Bélis « Nuances » dans le Traité d'Harmonique d'Aristoxène de Tarente 1982

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LES «NUANCES»

DANS LE TRAITÉ D HARMONIQUE

D ARISTOXÈNE DE TARENTE

Les χρόοα ou χροιαί sont, dans la théorie harmonique des Grecs,es différentes variantes qu admet chacun des genres pour la place

des deux notes intérieures mobiles du tétracorde : la lichanos etla parhypate. Les musicographes admettent trois genres (enharmonique,hromatique et diatonique) et, généralement, six « nuances »ou, si l'on veut traduire plus exactement le terme grec, six « colorations » (1). Aristoxène de Tarente, auteur du plus ancien Traitéd Harmonique qui nous soit parvenu en bon état, est aussi le

premier à avoir introduit en musique la notion de genre (γένος)et le premier à avoir lixé leurs espèces (2) : les colorations. On sait

(1) Les termes employés en musique χρόα ou χροιά, χρώμα et d'autres telsque παρακεχρωσμένα <μέλη> (Aristote, Politique, VI11, 7, 1342 a 24) fontimage : ils sont empruntés au vocabulaire de la couleur (voyez le Περί χρωμάτωνaristotélicien). Le χρώμα serait à la χρόα ce qu'est le genre à l'espèce, la normeà la variante. D'où la traduction proposée par « coloration » (voyez J. Ghailley,« La Musique grecque antique », p. 32 ; Louis Laloy, « Aristoxène de Tarente,disciple d'Aristote et la musique de l'Antiquité », Paris, 1904, p. 205

(2) ί'εϊδος du tétracorde est fonction de la disposition des trois intervallesqui le composent :

Genre enharmonique : 1/4-1/4-2 Ο X X ΟGenre chromatique : 1/3- 1/3- 1 5/6 Ο X X ΟGenre diatonique : 1/2-1/2-1 1/2 Ο X X Ο

Ηύρατε Parhypate Lichanos Mèse

2 tons et demi = une quarte.L'hypate et la mèse sont des sons fixes ; la parhypate et la lichanos sont

mobiles.Le genre (γένος) appartient de droit à la théorie musicale ; les Pythagoriciens

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« NUANCES » DANS LE TRAITÉ D'HARMONIQUE 5f)

qu Aristoxène édilie un système musical dont les principes et laméthode s opposent à ceux des Pythagoriciens. Or, l'effort desPythagoriciens (et particulièrement de Philolaos et d'Archytas)avait consisté à définir les rapports numériques des intervalles dequarte, de quinte, d octave et de ton (diiïérence entre la quinte etla quarte) mais non pas à chiiïrer les intervalles d un tétracordede référence, coloration par coloration, genre après genre : en eiïet,ils laissent aux musiciens empiristes, à ceux qui s'en remettent àleur oreille, ce soin inutile, puisqu il ne concerne pas les intervallesnommés ci-dessus (3).

Mais le calcul des nuances n'est-il pas en contradiction avec lesthéories d Aristoxène lui-même, qui reproche aux professeurs de

musique de se régler sur des instruments, et aux Pythagoriciensde procéder par des calculs? Comment Aristoxène définit-il les« colorations »? En quoi est-il fidèle à ses principes et à sa méthodedans la détermination des six colorations?

Le Traité d Harmonique examine à deux reprises la question descolorations des trois genres ; une première fois, au livre I (Meibom,p. 21.32 sqq) sous l appellation de τας των γενών διαφοράς, laseconde fois au livre Π, διαιρέσεις τετραχόρδου (Meibom, p. 46.20).Pourquoi revenir deux fois au même sujet? S agit-il d une répétition

pure et simple, ou la méthode d exposition se renouvelle-t-elle ?

I. Premier exposé, Meib. 21.32-27.14

Les commentateurs n'ont pas coutume de considérer l ensemblede ce long texte, mais s'en tiennent seulement au détail des « colo-

les décrivent (Archytas et Philolaos), mais ne s'occupent pas des colorations,comme étant à la discrétion des instrumentistes. Cléonide, dans son IntroductionHarmonique, exprime très clairement les rapports entre le genre et la coloration

(on n'oubliera pas qu'il est le plus fidèle des sectateurs d'Aristoxène) : χρόα δέέστι γένους ειδική διαίρεσις χρόαι δέ είσιν αϊ ρηταί και γνώριμοι §ξ, αρμονίαςμία, χρώματος τρεις, διατόνου δύο. (Meib. 10, c. 7, in Musici scriptores Graeci,edit. C. von Jan, p. 190).

(3) En revanche, les néo-pythagoriciens auront à cœur de formuler leurpropre théorie des colorations ; témoin Ptolémée, qui en distinguera huit(voyez Porphyre, ad Plot. Harm. Comm., p. 157, 1. 21-29 edit. I. During),cinq diatoniques, deux chromatiques, et une enharmonique ; il utilise lui aussila distinction genre/espèce pour distinguer les trois genres des colorations(ibid, ligne 21) : των ειδών των γενών.

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rations » (Meib. 24.15-26.14). Or, il semble indispensable de biencomprendre la démarche d ensemble qui amène Aristoxène à sonchiffrage, ainsi que les conclusions qu il en tire. bref, d avoir unevue générale de ses démonstrations.

En ce livre I, il cherche à déterminer « d'où viennent les différencesde genre, et de quelle manière elles se font» (4). Il constate d abordque le premier des intervalles consonants comprend quatre sons,dont les sons mobiles et les sons fixes sont en nombre égal, quelque soit le genre. Il choisit de prendre pour tétracorde de référencecelui qui va de la mèse à l hypate.

Pourquoi ce choix? Aristoxène ouvre ici une brève parenthèsepour le justifier : parmi tous les tétracordes, c'est le plus connu

de ceux qui s'intéressent à la musique ; comme tel, il est indispensableάναγκαΐον) d observer comment il est aiïecté par les diff

érences de genre. Il servira donc de paradigme. Pour le moment,on le constate, Aristoxène n envisage pas de procéder autrementque par une sorte de processus inductif, appuyé sur les observationsfaites à partir d un exemple particulier. Toutefois, il dit tout desuite qu il voit dans le déplacement de la lichanos et de la parhypate« la cause des genres » αϊ των κινεΐσθαι πεφυκότων φθόγγων επιτάσεις τε και ανέσεις αΐτιαί είσι της των γενών διαφοράς (5).

Il est le premier musicien à attribuer une « cause » aux genreset à l'identifier ; il n a pas à le démontrer, parce que c'est un faitd évidence, qu il suffit de reconnaître (φανερόν).

A présent que les principes généraux sont posés, la démonstrationpeut commencer. Et d emblée, elle se situe au cœur du systèmearistoxénien : pour déterminer les colorations, on procédera en

4) Τας των γενών διαφοράς δθεν γίγνοντοα και δν τρόπον πειρατέον κατα-μαθεΐν Meib. 21.32.

(5) Meibom, 22.23. On notera qu'Aristoxène impute à un fait de nature,donc à la nécessité, la mobilité des deux sons moyens du tétracorde et la fixité

des sons qui le limitent. C'est là une idée qui ne surprend pas de la part d'unphilosophe aristotélicien. D'autre part, les deux modalités de déplacement dela parhypate et de la lichanos sont décrites par les termes grecs ΰ άνέσεις etα'έπιτάσεις, définis par Aristoxène précédemment (Meib. 10.24 sqq.) et dont« personne n'a jamais rien dit » avant lui (Meib. 3.31) : apparemment, Aristoxèneest le premier musicien à distinguer la tension de l'acuité et le relâchement dela gravité : c'est en tout cas ce qu'il dit ; l'acuité et la gravité sont à la tensionet au relâchement comme l effet est à la cause. Tension et relâchementimpliquent que la corde ou la voix sont en mouvement ; aigu et grave supposentl'arrêt de ce mouvement.

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« NUANCES » DANS LE TRAITÉ D'HARMONIQUE 57

définissant le lieu (τόπος) des notes mobiles (6), c'est-à-dire enassignant des limites aux « tensions et aux relâchements », quisont les deux formes du mouvement qui affectent les deux degrésinternes du tétracorde.

D abord le lieu de la lichanos : il est contenu dans les limitesd'un intervalle tonié (Aristoxène s appuie ici sur la définition duton, donnée au paragraphe qui précédait l étude des genres). Suitl'explication : la lichanos ne peut s'écarter de la mèse de moinsd'un ton ni de plus de deux tons. Conformément au procédéd'induction auquel Aristoxène invitait son public plus haut, il enappelle à l'expérience des musiciens pour leur faire admettre lalichanos ditoniée, et leur promet une démonstration ultérieure (7).

En parenthèse, il attaque vigoureusement les perversions de lamusique de son temps, qui intègre au genre chromatique descombinaisons qui ne sont pas adéquates à sa structure et à sa nature :

on voit là qu Aristoxène tient à ne pas sortir de son rôle de théoriciendes genres, et à vilipender les musiciens qui dénaturent la mélopéeen y introduisant l'anarchie, anarchie qui ne peut faire l objet delois harmoniques.

Vient ensuite le lieu de la parhypate (Meibom 23.24). Il s étendsur une δίεσις ελαχίστη, c'est-à-dire un quart de ton : la parhypate

ne peut pas se rapprocher de l'hypate de plus d'une δίεσις, ni s'enécarter de plus d un demi-ton. Ici interviennent deux notions propresau système d'Aristoxène, par lesquelles il s oppose aux théories deses devanciers : c'est d abord l'affirmation que le ton est divisibleen deux parties égales, et Aristoxène est bien le premier à introduire

ÎG) Comme avant Aristoxène aucun théoricien ne s'était avisé de la mobilitéde la parhypate et de la lichanos, Aristoxène est le premier à introduire enmusique la notion de τόπος (proche de notre concept de lieu géométrique ,c'est-à-dire, d'espace décrit par un mobile. Les Pythagoriciens ne pouvaientinventer une telle théorie : elle aurait été étrangère à leurs principes, qui les

conduisaient à identifier les intervalles caractéristiques des genres à des rapportsnumériques immuables.Pour Aristoxène, toute la théorie de la musique consiste, à distinguer ce qui

est mobile de ce qui est fixe : Ού δει δ' άγνοεΐν on ή της μουσικής ξύνεσιςάμα μένοντος τίνος και κινουμένου εστί και τοΰτο σχεδόν δια πάσης και κατάπαν μέρος αύτης, ώς ειπείν απλώς, διατείνειν (Meib. 33.28-32).

(7) Τούτων δε το μεν έλαττον παρά μεν των ήδη κατανενοηκότων το διάτονονγένος [ούχ1 ομολογείται, παρά δε των μήπω συνεωρακότων συγχωροΐτ' ανέπαχθέντων αυτών το δέ μείζον οι μεν συγχωροϋσιν οι δ' ου δι ην δε γίγνεταιτοϋτο α ιτίαν, εν τοις έπειτα ρηθήσεται (Meib. 22.30-23.3).

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en musique l'expression : το ήμισυ ήμίσεος τόνου (Meib. 23.29) ; c'estensuite le concept de συναφή : lorsque l'on parle de notes mobiles etdonc de leurs déplacements, et si ces notes sont voisines, alors il arrive,comme ici, que leurs lieux aient en commun une même limite :

cette limite sera, dit Aristoxène, celle de la lichanos la plus basseet celle de la parhypate la plus haute. Toute la démonstration estmenée en fonction des acquis précédents : distinction des sonsfixes et des sons mobiles, divisions du ton ; on sait que les Pythagoriciens n admettaient pas que le ton fût divisible en deux partieségales, parce que le rapport 9/8, qui s'obtient en soustrayant unequarte d'une quinte, « n a pas de moitié » (8) : en effet, le demi-tonjuste serait la racine carrée de 9/8, de telle sorte que. multiplié par

lui-même, il donne le rapport 9/8 qui définit le ton entier. D autrepart, comme indiqué dans le plan de son préambule (Meib. 4.26-32),Aristoxène définit d abord les déplacements des degrés mobilesqui sont la cause des genres et l'extension de leur lieu, avant de

8; Voyez la κατατομή κανόνος du Ps.-Euclido : prop, γ, Musiri scripturesgraeci, von Jan, p. 152 (= Meib. 25' : Έπιμορίου διαστήματος ουδείς μέσος,ούτε εις ούτε πλείους άνάλογον έμπεσείται αριθμός. Ce qui est démontré durapport épimore (4/3) est vrai, par suite, de la quarte, laquelle est exprimée

par ce rapport;Ps.-Euclide, § 16, von Jan p. 161

:Ό τόνος ου διαιρεθήσεται ειςδύο ισα ούτε εις πλείω. Έδείχθη γαρ ών έπιμόριος , ουκ αρα διαιρεθήσεται

ό τόνος εις ίσα.Voyez encore Plutarque, De anim. procr. in Tim., c. 17, p. 10*211 Κ : Théon de

Smyrne, « Connaissances mathématiques utiles à la lecture de Platon », p. 112,edit. Dupuis : ό τόνος δίχα ού διαιρείται. On le voit, pour l'école Pythagoricienne,e sont divisibles en deux parties égales, ni la quarte, ni le ton. ni l'octave,ni la quinte. Pour Aristoxène, la moitié du ton existe, et elle est un fait d'évidencesensible : c'est le demi-ton juste; la quarte est elle aussi divisible en deux intervalles égaux (1 ton 1/4 + ton 1/4).

L'impossible et introuvable moitié du ton correspondrai en t ait à la racinecarrée du rapport 9/8 qui exprime l'intervalle tonié : les Pythagoriciens ne laconnaissaient pas. Aussi en approchaient-ils la valeur, en dotant le ton de

deux parties inégales, le leimma (256/243, dont la valeur approchée de \/9/8est 17/16 selon Platon^ et. l'apotornè, de rapport 2187/2048, qui est la différenceentre le ton et le leimma.

Aristoxène dénie toute valeur réelle à ces calculs : il objecte à leurs auteursqu'il n y a pas lieu de reprocher son impérifie à la sensation, qui n est pascapable de saisir de tels intervalles ; en effet ces calculs n'ont aucune réalitéet aucun sens en musique : και τούτων αποδείξεις πειρώμεθα λέγειν όμολογου-μένας τοις φαινομένοις, ού καθάπερ οί έμπροσθεν, οι μεν άλλοτριολογοΰντες καιτήν μεν αΐσθησιν έκκλίνοντες ώς οδσαν ουκ ακριβή ) πάντων άλλοτριοτάτουςλόγους λέγοντες και έναντιωτάτους τοις φαινομένοις (Meib. 32.19-29).

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détailler les genres et les colorations qui en sont la réalisation (9).On notera qu Aristoxène ne prétend pas procéder démonstrative-

ment dans ce livre premier;

c'est pourquoi il écrit, à chaque étapede son exposé : τούτο μεν ουν ούτω κείσθω (Meib. 22.13) ; ύποκείσθω(.Meib. 23.2Γ)) ; ούτως ώρίσθω (Meib. 24.3) : ce faisant, il agit confo

rmément à la méthode de progression qu il s'est donnée, laquellechemine depuis la saisie globale (καθόλου) des faits, qui reçoiventdes définitions sommaires, jusqu à la démonstration des lois harmoniques, une fois les faits redéfinis et distingués avec précision (10).L exposé que nous lisons au livre I illustre exemplairement ceprincipe méthodologique, comme il met en place les notions quibousculent le plus les théories des Pythagoriciens.

Avec prudence, avant d'entamer l exposé des différentes nuances.Aristoxene précise qu il dira plus tard si « la quarte est mesuréepar un intervalle plus petit, ou si elle n'est commensurable àaucun» (11) ; et d ajouter cette délinition : «comme il est évidentqu elle est faite de deux tons et demi, posons que telle doit être

9 Tel est son programme, défini dès le préambule du livre : Meib. 7.2.

Ill; Ύποληπτέον δε τον είρημένον άφορισμόν τύπω είρήσθαι ούτως ώςμηδέπω τών καθ' έκαστα τεθεωρημένων (Meib. 19.Ι2Ί ; do même : άφορισθέντοςδε τοϋ μουσικού μέλους ούτως ώς ενδέχεται μηδέπω τών καθ' έκαστα τεθεωρημένωνλλ ώς εν τύπω και περιγραφή, διαιρετέον το καθόλου και μεριστέονεις δσα φαίνεται γένη διαιρεΐσθαι (Moib. 4.17-21).

IP Meib. 24.6-8 : Το μεν οδν δια τεσσάρων δν τρόπον έξεταστέον, εΐτεμετρείται τινι τών έλαττόνων διαστημάτων είτε πάσίν έστιν άσύμμετρον, εν τοιςδια συμφωνίας λαμοανομένοις λέγεται. La démonstration est donnée aulivre 111 du Traité d'Harmonique (Moib. 55-58) : on démontre que la quarte secompose de deux tons et demi, et non pas do deux tons et un leimma contrairement à ce que pensent les Pythagoriciens, par une série do manipulationsd'intervalles (quarte et diton), disposés de part et d'autre d'une quarto. Il estclair que la quarto pythagoricienne (ton + ton + leimma, soit 9/8 x 9/8 x 256/243)

n'a pas de plus petite commune mesure. En exposant la doctrine aristoxéniennedu demi-ton juste, Porphyre (ad Plol. Harm., p. 137, edit. During) conclutabusivement qu'Aristoxène divise le ton en trois, en quatre, et en huit parties ;ainsi, pour Arisloxène, le nombre du ton serait 12, et celui do la quarto, 30,comme si Aristoxene avait considéré le douzième de ton comme la mesure dela quarto : V2 x 12+12/2 = 30 douzièmes de ton. En réalité, ce que chercheAristoxene n'est pas la plus petite commune mesure, mais la plus grande :c'est donc le demi-ton qui mesure la quarte : une quarte, dira-t-il au livre III,se compose de cinq demi-tons (Meib. 57.13 : δήλον ότι πέντε ήμιτονίωνσυμβαίνει το δια τεσσάρων είναι.

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son étendue » (12). Sans engager de polémique, Aristoxène affirmeici quelque chose qui scandalise ses adversaires : que la différenceentre la quarte et le diton est un demi-ton, est une évidence,c'est-à-dire une évidence pour l'oreille ; là où les Pythagoriciensélaborent des calculs qui déterminent l étendue que doit avoir lereste de la quarte (au nom éloquent de λεΐμμα), Aristoxène faitl'inverse : il se règle sur l évidence de l'oreille, et rejette toutethéorie qui ne s accorderait pas avec elle (13).

Dernier préliminaire avant la détermination des colorations : ladéfinition du πυκνόν : « c'est l assemblage de deux intervalles qui,réunis, embrassent un intervalle plus petit que l'intervalle restantde la quarte » (14) ; d où ce terme qui exprime à merveille l'idée

du resserrement des intervalles à l'intérieur du tétracorde.La détermination des six nuances se fait en trois temps :

1. étendue des pycnons par l emplacement de la lichanos : sansdétailler les positions respectives de la lichanos et de la parhypate.

(12) Meib. 24.9-10. Selon le pythagoricien Philolaos, en revanche, la quarlecouvre deux tons et une δίεσις (demi-ton mineur : συλλαβα δε δύ έ-όγδοακαι δίεσις (apud Nicomaque, Άρμονικον έγχειρίδιον, Meib. 17 =-= von Jan.p. 253, 1. 2). On le voit, les divergences de contenu suivent et impliquent les

divergences de terminologie:

dans le système d Aristoxène, le terme έπόγδοον,par lequel les Pythagoriciens désignent à la fois l'intervalle de ton et le rapportnumérique 9/8, n'a aucun sens, et n'est jamais utilisé ; d'autre part, le nommême de la quarte n'est plus le même : comme l'indique Porphyre {ad Plot.Harm., citant Élien, p. 94-95 edit. During), la συλλαβή est l'assemblage dedeux notes qui produit le premier une consonance ; témoignage que porteégalement Nicomaque (Meib. 16) : πρώτη (...) σύλληψις φθόγγων συμφώνων : laréférence au jeu de la lyre est évidente, et Aristoxène récuse violemment leprocédé qui consiste à prendre pour critère quoi que ce soit qui est empruntéà l'organique (Meib. 41-43) ; quant à la diésis, bien que le même terme appartienne à la terminologie pythagoricienne et à la terminologie aristoxénienne,il n'a pas le même sens : chez Aristoxène, elle pourra être enharmonique (1/4de ton), ou chromatique (1/3 de ton), et sera toujours un intervalle réel du

tétracorde, et sous-multiple du ton.(13) C'est ainsi qu'il accuse les théoriciens qui ne pratiquent que par desséries de calculs de « lutter contre l'évidence » : μάχεσθαι τοις φαινομένοις(Meib. 49.32). L'expression est reprise par Porphyre (ad Plol. Harm. edit.During, p. 139) contre les calculs d'Archytas de Tarente, qui fut parmi lesPythagoriciens celui qui s'intéressa le plus à la musique : μάχεται γαρ ταφαινόμενα τη κατ' αύτον των τετραχόρδων διαιρέσει.

(14) Meib. 24.11-15 : Πυκνόν δε λεγέσθω το έκ δύο διαστημάτων συνεστηκοςα συντεθέντα ελαττον διάστημα περιέξει του λειπομένου διαστήματος εν τω διατεσσάρων.

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« NUANCES » DANS LE TRAITÉ D'HARMONIQUE 61

Aristoxène examine seulement chaque coloration pour déterminersi elle possède un pycnon ou pas (Meib. 24.15-25.11) ;

2. comparaison chiffrée en parties de ton des écarts qui séparentles lichanoi dans les différentes nuances (Meib. 25.11-26.9) ;

3. lieux des lichanoi (Meib. 26.9-14).

1) Les commentateurs n'ont rien dit des étranges incohérencesde ces textes : les classifications ne se recoupent pas dans les deuxpremiers paragraphes ; alors qu Aristoxène prend soin de numéroterles colorations qu il étudie successivement, ses deux exposés sontdivergents :

1 el 2

3

4

5

6

Meib. 24.16-31

το ελάχιστον πυκνόν : εκ δύο'διέσεων έναρμονίων καιχρωματικών ελαχίστων

— λιχανοί ή μέν αρμονίας ή δέχρώματος

τρίτον πυκνόν : ...

τέταρτον πυκνόν : τονιαΐονι

πέμπτον <σύστημα> : το εξ:ήμιτονίου και ήμιολίουστήματος

έκτον <σύστημα> : το ες ήμι-τονίου και τόνου

1-11

111

IV

ν

VI

Meib. 24.31-25.11

αϊ τα δύο πρώτα .; πυκνάόρίζουσαι λιχανοί ειρηνται

:  ή δέ το τρίτον πυκνόν ορίζουσαλιχανός χρωματική ■καλείται δέ το χρώμα εν ωέστιν ήμιόλιον

το τέταρτον πυκνόν : ...μα τονιαΐον

το πέμπτον < σύστημα > : βαρύτατη διάτονος λιχανός1

το έκτον σύστημα : λιχανοςσυντονωτάτη διάτονος

Gomme le montre ce tableau, Aristoxène passe sous silence latroisième combinaison à pycnon : on ignore l'étendue de son pycnon(colonne de gauche) ; d'autre part, il survient une inversion entrele chromatique tonié et le chromatique hémiole, respectivement 4et 5 dans la colonne de gauche, et IV et III dans la colonne de droite.Par conséquent, le genre chromatique hémiole succède indûmentau chromatique tonié dans l étude de l étendue des pycnons ;

toujours dans cette première étude, contrairement aux apparences,

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« NUANCES » DANS LE TRAITÉ D'HARMONIQUE 63

diatonique la plus grave et la lichanos du chromatique héiniole,il y a un demi-ton (c), de la lichanos hémiole à l enharmonique,une diésis (enharmonique) (d), de la lichanos enharmonique à lachromatique la plus grave, 1/6 de ton (e), de la chromatique laplus grave à l'hémiole, 1/12 de ton (f) : ainsi Aristoxène démontre-t-il qu il y a un demi-ton et un douzième de ton entre la lichanosdiatonique grave et la lichanos chromatique grave : la diatoniquela plus aiguë est plus haute que la diatonique la plus grave d une

diésis (g) :

Enharmonique

a. Ihromatique grave

Diatonique grave

Diatonique aiguë

( Chromatique toniée )

La lichanos enharmonique sert de référence et ces calculs qu uncommentateur d Aristoxène qualifie de « laborieux », non sansraison (15), font fonction de vérification des positions. Malgré ceschiffrages acrobatiques, il manque toujours une lichanos : la lichanoschromatique toniée, nulle part mentionnée dans ce passage.

Pour Aristoxène, de quoi s'agit-il ici? Par-delà l'intérêt quereprésente la comparaison entre les positions adoptées par lalichanos dans chaque nuance, il y a la distinction entre intervallesmusicaux et intervalles αμελωδητα : Aristoxène dit plus loin quel'on admet en musique le quart de ton, le tiers de ton et le demi-ton :

tous les intervalles inférieurs au quart de ton sont rejetés (16),et deux de ces trois intervalles caractérisent chacun un genre.

(15) Louis i.aloy, « Aristoxène de T;wenle, disciple dAristote, etc. », p. 215.(16) Meib. 46.2 : Των δε του τόνου μερών μελωδεϊται το ήμισυ δ καλείται

ήμιτόνιον, και τό τρίτον μέρος, δ καλείται δίεσις χρωματική ελαχίστη, και τότέταρτον, δ καλείται δίεσις έναρμόνιος ελαχίστη ' τούτου δ' ελαττον ουδένμελωδεϊται διάστημα.

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64 ANNIE BELIS

le quart de ton s'appelle, dans le Traité d'Aristoxène, δίεσιςέναρμόνιος ελαχίστη ; le tiers de ton s appelle δίεσις χρωματικήελαχίστη ; quant au demi-ton, il est le premier intervalle du tétra-corde dans les deux nuances diatoniques, mais aussi dans le chromatique tonié. Si Aristoxène est amené à parler dans ce passage desixième de ton (Meib. 25.21), voire de douzième de ton (Meib. 25.16),c'est à titre de grandeurs théoriques, qui ne servent que dans lecalcul, pour comparer les distances qui séparent une seule et mêmenote dans des colorations différentes, et non pour l'écart réel quisépare deux notes distinctes d'un système musical.

Pour terminer son étude des genres et des colorations, Aristoxèneindique qu en puissance, le nombre des lichanoi est infini : απείρους

τον αριθμόν τας λιχανούς (Meib. 26.14). Voilà qui donne un sensnouveau à la notion de lieu des notes mobiles : leur τόπος est telqu en n'importe quel point de ce lieu une lichanos ou une parhypatepeut se placer ; lorsqu'Aristoxène écrit qu « il n'existe pas de vide »dans le lieu lichanoïde il s explique aussitôt : cela signifie qu iln existe pas de point qui ne soit capable d'admettre une lichanos(Meib. 26.19). Le théoricien a donc pour rôle de déterminer rigo

ureusement les limites des lieux des sons mobiles, et a le droit defixer, à l'intérieur de ces limites absolues, les positions qu il préfèrepour chaque nuance. Mais il ne s'agit nullement de lois universelles ;

la seule règle générale qu il faut respecter est que l'intervallehypate-parhypate doit être inférieur ou égal à l'intervalle parhypate-lichanos.

L étude de ce passage du livre premier du Traité d'Harmoniquemontre à la fois la rigueur de la méthode d'Aristoxène et les limitesqu elle se donne. Être rigoureux, cela veut dire être fidèle à laméthode qui inspire l'ensemble de la progression du traité : s'enremettre au jugement de l'oreille pour qui le ton se divise réellementen deux demi-tons égaux ; c'est aussi découvrir la cause avant de

décrire le fait : s'il existe des genres, c'est que les deux sons intermédiaires du tétracorde sont, par nature, mobiles, tandis que lesdeux sons limitrophes sont, par nature, fixes. Enfin, être rigoureux,c'est savoir donner une limite aux règles que l'on édicté : ainsiAristoxène n'impose-t-il pas ses six nuances autoritairement ; il lespropose et les justifie, l'essentiel, nous l avons constaté, étant pourlui de déterminer avec précision le lieu des sons mobiles. Trois

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« NUANCES » DANS LE TRAITÉ D'HARMONIQUE 65

innovations majeures : la définition du genre ; la définition dupycnon ; la définition du concept de lieu. Il est clair qu au livre Idu Traité, les colorations font l objet d une définition par une

méthode inductive, fondée sur la description des différentes formesque prend le tétracorde choisi comme paradigme : MÊSE-lichanos-parhypate-HYPATE ces formes sont fonction de deux critères :

positions de la lichanos et existence ou non d un pycnon.Ou advient-il à présent de la théorie des colorations dans le

livre II?

II. Deuxième exposé, Meibom 46.20-52.32

Ce second exposé, fort développé, comprend une longue argumentation qui doit répondre à l'étonnement des auditeurs qui necomprennent pas pourquoi l'on conserve son nom à la lichanosmalgré la diversité de ses positions, donc, malgré les différencesd étendue des intervalles mèse-lichanos, lichanos-hypate (17) ; sansrompre l'unité de l'argumentation, cette mise au point en retardele déroulement que lui prévoyait Aristoxène. L ensemble du passageest divisé en quatre parties.

1) Meib. 46.20-47.9 : rappel de la méthode qui préside à la

fixation des différences de genres, déterminée au livre précédent:

elle se fait sur le tétracorde qui va de la mèse à l'hypate, dontles « extrêmes » sont fixes, et les « moyens » sont mobiles, tantôt

(17; Les écarts entre la lichanos et la mèse vont du simple au double : d'un tonà deux tons ; les écarts entre la parhypoate et l'hypate vont également du simpleau double : d'un quart de ton à un demi-ton. Entre les sons mobiles (lichanoset parhypate), Γαΰςησις va du simple au quadruple : du quart de ton au ton.

οenharmonique Ph . Lchromatique doux   Ζ

4chromatique hémiole   'ηchromatique tonië   -diatonique mou

ι 9diatonique tendu . _

ECARTS entre LICHANOS et PARHYPATE(en 12e de ton^

Pour les écarts entre sons fixes et sons mobiles, voir tableau p. 71.

REG, XCV, 1982/1, n-« 450-451.

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66 ANNIE BKLIS

l'un et l'autre, tantôt l'un ou l'autre (Meib. 46.20-25) : Ai δε τώνγενών διαφοραί λαμβάνονται εν τετραχόρδω τοιούτω οίον έστι τ6άπο μέσης εφ

ύπάτην, των μεν άκρων μενόντων, των δε μέσων

κινουμένων ότέ μεν αμφοτέρων ότέ δε θατέρου. Cette phrase liminaire appelle deux remarques ; elle résume avec la plus grandeconcision des faits qui ont été identifiés au livre précédent : lamobilité des sons intérieurs du tétracorde, la fixité des sons limitrophes. D autre part, Aristoxène introduit là deux termes enusage chez les mathématiciens de son temps : τα άκρα et οι μέσοι,pour désigner deux réalités de l espace musical (18). A la définitionpythagoricienne de l'intervalle par l excès d un nombre sur unautre (3/2 pour la quinte, 4/3 pour la quarte, 2/1 pour l octave.

9/8 pour le ton, 256/243 pour le leimma, etc.), Aristoxène substitue,comme le dit si bien Porphyre, une définition « topique » de l intervalle, en reprenant dans un sens neuf les termes mêmes de sesadversaires (ainsi parle-t-il des ôpoi du tétracorde) (19). Son premiersoin est de repréciser le τόπος des deux sons mobiles, d abord celuide la lichanos, qui sert toujours de référence, puis celui de laparhypate. Après les indications données au livre précédent.Aristoxène peut aller vite : le lieu lichanoïde est d un ton. depuisle diatonique jusqu au genre enharmonique ; le lieu de la parhypateest défini par l écart minimum et l écart maximum entre la

parhypate et l hypate : il va jusqu à se doubler et alors, la lichanosla plus grave confine à la parhypate la plus aiguë :

(18) Τα άκρα sont les sons iixes qui limitent le télracorde : οι μέσοι<φθόγγοι> en sont les degrés intermédiaires. Aristoxène désigne donc ces notesen fonction de la place qu'ils occupent au sein d'un lieu, relativement les unesaux autres. Les Pythagoriciens utilisaient aussi ces termes pour décrire lesnombres qui composent la médiété harmonique : soit la série de trois nombres

3, 4 et 6 ; ils forment une série harmonique dont les nombres 3 et 6 sont lesάκρα et 4 le nombre μέσος ; l'octave est constituée par le rapport des termesextrêmes 6/3 (soit le rapport double 2/1) ; la quarte est constituée par lerapport 4/3, et la quinte, par les nombres 6/4 (soit le rapport hémiole 3/2; ;d'où le nom d'« harmonique » de cette suite, parce qu'avec les nombres dontelle est formée, on peut construire les rapports qui expriment les trois consonances. Voyez Jamblique, in Nicom. arithm., p. 108, 20 edit. Pistelli; Théon deSmyrne, Connaissances mathématiques..., p. 196, édit. J. Dupuis.

1 9) Les όροι d'un intervalle, pour les Pythagoriciens, ce sont les deux nombresqui forment son rapport mathématique. Mêmes références que la note 18.

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« NUANCES » DANS LE TRAITÉ D'HARMONIQUE 67

ΗΥΡΑΤΕ Ph LichanosEnharmonique : Ο ·

Diatonique tendu: Ο — · — - ·ι l/ 2 : 1 Ion

Parhypate Lichanos

2) Meib. 47.9-50.14 : Excursus sur le nom des notes mobiles :

Voici le plus long passage du texte que nous étudions : il estcensé répondre aux interrogations des auditeurs qui se demandentcomment il se fait que, tandis que l'intervalle mèse-lichanos diminueou s'accroît, on parle toujours de «lichanos»? Ils voudraient quel'on réserve le nom de lichanos à la seule lichanos ditonée, et quel'on considère comme différentes les notes qui limitent des intervallesdiiïérents (Meib. 47.20) ; forte objection, qui n embarrasse pointAristoxène ; au contraire, il saisit l occasion qui lui est offerte dejustifier longuement les principes de ses théories, et de récuser ceuxde ses adversaires : en effet, voilà qu il explique son concept deδύναμις des intervalles ; il prend le cas où les intervalles sont tousdes quintes et sont donc égaux en grandeur, mais où ils ont une

fonction différente : mèse-nète, paranète-lichanos, trite-parhypate.Il prouve donc à ses contradicteurs l absurdité de leurs souhaitsnon content de cette première réponse, il poursuit son argumentationen montrant qu on serait réduit à rechercher une infinité de nomssi l'on voulait avoir autant de noms que de notes : il répète iciqu en effet, le lieu de la lichanos est en principe divisible àl'inlini 20). Troisième argument, et non des moindres : c'est l'oreillequi identifie les genres en fonction de la structure du tétracorde,sans égard à l'inégalité ou à l'égalité des intervalles, mais eu égardà la similitude de forme : sont dits « semblables », par exemple,les tétracordes pycnés, donc des tétracordes qui appartiennent soitau genre enharmonique, soit au genre chromatique. La formulationd'Aristoxène est faite pour scandaliser les Pythagoriciens : lasensation « dit » - λέ^ει - qu il s'agit de tel ou tel genre, en fonctionde la « forme » - είδος - du tétracorde ; ce que l'on peut dire de l'éga-

[ 20 j Meib. 48.14-15 : ό της λιχανοϋ τόπος εις άπειρους τέμνεται τομάς.

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68 ANNIE BÉLIS

lité ou de l'inégalité des intervalles n'est rien pour elle : ουδέν

τούτων εστί προς την της αίσθήσεως φαντασίαν εκείνη μεν γαρ ειςομοιότητα ενός τίνος εί'δους βλέπουσα τό τε χρώμα λέγει και την

άρμονίαν, άλλ' ουκ εις ενός τίνος διαστήματος μέγεθος (21).D où vient donc que la sensation a une telle capacité? C'est qu il

lui est donné de percevoir le caractère propre à chaque genre, et ce.par-delà les différentes colorations qu il peut prendre : si lesgrandeurs changent, ce n'est ni le cas de Γήθος du genre, ni le casdu genre lui-même, ni le cas des δυνάμεις des notes, parce que laforme du tétracorde reste la même : τό γαρ εΐδος του τετραχόρδουταύτό (Meib. 49.20). En conclusion à ce passage qui bouleverse lesthéories de son temps, Aristoxène invite ses contradicteurs à ne

plus lutter contre l évidence (μάχεσθαι τοις φαινομένοις Meib.49.32), et à admettre comme lichanos le son intermédiaire le plusaigu et comme parhypate le son intermédiaire le plus grave dontles dénominations sont, justement, relatives : προς άλληλα γαρλέλεκται (Meib. 50.10).

Avec cette longue discussion, Aristoxène énonce quelques-unesde ses idées les plus novatrices : qu il est vain de considérer lesréalités musicales en termes de grandeurs mesurables et de serégler uniquement sur l'étendue des intervalles ; qu il faut en

revanche s'en remettre au jugement de l'oreille, et faire la théoriede ce que l on perçoit ; d où le concept nouveau de structure dutétracorde, d où le concept de semblable et de dissemblable (ομοιονκαι άνόμοιον) qui détrône celui d égal et d inégal ('ίσον και άνισον).

3) Meib. 50.15-52.33 : Détail des colorations :

Ce n'est qu après avoir situé sa réflexion et répondu à ses contradicteurs qu Aristoxène est enfin en mesure de donner le chiffrageprécis des six colorations, puis de faire le bilan des six lichanoi etdes quatre parhypates.

Notons que le terme générique par lequel Aristoxène désigne sescolorations est : διαιρέσεις τετραχόρδου montrant bien ainsi qu ils'agit moins de parler de l étendue des intervalles que de la disposition relative des degrés les uns par rapport aux autres : placede la lichanos par rapport à la mèse, place de la parhypate parrapport à l'hypate, écart entre les deux degrés mobiles.

Î2n Meib. 48.21-26.

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« NUANCES » DANS LE TRAITÉ D'HARMONIQUE 69

11 examine successivement les trois genres (de l enharmoniqueau diatonique) en donnant à chaque fois l étendue du pyenonlorsqu'il y en a un et celle du « reste de la quarte » το λοιπόν :

Nom de la διαίρεσις

Ι Έναρμόνιος

1 1 Τρεις χρωματικού :

Μαλακούτος

Ήμιολίουματος

Τονιαίουτος

1 1 1 Δύο διατόνου διαρέ-σεις :

Μαλακούνου

Συντόνου <διατό-νου>

Étendue des deuxpremiers intervalles

Ήμιτόνιον (πυκνόν)

Δύο χρωματικών διέσεωνελαχίστων (πυκνόν)

Ήμιόλιον τοϋ έναρμονίου(πυκνόν)

Ήμιτονίων δύο (Β)νόν)

Η-Ρ1ι = ήμιτονιαΐον (C)Ph-L = τριών διέσεων

εναρμονιωνH-Ph = ήμιτονιαΐονPh-L = τονιαΐον (D)

Reste de la quarte

Δίτονον

Δύο μέτροις μετρείται,ήμιτονίω μεν τρίς,ματική δε διέσει άπας

= [τρισίν ήμιτονίοις καιτόνου τρίτω μέρει άπαξ](Α)

Τριημιτόνιον

L-M = πέντε διέσεων

L-.M = τονιαιον

Η = Hypate ; Ph = parhypate ; L = lichanos ; M = Mèse.

Ce tableau appelle quatre remarques :

A) : Pourquoi mesurer en deux fois le reste de la quarte dansle chromatique mou, successivement par « trois fois un demi-ton

et une fois une diésis »? Son étendue est donc de trois demi-tons +un tiers de ton, soit encore un ton et demi et un tiers de ton, soit,au total, un ton et cinq sixièmes de ton. C est un intervalle incomposé, pourtant, et par définition il n'est pas divisible en deuxintervalles plus petits, puisqu il n'y a pas de son entre la lichanoset la mèse. Tout l'embarras d Aristoxène est là : en effet, un intervalle de ll/6es de ton est difficile à ranger parmi les intervallesque l'oreille peut distinguer, par exemple, d un diton, sinon par la

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70 AXNIE BELIS

sensation qu il donne d'être tout proche de ce diton. En tout cas,c'est un intervalle qu Aristoxène ne reconnaît pas pour μελωδικόςstricto sensu : il faut en effet qu un intervalle soit commensurable

au ton pour être apte à entrer dans la mélodie (c est ce que nousdisent les Éléments rythmiques d'Aristoxène, qui comblent heureusement le passage perdu du Traité d Harmonique). Donc, les ll/6esde ton en question dans le chromatique mou gênent tant Aristoxènequ il préfère les décomposer en deux mesures, qui, elles, sontrationnelles : le demi-ton et la diésis chromatique : le calcul éludela difficulté, sans la résoudre.

B) : Le chromatique tonié, quatrième coloration, marque untournant dans les formes du tétracorde : en effet, il se décompose

en deux demi-tons, pour l'intervalle composé hypate-lichanos, eten un ton et demi pour l'intervalle incomposé restant ; il comportedonc un pycnon, qui sera le dernier de la série ; d autre part, à partirde cette coloration, la parhypate ne bougera plus : elle restera àun demi-ton de l hypate. Il y aura donc en tout six lichanoi etquatre parhypates seulement. Par conséquent, souligne Aristoxène,l apparition du genre diatonique coïncide avec la disparition desformes à pycnon. Ce disant, il confirme qu il est possible à lasensation d'identifier le genre où se trouve une coloration, quelle

qu elle soit.(C) : Du fait de la disparition des pycnons, Aristoxène décompose

son tétracorde d une manière nouvelle, intervalle par intervalle ;

il utilise les mesures qui lui sont commodes, par exemple la diésisenharmonique pour mesurer l'intervalle parhypate-lichanos dudiatonique mou. C est sans doute à contre-cœur qu il le fait, fautede disposer d une diésis diatonique, laquelle ne se conçoit pas : leplus petit intervalle incomposé de ce genre est le demi-ton, irréductibleux 3 tiers de ton dont il a besoin ici.

D) : Au lieu de détailler les intervalles parhypate-lichanos etlichanos-mèse, Aristoxène se contente de dire que les « intervallesrestants » sont d un ton.

4) Pour terminer, Aristoxène fait un bref bilan : il y a six lichanoi,autant que de διαιρέσεις τετραχορδου et seulement quatre parhypates, deux étant communes au chromatique et au diatonique.En somme, il y a deux lois qui régissent les intervalles dont se

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« NUANCES » DANS LE TRAITÉ D'HARMONIQUE 71

TABLEAU RÉCAPITULATIF DES SIX χρόαι D ARISTOXÈNE

«*w«, en yM <li tan.

i) ENMARMONÎaOE.: % . Ά - 2. 0

J-) CHfWl. MOU : '/T-yj-'lVc οMCHROM. HÉMiOLft: fyï V* _ 1 V». ο<t) CHfWM. rCNié ; '/l . /i Ί Vl o

rewou · 4 .1.1.

compose le tétracorde dans les six colorations : l'intervalle hypate-parhypate est égal ou inférieur à l'intervalle parhypate-lichanos,jamais plus grand. En revanche, les intervalles parhypate-lichanoset lichanos-mèse peuvent être égaux ou inégaux (plus grand ouplus petit). La première règle seule est efficace parce qu elle exclutun cas de figure ; cependant, pour Aristoxène elle est suffisante àdistinguer les combinaisons d'intervalles εμμελείς des combinaisons

έκμελεΐς ; il donne un exemple : si l'on combine une parhypate duchromatique mou avec une lichanos du chromatique tonié a).

c'est une bonne combinaison ; si l'on fait l'inverse L). cela estinacceptable : c'est en somme la loi du resserrement des intervallesde l aigu au grave qui serait ici violée.

a) Division εμμελής : Ο(H-Ph < Ph-L) Η

1/3 tonPh

2/3ton

b) Division έκμελής : Ο

(H-Ph > Ph-L) Η

1/2 ton /

Ph L

C est donc au terme de deux longs textes, situés le premier aulivre I de son Traité, le second au livre II, qu Aristoxène fixe sessix colorations : une pour le genre enharmonique, trois pour lechromatique, deux pour le diatonique. Ce travail s accomplit dansune argumentation qui déborde le cadre étroit d un simple chiiïragedes intervalles qui composent le tétracorde, chiiïrage auquel s'en

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72 ANNIE BKLIS

tiennent d ailleurs les commentateurs lorsqu'ils étudient ces textes.Or, on ne saurait sans abus isoler ce chiffrage des contextes où ilse situe : car, nous l avons vu, il vient en conclusion des argumentations ui le précèdent, et qui touchent à la distinction entresons fixes et sons mobiles du tétracorde, qui est donnée parAristoxène comme la cause des genres, qui touchent aussi à ladéfinition du « pycnon », pour la première fois faite en musique,qui touchent enfin aux problèmes de dénomination des notes,indépendante de l étendue des intervalles : avec sa théorie descolorations, Aristoxène démontre le bien-fondé de sa théorie desformes musicales et des fonctions harmoniques des sons, qu il estle premier à énoncer.

Loin d'être une question vaine et vide de sens, la doctrine desnuances a donc un rôle dans le Traité d Harmonique : moins unrôle musical (puisque le détail des six nuances suggérées par lemusicien n'est et ne peut être qu indicatif) qu une fonction d exemplarité comment déterminer si telle ou telle combinaison est apteà entrer dans la pratique? La loi de discrimination édictée parAristoxène y répond : il faut que l'intervalle hypate-parhypate soitinférieur ou égal à l'intervalle parhypate-lichanos. Rôle polémique,d'autre part, car à l occasion de ses exposés, Aristoxène dénonceles principes sur lesquels reposent les théories pythagoriciennes :

mesure quantitative des intervalles ; ignorance des sons mobiles.Enfin, il faut noter qu Aristoxène ne réussit pas totalement dans

son entreprise de rénovation des méthodes musicales : en effet,il se prend à son propre piège, réduit qu il est à admettre commeintervalle incomposé un intervalle de ll/6es de ton ; certes, ilcontourne la difficulté en la remenant à deux mesures rationnelles,mais le mal est fait. Le seul résultat parfait est qu il démontreà six reprises (autant de fois qu il examine une coloration) que letétracorde, c'est-à-dire la quarte, se compose de deux tons et demi,

alors que les Pythagoriciens en faisaient la somme de deux tonset un leimma (9/8+9/8+256/243), donc légèrement plus petite quedeux tons et demi. Il montre en même temps que la quarte est commensurable au demi-ton, ce que les Pythagoriciens n admettaientpas.

Ainsi, les textes que nous venons d examiner représentent unepart importante de la doctrine d'Aristoxène, qui ne retombe pas

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« NUANCES » DANS LE TRAITÉ D'HARMONIQUE 73

dans les excès des Harmoniciens, quoi qu on en ait dit (22). Aucontraire, ils illustrent la méthode d Aristoxène : le critère dumusicien est la sensation, critère efficace et juste, qui est à lasource de la théorie musicale.

Enfin, si laborieuse que nous paraisse la mise en place des sixcolorations, elle est l indispensable préparation à la dernière étapedu Traité d Harmonique (le livre III), qui énonce les lois de combinaison des intervalles et d'enchaînement des systèmes : parmi lesvingt-six προβλήματα démonstratifs qui nous restent, plus devingt prennent appui sur les règles définies dans les deux passagesque nous avons étudiés ; en effet, il s agit alors de déterminerpar exemple quels intervalles peuvent succéder à un pycnon, si l on

peut trouver deux ditons successifs, etc. En réalité, ici les démonstrations procèdent par exclusion de combinaisons, à partir desprincipes induits au livre I et au livre II : la théorie des colorationstémoigne de la cohérence du texte et de la doctrine d'Aristoxène.

Annie Bélis.

(22) C'est Louis Laloy qui adresse ce reproche à Aristoxène ; il parle de sa« manie mensuraliste » (Arisloxène de Tarenle, p. 219), et considère que « toutecette partie de l'œuvre d'Aristoxène, inspirée trop directement par les doctrinescourantes, est (...) inutile et inexacte» (op. cit., p. 217).