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01Design.7 : Conception Assistée par Concepteur | Septième colloque multidisciplinaire sur la conception et le design du Mardi 18 au jeudi 20 mai 2010 - Couvent de la Tourette, Eveux, France

ARCHITECTURE RISCalain marty | ingénieur ecl | architecte dplg | enseignant ensam | france

la casa Guerrero, Alberto Campo Baeza [W3_ACB] | la gare TGV d'Avignon, Dutillheul et Blassel [EVGG06]

sommaire- introduction- la tour de babel et les processeurs risc- la règle du 20% / 80% appliquée à l'architecture du quotidien- la règle des 80% / 20% appliquée à l'architecture d'exception- conclusion

mots-clés- architecture, RISC, CAO, DQE, dessin à main levée, géométrie, formes à pôles

introductionDepuis le début des années 1980 les nouveaux outils numériques ont envahi le monde et en

particulier les agences d'architecture. Comment les architectes vivent-ils ce qu'il est convenu de considérer comme une révolution dans leur profession ? Ont-ils vraiment transféré dans ces outils les cultures architecturales du passé ? Et si en 2010, ce n'est toujours pas le cas, existe-t-il des voies pour le faire ? Le dessin à main levée a-t-il encore de l'avenir ? Faut-il encore dessiner un plan et une coupe à l'heure où le coffret « Architecte 3D » est vendu quelques dizaines d'euros en grande surface ? Dans ce qui suit, on ébauchera un constat et on proposera une méthode simple, dite « architecture RISC », puisant sa force dans les techniques du dessin à main levée, dans la conception écrite et précise du projet et dans le choix d'outils libres. Une méthode qui pourrait avoir quelques applications utiles dans le projet architectural, que ce soit dans le domaine de l'architecture du quotidien ou dans celui de l'architecture d'exception. Mais avant d'aborder cette méthode, faisons un rapide état des lieux de ce qui ressemble à la TOUR DE BABEL.

architecture risc | alain marty architecte | 20/03/2010 | page 1/12


1) la tour de babel

Architecte habité par l'habiter, c'était avant le numérique ! [W3_BAR] | Vingt siècles de culture architecturale évacués pour se (pro)jeter dans les écrans noirs des ordinateurs, au grand étonnement de Mr Geri [W3_PIXAR] !

la tour de babel

A l'aube de l'entrée des outils numériques dans les agences des architectes, au hasard de mes pérégrinations et notamment à l'occasion de nombreux stages de formation pour le compte de l'Ordre des Architectes que j'ai assurés il y a quelques années dans toute la France, j'ai pu rencontrer un millier de confrères et échanger bon nombre de réflexions et de questions. J'ai rencontré de jeunes architectes « branchés », de vieux architectes « branchés », des bricoleurs fous, les adeptes des sectes WINDOWS et APPLE et même des réfractaires « total » à l'outil numérique.

Et j’en ai retiré le sentiment un peu triste que les architectes avaient réussi à transformer une machine à communiquer en un carcan qui les enfermait dans un isolement encore plus profond. Avec des discussions sans fin sur le choix entre MAC ou PC, sur le choix entre tel ou tel gros logiciel intégré à prétention CAO ; avec la peur permanente d’être à coté du standard, du dernier soft du jour, la crainte de ne pas disposer de la dernière fonction à la mode. Vingt siècles de culture architecturale évacués pour se jeter dans les bras d’une machine nourrie par quelques lignes de code dont chacun se fait le plus ardent défenseur d’autant plus qu’il en connait moins...

Je ne parle pas du travail remarquable fait dans le domaine de l’infographie et la communication du projet, ni des facilités qu’offrent les outils informatiques pour accompagner la gestion des nombreux documents de tous genres que produit une agence d’architecture. Je veux parler de la conception sur outil informatique et du partage actif de cette conception, des attitudes d’architecte, des méthodes, etc.... Si l’on est persuadé que la conception s’arrête aux esquisses crayonnées sur papier, la suite étant limitée à une simple mise au propre, alors il n'est pas besoin de communiquer sur des méthodes, contentons nous de partager du “dwg/dxf” brut de décoffrage ! Mais si l’on veut croire à la conception directe « numérique » du projet architectural, partager du “dwg/dxf” ne suffit pas, il faut passer au niveau supérieur, avoir une attitude, partager des méthodes, trouver le plus grand commun diviseur de tous les outils à notre disposition, il faut aller à l’essentiel, simplifier, réduire. Comme le font les processeurs RISC !



les processeurs RISC

A l’inverse des processeurs CISC (Complex Instructions Set Computer), les processeurs RISC (Reduced Instructions Set Computer) [W3_RISC], sont optimisés pour exécuter un ensemble réduit d’opérations qui sont exécutées un très grand nombre de fois, disons 20% d’opérations qui reviennent 80% du temps ; et peu importe si les 80% d’opérations qui reviennent 20% du temps ne sont pas optimisées, il apparaît qu'on est gagnant au total, en vitesse d’exécution, en consommation plus faible, en fiabilité, en maintenance.

Les premiers processeurs Motorola, la famille 68xxx et les premiers Pentium étaient des processeurs CISC ; aujourd’hui, les derniers processeurs Pentium, les PowerPC de Motorola et d’IBM, le Crusoe de Transmeta, les Sparcs de SUN, les processeurs graphiques 2D/3D, TOUS LES PROCESSEURS sont des processeurs RISC. Mais quel peut bien être le rapport entre les processeurs RISC et l’Architecture ?

l'architecture RISC

Dans l'architecture RISC, Réponse Immédiate Sans Complication, on distinguera deux temps et on appliquera deux règles :

1) la règle du 20%/80% appliquée à l'architecture du quotidien, où il s'agit de repérer les quelques opérations en nombre limité qui reviennent de façon répétitive dans le travail, et de choisir les méthodes et les outils qui les optimisent ;

2) la règle du 80%/20% appliquée à l'architecture d’exception, où il s’agit d'extrapoler ces méthodes et outils aux nombreuses opérations qui ne reviennent que de façon exceptionnelle dans le travail.

2) le quotidienDans l'architecture du quotidien il s'agit donc de repérer les 20% d’opérations qui reviennent

80% du temps, et de choisir les méthodes et les outils qui les optimisent. On peut distinguer trois grandes voies :

1) Dans le dessin du projet : les compositions basées sur les obliques et les courbes en architecture sont toujours complexes à maîtriser, et somme toute assez rares dans le quotidien ; pour l'architecture du quotidien on privilégiera les compositions orthogonales, omniprésentes, qui offrent de grandes facilités de représentation, de relations d’échelle, de combinaisons, de modularité, voire de trame

2) Dans l'écriture du projet : le descriptif classique par lots séparés est un document volumineux et complexe à construire et à maintenir ; pour l’architecture du quotidien, on privilégiera l’utilisation de petites listes d’ouvrages TCE, évolutives, à géométrie variable, à échelle humaine ;

3) Dans l'usage des outils libres : la structuration et la communication des informations entre tous les intervenants d’un projet architectural est un travail complexe, qui semble induire inévitablement l’utilisation d’outils informatiques en réseau, lourds, verrouillés ; pour l’architecture du quotidien on privilégiera l’usage des outils libres trouvés sur internet, outils ouverts produisant des informations contrôlables et pérennes, des fichiers à échelle humaine.Dans tous les cas, le travail pourra être exécuté indifféremment sur machine ET à la main,



l’ordinateur fermé, un crayon, du papier, la main habile et l’esprit clair ...

1) le dessin du projet

échelles et dimensions : les dessins aux échelles croissantes sont réalisés en entrant une suite de dimensions : 30cm, 15cm, 7.5cm, 2.5cm, 0.5cm [W3_AM] | une maison cubique sur un plan simple, construite sur une parcelle de 600 m2 dans un lotissement à Nyls, un village dortoir proche de Perpignan, P.O ; plan et coupe sont modulés sur une trame de

30, 16 carrés de 360/360 en plan, des bandes de 90cm en élévation, aucune technologie complexe [W3_AM]

Avant l'arrivée des outils numériques, il suffisait de préciser l'échelle d'un document pour définir de façon implicite son niveau de définition : un plan au 1/200 et un plan au 1/20 ne pouvaient être dessinés avec le même niveau de détails, et la taille du crayon (ou du rotring) en définissait la mesure : il est impossible de dessiner l'épaisseur d'une plinthe dans un plan au 1/200 ! Avec la venue des outils numériques, cette contrainte étant levée, on a pu croire qu'il était possible de dessiner sans plus se préoccuper de l'échelle. C'est effectivement possible, et tout un champ de nouvelles (non standard) architectures vont pouvoir ainsi émerger. Mais c'est aussi oublier un peu vite vingt siècles de culture architecturale et toute un langage graphique qui accompagne la conception architecturale et sa transmission. Si cette vaste question reste ouverte il n'est pas interdit de tenter une approche pour retranscrire (une partie de) cette culture dans le nouveaux outils numériques. La méthode proposée ici est simple et applicable au dessin orthogonal à main levée sur timbre poste, sur placoplâtre ou sur écran, avec le « système impérial » venant au secours du système métrique. Pour le dessin, par exemple, on travaille avec une hiérarchie de règles allant du gros grain au grain fin. Grâce à ce guide, on retrouve sur les outils numériques les gestes du dessin à main levée, dès le début de la conception, esquisse comprise ! Quelques précisions s'imposent.

Si l’on convient d’assimiler le pied (30,48cm) à 30cm, et le pouce (2,54cm) à 2.5cm, le système métrique et le système impérial ont le bon goût de se rencontrer autour d’une dimension utile en architecture : le pied et ses multiples, et notamment le yard : 3 pieds = 90cm. On peut ainsi travailler avec le système métrique basé sur 10cm, et prendre le multimodule 3xM = 30cm et le sous-module M/4 = 2,5cm, et retrouver les 3x4 = 12 pouces = 1 pied du système impérial. Great isnt’it ?

On peut quand même se poser des questions. Par exemple celle-ci : « comment travailler sur la trame de 30 avec des éléments qui ne la respectent pas ou dans un contexte existant qui n'en a rien à faire ? » En fait, il ne s'agit pas du tout de travailler sur la trame de 30 ! On commence la conception en choisissant la « contrainte », on peut dire le « grain » le plus approprié (30cm souvent mais aussi 90cm ou 120cm, ...) et on le respecte autant que possible ; puis on relache la contrainte en descendant par exemple à un grain de 15cm (on n'est plus sur une trame de 30) avec



lequel on peut dessiner des hauteurs d'assise (45cm) et de table (75) ; puis on descend encore, par exemple jusqu'à 25mm, valeur avec laquelle on représente assez proprement une cloison légère (75mm pour 72mm) ou une fenêtre en plan et en coupe avec son chassis ouvrant (75/50mm) en applique sur son dormant (50/100mm). Il faut simplement s'assurer de la compatibilité entre les différentes valeurs : choisir la valeur de 1cm n'est pas une bonne idée, car 3cm n'est pas dans la suite des compositions possibles (on ne retrouve pas 25mm) et on aura alors intérêt à utiliser la valeur de 5mm. Et puis notez bien qu'au final, les dimensions du bâtiment peuvent être rendues aussi proches que nécessaire des dimensions réelles des ouvrages et du contexte. Par exemple si le terrain fait 25 mètres de long, le bâtiment pourra avoir été composé sur 27 modules de 90 (24,30m) + 2 épaisseurs de 30cm (24,90) + 2 joints de 5cm.

Une autre question se pose sur « le rapport entre cette méthode basée sur une série de grains et l'utilisation de l'outil numérique» . Cette méthode permet en fait une grande économie d'utilisation du clavier (factorisation des entrées numériques) et autorise un dessin « à main levée », simplement guidé par la contrainte choisie dans une hiérarchie de « grains emboités ». On conserve la maîtrise de la composition depuis l'ensemble jusqu'au plus petit détail. La dimension de chaque élément n'est pas le résultat d'un outil de mesure, elle est « raisonnée ».

2) l'écriture du projet

Faire une maquette numérique du projet, dessiner des plans et des coupes, c’est nécessaire mais pas suffisant ; il faut également écrire le projet, quantifier les ouvrages. On peut redécouvrir le DQE en construisant progressivement une liste articulée autour du concept d’ouvrage “tous corps d’état”, en faire un véritable outil de conception architecturale et, cerise sur le gâteau, maîtriser les coûts condition « indispensable » à l’aboutissement du projet, la chose construite ! On ne développera pas davantage ici.

la liste systématique des ouvrages suit la conception du bâtiment de l'esquisse au dossier des ouvrages exécutés pour produire tous les documents écrits et en conserver la trace : à gauche le plan, à droite le développement. [W3_AM]

3) les outils numériques

créer l'informationQuelques octets suffisent pour coder les caractères, les 16 millions de couleurs, les nombres,

toutes les instructions, tous les outils pour maîtriser les machines numériques et créer et gérer l'information. Comme les processeurs RISC, l’informatique est faite de choses simples : des bits, des octets et du texte pur, du texte balisé (Text Markup Language) pour produire des effets, des images, des animations, des sons, des liens (HyperText Markup Language, HTML) pour partager l’information sur le réseau des réseaux, des formats élémentaires, libres, ouverts des protocoles



universels. Dans un projet d'architecture il n’est pas du tout évident de structurer un ensemble

d’informations et de le rendre facilement accessible en assurant l’intégrité des données, leur sécurité, voire leur confidentialité. La tâche est encore plus difficile quand ces informations sont en devenir, comme c’est le cas dans les phases de conception et de production architecturales. S’il est tentant de rechercher des solutions propriétaires et déclarées comme adaptées au contexte « agence d’architecture », susceptibles probablement d’optimiser les réponses, il n’est pas inutile de rechercher dans l’existant des outils génériques, fruits d’un travail collectif, libres de droits, ouverts à toutes les évolutions, sans zones d’ombre. Tous ces outils existent sur Internet. Encore faut-il savoir sortir des sentiers battus et oser respirer l'air du dehors !

partager l'information

ward cunningham [W3_WC], le père du concept wiki, un outil de création et de gestion collective de l'information, dont Wikipedia est l'exemple le plus illustre. Et ça fonctionne [W3_WC] | l'opensource avec linux [W3_LT]

Internet existe, on trouve : des ordinateurs distribués un peu partout, et pas d’ordinateur central maître du jeu ; des connexions dont le débit entre ordinateurs s’améliore de jour en jour et des espaces disque distribués et gratuits, proposés par les serveurs des opérateurs commerciaux qui se rémunèrent sur les tarifs de télécommunications ; un protocole universel de communication, le TCP-IP et ses déclinaisons : http, ftp, smtp, pop, imap, news, ..., ; un format de données universel et ouvert, le texte balisé, et ses déclinaisons : XML, (X)HTML, CSS, SVG, ... ; une multitude de langages libres : JAVA, JAVASCRIPT, PHP, RUBY, WIKIS, ... ; une multitude de logiciels libres (éditeurs divers, navigateurs, gestion, moteurs de recherche, statistiques, ...), de nombreux exemples disponibles dont on peut librement s’inspirer, une réelle culture de l’échange ; et de plus en plus d'applications WEB appelées à prolonger (sinon remplacer) à peu près toutes les applications bureautiques comme le traitement de texte, le tableur, les logiciels de dessin image, vectoriel, 2D ou 3D, ... En fait, tous les outils libres existent pour créer de l’information multimédia, la publier, la maintenir, la partager. Ces outils supposent qu’on les connaisse, bien sûr, mais avant tout qu’on s’imprègne de cette nouvelle culture de l’échange qu’ils sous-tendent. On peut utiliser les interfaces de son choix pour entrer et structurer ses données, mais il faut absolument que ces informations puissent être conservées intactes sous une forme indépendante de l’interface, la forme plus courante étant le texte balisé dont le format HTML (hyper text markup language) est l’exemple le plus répandu, et le XML (extended markup language) l’évolution la plus prometteuse. Le présent document a été entièrement conçu et mis en page pour le net sur la base d'outils libres.

libérer l'informationEn atteignant l'age mur l'informatique a redécouvert la liberté de ses débuts (cf Richard Stallman

[W3_RS]). Il existe maintenant des systèmes d’exploitation libres (dont Linux [W3_LT] est le plus connu), équipés d'une panoplie d’outils libres (OpenOffice, The Gimp, InkScape, Blender 3D,



Firefox, Apache, et bien d’autres ...). Nous pénètrons dans une nouvelle ère de l’informatique, pleine de promesses. Attendons encore un peu un outil de DAO vraiment comparable aux standards (propriétaires) du moment, et nous disposerons de tout ce qui est nécessaire pour produire de l’architecture et la partager en toute liberté, loin des usines à gaz et de leurs marchés captifs, avec tous les éléments pour maîtriser intelligemment les outils ... et comprendre la formidable unité qui est à la base de l’informatique, la richesse de ses concepts fondamentaux, la puissance d’un simple “texte balisé”. Sous les images se trouvent les mots !

3) l'exceptionDans l'architecture d'exception on tentera d'extrapoler les méthodes et les outils optimisés dans le

cadre de l'architecture du quotidien à quelques unes des nombreuses opérations (80%) qui ne reviennent que de façon exceptionnelle (20%) dans le travail.

Architecture Non Standard, Kaas Oosterhuis [W3_KO] | une forme complexe à base de plis avec Thierry, Chloé et cie

1) le té, l'équerre et le compas

L’orthogonalité est omniprésente dans le quotidien et peut produire des architectures sinistres. Mais des architectes de talent comme Barragan, Tadao Ando, Richard Meyer, Mario Botta, Louis Kahn, Glenn Murcutt, Campo Baeza savent hisser ce type d'architecture au rang de l'exception ! Campo Baeza, [W3_ACB], pour ne citer que lui, donne l’exemple d’une architecture strictement orthogonale, modulée, simple, où le jeu de proportions poussé à l’extrême produit des espaces d’une évidente qualité et empreints d’une grande sérénité. Il suffit parfois de quelques grains de folie dans une architecture simple et orthogonale pour passer du quotidien à l'exception.

Ce n'est bien sûr pas une raison suffisante pour faire l'impasse sur les architectures jouant de la dynamique des obliques et de la richesse des courbes. Et on doit alors rechercher les outils et les méthodes qui vont accompagner la conception du subtil désaxement de l’HyperCube de la Défense, des espaces créés par la Avenida Diagonal dans la trame carrée de Barcelone, des demeures organiques d’Anti Lovag, des structures naturelles de Frei Otto, des ossatures animales de Calatrava, de la Sagrada Familia de Gaudi, du Guggenheim à Bilbao de Gheri, de Kas Oosterhuis [W3_KO], des projets de i-mad [W3_imad], ... Vaste programme que de chercher à maîtriser l'énorme quantité de gestes exceptionnels voire uniques, et c'est peut-être l'occasion de trouver quelques lumières dans les architectures du passé. De reconsidérer les modes de génération des



formes courbes, d’extrapoler les anciennes méthodes de composition et de les appliquer à des architectures modernes qui semblent a priori incontrôlables, conceptuellement sinon constructivement, qui semblent ne relever que du « geste pur issu du cerveau du créateur illuminé » et que les exécutants ont à réaliser sans comprendre. De ce point de vue, l’évolution de l’arc roman à l’arc chaînette de Gaudi en passant par l’arc gothique est une leçon à méditer...

2) cercle, parabole, chaînette

arcs, paraboles, chaînettes et construction « pratique » d'une parabole [W3_AM] | la sagrada familia [JB03]

Depuis la nuit des temps dans le monde du bâtiment, les architectes romans et gothiques approchaient l’arc de chaînette par des arcs de cercle faciles à construire et composer ; Gaudi s’en était évadé ... pour y revenir à la fin de sa vie ! Dans le cas de la Sagrada Familia, [JB03], les surfaces « organiques » de Gaudi trop difficiles à tracer, ont été remplacées par des PH et des hyperboloïdes de révolution, les chainettes par des arcs de parabole, réduisant ainsi les problèmes pour mieux les maîtriser, comme l’avaient fait avant eux les maîtres d’oeuvre romans et gothiques.

Plus près de nous, dans le monde de la construction automobile, l'ingénieur « Paul de Casteljau », [PDC59], a proposé en 1959 un algorithme récursif très simple et fondamental, une construction géométrique très intuitive conduisant à une puissante théorie. Par exemple, la diagonale d’un paraboloïde hyperbolique (PH) est une parabole ; comme le PH cette courbe peut être construite à l’aide d’une simple corde et de quelques piquets, sur la base de simples divisions par 2. Plus connus sous le nom de « courbes et surfaces de Bézier », ces outils sont devenus incontournables dans le monde de la CAO. Ils permettent le passage progressif des compositions orthogonales aux architectures courbes, en conservant le contrôle des proportions, des échelles, des continuités, le geste générateur (et non le résultat) étant transmis à l’exécutant, qui peut ainsi se l’approprier et prolonger la création, gage de la pérennité de l’œuvre en prolongement du passé.

3) la gare TGV avignon

a) géométrieLa mode est aux architectures courbes. Les formes courbes en plan et en élévation de la gare

TGV d'Avignon [EVGG06] sont un exemple de réponse élégante et apparemment simple aux nombreuses contraintes qu'avaient à traiter les architectes Duthilleul et Blassel : « s'accrocher sur la courbure faible mais non nulle de la ligne TGV, ceci sur une grande longueur pour accueillir 2 rames attelées, un bâtiment isolé en pleine campagne, le Mistral côté voie, le Soleil côté accès parking et un dénivelé important entre les deux côtés ». L'élégante réponse architecturale qu'ils ont donnée est basée en plan sur une forme ressemblant à une navette de métier à tisser légèrement



incurvée et en coupe sur un triangle curviligne, un arc ogival engendrant une surface vitrée au Nord, fermée au Sud. Cette forme est géométriquement définie par l'intersection subtile de deux tores de grands rayons, intersection qui ne laisse de ces deux tores virtuels qu'une infime trace oblongue accompagnant un instant la course du TGV.

plan de la gare TGV d'Avignon, une longue forme oblongue incurvée accompagnant la courbe du TGV [EVGG06]

b) géométrie et technique

intersection de deux tores de grand rayon [EVGG06]

Géométriquement les deux surfaces résiduelles sont très classiques, ce sont des portions de tore. Comme la sphère, une portion de tore est normalement découpée suivant un maillage de facettes quadrangles planes de mêmes dimensions le long des méridiens (petits arcs de cercle verticaux) et des parallèles (grands arcs de cercle horizontaux). Une portion de tore est en général prise entre deux parallèles et deux méridiens coplanaires. Il se trouve que dans le cas présent la courbe de faîtage intersection entre les deux portions de surface n'est pas un parallèle et découperait de façon irrégulière le maillage classique, engendrant une mise en oeuvre lourde le long du faîtage pour un résultat peu élégant. Les concepteurs de la gare TGV ont donc choisi un autre type de maillage où les facettes quadrangles sont posées en écailles depuis la ligne du faîtage jusqu'aux rives basses où les découpes irrégulières peuvent être traitées de façon plus simple ou simplement cachées dans le sol. Ceci concerne au total 1917 panneaux vitrés (64/307 épaisseur 32mm) et 4074 panneaux



opaques en CCV (60/150, composite ciment-verre 12mm sur un cadre de 70mm).Le vrai problème technique est que les facettes quadrangles ainsi définies ne sont pas planes !

Afin d'éviter une découpe en triangle qui aurait alourdi pour le moins le parti architectural choisi, les architectes ont préféré donner aux facettes quadrangles une proportion suffisamment allongée autorisant le léger gauchissement imposé (jusqu'à 15mm) sans pour autant introduire des efforts de torsion incompatibles avec la tenue des matériaux. Le résultat est certainement une réussite sur le plan esthétique et donne une belle architecture contemporaine qui fait penser aux architectures gothiques. Mais c'est un résultat obtenu au prix de ce qui peut apparaître comme une entorse technique engendrant pour le moins une mise en oeuvre complexe !

c) technique et géométrieUne analyse faite à l'ENSAM par deux étudiantes dans le cadre d'un enseignement donné sur les

formes complexes a permis de tester une définition de cette surface qui a conduit à des facettes quadrangles planes.

approche de l'intersection des tores par des arcs paraboliques engendrant des pS33 ; une pS33 est contrôlée par 3 paraboles elles-même contrôlées par 3 points ; c'est la plus simple des surfaces gauches | modèle 3D de l'intérieur de la gare TGV d'Avignon ; avoir remplacé les surfaces toriques par des surfaces paraboliques (pS33) permet de gérer

facilement les limites haute et basses [W3_AM]

Dans cette analyse, on a choisi de remplacer les arcs de cercle par des arcs de parabole dont les points de contrôle ont été soigneusement positionnés dans l'espace. La gare s'étendant sur une faible longueur comparée aux rayons des cercles des tores générateurs, il est possible de d'approcher avec une précision suffisante les arcs de cercle tendus par des arcs de parabole. Techniquement on a donc remplacé les surfaces toriques par des portions de surface (pS33) définies par 3 paraboles, des courbes contrôlées par 3 points. Les surfaces étant ainsi définies, les facettes résultantes suivent naturellement les rives haute et basses paraboliques et sont aussi et surtout planes par construction. La contre-partie, le fait que les facettes aient des dimensions différentes, ne pose aucun problème aux machines à commande numérique d'aujourd'hui, l'essentiel étant qu'elles sont toutes planes !

Cette analyse faite sur le logiciel Sketchup s'est appuyée sur une approche appelée "Formes Pascaliennes" qui peut se généraliser aux formes gauches les plus complexes.

4) les formes pascaliennes

Les Formes Pascaliennes, ou pFormes [AM04], sont une une famille de formes regroupant les courbes et surfaces « à pôles » bien connues (Bézier, Splines, NURBS, Coons) mises en lumière par les outils numériques modernes et faisant l'objet d'une abondante littérature [GF92]. Une présentation détaillée des pFormes est proposée dans le site « pF_epsilon » [W3_AM] et dans les pages liées. Les réflexions qui suivent en sont un court extrait introductif.



un pVolume et ses deux diagonales pSurface et pCourbe [W3_AM] | une application à la modélisation d'une coque de voilier programmée, calculée et rendue sur le logiciel opensource POVRAY [W3_POV] [W3_AM] |des pCourbes

(cubiques) contrôlées par des points distribués sur trame de 15 ; application à la modélisation d'un avion de chasse un peu rondouillard [W3_AM]

une pS33 flottante [W3_AM] | exemples d'application architecturale [W3_AM]

« Il y a d'un côté la géométrie classique élémentaire faite de droites et de cercles qui se peuvent dessiner avec une simple corde, des piquets et un crayon. A l'autre bout il y a la géométrie des formes courbes complexes qui ne se laissent approcher qu'à travers des équations tensorielles différentielles remplies de symboles de Christophel et autres opérateurs bien éloignés du crayon et de la corde. Je cherche une géométrie entre les deux, une géométrie construite sur un algorithme simple - l'algorithme de "de Casteljau" -, une géométrie faite de formes gauches obtenues par application récursive d'une opération simple : « la division par 2 ». Des formes dont chaque point s'exprime comme combinaison linéaire de points à coefficients binomiaux (Pascal). Des formes qui se situent dans les tout premiers termes d'un développement en série. Considérons par exemple le développement en série de la chaînette [ ch(x) = 1 + x^2/2! + x^4/4! + ... ] qui conduit à la parabole si elle est limitée au second terme. Pour la conception de la Sagrada Familia, l'architecte catalan Antonio Gaudi, dans les dix dernières années de sa vie, avait abandonné ses constructions « naturelles/organiques » à base de chaînettes pour revenir à de simples paraboles, des courbes non optimales mais d'excellentes approximations bien plus faciles à combiner, à partager et à construire sur un chantier.

Au début était l'Architecture Romane à base de demi-cercles faciles à tracer et à combiner en voûtes et intersections mais bien loin de la chaînette courbe optimale ; c'était le premier terme de la série. Puis vint l'Architecture Gothique avec son arc brisé proche de la chaînette fait de deux arcs de cercle et préservant ainsi les techniques du passé . Puis vint le jeune Gaudi qui voulait la chaînette quelle que soient les difficultés pour la tracer et la combiner, qui voulait tous les termes de la série jusqu'à l'infini, tout et tout de suite. Avec l'âge vint la sagesse et il redescendit d'un cran pour travailler avec la parabole, le deuxième terme de la série. Il suffit de voir le résultat, la nef de la Sagrada Familia par exemple, pour comprendre la puissance de ce renoncement.

Aujourd'hui les ordinateurs nous donnent accès à des formes a priori libres de toutes contraintes et les jeunes architectes s'en donnent à cœur joie, sautant du deuxième terme à l'infini, comme Gaudi l'avait fait avant eux, oubliant les leçons du passé, et faisant bien souvent n'importe quoi !



C'est en tout cas une lecture possible de l'évolution des formes courbes en architecture. Et l'approche élémentaire et simple par les « pFormes » peut constituer un guide bien utile dans notre quête de la compréhension et de la maîtrise des formes complexes des architectures d'exception !

conclusionL'approche "RISC" n'a pas la prétention d'être universelle et d'être applicable à tous les cas de

figure dans le domaine de la conception et de la production architecturale. Elle propose quelques outils simples dans l'architecture du quotidien et quelques pistes dans l'architecture d'exception. Les architectes occupent, disons, 5% du marché de la construction du quotidien et se voient fortement concurrencés dans le marché des constructions exceptionnelles. Beaucoup sont même tentés d’abandonner la place à ceux dont l’architecture n'est pas la priorité, laissant le quotidien aux petits constructeurs et l'exception aux grands. En maîtrisant les outils de l'architecture, qu'elle soit du quotidien ou de l'exception, en partageant les méthodes et en adoptant un langage commun, on pourrait peut être passer de 5% à 6%, non ?

Et ainsi se donner les chances de faire partager aux autres mortels ce 1% de grain de folie supplémentaire qui caractérise l’acte d'architecture !

alain marty, architecte risc

référencesLes références des illustrations conduisent aux auteurs listés ci-dessous.

OUVRAGES :- [EVGG06] Eric Verstrepen et Ghislaine Garcin, Gare Avignon TGV Chronique d'un

chantier", Editions Parenthèses Ecole des Gares, (2006)- [JB03] Jordi Bonet, Temple Sagrada Familia, Editorial Escudo de Oro (2003)- [PDC59] Paul de Casteljau, Courbes et surfaces à pôles, Citroën, Paris (1959)- [GF92] Georges Farin, Courbes et Surfaces pour la CGAO, édition Masson (1992)- [AM04] Alain Marty, Formes Pascaliennes, édition de l'Espérou, (2004 et 2006)SITES WEB :- sur l'architecture- [W3_BAR] le dessinateur Barbe at : http://www.iconovox.com/dessinateurs/barbe.html- [W3_ACB] Alberto Campo Baeza at : http://www.campobaeza.com/ - [W3_KO] Kaas Oosterhuis at : http:// www.oosterhuis.nl/- [W3_imad] i-mad achitects at : http://www.i-mad.com/- sur les outils informatiques- [W3_RISC] RISC at http://fr.wikipedia.org/wiki/Reduced_instruction_set_computer ethttp://www.liafa.jussieu.fr/~carton/Enseignement/Architecture/Cours/Architectures/risc.html- [W3_WC] Ward Cunningham at : http:// c2.com/~ward/- [W3_LT] Linus Torvalds at : http://torvalds-family.blogspot.com/- [W3_POV] POVRay at : http://www.povray.org- [W3_AM] pF_epsilon at http://amartyfree.free.fr/pF_epsilon


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