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c a n a d a

Catherine Ferland

Boissons, buveurs et ivresses en Nouvelle-France

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s e p t e n t r i o n

bac c h u s en

c a n a d aBoissons, buveurs et ivresses

en Nouvelle-France

Catherine Ferland

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Les éditions du Septentrion remercient le Conseil des Arts du Canada et la Société de dévelop pement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) pour le soutien accordé à leur programme d’édition, ainsi que le gouvernement du Québec pour son Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres. Nous reconnaissons éga lement l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Pro gramme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition.

Révision : Solange Deschênes

Correction d’épreuves : Sophie Imbeault

Mise en pages et maquette de couverture : Pierre-Louis Cauchon

Illustration de la couverture : Bacchus en Canada, Sophie Moisan, 2009. Acrylique sur toile, 48 x 36. Collection privée. De la quatrième : La Cuite, Sophie Moisan, 2007. Acrylique sur toile, 24 x 36.

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À Daniel

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liste des tableaux

tableau 1. Brasseurs de bière de la colonie, 1639-1766 43tableau 2. Origine régionale des brasseurs canadiens et de leurs 45

épousestableau 3. Les récoltes de céréales au Canada, 1688-1734 52tableau 4. Prix de la bière au Canada, xviie-xviiie siècles 58tableau 5. Importation de vin au Canada 74tableau 6. Importation de vins de liqueur au Canada, 1734-1742 79tableau 7. Importation d’eau-de-vie commune au Canada, 88

1733-1752tableau 8. Entrées des liqueurs et eaux-de-vie de qualité au Canada, 90

1734-1752tableau 9. Importation de tafia et guildive au Canada, 1732-1754 95tableau 10. Comparaison du coût des boissons par petites mesures, 122

années 1739-1741tableau 11. Hiérarchie des boissons au Canada, 1739-1756 123tableau 12. Droits d’entrée sur les boissons alcooliques au Canada, 130

xviie et xviiie sièclestableau 13. Part du revenu du Domaine d’Occident provenant des 131

droits sur les boissons alcooliques, 1735-1744tableau 14. Ration quotidienne d’alcool des malades (ml/jour) à 139

l’Hôtel-Dieu de Québec, 1664-1763tableau 15. Fréquence de la demande de boissons alcooliques dans 154

les pensions associées aux donations, 1690-1759tableau 16. Salaire annuel des hauts fonctionnaires de l’État et des 174

administrateurs judiciaires du Canada, 1738-1743

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préambule

L ’aube se lève sur Québec. La blafarde lueur du jour jette ses premières lumières sur une petite rue située non loin du port. un

aubergiste balaie le porche de son établissement en attendant que ses habitués, pour la plupart des charretiers mais aussi des journaliers, viennent s’attabler. Le pain et le petit barriquet d’eau-de-vie sont déjà prêts pour leur petit-déjeuner. Dans une remise attenante à l’auberge sont entreposés les tonneaux de bière et quelques bouteilles de vin d’Espagne promises à un habitant pour la noce de son fils, à côté desquelles se trou-vent quelques flacons d’eau-de-vie destinés aux Amérindiens de passage. La ville encore assoupie s’éveille lentement.

Des rumeurs de fête créent pourtant une note incongrue dans cette quiétude matinale. Depuis plusieurs jours, une intense agitation trouble le repos des habitants du quartier. À quelques rues de là, quelques car-rioles s’alignent devant la vaste propriété de pierre d’un gentilhomme. Comme aux jours précédents, l’assemblée s’est réunie sur le coup de huit heures du soir pour prendre un copieux souper, accompagné comme il se doit de plusieurs bouteilles de vin et de liqueur. Après tout, il faut recevoir dignement le gouverneur de Montréal, de passage à Québec. On a ensuite dansé au son des instruments à cordes et l’on a, bien entendu, porté plusieurs santés à l’intendant, ainsi qu’à l’amphitryon de la soirée. Des participants se sont joints tardivement à l’assemblée, de sorte que les carrioles ont circulé sans relâche pendant toute la soirée et toute la nuit.

À présent, malgré le jour naissant, le bal refuse de mourir, et les der-niers échos d’un menuet font danser la vingtaine de convives qui restent. La perruque un peu de travers, un groupe d’hommes chante quelques couplets grivois. Les femmes affichent une mine pâle et défaite, qu’elles tentent bien de camoufler à grand renfort de poudre et de rouge. Vers six heures, on se résigne enfin à quitter le bal. Des gentilshommes au pas mal assuré offrent le bras aux demoiselles un peu grises qui les accompa-gnent. On grimpe comme on le peut dans les carrioles et chacun rentre chez soi. Le jour venu, les plus délicats iront à la confesse afin d’obtenir

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l’absolution : l’approche de Pâques remue un peu les consciences. Mais il semble impensable de renoncer aux bals et aux soirées, comme l’exige l’évêque ! On ira donc voir ce bon prêtre reconnu pour sa mansuétude à l’égard des bals.

Bien au frais à la cave de l’hôte, des bouteilles de graves, de muscat, de frontignan et de malaga sont entreposées dans un panier, attendant la prochaine occasion d’illuminer les tables et d’enluminer les figures.

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avant-propos

B ibero ergo sum. Clin d’œil à la célèbre locution latine Cogito ergo sum (je pense donc je suis), la petite inscription insolente figurait

bien en évidence au centre des armoiries du Festival étudiant de l’uni-versité du Québec à Chicoutimi. Si l’adage m’a immédiatement plu, c’est non seulement par son efficacité quasi publicitaire, mais aussi par tout l’univers de sens qu’il évoquait. Non pas que j’aie régulièrement pris part à ces nombreux partys qui animaient la vie universitaire – bien qu’il me soit arrivé à plus d’une reprise de regarder ce bon vieux Bacchus bien en face ! En fait, c’est plutôt l’espèce de communion spontanée qui se produit lorsqu’on boit en bonne compagnie qui m’a toujours fascinée. Les êtres humains buvant ensemble finissent toujours par développer et observer une sorte de code de conduite qui, même s’il est implicite et intangible, n’en est pas moins réel. Sur quoi ces comportements reposent-ils ? Pourquoi les femmes et les hommes boivent-ils différemment ? Que se produit-il lorsqu’il y a transgression ? Ces questionnements, qui déjà interpellaient la jeune étudiante que j’étais alors, allaient bientôt se retrouver au cœur de mes préoccupations de chercheuse.

À l’origine de ce livre se trouve en effet ma thèse doctorale, réalisée à l’université Laval de 2000 à 2004, sous la direction des professeurs Laurier turgeon et Alain Laberge. Je tiens à remercier tout particuliè-rement Laurier turgeon, dont la rigueur et les vastes connaissances en histoire et en ethnologie m’ont permis de pousser mon projet doctoral beaucoup plus loin : son soutien ne m’a jamais fait défaut et je lui en saurai toujours gré. Il me faut également souligner l’appui matériel et financier du Département d’histoire de l’université Laval, du CELAt et de la Fondation de l’université Laval au cours de mes recherches doctorales. une large part de la révision de mon manuscrit a été réalisée pendant mon stage postdoctoral. Je veux donc remercier encore une fois le CELAt, l’université du Québec à Montréal ainsi que le professeur Alain Beaulieu, qui a gentiment accepté de superviser mes travaux postdoctoraux qui

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portaient sur le tabac. Il faut admettre que mes intérêts scientifiques me ramènent irrémédiablement aux substances psychotropes !

Autour de la préparation de ce livre ont aussi gravité plusieurs per-sonnes qui ont contribué à sa qualité. Je veux saluer monsieur Claude Janelle, responsable de l’édition au Secrétariat général du ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, à Québec, pour la générosité avec laquelle il m’a permis de puiser dans la magnifique collection de photographies d’artefacts trouvés à la place Royale. Merci à toute l’équipe des éditions du Septentrion pour son soutien tout au long du processus. Et, bien sûr, un immense merci à l’incroyable artiste Sophie Moisan, dont les pinceaux ont su donner vie de manière si colorée à mes chers buveurs de la Nouvelle-France.

Personne ne sera surpris d’apprendre que la qualité d’un livre (ou son existence même) repose en grande partie sur l’appui des proches, qui nourrissent l’auteur de leur amitié et lui permettent de maintenir la flamme toujours vive. Merci à Caroline, Sophie-Marie, Geneviève, Annie, Sophie, Mylène, Sébastien et tous les autres : nos rencontres, même brèves ou sporadiques, m’ont apporté infiniment plus que je ne saurais l’exprimer. C’est cependant à ma merveilleuse famille que j’offre le fruit de mon labeur : à mes parents et surtout à Daniel, mon irremplaçable époux, dont la confiance et l’appui m’accompagnent avec constance dans mes nombreux projets.

une pensée pour l’avenir : même si je suis historienne, donc par défini-tion intéressée aux choses du passé, ce qui est à venir m’interpelle au plus haut point, particulièrement à travers mes enfants, Évelyne, Édouard-Laurent et Eugénie. Je vous aime, mes poussins ! Maman a enfin fini « son livre d’histoire » !

Enfin, un remerciement particulier à vous, lectrice ou lecteur, qui osez ouvrir ce « gros » livre et dont le regard glisse à présent sur ces mots. Pourquoi ne pas vous servir un petit verre et vous laisser imprégner par les échos des ivresses de vos ancêtres ? Bon voyage dans le temps, et à votre santé !

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introduction

Les boissons sont dans le monde ; elles ne sont pas un commen-

taire sur le monde, elles ne sont pas une surface ni un profond

modèle des relations qui existent dans le monde. Elles sont aussi

réelles que la brique ou le mortier. Elles sont de ces choses qui

constituent le monde1.

Boire est une pratique culturelle ancienne et complexe. Il y a plus de 6 000 ans que les premières populations humaines ont

découvert le procédé de fermentation et commencé à utiliser des boissons de céréales et de fruits, comme la bière et le vin. Bien que les boissons al-cooliques soient intimement liées à l’alimentation, leur capacité à induire l’ivresse les a rapidement distinguées des aliments et des autres boissons. Cette propriété a fait en sorte de les situer dans une catégorie bien à part, celle des aliments « magiques », où tout un univers de sens codifie les façons de préparer et de consommer ces liquides au goût prononcé et aux effets mystérieux.

Or, les manières de boire sont loin d’être figées et immuables : elles connaissent certaines adaptations lorsqu’elles se retrouvent dans un nouvel environnement culturel. Au même titre que l’alimentation, les vêtements ou le logement, boire exprime l’évolution des cultures et leur adaptation au changement, dans l’espace et dans le temps. Il peut donc être intéressant de suivre le passage des boissons alcooliques d’un milieu à un autre, d’une culture à une autre. Comment cette pratique culturelle s’implante-t-elle dans un nouvel environnement, par exemple en contexte de colonisation ?

Le Canada des xviie et xviiie siècles constitue un terrain d’observa-tion particulièrement fertile pour aborder le transfert des pratiques du boire. Les boissons alcooliques sont présentes dès le début de l’aventure coloniale, sur les premiers vaisseaux français qui abordent les rives du Saint-Laurent. Le site de la première habitation de Champlain, à Québec, a révélé de nombreux artefacts liés à la consommation de cidre, de bière

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et de vin. Ces témoins archéologiques, joints aux écrits des premiers explorateurs et missionnaires du Canada, ne laissent aucun doute quant à la précocité de la consommation de boissons alcooliques dans la colonie. En s’implantant dans ce contexte neuf, l’alcool et l’ivresse s’adaptent aux particularités locales, mais contribuent aussi à façonner la vie quotidienne des habitants de la petite colonie française d’Amérique du Nord.

Puisque boire s’immisce dans presque toutes les sphères de la vie quo-tidienne, l’étude de cette pratique permet d’aborder une riche palette de comportements sociaux, chez la population tant canadienne qu’autoch-tone. La colonie offre en effet la possibilité de cerner la dynamique de la consommation d’alcool chez ces deux groupes fort différents : d’une part, le groupe des colons français qui doivent redéfinir leurs manières de boire face à des réalités très éloignées de celles de la France ; d’autre part, le groupe des Amérindiens face à une nouvelle pratique qu’ils doivent in-tégrer à leur propre système culturel. Depuis longtemps, l’historiographie canadienne laissait entendre que les boissons alcooliques avaient joué un rôle important dans l’évolution de la colonie à l’époque de la Nouvelle-France, mais on ne savait pas exactement quelles étaient ces boissons, quel était leur poids dans l’économie, pas plus qu’on ne connaissait leur importance réelle dans les relations sociales, culturelles et interculturelles de la colonie. Bref, on n’avait qu’une idée bien vague de la manière dont elles avaient contribué à façonner l’histoire. Ce livre veut donc combler cette lacune en s’attardant à tous les maillons de la chaîne : d’abord aux boissons alcooliques elles-mêmes, puis aux buveurs (et parfois buveuses) et à leurs manières de boire, et enfin aux ivresses qui sont vécues dans le Canada des xviie et xviiie siècles.

Pourquoi boire ?On pourrait dire qu’il existe autant de raisons de boire qu’il y a de buveurs. Mais, si la consommation de boissons alcooliques est un acte multidimensionnel et complexe, il est néanmoins possible de dégager trois grandes catégories de motivations qui prévalent dans le monde oc-cidental des xviie et xviiie siècles, notamment en Nouvelle-France. Inutile de réinventer la roue : il s’agit de la division tripartite classique entre le physiologique, le social et le spirituel.

Boire peut reposer sur des motivations de nature physiologique, qui impliquent l’équilibre biologique du buveur. En plus de figurer en bonne place auprès des aliments sur la table familiale, les boissons fermentées sont au cœur des stratégies de prévention des maladies ou de guérison,

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ce qui explique pourquoi bien des peuples très anciens ont placé la bière ou le vin au centre de leur alimentation quotidienne. Leur valeur médicinale est encore très présente dans les mentalités européennes aux xviie et xviiie siècles. On boit à dessein de soigner une indisposition ou

L’Ordre de Bon TempsIl y a longtemps que les monarques et les chefs d’État ont compris que les boissons alcoo-liques peuvent servir à maintenir la bonne humeur des populations qu’ils gouvernent. Samuel de Champlain le sait pertinemment lorsqu’il fonde l’Ordre de Bon temps à Port-Royal (Acadie) en 1606, après une année particulièrement difficile pour ses hommes. Les membres de ce groupe assument tour à tour la fonction de maître d’hôtel, le temps d’un repas : chacun boit et mange en oubliant, pour quelques heures, les aléas de la rude vie coloniale. Plus tard, les dirigeants de la jeune Nouvelle-France n’oublient pas cette importance accordée à la bonne chère. En août 1672, un poème buriné dans les pages du registre du tribunal seigneurial de Ville-Marie clame que :

Pour vivre heureux et sans chagrin, pour bannir de nous tout souciFaisons la cour à de bon vin, et le disons à notre ami.La bonne chère ne sert de guère, si l’on est point accompagnéEt l’on croit qu’elle est entière, quand on boit à sa santé.

L’Ordre de Bon Temps, Sophie Moisan, 2009. Acrylique sur toile, 30 x 40. Adaptation libre du tableau The Order of Good Cheer, 1606, réalisé par Charles William Jefferys en 1925 et dont l’original appartient à Bibliothèque et Archives Canada.

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de favoriser la convalescence. Les propriétés curatives et prophylactiques attribuées au vin en font littéralement une panacée médicale, tandis que l’eau-de-vie, l’eau ardente du Moyen Âge, intéresse prodigieusement les populations européennes et coloniales par son caractère tonique. La sensation de chaleur ressentie en absorbant une boisson est généralement perçue « comme bénéfique pour la santé, puisque la vie dans le corps est elle-même une sorte de flamme à ranimer2 ». La médecine médiévale et moderne considère généralement que « le vin aide à déboucher les vais-seaux obstrués » et de façon générale, tous les « conduits » organiques3. Certains considèrent qu’une légère ivresse occasionnelle contribue à la santé du corps ainsi qu’à la tranquillité de l’âme ; on croit même qu’il est normal et même sain pour les hommes dans la fleur de l’âge de s’enivrer deux fois par mois, cela permettant de nettoyer l’organisme et d’éliminer le trop-plein de bile susceptible d’encombrer le corps de la jeunesse frin-gante4. Bref, au moment de la fondation de la Nouvelle-France, les boissons alcooliques sont clairement perçues comme des substances dont l’usage adéquat, en fonction de l’âge et du genre, est garant d’une bonne santé.

Boire peut aussi s’appuyer sur des motivations qui relèvent de la convi-vialité, de la distinction et du sentiment d’appartenance. Les individus qui partagent un même repas, une même boisson, laissent plus facilement tomber leurs réserves et peuvent entrer en communication avec plus de confiance. Selon le sociologue Claude Fischler, l’alcool agit comme un « lubrifiant social, c’est-à-dire un moyen de lever les inhibitions naturel-les de l’individu, d’effacer provisoirement les barrières dressées par les usages, les réticences, les difficultés de communication », en établissant un espace d’intimité et de communication, de relation interpersonnelle5. Boire représente donc une occasion de montrer qu’on adhère à un même système de références. Signalons qu’aux xviie et xviiie siècles la consom-mation d’alcool se conjugue en genre et en nombre, en plus d’intéresser un espace, un temps social. D’abord, boire correctement signifie la prise d’une boisson alcoolique à l’intérieur du cadre socialement prescrit : les repas, les assemblées de compères et les occasions festives cautionnent et conditionnent, en quelque sorte, la consommation d’alcool. Le toast constitue peut-être la démonstration la plus éclatante de la convivialité. Le choix d’une boisson et d’un lieu de rassemblement devient souvent une stratégie d’identification et de distinction socioprofessionnelle. Ensuite, boire est une pratique socialisée et socialisante. À ce titre, l’acte de lever le coude ne se conjugue positivement qu’au multiple : le buveur solitaire (tout comme l’abstinent) est frappé d’ostracisme, alors que les convives attablés ensemble réaffirment le lien identitaire qui les unit. Cela

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s’explique par le fait qu’être ensemble justifie socialement la consomma-tion, pendant que la consommation favorise la sociabilité. Boire seul et ne pas boire constituent donc des attitudes jugées négativement par les sociétés des xviie et xviiie siècles. Enfin, boire est une pratique sexuée : de manière générale – et il s’agit d’une tendance lourde dans l’histoire de la consommation des boissons enivrantes, dans tous les pays et à toutes les époques – les boissons alcooliques sont essentiellement destinées aux hommes. Le discours officiel, médical aussi bien que religieux, est formel : boissons et femmes ne font pas bon ménage. Bien boire, c’est donc boire au masculin, le boire féminin risquant toujours de basculer dans le ridi-cule ou l’inconvenant, voire l’obscène ou le tragique.

Boire peut enfin relever de considérations se rapportant à la dimension métaphysique de l’existence, comme le rapprochement à la divinité ou l’accès à un univers symbolique au moyen de l’ivresse. Si les boissons alcooliques sont fréquemment associées à un culte religieux, ce n’est cependant pas toujours à dessein d’atteindre l’ivresse. Dans le cas de la religion catholique, c’est même plutôt le contraire : elles sont vues comme des substances ambiguës puisqu’elles recèlent une haute importance symbolique, mais sont également porteuses de la menace de l’ivresse, un péché aux contours imprécis et menaçants. Si le vin fait étroitement partie du rituel eucharistique de l’Église catholique romaine, où sa charge sym-bolique en fait une substance quasi magique, les autres boissons et surtout l’eau-de-vie ne jouissent pas d’un tel prestige. En définitive, « l’alcool recèle les paradoxes propres au fait qu’il se trouve associé en même temps au bien et au mal, à l’interdit et au prescrit, à la liberté et à la dépendance, au religieux et au profane, à la vie et à la mort6 ». Cette ambiguïté sera au cœur de nombreux questionnements aux xviie et xviiie siècles, tant en France qu’en Nouvelle-France.

En considérant la pluralité des motivations sous-jacentes à la consom-mation d’alcool, il est aisé de comprendre à quel point cette pratique culturelle permet d’accéder à de riches champs de l’expérience humaine, depuis le rapport au corps jusqu’au rapport avec le sacré, en passant par les rapports sociaux de genre et de classe. Convenons cependant que les buts recherchés par la consommation d’alcool relèvent fréquemment de plus d’un ordre : les fonctions et les motivations du boire sont à l’image des sociétés dont elles émanent, c’est-à-dire complexes et polysémiques, ce qui ajoute encore à l’intérêt de les démystifier. Quelles sont les fonctions alimentaires, médicinales, socioculturelles et spirituelles que l’on attribue au boire, et qui construisent les manières de boire, en France et surtout en Nouvelle-France ?

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Le boire au Canada : une historiographie discrètePeu de chercheurs se sont intéressés au boire canadien des xviie et xviiie siècles, qu’il s’agisse de la circulation des boissons alcooliques, de leur consommation par les colons et les autochtones ou des ivresses qui en découlent. Il faut investiguer du côté de la France, de l’Angleterre et des États-unis pour trouver des études portant sur des thèmes analogues.

Le point de départ d’une étude sur la consommation d’alcool est bien sûr l’étude des boissons alcooliques elles-mêmes, de leur production ou de leur importation dans la colonie. Lorsque nous avons entrepris cette étude, force fut d’admettre que l’historiographie canadienne en cette matière s’avérait plutôt mince. Les ouvrages relatifs à l’économie coloniale ne manquent pas, mais, lorsque les boissons alcooliques y sont évoquées, on ne les distingue habituellement pas des autres produits de commerce7. L’analyse des rouages de la production, de l’importation et de la distribution des boissons alcooliques au Canada était donc à faire.

La consommation des boissons alcooliques n’est guère mieux connue. En fait, l’étude du boire a longtemps été à la remorque de l’histoire de l’alimentation : il n’y a qu’une quinzaine d’années que les historiens français considèrent l’alcool comme une catégorie véritablement dis-tincte8. Au Canada, quelques chercheurs ont exploré la consommation alimentaire d’un point de vue culturel. Le colloque Manger : de France à Nouvelle-France organisé par la société québécoise des ethnologues en 1989, ainsi que les travaux sur la gastronomie québécoise menés par Marc Lafrance et Yvon Desloges ont permis de redécouvrir le patrimoine culi-naire ancestral et de demythifier certaines croyances, mais offraient peu d’informations sur les boissons alcooliques9. En 2001, Bernard Audet a proposé une synthèse des connaissances actuelles en histoire de l’alimen-tation pour la période coloniale française, mais, encore là, l’ouvrage révèle bien peu d’informations inédites au sujet de la consommation d’alcool des Canadiens10.

Du côté des études culturelles, les chercheurs ont été plus prolifiques. Plusieurs travaux d’envergure en France et aux États-unis ont tenté d’analyser les structures socioculturelles et symboliques qui régissent la consommation d’alcool. Les recherches de Mary Douglas, Carmen Bernand et Véronique Nahoum-Grappe, entre autres, ont grandement contribué à éclairer certains mécanismes du boire en Angleterre et en France à l’époque moderne, en déterminant les fondements sociaux et symboliques de l’ivresse11. Dans un ouvrage récent, Pascale Ancel et Ludovic Gaussot apportaient en outre de précieux éléments d’interpréta-tion sur les motivations sociologiques et psychologiques qui président à la

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consommation d’alcool, ainsi qu’aux critères socioculturels qui définissent la normalité et la déviance en cette matière12. Il existe malheureusement peu d’études analogues pour le Canada : les travaux sur le boire portent généralement sur le xixe siècle et le début du xxe siècle, des périodes bien articulées autour des mouvements de prohibition et d’abstinence. L’époque de la Nouvelle-France a certes intéressé quelques historiens canadiens-français, mais c’est la question de la traite de l’eau-de-vie qui a généralement retenu leur attention, alors que les émois suscités par les ligues de tempérance pendant près d’un siècle (1830-1930) mettent ce sujet sur la sellette et poussent les intellectuels à chercher des justifications historiques à la prohibition. Les historiens ne font alors que reprendre, sans examen – et souvent en opérant une certaine sélection pour ne retenir que les témoignages convenables ! –, les propos des divers hommes d’État ou d’Église des xviie et xviiie siècles13. En fait, le seul aspect du boire colonial qui a été exploré plus en profondeur par les historiens est le lieu privilégié de cette consommation d’alcool, soit l’auberge ou le cabaret. La plupart des travaux portant sur la pratique cabaretière s’attardent principalement sur la réglementation et les caractéristiques fonctionnelles de ces lieux de sociabilité, sans analyser leur dynamique socioculturelle14. L’étude la plus complète sur la pratique cabaretière est certainement Les héritiers de Jacques Boisdon. Portrait de l’hôtellerie québécoise sous le Régime français, de Gilles Proulx : parue en 1986 sous forme de document de recherche pour le compte de Parcs Canada, elle n’a cependant jamais été publiée de manière officielle15.

L’historiographie des manières de boire des peuples autochtones du Canada est encore plus ténue que celle des colons d’origine européenne. Pendant longtemps, on s’est surtout contenté de collationner les cas « d’ivrognerie des Sauvages » décrits par les autorités coloniales et les missionnaires, en remettant très peu en question les « faits » rapportés par ceux-ci16. Il aura fallu attendre les années 1960 pour voir émerger quelques recherches abordant les valeurs et les croyances entourant la consommation d’alcool dans la perspective autochtone. Parmi celles-ci, l’étude d’André Vachon, L’eau-de-vie dans les sociétés indiennes, pose des questionnements originaux quant aux motivations de la consommation d’alcool chez les Amérindiens. Cette courte étude exploratoire, pour la-quelle Vachon a utilisé à peu près exclusivement des sources ecclésiastiques, laisse en suspens de nombreuses pistes de réflexion, que peu d’historiens ont par la suite décidé d’emprunter17. Les ethnohistoriens américains ont été plus productifs. Dans son ouvrage portant sur les contacts in-terculturels entre Européens et Amérindiens, James Axtell fait une place

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substantielle à l’alcool dans les échanges18. C’est cependant l’ouvrage de Peter C. Mancall, Deadly Medecine : Indians and Alcohol in Early America, qui a fait école en matière de consommation d’alcool chez les Premières Nations américaines. Dans cette étude, Mancall s’attache notamment à déconstruire quelques stéréotypes : il explore le rôle des boissons alcooli-ques dans les rapports interculturels entre les Amérindiens et les habitants des colonies anglaises, au niveau tant économique que diplomatique, proposant l’idée que les Amérindiens ne sont pas les victimes passives des traiteurs d’alcool19. Au moment de commencer nos travaux, il n’existait pas d’étude de ce type pour les Amérindiens du Canada sous le Régime français. Si plusieurs ouvrages ou articles portant sur les relations franco-amérindiennes abordent succinctement la question de l’alcool, rares sont les chercheurs qui en ont fait l’objet central de leur étude : en fait, c’est la problématique de la traite de l’eau-de-vie ainsi que de ses conséquences économiques et judiciaires qui a généralement retenu l’attention des historiens20. Le plus souvent, les chercheurs canadiens ont laissé de côté les valeurs et les croyances entourant la consommation d’alcool dans la perspective autochtone. Depuis le travail pionnier de Vachon, seuls R.C. Dailey et John A. Dickinson se sont efforcés de faire le lien entre le boire et la criminalité amérindienne en Nouvelle-France21. Il était donc temps de revisiter cette thématique à la lumière de l’outillage conceptuel développé au cours des dernières années en anthropologie de l’ivresse, en sociologie de la consommation et même en alcoologie clinique.

Les sources pour l’étude du boire canadienAux xviie et xviiie siècles, la question des boissons alcooliques au Canada et particulièrement les relations plus ou moins houleuses qu’entretenait le colon ou l’autochtone avec ces substances ont fait couler beaucoup d’encre : de nombreuses mentions sur le boire se trouvent donc dans les sources manuscrites et imprimées de cette période.

Pour documenter la circulation des boissons au Canada, il était essentiel de recourir aux documents comptables, qui se retrouvent sous forme de tableaux dans la correspondance officielle. Les boissons alcooliques im-portées en Nouvelle-France procurent des revenus considérables à l’État : en effet, les eaux-de-vie et les vins qui arrivent au port de Québec sont inventoriés par les fonctionnaires du Domaine d’Occident, qui perçoivent des droits d’entrée finissant par représenter des sommes colossales. Pour certaines années, principalement dans le second quart du xviiie siècle, les registres fournissent non seulement les quantités mais aussi le type de

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chapitre 8Consommation d’alcool et ivresse chez les Amérindiens du Canada 269Modalités et conséquences de la consommation d’alcool autochtone 270

Manger et boire… ou seulement boire 270Conséquences physiologiques de la consommation d’alcool 273Conséquences démographiques 274Conséquences socioculturelles 276

Explications possibles de la (sur)consommation d’alcool des Amérindiens 281

Une vulnérabilité physiologique ? 281Organisation sociale 282Alcool, catholicisme et missions 283« Le ver est dans le fruit » 286

Fonctions possibles de l’ivresse amérindienne 291Possession, chamanisme et états altérés de la conscience 291Le « démon » de l’alcool, ou l’ivresse comme exutoire 295Nous, eux… recouvrer son identité personnelle et culturelle 298

Conclusion 300

conclusion 303Du cidre au champagne : bilan de la « carte des alcools » au Canada 303Bilan de la consommation des boissons alcooliques des Canadiens 306Bilan du boire et de l’ivresse chez les Amérindiens du Canada 311Les gouttes qui restent au verre, ou ce qui reste à faire 313

bibliographie 315

notes 331

index 405

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cet ouvrage est composé en minion corps 10.8selon une maquette réalisée par pierre-louis cauchon

et achevé d’imprimer en janvier 2010sur les presses de l’imprimerie marquis

à cap-saint-ignace, québecpour le compte de gilles herman

éditeur à l’enseigne du septentrion

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