Archives d'histoire du Moyen Age (E. Gilson) - 1935-1936

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    GRAMMAIRE ET THOLOGIEAUX XIF ETXIIF SICLES

    Pc~oasacra no?) t' se .

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    6 ARCHIVESD'HISTOIREDOCTRINALEET LITTRAIREDUMOYENGE

    sition fut tenace dans le monde desthologiens contre ces sciencessculires il fallait rsister ce rationalisme, La mthodegrammaticale pourlire la Bible provoqua en son temps les mmesanathmes qu'au xx" sicle la mthode historique.

    Mais enfin il fallait bienla lire, la Bible, dchiffrer ses motshumains, rendre raison de sesimages, puisque, en dfinitive,parlant des hommes etpour se faire comprendre, Dieu s'taitaccommod de leur langage Les protestataires ne pouvaient avoirraison, et bientt de ces artistes (matres s arts) trop ossla thologie se fit des allis. Le texte sacr s'entoura degloses, ola raison thologique dposa ses premiers fruits comme en de r-sistantes alvoles.

    Une autre famille d' artistes )' taient d'ailleursau travail,qui travers les mots discutaient desides, et jugeaient de leur

    ajustement, voire de leur vrit. Troisime branche dutrivium,la dialectique, plustard venue, se dveloppa rapidement, Parissurtout o Ablard entrana lesesprits vers cette sductriceOn sait combien la protestation des thologiens fut violente, jus-qu' la lutte ouverte. Defait, la dialectique tait envahissante,et les grammairiens eux-mmes, disons les lettrs, s'alarmrentdes prtentions universelles de la nouvelle discipline. Pierre deBlois (seconde moiti du xu sicle) regrette queles tudiants convolent de suite auxarguties des logiciens et la subtilitpernicieuse de la dialectique )). Un trouvre du xnf sictp. Henri

    d'A~ideli, chante en une pope allgorique la bataille des septarts , o l'on voit Orlans, la cit des humanistes, soutenirl'assaut des dialecticiens de Paris Les modistes dcortiquentalors dans leurs traits Demodis significandi toutes les formes dudiscours, bloquant en leur technique grammaire et logique, etconstruisant avecleurs schmes dialectiques une thorie du lan-

    gage, une grammaire spculative , o l'alliance des deux dis-

    1 Le type classique, et extrme, de cette opposition est saint PierreDamien, qui a une vritable phobie du ~antmaf!co!'um vulgus . Cf. sonopusc. Xin, cap. 11 De menace qui grammaticam discere gestiunt.

    H'e~~unt p)'aed!'cas, crit-il l'oncle duditGuillaume, s;tt'

    misso, volavit ad Mt'SMtMS!op!'c

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    GKAMMA!REET THOLOGIEAUX X;r' ):T XU[~SICLES 7

    ciplines n'tait pas en vrit sansquelques notables profits. Ainsi,avant mme que Alexandre de Villedieu et enferm dans les2.600 vers de sonDoctrinale toute lamorphologie grammaticale,le commentaire de Pierre H!ie surPriscien (c. 1140-1150) avaitamorc toute une technique de la signification et de ses modesComment ne s'y serait-on pas laiss prendre et lorsque, dansles premires dcades du xnr'sicle, l'organisation de l'Universitde Paris eut multipli les facilits de travail et le nombredesh'avaitteurs, les vieuxthologiens protestrent nouveau contrela dlectation laquelle s'attardaient lesclercs, peu soucieux depoursuivre le cycle qui aurait d lesmener assez rapidement des jouissances de la

    dialectiqueaux austrits de la

    thologie.Guil-

    laume d'Auvergne, quesa rhtorique verbeuse et sontempramentfidiste inclinaient peu favoriser ces subtilesdisciplines ration-nelles, s'emportait avec sa vivacit coutumire contre ceuxqui sub pya~c.rfu theologicorum, uaerun< ~ra/a~ca~aFishacre, Oxford, se plaint, dans les termes d'une audacieusemtaphore biblique, que l'amour des sciences sculires, simplesservantes del'esprit, captive au point qu'on retarde jusqu' l'gede lu dcrpitude impuissante, le baiser de ladivine sagesse

    Mais, comme au tx"sicle, comme au xii", la raison faisaitson uvre, et, pour tre ancilla, n'en gagnait pas moins sa troi-sime victoire aprs la grammaire. la dialectique et la gram-maire spculative devenaient des lieuxthologiques.

    Tout occups que nous sommes par les grandes figures d'unThomas d'Aquin et d'un Bonaventure, nous perdons de vue tropfacilement la massive culture dialectique qui constitue la basede l'enseignement et la mentalit gnrale des matres duxuf sicle. Nous sommes ports considrer comme affaiblie,sous le ralisme philosophique ou religieux de ces matres, ladose de spculation verbale qui imprgnait alors les esprits. Enratit, ladialectique, logique ou grammaticale, rgne, et le pres-

    'Cf.Ch.TH~ttuT,Kp.c

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    tige de la physique aristotlicienne ou de lathologie ne diminuepoint l'extension de son domaine.

    Bien plus, chez les matreseux-mmes, Thomas ou Bonaven-ture, la substructure de maintesargumentations dcle l'usagede cet instrument affin, dont nous ne souponnons pluslestraces dans leurtexte, tant nous lui sommes devenustrangerset, dans nos exgses, nous traitons souvent comme devagueslieux communs cequi, en fait, relve d'une technique trs pr-cise qu'il y aurait grand profit ressaisir sous leurs formuies.

    Aussi, lorsque cette technique devient manifeste etcopieuse,comme dans certainesquestions sur la Trinit, nous en sommesrebuts, et nous passons par-dessusces pages de grammaire tho-logique abstruses et dmodes. Mais c'est l laisser tomber aogrde nos gots modernes quelques traits d'une physionomie intel-lectuelle que l'historien, plus objectif,se plait rtabli). Nos jugements de valeur ne doiventpas intervenir trop prcipitammentdans notre lecture.

    Roger Bacon proclamait avec une insatiable faconde la nces-sit de la grammaire pourla spculation thologiqueet la cul-ture de la sagesse En ralit sesobjurgations contre lesseptpchs de la thologie , et ses pressentiments sur les bnficesde la philologie lui ont fait unpeu oublier et nous avec luiquelle placetenaient dj et l'observation et les thoriesgramma-ticales dans le labeurthologique de ses contemporains.

    Nous voudrions ici montrerpar l'analyse de quelque*- castypiques ce rle de lagrammaire, de la grammaire spcutativc.s'entend, dans le traitement desproblmes thologiques,et pn-trer par l plus profondment dans l'laboration mme de leursolution, sinon de suite dans leursolution, dgageantainsi unemthode qui, pour tre implicite souvent et non rfichie,n'entait pas moins active. Cano ne feraqu'enregistrer et organiserun usage sculaire lorsqu'il classera officiellement lagrammaireparmi les lieux thologiques

    Cf. Opus majus, 3~ pars De utilitate grammaticae Opusterh'um,cap. 25 (d. Brewer, p. 88), etc.

    Cf. Opus minus, d. Brewer, p.322 et suiv. l'ignorance de la gram-

    maire et des langues est le second pch . Cf. aussi Contp. stud. phil.,c. 6 (d. Brewer, p. 432). Msuper dividere vocesquae in Mr:p{ura o~'erM~~r ancipites, ~!eo-

    logo necessarium erit, ~e ea:amphibolia et eludat et eludatur. Hoc oufcntpraestare sine grammaticae artis auxilio nonpoterit. De locis thco! )ib. tX.c. 5.

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    CRAMMA!RE ET THEOLOGIE AUX XU" ET xnr*SICLES 9

    I. Les temps dans le verbe

    Le premier c\emp!e que nous choisissons estpris au centremme de toute grammaire spculative, s'il est vrai que le tempsest un lment essentiel dans la structure duverbe, en analysephilosophique tout comme enanalyse morphologique. Selon lelangage de la grammaire mdivale, il s'agit de la consignificatiodu verbe, c'est--dire de la modification desens ~modus s:

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    omni tempore fuisse /a~sun~1. Il n'est pas trop difficile de recon-natre dans cette proposition le problme grammatical que nousvenons designaler mais il estprsent ici par la logique, et non

    plus par la grammaire. Il ne s'agit plus du rle de la flexion

    temporelle dans la morphologie du verbe, mais de la vrit d'une

    proposition (crmn~a&~c) en dpendance du temps inclus dansla ralit qu'elle nonce. Cette vrit est-elle affectepar les varia-tions temporelles de son objet Si une proposition reste lu mme

    logiquement, quel quesoit l'tat prsent, pass, futur do laralit qu'elle nonce, elle reste vraie toujours si elle est vraieune fois, et fausse toujours si elle est fausse une fois.

    Saint Thomas (que certains verront sans doute avecsurprisetrs souvent cit encette affaire) dcrit merveille, dans leurinterfrence, les deux aspects, grammatical et logique, de la

    questionMa enuntiabilia Socratem currere,ef Socratemcucurisse,

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    ~denda est eorum positio et ratio positionis. Fuerunt qui dixerurtt qondoibHS, a!ba, album, cum sint tres voceset tres habeant modossi~oificandi,tamen, quia eandem signiScationem important, sunt unum nomen. Perhune modum dixerunt quod unitas enuntiabilis accipienda est non expartevocis vel modisignificandi, sed rei significatae sed una resest, quae primoest futura, deinde praesens, tertio praeteri ta ergo enuntiare remhanc primo esse futuram, deinde praesentem, tertio praeteritam, non facietdiversitatem enuntiabilium, sed vocum. [Et, aprs un autre argument :]Quia, retenta eadem significatione, enuntiabile semper est verum, et non estidem nisi cum eademsignificatio retinetur, ideo dixerunt quod illud quodsemel est verum. semper est vrum.

    Et hoc modo solvitMagister. Et ista fuit opinio fVom:naHum. qui dicfisunt Nominales quia fundabant positionem suam super nominis unitatem.

    Saint Bonaventure pousse ainsi, trs exactement, jusqu' la

    raison dernire de la thsethologique distinction, dans l'ana-lyse grammaticale du nomen, de la significatio et du mod~s

    significandi , application de cette distinction au verbe(o )o

    temps ne varie pas le sens, mais seulement le mode designifi-cation), et, par la, transition a la logique de la propositiondont le verbe est le l ien(componendo et d'K.'fdcndo).

    Mme schma, mais plus rapide, chez saint Thonias /ofScnt., d. 41, q. 1, a. 5)

    Quidam enim dixerunt quod ad unitatem reisignificatae sequitur unitasenuntiabilis, quamvis etiam cum diversa consignificatione temporis proff-ratur et secundum hocsequitur quod enuntiabile quod semel est verum,semper fuit et est verum et ita quod semel est scitum aDeo, semper eritscitum ab eo.

    Diversus modus significandi non impedit unitatem non~ini'' undedicitur a grammaticis albus, alba, album,esse unum nomen, pt sic dealiis. Cum ergo haec enuntiabilia Socratem currere etcucurisse, ad unuminstans relata, in diversis temporibus prolata, non differant nisiper di~cr-sam consignificationem temporis, videtur quod sit unum enunti.d)i)e ptsic idem quod prius (i'bM., obj. 3).

    Dans la Somme thologique (7" P

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    (.H\M.\t.\]HE);TTHOt.OG!KAL!XX!r'KTXni''StCI.ES 13Et possunt inducere pro se opinionem .Vom~M~'um, quidicunt quori

    istud argumentum non valet. sicf)uod non sint nisi iste tres vocesalbus,alba. a!bum. Omne nomen est hecvox a)hus. sed omnis vox estnomen,ere'o omnis vox est hec voxatbus. quod f.ihnm est. CRoIand Dr CREMO~n,.~(;mni(!. Ms. Paris, Maxarine 79.5. foi. 17.

    Ue scientia [divina] enuntiabilmni non est\erum, quia secundum7

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    Bernard de Chartres, patron des Nominales

    Saint Bonaventure nous donne une indication,sommairemais prcieuse, car elleoriente notre recherche et lagarantit desuite contre l'quivoque permanentede la dnomination A'onu-nales, dont, au cours dumoyen ge, furent qualifis plusieurscatgories de philosophes pourdes thses fortdisparates. D/r~sunt NOMINALES,quia fundabant positionem suam super nominisun~atem L'unitas- nominis c'est partir de cette thorieque se dveloppent les spculations dialectico-thologiques men-tionnes, thorie de grammatici ,comme le ditexplicitementsaint Thomas (7n I Sent., loc. c:f.obj. 3), sur la porte des modisignificandi (ou consignificationes, c'est--dire les flexionsdescas, des genres) qui modifient le mot dans sa structuregramma-ticale (vox) sans varier le nomen qui reste un dans sasignifi-cation. Ainsialbus, alba, album, selon l'exemple courant, sousdes flexions diverses conserventla mme signification ManElle suppose, ainsi qu'il le remarque lui-mme, le paralllisme

    ~umm. 24, 7, 7, p. 369,et 10, p. 370. in omni conceptu en

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    exact de l'ordre duco~naHre et de celui del'tre, c'est--dire pourpeu qu'on y songe,la ngation expressede ce qu'est la mthodethomiste. Celle-ci nousplace, ds l'abord, en face des ralits lesmoins assures dansl'ordre de l'existence,mais relativement nousles mieux connues, pour s'lever de l auxessences dont laprimau-t ontologique dfiait originellement notre prise. Tout autre est laformule d'Henri unumquodque. sicut se habet adesse, et adcoom{:onem. La place que prend un terme dans lasuite desconceptions que forme l'intellect, se dfinit par celle qu'il occupedans la trame desprocessions extramentales. Par exemple, laforme prcde ontologiquement le compos singulier quila d-termine, et c'est pourquoi l'on ne peut reconnatre la nature decelui-ci, si l'on n'a point d'abord une notion de celle-l. Tousadmettent que les choses ne sont bellesou bonnes, qu'autantqu'elles participent la beaut, la bont, cette beautparticipen'tant elle-mme que l'manation d'une Beaut Subsistantemais il ne suffitpoint de dire que l'une fonde la ralitde l'autreil faut ajouter quetout de mme qu'elle la fait tre, elle seule lafait connatre

    1 Summ. 24, 8, 7-8, p.372. semper cognitionis ejus quod quid estin creaturis estratio cognoscendi id quod quid est in Deo. sub ratione eiusattributi in esseuniversali, ad modum quo id quod est primum in uno-quoque genere semperest ratio eorum quae sunt post. que Henri com-

    mente ensuite en unepage passablement laborieuse (et peut-tre altre ennos ditions), mais suffisamment claire dans l'ensemble sicutenim ens determinatum per materiam aut per suppositum singulare etdeterminatum id quod est non habet esse nisiper formam, quaein eodeterminatur, quae de natura essentiae suae in se non dicitaliquid deter-minatum, et ideo neque habet cognosci esse tale ens, nisi ex cognitioneipsius formae, in se ratione naturae et essentiae suae in esse suo indeter-minato (suggr par un passage de De Trinitate, Vin, 4, 7,P. L. 42, 952 habemus. quasi regulariter infixam humanae naturae notitiam, secun-dum quam quicquid tale aspicimus, statim hominem essecognoscimus velhominis formam. cit Summ. 24, 9, 7, p. 374),unum quodque enim sieutse habet adesse, et ad cognitionem; nemo enim potest cognoscerede 7toc bonoaut pulchro in natura et essentia suaquale ens aut quid sit, nisi cognos-cendo bonum et enssimpliciter, et sicut est de hoc bono et hoc ente res-pectu boni et entis simpliciter et absolute dicti, sic est de bono et enteparti-cipato respectu boni et entis nonparticipati. Sicut enim hoc bonum et hocens non potest esse neque cognosci nisi per ens aut bonum simpliciter dic-tum sic etipsum bonum etpulchrum simpliciter consideratum, utnon dter-minatum per materiam autper suppositum, si non sit essentialiter, sed par-ticipatione bonum et ita determinatum (en ralit) permateriam auf sup-positum, non habet esseneque cognosci nisi per ipsum bonum simpliciternon participatum, ut sicut bonum participatum non habet esse nisiper bo-

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    HENRIDE GANDET L'ARGUMENTONTOLOGIQUE 291Dieu n'est donc point seulement la ratio essendi de toutes

    choses, il est encore, en tant qu'objet premier de l'intellect, leurratio cognoscendi Mais comme, ainsi qu'on l'a dit dj, il estdeux connaissances possibles de l'Etre divin, dont l'une n'atteintque ses attributs gnraux, au lieu que la seconde peroit sonessence telle qu'elle existe rellement, il suit que notre connais-sance des choses revt elle-mme un doubleaspect qu'une notiontrop lointaine deDieu n'assure, en cette vie, qu'une connaissancebien imparfaite du cr, tandis que la vue de Dieu face face,rserve l'au-del, rvle en mme temps que Dieu mme, leschoses qu'il conut et voulut depuis l'ternit, et qui vivent en

    Lui de la vie des IdesLa reprsentation adquate du monde cr demeurerait im-possible ici-bas si l'illumination divine n'tablissait, entre lesdeux modes qui viennent d'tre dfinis, un mode deconnaissanceintermdiaire. L'illumination consiste en ceque Dieu modle lesconcepts que nous avons des choses d'aprs les Ides qu'il pos-sde d'elles. Comme ces Ides nediffrent point substantiellementde son essence, l'on doit dire que c'est cette dernire, en sa natureconcrte, qui joue alors le rle de ratio cognoscendi, mais, ladiffrence de ce qui sera la rgle dans la vie future, l'EssenceDivine illumine prsentement l'intellect, sans se dcouvrir luien tant qu'objet connu, par une action rgulatrice dont nousn'avons point conscience

    Cette doctrine, d'une double connaissance accessible

    num non participatum, sic nec potest cognosci esse tale nisi cognito ipsoquod est simpliciter et per se bonum, nec determinatum nec par

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    292 ARCHIVESD'HISTOIREDOCTRtNALEETMTTRAtREDUMOYENGEl'homme en cette vie etdont l'une et l'autresupposent, quoiquede faons diverses, l'influence divine, rsume, au dire d'Henri,l'enseignement de saint Augustin touchant la connaissancedeschoses dans la Vrit Premire1. Nous le voulonsbien com-ment nepoint objecter, toutefois, queles deux connaissancesquel'on oppose ainsi, ne sont point galement faciles concevoirQue Dieu puisse clairer notre pense, sans que soit perue sonaction illuminatrice, nous l'admettrons sans trop de peine. Maisn'est-ce point un paradoxe de tenir l'Essence Divinepour le pre-mier objet qu'apprhende l'intellect, lorsque celui-ci n'a nulleconscience d'une telleprise Plusieurs seront de cetavis ils

    demanderont aussi,au philosophe gantois, quel besoin ily a,en son systme, d'une connaissance rationnelle de Dieu, labore partir de l'exprience, s'il est vraique celle-ci ne sepeut aborderqu' la lumire de l'ide deDieu, naturellement connu, au pra-lable. N'est-ce point l se ranger finalement l'opinion de toutle monde, et oublier desseinla thse aventureque l'on soutintd'abord Tellessont les questions, troitement lies, on le con-oit, qu'il reste examiner ici

    Dieu, sous ses attributs premier objetconnu lans la connais-

    ratio cognoscendi de tout sance naturelle.gnraux le sance natureHe.

    ( 'lans !a connais-L Essence Divine, en sa ) (non objet connu)

    sance{ sance avec tiu-nature particulire ratio cognoscendi

    illu-

    t dans !a connais-L'Essence divine, en sa premier objet connudans

    la l'autrenature particulire ratio cognoscendi sance

    de l'autre

    Sur !a nature del'illumination, voir Summ. 1, 2-3, pp. 8 ss.Summ. 24, 8, 13, p. 373. a ~VuMuM t~rt~M aut jHcuius rf veritas

    potest cognosci aliter quam in prima fentate, et hoc vel in nudoc.t'e?Ttp!artdivinae essentiae, ut in eoquod est ratio cognoscendi veritatem tantum, nonautem o&~ectunt cognitum, vel in aliquo et[:s generali attributo, ut in coquod est primum oo~ecfu?rt cognitum et per hoc, ratio cognoscendi omnealiud quod intelligibiliter cognoscitur. B~ ex yns duobus con/!a

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    HENRIDEGANDET L'ARGUMENTONTOLOGIQUE 293

    On observera, pour les rsoudre, qu'il y a bien de la diff-rence entre connatre simplement une chose et la connatre defaon distincte, en la discernant de tout cequi n'est pas elle.La connaissance sansplus exige seulement que l'objet du sensou de l'intellect soit renduprsent ces facults qui peuventne le remarquer point, pour peu queleur intention s'attarde ail-leurs combien de fois n'arrive-t-il pas que nos sens nous fassentvoir un passant, que nous nierons cependant avoir vu, si l'onnous interroge, pour n'avoir pas pris garde lui La connais-sance distincte implique donc, outre la prsence de l'objet, une

    animadversion qui le mette en vidence, et dessine ses con-tours au sein de sonentourage

    Et voil ce que l'on ne trouve point dans la connaissanceimmdiate deDieu, que possdent rellement tous les hommes.Nous savons qu'une telle connaissance n'est premire que selonla nature, et point du tout selon letemps, qu'elle ne se prsentepoint isole au regard de l'esprit, mais double, au contraire, lareprsentation des choses cres, vers quoi tendent initialementnos proccupations. C'est dans lespremiers concepts ques'effectuecette rencontre ou, pour mieux dire, cette confusion deDieu etdu cr. A la vrit, une analyse rflchie a faitvoir que cestermes si diffrents ne devaientpoint tre mis au mme plan, etqu' l'ide de Dieu revenait lapremire place. Mais le sens com-mun ne s'embarrasse point d'une telle analyse et nglige de

    scruter la confusion initiale des premiers concepts ceux-ci luiprsentent comme juxtaposs le Bien Divin et le bienhumain,l'Etre de Dieu et celui des cratures ces termes juxtaposs, l'in-tellect les confond et lesconoit comme un, pour poursuivre soninvestigation du ct du cr au lieu que la vue distincte deDieu ne s'obtiendrait qu' remonter suivant la direction inverse,en de des concepts susdits 2.

    Op. cil. 10. aliud estaliquid cognoscere, aliud ).'

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    29~ ARCHIVESD'HISTOIREDOCTRNALEET LITTRAIREDUMOYENGENous maintenons donc nos conclusions touchant l'innit de

    l'ide de Dieu, mais reconnaissons volontiers que chez le plusgrand nombre des hommes, son rle n'est point tant de faireconnatre Dieu, que de permettre de concevoir tout le reste. Unefois engag dans la voie ducr, l'esprit poursuit inlassablementsa marche, en passant d'une chose une autre, sans qu'il songed'abord revenir au point d'o il prit son lan. Ce que nousdisons l de l'ide deDieu, s'applique du reste, en quelque me-sure, aux points intermdiaires de laroute, nous voulons direaux concepts gnraux quiacheminent depuis la notion de l'EtreDivin jusqu' celle des choses concrtes. Nulle de cesdernires,nous l'avons ditsouvent, ne se peut concevoir en dehors de l'ided'tre, qui les contient en puissance. Qui s'avise pourtant deregarder l'ide d'tre, prsente la pense au moment qu'il con-sidre tel tre ? Pareillement encore, dans l'ordre sensible, c'est la lumire que les couleurs doivent d'treperues seules, ce-pendant, ces dernires frappent d'abord notre regard, au pointqu'il faut quelque attention pour discerner des objets colors, lalumire qui les claire 2.

    On comprend ds lors que la cognitio Dei naturalis qu'Henriaccorde tous leshommes, ne rende point inutile, ses yeux,une connaissance deDieu, rationnelle etseconde, qu'il conoit,ou dcrit, tout au moins de mme faon que saint Thomas.Malgr des divergences nombreuses, plus d'une fois soulignesen

    coursde

    route, les deux auteurs s'accordent admettrequel'attention humaine se fixepremirement sur le sensible, et netrouve qu'ensuite l'accs du monde desesprits. Pour la penseconsciente, l'apprhension des cratures passe d'abord Henrin'hsite point l'affirmer, et cherche' mme, dans la connais-sance du cr, l'origine, la ratio cognoscendi de ce que nousacqurons consciemment de notions relatives l'Incr. Maiscette conclusion, que saint Thomas noncerait sansrserve, ne

    quia sub nulla ratione determinante autappropriante alti-ibtitum !

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    HENRI DE GAND ETL'ARGUMENT

    ONTOLOGIQUE295

    reprsente, au gr de notre docteur, qu'une vrit partielle, et sicessant de considrer le droulement psychologique de la connais-sance, nous tchons d'en scruter les conditions mtaphysiques,voici que s'impose nos yeux la conclusion oppose. De ce pointde vue transcendant, nous voyons se renverser l'ordre suggrpar le sens commun. L'ide de Dieu prend la premire place, et

    joue, pour la reprsentation des autres tres, le rle d'un principeformel de connaissance. Ainsi,la pense qui remonte consc:cm-ment des biens singuliers, au bien universel qu'ils participent, etdu bien particip au Bien Subsistant qui l'irradie, refait, en sensinverse, le chemin qu'elle parcourut initialement sans s'en dou-

    ter, et qui la mena du Bien Subsistantaux biens concrets. La dis-

    tinction de deux plans divers de conscience permet, notre philo-sophe, d'accorder, avec les thses augustiniennes, les donnes

    d'exprience qui donnent l'aristotlisme sa forceMais qu'importent les affirmations prodigues par Henri,

    d'un empirisme la faon d'Aristote, l'illumination mise

    part ? En vrit, l'inspiration quile guide n'a plus rien d'aristo-tlicien. Que toute connaissance se tire, pour nous, du sensible,cela se peut interprter de bien des manires, et celle d'Henrin'est rien moins qu'orthodoxe. L'ide de Dieu, explique-t-il, serencontre dans les premiers concepts, lesquelsne surgissent dansla facult pensante qu' l'appel de l'espce intelligible, extraite dela sensation. Celle-ci demeure donc, conclut le docteur belge, la

    cause matriel de toute intellection 2. Peut-tre est-ce encore

    Ainsi s'vanouit, selon nous, l'apparente contradiction qui entache-rait les assertions de Henri etque notre philosophe lui-mme prend soin deformuler beaucoup plus quede rsoudre. Voir, par exemple, Summ. 24, 7,8, p. 369. . aliquid cognosci ex alio contingit dupliciter, formaliter etmaterialiter. Forrnalitei- quando illud ex quo cognoscitur aliud, est persua~t notitiam formalis ratio cognoscendi aliud. Quemadmodum in demons-trativis, conclusiones cognoscuntur ex principiis, et omne quod cognosciturper aliud, tanquam perillud quo acquirit sibi per discursum notitiam alte-rius. Hoc modo ex creaturis noncognoscitur per intellectum quid est Deus,cognitione dico generalissima, immo magis e conversa quicquid veritatis decreaturis per intellectum concipitur, formaliter concipitur ex ratione cogni-tionis Primae veritatis, sicut nec cognoscitur bonitas in creaturis nisi ex

    ratione primae bonitatis cuius cognitio est naturaliter menti impressa, utdictum estsupra secundum Aug. Cognitione vero generali et generaliori, etin tertio gradu cognitionis generalissimae, bene cognoscitur isto modo co-_1 T" ~n~~I- ~J.. "t:s "rr" ~t

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    trop dire, et n'y faut-il plus voir qu'une occasion donne lapense, de s'exercer. Toutes les rserves formulespar Henrin'empchent point qu'ses yeux, la pense trouve en soi unecertaine ide deDieu, qui, bien loin detirer son origine del'exprience, permetseule dejuger et comprendre celle-ci. Cetteide, nous ne laremarquons pointhabituellement, occups quenous sommes par le spectacle des choses cres quesi, rendusattentifs, nous nous attachons la considrer ? Henriacceptel'hypothse, sans en nier laconsquence Quodsi adue~'fa~homo,et concipiat (ens)ut in se subsistens, Deum distincte intelligitPrendre conscience de l'ide deDieu, dposeen nous, c'est com-prendre Dieu distinctement, en son essencequi implique l'exis-tence, et s'assurer de cettedernire, sans tre sorti de lapensen'est-ce point l la dfinition mme del'argument ontologique ?P

    Terminons cechapitre en signalant dans l'Itinraire de saintBonaventure, certaine page o se trouve comme bauche touiela doctrine d'Henri relative l'ide de Dieu Sans doute l'c\-

    illud M*quo cognoscitur aliud non estper suam notitiam formalis ra

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    ploration des uvres de l'cote franciscaine rvlerait-elle d'autrescorcordances.

    4. L' AN srr DEuso DEVAIT L'rr

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    398 ARCHIVESD'HISTOIREDOCTRINALEETLITTRAIREDUMOYENGENous montrerions, si nous en avions leloisir, que la mta-

    physique d'Henri pratique inconsciemment une mthode ida-liste, qu'elle dbute par l'examen desobjets de pense, quels qu'ilssoient, et tche reconstruire lerel, par l'analyse et le classe-ment de cesobjets. Ceux-ci peuvent n'offrir rien d'autre qu'unemodification dela facult pensante, une imagination subjective,sans appui extramental exemple la notion de chimre. Ce sontconcepts, si l'on veut, signifiables parun nom, et susceptiblesd'une dfinition nominale (quid dicitur per nomen), mais enaucune manire, des essences vritables, intrinsquement possi-bles. D'autres contenus de lapense se prsentent celle-ci dousdes caractres

    objectifsd'tre, de chose, d'unit, etc.,

    quoinous avons faitcorrespondre au sens prcis du mot les pre-miers concepts. De tels objets assurent l'intellect laporte extra-mentale de sesapprhensions. Ce sont essencespossibles, douesquoi qu'il arrive d'un esse essentiae, exprimables parl mme enune dfinition relle (quid est res) et capables enfin d'existeractuellement (esse c.)':stent:6te),quoiqu'elles puissent fort bienn'exister point

    Le nomen qui n'est que cela ne dsigne rien d'autre qu'unabsolu non-tre. Le nomenqui correspond une essence, la pr-sente initialement lapense sous une formeextrmement gn-rale, qui sert depoint de dpart l'enqute touchant la nature etl'existence de cette essence. Leproblme de sa nature se scinde nouveau en deuxquestions distinctes, dont l'une cherche sil'objet conu mrite proprement la qualification d'essence (si est,de incomplexo par opposition l'existence actuelle, si est, decomplexo), et la seconde, en cas derponse affirmative, quelleest cette essence(quid est) On conoit d'ailleurs que ces deuxquestions se fassent suite, et que la position d'un objet au titred'essence, n'aille point sans une intuition confuse de sa nature

    Summ. 24, 3, 5-12, pp. 355-356. Nous nous rservons dereprendre etd'tablir ces assertions en un travail ultrieur. Lelecteur comparera lanotion cartsienne de l'esseobjectivum, ainsi que l'opposition des idesinnes aux idesfactices ou

    adventices,dans la 3e Mditation. Cf.GILSON,

    Le rle de la pense mdivale dans laformation d~ sujet cartsien,pp. 203-207.

    Summ., !oc. c:

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    Appliquons ces distinctions au cas de la connaissance deDieu. Nous savons que l'intuition distincte dela nature divine,en son tre intime, demeure rserve l'autre vie, que nanmoinsune apprhension plus gnrale de l'Etre Premier, sous l'un oul'autre de ses attributs substantiels, ne nous est point refusedans l'tat prsent. Cette notion deDieu, sous l'aspect de l'Etreou du Bien Imparticips, rentre malgr sa gnralit dans legroupe des notions relles. qui font voir avec plus ou moins deprcision, ce qu'est une chose. Rappelons encore que la notionsusdite, encore qu'invitablement prsente l'intellect, n'estpoint ncessairement aperue par celui-ci, mais le plus souventobscurcie

    parl'intrt

    quenous vouons aux chosescres

    Or, cette ignorance relative de la plupart des hommes tou-chant le Premier Principe, ne les empche point de parler unani-mement deDieu, et de s'entendre apparemment sur le sens de ce~o

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    divergences considrables n'empchent pointla communaut dupoint de dpart Hoc omnes Deum consentiunt essequod caeterisomnibus ante rebusponunt Une telle notionde Dieu est-il be-soin de la dire? offre tous les caractres d'une notion nominale.Loin d'exiger, en tant que telle, l'existence de sonobjet, elle ne livremme point avec certitude unobjet rellement possible, et dou desproprits objectives que comportetoute essence. Il est vraiqu'unequestion se pose alors aveclaquelle l'histoire desreligions n'apas cess d'tre auxprises, et que la constance, que mettent leshommes former une mmenotion, apparemment inconsis-tante, ne laisse pas de paratre trange. Henri rpond qu'en effetla notion commune dontnous parlons ne doit pas tre tenue pouri-

    premire en droit, mais issue d'une dgradation au sein de lafoule de l'ide de Dieu dcouvertepar les sages 2. Cela n'empchepoint qu'elle soit premire en fait, psychologiquement et sociale-ment, et que la recherche de Dieu se voie doncimposer les voieshabituelles de l'investigation humaine partant d'un contenude pense signifi parun nom, nous devons vrifier et dterminersa qualit d'essence, en mme temps queses titres l'existence

    qu'Henri interprte dans le sens d'une connaissance nominale de Dieu,l'un des textes augustiniens dont saint Anselme semble s'treinspir pourdfinir son ide de Dieu (id quo majus cogitari non potest). VoirJ. VERGNES,Les sources de!'argumeRt de saint Anselme (~eu. Sc/cnces Rdi-gieuses, 4, 1924, pp. 576 ss.).

    Ibidem.Summ. 24, 3, 5-12, pp. 354 ss. et 14, p. 356. quia

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    HENRIDE GANDET L'ARGUMENTONTOLOGIQUE 301Ces remarques prliminaires, quenous rduisons l'essen-

    tiel permettent de rsoudre aisment troisquestions souvent d-battues dans les annesqui sparent saint Thomas et Duns Scot.Nous laisserons chacune son nonc latin

    1 Utrum eadem cognitione cognoscitur de Deo an sit etqu

    f< intelligitur per nomen, intellectu confuso et indeterminato, non sciendosi sit

    Deus, quocumque modo intelligatur si est. sive de incomplexo, sivede complexo. 3 Ibid. 15, p. 357 potest enim aliquis actuali cognitione concipere inaliquo generali attributo id quod Deus est, vel co~ntftOftg indistincta, ut,intelligendo bonum simpliciter, vel distincta, intelligendo bonum non par-ticipatum, sed per essentiam bonum. nonconcipiendo insimul in haeren-tiam esse ad ipsum. Cf. 22, 3, 6, p.335.

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    302 ARCHIVESD'HISTOIREDOCTRINALEETLITTRAIREDUMOYENGEcomme n'existant pas. Qu'est-ce en effetque se reprsenter Dieudistinctement, en cette vie, sinon le penser sous l'aspect de laBont, de la Sagesse Imparticipes d'une essencequi est elle-mme son tre etsurpasse en grandeur, selon la formule d'An-selme, tout cequ'il est possible de concevoir ? Un telsujet com-prend ncessairement l'existence aunombre de sesprdicats, etsuppos mme que l'on fasse, pour un moment, abstraction deceux-ci, comment en viendrait-on lesnier jamais 1 r~

    S'tonne-t-on de cette dissociationopre parla connaissanceactuelle, entre des notes intimement unifies ausein de l'EtreDivin et jusqu'au sein mme de la notion habituelleque nous

    avons de lui P Elles'explique, rpond Henri,par notre faonbien imparfaite de penser Dieu. Nous avons ditque chaque ordrede perfections ralises dans lecr, veillait, en notre pense,l'ide des mmesperfections sous un mode absolu etimparticipet qu'en ces notions duBien, du Beau Substantiels, etc.,s'expri-maient les attributs divins. Unprogrs nouveau de notre con-naissance unifie ces attributs au sein del'essence divine, conuesous laforme d'un Esseparfaitement simple. Ainsi, sommes-nousassurs que la Bont n'est point autre chose, en Dieu, que laBeaut, et que pensant l'une, nous pensons ncessairement l'autre.Cela n'entrane cependant point queconcevant laBont Divine,en tant que Bont, nous concevions du mmecoup la Beaut, en

    tant que Beaut. Pareillement, qui pense l'essence divine, pensevirtuellement sonexistence, et ne peut ignorer absolument, nisurtout nier celle-ci.Mais l'identit de l'essence et del'existenceau sein de l'EtreSuprme, n'empche point quenous formions,

    1 Op. cit. 16, p. 357. Si enim intelligens quidest Deus in eiusquantumcumque generali attributo, dvertat deeius esse impossibile est intelligerevel cogitare quid est Deus, gmh. simul sogitaretur esse, quia praedicatumcogitatur in subjecto, et secundum hoc, Deus non potest cogitari non esse.Cogitans enim bonum velsapiens vel aliquid huiusmodi sub ratione quaconvenit Deo, scilicet cognitione distincta qua Deo soli convenit illud conci-piendo, cogitat sub ratione qua est bonum non participatum, sed per essen-

    tiam qua est suum esse etsua existentia, et quo ~natus excogitari non po-test. Cf. 22, 3, 6,p. 335. Lecas de l'ide de Dieu son stadeindistinctet inconscient laisse Henrihsitant. Dieu n'y est pas distingu des cra-tures lesquelles n'incluent point leur existence (24, 3, 16). Cependant l'in-telligence confuse d'un objet suppose l'intelligence confuse des notes qui leconstituent (22, 3, 6).

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    HENRIDEGANDET L'ARGUMENTONTOLOGIQUE 303de l'une et del'autre, des raisons distinctes, qui les prsententsparment notre attention

    On voit jusqu' quel point, selon une faon de voir communeaux dfenseurs del'argument anselmien, Henri fait de l'exis-tence, en Dieu, un prdicat quelconque, analogue, par exemple, la Bont, et affirmable de l'essence, dans les mmes conditionsque cette dernire. Prsuppos capital de toute preuve ontolo-gique, que les critiques de saint Thomas et de Kantont assezmis en vidence

    2 Utrum Deum essesit homini notum naturaliter etper seOn sait que saint Thomas, jugeant l'argument anselmien, en

    fonction de sapropre notique, crut y trouver la thse d'uneexistence deDieu, naturellement connue, et vidente par elle-

    mme. On a remarqu dj qu'une telle interprtation, encoreque soutenable dans l'abstrait, ne tenait point assez decompte dutravail intrieur qui prpare chez Anselme nonmoins que chezDescartes, l'intuition de Dieu Les contemporains de saintThomas se laissrent imposer, en gnral, le dilemme formul

    Summ. 22, 3, 6, p. 335 7,pp. 335-336. licet omni modoquo homointelligit Deum, intelligit eius esse, quia ipsenon est nisi esse, sicut intelli-gens Dei bonitatem, intelligit eius sapientiam, quiaidem sunt in eo bonitaset sapientia, quia tamen sicut est aliaratio bonitatis etsapientiae, Mt intetli-gens eius sapientiam sub ratione sapientiae, non oporlet quod simul :n(e~gra