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Autour de Mexican Drugs : 7 essais d´interprétation par Luis Martínez Andrade 1 Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales-CEIFR traduit de l’espagnol par Pascale Naveau Université catholique de Louvain I Même le matérialisme historique, Qui s´était proclamé comme étant le principal appareil critique pour interpréter la réalité du capitalisme, demeure obsolète Carlos Ramírez Vuelvas En décembre 1924, apparu à Lima un article publié dans Variedades, où l´on pouvait lire : « au vu du faible crédit octroyé à la conception matérialiste de l´histoire, on ne peut ignorer que les relations économiques sont le principal agent de la communication ainsi que de l´articulation des peuples. Il est possible que l´économie ne soit pas antérieure au politique. Du moins, les deux sont consubstantiels et solidaires. L´histoire moderne nous l´enseigne à chaque instant » (Mariátegui, 1991 :361). Le texte fut signé par José Carlos Mariátegui. Des années plus tard, précisément en décembre 2008, un hommage fut rendu à ce journaliste et essayiste, avec comme paneliste Michael Löwy, Robert Paris et Edgar Montiel, ce dernier abordant le magnifique héritage laissé par Mariátegui, soutenant que « L´Amérique latine fut un continent des essayistes ». Alors que certains pourraient ne pas consentir avec la thèse de Montiel, force est de constater que l´Amérique latine a été et reste une pépinière de grands essayistes. Au-delà des horizons idéologiques et de sa perspective théorique, José Martí, Octavio Paz, Eduardo Galeano, Jorge Luis Borges, 1 Sociologue. En 2009, il a reçu le premier prix du Concours international d’essai « Penser à contre- courant » lors de sa 6 e édition. Il est notamment l’auteur du livre Religión sin redención. Contradicciones sociales y sueños despiertos en América Latina, Ediciones de Medianoche-Universidad de Zacatecas, Mexique, 2011 (Paru en polonais : Ameryka Lacińska Religia bez odkupienia, KsiąŜka i Prasa-Le Monde diplomatique Polska, 2012).

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Autour de Mexican Drugs : 7 essais d´interprétation

par Luis Martínez Andrade1 Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales-CEIFR

traduit de l’espagnol par Pascale Naveau Université catholique de Louvain

I

Même le matérialisme historique, Qui s´était proclamé comme étant le principal appareil critique

pour interpréter la réalité du capitalisme, demeure obsolète Carlos Ramírez Vuelvas

En décembre 1924, apparu à Lima un article publié dans Variedades, où l´on

pouvait lire : « au vu du faible crédit octroyé à la conception matérialiste de l´histoire, on

ne peut ignorer que les relations économiques sont le principal agent de la

communication ainsi que de l´articulation des peuples. Il est possible que l´économie ne

soit pas antérieure au politique. Du moins, les deux sont consubstantiels et solidaires.

L´histoire moderne nous l´enseigne à chaque instant » (Mariátegui, 1991 :361). Le texte

fut signé par José Carlos Mariátegui.

Des années plus tard, précisément en décembre 2008, un hommage fut rendu à ce

journaliste et essayiste, avec comme paneliste Michael Löwy, Robert Paris et Edgar

Montiel, ce dernier abordant le magnifique héritage laissé par Mariátegui, soutenant que

« L´Amérique latine fut un continent des essayistes ». Alors que certains pourraient ne

pas consentir avec la thèse de Montiel, force est de constater que l´Amérique latine a été

et reste une pépinière de grands essayistes. Au-delà des horizons idéologiques et de sa

perspective théorique, José Martí, Octavio Paz, Eduardo Galeano, Jorge Luis Borges,

1 Sociologue. En 2009, il a reçu le premier prix du Concours international d’essai « Penser à contre-courant » lors de sa 6e édition. Il est notamment l’auteur du livre Religión sin redención. Contradicciones sociales y sueños despiertos en América Latina, Ediciones de Medianoche-Universidad de Zacatecas, Mexique, 2011 (Paru en polonais : Ameryka Łacińska Religia bez odkupienia, KsiąŜka i Prasa-Le Monde diplomatique Polska, 2012).

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Roberto Fernández Retamar et bien entendu Mariátegui, dit « Amauta », sont tous

représentatifs de notre patrimoine en matière d´essai.

Peut-être que c´est la grande nécessité des peuples de la périphérie de saisir dans

l´immédiat, de comprendre et d’improviser « à la sauvette » les évènements et les

pulsions de la réalité. Tout cela les incite à chercher des réponses. L´essai détient cette

caractéristique latino-américaine ou peut-être, nous latino-américains, avons cette

empreinte essayiste d´ouvrir des sentiers (tantôt sombres, tantôt lumineux), sans

méthodologie implicite.

Pour sa part, le poète et essayiste mexicain Alberto Paredes (2008 : 15) mentionna

que « l´histoire d´un continent est l´histoire de ses genres littéraires ». De plus,

« l´émergence de l´Amérique latine » est contemporaine à l´émergence de l´Essai.

Effectivement, Paredes identifie « la contemporanéité historique » entre la chute de

l´Empire Aztèque en 1521 et leurs homologues Incas en 1534 avec l´apparition, un demi-

siècle plus tard, des essais de Montaigne en 1580. Occultation de l´Autre –comme le

songerait en termes ontologiques le philosophe argentin Enrique Dussel- et la subjectivité

occidentale cimentée dans un ego conquiro (précédent axiologique d’ego cogito) sont

synchroniques avec la constitution de la modernité. En ce sens, nous ne pouvons pas

imaginer la triade modernité-colonialisme-capitalisme de manière désarticulée.

D´autre part, il est commun de mettre l´accent sur le caractère critique de l´essai,

c´est-à-dire le dialogue permanent (similaire à celui de Job) qui établit avec le « grand

Outre » (voire l’idéologie, l’Etat-Nation, la Loi, le Dieu) pour comprendre les conditions

matérielles de survie avec comme finalité de « guérir » des douleurs provoquées par la

« modernité réellement existante » qui depuis le XVI siècle ne cesse de ruiner notre

poiesis (économie) et notre vie nue.

L´essai, comme nous en avertit Alberte Paredes, se différencie d´un traité

scientifique ou encore d´un article scientifique en ce sens qu´il conjugue beauté (poésie)

et écriture (figure d´argumentation). L´essai est une éternelle digression, un égarement en

constante quête. Plaisir esthétique et mépris méthodologique incarneraient certains traits

qui leur sont propres. Paredes (2008 : 24) n’a pas tort quand il juge : le style est l´idée.

II

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Penser politiquement, c’est penser historiquement. C’est penser la singularité des conjonctures et des situations.

C’est penser l’événement non comme miracle surgi de rien mais comme historiquement conditionné,

comme articulation du nécessaire et du contingent, comme singularité politique

Daniel Bensaïd

C´est un vrai plaisir de pouvoir commenter l´essai de Mexican drugs : cultura

poular y narcotráfico de Carlos Ramírez Vuelvas. Cette ouvrage ne se limite pas une

analyse du phénomène du narcotrafic, mais présente également une excellente exégèse de

« l´esprit de notre temps ». Ramírez Vuelvas parvient, à travers une proposition

conceptuelle très particulière, à rendre compte de la relation existante entre la culture, le

pouvoir et la société. Pénétrant dans divers domaines (philosophie, journalisme, histoire,

sociologie, études culturelles), l´auteur présente une approximation originale du

narcotrafic ainsi que de son environnement sociopolitique et culturel.

« Nous sommes nés sous le signe de la crise » jugea Ramírez Vuelvas (2011 :26). A

partir de là, l´auteur, partant d´un horizon baudrillardien, n´épargne en rien l´usage du

concept de « postmodernité » pour se référer au porteur et représentant des symboles de

l´altérité ainsi que de la différence, avec comme distinction qu´actuellement elle est

considérée comme un dispositif qui non seulement génère et constitue les sujets, mais qui

en plus les contrôlent. A partir de cette considération, Ramírez Vuelvas propose le

concept « d´opacité hégémonique du pouvoir ». Cet accent montre que notre époque se

caractérise comme étant un moment de fractures ou de discontinuités, ce qui nous amène

à penser à une ère néo-baroque, idée proposée curieusement par deux penseurs pour

lesquels la Cosa nostra a également causé des naufrages. Nous nous référons à Gianni

Vattimo et au récemment regretté Omar Calabrese. Tant pour Vattimo que pour Calabrese,

l´idée de multiplicité joue un rôle primordial dans notre perception de la réalité. C´est

ainsi que Calabrese (1999 : 208) nous dit qu´avec le développement et la diffusion des

moyens de communication massive, s´est formée la « poétique néo baroque ». Il convient

de noter que cette surproduction de messages ne donne pas lieu à une société plus

transparente ou consciente de soi-même, mais bien à une société complexe et chaotique

(Vattimo, 1998 : 78). La relation entre « immédiateté et information », et la manière dont

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elle est racontée –dans la post modernité- est l´un des points cardinaux dans l´ouvrage de

Ramírez Vuelvas (chap. 3).

Depuis la tour de guet de la sociologie, l´incertitude marque désormais le rythme

des relations sociales, tant dans les pays périphériques que dans les nations du centre.

Comme le mentionne Immanuel Wallerstein (1998 : 160), nous ne savons pas vers quelle

direction nous nous dirigeons. Ainsi, selon Edgar Morin (1995 : 160), nous nous situons

dans un moment indécis et conjointement décisif. En accord avec Gilles Lipovetsky

(1983 : 9), nous vivons une mutation historique, où les « assurances » (figura archaïque),

ne nous libèrent pas des malheurs, comme le souligne Niklas Luhmann (1998 : 164).

Nous pouvons comprendre le terme d´aphasie comme étant « l´apoplexie des émotions »

qu´a diagnostiqué Ramírez Vuelvas dans les « structures du sentiment » des sociétés

contemporaines.

En effet, comme nous en avertit l´auteur, il existe une relation étroite entre les

chiffres relatifs au narcotrafic et les fractures du langage. Selon lui, « l´opposition entre

Etat et narcotrafic montre l´inadéquation des structures étatiques face aux mécanismes de

l´illégalité (…). L´économie quant à elle s´est plongée dans un silence étrange, lugubre et

léger pour ne pas incommoder ceux qui vont mal. Pour ceci, l´économie doit prendre une

nouvelle posture lui permettant de prendre une position commode pour observer le

spectacle » Ramírez Vuelvas, 2011 : 22).

Cependant, pour notre part, nous suggérons que cette supposée « opposition » entre

Etat et narcotrafic reste seulement « formelle », dans la mesure où ces entités répondent

au modèle même des actuelles relations du capitalisme qui se produisent et se

reproduisent. En conséquence, il est nécessaire de réaliser une analyse révélant les

fausses dichotomies. Ainsi, le matérialisme historique est non seulement essentiel, mais

aussi fructueux.

III Le narcotrafic est un reflet obscène de notre réalité

Carlos Ramírez Vuelvas

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En 1999, le mexicain Carlos Ruíz Santamaría, connu comme “El Negro”, fut détenu

en Espagne pour avoir transféré par bateau neuf tonnes de cocaïne à partir du port

panaméen Colón. Cependant, après trente mois de détention, il fut relâché. En accord

avec les experts en matière de trafic de drogues, on estime qu´entre 1999 et 2000, 20

tonnes de cocaïne furent importées sur la péninsule Ibérique. En terme monétaire, cela

représente environ 300 millions d´euros, chiffre semblable aux revenus de certaines

multinationales espagnoles (Agullo, 2002). De l´autre côté de l´Atlantique, et ce

précisément dans la ville de Tijuana, la vente de drogue généra des gains avoisinants les

45 millions de dollars mensuels. Selon Alberto Najar (2002), dans chacun des 1.100

quartiers, il y a en moyenne trois dealers, dont certains transportent quasi 25 milles

dollars en narcotiques, telles que le « cristal », l´héroïne, les amphétamines et la cocaïne.

Les stratosphériques gains que produisent les activités liées au narcotrafic, dont les

principaux responsables sont tant des fonctionnaires publics que des agents du milieu des

affaires et du milieu bancaire, dépassent le PIB de certains pays. Dans Los señores del

narco, de la journaliste mexicaine Anabel Hernández (2010 : 567), Edgardo Buscaglia

soutient que : « Le Mexique s´est converti en un pays très attractif pour les groupes

criminels qui peuvent y blanchir leur argent et patrimoine. Il va de soi que les hommes

d´affaires légaux, qui sont en partie les bénéficiers de ses patrimoines, ressentent que ces

importants flux financiers leur ont été favorables en ce sens qu´ils ont pu durant des

décennies étendre et générer d´importants rendements dans l´économie légale. Pour cette

raison, l´élite des affaires mexicaine -hommes d´affaires légalement constitués, les entités

morales- ont résisté aux mesures prises en matière de lutte contre la délinquance

organisée, mesures sans lesquelles la violence et la corruption, comparable au Mexique à

un véritable cancer, continueront à croître. L´achat d´armes, ainsi que la logistique au

niveau du transport –camions, bateaux, sous-marins- sont financés à l´aide de patrimoines

camouflés dans l´économie légale. Ainsi, ces derniers sont responsables de la violence

découlant tant des soldats mexicains que des tueurs à gage car ils financent directement

ces activités ».

Il y a dans ce processus de décomposition un durcissement des lois sur la sécurité

d´un Etat de droit démo-libéral, ainsi que de plus en plus de suspension de la loi, tel un

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Etat d´exception dont la justice a été bannie. Ce processus est traduis par Ramírez

Vuelvas dans la relation que fait l´auteur entre « l´anomalie du capitalisme tardif et la

perte des illusions » dans le Mexique post-révolutionnaire et pro-néolibéral des années

90.

Ramírez Vuelvas nous offre un cadre catégorique afin de comprendre le narcotrafic

comme étant un système socioculturel. Dans cette « boîte d´outils », il met en évidence la

catégorie –d´inspiration heideggérienne- d´ « opacité hégémonique du pouvoir » qui

permet d´observer la forme que prennent les relations sociales au travers du pouvoir.

C’est par cette forme que le pouvoir traverse les relations sociales pour arriver non

seulement au sujet mais également pour affiner ses rêves (american dream of live), ses

horizons (Iniciativa Mérida) et ses projections (Zones de libre échange pour les

Amériques).

Particulièrement bien observé par Ramírez Vuelvas, « les aquarelles dessinées par la

carte de l´Amérique latine » ne contiennent pas uniquement les tonalités du capital, mais

également l´arôme de la corruption. Ainsi, la voix métropolitaine n´hésite pas à projeter

la figure de l´autre comme étant un être violent par antonomase, une entité crapuleuse,

celle du latino-américain assoiffé de sang et d´horreur. C´est « l´obscénité de l´objet »

qui déculpabilise cette voix métropolitaine. Mais n’est-ce pas cette voix métropolitaine

qui serait la locution du capital dans son expression géopolitique ?

IV

Si vous voyez un banquier suisse sauter d’une fenêtre, sautez derrière lui. Il y a sûrement de l’argent à gagner

Voltaire

L´hypocrisie que montrent certains secteurs des pays centraux en ce qui concerne la

question du narcotrafic est offensant et indignant, car ils contemplent uniquement une

face de la pièce de monnaie. Le narcotrafic et tout ce que ce dernier implique –

blanchiment d´argent, traite d´être humains, vente illégale d´armes- ne pourrait s´étendre

ainsi sans la complicité des grandes entreprises multinationales (pour la plupart

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européennes et nord américaines). En se basant sur la base de données du périodique

mexicain El Universal, Ramírez Vuelvas (2011 : 24) observe que le blanchiment d´argent

à lieu à 70% dans l´économie légale, ce qui revient à dire que 25 milliards de dollars

passent par la banque nationale mexicaine. De plus, selon l´Organisation des Nations

Unies, le narcotrafic est la huitième économie la plus importante au monde. Laissons

donc la fausse simulation et la consternation pour les « belles âmes » et acceptons que les

devises provenant de l´illégalité se mélangent et demeurent dans les laboratoires

bancaires. S´il existe des pays où l´on produit de la drogue, ce n´est pas uniquement par

l´existence d´un marché, mais également parce qu’il existe d´autres pays prêts à

collaborer dans ce réseau de complicité.

Au début des années nonante, le sociologue suisse Jean Ziegler mena un travail de

recherche sur l´impact de l´impérialisme secondaire exercé par la Suisse sur les pays du

tiers monde. Alors que le secret bancaire, reposant quant à lui sur l´article 47 de la « loi

fédérale des banques et des caisses d´épargnes », protège l´argent provenant du

commerce illégal en le blanchissant, il pouvait de plus compter sur la discrétion des

fonctionnaires et banquiers helvétiques. Ziegler (1990 : 107) identifia la ville de Genève

comme étant l´une des principales villes responsables du blanchiment d´argent provenant

du narcotrafic. Durant ces années, l´estimation des bénéfices générés par le trafic de la

drogue se chiffre entre 300 et 500 milliards de dollars.

Pour sa part, James Petras dénonce lui aussi l´hypocrisie de son pays. Alors que

Washington n´hésite pas à dénoncer les banques colombiennes qui blanchissent l´argent

provenant de la drogue, paradoxalement, ce dernier accepte le blanchiment des fonds

monétaires russes. De plus, les banques nord-américaines utilisèrent une astuce en

prétendant ne pas savoir que les milliards transférés sur leurs comptes provenaient du

narcotrafic.

Dans l´article Imperialism : Bankers, Drug Wars and Genocid, Petras (2011)

souligne que les grandes banques des Etats-Unis sont les moteurs économiques

permettant et consolidant le bon fonctionnement de l´Empire de la drogue. Ainsi, « la

Maison Blanche, le Congrès des Etats-Unis ainsi que des organismes officiels de lutte

contre la drogue sont les protecteurs de base des banques ». La relation entre crise

financière et blanchiment d´argent dans l´ère néolibérale se confirme très clairement par

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les diverses déclarations faites par le chef du Bureau des Nations Unies dans la lutte

contre les drogues et la délinquance, Antonio Maria Costa, qui déclarait que « dans de

nombreux cas, l´argent de la drogue [était] l´unique capital liquide d´investissement. Lors

du second semestre de 2008, la liquidité fut le principal problème du système bancaire et

ainsi, le capital liquide s’est converti en un facteur important (…) ; les prêts

interbancaires furent financés par de l´argent provenant du narcotrafic et d´autres activités

illégales ; il y eu des indications comme quoi certaines banques furent sauvées par ce

moyen » (Petras, 2011).

Il ne peut exister un véritable combat contre le narcotrafic tant qu´il existera des

pays qui maintiennent le secret bancaire, blanchissent l´argent provenant de commerces

louches et remplissent le rôle de « coffre-fort » d´une richesse acquise de manière

malsaine. Cohabitant avec les mafias, les élites politiques et militaires des pays

périphériques, les banquiers acceptent et concluent ainsi la machinerie de la mort : à

savoir le capitalisme.

V

Le grotesque et l’obscène font partie de l’identité propre des régimes de domination en postcolonie

Achille Mbembe

La modernité, le capitalisme et le colonialisme sont des phénomènes synchroniques.

La dynamique de chacun d´entre eux ne peut être comprise sans référence aux deux

autres phénomènes. « Dieu est dans le ciel, le roi est loin, c´est moi qui commande ici »,

ceci n’est bien qu´une phrase anecdotique du XVI siècle. C´est la constitution d´un noyau

dur de la subjectivité moderne occidentale.

Durant le XX siècle, ce furent principalement des esthètes et architectes qui

proposèrent le terme de « postmodernité » pour se référer au « nouvel esprit de

l´époque ». Postérieurement, le terme s’est converti en monnaie courante dans les

domaines de la philosophie, de la sociologie et de l´histoire. Ce terme fut bien

régulièrement accompagné de vocables tels que « village global », société « post-

industrielle », « temps liquides ». Cependant, voulant centrer leurs analyses uniquement

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sur des questions esthétiques ou culturelles, certains auteurs ont laissé de côté la

reconfiguration de l´économie et en conséquence, ils furent des complices masqués du

capital.

Si la colonialité comme « face cachée » de la modernité va de paire avec le

capitalisme, alors nous devons concevoir la « postcolonialité » comme étant la partie

constituante et non reconnue de la postmodernité. Le post-colonialisme n´implique pas

les disparitions des vieux modèles de domination, mais bien sa reconfiguration formelle.

Si la colonisation représentait les excès de l´accumulation primitive, la postcolonialité

exprime quant à elle les symptômes les plus abjects de l´accumulation pour dépossession.

En conséquence, les contradictions sont plus aiguës dans la périphérie du système. C´est

ainsi que Ramírez Vuelvas (2011 :179) écrit que « l´hyperbole et l´oxymore figurent les

formes du narcotrafic, qui à son tour construit un monde parallèle à la réalité, de là, il

éblouit avec sa perverse alternative ».

Achille Mbembe, qui est l´un des principaux chercheurs en matière de phénomène

politique dans la Postcolonie, nous dit que la condition ontologique où « le frère et

l’ennemi ne font plus qu’un » exerce une influence dans les relations sociales qui

s´établissent dans les sociétés de la périphérie ; où de plus, l´obscénité n´est pas une

catégorie morale, mais bien une modalité dans l´exercice du pouvoir (Mbembe,

2010a :186). En Postcolonie, l´haltère dépendant du ventre, de la bouche et du pénis :

politique du ventre et esthétique de la vulgarité.

En suivant le sillage des travaux de Jean-François Bayart, Mbembe reprend la

notion de « politique du ventre » afin de se référer au processus, qui est vécu et qui

s´expérimente dans le monde Post-colonial, où les mécanismes de dominations se

reproduisent, donnant lieu à une forme de « colonialisme interne », où « l´horizon du

vice » marque le rythme de la relation sociale. D´autre part, dans sa réflexion sur la

violence de la mort comme l’état normal des choses, Mbembe (2010a : 217) soutient que

la violence structurelle et subjective a pour origine la colonisation. A travers lui, alors que

la violence coloniale s´exprimait à travers le langage ou le son, la dite violence était

toujours liée à des gestes phalliques. « Coloniser, c´est accomplir une sorte de coït bien

propre, dont la caractéristique est de faire coïncider horreur et plaisir ». Les atavismes de

la colonisation sont abjects en Postcolonie et, par exemple, dans son dernier ouvrage

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Mbembe (2010b : 213) observe comment, à partir de la consolidation du néolibéralisme

en Afrique, la fragmentation sociale et la recomposition des rôles de genre se

reconfigurent. Cependant, la communauté politique a toujours été considérée comme une

société d´hommes dont l´effigie est la verge en érection. Le souverain est, par définition,

sexuel. Sa pratique est le plaisir, le plaisir sexuel évidemment. « La sexualité de

l’autocrate fonctionne à partir du principe de dévoration et d’avalement des femmes, à

commencer par les vierges qu’il déflore allégrement. Banquiers, bureaucrates, soldats,

policiers, maîtres d´école, voire évêques, prêtres, pasteurs et marabouts, s’en vont partout

en se vidangeant, éliminant le trop-plein et semant au gré du vent ». (Mbembe 2010b :

217). Même si la signification centrale du pouvoir du phallus a été mise en question, cela

n´empêche pas que le phénomène des enfants soldats en Afrique attire notre attention en

ce sens qu´après avoir tué leur ennemis, ils amputent son pénis afin de le consommer

pour manifester son impuissance au delà de sa mort.

Dans Drug Lord, The Life and Death of a Mexican Kinpgin, Terrence E. Poppa

raconte l´histoire de Pablo Acosta, un narcotrafiquant mexicain des années 70 qui, versant

des pots-de-vin de cent milles dollars par mois, profitait ainsi du soutien et de la

protection de fonctionnaires fédéraux et locaux. Dans ce même ouvrage, on peut lire que

quand Acosta élimina l´un de ses ennemis, à savoir Fermín Arévalo, il ne lui suffisait pas

de l’abattre de 95 balles dans la tête, mais il lui fallait également couper le pénis et les

testicules afin de les transmettre à l´épouse de Arévalo, et ce dans le but qu´elle choisisse

entre l´un des deux trophées (Aguilar y Castaneda, 2010 : 60). Cette image exprime les

relations qui s´établissent dans la Postcolonie Latino-américaine, où la violence, comme

acte de plaisir et de commandement, accompagne la nouvelle configuration du

capitalisme. « Le capitalisme en lui-même est une violence constitutive » (Osorio Urbina

2012 : 91).

VI

A L’état de guerre suspend la morale;

il dépouille les institutions et les obligations éternelles de leur éternité et, dès lors, annule, dans le provisoire, les inconditionnels

impératifs Emmanuel Lévinas

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Selon Giorgio Agamben (2003 : 12-13), la signification biopolitique actuelle de

« l´Etat d´exception » est le military order du 13 novembre 2011 aux Etats-Unis où l´on

autorise la indefinitive detention à travers un procès effectué par les military commissions.

A partir du USA Patriot Act, (voté le 2 octobre 2001), s´établit la possibilité de détenir un

individu dans la mesure où la sécurité nationale d´un pays est en danger. Les réflexions

faites par le philosophe italien au sujet de l´horizon biopolitique de la modernité, où la vie

naturelle de l´être humain est absorbée par et dans les mécanismes de pouvoir et de son

calcul, est une réflexion fondamentale afin de comprendre les dispositifs qui constituent

le paradigme de la sécurité comme étant une pratique normale utilisée par le

gouvernement (Agamben, 2003 : 29). L´ « Etat d´exception » présente un moment de

rupture de la norme, où la force de la loi agit en suspendant l´application de la dite loi. A

partir de cette réflexion, il est faux d´équiper cette circonstance avec un scénario

dictatorial. Agamben (1997 : 46) explique que « l´ Etat d´exception constitue donc moins

une suspension temporelle qu’une figure topologique complexe, dans laquelle non

seulement l’exception et la règle, mais aussi l’état de nature et le droit, le dehors et le

dedans passent l’un dans l’autre. C’est justement dans cette zone topologique

d’indistinction, qui devait demeurer cachée aux yeux de la justice, qu’il nous faut au

contraire essayer de plonger le regard ». En conséquence, la vie nue (nuda vita), comme

étant un objet axial de souveraineté, est répercutée dans les modèles classiques, où les

distinctions politiques traditionnelles (droite et gauche, libéralisme et totalitarisme, privé

et public) perdent leur clarté et leur signification. L´analyse va davantage se focaliser sur

une meilleure manière d´administrer l´Etat. La biopolitique, devenue thanatopolitique,

considère la vie comme étant un objet politique (1997 : 132). En termes généraux,

l´« Etat d´exception » s´exprime comme étant un « vide fictif » ayant émané afin de

garantir l´existence et l´application de la norme ; l´ « Etat d´exception » est un instant lors

duquel l´application de la loi est suspendue et en même temps maintenue. Ceci explique

que ce n´est pas l´exception qui amène à la suspension de la loi, mais bien la règle qui,

étant suspendue, laisse le champ libre à l´exception.

Le 28 septembre 2011, le Conseil de Sécurité des Nations Unies approuva la

résolution 1373, qui permit aux Etats membres de l´ONU de réprimer les actes terroristes

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à l´intérieur des ses frontières. Alberto Najar (2001b) mentionna que durant la présidence

d´Ernesto Zedillo, prés de 500 personnes furent accusées d´actes terroristes par le bureau

du Procureur Général de la République mexicaine (PRG). Un fait intéressant est qu´en

2001, les « supposés » terroristes étaient des étudiants de l´Université Nationale

Autonome du Mexique, membres du Conseil Général de Grève (CGH), ainsi que de

l´Armée Révolutionnaire de Peuple d´Insurgés (ERPI) et de l’Armée Zapatiste de

Libération Nationale (EZLN).

La lutte contre le narcotrafic comme étant une stratégie de contre-insurgence est une

nouvelle tactique utilisée par le gouvernement. En septembre 1998, dans le numéro 973,

l´Obrero Revolucionario, travailleur révolutionnaire, publia une analyse au sujet de la

manière dont le gouvernement Reagan a fourni des aides aux Contras du Nicaragua.

Mettre en rapport la lutte à l´encontre des forces contre-révolutionnaires et les

narcotrafiquants, provoqua non seulement un combat contre les cellules de résistance,

mais provoqua également un financement de la guerre contre les révolutionnaires à partir

de Los Angeles et de Miami2. « En 1984, le gouvernement de Ronald Reagan obtenait

une somme de 24 millions de dollars afin de soutenir la lutte contre-révolutionnaire

nicaraguayenne » (Hernández, 2010 : 91). Un autre cas connu, est celui lors duquel fut

révélé que la compagnie d´aviation nord américaine East, dédiée à fumiger les

plantations de coca en Colombie et au Pérou fut la même compagnie qui en 1980

embaucha Oliver North pour transférer des armes aux contres-révolutionnaires

nicaraguayens du fameux scandale de l´Iran Gate. Un autre exemple est celui de Air

America, qui servit de distributeur de drogues entre les communautés locales et les

Vietnamiens. De telles entreprises ont servi à combattre et à réprimer les groupes

d´insurgés des pays qui luttaient pour leur libération. Dans un entretien, Noam Chomsky

déclara que « la guerre contre la drogue n´eut aux Etats-Unis aucun impact sur la

consommation de drogue ni sur le prix de celles-ci, mais bien d´autres effets. En

Amérique latine, c’est une couverture pour la contre-insurrection » (Mendosa, 2000).

Pour sa part, le sociologue et avocat colombien César Osorio Sánchez (2012 : 183)

soutient que le lien entre la classe politique et les cartels n´est pas neuf, mais qu´il obéit à 2 � http://rwor.org/a/v20/970-79/973/crim3_s.htm

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des processus économiques et politiques de longue date. La lutte contre les drogues en

Colombie a eu comme conséquence une augmentation en matière d´ingérence de la part

des Etats-Unis dans la politique interne, une augmentation de la participation des mafieux

comme pouvoir fictif ainsi qu´une augmentation des violations des Droits de l´Homme.

La lutte de contre-insurrection servit comme obstacle pour poursuivre le processus

d´accumulation pour déposition où la « violence de classe » peut compter sur la

protection de la loi, des groupes paramilitaires, de la police et de l´armée.

Il est certain que, suite à la fraude électorale de 2006, le gouvernement de Felipe

Calderón a déclaré une guerre contre le narcotrafic, avec comme finalité la légitimation

de son mandat présidentiel (Aguilar et Castaneda, 2010 ; Naveau, 2011 ; Osorio Uriban,

2012). Mis à part les 50.000 morts résultants de cette guerre, nous observons non

seulement une augmentation en matière de violation des Droits de l´Homme, mais

également une stratégie de contre-insurrection initiée par le gouvernement à tous les

niveaux de pouvoirs.

Jorge Carrasco Araizes (Rodríguez, 2012 : 64) nous informe que dans l´Etat

mexicain de Durango, la Commission des Droits de l´Homme a comptabilisé une

augmentation en matière de violation des Droits de l´Homme de 900% en 2008 par

rapport à 2007. Pour sa part, Gloria Leticia Díaz, journaliste à la revue mexicaine El

Proceso (Rodríguez, 2010 : 83) nous enseigne la relation existante entre la guerre contre

les drogues et les abus militaires. En guise d´exemple, notons qu´entre 1997 et 2010, dans

l´Etat de Guerrero, le centre des Droits de l´Homme de Tlachinollan a dénoncé 82 cas de

violation des Droits de l´Homme, parmi lesquels de nombreux cas de tortures et

agressions sexuelles furent couramment pratiqués par l´armée mexicaine. De plus, il

convient de signaler l´augmentation de la présence militaire dans le cadre de la logique de

contre-insurrection dans le Chiapas et dans l´Etat de Guerrero.

Le lien entre homo sacer et « Etat d´exception » exprime non seulement

l´indissolubilité entre la vie humaine et la norme, mais également la relation entre le droit

et la théologie. Il n´est pas fortuit que des penseurs tels Carl Schmitt, Walter Benjamin et

Ernst Kantorowicz furent fondamentaux dans la construction architectonique de ce

philosophe italien.

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Homo Sacer est une figure du droit romain antique qui fut reprise par Giorgio

Agamben afin de mettre en évidence l´importance du pouvoir souverain sur la vie à

l´intérieur du paradigme de la biopolitique. L´homo sacer se trouve dans un limbe

juridique car, malgré qu´il soit sacré, il se situe hors des limites du droit des dieux

(infamis et intestabilis) et donc, sa vie ne peut ni être sacrifiée ni être liée à celle des

hommes. Sa vie reste hors des limites des normes religieuses et profanes. C’est donc une

nuda vita. La structure originale de cette séparation est la politique, d´où la sphère de la

souveraineté de la nuda vita reste exposée (et abandonnée) à la violence. En

conséquence, sa mort n´est pas considérée comme étant un homicide (parricidi non

damnatur). De plus, selon Agamben (1997 : 122), tous les citoyens sont virtuellement

homines sacris car la relation d´exclusion constitue la structure propre du pouvoir

souverain. De là, on peut dire que dans la modernité la misère et l´exclusion sont non

seulement des concepts économiques et sociaux, mais aussi des catégories politiques

(Agamben, 1997 : 192).

Pour sa part, Ramírez Vuelva identifie le rôle de l´initiative Mérida (autrefois le

plan Puebla-Panamá) dans le projet géopolitique des Etats-Unis où lesentreprises privées

Bell, Dyncorp, Cessna et Harris en furent les plus grands bénéficiaires. Privatisation du

pouvoir public et exacerbation des forces répressives vont de pair dans le processus

néocolonial que traverse l´Amérique latine. Les ajustements structurels, propres du

modèle néolibéral, ont causé des ravages dans l´économie des pays périphériques. Cela a

fait place à une nouvelle logique néo-coloniale où non seulement les formes de précarités

dans le travail se sont aiguisées, mais cette dynamique prédatrice a également laissé des

marques sur l´environnement. Le néolibéralisme implique une absence de l´Etat en

matière de sécurité sociale et un durcissement en matière de présence dans le champ

punitif. Cet abandon de la part de l´Etat dans sa responsabilité sociale a poussé des

milliers de personnes à migrer. En ce sens, le migrant, avant tout celui venant

d´Amérique centrale, voulant se rendre aux Etats-Unis, sera pris dans les filets des

autorités et des cartels mexicains pour en faire un homo sacer.

En août 2010 fut découvert une fosse commune dans le ranch de San Fernando dans

l´Etat de Tamaulipas. 72 cadavres y furent découverts, tous des migrants. Selon la

Commission des Droits de l´Homme, les cartels ont séquestré 9 758 migrants entre

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septembre 2008 et février 2009. D´autres sources parlent de 20.000 victimes. Il importe

de mentionner qu’en six mois, environ 10.000 personnes ont disparu, ce qui représente un

gain de 25 millions de dollars.

Tout comme il existe un lien entre « Etat d´exception » et homo sacer, il existe

également un lien entre le néolibéralisme et la militarisation de l´Etat. A l´ombre du

pouvoir, le narcotrafic offre des biens et des services là où l´Etat et le marché sont

absents, pour ensuite se le disputer. Dans ces disputes, la vie des citoyens, des travailleurs

et des migrants (homines sacris) peut être arrachée à n´importe quelle heure et à

n´importe quel endroit.

B Marx a dit que les révolutions sont la locomotive de l’histoire mondiale.

Peut-être que les choses se présentent autrement. Il se peut que les révolutions soient l’acte par lequel l’humanité

qui voyage dans le train tire le frein d’urgence Walter Benjamin

Il existe beaucoup d'interprétations sur le sens cryptique de cette réflexion de Walter

Benjamin. Bien que nous sachions que cette note n'est pas apparue dans la rédaction

finale des Thèses, d’auprès Michael Löwy (2011: 110), cette image exprime l'idée que

Benjamin avait du continuum de l'histoire comme direction, et que si celle-ci n'était pas

interrompue nous nous dirigions vers la catastrophe. Ce n’est pas par hasard que

Benjamin use de la métaphore “tempête” pour se référer au progrès destructif qui nous

conduit directement dans l'abyme : la destruction de l'humanité et de la planète. En ces

temps, où le capital n'hésite pas à saper (untergräbt) les hommes et la terre pour continuer

l´accumulation pour dépossession ; il est urgent et vital d’interrompre « le train de

l’histoire » de la modernité capitaliste.

Pour sa part, le philosophe Stefan Gandler (2009: 72) soutient que pour comprendre

cette phrase “dans son vrai sens et poids”, nous devons considérer les années où

Benjamin à rédigé ces notes. D’où, nous voulons prendre en compte l'histoire du fascisme

et du nazisme, tout comme l'histoire de l’élimination des juifs, ainsi que “l'image du

freinage d'urgence qui devrait arrêter le train, qui est plus qu’une image que le philosophe

use pour faire entendre ses idées au public intéressé. C'est la réalité elle-même”.

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Même Gandler mentionne que lorsqu'il commenta cette phrase avec l'écrivain et

cinéaste français Claude Lanzmann (Directeur du film Shoah, 1985), ce denier, lui

suggéra qu'il ne s'agissait pas de “quelques freins d'urgence dans n'importe quel train,

mais plutôt, le frein d'urgence dans un train qui se dirigeait à Auschwitz, à Sobibor, à

Treblinka ou d'autres camps d'extermination national socialiste”. Le vrai acte

révolutionnaire réside dans l'arrêt des trains qui se dirigeaient vers ces dits camps

d'extermination. De là, pour Gandler (2009:73) “ arrêter un seul train rempli de gens sur

le chemin de l'extermination immédiate aurait été plus révolutionnaire que les actes de

Robespierre et Danton réunis.”

En se souvenant de la célèbre phrase de Max Horkheimer : “celui qui ne veut pas

parler du capitalisme devra se taire aussi à propos du fascisme”, nous sommes d'accord

avec Gandler (2009:125) pour identifier le noyau dur (ou l’épine critique) du projet

théorique et philosophique de l'école de Francfort qui implique une analyse critique de la

tendance autodestructive propre à notre formation sociale. La destruction des juifs

européens n'a pas été un “accident de l'histoire”, mais la conséquence de la “marche

logique” de l'histoire universelle et abstraite (Gandler, 2009:29).

Dans cette “marche logique” de l'histoire nous continuons d'être les témoins

d'holocaustes silencieux qui se forgent dans ce XXI siècle sous les roues meurtrières du

progrès. L'un d'entre eux est celui dont souffrent les migrants centroaméricains, qui

durant leur passage sur le territoire mexicain, sont victimes d'abus et d’exactions

perpétrés par les narcotrafiquants et les autorités locales et fédérales. Ironies de l'histoire

que le train des migrants qui va de Tenosique dans l'Etat du Tabasco jusqu'à

Coatzacoalcos dans l'Etat de Veracruz est connu comme “La Bête”, figure de la

démonologie pour nommer la locomotive qui parcourt la route la plus dangereuse pour

les sans papiers où si fort est le vent, qu'il provoque le progrès de la rouille sur les longs

rails, qui traversent l'oxyde, illumine la lente nuit mexicaine qui traverse les sans papiers

pour arriver à leur destin, comme l'explique le poème “La Bête” de Daniel Rodriguez

Moya (A.A.V.V. 2011). Il n'est pas fortuit que le prêtre Alejandro Solalinde, fondateur de

l'auberge “Les frères dans le chemin”, compare le calvaire vécu par les migrants avec

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l'holocauste subi par les juifs européens durant le minuit de l'histoire3. La solidarité, le

soutien et la responsabilité que ce prêtre de “l'Eglise des pauvres” a montré pour l'autre,

lui ont couté des menaces de mort4. Bien que certains aient facilement critiqué les limites

du travail des « frères dans le chemin » -critique faite par des groupes dont leur passivité

politique provoquera la honte de n’importe quel adolescent du « ghetto de Varsovie »-

nous pensons que la valeur de l’action de Solalinde et de celle des « Frères dans le

chemin » réside dans le fait qu’ils n’ont pas renoncé à « la faible force messianique »

dont leur génération est porteuse.

Il va sans dire que les théologiens de la libération qui, en s’appuyant sur le

marxisme et en essayant une lecture à rebrousse-poil, ont montré le caractère idolâtrique

et sacrificiel du capital. Dans l’ouvrage A idolatria do mercado, Franz Hinkelammert et

Hugo Asmman ont mis en lumière le capitalisme non seulement comme un système des

apparences fétichisées mais aussi comme une religion de la vie quotidienne. En analysant

le binôme économie-théologie, ces théologiens ont trouvé les emprunts du discours

économique afin de montrer les conséquences sur le milieu social et sur la nature. A ses

yeux, l’économie est une forme de théologie sécularisée, laquelle détient ses propres

apôtres et théologiens. En ce sens, Hinkelammert et Assmann ont étudié l’aspect religieux

(la main invisible, le marché total) qui est caché dans le discours scientifique et séculaire

de l’économie.

Hugo Assmann et Franz Hinkelammert concevaient l’économie capitaliste comme

un procès d’idolâtrie. Cette économie entraîne de néfastes conséquences non seulement

sur les hommes et les femmes mais également sur la nature, car le désir de gain devient le

critère formel de décision. C’est pour cela, que les théologiens de la libération reprennent

la critique du fétichisme –élaborée par Marx, afin d’analyser la dynamique du Capital.

Cette intuition fut déjà faite par Walter Benjamin qui concevait le capitalisme comme une

3 � http://www.vanguardia.com.mx/sermigranteelmayormartirioalejandrosolalinde-1217110.html 4 � http://www.gatopardo.com/ReportajesGP.php?R=104

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religion, une religion très féroce et cruelle ne connaissant ni la paix, ni la trêve5. Et

maintenant, elle continue sa marche, « la bête en chemin vers la frontière/ Elle avance

vers le nord/ le vieux grondement d’un train de marchandises » (Rodríguez Moya: 2011).

VII

Il faut s’installer dans la contradiction, la travailler de l’intérieur. Ni exil, ni exode de nouveaux nomades

Daniel Bensaïd

Suivant la méthode (ou le sentier) parcouru par Agamben lors de sa description du

homines sacris, Edgardo Logiudice (2007 : 82) pénètre dans les formes archaïques

romaines pour révéler les marques de la rationalité moderne dans le droit « privé », et son

intersection avec les mécanismes religieux pré-modernes ayant comme finalité le

dévoilement du fait que « le contrat est la forme idéologique constituante de la relation

capitaliste » (2007 :63). De plus, à l´intérieur du mécanisme théologique-idéologique,

l´auteur observe que fides est intimement lié avec la foi, la confidence et la foi en la

parole. C´est pour cette raison que le contrat (ou le vote) implique un acte de foi, un pari,

car il ne faut pas oublier que le vote (votom) est un échange de promesses.

Pour Logiudice (2007) le contrat s’exprime également dans la forme du salaire en

tant qu´arbitre dans la relation asymétrique pour y garantir la supposée « équité » et la

« liberté » des participants. Tout comme dans un supermarché, nous sommes libres et

égaux pour choisir du Coca-Cola ou du Pepsi. Sur le marché de la démocratie

représentative, nous sommes libres et égaux de voter pour un candidat exécrable ou un

autre avec les mêmes allures, la fonction idéologique de la « contractualité » est de

garantir la préservation de la contradiction immanente de la dynamique du capitalisme,

c´est-à-dire, la contradiction entre le capital et le travail.

Dans la perspective de Loguidice, l´apparence impersonnelle de la loi est similaire

au capital. Les deux peuvent être conçues comme étant des structures (juridiques et

économiques) qui cachent la domination et l´exploitation de classe. Notons que

5 �http://ricerca.repubblica.it/repubblica/archivio/repubblica/2012/02/16/se-la-feroce-religione-del-denaro-divora.html

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l´appropriation du travail de quelqu'un d´autre (la plus value) reste légitime par forme

contractuelle. En ce sens, le détenteur de la force de travail (source de la valeur), c´est-à-

dire le travailleur, se retrouve sans emploi et est abandonné (zone d´indifférence

démontrée par Agamben) (1997 : 121). Tout comme l´homo sacer, le chômeur se trouve

hors de l´autel du capitalisme. Ainsi, dans cette relation entre homo sacer et capitalisme,

le chercheur Jaime Sebastián Osorio Urbina (2012 : 94) dévoile la manière dont, durant le

néolibéralisme, la vie du travailleur ne fut remise en question sans pour autant être

considérée comme étant un acte d´homicide.

La répudiation de la classe politique en général et, du président Felipe Calderón en

particulier, montre que la société est fatiguée de voir la démocratie libérale bourgeoise

comme forme hégémonique. Malgré les limites que peuvent présenter les mouvements

sociaux, organisés à partir de la société civile ou des mouvements d´insurgés, ils

expriment une tentative de rupture avec la forme de compréhension du politique et de la

pratique de la politique. Il ne fait aucun doute que l´organisation politique est

indispensable pour la destruction des structures qui dominent et oppriment le peuple et

donc, nous ne devons pas oublier que le message prophétique de José Carlos Mariátegui

proclame qu’« un nouvel ordre juridique et économique ne peut pas toujours être l´œuvre

d´un leader mais bien d´une classe. Quand la classe existe, le leader fonctionne comme

un interprète et un homme de confiance. Il n´est pas un arbitre personnel, mais plutôt le

récipient d’un assemblement d´intérêts et de nécessités collectives qui décident de sa

politique » (Mariátegui, 1958 : 60).

Murcia, le 10 mai 2012

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