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26 SUPPLÉMENT AU N°139 D’ HOMMES & LIBERTÉS JUILLET - AOÛT - SEPTEMBRE 2007 SUPPLÉMENT AU N°139 D’ HOMMES & LIBERTÉS JUILLET - AOÛT - SEPTEMBRE 2007 27 Articles 8/9 L es articles 8 et 9 évoquent ce qui se trouve être le cœur de la justice et la base même de son fonc- tionnement: pouvoir exer- cer un recours effectif et avoir un procès équitable devant les juri- dictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui sont reconnus par la loi ou la constitution. Il s’a- git donc d’un droit fondamental : celui d’accéder à la justice. Ce droit à un recours effectif a été repris dans l’article 13 de la Convention euro- péenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales qui pré- voit ainsi : «Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effec- tif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agis- sant dans l’exercice de leurs fonc- tions officielles ». Cette notion de recours effectif est importante ; il ne s’agit pas seule- ment de transcrire dans les textes nationaux la possibilité pour un individu d’exercer un recours, mais de faire en sorte que ce recours puisse être réel et exercé devant un tribunal impartial et équitable. Pouvoir recourir à la justice pour faire reconnaître ses droits est une liberté fondamentale encore fau- drait-il que cette justice fonctionne correctement et qu’elle garantisse l’égalité et l’équité des droits pour tous. Dans la pratique, bénéficier d’un recours effectif, c’est pouvoir accé- der à son dossier, connaître préci- sément les charges que l’on fait peser contre vous, pouvoir exercer librement sa défense avec le défen- seur de son choix. C’est aussi pou- voir utiliser toutes les voies de recours qui sont offertes au requé- rant, lesquelles voies de recours qui sont suspensives. Or, la jurisprudence de la Cour euro- péenne des droits de l’Homme est intéressante à ce sujet puisque la Cour a statué vingt huit fois sur la notion de droit à un recours effec- tif entre les mois de juin juillet et septembre 2004 et seulement dix neuf arrêts ont été rendus dans le sens de la violation de l’exercice du droit à recours effectif. Plus récemment sur vingt quatre et vingt deux arrêts rendus en octobre 2007, les deux tiers concernent une violation de l’article 13 soit la notion de droit à un recours effectif. Ces décisions concernent notamment l’inexistence de voies de recours permettant aux individus de se plaindre de la durée excessive de la procédure dont ils font l’objet . La France a également été condam- née en mai 2007 par la Cour euro- péenne des droits de l’Homme dans l’arrêt Ghebremehdin constatant que l’intéressé n’ayant pas eu accès, alors qu’il était en zone d’attente, à un recours effectif (en l’occurrence un recours de plein droit suspen- sif), il y avait violation de l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’Homme. L’effectivité d’un recours, c’est aussi pouvoir exercer ce recours lorsqu’on est victime dans un Etat où l’accès au droit et à la justice n’est pas pos- sible. C’est ainsi que la justice pénale internationale a ouvert une nouvelle voie à la possibilité, pour les victi- mes, de se faire entendre notam- ment par application du principe de la compétence universelle qui permet à des victimes d’accéder à la justice pour faire reconnaître leurs droits comme cela a été mis en place dans l’affaire Oul Dah (Mauritanie) ou les rescapés du Beach en Répu- blique démocratique du Congo. Ce fut aussi l’arrestation à Londres du Général Pinochet et la perspec- tive pour les victimes de voir enfin justice leur être rendue. Cette notion de compétence universelle, si elle permet d’ouvrir une voie impor- tante pour l’accès à la justice pour les victimes de traitements inhu- mains et dégradants, se heurte encore à de multiples difficultés comme l’ont montré ces dernières affaires, mais la voie est ouverte et Article 8 Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi. Article 9 Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé. Au cœur de l’accès à la justice Dominique Noguères Vice-présidente de la LDH. c’est bien ainsi. Dans la même lignée, les travaux de la Cour pénale internationale permettent égale- ment à des victimes de pouvoir exercer un recours contre leurs bourreaux. Ces nouvelles perspec- tives s’inscrivent dans la lignée des dispositions de la Déclaration uni- verselle des droits de l’Homme. Pourtant, malgré ces avancées, les atteintes à ces principes continuent d’être légion. D’autant qu’aujour- d’hui, la lutte contre le terrorisme semble justifier toutes les dérives. Comment ne pas s’insurger contre l’existence de prisons clandestines, de centre de détention «hors la loi» tels Guantanamo, l’absence de pro- cès, l’absence de droit à une défense, l’absence de toute possibilité pour ceux qui y sont enfermés de faire valoir les droits les plus fondamen- taux ? Comment ne pas s’inquiéter de l’impunité dont jouissent encore certains dictateurs ? Comment ne pas voir aujourd’hui, ce qui se passe dans les prisons d’Irak ou, de manière moins visible ou audible ce qui se passe en Tchétchénie où les recours sont inexistants ou voués à l’échec pour ceux qui osent les entreprendre au péril de leur vie ? En France, sous couvert de lutte contre le terrorisme, les limites sont souvent dépassées quant à l’effec- tivité des recours. Comment ne pas entendre ce que disent les deman- deurs d’asile en France sur les risques qu’ils encourent dans leur pays où les accès à la justice sont nuls ou impossibles ? L’Europe s’est élargie et petit à petit les nouveaux entrants seront ame- nés à ratifier ces conventions inter- nationales qui protègent et qui accordent un droit à un recours effectif. Mais le chemin est encore long. C’est pourquoi alors que soixante ans se sont écoulés depuis la rédaction de ces textes fonda- mentaux, la vigilance de toutes et tous reste de rigueur. Le philosophe Alain disait : «La force semble être l’injustice même ; mais on parlerait mieux en disant que la force est étrangère à la justice ». Et plus loin il ajoute : « Il est clair que la justice relève du jugement, et que le succès n’y fait rien. Plaider, c’est argumenter.Rendre justice,c’est juger. Peser des raisons, non des forces. La première justice est donc une investigation d’esprit et un examen des raisons. Le parti pris est par lui- même injustice ». Voila qui devrait nous donner à réfléchir ; sans oublier que les atteintes à ces droits fondamentaux sont de notre res- ponsabilité collective.

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Art ic les 8/9

Les articles 8 et 9 évoquentce qui se trouve être lecœur de la justice et labase même de son fonc-tionnement: pouvoir exer-

cer un recours effectif et avoir unprocès équitable devant les juri-dictions nationales compétentes contre les actes violant les droitsfondamentaux qui sont reconnuspar la loi ou la constitution. Il s’a-git donc d’un droit fondamental:celui d’accéder à la justice. Ce droità un recours effectif a été repris dansl’article 13 de la Convention euro-péenne des droits de l’Homme etdes libertés fondamentales qui pré-voit ainsi: «Toute personne dont lesdroits et libertés reconnus dans laprésente Convention ont été violés,a droit à l’octroi d’un recours effec-tif devant une instance nationale,alors même que la violation auraitété commise par des personnes agis-sant dans l’exercice de leurs fonc-tions officielles».Cette notion de recours effectif estimportante; il ne s’agit pas seule-ment de transcrire dans les textesnationaux la possibilité pour unindividu d’exercer un recours, mais

de faire en sorte que ce recourspuisse être réel et exercé devant untribunal impartial et équitable.Pouvoir recourir à la justice pourfaire reconnaître ses droits est uneliberté fondamentale encore fau-drait-il que cette justice fonctionnecorrectement et qu’elle garantissel’égalité et l’équité des droits pourtous.Dans la pratique, bénéficier d’unrecours effectif, c’est pouvoir accé-der à son dossier, connaître préci-sément les charges que l’on faitpeser contre vous, pouvoir exercerlibrement sa défense avec le défen-seur de son choix. C’est aussi pou-voir utiliser toutes les voies derecours qui sont offertes au requé-rant, lesquelles voies de recours quisont suspensives.Or, la jurisprudence de la Cour euro-péenne des droits de l’Homme estintéressante à ce sujet puisque laCour a statué vingt huit fois sur lanotion de droit à un recours effec-tif entre les mois de juin juillet etseptembre 2004 et seulement dixneuf arrêts ont été rendus dans lesens de la violation de l’exercice dudroit à recours effectif.Plus récemment sur vingt quatre et

vingt deux arrêts rendus en octobre2007, les deux tiers concernent uneviolation de l’article 13 soit la notionde droit à un recours effectif. Cesdécisions concernent notammentl’inexistence de voies de recourspermettant aux individus de seplaindre de la durée excessive de laprocédure dont ils font l’objet .La France a également été condam-née en mai 2007 par la Cour euro-péenne des droits de l’Homme dansl’arrêt Ghebremehdin constatantque l’intéressé n’ayant pas eu accès,alors qu’il était en zone d’attente, àun recours effectif (en l’occurrenceun recours de plein droit suspen-sif), il y avait violation de l’article 13de la Convention européenne desdroits de l’Homme.L’effectivité d’un recours, c’est aussipouvoir exercer ce recours lorsqu’onest victime dans un Etat où l’accèsau droit et à la justice n’est pas pos-sible. C’est ainsi que la justice pénaleinternationale a ouvert une nouvellevoie à la possibilité, pour les victi-mes, de se faire entendre notam-ment par application du principede la compétence universelle quipermet à des victimes d’accéder àla justice pour faire reconnaître leursdroits comme cela a été mis en placedans l’affaire Oul Dah (Mauritanie)ou les rescapés du Beach en Répu-blique démocratique du Congo.Ce fut aussi l’arrestation à Londresdu Général Pinochet et la perspec-tive pour les victimes de voir enfinjustice leur être rendue. Cette notionde compétence universelle, si ellepermet d’ouvrir une voie impor-tante pour l’accès à la justice pourles victimes de traitements inhu-mains et dégradants, se heurteencore à de multiples difficultéscomme l’ont montré ces dernièresaffaires, mais la voie est ouverte et

Article 8Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictionsnationales compétentes contre les actes violant les droitsfondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi.

Article 9Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé.

Au cœur de l’accès à la justice

DominiqueNoguèresVice-présidente de la LDH.

c’est bien ainsi. Dans la mêmelignée, les travaux de la Cour pénaleinternationale permettent égale-ment à des victimes de pouvoirexercer un recours contre leursbourreaux. Ces nouvelles perspec-tives s’inscrivent dans la lignée desdispositions de la Déclaration uni-verselle des droits de l’Homme.Pourtant, malgré ces avancées, lesatteintes à ces principes continuentd’être légion. D’autant qu’aujour-d’hui, la lutte contre le terrorismesemble justifier toutes les dérives.Comment ne pas s’insurger contrel’existence de prisons clandestines,de centre de détention «hors la loi»tels Guantanamo, l’absence de pro-cès, l’absence de droit à une défense,l’absence de toute possibilité pourceux qui y sont enfermés de fairevaloir les droits les plus fondamen-taux ?Comment ne pas s’inquiéter del’impunité dont jouissent encorecertains dictateurs? Comment nepas voir aujourd’hui, ce qui se passedans les prisons d’Irak ou, demanière moins visible ou audiblece qui se passe en Tchétchénie oùles recours sont inexistants ou vouésà l’échec pour ceux qui osent lesentreprendre au péril de leur vie?En France, sous couvert de luttecontre le terrorisme, les limites sontsouvent dépassées quant à l’effec-tivité des recours. Comment ne pasentendre ce que disent les deman-deurs d’asile en France sur lesrisques qu’ils encourent dans leurpays où les accès à la justice sontnuls ou impossibles?L’Europe s’est élargie et petit à petitles nouveaux entrants seront ame-nés à ratifier ces conventions inter-nationales qui protègent et quiaccordent un droit à un recourseffectif. Mais le chemin est encore

long. C’est pourquoi alors quesoixante ans se sont écoulés depuisla rédaction de ces textes fonda-mentaux, la vigilance de toutes ettous reste de rigueur. Le philosophe Alain disait : «La forcesemble être l’injustice même; maison parlerait mieux en disant que laforce est étrangère à la justice». Etplus loin il ajoute: « Il est clair quela justice relève du jugement,et que

le succès n’y fait rien. Plaider, c’estargumenter.Rendre justice,c’est juger.Peser des raisons, non des forces.La première justice est donc uneinvestigation d’esprit et un examendes raisons.Le parti pris est par lui-même injustice». Voila qui devraitnous donner à réfléchir ; sansoublier que les atteintes à ces droitsfondamentaux sont de notre res-ponsabilité collective. ●