Berland Contre France : "mesure de sûreté et "peine"

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Berland Contre France : "mesure de sûreté et "peine"

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  • du Greffier de la Cour

    CEDH 266 (2015)03.09.2015

    Les mesures de sret imposes une personne reconnue pnalement irresponsable ne sont pas des peines au sens de la Convention

    Dans son arrt de chambre1, rendu ce jour dans laffaire Berland c. France (requte no 42875/10), la Cour europenne des droits de lhomme dit, lunanimit, quil y a eu :

    Non-violation de larticle 7 1 (pas de peine sans loi) de la Convention europenne des droits de lhomme.

    Laffaire concerne le prononc de mesures de sret, institues par une loi du 25 fvrier 2008, lencontre de M. Berland, dclar pnalement irresponsable, pour des faits dassassinat commis avant lentre en vigueur de cette loi. M. Berland se plaint ainsi du prononc de peines que son tat mental ne lui faisait pas encourir sous lempire de la loi ancienne applicable la date laquelle les faits ont t commis.

    La Cour observe que les mesures de sret nont pas t ordonnes aprs la condamnation du requrant pour une infraction mais la suite de la dclaration de son irresponsabilit pnale. Ces mesures (interdiction pendant vingt ans dentrer en contact avec les parties civiles et de dtenir une arme) doivent sanalyser comme des mesures prventives, et non punitives, auxquelles le principe de non-rtroactivit nonc dans larticle 7 1 na pas vocation sappliquer.

    Cette affaire se distingue de laffaire M. c. Allemagne, plusieurs gards, notamment :

    -elle ne concerne pas des mesures de sret imposes des personnes condamnes une peine de rclusion criminelle et qui prsentent la fin de lexcution de leur peine une dangerosit particulire. Cest le premier volet de la loi du 25 fvrier 2008 qui traite de cet aspect laffaire Berland concerne le second volet de cette loi.

    -dans laffaire allemande, la Cour a estim que la dtention de sret sanalysait comme une peine , laquelle larticle 7 1 trouvait donc sappliquer. La Cour a estim que cette mesure, ordonne aprs une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifi, et tant lune des plus svres qui puissent tre infliges en vertu du code pnal allemand, devait tre qualifie de peine2. Elle a galement pris en compte le fait que M. M. se trouvait dans une prison ordinaire, ce qui nest pas le cas de M. Berland, qui a t plac dans un centre hospitalier spcialis.

    1 Conformment aux dispositions des articles 43 et 44 de la Convention, cet arrt de chambre nest pas dfinitif. Dans un dlai de trois mois compter de la date de son prononc, toute partie peut demander le renvoi de laffaire devant la Grande Chambre de la Cour. En pareil cas, un collge de cinq juges dtermine si laffaire mrite plus ample examen. Si tel est le cas, la Grande Chambre se saisira de laffaire et rendra un arrt dfinitif. Si la demande de renvoi est rejete, larrt de chambre deviendra dfinitif la date de ce rejet. Ds quun arrt devient dfinitif, il est transmis au Comit des Ministres du Conseil de lEurope qui en surveille lexcution. Des renseignements supplmentaires sur le processus dexcution sont consultables ladresse suivante : http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution.2 La Cour a jug dans laffaire M. c. Allemagne (n 19359/04, 17.12.2009) que la dtention de sret tait une peine, en retenant notamment quelle avait t ordonne aprs une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifi et quelle visait davantage un but punitif que prventif, ainsi quen attestent son excution dans une prison ordinaire, labsence de soins spcialiss pour rduire la dangerosit de la personne concerne, la dure illimite de la dtention, son prononc par les tribunaux et son excution dtermine par les tribunaux de lapplication des peines qui font partie du systme de la justice pnale (arrt M. c. Allemagne, 124 131).

  • 2Principaux faitsLe requrant, Daniel Berland, est un ressortissant franais n en 1987. Il est actuellement plac au centre hospitalier spcialis de Sevrey.

    Le 14 septembre 2007, M. Berland fut mis en examen des chefs dassassinat de son ex-compagne et de violences volontaires sur deux autres personnes, et plac en dtention provisoire. Il avait, deux jours auparavant, port plusieurs coups de couteau mortels son ex-compagne, qui ne souhaitait plus le voir, sur son lieu de travail.

    En novembre 2008, le procureur gnral prs la cour dappel de Dijon prit des rquisitions tendant saisir la chambre de linstruction du tribunal de grande instance de Dijon afin de statuer sur lirresponsabilit pnale du requrant pour trouble mental, selon la procdure prvue par la loi du 25 fvrier 2008 relative la rtention de sret et la dclaration dirresponsabilit pnale pour cause de trouble mental. Cette loi a institu une nouvelle procdure de dclaration dirresponsabilit pnale pour cause de trouble mental. Auparavant, une juridiction dinstruction ou de jugement rendait des dcisions de non-lieu, de relaxe ou dacquittement de la personne en question - car tant pnalement irresponsable, elle tait assimile une personne contre qui les charges taient insuffisantes ou inexistantes - alors que depuis la loi du 25 fvrier 2008 la personne comparat devant une juridiction dinstruction ou de jugement qui se prononce sur la ralit des faits commis, dclare quelle est irresponsable pnalement et prononce le cas chant une hospitalisation doffice et/ou des mesures de sret.

    Par un arrt du 18 fvrier 2009, la chambre de linstruction dclara que M. Berland tait irresponsable pnalement au motif quil tait atteint dun trouble psychique ayant aboli son discernement et le contrle de ses actes. Elle pronona son hospitalisation doffice et lui fit galement interdiction, pendant une dure de vingt ans, de rentrer en relation avec les parties civiles et de dtenir ou porter une arme. Le requrant fit valoir devant la Cour de cassation que lapplication immdiate de la loi du 25 fvrier 2008 avait pour effet de lui faire encourir des peines auxquelles son tat mental ne lexposait pas sous lempire de la loi ancienne applicable au moment de la commission des faits. Son pourvoi fut rejet par un arrt du 14 avril 2010. La Cour de cassation carta les arguments de M. Berland au motif que le principe de la lgalit des peines ne sapplique pas aux mesures de sret prvues en cas de dclaration dirresponsabilit pnale pour cause de trouble mental.

    la demande de lavocat gnral, le mot volontairement fut par ailleurs supprim de la phrase de larrt de la chambre de linstruction il existe des charges suffisantes [contre le requrant] davoir (volontairement) commis les faits reprochs . Lavocat gnral avait fait valoir que ltat dirresponsabilit pnale ne permettait pas de se prononcer sur llment moral de linfraction et par voie de consquence sur le caractre infractionnel des faits au regard de la loi.

    Griefs, procdure et composition de la CourInvoquant larticle 7 1 (pas de peine sans loi), le requrant se plaint de lapplication rtroactive de la loi du 25 fvrier 2008.

    La requte a t introduite devant la Cour europenne des droits de lhomme le Cour le 21 juillet 2010.

    Larrt a t rendu par une chambre de sept juges compose de :

    Mark Villiger (Liechtenstein), prsident,Angelika Nuberger (Allemagne),Botjan M. Zupani (Slovnie),Ganna Yudkivska (Ukraine),Vincent A. de Gaetano (Malte),

  • 3Andr Potocki (France),Helena Jderblom (Sude),

    ainsi que de Claudia Westerdiek, greffire de section.

    Dcision de la Cour

    Article 7 1

    La loi du 25 fvrier 2008 relative la rtention de sret et la dclaration dirresponsabilit pnale pour cause de trouble mental comporte deux volets3. Laffaire concerne le second volet de la loi, qui institue une nouvelle procdure de dclaration dirresponsabilit pnale pour cause de trouble mental.

    Le requrant se plaint de lapplication rtroactive de cette loi et invoque larticle 7 1 ainsi libell : Nul ne peut tre condamn pour une action ou une omission qui, au moment o elle a t commise, ne constituait pas une infraction daprs le droit national ou international . La Cour doit donc dterminer si les mesures imposes M. Berland lont t la suite dune condamnation pour une infraction pnale et ainsi dterminer si elles sanalysaient comme des peines auxquelles sapplique le principe de non rtroactivit nonc par larticle 7 1. La Cour rappelle cet gard la porte autonome de la notion de peine contenue dans la Convention, indpendamment de sa dfinition dans les ordres juridiques nationaux. Elle note en outre que les lgislations pnales des tats membres tablies en vue de protger la socit contre les risques poss par les dlinquants dangereux sont trs diffrentes et que le mme type de mesure peut tre qualifi de peine dans un tat et de mesure de sret dans un autre. Ainsi il convient dutiliser avec prudence la distinction opre par la Cour europenne des droits de lhomme dans sa jurisprudence entre une peine, telle que la dtention de sret prvue en droit allemand4, et une mesure de sret chappant larticle 7 de la Convention, comme linscription dune personne sur un fichier judiciaire dauteurs dinfractions sexuelles ou violentes5.

    La Cour note demble que les mesures litigieuses ont t ordonnes par la chambre de linstruction du tribunal de grande instance de Dijon qui a rendu un arrt par lequel elle a dclar, dune part, quil existait des charges suffisantes contre M. Berland davoir commis les faits reprochs et, dautre part, quil tait irresponsable pnalement en raison dun trouble psychique ayant aboli son discernement et le contrle de ses actes. Cette juridiction a pris soin de prciser que (...) la dclaration de lexistence de charges suffisantes davoir commis les faits reprochs ne constitue nullement une condamnation mais la constatation dun tat susceptible davoir des consquences juridiques (...) . La Cour observe galement que la Cour de cassation a considr ncessaire de soustraire le mot volontairement de larrt de la chambre de linstruction, de manire ce que llment moral normalement constitutif dune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte.

    3 Le premier volet de la loi institue une rtention de sret dans un centre socio-mdico-judiciaire pour les personnes condamnes une peine de rclusion criminelle dune dure gale ou suprieure quinze ans, et qui prsentent la fin de lexcution de leur peine une dangerosit particulire. Cette rtention de sret prsente des similarits avec la dtention de sret examine par la Cour dans son arrt M. c. Allemagne (no 19359/04), dans lequel elle avait rappel que le Conseil constitutionnel franais, propos de la nature de la rtention de sret, avait jug quelle ntait ni une peine ni une sanction mais quelle ne pouvait pas tre impose rtroactivement des personnes condamnes pour des infractions commises avant lentre en vigueur de la loi ou faisant lobjet dune condamnation postrieure cette date pour des faits commis antrieurement, eu gard sa nature privative de libert, la dure de cette privation, son caractre renouvelable sans limite et au fait quelle est prononce aprs une condamnation par une juridiction (...) ( 75 de larrt M.).4 Arrt M c. Allemagne (no 19359/04)5 Arrt Gardel c. France (no 16428/05)

  • 4Par consquent, la Cour estime que les mesures litigieuses prononces lgard du requrant, dclar pnalement irresponsable pour cause de trouble mental, nont pas t ordonnes aprs une condamnation pour une infraction .

    Elle note par ailleurs quen France les mesures prononces lencontre du requrant ne sont pas considres comme des peines auxquelles sapplique le principe de non rtroactivit6.

    Concernant la nature et le but de lhospitalisation doffice, la Cour observe quil sagissait dune part de permettre au requrant, admis dans un centre hospitalier spcialis, et non dans une prison ordinaire7, de se soigner et dautre part de prvenir le renouvellement de son acte. Elle retient galement que la leve de lhospitalisation peut tre demande tout moment au juge des liberts et de la dtention. Ainsi, lhospitalisation doffice, dont la dure nest pas dtermine lavance, a un but prventif et curatif dnu de caractre rpressif et cette mesure ne constitue pas une sanction.

    Concernant les deux autres mesures de sret imposes M. Berland, savoir linterdiction pendant vingt ans dentrer en contact avec les parties civiles et de dtenir une arme, la Cour note quelles ne peuvent tre prononces que si elles sont ncessaires pour la prvention du renouvellement des actes commis par la personne dclare pnalement irresponsable, la protection de cette personne, celle de la victime ou de la famille de la victime ou la cessation du trouble lordre public. De plus, si ces mesures sont limites dans le temps - ce qui en ferait des peines selon le requrant - ce dernier peut saisir le juge des liberts et de la dtention pour demander leur mainleve ou leur modification. Ainsi, la Cour estime que le prononc des mesures litigieuses et le contrle de leur application par le juge ont un objectif prventif.

    La Cour note enfin que, si le requrant sexposerait certes une peine demprisonnement de deux ans et au paiement dune amende en cas de mconnaissance des mesures litigieuses, cela ne pourrait tre le cas que sil tait pnalement responsable de ses actes ce moment-l. De plus, le cas chant, ce serait une nouvelle procdure qui serait engage.

    La Cour conclut que la dclaration dirresponsabilit pnale et les mesures de suret qui laccompagnent ne constituent pas une peine au sens de larticle 7 1 de la Convention, et quelles doivent tre analyses comme des mesures prventives auxquelles le principe de non-rtroactivit nonc dans cette disposition na pas vocation sappliquer dans le cas de M. Berland. Il ny a donc pas eu violation de cette disposition.

    Larrt nexiste quen franais.

    Rdig par le greffe, le prsent communiqu ne lie pas la Cour. Les dcisions et arrts rendus par la Cour, ainsi que des informations complmentaires au sujet de celle-ci, peuvent tre obtenus sur www.echr.coe.int . Pour sabonner aux communiqus de presse de la Cour, merci de sinscrire ici : www.echr.coe.int/RSS/fr ou de nous suivre sur Twitter @ECHRpress.

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    6 La circulaire du 8 juillet 2010 a prcis que les mesures vises larticle 706-136 du Code de Procdure Pnale ne peuvent tre prononces titre de sanction ( 20 de larrt Berland). La Cour de cassation juge depuis son arrt du 16 dcembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines ( 23 de larrt Berland).7 Voir a contrario, larrt M. c. Allemagne, dans lequel la Cour rappelle quatteindre lobjectif de prvention de la criminalit implique des soins particuliers dans des tablissements spcialiss ( 127-129)

  • 5La Cour europenne des droits de lhomme a t cre Strasbourg par les tats membres du Conseil de lEurope en 1959 pour connatre des allgations de violation de la Convention europenne des droits de lhomme de 1950.