Apport des thérapies cognitivo-comportementales dans le sevrage tabagique

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Rev Mal Respir 2007 ; 24 : 171-82 © 2007 SPLF. Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservésDoi : 10.1019/2006216

Série « Tabacologie »Coordonnée par C. Raherison et P. Carré

Apport des thérapies cognitivo-comportementales dans le sevrage tabagique

P. Guichenez 1, I. Clauzel 1, C. Cungi 2, X. Quantin 3, P. Godard 3, A.M. Clauzel 4

Résumé

Introduction Les thérapies comportementales se sont dévelop-pées à partir des principes pavloviens puis skinnériens del’apprentissage. Elles se sont enrichies récemment des connais-sances sur le traitement de l’information, processus qui organisela perception des événements. C’est pour ces deux raisons queces thérapies sont appelées thérapies comportementales etcognitives (TCC). Elles ont maintenant acquis une place de choixdans le traitement des addictions et donc du tabagisme. Les TCC,telles qu’elles sont envisagées actuellement, sont plus riches depromesse car elles s’appuient sur une restructuration cognitiveassociée à un apprentissage d’autres comportements, en suivantune progression propre à la dynamique de changement du fumeur.État des connaissances Ces thérapies ont été récemmentreconnues d’efficacité de grade A par l’Inserm et elles peuventêtre conseillées à tout sujet décidé à s’arrêter en premièreintention. L’instauration d’un rapport collaboratif et l’attitude duthérapeute sont fondamentales. Elles peuvent être employéeslors des trois phases de l’arrêt : la préparation, le sevrage, laprévention de la rechute. L’analyse fonctionnelle personnaliséepermet de proposer au patient une prise en charge optimisée enassociant des techniques comportementales et surtout cogniti-ves. L’idéal est d’associer une approche pharmacologique etune approche cognitivo-comportementale optimisée.Perspectives La prise en charge des patients tabagiques a évo-lué avec la compréhension d’une problématique plus complexeassociant souvent des comorbidités anxiodépressives et des co-addictions. Tabacologues, psychiatres, thérapeutes cognitivo-comportementalistes et addictologues doivent travailler ensembleà l’avenir, notamment dans le cadre de protocoles de recherche.Conclusions Les thérapies comportementales et cognitives sontdes techniques utiles pour le patient dans l’optimisation et la per-sonnalisation de la prise en charge, notamment dans la préven-tion de la rechute. Cependant l’évaluation des TCC estméthodologiquement difficile et il y a peu d’études évaluant lesTCC seules. Par contre, les TCC sont efficaces en cas de comorbi-dité anxieuse, dépressive ou de co-addictions que l’on retrouvede plus en plus souvent dans les consultations de tabacologie.Mots-clés : Sevrage tabagique • Thérapies comportementales et cognitives • Rechute • Entretien motivationnel • Anxiété et dépression.

Correspondance : P. Guichenez Centre de tabacologie, Centre hospitalier, 2 rue Valentin Haüy, 34525 Béziers Cedex.

1 Centre de tabacologie, Centre hospitalier, Béziers, France.2 Psychiatre, Rumilly, France.3 Service des maladies respiratoires, Hôpital Arnaud de Villeneuve,

CHU, Montpellier, France.4 Association vivre sans fumer, Montpellier, France.

[email protected]

Réception version princeps à la Revue : 10.11.2005. Retour aux auteurs pour révision : 03.01.2006. Réception 1ére version révisée : 10.04.2006. Retour aux auteurs pour révision : 18.05.2006. Réception 2e version révisée : 10.08.2006. Retour aux auteurs pour révision : 11.08.2006. Acceptation définitive : 10.11.2006.

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[email protected]

Summary

Introduction Behavioural therapies have been developed on thebasis of Pavlov’s and Skinner’s learning theories. They haverecently benefited from advances in the understanding of infor-mation handling and the organisation of perceptions of experi-ence. It is for these two reasons that these treatments are calledcognitive behaviour therapies (CBT). They have now achieved animportant role in the treatment of addictions including tobaccosmoking. Currently CBT’s are seen as promising because theyrely on cognitive restructuring combined with learning of newbehaviour while following a process appropriate to the changingdynamic of the smoker.

Background They have recently been recognised as of grade Aeffectiveness by the French Institute of Medical Research andmay be recommended to all smokers whose primary intention isto stop. The establishment of a collaborative rapport and a thera-peutic attitude are essential. They may be used during the threestages of cessation: preparation, stopping, and the prevention ofrelapse. A personalised functional analysis provides the patientwith a management program using behavioural and, above all,cognitive techniques. The ideal is to combine a pharmacologicaland an optimised cognitive-behavioural approach.

Viewpoint The management of smoking patients has advancedwith the understanding of a very complex problem, often associ-ated with anxiety-depressive co-morbidities and other addic-tions. Tobacco specialists, psychiatrists, cognitive-behaviouraltherapists and addiction therapists must work together in thefuture, particularly in respect of research protocols.

Conclusions Cognitive-behavioural therapy is a useful tech-nique in the personalisation and optimisation of management ofthe patient, particularly in the prevention of relapse. However,the evaluation of CBT is difficult methodologically and there arefew studies evaluating CBT alone. On the other hand, CBT iseffective, particularly where there are anxiety or depressive co-morbidities or other addictions that are found more and morefrequently during consultations for tobacco smoking.

Key-words: Smoking cessation • Cognitive behavioural therapy • Relapse • Maintenance motivationnel • Anxiety and depression.

The contribution of cognitive-behavioural therapies to smoking cessationP. Guichenez, I. Clauzel, C. Cungi, X. Quantin, P. Godard, A. M. Clauzel

es thérapies comportementales sont issues de la théo-rie de l’apprentissage et des méthodes pédagogiques depuis ledébut du siècle [1]. Elles ont pour objectif de modifier lescomportements pathologiques souvent invalidants présentéspar les patients et de développer de nouveaux comportementsmieux adaptés pour la santé. La thérapie cognitive est baséesur la théorie du traitement de l’information. Apparue à partirdes années soixante-dix [2], la thérapie cognitive apporte ladimension psychologique indispensable pour mieux com-prendre et traiter les problèmes de nos patients. La thérapiecomportementale et cognitive (TCC) associe les deux appro-ches. Elle a fait l’objet de nombreuses études de validationpour les troubles anxieux et dépressifs, les troubles psychoti-ques. Les résultats des thérapies comportementales employéesisolément, des psychothérapies de groupe ou individuelles,des méthodes audiovisuelles, des plans de cinq jours sontmodestes. Les TCC sont plus riches de promesses. Elles sontactuellement recommandées pour le traitement des dépen-dances et donc pour le tabagisme [1, 2] et sont reconnuesd’efficacité de grade A par l’Inserm [3]. Concrètes et prati-ques, elles peuvent être mises en place par les pneumologueset les tabacologues.

Bases des thérapies comportementales

et cognitives

Les thérapies comportementales

Les thérapies comportementales font référence aumodèle expérimental de Claude Bernard. Un exemple per-mettra de mieux comprendre, celui de l’analyse comporte-mentale d’une cigarette « mieux se concentrer » pour unepatiente tabagique (fig. 1). Mise en place à partir des travauxde Pavlov [4] sur le conditionnement répondant et de Skin-ner sur le conditionnement opérant [5], elles visent à modi-fier les comportements problèmes par apprentissage denouveaux comportements incompatibles avec les premiers oumieux adaptés. La relaxation par exemple est un comporte-ment incompatible avec l’anxiété ou l’irritabilité, puisqu’iln’est possible de développer qu’une seule émotion à la fois. Siun patient apprend à se relaxer, dans le moment où il estrelaxé, il n’est plus irritable ou anxieux. En pratique à partird’une analyse comportementale précise des problèmes, met-tant en évidence les boucles de renforcements, un médecinpeut proposer à son patient des méthodes pour faire face endéveloppant des activités incompatibles ou mieux adaptées.La théorie de l’apprentissage social développée par Bandura[6], qui insiste sur l’importance des modèles fait le lien avecles thérapies cognitives plus récentes que nous présentonsplus loin dans cet article. Le modèle de la prévention de la

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rechute selon Marlatt et Gordon [7] en est un des apportsprincipaux.

Les thérapies cognitives

Les émotions, les pensées et les comportements sont eninteraction permanente (fig. 2). Depuis les travaux de Becksur la dépression et les troubles anxieux, on sait que certainespensées ont tendance à apparaître rapidement de manièreautomatique. Elles sont situées à la périphérie de la cons-cience. Ces pensées automatiques consistent en « un dialogueintérieur » qui reflète les émotions. Elles représentent la voied’accès vers les structures profondes que sont les schémascognitifs [2, 8]. Le modèle du traitement de l’informationconsidère les notions d’informations, de schémas, de proces-sus, de pensées automatiques, d’émotions, de comportementset de conséquences. Les informations sont perçues à travers lefiltre des schémas qui correspondent à des croyances profon-des, attribuant un effet particulier et indiscutable au tabac.Il s’agit d’un processus aboutissant à des pensées automati-ques correspondant à des émotions et des comportementsdont les conséquences renforcent les schémas. L’exemple sui-

vant illustre le propos (fig. 3). Les conséquences renforcent lacroyance correspondant au schéma : « Sans fumer je ne peuxpas passer une bonne soirée ».

En pratique, les traitements font appel aux modèlescomportementaux et à la thérapie cognitive de Beck. Ils sontappliqués en suivant la théorie des stades de Prochaska etDi clemente (fig. 4). Ce modèle de changement nommétransthéorique décrit les étapes et les processus naturels parlesquels passe tout fumeur avant l’arrêt complet de son taba-gisme [9].

Travail à faire sur l’ordinateur

Stress Je fume une cigarette

Calme et meilleure concentration

Effet renforçant de la cigarette

Fig. 1.

Analyse comportementale d’une cigarette.

Situation

Émotions

Comportement

Pensées

Fig. 2.

Interaction permanente entre les émotions, les pensées et lescomportements.

Information:Soirée entre amis, tout le monde fume

Schéma : Sans fumer je ne peux pas passer une bonne soirée

Pensée automatique :Allez j’en allume une !

Emotion :

Plaisir

Comportement :J’allume une cigarette

Conséquences :Plaisir, renforcement social

Fig. 3.

Le modèle du traitement de l’information : base théorique del’approche cognitive.

Arrête

définitivement

Aide

Action

Maturation

Fumeur

"Heureux"

Décide

d'essayer

Essaie

d'arrêter

Arrête

Rec

omm

ence

Fig. 4.

Stade de Prochaska et Diclemente.

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Le modèle PADIM reprend les grandes lignes

du modèle de Prochaska et Di Clemente

(tableau I) [10]

Les étapes du changement qui font passer un sujet del’état de fumeur à non-fumeur peuvent être comprises à tra-vers ce modèle qui reprend les besoins nécessaires de l’indi-vidu pour évoluer dans un processus de changement [10].Cette technique proposée par Miller et Rollnick repose sur lapsychologie de la motivation [11].

Applications des TCC pour le sevrage

tabagique

Les TCC sont des thérapies brèves, ciblées sur un oudes comportements problèmes. Elles sont structurées et limi-tées dans le temps par un nombre de séances (de 10 à 25).Après un rapport collaboratif, une analyse fonctionnelle estfaite. Celle-ci précise les objectifs thérapeutiques communsentre thérapeute et patient et les méthodes qui serontemployées. Une évaluation est réalisée au début, au milieu età la fin de thérapie ; elle se fait de manière clinique, et à l’aided’échelles ou de questionnaires, dont certains sont spécifi-ques aux TCC [1]. Elle permet de mesurer l’évolution du oudes problèmes au fur et à mesure de la mise en place du trai-tement. Un suivi au moins à six mois, le plus souvent aprèsune ou deux années, permet de vérifier le maintien ou nondu résultat.

• Les thérapies comportementales se fondent sur le conditionnement répondant de Pavlov et le conditionnement opérant de Skinner.• Elles visent à modifier les comportements problème.• Les thérapies cognitives portent sur le traitement de l’information.• Les thérapies comportementales et cognitives sont brèves, ciblées sur un ou des comportements problèmes.

Le rapport collaboratif

Un rapport collaboratif correspond au fait que patient etthérapeute travaillent ensemble pour la compréhension et letraitement des problèmes qui se posent dans la thérapie.Un thérapeute, pour établir cette alliance avec le patient, doitdévelopper des compétences pour être empathique (centré surla réalité que vit le patient), authentique (pouvoir se sentir àl’aise avec le patient, la situation clinique et ses propres émo-tions, sentiments et pensées), chaleureux (trouver le patientsympathique). Il doit également être professionnel, autrementdit disposer d’un statut et de compétences. Un bon entraîne-ment aux techniques d’entretien [12] facilite considérable-ment l’instauration du rapport collaboratif. La méthode des4r en est un bon exemple : savoir conduire la consultation enrecontextualisant, reformulant, résumant et en renforçant.

L’analyse fonctionnelle

La synchronie met en évidence de quelle manière unproblème se maintient ou s’aggrave. En effet, un comporte-ment qui se maintient est un comportement renforcé ; quandil n’est plus renforcé il s’arrête. Cette loi fondamentale mise enévidence par l’école de la modification du comportement(Skinner) a changé la manière de concevoir les problèmes detous les praticiens des TCC. Quand la patiente fume unecigarette, elle se sent détendue et peut mieux se concentrer.Cela augmente la probabilité d’une nouvelle cigarette si untravail nécessitant de l’attention se présente. La méthode descercles vicieux [12] est particulièrement bien adaptée à la syn-chronie (fig. 5). Nous donnons un exemple de synchronie(fig. 6). Dans les problèmes de tabac, les synchronies sont sur-tout construites à partir des « situations à risque de fumer » etgénéralement pour chaque « cigarette type » (cigarette plaisir,cigarette calmante, etc.). Parfois des synchronies sont faitessur d’autres problèmes en relation avec le tabac comme untrouble anxieux ou dépressif et nous savons que cela n’est pasrare en pratique clinique. La diachronie, c’est l’histoire duproblème [12].

• Le thérapeute doit mener la consultation en recontextualisant, reformulant, résumant et en renforçant.

Tableau I.

Le modèle PADIM.

Les étapes du changement

Les positions du fumeur

Posséder l’information « j’ai entendu dire que le tabac est mauvais pour la santé »

Adhérer à l’information « je suis d’accord avec le fait que le tabac est mauvais pour la santé »

Décider le changement « j’ai pris la décision d’arrêter de fumer »

Initier le changement « je viens d’arrêter de fumer »

Maintenir le changement « je ne suis plus fumeur depuis longtemps »

Objectifs Stratégies thérapeutiques

Posséder l’information Information et éducation du fumeur

Adhérer à l’information Entretiens motivationnels

Décider le changement Entretiens motivationnels

Initier le changement Thérapeutiques de sevrage médicamenteuses et/ou Cognitivo-comportementales

Maintenir le changement Prévention des rechutes

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• La diachronie est l’histoire du problème.• La synchronie est l’étude de la manière dont un problème se maintient ou s’aggrave.

Les méthodes thérapeutiques

Les méthodes thérapeutiques sont employées en fonc-tion du stade dans lequel se situe le patient. Si la précontem-plation prédomine, ce seront d’abord les techniques del’entretien motivationnel de Miller et Rollnick [11]. Plustard dans la thérapie ou si la contemplation prédomine, nousutiliserons les méthodes de thérapie comportementales etcognitives avec comme objectifs l’arrêt du tabac en fonctiondes situations à risque, le développement de comportementsalternatifs adéquats remplaçant les conduites addictives etenfin, dès ce stade, les méthodes de prévention de la rechute.Plus tard dans la thérapie, pour le stade de maintenance,toutes ces méthodes seront bien sûr poursuivies et dévelop-pées.

La prise en charge par les techniques de TCC

est intéressante dans le cas d’une diminution

programmée du nombre de cigarettes

Soixante-quatorze pour cent des fumeurs n’envisagentpas d’arrêter dans les 6 prochains mois [13]. De plus certainspatients ont un trouble anxiodépressif sous-jacent ne permet-tant pas un arrêt immédiat [14]. On propose aussi la réduc-tion de la consommation du tabac aux patients se sentantincapables d’y arriver dans l’immédiat, à ceux qui ont déjàéchoué dans leurs tentatives d’arrêt et ont de ce fait perduconfiance, aux patients insuffisamment motivés mais souf-frant d’une pathologie (bronchopneumopathie chroniqueobstructive, pathologies cardiovasculaires) et femmes encein-

tes même si l’arrêt du tabac est toujours le but à atteindre.Cette stratégie permet de réduire durablement leur consom-mation de tabac et qu’elle permet l’accroissement du stade dematuration de la décision d’arrêt et d’induire des arrêts spon-tanés et également favorise la réussite du sevrage lors d’unetentative ultérieure [15]. La stratégie de réduction de la con-sommation de tabac augmente la motivation vers un arrêtcomplet et le pourcentage de tentatives d’arrêt s’améliore avecle niveau de réduction atteint. De plus la réduction de la con-sommation de tabac avec substitution nicotinique est confor-table et réduit les symptômes de manque.

L’entretien de motivation de Miller et Rollnick

(EM)

L’entretien motivationnel aide le patient à : prendreconscience du caractère problématique de ses comporte-ments, à explorer son ambivalence, à déterminer quels chan-gements il souhaite entreprendre tout en respectant et enrenforçant son sentiment de liberté de choix, et à faire lechoix des moyens pour atteindre les objectifs auxquels ilaspire. Les 5 principes des EM sont : exprimer de l’empathie,développer la conscience des contradictions, éviter de débat-tre, composer avec la résistance, renforcer le sentiment d’effi-cacité personnelle. En pratique, le thérapeute pose desquestions ouvertes, pratique l’écoute active, une écoute enécho. Il fait régulièrement des résumés, renforce les proposdu patient qui expriment une motivation au changement.Les pièges auxquels les thérapeutes sont confrontés : le piègedes questions fermées, le piège de la focalisation prématurée,le piège de l’étiquetage et de la confrontation/déni, le piège del’expert… Que faire devant la résistance : rester humble dansl’écoute du patient, refléter seulement ce qu’il dit, refléterl’ambivalence, tenter de pressentir le point de vue du patientsans l’interroger, insister sur la liberté de choix du patient[16].

Situation

déclenchante

Que me passe-t-ilpar l’esprit ?

Quelles sont mes émotions ?

Qu’est ce que je fais, mon comportement ?

Conséquences

Concrètes

Relationnelles

Fig. 5.

La méthode des cercles vicieux bien adaptée à la synchronie.

Situation déclenchante :Coincé dans un embouteillage

Que me passe-t-ilpar l’esprit ?C’est long… J’en ai marre

Quelles sont mes émotions :Irritabilité

Qu’est ce que je fais, mon comportementJe fume une cigarette

Conséquences

Concrètes :agréable, ça fait passer le temps

Relationnelles :aucune

Fig. 6.

Exemple de synchronie.

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L’aide à la prise de décision [12] :

les balances décisionnelles

L’étape décisionnelle repose sur la balance entre les béné-fices et les inconvénients à fumer, et, ceux de cesser ce com-portement. Le fumeur établit, ainsi, une liste des avantages etdes inconvénients de la cigarette ainsi que du sevrage à courtterme et à long terme. Il évalue ensuite, sur une échelle de10 à 100, l’importance de ses arguments. Une première inter-prétation quantitative fait apparaître le côté vers lequel pen-che la balance. Plus les inconvénients pèsent lourd, plus lefumeur projette des bénéfices à l’arrêt du tabac, ce qui va aug-menter sa motivation. Si les avantages prédominent, on dis-cute le bien fondé de telle ou telle proposition. La deuxièmeanalyse fait apparaître que les avantages à fumer sont desbénéfices à court terme alors que les attentes du sevrage vontfaire partie de l’avenir donc plus difficiles à mesurer. Enfin, lesavantages du comportement fumeur vont représenter lesfreins au cours du sevrage. Le cheminement vers la décisiond’arrêt va se poursuivre jusqu’à ce que la balance penche ducôté positif du sevrage.

La restructuration cognitive en fonction

des résultats de l’analyse fonctionnelle

Mise en évidence des pensées automatiques

Les méthodes de restructuration cognitive permettent deprendre conscience des cognitions et émotions avant, pendantet après le comportement problème. Ces cognitions provien-nent de notre inconscient et reflètent nos schémas de base.Les techniques principales utilisées sont la mise en « lumière »des pensées automatiques négatives liées au tabagisme ou à laconfiance en son efficacité personnelle et leur modification enpensées plus réalistes. Ces techniques, utilisent soit laméthode du cercle vicieux, soit la méthode des colonnes deBeck (situation déclenchant la pensée, pensée automatique,émotions (ce que je ressens avec la pensée automatique), com-portement probable) [1, 12]. Voici un exemple de colonne deBeck (tableau II).

Modification des pensées automatiques :

exemple de 5 colonnes de Beck (tableau III) [17]

On utilisera des colonnes de Beck à cinq colonnes repé-rant les situations concrètes qui poussent à consommer letabac, les pensées et les émotions associées à la prise du pro-duit et le pourcentage de croyance, les pensées modifiées oualternatives avec une nouvelle émotion et enfin, des compor-tements modifiés ou alternatifs [18].

Mise en évidence et modifications des erreurs

logiques concernant le tabagisme (tableau IV)

Neuf erreurs logiques entretiennent les difficultésémotionnelles : inférence arbitraire, sur généralisation, abs-traction sélective, personnalisation, la tyrannie des je dois, il

Tableau II.

Un exemple de colonnes de Beck.

Situation Après le repas avec mon fiancé

Émotion joie

Pensées automatiques Il m’en faut uneUne bonne petite cigarette

après le repas, ça fait du bienÇa va m’aider à digérer

Ne penses pas à la maladie, ne te gâches pas ton plaisir

% de croyance 90 %

Tableau III.

Un exemple de colonne de Beck (5 colonnes).

Situation Le matin après le café

Pensées automatiques Pas trop envie d’aller travaillerJe prolongerai bien le petit-déjeuner

par une cigarette

Émotions Anxieux

Pensées alternatives J’en ai marre de perdre mon temps entre les tasses de café

et les cigarettesSi je prends une pastille,je ne pourrai pas fumer

et je ne boirai pas d’autres cafés (d’une pierre deux coups)

Je suis finalement plus détendu sans cigarette et sans café qui est un couple infernal

Émotions avec la pensée modifiée

Plus détendu

Comportement avec la pensée modifiée

Je me récite mon top 4Je prends une pastille

Je ne me ressers pas de café

Tableau IV.

Un exemple de mise en évidence et modification d’erreurs logiques.

Processus Exemples Questions Description de la méthode

Minimalisation « Une seule cigarette, ce n’est pas graveje ne serai pas malade »

Quel est le risque principal, si je ne fais pas attention ?Reprendre ma consommation comme avant

Discuter l’évidence, mettre en réalité les risquesMa consommation va augmenter car je ne peux pas me contrôler.Il y a des risques importants de rechute et donc d’être malade

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faut, la loi du tout ou rien, le raisonnement émotionnel, l’éti-quetage, la minimalisation et maximalisation. Ces dernières seprésentent sous des formes variées comme le montrent cesexemples : un exemple de maximalisation (çà y est, j’en airepris une, c’est foutu), de minimalisation (une seule ciga-rette, cela n’est pas grave), de surgénéralisation « j’ai repris, jesuis nul », de raisonnement émotionnel « je sens que ça vamal tourner », d’inférence arbitraire « mon arrêt du tabac neva pas marcher », de personnalisation « c’est de ma faute si mafemme fume » [17, 18]. À ce stade, un certain nombre detechniques sont nécessaires pour mettre en évidence la distor-sion cognitive et la discuter.

Mise en évidence et modification des croyances

de base accordant un effet particulier indiscutable

au tabac (tableau V) [17]

Les postulats ou schémas orientent notre façon de perce-voir, de penser et d’agir. Le pointage des thèmes communs etrépétitifs aux différentes pensées automatiques donne desindications pour déterminer les schémas. La technique de laflèche descendante décrite par Beck consiste, à partir d’unepensée automatique, à répéter plusieurs fois la question« qu’est-ce cela représente pour vous ? » ou « si le pire se réa-lise quelle en est la conséquence ? » [1]. En posant plusieursfois la question, le schéma cognitif se suractive, produit plu-sieurs cognitions erronées et la croyance de base apparaît leplus souvent.

L’apprentissage de nouveaux comportements,

en fonction des résultats de l’analyse

fonctionnelle

Elle est orientée vers le contrôle émotionnel et la recher-che de comportements alternatifs afin de gérer au mieux lessituations à risque de rechute [12]. En fonction des résultatsde l’analyse fonctionnelle, différentes techniques pourrontêtre utilisées, notamment le contrôle du stimulus, la relaxa-tion et la désensibilisation en imagination (elle consiste à

s’imaginer, après relaxation, avoir une conduite alternative aucomportement tabagique dans une situation à haut risque,puis à penser à une action agréable ou incompatible, tout enmaintenant bien la relaxation) ou en réalité, la recherche decomportements alternatifs comme par exemple respirer pro-fondément lors d’une situation stressante, la technique de larésolution de problèmes. Les techniques d’affirmation de soiou de gestion du stress sont souvent utiles car l’addiction peutcacher une anxiété de type social et parfois une mauvaise ges-tion de son temps et de ses émotions [12].

Les techniques aversives

Elles posent des questions d’éthique et des risques soma-tiques et ne doivent plus être utilisées [19]. Leur efficacité àcourt terme avec 25 à 30 % de succès est plus discutée à longterme [19]. L’aversion est en jeu lorsqu’un stimulus déplaisantest présenté comme la conséquence d’un comportement misen œuvre par un individu et qu’il diminue l’intensité ou lafréquence de ce comportement. Elles consistent à associer leproduit consommé ou les conditions de sa prise à un stimulusaversif. Lorsqu’un stimulus déplaisant constitue la consé-quence d’un comportement, il diminue l’intensité ou la fré-quence de ce comportement. Ces techniques sont détailléesdans la revue de la littérature de Lefoll [19] qui décrit l’aver-sion physique, pharmacologique, et par modification dumode de consommation de cigarettes. Elles sont toutes issuesdes principes du conditionnement répondant [1].

L’extinction

L’extinction consiste à exposer le patient aux situationsdéclenchant l’envie de consommer sans la possibilité de lefaire ou bien accompagnées de la prise d’un produit neutre.Ces techniques sont efficaces pour l’alcool mais n’ont pas étéévaluées pour le tabac [12].

Le contrôle du stimulus

Il s’agit de stratégies ayant pour but de supprimer oud’éteindre les conditionnements [12]. La première étape ducontrôle du stimulus est de bien mettre en évidence les situa-tions à haut risque. La deuxième étape est d’explorer lesmanières dont elles sont évitables : description de la situationà haut risque, quelles sont les alternatives possibles à la situa-tion à haut risque, quels sont les moyens à prendre pour met-tre en place ces alternatives, bien préparer et tester cesalternatives, mise en place des moyens et résultats [12].Les différentes stratégies de contrôle du stimulus sont l’évite-ment (exemple : éviter le contact des fumeurs et des fêtes dansun premier temps), la substitution (exemple : apéritif nonalcoolisé remplace un apéritif alcoolisé) et le changement(exemple : modifier la situation déclenchante comme prendreson café dans un autre endroit…) [20].

Tableau V.

Un exemple de mise en évidence et modification des croyances debase.

Croyance Croyance modifiée Action

« fumer est indispensable pour se calmer quand on est énervé »

Fumer peut être une solution mais elle n’est pas si pratique que ça.Les méthodes de relaxation sont aussi efficaces, plus simples et moins nuisibles

Se relaxer régulièrementAnticiper en sachant un peu à l’avance quand on va s’énerver pour ne pas se précipiter sur la cigarette et se donner plusieurs choix comme la relaxation, les pastilles, écouter de la musique

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Ce qui facilite l’apprentissage

de nouveaux comportements

Les tâches entre les séances

La mise en pratique des comportements étudiés en séan-ces est indispensable afin de favoriser la généralisation del’application des méthodes apprises durant les séances.

La pratique de la relaxation

L’apprentissage de la relaxation en situation est uneméthode utile dans les problèmes d’addiction car le manquestimule souvent l’irritabilité, l’angoisse, le sentiment d’urgence.De nombreuses rechutes sont en rapport avec des émotionsnégatives. Cungi conseille d’apprendre une manœuvre vagale,de savoir se relaxer rapidement à l’aide de cette manœuvrevagale et de désensibiliser les situations problèmes [12].

L’apprentissage de la résolution de problème

La résolution de problème est bien codifiée : faire uneliste des problèmes principaux et les hiérarchiser, choisir leproblème le plus urgent à traiter, rechercher toutes les solu-tions possibles à ce problème, choisir une solution et évaluerles moyens nécessaires, tester ces moyens, mettre en route lasolution et évaluer les résultats [12]. L’odd ratio pour la tech-nique de résolution de problème est de 1,5 (1,3-1,8) [21].

L’affirmation de soi

La consommation de tabac et d’autres produits commel’alcool sont reliés à des situations relationnelles. L’affirmationde soi donne de meilleurs moyens pour améliorer les problè-mes de communication et pour la prise en charge d’une pho-bie sociale fréquemment retrouvée dans les consultations detabacologie [22]. Ces techniques s’adressent à des patients quiprésentent une peur irrationnelle, persistante des situationsoù ils sont exposés à l’éventuelle observation attentive d’autrui[23]. Lagrue a bien mis en évidence la fréquence des phobiessociales avec environ 10 % des consultants à qui est proposéun groupe d’affirmation de soi. L’objectif est d’acquérir desstratégies de communication sans avoir recours à la cigarette[22].

• Les méthodes thérapeutiques employées dépendent du stade : entretien motivationnel, puis thérapie comportementale et cognitive et prévention de la rechute.• La stratégie de réduction de la consommation augmente la motivation vers un arrêt complet.• Les cinq principes des entretiens de motivation sont : exprimer de l’empathie, développer la conscience des contradictions, éviter de débattre, composer avec la résistance, renforcer le sentiment d’efficacité personnelle.

• La prise de décision repose sur la balance entre les bénéfices et les inconvénients à fumer, et ceux de cesser ce comportement.• La restructuration cognitive permet de prendre conscience des cognitions et émotions avant, pendant et après le comportement problème.• L’apprentissage de nouveaux comportements dépend des résultats de l’analyse fonctionnelle.

Conduite à tenir devant une rechute

Le modèle de prévention de la rechute

au cours du sevrage

Le modèle de la PR insiste sur le repérage des situationsà haut risque (SHR), de la façon de faire face à ces situations,de l’importance des facteurs cognitifs, particulièrement dansle manque de motivation des patients. Il faut souligner deuxnotions importantes [1] : l’effet de violation de l’abstinence(AVE) qui est un processus cognitif émotionnel et comporte-mental se mettant en place entre la première reprise de la ciga-rette et la rechute totale et les AIDs « Apparently irrevelantsDécisions » (des petites décisions apparemment sans rapportavec cette reprise) mais favorisant l’exposition à une SHR.Des techniques pour la PR sont décrites avec la modélisationde la rechute selon qu’il y a une réponse adaptée entraînantun renforcement de l’efficacité personnelle et une diminutiondu risque de rechute ou aucune réponse adaptée entraînantune diminution du sentiment d’efficacité personnelle, uneattente de résultat et une rechute avec violation de l’absti-nence [7]. La rechute est la règle. Un fumeur effectue enmoyenne 4 rechutes avant un arrêt définitif [12]. Le contextedes rechutes est variable : reprise brutale (flash), reprise beau-coup plus progressive avec une prise puis une deuxième puisune troisième conduisant insidieusement à une rechute com-plète, ou rechute totalement imprévisible et surprenante.

Quel est le contexte de la première reprise

du comportement tabagique (chute)

Il est nécessaire de :– repérer les SHR ;– trouver des solutions adaptées et par conséquent les moyensd’affronter ces situations ;– demeurer vigilant sur les petites décisions prises, apparem-ment indépendantes de la cigarette, mais favorisant à termel’exposition au risque, comme se retrouver tous les jours aucafé avec les amis fumeurs ;– prévenir l’AVE, pièges dans lequel on tombe en minimisant(aujourd’hui, c’est la fête, j’en fume une, demain j’arrête) ouen maximalisant (j’en ai repris une, c’est foutu) et prendreconscience de ses pensées automatiques et de ses émotions ex-primant le manque de motivation et les prétextes à la rechute.

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Apport des thérapies cognitivo-comportementales dans le sevrage tabagique

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Comment cette première reprise aboutit-elle

au comportement tabagique complet ?

Les pensées minimisantes et maximalisantes confortentle fumeur dans le bien fondé de sa reprise de cigarette et de saviolation de l’abstinence [12].

Fréquence et évaluation des troubles

anxieux et dépressifs dans la dépendance

tabagique pouvant bénéficier des TCC

Leur fréquence

La fréquence et la difficulté de prise en charge des trou-bles anxio-dépressifs sont soulignées. Dans une série de517 consultants dont une majorité avait une dépendancephysique forte, 34 % des patients ont bénéficié d’un traite-ment antidépresseur de type IRS [24].

Comment les évaluer ?

Par la recherche d’antécédents de troubles anxieux et/oude dépression, notamment d’état dépressif majeur. Il estdépisté sur les signes de ces pathologies selon les critères duDSM IV et on en évalue l’intensité avec le test HAD (hospitalanxiety depression scale). Si ce test est perturbé, avec notam-ment la moyenne du score d’anxiété et/ou de dépression supé-rieure ou égale à 8, le bilan peut être complété par d’autrestests notamment le questionnaire de Beck en 13 items (BDI :Beck depression inventory – forme abrégée) et la « mini-interview » structurée (DSM IV) permettant de mieux préci-ser les troubles anxieux fréquemment associés au tabagisme.Des tests d’identification des tempéraments affectifs d’Akiskalet Hantouche et le test de Angst permettent de discerner destroubles bipolaires dans leur forme atténuée ou majeure. Cestroubles sont très fréquents chez les consultants des centresspécialisés en tabacologie En cas de trouble anxieux et/oudépressifs, l’apport des TCC pour leur prise en charge spécifi-que peut être utile [25].

• Il faut rechercher des antécédents de troubles anxieux et/ou dépressifs.• Les TCC peuvent être utiles pour prendre en charge des troubles anxieux et/ou dépressifs.

Évaluation des TCC dans le sevrage

tabagique

Dans des populations générales

L’efficacité des TCC a été démontrée par de nombreusesétudes. Elle est conseillée en première intention pour tout

candidat au sevrage en association avec les autres techniquesvalidées [24]. Les résultats peuvent être exprimés en Odd ratioou en taux d’abstinence estimé après 6 mois de suivi(tableau VI) [19, 21]. L’utilisation des TCC permet de multi-plier par 2 le taux d’abstinence tabagique à 6 mois (niveau depreuve 1). Dans la plupart des méta-analyses, le taux de réus-site à 6 mois était de 20 à 25 % [19, 21]. Pour Le Foll, chaquestratégie réalisée isolement a un certain degré d’efficacité qu’ilest difficile de dépasser si la technique est utilisée isolement[19]. L’idéal est d’associer différentes techniques, notammentpharmacologiques, et une approche cognitivo-comportemen-tale optimisée.

Les TCC sont complémentaires de la prise en chargepharmacologique dans la prévention des symptômes desevrage. Le plus souvent, les patients bénéficient d’un traite-ment de substitution nicotinique associé : dans une étuderandomisée concernant 223 patients hospitalisés, l’efficacitédes TCC associée à une substitution nicotinique versus le con-seil minimum a été observée (Odd ratio : 1,7 ; IC à 95 % :1,1-2,7) [26]. Une étude retrouve des taux d’abstinence à3 mois significativement supérieurs, quand on associe la théra-pie comportementale à la substitution nicotinique, comparéesà la thérapie comportementale seule (79 % contre 63 %) [27].Richmond conclut que les substituts nicotiniques associésaux TCC doublent les résultats de l’abstinence à 1 an par rap-port au placebo (19 % vs 9 %) [28]. Une étude récente a étu-dié l’efficacité de la combinaison de TCC avec des substituts

Tableau VI.

Efficacité de différentes stratégies thérapeutiques dans l’aide àl’arrêt du tabac après 6 mois de suivi. Les résultats sont exprimésen Odd Ratio et en taux d’abstinence estimé (Méta-analyse deFiore).

Type d’intervention Odd ratio estimé

(IC95 %)

Taux d’abstinence

estimé (IC95 %)

Aucune 1,0 11,2

Relaxation etexercices respiratoires

1,0(0,7-1,3) 10,8 (7,9-13,8)

Contrats 1,0(0,7-1,4) 11,2 (7,8-14,6)

Régime alimentaire 1,0(0,8-1,3) 11,2 (7,8-14,6)

Réduction des dosesde nicotine

1,1(0,8-1,5) 11,8 (8,4-15,3)

Gestion des affects 1,2(0,8-1,9) 13,6 (8,7-18,5)

Soutien lors de la thérapie 1,3(1,1-1,6) 14,4 (12,3-16,5)

Soutien à l’extérieurde la thérapie

1,5(1,1-2,1) 16,2 (11,8-20,6)

Résolution de problèmes 1,5(1,3-1,8) 16,2 (14,0-18,5)

Fume rapide 2,0(1,1-3,5) 19,9 (11,2-29,0)

Autre techniqueaversive de fume

1,7(1,04-2,8) 17,7 (11,2-24,9)

Thérapie individuelle 1,7(1,4-2,0) 16,8 (14,7-19,1)

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nicotiniques dans un programme sur 5 ans. L’abstinence à5 ans était de 58,5 % et, pour ceux qui poursuivaient leurtabagisme, leur consommation était divisée par 7 mais il n’yavait pas d’analyse de marqueurs du tabagisme [29]. LesTCC associées au bupropion ont été jugées efficaces chez desschizophrènes [30]. L’apport de la fluoxétine aux TCC dansune étude multicentrique donne des résultats non significa-tifs [31]. Pour Hall, une intervention « psychologique » amé-liore l’efficacité des antidépresseurs et l’abstinence tabagique[32].

Les TCC sont utiles dans la gestion optimale

des troubles de l’humeur

Troubles anxieux

La phobie sociale peut être prise en charge spécifique-ment par TCC, permettant un sevrage plus aisé [33]. LesTCC permettent de réaliser plusieurs analyses fonctionnellessur le trouble anxieux et le tabagisme, permettant une straté-gie optimalisée. De même, le trouble anxieux généralisé estretrouvé dans 10 % d’une consultation de tabacologie et peutêtre pris en charge par TCC, de même que les attaques depanique [34].

Troubles dépressifs

Dans une enquête épidémiologique, la dépression estplus fréquente chez les fumeurs que chez les non-fumeurs(6,6 % vs 2,9 %), et les fumeurs ayant des antécédents dedépression (prévalence sur la vie entière) ont significativementmoins de chances de s’arrêter de fumer que les sujets sansantécédents dépressifs (14 % vs 28 %) [35]. La corrélationentre tabagisme et dépression majeure est plus forte s’il existeune dépendance à la nicotine. Il semble admis que le taba-gisme permet à certains sujets de contrôler leurs troublesdépressifs, et à l’inverse provoque chez certains sujets des trou-bles anxieux qui s’améliorent à l’arrêt du tabac. Les TCC aug-mentent le taux d’abstinence chez les fumeurs avecantécédents de dépression [36]. Une autre étude analysant lanortriptyline et les TCC confirme l’efficacité des TCC en casd’antécédents de dépression [37]. L’apparition d’un étatdépressif majeur dans l’évolution d’un sevrage est bien décritedans la littérature et conforte l’expérience des tabacologues[38].

Co-addictions

L’efficacité des TCC a été montrée chez les fumeurs avecATCD d’alcoolisme ou de dépression [39]. Les TCC sontégalement utiles afin de réaliser plusieurs analyses fonction-nelles en cas de co-addictions avec l’alcool et le cannabis per-mettant une prise en charge optimisée [33].

• Les TCC sont efficaces dans le sevrage tabagique.• Leur efficacité peut être optimisée en y associant d’autres modalités thérapeutiques, notamment pharmacologiques.

• Les TCC sont utiles dans les troubles de l’humeur et les co-addictions.• L’idéal est d’associer une approche pharmacologique et une approche cognitivo-comportementale optimisée.

Quels outils le pneumologue

peut-il utiliser ?

Certains aspects des TCC peuvent être réalisés par lepneumologue. L’abord d’un comportement tabagique est fon-damentalement différent de celui des pathologies médicales.Le style relationnel collaboratif et l’entretien motivationnelpeuvent être réalisés. L’analyse fonctionnelle est à rapprocherdes méthodes diagnostiques. On ne peut traiter que si le dia-gnostic est correct, et il en est de même avec le tabagisme.Les prises en charge ne peuvent se faire que si l’on connaît lesliens que le fumeur a tissés avec sa cigarette. La réalisation decercles vicieux pour réaliser l’analyse fonctionnelle permet derepérer les pensées automatiques, que l’on pourra discuterensuite. L’aide à la décision est facilitée par les balances déci-sionnelles. Ce travail méthodique, associé à la résolution deproblème en cas de difficulté, permet souvent de prévenir lesreprises de cigarette [40].

Pour faciliter la tâche du pneumologue, on conseille :– que les consultations de sevrage soient différenciées des con-sultations de pneumologie ;– qu’un suivi soit programmé avec le patient après lui avoir ex-pliqué le processus de changement ;– d’avoir des outils de mesure de l’abstinence : CO, journal deconsommation, troubles de l’humeur ;– la proposition de mettre en place entre les consultations lesnouveaux comportements alternatifs et de vérifier si ce quiavait été prévu a été fait et, si non, pourquoi.

Quand le pneumologue doit-il faire appel

à un tabacologue et/ou psychothérapeute

cognitivo-comportementaliste ?

– Cas où la motivation est insuffisante, notamment en cas de« résistance » où l’on peut utiliser des techniques pour lamotivation décrite par Cungi comme la mise en évidence decercles vicieux et la mise en place de cercles constructifs, l’his-toire de sa vie ou l’évaluation court terme/long terme et désa-morcer les « je dois » « il faut » et la précipitation de l’urgence[12] ;– Quand l’analyse fonctionnelle est difficile ;– En cas de comorbidité anxieuse et ou dépressive pour uneprise en charge optimisée ;– Quand on suspecte un trouble de personnalité ;– Pour réaliser pour des patients motivés, des séances de TCCstructurées ;– En cas de rechutes successives ;

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– En cas de co-addictions (cannabis, alcool, psychostimulantset benzodiazépines) et troubles du comportement alimentaire(boulimie, anorexie).

Conclusion

En complément des autres outils utiles dans la conduitedu sevrage tabagique, les TCC sont une technique utile pourle patient dans l’optimisation et la personnalisation de laprise en charge, notamment dans la prévention de la rechute.L’instauration d’un rapport collaboratif et l’attitude du théra-peute sont fondamentales. Les techniques comportementalesseules sont d’efficacité souvent discutables, notamment lestechniques anciennes, et ne doivent pas être proposées seules.Les techniques aversives sont répertoriées dans la littératuremais ne sont pas conseillées. Cependant l’évaluation desTCC est méthodologiquement difficile et il y a peu d’étudesévaluant les TCC seules. Par contre, les TCC sont efficacesnotamment en cas de comorbidité anxieuse, dépressive ou deco-addictions que l’on retrouve de plus en plus souvent dansles consultations de tabacologie. L’idéal est d’associer uneapproche pharmacologique et une approche cognitivo-com-portementale optimisée. Le thérapeute devant associer plasti-cité d’attitude, empathie et disponibilité [41].

À R E T E N I R

• Les thérapies comportementales visent à modifier des comportements pathologiques souvent invalidants et à développer de nouveaux comportements.

• La thérapie cognitive apporte une dimension psychologique.

• La thérapie comportementale et cognitive est plus riche de promesses que la thérapie comportementale seule ou la thérapie cognitive seule.

• Elle est particulièrement efficace dans la prévention de la rechute.

• Les troubles anxieux ou dépressifs sont fréquents dans la dépendance tabagique.

• Ils répondent bien à la thérapie cognitivo-comportementale.

• L’idéal est d’associer une approche pharmacologique et une approche cognitivo-comportementale.

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