Art Ihedn Mai 2015

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///10 NOTRE EXPERT/// Laurent DELHALLE // Manager Intelligence Economique - SEGECO Consulting Pouvez-vous nous faire part brièvement de votre parcours professionnel? En quoi consiste votre poste au sein de Se- geco Consulting ? Mon parcours s’établit en quatre étapes : j’ai commencé par intégrer le Ministère des Affaires étrangères, pour m’occuper notamment de gestion de crises au sein de la cellule de veille et d’urgence. Après quoi de manière cohérente, j’ai poursuivi par l’aide humanitaire au sein de l’Unicef pour toutes les zones de guerre où je convergeais depuis le siège de New York, et également avec l’équipe de Bernard Kouchner. Dans un troisième temps, j’ai été affecté à différentes fonctions plus sensibles. Vous comprendrez que je resterai peu lo- quace sur cette période extrêmement enrichissante et d’où je tire aujourd’hui encore les enseignements. Quatrième temps : l’IE, dans une première période à Paris toujours au sein de l’administration puis comme responsable régional en Rhône Alpes-Auvergne. De- puis 2008, j’ai choisi de me mettre en disponibilité afin de pouvoir enseigner (Ecoles de commerce, HEC Executive, Science po, Lyon et Aix en Provence) et de m’essayer à une expérience dans le monde privé. J’ai donc eu différentes missions de longue durée dans divers groupes à Lyon, Paris ainsi qu’à l’étranger. Pour parler de l’heure présente, je suis en charge de l’offre d’Intelligence Economique au sein du cabinet Segeco Consulting. Mon travail au quotidien est l’accompagnement de mes clients en France et à l’international dans le pilotage de leurs activités stratégiques. La majorité des acteurs de l’IE viennent des services de l’Etat. Comment expliquez-vous cela ? Est-il indispensable d’avoir ce background pour être reconnu comme légitime au- jourd’hui ? Je commencerai par citer Alain Juillet, pour qui l’IE n’est rien autre que de l’enquête. Or à ma connaissance pour être enquêteur nul be- soin d’être ou d’avoir été policier ou gendarme. Je prendrai comme exemple Jean-Pierre Vuillerme ancien responsable sûreté du groupe Michelin qui, sans avoir ce passé, a parfaitement rempli ce genre de fonction. De plus, à ma connaissance seulement 40% des profes- sionnels de l’IE sont en effet issus des services de l’Etat. Selon moi les raisons qui militent à ce choix ne sont pas toujours objectives : il s’agit trop souvent d’essayer de se servir des réseaux, des anciens collègues de ces personnes plus que de leurs capacités profession- nelles. L’IE est une activité légale, et prendre des personnes ayant eu l’habitude de travailler pour le monde du réga- lien peut être source de problèmes. Les enjeux de l’Intelligence Economique semblent bien compris et développés au sein des grands groupes (CAC 40 ou du SBF 120). Mais comment expliquer ce manque de considération pour les PME-PMI (part la plus innovante dans notre éco- nomie) ? Alors, plus qu’une impression, je pense qu’il s’agit d’un problème culturel. En effet, en France, nous sommes trop souvent, dans le monde des « bisounours » où «Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » or dans un environnement économique rendu plus délicat, les parts de marché sont naturellement plus difficiles à obte- nir, d’où l’emploi de techniques relevant habituellement du domaine sportif ou militaire : l’offensif. Et ce bien sûr aussi dans les PME-PMI Quel sont vos recommandations pour ces der- nières ? Comment travaillez-vous au quotidien avec elles? Quel volet indispensable de l’IE pour ces dernières – VEILLE – INFLUENCE- PROTEC- TION ? Les PME ne disposent pas de moyens aussi consé- quents que les groupes du CAC 40. Néanmoins, selon moi l’IE concerne aussi bien le boulanger du coin qui doit s’assurer de ce que son confrère situé deux rues plus loin met dans la formule panini du midi. En effet dans un environnement plus concurrentiel, les TPE PME sont dans l’obligation d’être placées dans l’écoute active de leur environnement proche et plus lointain au moyen de techniques tant défensives qu’offensives, et seront à même de disposer du coup d’avance nécessaire pour la gouvernance de toute entreprise quelle que soit sa taille aujourd’hui. Sur le volet indispensable, la question n’a pas lieu d’être : l’IE doit nécessairement être les trois dimensions à la fois, liées, sans cela ce n’est pas de l’IE. C’est donc la nécessaire coordination des trois actions à mener de concert. L’informatique et les réseaux sont désormais au cœur de toutes les entreprises. Comment aider les entreprises à bien les maitriser ? Internet est devenu incontournable. Nous ne pouvons plus faire marche arrière. Nous assistons de surcroît à un décloisonnent de plus en plus présent des sphères pro- fessionnelles et privées. De ce fait, il est indispensable de mettre en place des mesures d’hygiène informatique au sein de ces structures. A ce titre, l’IE doit irriguer l’entre- prise de bas en haut et inversement. N’oublions jamais que le premier point d’accès à l’entreprise est l’hôtesse d’accueil, physiquement ou virtuellement. Il est important de rappeler que « la plus grande des failles de sécurité, c’est l’interface chaise-cla- vier » : à savoir l’utilisateur. Comment garder un contrôle sur l’humain en IE ? Comment agis- sez-vous au quotidien au profit de vos clients chez Segeco Consulting ? Effectivement le facteur humain est le maillon faible de la sécurité en entreprise. Prenons à titre d’exemple le cas récent du CTB Locker (février 2015), qui a infecté des dizaines de milliers de boîtes mails. C’est la mauvaise Association Nationale des Auditeurs Jeunes Institut des Hautes Études de Défense Nationale /// WWW.ANAJ-IHEDN.ORG

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article de l'IHEDN ANAJ, mai 2015

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  • ///10

    NOTRE EXPERT///

    Laurent DELHALLE //

    Manager Intelligence Economique - SEGECO Consulting

    Pouvez-vous nous faire part brivement de votre parcours

    professionnel? En quoi consiste votre poste au sein de Se-

    geco Consulting ?

    Mon parcours stablit en quatre tapes : jai commenc par intgrer

    le Ministre des Affaires trangres, pour moccuper notamment de

    gestion de crises au sein de la cellule de veille et durgence. Aprs

    quoi de manire cohrente, jai poursuivi par laide humanitaire au

    sein de lUnicef pour toutes les zones de guerre o je convergeais

    depuis le sige de New York, et galement avec lquipe de Bernard

    Kouchner. Dans un troisime temps, jai t affect diffrentes

    fonctions plus sensibles. Vous comprendrez que je resterai peu lo-

    quace sur cette priode extrmement enrichissante et do je tire

    aujourdhui encore les enseignements. Quatrime temps : lIE, dans

    une premire priode Paris toujours au sein de ladministration

    puis comme responsable rgional en Rhne Alpes-Auvergne. De-

    puis 2008, jai choisi de me mettre en disponibilit afin de pouvoir

    enseigner (Ecoles de commerce, HEC Executive, Science po, Lyon

    et Aix en Provence) et de messayer une exprience dans le monde

    priv. Jai donc eu diffrentes missions de longue dure dans divers

    groupes Lyon, Paris ainsi qu ltranger. Pour parler de lheure

    prsente, je suis en charge de loffre dIntelligence Economique au

    sein du cabinet Segeco Consulting. Mon travail au quotidien est laccompagnement de mes clients en France et linternational

    dans le pilotage de leurs activits stratgiques.

    La majorit des acteurs de lIE viennent des services de

    lEtat. Comment expliquez-vous cela ? Est-il indispensable

    davoir ce background pour tre reconnu comme lgitime au-

    jourdhui ?

    Je commencerai par citer Alain Juillet, pour qui lIE nest rien autre

    que de lenqute. Or ma connaissance pour tre enquteur nul be-

    soin dtre ou davoir t policier ou gendarme. Je prendrai comme

    exemple Jean-Pierre Vuillerme ancien responsable sret du groupe

    Michelin qui, sans avoir ce pass, a parfaitement rempli ce genre de

    fonction. De plus, ma connaissance seulement 40% des profes-

    sionnels de lIE sont en effet issus des services de lEtat. Selon moi

    les raisons qui militent ce choix ne sont pas toujours objectives : il

    sagit trop souvent dessayer de se servir des rseaux, des anciens

    collgues de ces personnes plus que de leurs capacits profession-

    nelles.

    LIE est une activit lgale, et prendre des personnes

    ayant eu lhabitude de travailler pour le monde du rga-

    lien peut tre source de problmes.

    Les enjeux de lIntelligence Economique semblent

    bien compris et dvelopps au sein des grands

    groupes (CAC 40 ou du SBF 120). Mais comment

    expliquer ce manque de considration pour les

    PME-PMI (part la plus innovante dans notre co-

    nomie) ?

    Alors, plus quune impression, je pense quil sagit dun

    problme culturel. En effet, en France, nous sommes

    trop souvent, dans le monde des bisounours o Tout

    le monde il est beau, tout le monde il est gentil or dans

    un environnement conomique rendu plus dlicat, les

    parts de march sont naturellement plus difficiles obte-

    nir, do lemploi de techniques relevant habituellement

    du domaine sportif ou militaire : loffensif. Et ce bien sr

    aussi dans les PME-PMI

    Quel sont vos recommandations pour ces der-

    nires ? Comment travaillez-vous au quotidien

    avec elles? Quel volet indispensable de lIE pour

    ces dernires VEILLE INFLUENCE- PROTEC-

    TION ?

    Les PME ne disposent pas de moyens aussi cons-

    quents que les groupes du CAC 40. Nanmoins, selon

    moi lIE concerne aussi bien le boulanger du coin qui

    doit sassurer de ce que son confrre situ deux rues

    plus loin met dans la formule panini du midi. En effet

    dans un environnement plus concurrentiel, les TPE PME

    sont dans lobligation dtre places dans lcoute active

    de leur environnement proche et plus lointain au moyen

    de techniques tant dfensives quoffensives, et seront

    mme de disposer du coup davance ncessaire pour la

    gouvernance de toute entreprise quelle que soit sa taille

    aujourdhui.

    Sur le volet indispensable, la question na pas lieu dtre

    : lIE doit ncessairement tre les trois dimensions la

    fois, lies, sans cela ce nest pas de lIE. Cest donc la

    ncessaire coordination des trois actions mener de

    concert.

    Linformatique et les rseaux sont dsormais au

    cur de toutes les entreprises. Comment aider les

    entreprises bien les maitriser ?

    Internet est devenu incontournable. Nous ne pouvons

    plus faire marche arrire. Nous assistons de surcrot un

    dcloisonnent de plus en plus prsent des sphres pro-

    fessionnelles et prives. De ce fait, il est indispensable de

    mettre en place des mesures dhygine informatique au

    sein de ces structures. A ce titre, lIE doit irriguer lentre-

    prise de bas en haut et inversement. Noublions jamais

    que le premier point daccs lentreprise est lhtesse

    daccueil, physiquement ou virtuellement.

    Il est important de rappeler que la plus grande

    des failles de scurit, cest linterface chaise-cla-

    vier : savoir lutilisateur. Comment garder

    un contrle sur lhumain en IE ? Comment agis-

    sez-vous au quotidien au profit de vos clients chez

    Segeco Consulting ?

    Effectivement le facteur humain est le maillon faible de la

    scurit en entreprise. Prenons titre dexemple le cas

    rcent du CTB Locker (fvrier 2015), qui a infect des

    dizaines de milliers de botes mails. Cest la mauvaise

    Association Nationale des

    Audite

    urs Jeu

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    Institu

    t des

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    tes tudes

    de Dfen

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  • ///11manipulation dun seul usager qui suffit contaminer lensemble des

    serveurs, de son entreprise.

    Premier niveau dintervention : la sensibilisation. Puisque nous na-

    viguons dans un domaine qui ne connait pas de ligne dhorizon en

    effet, chaque jour, amne de nouvelles failles, de nouvelles vulnra-

    bilits, qui ne manquent pas dtre reconnues et exploites par les

    nouvelles formes de criminalit. En particulier ceux quils convient

    de dsigner comme la cybercriminalit. A ce titre la fraude en en-

    treprise (fraude au prsident, dtournement de RIB, vol de don-nes,) est en constante volution.

    Deuxime niveau : laccompagnement. Par exemple contre la propre

    ngligence du salari laide doutil idoines : rglement intrieur,

    charte informatique et a prsent charte dutilisation des rseaux so-

    ciaux.

    Troisime niveau : contrle et audit systmatique des systmes din-

    formations.

    Quelles sont vos recommandations sur le plan de carrire /

    formation suivre pour un jeune qui souhaite travailler dans

    lIE aujourdhui ?

    Je pense indispensable dans toute formation suprieure (coles de

    commerce, dingnieur) un cycle minimum dune vingtaine dheures

    consacr lIE. Ce qui dailleurs est en train dtre mis place par

    nos autorits, en effet pour disposer de forces vives sensibilises

    et prtes rpondre aux exigences des nouvelles donnes cono-

    miques. Ceci sera fort utile ds demain. Nombre dcoles, post bac,

    disposent aujourdhui de cursus spcifiques. A titre dexemple jen-

    seigne depuis 2008, dans des coles de commerce, des universi-

    ts, et ce au sein de parcours, professionnalisant ou non, aussi, il

    sagit selon moi dune exigence et non plus dun questionnement.

    Quelles sont les qualits requises pour faire de lintelligence

    conomique ?

    Elle sous-entend, tout dabord une capacit dobservation 360

    degrs. Ensuite une relle comptence dcoute de son environne-

    ment et troisimement, dtre capable de mettre en uvre des outils

    daide la dcision au profit des chefs dentreprise. Pour rsumer,

    un bon sens de lobservation, dcoute et daide la dcision.

    Pour se dpartir de la traduction sans doute mal choisie car faisant

    penser de lespionnage ou de la prtention, il faut prendre le mot

    intelligence dans son origine latine : inter - ligare, comprendre pour

    transfrer sans notion de supriorit. Enfin cest un travail difficile,

    ingrat et trop souvent fantasm, voir plus grave confus avec de les-

    pionnage industriel. Lthique est partie prenante de la dontologie

    intrinsque cette activit qui se situe au-del de la morale mais

    toujours en de de lillgalit.

    Paul Noel

    Auditeur-jeune de lIHEDN, 84me session 2014

    /// Membre du Comit de Dfense conomique

    Association Nationale des

    Audite

    urs Jeu

    nes

    Institu

    t des

    Hau

    tes tudes

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