paul (voy. Bethmann, dans }'~)'-
e/«Mde Pertz, X, 303).3 C'est par suite d'une confusion que M. R. Reuss (Rev, eM'< i8ya,
t. II, p. a 8 3) fait de Jean un moine du Mont-Cassin, La même erreur se
trouve dansGreg'orovius, G~e~'c/~e f~' Stadt ~OM., 2' éfl. t. II, p. ()3,n. 1.
GASTON PARIS.278
peuples, l'un si éloigné, l'autre si ennemi- de Rome, possé-daient des vies du pontife romain écrites pour leurs Eglises.Ce fut pour combler cette lacune que Jean composa sa vie en
quatre livres il put puiser pour l'écrire dans les archives pon-
tiHcales mais il n'y trouva que des lettres ou des actes de
Grégoire il ne put ajouter aucun document réellement, bio-
graphique à la légende saxonne et à l'opuscule de Paul.
La légende anglaise contenait l'histoire des prières pour
Trajan et du fait qui les avait provoquées. Jean_le dit expres-sément KLegitur penes easdem Anglorum ecclesias~ Bède
l'avait donc lue, mais, la jugeant sans doute fabuleuse et dan-
gereuse, il l'a omise. Elle figure cependant dans les diverses
éditions de l'ouvrage de Paul, qui n'avait d'autre source que
Bède; mais, comme Fa montré M. Betbmann~toute la partieoù elle se trouve est une interpolation postérieure. D'oh pro-vient cette interpolation, qui remonte au moins au xi" siècle,
puisqu'elle se lit dans un grand nombre de manuscrits dn xn° ?2
Elle peut avoir deux sources ou la légende saxonne (quePaul n'avait connue que par l'extrait de Bède), ou la Ftt~ de
Jean. M. Bethmann croit que c'est la légende saxonne.qui en
a fourni le fond, etplusieurs circonstances rendent cette opi-
nion à peu près assurée. En ce qui concerne notre anecdote,
l'ouvrage de Jean et l'interpolation pratiquée dans le livre de
Paul nous offrent donc deux dérivations indépendantes de
cette légende, aujourd'hui perdue. Je vais, comme je l'ai fait
pour la partie relative à Trajan, donner en regard l'une de
l'autre les deux rédactions qui la représentent i
PAUL.
Cumquadam
die per forum
Trajani, quod opere mirifico cons-
tat esse constructum, procederet,et
insignia misencordise ejus conspi-
ceret, inter cetera memorabile il-
iudcomperit quod, etc.
1
Gujusrci
gratia compunctus
~6'6'.Mar< II, i53.
~irc/Mt' de Pertz, l.
MM.
Gregorius per forum
Trajani, quod ipse quondam pul-cherrimis œdiCciis yenustacat, pro-
cedens, judicii ejus, quo viduamconsoiatus fuerat, recordatus at-
que memoratus est, etc.
Hujus ergo mansuetudinem ju-
LA LÉGENDE DE TRAJAN. 27U
venerabins pontifex cœpit lacry-
mosisg'emif.ibussecum inter verba
precantia hœc, siquidem prophe-tica e!. evang'eiica, evolvere ora-
cula Tu, Domine, dixisti JM~
catepupillo, ~e/eK~e viduam, et
!'eM'<<' et s~ Me.; J:M<H!'(e et
<&'HM'Me<M?'vôbis. Me immemor sis
(quasso peccator ego indignissi-
mus), propternomen sanctissimœ
g'tonœ tuœ, (et) Metissimaa pro-
missionis tua; in hujus devotissimi
viri facto. Perveniensque ad sepui-crum beati Pétri
apostoli,ibidem
diutius oravit et ilevit;
atque veluti gravissimo somno
correptusin extasi mentis
raptus
est, duo per revelationem se exau-
ditum discit, et ne ulterius jamtalia de
quoquamsine baptismate
sacro defuncto praesumeret petere
promeruit castigari
dicis assenintGregorium
recor-
datum.
.ad sanctiapost,o)ibasiiicam
percoluisse, ibique tam diusuper
errore clementissimiprincipis de-
Hevisse, quousque respohsum se-
quenti nocte cepisset:se
pro Trajano fuisse audi-
tum.tantumpronu!loulterius
pagano.
preces eftunderet~. 2.
.Ce sontprobablement les dernières
parolesdu texte de
Paul, malinterprétées, qui
ont donné lieu à undéveloppe-
ment postérieur de la légende. D'après un manuscrit du Va-
tican 3, qui rapporte cette histoire sous le nom(certainement
feint)du diacre Pierre, le meilleur ami de
Grégoire, et d'un
diacre Jean, dont le nom est sans douteemprunté
au bio-
graphe plus jeune de deux siècles, Grégoire aurait raconté
tui-mémcqu'un ange lui avait annoncé
qu'en punitionde son
intervention indiscrète, quoique heureuse il souffrirait dans
soncorps (de
nèvres et de mauxd'estomac) jusqu'à la fin de
ses jours. Ce récit existait certainement à .uneépoque
an-
cienne, puisquela ~MsereAroM~ au xu° siècle, l'a
reproduit
~/t. i35.
.M.&S. i53.
Ce rns., découvert et cité par Chacon, portait de son temps la cote
/VM;.nn n° i53.11 contenait les Ot's~Mes de Grégoire, et la note censée
rédigée par Pierre et Jean était écrite sur la dernière page. Baronius, quila déclare avec raison bien postérieure au vff" siècle, n'indique pas la datede l'écriture. Cette note ne mentionne notre légende qu'en passant; elle
a réellement pour but de faire croire à certains privilèges obtenus du ciel
par Grégoire pour la paroisse de Saint-André.
GASTON PARIS.380
dans son style archaïque et naïf l'ange qui annonce à Gré-
goire que Dieu est prêt à exaucer son voeu le laisse encore
libre d'y renoncer; s'il y persiste, il sera frappe de Ksept ma-
ladies» et il mourra bientôt. Grégoire accepte de payer la
rançon de Trajan; alors l'âme de l'empereur sort de la tombe
où elle était chargée de liens, aux cris de fureur des démons;
elle est remise à Grégoire, qui s'en fait le gardien jusqu'aujour du jugement dernier. Bientôt après, les maladies annon-
cées le saisissent, et il ne tarde pas à mourir.D~nsIa j~cK~e
f/or~e., nous retrouvons la punition de Grégoire, mais elle n'est
pas facultative, non plus que dans le récit attribué à Pierre et
à Jean; l'ange donne seulement au pape le choix entre deux
genres de châtiment ou un état constant de maladie jusqu'àsa mort, ou deux jours de purgatoire; il n'hésite pas à choisir
la maladie 1. Ce choix n'est pas marqué dans le récit de Go-
defroi de Viterbe, et la punition est autre
Angelico putsu iëmnr ejus tempore multo
Giaudicat, et pœnœ corpore signa tenet.
L'histoire de la rédemption de l'âme de Trajan par les
prières de Grégoire ne nous est pas connue seulement par les
deux biographies de Jean et de Paul un autre témoignage,
apparemment plus ancien, nous atteste et son antiquité et sa
diffusion. L'auteur grec d'un traité attribué a tort à saint. Jean
Damascène, mais qui n'est sans doute pas beaucoup plus
récent, nous rapporte que Grégoire adressa au Dieu miséri-
cordieux des prières ardentes pour la rémission des péchésde Trajan, et qu'il entendit aussitôt une voix divine lui dire
« J'ai exaucé tes prières, et je pardonne a Trajan; mais garde-toi dorénavant de m'implorer pour des impies. L'auteur
ajoute ctQuc ce soit là un fait réel et à l'abri de toute con-
testation, c'est ce qu'attestent l'Orient et l'Occident tout en-
Ce trait se retrouve dans le Cefa&~MssaMc<o)'!N?:de Pierre de Nata-
libus (III, 19 a) aut biduo MjMMt'g'a~On'OM'MCM~ Stt! in vita sua M!/M'-
MMMï'&Ks~B~'an.H est reproduit dans les FM~t <E~~o~, mais il n'a pas
passé dans le ~VoM~Mo;il est indiqué dans le Commentaire de Dante
connu sous le nom de i'OH:'mo.L'anonyme de Florencene parte qued'un
jour de purgatoire, Butique d'une heure.
LA LÉGENDE DE TRAJAN. 281
tier'.M Faut-il croireque
l'auteurgrec
avait lu lalégende
saxonne? Il estbeaucoup plus probable, d'après les termes
mêmes, dont il se sert, qu'ilconnaissait
parla tradition l'inter-
cession extraordinaire deGrégoire.
S'il en est ainsi, il nous
fournitpour
cette histoire une seconde source, indépendante
de lapremière~.
Quoi qu'ilen soit, cette histoire fut accueillie avec faveur,
pendant tout lemoyen âge, par
les historiens et mêmepar
beaucoupde
théologiens.C'est le
plussouvent à
propos(le
Grégoirele Grand
qu'estraconté ce trait de la mansuétude et
de la justice deTrajan, qui
excita à un si hautdegré
son ad-
miration et sapitié. Sigebert
de Gembloux se contente de
rappelerbrièvement la délivrance
opérée par Grégoire;mais
laplupart
des auteursque j'ai cités
plushaut à
proposde
Trajanencadrent l'un des récits dans l'autre ou mentionnent
l'un àpropos
de l'autre. C'est le caspour
la Kaiserchronik,
Godefroi de Viterbe, Jean deSalisbury,
les Annales~fag'Je-
~Kfg'eKMs, Hélinand, reproduit parVincent de Beauvais, G~art
de ~OM~<7/OM, les FioriJ~/o~le Novellino, Dante' et ses
commentateurs, Bromyard,et sans doute
beaucoupd'autres
ouvrages pieuxet
historiques quin'ont
pasencore été cités.
Quelques-unsde ces textes
ajoutentdiverses circonstances,
S. yosMK..OaMMSc.op~ éd. Migne (t.XCV), col. 261. L'inauthen-
ticité du traité Sur ceuxqui
se sont endormis dansla foi a été démontrée
par LéonAltatius et, après lui, par l'auteur des Dissertationes damasce-
!M'ca~ reproduites dans le tome XCIV de laPa&'o~ne grecque de
Migne.C'est
probablement au prétendu Jean Damascène que l'histoire a été
empruntée par i'~c/M/og-e grec que cite Baronins tfDe même que tu as
délivré Trajan de sa peine par l'ardente intercession de ton serviteur Gré-
goire, écoute-nous, qui t'implorons non pour un idolâtre,~ etc. Ungrand
nombre depassages d'écrivains grecs,
réunispar Preuser dans
l'ouvrage
qui sera cité tout à l'heure, ont aussi pour unique base lepassage du
traité attribué a Jean de Damas. Hugo d'Eteria (De <HMWMeorpot-e exuta,
c. xv) a, bien que Latin, emprunté cette histoire à la traditiongrecque.
C'est ce qui ressort de la façon dont il raconte, et surtout de ses der-
niers mots ()MtH'!<e~ .Mjs~ec~ spM~ G)'<Beo~/ ë')'<M<: <;?'? OMMM ~a~M*
/MPCecc/MMt(Migne,
P<:<r. /<:<. t. CCII, p. aoo). Cet écrivain a d'ailleursIzcec ecclesia(ifligne,
Pcztr.lat. t. CCII, p. 200). Cet écrivain a d'ailleurs
vécu longtemps à Constautinople et connaissait à fond les théologiens
grecs. S. Thomas aussi s'appuie sur S. Jean Damascène.
tfDei romanprince,
lo cuigran
valore mosse Gregorio alla suagran
\ittoria~) dit-il dans le passage cité plushaut
(Cf. ci-dessous, p. a85.)
GASTON PARIS.282
qui nous offrent le développement à la fois logique et puéril(te la donnée légendaire.
La Chronique des ENtpereMrs semble déjà dire quesaint
Grégoire fit ouvrir le tombeau de Trajan (voyez ci-dessus):
l'imagination du moyen âge devait naturellement se deman-
der dans quel état on avait trouvé le corps'. D'après un récit
que nous connaissons, non pas sans doute dans sa forme ori-
ginale, qui était certainement latine2, mais par la rédactionallemande de la C/~Kt~Me Cologne et la rédaction italienne
des Fiori fK~/oso~, source de celle du Novellino, quand on ou-
vrit la tombe, nla langue, dit la Chronique, était encore chair
et sang, M signe, dit le texte italien, qu'il avait parlé juste-
ment «mais, ajoute la C/M'OM~Keallemande, quand elle
eut été à l'air, elle redevint poussière Cette histoire forme
le sujet du second tableau relatif à notre légende, exécuté
par Roger de le Pasture et reproduit sur la tapisserie de
Berne d'un côté saint Grégoire est en prières, de l'autre on
trouve le crâne de Trajan, où la langue est encore pleine etfraîche. L'inscription latine s'exprime ainsi «
Cum beatus papa Gregorius rem tam diflicilem a Dec suis precibus
impetrare meruisset, corpus Trayant jamversum in ptdverem reverenter
detegcns, linguam ejus quasi hominis vivi integram atunvenit,qu.od
propterjusticiam quam )mgu.a sua persolvit pie cceditHr contig'isse~
Les mêmes scènes étaient sans doute représentées à l'hôtel
de ville de Cologne (voyez ci-dessus, p. a6a); au-dessous,
d'après la CAroH~Me, était écrit ce vers que prononçait Trajan
Justus ego baritro gentilis salvor ah af.ro\
On devait aller plus loin du moment que Trajan avait
Bien entendu on ne savait pas que le sépulcre pratiqué sous ta
cotonne Trajane n'avait contenu que des cendres et non un cadavre. Tant
le souvenir de l'antiquité avait complètement disparu!Au moins n'oserais-je pas affirmer que cette forme primitive fut
ccife que donne l'inscription de Berne.
La C/M'oM~Mest citée dans Massmann, l. l.; les deux textes italiens
se trouvent dans le Manuale deNannucci, 1.
KinM, p. 36~.
Notonsque, d'après le témoignage de Saimeronet: de Chacon (voy.ci-dessous), l'intercession de Grégoire était représentée sur un retable de
t'egtise consacrée, à Rome, a ce saint.
LA LÉGENDE DE TRAJAN. 283
conservé sa langue, ce devait être pour s'en servir. D'après
plusieurscommentateurs de Dante, on avait par
hasard 1 ou-
vert une tombe inconnue on y trouva, parmi des ossements,
un crâne danslequel
lalangue
était encore fraîche; conjurée
par le pape Grégoire, elle se mit à parler, à dire qu'elle avait
appartenuà Trajan, et à raconter sa justice, en demandant
au pape de prier pour lui. Telle fut, d'après cette légende,
qui s'éloigne sensiblement du point dedépart,
l'occasion des
prières dupape.
xlta fabulas, dit Baronius, fabulis addidere,
ut ridiculum etiam illud demum sit superadditum de Tra-
jani cranio cum vivida adhuclingua reperto, qua ipse
suam
miseriamdeplorans
ad commiserationem sanctum Gregorium
movit. nL'auteur des Annales de
F-Eo'Hse;,on le voit, parle
avec grand
mépris de ces fables dumoyen âge;
il est d'ailleurs absolu-
ment hostile à la légende elle-même. Rien n'estplus naturel,
et cequi surprend,
au contraire, c'est que des théologiens
aient laissé passer et même répétéun récit
qui,estdirectement
contraires à deux dogmes fondamentaux del'Eglise
l'unque
les infidèles sont damnés, l'autre qu'il est défendu de prier pour
les damnés. Dès lesplus
ancienstemps,
il faut le constater,
des objections s'étaient produites. La légende saxonne n'en
élevait aucune elle racontait naïvement cette histoire bizarre
et touchante. Mais le diacre Jean en. sentait les diE&cultés, et
la manière dont il en parle prouve que ce trait de la vie de
Grégoire, profondémentoublié à Rome lorsqu'il le raconta
d'aprèsla
légende saxonne, yavait rencontré des doutes et
des scrupules Tandis que personneà Rome ne doute des
miraclesprécédents~, dit-il, cet endroit de la légende saxonne
1C'est ce que disent Buti (éd. Giannini, t. I[, p. a3ù) et J. délia
Lana (voyez ci-dessus, p. syi). D'après l'Ottimo (Pisa, i8a6, H, 161),c'était l'empereur Maurice qui avait donné ordre d'ouvrir le tombeau.
Le même conte a été inséré par Bernardine Corio dans son Histoire
de AMM: (i5o3), et c'est par cet ouvrage que l'a connu Chacon (voy.
ci-dessous) et, à travers fui, Baronius.
L'Egtise romaine, on Fa vu, ne possédait aucune biographie de
Grégoire; celle de Bède, qu'on connaissait à Rome par le rt/MMHe~o de
Paul Diacre, avait supprimé tous les miracles racontés dans la légendesaxonne; en sorte que Jean, qui les reprenait dans cette légende, était le
premier à les faire connaître a Home.
GASTON PARIS.28&
où on raconte que Famé de Trajan fut, par les prières de Gré-
goire, délivrée des tourments de l'enfer, n'est pas cru de tous;
on fait surtout remarquer que le grand docteur enseigne au
quatrième livre de sesDia~Mes que la même raison empêcherales saints, au jugement dernier, de prier pour les damnés qui
empêche aujourd'hui les Mêles de prier pour les infidèles dé-
funts, et que celui qui parle ainsi n'aurait certainement jamaissongé à prier pour un païen. On ne fait pas attention que la lé-
gende ne dit pas que Grégoire pria pour Trajan, mais seulement
qu'il pleura. Or, sans qu'il ait prié, ses larmes ont pu être
exaucées. Il faut encore noter que la légende ne ditpas que
par les prières de Grégoire l'âme de Trajan ait été délivrée de
l'enfer et mise dans le paradis, ce qui parait absolument in-
croyable, puisqu'il est écrit moins que FAoMme ne renaisse
de l'eau et de r&Br!t-&K~ il n'entrern pas dans lé royaume des
cMM.c.On dit simplement que l'âme fut délivrée des tourments de
l'enfer, ce qui peut paraître croyable. Une âme peut être dans
l'enfer, et, par la grâce de Dieu, ne pas en sentir les tourments
de même dans l'enfer c'est un seul et même feu qui embrase
tous les damnés, mais, par la justice de Dieu, il ne les brûle
pas tous également: car autant la faute de chacun est grave,autant sa peine est douloureuse. M Des deux atténuations de
Jean, la première est peu sérieuse et manque même de bonne
foi dans son texte, il est vrai, on lit simplement~c~ïsse, tandis
que le texte attribué à Paul, plus fidèle sans doute à la lé-
gende saxonne, porte oravit etj~6M<; mais ilrapporte lui-même
que l'ange avertit Grégoire de ne plus pi-ier pour un paient. n
Quant à l'idée que l'âme de Trajan avait obtenu par l'interces-
sion de Grégoire non pas une grâce entière, mais-une commu-
tation de peine, elle est évidemment contraire à l'esprit de la
légende, et à l'interprétation qu'elle a reçue généralement au
moyen âge, mais elle peut se défendre suivant la lettre et elle
a été admise par quelques auteurs. Le rédacteur des ~HH~es
M~e&!H'g'eMse~ par exemple, l'a précisée encore plus que le
diacre romain de ne voudrais pas, dit-il, affirmer que cette
intervention ait valu à Trajan le salut complet; je pense seu-
D'aitteurs, comme font fait remarquer plusieurs thcoioMCM, on
prie avec le cœur et non avec les tèvt'es.
LA LÉGENDE DE TRAJAN. 285
lement que, grâce aux larmes de Grégoire, il a obtenu une
peine plus douce. o
Ce ne fut pas toutefois la seule tentativequ'on
fitpour
conserver le récit légendaire sansporter
atteinte à lapureté
de la foi. «La peine de Trajan, dit l'un', avait dès l'ori-
gine été conditionnelle; Grégoire n'a passauvé un damné,
mais mis à unsupplice temporaire
le termeprévu.
M C'est
n'expliquer rien car comment un homme nonbaptisé pou-
vait-il nepas
être damné pour l'éternité ? « La peine de
Trajan, parl'intercession de
Grégoire,fut seulement
suspen-
due jusqu'au jugement dernier. Cette hypothèse paraît avoir
été cellequ'a
suivie la Chronique desEmpereurs (voy. plus haut);
elle est ingénieuse, mais elle ne résoutpas
laquestion
au
jugement dernier que deviendra l'amer–Enfin laplus heu-
reuse, quoiquela
plushardie des
explications,fut donnée
par
un théologien inventif, Guillaume d'Auxerre(t is3o) «Nul
ne peut, dit-il, être sauvé s'il n'estbaptisé
mais ce futpréci-
sément ceque
saint Grégoire obtint pour Trajan à saprière,
il revint à la vie, son âme rentra dans soncorps, Grégoire le
baptisa, et l'âme, quittantde nouveau son
enveloppe terrestre,
monta droit au ciel3. Ainsi tout était concilié. Saint Thomas
d'Aquin ne s'en tint pas là il fallait auxprières
deGrégoire
joindre quelquemérite personnel de Trajan, et tant qu'il était
païen,il n'avait pu mériter il admit donc
quel'âme de
Trajan
anima un nouveaucorps, qui,
une foisbaptisé,
vécut chrétien-
nement et mérita le paradis4. Dante, qui vit l'âme de Trajan
S. Thom. Aqu. Quaest. ~<f. VI, 6 (éd. Fretté, t. XIV, p. 463).Saint Thomas d'Aquin, auquel cette question de l'âme de Trajan a
donné beaucoup de mal, et qui en a proposé des solutions contradic-
toires, semble bien dire à un endroit (Ad libr. IV Sent. xLv, 2, a; éd.
Fretté, t. XI, p. 3ya) qu'après le jugement dernier l'âme de Trajan sera
rendue aux enfers. Ce n'était presque pas la peine d'un miracle.3
Voy. Chacon, p. 18. Toutes ces expHca.tions atténuantes sont réunies
dans la Légende dorée. L'âme seule aurait été baptisée, d'après une des
solutions de saint Thomas, adoptée par saint Vincent et saint Antonin.
Voy. l'endroit cité dans la n. 2. C'est une opinion qui, d'après Preu-
ser, a été admise par plusieurs théologiens. Ceux qui rejettent ta légendeont fait remarquer, non sans raison, que cette résurrection et cette se-
conde vie de Trajan auraient fait quelque bruit à Rome, et que Grégoireiui-méme en aurait sans doute parlé dans ses lettres.
GASTON PARIS.386
formant, avec d'autres, le sourcil de l'aigle qui vole devant
Jupiter (Parad. XX, M), a exposé à sa manière le système
du docteur angélique. Ainsi l'imagination, dirigée par la lo-
gique, indiffèrente à la réalité, c'est la vraie scolastique,
s'exerça sur ce sujet pendant des siècles, et déposa autour du
simple noyau primitif ses cristallisations bizarres.
Sans s'embarrasser de ces subtilités, on admit générale-
ment, au moyen âge, que l'âme de Trajan était sauvée, par les
prières de saint Grégoire et en considération de sa justice 2.
Si quelque esprit rénéchi s'étonnait de la contradiction in-
nigée par une pareille croyance a la doctrinecatholique,
les
âmes pieuses se contentaient facilement des' réflexions par
lesquelles l'interpolateur de Paul termine son récit. ~Le plus
sûr est de voir ici un acte de la justice et de la puissance di-
vine, qu'il faut vénérer et non pas discuter~. ?) LesBollandistes
se sont approprié ces paroles et ont respecté le mystère.I! n'en avait pas été ainsi de la théologie du xvt" siècle. Je ne
sache pas que les protestants aient alors touché Ma question;Ils se seraient sans doute bornés à tourner en ridicule ce qu'ilsauraient traité de fable papiste car, moins encore que les ca-
tholiques, ils pouvaient admettre le salut d'un païen, surtout
obtenu par des prières~. Mais les organes omciels de cette
Ou avait même profité de cette croyance pour l'exploiter. Ochino,dans le a 3" de ses ~o&~t;, nous montre un charlatan vendant nue
prière de Grégoire le Grand qui, chaque fois qu'on ta récite, tire une
âme de l'enfer, et s'appuyant pour prouver son dire sur ('histoire de l'âme
de Trajan. Ce conte, mentionné par Prouser, se trouveia page
3l d<*la
version allemande d'Ochino par Wirsing (i55<), in-4°); je nai pu voir
i'origina! italien.je n ai pii voir
Sainte Brigitte de Suède (f i SyS) eut une ?'<&e'&:<KMtqui lui conitrma
le salut de l'âme de Trajan. Une visionnaire plus ancienne, sainte Ma-
thUde (+ vers 1160), avait entendu Dieu lui dire qu'il ne voulait pas ré-
vé)er aux hommes le sort de cette âme, non plus que de celles de Samson,de Salomon etd'Origène. Rolewink(J~MCMM&<steN~m'Mm,éd. Pistorius,
p. ~)o) fait sur ces révéiations et d'autres semblables, qu'il avait entendu
raconter, des réSexions assez curieuses. Chacon cite ces témoignagescomme démontrant la iégende, et ils embarrassent quelque peu Baronius.
'Les phrases qui précèdent ce)!e-ià, sur les doutes auxquels l'histoire
peut donner lieu, sont, dans ie texte des Bouandistes, inintelligibleset sans doute altérées.
Salmeron parle, au début de sa dissertation, des raiUeries des hé-
LA LÉGENDE DE TRAJAN. 287
théologie à moitié rationaliste, qui marqua,vers la fin du
xvi° siècle, la renaissance de l'Eglise romaine, se prononcèrent
énergiquement contre l'authenticité du miracle attribué à saint
Grégoire. Ils v furentprovoqués par une tentative en sons
contraire, qui semblasans doute dangereuse en i5~6, le
savantAlphonse Cbacon~, connu, entre autres travaux d'éru-
dition, parune
monographiede la colonne Trajane que
l'on
consulte encore avecprofit, publia
à Rome un livre exprès
pour démontrer que l'âme de Trajan était sauvée. Chacon
avait été précédé parun autre
Espagnol, Salmeron, l'un des
douze premiers compagnons d'Ignace de Loyola, qui,dans
le tome XIV de ses Dissertations ~eo~Mes~, en a une spé-
ciale(xxvn)
sur cesujet.
Salmeron et Chacon s'intéressaient
à l'âme de Trajan comme à celle d'un compatriote. La thèse
du premier passa inaperçue,mais le petit
livre de Chacon,
oùpour
lapremière
fois était cité leprétendu témoignage
des diacres Pierre et Jean, fit du bruit 3. Ce fut à cause de
cet écritque
Baronius se crut obligé de détruire de fond en
comble la légende que le monde chrétien avaitacceptée depuis
près de mille ans 4. Bellarmin ne mit pas moins d'ardeur à sou-
tenir la même thèse, et cet accordindique qu'à
Rome on était
gêné parce récit, et on voulait s'en débarrasser. Quand on a lu
les deux grands théologiensdu catholicisme moderne5, quand
rétiques à ce sujet, mais il n'en cite aucun. H est peu probable qu'ilfasse allusion à l'apologue d'Ochino.
Le livre de Cbacon sur l'âme de Trajan, comme celui sur !a colonne
Trajane, ayant paru (en latin) en Italie, il est appelé sur le titre CMe-
conus, d'où l'on a tiré le nom Ciacconi ou Ciaccone, qu'on lui donne
souvent à propos de ces livres. Sa dissertation porte le titre suivant:
H:'S<Or:Sceu !)M'!M:M<ta Cft/MMMMmultorum f:')!f&C<!<<<jf:<fCrifért Trajanianimam precibus divi Greg'orK a Tartareis crM<;M<:&!Mereptam. Elle a
a pages in-folio et est dédiée à Grégoire XIII.
2 Ed. de Madrid, i5f)y-i6oa. Mais il doit y avoir une édition an-
térieure, Salmeron étant mort en i585. Chacon n'a pas connu son de-
vancier.
Une traduction italienne par le camaldule Fr. Pifferi parut à Sienne
eni5<)5 (in-8°, 88 pages). Le traducteur, sur le titre et dans le corps
del'ouvrage, appelle l'auteur original Giaccone, faute qui a été souvent
reproduite.Annales, éd. Luc., t. XI, p. 59 ss.
La ~M<H'a'M<:o/tM<o;'MF~eMWM?r<f: /<era<a, Mc~cre Ber?MtrJo
GASTON PARIS.288
ony
a joint la dissertation, d'ailleurs fort érudite, duprotes-
tant P. Preuser', on est bien convaincuque l'âme de Trajan
n'apas
été délivréepar saint Grégoire,
etqu'elle
subit et su-
bira éternellement dans l'enfer lapeine
de son initdélité.
III
ORIGINE DE LA LÉGENDE.
On a reconnu, ily
alongtemps que l'histoire de la veuve
et de Trajana
poursource une anecdote
rapportée parDion
Cassius a Hadrien «Unjour,
il rencontra dans la rue une
femmequi
lui adressa unerequête;
il luirépondit d'abord
Je n'aipas
letemps.
Elle s'écria Alors nerègne pas
Il se
retourna et lui donna audience Ce trait devaitfrapper
lepeuple;
on en conserva le souvenir, mais on l'attribua
bientôt àTrajan.
Rien n'estplus fréquent que
les substitu-
tions de cegenre,
et celle-cis'explique
sans peine. Hadrien
BrMM/M, theologo yeroncHse (Vérone, s. a.), n'a pas d'intérêt; c'est une
simple compilationde ce qu'ont
dit lesthéologiens antérieurs. Parmi
ceux qui, aprèsBaronius et Bellarmin, se sont encore occupés
de notre
légende, il faut surtout citer le théologien français Noël Alexandre, quil'a
égalementréfutée en forme.
De T~sHo !'Mpe)'a<o!'e precibus Grejon't ma~tK ea? ot/enzoliberato
( thcsesoutenue à
Leipzig le la février lyio).Je ne sais quel érudit est le premier à l'avoir iait. jGhacon
signale
déjà ce rapprochement, mais, convaincu de t'authËBtictté de t'histoire
relative à Trajan,il est porté
à croire que c'est par confusion ou mal-
veillance que Dion !'a transportée, en l'altérant, à Hadrien.
Dion, LXfX, 6. 1) est curieuxqu'un
traitpresque identiquement
pareil soit raconté de Saladin. Voici comment le rapporte Reinaud (B~'M.des Croisades, IV, 3i8) (fUne autre fois, pendant qu'il
délibérait avec
ses généraux, une femme lui présenta un placet; il lu~ <U dire d'attendre.
Etpourquoi, s'écria cette femme, êtes-vous notre roi, si vous ne voulez
pas être notre juge? Elle a raison, réponditle sultan. H
quitta aussitôt
l'assemblée, s'approchade cette femme, et lui accorda ce qu'eue dési-
rait. Reinaud ne ditpas
dequel auteur il tire cette anecdote, qui ne se
trouve pas dans Beha-Eddin, comme onpourrait
le croire par le con-
texte. M. Defrémery, qui a bien voulu s'assurer pour moi de ce point,
pense cependant que l'histoire est authentique et puisée dans le récit
d'un auteur contemporain. Sans cela on pourrait croire à un emprnnt
Saladin, ainsique Trajan, a été considéré comme un
typede souverain
justicier, et on sait que les chrétiens ont essayé aussi de croire au salut
(te son âme.
LA LÉGENDE DE TRAJAN. 289
'K
ne fut pasaimé il ne savait
passe rendre
poputaire. Trajan,
au. contraire, laissa un souvenirincomparable
degrandeur,
dejustice,
et surtout de bonté. Tout concourut àperpétuer
le souvenir de sa bonté. Achaque
nouvel avènement, on sou-
haitait auprince d'être plus
heureux~M'~Mg'M~
meilleurque
Tra/'aM. Ce type d'un prince équitableet
puissant, que l'es-
pritconstruit à l'aide de
quelques grands faits bien constatés,
ne saurait suffire àl'imagination populaire.
Elle invente, ou
elle emprunte ailleurs des traits caractéristiques. Dès le
m~ siècle, on saisit autour de la personne de Trajan les
traces d'un semblable travail. Tous les traits unpèu
remar-
quablesde bonté lui sont attribués. Alexandre Sévère tire d'un
conspirateur une vengeance généreuse accompagnée, dans
l'exécution, d'une certaineespièglerie (Lampride,
Sev. Alex.
~8)on en fait honneur à
Trajan. Lampridediscute la ver-
sionpopulaire
et montre qu'elle n'est pas fondée, mais il ne
se cache pas qu'il est trop tard pour ébranler cette tradition
déjà invétérée. On relève un traitd'équité
dans la vie d'Ha-
drien, on l'embellit. alors il devient digne deTrajan~
La
substitution avait dû se faire de bonne heure, peut-être aussi
anciennementque
celle dontpouvait se plaindre Alexandre
Sévère dès l'époque de Lampride.
Mais d'où provient la transformationqui
a fait changer de
caractère à cette anecdote, etqui
l'a rendue invraisemblable et
romanesque? Pourquoi s'est-onreprésenté Trajan à cheval,
au milieu de ses généraux, partant pourune
expédition,
quandla suppliante le rencontre et l'arrête?
Pourquoia-t-on
fait de cette femme une veuve?Pourquoi
a-t-on raconté
qu'elledemandait justice de la mort de son fils? C'est ce
que
pourra nous indiquer l'examen attentif de nosplus
anciens
textes. t<Grégoire, dit la légende saxonne conservée dans
l'ouvrage interpolé de Paul Diacre, passaitun jour par le
forum de Trajan, construit, comme on sait, avec une rare
magnificence;il regardait les
marquesde la bonté de cet
empereur, et ilprit connaissance entre autres de cette mémo-
rable action, etc. Le texte de Jean est moinsprécis mais il
acependant
conservé la circonstance essentielle ce fut en
G. de la Berge, /M<K.<Mf/e reg'M de 7'?' p. ~)H.
GASTON PARIS..290
passant parle forum de
Trajan que Grégoire se ressouvint du
plusbeau trait de la vie de ce
princeLa tradition d'un bas-
relief vupar Grégoire paraît
d'ailleurs s'être conservée, car
les Annales Mag'dMtN'g'~MM disentexpressément
~Inejus foro
ubi cunctaTrajani insignia
factaexpressa sunt, inter cetera
hocquoque
mira caelaturadepictum
est. a
Ainsi, vers la fin du Y<" siècle, etdéjà
sans douteplus
an-
ciennement, oncroyait
voirreprésentée,
sur un monument du
forum deTrajan,
l'action dont on lui faisait honneur, aupré.
judice d'Hadrien. Entre Faction et lareprésentation,
il fallait
qu'il y eût unpoint commun, qui
avait motivé cetteopinion
cepoint
commun nepouvait
êtreque
la rencontre de Trajan
et d'une femme. Les traitspropres
à lareprésentation pas-
sèrent ensuite à l'histoire leplus natureltemen.t du monde.
Trajan.sur le bas-relief, était a cheval, entouré de
troupes:
c'est doncqu'il partait pour
uneexpédition militaire, et
qu'il
avait arrêté sa marchepour
rendrejustice
à lapauvre
femme.
Cette femme étaitéplorée,
elle était àgenoux peut-être,
elle
semblaitprofondément
émue ce devait être une veuve, ce
Les paroles du traitégrec
attribuées à samt JeanDamascëne sont
tort obscures: oST<)s ~OTe ~a T~ X~tfOf'sMps~tf 'ë'OMf~fos,Ka~
o'7&5 ~e'n'~Sss. Les traducteurs latins rendent Tt;f Â~tMw par JocMM
/<M'fM'M.ssb'a<!fm, ce qui ne veut pasdire
grand'cbose. Hugo d'Eteria,
qui suivait, comme on l'a vu (p. a8i, n. a), le texte grec, dit: /jf:'e ali-
fjf!KM<&)pet' ~i'~Km pontem ~Mem Tnt/aMMS M~&'Ma'M'at ~*a<&!M Moc!eMM
<<a<o eMnf<: o~cM !t!~fM:n'a!. t! semble donc que quelques mots
comme 'ye~upsu ~vo auTOKp~TMp TpaMfôs jMTscxe'&aKS~ soient tombés
entre ~.i<?(f0!) et'smpstcw.
Godefroi de Viterbe parie aussi d'un pont
(voy. ci-dessus, p. s63, n. 3), ce qui indiqueune soNree commune
il est vrai que cepont
est ici la scène de l'action de Tmjan et non de
l'émotion de Grégoire, mais cela revient àpeu près au même. Saimeron
et Cbacon donnent, comme texte de Jean Damascène~cMM ~ef~m'MM
?rs/<MM., /spK/t&!M .!&'a<KH!, !cere<.Ces deux auteurs ont-i)s suppléé
ex ingenio les mots ~arMm R'a/aH:? C'est peu probable, car its sont in-
dépendants l'un de l'autre. U faut doncqu'ils aient eu sous les yeux la
même traduction latine du traité attribué a Jean de Damas, mais dans
cette traduction les mots en question étaient peut-être interpoiés. LRpont
dont ils'agit
ici paraît d'ailleurs être ie pont Saint-Ange, cansfrmtpar
Hadrien, et peut-être le texte grec nous a-t-il conservé une forme par-
ticulière du récit, où saint Grégoire auraitsongé à Trajan
en passant sur
ce p')!)til est probable que
la tradition populaire attribuait à Trajan
cet ouvrage tort admiré, dépounbnt encore ici son successeur a son proGt.
LA LÉGENDE DE TRAJAN. 291
'9-
typeéternel de la faiblesse innocente et persécutée, cet objet
toujours rappelé de la protectioncomme de la–violence; et
qu'avait-on pu iui faire qui la jetât dans un tel état de dé-
sespoir,et lui fît demander
justiceavec tant d'ardeur, si ce
n'est de lui tuer sans raison son filsunique?
Ainsi la légende
se constitue, par des procédés simpleset
pourainsi dire né-
cessaires ainsi Grégoire l'avait sans doute entendu raconter
dans son enfance et se larappelait
naturellement enpassant
dans le-forum où se dressait la colonne Trajane.
Le forum de Trajan parait avoir existé en partie jusqu'auvin" siècle la bibliothèque même et la
basilique,à en croire
des indices, à la vérité, quelque peu contestables, servaient en-
core du temps de Grégoire~. Dans cette œuvre colossale d'ApoIlo-
dore de Damas, l'art gréco-romain avait fait un suprême effort
et avait atteint sonapogée
la décadence commença presque
aussitôt. L'Imagination de ceuxqui voyaient pour
lapremière
fois cet ensemble unique de monuments somptueux en était
tellementfrappée que plusieurs témoignages d'admiration en-
thousiaste sont arrivés jusqu'à nous Constructions gigan-
tesques,dit Ammien Marcellin, qu'on ne peut essayer de dé-
crire, et que les efforts des mortels ne sauraient réaliser une
seconde fois s Même quandon le voit constamment, s'écrie
Cassiodore, le forum de Trajan est une merveille~ Plusieurs
médailles 5 nous en ont conservé leplan nous savons qu'on
y accédait par un arc triomphal. On a crulongtemps,
mais à
tort, que c'était cet arc qui avait été dépouillé des bas-reliefs
qui ornent aujourd'hui l'arc de Constantin près du Colisée
c'est un autre monument, élevé aussi par Trajan,quia subi ce
traitement barbare' Il est doncpossible que
lareprésentation
quinous
occupe figurât sur l'une des faces intérieures de l'arc
L'anonyme d'Einsiedeln, dont le ms. est de cette époque, le men-
tionne(Urlichs, Codextopogr., p. ~).2
Fortunat, Carm. III, 23; Gregorovius, CMc/KC/~e der' Stadt ~om~
t. II, p. 85.
XVi. io.
F<M'.VII, 6. Voyez la description de ce forum, ainsi que les
témoignages des anciens et l'indication des événements dont il fut le té-
moin., dans C. de la Berge, &.<< sur le règne de ?V<<M, p. oS.
Voy. C. de la Berge, 1. l.
Voy.C. de la Berge, p.a5.
GASTON PAtUS.29~
en question; cependant,à vrai dire, il semble résulter des
termes de lalégende que saint Grégoire, quand il s'arrêta de-
vant cettereprésentation, passait
sur laplace et non sous l'arc.
On conserve au musée de Latran un bas-relief lui représente
Trajan, accompagnéde licteurs, adressant une allocution à des
sénateurs~; ce bas-relief provient du forum Trajani et ne se
trouvait certainement passur l'arc de triomphe.
Il formait sans
doute avec d'autres le revêtement d'un des mursqui entouraient
l'area Trajani 2. C'est là qu'il faut aussi chercher le bas-relief
devantlequel
s'arrêta saintGrégoire. Et que représentait-il?
Sans doute l'empereur à cheval, et devant lui une province
conquise, Sgurée par une femme agenouillée, implorantsa
clémence. C'est un symbolisme dont l'art romain nous offre
plusd'un
exemple~,notamment en ce qui concerne Trajan:
nous avons plusieurs médailles de lui où la Dacie est Ggurée
comme une femme dans diverses attitudes; Fujie d'elles nous
la montre même à genoux". Qu'on se figure sur un bas-
relief une scène dans cegenre; qu'on mette Trajan à cheval;
qu'on l'entoure de ses principaux oiRciers et de ses troupes;
qu'on opposeà toute cette
grandeur,à cette
puissanceécla-
tante, la figure isolée, douloureuse, prosternée de la femme
suppliante,et on aura la scène qu'Interprétaient comme nous
l'avons vu les Romains du vf siècle. Plus d'un des tableaux
de la colonne Trajane pourrait,en
y changeant peude chose,
donner lieu à une interprétation semblable
Ce n'est pasla
premièrefois
qu'on expliqueà
peu près
comme je viens de le faire l'origine de notre légende~,mais
Benndorf et Schoene, Die <M<MMB!'Mw&r/(e~M~ef<m. ~Meitms
(Leipzig, 1867), n° 98.
Voy. C. de la Berge, l.
On a de nombreuses médaittes d'Hadrien, où une province, une na-
tion vaincue, sont à genoux devant lui.
Voy. Cohen, Médailles irnpériales, Trajan, n° 365.
On peut encore comparer plusieurs médailles de Trajan ou ie che-
vu) qu'il monte et qui galopeva fouler aux pieds un Dace suppliant.
tfH racconto di Trajano e della vedova, immortaiato da Dante,esisteva già prima d' esser riferito a Trajano. Probabitmente pero un
bassorilievo d' arco trionfate rappresentante queti' imperatore trionfante
a cavallo e dinanzi a lui la provincia sottomessa, in sembianza di donna
in ginocchio, t'ece attribuir quel racconto a Trajano." Je suis presque
LA LÉGENDE DE TRAJAN. 29S
on ne s'estpas
attaché autant qu'il aurait fallu à cette circons-
tance essentielle que Grégoire, d'après les anciens récits, en
aurait vu lesujet représenté
sur un monument du~orM~
Trajani. M. de Rossi; grand connaisseur assurément de Rome
antiqueet chrétienne, est tombé à ce propos dans une erreur
qui meparaît
évidenteparlant
du bas-reliefque
Dante
vit dans le Purgatoireet où était représenté Trajan écoutant
la veuve, il ajoute ~Ce relief n'était pas imaginaire, mais
réel; il ne se trouvaitpas
dans l'autre monde, il étaitsculpté
sur un arctriomphal
élevépresque
en face du Panthéon d'A-
grippa.C'est ce que
nousindique l'auteur inconnu du
petit
livre intitulé Mirabilia urbis jRomcp~ et il en décrit l'aspect de
telle manière quece sont pour ainsi dire ses
paroles versinées
que nous lisons dans la D~tMe Comédie. La sculpture quifaisait
l'ornement de cet arcreprésentait certainement une nation
vaincue suppliante, demandant merci àl'auguste vainqueur.
L'imagination ignorante des hommes du moyen âge y ci'ut voir
la fameuse légendede
Trajan,tout à fait digne d'être enre-
gistrée, avec tant d'autres contes, dans le livre barbare des
lirabilia Ily
a dans cesparoles plusieurs
erreurs ou inexac-
titudes la forme de la légende qu'offrent les Mirabilia n'est
pascelle
qu'aconnue Dante
(voy. ci-dessus),et une différence
essentielle, quiaurait dû frapper le savant antiquaire, c'est
queles lllirabilia
représentent l'empereursur un char; Dante,
au contraire, d'accord avec toute la tradition, à cheval. En
second lieu, M. de Rossi aurait dû faire attentionque
cette
histoiren'apparaît pas
dans les Mirabilia avant les manuscrits
du -xive siècle, où elle a été Interpolée; j'ai d'ailleurs montré
plus haut qu'elle appartient à undéveloppement
de la légende
relativement récent. Ce texte dit, en enet, après avoir parlé
des arcs de triomphe ccSunt pra~terea alii arcusqui
non
sunttriumphales
sed memoriales, ut est arcus Pietatis ante
Sanctam Mariam Rotundam, ubi cum esset imperator paratusin curru, etc. Mais quelle valeur
peutavoir ce témoignage si
tout à fait d'accord avec ces paroles de M. Comparetti (VM'gt'/M me~'o
eco. H, 68); je ferai seulement remarquer que, d'après moi, le récit
n'existait pas tel quel avant d'être attribué à Trajan; en outre, je ne
pense pas que la scène ait été représentée sur un arc de triomphe./?M//eKM:of&'com'OK~MS arc~eo/og't'Mt, 187), p. 6.
GASTON PARIS.29&
récent, et, si je ne metrompe,
absolumentunique',
en faveur
d'un monumentque l'interpolateur paraît avoir introduit là
fortgauchement,
etuniquement pour
servir deprétexte
à
l'histoirequ'il
voulait raconter?Remarquons, d'ailleurs, qdil
ne dit nullementque
l'entretien del'empereur (il
ne sait
mêmepas
sonnom!)
et de la veuve ait étéreprésenté
sur cet
arcprétendu;
il ditque
l'arc fut élevé en souvenir de cette
action. Iln'y
a doncpas lieu, à mon avis, de s'arrêter à la
conjecture de M. de Rossi, et de faire des fouilles devant la
Rotonde avecl'espoir
de retrouver desvestiges
de l'arc de la
Piété etpeut-être
même le bas-relief décritpar
Dante2.
Une autre hypothèse, présentée parun écrivain fort dis-
tingué,mais
parfois peu exact, est encore moinsacceptable,
bienqu'elle
ait le mérite de, nous ramener _au forum de
Trajan.«Le
regard de Grégoire, dit M.Gregorovius
enpré-
tendant résumer lalégende
du vm° siècle 3, s'arrêta sar un
groupede bronze
qui représentait Trajan a cheval, et devant
lui une femme àgenoux".
II n'est dit un mot, ni dans Paul
ni dans Jean, d'ungroupe
de bronze, et lespirituel historien
de la ville de Rome substitue unpeu trop
librement son ima-
ginationaux textes 5.
Ayantainsi
préparéle terrain, il rccon-
M. de Rossi dit en note qu'il parlera plus en détail de cet arc a mie
outre occasion; c'est une promesse que jusqu'à présent: il n'a pas tenue.
Notonsqu'en parlant
de ttl'imagination
des hommesdu moyen âge;),
fauteur semble donner à la légende une date trop moderne elle remonte
au moins au v:'siècle..
ffAu temps de Paul Diacre, qui raconte ia légende, ainsi an ym* siècle, o
dit ailleurs l'auteur. Il n'a pas distingué les éléments qui entrent dans ia
F:ie Gregorii de Paul; il aurait vuque
ialégende saxonne, qui
sert de
buse à cette partie de la Ft'ta, est du vn" siècle, et qu'elle supposel'exis-
tence du récit surTrajan
dès le vi° siècle..
G~c/M'e/t~ ~M- Stadt Rom, t. II, p. 86.
Peut-être a-t-il été in&uencé parla discussion de Baronius avec
Chacon, quiraconte en effet, comme s'il le trouvait dans ses sources,
que l'action de Trajan fut, parordre du sénat, représentée sur son forum
par une statue de marbre ou de bronze. Le commentateur anonymede
Dante publié par M. Fanfani(voy. ci-dessus, p. sy<, n. i) dit, sans plusde fondement, que
saintGrégoire
vit l'histoirepeinte dans un temple.
Buti (voy. ci-dessus, p. a83, n. i) rapporte que «per questaiustizia
tu latta la statua di Traiano ne la piassa, come &ce iustizia a la vedova;))
ft c'est là, sans doute, la source plus ou moins directe de l'assertion de
(~l)acon.
LA LÉGENDE DE TRAJAN. 295
naît naturellement ce~groupe
de bronze dans la statue
équestre de Trajan qui ornait le milieu du forum. M y a à cela
une première difïiculté, c'estque
cette statue n'était accom-
pagnée d'aucune figure de femme à genoux. Nous en avons la
représentationsur une médaille l'empereur, comme dans la
statue pédestre qui figuraitau sommet de la colonne, tenait
une lance de la main droite et portaitdans la main gauche
étendue unepetite
victoire Puis il est fortpeu probable que
la statue deTrajan ait encore orné son forum à
l'époque de
saint Grégoire nous savons que, plus tard, elle se trouvait à
Constantinople~,et il est vraisemblable que, comme d'autres
monuments romains, elle fut enlevée et transportée à Byzance
du temps de Justinien.
Il faut donc s'en tenir à l'idée d'un bas-relief, qu'un heu-
reux hasard ferapeut-être retrouver, où se voyait une scène
symboliquetelle
que je l'aisupposée. Cette scène, en devenant
aux yeux dupeuple la représentation de l'histoire de Trajan
et de la solliciteuse, transforma à son tour cette histoire à
son Image. Que pensermaintenant de l'anecdote relative à
saint Grégoire ? Je suis fort disposé à la croireauthentique.
Grégoire n'étaitpas
un savant, tant s'en faut; ilinterprétait
comme tout le monde alors le bas-relief devantlequel
ilpas-
sait souvent en allant du Latran à Saint-Pierre, et rien ne
s'opposeà ce que son âme, naïve et tendre malgré son ar-
deur et son activité prodigieuse, ait été émue à cette terrible
pensée, quetant de chrétiens ont
peineà
regarder en face
la damnation irrémissible des infidèles, même vertueux. Qu'il
ait, sousl'empire
de cette émotion, prié pour Trajan3, qu'ilait cru. dans une vision, entendre une voix qui lui disait
qu'il
C. de la Berge,C. de la Berge,
frTrajan, dit M. Pingaud (La po&<t~«e~e saint Greg'OM'ele Gr<:M~,
Paris, 1873, p. aïo), était digne d'être admiré par Grégoire, et Une faut
pas s'étonner si, dans la tradition populaire, le saint pontife a demandé
à Dieu pour un aussi bon prince t'entrée du ciel des chrétiens." Ba-
ronius et Bellarmin n'en jugeaient pas ainsi; mais c'est se tromper quede croire que Grégoire
ait admiré ou même connu les qualités du Trajan
historique. Il est encore moins juste d'attribuer les iarmes du pape à
frun élan de fierté patriotique.~ De sembtahies idées étaient bien étran-
gères à l'esprit des hommes d'alors et surtout de Grégoire.
GASTON PARIS.396
était exaucé, c'est ce qui ne me semble pas plus impossible
qu'aux auteurs des ~4c<<:Sanctorum. On objecte qu'il a enseignélui-même qu'il ne faut pas prier pour les infidèles; on pour-rait objecter aussi que cette tendresse pour l'âme d'un païenest étrange dans le cœur de l'homme qui gourmandait si sévè-
rement un évoque pour avoir lu et enseigné Virgile, et quia constamment manifesté une telle aversion pour ce qui, de
près ou de loin, pouvait rappeler l'époque de l'idolâtrie. Mais
l'homme est plein de contradictions, et Grégoire surtout en
offre plus d'une à qui étudie sa vie et son œuvre Esprit
mystique et contemplatif, a dit un excellent critique, il s'aban-
donnait aux impulsions du moment, et ces impulsions étant
souvent contradictoires, il en résultait un certain décousu
dans sa conduite 1. ') Le même homme qu'indignait Virgile
a donc pu pleurer sur Trajan. Son attendrissement dans cette
circonstance rappelle celui qu'il éprouva en voyant pour la
première fois des enfants angles, qu'on vendait à Rome comme
esclaves « Ce sont des anges, dit-il, et non des Angles Hélas
quelle douleur de songer que le prince des ténèbres possèdeces visages lumineux H Et il s'occupa de convertir la Bre-
tagne. L'impression de justice et de puissance qui se dégageait,
pour son esprit, de la contemplation du bas-relief impérial le
frappa d'autant plus, qu'il se sentait vivre dans un temps bien
différent de celui dont les monuments magnifiques du forum
Trajani attestaient la splendeur et la majesté. Grégoire, qui
passait sa vie à défendre des violences le troupeau qui lui était
confié, Grégoire, sans cesse abandonné par la protection im-
puissante des Césars byzantins, se prit à rêver à ce que pourraitêtre le monde si un Trajan unissait la soumission à l'Eglise à
tant de gloire et de vertu. Il pleura devant Dieu et sur son
temps, qui n'avait pas de Trajan, et sur Trajan, qui n'avait
pas connu la vérité; il se persuada qu'il l'aurait aimée comme
la justice s'il l'avait connue; il osa demander à Dieu de faire
pour lui. en considération de cet acte magnanime, où il avait
laissé un si bel exemple aux rois, une exception à ses décrets.
Que se passa-t-il alors? Sans doute il crut entendre une voix
lui dire qu'à sa prière l'âme de Trajan était délivrée, et il ne
M. Reuss,dans la A*MteCM'~«e, 1873, t. II, p. a85.
LA LÉGENDE DE TRAJAN. 297
s'étonna pasde cette réponse divine à sa méditation et à ses
pleurs. Certains traits de sabiographie
nous montrent qu'autour
de lui on le croyait en relations habituelles et familières avec le
ciel, et ilparaît
n'avoirpas trop découragé
cette croyance. Il
est donc fort possible qu'il ait raconté à quelquetémoin de
ses larmes, par exempleau diacre Pierre, son confident, ordi-
naire l, la vision qui l'avait consolé, et que celui-ci l'ait redite
à son tour, comme il raconta l'histoire de la colombe céleste
qu'ilavait vue dicter à
Grégoire ses écrits. Mais il estpossible
aussi que le pape ait eu plus tard des remords de cette infrac-
tion aux lois del'Eglise, qu'il
en ait demandépardon
à Dieu
et qu'il ait vu dans la continuité de la maladie dont il souf-
frait uneexpiation
de sa témérité.
L'intérêt de l'étude qu'onvient de lire est surtout de mettre
en lumière ledéveloppement
d'une légende, nonpas préci-
sément dans lepeuple,
mais dans cepublic
à moitié instruit
quiest seul
propre à conserver et à amplifier les fables histo-
riques. Née d'un fait réel, quihonore Hadrien, transportée
à
Trajan par uneusurpation comme les riches, même involon-
tairement, en commettent sur les pauvres, transformée une
première fois sous l'influence d'une de cesinterprétations.po-
pulaires auxquelles les œuvres d'art ont si souvent donné lieu,
l'histoire de la justice de Trajan, une foisque
l'intérêt qu'elleavait inspiré à saint
Grégoirel'eut conservée pour le moyen
âge littéraire, se modifia de différentes façons, mais toujoursdans une direction logique et explicable. On la rendit
pluschrétienne en
amplifiantle
dialogue;on la rendit
plusdrama-
tique enplaçant Trajan
entre son devoir de juge et son amour
depère;
on la confondit avec l'histoire de Zaleucus, où ces
deux mobiles étaient également en lutte.L'imagination
de
Dante, retrouvant à son insu l'une desétapes les plus impor-
tantesqu'elle avait parcourues, s'en
empara pourun tableau
saisissantque
Delacroix a crureproduire en ie transformant.
H lui en raconte bien d'autres dans ses Dialogues. n est vrai que les
miracles qui en remplissent toutes les pages ne se font pas par lui, mais
par les saints dont il rapporte les vertus; mais comment l'homme qui
croyait tout cela aurait-il douté que Dieu pat communiquer avec lui?'?
GASTON PARIS.~98
D'autrepart,
l'intercession de saintGrégoire,
contraire au
dogme rigoureux,a charmé les uns, étonné, scanda)isé les
autres; lesthéologiens
l'ont adoucie, expliquéeou niée; les
légendairesl'ont insensiblement travestie, jusqu'à donner à
leur récitl'apparence
d'un conte d'enfant. Grâce aux larmes
deGrégoire,
l'âme deTrajan
n'a sans doutepas
été tirée de
l'enfer, mais sa mémoire a bien réellement été tirée des
gouS'resd'oubli où
l'antiquitétout entière avait sombré
pour
lemoyen âge, elle a reçu, pendant
des siècles, l'admiration
àlaquelle
elle avait droit sansqu'on
le sût, et deux fois, par
la lyreet le
pinceau, l'hommage glorieuxdu génie
i.
Lalégende de Trajan
a été étudiée plus d'une fois, notamment parMassmann et
parMM. A. d'Ancona, Oesterley et R. KoNer; j'ai trouvé
dans leurs travaux les indications les plus utiles. Je ne prétends pasavoir réuni ici tous les passages
relatifs à notrelégende
dans les auteurs
du moyen âge il y en a certainement que je n'ai pas connus; il y en a
( par exemple. saint Antomn, Jacques-Ph.ilippede
Bergame, etc.parmi
les
théotogiens; Scot, Durand de Saint-Pourçain, etc.parmi les historiens)
qui, vu ieur date on leur caractère, ne méritaientguère
d'être cités;
enfin, il y en a dont j'ai connu l'existence et que je n'ai pu vérifier (par
exempte,le ~o~H'tMm de Bernardinus de Bustis et Je~M' cités
parM. Oesterley, ou le
passage d'Hugues de Saint-Victor donné parPreuser
avec une fausse indication). -Je dois remercier, en terminant, MM. les
employés de'laBibliothèque nationale, dont FinépuisaNe obligeance
m'a
faciuté des recherches et des vérifications souvent malaisées.
t~SCRiPTION
INÉDITE
I~t? lOIFVMf~tïT'UDE BEYROUTH,
PAR LÉON REMER.
Mon savant confrère M. de Saulcv avait bien voulu me
communiquerla copie
d'une inscriptionlatine découverte
par un habitant de Beyrouth, &hm ~V~ser, le 3o juîllet i8y5,
à Deyr-e)-KaI'a, couvent maronite construit sur les ruines d'un
templede BaaI-Mareod, près
duvillage
de Beit-Mëri, à deux
heures et demie de marche de Beyrouth, sur les premières
pentesdu Liban. Cette copie
avait étéprise par
Selim Nasser
lui-même, dequi
M. de Saulcyl'avait reçue, et le texte
qu'elle
reproduisait présentaitde telles particularités que je crus
devoir, avant d'en entreprendre l'interprétation, priermon
confrère de tâcher de m'en procurer un estampage.Il voulut
bien accueillir ma demande avec son'obligeance ordinaire; il1
écrivit à Selim Nasser, et celui-cis'empressa
de lui envoyer l'es-
tampage dont il s'agit.
Cet estampage,exécuté avec beaucoup
de soin etparfaite-
ment réussi, me permitde lire presque tout ce qui restait de
l'inscriptionet d'en essayer
une restitution, que je crus pou-
voir communiquerà l'Académie des Inscriptions, dans sa séance
du a 5 août i8y6. Cette communication, je dois le dire, sou-
leva parmimes confrères un certain nombre d'objections; et,
quoique l'un d'eux, M. Louis Quicherat, se soit empressé de
désavouer cellesqu'il
avait formulées, je crus devoir en rester
là sur cette inscription, jusqu'à ce que M. de Saulcyeût ac-
compliune
obligeante promesse qu'il me fit alors, celle de me'
procurer le monument lui-même. Cettepromesse,
il l'a tenue
ce monument est arrivé à Paris; il se trouve aujourd'hui dans
LÉON RENIER.300
mon cabinet, et c'est sur lui qu'a été prise la photogravure
qui accompagne cette notice.
On voit par cette photogravure que l'inscription a souffert
clans sa partie supérieure, dans sa partie inférieure, et quele marbre sur lequel elle est gravée a été écorné son coin su-
périeur du côté gauche. Mais ce qui en reste, quoique formé
de caractères d'une époque assez basse, se lit très-distincte-
ment ainsi qu'il suit
SSSSFORTVN~~SMN- COL
~~îm~RTVNATVS DEC GEN !VM CVM
ET AETOMATE ET INCR.VSTA
aSSNE~ MARM DE SVO FEC PRO SALVTE
SVA SVORVMQjOMNIVM-ET-COMMV
N 1 S T R. 1 C E N S 1 M A E V L A S <?
MMIVS MAGNILIVS
<-equi
doit se lire et se restituer ainsi
Decej Fortun(ae) [MCt'(Mm) Ge]n(ium) CoJ(oniae).T. F/(sM!M~) Fo)rtunatus. dec(urio), Genium, cum
eo~jmnis et aetomate et incrusta-
fMJne mamt(orea), de suo fëc(!t), prosaiute
suasuorumq(ae)omQimne(,commu-uis trieensimae, v(otum) 1(ibenter) a(nimo) s(oivens).
Mt<]mmius Magniiias [y(ac!'6)!~Mm) e(Mff!M!
C'est-à-dire 1.
Génie de la Colonie consacré à la Déesse Fortune.
Titus Flavius Fortunatus, décurion, a fait faire & ses J&'ais ce Génie
avec les colonnes, le &'onton et !e revêtement en marbre, pour son salut
etpour celui de tous ies siens et de leur trentaine commune accom-
ptissant ainsi son vœu volontairement et même avec empressement.Mummius
Magnifius a surveillé l'exécution du monuntent.
L'Inscription suivante, trouvée aussi àDeyr-ct-Kal'a,
me
paraît justifier complètementla restitution
que je propose
C'est-à-dire "ducottègG
des trente dont lui et les siens taisaient
partie. n
n
:rNS~IPT~N~B!E~Rm~
`
INSCRIPTION DE BEYROUTH. 301
pour la première ligne de la nôtre, avec laquelle elle pré-
sente, d'ailleurs, une certaine analogie
AE.
GENIVM'COL-
ANTISTIA VICTO
R-INA FABAR.IA
PKO SALVTE.S~A
e t C ANTISTI ELAINI
ET VICTORINI ET SALVI
ET-HOTAR.IONIS-ET-CAR.AE
/IL-V-S
On voit qu'elle rappelle égalementla consécration du Génie
de la Colonie à la Fortune~.pour
le salut de lapersonne
quia fait élever le monument et pour celui de ses
parents.
Beyrouth était une colonie romaine de date assez ancienne;
fondée par Jules César, elle avait été agrandie par Auguste,
sous le règne duquel, en l'an j /[ avant notre ère, Agrippa yavait établi des vétérans des légions V° Macédonique et VHl°Au-
gusta 3 elle s'appelait Colonia jMtaAugusta
FelixBerytus4.
L'auteur de notreinscription, qui y était décurion, était donc
citoyen romain, et devait, par conséquent, porter, outre son
surnom Fortunatus, un gentilicium et un prénom. Mais il n'y
a, au commencement de la seconde ligne, avant le surnom
Fortunatus, que l'espacede deux ou trois lettres; c'est
pour-
quoi j'ai proposé de restituer ainsi le commencement de cette
ligne
T-F/'FoR.TVNATVS,
le gentilicium Flavius étant celui qui s'abrège leplus fréquem-
ment. On pourrait aussi restituer
TY-C~-Fo~TVNATVS,
c'est-à-dire Tiberius C/aM~M<s For(MHa<MS; mais cela nous don-
Corp. inscr. /<t<.t. tM, n. i53.
H me semble, en effet, que la première ligne doit être ainsi resti-
tuée FortVnAE MCt'MK. 1
Strabon, ). XVI, c. n, § 1~; voy. Borghesi, ÛE'MM'e-9.,t. IV, p. ~1 a.4
Ce sont les noms qu'elle porte dans que!ques inscriptions Coty.ot.s'er. /s(. t. III, 165 et 166, et sur un grand nombre de médaines
Eckhel, D. N. K t. III, p. 356.
LÉON RENIER.soa
nerait une lettre de plus, et ce point n'a, d'ailleurs, que peu
d'importance. Le reste de l'inscription, dont la lecture est cer-
taine, présente, au contraire, quelques particularités d'un vé-
ritable intérêt, aupoint de vue surtout de la philologie.
Ainsi, c'est la première fois que le mot AETOMATE se
présente dans un document latin. Aetoma est la transcriptiondu grec a~T&~o:, <xET<M~<xTos,et il devrait être neutre, comme
en grec, et faire au génitif ae~MM!< et à l'ablatif aefoBM~
comme dans notre inscription. Cependant, dans les deux seuls
exemples qu'on en connaissait jusqu'ici, il est féminin, et écrit
au génitif ae&)MM< à l'ablatif ae<o?yM: Ce n'est pas, du reste,
le seul fait de ce genre que l'on puisse signaler, et Priscien
nous apprend que ce changement du genre et de la décli-
naison des noms grecs terminés en a, <xTos, était un usageancien chez les auteurs latins. On conçoit, du reste, que, dans
une ville comme Berytus, où le grec était parlé au moins au-
tant que le latin, on ait cru devoir revenir, pour le mot dont
il s'agit, à l'orthographe régulière.
On ne connaissait jusqu'ici que deux exemples du mot IN-
CRVSTATIO, tous deux dans le D~'s~. Notre inscriptionest le premier texte épigraphique ou historique dans lequelil se soit rencontré.
Quant au mot TRICENSIMA, c'est évidemment la traduc-
tion du mot TptcuMs, par lequel on désignait, dans les villes
grecques, une subdivision de la tribu, composée ordinaire-
ment de trente familles de citoyens5. On sait que les citoyens
des colonies romaines étaient divisés en curies, correspondant
aux tribus des cités grecques. Les tricensimae de Berytus étaient
donc des subdivisions de ses cM~'es~ et il n'y a pas lieu de s'é-
tonner que cette ville ait conservé cette partie de son an-
AD EXTR.VCTION AETOMAE DEO ? N VI, mscr.
d'Aputum (Co?y. HMo-.&!<.t. IH, ima; Orelii, 3aa6).SCHOLAM SVAM CVM AETOMA PECVNIA-SVA-
FECIT, autre inscr. d'Apuhim (Co?'p. :'MC)'.lat. t. Hf, ~iL~A; Henzen,
69~)-/Ms<.~r<[MM.p. <()() et suiv. ed. Keil.
Lib. VIII, tit. n, § t3,et lib. L, tit. xvi, § 79.
Voy. Boeckh. Corp. inscr. g'?', note sur le n° 101, vol. t, p. iSg et
i4o. et ifs m/~M~ f)n même Yohune, p. goo.
INSCRIPTION DE BEYROUTH. 303
cienne constitutionlorsqu'elle
avait été faite colonie romaine;
onpourrait
citer beaucoup d'exemples analogues, surtout dans
les colonies de date aussi ancienne.
Enfin, COMMVNIS ne meparaît pas pouvoir se traduire
autrementque je ne l'ai fait. On a, d'ailleurs. dans une ins-
criptionde Bénévent, vue et
publiée parM. Mommsen, un
autreexemple
de ce motemployé
dans le même sens'.
~M. Nasellius M. f. Pal. Sabinus, et Nasettius Vitalis pater PAGA-
NIS COMMVNIBM pagi Lucu)(!!ani) porticum pecunia sua fece-
runt,n etc. (Momms. J. N. i5o~t; Orelli, ~)i3a et ù~3).
20
TABLE DES MATIÈRES.
Pages.
Les Ligureset l'arrivée des populations celtiques au midi de la Gaule
et en Espagne, par M. Alfred MAuRy i
L'histoire romaine dans le dernier tiers des Annales d'Ennius, par
M. Louis HAVET. ~t 1
Les peinturesdes tombeaux
égyptiens et lamosaïque de Palestrine.
parM.GastonMAspERo. ~55
Les 7abellarii, courriers porteurs dedépêches
chez les Romains.
par M. Ernest DEsjARDtNs (coec MM p/~Kc&e). 5 v
La légende d'Alexandre chez tes Parses, par M. James D.ARHESTETEK. 8H'l
Dei'anatogie, parM. Michel BRÉAL im s
Le nom de la province romaine, parM. Abel BER&AiGNE. un 5
Notice sur lesinscriptions latines de l'Irlande, par
M. Henri GAfDOx
(sMCMjt~sttc/tM). tat i
Lea etCa~t'tM/ff., contribution à l'histoire de ia iégistation carot'n-
gienne, par M. MarceiTHEVENiN. i3y
Quelques notes sur la guerre de Bar Kôzébâ et ses suites, par
M.JosephDEREKBOURG. i5y
Note sur les fortifications deCarthage
àl'époque
de la troisième
guerre punique, par M. Charles GpAux (avec KMep&me/M). lyti fi
Notice sur un traité du moyen âge intitulé De e~ort'&!M et artibus
~omaKorMM, par M. ArthurGiRY. ao<)
Sur un texte de la compilation dite de Fre'~g'tK're relatif à l'éta-
blissement des Burgundionsdans
l'empire romain, par M. Ga-
briel MoNOD. a-~)cl
Uu rôle des légats de la cour romaine en Orient et en Occident du
ly'au n" siècle, parM. Jules Roy. '2Aii
La légendede
Trajan, par M. Gaston PARts. a6i 1
Inscription inédite de Beyrouth, par M. Léon RENIER (aMc <Me
planche) a()t)\1