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    MORTS POUR RAISONS DIVERSESpar James Bacque

    Enqute sur le traitement des prisonniers de guerre allemandsdans les camps amricains et franais la fin de la Seconde Guerre

    mondiale.

    ditions de lAAARGH

    2004

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    Traduit de langlais par CATHERINE LUDET

    SandCet ouvrage est la traduction du livre de langue anglaise, paru sous letitre:OTHER LOSSESet publi par Stoddart Publishing Co.Limited, Toronto, Canada.I.S.B.N. 2-7107-0462-5 James Bacque, 1989. ditions Sand, 1990, pour l'dition franaise.

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    A labb Franz Stocket Victor Gollancz

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    Le pire des pchs envers nos semblables, voyez-vous, ce nest pasde les har, mais cest dtre indiffrent leur gard. En vrit, je vousle dis, cest l lessence de linhumanit.

    George Bernard Shaw, Le Disciple du Diable

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    AvertissementOn ne peut lire le livre de James Bacque sans un certain malaise.

    Sa diffusion au Canada, aux tats-Unis et, naturellement, en Allemagnea suscit de nombreuses ractions, violentes, pidermiques, contradic-toires. Fallait-il prendre le risque de le prsenter au public franais?

    Plus de quarante ans aprs la fin de la Seconde Guerre mondiale,les passions et les haines restent vives. Des peurs, des silences, des ou-blis nous empchent encore d'aborder cette partie de notre histoireavec srnit. Des sectes de fanatiques continuent d'alimenter les pol-miques et les rancunes, la tlvision et dans les journaux. Dans unpays o les historiens rvisionnistes trpignent et o un leader poli-tique d'extrme-droite multiplie les provocations l'gard des victimesdu nazisme, tait-il opportun de publier le livre de James Bacque ? Ne

    risquait-on pas d'accrotre la confusion et d'amplifier le malentendu?N'allait-on pas nous accuser, dans le climat actuel, d'offenser la m-moire des victimes, d'tre au service de ceux qui aujourd'hui tententd'absoudre la barbarie nazie et de nier la shoah?

    Pour l'auteur, qui est canadien, il s'agit non pas d'excuser lesbourreaux ni mme de faire le procs des vainqueurs mais de tenterd'tablir les faits en sachant que la vrit n'est pas donne mais conqurir. Ce livre est un document brutal: mais, si James Bacque d-range, son travail s'appuie sur des preuves qu'aucun historien srieux

    n'a pu jusqu'ici contester.[12]C'est pourquoi nous avons dcid, malgr nos prventions et nos

    craintes, de publier cet ouvrage, convaincus que l'histoire ne tolre fi-nalement que les faits et que la lutte ternelle entre les bons et les m-chants ne doit pas se confondre avec la qute difficile de la vrit.

    Les diteurs

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    CHRONOLOGIE DES PRINCIPAUXVNEMENTS CITS DANS CET OUVRAGE19391er septembre: L'Allemagne attaque la Pologne.3 septembre: La Grande-Bretagne et la France dclarent la guerre l'Allemagne.10 septembre: Le Canada dclare la guerre l'Allemagne.17 septembre: La Russie envahit la Pologne.

    Hiver 1939-940

    Massacre d'officiers polonais par les Russes Katyn.

    194021 juin: Dfaite, reddition et partage de la France en deux zones. Envi-ron 1500 000 soldats franais sont dtenus en Allemagne sous le statutde prisonniers de guerre.

    1941Juin: L'Allemagne attaque l'U.R.S.S.Dcembre: Le Japon attaque les tats-Unis. Hitler dclare la guerre aux

    tats-Unis.

    1942Aot: Tentative de dbarquement des Canadiens Dieppe. Les Cana-diens et les Allemands s'accusent rciproquement d'enchaner leursprisonniers.Novembre: Les Allis dbarquent en Afrique du Nord.[14]

    1943Janvier: Churchill et Roosevelt se rencontrent Casablanca et rcla-ment la capitulation sans condition de l'Allemagne.Mai: Les forces de l'Axe se rendent Tunis. La plus importante capturede prisonniers effectue jusqu' cette date a lieu. Eisenhower se plaintauprs de Marshall: Quel dommage de ne pas avoir pu en tuer davan-tage.Novembre-dcembre: Confrence de Thran. Staline et Roosevelt por-tent un toast l'excution escompte de 50.000 officiers allemandsaprs les hostilits; Elliott Roosevelt boit la mort de centaines de mil-

    liers d'autres, et affirme qu'il est sr du soutien de l'arme amricaine.Churchill, indign, quitte la salle de runion.

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    1944Fvrier: Eisenhower nomme ses cts le gnral Everett S. Hughes, quidevient ainsi son plus proche collaborateur.6 juin, jour J.: Dbarquement des Amricains, des Britanniques et des

    Canadiens en Normandie.Septembre: Confrence de Qubec. Le Plan Morgenthau destin anantir l'industrie allemande est entrin par Roosevelt et Churchill.Les Allis atteignent la valle du Rhin. La presse amricaine se dchanecontre le Plan Morgenthau.Octobre: A Moscou, Staline et Churchill donnent leur accord au PlanMorgenthau.

    1945Fvrier: Confrence de Yalta. Roosevelt, Churchill et Staline dbattent

    du dmembrement de l'Allemagne et de la question des rparations.10 mars: Eisenhower signe un message crant le statut des Forces En-nemies Dsarmes (F.E.D.), qui soustrait les prisonniers la protectionde la convention de Genve. Par ailleurs, il donne une confrence Pa-ris au cours de laquelle il affirme que les tats-Unis obissent laconvention.Avril: Les chefs d'tat-major runis approuvent la cration du statut deF.E.D.. Seuls les reprsentants britanniques refusent de l'appliquer leurs prisonniers. L'intendant gnral amricain Littlejohn rduit les

    rations des prisonniers.8 mai: Capitulation de l'Allemagne. Les tats-Unis, en violation [15] dela convention de Genve, tent la Suisse le rle de puissance protec-trice des intrts des prisonniers allemands. Eisenhower dit Churchillqu'il a rduit les rations des prisonniers et qu'il songe les rduire da-vantage. Patton libre rapidement ses captifs. Eisenhower ordonne sesgnraux de cesser les librations. Nouvelle rduction de l'alimentationde prisonniers.Juin: Le 2 juin, le gnral Lee, responsable de la logistique pour le TEO.,

    affirme que le nombre de prisonniers transmis par le grand quartiergnral alli est incorrect. L'intendant gnral, Robert Littlejohn, se d-clare dans l'incapacit de nourrir les 4000000 de prisonniers enmains. Plusieurs centaines de milliers de dtenus sont clandestine-ment transfrs sous le statut de Forces Ennemies Dsarmes. Il est in-terdit aux civils de contribuer au ravitaillement des captifs. La disettecommence rgner en Allemagne. Le Comit international de la Croix-Rouge (C.I.C.R.) envoie deux trains remplis de nourriture, qui lui sontrenvoys par l'arme amricaine. Le Premier ministre du Canada, Wil-liam King, proteste contre le fait que les prisonniers ne soient plus pro-

    tgs par la convention de Genve, puisqu'il n'existe plus aucune puis-

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    sance protectrice des intrts allemands. Le Foreign Office britanniquelui impose le silence.Juillet: Plusieurs centaines de milliers de prisonniers, l'tat de mori-bonds, sont transfrs sous l'autorit de l'arme franaise. Le capitaine

    Julien, du 3e

    rgiment de Tirailleurs Algriens, dclare dans un rapportque les dtenus ont l'aspect des victimes de Buchenwald et de Dachau.Aot: Un ordre sign du gnral Eisenhower confre tous les prison-niers de guerre encore en mains le statut de F.E.D. Le taux de morta-lit s'lve considrablement dans les camps. Le gnral Littlejohn crit Eisenhower que plus d'un million et demi de prisonniers qui de-vraient recevoir des rations de l'arme amricaine ne reoivent rien. Deson ct, le C.I.C.R. est forc de rendre les colis de nourriture aux dona-teurs, car on ne lui permet pas de les faire parvenir aux Allemands.Septembre: Jean-Pierre Pradervand, dlgu du C.I.C.R. en France, critau gnral de Gaulle qu'un tiers environ des prisonniers rcemmenttransfrs sous l'autorit franaise risquent de prir si des secours ra-pides ne leur sont pas fournis. La presse franaise publie des articlessur ce sujet.[16]Eisenhower et son chef d'tat-major, le gnral Smith, nient toute res-ponsabilit amricaine dans la situation tragique des prisonniers.Octobre: Le 10 octobre, l'intendant gnral de l'arme amricaine, Ro-bert Littlejohn, soumet au gnral Eisenhower un rapport dans lequel il

    fait tat d'un excdent de nourriture dans les rserves de l'arme. Ilsuggre que ce surplus soit envoy aux tats-Unis.

    1945-1946. A la fin de 1946, il reste trs peu de prisonniers enmains amricaines. Les Franais, qui en dtiennent encore plusieurscentaines de milliers, ne libreront les derniers qu'en 1949.

    De 1947 aux annes 1950 : La plupart des dossiers relatifs auxcamps de dtention amricains sont dtruits. Les Allemands constatentque 1.700.000 soldats, toujours en vie la fin des hostilits, ne sont

    jamais rentrs chez eux. Toutes les puissances allies affirment ne riensavoir du sort de ces hommes. Les tats-Unis, la Grande-Bretagne et laFrance accusent la Russie d'avoir commis des atrocits dans leurscamps d'internement.

    Des annes 1960 1972 : Le ministre des Affaires trangresouest-allemand du gouvernement de Willy Brandt subventionne unecollection de livres qui dment les atrocits des camps allis. Des sna-teurs amricains rejettent la responsabilit sur les Russes, et gardent le

    silence sur leurs propres camps.

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    Annes 1980 : Le C.I.C.R. refuse de divulguer certains documents rela-tifs aux camps allis, et affirme ne rien savoir de Jean-Pierre Prader-vand, dlgu principal du Comit en France en 1945. En revanche,cette organisation autorise des chercheurs consulter les archives

    concernant les camps d'extermination nazis. Le ministre de la Dfensede Grande-Bretagne refuse de divulguer un rapport important tablipar le colonel Phillimore, bien que cette demande ait t effectue parun officier ministriel anglais.

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    PRFACEA la fin du mois d'avril 1945, sur la plus grande partie du front de

    l'ouest, le pas tranant de millions de bottes avait succd au gronde-ment de l'artillerie. Des colonnes de soldats allemands dsarmss'avanaient pesamment vers les enceintes de barbels des camps dedtention allis. On entendait quelques coups de feu tirs par des dta-

    chements ennemis parpills qui s'vanouissaient dans la nature, avantd'tre finalement capturs par les vainqueurs.

    Les redditions en masse qui se produisaient l'ouest offraient uncontraste frappant avec les dernires semaines de combat sur le frontde lEst o, pour viter au plus grand nombre possible de leurs camara-des d'tre capturs, les units survivantes de la Wehrmacht rsistaienttoujours l'avance de l'Arme rouge.

    Telle tait l'ultime stratgie du haut commandement allemand, la tte duquel Hitler avait nomm le grand amiral Doenitz, aprs que le

    marchal Goering se fut rendu l'ennemi. Elle avait pour but de livrerdes millions de soldats au joug le plus clment : celui des Allis occiden-taux, dirigs par le commandant suprme Dwight Eisenhower.

    Dans les zones d'occupation amricaine et franaise, plus de cinqmillions de soldats allemands furent entasss dans des enclos de bar-bels, nombre d'entre eux littralement serrs paule contre paule. Lesol des camps devint rapidement un immonde bourbier de djections,vritable foyer d'pidmies.[18]

    Sous-aliments, sans le moindre abri, privs des installations sani-taires les plus rudimentaires, les prisonniers commencrent bientt mourir d'inanition et de maladie. Du mois d'avril 1945 jusqu'au curde 1946, prs d'un million d'individus furent anantis, la plupart d'en-tre eux dans les camps amricains, les autres dans les camps franais.Depuis les atrocits commises au cours de la guerre de Scession, dansla prison d'Andersonville, administre par les confdrs, aucune cru-aut de cet ordre n'avait t perptre sous contrle militaire amri-cain. Pendant plus de quarante ans, cet pisode tragique de la SecondeGuerre mondiale resta enfoui dans les archives des Allis.

    Comment ce dsastre fut-il rvl? Les premiers indices s'y rap-portant furent dcouverts en 1986 par l'auteur du prsent ouvrage,

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    James Bacque, et par son assistante. Effectuant des recherches au sujetd'un livre sur Raoul Laporterie, hros de la Rsistance franaise ayantsauv plus de 1.500 rfugis des camps de dtention nazis, ils eurentl'occasion d'interroger un ancien soldat de la Wehrmacht, Hans Goertz.

    Celui-ci, intern la fin des hostilits dans un camp d'internementfranais, avait pu en sortir, avec l'un de ses compagnons, grce Lapor-terie qui les avait employs tous deux comme tailleurs dans son maga-sin de vtements. L'ancien prisonnier affirma que le fait de sortir ducamp lui avait sauv la vie, car 25 % des dtenus y taient morts en unmois. De quoi taient-ils morts? De faim, de dysenterie, de maladie.

    Consultant avec attention les dossiers relatifs au camp cit parGoertz, James Bacque dcouvrit que cette installation faisait partie d'ungroupe de trois enceintes, lui-mme inclus dans un ensemble de 1600o - si l'on en croit les rapports du Comit International de la Croix-Rouge (C.I.C.R.) qui se trouvent dans les archives de l'arme franaise, Vincennes - rgnaient des conditions de dtention similaires. Trs vite,les deux enquteurs furent galement confronts aux premiers indicesimportants de morts en masse dans les camps amricains. Un lmentcapital leur fut fourni par les registres de l'arme, o figurait une co-lonne l'intitul anodin en apparence: Autres Pertes1. La significationvritable de ces mots fut bientt rvle James Bacque par le colonelPhilip S. Lauben, [19] ancien chef de la branche Affaires Allemandesdu S.H.A.E.F.2.

    Au printemps 1987, James Bacque et moi-mme nous rencontr-mes Washington. Au cours des mois suivants, nous travaillmes en-semble aux Archives nationales et la Fondation George C. Marshall, Lexington (Virginie), rassemblant tous les indices au fur et mesure deleur dcouverte. Les plans tablis, en 1944, aux plus hauts niveaux desgouvernements amricain et britannique rvlaient une dtermination dtruire, une bonne fois pour toutes, l'Allemagne en tant que puis-sance, en la rduisant un pays d'conomie strictement paysanne,mme si de telles mesures devaient provoquer une pnurie alimentaire

    pour des millions de civils. Jusqu' prsent, les historiens ont affirmque les dirigeants allis eurent tt fait d'annuler leur projet destructeuren raison de la rsistance de l'opinion publique.

    En effet, la fin des hostilits, en 1945, la grande majorit desAmricains taient bien loin de dsirer l'limination d'un si grand nom-bre d'Allemands non arms. Le terme d'limination n'est pas trop fort,si l'on considre que le nombre de ces morts dpassa de loin toutes

    1. Autres Pertes: Other Losses, titre de l'ouvrage dans sa version originale. [N. du T.]2 S.H.A.E.F.: Supreme Headquarters, Allied Expeditionary Force (Grand quartier gnral des forces expdi-tionnaires allies). [N. du T.]

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    celles subies par l'arme allemande sur le front de l'Ouest, entre juin1941 et avril 1945. Le rcit qui suit lve le voile sur cette tragdie.

    Dr Ernest F. FISHER Jr.,Colonel en retraite de larme des tats-Unis

    Ancien historien-chef de l'armedes tats-UnisArlington (Virginie), 1988.

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    IntroductionEn dpit des indices qui saccumulaient au fur et mesure de nos

    recherches, nous avons longtemps refus de croire, mon assistante etmoi-mme, la ralit de ce que nous tions en train de dcouvrir.

    Assis dans une pice mansarde de la mairie de Buglose, petit vil-lage des Landes, nous avions recherch dans des classeurs poussireuxles listes de dcs relatives aux camps de prisonniers allemands situsdans la rgion, la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elles n'y figu-raient pas. Nous avions alors pens qu'elles n'avaient jamais t ta-blies, en raison, sans doute, d'une carence de personnel due aux boule-versements de l'poque.

    Nous avions interrog un prtre franais, ancien aumnier d'uncamp qui s'tait contredit deux fois au sujet du nombre de prisonniersqu'il avait mis en terre, mais nous nous disions que l'incohrence de sespropos, ainsi que son vidente rticence poursuivre l'entretien,taient mettre au compte du dsagrment que lui procurait l'voca-tion de cette priode difficile. Enfin, nous avions dcouvert une lettrede protestation rdige en 1945 par un dlgu de la Croix-Rouge, quise plaignait de ne pouvoir obtenir d'essence pour livrer des vivres auxprisonniers affams. Nous tions convaincus d'tre en possession d'unlment important mais, dans la marge, [22] figurait la mention manus-crite: Cest fait.Le carburant demand semblait donc avoir t four-ni.

    Cependant, une autre lettre du mme auteur, toujours dans l'ex-pectative, nous rvla peu aprs que ce dernier n'avait jamais obtenude rponse sa requte. Puis, nous entretenant avec d'anciens gardiensdu camp o l'aumnier avait offici, nous entendmes citer un nombrede morts plus important encore que celui qui nous avait t indiqu.Face toutes ces contradictions, qui taient autant d'indices, nous noustrouvions dans une situation trange, partags entre l'incrdulit et undbut de conviction de la ralit des preuves amonceles. A prsent, ilnous fallait chaque jour choisir entre une vrit terrifiante et les my-

    thes sduisants que l'on nous avait enseigns en guise d'Histoire.

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    Lorsque la premire tape de nos recherches - celles qui se rap-portaient la France - fut termine, nous tions en possession d'l-ments qui prouvaient sans le moindre doute la ralit d'un dsastredans les camps de prisonniers en mains3 franaises; mais nous dte-

    nions aussi de nombreux indices d'une situation similaire dans lescamps amricains. Nous dcidmes qu'il nous fallait tudier les archivesde Washington, bien qu'il nous part peu probable que l'arme destats-Unis et conserv la trace des atrocits dont elle semblait treresponsable.

    Les Archives nationales des tats-Unis contenaient toutefois desRapports hebdomadaires sur les prisonniers de guerre et les forcesennemies dsarmes4. Dans chacun de ces documents, une colonneintitule Autres Pertes5, fournissait des nombres qui correspondaient enproportion ceux que nous avions trouvs dans les registres franais,sous l'expression Perdus pour Raisons diverses.

    Tous ces lments avaient emport notre conviction. A ce stade, ilnous tait malheureusement impossible d'esprer la faire partager. Se-lon nous,les chiffres de la colonne Autres Pertesdsignaient des morts,sans le dire clairement. L se trouvait camoufle, sous forme numri-que, la confirmation des [23] lments que nous avions rassembls parailleurs. Qui pouvait nous aider lever le voile?

    Ces recherches me conduisirent chez le colonel Philip Lauben,dont nous avions relev le nom sur une liste de personnes accrdites

    pour consulter les documents classifis du S.H.A.E.F. Ancien chef de labranche Affaires Allemandes du grand quartier gnral alli, cet of-ficier avait t charg du transfert et du rapatriement des prisonnierspendant une priode critique de plusieurs mois. J'tais convaincu queson tmoignage serait dterminant.

    Devant lui, essayant de garder mon calme, je droulai mon rou-leau de photocopies. Ce qui allait se dire au cours des minutes suivan-tes allait soit anantir le travail d'une anne entire, soit fournir lapreuve que nous avions fait une dcouverte majeure. Lauben et moi

    commentmes les titres des documents un par un. Nous arrivmes lacolonne Autres Pertes.A la question: Que recouvre cette expression Autres Pertes?

    Lauben me dit:Elle regroupe les vasions et les morts.- Combien dvasions?demandai-je.- Trs, trs peu, rpondit-il.

    3 en mains: expression du jargon militaire dsignant l'autorit dont dpendent les prisonniers. [N. du

    T.]4Weekly Prisoner of War and Disarmed Enemy Forces Reports. [N. du T.]5Other Losses. [N. du T.]

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    Je devais, en effet, dcouvrir par la suite que les vasions repr-sentaient moins d'un millime des chiffres cits.

    Forts de ce tmoignage d'une importance capitale, nous tions d-sormais en mesure de livrer au public le rsultat de nos recherches.

    Telle est la vocation mme de cet ouvrage.Nous ne prtendons pas prsenter ici une tude dfinitive sur laquestion du traitement subi par les prisonniers allemands dans lescamps allis. En effet, nos travaux ont t rendus d'autant plus difficilesque les documents comptables de l'poque sont le rsultat d'un certainnombre de falsifications, et que le maintien d'un voile pais sur toutecette affaire pendant plus de quarante ans a contribu un invitabledprissement des preuves, voire leur disparition pure et simple. Lavrit fut recouverte par plusieurs couches de mensonges.

    Jamais, sans doute, on ne saura avec prcision combien de pri-sonniers sont morts dans les camps amricains et franais. On peut ce-pendant affirmer que des hommes de tous ges, ainsi que des femmeset des enfants, y ont pri de faim, de maladie, [24] cause du manqued'abri et du manque d'hygine, et que leur nombre, suprieur 800.000 individus, s'lve presque certainement plus de 900.000, etdpasse mme vraisemblablement le million. Les conditions de dten-tion de ces prisonniers furent dlibrment entretenues par des autori-ts militaires, qui avaient pourtant les moyens d'y porter remde. Lesorganismes de secours se virent interdire l'accs des camps par l'arme.

    Ces faits, dissimuls l'poque, furent dmentis lorsque la Croix-Rouge,Le Monde6 et Le Figaro7tentrentd'alerter l'opinion publique. Des dos-siers ont t dtruits, falsifis ou gards au secret. C'est encore le casaujourd'hui.

    Le Royaume-Uni et le Canada, qui taient les allis de la France etdes tats-Unis, capturrent eux-mmes des centaines de milliers de pri-sonniers, auxquels vinrent s'ajouter ceux qui leur furent cds. Ces ar-mes d'occupation taient galement subordonnes au S.H.A.E.F.; nousnous sommes donc livrs des recherches sur les camps qui se trou-

    vaient sous leur autorit. Bien que nous disposions de peu d'lments,nulle part nous n'avons trouv trace d'atrocits dlibrment commisesenvers les dtenus allemands. Quelques rares tmoignages des armeselles-mmes, du C.I.C.R.8 et des anciens prisonniers indiquent que lapresque totalit des dtenus en mains britanniques et canadiennesrestrent en bonne sant, l'exception des 400.000 individus cds auxBritanniques par les Amricains en 1945, dont un grand nombre taientdj rduits l'tat de moribonds au moment de leur transfert. Lorsque

    6 Voir dossier en annexe. [N. du T.]7 Idem. [N. du T.]8 C.I.C.R.: Comit International de la Croix-Rouge. [N. du T.]

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    l'arme canadienne rclama au gouvernement britannique l'importantemonographie du colonel Phillimore, relative aux prisonniers allemandsen mains britanniques, la communication lui en fut refuse sous leprtexte que ce dossier servait encore. Les archives de Londres ou

    d'Ottawa ne contiennent pratiquement aucun document sur les condi-tions de dtention de centaines de milliers de prisonniers allemands, la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le sige du C.I.C.R. Genve, quia rcemment ouvert ses archives deux crivains en qute d'informa-tions sur les camps d'extermination nazis, ne nous a pas accord lapermission de rechercher, dans ces mmes archives, les documents re-latifs aux camps de prison[25]niers de guerre en mains britanniqueset canadiennes. Il nous a, en outre, refus plusieurs reprises l'autori-sation de consulter des lettres sur le mme sujet, bien que notre re-qute ait t transmise par l'arme et par la Croix-Rouge canadiennes.

    En 1945, les Britanniques et les Canadiens savaient ce qui se tra-mait dans les camps amricains. Les Britanniques furent les tmoinsd'atrocits dans au moins une des enceintes. L'unique protestationsouleve le fut par le gouvernement canadien.

    La croyance en la valeur suprme des lois, et en la presse, toutesdeux au service de l'humanit et de la libert, nous a guid tout au longde cet ouvrage.

    Nous tenons remercier tout spcialement quatre personnes pourl'aide quelles nous ont apporte. Sans l'honntet et le courage du co-

    lonel Philip S. Lauben, la vrit ne serait jamais sortie de l'ombre. Parailleurs, cet ouvrage doit beaucoup plus qu'une prface loquente aucolonel Ernest F. Fisher. Ancien lieutenant du Iole rgiment des troupesaroportes, puis colonel de l'arme amricaine, le Dr Fisher est gale-ment un minent historien de l'arme, auteur d'une tude intitule Cas-sino to the Alps9, crite alors qu'il occupait les fonctions d'historienprincipal du Centre d'Histoire militaire de l'arme des tats-Unis. Lavaste culture d'Ernest Fisher lui a permis de nous guider, ce qu'il a faitavec gnrosit. Sa femme Elsa et lui-mme ont consacr de nombreu-

    ses heures tudier les dossiers des Archives nationales des tats-Unis.C'est lui que nous devons la dcouverte d'un document capital inti-tul Historique mdical du TE.0.10. Nous avons tudi ensemble ce rap-port d'enqute ainsi que de nombreux dossiers, Washinton, Sui-tland, dans le Maryland et Lexington, en Virginie. A la fois profondrudit et ami fidle, Ernest Fisher est un homme sage, modeste et cou-rageux, qui fait honneur son pays.

    9De Cassino aux Alpes. [N. du T.]10 TEO.: Thtre europen des oprations. Le titre original de la brochure est : Medical History of E.T.0.(Voir appendice 2.) [N. du T.]

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    A lisabeth, qui n'a jamais entrav mes recherches et m'a toujoursencourag.[26]

    Il est certain que de nombreux rudits trouveront des dfauts

    ce livre. J'en revendique la pleine responsabilit. Leurs critiques serontles bienvenues et je salue par avance leurs travaux futurs, qui pourrontaider rtablir la vrit aprs une longue nuit de mensonges.

    James BACQUE Toronto, 1989.

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    [27]

    Chapitre premierQUE FAIRE DE L'ALLEMAGNE?

    Au cours du dner, le gnralissime Joseph Staline dclara qu'ilvoulait, ds la fin de la guerre, effectuer une rafle de 50.000 officiersallemands, et les fusiller. Winston Churchill entra en fureur. Je prf-

    rerais tre emmen l'instant dans le jardin et tre fusill moi-mmeplutt que souiller mon honneur et celui de mon pays par une telle in-famie!s'cria-t-il avec vhmence. Franklin Roosevelt, sentant crotrel'hostilit entre les deux anciens ennemis, avana une suggestion enguise de compromis: on pourrait se contenter de fusiller 4.000 prison-niers Staline, instigateur de cette rencontre capitale avec ses deuxpuissants allis, consulta tour tour les neuf hommes runis autour dela table. Le fils du prsident des tats- Unis, Elliott Roosevelt, gnral debrigade de l'arme amricaine, salua d'un toast la mort "non seulement

    de ces 50.000 nazis.. mais de centaines de milliers dautres". Churchill,abasourdi, l'entendit ajouter: Et je suis sr du soutien de l'armeamricaine.Enchant, Staline serra le jeune Roosevelt dans ses bras,en proposant de boire la mort des Allemands.

    Churchill se leva. Vous rendez-vous compte de ce que vous tesen train de dire?hurla-t-il en regardant Elliott Roosevelt. Commentosez-vous profrer une chose pareille?

    Comme un ouragan, il quitta la salle et, poussant la premire [28]porte venue, se retrouva dans une pice vide et sombre. Le btimentqui abritait l'ambassade de l'U.R.S.S. Thran, en cette anne 1943,tait totalement inconnu au Premier Ministre anglais, qui se trouvaitloin de ses propres troupes et venait de tourner le dos au meilleur amiamricain que les Britanniques eussent jamais compt. Il n'avait cepen-dant pas le moindre regret pour ce qu'il venait de faire. Tout coup, unbras lui entoura l'paule. Staline, accompagn de Molotov, se trouvaitprs de lui. Le dictateur, souriant avec bienveillance, expliqua qu'ils'agissait d'une plaisanterie. Nous n'tions pas srieux. Revenez parminous.

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    Churchill accepta de retourner dans la salle. Mais, ni ce jourl niplus tard, il ne mit en doute l'intention sinistreque traduisaient cespropos11. [N. du T.]

    Dans l'esprit de Roosevelt comme dans celui de Churchill, il tait

    clair que Staline ne badinait pas. Churchill avait d'ailleurs rappel Roosevelt les conclusionsdu tribunal international de Katyn12, aux ter-mes desquelles il apparaissait que les Russes avaient massacr, en 1940,plusieurs milliers d'officiers polonais aprs leur reddition13. Jusqu' cet-te confrence de Thran, en novembre 1943, Britanniques et Amri-cains ne s'taient pas prcisment demand quel serait le sort de l'Al-lemagne la fin de cette lutte acharne. Des rencontres prcdentes en-tre Churchill et Roosevelt avaient donn lieu quelques platitudes, quise rsumaient la formulation des bonnes intentions des dmocratiesoccidentales. Pour l'heure, le seul but manifeste des Allis tait de ga-gner la guerre. Lors de son entrevue avec Churchill Casablanca, enjanvier 1943, Roosevelt avait soudain annonc, pratiquement sans con-sultation pralable, qu'on ne pouvait proposer l'Allemagne et au Ja-pon qu'une capitulation sans condition. Cette disposition ne portait-elle pas en elle-mme l'ide de la disparition pure et simple de l'Alle-magne en tant qu'tat et, par consquent, [29] l'intention de ne plusappliquer la convention de Genve14 des ressortissants d'une entitvoue lanantissement?

    La suggestion du Prsident amricain ne rencontra pas l'approba-

    tion de Staline.Runis Moscou en 1943, les ministres des Affaires trangres ca-

    ressant l'ide d'un dmembrement du pays15, constiturent la Commis-sion consultative europenne, charge d'tudier la question du sort del'Allemagne aprs la guerre16. L'issue de ces travaux ne semblait prsen-ter aucun caractre d'urgence, car les Allemands occupaient l'Europe,de la pointe nord de la Norvge jusquau milieu de la Mditerrane, etde la frontire espagnole jusqu'au cur de la Russie.

    Les membres de la Commission se trouvaient confronts un

    problme affectant l'quilibre de l'Europe, et qui resurgissait rguli-rement, depuis prs d'un sicle. L'Allemagne tait une nation tellementagressive que toutes les autres puissances craignaient pour leur vie.

    11 La description de la scne de la confrence de Thran est base sur deux ouvrages: Closing theRing(volume 5 de The History of the Second World War), de Winston Churchill, Boston, Houghton Mifflin, 1951,p. 330; et As He Saw Itd'Eliott Roosevelt, New York, Duell Sloan and Pierce, 1946, p. 190.12 En avril 1943, la Wehrmacht dcouvrit aux environs de Katyn, petite localit d'U.R.S.S. situe l'ouest deSmolensk, des fosses communes contenant les corps de 4500 officiers polonais.13 En 1939, les dispositions du pacte de non-agression germano-sovitique avaient conduit les Allemands etles Russes envahir la Pologne. [N. du T.]14 Convention internationale relative aux blesss, malades, prisonniers de guerre, 1929. [N. du T.]15 Ce fut l'origine de la division de l'Allemagne en quatre zones sous le contrle des puissances allies russe,anglaise, amricaine et franaise. [N. du T.]16 Winston Churchill, Closing the Ring, p. 265.

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    Mme la perspective de la victoire ne russirait pas rassurer les Allis,qui ne pouvaient chasser la vision de lennemi renaissant de ses cen-dres, pour la deuxime fois depuis le dbut du sicle, dans le but deprovoquer une Troisime Guerre mondiale. Comment pouvaient-ils se

    protger contre cette menace? Churchill et les Anglais envisageaientd'affaiblir l'Allemagne juste assez pour la transformer profitablement

    en une nation satellite contre la Russie17. Les Amricains taient divissentre aptres d'une paix clmente, et partisans de la vengeance. Roose-velt balanait souvent entre ces deux partis.

    Henry C. Morgenthau, secrtaire d'tat amricain au Trsor, fut lepremier membre officiel du Cabinet prendre au srieux les travaux dela Commission. Pendant un voyage en Europe, au cours de l't 1944, ildcouvrit que les Allis, sous le commandement suprme de Dwight Ei-senhower, avaient des plans de premier ordre pour pntrer en Allema-gne, mais pas la moindre ide de ce qu'ils feraient une fois leur objectifatteint. Le ministre anglais des Affaires trangres, Anthony Eden, re-prenant le procs-verbal de la confrence de Thran, [30] lui donnalecture du dbat auquel le dmembrement ventuel de l'Allemagneavait donn lieu; personne n'avait eu de proposition soumettre quant la faon de s'y prendre pour passer de la thorie la pratique. Mor-genthau n'arrivait pas comprendre l'indolence des Anglais. Il savaitqu'Eden, prsent la discussion, avait bien saisi ce qui avait t dcid;cela n'empchait pas son dlgu, sir William Strang, reprsentant de

    l'Angleterre auprs de la Commission consultative europenne, de nepas obir ses instructions18. Seul le gnral Dwight Eisenhower, com-mandant suprme des forces expditionnaires allies, ne dcevait pasMorgenthau: il ne cachait pas son intention, une fois en Allemagne, detraiter(les Allemands) la dure19.

    Ainsi que le souligna Morgenthau, dans son rapport la MaisonBlanche, la Commission consultative europenne navait prvu aucunplan pour cela. Personne ne se penche sur les moyens adopter pourtraiter les Allemands la dure, en suivant la ligne daction que vous

    avez indique, dclara-t-il au Prsident.

    Accordez-moi trente minutesavec Churchill, et je vais arranger a, rpondit Roosevelt. Il faut que

    nous soyons trs svres avec lAllemagne, et je ne parle pas seulementdes nazis, mais du peuple allemand. Ou bien il faut les chtrer, ou bienleur faire passer l'envie de se multiplier pour assurer la continuit de cequ'ils ont entrepris.20

    17critsde Bernard Law Montgomery, 87-1, Notes sur l'occupation de l'Allemagne.18Journal prsidentiel, crits de Morgenthau, vol. 6, 19 aot 1944, Bibliothque Franklin Roosevelt, Hyde

    Park, New York.19 John Marton Rhim, Roosevelt and Morgenthau, Boston, 1970, p. 591.20 Journal prsidentiel, crits de Morgenthau, vol. 6, 19 aot 1944, Hyde Park.

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    Henry Morgenthau qui, selon la femme du Prsident, Eleanor Roo-sevelt, tait la conscience de Franklin, s'attela sur-le-champ la t-che de former des plans pour malmener l'Allemagne. Quelques joursplus tard, Roosevelt l'invita venir le rejoindre Qubec, pour exposer

    le rsultat de ses travaux Churchill.Le 13 septembre 1944, Morgenthau descendait du train, sous lapluie qubcoise, pour venir participer aux dlibrations des Grands. Ilse trouvait dans une situation peu banale: on lui demandait de contri-buer l'laboration des dcisions concernant l'Allemagne - rle qui in-combait en fait au dpartement d'tat - alors que Cordell Hull, secr-taire de ce dpartement, tait absent. Hull n'avait pas non plus assist la confrence de Thran dont, en dpit de sa requte, le procs-verbalne lui avait pas t communiqu21. Tout cela s'expliquait en partie parla volont de Roosevelt de diriger lui-mme les Affaires [31] trangres;n'avait-il pas, pourtant, convi le secrtaire d'tat au Trsor prsenterson projet?

    Morgenthau se doutait que Roosevelt, n'ayant vraisemblablementpas russi convaincre Churchill de traiter les Allemands la dure,et tant lui-mme indcis quant au sort qu'il convenait de rserver auxvaincus, se tournait maintenant vers sa conscienceafin qu'elle l'aidt trancher.

    Il ne restait plus beaucoup de temps pour cela. Alors que Morgen-thau et lord Cherwell, conseiller suprieur de Churchill se runissaient

    pour dbattre de ce que feraient les Allis une fois la frontire alle-mande franchie, les chars de tte du gnral Eisenhower taient djsur le point d'atteindre Aix-la-Chapelle et les armes britannique et ca-nadienne fonaient en direction du nord-est, travers les Pays-Bas.

    Le dossier de Morgenthau reposait sur une ide prcise : il fallaitpastoraliser l'Allemagne en dtruisant son industrie et ses exploita-tions minires. On allait transformer l'une des nations les plus indus-trialises du monde en une immense ferme. Or, l'Allemagne n'avait passuffisamment de terres cultivables pour nourrir ses habitants, ce qui

    expliquait en partie la croissance de l'industrie, destine payer lesimportations d'aliments. En guise de solution, Hitler avait proposd'augmenter les tendues cultivables en offrant la charrue alle-mandedes terres conquises l'Est. La dfinition de nouvelles fronti-res au profit de la Pologne et de la Russie allait maintenant rduire lasurface de l'Allemagne, provoquant l'arrive, l'ouest du pays, d'unflot norme de rfugis. Si l'on anantissait les ressources industrielles,on pouvait s'attendre une grande famine. D'aprs Cordell Hull22, LePlan Morgenthau allait tout raser en Allemagne sauf la terre, qui de-

    21 Journal prsidentiel, crits de Morgenthau, vol. 6, 19 aot 1944, Hyde Park.22The Memoirs of Cordell Hull, New York, Macmillan, 1948, p. 1617.

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    viendrait la seule ressource du peuple. Cela signifiait que 60 % seule-ment des habitants pourraient subsister, et que les 40 % restants se-raient condamns mourir. Traduits en nombre, les propos de Hullvoquent ici la mort d'environ 20 millions de civils allemands.

    Morgenthau et son brillant assistant, Harry Dexter White n'avaientdonc que peu de temps pour prparer leur argumentation qui seraitlobjet d'une attaque serre de la part de Churchill. En ce soir du 13septembre 1944, au cours du dner dans la citadelle de Qubec, le Pre-mier Ministre manifesta le dsir d'aborder sur-le-champ la question del'Allemagne.[32]

    Roosevelt se tourna vers Morgenthau et l'invita s'acquitter de satche. Tout comme Hull, Churchill perut immdiatement les implica-tions du projet qu'on lui soumettait. Selon White, il dclara que ce plantait contre nature, contraire lesprit chrtien et superflu 23. D'unton irrit, il demanda si on lui avait fait faire tout ce voyage pour discu-ter d'un programme qui n'aboutirait qu' tenir l'Angleterre enchane un cadavre. L'amiral Land, de l'U.S. Navy fit savoir qu'il approuvaittotalement le plan; il frappa du poing la table de confrence en guisede soutien vigoureux Morgenthau. La discussion fut toutefois aban-donne pour le reste de la soire.

    En respirant cette nuit-l l'air revigorant des rues de Qubec,Morgenthau et le conseiller de Churchill, lord Cherwell, mirent au point

    une stratgie pour venir bout de la rsistance du Premier Ministre. Aucours de la runion suivante - qui rassemblait Cherwell, Morgenthau,Roosevelt, Churchill, Anthony Eden, secrtaire d'tat aux Affairestrangres, et son assistant Cadogan -, lorsque la question de l'Allema-gne surgit de nouveau, Churchill rclama le procs- verbal de la discus-sion prcdente. Cherwell et Morgenthau, prtendant d'un commun ac-cord que le compte rendu n'tait pas prt, prirent Churchill de se li-vrer une rcapitulation orale. Fier de son talent pour le discours im-provis et de la prcision de sa mmoire, Churchill reconstitua le dbat

    au pied lev, adoptant au fil de son expos une attitude beaucoup plusferme que prcdemment contre l'Allemagne. Cherwell avait prvu ceretournement de situation. Morgenthau sempressa de souligner que ladestruction des industries allemandes ouvrirait de nouveaux marchsaux produits manufacturs anglais. La comptition pour les ressourcesserait rduite. Cela serait galement vrai pour les Amricains et pour lesFranais.

    Morgenthau refusait d'admettre que les Allemands souffriraientde la faim. Ultrieurement, dans son ouvrage intitul: Germany Is Our

    23Mmorandum pour les dossiers du secrtaire d'tat par Harry D. White, Journal prsidentiel, sectionQubec, 13 septembre 1944, Hyde Park.

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    Problem24. publi en 1945 avec l'approbation de Roosevelt, il devaitcrire que l'Allemagne d'avant-guerre produisait 98,2 % de ses propresbesoins en crales, la totalit de ses pommes de terre et de son sucre,92,3 % de ses lgumes, 96,7 % de sa viande et de ses volailles, et la to-

    talit de son lait.[33]D'aprs lui, ces chiffres ne chuteraient que de 14 % en moyenne,

    aprs le nouveau trac des frontires allemandes.Churchill, convaincu par les arguments conomiques, se rallia

    Morgenthau et Cherwell. Anthony Eden tait scandalis. Vous nepouvez pas faire cela!s'exclama-t-il. Pas aprs que vous et moi ayonspubliquement affirm le contraire!

    Aprs une longue discussion, Churchill rduisit Eden au silence:Bon, jespre, Anthony, que vous vous garderez de faire quoi que cesoit auprs du cabinet de la Guerre si l'occasion s'en prsente Aprstout, l'avenir de mon peuple est en jeu et, lorsqu'il va me falloir choisirentre mon peuple et le peuple allemand, c'est le mien que jai l'inten-tion de choisir.25"

    Morgenthau tait rudement heureuxde l'issue de la rencontre:Nous avions obtenu ce que nous avions escompt.Ainsi en tmoi-gnent les initiales W.S.C. et F.D.R.26, qui figurent au bas d'un mmoran-dum confidentiel27 dont voici le texte:

    Au terme dune entrevue entre le Prsident et le Premier

    Ministre afin de dcider des mesures prendre pour prvenir unnouveau rarmement de l'Allemagne, il est apparu que le sort r-server la Ruhr et la Sarre constitue un lment dterminant dela question.

    Nous savons dj, au prix dune exprience amre, avecquelle facilit l'Allemagne peut convertir ses industries lectriques,chimiques et mtallurgiques en industries de guerre. Souvenons-nous aussi que les Allemands ont dvast une grande partie des in-dustries de la Russie et dautres nations allies voisines, et que,

    conformment la justice, ces pays lss doivent tre autoriss rcuprer le matriel allemand pour compenser les pertes subies eteffectuer les rparations. Il est donc ncessaire que l'on mette finaux activits des industries de la Ruhr et de la Sarre auxquellesnous nous rfrons, et qu'elles soient fermes dfinitivement. Ilressort de cela que l'organisation mondiale doit dsigner un corps

    24 Henry C. Morgenthau, Germany Is Our Problem, New York, Harper and Brothers, 1945. [Nous sommesconcerns par l'Allemagne][N. du T.]25 Blum, Roosevelt and Morgenthau, p. 596.26 Winston S. Churchill et Franklin Delano Roosevelt. [N. du T.]27 Il est reproduit dans l'ouvrage d'Henry L. Stimson et McGeorge Bundy, On Active Service in Peace andWar, New York, Harper, p. 576.

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    charg de superviser dans ces deux rgions le dmantlement desindustries concernes, et de veiller ce qu'aucun subterfuge nesoit mis en uvre pour les reconstituer.

    [34]

    Ce programme destin liminer les industries de guerredans la Ruhr et la Sarre vise convertir l'Allemagne en un pays de

    caractre principalement pastoral et agricole.Ce programme a reu l'accord du Premier Ministre et celui

    du Prsident.O.K.F.D.R.W.S.C16 septembre 1944.

    Peu aprs qu'il eut t paraph, ce mmorandum fit lobjet d'unepre discussion au sein du Cabinet des tats-Unis. Cordell Hull dclara:Au cours de ma carrire de secrtaire dtat rien ne m'avait mis plusen colre que cet pisode de Qubec. Si le Plan Morgenthau tait brui-t, ce qui semblait invitable, cela pouvait signifier une rsistance preet dsespre de la part des Allemands, et la mort de milliersdAmricains.28

    Ds les premires fuites du projet, on put mesurer les pouvoirs dela presse et de l'opinion publique. Les adversaires du Plan n'ignoraientpas qu'ils avaient de bonnes chances de le faire chouer en s'adressant

    directement l'lectorat par l'intermdiaire des journaux. Comme Hulll'avait pens, l'ensemble du public se pronona presque unanimementcontre la vengeance29. Drew Pearson, du Washington Post, Arthur Krockdu New York Timesainsi que de nombreux autres journalistes dvoil-rent diffrents aspects du Plan, sans omettre quelques dtails sur lacontroverse qui faisait rage dans les alles du pouvoir.

    Le Pioneer Press, journal de Saint-Paul, dans le Minnesota, rduisitl'ide du projet nant en sept paragraphes loquents, qui s'ouvraientcomme suit: Le prsident Roosevelt affiche une nette tendance faire

    des dclarations fallacieuses et pleines de dtours, dans le but de dissi-muler ses erreurs.Devant les fuites du Plan Morgenthau, le Prsident avait essay

    d'abuser la presse et le public en faisant publier une lettre, qui traitaitapparemment d'un autre sujet, mais impliquait que le Plan Morgenthaun'avait rien d'un programme officiel. Le Pioneer Presspoursuivait: Lemonde entier sait bien que Herr Goebbels (ministre de la Propaganded'Hitler) a fait tout ce qu'il fallait pour que chaque Allemand ait enten-

    28The Memoirs of Cordell Hull, p. 1614.29 L'ensemble de la presse attaqua Morgenthau avec virulence. Stimson et Bundy, On Active Service, p.580.

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    du parler du Plan. Voil, a-t-il expliqu, ce quoi l'on doit s'attendre en[35] cas de dfaite. voil ce que les tats-Unis ont lintention de faire del'Allemagne A peu prs au mme moment, le gnral Eisenhower dis-persait au-dessus de l'Allemagne des tracts affirmant que l'on n'exerce-

    rait pas de reprsailles contre les innocents La contre-propagande laplus efficace opre par le truchement de Goebbels, est partie de Was-hingtonL'article affirmait en guise de conclusion: Parce qu'il(Roo-sevelt) se sert de son autorit pour dissimuler les faits, il nous est im-possible de rfuter sa dclaration (mais) ila t contraint de rejeter(le Plan). En Californie, le San Francisco Chroniclese livra des com-mentaires caustiques: Cette affaire est maintenant rgle, pour autantque de tels conflits puissent jamais tre rgls au sein de notre adminis-tration gouvernementale, o chaque organisme se croit autoris s'immiscer en permanence dans des affaires qui ne le concernent pasen propre30. Roosevelt eut vite fait de dgager sa responsabilit de l'af-faire. Avec le sourire, il dit son secrtaire d'tat la Guerre, Henry L.Stimson qu' son avis Henry (Morgenthau) avait fait une bourde31.

    D'une sant de plus en plus fragile au cours des six derniers moisde sa vie, Roosevelt s'efforait d'viter tout sujet de discorde. A cela ve-nait s'ajouter une effrayante inattention. Morgenthau prenait soin delui rpter au moins une fois ce qui tait important, pour tre bien srqu'il l'et enregistr. Le Prsident finit par reconnatre qu'il n'avait pasentrevu les consquences catastrophiques de ce quil avait sign avec

    son ami Churchill Qubec. Stimson32, qui relut au Prsident le passagecontenant le morceau de phrase: convertir l'Allemagne en un pays decaractre essentiellement pastoral et agricole, affirmedans son ou-vrage33 que Roosevelt se montra atterr. Il se dit qu'il ne pouvait pascomprendre comment il en tait venu parapher cela.Cette scne sedroulait le 3 octobre 1944, moins de trois semaines aprs la signaturedu mmorandum.

    Une trange dclaration de Roosevelt met d'ailleurs en lumire lesdifficults insolites auxquelles se trouvaient confronts les hommes

    chargs de dcider du sort d'une nation trangre. Un jour qu'il se re-mmorait avec motion les annes heureuses o il explorait les grandesforts de la rgion de Dutchess, sur les rives de l'Hudson, il dclarasoudain qu'il[36] n'y (avait) aucune raison pour que l'Allemagne nerevienne pasce qu'elle tait en 1810.. Ils auraient une vie agrable,mais sans le moindre luxe.34Il pensait la vie de ces gens habills de

    30 Les deux articles sont dats du 30 septembre 1944, et sont reproduits dans les crits d'Hopkins-Sherwood, section 333, classeur no 1, Hyde Park.31 Stimson et Bundy, On Active Service, p. 581.32 Henry Stimson: secrtaire d'tat la Guerre. [N. du T.]33 Stimson et Bundy, On Active Service, p. 581.34 Blum, Roosevelt and Morgenthau, p. 590.

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    vtements tisss la main, et ajouta que si les Allemands manquaientde nourriture, on pourrait toujours rouvrir la soupe populaire de l'ar-me. Il arrivait parfois au Prsident de tenir des propos trs dsinvol-tes; il affirma par exemple que la question du charbon ne posait aucun

    problme:

    Je nommerai une commission de trois hommes d'affairesallemands pour faire marcher les mines de charbon. Si cela ne donne

    rien, nous les fusillerons.35Staline approuva le Plan Morgenthau tel qu'il lui avait t soumis

    par Churchill Moscou, vers la mi-octobre. Ainsi que l'exprimait lePremier Ministre, L'intention manifeste par les Russes de rcuprer lematriel allemand est en parfaite concordance avec les intrts de laGrande-Bretagne, qui dsire combler la brche laisse par l'Allemagne.C'est une simple question de justice.36 Churchill eut beaucoup plus demal convaincre le cabinet anglais de la Guerre de la sagesse du projet.Lord Cherwell, principal champion du Plan en Angleterre, mettait An-thony Eden hors de lui en soutenant que la crainte d'une famine en Eu-rope tait absolument sans objet. Churchill dut intervenir en personnepour apaiser Eden. Les Britanniques allaient d'ailleurs faire preuved'indcision sur des questions majeures concernant le sort de l'Allema-gne - celles des rparations et du dmembrement, par exemple - jusqu'la confrence de Yalta, en fvrier 1945.

    A Washington, la lutte pour finir de convaincre Roosevelt se pour-suivit tout au long de l'hiver, sans qu'aucune dcision ft prise. Cette

    situation n'et pas d se prolonger au-del de quelques semaines, maisRoosevelt tendait de plus en plus changer d'opinion en fonction deson interlocuteur. Tantt il se montrait mlancolique et rveur, tantt ilaffichait une humeur svre, double d'une dtermination se montrersans piti envers les Allemands37. A la veille de la rencontre de Yalta, leproblme tait devenu crucial. D'importantes zones de l'Allemagnetaient passes aux mains des Allis qui, sur les deux fronts, avaientdj effectu la premire des grandes captures de l'arme allemande endcomposition. Plusieurs [37] centaines de milliers d'Allemands se

    trouvaient dj l'Ouest dans les camps d'internement allis.Les Britanniques, les Canadiens et les Amricains, en signant laconvention de Genve, s'taient publiquement engags traiter les pri-sonniers selon les principes d'humanit garantis par les textes. La n-cessit du respect de ces principes se trouvait renforce par la menacelatente de reprsailles sur les otages que reprsentaient les dtenus de

    35 Blum, Roosevelt and Morgenthau, p. 621.36 Conversation entre Churchill et Staline, Moscou, 17 octobre 1944. Cite dans l'ouvrage de Martin Gilbert,

    Road to Victory, Winston Churchill 1941-1945, Londres, Heinemann, 1986, p. 1024.37 Mmorandum des entretiens, dpartement d'tat, 15 novembre 1944, R.G. n 43, Confrences de la Se-conde Guerre mondiale, section n 3, archives du dpartement d'tat, Washington.

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    chaque ct (prs de 2.000.000 d'Allis occidentaux interns en Alle-magne, et environ 700.000 Allemands dans les camps allis de l'Ouest).

    La question revtait d'autant plus d'importance qu'aprs la tenta-tive canadienne de dbarquement Dieppe, en 1942, Canadiens et Al-

    lemands avaient, chacun de leur ct, exerc des svices sur leurs cap-tifs, pour se venger des brutalits infliges leurs compatriotes.Il avait t dcid qu'au dpart l'Allemagne serait prise en main

    par les armes allies, mais aucune ligne prcise n'avait t dfinie pourles aider dans cette tche. Eisenhower avait vaguement dit qu'il souhai-tait traiter(les vaincus) la dure. Quelle application pourraient bienavoir ces termes pour les prisonniers allemands, une fois les otages oc-cidentaux librs?

    Et pour une nation entire dont l'arme aurait capitul sanscondition?

    Ces questions relevaient de la seule comptence des trois grandsdirigeants allis. Quittant Washington, Londres et Moscou, ils se dirig-rent vers Yalta, en Crime, pour s'y rencontrer, au mois de fvrier 1945.[

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    39]

    Chapitre 2SANS ABRIJai le cur serr par ce que l'on raconte sur ces masses de

    femmes et denfants allemands qui, partout, fuient vers lOuest, devantl'invasion de l'arme (russe) et qui avancent le long des routes, en co-

    lonnes longues de soixante kilomtres. Je suis bien convaincu qu'ils ontmrit ce qui leur arrive, mais cela ne fait pas disparatre ce tableau

    horrible Je suis pouvant par la misre du monde entier.38

    Winston Churchill

    Winston Churchill, voyant les Allemands subir le sort qu'il avaitapprhend pour ses compatriotes, ne se sentait pas d'humeur venge-resse l'ouverture de la dernire confrence des trois Grands, Yalta,en fvrier 1945. De sa voiture, Roosevelt dcouvrait d'un air morose lesdestructions causes par l'ennemi au cours de sa retraite. Ds qu'il setrouva en face de Staline, le Prsident dclara que ce dsastre le rendaitplus sanguinaire que jamais envers les Allemands. Staline rpondit[40] son interlocuteur qu'il n'avait encore rien vu; l'Ukraine tait en-

    core plus dvaste. Roosevelt dit alors: (J'espre que vous allez) denouveau proposer un toast l'excution de 50.000 officiers de l'armeallemande.39

    Le lendemain, lorsque la question du sort de lAllemagne fut sou-leve au cours de la seconde session, Staline demanda si le plan de d-sarmement qui allait tre adopt serait communiqu tous les groupesallemands anti-nazis qui rclamaient la paix. Churchill, omettant deprciser quil s'opposait la division du pays, dclara qu'il n'en voyaitpas l'utilit. Vers la fin de la confrence, Staline revint sur ce sujet. Il

    accusa Churchill de sopposer au dmembrement parce qu'il voulaitfaire des affaires avec l'Allemagne, et visait conserver un partenairecommercial puissant. Le Premier Ministre, ayant dj confi Rooseveltqu'il redoutait l'absence d'une nation forte entre les falaises blanchesde Douvres et la neige blanche de Russie40il rtorqua qu'il ne servait rien de saigner l'Allemagne blanc, puisqu'elle allait s'effondrer sous le

    38 Lettre envoye de Yalta par Churchill Clementine Churchill. Extrait de l'ouvrage de Martin Gilbert, Roadto Victory, Winston S. Churchill 1941-1945, p. 1167.39 Ce paragraphe entier est bas sur le procs-verbal de la confrence de Yalta, 4 fvrier 1945. R.G. 443,

    Confrences de la Seconde Guerre mondiale, section n 3, p. 1. Archives nationales des tats-Unis, Washing-ton.40 Journal prsidentiel, crits de Morgenthau, vol. 6, 25 aot 1944, p. 1391.

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    poids des rparations, comme elle l'avait dj fait dans le pass; le d-membrement prvu par le Plan Morgenthau, momentanment en sus-pens, rendrait les rparations encore plus crasantes. Roosevelt suggrade nouveau un compromis: on pourrait accorder un mois aux trois mi-

    nistres des Affaires trangres pour rflchir sur cette question et la-borer un projet. Churchill s'en remit au Prsident. Une fois encore lesdcisions majeures concernant le sort de l'Allemagne allaient treajournes; mais Staline ne voulut pas permettre que la question des r-parations ft retarde par la cration d'une Commission. Serrant sachaise si fort que ses articulations en devinrent blanches, il insista d'unton furieux sur le fait que la Russie avait droit un ddommagementpour l'immense dvastation cause par l'Allemagne. De Moscou l afrontire polonaise, on ne trouvait plus une seule maison habitable.Avec rticence, Churchill et Roosevelt s'entendirent sur une base dediscussionde 20 milliards de dollars, tant entendu que la Russie ob-tiendrait en tout tat de cause la moiti de la somme qui serait finale-ment arrte. Staline allait se montrer trs peu proccup par le sortdes prisonniers de guerre, qui constituaient une vaste rserve d'escla-ves destins aux travaux de rparations. Lorsque Harry Hopkins, assis-tant particulier de Roosevelt, lui demanda par la [41] suite ce qu'il ad-venait des dtenus, il rpondit vasivement qu'il pensait qu'on avait dles mettre au travail41.

    Au flot des rfugis dj voqus par Churchill, vinrent bientt

    s'ajouter des millions de soldats de la Wehrmacht qui voulaient chap-per aux Russes et cherchaient un refuge l'Ouest. La Wehrmacht de1940-1941, arme arrogante et cruelle s'il en fut, avait t dtruite surle front de l'Est: la moiti de son effectif tait maintenant constitued'adolescents ou d'hommes de plus de 35 ans, dont le plus grand nom-bre fuyaient la rencontre des Allis occidentaux. L, pensaient-ils, onles traiterait mieux que ne le feraient les Russes.

    Conformment la convention de Genve, le gnral Eisenhower42

    et son tat-major avaient la responsabilit des soins et de l'alimentation

    de tous les prisonniers, tant que la guerre n'aurait pas pris fin. Le sorteffectivement subi par ces captifs allait tre largement dtermin par lafaon dont Hitler avait trait environ deux millions de soldats franais,amricains, anglais et canadiens dans ses propres camps. Outre ces Oc-cidentaux, plusieurs millions de Russes taient tombs entre ses mains,et l'on supposait alors que la plus grande partie d'entre eux avaientsuccomb aux conditions de dtention trs rudes auxquelles ils avaientt soumis43. La convention de Genve avait tabli des rgles pour le

    41 Robert E. Sherwood, Roosevelt and Hopkins, New York, Harper and Row, 1948, p. 905.42 Commandant suprme des forces expditionnaires allies. [N. du T.]43 Rapport du C.I.C.R. sur ses activits pendant la Seconde Guerre mondiale, Genve, mai 1948.

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    traitement des prisonniers; il n'existait qu'un seul moyen de pressionpour les faire respecter: la menace de reprsailles que le camp adversepouvait exercer sur ses propres captifs.

    Eisenhower affirmait lui-mme n'avoir jamais appris, au cours de

    sa formation l'cole suprieure de guerre, ce qu'il convenait de fairedes prisonniers en cas de pnurie de moyens de transports44. C'est sansdoute pourquoi il s'assura la collaboration de son vieil ami, le gnralEverett S. Hughes, qui avait t son compagnon d'instruction FortLeavenworth, dans le Kansas.

    Aprs la libration de Paris, en aot 1944, Hughes fut nomm as-sistant particulier d'Eisenhower, et se vit attribuer, dans la capitale, unbureau au quartier gnral de la Zone de Commandement (Z COM)45.Personne ne savait exactement ce qu'il faisait mais il tait trs actif,affirme Buel F. Weare, officier d'tat-major de l'intendance d'Eisenho-wer. En fait, il [42] supervisait le remplacement des effectifs, les rationsdes prisonniers de guerre et les activits du gnral J. C. H. Lee, chargde la logistique pour le TEO46. Il appartenait au petit noyau des inti-mes(du commandant suprme)47. Il tait en outre accueilli au sein dela famille Eisenhower qui l'avait surnomm Oncle Everett48.

    Hughes tait un homme imposant, de grande taille, au comportementtaciturne et rserv. Eisenhower lui accordait une confiance sans limite,car il tait convaincu de sa haute comptence et de sa totale intgrit.Hughes saisissait d'instinct les mthodes sibyllines que le gnral utili-

    sait pour diriger49.A diverses reprises, le commandant suprme aida Hughes grimper

    les chelons de la hirarchie militaire. Par exemple, en avril 1944, il fitsavoir par cble au gnral Mc Narney, Washington, qu'il dsirait leretour d'Hughes ses cts au S.H.A.E.F.50 Le gnral Hughes me seraitextrmement utile sur le thtre des oprations. Vous demande de dli-vrer l'ordre de son transfert immdiat.51 Hughes fut envoy sur-le-

    44 Dwight D. Eisenhower, Crusade in Europe, New York, Da Capo Press, 1983, p. 386.45 Dpartement de la Guerre, biographie d'Everett S. Hughes, jusqu'au 9 septembre 1946, Bibliothque duCongrs.46 TEO: Thtre europen des oprations. [N. du T.]47 Citation extraite des Documents du haut commandement alli, 1943-1945, bobine n 5 des crits de Da-vid Irving rassembls dans The War Between the Generals. Disponible auprs de Microfilm Academic Pu-blishers, East Ardsley, Grande-Bretagne.48 Le biographe anglais d'Eisenhower, Piers Brendon dclara que la mthode de commandement du gnralconsistait en une stratgie par subterfuge, un gnralat de furtives connivences. Piers Brendon, Ike,New York, Harper and Row, 1986, p. 178.49 David Eisenhower, Eisenhower at War, New York, Random House, 1987, p. 299.50 Supreme Headquarters, Allied Expeditionary Force: Grand quartier gnral des forces expditionnairesallies. Le S.H.A.E.F., sous le commandement suprme du gnral Eisenhower, dirigeait les forces amricai-

    nes, anglo-canadiennes et franaises dans tout le nord-ouest de l'Europe. [N. du T.]51 Message personnel adress au gnral Mc Narney, sign Eisenhower. Rpertoire des dparts,E.T.O.U.S.A., 10 fvrier 1944, N.A.R.S.

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    champ en Europe, o il devint (les) yeux et(les) oreillesd'Eisenho-wer, selon les termes mmes du gnral52.

    Le commandant suprme du S.H.A.E.F. se reposait beaucoup sur sonassistant, loyal, efficace et d'une discrtion toute preuve. Cette quali-

    t tait un atout essentiel aux yeux d'Eisenhower, qui n'avait jamais ai-m choisir des moyens daction directs requrant(sa) propre partici-pation, alors qu'on (pouvait) arriver au mme rsultant des mthodesindirectes. Ainsi le Prsident Eisenhower allait-il tre ultrieurementdcrit par le vice-prsident, Richard M. Nixon53. En 1944, alorsquEisenhower dirigeait le S.H.A.E.F., ce trait de caractre tait dj trsprononc. Le gnral George S. Patton en fit mention dans une lettre Batrice Patton54. Expliquant quel point il tait difficile d'obtenir unedcision d'Eisenhower qui, en cas de controverse, veillait dissimulerce qui se passait dans son esprit, Patton crivait : (Il est) infernal defaire la guerre par mgarde(et) de vaincre par supercherie.David Ei-senhower, petit-fils du gnral, affirmait que son grand-pre avait pris[43] lhabitude de recevoir(toutes les propositions), mme celles aux-quelles il tait favorable, avec une attitude sceptique ou un refus tran-chant. Le gnral Lucius Clay fournit lui aussi, un tmoignage sur cepoint: Il avait constat que cela lui permettait souvent de mettre envidence les points faibles de ses interlocuteurs55.

    De tels procds requraient les services de subordonns perspicaces,capables de gouverner sans diriger. Mme lorsque la situation lui

    52 Message d'Eisenhower Marshall, 3 mars 1944, crits d'Eisenhower, p. 1760.53 Richard M. Nixon, SixCrisis, Londres, W.H. Allen, 1962, p. 161. Un autre exemple de cette approche indi-recte nous est fourni par un change qui eut lieu entre Eisenhower et Hughes, en 1944.Au dbut du mois d'aot, trs peu de temps aprs qu'Henry C. Morgenthau eut discut avec Eisenhower dela politique adopter envers les Allemands, le gnral appela Hughes pour l'inciter se montrer prudentlors d'une mission secrte dont il l'avait charg aux tats-Unis. Hughes se rfra leur conversation dansune lettre nigmatique:

    Cher Ike,Votre recommandation tlphonique de me montrer prudent n'est pas tombe dans l'oreille d'unsourd. Avant de demander la permission de retourner aux tats-Unis, j'avais examin la questionsous tous ses angles, et j'tais dtermin faire preuve d'une extrme circonspection.Je travaille pour vous et je sais bien qu'en provoquant la disharmonie, je ne ferais pas tout ce qu'il

    faut. Vous dites que vous navez reu aucune plainte au sujet des oprations que j'ai menes. Je suiscertain que, s'il en a t ainsi, c'est parce que je n'ai aucun intrt dans l'affaire et que je fais de monmieux pour mener cette tche bien le plus rapidement. Bradley, Patton et Lee semblent me faireconfiance. Lee sait que je l'ai dj aid, et que je ne travaille pas pour moi-mme.Ainsi, vous pouvez tre tranquille en ce qui concerne les tats-Unis. J'ai bien cern le problme et jepromets de ne pas remuer la vase.J'espre et je dsire vous voir avant mon dpart pour discuter de cette question. Pour le cas o celane serait pas possible, cette lettre vous aura exprim ce que je pense.Trs sincrement vtre,Everett.

    Ce message extrmement sibyllin montre quel degr de complicit Eisenhower et Hughes avaient atteintlorsqu'ils communiquaient par crit. C'est probablement contre les Amricains, et non contre les Allemandsqu'Hughes cherche protger la fois son chef et lui-mme. (Extrait des Documents d'Hughes, collectionms, Bibliothque du Congrs.)54 Lettres du gnral Patton Beatrice Patton, 3 septembre 1944. Dans The Patton Papers, recueillis parMartin Blumenson, vol. 2, Boston, Houghton Mifflin, 1974, p. 538.55 David Eisenhower, Eisenhower at War, p. 640.

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    permettait de donner des ordres clairs et directs, Eisenhower prfraitapparemment s'y prendre de faon plus tortueuse. Il agissait la dro-be56.Ses ordres taient parfois si peu explicites qu'il lui fallait le len-demain y apporter des claircissements. Ces dlais le mettaient dans

    une colre furieuse. Hughes n'avait-il pas crit lui- mme, le 21 juillet1944: " Cet homme est fou. Il est incapable de donner un ordre quitienne debout. Puis il va se mettre hurler en tapant du poing sur sonbureau57.

    Mme priv d'autorit directe, Hughes avait une grande influence surson chef. Ses mthodes subtiles permettaient, l'occasion, de camouflerl'origine des dcisions.

    Ainsi en tait-il de l'importante question de l'alimentation des pri-sonniers, sur laquelle nous reviendrons maintes reprises. Eisenhowerayant demand, en mai 1945, que les rations fussent rduites, l'opra-tion fut, apparemment, ralise sans trace crite. Ds le dbut de lamise en application de cette mesure, des officiers subordonns firentpreuve d'une certaine rticence; eussent-ils exig un ordre crit, Hug-hes et t contraint d'obtenir la signature du gnral. Cette pratiquetait si solidement tablie qu'en octobre 1945, lorsqu'on dcida, pourdes raisons de pure opportunit, d'effectuer une distribution spcialede nourriture aux prisonniers, un officier responsable rclama l'ordrecrit du commandant suprme avant d'obir. Ainsi, l'application d'unemesure, a priori favorable, aboutissait ironiquement, faute d'ordre

    crit, un refus de distribuer des vivres. On agissait en s'abstenantd'agir.

    Lorsqu'il avait nomm Hughes ses cts, Eisenhower avait claire-ment tabli les limites de l'autorit de son assistant. Dans une directivedate du 24 fvrier 1944, il avait dclar: Vous veillerez privilgierl'aspect consultatif de vos fonctions, par rapport au rle de supervisionqu'elles entranent. Aprs en avoir discut avec les commandants res-ponsables, soumettez-moi tous [44] les problmes qui ncessitent, selonvous, que je prenne une dcision en tant que commandant du thtre

    des oprations58

    .Plus que par tout autre moyen, c'est en utilisant les exigences de la

    logistique quEisenhower affirmait son autorit sur Montgomery59, faitremarquer Stephen Ambrose, le biographe autoris du gnral. Ilarri-vait que Montgomery se contente dobir ses propres inclinations, etne suive les ordres dEisenhower que de trs loin, mais il n'avait pas lepouvoir de faire surgir des provisions. Il lui fallait lutter dans une

    56 Brendon, Ike, p. 178.57 Extrait du journal d'Hughes, Bibliothque du Congrs.58The Papers of Dwight David Eisenhower, rassembls par Alfred D. Chandler et Stephen E. Ambrose, Balti-more, 1970, Johns Hopkins, University Press, 1970, vol. 3, p. 1748.59 Bernard Law Montgomery: marchal britannique, commandant du 2le groupe d'armes. [N. du T.]

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    structure trs limite par la quantit de matriel quEisenhower voulaitbien lui accorder60.Le chef d'tat-major dEisenhower, Bedell Smith,crivit que (le gnral) au courant des besoins et des missions assi-gnes aux diffrentes forces, qu'il connaissait bien, dtenait seul les

    lments qui permettaient dallouer des vivres et de les rpartir, enfonction de chaque opration.Au cours de l't 1944, sur une suggestion de son assistant, Eisenho-

    wer accepta de reformuler une directive importante, ce qui l'obligeait fournir un claircissement embarrassant le lendemain mme de l'ordreinitial. Hughes tait l'une des rares personnes rendre compte direc-tement de ses actes devant le commandant suprme, ce qui leur per-mettait tous deux de dbattre des questions pineuses loin des oreil-les indiscrtes. Eisenhower autorisait son assistant consulter les offi-ciers et les simples soldats de toutes les units, les organismes et lesquartiers gnraux de l'E. T. 0. U. S.A.61 On attendait d'Hughes qu'ilfasse bnficier les autres de sa grande exprience, et qu'il conseille legnral lui-mme sur les besoins en effectifs, en ravitaillement, commesur les questions d'organisation. Sous ce mandat extraordinaire, aurayon d'action trs tendu, Hughes pouvait se rendre n'importe o, ets'adresser n'importe qui. Toute personne qu'il interrogeait tait dansl'obligation de lui fournir une rponse ou courait le risque de dplaireau commandant suprme62. Les questions qu'Hughes rglait lui-mmetaient dlicates et aussi varies que:

    - la distribution d'alcool;- les besoins matriels de Kay Summersby, chauffeur [45] inspa-

    rable et secrtaire trs particulire d'Eisenhower, qui accompagnait legnral au cours de ses longs voyages;

    - les difficults souleves par les indiscrtions de Patton; et l'alimen-tation des P.G.63

    Hughes abordait tous ces problmes dans le journal qu'il tenait cette poque. La partie relative 1945 se prsente sous la forme d'uncahier carreaux, qui lui fut offert par le gnral Patton.

    Au cours d'une promenade pied, le 4 aot 1944, prs de Widewing,o se tenait le quartier gnral du S.H.A.E.F. en Angleterre, Eisenhoweret Hugues eurent une conversation propos des rations des prison-niers. J'ai eu une longue discussion dans les bois avec Ike, Kay et Ted-der64. Jai parl Ike des remplacements, des P. G., etc., pour expliquer

    60 Stephen E. Ambrose, The Supreme Commander: The War Years of General Dwight D. Eisenhower, GardenCity, Doubleday, 1970, p. 512.61 E.T.O.U.S.A.: European Theater of Operations, U.S. Army: Thtre Europen des Oprations de l'Armedes tats- Unis. [N. du T.]62 24 fvrier 1944. Eisenhower Papers, vol. 3, pp. 1748, 1760.63 P.G.: prisonniers de guerre. [N. du T.]64 Le marchal de l'arme de l'air britannique Arthur W. Tedder, tait commandant suprme adjoint d'Ei-senhower. [N. du T.]

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    pourquoijavais rouspt contre Lee cause de l'utilisation qu'il faisaitde la main-duvre. Il se prend pour un membre du Rotary Internatio-nal65. Ike veut que je prenne le relais; il dit qu'il ne fait pas confiance Lee.tant donn les grandes responsabilits exerces par le scrupu-

    leux gnral J.C.H. Lee (surnomm Jsus-Christ en personne

    66) dansle domaine de l'approvisionnement, cette dclaration a une grande im-

    portance. Lee tait responsable de la logistique pour le TEO. Ainsi,grce son minence grise, Eisenhower avait directement accs la lo-gistique, ainsi qu' de nombreux autres domaines d'activit del'E.T.O.U.S.A.

    Hughes s'intressait normment aux rations des P.G. Il les rduisaitconstamment au-dessous des limites tablies par les officiers chargsdu ravitaillement, qui fondaient leurs demandes d'approvisionnementsur les accords de Genve. La convention exigeait en effet que les pri-sonniers fussent nourris et logs dans les mmes conditions que lestroupes de dpt. Ce qui explique l'inscription porte par Hughes dansson journal, le 31 mai 1943: Jai des difficults obtenir que les ra-tions des P. G. allemands soient rduites67.

    Au cours de l'automne 1944, Hughes djeuna longuement avec Eisen-hower. Pendant le repas, les deux hommes abordrent de nouveau lesujet des rations des prisonniers de guerre.[46]

    Eisenhower trouvait cette question pesante. Ainsi qu'il l'avait dit

    au chef d'tat-major George C. Marshall le 18 septembre: Soit dit enpassant, le fait de s'occuper de cette foule de prisonniers68 devient unvritable problme69.Problme auquel ni Eisenhower ni Marshall nese trouvaient confronts pour la premire fois. En mai 1943, dans unelettre Marshall, Eisenhower s'tait plaint des difficults poses par lacapture de plusieurs centaines de milliers de prisonniers, par les Allis,en Tunisie. Quel dommage de ne pas avoir pu en tuer davantage,avait-il crit dans le post-scriptum, qui a t supprim de certaines di-tions officielles de ses crits70.

    65 Allusion ironique l'esprit de charit qui prside aux actions du Rotary Club. [N. du T.]66 J.C.H.: Jesus Christ Himself (littralement: Jsus-Christ lui-mme). [N. du T.]67 Cette citation du journal d'Hughes ainsi que les autres sont extraites de la transcription effectue parl'auteur du prsent ouvrage et par le colonel Fisher, partir de l'original des crits d'Hughes, section desmanuscrits de la Bibliothque du Congrs, Washington. Le microfilm est disponible dans les Documents deDavid Irving, Microfilm Academic Publishers, East Ardsley, Wakefield, WF3 2JN, West Yorkshire, Grande-Bretagne.68 A la date du ler octobre 1944, 205.337 prisonniers taient aux mains des Amricains, ce qui reprsentait 6% environ des effectifs de l'arme des tats-Unis sous les ordres d'Eisenhower en Europe. [N. du T.]69Dear General: Eisenhower Wartime Lettersto Marshallrassembles par John Patrick Hobbs, Baltimore,The Johns Hopkins Press, p. 205.70 Cette remarque apparat sous forme de post-scriptum typographi sur la copie carbone de l'original de lalettre d'Eisenhower Marshall, envoye le 25 mai 1943. Elle fait partie de la correspondance de Marshall

    qui se trouve Abilene. On la trouve aussi la Fondation George C. Marshall, Lexington, en Virginie. Cetteremarque concerne la difficult pose par le transfert des prisonniers aux bases de l'arrire. Elle a t sup-prime d'au moins deux ditions des lettres d'Eisenhower. Voir note 35du chapitre 11.

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    Hughes conseilla Eisenhower de ne donner aucun ordre crit rela-tif l'alimentation des P.G. et la distribution dalcool71. Le vendredi24 novembre 1944, il transmit un officier subordonn des instruc-tions quant l'importance de garder le secret sur cette question. Vous

    et votre tat-major ne devez en aucun cas communiquer par crit vospoints de vue sur les rations des P. G., dclara-t-il. L'officier devaitgalement s'abstenir d'exprimer haute voix des rflexions telles qu'ilest bien vident qu'il faut se garder dentacher la rputation du com-mandant du thtre. Une semaine plus tard, Hughes inscrivit dans sonjournal: Runion propos des rations des P. G. dans le bureau deJohn.(Une main qui n'est probablement pas celle d'Hughes a trac lemot Littlejohnpour John;Robert Littlejohn, intendant gnral duTEO., tait responsable des stocks de provisions.) Finalement jai pufaireadmettre que les P. G.doivent tre moins nourris, et qu'il ne fautpasleur donner ce que les Franais eux-mmes n'ont pas."Le lundi sui-vant, il fit en personne le compte rendu de cette runion Eisenhower :Lui ai parl des instructions relatives la rduction de nourriture desP. G., ce qui s'est termin par une incitation la prudence - ai finale-ment convaincu Littlejohn72.

    Pour les besoins de sa mission, l'intendant gnral R. Littlejohn cir-culait travers la France bord d'un train particulier. Hughes le ren-contra le 18 janvier 1945 et l'aborda avec prcaution en faisant appel son sens de la loyaut. La lecture de son journal cette date laisse de-

    viner un agacement [47] certain: non seulement il n'a pas pu faire sonvoyage de retour dans le train luxueux de l'intendant gnral, mais il ad passer sept heures avec Codman dans une Buick ! Arrt lE. T. P.G.73 prs de Stenay. Trouve les Allemands en train de manger de plei-nes rations de type B74. Je me demande si je peux expdier ce pro-blme. Hughesessayait d'expdier un autre problme: le gnralLee avait apparemment gaspill des effectifs l'arrire, en les affectant des tches peu urgentes, telles que la garde et l'entretien des campsde P.G.75

    Le journal d'Hughes contient une foule de renseignements aussi di-vers que varis: le nombre de prostitues Reims (3.000), le nombrede permissionnaires accompagnant Eisenhower Cannes (12), les basde soie quIke lui a demand de rapporter pour Kay Summersby, et jus-qu'au nombre de caisses de scotch qu'il a pu lui-mme resquiller (15).

    71 Journal d'Hughes, 4 novembre 1944.72 D'aprs le journal, on ne sait pas exactement lequel dit l'autre d'tre prudent.73 E.T.P.G.: enceinte temporaire pour prisonniers de guerre. [N. du T.]74 Ration de type B. la valeur d'un seul repas froid. [N. du T.]75 Le reproche cynique qui tait fait au gnral Lee reposait sur une relle tendance de cet officier au gas-

    pillage lorsqu'il s'agissait de la satisfaction de ses besoins personnels: il se dplaait en voiture et en avion,habituellement accompagn de toute sa suite, et envoyait souvent son avion en Afrique du Nord pour ycharger des oranges destines son petit-djeuner. [N. du T.]

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    Noys au milieu de ces considrations de haute porte, se trouventnanmoins frquemment mentionns les efforts qu'il faisait pour r-duire les rations des prisonniers76.

    Eisenhower insista personnellement sur le rle dterminant d'Hughes

    dans la rsolution de ces difficults. En effet, dans un cble envoy augnral Somervell qui rclamait le retour d'Hughes Washington, ilavait dit: Je n'ai pas, je le rpte, la moindre envie de me passer deses services. Le fait de le perdre dans la conjoncture actuelle me met-trait dans une situation trs embarrassante. Je suis dsol de ne pou-voir vous rendre ce service77.

    A la fin de 1944, le traitement des prisonniers du front en mainsamricaines tmoignait d'une immense dsorganisation. Le gnralBruce Clarke, de la le arme de Patton, dont l'avance tait trs rapide,ne pouvait se priver d'aucun de ses hommes. Ne disposant pas de gar-diens, il se contenta donc de dsarmer les captifs et d'craser leurs ar-mes sous les chenilles de ses tanks. Il les laissa ensuite libres de traver-ser la France pour rentrer chez eux78. Quelques-uns de ces Allemandsqui [48] s'taient volontairement constitus prisonniers, furent maltrai-ts par des civils franais. Le colonel R.J. Gill, des services du grandprvt du thtre europen79, se plaignit en fvrier 1945 du fait que7004 P. G. seulement, sur un effectif initial de 17.417, taient arrivs destination80. Au cours du mois de mars 1945, en ouvrant des trainsremplis de prisonniers venant d'Allemagne, des gardiens amricains

    trouvrent plusieurs reprises des cadavres l'intrieur des wagons.On dnombra, par exemple, 104 morts Mailly-le-Camp, le 16 mars, et27 autres Attichy81.

    Cette situation irritait Eisenhower, qui se trouvait alors contraint deprsenter des excuses aux Allemands. Je dteste avoir m'excuser au-prs des Allemands, crivit-il Marshall, Washington, propos deson enqute sur les prisonniers accidentellement touffsdans leswagons de marchandises couverts qui les transportaient. J'ai bienpeur cette fois de n'avoir pas dautre choix82.La crainte de reprsailles

    contre les dtenus aux mains des Allemands ne suffisait cependant pas inciter l'arme mieux traiter les P.G. Un autre accident de ce

    76 Les notes relatives toutes ces futilits se trouvent divers endroits du journal d'Hughes (hiver 1944-1945).77Eisenhower Papers, p. 2497.78 Interview du gnral Clarke et du colonel Fisher par l'auteur, Washington, en 1987.79 Au niveau de chaque commandement (thtre, groupe d'armes, arme etc.) se trouve un prvt ougrand prvt charg du traitement de tous les problmes de police pour les troupes en campagne. Le prvta, entre autres charges, celle des camps de prisonniers. [N. du T.]80 Message du colonel R. J. Gill C.M.F., au quartier gnral de la section avance continentale, 17 fvrier1945. R.G. 331, section 2681 Historique de la section du grand prvt, Sec Av. Z Coin. mai 1945, sign par le lieutenant-colonel Valen-tine M. Barnes Jr; N.A.R.S. 332, Section 22, U.S.N.A., Washington.82 Message d'Eisenhower Marshall, 18 mars 1945. R.G. 383.6/10, 31.6, N.A.R.S., Washington.

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    genre se produisit sans qu'Eisenhower prt, cette fois, la peine de pr-senter des excuses, probablement parce que la guerre tait presquetermine et que la menace de reprsailles s'loignait.

    Le gnral de division Milton A. Reckord, grand prvt du thtre des

    oprations, alors responsable de la garde des prisonniers, avertit Eisen-hower que (ces) deux rcents incidents qui ont provoqu la mort de P.G. allemands sont dus une carence de personnel. Cette carence estsi importante, et dure depuis si longtemps, qu'elle est devenue l'l-ment primordial de toutes les oprations relatives au traitement des P.G. 83

    Par l'intermdiaire du quartier gnral du TEO., Reckord avait djcrit au dpartement de la Guerre pour l'informer de la charge de plusen plus lourde que reprsentaient les prisonniers; il s'tait coul plusd'un mois sans qu'il et reu de rponse. Le problme venait en partiedu fait que les Canadiens et les Britanniques n'avaient pas accept larespon[49]sabilit de tous les dtenus qu'ils taient censs reprendreaux Amricains. A la fin de sa lettre, Reckord avait soulign avec gravitque la possibilit de morts supplmentaires (concernait) en haut lieule T.E.0., le S.H.A.E.F. et le dpartement de la Guerre. On peut appr-hender des protestations et des reprsailles, qui compromettraient larputation des tats-Unis devant l'opinion mondiale. Dans la mesure oun tel chec ne serait pas sans consquences en haut lieu il sembleimportant que les officiers concerns sachent que le personnel.. n'est

    pas ravitaill par les voies habituelles.Dans une lettre date de septembre 1944, Eisenhower expliqua sa

    femme, Mamie, pourquoi il dtestait les Allemands: parce que l'Alle-mand est bestial.84 Au mois d'aot 1944, au cours d'un djeuner, ilavait dclar, en prsence de l'ambassadeur d'Angleterre Washington,que quelque 3.500 officiers de l'tat-major gnral allemand devaienttre limins. Il proposait que fussent galement supprims tous lesdirigeants du parti nazi - des maires jusqu'au niveau le plus lev - ain-si que tous les membres de la Gestapo85. Cet effectif se montait un to-

    tal d'environ 100.000 personnes. Ses htes convinrent avec lui qu'ilsuffisait de laisser le champ libre aux Russes en Allemagne, aprs laguerre, pour que les vnements suivent leur cours. Eisenhower dcrtaqu'il fallait diviser l'Allemagne en plusieurs zones, une pour chaque na-tion qui avait t envahie, afin que justice pt tre faite86.

    83 Message du gnral de division Milton A. Reckord, grand prvt du thtre, arme des tats-Unis, aulerbureau du TEO., 20 mars 1945. R.G. 331, section 26, N.A.R.S., Washington.84 The German is a beast. [N. du T.]85 En 1941, il y avait en Allemagne: 63343 htels de ville et plusieurs dizaines de milliers de membres de laGestapo86 Capitaine Harry C. Butcher, MyThree Years With Eisenhower, New York, Simon and Shuster, 1946, p. 610.

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    Alors que les Britanniques et les Canadiens se frayaient un chemin travers la Hollande, la famine commenait menacer les civils hollan-dais bloqus derrire les lignes allemandes. Eisenhower leur fit para-chuter de la nourriture. A ce propos, il crivit Marshall : Jen ai par-

    dessus la tte de traiter(les Allemands) la lgre. Je me suis retenudagir jusqu'ici par crainte daugmenter les souffrances des Hollandais;si l'Allemand ne joue pas le jeu jusqu'au bout, jai rellement l'intentionde le punir ds que jaurai le temps de m'en occuper87.Plus les Alle-mands luttaient dsesprment, plus Eisenhower dcouvrait les atroci-ts des camps de concentration, plus la violence de ses sentiments en-vers l'ennemi s'accroissait; jusqu' ce qu'il en vnt se sentir honteuxde porter un nom allemand88.

    Pensant que le chaos risquait de succder la guerre, et [50]d'entraner en Europe des rvolutions qui rendraient inutile le sacrificedes vies amricaines, ou exigeraient d'autres sacrifices, Roosevelt, avecprvoyance, chargea son vieil ami Sam Rosenman d'une tude de la si-tuation alimentaire mondiale. Le Prsident des tats-Unis tait tout par-ticulirement effray par la perspective de chaos en France. Si le paystait en proie la famine, les communistes auraient beau jeu de mettrele feu aux poudres de la rvolution finale qui, pensaient-ils, mettrait finau capitalisme. Plusieurs autorits voquaient dj le danger d'unepnurie alimentaire mondiale, susceptible d'entraner une agitationcivile travers toute lEurope.

    En fvrier 1945, un gnral de brigade nomm T.J. Davis avertit Ei-senhower qu'on ne pouvait pas tenir le lourd engagement qu'on avaitpris en matire dapprovisionnement, et qui rsultait durait qu'on avaitaccord(aux prisonniers allemands) le statut de P. G.89

    Le compte rendu que fit Rosenman au Prsident, en avril 1945, mon-trait que (c'tait) la pnurie.. de vivres plutt que celle des moyens detransport90, qui(serait), dans un avenir immdiat, le facteur contrai-

    87 Lettre personnelle d'Eisenhower Marshall, 27avril 1945. Bibliothque d'Eisenhower, Abilene.88 Rapport par Stepheil E. Ambrose, au cours d'un entretien avec le colonel Fisher, Washington, dcembre

    1987.89 Message du gnral de brigade T. G. Davis au S.H.A.E.F., l er fvrier 1945, R.G. 331, section 26, N.A.R.S.,Washington.90 Plus de 93 % du rseau des chemins de fer franais fonctionnait au printemps de 1945. Procs-verbal desrunions du rapport Rosenman, section 30, Hyde Park. Cette information fut galement publie par le gou-vernement amricain pour les besoins du Comit interne des Affaires trangres.Le transport des provisions travers le nord-est de la France, proche de l'Allemagne, ne ncessitait en mai1945 que 70 % de la capacit oprationnelle de transport qui avait t celle de l'arme amricaine en f-vrier. En d'autres termes, les besoins de l'arme en ce domaine ayant fortement diminu aprs la fin deshostilits, une norme capacit de transport restait inutilise. Rapports quotidiens sur le tonnage, Q.G. de lasec av Z Coin. 13 mai 1945. R.G. 332, casier 25, N.A.R.S., Washington. Voir galement Bykofsky et Larson,The Technical Services; The Transportation Corps Operations Overseas. Collection The United States Armyin World War Il, Washington, Dpartement de l'arme, 1957.En 1945, sur les ocans, les navires marchands n'avaient jamais t aussi nombreux. Les constructeurs de

    bateaux allis, essentiellement amricains, produisirent plus de navires en 15 mois, au cours des annes1942-1943, que les Allemands n'en coulrent au cours des hostilits. Registres de Lloyds 1939, 1940-1941,1945-1946; et Samuel Eliott Morison, The Battle of the Atlantic, Boston, Atlantic Little Brown, 1961

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