Bergier Jacques - La guerre secrète du pétrole

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    L a G u e r r e

    s e c r t e

    d u p t r o l eJacques Bergier et Bernard Thomas

    ditions Denol, 1968 ditions Jai L uFlammarion, 1971 rf. A259

    L e p t r o l ee s t l e s a n g d e n o t r e c i v i l i s a t i o n .

    Sans ptrole les moteurs sarrtent : plus de Dfense nationale,plus de T.N.T., plus de napalm, mais galement plus de nylon,plus de dtergents...

    On sait aujourdhui que la guerre des Six Jours fut largement uneguerre du ptrole. On sait moins que la guerre du Vit-Nam enest une autre.

    Huit trusts ont su se rendre matres des sources ptrolires.Chacun deux brasse des milliers de milliards, couvrant le mondeentier de tentacules gigantesques. En face, un gant, uniquemais impressionnant, lU.R.S.S., deuxime pays producteur du

    monde.La lutte se droule partout o se trouve un puits de ptrole,partout o il passe, partout o il pourrait jailli r. Enjeu : la libertet parfois la survie des nations.

    De tout cela on ne parle jamais. Les grands matres du ptroleprfrent ne pas dvoiler les mobiles et les moyens de leursactions.Dans ce livre, Jacques Bergier et Bernard Thomas font le pointsur ces luttes secrtes. Leurs stupfiantes rvlations expliquentle sens cach de bien des vnements de porte internationale.

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    Scanner, ORC, mise en page Lenculus

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    I N T R O D U C T I O N

    Guerre effroyable au Vietnam ; massacr e de centaines de milliers decommunistes (ou souponns de ltre) en Indonsie ; meutes sanglantes dansles possessions anglaises, Hongkong et Aden notamment ; rvolutionsincessantes en Afrique Noire, au Nigeria, au Congo, en Rhodsie ; guerre auYmen entre royalistes et rpublicains ; reprise des incidents de frontireentre Core du Nord et Core du Sud, aprs quatorze annes de trve ; guerreisralo-arabe, surtout, la plus spectaculaire, la plus proche de nous : lesexplosions se succde nt travers le monde. Chacune peut dgnrer en unconflit gnralis. Aucun individu raisonnable ne peut sempcher davoir dessueurs froides lannonce des nouvelles de la semaine.

    Une gigantesque partie dchecs est en cours, lchelle de la plant e :

    Hommes, races, nations, sentiments, idaux ne sont que des pions pousss pardes adversaires qui pensent en termes de puissance, non de philanthropie. Despions inconscients, dans la plupart des cas. On utilise les rivalits, les haineslocales, on les envenime, et les pions sentre -tuent, persuads de la justesse deleurs revendications. Jusquau moment o, dans un sursaut de dsespoir, ils servoltent. Cela arrive aussi.

    La lecture des journaux, aussi bien informs soient-ils, ne nous livre quela cr ote des choses : le point de vue partiel et passionnel des belligrants.Lorsque le dbat slve, on nous parle par exemple dun combat idologiqueentre communisme et capitalisme, sans nous en expliquer les vritables raisons.Sans nous rvler pourquoi ce combat a clat ici plutt que l. Bref, il existebel et bien un complot du silence autour de certains faits.

    Prenons lexemple du conflit isralien, et tchons doublier un instant lesmotifs subjectifs pour lesquels nos sympathies vont un camp, ou lautre. Lepoint de dpart de la guerre est clair : les Sionistes sont venus occuper unterritoire prcdemment habit par des hommes dune autre religion, lesPalestiniens musulmans. On comprend ce qui a pouss l les Sionistes : leretour la Terre Promise aprs 2 000 ans derrance et de perscutions. Oncomprend que les Arabes se soient senti spolis. On comprend fort bien queJuifs et Arabes en soient venus aux mains : lorsque deux paysans ne sont pasdaccord propos dun champ, il peut arriver q uils sortent le couteau. Mais sides richissimes amis leur prtent des canons de 75, nous souponnons que desintrts plus graves sont en jeu.

    En ralit, le Sina est un dsert o lon meurt de soif. La Palestine entait peu prs un, avant larrive des Israliens. Essayons dtre objectifs : rienne ressemble davantage une dune de sable quune autre dune. Avec un peu debonne volont, on aurait pu reloger le million de rfugis palestiniens un peuplus loin, au lieu de les parquer sous des tentes m isrables, de les maintenirdepuis vingt ans dans un tat qui nest pas tout fait la mort, grce aux troiscents calories par jour que leur distribue lO.N.U. Il y a thoriquement de laplace pour tout le monde dans cette partie du globe.

    Or, ce ne sont pas des canons de 75, mais des milliards de matriel deguerre qui ont t distribus de part et dautre. De quoi planter suffisamment

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    de bl, de riz et doliviers, creuser suffisamment de canaux dirrigation dans ledsert, pour rendre riches et heureux, non seulement les Palestiniensclochardiss, mais dautres Millions de sous -aliments en dautres lieux.

    Il faut bien en conclure que les rfugis ne sont quun prtexte. Cesbouts de sable valaient, la peine, pour certains, dy investir des milliards, nonpas pour les rendre fertiles, mais pour les possder. De quoi sagit -il ? Dunequerelle . raciste, religieuse, idologique ? Sil sagit dapprendre aux gens lesbienfaits de la libre entreprise capitaliste, ou au contraire ceux du socialismemarxiste, est-ce une mthode logique que denvoyer des bombes avant destracteurs ? Est -il raisonnable de dpenser tant dargent pour catchiser unepoigne dillettrs ? Est -ce au nom de la philanthropie quon les bardedarmements ? Est -ce par souci humanitaire qu on risque de dclencher unetroisime guerre mondiale ?

    Ni ce quon appelle limprialisme dIsral dun ct, ni la frustration des

    Arabes de lautre, leur volont de rcuprer quatre arpents de sable,nexpliquent le napalm ou les appels au gnocide dun Choukheiri. Ilsnexpliquent surtout pas les chars, les avions, les missiles, les radars mis leurdisposition. Ni lempressement quon a montr les remplacer ds quils ontt dtruits.

    La ralit tient en un mot : lnergie. Un pays qui ne dpense pasdnergie est pareil un tre humain qui passerait sa vie sans rien faire, allongsur un lit : il est . peu prs mort. Un pays possdant des sources dnergieinsuffisantes sur son territoire doit aller en chercher ailleurs leurs pour vivre :cest le cas du Japon, de lAngleterre ou de la France. Un pays que ses richessesnaturelles ont rendu si puissant quil prouve un besoin supplmentairedactivit, va galement en chercher ailleurs : cest le cas des tats -Unis. Or,

    cette nergie, plus que le charbon, llectricit ou latome, cest le ptrole. Cherchez le ptrole , pourrait -on dire aux tres humains soucieux decomprendre ce qui se passe autour deux. A lorigine ou dans le dveloppementd peu prs tous les conflits depuis le dbut du si cle, on trouve le ptrole.

    Cest que le ptrole est le sang de notre civilisation. Sans lui, les moteursdes bateaux, des avions de guerre ou de commerce, des blinds et des voituresparticulires, sarrtent ; plus dhuile ni de graisses pour les rouages ; plus decaoutchouc synthtique pour les pneus, plus de plexiglas pour les cockpits desavions, de glaces pour les automobiles. Plus de dfense nationale possible. Plusde travail non plus.

    Napalm, T.N.T., nylon, tergal, dacron, orlon, insecticide, engra is

    chimique, carrosserie, assiettes, tuyaux darrosage, crme de beaut, table dejardin, nappe pour la table, vernis, fleurs artificielles, toitures, rideaux, rouge lvres, noir pour les yeux, vernis ongle, sous -vtement, lessive, ponge,cuvette, bro sse dents, cire, gaz de cuisine, encre dimprimerie, asphalte,paraffine, films : prs de 300 000 produits divers sont tirs du ptrole. Lacatastrophe provoque en Occident par le manque de ptrole seraitinimaginable.

    Or, certains ont su se rendre mat res des sources ptrolires : ce sont lesgrands trusts. Largent allant aux riches et la puissance aux puissants, leuremprise sur le monde tend devenir dmesure. Les super -bnfices raliss

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    par eux ne restent pas inactifs au fond des coffres bancaire s. Remis encirculation, ils servent de moyens de pression dans les domaines les plusdivers : scientifique, conomique, politique, voire mme culturel. Au bout du

    compte, ces investissements colossaux, dallure parfois inoffensive, font boulede neige et reviennent leur point de dpart sous forme de super -super-bnfices. Chacun des grands trusts dirige plus ou moins directement descentaines de socits filiales, brassant des milliards de milliards, couvrant lemonde entier de tentacules gigantesques. Leurs activits commencent lexploration des terrains propices et se terminent la vente en passant parlExploitation, le transport, le raffinage et la fabrication des produits finis. Nousverrons plus loin en dtail ce que reprsentent ces trusts. Rete nons pourlinstant quils sont sept principaux :

    Cinq amricains : la Standard Oil of New jersey, premirepuissance industrielle et financire du monde ; la Texas Oil

    Company ; la Standard Oil of California ; la Gulf OilCorporation ; la Socony Mobil Oil ; plus un certain nombredindpendants, plus ou moins puissants.

    Un anglo-hollandais : la Royal DutchShell.

    Un anglais enfin : la British Petroleum, o lAmirautbritannique dtient la majorit des parts.

    cette liste on ajoute gnralement en huitim e partenaire : la France.Dans le bloc communiste, on ne trouve au contraire quun gant mais

    impressionnant : la Rgie des ptroles russes, monopole dtats qui fait delU.R.S.S. le deuxime pays producteur du monde.

    Les sept, tout en se livrant entre eu x des batailles aussi sournoises

    quacharnes, se rconcilient sur deux points : maintenir les prix (en vitant lasurproduction, notamment), et combattre les efforts dindpendance de tout cequi nest pas eux. La lutte se droule dans le monde entier, pa rtout o se trouveun puits, sur toutes les voies de passage du ptrole. Cela reprsente une bonnepartie de la plante. Enjeu : la libert, et parfois la survie des nations. Victimes :les faibles. Risque : la fin du monde. Il est remarquable que ce sujet ne soitpratiquement jamais abord publiquement. Les grands Matres du ptroleprfrent videmment ne pas dvoiler au grand jour les mobiles et les moyensrels de leurs actions. Ils ont probablement raison. Ce sont des choses pluspropres rvolter qu mouvoir. Les hommes sont souvent prts mourirpour la libert moins aisment pour un derrick. Ce livre na dautre but quede dire qui veut lentendre ce quon tient ordinairement cach.

    A lpoque o ces lignes taient crites, en juillet 1967 ; une phrase duprsident de la Rpublique franaise venait de provoquer ce quil est convenudappeler en langage diplomatique de vives ractions . La guerre duVietnam et celle du Proche -Orient sont troitement lies , avait-il dclar. Ilne sagit pas ici dapprouver ou de dsapprouver une politique. Il y a un faitvident, sur lequel on sest bien gard de renseigner lopinion : la guerre duVietnam et celle du Proche-Orient sont toutes deux des guerres d ptrole.

    Du ptrole au Vietnam ? Mais oui. Presque ras de terre. Si lon nen arien dit au public, les Grandes Compagnies, elles, le savent depuis 1933 ! Ce qui

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    pourrait clairer dun nouveau jour lintrt que les tats -Unis ont toujoursport notre Indochine tout en russissant pendant vingt ans, avec laide delAngleterre, nous empcher de la mettre en valeur. Il y a du ptrole

    Tchepone (Laos), il y en a en Annam, il y en a Savannakhet (frontire du Laoset de la Thalande), pour ne citer que quelques exemples. Il na encore jam aist exploit.

    De plus, proximit du Vietnam, lle de Borno en produit (25e rangdans le monde) ; la Birmanie galement, qui a une frontire commune avec leLaos (21e rang) ; lIndonsie (9 rang, normes rserves) ; le Siam lui -mme,voisin du Cambodge et du Laos.

    Que le Vietnam soit contrl par la Chine et tout cet ensemble de payschancelle son tour plus ou moins brve chance. La Chine, qui ne produitactuellement que 10 millions de tonnes par an (les tats -Unis 400 millions),accde alors au rang de grande puissance industrielle ; elle acquiert les moyens

    de venir menacer les tats-Unis sur leur territoire mme, si elle le dsire. Si, aucontraire, ce ptrole demeure la disposition des tats -Unis, ceux-ci peuventenvisager une guerre de blinds en Chine mme, sans ravitaillement lointain encarburant. Telle est une des causes relles de la guerre du Vietnam. Une raisonpour laquelle les Amricains ont du mal se rsoudre la faire cesser.

    Quant celle du Proche-Orient, il est un autre p oint quon na pas assezsoulign. Cest la raison pour laquelle le chantage auquel les tats arabesavaient commenc se livrer sur les Anglo -Saxons en fermant les robinets deptrole a tourn court au bout de quinze jours. Voici pourquoi :

    1) Sheiks, mirs et princes divers touchent des royalties vraimentroyales. Les revenus de certains tats du Golfe Persique ,ontt multiplis par cent mille (nous disons bien cent mille)depuis 1945 ce qui, soit dit en passant, na gure profit lapopulation.

    2) Interrompre la production nest raliste que si on trouvedautres clients. Or, par qui remplacer ces Anglo -Saxons quifont couler un fleuve d dollars et de livres sterling en changede lor noir ? La Russie est elle-mme exportatrice. Quant laChine, malgr son dsir, elle nest. pas encore de taille simposer dans cette partie du monde.

    3) De plus, provisoirement, pendant la crise, les Anglo -Saxonsont tir un peu plus que dhabitude sur les puits dIran (tatmusulman, mais non arabe et qui navait pas fer m les

    robinets) du Venezuela et du Texas : les sheiks se sont doncrendu compte que leur boycott ne servait rien.

    4) De peur que la crise ne rebondisse outre les nombreusesrgions ptrolires du monde non exploites pour ne pas fairebaisser les prix, il restait aux Anglo -Saxons deux sourcespresque inpuisables : les schistes bitumeux du Colorado et lessables goudronneux de lAthabaska au Canada. En tout 50milliards de tonnes disponibles. De quoi remplacer aisment laproduction du Moyen -Orient. Les t echniques dextraction

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    partir des schistes et des sables, par chauffage du sol,entranement la vapeur, etc., taient au point depuislongtemps. Si ces ressources navaient pas t utilises jusqu

    prsent, cest quelles mettaient le prix de revient du ptrolebrut environ 30% plus cher quau Moyen -Orient. Or, enoctobre 1967, nous est arrive lannonce officielle de la miseen exploitation de ces gisements. Mais cela, bien entendu, sansquaucun rapprochement officiel ait t fait avec la criseisralo-arabe.

    Bref, la guerre du Proche -Orient a t plus facile arrter que celle duVietnam, les Russes prfrant jouer les ogres que rellement semparer de puitsdont ils ne sauraient que faire et les Amricains ntant gure vulnrables.

    Il y a mme un point sur lequel, paradoxalement, les Russes sont plusproches de la position isralienne que de celle de lgypte, tandis que les

    Amricains eux, ne seraient pas loin dtre daccord avec Nasser : cest leproblme de la fermeture du Canal de Suez. El le gne considrablementlUnion Sovitique, dpourvue de tout dbouch sur lOcan Indien, dans soncommerce avec le Sud -Est asiatique, et notamment dans son aide au Vietnamdu Nord.

    Les Amricains eux, ne sont gure affects par cette mesure. Bienmieux : il nest pas pour leur dplaire que les Anglais soient les premiersatteints, contraints quils sont de faire faire le tour de lAfrique leurs ptrolierspour se ravitailler. Malgr les liens privilgis qui les unissent, les Britanniquesont toujours t de dangereux rivaux pour les tats -Unis. Les trusts des deuxpays se sont de tout temps livrs une guerre acharne. Suez ferm, la livresterling a t dvalue au bout de quelques mois. Elle a t renfloue, certes,

    mais sous certaines conditions : il est probable que, plus que les pays arabes, laGrande-Bretagne est la principale victime de la guerre du Proche -Orient. Enattendant, les Palestiniens sont toujours migrs. Il ny a pas de piti dans laguerre du ptrole. Car il sagit bel et bien dune guerre.

    Pour mieux en comprendre lenjeu, prenons le cas de la France et citonsdeux chiffres. En 1975, daprs les prvisions. officielles du Ve plan, la Franceva consommer 105 millions de tonnes de ptrole. Son territoire en produiratrois. O trouvera -t-elle les 102 millions de tonnes qui restent ? Commentpourra-t-elle demeurer ou devenir indpendante dans ces conditions ?Comment rsistera -t-elle aux chantages faciles effectuer sur sonravitaillement ? Son avenir en dpend. Quelles ont t les premi res ractionsamricaines lannonce de lattribution la France de concessions en Irak,aboutissement dune relle politique dindpendance mene par legouvernement franais dans le domaine nergtique ? La menace peine voiledintercepter les tankers franais.

    On entend souvent parler de la menace du shortage , la pnurie deptrole qui planerait sur le monde, tous les puits tant taris. Il ne sagit l quedun faux argument, destin maintenir les prix en quilibrant loffre et lademande. Si un pays comme la France venait un jour tre priv de ptrole, cenest pas quil en manque ni sous la terre ni sous la mer. Les plus pessimistesestiment cent annes les rserves globales dont dispose lhumanit. Les plus

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    optimistes les estiment cinq cents ans. Nous verrons mme, dans un chapitreintitul Ptrole et cosmos quil a peut-tre t le ciment cosmique, le btoncleste ayant servi de pte la formation des plantes. En 1963, un spcialiste

    russe minent, le Dr Kalinko, a estim 775 milliards de tonnes le ptroleaisment rcuprable... malgr lavis des autres experts les expertscapitalistes dit Kalinko. Il y a au voisinage de la crote terrestre 2,5 millionsde milliards de tonnes de ptrole a, affirme-t-il. Ce qui corre spond 1 500 foisla consommation moyenne des annes 19601970. Autrement dit, si Kalinko araison, il y a du ptrole pour tout le monde pour non pas cinq, mais quinzesicles.

    Malheureusement, pour peu quon examine lhistoire du ptrole depuiscent ans, les choses ne se passeront pas ainsi. Certains pays seront affams,dautres suraliments. Tout dpend de lvolution de la guerre qui se drouledans la coulisse, et dont nous sommes tout la fois les tmoins, les hros, etpeut-tre les futures et involontaires victimes.

    Faisons le point rapidement.

    LAllemagne, avec la guerre de 39 45, a perdu la guerre du ptrole :nous verrons comment lorsque nous parlerons du ptrole synthtique. Coupeen deux, affaiblie, elle vient davoir en aot 1967 un sursau t dnergie, aprstoute une srie de dfaites, la dernire en date tant, lanne passe, la prise decontrle par la Texaco (Texas Oil Company) de la D.E.A., ultime entrepriseptrolire totalement indpendante. Le gouvernement de Bonn vient en effetdannoncer la cration dun puissant groupe mi -public, mi -priv, capitauxentirement nationaux. Cela ne signifie pas lindpendance, mais une premiretentative dautonomie aprs un long sommeil (1). Par ailleurs ; les prospecteursallemands se montrent trs actifs.

    LItalie, malgr le partage de ses colonies par les vainqueurs de 1945, a eula chance davoir, avec Enrico Mattei, directeur de lE.N.I. (Ente NazionaleIdrocarburi) un rebelle du ptrole. Cet homme seul, incompris, attaqu detoutes parts, a r ussi pousser son gouvernement dans la voie dune vritableindpendance ptrolire. Sa mort, en 1962, a t une lourde perte pour nosvoisins, nous allons en parler.

    Le Japon, largement soumis aux Amricains pour sa politique et sessources dnergie (la premire est la consquence du second), a perdu la guerredu ptrole. Il tente cependant de se dgager peu peu. II a notamment obtenuune importante concession en Arabie Soudite.

    La Russie, au contraire, reste lune des grandes gagnantes. Malgr les

    tentatives anglo -saxonnes sur Bakou et le Turkhmenistan, elle a su conqurirune totale indpendance. En 1938, elle produisait 30 millions de tonnes. En1966, elle en a produit 265 millions, par ses propres moyens, sur son propreterritoire : ce qui la met au deuxime rang mondial.

    1 Tout porte croire, du reste, qu'on songe srieusement, au niveau gouvernemental, unealliance, et peut-tre une fusion dans le cadre du March Commun entre cette compagnie, etson homologue franaise, la C.F.P. (Compagnie Franaise des Ptroles), socit d'tat participations prives.

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    La France, elle, avait jusqu prsent perdu toutes les batailles. Seule sonalliance avec les Anglo -Saxons lavait sauve. deux fois de lasservissement : lapremire en 1917, lors de loffensive de la Marne, alors quil ne resta it plus que

    trois jours de rserves, et que la Standard Oil de Rockefeller avait consenti inextremis la ravitailler ; la seconde pendant la deuxime guerre. tant bienentendu que les Allis nous ont chaque fois fait payer trs cher leur aide : ce futla fin de notre implantation en Syrie, au Liban, en Irak, en gypte, en Libye,notamment, tous pays producteurs, ou servant de passage au ptrole. Nousverrons la fin de ce livre que la France na pas renonc acqurir sonindpendance et nous dirons par quel biais.

    Les cas les plus tragiques sont ceux de pays comme lInde. Il ne faut paschercher dautre explication la misre effroyable qui y rgne, queltouffement systmatique de ses possibilits par les ingrences trangres.LInde possde dabond antes ressources naturelles. Par crainte desurproduction, on a interdit leur exploitation, de mme quon a empchlinstallation sur son territoire dusines de ptrole synthtique (dont lun desauteurs du prsent ouvrage avait du reste fait le plan).

    La Chine, elle, aprs avoir failli succomber sous les coups des Japonais etdes Occidentaux, se rveille. Des techniciens sovitiques lont dabord aide. Sasituation est encore prcaire. Mais elle guette le Vietnam, lInde, la Sibrie :Pour peu quelle ac cde lune de ces trois sources, les deux super Grandsdevront envisager un nouveau partage du monde : en trois au lieu de deux.Petite diffrence qui provoquera la IIIe guerre mondiale, si elle doit avoir lieu.

    Restent deux pays mineurs, un gagnant, un perdant : le gagnant, cestlAfrique du Sud, qui, malgr un blocus total et de vigoureuses protestationsinternationales, a eu laudace dutiliser ses ressources locales, et de fabriquer du

    ptrole synthtique. Lautre, cest lIran qui malgr la richesse de son territoire,malgr les royalties quelle reoit, malgr sa production acclre par le boycottdes tats arabes, en juin 1967, est demeure une colonie trangre. Sa frontirecommune avec lU.R.S.S. rend sa situation particulirement dlicate.

    Telle est, en gros, la situation actuelle des principaux pays du monde.LAngleterre et surtout les tats -Unis, par leur dynamisme, par la rapidit aveclaquelle ils ont compris trs tt limportance quallait avoir le ptrole, par lesoutien militaire et dip lomatique accord par leurs gouvernements auxinitiatives prives, ont su conqurir des positions quils ne sont pas prts delcher.

    Nous verrons que le ptrole, comme carburant automobile, a de bonnes

    chances dtre remplac par dautres sources dnergi e : le moteur lectriquenotamment. Nous verrons que ce serait peut -tre chose faite depuis longtempssans la pression des groupes ptroliers sans leur inquitude devantlventuelle suppression de lune des sources les plus importantes de leursrevenus (ils ont du reste t obligs de composer et tentent prsent de mettreau point un moteur lectrique fonctionnant au ptrole). Nous verrons quil est peu prs aussi intelligent de brler de lessence dans nos moteurs, quedalimenter un chauffage central avec des billets de banque.

    Malgr cela, le ptrole tant appel rester llment de base n 1 de lafabrication de produits chimiques et de nourriture, lenjeu sera longtemps aussi

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    important. Le combat ne faiblira pas. La phrase de Clemenceau une goutte deptrole vaut une goutte de sang paraphrase par lord Curzon, ex vice -roi desIndes et membre du cabinet de guerre anglais en 14 18, les allis ont vogu

    vers la victoire sur une vague de ptrole sera aussi valable pour la Ille guerremondiale quelle la t pour la Premire et la Seconde. On mourra encorebeaucoup pour lor noir.

    Do il ne faut pas conclure bien entendu, la suite de quelques auteursdous dune imagination dbordante, que les matres du ptrole tirent partoutet toujours toutes les ficelles avec le mme succs. La ralit est beaucoup pluscomplexe. Il y a des intrigues, des complots, des plans de bataille lchellemondiale ; tous les moyens, financiers, conomiques, diplomatiques, militaires ainsi que dautres, dignes parfois de Chicago sont ventuellement utiliss. Ily a des compromis, des chausse -trapes, des checs. Ainsi Henry Deterding, leNapolon du ptrole, grand matre de la ShellDutch Petroleum, mort en 1939,choua-t-il dans sa tentative de dtruire la Russie des Soviets. De justesse, il estvrai.

    Vingt-huit ans plus tard, les Matres du ptrole ne parlent plus dedestruction de lU.R.S.S. Ils disent simplement : Dpendre du ptrole russe,cest dpendre long terme des structures politiques russes . Cest en outreprovoquer le repli sur soi-mme des nations industrielles et la ruine de ceux despays producteurs dont la vie conomique entire et le dveloppement reposentsur lexploitation du ptrole, tels que le Venezuela ou les tats du Moyen -Orient [...] Bien des consquences sont craindre dune ventuelle victoireconomique de lU.R.S.S. sur le plan ptrolier [...] Est -ce dire que nous nedevons pas commercer avec lU.R.S.S. ? Bien loin de moi une telle pense.(Serge Scheer, Prsident dEsso Standard S.A.F.)

    Les dernires phrases sont particulirement significatives. Combattre unpays nempche pas de commercer avec lui. En matire dintrts conomiques,deux et deux ne font jamais tout fait quatre. On ne dcouvre au juste ce quilsfont. quune centaine dannes plus tard. Lorsque lHistoire est crite. Enattendant, lobservateur doit se contenter de mettre bout bout des indices.

    Ainsi en va-t-il au Moyen-Orient. Ainsi en va-il au Venezuela, cit par leprsident Scheer dans sa dclarat ion. Le pays, intgralement vendu aux grandesCompagnies, est le thtre dune rvolte qui tend se dvelopper dans toutelAmrique latine.

    Peu de temps avant que ces lignes ne soient crites, Alexis Kossyguine,chef du gouvernement sovitique, aprs les deux fameux entretiens quil avait

    eus Glassboro avec 1e prsident Johnson, faisait une halte Cuba. Qua -t-ilau juste t dcid ici et l ?

    Dune part, la gurilla semble devoir samplifier au Guatemala, enBolivie, au Venezuela et en Colombie. Il ne fait aucun doute quelle soitsoutenue au maximum par Fidel Castro, Dun autre ct, Moscou dsavouepubliquement Fidel dans son entreprise de subversion, et le traite dextrmiste.Qui faut-il croire ?

    Y a-t-il eu Glassboro un partage du monde entre les deux grands, sur ledos des plus faibles lAmrique latine par exemple, tant tacitement reconnue

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    comme fief des tats-Unis moyennant une autre concession en sens inverse ? Ilest en tout cas certain que les tats -Unis seraient aussi sensibiliss un ervolution vnzulienne, organise non loin de leurs frontires que les Russes

    pourraient ltre une entreprise agressive dans le Moyen -Orient turc ouiranien, deux pas du ptrole de Bakou. Donnant donnant. Les Cubains et lesArabes dun ct, les Israliens de lautre, ont le sentiment dsagrable de ntreque des enjeux. Sans doute nont -ils pas tort.

    Autre quasi certitude : cet accord de principe nempche pas de laisser ensous-main quelques rvoltes se fomenter rvoltes quon prend grand soin dedsavouer publiquement : les Cubains pour le compte de lU.R.S.S., Isral pourle compte des U.S.A. ne sont pas ouvertement soutenus. Le double jeu permetde faire sentir ladversaire le poids de sa propre force et la gentillesse quona de ne pas lutiliser jusquau bout.

    Ce quoi il faut ajouter une troisime donne, trs importante : la relle

    rvolte des Vnzuliens, la relle volont de survivre dIsral, qui les poussent des actes que les Matres du Ptrole n parviennent pas toujours co ntrler.

    Autre exemple de la complexit de cette partie dchecs : les capitalistesont attaqu lEspagne de leur alli Primo de Rivera en 1930 lorsquelle anationalis son ptrole parce que la gestion en devait tre en partie confie auSyndicat des Naphtes russes (Rivera renvers, ladministration espagnole passases commandes la Shell et la Standard : preuve de lingrence des deuxtrusts dans cette affaire).

    Mais inversement, en 1967, lU.R.S.S. fournit du ptrole au gnralFranco lorsquil en manque.

    A travers ces diverses contradictions, se dgage une double dynamique

    de la guerre permanente du ptrole :a) Tous les tats ont besoin de ptrole au mme titre quun tre

    humain a besoin dair et cherche en avoir le plus possiblepour respirer.

    b) Les possesseurs du ptrole (nous ne parlons videmment pasdes propritaires du terrain) cherchent avoir un monopolemondial et liminer toute concurrence.

    En 1939, la richesse du sous -sol de lU.R.S.S., jointe la volontdindpendance de ses dirigeants , faisait pressentir en elle une dangereuserivale. Cest contre elle quon unit donc ses forces. Nous raconterons quelquespisodes de cette lutte. Citons le plus significatif : pendant que Hitler prparait

    linvasion de la France au dbut de 1940, les g nraux anglais et franaisenvisageaient le bombardement des puits de Bakou territoire russe partirdes bases franaises de Syrie. Les documents relatifs cette opration ont tsaisis la Charit -sur-Loing par les Allemands, qui prouvrent bien entenduun vif plaisir les publier. Le plus remarquable de laffaire est quaucun desresponsables de la prparation de cet attentat ne fut inquit en 1945, alorsmme que les communistes taient puissants au gouvernement : on ne saurasans doute jamais pourquoi.

    LU.R.S.S. ayant gagn la partie, les allis, en mme temps quils faisaientmain basse sur tous les territoires allemands, italiens, (mais aussi franais,

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    guetts par eux depuis longtemps), semployrent, sur une plus vaste chelle, sous-dvelopper lAsie, dont les ressources naturelles, labondance etlintelligence de la population pouvaient faire un jour ou lautre un concurrent

    dangereux : sabotage de leffort chinois, par le blocus stratgique en particulier,guerre de Core, puis du Viet nam, rpressions sanglantes en Indonsie,sabotage de leffort indien, en sont les pripties les plus spectaculaires.

    Cette cassure du monde en deux, un Occident riche, une Asie pauvre, esten ralit le fait dun plan concert : celui tabli par George M arshall en 1948. Lconomie occidentale sest lance dans une croissance denviron 5% par anqui semble tous une donne naturelle rsultant de progrs techniques.Cependant, ceci na t ralisable que par le transfert de certains procdstechniques ou de gestion des tats -Unis vers lEurope occidentale et na tpossible que parce que, malgr les alertes momentanes, la coexistencepacifique entre lEst et lOuest na pas t rellement mise en jeu. JacquesDumontier, membre du Conseil conomique et social, Le Monde, 6 aot 1967.)

    Ainsi vivons -nous sur une prosprit que nous ne devons quau sous -dveloppement de certaines parties du monde. Linjustice dont nous sommesbnficiaires est criante, et la Chine de Mao en est parfaitement consciente. Lesprogrs ahurissants quelle accomplit, sans aide aucune, dans lexploitation deses sources dnergie, lamnera probablement acqurir les moyens de rtablirlquilibre. Nul doute quil y aura des rebondissements explosifs. Nous navonsaucune raison dimaginer un avenir tranquille o les civilisations sedvelopperaient dans une entente harmonieuse.

    Sil peut y avoir une lueur despoir, elle rside au fond des mers, dans cequon appelle dsormais le sixime continent, prolongement sous -marin desplates-formes continentales. Sa richesse en ptrole est, croit -on, norme. On

    estime quune exploration systmatique de ses gisements permettra bientt dedoubler les ressources mondiales. Sur les 785 milliards de francs quinvestiralindustrie ptrolire entr e 1963 et 1972 (chiffre de lOrganisation Europennede Coopration et de Dveloppement, O.C.D.E.), une bonne partie seraconsacre forer le fond des ocans partir de plates-formes flottantes.

    Il devrait donc y avoir, rptons -le, du ptrole pour tout le monde. Desmoyens de transport rvolutionnaires ont mme t prvus pour vhiculer cetafflux dor noir : en particulier des sous -marins sans quipage, guidslectroniquement, et navigant dix mtres au -dessous de la surface. Seul unproblme techniqu e relativement mineur risque de se poser : il sagit,paradoxalement, dun problme de diamants. Y en aura -t-il assez ? Lindustrieptrolire en utilise actuellement 4 400 000 carats, dont 10% synthtiques, pourles forages. Si ceux -ci doivent se multipli er, la pnurie menace. Il est vrai quelindustrie du diamant synthtique est moins brime que celle du ptrolesynthtique...

    Le gros avantage thorique des gisements sous-marins rside dans le faitquils risquent moins de donner lieu des conflits na tionaux susceptibles desenvenimer. Pas de tribus armer sur une le flottante. Pas de racismes exacerber. Encore faut -il remarquer que ni le problme de la limite des eauxterritoriales de chaque pays, ni celui de lappartenance des fonds sous -marins,ne sont rsolus. Les discussions juridiques, les notes diplomatiques, les

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    recommandations du Conseil de Scurit de lO.N.U. ont trop fait la preuve deleur inefficacit pour quon ne craigne pas de voir un jour une guerre claterpour la possession dun banc de sable.

    Il existe donc une cryptocratie du ptrole. Un gouvernement occulte duptrole. Il est malheureusement impossible, dans ltat actuel de linformation,et justement cause du secret qui entoure les grandes manuvres ptrolires,de donner un visage, de mettre des noms prcis sur cette puissance. Quelquesauteurs trop imaginatifs se sont lancs sur ce sujet dans des exposs sanspreuves. Si une troisime guerre mondiale devait tre suivie dun procs deNuremberg allant jusquau fond des ch oses , peut -tre alors aurions -nousdes chances de voir surgir quelques liasses darchives intressantes ne serait -ce que sur les dessous de la guerre du Vietnam.

    Pour lheure, nous devons nous contenter dune image approximative.Disons quil sagit d un monstre polymorphe. Y a -t-il un plan directeur unifi

    pour la mise en coupe rgle de la plante ? Y a -t-il une politique utilisantpragmatiquement au mieux les vnements locaux ? Probablement un mlangedes deux.

    Y a-t-il une mainmise complte sur le s gouvernements ? Non. Despressions souterraines, plutt. Des alliances suivies de dissensions, des luttesdinfluence. II serait faux de dire que les tats -Unis sont en ralit gouvernspar le ptrole. Il serait galement absurde de prtendre que la pui ssance desgrands trusts ne conditionne pas largement leur politique et la politiqueinternationale. Il en va de mme en U.R.S.S. o la Rgie des ptrolessovitiques constitue la partie la plus importante de la centrale dnergie miseen place par le gouvernement communiste pour la possession du monde. Riende tout cela nest simple, et la Russie, tout en soutenant dune main la

    rvolution algrienne, fait une concurrence acharne son gaz au mme titrequau gaz hollandais de Groningue. Le projet de ravi taillement par la Socitptrolire nationale algrienne (Sonatrach) de lAutriche, de la Bavire, de laYougoslavie, de la Tchcoslovaquie et de lItalie, vient de se heurter, au dbutde 1966, au projet sovitique de construction dun gazoduc gant Lvov Trieste.Do une rupture par les Algriens des conversations menes avec leursacheteurs dEurope Centrale. Nous sommes loin ici des proclamationstriomphantes dont on nous repat de tous cts sur lunion sacre de tous lesproltaires du monde comme sur la dfense du monde libre .

    La premire, la seule rvolution possible, notre sens, rside dans uneprise de conscience par tous des vritables conditions de notre vie. Il nest quetemps de constater la situation, dans son cynisme et sa crudit.

    En 1952, un clbre rapport amricain tabli Washington par le F.T.C.(Federal Trade Commission, organisme charg de lutter contre les trusts) aformellement accus les sept grands du ptrole de contrler 80% du ptroleinternational constituant ainsi de tr s loin le plus important cartel du monde.Les intresss ont dmenti. On peut videmment douter de leur sincrit.

    Quant au huitime grand, la Compagnie Franaise des ptroles, sagrandeur est, malgr des efforts mritoires, encore assez relative. Nous n enprendrons quune preuve : laccord sign le 10 janvier 1967 Moscou entre M.Brunet, Directeur des Affaires conomiques au ministre des Affaires

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    trangres et M. Gvichiani, Vice -Prsident du Comit sovitique de recherchescientifique, accord qui prvoit dapporter une aide technique notre pays pourla prospection, lexploitation des gisements, et le perfectionnement des

    mthodes de forage. Serions-nous un pays sous-dvelopp ?Quoi quil en soit, 80% ou non, cartel ou pas, existence relle dun

    gouvernement occulte ou complicit tacite au sommet, certains vnementsbizarres font rflchir sur les mthodes employes par les Matres du ptrole...A moins quil ne sagisse de simples concidences.

    En octobre 1962, pour une raison encore inexplique, scrasait au coursdun orage au -dessus de lItalie lavion dEnrico Mattei, lhomme qui avaitengag pour le compte de son pays une dure bataille contre les trusts anglo -saxons. Mattei gnait beaucoup de gens. Il stait fait de nombreux ennemispendant la Rsistance. Il avait eu des contacts suivis avec les Algriens pendantla rbellion. Il menaait constamment de faire des rvlations. Parce quil

    proposait des royalties de 80% contrairement aux 50% gnralement accords,aux potentats du Proche -Orient (fiftyfifty), lentre du ConsortiumInternational exploitant cette rgion lui avait t refuse. Enfin, et surtout, en1960, il avait rduit de cinq lires par litre le prix de vente de lessence en Italie,obligeant ses concurrents en faire autant.

    Jamais la preuve na t faite que son accident du 27 octobre 1962 ait td un sabotage. Disons simplement que la disparition de cet individu quirefusait de respecter la rgle du jeu et qui, surtout, menaait de trop parler, aprobablement arrang un certain nombre de personnes... dont ne font pas, bienentendu, partie les Italiens qui commencent lhonorer lgal dun grandlibrateur.

    Mattei a cr un mythe. Il a vcu dans son mythe. Il en est mort. Lemonde est devenu plus ennuyeux sans lui a, cri t son biographe P. H. Frankel(Mattei 011 and Power Politics. Faber, Londres, p. 27). Pour Mattei, le cartelavait une existence relle. Il reprsentait les forces du mal. Comme les Anglaispour Jeanne dArc , a-t-on dit son sujet. Il aura au moins pr ouv quunhomme audacieux pouvait quelque chose contre les forces conomiques. Nousrencontrerons bien des rebelles dans son genre au cours de ce livre. Ils ont tousfini dans des accidents. Et lon na mme pas toujours eu la pudeur, ouladresse, de travestir en accidents certains assassinats vidents.

    En France, nous navons pas de Mattei mais nous avons un dfenseur duptrole franais, Pierre Fontaine. Quiconque sintresse la guerre secrte etnotamment la guerre occulte du ptrole doit connatre ses livres. M. Fontaine

    est toujours en vie, mais il a beaucoup de difficult faire connatre son uvreDonnons-lui la parole avec un petit extrait de la postface de LAventure duPtrole franais (les Sept couleurs)

    Mon premier livre sur les questions ptrolires passa entre les mains deneuf diteurs parisiens avant darriver chez Dervy qui le publia autant paramiti pour lauteur que pour lintrt quil portait au sujet. Le dpart donn,mes livres ptroliers suivants sditrent normalement et se vendirent bien,malgr le refus dun grand quotidien de Paris et dun important hebdomadairedinsrer la publicit payante de lditeur. DAmrique du Sud, du Canada, du

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    Moyen-Orient et mme du Japon, les lettres dencouragement arrivrent. Lesarcanes ptrolires intressaient ; il ne leur manquait que la publicit...

    Les tabous concernant le ptrole ne touchent pas que les ouvrages derflexion. En 1946, jcrivis un roman, El Bir, dont les 10 000 exemplairesfurent rapidement puiss ; il avait pour thme une aventure de prospecteurs deptrole au Sahara et se prtait la confection dun film despionnageconomique avec folklore abondant. Trois cinastes demandrent des optionssur ce roman. Lun fit crire un synopsis quil soumit la prcensurecinmatographique ; on lui rpondit quil tait impensable que des Arabesattaquassent une exploitation franaise en Algrie, mme ptrolire (inexistante lpoque). Lautre reut le conseil. de ne pas soccuper dun sujet traitant duptrole. Je neus ja mais de nouvelles du troisime... sans doute dcourag pardes remarques similaires.

    Il nest pas facile, on le voit, de diffuser des informations sur le ptrole.

    Et pourtant il est ncessaire den parler. Un minent spcialiste des ptroles, M.Jean-Jacques Berreby, a dit un jour : Le temps des vagues allusions est pass. Cest exactement notre opinion. Aprs tout, 24 000 Franais sont tombsrcemment en Algrie dans une guerre qui sentait le ptrole.

    tre libre cest dabord avoir du ptrole. Se ba ttre pour le ptrole, cesten fait se battre pour la libert : les Algriens lont parfaitement compris et M.Pierre Fontaine lui-mme, qui ne les aime gure, reconnat dans LAventure duPtrole franais que les Algriens dfendent mieux leurs intrts p troliers quela France navait jusqu prsent dfendu les siens.

    Le gouvernement soudien a sign rcemment avec la Rgie Autonomedes Ptroles Franais un accord pour la prospection de la portion du territoirede lArabie Soudite situ en bordure de la mer Rouge, et pour tous les off -shores correspondants. Les ngociations prliminaires se sont prolongespendant deux ans (2). Attardons-nous un peu sur ce cas qui nous intresse aupremier chef. A cette occasion, M. Ahmed Zaki Al -Yamani, ministre soudie ndes Ptroles, a dclar notamment :

    Cet accord est une vritable victoire pour notre industrie ptrolire, caril constitue laffaire la plus avantageuse qui ait jamais t conclue jusqu ce jourdans nimporte quelle partie du monde. Il donne, en eff et, lArabie Soudite,le droit de sassocier 40% du capital de la socit forme pour exploiter leptrole, aprs sa dcouverte en quantits commerciales. Laccord stipule, enoutre, que les tribunaux locaux seront comptents pour rgler les litigesventuels. Cest la premire fois dans lindustrie du ptrole quune socit

    concessionnaire accepte de se soumettre aux dcisions des tribunaux locaux. Limportance de cet accord rside, non seulement dans le fait que la

    France bnficie son tour des concessions ptrolires de lArabie Soudite,jusqualors rserves aux compagnies anglaises, amricaines et japonaises, maisaussi dans louverture de la zone de la mer Rouge aux recherches ptrolires.

    Toutes les concessions antrieurement accordes en Arabie Souditeportaient en effet sur la rgion est du pays, cest --dire les territoires arabes du

    2 Nous prenons comme source d'information les documents officiels, eux-mmesrsums avec prcision dans la Revue Ptrolire. (Avril 1965, p. 62).

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    golfe Persique, les eaux territoriales, et les off -shores de ce golfe. Aucuneconcession navait jamais t octroye par le gouvernement soudien dans largion de la mer Rouge. Si du ptrole (comme les premires tudes le laissent

    supposer) y est trouv en grandes quantits, il bnficiera dune situationexceptionnelle. Les tankers qui le transporteront vers les marchsmditerranens et europens nauront besoin que de 24 36 heures pourgagner le canal de Suez alors que les navires chargs dans le golfe Persiquemettent cinq six jours laller comme au retour pour arriver lentre ducanal.

    Laccord sarticule de la faon suivante pour ses modalits les plusimportantes :

    1) Une socit franco-soudienne est forme 60/40 entre R.A.P. etPtromin (toutes deux socits tatiques). Elle supportera selonces mmes proportions les frais dexploration et dexploitation,

    et rpartira les bnfices de la mme ma nire.2) Ltat soudien prlvera, en fonction de la production des

    royalties progressives par paliers, soit 15% jusqu 3 millions detonnes ; 17% entre 3 et 4, 20% au -dessus de 4 millions.

    3) En outre, la socit sera soumise limpt sur les socits selonle taux de 40%.

    4) Au bout de 10 ans, la socit devra commercialiser elle -mme lamoiti de sa production, et aprs 15 ans, construire sur place uneraffinerie pouvant traiter la moiti du tonnage produit. Cetaccord entrera en vigueur aprs les premires dcouvertesexploitables.

    Il est bien dlicat de prvoir si le pourcentage des bnfices pouvantrevenir Ltat soudien atteindra 65 ou 80%. Limportant est que ce chiffresoit trs suprieur aux 50% jadis accords par les autres compagnies.

    Laffaire la plus avantageuse qui ait jamais t conclue jusqu ce jourdans nimporte quelle partie du monde , dclare donc Ahmed Zaki Al -Yamani : cest exactement limpression que nous avons eue aprs avoir examinun bon millier de contrats de ce genre.

    Or, les signataires franais de ce contrat ne sont pas des philanthropes.Une conclusion simpose donc : les pays producteurs de ptrole ont texploits par tous leurs clients prcdents :

    Do leurs rbellions frquentes. Si lon pouvait savoir entre quelles

    mains sont tombs les ahurissants profits du cartel, il est probable quondcouvrirait du mme coup la vritable structure interne du gouvernementmondial du ptrole..

    Les trusts se dfendent, bien entendu, de raliser des super -bnfices comme ils se dfendent de vouloir en quoi que ce soit gouverner la plante etsans doute les responsables officiels sont-ils. effectivement inconscients dans laplupart des cas de cet tat de fait. Ils estiment se trouver la tte dentreprisesnormales, ralisant des profits normaux destins tre rinvestis pour sedfendre au mieux dans le cadre de la libre concurrence capitaliste. Citons

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    nouveau sur ce point le prsident dEsso : La notion de prquation des cotsde la matire premire doit intervenir l, aus si bien dailleurs que celle desrisques dexploration, normes, que prennent les grands groupes ptroliers et

    cest pourquoi ces groupes doivent tre grands et travailler lchellemondiale : leurs bnfices moyens, qui semblent formidables en valeur absolue,restent parfaitement raisonnables exprims en pourcentages soit desinvestissements ; soit des chiffres daffaires. La prodigieuse fortune desptroliers, dont le mirage ne fait plus gure rver que lhomme de la rue, maisqui a cess depuis lon gtemps dimpressionner les initis, nest plusextraordinaire que par la grandeur relative des chiffres rgulirement publis ;chiffres astronomiques au regard de ceux

    dailleurs souvent inconnus dindustries de dimensions plusmodestes... Serge Scheer Prsident dEsso Standard S.A.F.

    Telle est la version officielle. En ralit, la plus grosse part des bnfices

    provient de la production du ptrole beaucoup plus que de son raffinage ou dela vente de lessence. Un exemple : une commission denqute am ricaine atabli que, pendant la guerre de 39 45, la Marine amricaine avait t obligedacheter du ptrole en Arabie 1,05 $ le baril, alors que le prix de revient taitde 25 cents Bahren. La socit qui avait ralis cette magnifique oprationavait t dailleurs finance par le Trsor amricain sous le prtexte que ctaitabsolument indispensable la poursuite de la guerre. On aurait pu renverser lesdonnes du problme et dire que la poursuite de la guerre tait absolumentindispensable lad ite socit de production de ptrole... Cest ce que lacommission Brewster ; charge de lenqute en 1947, a trs brillamment tabli.Aprs quoi on touffa le scandale ; le groupe (lobby) dintrts ptroliers tantextrmement puissant aux tats -Unis : On ne sait toujours pas o sont passs

    ces normes bnfices, et on ne le saura sans doute jamais.Cela, le prsident dEsso ne le dit pas. Il ne parle pas non plus des

    milliards de dollars dont disposent les groupes ptroliers pour effectuer despressions politiques.

    En revanche et l, il a parfaitement raison , lorsque le citoyen franaispaye son essence la pompe, les ptroliers ny gagnent rien que de tout faitraisonnable : les trois quarts de largent vont Ltat sous forme dimpts enchane, et le reste couvrira des frais normaux de raffinage et de distribution.Lessence franaise est la moins chre du monde la sortie de la raffinerie et laplus chre la station service.

    On voit le paradoxe : les distributeurs dessence ne sont pas plus

    responsables de la guerre du ptrole que, par exemple, le Franais moyen nelest des tortures commises en Algrie. Et pourtant cette guerre se droule belet bien.

    Dans son ouvrage, par ailleurs excellent, Le ptrole, un monde secret(Hachette) M. Jean Roume, qui doit tre normand, crit :

    Il est trs difficile de dclarer abruptement que les bnfices effectuspar les socits de ptrole sont abusifs, mais il est difficile aussi de prtendrequils ne le sont pas. Tout dpend du sens donn ce mot, bi en entendu.

    Le lecteur comprendra peut-tre, nous pas.

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    Disons simplement que les vrais Matres du ptrole ne font pas parlerdeux. On ne connat ni leur fortune ni leur puissance. Disons galement que leseul pays avoir rellement nationalis son pt role, lU.R.S.S., a failli plusieurs

    fois tre dtruit, et que, chaque fois, on a vu se profiler derrire toutes lesconspirations contre lui lombre des vrais Matres du ptrole, ceux quinarrivent pas toujours sentendre entre eux et dont les rivali ts se traduisentpar les guerres que nous voyons.

    Cest un lieu commun chez ceux qui soccupent des courants souterrainsde la politique et du pouvoir que de dire au sujet de ces Matres inconnus : Ilsont le bras long. On ajoute gnralement : Comme Mattei me le disait unpeu avant sa mort.

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    L E S A V E N T U R I E R S

    Le seul juge dans le coin, cest mon Colt six coups. La seule peinedans le Code, cest la peine de mort. : ainsi sexprime par un beau matin de1858 un certain Edwin L. Drake, qui vie nt de dbarquer Titusville, sur larivire Oil Creek (Pennsylvanie) la recherche de ptrole : Lhomme se faitappeler colonel : cela impressionne, au Far West. Il nest en ralit quunconducteur de locomotives rduit au chmage.

    Les financiers .de la Seneca Oil Company , qui lont lanc dans cetteaventure, ne sont en aucune faon des anticipateurs de gnie. Ils ne prvoientpas le moteur explosion. Simplement la Rock Oil , dite aussi American011 , ou encore Petroleum Oil (mot mot huile de pierre ), venduecomme remde miracle, rapporte des fortunes. Il semble galement quonpuisse gnraliser son emploi pour lclairage, la place des chandelles et desbougies : mais il faudrait pour cela en trouver des quantits industrielles. Onsest content jusqu prsent de ramasser artisanalement lhuile qui suintait fleur de terre : Drake est charg de creuser le sol pour voir si lon nen trouvepas davantage de cette faon.

    A peine arriv, il se met en campagne. Sa mthode est simple : lorsquilen a assez de marcher, il lance son chapeau en lair. Cest l quaura lieu leforage. Le risque dchec nest en ralit pas grand : partout dans la rgion dOilCreek, la terre sue le ptrole. Moins dun an plus tard, le 28 aot 1859, la

    profondeur drisoire de 23 mtres, lor noir jaillit flots : 35 barils (3) par jour.Cest peu par rapport aux milliers de barils par vingt -quatre heures produitsactuellement par certains puits. Cest norme parce que cest la premire fois.

    En quelques semaines, la gigantesque campagne de publicit dclenchepar les dirigeants de la Seneca autour de lvnement bouleverse les tats -Unis.La fivre sempare des Amricains. Une vritable mare daventuriers, despculateurs, de chercheurs, de repris de ju stice, de joueurs, de prostitues,davocats vreux, se lance lassaut de la Pennsylvanie. La rue vers le ptroleest beaucoup plus considrable que, dix ans plus tt, celle qui sest produitevers lor californien. Des fortunes samoncellent en quelque s heures. Lesrevolvers partent tout propos. Des puits sautent. Des incendies clatent.Chaque propritaire un peu important a ses saboteurs, ses tueurs et ses espions.

    Le Western dborde peu peu sur la Virginie, lOhio, lIndiana, le Kentucky, aufur et mesure des dcouvertes.

    Bref, avec le premier puits, nat latmosphre dans laquelle va se droulertoute lhistoire du ptrole, jusqu nos jours : et la guerre du ptrole qui a clatle 6 juillet 1967 entre le Nigeria fdral et le Biafra scession niste conserve lemme style romantico -sanguinaire. Lenjeu est toujours le mme : prendre lepuits du voisin (au Biafra, les installations anglaises appartenant Shell -B.P., et

    3 Le ptrole est souvent compt en barils, en souvenir du temps hroque o on letransportait dans des tonneaux de bois. Un baril vaut 159 litres.

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    devenues stratgiquement importantes depuis la fermeture du canal de Suez).La mthode est toujours la mme : appointer des espions (certains ont affirmque lIntelligence Service navait longtemps t quun service de renseignement

    lusage des ptroliers) ; puis au moment voulu, armer des tueurs et les lancer lattaque (en Af rique, les Noirs des tribus locales, persuads de se battre pourleur indpendance, et une poigne de mercenaires, pour qui largent a une forteodeur de naphte.)

    A partir de 1860, cependant, la lampe ptrole se perfectionne et sonusage stend ; on met au point les premires cuisinires et les premierschauffages centraux ptrole lampant. En dix ans, pour la seule valle dOilCreek, la production passe de dix mille cinq millions de tonnes.

    Cest alors quen 1870 un certain John D. Rockefeller sass ocie avecquelques personnages falots pour fonder la Standard Oil Company of Ohio.Son ide de dpart : offrir au public des produits de qualit suivie, des produits

    standard, au lieu des mille varits ingales trouves dans le commerce.Ide n 2 : acqurir le contrle progressif de tout ce qui a trait au ptrole,

    depuis les entreprises de forage jusquaux organismes de vente au dtail, enpassant par le transport et le raffinage, de faon ne pouvoir tre victimedaucun moyen de pression.

    Ide n 3 : rationaliser la production et le march du ptrole en poussantpar tous les moyens persuasion, ruine, violence les autres socits sejoindre lui. Ce qui aboutit, le 2 janvier 1882, la cration du Standard OilTrust (4) form par la fusion de quar ante compagnies qui remettent leursdestines entre les mains de Rockefeller. En 1897, le Trust prend le nom destandard Oil of New jersey, et devient la compagnie la plus puissante dumonde.

    Rockefeller est probablement le plus grand des aventuriers du p trole.Cest un personnage hors srie. Sa volont de puissance sans limites est serviepar un sens de lorganisation prodigieux. Cest lui le vritable inventeur desmthodes et des murs du capitalisme moderne. Peu lui importe le nombre derivaux quil a contraints au suicide : son thique tient en un mot, lefficacit.

    Il est probable que son nom a t plus souvent cit dans les journaux deson poque que celui de Hitler lui -mme. Et cela en des termes si peu flatteursque le Roi du Ptrole saperut que ses affaires sen ressentaient. Aussi prit -ilbientt son service un certain Ivy Lee, charg uniquement de chanter seslouanges : la profession de " public -relation " tait ne.

    La pression de lopinion publique et de ses conseillers, disent les uns, unremords tardif, affirment les autres, le poussrent vers la fin de sa vie utiliserune partie de son immense fortune pour crer diverses fondations debienfaisance tout fait exemplaires, il faut bien le reconnatre.

    Aprs avoir russi tant daffaires a vec les hommes, il voulut encore enfaire une avec Dieu le Pre : vivre cent ans. Il choua de peu. N en juillet1839, il mourut en mai 1939 dans son palais de Floride. La petite histoire

    4 To trust signifie faire confiance : les parties prenantes font confiance la directionqui prend leur place les dcisions importantes.

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    raconte que, pendant les dernires annes de sa vie, il ne . lisait plus quun seuljournal, spcialement imprim pour lui, et compos exclusivement desnouvelles susceptibles de lui plaire. Si lanecdote nest pas vridique, elle est

    digne de ltre. Rockefeller fut le type mme de ce quon appellerait aujourdhuiun patron de combat. Il na probablement jamais lu de sa vie dautres livres quecomptables, et sil coutait beaucoup la radio, ctait surtout pour lesinformations. Quant sa passion pour la musique, lorgue principalement, il najamais gaspill beaucoup de temps pour lassouvir.

    En revanche, en 1858, il disposait de 500 dollars. En 1865, de 50 000dollars ; en 1870 ( trente et un ans) dun million de dollars ; en 1885, 100millions ; en 1900, un milliard. En 1910, il atteint deux milliards de dollars.Cest lhomme le plus riche de son poque. Mais ce nest pas largent quilintresse : cest la puissance. La fortune nest quun moyen de lacqurir. Pourmettre un terme cet apptit dvorant, des lois antitrusts successives sontvotes. En 1911 notamment, un dcret rtablit lindpendance de toutes lessocits Standard. Le colosse devra se rsigner ne pas devenir seul matre dumonde il ne sera jamais abattu pour autant : en 1958, la Standard Oil of NewJersey signalait son revenu le plus important depuis sa cration : 809 millions dedollars.

    Le dveloppement de ma socit a t automatique. Il ne pouvait entre autrement tant donn la svrit de la concurrence , dclarait Rockefelleren 1932 au cours dune interview accorde au grand spcialist e allemand AntonZischka.

    Cette analyse marxisante du rle dun patron dentreprise est bienmodeste. En fait, Rockefeller a t un grand conqurant. Un sicle plus tt,Napolon se forgeait un empire colossal coups de charges de cavalerie. Lui a

    compris, le premier peut-tre, quau XXe sicle, la cavalerie, ctait le dollar.Il ne pouvait pourtant pas tout prvoir. En 1901, au Texas, Spindletop,

    le ptrole se met jaillir avec une telle force quil provoque une nouvelle rue.Deux nouvelles compagnies sont issues de laventure : la Gulf Oil Corporationet la Texas Oil Company, si prospres ds le dbut que Rockefeller ne peut riencontre elles.

    Et puis il y a le reste du monde. La prodigieuse aventure de laPennsylvanie fait rflchir, un peu partout. Elle stimule les intuitions quavaientdj plusieurs prcurseurs.

    On dcouvre du ptrole en Alsace, Pchelbronn ; en Galicie ; enRoumanie. LEurope occidentale, sapercevant quelle est dpourvue de

    gisements, se tourne dabord vers lEurope orientale . Puis les Hollandais serendent en Indonsie ; les Anglais en Birmanie.

    Les trois frres Nobel, fabricants de dynamite lorigine, esprits curieuxet inventifs, seconds par les Rothschild de Paris, prennent le contrle duptrole russe de la mer Noire dont ils inondent lEurope et lAsie.

    Aprs sept ans defforts, au bord de la ruine, mais soutenu en sous -mainpar le gouvernement anglais, William Knox dArcy, capitaliste qui avait fait unepremire fortune en dcouvrant une mine dor en Australie, fait j aillir en 1908le naphte en Iran, o il a obtenu du Shah lexclusivit des recherches et de

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    lexploitation. LAmiraut britannique se met alors envisager avec audace laconversion de la flotte entire du charbon au ptrole. Pour raliser ses plans,elle reprend en main laffaire de dArcy et fonde lAnglo -Persian Company, o

    elle sassure une part dactions majoritaire. LAnglo -Persian deviendra plus tardlAngloIranian, puis en 1954, la British Petroleum.

    En 1890, un obscur Hollandais nomm Hendrik Augus t WilhelmDeterding dbarque aux Indes nerlandaises. Le directeur dune petitecompagnie ptrolire appele Royal Dutch Petroleum, August Kessler, laengag comme " employ de bureau, agent ". Il soccupe dabord dun petitcomptoir, en pleine jungle, Sumatra. Il sen occupe si bien que, six ans plustard, la mort de Kessler, cest lui qui prend sa succession. Il

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    Alors enfin la Shell put tenir tte la Standard. Deterding, le Napolon,contre Rockefeller, le roi du ptrole : lempoignade fut grandiose. Cest lacharnement de cette lutte que la Russie des Soviets doit davoir survcu.

    1914-1918 : Deterding, cest indniable, participe la victoire allie. Lesnateur Branger dclare officiellement : " M. Deterding est connu et aim enFrance comme lun des plus puissants collaborateurs in dustriels de la dfensede Verdun et des deux victoires de la Marne. "

    Ce nest pas faux. Peut -tre faudrait -il y regarder de plus prs.LAllemagne, avant la Premire Guerre mondiale, avait entrepris le fameux Drag nach Osten , la pousse vers Osten : Est ! La construction dun cheminde fer reliant Berlin Constantinople, puis Bagdad et au Golfe Persique,dune part, lArabie et la mer Rouge de lautre, tait en cours. Le but, peinevoil, de lAllemagne consistait devenir matresse du march europen.

    Or, bien loin de sy opposer, Deterding sassocia ce projet qui le servait

    dans sa lutte contre Rockefeller. Ou plutt, il jouait le double jeu : lamiti quiliait le Sultan de Constantinople lAllemagne lui permit (ainsi qu la B.P. ;alors encore lAnglo -Persian), dliminer lAmricain des puits fabuleux deMossoul et de Msopotamie. Mais dun autre ct, il se mfiait de ce partenairetrop entreprenant. En mars 1914, cinq mois avant la dclaration de guerre, untrait : fut sign qui r partissait ainsi les ptroles turcs : 75% pour lAngleterre ;25% pour la Prusse (ces 25% dont nous hriterons aprs la guerre) :

    Si bien que Deterding, partir daot 1914,, attendit de voir comment lesvnements militaires allaient tourner avant de pr endre parti. Lorsquil vit queles allis avaient bloqu lavance allemande, il vola au secours de la victoire :Dans le cas contraire, ses origines hollandaise (pays neutre), et son associationavec la Deutsche Bank, lui auraient sans doute permis aismen t de changer sonfusil dpaule.

    Quoi quil en soit, lissue de la guerre lui permit de participer la curesur les anciennes zones dinfluence allemande : Deterding, associ avec laBritish Petroleum (ex Anglo -Persian) et la Compagnie Franaise des Ptr oles,sempara de lIrak. O M. Callouste Sarkis Gulbenkian, diplomate, aventurier,homme daffaires armnien gnial, conserva les 5% quon lui avaitprcdemment octroys en change de ses bons services. Et o Rockefellerneut de cesse quil puisse sint roduire. Alors, la guerre entre le roi et leNapolon du Ptrole, qui avait marqu une trve de 1914 1918, reprit de plusbelle. En 1920, elle tournait lavantage de Deterding : " Je puis dire que lesdeux tiers des gisements exploits dans lAmrique Centrale et lAmrique du

    Sud sont entre des mains anglaises... Dans les tats de Guatemala, Honduras,Nicaragua, Costa -Rica, Panama, Colombie, Venezuela et Equateur, [...]limmense majorit des concessions sont entre des mains britanniques. [...] Silon considre la plus grande de toutes les organisations ptrolires, le groupeShell, il possde en toute proprit, ou il contrle des entreprises dans tous leschamps ptrolifres du monde, y compris les tats-Unis, la Russie, le Mexique,les Indes Nerlandaises, la Roumanie, lgypte, le Venezuela, la Trinit, lInde,Ceylan, les tats Malais, le Nord et le Sud de la Chine, le Siam, les Dtroits etles Philippines... Avant peu de temps, lAmrique sera oblige dacheter le

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    ptrole coups de millions de li vres sterling par an aux socits anglaises etdevra payer en dollars. " (article du Times, mars 1920).

    Cependant, sur un autre front, se produit un coup dur : en 1920, lesbolcheviks arrivs au pouvoir depuis trois ans nationalisent les ptroles de leurpays. Deterding en conoit une fureur inimaginable. Campagnes de presseanticommunistes lchelle mondiale, mission de faux roubles destins couler la trsorerie russe, intrigues, complots, conspirations, espionnage,fourniture darmes et dargent la rvolte de Gorgie, aux Russes blancs, auxagitateurs, formation dune gigantesque coalition ptrolire contre les Soviets,o lon retrouve Gustav Nobel ; cration dune arme, dune flotte et dunemonnaie spciales pour Wrangel, charg de reconqurir s on pays, puis pourlamiral Koltchak : tout lui est bon pour rayer lU.R.S.S. de la carte du monde.Car il ne sagit de rien moins que de cela ! Il entretient des rseaux dagentssecrets ; il appuie, quand il ne les fonde pas, les socits danciens propr itairesde fonds russes dpossds par la nationalisation, il rachte bas prix le plus detitres possible et tente en sous -main de ngocier une association avec laRussie. Les Sovitiques, prts cder au plus offrant le surplus de leurproduction, refusent de lui accorder le monopole de. lexportation. En 1922,Deterding russit faire rompre les relations diplomatiques entre la Grande -Bretagne et lU.R.S.S.

    Du coup, les Sovitiques se retournent vers les Amricains, inquiets deleur ct de lhgm onie anglaise qui se dessine, servie par la toutepuissanteRoyal Navy et linquitant Intelligence Service. Rockefeller est en perte devitesse. En 1927, Staline lui fournit bas prix 4 millions de tonnes de ptrole :do une contre-attaque de Rockefeller contre Deterding. Et le match continue.La haine de Deterding contre le drapeau rouge saccrot encore. Le 21

    septembre 1927, lU.R.S.S. propose le remboursement la France desemprunts lancs du temps du tsar : Le gouvernement de lUnion desrpubliques sovitiques socialistes accepte de verser au titre de sa quote -part,pour le rglement des emprunts davant-guerre mis ou garantis par les anciensgouvernements russes et cots en France, 41 annuits de 60 millions de francsor chacune, reprsentant l e nombre moyen des annuits fixes dans le tableaudamortissement et prvues par le contrat dmission ; 10 annuits de 60millions de francs or chacune titre de larrir et reprsentant la compensationdes versements non effectus depuis linterruptio n du service de la dette ; 10annuits de 60 millions de francs or, chacune titre de bonificationsupplmentaire... dposer titre de provision, dans un dlai de six mois dater de ce jour, dans une banque de France, une somme de 30 millions de

    francs or reprsentant la moiti de la premire annuit destine au paiement desporteurs demprunt davant-guerre...

    Deterding russit faire chouer lopration en exigeant commecondition pralable la dnationalisation des ptroles en question.

    Quels furent ses agents dinfluence en France ? En.ralit, on ne sait pastrs bien. Et ceux quisavent ne peuvent ou ne veulent pas parler. La : seulechose qui soit claire dans lhistoire du ptrole depuis le dbut du sicle jusqunos jours (exclusivement), cest la bonne volont stupfiante mise par leshommes daffaires comme par les responsables politiques franais laisser

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    dpouiller notre pays. Btise, manque dimagination, absence de combativit,ou bien rsultat de pourcentages adroitement distribus par ltranger ? Il y ades exemples des deux.

    Toujours est-il quen 1928, le diabolique Deterding rvise sa position surun point. Il commence se rendre compte de la stupidit de la. comptition quiloppose Rockefeller. Le. monde est grand. Ne serait -il pas plus cens desentendre entre gens raisonnables ? Il invite., donc une partie de chasse dansson chteau cossais dAchnacarry, Walter C. Teagle, prsident dEsso Standardet sir John Cadman, prsident de lAngloPersian. Il en sort un accorda deprincipe toujours en vigueur de nos jours pour lessentiel : le prix du ptrolebrut sera :` dsormais fix dun commun accord. Il ne faut, pas tuer la pouleaux ufs dor. Il ne faut plus essayer de sentre -tuer. Chacun a une assez bellepart du gteau pour sen contenter. Mieux va tablir un front commun contreles pays qui tenteraient de saffranchir de la dpendance ptrolire. Cest ainsique les statuts dassociation pour le Moyen -Orient au sein de lIrak PetroleumCompany (I.P.C.) sont signs. Dsor mais, surtout dans cette partie du monde,on ne fera plus jamais rien les uns sans les autres, on le jure.

    On pourrait appeler cet accord, laccord a va comme a . Les grandescompagnies, profitant de leur crasante supriorit, dictrent dsormais leu r loi tous les pays du monde : quiconque se rebellerait serait immdiatement puni.

    Bien entendu, tous les partenaires se mirent tricher la premireoccasion, chacun essayant de grignoter la part de lautre : du moins ny eut -ilplus de guerre des pri x. Le monde a chang Achnacarry. Par la suite,Deterding sentta dans sa haine anti -bolchevique. Nous souffrons encore desexcs o le mena sa rancune contre les Sovitiques, ces voleurs de ptrole . Ilserait romanesque de faire de lui le seul respo nsable des fascismes modernes.

    Noublions pas pourtant que ce sont ses capitaux qui ont port Hitler aupouvoir en 1933 comme ils ont soutenu toutes les contre -rvolutionssusceptibles, dans son imagination, de dtruire lU.R.S.S. En 1937 encore, ilversait au Parti Nazi dix millions de florins et lors de son enterrement, enAllemagne, le 6 fvrier 1939, un reprsentant du Fhrer vint prononcer cesmots sur sa tombe : Au nom du Fhrer Adolf Hitler, je te salue, HeinrichDeterding, grand ami des Allemands. Hitler aurait souhait pour lui desfunrailles nationales : ce ne fut pas possible tant donnes les circonstances.Les dignitaires ; nazis lui firent seulement des obsques de hros.

    On ne saura probablement jamais le dtail des transactions effectu esentre Deterding et Hitler, entre Deterding et les Russes blancs, entre Deterdinget larme daventuriers de toute espce quil appointait.

    On sait hlas trop bien, en revanche, ce qui sest pass en 1934 aprslexcution en srie des agents de lIntel ligence Service qui avaient servidintermdiaires entre Deterding et Hitler

    (George Bell en particulier, Anglais naturalis Allemand), puis celle duclan allemand anglophile ( Munich, Roehm en tte). Hitler dcida de voler deses propres ailes, et dutil iser contre les matres du ptrole la puissance quilsavaient contribu lui donner. Des pompes essence vertes apparurent danstous les pays du monde, alimentes par des forages allemands, du ptrolesynthtique allemand (nous y reviendrons), d stocks allemands. Son

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    ravitaillement ? Repre nant les mthodes de Deterding, il intrigua tous cts,russissant conclure en 1938 alliance avec les Sovitiques, qui lui auraientfourni, sil ny avait pas eu la guerre, le ptrole du Caucase mais sintressant

    surtout au proche et au Moyen-Orient. En juin 1939, juste avant la dclarationde guerre, il reut Khalid al Hud, missaire personnel du roi Ibn Sad. Celui -ci vint lassurer du soutien du monde arabe tout entier soutien qui ne sedmentira pas de toute la guerre. On se souvient des appels au gnocide dugrand Mufti de Jrusalem, grand alli des nazis en matire dantismitisme.Passons. Le 5 juin 1967, les Israliens ont pris leur revanche en semparant deJrusalem. Tout cela naurait peut-tre pas eu lieu sans la politique aventureusede Deterding, sans cette obsession anti-bolchevique, qui le conduisit soutenirtous les rgimes forts, susceptibles de laider dans sa lutte.

    Dans cette trame gnrale de lhistoire du monde vue sous langleptrolier :

    1) dification des grands trusts par tous les, moyens.2) Rivalit Deterding-Rockefeller.

    3) Monomanie anti-sovitique de Deterding

    4) Accord au sommet tant conclu entre les grands pour sassurerle monopole sur la plante, viennent sinsrer un certainnombre de personnages hors srie : agents secrets, aventuriers,hommes dtats agissant pour le compte dun pays, dunecompagnie, ou pour leur propre compte dans diffrentesrgions du monde.

    Le plus clbre dentre eux est probablement Thomas Edward Lawrence,que certains appellent Lawrence dArabie, et dautres Pierre Nord par

    exemple Lawrence limposteur, ne prenant au srieux ni ses mthodes ni lesrsultats obtenus par lui. Ce qui nempche pas Lawrence dtre un grandcrivain.

    Le colonel Lawrence avait t charg par lIntelligence Service de chasserdu Proche -Orient et dArabie les Turcs, favorables aux Allemands. Il armadonc les tribus arabes, conquit leur amiti, se convertit lislamisme, battit lesTurcs, et mit sur pied un audacieux projet dempire panarabe. Il russit mmece tour de force de rconcilier les diffrentes tribus entre elles, et de leur faireaccepter pour souverain lmir Fayal, qui fut nomm roi dIrak.

    Malheureusement pour lui, un autre agent, secret anglais, Philby, le prede lespion clbre, soutenait la cause dIbn Soud dArabie Soudite : lEmpire

    dont rvait Lawrence et quil avait promis ses amis arabes ne se fit pas,lAngleterre jugeant en fin de compte quil tait plus prudent de diviser pourrgner. Trahi par ses : pr opres chefs, boulevers, Lawrence retourna enAngleterre, sengagea comme simple soldat dans la R.A.F. et mourut dans unaccident de motocyclette. Depuis, les Arabes considrent que les Occidentauxpassent leur temps les tromper, les escroquer, les exploiter. AmrikaTanhad al Bitrul al Arabi (published by Dar al Fikr, Le Caire 1957), LAmrique pille le ptrole arabe : tel est le titre de la Bible de tout Arabesintressant au ptrole. Les tats-Unis, en effet, profitant du morcellement destats arabes, voulu malgr Lawrence par la GrandeBretagne, ont pris peu peu

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    la relve de cette dernire. Ils ont appuy au maximum leurs positionscommerciales par des actions politiques et militaires. Cest ainsi quils ont livr crdit en dix ans u n milliard de dollars darmes aux Arabes (qui ne leur ont

    manifest aucune reconnaissance de ces cadeaux empoisonns accompagns devives pressions diplomatiques).

    Qui a raison ? Contentons-nous de constater que dans la mentalit arabe,profondment, le ca pitalisme occidental est un, monstre qui suce le ptrole,sang de la terre (5). Les tats-Unis font bien couler un flot dor en change surcespays dsertiques : mais il demeure gnralement entre les mains de quelquespotentats sans que le peuple en soit plus avanc. Cest l que le bt blesse. Lesgouvernements des pays les plus riches en ptrole sont aussi les plus anti -occidentaux... pour linstant, car la partie est loin dtre joue, et rien ne dit quedemain une vague anti -sovitique ne secouera pas ces rgions, si les Russes semontrent aussi envahissants que les autres.

    Quoi quil en soit, depuis Lawrence, attirs par lappt de la fortune,toute une nue daventuriers sest abattue sur lOrient. Prenons le casparticulirement significatif de lIra n, o la fascination de lor noir a depuisbeau temps remplac le romantisme des Mille et Une Nuits.

    On se souvient comment Knox dArcy avait obtenu, en 1901, du ShahdIran lexclusivit des droits dexploration et dexploitation sur tout le territoireperse. Quil ait cd ses droits au gouvernement britannique, quil y ait euarrangement lamiable ou quon les lui ait vols, la thse est controverse :toujours est -il quen 1909 lensemble du ptrole iranien appartenait dj lAnglo-Persian Oil (futu re British Petroleum) o lAmiraut britannique,soutenue par lIntelligence Service, se trouvait majoritaire avec : 60% des parts elle appliquait pratiquement lpoque la politique que lui dictait Deterding.

    Nous allons voir, partir de ces donnes, jongler les milliards, les vieshumaines et les trnes, sous linfluence dagents, parfois doubles ou triples.Nous ne pouvons, hlas, que rsumer les vnements.

    Avant la Premire Guerre mondiale, tait intervenu un trait entre le roidAngleterre et le Tsar, qui sans demander lavis du Shah, partageait lIran endeux zones dinfluence, lune britannique, au Sud, lautre russe, au Nord.

    En 1919, profitant de la relative faiblesse russe, lAngleterre limine lesSovitiques de lIran. Bien mieux, elle tente de fomenter des troubles au-del dela frontire. Triple riposte russe : en 1920, nationalisation du ptrole. En 1921,leurs troupes avancent pour protger la frontire. La mme anne, un trait estsign avec le Shah, lui interdisant daccorder aucune c oncession dans le Nord,

    voisin du Caucase, sans lassentiment du Kremlin. Pour tre plus tranquilles, ilsmettent sur pied un rseau dagents secrets, dirig par un homme qui connatbien lOrient, Einhorn. Celui -ci ne perd pas de temps : il joue la carte delanticolonialisme outrance, parle de la libert des peuples disposer deux -

    5 Au cours de la confrence conomique des pays sousdvelopps tenue en Algrieen octobre 1967, M. Abdesselam, ministre algrien de lconomie et de lIndustrie, a faitremarquer que les pays producteurs de ptrole ne reoivent en moyenne que 6,7% du prixde vente aux consommateurs europens des pays ptroliers .

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    mmes, et sourient tous les chefs de tribus nationalistes quil rencontre lunsurtout, un ancien cosaque tsariste nomm Rheza Khan.

    Cependant, les Amricains ne sont pas contents. Ils sont outrs dtretenus lcart du pactole par les accords successifs passs entre le Shah,lAngleterre et la Russie. On leur refuse toute concession ? Parfait. En 1922dbarque en Iran Harry F. Sinclair, homme daffaires, derrire lequel se cacheHerbert Hoover, alors ministre du Commerce, plus tard Prsident des tats -Unis. Il vient, muni de larme absolue : le dollar. Il met la main sur les rouagesconomiques du pays : banques, chemins de fer, etc. Il arrose le ministre desAffaires t rangres : 100 000 dollars. Il russit presque arracher uneconcession. Hlas ! Cela sapprend. Scandale. Pour touffer laffaire, Sinclairoffre dix millions de dollars titre de prt au gouvernement. Il ne les a pas. Unsyndicat les lui propose. II s aperoit alors que ce syndicat est contrl 50%par les Anglais.

    Tout cela fait la partie belle aux agents russes dEinhorn : il na aucunmal rveiller la xnophobie islamique. En 1924, le vice -consul des tats-Unis Thran est assassin par un fana tique religieux. Les tats -Unis se fchent :ils rclament 60 000 dollars dindemnit, plus 110 000 pour les frais. Un navirede guerre vient mme appuyer la requte : malheureusement, il ny a pas170 000 dollars disponibles dans tout lIran ni mme un se ul dollar. cur,Sinclair sen va.

    Il sen va au moment o triomphe Einhorn : En 1925, la rvolutionclate. Rheza Khan monte sur le trne dIran, sous le nom de Pahlevi. LesAnglais de lAnglo -Persian continuent damasser des fortunes sans payer leursroyalties.

    En 1932, lempereur Pahlevi annule le monopole anglais non sansaccuser lAnglo -Persian de truquer ses bilans : A la Bourse de Londres, lesactions de la future B.P. baissent de 20% en une journe.

    En 1933, le Shah accorde de nouvelles concessi ons aux Anglais, assezimportantes encore, puisquelles couvrent le tiers du pays, mais des tarifs plusavantageux pour lui. En 1937, il accorde un autre tiers du pays aux Amricains :Alors clate la guerre de 1939. Les trois rivaux et allis ont le mm e rflexe : ilsenvahissent lIran. LAngleterre fait mieux : elle se venge de tous les tracas quelui a causs le Shah en le destituant et en lexilant. Puis, pendant de longuesannes, cest le chaos. Les Anglo -Amricains sunissent pour tenter dlimine rles Russes. Chacun arme ses tribus. Cest la guerre civile :. Le pays est feu et sang. Les Kurdes sont massacrs. Le clan occidental lemporte enfin : les

    Russes sont obligs de remonter vers le Nord. Ils conserveront au passagelAzerbadjan et feront tout ce qui est en leur pouvoir pour, relancer lagitationpolitique en Iran. Cependant le Shah actuel est dj sur le trne, et les Anglo -Amricains sont matres du pays.

    Cest alors quintervient, en 1951, celui qui devrait tre le hros nationaliranien, le Dr Mohammed Mossadegh, alors "Prsident du Comit duParlement pour ltude des problmes ptroliers ". Boulevers de voir destrangers senrichir sur le dos dun pays affam, ce patriote voudrait nationaliserle ptrole. Ali Razmara, Premier mini stre sy oppose : le 7 mars, il est assassin.

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    Mossadegh prend sa place. Le 15, les ptroles sont nationaliss. En un an, lIranrcupre autant dargent que pendant les cinquante dernires annes.

    Mais lAngleterre ne lentend pas de cette oreille. Elle d crte le blocusde lIran : la Royal Navy coulera quiconque osera venir sy ravitailler.Mossadegh en appelle au Conseil de Scurit des Nations unies qui demeurede marbre. Il va sangloter Washington. Il hurle, il tempte : en vain. Pluspersonne ne veut de son ptrole maudit, parce que libre. Le Shah senfuit.meutes Thran, excutions ; Mossadegh est envoy en exil ; le Shah ledsavoue : alors on lui permet de revenir tranquillement. Et, pour bien montrerquon vit dans un pays libre, on ; prend pour Premier ministre le gnral pro-,nazi Falzollah Zahedi, prcdemment limin, en 1941. Mossadegh en mourrade chagrin quelques annes plus tard.

    Malgr lchec de sa tentative dindpendance, malgr la mainmise anglo -saxonne sur son pays, il naur a pas tout fait vcu en vain : les revenus

    ptroliers de lIran en 1958 taient nouveau gaux ceux des cinquantepremires annes de la domination de lAnglo -Persian.

    1961. Dixime anniversaire de la nationalisation. LEmpereur annonceque lIran va poursuivre sa politique dindpendance ptrolire. Et en effet, ilarrive conclure un accord avec les Italiens, tablissant ainsi une. premirebrche dans la forteresse anglo -saxonne. Puis des ngociations sengagent aveclU.R.S.S. Chantage ? Peut-tre. Toujours est-il que, quelques jours plus tard, ledpartement dtats amricain est prvenu que le rgime iranien va seffondrer.Le communisme va triompher dun moment lautre, dun jour lautre, moins que... A moins que lon nenvoie cent million s de dollars dans les septjours. On envoie cent millions de dollars. Ce qui, ajout aux 285 millions dedollars perus en redevances la mme anne, finit par faire une somme

    rondelette. Depuis, cela continue cahin -caha : assassinats, conspirations, tribusen rvolte, bref tout ce quil faut pour faire un bon film.

    Venons-en 1967 : une anne faste pour lIran qui a su tirer parti delemportement guerrier de ses voisins arabes. La production, en dix ans, aaugment de 106%. Il semble tout dabord que le S hah ait t lun desprincipaux fournisseurs en ptrole dIsral, jusquau moment o ce pays arcupr les installations gypto -italiennes du Sina, largement, suffisantes pourses besoins, selon ses dires. (Les Italiens, qui avaient apport leur aidetechnologique pour lexploitation de ces puits, ont dailleurs annonc en juillet la presse que les Israliens avaient commenc utiliser leur matriel sans leurdemander leur avis.)

    Ensuite, la fermeture, mme provisoire, des robinets dIrak, dArabieSoudite, du Koweit, de Syrie, a permis lIran dcouler des quantits deptrole beaucoup plus importantes que par le pass. Ce qui va peut -tre inciterles Anglo -Saxons sadresser de prfrence ce pays fidle, calme et biendirig.

    Les tats-Unis estiment avoir investi pour un y milliard de dollars sousforme darmes et dargent liquide en Iran ; ils trouvent que cest beaucoup :cest vrai. The Wall Street journal estime 15% seulement la part des revenusptroliers utilise pour amliorer les condit ions de vie du peuple. Si cest vrai,cest effectivement assez peu. Mais les mes sensibles auront eu tout loisir de se

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    consoler en lisant dans les journaux ; le rcit du couronnement du Shah et deFarah (poids de sa seule couronne 2 kgs), ou en lisant ce t extrait de Paris-Jour :

    Le milliardaire Nubar Gulbenkian (Monsieur 5%) vient de prendrelivraison de sa nouvelle voiture carrosse spcialement en France. Particularitsde celle-ci : toit entirement en verre de huit millimtres dpaisseur, intrieurclimatis, bar et rfrigrateur incorpors, tableau de bord larrire (on peutainsi vrifier, tout comme le chauffeur, la bonne marche du vhicule et savitesse), siges sur mesure, avec rglage en hauteur et inclinaison. Cot delopration (non compr is le prix de la voiture) quinze millions de francsanciens.

    Dautres journaux distribution plus restreinte signalent que le traficdarmes entre lAfghanistan et lIran est en pleine expansion, destination destribus et des maquis. Pour la suite de ce passionnant feuilleton, reportez-vous votre journal habituel...

    Coups dtats assassinats, sabotage : les aventuriers trouvent leur pleinemploi dans ces pays fantastiques du Moyen -Orient, Arabie Soudite, Irak,Quatar, Ymen, Koweit, Bahrein, ancienn es possessions turques pour laplupart, attribues aux allis par eux-mmes la suite de la victoire de 1918, eto le plus moderne des XXe sicle ctoie le XVe le plus rtrograde. Leaupotable y cote parfois beaucoup plus cher que le naphte, la moindre saladeverte y vaut largement son poids dor, tandis que les Seigneurs roulent dans desCadillac en or massif. Nous allons brivement examiner la situation ptroliredans les plus importants de ces tats.

    LIrak (Msopotamie), ancien territoire turc, fut attribu en exclusivitaprs la guerre de 14 18 un consortium international qui prit le nom dIrakPetroleum Company (I.P.C.), et dont les participants sont : lAnglo-Iranian Oil,future B.P. (anglaise 23,75%) ; la Royal Dutch Shell (anglaise, 23,75%) ; laStandard Oil of New jersey et la Socony Mobil Oil (amricaines, 23,75%) ; laCompagnie Franaise des Ptroles (23,75%) plus linvitable M. Gulbenkian(5%).

    Depuis 1961, cependant, les Irakiens taient furieux. M. Abdel Sattar AliHussein, ministre des Ptroles, dclarait encore en aot dernier : Notre paysdispose dnormes rserves, mais les Compagnies trangres ontvolontairement maintenu notre production un niveau relativement bas. Effectivement, de 1960 1966, la production irakienne na augment que de43%, contre 83% en Arabie Soudite et 106% en Iran. La raison ? Larvolution sanglante qui porta au pouvoir le gnral Kassem le 14 juillet 1958

    fut en ralit une victoire des agents communistes locaux sur un gangcorrompu impos par les imprialiste (Kassem dixit). Non pas que Kassem aitt lui -mme un communiste fervent. Mais pour promouvoir une politiquedindpendance nationale, il dut commencer par flirter avec lU.R.S.S. et laChine. Ds 1958, lexclusivit de lI.P.C. se trouv a donc abroge et les Russesse virent octroyer un primtre de recherches dans la rgion de Khartoum ; en1961, le terrain de chasse, de lI.P.C. fut limit 1937 km, soit 1% du territoireirakien ; le 7 aot 1967 une nouvelle loi fut vote, interdisant toute compagnietrangre de rechercher et dexploiter le ptrole dans les zones non encoreattribues, sans sallier la Compagnie Nationale Irakienne des Ptroles. Puis

  • 8/6/2019 Bergier Jacque