Arbitrage interne. Brevet, Arbitrabilité des litiges nés de l'exécution d'un contrat de licence...

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7/24/2019 Arbitrage interne. Brevet, Arbitrabilité des litiges nés de l'exécution d'un contrat de licence de brevet et ne portant… http://slidepdf.com/reader/full/arbitrage-interne-brevet-arbitrabilite-des-litiges-nes-de-lexecution 1/1 RTD Com. RTD Com. 1993 p. 293 Arbitrage interne. Brevet, Arbitrabilité des litiges nés de l'exécution d'un contrat de licence de brevet et ne portant pas sur la validité du brevet (Paris, 3 févr. 1992, PIBD 1992. III. 359) Jean-Claude Dubarry, Professeur à l'Institut de droit des affaires ; Avocat à la Cour Eric Loquin, Professeur à l'université de Bourgogne ; Doyen de la faculté de droit de Dijon  Le droit des brevets a longtemps été considéré comme une forteresse hermétique à l'arbitrage. La jurisprudence, sur le fondement de l'article 68 de la loi du 2 janvier 1968, avait en effet jugé que le texte, en attribuant l'ensemble du contentieux né de la loi aux tribunaux de grande instance, réservait à ces seules juridictions la connaissance des litiges intéressant les brevets d'inventions, à l'exclusion de toute autre, fût-elle arbitrale (Paris, 6 nov. 1971, D. 1972. 342, note J. Robert, Com. 18 nov. 1975,  JCP  1977. 342, note Santa Croce, Rev. arb., 1976. 110, note J. Robert). La loi du 13 juillet 1978 a modifié l'article 68 (actuel article 615-17 du Code de la propriété intellectuelle), en ajoutant que « ces dispositions ne font pas obstacle au recours à l'arbitrage dans les conditions prévues aux articles 2059 et 2060 du code civil ». Comme l'a montré M. B. Oppetit, « le législateur a dissocié la question de l'arbitrabilité du litige de celle de l'attribution de la compétence judiciaire, en la réintégrant dans le droit commun de l'arbitrage » (l'arbitrage en matière de brevet d'invention après la loi du 13 juillet 1978, Rev. arb., 1979. 83, également Chavannes et Azéma, le nouveau régime des brevets d'invention : la loi du 13 juillet 1978, Sirey 1979, n° 170). Mais, la loi n'a pas pour autant ouvert totalement la matière des brevets à l'arbitrage. Les litiges nés de la loi du 2 janvier 1968 ne sont arbitrables que si la matière porte sur des droits dont les parties ont la libre disposition (art. 2059 C. civ.), ou si celle-ci n'intéresse pas l'ordre public (art. 2060, C. civ.). L'arrêt commenté offre une bonne illustration de la problématique nouvelle. La Cour d'appel de Paris a jugé, en effet que « le litige ne portant pas sur la validité du brevet, mais sur l'exécution d'un contrat de licence, ne concerne pas l'ordre public, et qu'en conséquence la clause compromissoire insérée au contrat peut produire ses effets, dès lors que la validité du brevet n'est pas en cause ». La solution n'est pas nouvelle (cf. Paris, 15 juin 1981, Rev. arb. 1983. 89, note A. Françon). Il est certain que les litiges portant sur l'exécution du contrat de licence, en particulier le paiement des redevances, n'intéressent pas l'ordre public au sens de l'article 2060 du code civil. La matière est alors arbitrable. C'est la restriction apportée par l'arrêt qui mérite d'être discutée. La contestation de la validité du brevet interdirait aux arbitres de juger. Il est bien établi que la validité du brevet intéresse l'ordre public, dès lors que l'article 50 bis de la loi de 1968 (actuel art. 613-27 du code de la propriété intellectuelle), dispose que « la décision d'annulation d'un brevet d'invention a un effet absolu sous réserve de la tierce opposition ». Les commentateurs de la loi ont mis l'accent sur l'infirmité de l'arbitrage à cet égard : comment concevoir qu'un juge privé puisse rendre une décision susceptible de porter atteinte aux droits des tiers ? (en ce sens B. Oppetit, préc., p. 90 ; Vivant, Juge et loi du brevet , LITEC, Paris, 1977, n° 63 ; Chavannes et Azéma, op. cit., n° 171 ; De Boissesson, Le droit français de l'arbitrage, n° 498 ; cf. la loi américaine du 27 février 1983 modifiant le droit fédéral des brevets, qui admet l'arbitrabilité des litiges portant sur la validité des brevets, mais par exception, limite dans ce cas les effets de l'annulation aux seules parties, Ch. Lecuyer Thieffry, Un nouveau domaine pour l'arbitrage aux Etats-Unis : la validité et la contrefaçon de brevet, Rev. arb. 1985. 405). Certains auteurs considèrent que la matière est nécessairement non arbitrable, et que l'arbitre doit déclarer son incompétence du seul fait que l'une des parties oppose une défense tirée de l'absence de validité du brevet (en part. Françon, note préc., Rev. arb. 1983. 101 ; Chavannes e t Azéma, op. cit., n° 171 ; P. Ancel,  J.-Cl. Procédure civile, Arbitrage, fasc. 1024, n° 61). Cette analyse doit être rejetée, compte tenu de l'évolution des règles régissant l'arbitrabilité. La nullité de l'arbitrage ne découle pas, en effet, de ce que le litige touche à l'ordre public, mais seulement du constat que l'ordre public a été violé par l'arbitre, ou que la convention d'arbitrage, elle-même, méconnaît l'ordre public (Paris, 15 juin 1956,  JCP  1956. II. 9419 ; Paris, 2 nov. 1965,  JCP  1966. II. 1462 5 ; Paris, 28 avr. 1988, 20 janv. 1989, Rev. arb. 1989. 280, note Idot). Il en résulte que l'arbitre peut vérifier sa compétence en appréciant si l'ordre public est ou n'est pas violé, soit par la convention d'arbitrage qui l'a investi, soit par le contrat litigieux. Appliquée à l'appréciation de la validité du brevet, la règle oblige l'arbitre, saisi d'un moyen de défense tiré de la nullité du brevet, et opposé à une demande fondée sur l'exécution du contrat de licence, à apprécier la validité du brevet. S'il constate cette validité, l'arbitre doit poursuivre sa mission, et juger le litige né du contrat de licence. Si, au contraire, il considère le brevet comme non valable, il doit se déclarer incompétent, ne pouvant prononcer la nullité du breve t (en ce sens, J. Robert et B. Moreau, L'arbitrage, Dalloz, 5 e éd., n° 44). Ainsi, dans ce cas, l'arbitre est juge de l'ordre public et de la validité du brevet, mais il ne peut sanctionner l'illicite, et prononcer la nullité qui en résulte (en ce sens, P. Mayer, l'arbitre et le contrat, le contrat illicite, Rev. arb., 1984. 205). Si, en revanche, la convention d'arbitrage investit l'arbitre de la mission principale de se prononcer sur la validité du brevet, celle-ci est nulle, car elle oblige l'arbitre à juger une matière non arbitrable. En conclusion, les arbitres ne sont pas incompétents dès l'instant que le litige porte sur la validité du brevet, mais seulement lorsqu'ils doivent prononcer sa nullité. Mots clés : PROPRIETE INDUSTRIELLE * Brevet d'invention * Arbitrage ARBITRAGE * Clause compromissoire * Litige arbitrable * Brevet d'invention Copyright 2015 - Dalloz – Tous droits réservés

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http://slidepdf.com/reader/full/arbitrage-interne-brevet-arbitrabilite-des-litiges-nes-de-lexecution 1/1

RTD Com.

RTD Com. 1993 p. 293

Arbitrage interne. Brevet, Arbitrabilité des litiges nés de l'exécution d'un contrat de licence de brevet et ne portantpas sur la validité du brevet(Paris, 3 févr. 1992, PIBD 1992. III. 359)

Jean-Claude Dubarry, Professeur à l'Institut de droit des affaires ; Avocat à la CourEric Loquin, Professeur à l'université de Bourgogne ; Doyen de la faculté de droit de Dijon

 

Le droit des brevets a longtemps été considéré comme une forteresse hermétique à l'arbitrage. La jurisprudence, sur lefondement de l'article 68 de la loi du 2 janvier 1968, avait en effet jugé que le texte, en attribuant l'ensemble ducontentieux né de la loi aux tribunaux de grande instance, réservait à ces seules juridictions la connaissance des litigesintéressant les brevets d'inventions, à l'exclusion de toute autre, fût-elle arbitrale (Paris, 6 nov. 1971, D. 1972. 342, noteJ. Robe rt, Com. 18 no v. 1975,  JCP  1977. 342, note Santa Croce, Rev. arb., 1976. 110, note J. Robert). La loi du 13 juillet1978 a modifié l'article 68 (actue l article 615-17 du Code de la propriété intellectuelle), en a joutant que « ces dispos itionsne font pas obstacle au recours à l'arbitrage dans les conditions prévues aux articles 2059 et 2060 du code civil ». Commel'a montré M. B. Oppetit, « le législateur a dissocié la question de l'arbitrabilité du litige de celle de l'attribution de lacompétence judiciaire, en la réintégrant dans le droit commun de l'arbitrage » (l'arbitrage en matière de breve t d'inventionaprès la loi du 13 juillet 1978, Rev. arb.,  1979. 83, également Chavannes et Azéma, le nouveau régime des brevetsd'invention : la loi du 13 juillet 1978, Sirey 1979, n° 170). Mais, la loi n'a pas pour autant ouvert totalement la matière desbrevets à l'arbitrage. Les litiges nés de la loi du 2 janvier 1968 ne sont arbitrables que si la matière porte sur des droitsdont les parties o nt la libre dispos ition (art. 2059 C. civ.), ou si celle-ci n'intéres se pas l'ordre pub lic (art. 2060, C. civ.).

L'arrêt commenté offre une bonne illustration de la problématique nouvelle. La Cour d'appel de Paris a jugé, en effet que« le litige ne portant pas sur la validité du brevet, mais sur l'exécution d'un contrat de licence, ne concerne pas l'ordrepublic, et qu'en conséquence la clause compromissoire insérée au contrat peut produire ses effets, dès lors que la validitédu brevet n'est pas en cause ». La solution n'est pas nouvelle (cf. Paris, 15 juin 1981, Rev. arb.  1983. 89, note A.Françon). Il est certain que les litiges portant sur l'exécution du contrat de licence, en particulier le paiement desredevances, n'intéressent pas l'ordre public au sens de l'article 2060 du code civil. La matière est alors arbitrable.

C'est la restriction apportée par l'arrêt qui mérite d'être discutée. La contestation de la validité du brevet interdirait auxarbitres de juger. Il est b ien établi que la validité du b revet intéresse l'ordre public, dès lors que l'article 50 bis de la loi de1968 (actuel art. 613-27 du code de la propriété intellectuelle), dispose que « la décision d'annulation d'un brevetd'invention a un effet absolu sous réserve de la tierce opposition ». Les commentateurs de la loi ont mis l'accent surl'infirmité de l'arbitrage à cet éga rd : comment concevoir qu'un juge privé puisse rendre une décision sus ceptible de po rteratteinte aux droits de s tiers ? (en ce sens B. Oppe tit, préc., p. 90 ; Vivant, Juge et loi du brevet , LITEC, Paris, 1977, n° 63 ;Chavannes et Azéma, op. cit., n° 171 ; De Boissesson, Le droit français de l'arbitrage, n° 498 ; cf. la loi américaine du 27février 1983 modifiant le droit fédéral des brevets, qui admet l'arbitrabilité des litiges portant sur la validité des brevets,mais par exception, limite dans ce cas les effets de l'annulation aux seules parties, Ch. Lecuyer Thieffry, Un nouveaudomaine pour l'arbitrage aux Etats-Unis : la validité et la contrefaçon de brevet, Rev. arb. 1985. 405).

Certains auteurs considèrent que la matière est nécessairement non arbitrable, et que l'arbitre doit déclarer sonincompétence du seul fait que l'une des parties oppose une défense tirée de l'absence de validité du brevet (en part.Françon, note préc., Rev. arb. 1983. 101 ; Chavannes e t Azéma, op. cit., n° 171 ; P. Ancel,  J.-Cl. Procédure civile, Arbitrage,fasc. 1024, n° 61). Cette analyse doit être rejetée, compte tenu de l'évolution des règles régissant l'arbitrabilité. La nullitéde l'arbitrage ne découle pas, en effet, de ce que le litige touche à l'ordre public, mais seulement du constat que l'ordrepublic a été violé par l'arbitre, ou que la convention d'arbitrage, elle-même, méconnaît l'ordre public (Paris, 15 juin 1956,

 JCP  1956. II. 9419 ; Paris, 2 nov. 1965, JCP  1966. II. 14625 ; Pa ris, 28 avr. 1988, 20 janv. 1989, Rev. arb. 1989. 280, noteIdot). Il en résulte que l'arbitre peut vérifier sa compétence en appréciant si l'ordre public est ou n'est pas violé, soit parla convention d'arbitrage qui l'a investi, soit par le contrat litigieux. Appliquée à l'appréciation de la validité du brevet, larègle oblige l'arbitre, saisi d'un moyen de défense tiré de la nullité du brevet, et opposé à une demande fondée surl'exécution du contrat de licence, à apprécier la validité du brevet. S'il constate cette validité, l'arbitre doit poursuivre samission, et juger le litige né du contrat de licence. Si, au contraire, il considère le brevet comme non valable, il doit se

déclarer incompétent, ne pouvant prononcer la nullité du breve t (en ce sens, J. Robert et B. Moreau, L'arbitrage, Dalloz, 5e

éd., n° 44).

Ainsi, dans ce cas, l'arbitre est juge de l'ordre public et de la validité du brevet, mais il ne peut sanctionner l'illicite, etprononcer la nu llité qui en résulte (en ce s ens , P. Mayer, l'arbitre e t le contrat, le contrat illicite, Rev. arb., 1984. 205).

Si, en revanche, la convention d'arbitrage investit l'arbitre de la mission principale de se prononcer sur la validité dubrevet, celle-ci est nulle, car elle oblige l'arbitre à juge r une matière non arbitrable. En conclusion, les arbitres ne son t pasincompétents dès l'instant que le litige porte sur la validité du brevet, mais seulement lorsqu'ils doivent prononcer sanullité.

Mots clés :PROPRIETE INDUSTRIELLE * Brevet d'invention * ArbitrageARBITRAGE * Clause compromisso ire * Litige a rbitrable * Brevet d'invention

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