AVERTISSEMENT - Le Proscenium · comme Lutétia aux destinées de sa nièce qu’il considère...

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AVERTISSEMENT Ce texte a été téléchargé depuis le site http://www.leproscenium.com Ce texte est protégé par les droits d’auteur. En conséquence avant son exploitation vous devez obtenir l’autorisation de l’auteur soit directement auprès de lui, soit auprès de l’organisme qui gère ses droits (la SACD par exemple pour la France). Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut faire interdire la représentation le soir même si l'autorisation de jouer n'a pas été obtenue par la troupe. Le réseau national des représentants de la SACD (et leurs homologues à l'étranger) veille au respect des droits des auteurs et vérifie que les autorisations ont été obtenues, même a posteriori. Lors de sa représentation la structure de représentation (théâtre, MJC, festival…) doit s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit produire le justificatif d’autorisation de jouer. Le non respect de ces règles entraîne des sanctions (financières entre autres) pour la troupe et pour la structure de représentation. Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligation, y compris pour les troupes amateurs. Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le public puissent toujours profiter de nouveaux textes.

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http://www.leproscenium.com

Ce texte est protégé par les droits d’auteur.

En conséquence avant son exploitation vous devez obtenir l’autorisation de l’auteur soit directement auprès de lui, soit auprès de l’organisme qui gère ses droits (la SACD par exemple pour la France).

Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut faire interdire la représentation le soir même si l'autorisation de jouer n'a pas été obtenue par la troupe.

Le réseau national des représentants de la SACD (et leurs homologues à l'étranger) veille au respect des droits des auteurs et vérifie que les autorisations ont été obtenues, même a posteriori.

Lors de sa représentation la structure de représentation (théâtre, MJC, festival…) doit s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit produire le justificatif d’autorisation de jouer. Le non respect de ces règles entraîne des sanctions (financières entre autres) pour la troupe et pour la structure de représentation.

Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligation, y compris pour les troupes amateurs.

Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le public puissent toujours profiter de nouveaux textes.

JEU DE MASQUES

Comédie policière

De Georges NAUDY

[email protected] pièce de Théâtre tout public d’une durée approximative de 2H00

L’HISTOIRE :

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Propriétaire d’un vignoble bordelais prestigieux, le baron Charles de RICHAMBERT est retrouvé assassiné dans son bureau. L’inspecteur MAGELLA aux méthodes très particulières est chargé de l’enquête. Rapidement, il est persuadé que le coupable se trouve parmi les neuf résidents du domaine. A lui de faire tomber les masques.

LE DECOR :Intérieur bourgeois. Grand salon cossu avec deux portes latérales et des rideaux de velours rouge au fond de la scène qui préfigurent un hall d’entrée légèrement surélevé avec deux marches. Une belle fenêtre assez haute à l’arrière plan à droite d’où l’on devine le parc. Un grand canapé au milieu plus un fauteuil, un minibar près de la fenêtre. Du petit mobilier Louis Philippe, quelques chandeliers, une peinture représentant des vignes, un encadrement qualifiant le château DE RICHAMBERT de meilleur crû de l’année et un magnum posé fièrement sur une étagère.

PRESENTATION DES PERSONNAGES :LES FEMMES :

Isis de RICHAMBERT – Veuve du baron Charles de RICHAMBERT : Jeune femme de 40 ans, assez déterminée, à l’aise dans son rôle de baronne, soucieuse de préserver l’image du domaine. Tempérament plutôt froid voire acerbe. Elle entretient des rapports distants avec presque tout le monde. C’est le type même de la dame de pique.

Gladys de RICHAMBERT – Fille du baron : Jeune femme de 25 ans environ, plutôt introvertie, solitaire voire méfiante. Elle vit dans le passé, dans l’ombre de son frère décédé quelques années plus tôt. Elle peut se montrer directe mais joue plus en défense qu’en attaque. Son oncle et sa tante la protègent d’autant plus qu’elle peut être sujette aux dépressions.

Lutétia de RICHAMBERT – Epouse de Edouard de RICHAMBERT : Femme de 50 ans, très exubérante, spontanée mais jamais méchante. Son intelligence est limitée mais elle s’arrange pour ne jamais être démontée. C’est un personnage assez haut en couleurs à la limite de l’excentricité. Elle adore son mari et sa nièce dont elle regrette la solitude. C’est la caricature de Roselyne BACHELOT.

Sidonie BOCHEL – Employée de maison : Jeune femme de 35 ans assez timide très attachée à «l’ancienne maison» : la première femme du baron ainsi que son fils. C’est un personnage qui prend de l’assurance au fur et à mesure de la pièce. Elle assez fascinée par le frère du baron.

Sœur Marie-Odile – Parente éloignée : Personnage énigmatique qui apparaît et disparaît sans prévenir. Voix douce et persuasive. Visage lumineux et chaleureux.

LES HOMMES :

Edouard de RICHAMBERT – Frère du baron : Homme de 55 ans, assez simple mais sans véritable charisme. Très vieille France, attaché aux valeurs morales. Bien qu’il ne la

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ménage pas, il est très épris de sa femme. Ayant jusqu’à présent vécu dans l’ombre de son frère aîné, il espère secrètement prendre sa revanche mais ne précipitera rien. Il veille comme Lutétia aux destinées de sa nièce qu’il considère comme sa fille.

Javier MONTANA – Majordome : C’est un homme discret d‘une soixantaine d‘années, consciencieux et intelligent qui sait rester à sa place mais n’en pense pas moins. C’est le doyen de la maison sans pour autant en être le sage. Personnage effacé mais assez inquiétant. On devine un passé chargé. Comme Sidonie, il est resté attaché à l’ancienne maison.

Philippe KERN – Secrétaire du baron et administrateur du domaine : Secrétaire très particulier d’environ 45 ans, qui n’a pas la langue dans sa poche. Personnage efficace, redoutablement intelligent, peu respectueux des traditions et autres convenances. Il manie l’humour à coups de serpe n’hésitant pas à mettre les pieds dans le plat si son propre intérêt est en jeu. Personnage frustré et opportuniste à qui peu de choses échappent. Moins favorisé physiquement que son grand rival : le jeune AL.

Alexandre AMBELIDIEFF – Chauffeur du baron et garde du corps : Jeune homme de 35 ans qui joue beaucoup de son physique avantageux pour impressionner les uns et séduire les autres. C’est un garçon de confiance en dépit de quelques zones d’ombres et d’une sexualité peut-être trouble. Il a reçu une formation militaire dont il a du mal à se défaire mais son amitié avec le fils du baron l’a fait évoluer.

Henri TOURVIERES – Avocat de la famille : Homme de 55 ans, cordial et bon vivant, très spontané en apparence mais en réalité très calculateur. Il aime l’argent et ça se sent. Fier de sa personne, il sait malgré tout rester assez simple. Une main de fer dans un gant de velours. Il est très proche de la baronne depuis toujours.

Markus MAGELLA – Inspecteur de police : Homme d’une quarantaine d’années. C’est un authentique médium mais il se débrouille pour faire passer ses intuitions pour de simples déductions. Ses explications ne sont crédibles que pour ceux qui veulent y croire. Personnage discret qui s’amuse de la comédie humaine. Humble mais efficace. Ses connaissances ésotériques en font un personnage à part mais pas insensible à ses contemporains. Peut-être le seul vrai masque de l’histoire…

ACTE 1 Scène 1

Personnages : Isis de RICHAMBERT - Gladys de RICHAMBERT - Lutétia de RICHAMBERT Edouard de RICHAMBERT - Philippe KERN – Alexandre AMBELIDIEFF

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ISIS : Mais que peut bien fabriquer ce policier ? Voilà plus d’une heure qu’il est entré dans ce fichu bureau et il n’en est toujours pas ressorti. C’est insensé !

KERN : Peut-être qu’il s’y est endormi !

EDOUARD :C’est en effet très étrange car le corps de mon malheureux frère a été enlevé presque tout de suite. Je me demande bien ce que ça cache.

ISIS : Et ces maudits médecins qui réservent leur diagnostic ! Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Il n’y a pourtant aucun mystère là-dessous. Tout le monde sait que Charles travaillait trop pour son âge ! Il aura eu une attaque ou quelque chose comme ça !

KERN :J’ai bien peur que ce ne soit pas aussi simple.

ISIS : Mais qu’est-ce que vous en savez vous, monsieur le brillant secrétaire ?

EDOUARD :Ecoutez, je crois qu’il n’y a vraiment pas lieu de s’affoler. Il est…

ISIS : (excédée)Mais qui vous dit que je m’affole ? Je ne vous permets pas.

LUTETIA :Allons, allons chère belle-sœur, personne n’a dit que vous étiez folle !

ISIS : Vous, n’en rajoutez pas voulez-vous ? La situation est déjà assez pénible comme ça. LUTETIA :

Nous sommes tous éprouvés mais le plus dur ce doit être pour Gladys car cette pauvre enfant n’a plus que nous maintenant.

GLADYS :Ne vous en faites pas pour moi, ma tante, je tiendrai le coup !

EDOUARD :Je voulais donc dire que je trouve tout à fait normal que la police fasse une enquête. Charles était une personnalité de premier plan et ce domaine reste un des plus prestigieux d’Europe sinon du monde.

GLADYS :Pas la peine de tourner autour du pot. Si la police est là, c’est que mon père a été assassiné, c‘est tout.

ISIS : (estomaquée)

Pardon ? Mais vous ne pensez pas ce que vous dites !

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LUTETIA :Ma chère enfant, nous n’en sommes pas encore tout à fait là, en effet.

KERN :Cette hypothèse n’est pourtant pas à exclure.

GLADYS :Oui, il n’y a qu’à attendre les résultats de l’autopsie.

ISIS : C‘est effrayant la légèreté avec laquelle vous parlez de ces choses !

LUTETIA :En tout cas, moi si je meurs un jour, je ne veux pas qu’on m’autopsie !

ISIS : Vous croyez peut-être chère belle-sœur qu’on demande l’avis aux gens ? LUTETIA :

Je sais bien que non, je ne suis pas idiote ! Mais il n’empêche ! Toutes ces analyses dans le corps, dans le sang, dans la tête, moi ça me fait drôlement peur.

KERN :Ne soyez pas trop inquiète, Madame, dans votre tête, ils ne trouveront rien.

LUTETIA :Goujat !

EDOUARD :M. Kern, je vous rappelle que mon frère est mort. Ayez un peu de tenue je vous prie et à l‘occasion du respect pour ma femme.

JAVIER : (qui fait son entrée)Pardon Mme la Baronne, mais je dois vous avertir que Sidonie vient d’avoir un malaise. Le choc probablement.

ISIS : Merci Javier. De toutes façons, nous n’avons pas besoin d’elle pour l’instant.

EDOUARDEst-ce que vous ne pensez pas, Isis, qu’on pourrait quand même appeler un médecin ? C’est peut-être plus sérieux qu’on ne pense !

ISIS : Vous plaisantez j’espère ! Comme si on n’avait pas assez vu de médecins pour

aujourd’hui .Cette petite est impressionnable, voilà tout ! Elle s’en remettra. Mais, au fait, où est passé Al ?

JAVIER :Il est sorti avec le chien inspecter les environs, Madame. Faut-il que je prépare un peu de café pour tout le monde ?

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KERN :A mon avis, il vaudrait mieux laisser le café là où il est.

ISIS : Que voulez-vous dire M. Kern ? Et de quel droit répondez-vous à ma place ?

KERN : (ignorant sa question)Javier, est-ce que M. le Baron a pris une tasse en fin de soirée ?

JAVIER : Absolument, monsieur ! C’est moi-même qui la lui ai apportée !

KERN :Dans ce cas comment être sûr que ce café n’ait pas été drogué, ou pire empoisonné ?

ISIS : Mais comment pouvez-vous imaginer ce genre de choses !

GLADYS :Je suis d’accord avec vous, Monsieur Kern. D’ailleurs ce n’est pas pour rien si la police a réquisitionné la tasse !

Philippe KERN s’incline pour la remercier de son appui.

ISIS : (qui hausse les épaules)Simple précaution, ma petite ! Rien de plus.

LUTETIA :De toutes façons, moi je n’aime pas le café.

JAVIER :Hum !... Je crois que je peux rassurer tout le monde. Comme il en restait, je me suis permis de le finir plutôt que de le jeter. Et vous pouvez le constater par vous-même, cela n’a aucun effet particulier sur ma santé.

ISIS : Etes-vous satisfait M. Kern ? KERN:

Pas vraiment ! Votre organisme est peut-être immunisé contre certaines drogues et…

JAVIER :Monsieur, si le café avait été empoisonné, je serais mort aussi.

ISIS : C’est évident. Assez discuté ! Préparez-en donc pour tout le monde ! Ceux qui n’en

voudront pas, n’en prendront pas. C’est tout ! LUTETIA :

Pas pour moi en tout cas, merci !

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JAVIER :Un thé pour madame, comme d’habitude ?

LUTETIA :Non, juste une soupe !

JAVIER : (très étonné) Une soupe, Madame ?

LUTETIA :Oui, une soupe ! Avec de l’eau et des choses dedans qui flottent ! Vous voyez ?

EDOUARD :

Mais enfin, ma chérie ! ISIS : C’est vraiment n’importe quoi !

GLADYS :Tu ne vas pas prendre une soupe maintenant, tante Lutétia ! Pas à 2h du matin !!

LUTETIA :

Et pourquoi pas ? Y'a une loi qui l’interdit ? Pas de bouillon après onze heures ?

Isis hausse les épaules

JAVIER : (très digne)Une soupe à quoi Madame ?

KERN :Une soupe aux vieux croûtons par exemple !

LUTETIA : (à l’adresse de KERN) Très drôle ! Vous croyez que je n’ai pas saisi votre perfidie ? Ne vous embêtez pas Javier ! Le premier sachet que vous trouverez !

JAVIER :Bien Madame ! (Il sort et le garde du corps entre)

AL : Rien à signaler à l’extérieur, madame. Tout semble en ordre. En revanche, il y a un

problème avec le circuit vidéo. Il n’a pas fonctionné.

EDOUARD :Pas fonctionné ? Que voulez-vous dire Al ?

AL : Rien n’a été enregistré, Monsieur. Il n’y a aucune image sur les moniteurs.

ISIS : Tiens donc ! Voilà qui ressemble fort à… (Elle laisse sa phrase en suspens)

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KERN :Oui, cela évoque assez bien une… (même jeu)

LUTETIA:

Une panne ! Al : C’est du matériel tout neuf madame, qui marchait encore très bien jusqu’à hier soir.

LUTETIA :Cela ne prouve rien, mon cher Al ! Tous les systèmes sophistiqués étrangers sont désespérants. Je vois moi par exemple, j’avais fait venir de Hong Kong, un sèche-cheveux ultra perfectionné avec variateur électronique de température .Et bien, vous me croirez si vous voulez…

EDOUARD :

Lutétia ! Tu crois que c’est le moment ?

LUTETIA :On voit bien que ce n’est pas toi qui as eu tous les bigoudis fondus ! C’est bien simple ! En fait de sèche-cheveux, ils m’avaient livré un lance-flammes !

KERN :Cela explique bien des choses !

GLADYS :Moi, je ne crois pas aux coïncidences. Il n’y a qu’une conclusion à tirer de tout ça ! Le crime a été prémédité.

ISIS : Je n’arrive pas à y croire.

EDOUARD :Le meurtrier est sans doute loin à présent…

KERN :Mais il devait bien connaître la maison puisqu'il a réussi à neutraliser le système de vidéo surveillance.

AL : Ce que je ne comprends pas, c’est que Tarkos n’ait pas aboyé ! Si quelqu’un avait pénétré dans le parc, le chien l’aurait repéré à coup sûr !

EDOUARD :Oui sauf si Tarkos a été drogué !

Al : Je ne crois pas Monsieur. Le chien ne dormait pas quand je suis arrivé.

LUTETIA :Peut- être qu’il dormait et que vous l’avez réveillé !

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Al : Possible Madame mais je n’ai pas eu cette impression.

ISIS : Peut-être que le chien a aboyé mais que personne ne l’a entendu !

SIDONIE : (qui fait son entrée)Si, moi Madame, je l’ai entendu aboyer.

ISIS : Ah ! Sidonie ! Vous voilà enfin !

EDOUARD :Nous étions inquiets à votre sujet, Mademoiselle ! Vous vous sentez mieux ?

SIDONIE :

Oui, Monsieur! Merci !

ISIS : Vous disiez donc que vous aviez entendu le chien. A quelle heure ?

SIDONIE : (un peu gênée)Je ne sais pas madame la baronne. Je n’ai pas pensé à regarder l’heure.

Al : C’est vraiment étrange car moi, je n’ai rien entendu !

GLADYS :Moi non plus ! Pourtant ma chambre donne également sur le parc !

ISIS : Etes-vous bien sûre, Sidonie que vous ne rêviez pas ?

SIDONIE :Oui j’en suis sûre !

JAVIER : (qui revient en posant le plateau sur la table basse)

Je n’ai pas trouvé de sachet, madame. Alors je vous ai mixé quelques légumes.

LUTETIA : Merci Javier ! Vous êtes adorable !

JAVIER :A votre service, madame ! J’ai aussi prévu une tasse pour l’inspecteur !

ISIS : Vous avez bien fait Javier mais d’ici -là, je crains que le café ne soit aussi froid que mon mari.

Entrée de l’inspecteur refermant la porte du bureau.

MAGELLA :Vous avez raison Madame la Baronne ! Boire un café froid serait un véritable crime.

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ACTE 1 Scène 2

Personnages : L’inspecteur MAGELLA et tous les résidents.

ISIS : Ah ! Inspecteur, je m’inquiétais de ne pas vous voir ressortir !

MAGELLA :Pardon de vous avoir fait attendre. Mais je me suis permis de passer quelques coups de téléphone car j‘ai oublié mon portable. J’espère que cela ne vous dérange pas.

ISIS : Non bien entendu ! Vous avez bien fait si c’est dans l’intérêt de l’enquête !

MAGELLA :

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Tout à fait Mme la Baronne ! Je passais le bonjour à ma vieille tante Ameline… en Guadeloupe.

ISIS : Votre tante ? En Guadeloupe par dessus le marché ? Mais vous avez dit que…

MAGELLA :Oui, c’est une sorte de rituel chez moi. Avant de commencer une enquête, je lui téléphone toujours.

ISIS : (consternée)Je vois !

EDOUARD :Nous n’avons pas bien compris votre nom, inspecteur !

MAGELLA :

C’est normal, je ne l’ai pas encore dit ! Monsieur…? (Il attend la suite…) EDOUARD :

DE RICHAMBERT. Edouard de RICHAMBERT, le frère du défunt. Et voici ma femme Lutétia.

MAGELLA :

Toutes mes condoléances. Je suis l’inspecteur MAGELLA. Markus MAGELLA.

LUTETIA:Mon dieu ! Comme c’est amusant ! Exactement comme le célèbre navigateur ! Quelle chance vous avez inspecteur !

EDOUARD :Mais qu’est-ce que vous racontez ma chère ? Vous divaguez ! Vous confondez avec MAGELLAN ! Veuillez excusez mon épouse, inspecteur.

MAGELLA :Je vous en prie ! C’est une confusion très courante !

LUTETIA :En tout cas, MAGELLAN était bien navigateur, n’est-ce pas, inspecteur ?

MAGELLA :Absolument Madame. Je vous félicite pour votre culture !

ISIS : Chère belle-sœur, si vous cessiez d’importuner M. l’inspecteur avec votre savoir incommensurable ! Il a sûrement des choses importantes à nous communiquer !

LUTETIA : Certainement. Je vais d’ailleurs lui laisser la parole tout de suite ! Et votre prénom, c’est Markus ? N’était-ce pas un général romain ?

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EDOUARD : (exaspéré)

Lutétia !!! Pour l’amour du ciel ! (Lutétia se renfrogne) GLADYS : (qui s’avance)

On a bien assassiné mon père, n’est-ce pas ?

MAGELLA :Je suis sincèrement désolé mademoiselle ! Mais il semble en effet, d’après les premières constatations du médecin légiste que votre père ait été victime d’un empoisonnement par le sang ! Une solution intraveineuse, probablement !

ISIS : C’est vraiment monstrueux ! Vous êtes sûr inspecteur ?

LUTETIA :C’est ignoble !

EDOUARD :Mais qui a pu faire une chose pareille ?

MAGELLA :

Je vous assure que tout sera mis en œuvre pour retrouver le coupable. EDOUARD :

Croyez bien que je ne mets pas en doute vos capacités mais vous êtes manifestement bien jeune pour vous occuper d’une affaire de cette importance. Vue la notoriété de…

LUTETIA :Allons, allons, il faut bien commencer un jour, n’est-ce pas commissaire ?

MAGELLA :Inspecteur madame !

LUTETIA :Oui oui c’est bien ce que je disais ! Je suppose que vous allez nous poser plein de questions, n’est-ce pas ?

GLADYS :

Vous pouvez y aller, inspecteur ! Nous sommes rodés. La mort brutale n’a jamais été en option dans notre famille mais toujours de série ! D’abord mon frère, puis ma mère et maintenant mon père. Tous les trois prématurément.

MAGELLA :Vous semblez une jeune femme très courageuse, tout comme votre frère du reste!

GLADYS :

Vous le connaissiez ?

MAGELLA :

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J’aurais voulu…

GLADYS :Il était pompier. Il nous a quitté voici cinq ans maintenant…

MAGELLA :Sa flamme brille encore dans vos yeux mademoiselle.

Gladys baisse la tête et cache ses yeux pour ne pas montrer son émotion. KERN :

Je vous félicite, inspecteur ! En quelques mots, vous avez réussi à toucher le cœur de Gladys ! Et croyez-moi, ce n’est pas facile !

MAGELLA :Nous n’avons pas été présentés. Vous êtes ?

KERN :Philippe KERN, le secrétaire particulier de M. le baron et j’occupe également les fonctions d’administrateur du domaine.

MAGELLA :Quelle responsabilité !

KERN :Quel honneur aussi !

MAGELLA :Vous vivez donc ici ?

KERN :

En effet. J’ai ce privilège.

MAGELLA :Pas de vie de famille, pas de congés ?

KERN :Rien de tout ça !

MAGELLA :

C’est de l’esclavage ou je ne m’y connais pas !

KERN :Vous ne vous y connaissez pas ! Je ne suis pas aux 35h moi, comme certains !

ISIS : (elle hausse les épaules)

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Pardonnez-moi inspecteur mais allez-vous nous interroger de la sorte un par un comme si nous étions tous suspects ? Je dois dire que cela nous serait très désagréable d’autant plus que le coupable est forcément étranger à cette maison.

EDOUARD :Oui, c’est tout à fait clair. De plus, vous comprenez bien qu’une enquête de police au sein même de cette maison aurait des répercussions fâcheuses sur nos ventes.

MAGELLA :Mon enquête sera des plus discrètes je vous l’assure.

JAVIER : (qui entre)

Mme la baronne, puis-je à présent servir le café ?

ISIS : Inspecteur, voici le plus ancien de cette maison: Javier Montana, notre majordome.

JAVIER :Mes respects monsieur. Prendrez-vous du sucre dans votre café, monsieur ?

MAGELLA :Oui merci, un seul !

JAVIER :Sucre roux ou ordinaire, Monsieur ?

MAGELLA :Ordinaire, ça ira… Merci. Vous êtes d’origine espagnole M. Montana ?

JAVIER : (qui lui présente le plateau)Oui monsieur, tout à fait.

EDOUARD :

Javier est un homme précieux, inspecteur. Il est rare de nos jours de trouver des employés de cette qualité.

JAVIER :Merci monsieur.

ISIS : Inspecteur, je vous présente Al, le chauffeur et garde du corps de mon mari. MAGELLA :

Al, c’est pour Alexandre, je suppose ! Et votre nom ?

AL : (attitude très militaire)Ambelidieff, Monsieur !

MAGELLA :Repos, mon ami ! Repos ! Pas facile pour vous ce qui est arrivé.

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AL : En effet, Monsieur.

MAGELLA :Depuis quand occupiez-vous cette fonction ?

AL : (toujours très rigide)Cela fait bientôt sept ans, Monsieur.

MAGELLA :Fort bien ! Avez-vous remarqué quelque chose de particulier, cette nuit ?

AL : Négatif, Monsieur !

MAGELLA :A-t-on déjà essayé dans le passé d’attenter à ses jours ?

AL : Pas depuis que je suis là en tout cas et avant, je ne crois pas non plus.

ISIS : Je vous le confirme, inspecteur ! A ma connaissance, c’est la première fois que quelqu’un pénétrait dans son bureau sans y avoir été invité.

MAGELLA :Etes-vous armé M. Ambelidieff ?

AL : Affirmatif, Monsieur ! J’ai un port d’armes que M. le Baron m’a procuré mais je n’ai

jamais tiré avec, Monsieur si c‘est ce que vous voulez savoir.

MAGELLA :Vous êtes affecté en permanence ici ?

AL : C’est à dire que je n’ai pas d’autre famille, Monsieur. Je suis orphelin de naissance. ISIS : Charles a quasiment adopté ce garçon, inspecteur et cette maison restera toujours la sienne

quoi qu‘il advienne.

AL : Merci madame la baronne.

MAGELLA :Il ne reste plus que vous, mademoiselle…?

SIDONIE : (timidement)Sidonie…Sidonie BOCHEL.

ISIS : Sidonie est également une employée modèle, inspecteur !

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MAGELLA :Je n’en doute pas, madame ! Vous habitez donc ici vous aussi ?

SIDONIE :Oui, Monsieur ! Je m’occupe du ménage et du linge de toute la maison.

MAGELLA :C’est beaucoup de travail, j’imagine ?

SIDONIE :

Le travail ne me fait pas peur, inspecteur.

MAGELLA :Orpheline, également ?

SIDONIE :Non pas moi ! Mes parents sont retirés à la campagne.

ISIS : Je crois inspecteur que vous connaissez maintenant tout le monde. LUTETIA :

Oui, c’est qu’il se fait tôt ! Si nous pouvions nous aussi nous retirer dans nos appartements !

ISIS : Au moins vous, la mort de Charles ne vous empêche pas de dormir !

LUTETIA :Ne le prenez pas mal, Isis, mais moi si je n’ai pas mes huit heures de sommeil, je ne réponds de rien.

EDOUARD :A moins bien sûr que M. l’inspecteur n’ait encore des questions !

MAGELLA :J’ai juste besoin de savoir qui pense avoir vu M. le baron pour la dernière fois.

JAVIER :Je pense que c’est probablement moi Monsieur parce que M.le Baron avait l’habitude de boire son café à 23h30 très précises et c’est toujours moi qui le lui apporte à cette heure-là.

MAGELLA :C’est vous qui le préparez aussi ?

JAVIER :En effet inspecteur.

MAGELLA :Donc, ce soir, comme d’habitude, vous avez apporté son café dans son bureau ?

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JAVIER :Oui absolument, inspecteur ! J’ai frappé trois petits coups discrets et je suis entré.

MAGELLA :Trois petits coups discrets comment ? Vous avez fait : pom-pom-pom ? Ou bien pom-pom-pom ? (Il accélère le rythme dans la deuxième façon .)

JAVIER :Euh…Plutôt la seconde manière, monsieur.

ISIS : (incrédule et méfiante)

Cela aurait-il une importance, inspecteur ?

MAGELLA :Dans une enquête comme celle-ci, tout est important, madame ! (Il se tourne à nouveau vers Javier) Continuez, je vous prie. Racontez-moi tout en détail.

JAVIER :Il n'y a pas grand chose à en dire, inspecteur ! Quand je suis entré, Monsieur le baron était à son bureau en train d’écrire. J’ai posé le plateau sur la table basse, comme d’habitude, et je suis sorti.

MAGELLA :

Et, c’est tout ?

JAVIER :Oui, c’est tout.

MAGELLA :Ne vous a t-il pas dit quelque chose quand vous l’avez quitté ?

JAVIER :Non, rien de particulier. Il m’a juste remercié et m’a souhaité une bonne nuit.

MAGELLA :Faites bien attention ! Vous a-t-il dit : Bonne nuit Javier ? Ou alors : bonne nuit, Javier ?

JAVIER :J’ai peur de ne pas bien saisir la différence, inspecteur. J’ajoute que je ne suis pas sûr qu’il ait rajouté : Javier.

MAGELLA :A-t-il fermé la porte à clé après votre départ ?

JAVIER :Pas à ma connaissance, monsieur.

MAGELLA :

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Donc, quand vous l’avez quitté, il était un peu plus de 23h30. C’est bien ça ?

JAVIER :Tout à fait, monsieur.

MAGELLA:Mme la baronne, c’est bien vous qui avez découvert la première, le corps de votre mari ? Pouvez-vous nous dire quelle heure il pouvait être ?

ISIS : Pas loin d’une heure et demie du matin, inspecteur.

MAGELLA : (notant sur son carnet)Vous êtes sûre ? Que faisiez-vous juste avant ?

ISIS : Je lisais en l’attendant. Habituellement, mon mari travaille tard et monte se coucher vers minuit. Je crois que je me suis assoupie et à mon réveil, ne le voyant toujours pas j’ai regardé l’heure. Il était presque 1h20. Ce n’était pas dans ses habitudes. J’ai alors enfilé ma robe de chambre, passablement inquiète et je suis descendue.

MAGELLA :En chemin, vous n’avez rencontré personne ?

ISIS : Non, personne. Tout semblait paisible. J’ai frappé à la porte du bureau. Vous voulez savoir comment ? (MAGELLA fait signe que c’est inutile.) J’ai frappé plusieurs fois mais je n’ai jamais eu de réponse. Quand j’ai ouvert…

MAGELLA :La porte n’était donc pas fermée à clé ?

ISIS : Apparemment non. Vous ne pouvez pas savoir ce que ça m’a fait lorsque je l’ai découvert

là, écroulé sur le bureau les yeux ouverts. J’ai d’abord cru à un malaise et j’ai tenté de le réveiller mais manifestement, il ne m’entendait pas. J’ai crié : Charles ! Charles ! De plus en plus fort. Quand j’ai compris qu’il était peut-être mort, je me suis affolée et j’ai poussé un cri que toute la maison a entendu.

MAGELLA :Vous avez appelé les secours tout de suite ?

ISIS : Non ! Je suis allée chercher Al. MAGELLA :

Pourquoi lui ?

ISIS : Je ne voulais pas rester seule plus longtemps. Al était le plus près du bureau alors j’ai pensé à lui. Il s’est approché du corps de mon mari et il lui a fermé les yeux. C’est à ce moment-là seulement que j’ai pensé à appeler les secours.

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MAGELLA :Que s’est-il passé ensuite ?

ISIS : Alertés par les cris que j’avais poussés, tout le monde est arrivé à peu près en même temps, puis M. Kern a dit qu’il valait mieux rester à l’écart et ne toucher à rien.

MAGELLA :Vous pensiez déjà à un crime, M. Kern ?

KERN :Tout est toujours possible. Quand tout près de lui, j’ai avisé une tasse de café à peine entamée, je me suis dit qu’il avait peut-être été empoisonné.

MAGELLA :

Vous avez bien fait d’agir comme vous l’avez fait. Sage décision. Apparemment, votre mari madame savait à la fois choisir ses collaborateurs ainsi que ses employés.

ISIS : Mon mari était un homme exceptionnel, inspecteur.

MAGELLA :Quelqu’un en a semble-t-il jugé autrement. En tout cas, nous avons une idée assez précise de l’heure de la mort. L’assassin s’est introduit dans le bureau du baron entre 23h30 et 1h30 du matin. Estimation que recoupe parfaitement celle faite par le médecin légiste.

ISIS : Tout est donc parfaitement clair. Il ne vous reste plus inspecteur qu’à vous mettre en

chasse. Cependant, je dois vous avertir que si vous comptiez sur les images de la caméra extérieure de surveillance, il va malheureusement falloir vous en passer. Il semble que le système ait été saboté.

MAGELLA :Ce n’est pas grave, j’ai un témoin !

ISIS : Vous avez un témoin ? C’est bien ce que vous avez dit ?

GLADYS :Où est-il ?

MAGELLA :Ce n’est pas un vrai témoin mais… nous verrons cela demain si vous le voulez bien. Ne me raccompagnez pas, je connais le chemin. (Il quitte lentement la scène)

LUTETIA :

Est- ce que cela veut dire que nous allons enfin pouvoir nous coucher ?

EDOUARD :Taisez-vous donc Lutétia !

JEU DE MASQUES 20

LUTETIA :Au revoir commissaire !

ACTE 1 Scène 3

Personnages : MAGELLA - Voix du BARON au téléphone

Vers 11h du matin. MAGELLA est revenu et il se trouve seul dans le salon. Il inspecte les murs, regarde la décoration. Quand le téléphone sonne dans la pièce, il est dos au public, immobile, regardant par la fenêtre qui donne sur le parc. D’abord, il ne veut pas répondre mais comme personne ne décroche, il se résout à le faire…

MAGELLA :Oui ?

LE BARON :Vous êtes bien l’inspecteur Magella ?

MAGELLA :Oui, qui êtes-vous ?

LE BARON : Cela risque de vous surprendre mais je suis le baron Charles de Richambert.

MAGELLA :Très drôle ! Excusez-moi mais je n’ai pas le temps de m’amuser !

JEU DE MASQUES 21

LE BARON :Ne raccrochez pas je vous prie ! Je n’ai pas beaucoup de temps moi non plus !

MAGELLA :Je vous repose la question. Qui êtes-vous ?

LE BARON :Je vous l’ai dit ! Je sais que c’est difficile à admettre mais je suis vraiment le baron Charles de Richambert neuvième du nom et j‘ai à vous parler.

MAGELLA :Ecoutez, qui que vous soyez, je ne trouve pas ça très amusant. Pour quel journal travaillez-vous ?

LE BARON :Vous faites fausse route inspecteur ! Je comprends votre réaction mais on m’avait pourtant assuré que vous aviez une certaine ouverture d’esprit.

MAGELLA :Manifestement, on vous a mal informé. Je vous préviens même que si j’arrive à remonter jusqu’à vous, vous allez avoir de gros ennuis !

LE BARON :Cela m’étonnerait beaucoup que vous y arriviez car cet appel n’existe pas. Cet appel n’a jamais existé. Je reconnais que le procédé est grossier mais c’est tout ce que j’ai trouvé pour vous parler. Je vous répète que je suis le baron Charles de Richambert.

MAGELLA :Je vous rappelle que vous êtes mort.

LE BARON :Merci. Je suis au courant et rassurez-vous, c’est vraiment mon corps que ma famille a identifié.

MAGELLA:Donc, pas de sosie qui traîne dans un coin ?

LE BARON :Ecoutez, c’est sûrement une première pour vous mais pour moi aussi. Alors faites un effort, je vous en prie.

MAGELLA :Il me faudrait une preuve.

LE BARON :Désolé, il faudra vous en passer. Je vous l’ai dit, je n’ai pas beaucoup de temps…

JEU DE MASQUES 22

MAGELLA : (après quelques longues secondes)Vous allez donc pouvoir me dire qui vous a tué.

LE BARON :Non désolé, je ne peux pas vous aider à ce niveau-là. Un voile noir brouille mes derniers instants sur terre. Mais ce n’est pas de moi dont il s’agit.

MAGELLA :Que voulez-vous ?

LE BARON:On m’empêche de voir mon fils.

MAGELLA :Il devrait être près de vous.

LE BARON :Il n’y est pas ! Il faut que vous m’aidiez !

MAGELLA :Que puis-je faire ?

LE BARON:

Je veux savoir ce qui s’est passé. MAGELLA :

Il a eu un accident de voiture, je crois !

LE BARON :Oui mais ce n’est pas si simple. Je suis mêlé indirectement à cette histoire. Voyez de quelle façon. Si vous ne faites pas la lumière sur cette affaire, je ne pourrai pas le revoir. Je suis perdu.

MAGELLA :C’est bien la première fois que je suis mandaté par un défunt !

LE BARON:Vous vous débrouillerez très bien, j’en suis sûr !

MAGELLA :Le plus curieux, c’est que je n’ai pas l’impression que vous vous soyez beaucoup inquiété de son sort quand il était encore avec vous.

LE BARON :

Je vous assure qu’ici, on voit les choses différemment.

MAGELLA :Etes-vous sûr que lui a envie de vous voir ?

JEU DE MASQUES 23

LE BARON :Ecoutez inspecteur, on m’a dit que dans le meilleur des cas, je ne pourrai le revoir qu’une fois alors je n’ai pas envie ni le droit de laisser passer cette occasion. Vous comprenez ?

MAGELLA :Entendu ! Je vais voir ce que je peux faire. Dites-moi, comment c’est là-haut ?

LE BARON :On me fait signe. Je dois y aller inspecteur. Merci pour votre aide. Au revoir.

MAGELLA :Au revoir Baron !

Bip- bip de fin de communication. MAGELLA raccroche lentement et se laisse tomber dans le canapé.

ACTE 1 Scène 4

Personnage : MAGELLA et tous les résidents

Isis entre la première et elle trouve l’inspecteur visiblement pas à son aise.

ISIS : Pardon de vous avoir fait attendre inspecteur, mais nous avons des soucis avec les pompes funèbres et je disais justement à Javier… Oh ! Mais dites-moi vous n’avez pas l’air dans votre assiette, je me trompe ?

MAGELLA :Ne vous inquiétez pas, ça va aller !

ISIS : Les obsèques sont prévues pour après demain. Nous comptons toujours sur votre discrétion, inspecteur.

MAGELLA :Soyez sans crainte, comme vous le souhaitiez, la version qui sera publiée dans les journaux, fera état d’une banale crise cardiaque.

ISIS : Je n’en attendais pas moins de vous. Mais avez-vous reçu les conclusions de l’autopsie ? MAGELLA :

Je les attends d’un instant à l’autre.

Des bruits de voix se font entendre et Edouard suivi de près par Lutétia entrent.

JEU DE MASQUES 24

EDOUARD :Bonjour inspecteur !

LUTETIA :Oh ! Vous êtes déjà revenu, commissaire ?

GLADYS : (qui entre à son tour)Etes-vous déjà sur une piste inspecteur ?

MAGELLA :Rien de précis pour l’instant, mademoiselle.

EDOUARD :A propos, ne nous aviez-vous pas parlé d’un témoin ?

ISIS : Oui, c’est vrai. Où se cache t-il ?

MAGELLA :Ce n’est pas à vraiment parler un témoin comme on l’entend généralement.

ISIS : (agacée)Mais enfin pourquoi tous ces mystères ? Expliquez-vous inspecteur !

MAGELLA :

Donnez-moi juste un instant Madame et je vous l’amène sur un plateau.

MAGELLA retourne dans le bureau, stupéfaction et inquiétude dans l’assistance, et ressort presque aussitôt en poussant un petit meuble à roulettes sur lequel est installée une vitrine renfermant un masque. Pendant ce temps, entrée de tous les employés.

ISIS : Mais que faites-vous avec cette horreur ? Ne nous dites pas que…

EDOUARD :Vous vous fichez de nous, ma parole !

GLADYS :C’est ça votre témoin ?

MAGELLA :Nous avons là un objet tout à fait intéressant.

ISIS : Si vous le dites !

MAGELLA :Regardez ces graphismes au coin des tempes. Figurez-vous qu’ils font référence à une divinité extrêmement puissante capable d’influencer les esprits les plus retors.

LUTETIA : (elle baille d’ennui)C’est sans doute passionnant mais les mardis gras de Tombouctou très peu pour moi.

JEU DE MASQUES 25

ISIS : Nous sommes ravis d’apprendre votre passion pour l’Afrique, inspecteur, mais manifestement, mon mari n’a pas été tué à cause de ce masque. Je vous prie donc de revenir à la réalité.

MAGELLA :Mais j’y suis en plein dedans, madame. Voyez ces couleurs par exemple. Le noir évoque le monde des vivants. Le rouge rappelle le sang, le danger, la sorcellerie et les rites de passage. Le blanc associe le pouvoir des ancêtres à la force spirituelle. Pour convoquer les esprits, les devins de l’Afrique noire portaient souvent un tel masque.

ISIS : Oui et alors ?

MAGELLA:Où sont les quatre autres Madame ?

ISIS : Les quatre autres quoi, inspecteur ?

MAGELLA:Les quatre autres masques !

ISIS : A ma connaissance, Charles n’en a toujours eu qu’un seul.

MAGELLA :C’est bien dommage ! Voyez-vous, je pense qu’il existe en tout cinq masques à peu près semblables représentant chacun un élément : l’air, l’eau, la terre ou le feu. Celui-ci est le cinquième qui réunit ces quatre mêmes éléments. Ce sont des pièces uniques, cela va sans dire. Je me demande bien d’ailleurs comment il a fait pour se procurer celui-ci.

GLADYS :

Etes-vous en train de nous dire que le baron a été victime d’une obscure confrérie africaine, une sorte de vengeance occulte ?

MAGELLA :

Pas précisément sinon ce masque ne serait plus là mais je pense que la mort du baron est lié à ce masque ! Et puisque tout le monde est enfin réuni, je peux vous préciser une chose: l’assassin est toujours ici.

ISIS : Ici ? Que voulez-vous dire ? Qu’il se cache dans la maison ?

MAGELLA :Non, qu’il est ici dans cette pièce !

ISIS : Ce n’est pas possible, vous devez vous tromper, inspecteur ! Pas ici !

GLADYS :Et pourquoi pas ici, Isis ?

JEU DE MASQUES 26

LUTETIA:Oui, pourquoi pas Isis, ici ? (Puis prenant conscience de ce qu’elle dit) Mon dieu ! C’est horrible ! L’assassin serait là, parmi nous ?

SIDONIE :C’est affreux Madame! Je crois que n’ai jamais eu aussi peur de ma vie!

ISIS : Vous n’avez pas à avoir peur. Cette idée est absurde !

KERN :Moi, cela ne me surprendrait pas !

EDOUARD :C’est grotesque ! Cette affirmation ne repose sur rien !

ISIS : Qu’en pensez-vous, Javier ?

JAVIER :J’ai du mal à me faire à cette idée, Madame !

ISIS : Et vous Al ?

AL : Difficile à déterminer Mme la baronne. L’ennemi est souvent imprévisible. ISIS : Je vous demande de revoir votre copie, inspecteur ! Nous ne pouvons accepter cette

conclusion !

MAGELLA : (dont le portable sonne)Excusez-moi ! (Il prend la communication) Oui !…Ah ! D’accord !…C’est bien ! Oui, merci. (Il range son portable.) Je vous confirme que le Baron Charles de Richambert est mort suite à une inoculation de penthiobarbital au niveau de la nuque.

ISIS : Grand Dieu !

GLADYS :C’est affreux ! A-t-il souffert inspecteur ?

MAGELLA :Non, mademoiselle. La mort a été presque instantanée.

LUTETIA :Tant mieux ! Mais je n’arrive pas encore à y croire !

EDOUARD :Moi je me demande qui a bien pu faire ça !

MAGELLA :

JEU DE MASQUES 27

M. de Richambert, si vous nous parliez un peu de cette violente altercation qui a eu lieu entre votre frère et vous-même ? C’était ici même dans ce salon !

EDOUARD: (agressif)D’où tenez-vous ça ? C’est vous encore Isis qui avez bavé dans mon dos ?

ISIS :En aucune façon !

MAGELLA :Mme la Baronne n’y est pour rien, soyez-en sûr !

EDOUARD :J’ignore qui vous a renseigné mais n’en tirez pas des conclusions trop hâtives. Ce sont des choses qui arrivent quand on parle affaires. Entre deux caractères forts, il y a parfois des heurts mais ne vous y trompez pas, nous nous aimions beaucoup.

MAGELLA :

Je n’en doute pas. Quel était le sujet de votre querelle ?

EDOUARD :Vous ignorez peut-être que j’ai la responsabilité de toutes les caves et ce n’est pas une mince besogne, croyez-moi ! Il s’agissait en l’occurrence d’une banale différence d’appréciation !

MAGELLA :

Pas si banale que ça car votre frère a élevé la voix plus qu’à l’accoutumée ! Il vous a carrément insulté !

EDOUARD :Mais enfin, je ne vous permets pas d’affirmer pareilles inepties ! Vous n’étiez même pas là ! Lutétia ! Dis quelque chose !

LUTETIA : (prise au dépourvu)Euh !... Vos accusations inspecteur, sont… euh… superfétatoires !

ISIS : Mais vous savez que ce mot existe, chère belle-sœur ?

GLADYS :Inspecteur, pourquoi vous acharnez-vous sur mon oncle ? Il n’a jamais fait de mal à personne !

EDOUARD :Laisse ma petite, l’inspecteur n’a absolument rien contre moi.

MAGELLA :Je poserai des questions à tout le monde, mademoiselle rassurez-vous ! M. de Richambert, niez-vous que votre frère vous ait traité de tous les noms ?

JEU DE MASQUES 28

EDOUARD:Vous n’avez aucune preuve de ce que vous avancez.

MAGELLA :Vous voyez cette plante M. de Richambert ? C’est un rhododendron, n’est-ce pas ?

EDOUARD :Assurément et alors ?

LUTETIA :Moi je n’aime pas les rhododendrons !

MAGELLA :Il se trouve que je m’intéresse de près à l’art floral et j’ai découvert que certaines espèces de rhododendrons ont la faculté d’être particulièrement sensibles aux émissions vocales et de réagir physiquement à des différentiels sonores importants.

ISIS : Vous êtes un puits de sciences, inspecteur ! MAGELLA :

Donc dans l’éventualité d’une forte amplitude vocale, par exemple d’un degré 8 sur une échelle de 1 à 10, il n’est pas rare que certains rhododendrons comme celui-ci en subissent des effets particulièrement nocifs : feuilles écornées comme ici, pétales anormalement brunis ou flétris, etc. Cette plante est pourtant jeune. L’absence de soin étant exclue, je ne vois guère que l’hypothèse dont je vous fais part !

KERN : (il applaudit ostensiblement et de façon ironique) C’est vraiment remarquable !

LUTETIA :C’est certain ! Vous êtes encore plus brillant que Sherlock Holmes ! Comment disait-il déjà ? Ah oui ! Elémentaire mon cher Edouard !

GLADYS : (enthousiaste)Dommage que j’ai jamais eu de prof comme vous ! J’aurais moins séché les cours !

EDOUARD :Tout cela ne prouve rien ! Pour ma part, je crois bien que cela fait bien longtemps que cette plante est dans cet état-là !

ISIS : Depuis quand regardez-vous les plantes de cette maison, cher beau-frère ?

EDOUARD :Vous n’êtes guère concernée, Isis, je ne me soucie que des belles plantes !

JEU DE MASQUES 29

ISIS : Mufle !

MAGELLA :M. de Richambert, est-ce habituel pour vous de séjourner ici avec votre épouse ?

EDOUARD :Habituel, non mais occasionnel, oui. Charles m’accueillait toujours avec plaisir. Nous étions liés à la vie, à la… (Il ne peut finir sa phrase, pris par l’émotion)

LUTETIA :

Oh mon dieu ! Inspecteur, cessez je vous prie de traumatiser mon pauvre roudoudou !

EDOUARD :Lutétia, je t’ai déjà dit cent fois de ne pas m’appeler comme ça. Je ne le supporte pas.

ISIS : Voyez-vous inspecteur, Charles était très généreux et il accueillait volontiers tous les membres de sa famille même les plus ingrats et les plus pingres d’entre eux.

LUTETIA :

C’est pour nous que vous dites ça, ma chère ?

ISIS : Je me comprends.

EDOUARD :C’est ignoble ! Vous n’avez pas le droit de nous calomnier de la sorte. Cela vous va bien vous de parler ainsi, vous qui n’avez épousé mon frère que par intérêt !

LUTETIA :Vingt ans d’écart ! Si ce n’est pas malheureux !

ISIS: (qui hausse les épaules)Javier, qu’attendez-vous pour redonner des couleurs à ce malheureux rhododendron ?

JAVIER :J’attendais qu’il y ait moins de volume sonore, Mme la baronne.

MAGELLA :A propos, Javier, de quand date cette morsure de serpent ?

JAVIER :Pardon, monsieur ?

MAGELLA :Votre main gauche semble moins souple que votre main droite et l’auriculaire est anormalement raidi. Je ne connais qu’une sorte de serpent qui laisse ce genre de séquelle et il y a fort à parier que sous votre gant, se cache une vilaine cicatrice.

ISIS : De plus en plus étonnant ! Eh bien, Javier, est-ce la vérité ?

JEU DE MASQUES 30

JAVIER : (enlevant ses gants)Comme vous pouvez vérifiez, monsieur, je n’ai aucune cicatrice sur les mains.

KERN :

Alors, inspecteur ? Votre inspiration vous aurait-elle quitté ?

GLADYS :Pourquoi ne montrez-vous pas tout Javier ?

JAVIER :Pardon mademoiselle ?

GLADYS :Votre bras, Javier ! Votre bras gauche !

ISIS: (intriguée)

Eh bien, Javier, qu’y a t- il à votre bras gauche ?

JAVIER :Un vieux souvenir, Mme la baronne ! Faut-il que je vous montre inspecteur ?

MAGELLA :Non, c’est inutile, merci !

JAVIER :Je tiens à vous préciser qu’il ne s’agit pas d’une morsure de serpent mais d’un coup de couteau que j’ai reçu au Mexique !

KERN :J’ignorais mademoiselle que l’anatomie de notre ami Javier vous était si peu étrangère. Dommage que vous ne mettiez pas autant d’intérêt à observer quelques-uns de mes propres membres.

GLADYS :Ce qui est petit ne m’intéresse pas, sachez-le !

ISIS : Si cela ne vous fait rien, je vous demanderais à l’un et à l’autre un peu de dignité.

M. Kern, veuillez prendre exemple sur Al. Lui, sait se tenir à sa place !

MAGELLA :Il est vrai que vous êtes fort discret, M. Ambelidieff ! Vous ne m’avez toujours pas raconté ce que vous faisiez cette nuit quand Mme la baronne est venue frapper à votre porte.

AL : J’étais dans ma chambre mais pas encore couché, monsieur.

MAGELLA :

JEU DE MASQUES 31

Que faisiez-vous exactement ?

AL : Je lisais, Monsieur.

KERN :Vous savez donc lire ?

MAGELLA : (enchaînant vite)Que lisiez-vous ?

AL : C’est important, Monsieur ?

MAGELLA:M. Ambelidieff, j’essaie de reconstituer le plus précisément possible l’emploi du temps de chacun d’entre vous dans les heures, voire les minutes qui ont précédé le drame. Je vous serais donc reconnaissant de bien vouloir répondre à toutes mes questions.

AL : Je lisais des journaux, Monsieur !

KERN:Avec beaucoup de photos dedans c’est ça ? Il n’y a pas de honte, vous savez !

MAGELLA :Aletano ?

AL : Pardon, monsieur ?

MAGELLA :Aletano, c’est bien le nom d’un cheval ? Vous jouez aux courses, n’est-ce pas ?

ISIS : Comment Al ? Vous pariez sur des chevaux, c’est bien ça ?

AL : M. le baron était parfaitement au courant Madame et...

ISIS : J’espère bien mais était-il d’accord ?

AL : Il n’a jamais rien dit à ce sujet, madame. GLADYS :

Dites-moi inspecteur ! Comment saviez-vous que Al jouait aux courses ?

MAGELLA :C’était une forte probabilité à la veille d’un week-end, vous ne croyez pas ? Et puis j’ai remarqué que ce jeune homme porte une montre avec trois cadrans et trois trotteuses différentes ce qui est caractéristique des turfistes.

KERN : (ironique)De plus en plus fort !

JEU DE MASQUES 32

GLADYS :Admettons mais pourquoi Aletano ?

MAGELLA :Al me fait penser à alezan. Ensuite ce n‘est qu’une association phonétique. Vous connaissez sûrement ce proverbe : "chi va piano va sano, chi va sano va lontano". D’où ce nom qui m’est venu à l’esprit: Aletano ! Rien de plus simple !

ISIS : Pardonnez-moi inspecteur mais quel est le rapport ?

KERN :Dans l’ordre ou dans le désordre Mme la baronne ?

MAGELLA :Aletano ne serait-il pas le nom du premier cheval sur lequel vous êtes monté ?

AL : Pas tout à fait monsieur ! C’est le nom que j’avais donné à un poney en peluche qui m’avait été offert à l’orphelinat.

MAGELLA :

Et que vous avez gardé !

AL :Et que j’ai gardé ! Oui, monsieur !

LUTETIA :Vous êtes vraiment étonnant inspecteur !

EDOUARD :En ce qui me concerne je ne suis pas sûr que ces considérations hippiques fassent beaucoup avancer l’enquête.

LUTETIA :

Pourtant, d’habitude, les questions kabbalistiques ça t’intéresse !

GLADYS :Et moi, vous ne m’interrogez pas inspecteur ?

MAGELLA :Mais si évidemment ! Je suppose que vous aussi, vous étiez dans votre chambre quand vous avez entendu votre belle-mère crier !

GLADYS : Oui mais je ne dormais pas. Je regardais la télévision depuis mon lit et…

MAGELLA :Que regardiez-vous ?

JEU DE MASQUES 33

GLADYS :

Un documentaire sur ARTE.

MAGELLA :Qu’est -ce que c’était ? Réveillon chez les Kurdes à Hambourg ?

GLADYS:Non c’était une soirée thématique.

MAGELLA :Et vous ne dormiez pas ?

GLADYS :Ne vous moquez pas ! Dès que j’ai entendu le cri, je me suis levée aussitôt, j’ai passé un peignoir et je suis descendue.

MAGELLA :Qui était déjà sur place ?

GLADYS :

Isis bien sûr, Al, M. Kern. Tout les autres sont arrivés à peu près en même temps.

MAGELLA :Qu’avez-vous pensé à ce moment-là ?

GLADYS :Rien. Il n’y avait rien à dire ni rien à faire. Isis m’a pris dans ses bras pour me réconforter mais j’avais du mal à réaliser. J’étais pétrifiée. Puis Al est sorti par la porte-fenêtre pour inspecter la terrasse. Au bout de quelques minutes, j’ai demandé ce qui s’était passé. Je me suis alors approchée de mon père et la première chose qui me soit venue à l’esprit, c’est depuis quand je ne l’avais pas embrassé.

LUTETIA :

Ma pauvre enfant !

GLADYS :Je ne suis pas une pauvre enfant, tante Lutétia. Je m’appelle Gladys de Richambert. J’ai toujours trouvé ce nom ridicule mais je l’assumerai jusqu’au bout. Je veux savoir pourquoi le destin s’acharne sur ce nom.

MAGELLA : Rassurez-vous, vous n’êtes en rien menacée.

GLADYS : (perplexe)Je ne vois pas très bien comment on pourrait se sentir en sécurité alors que si l’on en croit votre théorie, l’assassin est ici au milieu de nous.

JEU DE MASQUES 34

SIDONIE :Pardonnez-moi inspecteur, mais êtes- vous bien sûr que l’assassin n’est pas venu de l’extérieur ? Car on ne vous a peut-être pas dit mais moi, j’ai entendu le chien aboyer en plein milieu de la nuit, ce qui n’arrive pratiquement jamais !

MAGELLA :

Ah ! Intéressant ! Quelqu’un d’autre a entendu le chien aboyer ?

ISIS : Non, c’est bien le problème. Mais peu importe, le témoignage de Sidonie est quand même à prendre en considération, non ?

MAGELLA :Mais c’est bien mon intention, rassurez-vous. Dites-moi, Mademoiselle, comment étaient ces aboiements ?

SIDONIE :

Euh… Répétés et successifs !

MAGELLA :Répétés ou bien successifs ? Ce n’est pas la même chose !

KERN : (ironique)Vous vous y connaissez aussi en langage de chien, inspecteur ?

MAGELLA :M. Ambelidieff, quel est la race de ce sympathique toutou ?

AL : Un berger allemand, inspecteur !

MAGELLA :Plus allemand que berger, je suppose ! Alors, mademoiselle, pourriez-vous préciser ?

SIDONIE :A vrai dire, c’étaient des aboiements espacés mais continus.

MAGELLA :Ah ! Je vois !... A propos, c’est bien dommage d’avoir laissé votre habit d’infirmière !

SIDONIE :Pardon, monsieur ?

MAGELLA :Je pense qu’il y a quelques années, vous avez exercé des fonctions d’infirmière. Je me trompe ?

Silence gêné de Sidonie

JEU DE MASQUES 35

ISIS : Eh bien ! Répondez ma petite ! Ce n’est pas honteux, vous savez ? SIDONIE :

C’est de l’histoire ancienne, inspecteur et je ne tiens pas spécialement à en parler. Mais comment savez-vous ?

MAGELLA :Je l’entends dans votre voix : votre façon de vous exprimer, en baissant la fin des syllabes. De plus, je me suis aperçu que la plupart des infirmières comme vous sont natives des poissons. C’est votre cas, je crois…

SIDONIE :Non, je suis capricorne et d’ailleurs je suis surprise par vos statistiques. Je n’ai jamais eu connaissance d’un tel phénomène.

KERN :Cela ne m’étonne pas !

MAGELLA :Il y a aussi votre choix des mots.

SIDONIE : (intriguée)

Qu’est-ce qu’ils ont mes mots ?

LUTETIA :Oui, qu’est-ce qu’ils ont ses mots ?

MAGELLA :Vous utilisez des mots très longs : statistiques, connaissance, phénomène. Tout cela est symptomatique des métiers de la santé. Avez-vous remarqué que le nom des médicaments est toujours très long ?

LUTETIA : (admirative)Ah ! Oui, ça, c’est bien vrai ! Toutes ces choses qu’on apprend avec vous, inspecteur ! On vous écouterait des heures !

SIDONIE :Tout ceci me déroute un peu, je l’avoue.

GLADYS:En tout cas, vous avez une approche très personnelle de la sémantique, c’est sûr !

KERN :

Et ce que l’inspecteur a oublié de vous signaler c’est que lorsque l’on rit, on ne prononce que les voyelles ! Mais ce sera pour le cours suivant.

JEU DE MASQUES 36

LUTETIA :N’essayez pas de faire le malin, M. Kern, vous n’aurez jamais autant de culture que l’inspecteur !

ISIS : Excusez-moi, mais je crois que nous perdons beaucoup de temps sur des considérations

linguistiques qui n’ont aucun intérêt. J’ajoute que je ne suis toujours pas convaincue que l’assassin soit l’un d’entre nous !

EDOUARD :Moi non plus.

MAGELLA :Votre mari avait-il des ennemis, madame ?

ISIS : Quand on dirige un domaine aussi prestigieux que celui-ci, inspecteur, cela ne peut susciter que des jalousies et des inimitiés, c’est évident ! Il y a longtemps que je ne me fais plus aucune illusion sur la nature humaine ! C’est bien pour cela que je reste persuadée que l’assassin est à chercher ailleurs qu’ici ! D’ailleurs, ce n’est pas pour rien si la surveillance vidéo a été sabotée !

AL : Sans compter, monsieur, que la porte-fenêtre du bureau était ouverte ! L’assassin s’est

sans doute introduit par la terrasse et reparti par le même chemin !

EDOUARD :C’est en effet l’hypothèse la plus probable !

GLADYS :Ne se pourrait-il pas, inspecteur, que mon père ait secrètement donné rendez-vous cette nuit à son assassin ?

KERN :Cela n’explique pas le sabotage du circuit vidéo !

MAGELLA :Personnellement, je ne crois pas à la thèse de l’assassin venu par la terrasse ! Je suis sûr que le Baron n’attendait personne cette fameuse nuit. Pour moi, l’assassin est tout simplement passé par le couloir, entré dans le bureau et, une fois son forfait accompli, il a discrètement regagné sa chambre ! Cela n’a pas dû lui prendre plus de cinq minutes.

SIDONIE :C’en est tellement simple, inspecteur que c’en est encore plus horrible !

ISIS : Tout cela est bien gentil, mais vous n’avez aucune preuve ! Aucune !

EDOUARD :Sans compter que si vous vous trompez, vous aurez perdu un temps précieux à fouiner ici !

MAGELLA :

JEU DE MASQUES 37

Je ne me trompe pas !

AL : Comment pouvez-vous être aussi sûr, monsieur ? MAGELLA :

La cuillère à café ! ISIS : Pardon ?

MAGELLA :J’ai remarqué que le baron a laissé sa cuillère à l’intérieur de la tasse; ce qui vous en conviendrez, n’est pas habituel. L’usage est qu’une fois qu’on a tourné deux ou trois fois avec sa cuillère, on la pose dans la sous-tasse prévue à cet effet, n’est-ce pas ?

ISIS : Oui, peut-être et alors ?

MAGELLA : Et bien, votre mari lui, a laissé sa cuillère à l’intérieur de la tasse ! J’ai ici des photos qui l’attestent. (Il les montre rapidement mais personne n’en tient compte.)

ISIS : C’est bien possible mais qu’est-ce que ça prouve?

MAGELLA :Pour ma part, j’y vois un signe très net, un message même. Votre mari a voulu nous renseigner sans que son agresseur ne s’en rende compte.

GLADYS :Et qu’avez-vous compris inspecteur ?

MAGELLA :Juste ceci : la tasse = la maison ; la cuillère = l’assassin. La cuillère dans la tasse donc l’assassin dans la maison.

Consternation générale.

AL : Et …C’est tout ?

EDOUARD :Vous appelez ça une preuve ?

GLADYS :J’avoue que nous ne sommes pas beaucoup plus avancés !

ISIS : Je ne sais que penser de votre démonstration inspecteur, je la trouve un peu…

KERN :Un peu fort de café sans doute ?!

SIDONIE:

JEU DE MASQUES 38

Excusez-moi, je vais peut-être dire une bêtise mais peut-être que M. le baron replaçait régulièrement la cuillère dans sa tasse ? Je dis ça au hasard car je n’ai jamais desservi son plateau.

ISIS : Vous avez raison, ma petite, où avais-je la tête ? Javier, pouvez-vous nous dire s’il vous plaît si mon mari avait des habitudes précises par rapport à cette cuillère ?

EDOUARD :

En d’autres termes, est-ce déjà arrivé que vous la retrouviez dans la tasse même ? JAVIER :

Non, ce n’est en effet jamais arrivé.

MAGELLA :Vous voyez bien ! Donc je persiste et je signe. L’assassin est bien l’un de vous !

EDOUARD :

Vous ne pensez pas sérieusement à nous accuser, nous, sa propre famille ? MAGELLA :

Pour l’heure, je n’accuse personne. ISIS : Inutile de vous dire, inspecteur, que vous avez toute latitude pour interroger chacun des

employés de cette maison.

GLADYS :Mais enfin, Isis, on n’a jamais dit que l’assassin était un employé !

ISIS : (vexée)Ecoutez, Gladys ! En voilà assez ! Vous n’avez qu’à m’accuser tant que vous y êtes !

GLADYS :Ce que je veux dire c’est que tout le monde est forcément suspect !

JAVIER :Merci mademoiselle ! Ce serait en effet nous faire injure que de supposer que le personnel est plus coupable que la famille !

LUTETIA :C’est évident ! La famille est aussi coupable que le personnel, n’est-ce pas inspecteur ?

MAGELLA : (pince sans rire)Absolument madame ! Je vous souhaite malgré tout une bonne journée. (Il sort.)

JEU DE MASQUES 39

ACTE 1 Scène 5

Personnage : Tous les résidents de la maison.

EDOUARD :Je ne sais pas ce que vous en pensez chère belle-sœur, mais cet inspecteur ne m’inspire nulle confiance. Et en tant que frère de la victime, je me propose d’alerter les autorités compétentes pour qu’on lui retire l’affaire.

ISIS : Vous ferez bien !

EDOUARD :A-t-on idée d’avoir des méthodes aussi inqualifiables ?

ISIS : Grotesques, même !

KERN :Farfelues vous voulez dire ?

JAVIER :Déroutantes, si je peux me permettre, madame !

GLADYS :Originales plutôt.

LUTETIA :J’ajouterais iconoclastes.

ISIS : Iconoclastes ? Connaissez-vous au moins le sens de ce mot, chère belle-sœur ?

LUTETIA :Parfaitement ! Cela vient du grec Konos qui veut dire euh… connaissance, et "clastes" c’est la racine latine de cultivé mais avec le préfixe I, ça veut dire le contraire ! Enfin, vous voyez…

KERN : Non pas très bien mais ça ne fait rien.

GLADYS :

Cela étant, je pense que si son style est très particulier, c’est le moins qu’on puisse dire, je suis sûre qu’il connaît son affaire ! Et ce qui compte, c’est le résultat !

AL : Je crois que sa stratégie est très claire. Il veut semer le trouble dans nos esprits pour

amener le coupable à commettre une erreur.

JEU DE MASQUES 40

SIDONIE :Oui mais en même temps, il a découvert des choses pas vraiment fausses ! Je suis un peu déboussolée, je dois dire ! Et ça me fait très peur de penser que l’assassin est peut-être ici avec nous !

KERN :Personnellement, je n’y crois pas ! A part vous, mon cher Edouard qui lui deviez pas mal de blé, je ne vois personne qui aurait eu intérêt à le tuer !

EDOUARD : (hors de lui)Comment ? Vous osez m’accuser, moi son propre frère ?

LUTETIA :Vous osez l’accuser, lui, mon mari, son propre frère ? C’est inadmissible, c’est…

EDOUARD :

Sachez Monsieur que j’ai toujours rendu l’argent que j’ai emprunté à Charles ! Toujours, vous m’entendez ? C’est une question d’honneur chez nous mais bien sûr ce terme vous est étranger, vous, fils de trotskistes !

LUTETIA :Droguistes on dit, pas trotskistes !

KERN :Et alors ? Oui, parfaitement, mes parents étaient trotskistes ! En quoi ça vous gêne ?

SIDONIE :Madame, si j’osais, je vous demanderais bien quelque chose.

ISIS : Quoi donc, Sidonie ? SIDONIE :

Ce masque ! (Elle le désigne du menton.) ISIS : Eh bien ! Quoi, ce masque ? Il est affreux, je vous l’accorde mais vous n’allez quand

même pas en avoir peur ? Vous savez que vous m’inquiétez, Sidonie ? D’abord, vous entendez des aboiements de chien que personne n’entend et maintenant, vous vous effrayez de ce machin en bois ! Pourtant jusqu’à présent, il ne vous dérangeait pas ?

SIDONIE :Oui mais maintenant, ce n’est pas pareil !

ISIS : Que voulez-vous qu’il vous arrive ? Vous ne risquez absolument rien ! Ce n’est qu’un masque dans une vitrine ! D’ailleurs, elle n’est pas si propre que ça, cette vitrine, Sidonie ! Un petit coup de chiffon, ne lui ferait pas de mal !

JEU DE MASQUES 41

SIDONIE :

C’est que…J’ai l’impression d’être observée !

ISIS : Mais ma parole, ce maudit inspecteur vous fait tourner en bourrique ! C’est un masque, Sidonie, un MASQUE !!!

SIDONIE :Oui, mais madame, d’après ce policier, c’est comme s’il était vivant !

ISIS :Vous l’avez très bien dit, Sidonie ! C’est comme s’il était vivant ! Donc, il n’est pas vivant !

SIDONIE :Il est peut-être habité par des esprits, madame ?

ISIS : Habité par des esprits ! Et bien, ça compensera avec certaines personnes qui sont ici ! A propos Al, qu’est-ce que j’apprends ? Pendant que mon mari se fait assassiner, vous ne trouvez rien de mieux à faire que de jouer au tiercé ? C’est tout simplement honteux, vous m‘entendez ? J’en viens à penser qu’en vous engageant, mon mari a misé sur le mauvais cheval.

AL : (un peu blessé et acide)Je regrette madame, je pensais que dans cette maison, aux côtés de tous ces gens qui l’aimaient, il ne risquait rien !

ISIS : Je ne goûte pas du tout vos sarcasmes, sachez-le ! Comment dit-on de nos jours ? Vous

avez tout faux monsieur Ambelidieff ! Votre tâche qui était de protéger jour et nuit mon mari. C’est ça, un vrai garde du corps, non ? Pourquoi croyez-vous qu’on vous paye ?

AL : Vous aurez ma démission cet après-midi, madame ! LUTETIA :

Il est tout à fait inutile d’accabler ce petit, Isis ! Il n’y est absolument pour rien !

GLADYS :Et puis, ce serait trop facile !

JAVIER :Je tiens à dire, madame, que Monsieur Ambelidieff a toujours fait son travail correctement et il serait très injuste de s‘en prendre à lui !

Al s’incline pour le remercier.

EDOUARD :Je crois en effet que l’heure est venue de se serrer les coudes !

JEU DE MASQUES 42

ISIS : (prenant sur elle)Bien, dans ce cas, j’ai d’autres projets pour vous. Comme notre vieux jardinier est malade et qu’il est fort probable qu’il ne reprenne pas, c’est vous qui le remplacerez !

AL : Mais je n’y entends rien !

ISIS : Eh bien, vous apprendrez! Javier vous montrera ! D’ailleurs, vous n’avez qu’à commencer tout de suite. Ce parc est devenu une vraie jungle !

JAVIER :

Bien, madame ! Venez, Al ! (Ils sortent.) KERN :

Retour à la case départ : le gorille dans la jungle !

ISIS : Vous, occupez-vous des obsèques, c’est tout ce qu’on vous demande.

KERN :Il y a toujours ce souci pour l’inscription, madame ! Vous hésitiez entre : «à mon regretté mari» et «à mon cher époux».

EDOUARD :Vous n’avez qu’à prendre «mon cher époux» : il y a moins de lettres !

LUTETIA :Tout dépend chère belle-sœur, si vous le regrettez vraiment !

ISIS : Ecoutez-moi bien : que ça vous plaise ou non, j’aimais Charles d‘un amour sincère et désintéressé ! M. Kern, vous n’avez qu’à faire graver « à mon regretté mari».

KERN :C’est déjà fait, madame ! J’avais anticipé votre décision !

ISIS : M. Kern, on ne vous a jamais dit ? Vous êtes d’une efficacité horripilante ! Cela ne m’étonnerait pas au bout du compte que vous ayez tué mon mari !

KERN : (cynique)Vous me faites trop d’honneur madame.

AL : (qui entre brusquement)Madame la Baronne, la grille d‘entrée a été forcée !

ISIS : C’est ennuyeux. Vous pouvez la réparer ou il faut faire venir quelqu’un ?

AL : Il faut faire venir quelqu’un Madame. ISIS : Ah ! Bien, dans ce cas, réparez vous-même !AL : J’ai aussi trouvé des coquilles d’œufs durs derrière un buisson.

JEU DE MASQUES 43

LUTETIA :Oh ! Ça, c’est sûrement des touristes hollandais !

ISIS : Hollandais?

LUTETIA :Oui, hollandais. Frits, c’est anglais ; brouillés, c’est belge ; à la coque c’est français ; et durs, c’est hollandais.

ISIS : Et crûs ?

LUTETIA : (catégorique)Allemand ! L’œuf crû, c’est allemand !

KERN :Et l’œuf creux, vous connaissez ?

JAVIER : (qui reste sur le seuil de la porte)Madame, le repas est servi.

ISIS :Bien, nous arrivons. Qu’y a t-il au menu, Javier ?

JAVIER : (très lentement)Un peu de viande froide, madame.

RIDEAU

ACTE 2 Scène 1

JEU DE MASQUES 44

Personnages : ISIS - JAVIER - KERN

ISIS : (qui entre dans le salon vêtue d‘un ensemble noir très chic)Mon dieu, quelle journée ! (Elle enlève ses gants puis apercevant le secrétaire) Oh ! Vous êtes déjà rentré, M. Kern ! Cela tombe bien, je voulais absolument vous féliciter pour la manière dont vous avez organisé les obsèques, avec le petit mot dans la presse et tout ce qui s’ensuit. Vous avez été à la hauteur et ce n’était pas facile.

KERN :Merci.

ISIS : Ne me remerciez pas ! Habituellement, on ne se fait pas de cadeaux. Vous ne m’aimez pas et je ne vous aime pas, mais force est de reconnaître que là, vous avez assuré. C’est bien simple, sans vous, on n’y serait pas arrivé !

KERN :Vous savez, tout avait été prévu de longue date par votre mari lui-même mais je ne suis pas fâché que cela soit terminé. Je n’avais jamais vu autant de monde à un enterrement. Tout le gratin ! Il y avait même notre ami l’inspecteur qui n’était pas très loin de vous à un moment donné…

ISIS : Oui, je l’ai aperçu. Je suppose qu’il nous espionnait tous autant que nous sommes.

KERN :Il m’a semblé qu’il vous surveillait particulièrement…

ISIS : Grand bien lui fasse ! Il peut me surveiller toute la sainte journée s’il veut et même toute la nuit, cela ne changera pas grand chose. Charles est mort assassiné et le coupable était peut-être tranquillement avec nous, versant des larmes de crocodile.

KERNMoi, je pense que l’assassin, quel qu’il soit, peut dormir tranquille. Ce n’est pas demain que cet ersatz de policier lui mettra le grappin dessus.

JAVIER : (qui fait son entrée en apportant un plateau contenant des lettres)

A votre place, je ne le sous-estimerais pas, monsieur. Le courrier, madame.

ISIS : Merci Javier.

KERN :Personnellement son petit numéro ne m’a pas du tout impressionné.

ISIS : Moi je trouve insultant qu’on nous ait envoyé un simple inspecteur alors que cette maison aurait mérité sans nul doute l’envoi d’un commissaire de renom.

JAVIER :Désirez-vous autre chose, madame ?

JEU DE MASQUES 45

ISIS : Absolument. Il y a longtemps que je voulais vous le demander : pourquoi à chaque fois que je vous entends dire : «Madame», j’ai l’impression de ramasser une gifle ?

JAVIER : (très digne)

Je ne sais pas, Madame. (Un temps) ISIS : (qui accuse le coup avec un sourire forcé)

Etes-vous heureux, dans cette maison, Javier ?

JAVIER :Je n’ai pas à être heureux ou malheureux. Je me concentre uniquement sur ma fonction. Mes états de service avant mes états d’âme. Toutefois, je vous remercie de vous soucier de mon bien être.

ISIS : Vous êtes vraiment irréprochable, Javier : aucune faute, aucun mot déplacé…

JAVIER :Cela me rend-il suspect, madame ?

ISIS : Non, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire bien sûr. Mais voyez- vous, cela ne m’étonnerait pas que la police vous soupçonne. Vous êtes effroyablement impassible secret, froid, voire glacé…

KERN :Le profil type de l’assassin…

JAVIER : L’inspecteur ne s’intéresse pas à quelqu’un comme moi, M. Kern ! En revanche, il pourrait apprendre vos démêlés avec la justice.

KERN :

Ah ! Nous y voilà ! Je me demandais quand cette vieille affaire remonterait à la surface. Je vous rappelle que j’ai bénéficié d’un non-lieu, vous devez le savoir !

ISIS : (hors d’elle) Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Pourquoi ne suis-je pas au courant ?

KERN :C’est une sombre machination où j’ai pu prouver mon innocence !

JAVIER :On n’a pas pu prouver que vous étiez coupable, c’est un peu différent !

ISIS : Mon mari était informé de cette affaire, je suppose ?KERN :

Oui, naturellement !

ISIS: (très remontée)

JEU DE MASQUES 46

Naturellement ! Si je comprends bien, il n’y a que moi qui ne sache rien ! A partir de maintenant, je veux tout savoir sur tout. En particulier sur mes employés.

KERN :Il y a presque rien à dire. J’étais au mauvais endroit au mauvais moment, c’est tout.

JAVIER :Enlèvement d’enfant et demande de rançon. Une bagatelle…

KERN :J’ai été blanchi et l’enfant a été retrouvé sain et sauf, c‘est bien le principal, non ?

ISIS: Vous m’en voyez ravie !

KERN:Pourquoi vous ne demandez pas à Javier de vous parler de sa vie familiale, c’est encore plus instructif, croyez-moi !

ISIS: Cela ne me regarde pas. JAVIER :

Taisez-vous, vous ne savez rien ! Est-ce que vous avez encore besoin de moi, Madame ?

ISIS : Vous pouvez disposer. Merci (Le majordome s’incline et sort.)

KERN :Vous ne trouvez pas, madame que ce masque ressemble à Javier ?

Isis hausse les épaules et sort avec le courrier dans les mains.

ACTE 2 Scène 2

Personnages : GLADYS - KERN

Se croyant seule, Gladys entre et se met à fureter.

JEU DE MASQUES 47

KERN : (se levant d’un fauteuil qui le masquait, la surprend.)

Oh ! C’est vous, mademoiselle ?

GLADYS : (prise au dépourvu mais parvenant à se contrôler)Oui, comme vous le voyez !

KERN :Je peux peut-être vous aider ?

GLADYS : Non, merci et si vous pouviez ne pas me coller sans arrêt.

KERN :Je ne vous colle pas. Je vous observe.

GLADYS :Ne m’observez pas !

KERN :Dites-moi au moins ce que vous cherchez.

GLADYS :Rien qui vous regarde en tout cas.

KERN :Vous n’êtes guère aimable. Vous croyez que j’ai tué votre père, c’est ça ?

GLADYS :Je ne vous ai pas accusé.

KERN :Non mais vous m’évitez. Pourquoi ?

GLADYS : (exaspérée et lui faisant face pour la première fois.)Je ne suis pas amoureuse de vous. C’est mon droit, non ?

KERN :Certainement mais votre mépris m’est insupportable : moi j’ai toujours tout sacrifié pour votre père.

GLADYS :Vous êtes probablement quelqu’un de bien mais je ne vous désire pas.

KERN :Désolé de ne pas être un produit vendeur. Si j’avais su j’aurais fait un peu plus de gonflette.

JEU DE MASQUES 48

GLADYS : (qui a arrêté de chercher)Ah non ! Vous n‘allez pas me reparler de Al ! Pas de scène de jalousie le jour où l’on enterre mon père ! Par pitié !

KERN :J’irai jusqu’au bout ! Ce garçon ne vaut pas un clou, vous le savez bien et autant votre malheureux frère que vous et probablement Isis, vous le badez comme c’est pas permis.

GLADYS : Vous me fatiguez, Kern !

KERN :Et si c’était lui l’assassin, vous y avez pensé ?

GLADYS :C’est mon père qui l’a recruté et il n’a pas pu se tromper à ce point.

KERN :Je vous aime vraiment.

GLADYS :Respectez mon deuil, je vous prie.

KERN :

Vous voyez la vie comme une scène de théâtre Gladys. Moi, ça ne m’étonne pas que vous vouliez devenir comédienne ; ça vous évite d’être vous-même, parce qu’en vérité, vous ne vous supportez pas. A la mort de votre mère, de votre frère, puis de votre père, je n’ai pas vu une seule larme. Certains pensent que c’est parce que vous n’êtes pas sensible. Moi je crois que c’est parce que vous avez décroché exactement comme une vieille actrice et, aujourd'hui, vous suivez votre vie depuis les coulisses. Vous voulez vous faire croire que vous existez toujours mais, en réalité, vous avez déjà quitté la scène que vous jouez !

GLADYS :

Vous n’êtes pas obligé de donner dans la psychologie de comptoir pour m’impressionner, vous savez ?

KERN :Maintenant que votre père a fermé ses yeux, je voulais simplement ouvrir les vôtres.

GLADYS :Je ne veux plus entendre le son de votre voix , Kern ! C’est bien simple : à partir de maintenant, considérez qu’il n’y a plus de Gladys au numéro que vous demandez.

KERN : (avec humour)Puis-je au moins vous écrire en peste restante ?

Gladys s’écroule dans le canapé tandis que Kern sort.

JEU DE MASQUES 49

ACTE 2 Scène 3

Personnages : GLADYS - EDOUARD - LUTETIA

EDOUARD : (qui entre en compagnie de LUTETIA)Oh ! Ma chère enfant, comment vous sentez-vous ?

GLADYS :

Oncle Edouard, si tu arrêtais ce vouvoiement ridicule !

JEU DE MASQUES 50

LUTETIA :Comment te sens-tu ma petite ? Tu as l’air toute chose.

GLADYS :Je vais bien, rassurez-vous, mais je me sens impuissante. J’ai l’impression d’être une erreur de casting.

LUTETIA :Comment ça, une erreur de casting ?

GLADYS :Je crois que je ne suis pas à ma place tante Lutétia. Je voudrais me réveiller mais je n’arrive même pas à dormir.

EDOUARD :Il faudrait peut-être consulter un médecin…

LUTETIA :Mais non, les médecins ne soignent que la grippe et Gladys n’a pas la grippe, hein ?

EDOUARD :De quoi as-tu envie, dis-moi ?

GLADYS :De rien. J’étouffe ici. Si vous saviez combien ma mère et mon frère me manquent.

LUTETIA :

Et ton père ? GLADYS :

Il me semble que ça fait longtemps que je l’ai perdu. Je ne sais pas comment cela a pu se faire mais un jour pourtant, nous nous sommes perdus. C’est de la faute de personne. C’est ainsi.

LUTETIA :Ne parle pas comme ça. Le passé est le passé. Un jour, tu trouveras ton équilibre.

GLADYS :En attendant, j’ai mal dans tout mon corps et pourtant, je ne suis pas malade.

EDOUARD :Tu es peut-être enceinte ?

LUTETIA :Ne dis pas de bêtises. On ne tombe pas enceinte, comme ça ! Est-ce que je tombe enceinte, moi ?

GLADYS :

JEU DE MASQUES 51

De toutes façons, c’est impossible, je ne m’intéresse à aucun garçon !

EDOUARD : (inquiet)Comment ça, tu ne t’intéresses à aucun garçon ? Attends Gladys, t’es pas en train de nous dire que comme ton malheureux frère tu…

LUTETIA :Mais non, qu’est -ce que tu racontes Edouard ? Ce n’est pas du tout comme Christopher. Lui, il adorait les garçons, et…

GLADYS :Et puis il y a Kern qui me tourne autour.

LUTETIA :Laisse-le tourner celui-là ! Et avec Al, tu t’entends comment ?

EDOUARD :

Mais tu n’es pas bien ! Avec toutes les casseroles qu’il trimballe celui-là !

LUTETIA :Tiens, le voilà justement !

EDOUARD :Quand on parle du loup…

LUTETIA :Tu as sûrement plein de choses à lui dire ! On te laisse. Viens Edouard !

Ils quittent la scène tous les deux.

ACTE 2 Scène 4

Personnage : GLADYS - AL

AL : L’inspecteur n’est pas encore revenu ?

GLADYS : Non.

AL : Y a t-il quelque chose que je peux faire pour vous ?

GLADYS :Non.

JEU DE MASQUES 52

AL : Vous n’êtes pas bavarde.

GLADYS :Non.

AL : Vous pensez peut-être que je suis l’assassin de votre père ! Je comprends, remarquez quand on regarde mon CV, je ne peux être que coupable. (Il s’apprête à repartir)

GLADYS : (Elle hausse les épaules puis,)

Où allez-vous ?

AL : Ça ne vous regarde pas ! GLADYS : (méprisante)

Parier sur vos stupides canassons sans aucun doute ! Pff ! AL : Cela ne m’étonne pas, Gladys, qu’il n’y ait aucun mec dans votre vie. Vous ne laissez

aucune chance à personne.

GLADYS :Vous n’avez pas le droit de me juger !

AL : Refaites cette réplique pour voir ! (Il la singe. Même mimique et même voix.)

GLADYS : (après avoir haussé les épaules)Vous savez très bien qu’aucun garçon n’aurait trouvé grâce aux yeux de mon père. Il n’y a que vous qui lui plaisiez.

AL : Je plaisais aussi à votre frère !

GLADYS :Evidemment. Lui, il voulait coucher avec vous ! Mais en ce qui me concerne, je vous le dis tout net : votre plastique n’a aucun effet sur moi.

AL : Vous savez, tout n’est pas en plastique chez moi ! GLADYS :

Je ne me rappelais pas que c’était si con un mec !

AL : La vérité c’est que vous avez peur de moi comme vous aviez peur de votre père !

GLADYS :Je n’ai peur de personne mais simplement, je ne vous calcule pas, Al. C’est tout.

AL : Soyez tranquille, moi non plus; je ne joue pas quand il manque des pièces !

JEU DE MASQUES 53

GLADYS : (très énervée)

Ah ça ! vous ne manquez pas d’air de me comparer à un jeu ! Mais vous Al, qu’est-ce que vous êtes sinon une authentique charade, un rébus insupportable, un hiéroglyphe assommant ? A qui ai-je l’honneur de parler ? A l’ami de mon frère ou à son pire tourment ? A l’employé modèle ou à l’opportuniste ? Qu’aimez-vous réellement ? Le sexe ou l’argent ? Qu’est-ce qui vous fait bander aujourd’hui, Al ? Qui ai-je vraiment en face de moi ? Un apprenti jardinier ou un assassin ?

AL : Peut-être tout ça à la fois ! GLADYS :

Oh ! Et puis je suis bien bête de vouloir vous parler. Vous ne pouvez pas m’aider de toutes façons. (Elle quitte la scène et Al l’imite une dernière fois)

ACTE 2 Scène 5

Personnages : AL - KERN - MAGELLA

KERN : (qui entre dans le salon, très moqueur)Tiens, M. le jardinier. Que faites-vous ici ? Le parc c’est de ce côté !

AL : Et vous, la prison, vous savez où elle est ?

KERN :Très drôle ! Mais pas aussi drôle que votre nouveau costume !

AL : Le vôtre s’il est rayé de bas en haut sera moins seyant vous verrez !

KERN :

JEU DE MASQUES 54

Vous pensez que j’ai tué le vieux ? Oh ! Je doute que l’inspecteur me suspecte ! En revanche, quand il apprendra vos frasques avec de vieilles rombières et autres notables de province en mal de sensations, je pense qu’il ne vous lâchera plus. Alors, un conseil, retournez jouer avec votre brouette et votre râteau tant que vous le pouvez encore !

AL : Moi je veux bien mais le spécialiste du râteau c’est quand même vous, non ? KERN :

Vous faites allusion à Gladys ? Quand l’assassin de son père sera arrêté, elle y verra plus clair, et elle aura besoin d’un homme sûr, un vrai.

AL : Sauf qu’elle ne s’intéresse pas du tout à vous et que vous n’avez aucune chance !

KERN :Je pense qu’elle se lassera vite des petits minets dans votre genre fussent-ils au volant d‘une Jaguar.

AL : Ah ! Nous y voilà ! Je comprends que vous l’ayez en travers de la gorge mais je n’ai jamais rien demandé, soyez-en sûr !

KERN :Vous aurez du mal à convaincre l’inspecteur !

MAGELLA : (qui a entendu la dernière réplique en pénétrant dans le salon.) Est-ce que par hasard j’aurais manqué un épisode ?

AL : (qui se raidit aussitôt)On ne vous a pas entendu arriver, monsieur.

KERN : (qui s’amuse)L’inspecteur Magella, le retour !... (Plus sérieux) Vous n’avez rien manqué, inspecteur ! Nous devisions gentiment entre personnes de bonne compagnie.

MAGELLA : (pas dupe)Comme tout cela est charmant !... Je voulais vous féliciter pour votre héritage, M. Ambelidieff, une voiture pareille, c’est un beau cadeau !

AL : (très militaire dans la voix et dans les gestes)Y a-t-il un problème, monsieur ?

MAGELLA :Je suppose que c’est pour services rendus.

KERN :M. le jardinier, est-ce que vous savez que vous n’êtes plus à l’armée ?

JEU DE MASQUES 55

AL : Ne parlez pas de choses que vous ne connaissez pas .J’ai servi la France, moi ! KERN :

Allons donc ! Vous n’étiez qu’un pion sur l’échiquier et vous restez aujourd’hui un troufion sans cervelle mais avec une auto de luxe. De la confiture aux cochons, oui ! Une voiture à pédales aurait sûrement mieux convenu!

AL : Tu sais ce qu’il va te faire le cochon ? (Il s’avance vers Kern prêt à en venir aux mains.

Kern se met en position pour parer les coups.)

MAGELLA :Messieurs, du calme ! (Il tente de les séparer et AL consent à se calmer. Un temps) Cette magnifique Jaguar est donc désormais à vous ?

AL : (à nouveau très militaire)J’espère qu’il n’y a pas de problèmes, monsieur !

MAGELLA :Non sauf que vous n’allez pas la garder longtemps !

AL : Pourquoi ? Les papiers sont formels et madame la baronne elle-même…

MAGELLA :Oui je sais que Mme la baronne n’y a vu aucune objection mais il ne s’agit pas de ça ! Combien vous ont coûté vos derniers paris ?

AL : J’ai manqué de chance ces derniers temps… MAGELLA :

Cette Jaguar tombe donc du ciel, vous ne trouvez pas ?AL : Je ne compte pas la vendre, monsieur.

MAGELLA :Vous n’avez pas le choix semble-t-il.

KERN : (railleur)Inspecteur, si j’étais vous, je ne m’inquiéterais pas trop pour ce jeune homme. Il a sûrement quelques idées croustillantes pour régulariser son compte en banque.

MAGELLA :Depuis quand savez-vous que le baron allait vous léguer sa voiture ?

AL : Je l’ignorais totalement.

MAGELLA :J‘en doute. N’est-il pas vrai que, par le passé, il a déjà renfloué vos dettes de jeu ?

AL : Il n’avait pas de raison de le faire.

JEU DE MASQUES 56

MAGELLA :Mais il l’a quand même fait.

AL : Je n’ai donc aucune raison de l’avoir tué.

MAGELLA :Sauf si cette fois il vous avait dit qu’il n’interviendrait plus. Parlez-moi plutôt de Acropolia.

AL : Je n’ai plus rien à voir avec ça, monsieur !

MAGELLA :Le baron connaissait, je suppose, vos sympathies quand il vous a pris à son service ?

AL : Je ne lui ai jamais rien caché. MAGELLA :

C’est peut-être même comme ça qu’il vous a recruté ? Vous avez gardé des contacts avec Acropolia ?

AL : Cela fait partie des choses que j’essaie d’oublier, monsieur.

KERN :Mais pourquoi ? Vous avez honte ? Quand on aime le sport, quoi de plus réjouissant que de se munir d’une batte et d’aller casser un peu d’arabe ? A 10 contre 1, ça peut-être sympa ! Ou alors traquer les travelos la nuit, n’est-ce pas une belle façon de servir la France ?

AL : (exaspéré)Taisez-vous ! Tout ça est bien fini. Fini ! Vous entendez ?

KERN :

Ya volt ! Fini ! Kaputt ! AL : Vous ne me croyez pas bien sûr, inspecteur. Pour vous je suis sans doute de la mauvaise

graine, de la racaille dégénérée totalement irrécupérable et cela vous arrangerait que ce soit moi le coupable. Mais pas de chance, ce n’est pas moi !

MAGELLA : (très ferme)Je vous interdis de penser à ma place vous m’entendez ? Quant à vous, M. Kern, votre situation n’est guère plus brillante.

KERN :Ah ? Dois-je m’inquiéter tout de suite ou puis-je attendre encore un peu ?

MAGELLA:A vous de voir !

JEU DE MASQUES 57

KERN :Vous faites sans doute allusion au petit non-lieu dont j’ai écopé voici quelques années… Si vous n’avez rien d’autre contre moi que ce vieux pétard mouillé…

MAGELLA :Vous aviez un bon avocat en la personne de maître Tourvières.

KERN :Le meilleur !

MAGELLA :Ce même avocat qui se trouve être également celui du baron.

KERN :Je vous l’ai dit : c’est le meilleur. Qu’y a-t-il de si étonnant ?

MAGELLA :Comment expliquez-vous votre implication dans cette histoire d’enlèvement, si ce n’est que vous étiez employé chez les parents de la petite ?

KERN :Je n’ai pas d’explication. Ces gens ne m’aimaient pas. C’est la meilleure des raisons.

MAGELLA :Et le baron, lui, il vous aimait ?

KERN :

Le baron n’aimait personne à part cet engin qui est à côté de vous. (Al se crispe.)

MAGELLA : (qui fait signe à Al de se calmer)Je vous demande cela à cause de l’incident tout récent qui a eu lieu entre lui et vous.

KERN :Un incident ? Non, je ne vois pas ! Pourriez-vous être plus clair, inspecteur ?

MAGELLA :Vous ne voyez vraiment pas ? Pourtant je fais allusion à un épisode assez frappant.

KERN :

Ah oui ! Bien sûr ! J’ignore comment cet épisode est arrivé jusqu’à vous mais peu importe, je n’ai à rougir de rien. Il fallait tôt ou tard que je fasse cette démarche. Mais est-il indispensable que Al assiste à l’entretien ?

MAGELLA :Je n’y vois aucun inconvénient.

JEU DE MASQUES 58

AL : Moi non plus.

KERN :Comme vous voudrez. Ce jour-là, j’ai voulu révéler au baron une authentique vérité à savoir que j’aimais Gladys et que je comptais l’épouser. Mais il s’est très vite emporté et à ma grande stupeur, il m’a roué de coups avec sa canne. Du délire !

AL : N’importe quoi ! Il ne vous aurait jamais frappé pour ça. Il aurait rigolé un bon coup ou aurait simplement haussé les épaules.

MAGELLA :

Vous aimez donc Gladys ? AL : Oui, ça c‘est peut-être vrai ! Sauf qu’elle n’a pas envie de vous épouser ! KERN :

Mais elle n’a jamais eu droit au chapitre. Son père la tenait sous sa coupe et…

MAGELLA :Maintenant qu’il n’est plus là, tout devrait être plus facile !

KERN : (Il hausse les épaules.) J’aime cette gosse. Vous pouvez comprendre ça, non ? Mais elle n’a jamais pu se livrer. Vous l’avez déjà vu rayonnante, cette fille, vous ? Elle n’a jamais pu amener un seul petit copain ici. Le baron n’en voulait pas. Alors moi j’ai voulu crever l’abcès. J’ai joué cartes sur table et je ne regrette rien.

AL : Je n’en crois pas un mot.

MAGELLA : Quand il vous a frappé n’a t- il pas prononcé le mot de "traître" par hasard ?

KERN :Traître ? Non, je ne crois pas. Pourquoi tout de suite les grands mots ?

MAGELLA :Ce n’était pas la première fois je crois que vous receviez des coups de canne, il me semble, et là je ne parle pas du baron ?

KERN :Je ne vois pas où vous voulez en venir ! D’ailleurs si vous voulez mon avis, je pense que vos petites hypothèses relèvent plus du cabaret que de l’enquête policière.

MAGELLA :Vous croyez ?

KERN :

JEU DE MASQUES 59

J’en suis sûr. Vous pouvez prendre les gens de cette maison pour des imbéciles, ce qu’ils sont du reste, mais avec moi, ça sera une autre paire de manches.

MAGELLA :Vous êtes à n’en pas douter très intelligent .Beaucoup d’assassins le sont également. Mais répondez-moi ! Vous avez déjà reçu des coups de canne par le passé, n’est-ce pas ?

KERN :Arrêtez tout de suite ce numéro. Vous ne savez rien sur moi.

MAGELLA : (très concentré et le regard vers le sol)

Votre père vous frappait car il pensait que vous n’étiez pas son fils. A l’âge de sept ou huit ans vous vouliez devenir archéologue et vous vous amusiez avec votre meilleur copain François à enterrer des morceaux de vase dans le sol. D’ailleurs, vous faisiez exprès de casser ces vases. Votre mère le savait mais elle ne disait rien. Vos parents sont morts presque en même temps. C’était vraiment votre père. Puis vous êtes secrètement tombé amoureux d’une Suzie qui se moquait un peu de vous parce qu‘à l’époque vous aviez des taches de rousseur sur le visage. Je ne parle pas de quelques difficultés et autres troubles dont vous souffrez toujours malgré des soins intensifs… (droit dans les yeux) Dois-je continuer ou ça ira comme ça ?

KERN : (ébranlé)Je n’ai pas de temps à perdre avec les phénomènes de foire. Si vous avez des questions sérieuses, je suis dans mon bureau. (Il sort passablement énervé.)

AL : Vous pouvez faire ça avec tout le monde, monsieur ?

KERN :Vous savez, j’ai dit un peu ce qui me passait par la tête.

AL : Vous devriez recommencer plus souvent.

MAGELLA :Dites-moi, je voulais vous demander, voyez-vous quelqu’un régulièrement ?

AL : Vous voulez dire comme une petite amie ? MAGELLA :

Oui, par exemple. AL : En ce moment, j’ai une liaison avec une femme mariée.

MAGELLA :Vous avez raison, ce sont les plus disponibles. Vous pouvez disposer, merci. (Il sort)

JEU DE MASQUES 60

ACTE 2 Scène 6

Personnage : ISIS - MAGELLA

ISIS :Ah ! Inspecteur, vous êtes là ? Personne ne m’a prévenu de votre arrivée !

MAGELLA:Mes hommages, madame.

ISIS:Où en est votre enquête ? J’espère que rien n’a filtré dans les journaux !

MAGELLA :Non, rassurez-vous ! La presse a pour l’instant d’autres chats à fouetter. Toutefois nous ne sommes pas à l’abri d’une indiscrétion si l’enquête venait à s’éterniser.

ISIS : Bien sûr. Voyez-vous, inspecteur, on croit toujours que ce genre d’histoire n’arrive qu’au cinéma ou au théâtre et quand ça arrive chez vous, on est un peu désemparé.

MAGELLA :C’est bien compréhensible.

JEU DE MASQUES 61

ISIS : J’ai toujours autant de mal à admettre que l’assassin soit parmi nous ! Charles était si bon et si généreux avec ses employés.

MAGELLA :Hélas, madame ! Les sentiments humains sont si tortueux ! Puis-je à présent vous poser deux questions ?

ISIS : Certainement ! Quelle est la deuxième ?

MAGELLA : (qui sourit)Pourriez-vous me dire si vous avez une occupation particulière ici ou ailleurs ?

ISIS : Absolument ! J’ai horreur de rester sans rien faire alors je donne des cours de catéchisme.

MAGELLA :Fort bien. (Il note) Je suppose que vous vous occupez aussi d’œuvres caritatives ?

ISIS : Grand dieu, non ! Des lépreux, des handicapés ou des pauvres, merci bien ! Pour ma part, je donnerai à tous ces gens quand ils assumeront ce qu’ils sont ! Quand les personnes de petite taille s’appelleront des nains et quand les mals-comprenants s’appelleront des cons !

MAGELLA :Vaste programme si je peux me permettre !

ISIS : Vous l’avez dit !

MAGELLA :Une dernière chose. Comment vit-on le fait de ne pas avoir d’enfants ?

ISIS :Et vous, inspecteur, vous avez des enfants ?

MAGELLA :Hélas non ! Mais je crois qu’avec le temps, j’ai fini par m’habituer à cette idée…

ISIS :Et bien dites-vous que c’est pareil pour moi !

MAGELLA :Vous êtes une femme, c’est peut-être différent…

ISIS : La vie ne l’a pas voulu ainsi. Que voulez-vous que je vous dise d’autre ? Et puis j’ai

toujours un peu considéré Gladys comme ma fille même si j’ai plutôt l’âge d’être sa grande sœur.

MAGELLA :

Vous êtes une belle femme.

JEU DE MASQUES 62

ISIS : (flattée)Merci, inspecteur !

MAGELLA :Vous n’avez pas dû manquer de propositions !

ISIS : Et vous vous demandez sans doute pourquoi j’ai fini par choisir un vieux, c’est ça ? C’est un coup de foudre, inspecteur ! Cela ne s’explique pas !

MAGELLA:

Vous ne vous ennuyez jamais ?

ISIS : Ceux sont les gens qui m’ennuient le plus souvent, inspecteur. MAGELLA :

Est-ce que je vous ennuie, madame ?

ISIS : Non, mais, voyez-vous, cela m’ennuie que vous me soupçonniez !

MAGELLA :Vous avez raison, madame, je vous soupçonne. Je vous soupçonne de ne m’avoir dit qu’une infime partie de la vérité, pour tout dire, juste un soupçon.

ISIS : Et qu’est-ce que je vous aurais caché ?

MAGELLA :Par exemple, qu’il y a longtemps qu’il ne se passait plus rien entre votre mari et vous-même, que vous n’aimez pas vraiment ce château ni les gens qui l’habitent ; qu’il vous arrive de regretter d’avoir épousé le baron… Vous voyez, ce genre de choses.

ISIS : Que vous le vouliez ou non, inspecteur, j’aimais mon mari avec de l’amour et des

sentiments… Vous voyez, ce genre de choses… MAGELLA :

Je n’ai pas dit que vous ne l’aimiez pas. J’ai dit qu’il ne se passait sans doute plus rien entre vous.

ISIS : Vous n’avez pas dit «sans doute» ! Vous avez été plus affirmatif ! MAGELLA :

Sans doute ! J’ai même dans l’idée que vous connaissiez le baron bien avant la mort de sa première femme.

ISIS : (catégorique)Absolument pas. D’autre part je tiens à vous dire que je n’ai pas d’amant, ni de vengeance à assouvir, ni de rancœur particulière. J’ajoute que j’ai horreur des seringues et que si j’avais décidé de tuer quelqu’un, je l‘aurais sûrement pendu.

JEU DE MASQUES 63

MAGELLA :Tiens donc !

ISIS : (lyrique)Oui, vous imaginez un peu ? Il lui met la bague au doigt ; elle lui passe la corde au cou. Tragique !

MAGELLA :Cela ferait une belle une, en effet !

ISIS : Voyez-vous, inspecteur, les pendus m’ont toujours impressionné. Ce sont véritablement les seuls à être plus grands morts que vivants, vous ne trouvez pas ?

MAGELLA :C’est une façon de voir les choses.

ISIS : Ceci pour vous dire que le coup de la seringue, non et avec du penthio machin en plus,

non, et mille fois non. D’abord où aurais-je trouvé ça, moi ?

MAGELLA :Soit ! Mais si ce n’est pas vous, qui est-ce ?

ISIS : Je vais essayer de vous aider. Voyons un peu. Chez les hommes, Edouard serait mon

favori mais il n’a pas la carrure. Javier, lui en aurait l’étoffe mais il n’est plus dans le coup. Il y a Kern, bien sûr, qui lui est capable de tout, mais je n‘y crois pas. Al, ensuite, mais il adorait mon mari.

MAGELLA :Et chez les femmes ?

ISIS : Il y a Gladys, évidemment. Elle est un peu spéciale mais je ne la vois pas tuer son père. Lutétia est sans doute jalouse de moi mais de là à en faire une tueuse ! Reste Sidonie. Elle est très effacée mais peut-être cache-t-elle son jeu. De toutes façons, elle n’a pas plus de mobile que les autres. Vous vous êtes trompé inspecteur, admettez-le !

MAGELLA :Non c’est impossible ! Quand je me trompe, j’ai les pieds qui prennent froid et là, j’ai l’impression d’avoir marché sur des braises ! Vous savez, c’est très intelligent les pieds…

ISIS : Je n’en doute pas. Quand vous en serez à la tête, je reviendrai vous voir. Bonne journée, inspecteur ! (Elle tourne le dos ostensiblement et s’apprête à sortir.)

MAGELLA :Merci madame. Où puis-je trouver votre majordome à cette heure-ci ?

ISIS : Il ne doit pas être loin. Je vous l’envoie. (Elle sort.)

JEU DE MASQUES 64

ACTE 2 Scène 7 Personnages : MAGELLA - SIDONIE

SIDONIE :Bonjour inspecteur. Madame m’envoie vous demander si vous n’avez besoin de rien.

MAGELLA :Rien pour le moment. Mais vous pouvez rester. J’aimerais m’entretenir avec vous.

SIDONIE :Oh ! Avec plaisir ! J’adore les enquêtes policières, surtout Derrick ! Vous pouvez me demander tout ce que vous voulez, inspecteur !

MAGELLA :Je vous remercie mademoiselle. Dites-moi, comment êtes-vous devenue femme de ménage dans cette maison ?

SIDONIE:C’est Maître Tourvières qui m’a arrangé un rendez-vous avec M. le baron et…

MAGELLA :Maître Tourvières !

SIDONIE :Oui, pourquoi ? Vous le connaissez ?

JEU DE MASQUES 65

MAGELLA :Non pas encore hélas ! C’est un ami de la famille si je ne m’abuse…

SIDONIE :

Oui. Un ami personnel du baron. Toujours très poli et de bonne humeur.

MAGELLA :C’est donc grâce à lui que vous avez trouvé cette place d’employée de maison ?

SIDONIE :

Oui, une réelle opportunité. Quand la chance vous sourit, il faut savoir en profiter. MAGELLA :

Saviez-vous que M. Kern est lui aussi un ancien client de Maître Tourvières ?

SIDONIE :Non, je l’ignorais.

MAGELLA :Quand au sein de l’hôpital, vous avez pratiqué certains actes contraires à la médecine, je suppose qu’il était présent ?

SIDONIE :Euh…oui, mais…Comment savez-vous tout ça ? Mon dossier a pourtant été effacé…

MAGELLA :Je vais vous avouer un secret, mademoiselle. Je lis dans les pensées.

SIDONIE :Ah bon, je comprends mieux.

MAGELLA :Rassurez-vous, vous ne risquez plus rien.

SIDONIE :Bon… si vous le dites… je veux bien vous faire confiance. Comme vous l’avez deviné, Maître Tourvières avait déjà préparé tous les papiers avec le notaire et je n’avais qu’à signer si j’étais d’accord. C’était un ancien colonel très fortuné qui m’avait pris en affection. Très souffrant, vous vous en doutez. Je ne cherche pas d’excuses, inspecteur mais je viens d’une famille pauvre, alors j’ai fini par accepter.

MAGELLA :Je suppose que tout a mal tourné.

SIDONIE :

Oui. J’ignore ce qui s’est passé exactement mais toujours est-il que je n’ai pas touché un centime dans l’histoire et en plus, j’ai été virée de l’hôpital.

JEU DE MASQUES 66

MAGELLA :

Savez-vous qui a finalement hérité de ce monsieur ?

SIDONIE :Une œuvre culturelle me semble-t-il. C’est en tout cas ce que j’ai compris.

MAGELLA :

Le nom de cette œuvre ?

SIDONIE :Magnolia ou quelque chose comme ça.

MAGELLA :

Acropolia peut-être ?…

SIDONIE :Oui c’est possible. Vous connaissez ?

MAGELLA :J’ai déjà entendu ce nom quelque part. (Il prend note.) Quelle raison Maître Tourvières a-t-il donnée pour expliquer que vous ne toucheriez rien ?

SIDONIE :Il a dit qu’il y avait eu une erreur de procédure, ce qui a annulé ce dernier testament et en conséquence c’est le précédent qui a prévalu. Enfin, bref, je n’ai rien obtenu mais j’étais déjà bien heureuse de ne pas être poursuivie.

MAGELLA :

Je voudrais vous remercier mademoiselle car vous avez été très courageuse de me raconter tout ça et votre récit était particulièrement détaillé.

SIDONIE :Vous allez me faire rougir, inspecteur.

MAGELLA :Dites-moi mademoiselle, entre nous, pour avoir vu quelques photos de Christopher, je suis persuadé que vous n’avez pas dû être insensible à son charme.

SIDONIE : Vous pouvez vous vanter de savoir lire dans le cœur des femmes inspecteur. C’est vrai que l’on s’entendait à merveille tous les deux. Malheureusement, ce n’est jamais allé plus loin que le stade de l’amitié.

MAGELLA :C’est un joli nom pour un stade.

SIDONIE :

JEU DE MASQUES 67

Oh ! Ne vous moquez pas de moi, inspecteur. Je sais bien ce que vous pensez. C’est que je suis bien sotte de m’être entichée de ce garçon, un fils de famille, alors que je ne suis qu’une simple femme de ménage. Evidemment ça ne pouvait pas coller.

MAGELLA :

Cela aurait pu. Il a trouvé la mort dans un accident de la route, c’est bien ça ?

SIDONIE :Oui. Il conduisait la voiture de son meilleur ami et ils sont morts tous les deux. Christopher allait semble-t-il trop vite et il a loupé un virage. La voiture a fait plusieurs tonneaux. Horrible !

MAGELLA :

Le nom de cet ami ? (Il prend note) SIDONIE :

Joseph Lipia. Je le connaissais bien. Quand le baron n ‘était pas là, il venait ici. Je ne vous raconte pas les parties de rigolades. Mais tout ça, c’est fini, bien fini, hélas !

MAGELLA :Il y a longtemps qu’ils se connaissaient ?

SIDONIE :Non quelque mois, pas plus. Ils s’étaient rencontrés pendant un match de rugby, je crois. Ils étaient assis à la même tribune. Joseph était dans une mauvaise passe parce que sa fiancée venait juste de le quitter. Ah ! Vous auriez dû les voir tous les deux ensemble. Joseph et Christopher. De vrais jumeaux ! Et puis, vous voyez le destin ? Joseph, c’est le papa de Jésus et Christopher, ça fait penser au Christ ! Joseph, il n’aimait pas qu’on l’appelle comme ça ; il trouvait son prénom complètement has been ; il préférait qu’on l’appelle Jo. Mais Christopher l’appelait toujours Joseph et là, Joseph, il disait pas que ça l’embêtait, vous y comprenez quelque chose, vous, inspecteur ?

MAGELLA :Il semble qu’ils se soient retrouvés pour mourir ensemble.

SIDONIE :Je ne sais pas inspecteur. Tout cela est trop mystérieux pour moi.

MAGELLA :Merci mademoiselle. Ce sera tout pour l’instant.

JEU DE MASQUES 68

ACTE 2 Scène 8

Personnages : MAGELLA - JAVIER

JAVIER : (qui entre)Vous m’avez fait demander inspecteur ?

MAGELLA :En effet monsieur Montana. Voilà un petit moment que je désirais m’entretenir avec vous. Rassurez-vous, je ne vous retiendrai pas longtemps.

JAVIER :Merci monsieur.

MAGELLA :Vous êtes dans la maison depuis de nombreuses années je crois …

JAVIER :26 ans 3 mois et 6 jours, inspecteur.

MAGELLA :Quelle précision !

JAVIER :Je ne fais qu‘appliquer la règle des "3 P" : ponctualité, politesse, précision.

MAGELLA:Vous connaissez donc mieux que quiconque toutes les personnes de cette maison…

JAVIER :En effet. On peut dire ça comme ça inspecteur.

JEU DE MASQUES 69

MAGELLA :Que pensez-vous du legs de la Jaguar à M. Ambelidieff ?

JAVIER :

C’est un beau cadeau. C’est tout ce que je peux dire.

MAGELLA :Est-ce que c’est un cadeau justifié, selon vous ?

JAVIER:Ma foi, il y a des choix qu’a fait le baron beaucoup plus discutables que celui-là.

MAGELLA :Mais vous-même qui êtes à son service depuis si longtemps, il aurait pu…

JAVIER :Moi, c’est différent et puis qu’aurais-je fait de cette voiture ?

MAGELLA :Vous avez des souvenirs communs avec le baron, des souvenirs très forts même… je me trompe ? Comment vous êtes-vous rencontrés ?

JAVIER :Au cours d’un voyage au Mexique. On a sympathisé et quand j’ai eu quelques déboires, il m’a proposé de venir ici. J’avais tout perdu. J’ai accepté.

MAGELLA :Et vous êtes devenu son serviteur.

JAVIER :Son majordome, si ça ne vous fait rien. C’est une très bonne place.

MAGELLA :Vous n’avez pas eu d’enfants ?

JAVIER:Euh !... Disons que la vie ne m’en a pas donné.

MAGELLA :Depuis quand ne supportez-vous plus l’alcool ?

JAVIER :Plaît-il ?

MAGELLA :Vous ne buvez jamais d’alcool, je crois. C’est un événement dramatique qui est à l’origine de cette décision, non ?

JEU DE MASQUES 70

JAVIER :Je n’en ai jamais parlé à personne. Comment savez-vous ça ?

MAGELLA :J’ai remarqué que lorsque vous serviez de l’alcool, vous portiez toujours des gants.

JAVIER :Vous faites erreur, inspecteur. Je les mets chaque fois que j’apporte un plateau.

MAGELLA :Ah oui ? Admettons !... Et ce goût pour le lait ?

JAVIER :Je vous demande pardon ?

MAGELLA :Vous buvez combien de verres de lait par jour ?

JAVIER :

Comment savez-vous que je bois du lait ?

MAGELLA :Voyons M. Montana, c’est pourtant simple ! De nombreuses personnes qui n’ont pas d’enfants compensent en buvant du lait. C’est un phénomène très connu. Très souvent d’ailleurs, il y a à la clé, un sentiment de culpabilité. La personne prend inconsciemment la place de l’enfant et tente ainsi par ce type de transfert de compenser une frustration ou même d’expier une faute. Enfantin !

JAVIER:Je veux bien vous croire sur parole inspecteur, car je n’ai pas étudié comme vous, mais sachez qu’en ce qui me concerne, je souffre de décalcification osseuse et le lait que je bois est très particulier. C’est plutôt un remède voyez-vous ?

MAGELLA :

Autant pour moi. Parlez-moi donc de cet événement dramatique qui vous a tant bouleversé et vous a fait renoncer à l’alcool.

JAVIER :Ce n’est pas très facile pour moi mais puisque vous insistez .Il faut que je vous parle d’André Raynaud. (Magella note) C’était un homme exceptionnel. A l’époque, j’étais guide pour un tour opérateur en Afrique. C’est là que je l’ai connu. Il était médecin. Un jour, j’ai failli disparaître dans un sable mouvant et au péril de sa vie, il m’a sorti de là. Croyez-moi cela crée des liens que rien ne peut défaire.

MAGELLA :Cela n’explique pas votre dégoût pour l’alcool.

JAVIER :

JEU DE MASQUES 71

J’y viens… Je l’ai trahi, inspecteur. Moi Javier Montana, j’ai trahi mon meilleur ami. Il m’avait révélé un secret et moi lors d’une beuverie mémorable, je n’ai rien trouvé de mieux que de le divulguer. Peu de temps après, suite à de grossières accusations, André s’est retrouvé en prison où il est mort sans avoir été jugé.

MAGELLA :Cela a dû être très éprouvant pour vous.

JAVIER :Il m’avait sauvé et moi je n’ai rien pu faire pour l’aider.

MAGELLA :Cela se passait en Afrique avez-vous dit ? Est-ce que le baron a pu rencontrer au moins une fois votre ami ?

JAVIER :Ils se sont à peine croisés.

MAGELLA :Auriez-vous pu tuer le baron M. Montana ?

JAVIER :

Je me contente de tuer le temps, inspecteur.

MAGELLA :J’ai le sentiment que le baron vous a déçu. Pourquoi ?

JAVIER :En diverses occasions, il n’a pas été très correct. notamment avec son fils. Le jour où il a compris que Christopher ne se marierait jamais, il ne lui a plus adressé la parole.

MAGELLA :Vous aimiez beaucoup ce garçon j’ai l’impression.

JAVIER :Comment pouvait-on ne pas l’aimer ?

MAGELLA :Vous ne m’avez pas dit toute la vérité, n’est-ce pas ?

JAVIER :

Je vous en ai dit beaucoup.

MAGELLA :Pourquoi ai-je l’impression que vous fuyez tout le temps ?

JAVIER :Je vous donne l’impression de fuir ?

JEU DE MASQUES 72

MAGELLA :Vous marchez lentement M. Montana mais vous ne cessez de vous échapper.

JAVIER :Si vous le dites. Puis-je retourner dans ma cuisine à présent, inspecteur ?

MAGELLA :Je vous en prie.

Le majordome sort.

ACTE 2 Scène 9

Personnages : MAGELLA - GLADYS - EDOUARD

GLADYS :On vous a laissé tout seul, inspecteur ?

MAGELLA :N’avez-vous pas l’impression que tout le monde est seul dans cette maison ?

GLADYS :Pas faux mais voilà où nous en sommes après un accident, un suicide et un meurtre !

MAGELLA :Oui, je trouve qu’on meurt beaucoup dans votre famille. Justement, j’aimerais en savoir plus sur votre mère. Que s’est- il passé exactement ?

GLADYS :Elle n’a pas supporté la mort de Christopher. Elle ne s’en est jamais remise et un matin, je l’ai retrouvée sur son lit. Elle avait avalé tous les cachets qui traînaient.

MAGELLA :

Elle aurait pu essayer de survivre pour vous.

GLADYS :Ce n’est pas le choix qu’elle a fait. Je crois qu’elle se sentait responsable de la mort de mon frère, coupable même ; oui, ça allait jusque là.

MAGELLA :Et votre père, comment a-t-il réagi ?

GLADYS :

Il a accusé le coup lui aussi et au début il a essayé de soutenir Elena mais c’était comme si elle n’entendait pas ce qu’il lui disait.

MAGELLA :

JEU DE MASQUES 73

Vous avez l’impression qu’elle se reprochait quelque chose ? GLADYS : (après une moue dubitative, son visage s‘éclaire)

Vous connaissez cette chanson : «Juste quelqu’un de bien ?» C’était ça, Elena ! J’aurais dû lui dire que j’étais fière d’être sa fille mais là aussi, j’ai échoué.

MAGELLA :Vous êtes très dure avec vous-même, j’ai l’impression.

GLADYS :Si on n’est pas dur avec soi-même, avec qui peut-on l’être ?

MAGELLA :Vous êtes jeune, c’est une circonstance atténuante !

GLADYS :Il y a autre chose que vous devez savoir. Elena a toujours préféré mon frère et je lui en ai voulu pour ça. Elle disait que je ressemblais à mon père et c’était vrai. Mais aujourd’hui, ce que j’aimerais, c’est au moins une fois pouvoir lui dire «maman».

MAGELLA :

Vous pouvez peut-être…

GLADYS :Non, c’est trop tard. Il n’y a rien après la mort ! De ça, je suis sûre ! Il n’y a rien, le vide total, le néant, le désert, le gouffre… D’ailleurs, je me demande pourquoi moi, je suis encore en vie ou même si je vais le rester.

MAGELLA :Vous n‘avez pas le droit de parler comme ça.

GLADYS :

Ah oui ? Et si moi aussi je venais à mourir avant l‘heure, vous pouvez me dire à qui je manquerais ?

MAGELLA :Oui, je peux vous le dire. Vous manqueriez à la vie tout simplement. (Tête dubitative de Gladys) Que pensez-vous de M. Ambelidieff ?

GLADYS :Al ? Je préfère ne pas m’intéresser à ce garçon. Christopher s’est rapproché de lui à un moment donné et il est mort. Ma mère ne le supportait pas et elle est morte aussi. Mon père qui l’employait : assassiné.

MAGELLA :

Vous pensez qu’il a pu tuer votre père ?

JEU DE MASQUES 74

GLADYS :Je n’ai pas dit ça.

Entrée de Edouard.

EDOUARD :Ce garçon n’est vraiment pas net, inspecteur et je suis heureux que ma nièce ne soit pas tombée dans ses filets parce que le bougre, il sait y faire. Heureusement, Gladys n’est pas du genre à tomber en pâmoison devant le premier éphèbe venu comme toutes ces petites écervelées qui se baladent à moitié à poil dans les rues en écoutant de la musique de dingue, enfin, si on peut appeler ça de la musique.

GLADYS :Mon oncle est en train de vous expliquer qu’il n’aime pas les pétasses.

EDOUARD :

Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez savoir en particulier inspecteur ? MAGELLA :

Absolument ! M. de Richambert, j’ai appris que vous vouliez modifier les étiquettes des bouteilles en y ajoutant votre propre prénom accolé à celui du baron ?

EDOUARD : (ahuri) Quoi ? Mais d’où tenez-vous ça ?

GLADYS :C’est vrai, oncle Edouard ? Je comprends mieux pourquoi mon père était en colère.

EDOUARD :

Comment diable savez-vous ça ? Il n’y avait aucun témoin.

MAGELLA :C’est facile à deviner, vous ne croyez pas ? Mais vous avez poussé le bouchon un peu loin si vous me passez l’expression car bien évidemment, vous en avez profité pour demander un petit pourcentage sur chaque bouteille.

GLADYS :Tu as osé réclamer ça ? Mais enfin, le vignoble ne t’appartient pas !

EDOUARD :

Mais je suis le seul à m’en occuper ! Les jours et les nuits que j’y passe, tu ne te rends pas compte du travail que c’est. Cette appellation, c’est aussi la mienne !

MAGELLA :

JEU DE MASQUES 75

Cela dit, 25 centimes d’euros par bouteille, cela a pu lui paraître beaucoup !

EDOUARD : (estomaqué)Vous connaissez aussi ce chiffre ? Pourtant, il est impossible que Charles en ait parlé !

MAGELLA :Ce n’est pas très sorcier car ce chiffre vous colle véritablement à la peau. N’êtes-vous pas né dans le Doubs ? Le 25ème jour de l’année ? N’habitez-vous pas au 25 rue des Saint Pères ? N’avez-vous pas rencontré votre femme un 25 décembre ?

EDOUARD :Mais qu’est-ce que vous racontez ?

MAGELLA :

Vous aimez les maths ? 25 c’est 2 + 5 donc 7 comme dans votre prénom : 7 lettres.

GLADYS :C’est très amusant, inspecteur !

EDOUARD :

Ecoutez, c’est peut-être amusant mais c’est vraiment n’importe quoi! En fait, je suis né dans la région parisienne et non dans le Doubs.

GLADYS :

Vos fiches ne sont pas à jour, inspecteur !

EDOUARD :Ensuite, je suis né en Juin et je doute que ce soit le 25ème jour de l’année et pour finir, je n’ai pas rencontré ma femme un 25 décembre mais un 31 décembre.

GLADYS :Vous avez arrêté beaucoup de criminels dans votre carrière, inspecteur ?

MAGELLA :Heureusement, dans cette carrière, il y a assez peu de criminels, mademoiselle ! En tout cas, ce chiffre de 25 centimes est authentique n’est-ce pas ?

EDOUARD :Oui mais…

GLADYS :

L’inspecteur est tombé juste, c’est le hasard ! A moins que… Lutétia.

EDOUARD :

JEU DE MASQUES 76

Tu es folle ! Je ne lui ai rien dit ! Tu sais comment elle est ! D’ailleurs, puis-je aller la rejoindre inspecteur ? Elle est dans la bibliothèque.

MAGELLA :Faites donc! Je suis heureux que votre charmante épouse s’instruise.

EDOUARD :Vous avez sans doute raison mais Lutétia ne va là que pour se vernir les ongles. Elle dit que la lumière est meilleure dans cette pièce.

MAGELLA :Il ne faut jamais contrarier une femme.

EDOUARD :Surtout pas la mienne. Au revoir inspecteur ! (Il sort)

Le portable de Magella sonne. Gladys en profite pour s’éclipser. Magella répond brièvement et raccroche puis écrit sur son carnet.

JEU DE MASQUES 77

ACTE 2 Scène 10

Personnages : MAGELLA - LUTETIA

Lutétia entre et trouve Magella en train de compulser ses notes.

LUTETIA :Ah ! Vous voilà, commissaire, n’avez-vous pas vu mon mari ?

MAGELLA :Il me quitte à l’instant, madame !

LUTETIA :Ah ! Tant mieux ! J’avais peur que vous ne l’ayez arrêté !

MAGELLA :Arrêté, madame ? Pour quelle raison ?

LUTETIA :Je ne sais pas. Comme vous l’aviez entendu se disputer avec son frère…

MAGELLA :Je ne l’ai pas entendu, madame.

LUTETIA :Oui, oui, je sais. Ce sont ces malheureux rhododendrons qui vous ont communiqué la chose. Tout cela est vraiment pittoresque. (Elle retient un petit rire.) Excusez-moi, inspecteur, je ne devrais pas mais je suis tellement nerveuse à l’idée qu’un assassin vive sous le même toit que moi.

MAGELLA :Ne vous excusez pas, madame. C’est bien naturel.

LUTETIA :Puis-je vous parler franchement, monsieur le commissaire ?

MAGELLA :Inspecteur, madame.

LUTETIA :Inspecteur, oui. Franchement, est-ce que je peux vous parler ?

JEU DE MASQUES 78

MAGELLA :Je n’attends que ça !

LUTETIA : (regardant autour d’elle pour s’assurer que personne ne va entendre.)Je sais qui a tué le baron !

MAGELLA : Ah bon ?

LUTETIA :Oui et je vais vous dire qui c’est ! C’est un noir !

MAGELLA :Un noir ? Mais il n’y a pas de noir, ici, madame ! Et puis d’abord pourquoi un noir ?

LUTETIA :Quand je dis noir, je veux dire un homme de couleur ! Enfin, je me comprends !

MAGELLA :Expliquez-moi.

LUTETIA :C’est à cause du masque qui est dans le bureau. C’est bien un masque africain, n’est-ce pas ?

MAGELLA :Oui, en effet mais…

LUTETIA :Ce masque devait appartenir à quelqu’un de très important, vous ne croyez pas ? J’y ai beaucoup réfléchi et moi je pense qu’il a appartenu à un sorcier africain qui a dû mourir dans d’atroces souffrances et maintenant, il veut se venger contre ceux qui lui ont dérobé ce masque.

MAGELLA :Diable !

LUTETIA : (un peu vexée)Vous ne me croyez pas ?!

MAGELLA :J’essaie de vous suivre, madame.

LUTETIA:C’est pourtant simple ! Il est évident que son esprit va s’acharner contre tous ceux qui se sont attaqués à lui. Le baron est sans doute sa première victime.

JEU DE MASQUES 79

MAGELLA: (mi ironique, mi amusé)

Ce n’est pas bête !

LUTETIA :Bien sûr que ce n’est pas bête ! Qu’est-ce que vous croyez ?

MAGELLA :Cela ne nous dit pas qui a réellement tué le baron !

LUTETIA :Mon idée est que ce sorcier a manipulé un être faible et s’est servi de lui pour porter le coup fatal !

MAGELLA :Diantre !

LUTETIA :

Vous ne me croyez pas ?! Ne dites pas le contraire, je le vois bien que vous vous fichez de moi !

MAGELLA :Pas du tout ! Je ne me le permettrais pas ! Et qui voyez-vous dans le rôle de l’être faible ?

LUTETIA:Moi !

MAGELLA :Vous ? Vous auriez tué le baron ?

LUTETIA :C’est possible mais je ne m’en souviens pas. C’est normal puisque je suis un être faible. Vous ne croyez pas que je puisse en être un ?

MAGELLA :Euh !... C’est à dire…

LUTETIA :Eh bien, je suis faible, inspecteur, très faible même ! Et je vais vous dire mieux ! Il y a depuis quelque temps, un esprit en moi.

MAGELLA :

Un esprit en vous ?

LUTETIA :Oui c’est ça. Il a pris possession de mon corps et il me commande de faire des choses.

MAGELLA :

JEU DE MASQUES 80

Des choses ? Mais quelles choses ?

LUTETIA : (un peu gênée)Pas que des choses, commissaire !

MAGELLA :Inspecteur, madame !

LUTETIA :Ah ! Ecoutez, vous n’allez pas me reprendre à chaque fois ! Je vous disais donc… Qu’est-ce que je vous disais déjà ?... Ah oui ! Figurez-vous qu’il me communique aussi des pensées et quand je dis pensées… Euh… Vous voyez ce que je veux dire. C’est plutôt dans le genre olé, olé, à tel point d’ailleurs que parfois, c’est trop et que j’en ai honte. Ce doit être un mauvais esprit, vous ne croyez pas ?

MAGELLA :Depuis quand ressentez-vous cela, madame ?

LUTETIA :Vous êtes médecin ?

MAGELLA :Non, je suis de la police. Avez-vous consulté un praticien ?

LUTETIA :Moi je voudrais bien mais c’est lui qui ne veut pas !

MAGELLA :Qui lui ?

LUTETIA :Mais l’esprit bien sûr ! Vous ne suivez pas du tout commissaire !

MAGELLA :Vous en avez parlé à votre mari ?

LUTETIA :Evidemment non ! Il me prendrait pour une folle ! Je ne parle pas fort exprès car je crois qu’en ce moment, il dort.

MAGELLA :Là, il dort ?

LUTETIA :Oui, oui, même la nuit, il dort.

MAGELLA :

JEU DE MASQUES 81

Mais depuis quand cet esprit vous habite-t-il ?

LUTETIA :Depuis le premier jour où j’ai vu ce masque. Il m’a regardé et m’a happé.

MAGELLA :Il vous a happé et après ?

LUTETIA :Après qu’il m’a happé ? Il a investi toute la régie finale qui est là haut dans ma tête. Maintenant, j’ai peur qu’il m’oblige à commettre un nouveau meurtre.

MAGELLA :Comment s’appelle cet esprit ?

LUTETIA :Je ne sais pas.

MAGELLA :Eh bien ! Demandez-lui et quand il vous aura répondu, vous lui direz de ma part : l’inspecteur Magella veut que tu sortes de mon corps.

LUTETIA :Ah non ! Dans mon corps, il peut rester. Sur ce plan-là, ça n’a jamais aussi bien marché avec Doudou. Non, non, c’est de ma tête, surtout. Il m’empêche de penser par moi- même et je ne voudrais pas qu’il me commande, vous comprenez ? Si à cause de lui, je vais en prison, je ne suis pas d’accord.

MAGELLA :

Bon, résumons-nous ! Vous affirmez donc que c’est vous qui avez tué le baron ?

LUTETIA :Je n’en sais rien. Comme je ne suis pas vraiment moi-même, il se peut que je l’ai fait sans m’en rendre compte.

MAGELLA :Ecoutez, la prochaine fois, si vous arrivez à communiquer avec votre esprit, posez-lui la question de savoir qui a réellement tué le baron.

LUTETIA :Oui, mais moi je ne parle pas l’africain.

MAGELLA :Ce n’est pas une question d’idiome.

LUTETIA :

JEU DE MASQUES 82

Ah ! Ça, vous l’avez dit ; il est même très intelligent. La dernière fois que j’ai voulu acheter des jeux à gratter, j’ai choisi mon signe : lion… et vous, à propos, vous êtes quoi, inspecteur ?

MAGELLA :Verseau.

LUTETIA :Oh ! C’est bien ça ! Ma sœur est verseau aussi et elle s’est mariée quatre fois, jamais avec le même ! Et vous ne devinerez jamais ! Quatre maris…

MAGELLA :Quatre verseaux !

LUTETIA :Non, quatre députés. On peut dire que la Chambre, elle connaît ! Mais pourquoi, je vous disais ça moi ?... Ah oui ! J’achète mon ticket de «lion» et j’entends une voix qui me dit : «Tu vas perdre» ! Et bien, c’était vrai : quand j’ai gratté, il n’y avait rien !

MAGELLA : (pince sans rire)C’est vraiment étonnant!

LUTETIA :Vous voyez que je ne vous raconte pas d’histoires !

MAGELLA :A présent, j’aimerais vous poser une question. Etes-vous heureuse en ménage, Madame ?

LUTETIA :Voilà une drôle de question !

MAGELLA :Je me demandais si vous ne regrettiez pas de ne pas être baronne ?

LUTETIA :Je ne cours pas après les titres, inspecteur. Je préfère ne pas être estampillée baronne et aimer sincèrement mon mari, si vous voyez ce que je veux dire !

MAGELLA :Je vois.

LUTETIA :Croyez-moi, je suis heureuse d’être la femme d’Edouard et… à plus d’un titre ! (Magella sourit.) Allez ! A plus tard, inspecteur, je suis heureuse d’avoir pu vous parler ! Ah ! Vous voyez, cette fois je ne me suis pas trompée… INSPECTEUR ! (Elle sort.)

JEU DE MASQUES 83

ACTE 2 Scène 11 Personnages : MAGELLA - SŒUR MARIE - ODILE

MAGELLA : (seul dans le salon, la tête dans les mains, assis dans le canapé).J’ai une de ces migraines ! Je me demande bien comment je vais m’en sortir cette fois ! Tout est tellement embrouillé ! Et puis tous ces morts autour de cette maison ! C’est pas du vin qu’ils devraient produire ici, c’est carrément de la bière ! Oui, je sais, c’est mauvais mais je suis épuisé ! (Un temps) Pourtant l’assassin est parmi eux, j’en suis convaincu ! Mais qui est-ce ? (Il se lève pour imiter chacun des personnages.) Air pincé : Je vous rappelle que mon mari est mort, inspecteur !Méprisant : Je vous trouve un peu jeune pour vous occuper d’une affaire d’une telle importance !Hystérique : Magella ! Comme le navigateur, alors ! Je sais qui a fait le coup, commissaire : c’est un noir !Déprimée : Mon père est mort, ma mère est morte, mon frère est mort. Je suis vivante. Est-ce que j’ai le droit de vivre, inspecteur ?Militaire : Affirmatif monsieur mais c’est du passé. Je n’ai plus rien à voir avec ça, monsieur ! Moqueur : D’ailleurs, si vous voulez mon avis, je pense que vos petites hypothèses relèvent plus du cabaret que de l’enquête policière. Digne : Oui, je bois du lait. Mais c’est une sorte de remède. Puis-je demander à monsieur ce qui lui fait dire cela ?Ingénue : Bien sûr, il se peut que j’ai rêvé mais je vous assure, j’ai vraiment entendu le chien aboyer. Reprenant sa voix normale : Quel méli-mélo ! Peut-être qu’Edouard a raison et que je ne suis pas de taille. Si je ne trouve rien d’ici 48 heures, je demanderai à être déchargé du dossier.

Une religieuse apparaît dans un éclairage particulier.

SŒUR MARIE-ODILE :Vous n’allez pas faire ça, n’est-ce pas ?

MAGELLA :Qui êtes-vous ?

SŒUR MARIE-ODILE :Sœur Marie-Odile. Je suis une amie de la famille.

MAGELLA :

Bonjour ma sœur.

JEU DE MASQUES 84

SŒUR MARIE-ODILE :Bonjour... On m’avait parlé d’un séduisant jeune homme. Je vois avec plaisir qu’on ne m’a pas trompée.

MAGELLA :Ma sœur est trop bonne.

SŒUR MARIE-ODILE :J’aimerais pouvoir vous aider, mon frère.

MAGELLA :Malheureusement, j’ai bien peur que quelques prières ne fassent rien à l’affaire.

SŒUR MARIE -ODILE :Vous avez tort de mépriser le pouvoir de la prière et le plus grave, vous avez tort de sous-estimer vos capacités à résoudre cette énigme.

MAGELLA :C’est que je n’avance pas, ma sœur.

SŒUR MARIE -ODILE :Inutile de vous dire que je ne vous donnerai aucun renseignement car je n’en ai pas le droit mais je peux vous donner un conseil. Pensez au vin, le baron vous dirait qu’il est des moments où il faut laisser décanter. (Magella opine sans conviction) Votre mental vous joue des tours, Markus. Souvenez-vous que le mental ment fondamentalement. Vous avez énormément d’intuition. Servez-vous en !

MAGELLA :Vous connaissez le coupable, je suppose ?

SŒUR MARIE-ODILE :Nous sommes tous coupables de quelque chose, vous ne croyez pas ? Vous par exemple, vous êtes coupable de jouer un peu avec les gens et même de les singer.

MAGELLA :Vous ne me connaissez pas. Comment pouvez-vous dire une pareille chose ?

SŒUR MARIE-ODILE :Rassurez-vous, je ne vous blâme pas. Mais comprenez que ce n’est pas pour rien que le destin vous a mis face à cette épreuve.

MAGELLA :Vous êtes voyante, ma sœur ?

SŒUR MARIE-ODILE :

Ce mot est galvaudé, vous ne croyez pas ? Je préfère dire clairvoyante. Le médium que vous êtes doit saisir la nuance…

MAGELLA :

JEU DE MASQUES 85

Le médium est un peu en panne. Il y a trop de mensonges dans cette histoire. SŒUR MARIE -ODILE :

Vous semblez dénigrer le mensonge mais peut-être avez-vous tort. Songez que le démon lui même est un ange déchu et le mensonge n’est parfois qu’une vérité qui a mal vieilli.

MAGELLA : Feriez-vous l’apologie du mensonge, ma sœur ?

SŒUR MARIE -ODILE :L’un ne va pas sans l’autre, vous devriez le savoir et on apprend beaucoup plus avec eux.

MAGELLA :Vous êtes surprenante, ma sœur. Puis-je vous demander où vous exercez ?

SŒUR MARIE -ODILE :Vous posez trop de questions, Markus.

MAGELLA :C’est ce qu’on m’a appris à faire.

SŒUR MARIE -ODILE :Faites-vous toujours ce qu’on vous a appris ?

MAGELLA :

Non pas toujours.

SŒUR MARIE -ODILE :Un conseil : oubliez ce qu’on vous a appris.

MAGELLA :J’essaierai.

SŒUR MARIE -ODILE:N’essayez pas. Faites-le ! Je compte sur vous, Markus ! (Elle s’apprête à partir)

MAGELLA : (l’interpellant et la faisant se retourner)Sœur Marie-Odile… J’espère vous revoir…

Sœur Marie-Odile sourit et s‘en va.

ACTE 2 Scène 12

JEU DE MASQUES 86

Personnages : ISIS - KERN - TOURVIERES - JAVIER - MAGELLA

ISIS :(qui entre en compagnie de Kern) Donc on fait comme ça, c’est entendu ? (Puis apercevant Magella) Ah ! Vous êtes encore là inspecteur ?

MAGELLA :Oui madame, j’étais en grande conversation avec votre amie : Sœur Marie-Odile.

ISIS : Qui inspecteur?

MAGELLA :Sœur Marie-Odile. Vous ne l’avez pas croisée ? Elle me quitte à l’instant.

ISIS : Sœur Marie-Odile, dites-vous… Mais je ne connais personne de ce nom là, inspecteur. Vous devez faire erreur. (Puis se tournant vers Kern) M. Kern ?

KERN :Une religieuse ! Mignonne ?

ISIS: (Le réprimandant)M. KERN !!

KERN : (moqueur)Non désolé, on l’aurait remarquée. Vous devez être fatigué inspecteur ! Confondre cette maison avec un couvent, ce n’est pas raisonnable !

ISIS : Et que voulait-elle ?

MAGELLA :Rien de précis… Elle est venue discuter…

KERN :Elle n’avait rien à vendre ? Pas de calendrier, des bougies, des statuettes…?

MAGELLA :Non rien de tout ça !

ISIS : C’est vraiment étrange !

JAVIER : (qui entre et reste sur le seuil)Madame, Maître Tourvières vient d’arriver ! (Il s’efface pour laisser entrer l’avocat de la famille.)

TOURVIERES :J’ai crû comprendre que vous aviez quelques soucis, madame.

ISIS : Vous êtes toujours aussi prévenant, Henri. Malheureusement…

JEU DE MASQUES 87

KERN : (plein de sous-entendus)Malheureusement, vous tombez très mal, maître ! Mais moi ce que j’en dis... (Il sort.)

ISIS : (qui hausse les épaules)Henri, laissez-moi vous présenter l’inspecteur Magella de la police criminelle.

TOURVIERES : (très en verve)C’est donc vous le fameux policier ? Enchanté ! (Il s’avance pour lui serrer la main.)

MAGELLA :

Ravi de vous rencontrer maître ! Je me demandais quand vous feriez votre apparition.

TOURVIERES :Vous m’attendiez ?

MAGELLA :

Plus ou moins.

TOURVIERES :Voyez-vous, Charles était plus qu’un client. C’était un véritable ami. Quand Isis m’a confié qu’il avait sans doute été assassiné, j’ai eu beaucoup de mal à le croire. Mais votre présence ici semble confirmer la chose. J’ai crû comprendre que votre enquête s’orientait vers un des membres de cette maison.

MAGELLA :Vous avez bien compris.

TOURVIERES :Je vous avoue que cela me surprend un peu ? Je connais personnellement chacune des personnes qui vous suspectez et je peux vous assurer qu’aucune d’elles n’est capable d’avoir commis cette abomination.

ISIS : C’est inutile, Henri. Vous ne ferez pas changer d’avis l’inspecteur.

MAGELLA :Quel dommage maître, que vous n’ayez pas suivi votre destin !

TOURVIERES :

Pardon ? MAGELLA :

Ne vouliez-vous pas travailler comme ébéniste à une époque ?TOURVIERES :Oui, c’est exact mais… Cela ne s’est pas fait. C’est une longue histoire en vérité que peu de gens connaissent. Je m’étonne d’ailleurs qu’elle soit arrivée jusqu’à vous. On m’avait dit quelques mots de vos aptitudes mais je ne pensais pas un jour en faire les frais.

JEU DE MASQUES 88

ISIS :L’inspecteur a des méthodes bien à lui…

TOURVIERES :Vous me surprenez inspecteur. Comment savez-vous ce genre de choses ?

MAGELLA :Votre façon de serrer la main.

TOURVIERES :Ma façon de…?

MAGELLA :Vous m’avez bien serré la main, tout à l’heure ?

TOURVIERES :Oui, mais…

MAGELLA :Vos mains sont puissantes mais pas autant que celles d’un bûcheron par exemple mais le plus important c’est qu’elles sont presque cireuses au toucher, ce qui est le signe d’une adéquation subtile avec le bois d’où mon idée d’ébéniste.

L’avocat regarde ses mains avec incrédulité

TOURVIERES :J’en ai entendu des inepties dans ma vie mais là, c’est le pompon.

MAGELLA :J’ajoute qu’elles sentent un peu la résine.

ISIS : Voyons !... (Elle s’approche de lui pour les sentir.) Maintenant que vous le dites…

TOURVIERES :Ah ! Non, tu ne vas t’y mettre toi aussi !...

ISIS : Mais Henri, il n’y a rien de déshonorant à avoir les mains qui sentent la résine. TOURVIERES :

Vous avez raison. Tant que je ne sens pas le sapin… Oh ! Pardon Isis !

ISIS : Ne vous en faites pas Henri, je vais vous servir un petit remontant.TOURVIERES :

Ce n’est pas de refus, merci.

Elle se dirige vers le bar et lui prépare un verre.

JEU DE MASQUES 89

ISIS : Je suppose que vous ne voulez rien, inspecteur ! (Magella décline l’offre.) A propos Henri, savez-vous que nous sommes en présence d’un deuxième mystère ?

TOURVIERES :Bigre ! De quoi s’agit-il ?

ISIS : Figurez-vous qu’avant que vous n’arriviez, l’inspecteur a discuté ici même pendant un long moment, avec une religieuse soi-disant de mes amies du nom de… Comment s’appelait-elle déjà ? Marie quelque chose…

MAGELLA :Sœur Marie-Odile !

ISIS : C’est ça ! Sœur Marie-Odile ! Je lui ai assuré que je ne connaissais personne de ce nom-là ! Mais…

TOURVIERES :Vous avez parlé à une bonne sœur du nom de Marie-Odile ?

MAGELLA :Oui, pourquoi, vous la connaissez ?

TOURVIERES :Vous êtes sûr que c’est le nom qu’elle vous a dit ?

Magella confirme d’un signe de tête.

ISIS : En plus, personne d’autre que l’inspecteur n’a croisé cette religieuse. Vous avouerez que c’est très bizarre. C’est bien simple, elle semble être apparue et repartie…

TOURVIERES :Par l’opération du Saint Esprit. Oui, rien d’étonnant à cela : elle est morte depuis des années. C’était la grande tante de Charles.

ISIS : Mais…Qu’est-ce que ça signifie ? MAGELLA : (maîtrisant son émotion)

J’ai dû faire un mauvais rêve, n’en parlons plus.

TOURVIERES :Je vous avais mal jugé, inspecteur. Vous m’intriguez…

MAGELLA :

Je vous laisse. Vous avez sûrement plein de choses à vous dire tous les deux. Oh ! Si une dernière petite chose, maître… Que faisiez-vous dans la nuit du 12 au 13 ?

TOURVIERES : (qui sourit)Je m’attendais à votre question .Je dormais ne vous déplaise.

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MAGELLA :Vous dormiez ? J’en suis fort aise et…seul ?

TOURVIERES :

Oui, seul. Ma femme était au spectacle avec une amie. MAGELLA :

Vous n’avez donc aucun alibi, cher maître ! Dans ces conditions… ISIS : Mais enfin, inspecteur, que faites-vous de votre théorie sur l’assassin dans la maison ?

MAGELLA : Je ne l’oublie pas mais d’un autre côté… un alibi qui n’est pas en béton…

TOURVIERES : (avec humour)C’est embêtant.

ISIS : Mais enfin, Henri n’a pas de mobile !

MAGELLA :Si, vous, madame, vous !

ISIS : Que voulez-vous dire ?

TOURVIERES :Qu’est-ce que vous voulez entendre inspecteur ? Que je suis coupable ? Oui je l’avoue, je suis coupable ! Coupable d’aimer Isis comme au premier jour. Et en plus je n’ai aucune excuse ! La vérité c’est qu’on ne peut pas vivre sans l’autre.

ISIS : Tais-toi Henri ! Tu nous fais du mal !

TOURVIERES :Oh ! J’ai bien essayé de l’oublier ! J’ai tout tenté, l’alcool, les femmes, le tabac, les voyages à l’étranger mais rien n’y a fait. Je l’ai dans la peau et voulez que je vous dise ? Quand je fais l’amour à ma femme, c’est à Isis que je pense ! Si c’est un crime que d’aimer cette femme, alors arrêtez-moi car je suis un grand criminel et je demande la perpétuité. (Il tend ses poignets.)

ISIS : (amoureuse)Oh ! Henri !

MAGELLA :C’est une de vos meilleures plaidoiries, Maître !

ISIS : Henri, qu’allons- nous faire ?

Ils se rapprochent tous les deux tendrement et s‘apprêtent à s’embrasser.

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MAGELLA :Je crois que ce moment vous appartient. Nous nous reverrons plus tard. (Il les laisse)

Tourvières embrasse Isis et ils restent un long moment enlacés. ISIS : Henri, je t’aime…

TOURVIERES :Je ne sais pas si j’ai mérité tout ce bonheur !

ISIS :Ce n’est pas comme si tu avais souhaité la mort de Charles. Tu ne l’as pas souhaité n’est-ce pas ? Rien ne peut donc se retourner contre toi.

TOURVIERES :

Je ne l’ai pas souhaité mais j’y ai pensé très fort !

ISIS : Embrasse-moi encore !

Ils s’enlacent une nouvelle fois!

RIDEAU

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