ARISTOTE - Physique Livre 2 - Chap 7

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LEÇONS DE PHYSIQUE LIVRE II DE LA NATURE. CHAPITRE VII. Le physicien, en étudiant le pourquoi des phénomènes, doit considérer quatre sortes de causes : l'essence, le mouvement, la fin et la matière ; il y a dans la physique trois recherches principales, sur l'immobile, sur le mobile impérissable et sur le périssable. Le moteur peut être de deux genres, primitif ou intermédiaire. § 1. Il est donc manifeste qu'il y a des causes, et que le nombre de ces causes est bien tel que nous l'avons établi, puisque la recherche de la cause embrasse précisément ce nombre de questions. Ainsi, la cause d'une chose se ramène : soit à l'essence même de l'objet, terme dernier dans les choses où il n'y a pas de mouvement, et par exemple, dans les mathématiques, où la recherche extrême vient aboutir à la définition de la ligne droite, ou à celle de la proportion ou de telle autre idée ; soit au moteur primordial ; et, par exemple, d'où vient que tel peuple a fait la guerre ? C'est qu'on l'avait pillé ; soit au but qu'on se propose ; et, par exemple encore, pourquoi tel peuple a-t-il fait la guerre ? C'est afin d'obtenir la domination ; soit enfin à la matière, clans les objets qui naissent et sont produits. Ainsi, la nature et le nombre des causes sont bien ce que nous venons de dire.

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La Physique est une sorte d'introduction épistémologique à l'ensemble des ouvrages d'Aristote de science naturelle (un des trois domaines des sciences théorétiques, avec les mathématiques et la philosophie première). Elle est ainsi une réflexion sur la connaissance des réalités naturelles et sur la nature en général.La nature se caractérise pour Aristote principalement par le changement.L'influence de ce que Heidegger disait être « le livre fondamental de la philosophie occidentale » est considérable.

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LEÇONS DE PHYSIQUE

LIVRE II

DE LA NATURE.

CHAPITRE VII.

Le physicien, en étudiant le pourquoi des phénomènes, doit considérer quatre

sortes de causes : l'essence, le mouvement, la fin et la matière ; il y a dans la

physique trois recherches principales, sur l'immobile, sur le mobile impérissable

et sur le périssable. Le moteur peut être de deux genres, primitif ou

intermédiaire.

§ 1. Il est donc manifeste qu'il y a des causes, et que le

nombre de ces causes est bien tel que nous l'avons établi,

puisque la recherche de la cause embrasse précisément ce

nombre de questions. Ainsi, la cause d'une chose se

ramène : soit à l'essence même de l'objet, terme dernier

dans les choses où il n'y a pas de mouvement, et par

exemple, dans les mathématiques, où la recherche extrême

vient aboutir à la définition de la ligne droite, ou à celle de

la proportion ou de telle autre idée ; soit au moteur

primordial ; et, par exemple, d'où vient que tel peuple a fait

la guerre ? C'est qu'on l'avait pillé ; soit au but qu'on se

propose ; et, par exemple encore, pourquoi tel peuple a-t-il

fait la guerre ? C'est afin d'obtenir la domination ; soit enfin

à la matière, clans les objets qui naissent et sont produits.

Ainsi, la nature et le nombre des causes sont bien ce que

nous venons de dire.

Ch. III, § 1. Qu'il y a des causes, entre l'opinion de ceux qui veulent attribuer tout au hasard ; voir plus haut, ch. 4, § 7. - Tel que nous l'avons établi, voir plus haut, ch. 3, § 10, où l'on a expliqué le nature et les différences des quatre espèces de causes. - Soit à l'essence même de l'objet, c'est la cause essentielle ou formelle. - Suit au moteur primordial, la cause motrice, d'où est parti le principe de tout ce qui a suivi. -Soit au but qu'on se propose, la cause finale, le pourquoi et le but où tend la chose. - A la matière, la cause matérielle. - Qui naissent et sont produits, soit par le fait de la nature, soit par l'art de l'homme.

§ 2. Du moment qu'il y a quatre causes, le physicien doit les

connaître toutes les quatre ; et c'est en rapportant le

pourquoi des phénomènes à ces quatre causes qu'il rendra

compte en vrai physicien, et d'après les lois naturelles, de

la matière, de la forme, du mouvement et du but final des

choses.

§ 2. En vrai physicien, et d'après les lois naturelles, il n'y a qu'un seul mot dans le texte.

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§ 3. Souvent trois de ces causes se réduisent à une seule.

Ainsi l'essence et la fin se réunissent ; et de plus, la cause

d'où vient le mouvement initial se confond spécifiquement

avec ces deux-là ; comme, par exemple , l'homme

engendre l'homme ; ce qui a lieu généralement dans toutes

les choses qui, après avoir reçu le mouvement, le

transmettent à leur tour. Quant à celles qui ne transmettent

point le mouvement pour l'avoir reçu, elles ne sont plus du

domaine de la Physique ; car ce n'est pas parce qu'elles ont

en elles-mêmes un mouvement qui leur soit propre ou un

principe de mouvement, qu'elles peuvent le communiquer :

mais elles le donnent tout en étant immobiles elles-mêmes.

§ 3. L'homme engendre l'homme, par cet exemple, qui est ici assez brusquement jeté. Aristote veut dire sans doute que l'homme quand il engendre l'homme peut être considéré comme réunissant les trois espèces de causes, puisqu'il est il la fois la forme, la matière, et le principe moteur, relativement à l'être qui doit sortir de lui, et qui est de la même espèce. - Quant à celles... ce sont les êtres immobiles d'où vient le mouvement pour tout le reste, mais qui ne sont pas eux-mêmes en mouvement ; par excellence, c'est le premier moteur ou Dieu. - Elles ne sont plus du domaine de la Physique, elles appartiennent à la Métaphysique plus spécialement. - Un mouvement qui leur soit propre, ces êtres ne peuvent pas avoir de mouvement en eux, précisément parce qu'ils sont immobiles, tout en donnant le mouvement au reste des êtres. - Ou un principe de mouvement, en ce sens où l'on dit de l'homme, par exemple, et des autres animaux, qu'ils ont en eux-mêmes le principe de leur mouvement, et qu'ils peuvent se mouvoir. - Mais elles le donnent, sans l'avoir elles-mêmes. Il faut, sur toute cette théorie, consulter l'admirable XIIe livre de la Métaphysique ; le premier moteur est nécessairement immobile, et le reste des êtres attirés par lui et vers lui en reçoivent par là même le mouvement.

§ 4. Il y a donc ici trois études distinctes : l'une sur ce qui

est immobile ; l'autre sur ce qui est mobile, mais

impérissable; et la dernière sur toutes les choses qui

périssent.

§ 4. Sur ce qui est immobile, le premier moteur, c'est-à-dire, Dieu. - Sur ce qui est mobile, mais impérissable, le ciel et tous les grands phénomène qui s'y passent. Voir plus loin, Livre VIII, ch. 14, où la question du premier moteur est touchée plutôt encore qu'approfondie, attendu qu'elle est renvoyée à la Métaphysique.

§ 5. Par conséquent, la cause des choses se trouve, soit en

étudiant leur matière, soit en étudiant leur essence qui les

fait ce qu'elles sont, soit enfin en étudiant le moteur initial.

C'est par cette méthode, en effet, quand il s'agit de la

génération des choses qu'on en recherche surtout les

causes en se demandant quel phénomène se produit après

tel autre, quel a été le premier agent, quel effet a éprouvé

l'être que l'on considère, et eu se posant toujours des

questions analogues à celles-là.

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§ 5. Le moteur initial, appliqué à la chose même dont on s'occupe, et non plus à l'universalité des choses ; et pour reprendre l'exemple cité au § 1 : Quel a été le premier motif de la guerre que tel peuple a fait à tel autre peuple ? On répond : le premier motif de la guerre a été dans les déprédations que ce peuple avait souffertes de ses voisins. - De la génération des choses, non pas dans le sens de création, mais dans le sens de simple production naturelle ou artificielle. - Quel phénomène se produit après tel autre, c'est la question de la forme. - Quel a été le premier agent, c'est la cause motrice. - Quel effet a éprouvé l'être, c'est la question de la matière et de la forme.

§ 6. Il y a deux principes qui, dans la nature, peuvent

mouvoir les choses ; l'un n'est pas du domaine de la

Physique, attendu qu'il n'a pas en lui-même l'origine du

mouvement ; et tel est l'être, s'il en est un, qui peut

mouvoir sans être mu, comme le ferait l'être absolument

immobile, et antérieur à tous les êtres ; l'autre principe,

c'est l'essence et la forme, parce que la forme est la fin en

vue de laquelle est fait tout le reste.

§ 6. L'un n'est pas du domaine de la Physique, je crois pouvoir traduire ce passage ainsi, en m'appuyant sur le § 3. - Il n'a pas en lui-même l'origine du mouvement, voir plus haut le § 3. Ceci signifie que l'être immobile n'a pas un mouvement propre ; ce qui est évident. - C'est l'être, s'il en est un, qui peut mouvoir, par une sorte d'attraction. - Et antérieur à tous les êtres, en d'autres termes, Dieu. - L'autre principe, le texte n'est pas aussi précis, il est évident, d'après le contexte, que le premier des deux principes auxquels Aristote réduit les quatre espèces de causes, est la matière, qui, par elle-même, n'a pas le mouvement, et qui, à ce titre, ne fait pas partie de la physique. L'autre principe est la réunion de l'essence, de la fin et du mouvement initial, d'après le § 3. Il est d'ailleurs assez étrange d'assimiler ici la matière au premier moteur, à Dieu, le moteur immobile de l'univers ; mais c'est une simple comparaison pour dire que la matière joue, à l'égard des trois autres causes, un rôle analogue à celui que le premier moteur joue dans le monde. On peut voir aussi plus haut que l'être se réduit à la matière et à la forme, Livre 1, ch. 8, § 11.

§ 7. Et, par suite, comme la nature agit en vue d'une

certaine fin, il faut aussi que le physicien l'étudie et la

connaisse sous ce rapport.

§ 7. La connaisse sous ce rapport, la connaissance des causes finales ne doit pas être exclue de la physique.

§ 8. En résumé, le physicien doit expliquer de toutes les

façons la cause des choses, et démontrer, par exemple, que

telle chose vient nécessairement de telle autre, qu'elle en

vienne d'ailleurs soit d'une manière absolue et constante,

soit dans la pluralité des cas ; il faut qu'il puisse prévoir que

telle chose aura lieu, comme des prémisses on augure et on

tire la conclusion ; enfin il doit dire ce qu'est l'essence de la

chose qui la fait ce qu'elle est, et expliquer pourquoi elle est

mieux de telle façon que de telle autre, non pas

absolument, mais eu égard à la substance de chacune des

choses.

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§ 8. De toutes les façons, c'est-à-dire d'après les quatre points de vue énumérés plus haut au § 2. -Telle chose vient nécessairement de telle autre, c'est la cause motrice. - Que telle chose aura lieu, c'est la cause matérielle comme le prouve l'exemple des prémisses, d'où vient la conclusion. - L'essence de la chose, c'est la cause essentielle ou formelle. - Elle est mieux de telle façon, c'est la cause finale. - A la substance, ou à la nature.