Beauchard Jean-Alchimie Dans FM, Art Et Initiation

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HORIZONS INITIATI�UES DITIONS VÉGA

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alchimie et initiation dans la franc maçonnerie

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  • HORIZONS INITIATIUES

    .DITIONS VGA

  • L'ALCHIMIE DANS LA FRANC-MAONNERIE

    ART ET 1 N ITIA Tl ON

    Essai

    PROVINCE DE LIEGE '-1 Bibliothque CHIROUX CROISIERS Rue des Croi&iers 15 - 4000 Lige

    SECTION ADULTES

    COTE . . . .. 0 . . { . .... . . *-. . E/ ....... .

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  • Du mme auteur

    TAROT recueil de 22 srigraphies manuelles avec textes. Illustrations sur mtal anodis, format 32 x 50 cm. 75 exemplaires signs et numrots.

    ITINERRANCE (mythologi e et plantes) Recueil de 30 srigraphies manuelles, textes et illustrations, format 32 x 50 cm. - 1 20 exemplaires sur papier chiffon la cuve, signs et numrots.

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    TAROT MAONNIQUE jeu de 78 cartes avec livret, dit par Grimaud - France-Cartes- 1 987.

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    LA VOIE DE L'INITIATION (les 33 degrs) 2 9 illustrations pleine page et textes- ditions Vga-Trdaniel, Paris- 2 004.

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    Illustrations diverses, notamment pour). P. Bayard : La Spiritualit maonnique, ditions Dangles et Le Cabinet de rflexion, Edimaf di teur.

    Expositions d'uvres plastiques: peintures, dessins, gravures, et prsence dans diverses collections publiques et prives en Europe, Afrique, et continent amricain nord et sud.

  • jEAN BEAU CHARD

    L'ALCHIMIE DANS LA FRANC-MAONNERIE

    ART ET INITIATION

    Essai

  • Dans la mme col lection :

    La Pierre et le Graal, Georges Bertin, 2006 L'exprience du Symbole, Georges Lerbet, 2007

    ditions Vga, 2007

    www.tredaniel-courrier.com [email protected]

    Tous droits de reproduction, traduction ou adaptation, rservs pour tous pays.

    ISBN : 978-2-85829-469-5

  • La plus belle uvre d'art qui puisse se concevoir est bien, effectivement, sa propre individuation comme passage de l'existence l'tre, de la personne l'Essence, et comme ralisation plnire de Soi. Tout homme tend ou devrait tendre se faonner lui-mme l'gal d'une uvre d'art, non par narcissisme mais pour rpondre surtout sa vocation d'tre humain . . .

    jean B is, Art, Gnose et Alchimie.

  • AVANT- P RO POS

    C et ouvrage a pour but d'expl iquer aussi s implement que poss ible ce qu'est l 'alch imie et comment la science d'Herms a imprgn la Franc-maonnerie. Ce sera en mme temps l 'h istoi re d'un iti nrai re personnel : une longue et constante i n itiation travers les pratiques artistiques, a lchim iques et maonniques.

    L'hermtisme et son corol la i re pratique : l 'a lch imie, ne sont pas pour moi de s imples sujets de spculation. I l s font partie de mes proccupations constantes de p lus de trente-ci nq annes et la pratique alchim ique, qu i pour moi s'est exerce sous d ivers aspects, est indispensable une rel le pntration de ces donnes.

    Les rituels maonn iques font quelquefois a l l usion l 'hermtisme. l 'poque de leur constitution, au cours du XVI I Ie s icle, l ' imprgnation alch imique tait d'une tel le vidence qu' i l n'tait pas besoi n d'en sou l igner l 'existence. Mais aprs les rvolutions technologiques, la philosophie de la nature n'aura p lus la mme ral it. Certains

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  • mots ont maintenant perdu de leur sens au point qu' i l s deviennent insol ites et inspirent de la mfiance ; au mieux i l s sont dtourns de leu r sign ification d'origine.

    Ainsi le vocable alchimie est actuel lement employ tout propos. Toute recette cu l inai re, tout produit labor, de quelque ordre que ce soit, devient une alchimie . S' i l s'agit de la transformation d' i ngrdients pour fai re, par exemple, une trs bonne soupe la c itrou i l le l 'emploi du terme d'alch imie n'est pas totalement faux mais i l reste superficiel . Or l'alch imie est une uvre de profondeur, el le ne consiste pas seulement changer la forme mais la nature profonde de la chose. I l s'agit de transmuter au l ieu de s implement transformer.

    Ma formation fut autant visuel le que l ittrai re. C'est par la lecture, mais p lus encore en tudiant, en analysant, en comparant les images, que j 'a i pu pntrer, et par l comprendre, le sens de multiples documents alchimiques rputs obscurs.

    Trois notions concernant l 'art, la cration et l ' i n itiation ont t en quelque sorte le pivot de mes motivations dans la vie, bien qu' mon insu parfois. L'art tout d'abord, en tant qu' intrt diffus et ds i r de ral i sation dans ma prime jeunesse ; la cration et l ' initiation se sont dveloppes dans ma conscience plus tard, l 'une reposant sur l 'autre.

    La pratique des arts plastiques est double. D'une part la ra l isation matrie l le confronte le crateur la matire avec laquel le il va oprer. D'autre part la conception impose des choix de formes, de cou leurs et d'organisation pour que les choses viennent leur pleine sign ification.

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  • C'est ainsi que les diverses ra l i sations, graphiques ou picturales, que j 'a i pu effectuer sur des thmes comme le Tarot ou l 'Alch imie, et sur un sujet comme la Francmaonnerie, ont ncessit une rflexion qui m'a permis, non seu lement d'en pntrer le contenu, mais aussi d'en comprendre les structures profondes et d'en sais ir les relations entre parties, globa l i sant a insi ma vision.

    Ceci m'a permis de dcouvri r un certa in nombre de non-dits, ressortant de la nature mme de l'sotrisme, et qu'une lecture attentionne ne suffit pas dvoi ler. I l faut dpasser la thorie en man iant les choses pour les i ntgrer l 'tre. C'est l, en grande partie, le sens de l 'alch imie.

    La thorie permet d'chafauder d'habi les constructions mentales, au risque de perdre pied, voi re de dtourner le sens des ral its fondamentales. L'une des grandes forces que j 'a i pu reconnatre dans la Franc-maonnerie rside dans son systme pdagogique fond sur le symbole. L' ind ividu y est amen dcouvrir par l u i-mme, en lu i mme, et selon son propre champ de rfrences, le sens de la vie, tout en rvlant son tre propre. L'erreur frquente est, sous prtexte qu' i l s'agit de Franc-maonnerie spculative, de spcu ler contresens c'est--d i re se mainteni r dans la thorie des symboles, au l ieu de les appeler soi .

  • - 1 - Les Lumires de la franc-maonnerie

    d'aprs le frontispice des constitutions de 1784.

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  • l'A RT C L D E LA CON NAISSANCE

    Que faut- i l entendre par Art ?

    Contrai rement aux ides reues et gnralement admises la notion d'art est l ie cel le de connaissance et el le est i ndpendante de cel le de sentiment.

    I l importe avant tout, en effet, de s'entendre sur le concept d'Art. Pour cet ouvrage je me rfrerai essentiellement la dfin ition originel le du mot qu i associe ce terme la notion de Connaissance.

    Ic i , la Connaissance doit tre d i sti ngue du savoir acqu is par l'tude purement intel lectuel le et consciente. La connaissance partic ipe l 'vidence de cela, mais aussi d'une part d' intu ition relevant de la rflexion et de l 'exprience, ai nsi que d'acqu is antrieurs plus ou moins inconscients.

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  • En ce dbut de XXIe s icle donner une dfin ition de l'art, c'est--di re c i rconscrire ce concept en quelques phrases, relve de la gageure.

    Dans le rgne actuel de confusion des valeurs on a tendance, sous le terme Art, confondre des choses de diffrents ordres. On rige en uvre d'art toute production qu i tend montrer quelque original it, mme superficiel le, le sens de la provocation est volontiers exploit par des relais mdiatiques efficaces et il est mal peru de se placer hors du consensus organis. Par contre on parlera plus volontiers de techn ique propos d'une ral isation architecturale d'envergure. D'autre part on a gnralement tendance mlanger deux notions fort d iffrentes qu i sont cel les de sentiment et de connaissance .

    C'est une question d'attitude par rapport l 'uvre d'art et sa ral isation qu i peut ventuel lement dterminer son n iveau de qual it intrinsque. L'ascse d'un matre cu is in ier laborant une nouvel le recette de ptisserie au chocolat et son engagement dans la ra l i sation peuvent, peut-tre, permettre de parler d'uvre d'art. C'est toute la question de la diffrence entre Art et artisanat et s imi la i rement entre Connaissance et savoir (ou savoi rfai re) qui se trouve pose ic i . Dans le contexte de notre sujet et des l iens que j 'tabl i rai dans cet ensemble : Art - In itiation - Cration , la l imite entre art et artisanat ou entre connaissance et savoir est trs nettement marque par l 'approche qu i doit tre spi rituel le et non pas s implement motionnel le de la dmarche. Et pourquoi l 'un serait- i l plus majeur que l 'autre ?

  • d'universalit, de profondeur . .. de dimension mtaphysique . . . ,d i rait Obal k.1

    Y aurait- i l donc des formes d'art majeures et d'autres mineures ?

    Grave question que rcusent la plupart des officiels de l 'art car on tremble l ' ide qu'el le mette en cause le consensus gal ita i re et dmocratique, peut-tre mme les droits de l 'homme, ou encore de dbou lonner quelques statues riges sur des valeurs conomiques et mdiatiques . . . Rassurons-nous, dans ce domaine mineur n'est pas infrieur majeur, i l n'y a pas l de hirarchie pu isque, en fait, les domaines concerns sont de nature diffrente et diffic i lement comparables, comme tend le dmontrer Hector Obalk qu i s'est att ir les foudres de ses confrres.

    D u Sentiment en Art ! Peut-il faire bon mnage avec la connaissance ?

    Trs souvent le sentiment, ou une certaine sens ib i l it non dfin issable en fait, l'emporte sur la connaissance. Lorsque le spectateur bute sur un manque de savoi r, ou de rfrences, i l se rfugie derrire une incontournable sens ib i l it personnel le. Andr Malraux ne s'y trompait pas en d isant : ces termes de sentiment et d'instinct, mme

    1 . Hector OBALK, Andy Warhol n'est pas un grand artiste, page 8, Champs Flammarion, 2001 .

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  • moderniss sous le nom d'inconscient sont fort suspects lorsque l'art est en cause. 2

    Le domaine du sentiment est qu ivoque. On peut a imer les romances, les marches m i l itai res ou l'Adagio d'Albinoni, sans aimer ce qu i fa it que la musique est un art, c'est--d i re sans comprendre l 'objet de notre amour. De mme je pu is vous attendrir en peignant un chat dans un jo l i pan ier, ou un clown triste avec une larme mouvante bien excute . . . L'art est a i l leu rs .

    D'un point de vue historique, l 'mergence du sensible ou du sentiment dans l 'art est rcente et typiquement occidentale. E l le n'apparat gure qu'au XVIW sicle, sous l'infl uence d'une approche rousseauiste d'un certain sentiment de la nature. Mais e l le s'est surtout dveloppe dans la deuxime moiti du Xl Xe post-romantique, avec la parution de d iverses imageries. E l le perdure encore avec ce courant qui dplace les foules vers les expositions impressionnistes, oubl iant le point de vue d'un Claude Monet fort loign de l 'motion primaire : Un il, rien qu'un il ! . . . Mais quel il ! , ajoutait Degas.

    Auparavant, la dfin it ion du dictionnaire de l'Acadmie au XVW sicle tait sans qu ivoque : Art: connaissance raisonne mise en application par des moyens appropris en vue de la ralisation d'une uvre. Je retrouve encore cette dfin ition dans le Larousse des dern ires annes du XIXe. A l'origine mme : Ars en latin avait un double sens comme le

    2. Andr MALRAUX, La cration artistique, dans Les Voix du Silence, page 304 - N.R.F. Gallimard, 1 re dition 1 95 2 .

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  • mot a l lemand Kunst qui , l 'poque de Drer s ignifiait l 'aptitude humaine produ i re ( les raci nes du mot sont : Konnen : le pouvoir de fai re, et Kennen : la connaissance thorique).

    Il n 'est pas alors question de sentiment ni mme de notion esthtique ou se rapportant l ' ide du beau et il est faux de d i re- l ' i nstar de maints phi losophes-esthtic iens-h i storiens qui n'ont jamais uvr pratiquementque le but de l'art c'est la beaut . 3

    De la Beaut ! Ne serait-ce pas une vertu indissociable

    de la Force et de la Sagesse ? . ..

    D'a i l leurs qu'est-ce que le beau ? Tous les esthtes ont but sur une impossible dfin ition

    du beau en tant qu'abso lu . Andr Malraux parle, propos de l 'art, de la qual it plutt que de la beaut, et Ren Huyghe (auteur de l 'affi rmation ci-dessus) est lu i -mme obl ig, dans son dveloppement, de se ral l ier cette ide. Certes la beaut est du domaine de la qual it, mais restreinte et conditionne par le jugement de valeur la fois personnel et social . Affirmer que ceci est beau c'est prononcer un jugement de got , crivait Kant.

    Le publ ic accepte volontiers les valeurs tabl ies qui rpondent son attente et lu i pargnent l'effort de jugement, se d ispensant en fait de savoi r de quoi on juge. I l

    3 . Ren HUYGHE, L'Art e t l'homme, p . 1 8- Larousse, 1 957.

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  • considre beau ce qu i correspond ce qu' i l pense savoir du beau, et qui rpond au plais ir qu' i l en ret ire.

    La rgle d'or est que le beau doit plai re et que seu l ce qui est plaisant est convenable, donc ra isonnable. Mais ce dogmatisme, qui est en fait chafaud comme un sophisme, s'oppose le subjectif. Ce qui permet Kant d'ajouter :

  • rfrentiel et son art est manifestement le rsu ltat d'une dmarche fondamentalement initiatique .

    Selon un principe oriental , la beaut n'est que l 'extrieur de la substance de l 'un ivers, et cela est va lable autant dans le dpou i l lement zen japonais que dans l'exubrance chi .noise, une apparence qui n'a de valeur que cel le qu'on lui donne mais qui ne fait pas abstraction de ce qui la sous-tend. Comme une enveloppe dont la forme dpendrait de ce qui est au-dedans en mme temps que de la pense ou du ds i r de cel u i qu i regarde. Une ral it essentie l le existe au-del de l 'apparence, ra l it perue en fonction de l 'tat d'esprit ou du sentiment de celu i qu i regarde.

    En tout tat de cause, lorsque le beau se l im ite au sentiment il n'un iversa l ise pas l 'art, pas plus qu'aucune autre forme de sentiment. I l tend au contra i re le rdu i re au n iveau d'affects strictement personnels. Il est alors ncessa i re de situer cette notion du beau hors du n iveau de la personne et de l'lever au rang de vertu .

    C'est l le sens reten i r pour la colonne Beaut qui est un des trois p i l iers de la loge maonn ique.

    Emotion et catharsis Et s i les larmes aux yeux modifiaient nos perceptions . . .

    Toutefois i l n e faut pas confondre l 'motion profonde, laquel le peut natre de la dcouverte riche de connaissances, avec la sensib i l it : vague impression qui n'est fonde sur aucun savoir et sans fondement en fait.

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  • Et l nous touchons une autre dimension de l'tre : cel le de la spi ritual it et de l ' i n itiatique . . .

    Chez l ' i ndividu le principe i n itiatique s' i nscrit p lus ou moins en fonction de l 'motion suscite par la priode in it iale proprement dite, laque l le consiste habituel lement en une crmon ie pratique dans les socits, mais la rencontre plus ou moins fortu ite de certa ines conditions peut aussi crer dans l 'tre les effets semblables une crmonie.

    I l me souvient par exemple de l 'aube grise de ce jour de Nol qui me rvla pour la premire fois la place Saint-Marc de Venise. Arrive dans la nu it presque par hasard (ce n'tait pas le but i n itial du voyage). Un lger tremblement de terre, un raz-de-mare, et la place noye par vi ngt ou trente centi mtres d'eau . Quelques employs suspendus dans la brume, dont ls s i l houettes se refltaient sur l 'eau, p laaient des trteaux et des planches . . . Et dans la perspective, l 'oppos, la bas i l ique et son architecture tel lement diffrente des gl ises frquentes dans mon enfance, image double reflte elle auss i .

    U n autre monde, des repres bouleverss situent l' ind ividu dans une optique nouvelle.

    Cela n'est pas sans analogie avec l 'effet produit par le choc de l 'enlvement du bandeau l ' issue d'une crmonie maonn ique de rception . L' in it iation s'appuie sur une semblable mise en question des repres spatio-temporels, qu i ouvre l 'esprit et le psych isme une vis ion et une conception d iffrentes de la nature des choses. Nous sommes alors dans un processus dont les effets sont semblables ceux d'une cathars is qu i l i bre l 'tre de

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  • contraintes et d'attachements prjudic iables son volution humaniste, sociale et spi rituel le .

    L'expression p lastique De la finalit de l'art.

    L'art commence lorsque l 'homme cre non plus de l 'uti l ita i re mais de l 'express ion.

    Ecrivant cela je perois de suite la d iscussion que cette affi rmation peut ouvri r. Disons alors que l 'art rside dans les moyens que l'artiste se donne pour connatre, fa i re connatre et donner forme ce qui est de l 'ordre du nonprhensible.

    S i on un iversa l ise le propos Art-Cration , nous sommes amens penser que l 'une des fi nal its de l 'art est d'ordonner un certa in chaos, de crer une organisation l ' instar de la nature qu i contient un ordre (tymologiquement : un cosmos) fond sur l 'harmonie de rapports universels. C'est sans doute sur cette notion d'harmon ie qu'une dfin ition de l 'art peut tre trouve ; c'est en tout cas dans ce sens que nous l 'uti l i serons pour pntrer notre sujet.

    Sh i razeh Houshiary, artiste d'origine i ran ienne qu i vit et trava i l le actuel lement Londres, donne l 'une des plus pertinentes dfin itions de l 'art que je connaisse : L'art est le mimtisme de la nature et de sa cration dans son mode de fonctionnement. Si un artiste devait matriser cet acte de la nature, il lui faudrait englober tous les rythmes

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  • qui rglent l'univers. Ceci s'applique toutes formes d'art dans toutes les cultures. 5

    Pour Paul Klee l 'art ne peut tre conu et peru que dans une global i t : Le dialogue avec la nature reste pour l'artiste une condition sine qua non ; l'artiste est homme ; il est lui-mme nature, morceau de nature dans l'aire de la nature. 6

    Les arts plastiques sont l is au visuel et dpendent de la matire trava i l le ; trava i l ler la matire c'est la fai re rentrer dans un systme d'organisation qu i l u i donne une sign ification.

    Besoin de structure Recrer l'Unit par la synthse des opposs.

    Pratiquement toutes les traditions exposent le mme principe : la dual it comme condition existentiel le. Et e l les l 'expriment selon un choix symbol ique s imi lai re : celu i de l 'opposition du noir et du blanc, avec cependant une d iffrence essentiel le qui reflte la pense et la phi losophie propres chaque civi l i sation : analytique et pragmatique chez les Occidentaux, synthtique et globa l i sante pour les Orientaux.

    Cela se tradu it schmatiquement par ce qu' i l est convenu d'appeler le pav mosaque en Occident et

    5 . Catalogue Les magiciens de la Terre , p . 1 5 1 - Ed. d u Centre Georges Pompidou, Paris, 1 989.

    6. Paul KLEE, La pense cratrice, Dessain etTolra, 1 973 .

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  • le signe du Tao en Or i ent : deux reprsentation dua l i sles d'un u n ivers semblable mais peru d iffrem ment.

    L'un est constru i t sur l 'orthogona le dfi n i ssant u n e juxtaposition de carrs noirs et b lancs, l 'autre est constitu d'une doubl e courbe i ssue du cercl e q u i c irconscrit cet ensembl e conti n u et sans ru pture. Dans le premier l es carrs noirs et b la ncs forment u ne opposit ion franche, systmatique, voire bruta l e, tan d i s que dans le second l es deux zones forment une dua l i t re l ativise par l a prsence d 'un point b lanc dans l e no i r et v ice versa. Le pav mosaqu e est stat ique a l ors q u e l e s i gn e d u Tao s uggre l e mouvement.

    Le mot Tao s ign ifie Voi e et ds igne l a marche de l'univers v ivant, en cration conti n u e. La frontire entre les deux zones du s igne q u i reprsente le Tao n'est pas une sparation r igide et l orsque l ' i mportance du noir augmente, cel le du b lanc d i m i n u e ...

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  • LA C R AT I O N

    L e s or ig ines de la Cration et la crat ion des or ig i nes

    Ordo ab Chao.

    L'artiste ne cre pas partir de rien . Toute cration porte en e l le une mmoi re, reflet d'une forme de cration originel le inscrite en chacun de nous selon un schma qui est propre l a civi l isation laquel le nous appartenons. B ien qu' invis ible, un fi l nous rel ie aux origines du monde.

    Chaque cu ltu re, chaque civi l i sation, raconte sa manire l 'h i stoi re des origines de la cration du monde, puis de l 'tre humain et de son volution. Le besoin que tout homme possde de progresser s' i nscrit depuis la nuit des temps dans le projet de l 'humanit. L'h istoi re de cet effort vers plus d'esprit, en mme temps que de son ds i r de matriser la matire afin peut-tre de s'en extraire est ancre dans le fondement de la mmoire col lective et raconte par les rcits mythiques.

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  • - 3-"Ordo ab Chao " dessin de l'auteur

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  • Le mythe, lu i-mme, est une i nvention de l 'esprit humain, une tentative d'exp l ication du monde. La cration de l 'un ivers est un mystre. L'apparition de l 'tre humain, son rapport au suppos crateur ou au systme de cration, la manire dont il s'est inscrit dans ce processus, posent de mu ltip les i nterrogations dont i l a toujours cherch les rponses.

    Nous sommes bien l dans une phase i n itiatique. N 'oubl ions pas d'ai l leurs que le mysterium lati n vient du grec musts qui sign ifie aussi i n iti : le mystre ne peut tre connu, sinon par les in itis. Ainsi on parle des mystres de la Franc-maonnerie qui en ral it ne sont ni donns, ni rvls, mais dcouverts par le maon s' i l s'est i nscrit s increment dans l a dmarche. N e sont commun iqus que les moyens ou les c ls qui permettent d'accder, par un travai l personnel, une mei l leu re comprhension de l 'essence et du fondement des choses. L'alch imie s' i nscrit dans cette thmatique, el le y trouve ses raisons, e l le y dveloppe son h istoi re.

    Pratiquement tous les rcits fondateurs, dans toutes les rel igions et phi losophies, parlent de la cration du monde comme tant sortie de cet ind iffrenci que l'on nomme : Chaos.

    De l'Occident l 'Orient, ce concept est partout semblable ; dans le Tao il tradu it un tat de confusion entre le plein et le vide, entre la forme et l ' informel . Par dfin ition le Chaos est i ndescriptible mais toutes les expl ications reviennent ceci : tout y est, mais indiffrenci, sans dtermination donc sans vie, sans existence, dans une absolue confusion.

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  • Partant de l, crer c'est organ iser et ordonner. Mettre de l 'Ordre c'est faire du Cosmos au sens pythagoricien du terme. Le mot cosmos en grec sign ifie

    ordre et il se rapportait, l 'origine, aux structures organises, socia les ou m i l ita i res. L'un ivers, archtype de l 'absolue structu re, ta it pour les pythagor ic iens le modle de cosmos, ou ordre parfa it.

    Toute cration ncessite une sparation (un tri entre les composants).

    Sparation entre Lumire et Tnbres, entre Ciel et Terre, entre Soufre et Mercure d i rait l 'a lchim iste pour lequel l 'uvre consiste im iter et poursu ivre la cration de l 'un ivers. Une sparation impose une forme de dual it et impl ique un trois ime facteur, un agent provocateur.

    Celu i-ci est- i l interne ou externe au chaos originel ? C'est l une diffrence fondamentale qu i marque les oppositions entre les rel igions rvles et cel les construites sur un mythe ; en fait, entre les rel igions et les ph i losophies.

    Dans les rel igions rvles, le doigt de Dieu omniprsent et prexistant agit de l 'extrieur ; tandis que dans les mythes l ' impu lsion nat au sei n du chaos, d'une raction, d'un excs d'entropie ou d'un trop-plein d'nergie peuttre . . /

    La forme la p lus ancienne du mythe grec, le mythe orphique, prsente une trs bel le image de la cration du

    7. Le Rite Ecossais Ancien et Accept, qui est le plus rpandu des rites maonniques, a pour devise Ordo ab Chao. Ce qui signifie que l'ordre nat partir du chaos, du dedans de celui-ci.

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  • monde : le Chaos c'est la Nu it d'avant l'origine , Tnbres absolues dans lesquel les il n'y a rien voi r, rien entendre . . . et un Vent dpose un uf d'argent au sein de cette nu it. . . C'est une image bien sr, mais comment exprimer l ' ind ic ib le si non en imageant. . . De cet uf, dpos par on ne sait quel souffle, nat le premier ros appel Phans .

    Eros c'est l 'amour, mais i l ne faut pas confondre celu i ci avec cet autre fait de cha i r et de sensual it que Vnus mettra au monde plus tard. Pour l ' i nstant la matire n'existe pas et Phans est le p lus subti l , le plus dsincarn des symboles de l 'amour ; c'est encore un souhait, une promesse et un ds i r . . . Et c'est ce souffle de ds i r subti l qu i va mettre en branle tout l 'un ivers.

    Pour les orphistes, Phans restera le symbole de l ' i l l um ination i n it iale. I l n 'y a pas d' in itiation sans amour-ds i r.

    Cependant les rcits voluent et cet ros primordia l d i sparat dans le mythe olympien qu i rejoint la majorit des rcits de cration, laquel le rsulte d'un acte ou d'une srie d'actes p lus brutaux et cotaux (p lus B ig-Bang , d i rait Fred Hoyle) . Sans reprendre les images qui sont aux sources de notre culture, cel les dcrites par Homre, Hsiode ou Pindare, i l faut constater que le l ivre de la Gense bibl ique raconte lui aussi ce motif rcurrent de toutes les h istoi res de la cration dont la man ifestation premire fut le partage, la sparation et la mise en opposition de la terre et du ciel, de la matire et de l 'esprit.

    De cette matire l 'human it fut ptrie. L'homme est le point focal de la cration avec poss ib i l it ou mission de s'lever vers l 'Esprit. L'aptitude la cration semble

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  • i nscrite dans notre nature et on peut avoir cette vision de l' homme, aboutissement de la matire, prenant en charge la cration dont i l assume le prolongement et la continu it en partant de son propre centre.

    Dsi r et beso in de crer Mais l'enfantement est souvent douloureux . . .

    L a cration humaine n'est toujours qu'une vision renouvele, une conception diffrente de quelque chose qu i exista it sous une autre forme.

  • naissance l'uvre a une vie, une volution et un achvement. E l le vit dans et par sa matrial it p ictura le mais el le tend se dpasser voi re subl imer cette matrial it, comme l'homme fait de chair et de terre uti l i se le poids de ses constituants pour s'lever vers p lus d'esprit. L' idal de l'homme comme du pei ntre tant de situer son message au-del de la ncessai re et i nd ispensable matire. Klee s'est efforc sa vie durant de transposer en termes picturaux le systme des lois de la nature . . . jusqu' l'ultime transition, celle qui fait passer du ct de l'invisible .8

    Le dmiurge avait- i l l'angoisse de la page blanche ? Personnel lement je pense que l'angoisse du crateur ne tient pas la crainte de ne pas savoir quoi inscri re sur la page, ou sur la toi le, mais au contra i re la peur de ne pas fai re les j ustes choix dans le trop plein des ides ou des dsi rs, a ins i qu'aux d ifficu lts qu'i l y a organiser l'ensemble des choix.

    D'aucuns pensent que l 'artiste reoit l ' inspiration d'en haut ou d'un quelque part mystrieux l 'extrieur de lui, d'une muse qui dverserait sur lui des ides, des vidences, et qui guiderait son pinceau ou son outi l dans un lan faci le et bienheureux. Je ne suis pas sr que cela ait jamais exist. Personnel lement je ne conjure l 'angoisse des choix et des incertitudes et je ne dpasse les multiples hsitations qu'en m'efforant construire en m'appuyant sur des schmas prouvs, base de nombre

    8. Constance NAUBERT-RISER, Paul Klee, Encyclopdie Universalis, 1990, T. 13 .

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  • d'or comme nous le verrons plus loin, pour me raccrocher l 'un iversel, ou m'en donner l ' i l lusion . L'image de l'artiste transport dans le bonheur de sa cration, je n'y crois pas. Se lever le matin et se mettre au travai l , affronter l 'angoisse de la remise en cause perptuel le de ce que l 'on est en tra in de fai re, cela je connais.

    Crer c'est souvent pn i ble, mais c'est une ncessit, c'est un besoin . . . Et c'est parfois exaltant, mais lorsque l 'exaltation retombe on se retrouve penaud. Eugne Delacroix d isait en connaisseur : il est plus facile d'avoir du gnie vingt ans qu'un petit talent cinquante>> .

    Actuel lement on rencontre beaucoup de gn ies de vingt ans, prolongs parfois . . .

    D ix pour cent d' i nspiration et le reste en transpiration, je crois en cette viei l le recette. Flaubert expose ses doutes, ses angoisses, sa manire de remettre chaque jour en cause ce qu' i l a fa it pnib lement la vei l le. Mais au bout d'un certain temps, l 'uvre vit par el le-mme, e l le possde sa propre existence.

    Crer c'est fai re de l 'Ord re Dieu avait-il un trac rgulateur ?

    U ne tel le affi rmation semble l im iner toute forme d'art fonde sur la spontanit de l 'expression d i recte, et i l est vra i que la position d'un Wi l lem De Kooning peut sembler paradoxale au regard de mes propos lorsqu ' i l dclare : Considrer que la nature est un chaos dans

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  • -4-"Ordo Ab Chao "

    F.tud

  • d'expression de l'enfant la frontire du rel , uti l i sant la cou leur l ibrement en matires denses et varies. On peut aussi penser jackson Pol lock jouant sur l ' improvisation, uti l isant le geste, le parcours dans la surface, l ' i nsti nct, l ' i rrationnel motif.10 I l y a l sans doute un effet de catharsis par une purification des intentions, se l i brant du sujet d'une part, de la technique et des rgles de composition d'autre part, le fait de peindre devenant en soi acte cratif .

    La deuxime partie de la citation de W. De Koon ing mettre un peu d'ordre en nous-mmes, correspond au dsir de ne pas refouler en soi et de retrouver, aux racines de l'tre, un centre gnrateur d'qu i l ibre pour l ' individu.

    Je suis personnel lement intress, fascin mme par ces modes d'expression l'oppos de mes tendances nature l les. Si, dans ma pratique personnelle, je constru is en premier l ieu un trac gomtrique qui servi ra de trame et de support ma recherche, c'est certainement un moyen de conjurer l 'angoisse du commencement, comme d'autres le font en jetant avec fougue, sur la surface, les effets de puls ions i nternes.

    En consquence, lorsque je pose en principe que crer c'est ordonner, je parle de mon optique personnelle : dpart et but. J 'emprunterai Le Corbusier cette dfin ition laquelle je souscris volontiers : Le trac rgulateur apporte cette mathmatique sensible donnant la perception bienfaisante de l'ordre. Le choix d'un trac

    1 O. Jackson POLLOCK est l'origine de l'action painting dans les annes 50.

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  • -5-Jean Hcauchard, tude pour "Ordo Ab Cbtm ''

    rgulateur est un des moments dcisifs de l'inspiration, il fixe la gomtrie fondamentale de l'ouvrage .11

    On peut di re a l ors que l e processus de ra l isat ion de l'uvre im porte p l us que son aspect fi na l . La dmarche

    11. LE CORBUSIER, Vers une architecture .

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  • est in itiatique lorsqu'el le permet l 'artiste de se reconnatre en son vritable centre.

    Le trac rgulateur est une satisfaction d'ordre spirituel qui conduit la recherche de rapports harmonieux. Il confre l'uvre l'eurythmie .12

    Dans le domaine du vivant l 'ordre n'est en fait jamais statique. De la cel lu le aux astres, toutes choses doivent leur organisation leur propre mouvement. L'un ivers est rgi, depuis sa cration et dans son volution, par des rgles et des lois qui en harmon isent les parties. Quel le que soit l 'apparence de l 'uvre fi nal ise, chaque artiste inscrit, sa faon, sa pratique crative dans ce mouvement harmon ique.

    Cependant et malgr nos efforts pour al ler vers l 'un icit et la fusion, nous retombons toujours dans l 'alternative, et ne pouvons mieux faire que tendre dpasser la pense binai re . Dans la Franc-maonnerie par exemple, tout y i ncite, dans le Rite cossais particul irement qu i a pour devise Ordo ab Chao . I l faut trava i l ler la concidence des oppositions. Le chaos reste sous-jacent toute l'organ isation (l'Ordo ne supprime pas le Chao), ceci du moins tant que nous sommes dans le temporel et tant que nous ne pouvons fa i re autrement que de considrer les choses dans les conditions imposes par la perception du temps cou l.

    1 2 . Andr LHOTE, Trait du paysage, et trait de la figure, premires ditions respectivement 1 94 1 et 1 949.

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  • La Composit ion et la rgle Rechercher l'unit dans la complexit.

    Crer pour l 'artiste ce n'est pas seu lement avoir l ' ide de . . . c'est aussi ra l i ser et mettre en forme, quel le que soit la forme d'expression, mme abstraite (disant cela je remets malgr tout en cause certa ins types de l 'art dit conceptuel, mais c'est un autre dbat).

    En acte ou en pense, l 'homme ne peut constru i re avec rien. Mais rien ne se constru it sans nous et nous sommes l 'agent transformateur, l 'agent de notre p ropre transformation.

    Attendu que nous sommes placs entre matrial it et spi ritual it, notre action se situe au carrefour de l 'horizontale teinte de nos affects, et de la verticale qu i marque nos as pi rations intel lectuel les ou spi ritue l les.

    Toute uvre d'art s' i nscrit, en principe, dans un espace, l ibrement ordonn par la volont de son crateur. Espace bi-dimensionnel pour le peintre, le graveur, le graphiste . . . tri-d imensionnel pour le scu lpteur ou l 'architecte, ou espace-temps pour le musicien. La composition rsulte de la manire dont les parties s'organ isent pour former un tout au sein de l 'espace concern et dfin i par l 'artiste concepteur.

    L'artiste peut se rfrer d i rectement et spontanment la sensation qu' i l possde de la juste proportion donner aux formes, dans le cadre et en fonction de son i nvestissement. Mais trs souvent i l s'appuie sur un trac rgulateur pour assu rer l 'un it de l 'ensemble et en trouver l 'harmon ie, c'est--d i re l'accord des parties entre e l les et

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  • au tout. D'ai l leurs, mme sans l 'usage volonta i re des rgles du trac, l 'artiste qui compose spontanment ne peut le fai re que s' i l a acquis la matrise et la science des justes rapports, ce qui ne peut s'obten i r que par une longue pratique in itiatique en la matire.

    Certa ines proportions indu isent naturel lement un effet rgulateur dans le sens de l 'harmon ie. Mais le pri ncipe rgu lateur le plus connu, globalement du moins, est celu i d it du nombre d'or dont on ne connat pas toujours le mode d'appl ication n i les impl ications qu' i l sous-tend dans une uvre d'art, notarflment p ictura le ou architecturale.

    J'ai dcrit par a i l leurs le principe du nombre d'or13 Ce qu i est reten i r ic i c'est qu' i l est fond sur le seul rapport possible permettant de joindre arithmtiquement et gomtriquement le point et l ' i nfi n i . La suite de Fibonacci ( Lonard de Pise) en est le substitut et Mati la Ghyka a dmontr sur cette base que la croissance harmonieuse des plantes obit des rgles et selon des pulsations qui la issent des traces visibles dans la structure de la plante, lesquel les sont souvent soumises l a loi du nombre d'or.14

    Dans une uvre plastique le trac rgulateur d isparat aprs ral isation de l 'uvre mais ses repres peuvent tre

    1 3 . j. B EAUCHARD, Tarot symbolique maonnique, page 50, 2me ditions Arkhana Vox. Et, La Voie de l'Initiation, tableau 1 1 , ditions Trdaniel, 2005.

    1 4. M. C. GHYKA, Esthtique des proportions dans la nature et dans les arts. Ainsi que Le Nombre d'or, rites et rythmes pythagoriciens dans Je dveloppement de la civilisation occidentale, Paris, 1 927 et 1 93 1 .

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  • -6- . . "T .e Trad "

    Oess1n de Jean Heauchard pour "L Spiritualit Afaonniq11e'' de J.P. Bayard, d. Dangles.

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  • retrouvs par tout i n iti cette technique. Le trac est invis ible mais sous-jacent et joue dans l 'uvre un rle coordinateur, subconscient mais indispensable la cohrence de toutes les parties du tableau.

    Par exemple : ...

    l 'occasion de la restructuration des locaux de runion de la GLF Orlans, en 1 995, j 'ai ral is (bnvolement et sur demande) une pei nture murale pour dcorer le l ieu dans lequel se retrouvent les Frres avant et aprs les tenues ritue l les. Ce fut l'occasion de mettre en jeu, dans un esprit in itiatique, diffrentes notions relatives l 'un ivers maonn ique et alch i mique sur le thme Ordo ab Chao .

    Cette peinture est constitue de trois panneaux principaux qui rpondent une ncessit matrie l le impose par l 'espace du mur. Chacune des trois surfaces possde sa spcificit l ' intrieur de l 'un it globale de l ' ide d i rectrice. Cette un it tant cre par la transversal i t des l ignes i l fut possible d'affi rmer la particularit de chaque surface en mnageant des espaces entre el les. Un quatrime panneau p l us petit sert de point d'orgue cet ensemble.

    Les ruptures dans la continu it sont l ' image mme du vivant, el les la issent la pense du spectateur un espace, un temps de rflexion qui se situe dans ce l ieu i ntermdiaire : mi- l ieu ou entre deux. Ce jeu de rectangles embots cre un dveloppement structur de l 'espace plan et induit paral llement, d'un panneau l 'autre, une vo lution de l 'espace menta l .

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  • Jan &;mchard, " ( )rdt! Clh Cbao " peil'l.tnre mnrak sur p.tont".aU'!i'; {J.(l9 .23( m.}

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  • Le premier panneau gauche est marqu par la prsence d'objets d'apparence ral i ste. Le panneau centra l, beaucoup plus abstrait, fait appel la menta l i sation par le biais des signes et des a l lusions. Dans le troisime la reprsentation est dtourne et appartient au domai ne de la spi ritual it et de l 'sotrisme. L'volution de cette trip l icit n'est pas sans relation avec cet autre systme d'expression : Corps-me-Esprit dvelopp par L.C. de SaintMarti n . '5

    Les d i rections dominantes de l 'organisation gnrale a insi que la rpartition des lments reprsentatifs reports sur les panneaux latraux laissent le centre apparemment vide, ce qui est un non-sens par rapport aux canons trad itionnels de la composition p icturale ; d'autant plus que la couleur attire le regard vers les zones extrmes par leurs complmentarits : rouge-vert.

    Paradoxe ici , comme souvent en alchimie, ce vide central donne son sens l 'ensemble par les interrogations qu' i l suscite.

    Ce pan neau mdian est en fa i t le l ieu des transformations.

    Plastiquement, cette surface est couverte de feu i l les de papiers col ls comportant des critures qui transparaissent plus ou moins sous la pei nture qui les recouvre, tel un pal i mpseste (ces papiers n'ont pas t choisis au hasard). La partie la plus au centre est faite de multiples couches de ces feu i l les, et mme si el les disparaissent l 'crit se perptue par une sorte de sdimentation, de

    1 5 . Louis-Claude de SAINT-MARTIN partrcrpa l'origine du Rite Ecossais Rectifi et fonda le Martin isme >>. Cf. notamment : Les rapports qui unissent Dieu, l'Homme et l'Univers, 1 782 . Ainsi que L'Homme de Dsir, 1 790.

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  • strates qu i en prservent la mmoire et le sens . . . Le temps donnant de la transparence la matire picturale on peut aussi supposer que l 'criture rapparaisse . . . un jour.16

    1 6. Cette analyse est volontairement l imite ici au domaine de l 'organ isation picturale. Les expl ications dtail les sur le contenu de ce travai l ont t recuei l l ies dans une plaquette : Au commencement tait le Chaos.

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  • l'A LC H I M I E

    D u grand Art d e cration Changer la nature des choses.

    Mes proccupations alch imiques sont nes de mon questionnement sur l 'uvre cratrice et notre rflexion actuel le nous amne pntrer ce domaine, autant que fa i re se peut, car nous touchons l l 'essence mme de l 'art. Ce n'est pas fortu itement que l 'alch imie sera dsigne au Moyen-ge sous les labels : Grand Art ou Art Royal ( l 'art par excel lence), en rapport l ' immensit, reconnue ou suppose, des comptences mises en jeu.

    Nous retrouvons, de man ire vidente, la dfin ition de l 'art qui , l 'origine, tait l ie tous les domaines de la connaissance y compris scientifique, notamment cel le du ch im iste uvrant avec des matriaux naturels (plantes et m inraux . . . ) en recherchant des procds permettant

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  • -9-La quadrature alchimique

    d'aprs une gravure de Thodore de Bry pour l'Atalante fugitive de 'Michal !v1acr

    de dcouvri r de nouve l l es matires, de nouve l les coul eu rs, de nouveaux moyens d'express ion .

    La p h i losoph i e hermtique et l 'a l ch i m ie rpondent prcisment ce dsi r constant d'uti l iser l a matire pou r la transformer et l u i permettre u n autre usage. La ta i l l e du si lex, la fabrication d'abris fa its de branches assembl es,

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  • le faonnage de quelques p ierres de construction engageaient dj une rflexion sur le pouvoir des matriaux, le sens des modifications qu'on leur fa isait subir et les ra i sons de leur usage veni r.

    Mais ce pouvoir de transformation prit une autre d imension lorsque l 'homme commena extra i re du sol certa ins minraux et les soumettre l 'action du feu . Il ne s'agissait p lus l d'une s imple mod ification de forme, mais p lus fondamentalement d'une transformation des caractristiques profondes du matriau emprunt la Terre mre.

    L'acte de se sa is i r d'un produit naturel pour en transformer la structure, comportait quelques alas : la conqute de la matire se fai sait dans un contexte qu i c.onsidrait le monde comme vivant dans tous ses composants. L'essence inconnue de toute substance tait une entit appartenant des puissances que l 'homme ne pouvait contrler et dont i l devait se conci l ier les faveurs. Cet acte avait donc un caractre sacr et magique.

    Les premiers mta l lu rgistes, en extrayant le minerai et en le transformant par le feu, pensaient que leurs oprations devaient s' i nscri re dans un processus en accord avec la nature.

    Progress ivement se dveloppa l ' ide que les minraux ava ient une vie au sein de la terre et devaient voluer selon une gnration naturel le, se transformant d'eux mme de plomb en fer puis en tain, en cu ivre, en argent, en or . . . , la cration de l 'un ivers tant a insi en volution constante. Dans son principe, l 'alch imie proprement dite consiste alors reprodu i re, en acclr et en laboratoi re,

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  • ce processus volutif. L' ide est s imple, i l suffisait d'y penser, mais la ral i sation est d'autant plus complexe qu'el le met en jeu les lois les plus secrtes de la marche du monde.

    Le processus de l 'uvre alchim ique est fondamentalement une dmarche de cration .

    En ral it l 'a lch imiste cherche tout d'abord reprodu i re la Cration par la dcouverte exprimentale et l'ass imi lation de ses mcanismes et des lois qu i gouvernent la gnration de l 'un ivers. Par son action l'alch im iste s' inscrit au sein d'un mouvement crateur un iversel : si tu as le crateur en toi, tout court aprs toi, homme, ange, soleil et lune, air, feu, terre et ruisseau . . . . 17 C'est d i re que l 'acte crateur appel le la cration. L'a lch im iste se fa it dmiurge pour engendrer dans son laboratoi re l 'uf phi losophai qu i reprodu i ra fidlement les structures et l 'volution de l 'uf cosmique .

    Burckhardt dit que l 'alch imie tait d'abord une qute de l'me de la matire et que la materia prima est l'me dans sa puret originelle, dbarasse des passions qui la ptrifient. 18 Etant entendu que l 'Art royal (Ars regia) est plus un art des mtamorphoses de l'esprit que de la fabrication de l'or nous pntrons l au cur du processus in itiatique : l'alchimie ouvre l'homme une voie vers la connaissance de son tre vritable et intem-

    1 7. Angelus SILESIUS, Le plerin chrubinique, xve sicle. 1 8. Titus B U RCKHARDT, L'alchimie, science et sagesse, Editions

    Plantes, p. 1 1 5 .

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  • pore/ .19 Connaissance dont la voie commence par une i ntrospection (VITRIOL : Visita lnteriora Terrae, Rectificandoque lnvenies Occultum Lapidem que l 'on peut tradu i re : Visite l'Intrieur de la Terre et en Rectifiant tu Inventeras [dcouvriras] la Pierre Occulte). Cette introspection est la condition pour dcouvrir en soi et comprendre le fondement primaire de notre tre, autrement dit notre materia prima souvent prsente comme la racine de l 'arbre du monde.

    Il n'est pas de notre ressort de fa i re ici un expos exhaustif de la dmarche alchimique20, cependant et puisqu' i l s'agit d'Art royal, de l 'Art parm i les arts, de la recherche de la Connaissance et de son expression par la pratique, i l est uti le de rappeler que le but poursuivi est de l 'ordre de la subl imation .

    Que l 'on soit partisan ou non de la ral it de la pratique matriel le et de son aboutissement dans la possible transmutation phys ique d'un mtal v i l en or lumineux, i l n'empche que le chemin de rdemption est essentiel lement celu i de l 'homme: la rflex ion intel lectuel le et sens ible mise en uvre transforme d'abord le chercheur, s' i l est s i ncre dans s a dmarche, avant que l a transmutation ne soit manifeste dans la matire.

    Le processus alch imique est fond sur une srie de disti l lations qu i sont autant de stades d'puration et de transformation afi n d'extra i re chaque fois un peu de

    19. Idem, p. 59. 20. C'est ce que nous avons fait dans le Tarot des Alchimistes, Guy

    Trdaniel Editeur, 2006.

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  • l 'esprit de la matire. La voie consiste reconstituer l 'un it du cosmos, c'est--di re d'ordonner le chaos : quand l'homme a ralis son unit il retrouve l'unit du monde .21 L'artiste est tota lement impl iqu dans sa pratique : Ars tatum requirit hominem , l'art rclame l'homme total , s'crie un viei l a lch imiste.

    L'a lch imie, synthse des trois notions Art - Cration - In itiation

    Purement exprimentale ses origines gypto-alexandri nes ains i qu'en Chine, la pratique tait centre sur la recherche et la fabrication de teintures , c'est--di re d' imitations apparentes de mtaux prcieux (or et argent). C'est travers une volution arabo-byzantine que va natre dans l ' Espagne mauresque des dern iers s icles du premier m i l lnaire une alchimie spi rituel le fonde sur la gnose hermtique et le fameux princ ipe dict par la Tabula smagdarina (table d'meraude) : Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut. . .

    l 'poque de la Renaissance les textes anciens ont t tudis dans le but de constru i re un nouvel avenir. Un sujet comme l 'a lchimie ne fut pas peru comme passiste mais fut repens la lumire des textes nouvel lement dcouverts : notamment le Pomandrs (passeur

    21. tienne PERROT, La Voie de la transformation, Librairie Mdicis 1970.

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  • d'hommes) qu i contient la Table d'meraude , attribue Herms Trismgiste.

    La dcouverte, par l 'Occident au xve sicle, de ces textes hermtiques et leur traduction par Marc i le F ic in, ouvrent la porte une voie associant pratique et spi ritual isme qu i se retrouvera dans les mouvements Rose+Croix au XVW sicle, lesquels associeront sous le label Ars magna l es concepts d ' i n i t iat ion et de c rat ion . L'a lchimie devint alors le modle d'une qute autant spirituel le que matriel le et pratique. Les Francs-maons du XVI I Ie ne seront pas insensibles aux influences de ce courant.

    I l m'est arriv de croiser quelques a lch im istes convaincus par leurs recherches. Des personnages qu i cultivent le mystre, ja loux de leurs pratiques, faisant un grand cadeau lorsqu' i l s dvoi lent une miette de leurs recettes, et s'embal lent volontiers dans une logorrhe dont i l ne ressort que quelques notions p lutt attendues.

    U n de mes plus anciens amis fait figure d'exception par sa discrtion, sa retenue et la sincrit de sa dmarche qu' i l a vou l u j usqu'alors l i m ite une alchimie pratique sur les p lantes p lutt que sur les mi nerais. Je pense qu' i l n'en restera pas l car sa dmarche repose sur une profonde comprhension de la vie et de l 'vol ution de la nature, une pense expose de faon originel le.22

    Quant moi j 'ai pris i ntrt fabriquer une i nstrumentation, apparei ls disti l lation, creusets et cornues double paroi, models en terre grs (de mes mains

    22. Bernard TARRAI RE, Le Labyrinthe Etoi/, chez l'auteur.

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  • - l -Extrait de "f" '(JJJ:en/ifJII till HtZNt Mal" de David 1l - Editions T .' As.,xiation.

    (David Tl est le fils de l'auteur)

    expertes), p l us sans doute pour le plais ir de la forme que pour leur uti l isation future . . .

    J 'ai aussi beaucoup l u, jaug les crits, et j 'ai regard, scrut, des centaines d' images, les m in iatures ou les peintures extraordi naires et rvlatrices comme le sont cel les, par exemple, du Splendor Solis de Trismosin, et encore les merve i l leuses gravures de Thodore de Bry, de Mrian et de b ien d'autres . . . J 'ai regard et compar, et puisque j'a i peut-tre mieux que d'autres, par ma formation, cette facu lt de voi r et de rel ier, j 'ai compris quelques principes essentiels dont j'expose la teneur, en texte et en images, dans le Tarot des Alchimistes.23

    23. Jean BEAUCHARD, Tarot des Alchimistes, Guy Trdaniel Editeur 2006. Dans cet ouvrage on trouvera des indications indites sur le processus matriel et aussi psychologique en alchi mie.

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  • Soleil et Lune uni.rsmt letm flmts pour rduire le.r lmettls tifs. D'aprs une gravure attribue Thodore de Bry, extraite de L'Atalante fugitive, de Michal l\lacr.

    Ce q u i fait de l 'alch i m ie u n art t ient aussi son rapport la matire. Crer c'est don ner de l 'ex istence u ne chose et en matire d'art la cration agit su r deux p lans s imu ltans : la rgnration de soi en mme temps que la gnration d'u n objet.

    L'a lch i m ie aff i rme et g lorif ie l ' i nca rnatio n de l 'esprit par l a prat ique. L' homme est la fois le matr iau et le dm i u rge du grand uvre ; l 'artiste trouve la voie de sa propre ra l isation, i l se ra l ise en trava i l lant la matire de son uvre. I l dcouvre et assi m i le l e fru it de l a con na issance que l u i apporte l 'expri mentatio n .

    5 1

  • J I s'agit bien l d'une i n itiation, c'est--d i re de l 'uvre d'une vie, une i n itiation lente et progressive qui se manifeste des n iveaux d iffrents. Une in itiation tel le que peut la concevoir, avec d'autres moyens, un Franc-maon pour lequel le parcours des diffrents degrs correspond une construction de l 'tre.

    Chaque crmonia l in itiatique ne serait qu' i l l usion s' i l n e se poursu ivait par une rflex ion et une prise de conscience de la relation individu-globa l it, tout en adhrant au mouvement de l ' i nstant. je veux d i re que dans l ' i n itiation il y a, comme dans l 'a lch im ie ou toute autre forme d'art, une adhsion de l 'homme au cosmos et que l'art en cause est sans doute avant tout celu i du rythme et des changes.

    La progress ion de l ' i ndividu dans une socit in itiatique se fa it dans ce mme esprit. La Franc-maonnerie apprend ses membres qu' i l existe un Ordre du monde et que le rituel pratiqu en un l ieu sacra l i s et en un temps privi lgi met l ' i ndividu en accord avec le cosmos (ordre et rythme).

    Dans le domaine de l 'a lch im ie p lus forte raison, l 'adepte dont le travai l de cration poursu it l 'uvre de la nature doit tre en parfait accord et harmon ie avec cel lec i pour en uti l iser les forces et nergies qu' i l doit subti lement contrler.

  • L'al ch imie c'est l 'art de fai re de l 'Or Transformer l'pais en subtil.

    Cette dfin ition figure en tte du l ivre de Serge Hutin sur le sujeU4

    On ne peut faire plus s imple et pourtant tout y est travers ces trois notions : l 'Art - l 'acte de faire - et fai re quoi ? de l 'or.

    Art : incontestablement i l s'agit ic i du sens original du mot selon la dfin ition du d ictionnaire de l 'Acadmie qui , jusqu'au m i l ieu du XIXe sicle, d isait : Art : expression matrise d'une connaissance .

    Lorsqu'on parle d'Art royal propos de l 'Alch imie cela sign ifie qu'on la considre comme la plus haute forme de connaissance ; et cela se dit aussi de la Francmaonnerie.

    Ensu ite, la notion de Faire s'attache la facture comme disent par exemple les artistes peintres. I l ne suffit pas de d i re la chose, ou de spcu ler, en alchimie il s'agit d'oprer, i l s'agit de trava i l ler sur et avec la matire.

    Travai l ler une matire v i le ou quelconque pour fai re de l 'Or. Ce mtal bri l lant, l umineux, sola i re, est de plus et su rtout inaltrable. I l s'agit en quelque sorte de fa i re de l 'ternit . . . Et sous-entendu de faire avec quoi ? : avec les matriaux temporels dont nous sommes faits nousmmes.

    24. Serge H UTI N, L'alchimie, ditions des Presses U n iversitaires de France, col lection Que sais-je ? .

    53

  • - 1 2 -Faire de l'Or, c'ut traniformer l'pais en stt/JtiL

    Gravure d'aprs " Emblemata Politica ' ' de Jacob a Bruck.

    I l s'agit d'app l i quer notre con na issance uvrer dans l e but de transformer l 'pa i s en subti l . Ce processus de transformation est ana logique, pou r le Franc-maon, au fa it de ta i l l er u ne p ierre brute pou r l u i donner u ne forme dest inat ion vou l ue, c'est--d i re l u i donner du sens .

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  • De l 'or ! . . . Mais quelle sorte d'or ?

    Aux or ig i nes de l ' a l ch i m ie, en C h i ne et en gypte jusqu' l a pr iode a lexandr ine i nc l use, les cr i ts a l ch i m i ques ne par lent pas de transmutat ions ma i s de te i ntu res. J I s 'ag issa i t a lors de tech n iques l abores pour i m iter l 'or dans la masse de la mat ire (fabr icat ion d 'a l l i ages) ou s imp lement en su rface (procds de cmentat i on ) . Le subst i tut obtenu n 'ava i t v idemment pas toutes l e s qua l its de l 'or vr itab le .

    Ce n'est que progressivement, dans les pays a rabes tout d 'abord, que s ' imposa l ' i de que les mtaux su iva ient au se i n de l a terre u n processus vo l ut if naturel qu i , de p lomb en cu ivre pu i s en a rgent (je saute des tapes) les amenait matur i t parfa i te sous la forme de l 'or. J e trace l un raccourc i abrg d 'un p rocessus extrmement long que l ' a lch i m i ste ta it cens recrer en laborato i re en un patient et trs d l i cat trava i l .

    Pa radoxa lement, sans orato i re et sans pr ier les pri nc ipes d iv ins ni les entits supr ieures, nos actue ls scientifiques sont capab les de ra l i ser le rve des a lch i m i stes par un bombardement de neutrons. Mais l e p rocd uti l i se une norme quantit d'nergie extr ieure . C'est l 'antithse de la dmarche a lch im ique qu i repose sur le dveloppement du potentiel d'nergie i nterne la matire. L o Newton expr imentait en

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  • se fondant sur une pense trad it ionnel le/5 les chercheu rs actuels dfi n i ssent d'abord un but, pu i s i nventent et fabr iquent les moyens complexes pour y parven i r.

    Le rel problme de l 'a lchimie n'est d'a i l leurs pas de fabriquer de l'or mais de reprodu i re le processus de la cration. L'or, que l les que soient sa forme ou sa qual it, en est le rsultat. En l 'occurrence la dmarche compte plus que le rsultat. S i el le est bonne, la solution le sera auss i . Scientifiques et alch imistes n'ont de commun ni le langage n i les procds. Nous sommes l face deux formes de pense, l 'une se veut rationnel le et l 'autre est, par essence, hermtique. La pense alchim ique n'est pas scientifique, e l le est phi losophique.

    La ral isation de l 'uvre alchim ique demande une tel le concentration et un tel i nvestissement de la part de l 'oprateur que cela ragit et influe sur le psych isme de l ' i ndividu de tel le sorte qu' i l ressort lu i -mme transform par cet ensemble d'oprations. I l est devenu l 'objet de la transformation. De matriel, le processus devient spi rituel et l'or recherch est celu i de l ' i l l umination, ou du moins d'une transcendance de la conscience.

    25. L'uvre alch imique de Newton est considrable et a servi de point d'appui ses recherches et dcouvertes fondamentales de la science actuel le. Un ouvrage du physicien Jean-Paul AUFRAY en rend compte : Nexton o le triomphe de l'alchimie, dition Le Pommier. Ains i que, Loup VERL ET, La malle de Newton, Gal l imard N RF.

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  • -13 -L'oratoire et le Laboratoire.

    Montage inspir de 2 documents de Kunrath et de Jan van der Street. Colltction de l'auteur.

    Labo rato i re et O rato i re . . . Indissoci ables.

    Pas de ra l i sation prati que dans l e doma i ne de l 'a lch i mie sans rflexion, sans md itati on sur l es moyens de l 'app l i cation, auss i le laborato i re et l 'orato i re sont toujours proches l 'un de l 'autre, i l s sont comm u n i cants, i l s peuvent n'tre q u ' u n .

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  • Dans la l ittrature alchimique i l est parfois diffic i le de discerner ceux qui , parm i les auteurs, parlent de techniques purement matriel les de ceux qu i s'expriment sur un plan essentie l lement spi rituel , tant les images employes sont semblables. Ce qu i fait d i re au phi losophe jung, par exemple, que l 'a lch im ie est un iquement la projection d'un processus psychique de ral i sation du Soi, c'est-d i re la dcouverte du centre de l'tre en sa part la p lus authentique.

    l ' i nverse, le clbre disciple de Fu lcane l l i , Eugne Cansel iet, renvoie jung ce qu' i l appel le ses acrobaties psychologiques et stigmatise les thories de Bachelard qu' i l accuse de solitaires masturbations .

    I l est vrai que les preuves de l 'aboutissement de la ral it matriel le (obtention de l 'or alch imique) sont minces et d iscutables : quelques transmutations ra l ises certes devant des tmoins d ignes de foi mais peut-tre abuss par l 'habi let de l 'oprateur.

    I l est vrai aussi que les textes a lchimiques sont trs embrou i l ls. Soit i l s sont cods un degr tel qu' i l est quasi impossible de s'y retrouver ; soit i l s ont t crits par des gens qui ne savaient pas exactement ce dont i l s parla ient, transcrivant des fantasmes ou des ds i rs qu' i ls prenaient pour des ral its . N icolas Valois dit clai rement et fort justement : (( Bien des auteurs qui ont la rputation d'avoir opr le grand uvre, ne l'ont acquise qu'en crivant obscurment et en copiant les passages de quelques vrais philosophes sur l'interprtation desquels ils avaient fait de vains efforts . . . , mais plus loin il ajoute aussi : (( je

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  • suis cependant convaincu de la possibilit du Granduvre .26

    Johanns de Rupescissa (nom lati n is de Jean de Rocqueta i l lade), moine francisca in du XIVe sicle, crit dans Le livre de la Lumire : La matire, on la trouve partout. .. , affirmation corrobore par de trs nombreux adeptes. Mais Rupescissa ajoute, en parlant de la premire opration : prends en parties gales une livre de salptre et de vitriol romain, c'est--dire une livre de n'importe quelles choses broyes et mlanges, fait scher feu lent... , suit alors une longue et trs complexe descr iption de laquel le i l ressort que, aprs beaucoup de ttonnements et de bricolages :

  • L'oratoi re prcde le laboratoi re et le travai l de celu i-ci dpend de celu i- l. La recherche de l'or devient alors un prtexte pour une recherche plus intime, cel le d'une richesse i ntrieure et personnel le.

    Et pourtant le travai l sur et avec la matire existe de toute vidence, i l est mme l'origine de la pense alchimique. Tant que nous ne fai sons pas l 'preuve pratique des proprits de l 'a lch im ie, on ne possde pas l 'a lchimie. Le problme, nous l 'avons suffisamment voqu, tient la d ifficu lt que l 'on rencontre pour trouver un parcours dans les textes alch im iques ; et l je dois sou l igner combien l ' image est clai rante, compare au texte.

    Maints praticiens sont a l ls suffisamment lo in dans leur action, jusqu' ce que l 'esprit s' impose la matire. Car une chose ressort de tous ces textes : c'est le l ien intime entre le man iement de la matire et la dmarche spi rituel le.

    Matire - Esprit L'uf c'est de la matire vivifie . . .

    L'un des pr incipes de base de l 'a lch im ie consiste Corporifier l'Esprit en spiritualisant la matire . Et vice versa, pourrions-nous ajouter. L'effet est double sens : d'une part l ' Esprit dans la matire objet du travai l , et d'autre part l 'Esprit dans la personne qui trava i l le cette matire.

    Albert Poisson, dans sa lettre du 4 avr i l 1 892, crit : La matire peut varier et tous les alchimistes n'ont pas

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  • travaill sur la mme ; ce qui ne varie pas c'est la force l'aide de laquelle on la met en uvre . Et le 9 mars 1 893 : je ne peux mieux comparer la matire qu' un uf. Dans un uf il y a de la matire et de la force. La matire nous importe peu ici, mais la force c'est la Vie ; l'uf c'est de la matire vivifie ... 27

    I l est clai r ic i que le travai l de l 'a lchim iste consiste insuffler dans la matire une force c'est--d i re d'y apporter un germe qui se dveloppera en esprit par la su ite des oprations.

    Cette semence est souvent prsente comme un feu interne ou feu secret et i l est prcis que ce feu ne dvore pas, c'est un feu qui nourrit . D'une nature indfi n issable, ce feu est a l iment par une nergie extrieure, de caractre universel ou cosmique, puise par l 'artiste. Celu i-ci, en tant qu'oprateur, devient le canal de cette nergie.

    C'est en tant l'coute des rythmes de vie de la nature que l 'oprateur peut se sais i r de l a force et de l 'esprit de cel le-ci pour ensemencer la matire. Ce fa isant l 'artiste s' imprgne des pr incipes de la nature, une osmose se cre entre la matire, la personne et son envi-

    27. Albert POISSON est mort d'puisement 24 ans, en 1 893, aprs avoi r accompl i une part importante et dlicate de l 'uvre qu' i l avait commence l'ge d e 1 3 ans. O n conserve d e lu i plusieurs traductions d'ouvrages en latin ainsi que Thories et Symboles des Alchimistes, Editions Trad itionnel les 1 991 , et ces 7 3 lettres un destinataire inconnu, qui tmoignent de son souci rigoureux de recherche de la vrit.

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  • ronnement. I l s'agit l d'un d ialogue entre l 'homme et la nature en ses d ivers stades.

    L'tude de mult iples textes montre qu'au fur et mesure que l 'adepte avance dans son uvre, la part de l 'esprit s'accrot jusqu' deven i r prpondrante. En fi n de compte, trs souvent, l 'esprit seu l reste aprs que l 'a lchimiste a longuement travai l l matriser la matire, se rendant compte a lors de la vanit qu' i l y a en cel le-c i .

    Ainsi de Cyl ian i qu i s'efface aprs trente-sept annes de labeurs et de sacrifices. I l raconte lu i-mme qu'ayant russi Le jeudi saint 1 83 1 faire seul la transmutation . . . et aprs avoir t sais i du ds i r d'en fa i re profiter le roi , les pauvres, ses amis . . . i l sentit le besoin de prendre l 'a i r la campagne durant huit jours pour calmer son exaltation et se rsout, en fi n de compte, n'en plus parler et vivre dans l'obscurit . I l termine son rcit sur une phrase double sens : de quel droit voudrait-on donner la prfrence sur l'or des mines, celui fait par l'art philosophique, ce dernier tant meilleur ? 28

    Cela sous-entend sans doute que ces deux ors sont de nature diffrente et n'ont pas la mme desti nation, n i surtout la mme signification, l 'un tant de nature matriel le, et l 'autre spi rituel le.

    28. CYLIANI , Herms dvoil - ditions traditionnel les - Paris -4e dition 1 982 .

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  • - 1 4 -1\ecomtruire son propre ordre d11 IJIOtJde.

    Dessin de Jean Beauchard.

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  • " 1 5

  • L ES VO I E S D E L' l N IT IAT I O N

    Les Voies i n it iatiques : personnel les ou col lectives

    Se connatre soi-mme pour tre Soi dans le monde.

    Ainsi le travai l questionne l'tre et le rvle l u imme : . . . l'uvre cratrice initie, consacre et situe l'me au sein du mystre ... c'est pourquoi l'on peut dire que l'initiation est oprative au-dedans, antrieurement toute initiation confre de l'extrieur . . . .29

    Une in itiation est un travai l sur soi-mme, un travai l de cration de soi . La voie de l ' i n itiation renvoie conti nuel lement l ' individu l u i -mme. Faisant appel aux symboles, e l le le condu it se poser des questions et chercher des rponses personnel les.

    29. Marie-Madeleine DAVY, L'homme intrieur et ses mtamorphoses, Albin Michel diteur.

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  • La crativit est i nhrente l 'acte i n itiatique, el le en est mme une des composantes les plus importantes. E l le suppose une certa ine l ibert d'esprit et la d isponib i l it de l'tre ; e l le demande aussi un travai l de rflexion et de recherche avec une capacit autocritique. En fa it notre idal de perfectionnement demande les mmes qual its d' investissement que la crativit.

    tre in iti n'est pas un tat acquis . C'est un moyen, un mouvement vers l 've i l de la conscience, une porte ouverte sur la connaissance. L' in itiation met l'tre sur la voie du Connais-toi toi-mme , condition ncessaire pour comprendre les mcan ismes de l 'un ivers, des socits, des autres i nd ividus et par consquent pour pouvoir transmettre avec effic ience.

    La connaissance que nous pensons avoir de nousmme tient sans doute plus notre formation - fam i l le, ducation - qu' notre tre vritable. C'est la diffrence qu' i l y a entre le Moi et le Soi profond, qui peut-tre rvl par le processus jungien de l ' ind ividuation, dmarche qui s'apparente un processus in itiatique.

    tre in iti c'est accepter d'tre destructur-dconstruit, en vue de la reconstruction de son propre ordre du monde. Platon uti l ise ce propos l ' image du personnage coup en deux, chaque moiti tant la recherche de l'autre afi n de reconstituer l 'un it de l 'tre. L'a lch imiste le reprsente par l'androgyne, un ion des deux sexes, appel Rebis : premier et important rsultat marquant le bon droulement de l 'uvre.

    Toute in itiation s'apparente un rite de passage qu i a pour fonction d'adapter l ' individu son monde comme

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  • lors du passage du monde des insti ncts de l 'enfance au monde de conscience de l 'adu lte.

    Les socits in itiatiques sont d iverses. Si on se l im ite l 'Occident, les socits ros icruciennes, no-templ ires, maonn iques et autres, puisent en gnra l aux mmes sources traditionnel les, mais les points de vue et les buts diffrent. Les donnes traditionnel les peuvent tre dtournes, dformes et uti l i ses parfois dans le but de contraindre l ' individu. En fait il ne s'agit p lus dans ce cas de socit in itiatique, mais de secte.

    I l ne peut y avoir d ' in itiation lorsque le contenu est impos. Une vritable socit i n it iatique ne fa it que proposer les lments d'un cheminement ; en ra l it l ' individu s ' in itie l u i -mme en confrontant les propositions qui l u i sont faites, ses propres rfrences et sa perception.

    De gnration en gnration la chane in itiatique transmet les trad itions. Par leur comprhension l 'homme apprend connatre les secrets de l 'un ivers et, en s'aml iorant, se mettre en harmonie avec celui-ci .

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  • La Franc-maonner ie : un art de constru i re

    Un art de se construire.

    Si nous parlons de la Franc-maonnerie tel le qu'el le se pratique dans un assez bon nombre de loges, avec sincrit de la part des membres et un respect attentionn de ses rites, e l le se prsente comme le chantier de la construction d'une uvre. E l le a ses ouvriers et ses matres qu i trava i l lent sur un projet, et pour une ide. Chacun y est impl iqu individuellement, en vue d'une ral i sation col lective.

    C'est la fois un contenu et un contenant o in itiants et in itis se rejoignent pour laborer l 'uvre dont la rfrence symbol ique passe par la lgende de l'd ification du Temple de Salomon, et s'exprime dans la ral i sation d'un temple humaniste.

    La Franc-maonnerie possde ses moyens et ses outi ls l 'a ide desquels e l le transmet un ensemble de connaissances qui se rfrent cel les des constructeurs et tous ceux qui ont difi matriel lement et moralement les monuments qu i ont fait la g loire et le progrs de l 'human it.

    On pense, bien sr, aux anctres d i rects que sont les constructeurs de cathdrales, mais c'est le temple salomonien qui sert de rfrent. Il est le modle d'une construction destination spi rituel le, pour laquel le les matriaux les p lus beaux et les plus nobles furent uti l i ss avec les moyens les mei l leurs que l 'on pouva it envisager l 'poque.

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  • - 1 6 -Un art de construire . . .

    Jean Beauchard, Extrait de " La Voie de l'initiation ", ditions Vga.

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  • Hi ram Abi, architecte rel ou myth ique et matre d'uvre de ce monument, dpasse en qual it tout ce qui tait possible d'esprer en ce l ieu et ce temps. La magnificence du rsu ltat fut reconnue de toutes les contres et pays d'Asie mineure qu i voyaient fleurir alors les civi l i sations les plus avances de la terre.

    La B ib le nous dit que toutes les pierres taient tai l les et pol ies l o taient les carrires, assez loignes du l ieu de la construction, avant d'tre amenes sur le chantier proprement dit du temple. Cela suppose un savoir-fa i re d'une extrme prcision et un art parfait du trac. Ce qu i permet aussi de d i re, au premier l ivre des Rois Vl-7, que sur les l ieux du temple : on n'entendit ni marteau ni cogne ni aucun bruit d'instrument pendant qu'il se btit . Cette rflexion confre un aspect i rrel et immatriel tant au monument qu' l 'activit qui accompagne son lvation. Un btiment d'exception donc, qu i doit tre peru essentiel lement dans sa d imension et sa destine spirituel les.

    Il ressort en tout cas du texte b ibl ique qu' i l y avait deux chantiers : l 'un l 'extrieur o l'on prparait les pierres, les bois et tous matriaux dans l 'agitation ncessaire l 'action, et l 'autre sur le l ieu mme de l 'difice du Seigneur, sacra l i s l 'avance par la m ise en p lace judicieuse et rituel le pour laque l le chaque geste devait tre contrl pour l 'assemblage de ces matriaux savamment prpars.

    On comprend que quelques m i l lnai res aprs, les Francs-maons s'assemblent dans un recuei l lement s i lencieux pour tracer leur tableau de loge qui est le l ieu de

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  • leur chantier intrieur. Ce tableau contient, pour chaque individu, la qu intessence des poss ib les. Il sera le centre et le dnominateur de toutes les penses qui s'en rich i ront les unes les autres dans un grgore commun.

    Aprs invocation des vertus de Force, de Sagesse et de Beaut, qui sont les trois p i l iers sur lesquels repose l'uvre constru ite en loge, le travai l i n it iatique pourra fructifier.

    On comprend aussi pourquoi le travai l opr par le Franc-maon sur lu i-mme s'identifie l'dification d'un temple constituant un ensemble ordonn l'i nstar du cosmos. L'homme au travail s'efforce de btir un difice, de faire une uvre qui rponde aux lois d'quilibre et d'harmonie. Nous retrouvons donc dans /a philosophie maonnique ces ides d'ordre et d'harmonie . . .

  • Pierre brute Pierre cubique

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    devrait tendre se faonner lui-mme l'gal d'une uvre d'art non par narcissisme mais pour rpondre surtout sa vocation d'tre humain ; faire de lui-mme une harmonie et une sculpture, une image et un temple . . . 37

    La symbol ique maonn ique de la construction de soi est voque ds le dbut du travai l de l 'apprenti Francmaon invit commencer la tai l le de sa pierre brute. Au sens large du terme, la Pierre est fondatrice et le passage de la p ierre brute de carrire la pierre savamment ta i l le marque le progrs et l 'volution de l 'esprit. La chose i nformel le se transforme en symbole de connaissance. En Franc-maonnerie la pierre brute, est appele deven i r cubique pu i s ph i losoph ique (vo i re ph i losophale) lorsqu'el le sera su rmonte d'une pyramide.

    Cependant nul ne peut esprer ral iser un tel programme par soi-mme, seu l, confront au monde ext-

    3 1 . jean BlES, Art, Gnose et Alchimie, page 1 76, Le Courrier du Livre, 1 987.

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  • rieur et face au monde i ntrieur et au vertige de son centre. Ce centre que Socrate, dans le Phdon, appelait damon . C'est pourquoi le Rite cossai s est difi sur une structure qui offre l ' individu une constante possib i l it de rflexion qui l 'amnera se connatre lu i-mme, et comprendre l'Univers et ses Dieux .

    Du langage sym bo l ique et i mag Donner du sens la Pierre.

    La fonction maonnique, et sa pratique, reposent en grande partie sur le symbol isme, jusqu' en deven i r parfois, l 'extrme, la seu le ra ison d'tre. I l est vrai que le symbole permet une approche personnel le de l 'un iversel .

    Un symbole est habituel lement exprim par un objet qui est reprsent par son image.

    Dans un premier abord, l ' image est l ie la pense consciente : un chat est un chat, l ' image est un double de l 'objet reprsent, et sa premire lecture fait appel la logique et la raison ; mais on peut s'en sais i r aussi pour lu i prter, par analogie, un sens, une sign ification particul ire. L'objet symbol is devient au besoin le vhicule d'un message. I l peut tre transform pour acqurir une identit propre qui renforcera encore la puissance du contenu.

    En consquence, la comprhension du symbole n'est pas l im ite au domaine de la conscience immdiate, i l an ime et cherche fa i re parler toutes les couches de notre tre. I l tabl it des voies entre les d iffrentes parties de

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  • l 'tre tota l, des ponts entre nos i nsti ncts prim itifs et le chemin qui condu it la v ie de l 'esprit.

    Le procd symbol ique est indirect, le symbole ne s ign ifie pas, i l i nterroge. I l ne donne pas de solution, i l est lment rela is de communication. Communication entre le monde des ides et l 'apprhension que l 'on peut avoir au p lan de la manifestation. I l suggre et stimule la rflexion. I l fait appel la mditation et suppose une ass im i lation.

    Le symbole est l i une pense un iverse l le mais son interprtation, est personnel le car l ie la comprhension de l ' individu travers ses propres rfrences. Sa signification n'est pas un ivoque (ferme dans un d iscours clos). I l n e dsigne pas l 'objet mais prtend rvler l e sujet. I l ne rel ie pas l'objet reprsent au sujet, mais les sujets - de rflexion - entre eux.

    Le symbole s itue l ' image dans une approche diffrente de notre espace-temps. Le monde intrieur, dans sa relation l ' ide , n 'obit pas aux mmes divisions catgoriel les que le monde qui nous entoure. I l impl ique une tota l it i ndivis ible dans laquel le la relation sujet/objet est rvers ible : l 'objet agit sur le sujet, le sujet ragit l 'objet.

    Cela peut se rapporter la relation uvre et artiste, ou l 'artiste et son uvre ; mais aussi au rapport entre l 'uvre et le publ ic spectateur. L'uvre et l 'artiste agissent sur le publ ic qui est suppos ragir. La c i rcu lation des changes est complte et quasi infi n ie comme l'ourobouros qui se nourrit de sa final it.

    Tout art qui prtend simplement reprsenter ne fait que rdu i re le sujet l 'objet de sa propre banal it. Pire

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  • - - 1 8 - -Dessin de Jean Beauchard

    mme, l ' image qu i ne recherche que la ral i t est duperie car e l le ne donne qu'une i l l usion de la chose prsente, el le en masque la ra l it profonde. Platon considrait l ' image en el le-mme comme trompeuse. Il n'y voyait qu'un s imulacre, sujet indu ire le fantasme. Prendre ou se saisir de l ' image c'est l cher la proie pour l'ombre ,

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  • se laisser bercer par les i l l usions. On mlange le rel et l ' imaginaire comme dans le mythe de Narcisse amoureux de l ' image reflte.

    La dmarche symbol ique et cel le de l ' image sont inverses mais, quelque part, el les se croisent. L'homme entrevoit le symbole, mais il a besoin de l ' image.

    La particularit in itiatique de la Franc-maonnerie tient son ancrage et ses emprunts aux mtiers de la construction. De ceux-ci e l le t i re ses outi ls symbol iques ; des symboles dont Ren Gunon disait qu' i l s sont un pont entre le corps et l 'esprit.

    L'Art issu de la Franc-maonner ie . . . Un art de signification.

    Les outi ls symbol iques frquemment reprsents en dcors d'objets maonn iques ne sont pas l seulement pour fai re jo l i . A la fois aide-mmoire et repres de grade, i l s assu rent pri ncipalement une prsence, pour l'esprit, du contexte particul ier dans lequel i ls s' i nscrivent.

    En avant-propos d'une exposition de documents et d'objets de la tradition maonnique, en 2004, Ala in Pozarn ik, Grand Matre de la Grande Loge de France, fa isait une disti nction entre deux formes d'art : l'art sacr qui exprime fe transcendant dans l'immanent, l'ternel dans le temps . .. et l'art profane qui embellit les objets usuels . Alain Pozarn ik posait ensuite la question de l 'art in itiatique en tant que chemin concret qu' i l s itue entre les deux autres arts : Il accomplit l'volution et l'achve-

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  • ment de l'difice humain , d it- i l , car : L'art initiatique part d'un objet usuel, le dcor d'un symbole traditionnel explicite, et le transforme en objet rituel qui lve l'utilisateur jusqu ' sa qualit sacre.

    Les dcors maon n i ques, tab l iers symbo l i sant l e travai l , cordons ou sauto i rs propres au r ite et au grade, les objets du r itue l , les outi l s symbol iques sont autant d' lments q u i , dans leur s i mpl ic i t ou dans l a r ichesse et la recherche de leur ornement ont t, depu i s le XVI I Ie s ic le, les supports d'express ions par l e moyen de l 'ana logie

    - 1 9 -Tablier de Matre, en soie, peint ct brod vers 1 820 .

    . Muse de la Grande Loge de France.

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  • de l 'th ique et de l 'esprit vh icul par les rituels. Bon nombre de ces objets peuvent tre quai ifis d'artistiques et se situent alors dans cet entre deux voqu par Alain Pozarn ik. Appartenant au style de beaux objets usuels i ls ont vocation participer la cration de cet espace sacr mis en place par la pratique du rituel dont le but est de situer le Franc-maon en dehors du temps profane. L'art initiatique, c'est l'art de rendre vivant le chemin qui va du profane au sacr, c'est un art de mouvement, d'action, de vie . . .

    Pozarnik prcise encore dans ce mme expos que : dans l'art maonnique, la qualit esthtique de l'objet n'est pas le souci majeur, l'importance est transfre sur l'exactitude du symbolisme qui anime la beaut intrieure, veille la conscience de la dimension secrte de l'humaine nature.

    Voi l qui rejoint et conforte de faon prcise mon propos in itial, savoi r que l 'art est d'abord et essentiel lement l 'express ion d'une connaissance. En l 'occurrence, cette connaissance tient aux traditions et la Tradition, transmises par la Franc-maonnerie et contenues dans l 'esprit de ses rituels.

  • E N FA IT, LA f RANC-MAO N N E R I E C' EST QUOI ?

    N u l ne peut prtendre fai re le tour de cette question en quelques l ignes. Son h i stoire est l ie toute une volution humaniste, ses Constitutions dfin issent un cadre, son th ique est i ndividue l le et sociale. En fait chacun la vit en fonction de lu i -mme et de sa propre nature. je ne puis en d i re que le reflet de mon vcu .

    Pourquoi et comment devient-on Franc-maon ?

    La rencontre d'un besoin et de circonstances.

    C'est videmment une question de rencontre, mais c'est d'abord une question d'tat d'esprit qui rend la rencontre poss ib le et la favorise.

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  • A l ' issue de mes tudes les c i rconstances quelque peu fortu ites et i mprvues - presque un pari - ont fait que je rentrai dans l 'enseignement. Les horai res et les contra intes de ce travai l en mme temps que les charges de ma nouvel le fami l le, les lapins lever, des casseroles remp l i r, laissaient peu de temps pour s'adonner la pratique pictura le. Le temps que j'y passais, i rrgul ier, ne permettait pas l 'laboration en continu de ce que l 'on aurait pu appeler une uvre . je ne produ isais alors, su ivant l 'occasion, que quelques paysages dont la facture osc i l lait, su ivant l 'humeur, entre expressionn isme czann ien et abstraction cubisante. Aprs p l usieurs annes mrit enfin en moi l ' ide de m' imposer un thme et un plan de travai l qui me gu ideraient dans une production suivie et rgul ire. Le thme fut le Tarot . U ne d ition chez Tchou du Tarot de Wirth me fit dcouvrir cette srie d' i mages au contenu d'un sotrisme suffi samment ouvert pour que j 'y p longe.

    je n'y sombrai pas cependant. Mon temprament pragmatique et cette habitude de constru i re ma rflexion ont maintenu mon esprit suffisamment flot pour surfer au-dessus des vagues de dl i res et d' i nconsc iences, dans lesquel les d'autres se compla isent d'a i l leurs . . .

    C'est paral llement cette priode qu'un ami de longue date, membre du Grand Orient me parraina la Grande Loge de France dont l 'esprit lui semblait devoir m ieux me conven i r. Trente-cinq ans aprs, n i l u i n i m o i n'avons regrett cette diversit d'orientation.

    La dcouverte du langage symbol ique et des outi ls des constructeurs renvoyant soi-mme, analogiquement, leur contenu smantique ont guid mes rflexions sur les vingt-deux lames du Tarot. j 'ava is mis en chantier

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  • une prem 1ere sene d'assez grandes pei ntu res sur panneaux recouverts, par p laces, de surfaces de mta l argent ou dor. Le jeu des matires d i ffrentes, leur tra i tement en -p l ats bri l l ants comme des m i roi rs, ou en re l iefs var is, assoc is ou opposs aux cou leurs et mat ires p ictu ra les, ont renouve l chez moi la man ire et l e fa i re pou r l e s mettre en accord avec le d i re . j e n 'osera i s pas dc larer mai ntenant que l es moyen s s'apparenta ient une a lch i m ie . Cependant l 'uvre p i ctura le devenait message, ce q u i ta i t nouveau pou r moi .

    U n monde d'express ions nouve l l es s'ouvra it, u n peu comme lorsque aprs avo i r travers les preuves i n iti at iq ues le bandeau qui couvre l es yeux d u rc i pienda i re est en lev et qu' i l dcouvre la L u m ire q u i le gu idera sur l e chem i n de l a Conna issance.

    - 20 -Trois cartes du jeu " Tarot Maonnique " par Jean Beauchard

    Edit par France-Cartes.

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  • En mme temps que ces peintures, je ral isai pour chaque lame du Tarot une srigraphie (techn ique encore archaque l 'poque et extrmement artisanale que j 'util isais de manire non orthodoxe en fabriquant mes propres outi ls). Durant quelque quatre annes j 'effectuai ai nsi, en une soixantaine d'exemplaires, une srie de recuei ls comprenant mes vingt-deux images srigraph ies sur des feu i l les mta l l iques et accompagnes d'un texte compos lettre lettre avant d'tre sgrigraphi l u i aussi . . . U n vrai travai l de bndictin a dclar un ami . Sauf q u e les bndictins produ isaient p l u s vite que moi, ayant plus de temps d ispon ible.

    Un vrai travai l d' in i tiation en tout cas, dans tous les sens du mot et de mon point de vue. Et le dbut d'autres '

    32 a ven 1 r . . .

    I l y a d e mult iples faons et d ivers cheminements qu i peuvent amener un profane jusqu' la loge. De mme les ra isons qu i sont l 'origine de ce projet sont varies, a insi que les raisons d'y rester . . . Les voies sont personnel les et chacun peut tout moment et dl ibrment en interrompre le cours.

    I l s'agit souvent d'une interrogation sur la position de l ' individu face au monde ou d'une qute de spi ritual it qu i conduisent un candidat jusqu' la porte de la Francmaonnerie.

    32. Plusieurs annes aprs, la socit France-Cartes, hritire du fond Grimaud >> m'a demand de concevoir un jeu de Tarot complet de 78 cartes : Tarot Maonnique, dit en 1 983 .

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  • Mais les rai sons in itia les et secondaires tiennent essentiel lement au ds i r de donner un sens la vie et cela rejoint prcisment le dest in de l 'Ordre maonnique

    Poser sa candidature pour deven i r Franc-maon est s imple, soit un ami dj membre d'une loge va vous y condu i re, soit on fa it l ibrement une demande l 'une des obdiences dont i l est faci le de trouver les coordonnes dans quelque annuaire ou sur internet.33

    Comme je l 'ai dj d i t, c'est un ami du Grand Orient qui m'a d i rig vers la Grande Loge de France car cette obdience correspondait mieux, pensait- i l , ma sensib il i t. I l pensait juste. Ce qui s ignifie et dmontre qu' i l n'y a pas d'oppositions, n i mme de barrires, entre ces obdiences. L'une est en gnral connue comme p l us d i rectement ouverte sur la socit, l 'autre demande ses membres de trava i l ler sur eux-mmes (connais-toi, toimme) avant de, et afin de, porter au-dehors le fru it et le bnfice de la recherche i ntrieure.

    33. La Grande Loge de France a son sige rue Puteaux Paris ; le Grand Orient de France rue Cadet ; le Droit humain qui est une obdience mixte sige rue ju les Breton ; la Grande Loge Fminine de France se situe impasse du Couvent dans le 1 1 me.

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  • La Franc-maonner ie et l 'ge des Lumires

    Entre Lumires de la raison et illuminisme . . .

    La Lumire, comme la Vrit, sont des sujets rcurrents aprs lesquels on court toujours en loge. I l s'agit de la Connaissance dit-on . Mais la connaissance de quoi ? De quelque chose qui nous dpasse, qui est de l 'ordre de l ' inconnaissable, voire de l ' i rraisonnable.

    Or, paradoxalement, la Franc-maonnerie s'est cre dans sa forme actuel le au dbut de ce que l 'on a appel le sicle des Lumires ; mais les Lumires dont il tait alors question taient cel les de la raison . Il s'agissait de la connaissance par l 'encyclopdie, la connaissance fonde sur le dveloppement de la pense par l 'tude ra isonne, et nous sommes l l 'oppos de l ' i l l um in isme intrieur.

    En fait, la Franc-maonnerie, comme nous le verrons, part icipe des deux. Par opposition parfois, par complmentarit souvent.

    De toute faon, la phi losophie des Lumires ne peut se rdu i re en un systme et c'est un trait qu'el le a en commun avec la Franc-maonnerie. L' ide mme des Lumires est un modle complexe dans lequel les spculations et les fa its ragissent les uns sur les autres et s'tendent tout au long du XVI W sicle, faisant voluer ce concept.

    A cette poque, en mme temps que la foda l it s'efface, on constate la monte de la bourgeois ie et l 'emprise des i ntel lectuels sur la socit. L'homme acquiert une pos ition sociale grce ses i n itiatives personnel les qui le

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  • l i bre de la soumission l 'ordre tab l i . Ce changement est moral avant d'tre physique ou matrie l . Il correspond l 'acquisition de connaissances. Cette l ibert par rapport certa ins dogmes avait dj t acqu ise dans certaines loges de maons opratifs. L'esprit des Lumires se seraiti l manifest sans l 'existence de ce courant de pense qui se dveloppait au sein des loges et des chantiers ?

    En ce XVI W sicle se rpand l ' ide qu' i l n'est pas de l i bert sans l ibert intrieure, l ' i ndividu dcide par lu imme de son propre dest in . Mais s' i l se l ibre partiel lement de contraintes et de servitudes, i l prend en mme temps conscience de sa dpendance v is--v is de ses propres senti ments ; ce sera l une des sources