Necromancie la consultation des morts

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Institut d'Archéologie Prof. V. Dasen Séminaire Nécromancie La consultation des morts Tirésias, Orphée et autres apparitions Mottiez Paul-Emile Rte Cantonale 45D 1964 Conthey Semestre de Printemps 2013

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Institut d'ArchéologieProf. V. Dasen

SéminaireNécromancie

La consultation des morts

Tirésias, Orphée et autres apparitions

Mottiez Paul-EmileRte Cantonale 45D

1964 Conthey

Semestre de Printemps 2013

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Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-EmileTirésias, Orphée et autres apparitions

1. Définition de la nécromancie p. 3

2. Les sources écrites p. 4

Apparitions diverses p. 4

Pratiques et rituels p. 5

Tirésias dans L'Odyssée p. 5

Anchise dans L'Enéïde p. 6

Darius dans Les Perses p. 7

Orphée et des têtes parlantes p. 7

Comparaison et commentaire p. 8

L'Odyssée et L'Enéïde p. 8

Les oracles des morts p. 10

Remarques générales p. 10

3. Les sources iconographiques p. 15

Ulysse et Tirésias p. 15

Orphée p. 16

4. Découverte archéologique - Vigna Codini p. 18

Une amulette en or p. 18

Contexte de découverte p. 19

5. Conclusion p. 20

6. Annexes p. 21

7. Bibliographie p. 26

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1. Définition de la nécromancie

Si nous prenons les définitions modernes du terme de Nécromancie, voici ce que l'on en dit :

« Science occulte qui prétend évoquer les morts pour obtenir d'eux des révélations de tous ordres,particulièrement sur l'avenir1. »

« Interrogation, dans un but de divination, des morts, censés survivre et pouvoir communiquer avecles vivants2. »

Il est une chose qu'il nous faut remarquer. Les arts divinatoires sont fort répandus et prennent demultiples formes. Citons pour exemple les oracles, comme celui du célèbre temple de Delphes, oùle dieu Apollon " parle " au travers de la Pythie. N'oublions non plus pas le caractère onirique desconseils d'Asclépios envers les malades auxquels il rend visite la nuit dans ses sanctuaires.Mais qu'en est-il alors de la définition de la nécromancie durant la période antique ? Selon toutevraisemblance, cette divination regroupe trois types de procédés3.

Le premier, l'oniromancie qui, nous venons de le citer avec l'exemple d'Asclépios, donnant unedimension divinatoire aux songes, devait pouvoir mener à cette nouvelle forme de divination qu'estla nécromancie. Les consultants, qui allaient dormir sur des tombeaux bien définis, devaient pouvoirobtenir des rêves révélateurs où, dans la majorité des cas, le défunt invoqué leurs apparaissait.Le second se trouve être la nékyomancie que nous retrouvons dans l'Odyssée, mais également dansl'Enéïde de Virgile. Il s'agit là d'un voyage effectué dans le monde des morts afin d'obtenir lesréponses aux questions posées.Le dernier type est la psychomancie, ou plus exactement l'évocation des ombres. Il consiste àinvoquer les défunts pour qu'ils puissent revenir dans le monde des mortels.

Auguste Bouché-Leclercq met en lumière le fait fort probable d'une évolution des pratiquesnécromantiques où, si l'oniromancie devait être un point de départ, la psychomancie devait suivre àla nékyomancie. Quand il s'agit de jouer avec le monde des morts, il semble préférable de le fairedans le monde des vivants. Ce qu'apparemment Ulysse et Enée auraient fait s'ils avaient euconnaissance d'un autre moyen que celui de se rendre eux-mêmes chez les morts pour les consulter.Mais cette affirmation est à prendre avec des pincettes. Car, comme nous le verrons, le " voyage "en enfer d'Ulysse reste très ambigu4.

Mais malgré tout, nous verrons bien, par les sources dont nous disposons, que les définitionsactuelles de la nécromancie, et qu'importe par quels procédés les consultations sont faites, reflètentbien la volonté antique.Il ne faut en aucun cas s'imaginer des histoires de praticiens relevant des revenants ou des zombies àbut de domination ou rêvant d'immortalité, que la culture populaire moderne tient à lier au termenécromancie, à travers histoires fantastiques, films ou encore jeux vidéo.

1 Petit Robert, 1987.2 Larousse, 1998.3 A. Bouché-Leclercq, 1879, 330-332.4 A. Bouché-Leclercq, 1879, 332.

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2. Les sources écrites

Apparitions diverses

Il ne manque pas de sources écrites sur ce sujet, des apparitions diverses et variées, que cela soitdans des pièces de théâtre, des documents historiques, voire même dans des textes dont la volontéd'écriture se veut scientifique.

C'est notamment le cas dans un passage de Pline l'Ancien, où un certain Gabiénus revient duroyaume des morts avec l'approbation des dieux des Enfers afin de délivrer un message à Pompée :

« [...] Au cours de la guerre de Sicile, Gabiénus, un des plus braves marins de la flotte de César, futpris par Sextus Pompée qui lui fit couper la gorge ; il resta étendu tout un jour sur le rivage, le coutenant à peine au tronc. Vers le soir, ses gémissements et ses prières attroupèrent du monde ; ildemanda que Pompée vînt le voir ou envoyât un de ses intimes : on l'avait relâché des Enfers avec unmessage. Pompée envoya plusieurs de ses amis à qui Gabiénus déclara que les dieux infernauxagréaient la politique et le parti de Pompée, qui étaient légitime ; aussi l'issue des événementsserait-elle conforme à ses vœux ; il avait reçu l'ordre d'annoncer cette nouvelle et il prouverait lavéracité de ses dires par le fait qu'il allait expirer, aussitôt sa mission remplie, et il en fut ainsi. On citeencore des cas de revenants, mais notre enquête a pour objet les faits naturels et non les prodiges5. »

Il ne s'agit pas là du seul fait paranormal relaté par l'auteur. Avant cela, il fait référence à denombreux cas de personnes pouvant séparer leur esprit de leur corps, comme celui d'Epiménide deCnosse6 qui s'endormit durant cinquante-sept ans avant de revenir à lui et qui s'étonna de voir que lemonde avait changé. Pline finit par considérer que ces objets font partie de prodiges sur lesquels ilne tient pas à enquêter car il ne s'agit là, pour lui, de faits non naturels.

Mais l'histoire de Gabiénus montre bien que la croyance en la possibilité d'un retour temporaire dumonde des morts, par l'approbation des dieux des Enfers, est bel et bien présente. Et cet exemplen'en est qu'un parmi beaucoup d'autres, comme tient à le préciser Pline7.

En dehors du cas que nous venons de voir, où les morts prennent l'initiative de revenir dans lemonde des vivants, et qui, selon moi, ne se trouve pas lié à des pratiques nécromantiques, d'autressources relatent des consultations aux morts.C'est le cas d'Hérodote qui, dans le cadre de ses recherches historiques, nous cite une histoire sur letyran Périandre de Corinthe :

« Il (Périandre) fit aussi en un même jour dépouiller de leurs habits toutes les femmes de Corinthe, àl'occasion de Mélisse, sa femme. Il avait envoyé consulter l'oracle des morts sur les bords del'Achéron, dans le pays des Thesprotiens, au sujet d'un dépôt qu'avait laissé un étranger. Mélisse,étant apparue, répondit qu'elle ne dirait ni n'indiquerait où était ce dépôt, parce qu'étant nue, elleavait froid ; les habits qu'on avait enterrés avec elle ne lui servant de rien, puisqu'on ne les avait pasbrûlés. Et, pour prouver la vérité de ce qu'elle avançait, elle ajouta que Périandre avait déposé dansle sein de la mort le germe de la vie.

5 Pline l'Ancien, Histoire naturelle VII, 178-179.6 Pline l'Ancien, Histoire naturelle VII, 175.7 Pline l'Ancien, Histoire naturelle VII, 179.

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Cette preuve parut d'autant plus certaine à Périandre, qu'il avait joui de sa femme après sa mort. Sesenvoyés ne lui eurent pas plutôt fait part, à leur retour, de la réponse de Mélisse, qu'il fit publier parun héraut que toutes les femmes de Corinthe eussent à s'assembler dans le temple de Junon. Elles s'yrendirent comme à une fête, avec leurs plus riches parures ; mais, les femmes libres comme lessuivantes, il les fit toutes dépouiller par ses gardes, qu'il avait apostés dans ce dessein. On portaensuite par son ordre tous ces habits dans une fosse, où on les brûla, après qu'il eut adressé sesprières à Mélisse. Cela fait, l'ombre de Mélisse indiqua à celui qu'il avait envoyé pour la seconde foisle lieu où elle avait mis le dépôt8. »

Pratiques et rituels

Tirésias dans L'Odyssée

Il est sans doute impossible de savoir réellement à quelle époque les Grecs ont commencé à fairecomparaître les morts devant eux en délaissant l'état onirique de leur consultation. Toujours est-ilque l'Odyssée se trouve être le plus vieux document connu de nos jours relatant la pratique de lanékyomancie, plus précisément celle d'un voyage aux Enfers pour consulter les défunts. C'estégalement le plus vieux document relatant le rituel à accomplir afin de pouvoir pénétrer dans lemonde des morts.Dans ce texte, Circé indique avec exactitude le rituel qu'Ulysse devra suivre à la lettre afin depouvoir pénétrer dans les Enfers et converser avec Tirésias :

« [...], quand avec ta nef tu auras passé à travers l'Océan, là, tu trouveras un petit promontoire et unbois de Perséphone, avec des grands peupliers et des saules dont périssent les fruits. Fais aborder tanef à l'endroit même, au bord de l'Océan et de ses tourbillons profonds. Pour toi, entre dans lafangeuse demeure d'Hadès. Là, le Pyriphlégéthon coule dans l'Achéron avec le Cocyte, issu de larupture des eaux du Styx.Au point où les deux fleuves se jettent ensemble, tout mugissants, dans l'Achéron, il y a un rocher.Approche-toi alors, homme preux, jusqu'à l'effleurer, et, comme je t'y invite, creuse un trou de ladimension d'une coudée dans les deux sens. Verse autour une libation pour tous les morts, d'abordavec un mélange de miel, ensuite avec du vin délicieux, en troisième lieu avec de l'eau. Par-dessus,saupoudre la blanche farine d'orge, et multiplie les supplications aux têtes sans force des morts.Dis-leur qu'une fois revenu en Ithaque, tu feras au manoir l'offrande d'une vache stérile, la meilleurequi soit, que tu rempliras noblement le bûcher, et que, pour le seul Tirésias, tu sacrifieras, à part, unbélier tout noir, le plus remarquable de votre troupeau. Puis, quand tu auras adressé ta prière et tesvœux aux tribus fameuses des morts, fais l'offrande d'un bélier et d'une femelle noire, en les tournantsvers l'Érèbe, mais toi, détourne-toi en direction du cours du fleuve.Les âmes des défunts disparus viendront nombreuses. Pour lors, presse tes compagnons etcommande-leur de prendre les bêtes gisant égorgées sous les coups du bronze sans pitié, de lesécorcher et de les brûler toutes, puis d'adresser des vœux aux dieux, au robuste Hadès, à la terriblePerséphone. Toi, tirant ton glaive aigu au long de ta cuisse, reste sans bouger et ne laisse pas les têtessans force des morts s'approcher du sang, avant d'être par Tirésias informé. [...]9 »

L'important dans ce texte est bel et bien ce point précis. Ulysse ne part pas consulter n'importe qui,mais Tirésias. C'était un célèbre devin. Il existe différentes versions sur l'acquisition de son don devoyance, ce qui fait que je ne m'y attarderai pas. Mais le point important est que ce dernier avait

8 Hérodote, Histoires V, 92.9 Homère, Odyssée X, 489-537.

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reçu de Zeus le privilège de conserver, après sa mort, son don. De ce fait, il était le seul à pouvoirrenseigner Ulysse sur sa recherche d'Ithaque.

Anchise dans L'Enéïde

Dans l'Enéïde, bien que restant dans le domaine de la nékyomancie, Virgile nous peint un autretableau :

« [...] Il y avait une caverne profonde, monstrueuse, ouverte en un bâillement énorme, hérissée derocs, défendue par un lac noir et les ténèbres des bois. Nul oiseau ne pouvait dans son vol passerimpunément au-dessus ; tel était le souffle qui se dégageait de ces gorges sombres et montaitjusqu'aux voûtes célestes. La prêtresse y fait d'abord conduire quatre taureaux au dos noir et verse duvin sur leur front ; coupant entre leurs cornes l'extrémité de quelques mèches, elle les dépose dans lesfeux sacrés comme première offrande, appelant à haute voix Hécate puissante au ciel et dans l'Érèbe.D'autres enfoncent les couteaux et recueillent dans des patères le sang tiède. Enée lui-même, pour lamère des Euménides et pour sa puissante sœur frappe de l'épée une brebis à la toison noire et pourtoi, Proserpine, une vache stérile. Alors il élève pour le roi stygien des autels nocturnes, dépose dansles flammes les chairs entières des taureaux, répandant l'huile grasse sur les entrailles ardentes. Etvoici qu'au lever, sur le seuil du premier soleil, le sol commença à mugir sous leurs pieds, lesmontagnes à se mouvoir dans les forêts ; on crut entendre des chiennes, hurlant à travers l'ombre, auxapproches de la déesse. " Loin, loin d'ici, profanes, s'écrie la prêtresse, retirez-vous de tout ce bois ; ettoi entre au chemin, sors le fer du fourreau ; c'est maintenant, Enée, qu'il faut de la vaillance, un cœurferme. " Elle ne dit que ces mots, hors d'elle-même, et s'élança dans l'antre béant ; lui, règle son passur le pas résolu de son guide.10 »

Bien entendu, le lieu à atteindre et le rituel à accomplir sont également décrit. Mais Enée,contrairement à Ulysse, ne se contente pas de rester sur le seuil des Enfers. Il prend la décision d'yentrer en tant que mortel afin, non pas de converser avec un grand devin, mais de rencontrer sonpropre père, Anchise, qui révèlera l'avenir qu'il voit de sa propre lignée.Les différences sont de taille et l'enjeu également. De plus, la Sybille l'avertit du danger quereprésente cette démarche.

« [...], il est facile de descendre en l'Averne : elle est ouverte nuit et jour, la porte de sombre Dis, maisrevenir sur ses pas, se retrouver libre sous les souffles d'en haut, voilà ce qui est l'affaire et quidemande effort.11 »

C'est pour cette raison qu'elle ordonne au héros d'aller en quête d'un rameau d'or que plus tard elleoffrira à Charon, afin d'en apaiser la colère et pouvoir traverser sans encombre le Styx.12

10 Virgile, Enéïde VI, 237-263.11 Virgile, Enéïde VI, 126-129.12 Virgile, Enéïde VI, 405.

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Darius dans Les Perses

Bien que se rattachant au monde perse, Echyle nous peint également le tableau d'une évocation, oùle rituel semble bien relater une pratique psychomantique13. Cette hypothèse peut s'appuyer sur lefait que, lors de la venue du roi Darius, autant son épouse Atossa que le chœur qui l'accompagne,peuvent voir son ombre.Dans ce texte, le rituel est également décrit. Atossa arrive sur le tertre de son défunt mari, portantdes offrandes14. Puis, il s'ensuit tout un chant et une danse d'évocation, faits par le chœur afin deprier Darius de revenir parmi les vivants :

« Lui, l'éternel Roi, lui, l'égal des bienheureux, m'entendra-t-il faire jaillir ce cri de notre languebarbare, lugubre lamentation ? Plein de souffrance, plaintif, je l'appelle, lui, m'entend-il, dansl'abîme ? Vous, écoutez, Terre, écoutez, vous, souterrains maître des morts, ô souverains seigneurs,faites sortir notre aimé, le fils de Suse, dieu perse! Des profondeurs, guidez-le jusqu'en terre perse, leRoi sans pareil ! Tombe adorée ! L'homme adoré, l'âme adorée repose ici; Aïdonée, mène-le à lasurface, Aïdonée, notre Darios, l'incomparable ! Èhé ! Aucun revers, aucune perte, aucun désastremilitaire, sa pensée, digne des dieux, pensée divine pour les Perses savait conduire notre armée. Èhé !Ô mon Grand Roi, ô mon vieux Roi, viens-nous vite ! Viens au-dessus de ton tertre ! Que tesbabouches safranées apparaissent, resplendisse la cime de la tiare impériale ! Père infaillible, viens ànous, Darios ! Oï ! Viens vite apprendre les souffrances nouvelles, Maître du Maître, montre-toi ! Unbrouillard monte du Styx, âcre venin, mort ! Tous nos jeunes sont perdus, tous, ils ont disparu ! Pèreinfaillible, viens à nous, Darios ! Oï ! Aïaï ! Aïaï ! Larmes, sanglots pour nos aimés perdus !Pourquoi, Seigneur, ô Seigneur, pourquoi ce double égarement s'abat-il sur tes biens ? Ta terre, toute,a perdu ses barques triples ! Battus, nos bateaux abattus !15 »

Orphée et des têtes parlantes

Un autre personnage important ayant un lien avec le monde des morts est Orphée. Comme Enée etquelques autres héros, celui-ci avait entrepris un voyage dans les Enfers. Son but n'était pas laconsultation, mais la volonté d'en faire ressortir son amour, Eurydice, afin qu'elle puisse revivre àses côtés dans le monde des mortels. Bien entendu, à cause de la perfidie des dieux infernaux, iléchoua. Malgré tout, lui-même ressortit des Enfers.Mais le destin d'Orphée demeure très particulier. Ovide nous raconte comment les femmes thracesdéchiquetèrent son corps, à la suite de quoi sa lyre et sa tête furent emportées par le fleuve jusqu'àLesbos :

« [...] Les membres d'Orphée gisent dispersés. Tu reçois sa tête, ô Hèbre, et sa lyre; et - prodige ! -tandis qu'elle est emportée au milieu de ton fleuve, cette lyre plaintivement fait entendre je ne saisquels reproches, plaintivement la langue privée de sentiment murmure, plaintivement répondent lesrives. Et maintenant emportés à la mer, ces restes abandonnent le fleuve de leur patrie et prennentpossession du rivage de Méthymne à Lesbos.16 »

13 La frontière séparant le monde onirique et le monde conscient durant les évocations se trouve être parfois trèsmaigre. Les rêves pouvaient apparaître avec un tel réalisme que la venue du défunt pouvait porter la confusion dansl'esprit du consultant quant à son propre état durant la consultation.

14 Eschyle, Les Perses, 597.15 Eschyle, Les Perses, 633-680.16 Ovide, Les métamorphoses XI, 276.

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Cette histoire de la tête d'Orphée est d'autant plus intéressante que Philostrate fait mention d'unsanctuaire oraculaire en son honneur :

« Il (Apollonius) aborda ensuite à Lesbos et visita le sanctuaire d'Orphée. On dit qu'Orphée aimait àprédire l'avenir en cet endroit, avant qu'Apollon lui-même se fût chargé de ce soin. En effet, il étaitarrivé que l'on n'allait plus demander l'avenir, ni à Grynée, ni à Claros, ni dans aucun des autresendroits où il y avait un trépied d'Apollon : Orphée seul, dont la tête était récemment arrivée deThrace, rendait des oracles à Lesbos. Mais Apollon vint l'interrompre : " Cesse d’empiéter, lui dit-il,sur mes attributions ; il n'y a que trop longtemps que je souffre tes oracles. " 17 »

Ce genre d'histoire n'est pas la seule que nous retrouvons dans les textes. Nous pouvons citerplusieurs exemples de têtes coupées parlantes, comme le souligne Aristote dans un commentaire surle rire :

« On prétend aussi que des blessures de guerre dans la région du diaphragme provoque le rire, àcause de la chaleur qui se dégage de la blessure. Car ce fait, rapporté par des gens dignes de foi, estplus croyable que ce que l'on raconte de la tête d'homme qui parlait après avoir été coupée ! Certains,à l'appui de cette assertion, vont jusqu'à citer Homère qui ferait allusion à ce fait quand il dit: " Elleparle encore, que déjà sa tête est dans la poussière ", et non " il parle ". Et en Carie, on a si bien cru àla réalité du fait qu'on est allé jusqu'à faire passer en jugement un habitant du pays. En effet, le prêtrede Zeus Armé ayant été tué sans qu'on sût par qui, quelques personnes prétendirent avoir entendu satête coupée dire plusieurs fois: " Kerkidas a commis meurtre sur meurtre. " Aussi l'on chercha quidans le pays s'appelait Kerkidas et on le jugea.18 »

Nous pouvons également citer l'histoire extraordinaire de Polycrite, que nous relate Phlégon deTralles dans son De mirabilibus19, dans laquelle, non seulement le spectre de Polycrite revient parmiles vivants de sa propre initiative, mais où ce dernier finit aussi par dévorer le corps de son enfant,hormis sa tête qui dévoilera par la suite un oracle aux Etoliens.Une autre histoire d'une tête oraculaire est aussi décrite dans le chapitre trois du De mirabilibus. Ils'agit là du général romain Publius qui fut dévoré par un loup roux, à la suite de quoi, sa tête, quigisait par terre, proféra des vers.

Comparaison et commentaire

L’Odyssée et l’Enéïde

Bien que se référant tous deux à la pratique de la nékyomancie, les textes d'Homère et de Virgilecomportent des éléments différents. Bien entendu, le but des deux héros, Ulysse et Enée, sontatteints. Comme nous l'avons vu précédemment, Enée ne se contente pas de rester devant l'entréedes Enfers, mais il y effectue un voyage. Est-ce cette différence qui fait que le rituel qu'il effectue,avec l'aide de la Sybille, se trouve être différent de celui effectué par Ulysse ?Il s'agit là d'une question qui restera sans doute sans réponse. Toutefois, Ulysse se contentantseulement de faire venir Tirésias à lui, il n'a nul besoin de trouver une offrande pour Charon,comme dû le faire Enée en apportant un rameau d'or.

17 Philostrate, Vie d’Apollonius de Tyane IV, XIV.18 Aristote, Les parties des animaux, 673a.19 Phlégon de Tralles, De mirabilibus, chap. 2.

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Nous pouvons voir l'ensemble des deux rituels pour établir leurs ressemblances ainsi que leursdifférences20.Dans l'Odyssée, Ulysse doit se rendre auprès d'un rocher qui se trouve être là où le Pyriphlégéthonet le Cocyte se jettent ensemble dans l'Achéron. A cet endroit, ce dernier creuse, contre le rocher, untrou d'une coudée dans les deux sens. Autour, il y verse une libation d'un mélange de miel, de vindélicieux et d'eau. Il saupoudre cette libation de farine d'orge blanche, en faisant des promesses auxmorts. Après quoi, il coupa le cou d'un bélier et d'une femelle noire dans la fosse. Alors, les âmesdes défunts sortirent de l'Érèbe et s'assemblèrent autour du trou. Puis les compagnons d'Ulysseécorchèrent les deux victimes et les brûlèrent. Enfin, Ulysse adressa des vœux à Hadès etPerséphone, et sortit son glaive afin d'empêcher les morts de boire le sang des victimes, sangréservé à Tirésias.Enée, quant à lui, se rend devant une profonde caverne, ressemblant à un gouffre, défendue par unlac noir et un bois ténébreux. Ici, c'est la prêtresse qui commence le rituel. Elle amène quatretaureaux au dos noir et verse sur leur front des libations de vin. Ensuite, elle coupe entre leurscornes, le bout des poils et les jette dans un feu sacré, en invoquant Hécate. Les taureaux ont ensuitele cou tranché et leur sang est recueilli dans des patères. Enée, quant à lui, égorge une brebis noirepour la mère des Euménides, Nyx, et sa sœur, Érèbe21, ainsi qu'une vache stérile pour Proserpine.Puis il dresse des autels au roi du Styx et livre les chairs des taureaux. A la suite de quoi, dèsl'apparition du soleil, le sol mugit et la Sybille s'élance dans la grotte, suivie d'Enée.

Après l'analyse de ces deux cérémonies, le premier point à soulever est que, dans un cas commedans l'autre, ces dernières se déroulent devant les portes des Enfers. Les autres points communs sontque les compagnons des deux héros ont un rôle durant le rituel, bien que ce rôle soit différent d'untexte à l'autre. Dans l'Odyssée, ceux-ci s'occupent d'écorcher les victimes et de les brûler. Dansl'Enéïde, ils égorgent les taureaux et en récoltent le sang. En parlant des autres protagonistes, Ulyssesuit les indications de Circé, qui ne se trouve pas présente avec lui. Alors que de l'autre côté, c'est laprêtresse qui démarre le rituel, à la suite de quoi Enée y prend part.Les libations sont également différentes. Ulysse en effectue une de miel, de vin et d'eau autour d'untrou qu'il a creusé et sur lequel il répand de la farine d'orge. De son côté, Enée ne fait aucunelibation. C'est la prêtresse qui la pratique. Mais elle se contente d'une simple libation de vin, ici nonpas autour d'un trou, mais sur le front des taureaux. Après quoi elle en coupe les poils devant êtremouillés et les jette dans un feu sacré. De son côté, le seul feu dont parle Homère est celui danslequel les victimes sont brûlées.Les animaux utilisés pour le sacrifice sont aussi très différents. Dans l'Enéïde, quatre jeunestaureaux au dos noir, une brebis noire et une vache stérile y sont décrits. De son côté, bien qu'Ulyssepromette aux morts, une fois de retour en Ithaque, le sacrifice d'une vache stérile en plus d'un béliernoir uniquement pour Tirésias, il n'utilise que deux béliers pour le rituel, un mâle dont la couleurn'est pas mentionnée et une femelle noire. Quant au sang des victimes, il se laisse couler dans letrou qu'avait creusé Ulysse. Et le héros doit protéger ce sang afin que seul Tirésias ne le boive, pourque celui-ci puisse, en quelque sorte, revenir à la vie. Dans l'Enéïde, ce sang est recueilli dans despatères, mais le texte ne précise pas son utilisation. Il n'explique pas non plus le rôle des autels quedresse Enée. Nous pouvons supposer que ces patères y seraient déposées. Le dernier pointconcernant les victimes est commun aux deux textes. Les chairs sont brûlées.

20 Voir tableau Annexe 121 A la Nuit et aux Ténèbres souterraines

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Hormis ces différences dans leur rituel, ces deux textes en possèdent encore quelques-unes qui nesont pas sans importance. Mais ces dernières, entrant dans un cadre plus large de la nécromancie,seront développées plus en comparaison des autres sources citées auparavant.

Les oracles des morts

Si nous nous penchons sur le cas des têtes coupées, nous avons vu précédemment quatre casd'oracle. Comme le fait remarquer Brisson22, le plus ancien de ces exemples est probablement celuide la tête d'Orphée. Mais si le texte décrit bien que la tête parle, il faut le revoir plus en détail :

Il est à remarquer qu'il est stipulé ici que la lyre émet aussi du bruit, une chose qui semble sansimportance pour Philostrate qui n'en fait pas mention lorsqu'il nous parle du sanctuaire d'Orphée àLesbos. En plus de cela, le texte parle simplement de murmures. Ces paroles, elles-mêmes émisespar la tête d'Orphée, semblent d'une moins grande importance que le fait qu'Orphée puisse continuerà parler. Et rien n'indique un caractère prophétique. Ce qui est différent des deux oracles que nousretrouvons dans le De mirabilibus.Les têtes, que ce soit celle du général Publius ou celle de l'enfant de Polycrite, émettent clairementun oracle. De plus, la ressemblance de ces deux textes est frappante. Dans le premier cas, un louproux apparait et dévore le corps de Publius, à la suite de quoi sa tête vaticine. Dans le second, ils'agit de Polycrite lui-même dévorant son propre enfant en y laissant que la tête qui, par la suite,établit un oracle.Le cas de Gabiénus, décrit par Pline l'Ancien, peut être également rapproché du thème des têtescoupées, bien que celle de ce dernier ne soit pas totalement détachée de son corps. Mais toutefois,dans ce dernier exemple, le défunt rapporte la parole des dieux des Enfers d'une manière claire.Quant au cas auquel fait référence Aristote, les paroles émises par la tête du prêtre de Zeus Armé nesemblent pas être d'ordre oraculaire, mais elles ne désignent que simplement le meurtrier de cedernier.

Dans la mesure où ces textes proviennent du même auteur, il semble logique que les histoires dePolycrite et de Publius présentent de grandes ressemblances. Mais, en dehors de cela, il est difficilede trouver des points communs entre ces différents textes, hormis deux choses : Ce sont des têtesqui parlent, manifestement après avoir subi une mort violente.

Remarques générales

A la vue de ces différents éléments, il serait mal venu de classifier d'un côté les voyages d'Ulysse etEnée, de l'autre les têtes coupées parlantes, puis les autres sources.Premièrement car certains textes ne donnent pas assez de détails pour pouvoir être classifier sansémettre de doutes. Et deuxièmement, bien que les manières de procéder soient différentes, ces textesfont tous partie d'un même thème de divination.

Certaines questions peuvent rester en suspens. Tous les morts peuvent-ils prédire d'avenir ?

22 L. Brisson, 1978, 117.

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Selon l'Odyssée, il est clair que seul Tirésias en est capable. Ce fait est illustré par la venue d'autresmorts qui, en plus de ne pas connaître l'avenir, ne semblent non plus pas en mesure de savoir ce quise passe dans le présent du monde des vivants. Quelques morts ne peuvent s'empêcher dequestionner Ulysse. C'est le cas de sa mère :

« Mon enfant, comment as-tu fait pour venir, quand tu es en vie, sous les brumes de l'occidentobscur ? [...] Arrives-tu ici à présent de la Troade, vagabondant depuis longtemps avec tescompagnons et ta nef ? Tu n'es pas encore allé en Ithaque ? Tu n'as pas encore vu ta femme, dans tonmanoir ?23 »

Puis d'Agamemnon :

« [...] peut-être avez-vous appris que mon fils vit encore ? A Orchoménos peut-être, dans l'aréneusePylos, ou peut-être chez Ménélas, dans la large Sparte ?24 »

Ou encore d'Achille :

« [...] Mais va, dis-moi un mot de mon merveilleux fils : est-il ou non venu à son tour à la guerre, poury combattre des premiers ?... Et dis-moi si tu as quelque nouvelle du noble Pélée : est-il encore honoréparmi la foule des Myrmidons ? Ou bien le tient-on sans honneur à travers l'Hellas et la Phthie, parceque la vieillesse s'empare de ses mains et de ses pieds ?...25 »

Il faut toutefois avouer que, si la pratique de la consultation des morts ne devait que se résumer àconsulter ce défunt devin, ce dernier devait avoir un agenda plutôt chargé. Heureusement pour lui,et comme nous l'avons vu précédemment avec Anchise, Orphée et d'autres textes, ce n'était pas lecas.Pourtant, le questionnement de ces morts au sujet du monde des vivants est bien présent. L'Odysséen'est pas le seul texte qui y fait référence. Quand, dans Les Perses, Darius est invoqué par sa veuveAtossa, ce dernier semble lui aussi ignorant de ce qui se déroule chez les vivants :

« Fidèles des Fidèles, compagnons d'antan, vieillards de Perse, quel mal tourmente ma cité ? [...] dequelles nouvelles peines les Perses souffrent-ils ?26 »

Mais est-ce une totale ignorance ? Celui-ci sait, d'une certaine manière, que quelque chose se trame.Le seul problème est qu'il s'en sait pas plus. Il posera toute une série de questions à Atossa, qui luirépondra. Après quoi les Perses demanderont conseil à Darius. Une chose très étrange que l'onconstate dans cette partie du texte est que, si Darius commence par donner un véritable conseil, ilfinit tout de même par dire qu'il sait que " L'armée qui se trouve maintenant sur le sol des Grecs neconnaîtra jamais le retour ni le salut.27 ".Cette phrase dénote un caractère prophétique. Mais, il est tout à fait possible que, suite auxinterrogations de Darius et aux réponses qu'il eut en retour, celui-ci ne fit que prédire un avenir,conséquence logique des évènements présents.Si, dans le cadre de la visite de spectres, la question de savoir si n'importe quel mort peut prédire

23 Homère, Odyssée XI, 127-171.24 Homère, Odyssée XI, 445-492.25 Homère, Odyssée XI, 492-536.26 Eschyle, Les Perses, 681-694.27 Eschyle, Les Perses, 796-797.

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l'avenir semble trouver une réponse. Cette question, dans le cadre des têtes parlantes, peut aussi êtreliée à une autre : Est-ce le mort lui-même qui parle ?Aucun élément ne semble dire le contraire. Sans précision dans les textes, la logique veut que laquestion ne se pose pas. Il est certain que Gabiénus parle lui-même au nom des divinités des Enfers.Orphée étant déjà revenu des Enfers une fois, rien ne permet de douter qu'il ne sache plus en revenirpour y faire des prédictions. Le prêtre de Zeus Armé semble parler de lui-même, bien qu'Aristoteprécise dans ce texte que c'est la tête qui parle et non le propriétaire initial de cette tête.Les paroles de Publius prêtent à confusion. Ce dernier ne parle pas de sa tête comme étant la sienne,mais il déclare " notre tête " et encore " une tête divine ". Cependant, la dernière phrase étonne :

« Ce sont des choses véridiques que t'a dites Phoibos Apollon Pythien, qui m'a envoyé son puissantserviteur pour me conduire vers les demeures des bienheureux et de Perséphone.28 »

Cette phrase laisse supposer qu'il s'agit à la fois des paroles de Publius et d'Apollon. Ou alors, il estpossible de la comprendre dans le sens que le début de la prédiction fut énoncée par Apollon. A lasuite de quoi, Publius reprit la parole de sa propre tête.Mais il est aussi très étonnant de constater que l'enfant de Polycrite, qui semble être un nouveau-néau moment des faits, puisse parler. Pourtant c'est bien lui qui s'adresse à la foule des Etoliens :

« Et c'est pour cela que la mort a épargné ma tête et qu'elle n'a pas fait disparaître indistinctementtous mes membres, mais m'a laissé sur terre.29 »

Il est difficile de pouvoir voir clair dans ces textes. Surtout que Phlégon, tout comme Aristote, nousdit que ce sont les têtes, de Publius et de l'enfant de Polycrite, qui parlent. Cette précision n'auraitpas lieu d'être si nous étions certains qu'il s'agissait des paroles de la personne à laquelle la têteappartenait.Quoi qu'il en soit, le fait de ne pouvoir donner de véritables réponses sur ce point est une chose quisemble voulue par les différents auteurs. Cet univers veut rester dans le flou. Comme Ulyssesemblant se trouver à la fois dans le monde des vivants et des morts, personne ne peut dire qui sepermet de parler à travers des têtes coupées.

Une autre question demeure également en suspens : Existe-t-il un rituel en ce qui concerne les têtescoupées ? Et si c'est le cas, quel est-il ?Les morts n'en font-il qu'à leur tête ? C'est ce que nous pourrions penser. Au contraire d'Ulysse etd'Enée, la pratique des têtes parlantes ne semble pas connaître de rituel particulier à accomplir avantleur consultation. Nous serions tentés de dire qu'il y a une différence entre le fait que ces deuxderniers héros effectuent un voyage chez les morts, alors que dans l'autre cas, les morts reviennentchez les vivants pour parler. Toutefois, dans l'exemple de Darius, Atossa effectue bien un rituel avecplusieurs libations de lait, de miel, d'eau, de vin, ainsi que des offrandes d'olives et de fleurstressées, pour faire revenir son mari parmi les vivants.30 Nous retrouvons ici des éléments queUlysse et Enée ont également utilisés. Mais même s'il n'existe aucun voyage et que, contrairement àl'Odyssée et à l'Enéïde, le rituel ne se déroule pas devant la porte des Enfers, l'apparition de Dariusse trouve être également un spectre.

28 L. Brisson, 1978, 116.29 L. Brisson, 1978, 87.30 Eschyle, Les Perses, 609-618.

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Les textes relatant les histoires de têtes coupées ne présentent aucun rituel apparent. Le seul pointcommun et macabre que nous pouvons faire remarquer est que chacune de ces têtes appartinrent àdes personnes s'étant faites tuées de manière brutale.Tout en restant critique car ne s'agissant pas véritablement d'une tête coupée, un texte d'Héliodoreparlant d'une vieille nécromancienne, pourrait donner quelques éléments de réponse :

« La vieille mère, pensant que nul ne la dérangerait, ni ne la verrait, commença par creuser un troudans la terre. A droite et à gauche elle alluma deux foyers, entre lesquels elle déposa le corps de sonfils. Puis elle prit successivement sur un trépied placé à côté, trois coupes d 'argile, qu'elle vida dans letrou : l'une était remplie de miel, la seconde de lait, la troisième de vin. Elle prit ensuite un gâteau defarine qui figurait un homme, le couronna de laurier et de fenouil et le jeta dans le trou. Enfin, elleramassa une épée, et agitée de mouvements frénétiques, adressa à la lune des invocations dans unelangue barbare et étrange. Elle se fit une incision au bras, recueillit le sang avec une branche delaurier et en asperge le foyer. Après d'autres pratiques non moins étonnantes, elle se pencha sur lecadavre de son fils, lui murmura à l'oreille je ne sais quelles incantations, et cette sorcière parvint à leréveiller et à le faire se dresser sur ses pieds. [...] la vieille [...] interrogeait le cadavre. Elle luidemandait si son frère, le fils qui lui restait, reviendrait sain et sauf. Aucune parole ne sortit de sabouche, mais il fit un signe de tête que la mère pouvait interpréter comme une réponse favorable, puiss'affaissa soudain et s'allongea la face contre terre. Elle retourna le corps sur le dos et, loin derenoncer à obtenir une réponse claire, elle réitéra avec plus de force encore les moyens de contraintequ'elle avait déjà employés, le harcelant de ses incantations, et bondissant l'épée à la main, tantôtvers le feu, tantôt vers la fosse. Elle le réveilla une seconde fois, et quand il se fut dressé, elle lui posala même question et le contraignit à répondre, non point par des signes équivoques, mais par desparoles claires. [...] le cadavre, d'une voix sourde et rauque qui semblait sortir de la terre ou desprofondeurs d'une caverne, prononça ces parole : [...]31 »

La description de ce rituel permet de le comparer aux textes de l'Odyssée et de l'Enéïde.32 En effetbien différent de ces deux derniers par son emplacement, quoiqu'un champ de cadavres pourraits'apparenter à une porte des Enfers, et dans sa manière de procéder, les éléments de la libationdemeurent très ressemblants, tout comme l'utilisation de feu, ou encore le creusement d'un troucomme le fit Ulysse.Toutefois le but de la personne pratiquant le rituel n'est pas un voyage vers le monde des morts. Ils'agit de faire revenir le défunt dans le monde des vivants et ce dernier finit par se mettre à parler,comme le feraient nos chères têtes coupées. La seule différence est que, dans ce dernier cas, le corpstout entier du jeune homme est utilisé et se dresse debout pour parler de vive voix.

Lorsque nous voyons le caractère secret de ce rituel, que cette vieille femme tente de cacher à touteautre personne, et l'image diabolique qu'en ont les deux voyeurs qui y assistent en cachette, il n'estpas étonnant de ne trouver sur ce sujet que des textes flous, évasifs et ambigus.Mais finalement, l'idée sur le monde des morts reste constante : Il est difficile d'en revenir. 33 Ce qui

31 Héliodore, Ethiopiques VI, XIV-XV.32 Voir tableau Annexe 133 Cette idée se retrouve dans plusieurs texte :

« [...] on l'avait relâché des enfers avec un message [...] » - Pline l'Ancien, Histoire naturelle VII, 178-179.« [...] Il est facile de descendre à l’Averne. La porte du noir Pluton est ouvert nuit et jour. Mais revenir sur ses pas et remonter à la lumière d’en haut, c’est là le pénible effort [...] » - Virgile, L’Enéïde VI.« [...] le chemin est malaisé, il est même bien difficile, car les dieux d’en bas sont meilleurs pour nous saisir que pour nous relâcher [...] » - Eschyle, Les Perses, 689-691.« [...] Il ne m'est pas possible, en effet, à cause des maîtres du monde souterrain, de passer plus de temps. » -

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fait qu'il n'est pas étonnant de voir, autour de la nécromancie, un mystère bien caché où lespratiques divinatoires sont contre nature et diaboliques. Malgré tout, cela n'exclut pas le fait que,probablement, ces pratiques devaient être plus courantes que ce que ces textes nous laissententendre.34

Phlégon de Tralles, De mirabilibus, chap. 2.34 C. A. Faraone, Necromancy goes Underground, 2005, 256.

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3. Les sources iconographiques

Contrairement aux sources écrites, la nécromancie est un thème que nous retrouvons bien plusrarement dans les représentations iconographiques connues à ce jour. A aucun moment, l'imageried'Anchise et d'Enée ne présente leur rencontre au cœur des Enfers. Les seules représentations de cesdeux protagonistes ne se retrouvent que dans le cadre de leur fuite de Troie. Un instant où Anchisese trouve encore vivant.

Ulysse et Tirésias

C'est en se rapprochant des thèmes de l'Odyssée qu'il est possible de voir apparaître la consultationdes morts. Mais toutefois, la rareté de ces représentations ne permet pas une analyse satisfaisante.Certaines pièces nous sont parvenues de manière fragmentaire. Il s'agit, entre autre, du cas d'unbuste en marbre retrouvé en 1939 dans le village moderne de Samothrace dont K.Lehmann-Hartleben rapprocha les traits physiologiques à ceux de Tirésias et qui pourrait appartenirà un groupe statuaire plus important.35

Toutefois, quelques œuvres nous sont parvenues de manière intacte.Le premier exemple est un cratère attribué au peintre de Dolon, datant de 440-390 avant J.-C..36

Dans cette composition, Ulysse se trouve au centre, tourné vers la gauche, entre deux personnagesdebout qui seraient peut-être Euryloque et Périmédès.37 Il tient son épée dans la main. Aucunélément ne précise le cadre de la scène, mise à part un empilement de pierres dont Ulysse se sertcomme siège. La tête de Tirésias émerge du trou creusé par Ulysse auprès duquel gisent les victimessacrifiées.Un autre exemple d'Ulysse consultant Tirésias se retrouve sur un relief en marbre datant duquatrième quart du Ier siècle après J.-C..38 Cette scène est différente. Elle se déroule dans une grotte.Tirésias est assis sur un rocher à droite. Tenant un sceptre, il est enveloppé d'un manteau et unecouronne, ou un bandeau, entoure sa tête. Ulysse, dans l'attitude du consultant, est debout en face delui, le corps légèrement en avant et le pied de la jambe gauche, sur laquelle repose ces avant-bras,est appuyé sur une pierre. Il pointe son épée devant lui.

Le dernier exemple que nous citerons ici fait également partie de la consultation des morts d'Ulysse,bien que la scène représentée soit différente. Celle-ci se retrouve sur une pélikè attique à figuresrouges, attribuée au peintre de Lycaon, datant des environs de 440 avant J.-C..39 Bien que lacomposition ressemble fortement à celle du cratère du Cabinet des Médailles de Paris, l'épisodereprésenté diffère.Ulysse est toujours assis sur un rocher au centre de l'image, tourné vers la gauche. Les deuxvictimes, dont le sang coule en direction du trou, se trouvent à ses pieds. Il tient son épée afin demenacer les morts qui tenteraient de boire le sang réservé à Tirésias. Le héros écoute son défunt amiElpénor qui, à sa droite, sort de la terre et des roseaux représentant l'entrée marécageuse des Enfers.

35 O. Touchefeu-Meynier, 1968, 134.36 Paris : Cabinet des Médailles de la Bibliothèque Nationale, 422 - Voir Annexe 2.37 Homère, Odyssée XI, 1-37.38 Paris : Musée du Louvre, 574 - Voir Annexe 3.39 Boston : Museum of Fine Arts, 34-79 - Voir Annexe 4

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Cette ombre, bien que d'apparence musclée, s'appuie sur les rochers environnants pour mettre enévidence la faiblesse des " têtes sans force des morts ".40

Le troisième protagoniste se trouvant sur la scène ne figure pas dans le Chant XI de l'Odyssée.Hermès est représenté à droite, derrière d'Ulysse. Cette présence divine peut s'expliquer assezaisément car ce dernier se trouve être à la fois le conducteur des morts aux Enfers, mais égalementcelui des vivants rendant visite à ceux-ci. Ce fut le cas d'Héraklès et d'Orphée pour lesquelles lesexemples iconographiques ne manquent pas.41

En conclusion, la rareté des illustrations de ce thème homérique déçoit. Il semble difficile de croirequ'à l'époque archaïque ce sujet ait pu effrayer les artistes ou leurs clients éventuels, alors que lesœuvres littéraires tendraient à en démontrer le contraire. Il est possible que la difficulté technique dereprésenter graphiquement des morts, de manière vivante, en soit la cause. Alors que l'épisodelui-même du sacrifice des victimes se trouvaient être facilement réalisable. Quoi qu'il en soit, lethème qui finit par être représenté, devait être vraisemblablement assez connu à l'époque romainepour qu'une représentation schématique comme celle du relief précédemment cité soit comprise.42

Orphée

Orphée se situe dans un cas plus ou moins similaire. Ses représentations très diverses se retrouventbien maigres si l'on n'en garde uniquement l'épisode où sa tête, coupée, se met à parler.Je ne ferai que relever ici le fait que le chapitre de sa mort, où il est sauvagement tué par les femmesthraces, se retrouve assez souvent. Nous pouvons voir aussi quelques images représentant une deces meurtrières tenir, à hauteur de son visage, la tête d'Orphée dans sa main gauche.43 Un passagequi n’est pas relevé dans les métamorphoses.

Cependant la tête elle-même d'Orphée établissant des oracles se retrouve au moins sur trois vasesattiques. Au centre des compositions, apparait la tête du jeune homme, flottant dans le champ.La première se trouve sur une hydrie attique à figures rouges, datant de 440-430 avant J.-C.. 44 Surcelle-ci, un homme couronné, un pied appuyé sur un rocher et tenant de la main gauche deux objetslongs et minces ressemblant à des bandes ou des bâtons45, s'adresse à une tête, identifiée commeétant celle d'Orphée. La scène est entourée de femmes, qui pourraient être des Muses, portants desinstruments de musique.L'autre représentation de cette scène ne fait que substituer l'homme couronné, à Apollon.

La seconde est représentée sur une coupe attique à figures rouges, datant de 420-410 avant J.-C.. 46

A droite de la scène, Apollon porte une branche de laurier dans la main gauche et pointe, de l’autremain, une personne assise sur un rocher. Cette dernière écrit, sur une tablette, le chant oraculaired'Orphée, dont la tête se trouve sur le sol, au centre de la scène.

40 Homère, Odyssée XI, 1-37.41 O. Touchefeu-Meynier, 1968, p. 135-136.42 O. Touchefeu-Meynier, 1968, p. 143-144.43 Lécythe à figure rouge sur fond blanc, Bâle : Marché de l’art - Voir Annexe 5

Hydrie à figure rouge, Paris : Cabinet des Médailles de la Bibliothèque Nationale, 456 - Voir Annexe 644 Bâle : Antikenmuseum, BS 481 - Voir Annexe 745 Selon M. Schmidt, ce serait des cordes. Et selon Graf, il s’agirait de lances.46 Cambridge : Fitzwilliam Museum, 463 - Voir Annexe 8

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Il est intéressant de noter que si, dans la première composition, la bouche de la tête d'Orphée nesemble pas demeurer ouverte, annonçant ses paroles, cela n'est pas le cas de la deuxième dont labouche l'est clairement, alors que la personne assise écrit le flot de paroles qui s'en écoule.Il faut noter que, devant la divergence chronologique entre ces images et les sources écrites, il futavancé que le scribe de la coupe de Cambridge n'écrivait pas des prophéties, mais plutôt des poèmesd'Orphée47 ou des ordonnances48. Alors que la transcription des oracles fut, en Grèce antique, l'unedes premières applications de l'écriture.

47 Selon Nilsson48 Selon Graf

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4. Découverte archéologique - Vigna Codini

Un des questionnements que nous pouvons également soulever est de savoir si les pratiques de lanécromancie, dans le monde gréco-romain, ont laissé des traces archéologiques. La réponse à cetélément semble relativement difficile à donner.Les pratiques magiques, au même titre que ce que nous avons vu jusqu'ici, possèdent leur part demystère. De plus, il ne faudrait pas oublier que la recherche dans ce domaine est relativementrécente. Les possibilités de liens avec des pratiques occultes ont souvent été écartées des possibilitésd'interprétation des anciennes découvertes archéologiques. Mais toutefois, parmi ce chaos,Christopher A. Faraone revient sur l'étude d'une découverte faite en 1852 par Gaetano Canestrelli.49

Une amulette en or

Cette année-là, Canestrelli découvrit, dans un columbarium, à côté du tombeau des Scipions deVigna Codini, une petite plaque en or. Plus d'une demi-douzaine d'interprétations différentes ontdécoulé de cette découverte et, pour alimenter la controverse, cette dernière avait disparue durantprès d'un siècle.Toutes les personnes qui l'ont examinée s'accordent sur le fait que cette tablette demande à un dieud'accorder la victoire sur un ennemi ou sur le mal. Mais il ne s'agit là que de l'idée généralecommune qui en ressort. En réalité il y eut, jusqu'au réexamen de Faraone, deux tendances majeureset divergentes sur l'interprétation paléographique du texte retrouvé sur cette pièce.

En 1944, Campbell Bonner émit l'hypothèse selon laquelle la tablette invoquait le dieu Aiôn sous laforme d'un serpent afin de protéger son propriétaire de l'attaque de serpents. Par la suite, HenriSeyig publia un article dans lequel il confirma cette hypothèse, en l'accompagnant d'unephotographie de la plaque, dont voici la transcription :

"Aἰὼν ἑρπέτα κύριε Σάραπι δὸς νείκην κατὰ τῶν ὑπὸ πέτραν""Aiôn, Serpent, Seigneur Sérapis, donne la victoire sur ceux qui sont sous la pierre."

Cette idée de lecture devint la référence durant les trente années qui la suivirent. Mais, en 1985, uneseconde hypothèse fut présentée par David Jordan qui fournit alors un nouveau dessin, offrant dumême coup une lecture bien différente du document :

"Aἰωνεργέτα, κύριε Σάραπι δὸς νείκην κατὰ τῶν ὑπογεγραμ [μένων...]""Travailleur éternel, Seigneur Sérapis accorde la victoire sur ceux qui sont écrit ci-dessous..."

D'après Jordan, la tablette donnerait la victoire sur un nombre d'ennemis dont les noms auraient étéinscrits sur une partie inférieure qui aurait disparu. Mais, quelques années plus tard, Roy Kotanskydans son corpus d'amulettes, reprend cette interprétation en y rajoutant deux abréviations quiauraient été omises, donnant ainsi le texte suivant :

"Aἰωνεργέτα, κύριε Σάραπι, δὸς νείκην κατὰ ὀ(νομάτων) τῶν ὑπογεγραμ(μένων)"

49 C. A. Faraone, A Gold Amulet and a Ceramic Pot, 2005, 27-43.

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"Travailleur éternel, Seigneur Sérapis donne la victoire sur les noms écrits ci-dessous."

Jordan et Kotansky sont de très bons épigraphistes. Mais malgré tout, Faraone accueille avecréticence cette nouvelle hypothèse et préfère celle émise auparavant par Bonner-Seyrig, dont l'undes points vise à contrôler " ceux qui sont sous la pierre ", bien que sa propre interprétation sedéplace dans une direction différente. Car pour lui, " ceux " sont les morts qui se trouvent sous leur" pierre " tombale.

Contexte de découverte

A première vue, la découverte d'une tablette en or n'a pas à se retrouver liée à notre sujet. Pourtant,écarté des débats sur l'interprétation de cette dernière, le contexte archéologique permet un nouveléclairage sur l'utilisation de cette plaque.

En réalité, celle-ci a été découverte dans un cadre inhabituel. Elle fut placée dans la bouche ducrâne d'un homme. Ce dernier, très bien conservé, fut enfermé dans une urne en terre cuite avantd'être placé dans ce columbarium jouxtant le tombeau des Scipions et dont les sépultures datent duIer siècle avant, au Ier siècle après J.-C..Les études concernant la tablette le mentionnent bien. Mais cela ne demeurait qu'un simple détailannexé à la découverte, car ces études préféraient se concentrer uniquement sur l'exploitation dutexte. Il est clair que, dans de telles conditions, il devient difficile de se prononcer en faveur de l'unedes deux interprétations que nous venons de citer ci-dessus.

Faisant un parallèle avec l'obole à Charon, il a vite été conclu que cette plaque était une amuletteutilisée par un homme afin de se protéger durant sa vie et qu'elle fut placée dans sa bouche après samort, pour maintenir cette protection dans l'au-delà.50

Si pour Bonner les ennemis sont des reptiles, alors que pour Jordan et Kotansky il s'agit de maladiesou d'humains, il faut toutefois constater l'existence d'un désaccord entre cette utilisation de latablette et le contexte de sa découverte. Cette tablette, introduite dans la bouche d'un humain dontseul le crâne a été mis dans une urne, puis enterré, est pour Faraone le signe plutôt évident quecelle-ci fut d'abord utilisée dans une pratique de la nécromancie.Pour appuyer ses dires, celui-ci présente des relations entre cette découverte et l'utilisation de crânesdans les pratiques de la nécromancie que nous retrouvons dans deux textes mésopotamiens datantdu Ier siècle avant J.-C.51. Il effectue également un parallèle de cette utilisation dans le monde juif.La constatation est que, au terme de ces rituels, le sorcier prend bien soin de retourner le crâne àl'endroit où celui-ci se trouvait à l'origine. Autrement dit, de bien le remettre sous terre, afin quel'esprit, dont on pensait qu'il était toujours lié au crâne, puisse retourner dans l'au-delà.

Un autre élément faisant terriblement penser à cette découverte se trouve être une anecdoteconcernant le roi de Sparte, Cléomènes.52 Celui-ci avait tué son ami Archonidès, lui avait coupé latête afin de la conserver dans un pot rempli de miel, dans le but de pouvoir consulter l'avenir dèsqu'il le souhaitait.

50 Seul Seyrig suggère que l'amulette fut écrite uniquement dans un but de protection dans l'après-vie.51 C. A. Faraone, A Gold Amulet and a Ceramic Pot, 2005, p. 35.52 Hélien, Histoire variée XII, 8.

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Dans le même ordre d'idées, il est possible de penser que Périandre ait volontairement omis debrûler les vêtements de sa femme Mélisse afin que, ne pouvant pas franchir l'Achéron, elle puisserevenir plus facilement dans le monde des vivants.

Tous ces éléments nous rappellent bien toutes les histoires de têtes coupées parlantes que nousavons vues précédemment. Et pour appuyer l'idée de retourner le crâne dans le sol pour faireretourner l'esprit du défunt dans l'autre monde, nous pouvons citer un passage de l'histoire dePolycrite, où la tête de son enfant nous révèle ceci :

« Et c'est pour cela que la mort a épargné ma tête et qu'elle n'a pas fait disparaître indistinctementtous mes membres, mais m'a laissée sur terre. Eh bien ! Allez, exposez ma tête en plein jour, et n'allezpas la cacher sous la terre ombreuse ; [...]53 »

Finalement, il devient clair que le contexte de cette trouvaille dans ce columbarium de Vigna Codiniamène à penser à une utilisation dans le cadre d'une pratique de la nécromancie. Toutefois plusieursquestions restent en suspens.Était-ce une amulette de protection portée par le nécromancien, afin de lui accorder la victoire surles spectres qu'il invoquait ? Mais dans ce cas-là, pourquoi la retrouver dans la bouche d'un crâne ?Cette victoire inscrite sur la plaque n'était-elle pas, au contraire, destinée au défunt lui-même afind'éviter que n'importe quel mort ne puisse venir à la place de ce dernier ? Ou alors, cette amuletteavait-elle été destinée uniquement à la restitution du crâne, afin de faire retourner l 'esprit dans leroyaume des morts, ou alors pour empêcher de le voir reparler à nouveau ?Le débat reste, pour le moment, ouvert.

5. Conclusion

Au regard des éléments que nous venons de voir, il est très clair que nous pourrions pousser l'étudeplus loin. Je pense surtout au côté symbolique que nous pourrions trouver au travers des élémentsdécrits dans les différents rituels des textes.Il faut également constater qu'en comparaison des sources écrites, l'iconographie manquecruellement. De plus, l'intérêt pour le sujet étant relativement récent dans le domaine del'archéologie, avec ce seul exemple de Vigna Codini, ce dernier ne permet pas pour le moment defaire une étude comparative avec d'autres découvertes. Des découvertes qui, je l'espère, se feront unpeu plus nombreuses à l'avenir.Quoi qu'il en soit, pour notre temps, le domaine de la magie, qu'il soit un sujet de fascination ou desuperstition, tiendra à garder pour lui une grande part de ses mystères.

53 L. Brisson, 1978, p. 87

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6. Annexes

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Nécromancie - La consultation des morts Mottiez Paul-EmileTirésias, Orphée et autres apparitions

7. Bibliographie

Sources

Aristote, Les parties des animaux, texte établi et traduit par Pierre Louis, Les Belles Lettres, 1956

Eschyle, Les Perses, traduit du grec par Guillaume Boussard, Ed. du Relief, 2009

Hélien, Histoire variée XII, traduit par A. Lukinovich et A.-Fr. Morand, Les Belles Lettres, 1991

Héliodore, Ethiopiques VI, XIV-XV, texte établi par R. M. Rattenbury, T. W. Lumb et traduit par J. Maillon, Les Belles Lettres, 1938

Hérodote, Histoires V, texte établi et traduit par Ph.-E. Legrand, Les Belles Lettres, 1946

Homère, Odyssée, édition établie et traduit par Louis Bardollet, R. Laffont, 2004

Ovide, Les métamorphoses, traduit, introduit et notes par Joseph Chamonard, GF Flammarion, 1999

Philostrate, Vie d'Apollonius de Tyane IV, traduit par Alain Chassang, Sand, 1995

Phlegon de Tralles, De mirabilibus, texte établi par A. Giannini et traduit par L. Brisson, " Aspects politiques de la bisexualité. L'histoire de Polycrite " in Hommages à Maarten J. Vermaseren, Leiden, 1978, p. 80-122.

Pline l'Ancien, Histoire naturelle VII, texte établi, traduit et commenté par Robert Schilling, Les Belles Lettres, 1977

Virgile, Enéïde VI, texte établi et traduit par Jacques Perret, Les Belles Lettres, 2007

Ouvrages généraux

P. Grimal, Dictionnaire de la Mythologie grecque et romaine, Paris, 1951

LIMC II 2, 1984

LIMC VII 2, 1994

Ouvrages

A. Bouché-Leclercq, Histoire de la divination dans l'antiquité, Paris, 1879

D. Ogden, Magic, Witchcraft, and Ghosts in the Greek and Roman Worlds : a Sourcebook, Oxford, 2009

O. Touchefeu-Meynier, Thèmes odysséens dans l’art antique, Paris, 1968

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Articles particuliers

L. Brisson, " Aspects politiques de la bisexualité. L'histoire de Polycrite " in Hommages à Maarten J. Vermaseren, Leiden, 1978, p. 80-122.

C. A. Faraone, " A Gold Amulet and a Ceramic Pot : Evidence for Necromancy in the Vigna Codini ", MHNH 5, 2005, p. 27-43

C. A. Faraone, " Necromancy goes Underground " in S. I. Johnston and P. T. Struck, Mantike: Studies in Ancient Divination, 2005, p. 255-282

M.-X. Garezou, " La tête oraculaire d’Orphée " in LIMC VII 1, 1994, p. 88-101-102

W. Lambrinudakis, " Apollon und Orpheus " in LIMC II 1, 1984 p. 290

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