Aspects sociaux des grandes fonctions chez l'abeille la théorie du superorganisme

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ASPECTS SOCIAUX DES GRANDES FONCTIONS CHEZ L'ABEILLE LA THEORIE DU SUPERORGANISME par R~my CHAUVIN Station de Recherches apicoIes, Bures-sur-Yvette, Seine-et-Oise. On connait la th~orie du (c superorganisme ~) (EMERSON) qui rapproche la ruche plut6t d'un organisme que d'une soci~t~ au sens humain du terme. Je discuterai plus loin de l'utilit~ d'un tel concept. Mais il me parait impor- tant de souligner qu'il existe chez l'Abeille un double aspect, individuel et social, de presque toutes les grandes fonctions : certaines d'entre elles ne se laissent m~me observer qu'A l'~tat social. Poul~ mieux mettre en lumi~re ces deux aspects, examinons bri~vement ehacune des fonctions de l'Abeille. Respiration. -- Nous ne savons rien de tr~s particulier coneernant la physiologie respiratoire de l'Abeille isol~e ; beaueoup d'auteurs, d'ailleurs, ne pr~cisent pas avec assez de soin s'ils ont travaill~ avec des ouvriSres isol~es ou groupies. L'Abeille consomme A peu pros, ~ 18~ 30 millim~tres cubes d'oxyg~ne par gramme et par minute, ce qui correspond/~ 9,09 calo- ries par kilogramme-heure; mais, pendant le vol, la eonsommation d'oxy- gbne peut ~tre multipli~e par 48 (JoNGBL(ED et WIERSMA, t934), ou m~me davantage (KOSMIN et coll., t939). Mais d'aussi importantes augmen- tations de consommation peuvent se reneontrer ehez d'autres Insectes, comme les L@idoptbres. Signalons toutefois la tr~s grande r~sistanee de l'Abeille au gaz carbonique : il ne l'endort,/~ l'~tat pur, que pour quelques secondes, alors que, ehez d'autres Insectes (Blattes, Grillons), l'anesth~sie peut durer un quart d'heure. Consid~rons maintenant l'atmosph~re interne de la ruche, et tout va changer. D'apr~s les reeherches de HAZELHOFF (1953), confirm~es par LE BIGOT (i953), il existe dans les ruches de v~ritables flaques d'air vici~ contenant parfois plus de 3 p. 100 de gaz carbonique. La teneur en oxyg~ne peut aussi s'appauvrir trbs fortement. Par eontre, ~ quelques centimbtres de distance, la composition de l'atmosph~re peut se rapprocher beaucoup de eelle de Fair ext~rieur; les Abeilles ne paraissent d'ailleurs pas se soucier de ces differences. On comprend que la teneur en gaz carbonique puisse varier d'un point ~ un autre, 6tant donn~ que les rayons sont rela- tivement tr~s rapproch~s, que les ouvri~res les recouvrent d'un manteau trbs @ais, s'intriquant souvent avec les ouvri~res du rayon voisin ; les laeunes de ce manteau constitueraient des poches gazeuses qui ne commu- niqueraient Ies unes avee les autres qu'aecidentellement. La ventilation, si bien d~erite par HUBEa, n'est pas un ph~nom~ne constant : elle se pro- INSECTES SOClXUX, TOME I, N ~ 2, t95/t.

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ASPECTS SOCIAUX DES GRANDES FONCTIONS CHEZ L'ABEILLE

LA THEORIE DU SUPERORGANISME

par R~my CHAUVIN Station de Recherches apicoIes, Bures-sur-Yvette, Seine-et-Oise.

On connait la th~orie du (c superorganisme ~) (EMERSON) qui rapproche la ruche plut6t d'un organisme que d'une soci~t~ au sens humain du terme. Je discuterai plus loin de l'utilit~ d'un tel concept. Mais il me parait impor- tant de souligner qu'il existe chez l'Abeille un double aspect, individuel et social, de presque toutes les grandes fonctions : certaines d'entre elles ne se laissent m~me observer qu'A l'~tat social. Poul ~ mieux mettre en lumi~re ces deux aspects, examinons bri~vement ehacune des fonctions de l'Abeille.

R e s p i r a t i o n . - - Nous ne savons rien de tr~s particulier coneernant la physiologie respiratoire de l'Abeille isol~e ; beaueoup d'auteurs, d'ailleurs, ne pr~cisent pas avec assez de soin s'ils ont travaill~ avec des ouvriSres isol~es ou groupies. L'Abeille consomme A peu pros, ~ 18 ~ 30 millim~tres cubes d'oxyg~ne par gramme et par minute, ce qui correspond/~ 9,09 calo- ries par kilogramme-heure; mais, pendant le vol, la eonsommation d'oxy- gbne peut ~tre multipli~e par 48 (JoNGBL(ED et WIERSMA, t934), ou m~me davantage (KOSMIN et coll., t939). Mais d'aussi importantes augmen- tations de consommation peuvent se reneontrer ehez d'autres Insectes, comme les L@idoptbres. Signalons toutefois la tr~s grande r~sistanee de l'Abeille au gaz carbonique : il ne l'endort,/~ l'~tat pur, que pour quelques secondes, alors que, ehez d'autres Insectes (Blattes, Grillons), l'anesth~sie peut durer un quart d'heure.

Consid~rons maintenant l 'atmosph~re interne de la ruche, et tout va changer. D'apr~s les reeherches de HAZELHOFF (1953), confirm~es par LE BIGOT (i953), il existe dans les ruches de v~ritables flaques d'air vici~ contenant parfois plus de 3 p. 100 de gaz carbonique. La teneur en oxyg~ne peut aussi s 'appauvrir trbs fortement. Par eontre, ~ quelques centimbtres de distance, la composition de l'atmosph~re peut se rapprocher beaucoup de eelle de Fair ext~rieur; les Abeilles ne paraissent d'ailleurs pas se soucier de ces differences. On comprend que la teneur en gaz carbonique puisse varier d'un point ~ un autre, 6tant donn~ que les rayons sont rela- t ivement tr~s rapproch~s, que les ouvri~res les recouvrent d'un manteau trbs @ais, s'intriquant souvent avec les ouvri~res du rayon voisin ; les laeunes de ce manteau constitueraient des poches gazeuses qui ne commu- niqueraient Ies unes avee les autres qu'aecidentellement. La ventilation, si bien d~erite par HUBEa, n'est pas un ph~nom~ne constant : elle se pro-

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duit surtout le soir par temps de grande mielI~e. Le bruit grave qu'on entend alors correspond ~ un renouvelIement tr~s complet de Fair de la ruche, o~ les ouvri~res sont orient~es en files parall~les et bat tent Pair toutes ensemble de leurs ailes violemment agit~es. Le ph~nom~ne se d~clenche aussit6t apr~s l 'introduction rapide d'un litre de gaz carbonique dans la ruche ; assez paradoxalement, la ventilation intense qui s'ensuit a pour effet de ramener la teneur de l 'atmosph~re interne aux environs de 0,5 p. i00 de gaz carbonique, et cela en quelques minutes. On n 'y retrouve plus pour quelque temps les flaques d'air vici~ signal~es plus haut. Au cours du lent d~placement, de la (( cyelose )~, des ouvri~res sur les rayons, il est permis de penser que de proche en proche ces flaques sont brass~es et s'~liminent. La posture de ventilation ne s'observe qu'exceptionnellement chez l'Abeille isol~e et ~ condition qu'elle n'ait point ~t~ s~par~e longtemps de ses cong~n~res.

Thvrmo~en~se.

La thermogen6se chez l'Abeille est un exemple parfait de fonetion sociale sensa stricto. L'Abeille isol6e n'a pas de r6gulation thermique, pas plus que les autres Insectes d'ailleurs. Mais ce qui la distingue, c'est sa mort tr~s rapide pr~c6d~e de paralysie semi-totale sous Faction du froid, d6s la temp6rature de 12o. Le fair que ta temp6rature du thorax, surtout chez les Bourdons, peut s'61ever ~ 400 pendant le Vol est fr6quent, par ailleurs, chez les grands Sphingides, les Vanesses, les Hannetons (KRoGH et ZEUT~E~).

Des experiences de PARHON, cities par tous les auteurs, ont montr~ que le m~tabolisme maximum de l'Abeille se si tue/t 10 o. Dans la ruche, lorsque la temperature hivernale tomberait au-dessous de cette limite, les ouvrieres s'agiteraient, augmenteraient leur m~tabolisme, et la temperature remon- terait vers 20 ~ La courbe thermique de la ruche correspondrait ainsi ~ une s~rie de lentes d~croissances suivies de remont6es brutales. Telle est du moins la th~orie soutenue par L A ~ R T dans un travail devenu introu- vable, interpret6 par ARSIBRUSTER et, depuis, cit~ religieusement dans tous les ouvrages de physiologie compar~e, au chapitre du m~tabolisme. Pour- tant HIMMER et bien d'autres auteurs (voir revue dans RIB~A~DS, i953) ont montr6 l'absence d'une relation simple entre la temperature ~ l'ext~- rieur et ~ l'int~rieur de la grappe. Le seul point vraiment indiseutable, c'est que la rggalation thermique n'appara~t qae dans le groupe. LAVIE et ROWH (1953) placent une Abeille dans un appareil ~ thermopre/erendum semblalJle ~ celui de HERTER et no ten t (contrairement ~ HEm~N, i952) que le pre]erendum est tr~s large et mal d~fini. Ils introduisent ensuite un hombre croissant d'Abeilles, ~ la ]ois, dans l'appareil, sans observer rien de bien net jusqu'~ une trentaine d'individus : alors les ph~nom~nes changent de nature. Toute trace de pre/erendum disparalt, et les Insectes se groupent en une zone quelconque. Un petit thermom~tre introduit au centre du groupe montre que la m~me temp6rs 33 ~ s'y trouve tou- jours r~alis~e, que le groupe se soit arr~t~ vers l'extr~mit~ chaude ou froide

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de Fappareih Si la temperature ext6rieure est d~eid~ment trop ~Iev6e, Ia ventilation commence et le groupe se disloque au bout de tr~s peu de temps.

Quant au m6canisme precis de la production de chaleur, il est encore bien real d~termin~ ; il est certain que l 'agitation musculaire n 'y joue pas un rSle exclusif : des Abeilles endormies et plac~es dans un calorim~tre

glace fournissent beaucoup plus de calories qu'un m~me poids d'Abeilles mortes ~ la t~te ~cras~e. I1 faut dono qu'un m~canisme chimique, sous la d6pendance au moins partielle du syst~me nerveux, entre en jeu dans la thermogen~se (LArgE et ROTH).

Circula t ion .

Le sang chez l'Insecte n'a qu'un r61e respiratoire fort r~duit, mais il constitue le milieu de transport de l 'anabolisme et du catabolisme. Or nous retrouvons dans la ruche une v6ritable circulation sociale. J 'ai montr6 d6j~, avee Ga.~ss~. (i944), qu'une Abeille isol6e meurt bien plus r i te qu'une Abeille group6e. Ult~rieurement (i952), je me suis aper~u qu'il 6Lair possible de prolonger la vie des Abeilles isol6es en ajoutant certaines vitamines ~ leur nourriture ou en leur permettant des 6changes nutritifs ~ travers une toile m6tallique avec leurs cong6n~res group6s. Or, nous savons, depuis les travaux de HAYDAK, que les jeunes Abeilles contiennent beaucoup plus de vitamines que ]es Abei]les ag6es.

Au cours du d~veloppement ovarien qui suit l'6closion de l'adulte, le groupement est essentieh Les ovaires des ouvri~res isol~es n'offrent jamais la phase de d~veloppement passager (jusqu'au dixi~me jour), suivie par une r~gression, que l'on observe dans les conditions normales. Lorsqu'elles sont groupies avec leur reine, les ovaires ne se d~veloppent pas, m~me si la reine est s~par~e du groupe par une toile m~tallique : les ~changes de nourri- ture ~ travers la toile sont alors continuels. I1 en est de m~me darts le cas de deux groupes, l'un sans reine, l 'autre avec reine, s6par~s par une toile m~tallique : ni l'un ni l 'autre ne pr~sentent de d~veloppement ovarien (PAI~, 1953).

NIxoN et RIBBA~DS (1952) donnent /~ six Abeilles d'une ruche qui en contenait 27 500 du miel enrichi en phosphore radioactif. Deux heures plus tard, la radioactivit~ ~tait d~cel~e chez 72 p. 100 des butineuses et t9 p. t00 des Abeilles sur les rayons, et vingt-quatre heures plus tard chez 76 p. t00 des butineuses et 50 p. t00 des Abeilles plus jeunes. L'dchange de nourriture est donc tris rapide et tr~s intense et tend it dgaliser chez toutes les Abeilles la quantitd de sucre prdsente dans l'estomac it miel; et ceci vaut pour d'autres substances (vitamines, etc.).

Excret ion. Nutr i t ion .

La nutrition en soi n'est pas obligatoirement li~e ~ la vie en groupe ; l'Abeille isol6e peut encore butiner, d'apr~s ROUBAUD, et m6me emmaga-

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siner un peu de nourriture. L'excr~tion n'est pas li~e non plus/ t la vie en soci~t~ ; notons toutefois le ph~nom~ne tr~s important et tr6s constant du blocage absolu de l'glirnination rectale ~ l'int6rieur de la ruche : jamais, sauf en cas de maladie grave, l'Abeille n'expulsera ses excrements ~ l'int~- rieur de la colonie, m~me au bout de plusieurs mois de claustration hiver- nale.

Je ne sais si l'on peut rattacher ~ une excretion sociale le ph~nom~ne du nettoyage de la ruche, car beaucoup d'Insectes solitaires nettoient leurs terriers.

Comportemen t.

I. TROPIS~ES. - - L'Abeille isol6e manifeste un certain nombre de tro- pismes : un phototropisme positif tr6s net et absolument tyrannique, un chimiotropisme tr~s fort ~ l'6gard du sucre en sirop (rien vis-a-vis du sucre sec) et surtout du miel; un autre tropisme vis-a-vis de ses cong~- n~res.

Lorsqu'elle se trouce en groupe, son comportement devient tout autre. Le phototropisme ne se manifeste plus gu6re ; il tendrait ~ devenir n6gatif, l 'essaim pr~f~rant les coins sombres. Mais on voit apparaitre aussi des types de comportement collectifs enti~rement nouveaux, 6tudi6s par SEND- LER et L E C O M T E .

Tra~aux de SEI~DLER. - - D'apr~s cet auteur, l'essaim montre un g6o- tropisme n~gatif tr~s marque, un thigmotactisme positif vis-a-vis des substances rugueuses, et deux chimiotropismes, l 'un vis-a-vis de la cire et l 'autre vers la reine. SE~NDLER a pu mettre en comp6tition ces diff~rents tropismes : lorsque, par exemple, l'essaim se trouve accroch~ ~la partie sup~rieure de la cage, la presence de deux reines prisonni~res pros du plan- cher ne le fait pas descendre : mais l'essaim 6met deux prolongements vers les deux cages ~ reine. Le bois est pr~f~r~ au verre, qui peut ~tre choisi toutefois s'il est recouvert d'une mince couche de cite.

Tracaux de LECOMTE. - - Il 6tudie la formation de la grappe dans une grande cage, de la dimension d'une ruche. Sur le plancher sont dispos~es deux cagettes de toile m~tallique, l 'une vide (t~moin), l 'autre pleine d'Abeilles vivantes qui jouent le r61e d' (( appelants ~. Au bout d'un cer- tain temps, les Abeilles ~parses dans la grande cage p~riph~rique s'as- semblent en un seul groupe qui se d6place dans sa totalitg vers la cagette des appelants et s 'y suspend ; les stimuli en jeu sont vibratoires et olfactifs. Mais le fair ~ noter est qu'aucune Abeille ne se dirige d'embl~e vers les appelants : il faut d'abord qu'elle soit int~gr~e ~ un groupe, units de comportement qui va r~agir dans son ensemble.

On ne sait trop si les Abeilles isolges s'int~ressent beaucoup ~ la reine ; un compl~ment de recherches serait n~cessaire.

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II. R~Ur~ATIONS SOCIALES SUPtRIEURES. - - I1 va sans dire que les grands ph6nom~nes du comportement social (agressivit6 6tudi~e par LECOMTE, division du travail selon RSsc~, LINDAUER et SAKAGAMI, ventilation, construction, etc.) n'ont de sens que dans le groupe. Notons toutefois que l'Abeitle isol6e peut pr6senter un reste d'activit6 de cons- truction, r6duite au malaxage 6ventuel d'un peu de circ.

La notion de nombre limite. - - Les activit6s sociales n'apparaissent qu'au sein d'un groupe sufiisamment nombreux. Le ph6nom6ne le plus facile ~ 6voquer est la division da travail : elle peut apparaitre lorsque deux Abeilles seulement sont r6unies, comme Font signal6 ind6pendamment Fun de l 'autre MILOJEVIC et ROUBAUD. L'agressivitd sous forme d 'at taque des ouvri~res 6trang~res n'apparait qu'en pr6sence d'une dizaine d'Abeilles au minimum (LEcOMTE). Le ddveloppement ovarien chez les jeunes adultes nouvellement @los ne s'op~re convenablement que dans des groupes de vingt Abeilles au minimum (PAIN, t953). La thermogen~se en exige une trentaine (LAvIE et Rowtf, 1953). Les tropismes sociaux (attraction par des appelants en cage) s'observe seulement quand ]e hombre minimum de 50 Abeilles est atteint (LEcOMTE, 1952). La survie n'est quasi normale que dans des groupes de i00 ouvri~res minimum (CHAuVIN, t952).

Enfin, la quantitd de miel rdcoltd par individu n'est nullement la m~rae dans des colonies faibles ou fortes. Chez Apis indica, les colonies de t2 000 Abeilles n'arrivent m~me pas ~ r@olter la quantit6 de nectar n6cessaire ~ leur entretien ; celles de i8 000 ne donnent aucune r6colte et parviennent tout juste ~ se nourrir. Enfin celles de 20 000 fournissent une r6colte (SHARMA et SHARMA: i950). FARRAR (i957) trouve que des colonies d'Apis mellifica comptant respectivement 30 000, 45 000, 60 000 Abeilles produisent par millier d'Abeilles i,36, 1,48, 1,54 lois autant de miel qu'une colonic de i5 000 Abeiltes. Lorsqu'une colonic de 30 000 Abeilles donne 50 livres de miel, une autre de 60 000 n'en donne pas i00, mais i t3 .

LA THI~.ORIE DC SUPERORGANISME. - - ]~videmment, beaucoup de faits 6vo- qu6s ci-dessus tendent ~ favoriser dans une certaine mesure l'id6e d'un superorganisme, constitu6 par l'ensemble des Abeilles ; cet ensemble pos- s6derait des fonctions totalement distinctes de celles des individus. Mais, si s6duisante que soit la th6orie, il importe avant tout de distinguer si elle pourra nous conduire ~ des exp6riences nouvelles, en un mot si elle se r6v6- lera utilisable. Adoptons-la provisoirement et tentons, pour finir, de voir off elle nous m6nera.

Le groupe des Abeilles serait comparable g un organisme du type Spongiaire (on salt qu'on peut passer certaines 6ponges au tamis, sans emp6cher les cellules artificiellement isol6es de reconstituer en peu de temps l'6ponge telle qu'elle existait auparavant). Les gaz respiratoires y circuleraient d'une mani6re peu active, dans une s6rie de poches gazeuses qui s'61imineraient progressivement ; il existerait toutefois un m6canisme de ventilation, susceptible de se mettre en marche sous Faction de facteurs mal d6finis, parmi lesquels l'enrichissement de l 'atmosph~re interne en catabolites respiratoires n'entre que pour une part. La circulation des

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mat~riaux nutritifs serait plus active, surtout celle des vitamines et de diverses substances n~cessaires au d6veloppement des gonades, par exemple. On ne peut distinguer toutefois jusqu'~ present ni centre respiratoire, ni tube digestif diff~renci~. Les mouvements d'ensemble, du type tropisme et autres, sont tr~s bien coordonn~s. Au point de vue de la reproduction, l 'organisme est hermaphrodite, mais d 'un hermaphrodisme saisonnier en quelque sorte, puisqu'il n'existe pas de m~les pendant la moiti~ de l'ann~e.

Passons maintenant aux hypotheses qu'une telle representation peut inspirer.

lo I1 serait int6ressant d'enlever soit l'~l~ment m~le, soit l'~l~ment femelle, ou d 'augmenter la dominance de l 'un par rapport ~ l'autre. On salt d6j~ que la castration de l'~l~ment femelle (orphelinage prolongS) amine rapidement la procreation d'une foule de-males par les ouvri~res pondeuses. Mais on salt moins que l 'augmentation du hombre des reines par une technique de polygynie exp~rimentale que nous ne pouvons d~tail- ler ici (KovTUN et coll.) aboutit a la suppression quasi totale de la pro- creation des m~les).

20 La r~g~n~ration ou la greffe n 'ont pas ~t~ soigneusement ~tudi~es, bien qu'elles soient couramment pratiqu~es toutes les deux par les apicul- teurs. Ceux-ci ont remarqu~ depuis longtemps, lors de l'essaimage artifi- ciel o0 la ruche est couple en deux, la r~g~n~ration de la colonie avec une vitesse parfois stup~fiante ; ils l 'expliquent en admet tant qu'il existait auparavant un blocage par manque de place. Mais la contre-exp~rience n'a pas ~t~ faite, qui consisterait h mesurer le d~veloppement d'une colonie log~e dans une ruche dont on augmente subitement le volume de moiti~ sans toucher /~ la eolonie elle-m~me.

3 ~ Dans cet organisme off beaucoup de fonctions sont diffuses, il existe peut-~tre des (c centres coordinateurs ~ ~ caract~riser, par exemple le centre thermique de la grappe en hiver. I1 est tout ~ fair frappant de constater/ t quel point ce dernier centre est bien localis~ et ne se d~place que tr~s faible- ment au cours de l'hiver (GRz~wx, i952). Et dans un nucleus h un seul cadre, sans couvain, j'ai constat~ qu'il ne correspondait pas forc~ment ~ la presence de la reine, et pas forc~ment non plus au point de concentration maximum des ouvri~res N'y a-t-il point non plus un centre de la venti- lation ? Et un ou plusieurs centres de la construction ? Pourquoi un cadre de cire gaufr~e, introduit en plein milieu du nid ~ couvain, est-il construit et garni en quelques heures, alors qu'il faut parfois huit jours et plus ~ la p~riph~rie du hid ?

Ce sont des experiences sur ces points et sur bien d'autres qui nous apprendront si ]a th~orie du superorganisme est utilisable et nous fait accomplir des progr~s substantiels, ou s'il ne s'agit que d'une r~verie gratuite, ~ rejeter par les hommes de science.

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