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Page 1: aujourdhuijerevisemonbacoupeutetredemainjenesaispas.files ...… · Web viewL’épilogue de L’Etranger. Situation de l’extrait : Dans le chapitre V de la deuxième partie, Meursault

L’épilogue de L’Etranger

Situation de l’extrait   : Dans le chapitre V de la deuxième partie, Meursault reçoit la visite de l’aumônier, qui tente de le convertir à la foi en Dieu en invoquant la peur qu’inspire la proximité de la mort. Mais Meursault affirme qu’il ne croit pas en Dieu, qu’il n’a aucun espoir en une vie après la mort et que toutes les vies, tous les êtres se valent, étant donné que rien n’a d’importance, puisque la vie est absurde. Après s’être révolté violemment contre les propos de l’aumônier et s’en être pris physiquement à lui, Meursault se retrouve seul dans sa cellule, la nuit précédant son exécution. Problématique : comment, à travers ce monologue, Meursault accède-t-il à la paix ?

I) Une intériorité A) Une paix intérieure- En cette fin de roman, M semble livrer pleinement ses sentiments et sensations personnels au lecteur, comme le

montrent les expressions « montaient jusqu’à moi » (l. ), « rafraîchissaient mes tempes » (l. ), « entrait en moi » (l. ), « je me suis senti » (l. ), « j’ai senti » (l. ), dans une sorte de monologue où la première personne est associée à des verbes de perception.

- Le premier sentiment qu’il exprime est alors un sentiment d’apaisement, dû au départ de l’aumônier, et au fait qu’il se soit retrouvé seul : « Lui parti, j’ai retrouvé le calme » (l.1). Le déchainement verbal et pulsionnel auquel il s’est livré (cf. passage précédent : « crier à plein gosier », « déversais sur lui tout le fond de mon cœur », « j’étouffais en criant ceci ») semble l’avoir vidé de toute animosité (« j’étais épuisé », l.  ; « Comme si cette grande colère m’avait purgé du mal, vidé d’espoir » l. ), de sorte qu’il s’endort (il faut remarquer encore la violence dans le verbe « se jeter » : « je me suis jeté sur ma couchette », l. ) : « Je crois que j’ai dormi », l. . On a l’impression que ce sommeil, en plus d’être réparateur, symbolise une sorte de renaissance du personnage, qui se réveille calme et tous les sens en éveil, dépourvu de toute crainte liée à sa mort prochaine : « merveilleuse paix » (l. ) + « avec des étoiles sur le visage » (l. )

- Sorte de « catharsis » = purification de l’âme ou purgation des passions du spectateur par la terreur et la pitié qu’il éprouve devant le spectacle d’une destinée tragique (cf. théâtre antique) : « Comme si cette grande colère m’avait purgé du mal » (l. ) → verbe « purger » rappelle bien la purgation cathartique, ainsi que la notion de « mal ». Meursault peut enfin, comme tout héros tragique, accéder au sublime par la mort.

- Le cadre temporel est d’ailleurs favorable à cette quiétude : il fait nuit («étoiles », l. ; « à la limite de la nuit », l. ; « devant cette nuit chargée de signes et d’étoiles », l. ), et M, lorsqu’il parle de sa mère, présente ce moment de la journée comme celui privilégié d’« une trêve mélancolique » (l. ) : « le soir était comme une trêve mélancolique ». Vertu curative du soir; fraîcheur opposée à la chaleur qui domine de nombreux passages de l’œuvre (arrivée à l’asile, meurtre, procès) : « rafraîchissaient » (l. ) ; « été endormi» (l. )

B) La communion avec la nature / fusion lyrique avec le monde- Bien qu’enfermé dans sa cellule, Meursault semble entrer en communion avec la nature, comme le montre le fait

que chaque évocation de la nature est rattachée à la personne de M, à son corps (« avec des étoiles sur le visage », l. ; « Des bruits de campagne montaient jusqu’à moi », l. ; « Des odeurs de nuit, de terre et de sel rafraîchissaient mes tempes », l. ; la comparaison « la merveilleuse paix de cet été endormi entrait en moi comme une marée », l. ).

- Réveil des sens. L’attachement du personnage aux sensations transparaît bien ici : on note la référence à des sensations visuelles : des étoiles (l. ), auditives : « bruits de campagne (l. ), « des sirènes ont hurlé » (l. ), tactile : « rafraîchissaient mes tempes » (l. ), olfactives : « odeurs de nuit, de terre et de sel » (l. ) N.B : « de nuit, de terre et de sel » : Rythme ternaire, monosyllabes (on ne prononce pas le e muet de terre) qui « miment » la sérénité du héros. L’odeur de sel, c’est l’odeur que laissent les cheveux de Marie dans le lit après leur première nuit : à une sensation physique est associé un sentiment de plaisir, voire de plénitude. Impression qu’au moment de mourir la vie prenait une importance inédite, comme si chaque chose acquérait une certaine valeur. Dans cette communion absolue avec la nature, tous les sens sont présents et se mélangent à la manière des synesthésies baudelairiennes.

- « la merveilleuse paix de cet été endormi entrait en moi comme une marée », l. :o Progression vers l’intimité du personnage : « jusqu’à moi » (l. ) > « en moi » (l. )o La comparaison « comme une marée » (lenteur, avancée, régularité de la marée montante) est significative:

L’eau et la mer ont toujours une vertu apaisante pour le héros ; ils sont même souvent synonymes de bonheur.- Il semble ne faire plus qu’un avec le monde, et se livre entièrement pour la première fois, comme le souligne

l’emploi du verbe pronominal «   s’ouvrir   »  : « je m’ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde » (l. ). L’ oxymore «   tendre indifférence   » signale que le personnage accepte l’absence de sens, l’absurdité de l’existence et qu’il l’envisage comme salvatrice.

C) Des sentiments intenses et « éternels » - Le lyrisme est renforcé par le style de Camus qui, aux nombreuses comparaisons (l. et ), allie des r épétitions

(« pourquoi », l. et ; « si pareil […] si fraternel », l. et ) et des anaphores (« Là-bas », l. ; « Personne », l.  ; « pour que », l. ), ce qui accentue l’intensité des sentiments exprimés par M.

- En outre, l’usage dominant de l’imparfait semble faire durer de manière indéterminée ce sentiment de plénitude : « montaient » par exemple (l. , , , …). L’imparfait charge les événements de durée, car ce qui est rapporté avec ce temps n’a pas de limites (ni début, ni fin : cela monte, mais on ne sait depuis quand ni jusqu’à quand). Ces bruits « montent » donc jusqu’à Meursault de façon illimitée. L’instant présent s’étire pour Meursault, voire se mêle au passé : souvenirs de la fin de vie de sa mère, « j’avais été heureux [=PQP], et que je l’étais encore [=imparfait] » (l. ) + à l’avenir : « le jour de mon exécution ». N.B : Tout au long du roman, nous avons vu que Meursault était sans arrêt

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prisonnier d’un temps isolant : son champs d’action et de pensées semble se limiter au temps présent et au passé ou futur très proche.

Ainsi, ce monologue lyrique témoigne de l’apaisement de Meursault, ce qui va transparaître dans l’évocation de sa mort et de celle de sa mère.

II) L’accès au bonheur par l’acceptation de l’absurdité et la revendication de son étrangeté A) Rupture définitive avec la société des hommes

- La colère et la révolte de M face à l’aumônier ont eu une dimension thérapeutique pour le personnage (« m’avait purgé du mal, vidé de tout espoir ») car elles ont débouché sur une certaine sérénité, sur la prise de conscience de son amour de la vie, de son appartenance intégrale au monde et de son bonheur passé mais aussi actuel («  j’ai senti que j’avais été heureux et que je l’étais encore », l. ).

- Proposition participiale ouvre l’extrait : « Lui parti » + hypallage : « été endormi » pour habitants d’Alger endormis = les hommes disparaissent au profit de la nature.

- Lorsqu’il évoque sa mère, la répétition de « Personne » accentue l’impression d’une rupture avec la société- « Des bruits de campagne montaient... » / « des sirènes ont hurlé ». Les bruits agressifs n’atteignent plus, n’accablent

plus Meursault : le monde lui est « à jamais indifférent » N.B : la prison est en hauteur (se souvenir que la prison, située sur une colline, permet à Meursault de « voir la mer ») ≈ ascension spirituelle (cf. Sisyphe) + rôle éminent des déterminants indéfinis et du pluriel (« des ») qui soulignent le flou dans lequel ce monde s’éloigne + « les cris de haine » redoublent le hurlement des sirènes et déshumanisent les futurs spectateurs de l’exécution (les spectateurs sont par avance réduits à des cris).

- « il me restait à souhaiter qu’il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu’ils m’accueillent avec des cris de haine » : nombreuses allitérations en [s] et en [k] de la dernière phrase miment, par une harmonie imitative, les cris rêvés des spectateurs, et soulignent peut-être aussi la force du souhait de Meursault d’en finir avec le monde des hommes. Le subjonctif permet d’exprimer son attente. Cette dernière pensée, très paradoxale, témoigne alors du fait qu’il assume sa vie et qu’il revendique sa différence avec les autres, sa fameuse « étrangeté » qui donne son titre au roman : les « cris de haine » qu’il souhaite renvoient au rejet, à l’exclusion dont il a été victime tout au long de son procès de la part du reste de la société. Or, ici, loin de se considérer comme une victime, il décide d’y faire face courageusement lors de ses derniers instants. Antithèse « …qu’ils m’accueillent avec des cris de haine ». Dès lors, l’anti-héros que M était, semble se muer, par la confrontation avec la mort, en véritable héros qui assume ses actes mais aussi ce qu’il est : il assume enfin un destin qu’il a d’abord vécu sans le vouloir.

B) Acceptation de l’absurde- Un bruit rappelle l’imminence de la mort (« des sirènes ont hurlé », l. ), condamnation à mort pour un crime qu’il

n’avait pas prémédité. Mais M ne perd pas son calme (qui m’était indifférent », l. ). D’ailleurs, la mort est évoquée à l’aide de périphrases (« Elles annonçaient des départs pour un monde », l. ) et d’euphémismes (« cet asile où des vies s’éteignaient », l. ), qui peuvent signifier qu’elle a perdu son caractère effrayant pour M et qu’il l’accepte, voire qu’il lui trouve une dimension bénéfique.

- « m’avait purgé du mal, vidé d’espoir » (l. ) : association étonnante mal / espoir (mise en évidence par le parallélisme), en fait espoir ‹ religion mais absence de toute foi en une autre vie après la mort chez M + inversion des signes traditionnels de la foi chrétienne : « étoiles » x 2 (inversion des signes)

- oxymore « tendre indifférence » qui lie clairement l’acceptation de l’absurde au commencement du bonheur- Le monde « à jamais indifférent », c’est celui des hommes ; celui auquel s’ouvre Meursault à présent est d’ordre

cosmique (terre, mer, étoiles). C’est le monde accepté dans son indifférence, son caractère non « raisonnable » (cf. Le mythe de Sisyphe). Le sentiment de l’absurde résultait d’un conflit entre l’homme et le monde, entre le désir de sens qui nous habite et l’absence de sens de l’existence. Meursault accepte ici ce silence, cette absence de réponse du monde, et par là se trouve réconcilié avec lui. L’oxymore témoigne avec éclat de cet accord final, de ce sentiment de « fraternité » avec le monde, si pareil à « l’étranger » qu’est Meursault – étranger aux hommes, mais « pareil » au monde.

C) Accès au bonheur- Une fois l’absurde accepté, le bonheur devient possible. C’est sans doute le sens du retour vers la mère. N.B  :

rapprochement phonétique mer / mère : la mère du narrateur prend ici une dimension mythique, la mère et le monde naturel sont mis sur le même plan.

- Cette mort, tout d’abord, réveille en lui le souvenir de sa mère : ce fait exceptionnel est souligné par l’expression « pour la première fois » (l. ).En effet, c’est la première fois que M l’évoque longuement, après l’annonce froide de sa mort dans l’incipit et le refus d’en parler au procès. L’épilogue du roman fait donc écho à l’incipit (épanadiplose).

- L’expérience imminente de la mort en prison rapproche enfin M de sa mère, qui a connu l’attente de la mort à l’asile (« là-bas aussi », l. ; « moi aussi », l. ). L’incompréhension cède la place à la compréhension (« je comprenais pourquoi à la fin d’une vie elle avait pris un « fiancé », pourquoi elle avait joué à recommencer », l. ; « Si près de la mort, maman devait s’y sentir libérée et prête à tout revivre », l. ). Ainsi, M laisse entendre que c’est la vie terrestre seule qui importe, que la proximité de la mort l’avait fait comprendre à sa mère et que c’est pour cette raison qu’elle avait décidé de profiter de tous ces instants de bonheur qui s’offraient à elle (fiancé). C’est donc la mort qui donne, rétrospectivement, toute sa valeur à la vie.

- Cette pensée du bonheur de sa mère le déculpabilise, de sorte qu’il délivre son propre sentiment sur la question de sa culpabilité concernant la mort de sa mère et son insensibilité : elle avait été heureuse avant de mourir, de sorte que

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« personne n’avait le droit de pleurer sur elle » (l. ). Ce mot « personne » englobe les autres, mais aussi M lui-même, qui se révèle alors comme un bon fils, puisqu’il n’a pas pleuré.

- Il prend conscience de la valeur de l’existence et accède ainsi au bonheur. Le bonheur passe donc par l’acceptation (celle de la mort, de la finitude, de l’absurdité de la vie) et par le renoncement. Non pas renoncer à la révolte (elle est salvatrice, on le voit dans l’extrait) mais renoncer à lutter contre l’inévitable, à le nier, le refuser.