Autour de la constitution de l’« Unité populaire » et son programme

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Autour de la constitution de l'« Unité populaire » et son programme, 20/9/2015 La formation rapide de l'« Unité populaire », en l'espace de quelques semaines (sinon jours), marque aussi -et de façon compréhensible- son ambiguïté programmatique. Car, si le programme est essentiellement une « compréhension commune de la situation » (Trotsky), la rapidité de la rupture avec SYRIZA sur la base de la capitulation de Tsipras face au chantage européen, aussi sain que cela soit comme réflexe pratique, porte aussi la marque de toute une stratégie ratée mais aussi de l'absence d'explication convaincante de la faillite de Syriza. L'argument « rationnel » et l'argument « démocratique », qui étaient à la base de cette stratégie réformiste dite de « négociation » avec les centres capitalistes européens, ont été pulvérisés par la réalité européenne et il faut dépasser des aspects subjectifs (la « trahison ») pour tirer des bilans programmatiques substantiels -y compris sur une autocritique du schéma d'un « gouvernement de gauche » qui pourrait sans s'enraciner dans un mouvement de masses réel et actif peser dans les rapports de forces du pourvoir européen. L'arme monétaire ayant été utilisé par l'UE (via la BCE) comme l'arme ultime contre toute velléité démocratique ou sociale, la question de la drachme a failli occuper le centre du nouveau projet -l'appareil de propagande capitaliste y poussant aussi, il faut le dire- comme le gadget technique d'une réponse à la réalisation d'un programme initial du SYRIZA qui aurait été gardé intact pour le reste. On peut y discerner aussi l'influence tant d'économistes et intellectuels obsédés par cette question monétaire (comme Lapavitsas ou Kouvelakis) que des forces politiques qui viennent de la Plateforme de gauche de SYRIZA (et même d'ANTARSYA -essentiellement ARAN et ARAS), qui parient de façon pessimiste sur un repli étapiste et national. Mais il faut aussi reconnaître que malgré le martelage des médias capitalistes, la direction de l'UP dans la campagne électorale essaie de s'en tenir à sa déclaration programmatique qui présente l'indépendance monétaire comme une réponse de « réalisme politique », comme un moyen, un outil pour appliquer une politique « populaire ». A l'inverse, la nécessaire rupture pratique avec les traités sur l'eurozone escamote le fond du capitalisme européen en gardant ouverte la question de l'UE, sans voir que les politiques de l'eurozone ne lui sont pas propres : en gardant ouverte la question de l'UE, via des « négociations » supposées et puis un referendum éventuel sur une « sortie de l'UE », on garde les ambiguïtés de SYRIZA sur un gradualisme d'« intérêt mutuel » impossible ! Or, la rupture avec les institutions de l'UE est inscrite, comme nécessité absolue, dans toute tentative de stopper l'austérité, et la seule question pertinente c'est si on réussira à porter la contradiction au sein de cette machine pour la faire éclater ou non. Avec l'expérience récente du gouvernement Tsipras, c'est bien l'inverse qui s'est passé ! Après cela, personne ne peut rester dupe sur la possibilité de trouver des solutions de compromis à l'amiable, sans conflit et rupture avec les « institutions européennes » -qui présuppose bien des rapports de forces réels... La meilleure expression de cette ambiguïté concerne la dette, question centrale pour la gestion de la crise « grecque ». Si l'UP prévoit bien un « arrêt des paiements» (même les mots peuvent cacher des hésitations : on n'utilise pas le mot « suspension », ni « moratoire », mais un mot qui signifie plutôt « pause », …), elle n'est explicite ni sur le caractère obligatoirement unilatéral de l'acte ni sur le processus de validation international. Le recours à des processus « légaux » et « politiques » au « niveau international » reprend en gros les illusions de SYRIZA sur une hypothétique persuasion des « créditeurs », via des marchandages, en vue d'« effacer la plus grande partie de la dette » sur la base de sa « viabilité ». Et si le rapport de la commission du parlement grec sur la dette pourrait acquérir une valeur politique, c'est accessoirement comme argument juridique ou économique viabilité ») face aux « créditeurs », c'est essentiellement pour la conscience des masses (en Grèce et dans les « pays créditeurs ») : la mise en question radicale du capital de prêt, rendue urgente dans la situation des bulles financières du capitalisme actuel place au centre la question politique de « qui décide », avec « quelle logique », pour quels « intérêts » matériels.

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Tassos Anastassiadis, article sur LAE dans La Gauche, 20/9/2015

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Autour de la constitution de l'« Unité populaire » et son programme, 20/9/2015

La formation rapide de l'« Unité populaire », en l'espace de quelques semaines (sinon jours),marque aussi -et de façon compréhensible- son ambiguïté programmatique. Car, si le programme estessentiellement une « compréhension commune de la situation » (Trotsky), la rapidité de la ruptureavec SYRIZA sur la base de la capitulation de Tsipras face au chantage européen, aussi sain quecela soit comme réflexe pratique, porte aussi la marque de toute une stratégie ratée mais aussi del'absence d'explication convaincante de la faillite de Syriza.

L'argument « rationnel » et l'argument « démocratique », qui étaient à la base de cette stratégieréformiste dite de « négociation » avec les centres capitalistes européens, ont été pulvérisés par laréalité européenne et il faut dépasser des aspects subjectifs (la « trahison ») pour tirer des bilansprogrammatiques substantiels -y compris sur une autocritique du schéma d'un « gouvernement degauche » qui pourrait sans s'enraciner dans un mouvement de masses réel et actif peser dans lesrapports de forces du pourvoir européen.

L'arme monétaire ayant été utilisé par l'UE (via la BCE) comme l'arme ultime contre toute velléitédémocratique ou sociale, la question de la drachme a failli occuper le centre du nouveau projet-l'appareil de propagande capitaliste y poussant aussi, il faut le dire- comme le gadget techniqued'une réponse à la réalisation d'un programme initial du SYRIZA qui aurait été gardé intact pour lereste. On peut y discerner aussi l'influence tant d'économistes et intellectuels obsédés par cettequestion monétaire (comme Lapavitsas ou Kouvelakis) que des forces politiques qui viennent de laPlateforme de gauche de SYRIZA (et même d'ANTARSYA -essentiellement ARAN et ARAS), quiparient de façon pessimiste sur un repli étapiste et national. Mais il faut aussi reconnaître quemalgré le martelage des médias capitalistes, la direction de l'UP dans la campagne électorale essaiede s'en tenir à sa déclaration programmatique qui présente l'indépendance monétaire comme uneréponse de « réalisme politique », comme un moyen, un outil pour appliquer une politique« populaire ».

A l'inverse, la nécessaire rupture pratique avec les traités sur l'eurozone escamote le fond ducapitalisme européen en gardant ouverte la question de l'UE, sans voir que les politiques del'eurozone ne lui sont pas propres : en gardant ouverte la question de l'UE, via des « négociations »supposées et puis un referendum éventuel sur une « sortie de l'UE », on garde les ambiguïtés deSYRIZA sur un gradualisme d'« intérêt mutuel » impossible ! Or, la rupture avec les institutions del'UE est inscrite, comme nécessité absolue, dans toute tentative de stopper l'austérité, et la seulequestion pertinente c'est si on réussira à porter la contradiction au sein de cette machine pour la faireéclater ou non. Avec l'expérience récente du gouvernement Tsipras, c'est bien l'inverse qui s'estpassé ! Après cela, personne ne peut rester dupe sur la possibilité de trouver des solutions decompromis à l'amiable, sans conflit et rupture avec les « institutions européennes » -qui présupposebien des rapports de forces réels...

La meilleure expression de cette ambiguïté concerne la dette, question centrale pour la gestion de lacrise « grecque ». Si l'UP prévoit bien un « arrêt des paiements» (même les mots peuvent cacherdes hésitations : on n'utilise pas le mot « suspension », ni « moratoire », mais un mot qui signifieplutôt « pause », …), elle n'est explicite ni sur le caractère obligatoirement unilatéral de l'acte ni surle processus de validation international. Le recours à des processus « légaux » et « politiques » au« niveau international » reprend en gros les illusions de SYRIZA sur une hypothétique persuasiondes « créditeurs », via des marchandages, en vue d'« effacer la plus grande partie de la dette » surla base de sa « viabilité ». Et si le rapport de la commission du parlement grec sur la dette pourraitacquérir une valeur politique, c'est accessoirement comme argument juridique ou économique(« viabilité ») face aux « créditeurs », c'est essentiellement pour la conscience des masses (en Grèceet dans les « pays créditeurs ») : la mise en question radicale du capital de prêt, rendue urgente dansla situation des bulles financières du capitalisme actuel place au centre la question politique de« qui décide », avec « quelle logique », pour quels « intérêts » matériels.

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Du point de vue du programme, de telles hésitations peuvent conduire à des aberrations plusfondamentales et même en deçà du programme de SYRIZA de janvier ! C'est le cas par exemple duniveau de salaires réclamé : si SYRIZA prévoyait en janvier la restitution du niveau des salairesminimum (on sait ce qu'il en a été, même avant la capitulation, cette restitution devait s'allonger surplusieurs mois et même années…), l'UP théorise dans son programme ce gradualisme dans le temps(« augmentation graduelle des minima des salaires, retraites et allocations de chômage ») et -quiest pire- en les faisant dépendre des « conditions des rythmes de la croissance » ! Il ne s'agit pas icide repérer des « réalismes » quantitatifs de la production, mais plutôt de voir une logique, uneméthode : très correctement, le programme de l'UP pose la question de la « répartition de larichesse sociale en faveur des couches travailleuses et contre les oligarches », mais le gradualismedans la satisfaction des besoins élémentaires montre que cette bataille pour la répartition entreclasses ne vise pas à lancer l'appareil productif sur la base des besoins, mais plutôt à « corriger »ses plus criantes inégalités.

Les mêmes questions peuvent être posées à l'occasion de plusieurs formulations, dont la rhétoriqueparfois peut cacher de vraies ambiguïtés ou de réels problèmes. C'est beau de s'élever contre les« privatisations prédatrices » et prévoir la « restitution de la richesse publique qui a été bradée aucapital privé en annulant les décisions illégales et anticonstitutionnelles », mais on peut s'interrogersur l'étendue de ce qui constitue l'« illégalité », « les prédateurs » ou « les oligarches », d'autantplus que ces derniers sont souvent assortis d'adjectifs du type « corrompus », etc. Ceci n'est peut-être pas anodin non plus, car cela laisse supposer qu'il y aurait un capital qui ne serait pas« corrompu » et on peut donc se poser des questions dans ce cadre sur la logique ou les critères d'unprocessus de nationalisations nécessaires des secteurs stratégiques (au delà de la nationalisation desbanques)… D'autant plus que le texte programmatique de l'UP, s'il critique avec raison la« direction Tsipras », reste assez silencieux sur la consistance et la cohérence de la classebourgeoise grecque pendant toutes ces années d'attaques et surtout lors du referendum du 5 juillet.

Précisons qu'une description de cette bourgeoisie en termes « coloniaux », qui n'est pas absente dudiscours de l'UP, ne correspond pas véritablement à la puissance de mobilisation de cette classe entout cas vis à vis de ses propres travailleurs ! En effet, elle se pose plus comme avant garde de labourgeoisie européenne, et moins comme sa subalterne -d'autant plus que sa plus puissante fraction-qui contrôle la première flotte dans le monde- est très bien internationalisée ! C'est de ce point devue aussi que le résumé programmatique de l'UP elle même reste très problématique : parler d'un« grand front populaire et patriotique » peut bien brouiller l'axe central de la mobilisationnécessaire, surtout quand il se combine à des analyses sommaires et en réalité fausses, telle laprésentation de l'UE comme une « Europe germanique ».

Toutes ces questions, et d'autres encore -sur les formes organisationnelles et de représentationpolitique ou sur la démocratie interne- sont en fait des questions qui se sont posées -d'une façon oud'une autre- comme critiques externes et y compris à l’intérieur de l'UP, sans se cristalliser encoretout à fait comme telles (bien que nos citations soient prises dans la « Déclaration programmatiquede l'Unité Populaire »). On le voit dans l'évolution de la campagne électorale et on le voit aussi parles prises de position de différentes composantes ou tendances. Dans une certaine mesure, d'ailleurs,elles reprennent des discussions qu'il y a eu y compris au sein de Antarsya, notamment sur lepassage obligé (ou non) par une étape de repli ou de protection nationale. De même au sein de l'UP,une telle realpolitik se heurte à une compréhension qui s'enracine dans le mouvement réel d'uneclasse ouvrière qui fondamentalement n'est pas nationale ! Cela montre la nécessité de pouvoir faireconverger cette gauche politique grecque vers un programme cohérent qui ne soit pas unprogramme minimum mais qui tende, transitoirement, vers une vraie révolution sociale !

Tassos Anastassiadis