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Spécialité : Anthropologie des pratiques corporelles et apprentissages moteurs Analyse de l’activité d’un élève « expert » en cours d’EPS Nature et dynamique de ses préoccupations en classe Crance Marie Cécile Sous la direction de Jean Trohel MASTER STAPS SPORT, SANTE, SOCIETE

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Spécialité : Anthropologie des pratiques corporelles et apprentissages moteurs

Analyse de l’activité d’un

élève « expert » en cours

d’EPS Nature et dynamique de ses préoccupations

en classe

Crance Marie Cécile

Sous la direction de Jean Trohel

MASTER STAPS

SPORT, SANTE, SOCIETE

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Année 2005-2006

SOMMAIRE INTRODUCTION …………………………………………………………. 4

1. Le cœur de l’interrogation …………………………………….…………………..……..4

2. Pourquoi s’intéresser à l’élève expert ?…………………………………………………..5

3. Une problématique concrète d’enseignement ……………………………….…………..8

Chapitre 1 : REFLEXION THEORIQUE………………………………...13

Partie 1 : Exploration théorique

1. Un premier éclairage scientifique………………………………………………….…….13

2. Les apports d’une approche écologique…………………………………………………20

3.Un cadre d’analyse pertinent : Les théories de l’action située…………………….……..22

4. Un positionnement scientifique pour éclairer une question pratique…………………....32

Partie 2 : Choix d’un cadre théorique

1. Un objet théorique particulier : le « cours d’action »……………………………………34

2. Organisation intrinsèque, contraintes et effets extrinsèques du cours d’action………….34

3. Cadre sémiologique d’analyse du cours d’expérience…………………………………...36

4. Problématique…………………………………………………………………………...40

Chapitre 2 : METHODOLOGIE…………………………………………...42

1. Une boite à outils adéquate et partagée…………………………………………………42

2. Un travail préalable : Trouver un terrain de recherche………………………………….42

3. Recueil des matériaux empiriques………………………………………………………44

4. Analyse des matériaux empiriques et construction des données………………………...46

Chapitre 3 : RESULTATS…………………………………………………..52

1. Nature des préoccupations d’Alexandre………………………………………………….52

2. Dynamique des préoccupations : la séance « vécue » par Alexandre…………………….61

3. Synthèse sur l’activité d’Alexandre au sein de la classe………………………………….66

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Chapitre 4 : DISCUSSION…………………………………………………72

1. Analyse de l’activité d’Alexandre………………………………………………………72

2. La question de l’hétérogénéité…………………………………………………………..86

3. Limites et perspectives………………………………………………………………….92

CONCLUSION……………………………………………………………...95

REMERCIEMENTS…………………………………………….………….98

BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………………..99

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INTRODUCTION

1. Le cœur de l’interrogation

« Ouai madame il tire des boulets de canon » dit Mathilde à son enseignante en

refusant de retourner dans les buts. De telles remarques, courantes en cours d’EPS, sont

révélatrices d’une difficile gestion de l’hétérogénéité et renvoient « à une réalité bien

prosaïque qui met en présence des élèves avec des niveaux d’expertise extrêmement

disparates » (Méard et Klein, 2001). Aussi la présence d’un élève expert important sa culture

institutionnelle au sein d’une classe devrait à priori renforcer cette tendance et compliquer le

travail du praticien.

En effet quel enseignant d’EPS peut affirmer n’avoir jamais connu de situations où,

décidant d’effectuer un cycle de gymnastique, il se rend compte que l’un de ses élèves est

champion régional, voire national de la spécialité ? Comment a-t-il réagi face à cet élève

« expert » ? Cela a-t-il suscité un sentiment de soulagement ou au contraire a-t-il été

déstabilisé par cette expertise au sein d’une classe où la plupart des élèves ne maîtrisent pas

encore la roulade avant ?

Cette très grande hétérogénéité entre élèves constitue une caractéristique fondamentale

et un problème historique de l’EPS. En effet cette discipline, en s’appuyant sur les objets

culturels forts que sont les APSA, est encore bien souvent assimilée à une leçon de sport où la

référence reste la pratique institutionnelle véhiculée par les clubs sportifs. Ainsi ces habiletés

et connaissances de haut niveau importées au sein de l’école par certains élèves sont en partie

à l’origine de la forte hétérogénéité à laquelle les enseignants doivent faire face au quotidien.

En effet, dans une société souffrant de sédentarité et où l’activité physique des individus est

de moins en moins sollicitée, l’écart semble de plus en plus grand entre la pratique sportive de

haut niveau et la motricité du citoyen moyen. L’existence de classes sportives où se trouvent

regroupés les élèves experts d’une activité facilite en partie l’activité de l’enseignant mais

elles contribuent en même temps à accentuer les différences et enferment ces élèves dans une

logique institutionnelle.

Mais comment réagir lorsque ces « experts » se trouvent isolés dans une classe dite

« classique » où l’hétérogénéité se trouve démesurée et où l’élève est amené à évoluer à côté

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de camarades totalement novices ne sachant à peine rattraper un ballon et éprouvant une

complète aversion pour l’EPS et la pratique physique ?

La présence de cet individu particulier peut être investie par l’enseignant comme une

« ressource » supplémentaire, une référence sur laquelle s’appuyer tout au long du cycle,

servant de moteur à toute la classe, faisant les démonstrations, aidant à diriger les

échauffements… Mais cette « expertise» peut au contraire être perçue comme une contrainte

supplémentaire qui inhibe les autres élèves, remet en cause les exercices proposés, perturbe le

déroulement du cours…

La posture d’un élève « expert » en EPS peut donc s’apparenter à un cas extrême

d’hétérogénéité qui pose à l’enseignant un certain nombre de questions articulant une

dimension individuelle et collective. Que vais-je pouvoir enseigner à cet élève ? Comment

vais-je l’évaluer ? Ai-je les connaissances suffisantes dans cette activité pour lui faire acquérir

de nouvelles compétences ? Comment vais-je pouvoir intégrer et gérer la présence de cet

élève au sein du cours d’EPS ? Quelle va être son attitude vis à vis des autres élèves ?

Comment ces derniers vont-ils réagir ?

Ainsi notre travail, dont ce mémoire souhaite reprendre le cheminement, aborde la

problématique de l’hétérogénéité à partir d’un angle d’attaque particulier : l’activité de

l’élève « expert » au cours de séances d’EPS portant sur son activité de prédilection.

Nous considérons comme « expert » un individu dont le niveau moteur est largement

supérieur à ses camarades et aux exigences scolaires, témoignant d’une forte spécialisation

dans l’activité issue d’une pratique extra-scolaire régulière de haut niveau.

2. Pourquoi s’intéresser à l’élève expert ?

Au premier abord cet objet d’étude peut sembler un peu étonnant puisqu’il recentre le

regard sur une catégorie très particulière d’élèves représentant une portion restreinte de la

population scolaire et étant déjà fortement sensibilisée à la pratique sportive. Ne serait-il pas

plus urgent de s’intéresser aux élèves réticents à la pratique physique, n’ayant pas ou peu

d’expérience sportive extra-scolaire et vis à vis desquels l’enseignant d’EPS a pour mission de

favoriser une nouvelle motricité ainsi qu’un goût pour ces activités ?

Ces cas atypiques d’élèves « experts » représentent aux yeux de nombreux enseignants la

frange d’individus ayant le moins besoin des cours d’EPS et mobilisant peu leur attention. En

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effet il est souvent courant d’entendre affirmer que ces élèves perdent leur temps en EPS,

n’apprennent rien et font déjà bien assez de sport en dehors.

Alors pourquoi s’engager dans une recherche qui leur accorde toute son attention ?

Cette première réflexion envisage la problématique de l’élève « expert » dans un seul

sens descendant allant de l’enseignant vers l’élève. Ce dernier est alors envisagé du point de

vue unique du professeur qui tente de gérer au mieux cette forte hétérogénéité. Toutefois cette

vision occulte un élément fondamental : le point de vue de l’élève lui-même.

Pourtant, comme nous allons le voir, la compréhension et la prise en compte de l’activité d’un

individu « expert » au sein de la dynamique d’une classe peut apporter à l’enseignant un

regard neuf, vecteur de pistes de réflexions intéressantes pour sa pratique quotidienne

d’enseignement. Pour cela, il est indispensable de retourner le sens de notre réflexion en

envisageant la situation éducative à travers le vécu personnel de l’élève « expert ».

2.1 « Souvenirs - Souvenirs … » dans la peau d’un élève « expert »

Tutoyer l’activité d’un élève expert ne devrait pas poser trop de difficultés à la

communauté des enseignants d’EPS qui constituent, dans leur grande majorité, d’anciens

sportifs de plus ou moins haut niveau mais ayant eu, pour la plupart, une pratique sportive

importante et supérieure à la moyenne. Ainsi, pour entamer notre voyage, laissez vous revenir

quelques années en arrière lorsque, encore élève adorant l’activité physique et éperdu de

sport, vous entamiez un cycle d’EPS dans votre activité de prédilection. Souvenez-vous

également des séances où l’un de vos camarades, spécialiste de l’activité, évoluait à vos côtés.

Qu’avez vous appris lors de ce cycle ? Que faisiez-vous ? Quels étaient vos sentiments ? Quel

attitude adoptiez-vous vis à vis de vos camarades ? Comment réagissaient vos enseignants ?

Vous donnaient-ils des consignes particulières ? Que pensiez-vous de leur façon d’aborder

l’activité ?

Nous avons, pour notre part, effectué ce voyage de nombreuses fois et c’est bien de

cette expérience personnelle qu’a émergé notre intérêt pour l’exploration approfondie de

l’activité d’élèves « experts ». En effet, pratiquant une activité physique à un niveau

international, nous nous sommes souvent retrouvés dans une situation d’expertise en cours

d’EPS. Ne pouvant nous exprimer pleinement sur le plan moteur nous avons pourtant toujours

eu le sentiment de vivre des expériences singulières et enrichissantes au cours de ces cycles

qui nous permettaient d’aborder notre activité de prédilection dans une perspective

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inhabituelle. Les réactions de nos camarades étaient très diverses allant de l’admiration à la

jalousie, de la crainte à l’amitié ou encore nous considérant comme une personne ressource

vers laquelle se tourner pour trouver des réponses à leurs questions portant sur cette activité.

De même nous avons souvent été étonnés des réactions diverses de nos enseignants. Certains

fermaient les yeux et ne faisaient absolument pas de différence avec les autres élèves, d’autres

au contraire semblaient gênés et nous disaient que nous devions vraiment nous ennuyer,

d’autres encore nous sollicitaient inlassablement pour les démonstrations ou pour nous

demander de confirmer certaines connaissances relatives à l’activité. Face à cette diversité

d’enseignement nous adaptions notre comportement aux situations proposées et nous

choisissions parfois de faire profiter les autres élèves de notre expertise. Nous avons

également connu le cas d’une enseignante nous ayant proposé clairement de ne pas pratiquer

et au contraire de l’aider à encadrer la classe en nous occupant des élèves les plus faibles.

Cette expérience particulière, bien qu’extrême, a posé question au futur enseignant que nous

sommes et nous a poussé à envisager la problématique de l’élève « expert » dans une nouvelle

dimension : aborder la question de l’hétérogénéité et plus particulièrement de l’élève

« expert » dans un sens ascendant. En partant de son point de vue et en s’intéressant à son

activité réelle, telle qu’il la vit et passant le plus souvent inaperçue, nous pensons pouvoir

découvrir des éléments intéressants quant à la place et au rôle qu’un tel élève peut jouer au

sein d’une classe et notamment vis à vis des élèves en difficulté. Il n’est plus cet individu

étranger dont l’expertise fait peur et face auquel nous ne savons pas comment réagir, il prend

vie, s’exprime, et pourrait devenir un partenaire porteur de perspectives intéressantes pour

l’enseignement.

2.2 Le « train-train quotidien … » dans la peau d’un enseignant d’EPS

Après ce petit détour un peu idéalisé par nos souvenirs d’écoliers nous pouvons revêtir

notre costume d’enseignant d’EPS et nous interroger à nouveau sur les problèmes concrets

posés par l’hétérogénéité et se trouvant accentuées à l’extrême avec la présence d’un élève

« expert ». Toutefois cette interrogation sur votre pratique d’enseignant actuel doit être menée

en gardant en tête ce vécu d’écolier et de sportif. Quelle est votre attitude face à la présence

de cet « expert » ? Avez-vous remarqué une attitude particulière de sa part ? Ne pourriez-vous

pas lui donner des rôles particuliers ? N’aurait-il pas une certaine légitimité face à ses

camarades qui pourrait servir à la gestion de la classe ? Est-il bien accepté par les autres ?

Comment vit-il le fait d’être constamment sollicité comme modèle ?

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Ces questions, qui se tournent davantage vers l’activité de l’élève en envisageant son

point de vue, semblent élargir notre regard. En effet il est souvent reproché aux chercheurs de

ne pas assez ancrer leurs réflexions sur le terrain et sur les pratiques réelles d’enseignement en

interrogeant insuffisamment les professeurs. Nous pouvons renvoyer cette critique aux

enseignants eux-mêmes qui voudraient trouver des solutions à l’hétérogénéité en occultant les

pratiques réelles et le point de vue de leurs élèves.

C’est pour ces raisons que nous partirons de l’activité de l’élève « expert » pour

aborder le problème de l’hétérogénéité qui reste pourtant une problématique de la

responsabilité de l’enseignant.

3. Une problématique concrète d’enseignement

Comprendre la dynamique d’une classe nécessite donc de rester proche du terrain en

restant en contact avec l’ensemble des acteurs du système : l’enseignant mais également et

prioritairement les élèves qui restent les principaux acteurs de l’école. Nous commencerons

par envisager la problématique de l’hétérogénéité du point de vue de l’enseignant afin de

comprendre quelle est sa traduction concrète sur le terrain. Puis nous convoquerons

directement l’activité particulière de l’élève « expert » afin d’apporter de nouvelles pistes de

réflexion.

3.1 Un regard professionnel sur l’hétérogénéité

L’hétérogénéité des élèves, à laquelle sont confrontés quotidiennement enseignants et

élèves, associée au souci de lutter contre la massification de l’échec scolaire, a donné lieu à de

nombreuses interrogations et réflexions. Notamment en EPS, Méard (1993) affirme que

« l’hétérogénéité d’un groupe est encore plus sensible qu’ailleurs » (p.16) puisque l’échec et

la réussite semblent accentués dans une discipline où la totalité de l’individu est mise en jeu et

où l’on est continuellement confronté au regard des autres.

Afin de répondre au mieux à cette réalité de nombreuses propositions didactiques et

pédagogiques ont vu le jour dans les années 80 avec notamment l’essor de la pédagogie

différentiée qui fut très rapidement investie par le monde de l’EPS. Il semble en effet que

cette dernière « soit la discipline où la différentiation de la pédagogie est simultanément la

plus nécessaire et la plus facilement réalisable » (Méard, 1993, p. 16).

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S’intéressant à ce phénomène de l’hétérogénéité des élèves, Méard (1993), qui a

analysé les pratiques quotidiennes des enseignants, met en avant principalement trois

procédés qu’il nomme successivement : niveau plancher, intermédiaire et souhaitable.

Le premier niveau renvoie à un seuil où les différences au sein du groupe classe sont

éludées et perçues comme des obstacles à l’apprentissage. L’hétérogénéité est niée et rejetée.

Dans le second niveau les différences sont réellement prises en compte et se pose alors

la question des progressions individuelles. Les projets personnels sont valorisés, l’enseignant

tente d’adapter les tâches aux possibilités de chacun. Toutefois cette approche envisage

l’individu seul face à son projet, confronté à la tâche, la fonction du reste du groupe et les

potentialités qu’il renferme ne sont pas exploitées.

Enfin le dernier niveau utilise « les différences comme tremplin pour les

apprentissages » (Méard, 1993, p. 17) à travers des procédures où les facteurs émotionnels,

relationnels sont pris en compte et constituent des leviers pour la participation et la

progression de tous les élèves.

Toutefois si ces procédures de pédagogie différentiée permettent à priori de gérer

l’hétérogénéité, elles conservent tout de même les injustices créées par les déterminismes

génétiques et socioculturels. En effet, l’EPS qui représente un temps d’apprentissage très

faible dans le cursus des élèves (1000 heures tout compris), dépend fortement du code

génétique de l’adolescent, de son vécu corporel en dehors de l’école et de son capital culturel

vis à vis des APSA proposées (Méard et Klein, 2001). Ce constat pose problème face à la

revendication d’une « égalité des chances » (loi d’orientation 1989) prônée par un système

scolaire qui souhaite favoriser la réussite de tous. Aussi l’analyse des programmes d’EPS

(collèges 1996, 1997, 1998 et lycées 2000, 2001, 2002) révèle une volonté « légitime et

ambitieuse de limiter la part des déterminismes physiques et culturels dans les prestations des

élèves et de rendre l’école plus juste » (Méard et Klein, 2001, p.13 ) : les concepteurs des

programmes lycées ont associé une « composante méthodologique » à la composante motrice

(appelée composante culturelle), de même les programmes collège formulent des

compétences et connaissances générales et revendiquent une éducation à la citoyenneté. Ces

« innovations », en rendant explicite ce qui existait déjà en EPS, ont pour ambition de mettre

en avant et de spécifier un « autre chose » accessible à tous.

Cependant Méard et Klein (2001) font remarquer que cette volonté de faire réussir la

« lycéenne » et le « petit gros » peut s’opposer à la valorisation des « bons en gym » qui par

ailleurs peuvent être « nuls en maths ». En effet, face à cette dévalorisation de la

« composante motrice » au profit d’une « composante méthodologique », on peut se demander

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comment un élève « expert », à qui on demandera constamment de s’adapter au niveau de ses

camarades, pourra valoriser son « expertise » et mettre en avant ses compétences. Cette

retenue et cette « régression » peut être perçue comme une injustice, qui mal vécue par

l’élève, peut-être vecteur de conflits.

Ainsi cette première réflexion sur les pratiques réelles et quotidiennes des enseignants

met en évidence une très grande diversité de réponses professionnelles à la problématique de

l’hétérogénéité des élèves. La volonté d’une « réussite de tous » est porteuse de difficultés et

de contradictions qui paradoxalement posent également problème au cas extrême de l’élève

« expert ».

3.2 L’élève « expert » comme cas extrême de l’hétérogénéité en EPS

Une question individuelle :

Tout d’abord l’enseignant est amené à s’interroger sur les acquisitions et les

apprentissages de cet individu au sein de la classe. En effet tout le monde sera d’accord pour

considérer que sur le plan moteur il semble peu probable que cet élève fasse des acquisitions

importantes étant donné son vécu dans l’activité et sa pratique de haut niveau. Cependant en

référence aux textes officiels, l’EPS vise comme nous l’avons vu, d’autres finalités et d’autres

acquisitions qui peuvent par contre faire l’objet d’un travail important pour cet élève.

Ainsi, pour l’élève « expert » qui surpasse ses camarades au niveau des habiletés

motrices et des connaissances institutionnelles, rien ne garantit qu’il en soit de même sur les

autres compétences « méthodologiques » ou « générales » (programme collège 1996, 1997,

1998 et lycée, 2000, 2001, 2002). A cet égard Méard (1993) considère que « la disparité sur

le plan moteur n’est rien par rapport à la différence des représentations, des niveaux

d’engagement » (p. 16) et donc qu’il est plus dur de gérer les « différences d’attitudes ». Aussi

une expertise motrice n’est pas forcément associée à une expertise dans d’autres domaines,

comme par exemple la gestion de la sécurité, du risque, le respect d’un projet collectif… De

plus la culture scolaire est plurielle et ne saurait être réduite à la logique institutionnelle

souvent compétitive. En effet même si l’école s’appuie sur les objets culturels que sont les

APSA, elle les transforme, invente ses propres règles, ses propres modalités de pratique

(Goirand, 2001 ; Metzler, 2002). Cette transformation des activités peut questionner et

remettre en cause les pouvoirs moteurs et cognitifs d’un élève enfermé dans la logique

institutionnelle. Ainsi l’hétérogénéité des élèves ne doit plus se restreindre au pôle moteur et il

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semble important d’envisager la richesse culturelle, les différences de représentations, les

modalités de pratiques différentes dont sont porteurs les élèves.

D’un point de vue individuel la présence de l’élève « expert » pose un certain nombre

de questions relatives à la nature des apprentissages envisagés et à la confrontation d’une

logique institutionnelle avec une logique éducative et scolaire.

Une question collective :

L’activité de l’élève « expert » s’intègre au sein du groupe classe et ses apprentissages,

bien que personnels, prennent place au sein d’un collectif dont on ne peut occulter l’influence

et qu’il influence également. La présence de cet élève particulier peut ainsi être analysé à

travers les trois logiques de gestion de l’hétérogénéité mises en avant par Méard (1993) et que

nous avons décrites précédemment.

Face à une situation qui s’apparente au « niveau plancher » on peut penser que la

présence de cet élève pose de sérieux problèmes à l’enseignant. Toute la classe étant

confrontée à des situations identiques, il semble évident que le niveau de contrainte ne sera

adapté qu’à certains individus. De par son vécu dans l’activité, « l’expert » bien plus que les

autres, risque de ne rien apprendre sur le plan moteur et de s’ennuyer ne comprenant pas le

sens d’un investissement quelconque dans des tâches qu’il estimera certainement « trop

simple ».

Le second niveau, beaucoup plus fréquent, semble mieux maîtriser l’hétérogénéité des

élèves. Cependant si bien souvent les tâches peuvent être simplifiées ou complexifiées pour

répondre aux besoins spécifiques de groupes de niveaux, le cas isolé de l’élève « expert »

semble être difficile à prendre en compte.

Dans ces deux cas de figure les différences sont comprises uniquement sur le plan moteur et

sont perçues comme des obstacles à l’éducation. L’expertise motrice de cet élève peut donc

être vécue par l’enseignant comme une contrainte importante que bien souvent il choisira de

laisser de côté en se focalisant sur les apprentissages moteurs d’élèves plus en difficulté. De

même, en se plaçant du point de vue de l’élève, ces deux cas de figure ne semblent pas

satisfaisants. Occultant et ne prenant pas en compte cette expertise et ce statut particulier au

sein de la classe, elles peuvent conduire à des réactions diverses de sa part et non contrôlables

par l’enseignant. Livré à son initiative personnelle et ne pouvant s’épanouir dans les activités

proposées il peut se révéler être une contrainte importante en adoptant des comportements

inadaptés et perturbateurs : s’opposer ou remettre en cause les propositions du professeur,

modifier la tâche, perturber le cours… Mais il peut également se révéler être une ressource

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importante en adoptant spontanément des attitudes favorables aux acquisitions scolaires et à la

dynamique classe : conseiller ses camarades, expliquer, aider, parer, assurer la

sécurité… Toutefois cette attitude, développée ici à l’insu de l’enseignant, va dépendre

fortement de la personnalité de l’élève considéré, de la logique interne de l’activité et du

contexte particulier de la classe.

Enfin le dernier niveau semble quant à lui plus pertinent. L’hétérogénéité du groupe

est ici une ressource et l’expertise d’un élève est manipulée par l’enseignant afin de devenir

un levier intéressant pour l’apprentissage de tous.

Ainsi l’activité de l’élève « expert » qui s’intègre dans un collectif semble pouvoir être

envisagée, aussi bien comme une contrainte que comme une ressource en fonction, d’une part

des choix de l’enseignant, du regard qu’il porte sur cette expertise et d’autre part de l’attitude

de l’élève qui émerge de ce contexte classe particulier.

La problématique de l’élève « expert », envisagée conjointement d’un point de vue

individuel et collectif, doit prendre en compte l’ensemble de la situation éducative qui intègre

à la fois cet acteur, l’enseignant, les autres élèves et le contexte scolaire dans lequel elle prend

place. Espérer comprendre cette question nécessite l’interrogation de ces différents pôles qui

sont inter-reliés. Or si leur prise en compte simultanée est impossible nous devons rester

vigilants et conserver à l’esprit leur présence et leur influence.

Au terme de cette première réflexion nous espérons avoir montrer l’ancrage de

notre travail sur une problématique quotidienne des enseignants d’EPS. Partant du

terrain cette recherche a donc prioritairement une visée utilitaire, ambition qui n’est pas

anodine et qui va orienter notre regard de chercheur, notre positionnement théorique et

nos choix méthodologiques.

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Chapitre 1 : REFLEXION THEORIQUE

Partie 1 : Exploration théorique du chercheur

En convoquant différents paradigmes scientifiques, renvoyant à des conceptions

différentes de l’activité humaine, nous interrogerons l’activité de l’élève « expert » puis nous

adopterons une posture scientifique en adéquation avec notre objet d’étude.

1. Un premier éclairage scientifique

1.1 L’activité de l’élève envisagée à partir des théories cognitivistes

A l’origine, les théories cognitivistes ou computo-symboliques ont envisagé l’individu

avec un regard externe sur le modèle de l’ordinateur. Ce modèle est basé sur un système

explicatif prescriptif où l’action des individus est déterminée par leur activité mentale elle-

même prescrite en partie par des contraintes externes issues de l’environnement. Ce dernier

est considéré indépendamment du sujet et de son action comme un système de contraintes

auxquelles l’individu doit s’adapter. La notion d’activité renvoie aux processus internes et

mentaux mobilisés par l’individu afin de répondre à un problème en tenant compte des

conditions et contraintes présentes dans l’environnement tandis qu’accomplir une action

consiste à exécuter ce plan préalablement formé (Schmidt 1993).

Dans ce cadre l’activité d’un élève « expert » se pose en terme de processus cognitifs

considérant l’élève comme un système de traitement de l’information. L’application de ce

modèle à notre objet de recherche permettrait par exemple d’analyser le traitement cognitif de

l’élève « expert » en comparaison avec celui de novices. Les études se référant à ce paradigme

sont principalement menées dans le milieu artificiel du laboratoire à partir de tâches

expérimentales évinçant la singularité du milieu naturel et quotidien au sein duquel s’insère

l’activité de l’élève et ne prenant pas en considération le caractère collectif des

apprentissages.

Ainsi, cette perspective, si elle peut nous renseigner sur l’origine cognitive des

différences d’habiletés entre experts et novices en terme de traitement de l’information,

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semble inopérante pour s’intéresser à la place de l’élève « expert » dans une situation réelle

de classe où dominent les interactions interindividuelles.

1.2 L’activité de l’élève à travers les théories socio-cognitives

En complémentarité de ces approches, les théories socio-cognitives se sont intéressées

plus spécifiquement aux relations entre individus, postulant que les apprentissages sont

influencés par les relations sociales. L’activité est envisagée ici comme une construction

interactive avec des pairs. Cette perspective semble donc intéressante pour envisager le rôle et

l’influence d’un élève « expert » en interaction avec ses camarades.

Ces travaux prennent notamment leur source dans les idées développées par la

psychologie sociale de Bandura (1977) et de Vygotsky (1934).

En effet Bandura (1977) dans une perspective interactionniste de l’apprentissage, déplore le

fait que la plupart des études portent sur l’individu sans tenir compte des réseaux sociaux où il

se trouve nécessairement engagé. A cet égard il affirme qu’un contexte interactif influence de

manière positive le développement des individus. Le comportement est la résultante de

l’interaction des personnes et des situations plutôt que l’influence d’un des deux facteurs

considérés séparément. C’est sur cette conception de l’interaction que se base la théorie de

l’apprentissage social développée par Bandura (1977). Si les comportements sont acquis soit

par expérience directe soit par observation, il pense que c’est cette dernière qui prévaut.

L’apprentissage social par observation consiste à se faire une idée sur la façon de produire un

comportement, à partir d’un modèle qui permet « la représentation symbolique » de l’action à

réaliser. Dans cette perspective l’action de l’élève « expert » pourrait jouer ce rôle de modèle

véhiculant une information continue et légitime quant à l’action que l’on souhaite voir réalisée

par les autres élèves. La présence d’un élève « expert » au sein d’une classe serait ici

envisagée de façon positive bien que cette influence reste passive.

En psychologie sociale du développement cognitif, Doise et Mugny (1981) s’inspirant

des travaux sur l’apprentissage social par observation ont mis sur pied des études qui visent à

combiner une approche individuelle et sociale de l’apprentissage intellectuel. Ils ont ainsi mis

en évidence que le contexte de travail collectif génère des coordinations interindividuelles que

les individus ne sont pas capables de réaliser individuellement : un contexte interactif entre

pairs permet un meilleur développement que lors d’un travail en solitaire. Ces auteurs vont

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plus loin en considérant désormais les individus engagés dans ces interactions comme étant

actifs.

Ces conclusions ont également été retrouvées dans le domaine des apprentissages

moteurs qui seraient eux aussi favorisés par un contexte interactif. Notamment les travaux

menés par D’Arripe-Longueville (1998, 2000, 2002) mettent en évidence que le contexte

interactif favorisant la constitution de dyades est plus efficace que le travail en solitaire.

Ces travaux, qui permettent de conclure que l’individu apprend plus efficacement avec

un pair qu’individuellement, semblent intéressants pour poursuivre notre réflexion sur la

gestion de l’hétérogénéité des élèves en classe. Pour cela il faut comprendre désormais en

quoi et de quelles manières les caractéristiques de ces dyades et des tâches proposées peuvent

influencer le type d’interaction et les progrès des élèves.

1.2.1 Le cas des dyades symétriques

Selon Doise et Mugny (1981) l’interaction sociale n’est constructive que si elle induit

une confrontation entre les solutions divergentes des partenaires. Ces auteurs se sont

principalement intéressés au cas de dyades symétriques avec des compétences à peu près

similaires dans la tâche proposée. Ils ont mis en évidence la notion de « conflit socio

cognitif » (CSC) comme source principale de progrès chez les élèves. Pour que le CSC se

produise et soit bénéfique, il faut que le niveau des partenaires soit identique face à la tâche,

mais que leurs centrations soient opposées et que les régulations se fassent au niveau cognitif

et non par soumission.

Ces conclusions nous amènent à relativiser l’influence positive d’un élève « expert »

au sein d’une dyade. En effet ce dernier étant constamment engagé dans des interactions

caractérisées par leur forte dissymétrie ne permet pas l’émergence d’un CSC qui serait

pourtant vecteur de progrès chez son partenaire. Toutefois si l’élève expert n’est pas

favorable au développement de CSC il semble légitime de s’interroger sur l’existence d’autres

mécanismes qui pourraient prendre naissance au sein de ces dyades dissymétriques que l’on

retrouve fréquemment en cours d’EPS et notamment dans un contexte de forte hétérogénéité.

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1.2 .2 Le cas des dyades dissymétriques

A cet égard une autre branche de la psychologie sociale s’est intéressée aux dyades

dissymétriques avec inégalités de compétences. Cette perspective paraissant particulièrement

intéressante par rapport au rôle de notre élève « expert » nous nous attarderons plus

longuement sur ces travaux.

Ces études prennent leur source dans les idées développées par Vygotsky (1934) sur la

médiation sociale où les interactions avec des partenaires plus compétents, loin de constituer

un frein au développement d’une pensée autonome, lui sont indispensables. Il considère donc

le développement comme un processus d’assistance et il est notamment le précurseur de la

notion de « Zone Proximale de Développement » qui renvoie à la distance entre ce qu’un

sujet est capable de faire seul et ce qu’il peut réaliser avec l’aide d’un adulte ou d’un expert.

Prolongeant cette idée, Bruner (1983) dans une perspective de psychologie culturelle

de l’éducation, met l’accent sur l’importance de la culture humaine dans le modelage de la

conduite individuelle à travers des relations sociales interactives tutorielles. Le

développement humain est conçu comme un processus d’assistance, de collaboration, entre un

enfant et un adulte. Ce dernier peut être considéré comme un « expert » représentant et

vecteur d’une culture, l’enfant quant à lui serait le « novice ». Cette dyade très fortement

dissymétrique vise un projet commun : faire accéder le novice à cette culture. Finalement

l’expert joue en réalité un rôle de tuteur : on parle d’interactions de tutelle.

Ces premières données débouchent sur la notion fondamentale de « tuteur » qu’il nous

faut dès lors différencier de celle d’ « expert ».

Expertise et tutorat

Dans ce cadre d’analyse les notions de « novice » et d’ « expert » désignent deux

positions sur un continuum représentant les degrés de compétence, de savoir, ou de savoir

faire face à un domaine spécifique. En revanche Bruner (1983) définit le tutorat comme une

situation dans laquelle l’un des membres « connaît la réponse » et l’autre « ne la connaît

pas ».

Ainsi au premier abord la différence peut sembler minime entre ces deux notions

pourtant il est indispensable de ne pas confondre les dyades dites « expert / novice » de celles

désignées « tuteur / novice ». Elles se différencient par les objectifs que s’assignent les

partenaires « l’expert devient tuteur s’il assume volontairement ce rôle et se met en mesure

d’aider le novice à résoudre le problème ; il reste expert sans assumer les fonctions

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tutorielles lorsque, s’avisant de la moindre compétence du partenaire dans une tâche qu’ils

doivent mener à bien, il prend en charge la planification des actions et leur exécution, en

laissant au novice un rôle mineur » (Winnykamen, 1996, p. 18). Les interventions du tuteur

ont pour objectif de transmettre au novice ce qui lui permettra de progresser dans la résolution

de la tâche. Ainsi « l’étayage » que l’expert apporte au novice est d’importance majeure

autant que l’est l’activité du novice que cet appui autorise.

D’un point de vue développemental le guidage de l’activité est d’abord exercé par des

partenaires sociaux (notamment les parents) puis progressivement elle sera prise en charge par

l’enfant lui-même (Wertsch 1985). A cet égard Pécheux et Labrell (1993) ont montré

comment, dans la relation à la mère le jeune enfant peut développer ses propres capacités en

se détachant progressivement de sa mère et en devenant de plus en plus autonome. Ces

travaux mettent en évidence comment l’enfant découvre son environnement et apprend à agir

sur les objets à travers ses interactions avec autrui. De même l’enseignant contribue à motiver

l’élève et à orienter son activité en lui signalant “les caractéristiques déterminantes” de la

situation. De toute évidence les progrès, dans le cadre de ces dyades fortement dissymétriques

(adulte / enfant ) où l’un des deux individus est « expert » et assume des fonctions tutorielles,

semblent relativement important avec une forte ambition de l’adulte à aider l’enfant à

apprendre.

Ces résultats obtenus dans le domaine intellectuel ont été confirmés dans le domaine

moteur où les interactions sont des échanges en situation de construction motrice et de

transmission de connaissance. Notamment Winnykamen et Lafont (1990) expliquent que les

processus d’ajustement réciproques ne peuvent être négligés lorsqu’un sujet apprenant et un

sujet modèle sont en interaction. Elles mettent en avant le phénomène « d’imitation /

modélisation interactive » : l’imitation est un processus actif de transmission et d’acquisition

des savoirs où les modifications des conduites d’un des partenaires de l’interaction entraînent

la modification des conduites de l’autre, et réciproquement. Ainsi Lafont (2002) montre que

l’« imitation-modélisation interactive » serait plus efficace en terme de progrès que la

« démonstration explicitée » classique. En effet le modèle (expert), en situation de tuteur,

apporte à sa performance les modifications qu’il juge utile, en fonction de ce qu’il observe à

son tour de la production imitative du sujet imitant. On peut là encore faire référence à Bruner

(1983) qui met en évidence deux grandes phases dans la relation tuteur-novice : la

démonstration et la régulation dans l’action où le tuteur imite une action du novice allant dans

le sens de la solution et la complète jusqu’au produit fini. Les actions du novice agissent donc

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sur l’action de « l’expert tuteur » qui elle-même est source de nouvelles actions de

l’apprenant.

Suite aux conclusions de ces études il semble que tout comme les dyades paritaires, les

relations dissymétriques « expert-novice » sont elles aussi vecteurs de progrès pour le novice.

Toutefois le mécanisme à la source de ces transformations n’est pas le même et semble

particulièrement efficace lorsque l’expert développe une conduite de tutelle. Dans le cadre

scolaire qui nous intéresse il est évident que, si elles semblent pertinentes, les interactions

« tuteur / novice » menées par l’enseignant sont plutôt rares étant donné que ce dernier est

seul face à 25 ou 30 élèves. Les situations dyadiques fréquemment observées ont donc

majoritairement lieu entre élèves qu’elles soient suscitées par l’enseignant à des fins

d’apprentissage ou qu’elles apparaissent de façon spontanée. Par exemple D’Arripe-

Longueville, Huet, Guernigon (2000), dans une expérience d’apprentissage du virage en

brasse, mettent en évidence que le contexte interactif au sein des dyades engendre le

développement de conduites sociales différenciées. Les conduites de tutelle ont été

exclusivement identifiées dans les dyades dissymétriques, tandis que les conduites de

coopération se sont exclusivement manifestées dans les dyades symétriques. Enfin, les

conduites parallèles ont été observées aussi bien dans des dyades dissymétriques que dans des

dyades symétriques.

Les conclusions de cette étude sont particulièrement fructueuses par rapport à notre

objet d’étude en mettant en évidence qu’au sein de dyades dissymétriques deux types de

relation peuvent avoir lieu : ou bien l’élève « expert » s’engage dans une relation de tutelle

avec le souci partagé de faire progresser le novice ou bien l’élève reste passif et ne se soucie

pas de faire profiter son partenaire de son expertise. Cependant, si des situations de tutelle

semblent pouvoir émerger spontanément au sein d’un cours d’EPS, elles ne sont pas

systématiquement adoptées par l’élève « expert » et il semble indispensable de nous interroger

quant à leur efficacité réelle.

A cet égard toutes les études qui se sont intéressées à la relation « expert – novice »

montrent que dans des dyades dissymétriques la relation « adulte / enfant » donne des

résultats supérieurs à celles « enfant / enfant » (Winnykamen, 1996). Cette différence venant

principalement selon Gartner, Conway-Kohler, et Riessman, (1971) d’une faible prise en

charge spontanée des fonctions tutorielles par l’enfant et d’une capacité distincte à s’adapter

aux besoins du novice. Ainsi nous sommes en droit de penser que les interactions en classe

qui mettent en jeu deux élèves de niveau hétérogène risquent de rester sur une relation

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« novice - expert » où ce dernier ne pourra pas assumer un rôle de tuteur. Face à ce constat

deux travaux nous ont semblé particulièrement éloquents. Tout d’abord celui de Vandenplas-

Holper (1987), cité par Winnykamen (1996), qui s’est penché sur la gestion tutorielle par

l’adulte des activités tutorielles des enfants. Il montre en quoi les échanges entre enfants

doivent permettre à l’expert d’aider les plus novices dans leur progression. Mais ils ne le font

pas spontanément, l’adulte doit les inciter à se comporter en tuteur. Ainsi dans le cadre

scolaire de l’élève « expert » il est fort probable que l’enseignant ait un rôle important à jouer

dans le développement d’une attitude de tutelle. Enfin celui de Legrain et D’arripe-

Longueville, (2000) mettant en évidence que le tuteur peut tirer bénéfice d’une formation au

managérat. Là aussi il peut être intéressant d’amener l’élève « expert » à acquérir des

compétences dans le domaine du tutorat. Enfin il est intéressant de noter que certaines études

menées par Topping et Ehly (1998) montrent un bénéfice commun pour le tutoré et le tuteur

car celui qui enseigne apprend une seconde fois et l’exercice d’un tutorat génère des bénéfices

motivationnels plus élevés qu’une simple pratique. L’élève « expert » assumant un rôle de

tuteur pourrait ainsi également tirer des bénéfices de cette interaction.

Ces réflexions offrent des pistes pour l’enseignant qui souhaite s’intéresser à la place

et aux acquisitions autres que motrices de l’élève « expert» en lui permettant de développer de

nouvelles compétences relatives au rôle de tuteur et favorisant parallèlement les

apprentissages moteurs de ses partenaires.

Cependant toutes ces études, si elles apportent un éclairage très intéressant aux

interactions dyadiques, n’ont lieu qu’à partir de protocoles expérimentaux où l’individu

« expert » est le plus souvent entraîné à la tâche préalablement pour les besoins de

l’expérience. Cette « expertise » semble donc un peu artificielle et n’est pas le résultat d’un

vécu important dans l’activité. Dans le cadre des habilités motrices et de l’hétérogénéité en

classe, un élève « expert » possède une « réelle expertise » inscrite dans le passé et résultat de

nombreuses heures d’entraînement. Elle semble donc plus complexe qu’une tâche qui peut

s’apprendre en quelques heures pour les exigences d’une expérience. C’est pourquoi nous

sommes en droit de nous interroger si, dans le cadre d’acquisitions motrices, un élève

« expert » ne pourrait pas être vecteur d’apprentissages au sein d’une dyade enfant / enfant au

même titre qu’une dyade adulte / enfant. De plus il faut ajouter que nous nous intéressons à

l’enseignement secondaire qui concerne certes des enfants mais également des adolescents et

même de jeunes adultes qui possèdent donc a priori les capacités à adopter spontanément des

rôles de tuteur.

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De plus on peut se demander si ces conclusions issues d’études qui se sont focalisées sur des

dyades sont effectivement opérationnelles dans le cadre d’un cours d’EPS qui met en

collaboration toute une classe. En effet il nous semble que les contraintes liées au contexte

social peuvent jouer un rôle dans l’établissement et le maintien des relations dyadiques et de

leur caractère symétrique ou dissymétrique. Notamment le statut des partenaires (bon,

mauvais élève…) et la représentation qu’ils ont des autres peuvent induire des conduites

relationnelles différentes. Aussi, si ces approches dites « traditionnelles » nous ont apporté

des éléments pertinents pour appréhender certaines dimensions de l’influence d’un élève

« expert » au contact d’autres individus, elles ne permettent pas d’atteindre un modèle

intégrateur de l’ensemble des actions et interactions existantes dans la situation éducative et

les résultats ne peuvent être transposés directement sur la réalité des contextes scolaires. Il

paraît donc indispensable de vouloir adopter une autre démarche scientifique privilégiant un

ancrage sur les pratiques réelles et permettant d’envisager l’activité de l’élève expert au sein

de la situation éducative dans toute sa complexité et sa globalité.

2. Les apports d’une approche écologique

Face aux limites de cette decontextualisation issue de « l’orthodoxie cognitiviste »

(Varela 1989) qui domine les études scientifiques depuis 1950, une approche dite

« écologique » s’est construite autour de l’hypothèse d’une influence importante du contexte

dans lequel prend scène l’activité de l’individu. Cette approche postule que l’authenticité du

cours d’EPS à partir duquel s’est progressivement construit notre objet d’étude ne peut être

reconstruit artificiellement en laboratoire. Ainsi pour aborder de manière satisfaisante

l’activité d’un élève expert en EPS nous sommes contraints de travailler à partir d’une

situation naturelle, c'est à dire dans le contexte réel d’une classe.

A cet égard Doyle (1986) s’inscrivant dans le paradigme de "l’écologie de la classe"a pour

ambition d’appréhender les relations entre les demandes de l’environnement, c'est-à-dire les

situations scolaires réelles et la manière dont les différents acteurs y répondent. Prolongeant

ces travaux Siedentop (1994 p.98) envisage le processus d’enseignement-apprentissage

comme composé de trois « systèmes de tâches » dont l’interrelation fonde l’écologie de la

classe. Le système des tâches d’organisation, relié « à des aspects comportementaux et

organisationnels de l'éducation physique » (fonctions qui n'ont pas de rapport direct avec la

matière) ; le système des tâches d’apprentissage, relié à la matière enseignée aux

« apprentissages que l'enseignant a l'intention de faire réaliser aux élèves pendant leur

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participation aux activités proposées » ; et le système d’interactions sociales entre les élèves

qui fait référence « à leurs intentions d'entretenir des relations sociales avec les autres

participants pendant les leçons d'éducation physique ». C’est la façon dont ces systèmes se

développent, s’influencent en relation avec les contingences scolaires qui forme « l’écologie

de la classe ». Peu prévisible et difficilement observable le système des interactions sociales

tient une place particulière car il n’est pas prescrit par l’enseignant et traduit les

préoccupations propres des élèves qui peuvent dépasser celles liées au travail scolaire.

Cette approche originale des contextes scolaires nous a semblé intéressante par rapport

à notre objet d’étude car les travaux réalisés apportent de nouvelles conclusions sur l’activité

réelle des élèves et sur les stratégies mises en place face aux exigences scolaires. Dès 1968,

Becker, Geer et Hughes pointent le rôle majeur de l’évaluation scolaire dans le

fonctionnement de la classe. Cette tendance fut confirmée par Doyle (1986) qui parlant de

« transaction des performances contre des notes » montre que l’évaluation serait l’un des

facteurs contrôlant l’équilibre et le développement des systèmes de tâches. D’autres études

ont également mis en avant la tendance des élèves à modifier les tâches initialement prescrites

(Marks 1988 et Son 1989) à négocier les exigences de ces tâches ( Hastie et Pickwell, 1996), à

esquiver les demandes tout en s’acquittant ostensiblement des tâches d’organisation,

manifestant ainsi un comportement scolaire acceptable (Tousignant et Siedentop, 1983). Tous

ces éléments se trouvent synthétisés dans la formule d’Allen (1986) qui considère que

l’activité des élèves en classe serait guidée par deux tendances : « éviter l’ennui » et « éviter

les ennuis ».

Cependant ces approches réalisées en situation naturelle bien que renouvelant le regard

scientifique posé sur notre objet d’étude possèdent une limite importante : la désincarnation

c’est à dire l’absence de prise en compte du point de vue singulier de chaque individu face à

la situation avec le risque d’aboutir à des prescriptions déshumanisées et dépersonnalisées. En

effet ces études en s’intéressant uniquement au comportement externe et observable à partir

du recueil des actions, verbalisations et interactions entre élèves ne permettent pas de

comprendre l’activité réellement vécue par l’acteur. Ainsi l’observation extrinsèque menée

par le chercheur dans un cadre « écologique » permettrait une première analyse de l’activité

d’un élève « expert ». Toutefois cette dernière resterait superficielle en évinçant les

préoccupations, signification et intentions réelles qui guident à chaque instant son activité.

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3. Un cadre d’analyse pertinent : Les théories de l’action située

Pour dépasser ces limites portées par les modèles « cognitivistes » et « écologiques »

un nouveau paradigme se développe depuis les années 1980. En plein essor aujourd’hui il

regroupe différents courants sous l’appellation des théories « situées » de l’action. Néanmoins

malgré de nombreuses recherches dans les sources bibliographiques que nous avions à notre

disposition nous n’avons pu relever de travaux se réclamant des approches situées et portant

spécifiquement sur notre objet d’étude. Aussi tout en effectuant un détour par quelques

considérations théoriques issues d’autres champs que celui de l’enseignement nous nous

efforcerons de montrer en quoi un positionnement théorique au sein des approches « situées »

semble pertinent pour appréhender l’activité d’un élève « expert » au sein d’une classe.

3.1 Un renversement épistémologique : Une activité « auto-organisée »

Les théories de l’activité et notamment de « l’action située » abordent l’activité

humaine en récusant l’idée d’une séparation entre l’individu et son environnement. Les

travaux de Varela (1989) ont servi de base au développement de ces approches qui se veulent

en rupture avec les paradigmes traditionnels du cognitivisme.

La réflexion initiale prend ses racines dans le domaine biologique à partir de

l’hypothèse de l’« autopoïese ». Cette dernière envisage les systèmes vivants comme

autonomes et dynamiques, interagissant avec l’environnement selon un « couplage

structurel ». Le système est alors dit « auto-organisé » en ce sens qu’il auto-détermine son état

d’instant en instant, considérant simultanément l’environnement et sa propre dynamique. Le

concept de « clôture opérationnelle » vient préciser ce modèle en affirmant que les

perturbations ne peuvent être appréhendées que sous le regard intrinsèque du système lui-

même. En effet les éléments de perturbation externes et internes sont indistincts et ne prennent

sens que du point de vue interne du système, révélant le caractère asymétrique de cette

relation.

Selon Varela (1989), l’activité humaine répond à ce modèle de l’autopoïese. Ainsi le

monde ne se présente pas à nous comme un ensemble de caractéristiques bien nettes : c’est

notre engagement dans les situations qui fait émerger les éléments pertinents du monde avec

lesquels nous interagissons. Notre activité a donc une autonomie, des propriétés d’auto-

organisation, elle est improvisée, imprévisible et fruit d’une dynamique intrinsèque résultat

d’un couplage structurel avec le monde.

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Deux éléments essentiels se dégagent alors par rapport à la compréhension de

l’activité humaine qui est dite « autonome » :

- elle est indissociable du milieu dans lequel le sujet évolue et avec lequel il entretient

une relation dynamique et circulaire : il nous faut l’étudier in situ.

- elle est considérée comme une activité cognitive de production de significations car

l’acteur interagit avec les caractéristiques de la situation qui sont pertinentes par rapport à sa

dynamique interne : il nous faut l’envisager à partir du point de vue intrinsèque de l’acteur.

Autour de ces postulats de base plusieurs courants se sont développés abordant

l’activité humaine selon un niveau d’analyse et un angle d’attaque différents dont nous allons

maintenant rendre compte en pointant leur intérêt par rapport à l’analyse de l’activité d’un

élève « expert ».

3.2 L’activité comme couplage entre l’individu et son environnement

3.2.1 Une activité située dans un contexte particulier

Travaillant dans le domaine de l’ergonomie, Suchman (1990) a développé l’idée selon

laquelle l’action n’est pas l’exécution d’un programme établi à l’avance qui l’organiserait de

manière préscriptive mais est singulière, indéterminée résultant de l’intrication entre un

individu et son environnement. Elle parle de « plan ressource » en ce sens qu’il ne prescrit pas

l’action des individus mais qu’il reste un guide indispensable. De plus cette action personnelle

de l’acteur va modifier en retour l’environnement offrant ainsi de nouvelles possibilités au

déploiement de son action.

Dans le champ de l’EPS, l’environnement particulier et varié au sein duquel se déploie

l’activité des élèves est une ressource qui délimitent le champ des possibles en jouant un rôle

d’affordance (Gibson, 1979). Cependant il « ne prescrit pas l’action, il est juste un soutien

face au caractère indéterminé de son issue » (Hauw, 2002, p. 55 ). En effet il est évident que

si le contexte est commun à tous les élèves de la classe chacun déploie à son contact une

action autonome et imprévisible selon un processus complexe de co-détermination.

C’est pourquoi la compréhension de l’activité de l’élève « expert » au sein du cours

d’EPS ne peut faire abstraction de l’environnement au sein duquel elle prend scène et avec

lequel elle entretient une interaction singulière et circulaire.

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3.2.2 Une perspective d’activité incarnée

Les actions, prenant scène au travers d’un corps, suscitent une expérience corporelle

singulière. Cette dernière serait à l’origine du rapport particulier que l’individu engage avec le

monde qui l’entoure et duquel découlerait des actions qui lui sont propres. Par exemple en

neurophysiologie de l'action, Berthoz (1997) affirme que « la perception est une action

simulée » (p 287). Autrement dit, si la perception guide les actions de l’individu, ces

dernières ouvrent elles-mêmes un monde perceptif pertinent pour le sujet par rapport à une

action à réaliser. De même les travaux de Damasio (1995) postulent l’existence de

« marqueurs somatiques ». Issues des expériences émotionnelles passées ils orientent les

intentions et contribuent à la spécificité des actions. Ainsi cette perspective incarnée nous

invite à considérer la cognition et l’action comme dépendants des types d’expériences liées au

fait d’avoir un corps doté de capacités sensori-motrices et s’inscrivant dans un contexte

particulier.

Dans le cadre d’une réflexion ayant trait à l’activité d’un élève en cours d’EPS, cette

perspective nous a semblé incontournable étant donné la spécificité corporelle de la discipline.

L’élève « expert » se caractérisant par des capacités motrices de haut-niveau entretient

certainement un rapport tout à fait spécifique à un environnement alors adapté au cadre

scolaire. Par exemple si la présence de haies lors d’une séance d’athlétisme appelle chez cet

individu une reprise active derrière l’obstacle qu’il jugera trop bas, elle renvoie en revanche à

une impulsion très verticale de l’élève débutant auquel cet obstacle démesurément haut posera

un véritable problème moteur. De même son expérience corporelle et notamment

émotionnelle diverge certainement beaucoup de celle des autres élèves. En effet la perspective

de réaliser un salto avant à partir d’un trampoline, si elle peut susciter chez le débutant de la

crainte ou une forte excitation liée à la découverte de nouvelles sensations aériennes, le

gymnaste habitué à réaliser des doubles saltos arrières tendus n’éprouve sûrement pas les

mêmes émotions.

Cette première série de travaux s’est intéressée à l’activité humaine en se centrant plus

particulièrement sur la dynamique des relations entre un individu et son environnement en

adoptant un regard extérieur décrivant et mettant en rapport des actions et des spécificités

environnementales. Ainsi la singularité de l’activité, interprétée comme émergeante d’un

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rapport singulier au monde, est reconnue et prise en compte mais elle n’est pas envisagée à

partir du point de vue de l’individu et des significations qu’il développe.

3.3 L’activité comme construction de significations

3.3.1 Une activité vécue

Ces courants défendent l’idée d’une autonomie de la cognition humaine et d’une

construction permanente de significations au cours de la situation. A cet égard Lave (1988)

établit une distinction entre « arena » et « setting ». Par « arena » il fait référence à la

dimension objective du contexte, c’est-à-dire au cadre matériel et social qu’offre

l’environnement où se déploie l’activité de l’acteur et qui est commun à tous les sujets. Par

« setting » il désigne au contraire la dimension subjective du contexte, c’est-à-dire celle vécue

par chaque acteur et construite par son activité. L’acteur puise dans « l’arena » certains

éléments qui lui sont significatifs et lui permettent de déployer de façon autonome une action

unique et non déterminée à l’avance. Ainsi, engagés dans le même « arena » deux acteurs

construisent des « settings » différents. Contrairement à l’approche cognitiviste, le milieu est

ici moins une contrainte qu’une ressource pour l’activité humaine.

De même dans le domaine de l’enseignement et des apprentissages moteurs Hauw

(2002) parle de « situation » pour désigner « ce que le sujet prend réellement en compte pour

effectuer son action » (p.55). Ainsi l’ « arène » du cours d’EPS oriente le développement des

actions des élèves, sans toutefois les prescrire puisque chaque élève leur attribue une

signification et une interprétation particulière. En effet comme le précise Durand (2001)

« c’est l’intention ou le projet de l’acteur qui ouvre un champ de possible au sein duquel se

construit pas à pas de façon indéterminée une action organisée » (p.49). Finalement

l’enseignant dépose des signes dans l’environnement avec l’espoir qu’ils soient significatifs

pour les acteurs. Cependant la situation vécue par l’élève reste une construction personnelle

en fonction de ses relations avec le milieu matériel, les autres élèves et l’enseignant.

De part la spécificité du vécu important d’un élève « expert » dans l’APSA pratiquée,

la prise en compte de ces significations semble indispensable à la compréhension de son

activité.

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3.3.2 Une activité cultivée qui s’inscrit dans une histoire personnelle

Ces approches considèrent l’activité comme s’inscrivant dans une histoire particulière

issue d’événements passés et prenant racine dans une culture particulière.

En effet en dépit de son caractère singulier, l’action présente et exploite des

régularités, des invariants issus du passé selon un processus de typification (Gal et Durand,

2001). Rosch (1999) définit cette notion comme la tendance à catégoriser les expériences à

partir de jugements de ressemblance. L’individu au fur et à mesure de ses actions, établit des

normes propres, se construit un monde subjectif, par la reconnaissance de certaines

expériences singulières en tant que phénomènes typiques, c’est à dire récurrents dans des

contextes perçus comme similaires. Ainsi le contexte de la classe sera perçu différemment par

chaque élève en fonction de son expérience passée.

Toutefois l’élève « expert » possède vis à vis de l’APSA une double histoire qui va

guider ses actions par la reconnaissance de formes typique dans l’environnement. Tout

d’abord une expérience sportive de haut niveau solidement ancrée et qui peut ne pas être en

adéquation avec les exigences scolaires. Mais également une expérience scolaire l’engageant

dans un rapport nouveau à l’activité. On peut ainsi supposer que ces deux expériences vont

rentrer en compétition et peuvent être à l’origine de réactions inadaptées. Pour illustrer notre

propos nous pouvons envisager le cas où l’élève « expert », en situation de tirer au but, va

utiliser toute la puissance dont il a besoin pour marquer habituellement lors de sa pratique

compétitive alors qu’il se trouve face à un gardien de but novice.

Prolongeant cette analyse dans une perspective dite « cultivée », Bruner (1996) affirme

qu’on ne peut véritablement prétendre étudier l’activité humaine sans prendre en

considération comme fait central qu’elle est toujours empreinte d'une culture au sens de

significations partagées. La nature et la culture donnent forme à la fabrication de

significations : « la biologie contraint, la culture façonne » (p.38)

Vis à vis de l’élève « expert » en EPS on peut faire les mêmes conclusions que

précédemment en suspectant un risque de contradiction entre une culture sportive et une

culture scolaire.

L’ensemble de ces approches nous a donc apporté des éléments intéressants pour

l’analyse de l’activité d’un élève. Cependant le regard est resté axé sur une relation acteur /

environnement. Les activités des sujets impliqués dans la situation sont juxtaposées et

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analysées de façon isolée, de plus la situation éducative est scindée artificiellement en sous

domaines d’activité. Aussi il nous faut désormais envisager la situation éducative

simultanément dans sa globalité (le système classe) et sa complexité (les interactions).

3.4 L’activité comme inscription dans un système complexe

3.4.1 L’apprentissage situé

Ces travaux menés initialement par Brown, Collins, Duguid (1989) s’intéressent plus

particulièrement à la question des apprentissages. Ces auteurs mettent en question une approche

classique qui postule le savoir comme un objet autonome. Au contraire ils affirment que ce

dernier est toujours « situé » et « incarné » c’est à dire que les situations desquels il est issu font

partie intégrante de ce qui est appris. Notamment dans l’enseignement, le savoir alors

« scolairement situé » est indexé aux situations et aux exigences de la réussite à l’école.

Les mêmes constats ont été réalisés par Kirk et Kinchin (2003) qui dénoncent une conception

« décontextualisée » de l’éducation physique scolaire et concluent que tout apprentissage est

incorporé dans l’activité collective d’une communauté dont la spécificité définit des possibilités

d’apprentissage.

Cette idée semble particulièrement importante à prendre en compte dans une classe où évolue

un élève « expert ». En effet il est évident que si son expertise est incontestable et se révèle

parfaitement dans la logique fédérale, son efficacité dans le domaine scolaire ne va pas de soit.

Prenons par exemple le cas d’un volleyeur. Lors d’un match nécessitant une collaboration avec

des élèves ne possédant pas la capacité d’effectuer une attaque smashée, la passe arrière tendue

qu’il maîtrise si bien ne sera pas adaptée. Nous sommes donc amenés à nous interroger, d’une

part sur l’adaptation des compétences de haut niveau de cet élève et d’autre part sur la

construction probable de nouveaux savoirs et savoir faire relatifs au contexte de la classe.

Parallèlement, il est important de s’interroger sur l’influence qu’un élève « expert » peut avoir sur

les apprentissages de ses camarades. En effet la présence de cet individu dans une équipe de sport

collectif va offrir à ses partenaires des potentialités d’apprentissage nouvelles et inattendues qui

peuvent sembler élever artificiellement le niveau de chacun. Ainsi, l’activité de l’élève « expert »

se coordonne à celle des autres, en faisant émerger des comportements et des apprentissages que

l’on peut qualifier de « situés » car porteurs des circonstances de leur acquisition en l’absence

desquelles ils peuvent ne plus être opérationnels.

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28

3.4.2 Une activité inscrite au sein d’une communauté de pratique

Dans une perspective d’anthropologie sociale Lave et Wenger (1991) sont à l’origine de

la notion de communauté de pratique. Ce terme renvoie à « un groupe qui interagit, apprend

ensemble, construit des relations et à travers cela développe un sentiment d’appartenance et

de mutuel engagement ». L’activité de ce groupe passe par la définition d’une entreprise

commune, l’élaboration d’intérêts, préoccupations et buts communs, la négociation de normes

collectives légitimes, l’utilisation de ressources communes. Le savoir y est socialement

négocié à travers des formes spécifiques de communication à propos des activités partagées.

Dans cette perspective la classe peut être assimilée à une communauté de pratique. A cet

égard les travaux menés par Casalfiore, Bertone et Durand (2003) ont notamment montré en

quoi les transactions pédagogiques et les négociations de significations partagées qui ont lieu

en classe favorisent le maintien d’un équilibre viable entre les différents acteurs.

L’activité de l’élève expert peut être interroge par rapport à son rôle vis à vis de

l’élaboration de cette entreprise commune. En effet porteur de références et de compétences

de haut niveau il peut susciter une dynamique positive et permettre à la communauté

d’adopter des objectifs qu’elle n’aurait pas envisagée sans sa présence. De plus il peut être

intéressant de s’intéresser à la nature et à l’impact des négociations engagées par un élève

« expert » que ce soit vis à vis de ses camarades ou de l’enseignant. Par exemple lors d’un

cycle de volleyball la force des services peut faire l’objet de négociations entre un élève qui

voudrait s’amuser et montrer ses compétences, un enseignant qui souhaite favoriser la

continuité du jeu et des camarades qui n’osent pas essayer de réceptionner.

Malgré ces normes communes, négociées et partagées par l’ensemble de la

communauté, les élèves s’engagent parfois dans les tâches d’apprentissage selon de nouvelles

normes qui peuvent passer inaperçues et rentrer en contradiction avec les choix de

l’enseignant. Dans le cadre d’études récentes cet engagement a été envisagé à travers

l’identification du faisceau de préoccupations de l’élève à chaque instant. Notamment Rossard

et Saury (2004) ont montré que la structure coopérative ou compétitive des tâches

d’apprentissage en badminton ne détermine pas à elle seule l’engagement des élèves dans une

activité coopérative ou compétitive. Ainsi ils mirent en évidence une tendance à la

coopération dans les tâches d’opposition avec un enjeu évaluatif perçu et à l’opposition dans

les tâches de coopération sans enjeu évaluatif. De même Huet, Saury et Rossard (2006) se

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sont intéressés à la fluctuation du faisceau de préoccupations de collégiens pendant les leçons.

L’élève serait ainsi engagé dans différentes préoccupations en relation avec les conditions

sociales et les systèmes de tâches. Ces travaux ont également mis en évidence l’existence d’un

nombre important d’activités dites « clandestines » car passant inaperçues aux yeux de

l’enseignant et perturbant les activités dites « scolaires » à visée d’apprentissage.

L’engagement de l’élève « expert » dans ces activités nous semble particulièrement

intéressant à interroger, d’autant plus que l’enjeu évaluatif ne sera pas le même que ses

camarades. En effet s’ennuyant dans des activités scolaires inadaptées, il est possible qu’il

investisse de manière importante ces comportements non souhaités perturbant les réalisations

de ses camarades. Appréhender l’activité de cet individu dans son rapport à la communauté de

pratique « scolaire », permet une analyse qui se réfère à des normes collectives qu’il participe

à construire.

3.4.3 Une activité construisant et révélant une culture commune partagée

Cette idée de communauté de pratique peut être prolongée en considérant avec Lave et

Wenger (1991) qu’apprendre consiste finalement à co-construire cette communauté par

l’élaboration de significations et de savoirs partagés à l’origine d’une culture commune.

Mottier-Lopez et Allal (2004) insistant sur cette dimension culturelle et socialement située des

apprentissages scolaires confirment que ces derniers passent par l’appropriation et la

construction collective d’une micro-culture de classe.

Dans le contexte de l’EPS, ce phénomène se reflète à travers l’évolution des relations

que l’élève entretient avec les autres acteurs, le matériel et l’APSA enseignée. L’engagement

de l’élève est en effet constitué par un faisceau de préoccupations multiples et récurrentes

révélateur de cette micro culture et pouvant évoluer au cours du cycle (Durand, Saury et Sève,

2005).

L’activité de l’élève « expert » peut être envisagée au travers la construction et

l’appropriation de cette culture commune dont la spécificité scolaire risque d’entrer en conflit

avec la culture fédérale qu’il véhicule. A cet égard Cobb et Bowers (1999) cités par Mottier-

Lopez et Allal (2004) envisagent l’apprentissage, comme « à la fois un processus actif de

construction individuelle et un processus d’acculturation aux pratiques sociales et culturelles

institutionnalisées dans la société » (p.76). L’analyse du faisceau de préoccupation d’un élève

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« expert » peut être un bon indicateur de l’évolution du rapport entretenu vis à vis de la micro-

culture classe et du phénomène d’acculturation à la référence fédérale.

3.4.4 Une activité comme trajectoire de participation

Au sein d’une communauté de pratique les individus peuvent être engagés à des

degrés divers avec une place et un rôle particulier fonction notamment de la distance qui les

sépare du modèle de référence. Cependant cet engagement et ce positionnement n’est pas

statique et peut changer soit par une modification personnelle en direction du centre de la

communauté soit à cause d’une évolution de la référence légitime. Aussi Lave et Wenger

(1991) envisagent l’apprentissage comme une trajectoire de participation au sein de la

communauté de pratique où il prend scène. Ils développèrent cette idée à travers la notion de

« participation périphérique légitime » selon laquelle la participation d’un individu se

développerait graduellement dans le cadre d’une participation de plus en plus active à la

communauté de pratique et s’effectuant de la périphérie vers le centre. Ce processus

s’accompagnerait d’un « compagnonnage cognitif » dans lequel, grâce aux interactions entre

membres, chaque personne prend davantage de responsabilités, et s’intègre de plus en plus à

la culture de cette communauté.

Ainsi au sein d’une classe il existerait une organisation collective où certains élèves

plus au centre serviraient de référence alors que d’autres adopteraient une position plus

périphérique. De plus l’apprentissage s’accompagnerait d’un effort pour ces élèves de se

rapprocher de l’activité considérée comme légitime au sein de cette communauté de pratique.

L’activité de l’élève « expert » peut ainsi être questionnée par rapport à son

positionnement au sein de la communauté de pratique et donc à son influence sur ses

camarades. Comme nous l’avons vu, il est porteur de normes particulières, certainement

proches de la pratique fédérale, qu’il ne partage pas avec les autres élèves et qui vont

certainement influencer son engagement. On peut penser que gardant des références

inaccessibles aux autres élèves il puisse être relégué à la périphérie mais modifiant son cadre

de référence et adoptant des normes en adéquation avec ses camarades il puisse être amené à

occuper une place centrale servant alors de modèle. Enfin il semble intéressant de s’interroger

sur le rôle de cet élève dans l’intégration des autres au sein de la communauté de pratique.

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3.4.5 Une activité distribuée : notion de format pédagogique

Cette dernière perspective souhaite embrasser la situation éducative dans toute sa

complexité en intégrant l’ensemble des éléments co-présent et participant à sa dynamique,

notamment à travers les interactions entretenues avec les objets. Les travaux de Norman

(1993) sont à l’origine du rôle « artefactuel » reconnu aux objets : ces derniers ne sont plus

des éléments neutres et périphériques mais ils acquittent pour nous des fonctions cognitives

(représentation, mémorisation et planification). De plus ils jouent un rôle important dans la

relation entretenue par les sujets co-présents en offrant la possibilité d’un partage

d’informations collectives. Prolongeant cette perspective, Hutchins (1995) a développé l’idée

de « cognition distribuée » selon laquelle, au sein de tout système collectif, les éléments

environnementaux font partie intégrante de son fonctionnement au même titre que les

individus avec lesquels ils interagissent. Aussi l’activité d’un sujet envisagée isolément n’a

aucun sens. Ainsi ces courants dépassent l’idée de fonction de « contrôle » sur l’action de

l’environnement développée par Suchman (1990) en lui donnant finalement une fonction

« cognitive » à part entière qui se diffuse entre « agents et éléments de la situation ».

(Salembier 1996).

Aussi adaptant cette approche au domaine particulier de l’enseignement Durand

(2001) considère le système classe comme une unité cognitive au sein de laquelle

l’enseignant, les élèves et les objets présents ne sont que des composantes. L’activité

individuelle de chaque élève ne peut être comprise qu’en rapport avec le système classe. Ce

dernier déploie une dynamique collective complexe et mouvante qui elle-même évolue au gré

de la coordination d’actions personnelles et imprévisibles. Ainsi l’enseignant prépare sa

séance, organise l’environnement, place le matériel, délimitant ainsi l’ « arène » au sein de

laquelle va se déployer l’activité collective et individuelle des élèves. Ce cadre de travail ou

« format pédagogique » (Hauw 2002) oriente la façon dont les acteurs interagissent. A titre

d’illustration Gal Petitfaux et Durand (2001) ont montré comment en natation, l’adoption d’un

travail en « file indienne » influence un développement particulier des actions. Du côté des

élèves, ce format pédagogique impose un rythme, une intensité de nage et du côté de

l’enseignant, ce contexte de travail l’informe directement des actions des élèves tout en

l’incitant à organiser spatialement ses interventions.

L’activité de l’élève « expert » serait une composante particulière du système classe.

Notamment il semble intéressant de l’étudier à travers le format pédagogique où elle prend

place et à la dynamique duquel elle participe. Par exemple, en reprenant l’idée de la file

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indienne, on peut se demander comment l’activité d’un nageur confirmé et beaucoup plus

rapide que les autres va pouvoir s’y intégrer.

3.5 Une synthèse indispensable : Vers une distinction Activité – action

Ces considérations théoriques nous amène à opérer une distinction entre activité et

action. Nous adopterons pour cela le point de vue de Vermersch (1994) pour qui

l’activité renferme tous les processus qui sont mis en jeu par un acteur dans une situation

tandis que l’action renvoie à ce qui, dans cette activité, est significatif pour l’acteur. L’analyse

globale de l’activité nécessite donc d’appréhender l’action réellement vécue en prenant en

compte le point de vue de l’acteur qui sera ici un élève « expert ». L’activité sera donc

envisagée comme une totalité « au sein de laquelle cognitions, émotions, actions… ne sont

que des facettes d’une même réalité indécomposable » (Durand, 2001, p. 47).

Adoptant un nouveau regard sur l’activité humaine les perspectives « situées » nous

ont ainsi amenés à considérer que l’action possède une dynamique singulière évoluant au fil

du temps dans une relation circulaire de co-détermination avec la situation. A cet égard Varela

(1989), en affirmant que l’on s’adapte au monde que l’on crée en créant le monde auquel on

s’adapte, illustre ce refus de séparer l’individu de son environnement qu’il soit matériel,

humain ou symbolique.

4. Un positionnement scientifique pour éclairer une question pratique

4.1 Vers l’affinement de notre objet d’étude

Comme nous l’avons argumenté en point de départ de notre réflexion, la présence de

l’élève « expert » au sein d’une classe peut être assimilée à un cas extrême d’hétérogénéité

souvent délaissé par les enseignants. Au contraire, cette situation éducative particulière nous a

semblé être une problématique originale et intéressante pour l’enseignement. Différents

angles d’attaque se proposaient à nous et nous avons choisi de l’aborder non pas par le biais

traditionnel de l’enseignant mais au contraire à travers l’activité de l’élève lui-même. A cet

égard, notre analyse théorique nous a permis d’explorer un certain nombre de paradigmes

scientifiques qui, adoptant des postures particulières mais complémentaires vis à vis de

l’activité humaine, ont permis d’affiner nos connaissances relatives à ce cas particulier. Aussi

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au terme de nos réflexions nous confirmons notre hypothèse de départ qui envisageait la

présence de ce type d’élève comme potentiellement porteuse de « problèmes » mais aussi de

« richesses» au regard de l’hétérogénéité dont il est vecteur.

Notre question de recherche porte donc de manière générale sur l’activité de

l’élève « expert » en tant que ressource ou contrainte au sein du système classe.

4.2 L’activité de l’élève « expert » à travers un filtre « situé »

Nous avons pu mettre en avant les limites des études dites extrinsèques et ce sont

finalement les théories dites de « l’action située » qui se sont révélées particulièrement

adaptées pour répondre à cette question. Accordant le primat à l’intrinsèque et prenant en

compte le caractère « situé » de l’activité humaine, l’inscription au sein de ces approches

semble cohérente pour caractériser l’activité singulière et signifiante d’un élève « expert »

s’intégrant au sein d’une communauté de pratique scolaire que l’on ne peut occulter. Ce choix

initial d’une centration sur le point de vue de l’élève a été conforté par les conclusions des

premiers travaux menés en « action située » et révélant le caractère clandestin, original et

dynamique de l’activité des élèves en classe (Rossard et al, 2004, Huet et al, 2006 , Guerin et

al, 2005).

Aussi cette recherche tournée prioritairement vers les praticiens cherchera à répondre à

la question suivante : Y-a-t-il une spécificité dans l’activité d’un élève « expert » confronté

à une communauté de pratique « scolaire » ?

Enfin ces recherches, proches de notre objet d’étude, ont utilisé la méthodologie du

cours d’action qui s’est avérée produire des résultats scientifiquement valides et utiles. Elle

permet en outre de mettre en avant la singularité de l’activité des élèves à partir d’une analyse

intrinsèque. De là, nous tenterons d’éclairer notre objet de recherche par ce même cadre

théorique en couplant deux regards, celui « externe » du chercheur, s’immisçant dans

l’intimité d’un cours d’EPS et celui interne de l’élève « expert » dont nous voulons

appréhender l’activité.

Après ce long détour théorique nécessaire à la maîtrise et à l’affinement de notre

objet d’étude et ayant orienté notre positionnement au sein des approches « situées », il

nous faut désormais adopter et présenter notre cadre théorique et méthodologique.

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Partie 2 : Choix d’un cadre théorique

Vouloir étudier l’activité d’un élève « expert », au cœur d’une situation éducative

envisagée comme un système d’activités collectives, nous a conduit à adopter une démarche

particulière choisissant pour mode d’entrée le « cours d’action » (Theureau 2004).

1. Un objet théorique particulier : le « cours d’action »

Le cours d’action est un objet théorique construit spécifiquement par Theureau (2004)

pour le cadre des approches « situées ». Notamment il souhaite offrir une piste intéressante

pour rendre compte des interactions entre un acteur et son environnement, c’est a dire des

éléments de l’environnement « sélectionnés comme pertinents pour l’organisation interne, à

chaque instant, de l’acteur » (p.8). Ce cadre théorique et méthodologique du « cours

d’action » permet de décrire « l’activité d’un (ou plusieurs) acteur(s) engagé(s) dans une

situation, qui est significative pour ce (ou ces) dernier(s), c’est à dire montrable, racontable

et commentable par lui (ou eux) à tout instant, moyennant des conditions favorables »

(Theureau, 2004, p. 48).

Ainsi en accord avec les postulats théoriques des approches situées, l’application de

cet objet théorique nous offre la possibilité d’accéder à la signification personnelle que l’élève

engage dans la situation à laquelle nous nous intéressons.

2. Organisation intrinsèque, contraintes et effets extrinsèques

du cours d’action Le cours d’action est une totalité dynamique qui présente des propriétés d’auto

organisation (Theureau, 1992, 2004 ; Theureau et Jeffroy, 1994) qui se concrétisent à trois

niveaux : dans l’organisation intrinsèque du cours d’action, dans ses contraintes extrinsèques

et dans ses effets extrinsèques.

2.1 L’organisation intrinsèque du cours d’action : le cours d’expérience

Au niveau de l’activité montrable, racontable et commentable par l’acteur,

l’organisation intrinsèque du cours d’action, ou cours d’expérience est « l’organisation

dynamique des actions, communications, interprétations, focalisations et sentiments d’un

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acteur » (Theureau et Jeffroy, 1994, p. 25) c’est à dire qu’il renvoie à son organisation propre,

liée à l’affirmation par l’acteur de son point de vue sur le monde.

L’idée d’organisation dynamique sous entend :

(1) que chacune des unités élémentaires du cours d’expérience (c’est à dire, chaque action,

communication, interprétation, focalisation ou sentiment) est reliée aux autres, formant une

totalité ; (2) que cette totalité présente des formes reconnaissables et intelligibles (on peut

décrire des régularités) ; (3) qu’elle est sujette à des transformations ou variations au cours du

temps.

2.2 Les contraintes et effets extrinsèques du cours d’action

Le cours d’action inclut donc le cours d’expérience mais ce dernier est conditionné par

des contraintes extrinsèques (la délimitation et la structuration de l’environnement avec lequel

l’acteur interagit) et produit des effets extrinsèques (les transformations que le cours d’action

produit dans cet environnement) qui sont relatifs à l’état de l’acteur, à sa situation et à sa

culture. Par exemple dans le cas d’un élève « expert », la culture institutionnelle dont il est

porteur ou la relation récurrente qu’il possède avec les autres s’apparentent à des contraintes

extrinsèques influençant son cours d’expérience.

Le cours d’expérience est fondé sur le postulat que le niveau d’activité, montrable,

racontable et commentable, est un niveau d’organisation relativement autonome par rapport à

d’autres niveaux d’analyse de l’activité, et qu’il peut donner lieu à des observations,

descriptions et explications valides et utiles (Theureau, 1992, 2004). Ainsi l’analyse du cours

d’expérience nous livre finalement une « description symbolique acceptable » (Varela, 1989,

p. 183) de la dynamique du couplage structurel d’un acteur avec la situation.

Le cours d’action est fondé sur le postulat selon lequel il est possible de rendre compte

des contraintes et effets extrinsèques qui pèsent sur la construction d’expérience par un acteur.

Mais pour que ces deux objets théoriques, cours d’action et cours d’expérience soient en

cohérence, il est nécessaire de prendre en compte ce qui, dans les contraintes et effets

extrinsèques, est pertinent au yeux des acteurs. Ce principe est la traduction du primat à

l’intrinsèque dans l’analyse des données.

Finalement dans l’étude d’un élève « expert » en situation scolaire, le cours d’action

permet de prendre en compte le point de vue de l’acteur et de décrire la dynamique de son

activité.

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3. Cadre sémiologique d’analyse du cours d’expérience

La théorie sémiologique du cours d'expérience s’inspire de l’hypothèse de la

« pensée signe » de Peirce (1978) ou de « l’activité signe » (Theureau, 1992, 2000, 2004)

selon lesquels l’homme pense et agit par signes « Toute action toute pensée est un signe dans

un cours de signes » (Theureau, 2004, p52 ). Chacun de ces signes émerge de l’interaction de

l’acteur avec le contexte au sein duquel il évolue. L’analyse de l’activité procède finalement

de l’analyse de la succession de ces unités de signification pour l’acteur.

3.1 Deux notions essentielles

Ainsi Theureau (2004) présente deux notions essentielles à la base du cours

d’expérience de l’acteur : le signe hexadique, d’une part, et les structures significatives

d’autre part.

3.1.1 Le signe hexadique

Theureau (2004) considère qu’un cours d’expérience est composé d’un enchaînement

d’unités d’activité significatives pour l’acteur, ou unités significatives élémentaires (USE).

Chacune de ces unités se rattache à un signe dit hexadique reliant entre elles six composantes

susceptibles de rendre compte de la construction de l’expérience humaine à un niveau local.

Ces 6 composantes sont à la fois indissociables et distinctes les unes des autres.

Les trois premières composantes l’Engagement dans la situation, l’Actualité potentielle et le

Référentiel constituent la « structure d’attente » de l’acteur (liée à son histoire, son vécu) et

délimite le champ des possibles pour cet acteur à l’instant t. Les deux composantes suivantes,

le Représentamen et l’Unité du cours d’action constituent l’actualité de l’acteur à l’instant t.

L’Interprétant quant à lui traduit l’hypothèse de la constante transformation des connaissances

de l’acteur au cours de ses interactions.

3.1.2 Les structures significatives

La notion de structure significative est complémentaire de celle de signe hexadique.

Par hypothèse, l’articulation ou « concaténation » (Theureau, 2000) des signes hexadiques

construit des structures significatives continues, discontinues et enchâssées. Ces structures

traduisent des continuités et discontinuités d’ouverture, de création, de transformation et de

fermeture des possibles.

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Ces notions, et les hypothèses qu’elles traduisent, mettent en évidence deux niveaux

d’organisation du cours d’action qui s’articulent : l’organisation intrinsèque locale et

l’organisation intrinsèque globale.

3.2 Organisation intrinsèque locale du cours d’action

L’organisation locale du cours d’action spécifie l’hypothèse selon laquelle le cours

d’action consiste en un enchaînement de signes. Décrire et analyser le cours d’expérience

implique alors de reconstruire les processus de construction de ces signes en action.

Selon ces hypothèses, la concaténation des composantes du signe permet de déterminer une

ouverture de possibles sur l’avenir. En fonction de ses attentes à un instant t, l’acteur est plus

ou moins sensible à tel événement susceptible de s’inscrire dans cet « ouvert » ou de le clore.

L’ensemble des préoccupations à un instant t, dont la synthèse peut être définie comme

l’engagement dans la situation, est constitué par les préoccupations qui ont été ouvertes dans

le passé et n’ont pas encore été refermées.

Cette analyse précise ne sera pas utilisée dans le cadre d’une recherche pionnière qui

ne cherche pas pour l’instant à analyser finement la construction locale de chaque signe. Notre

questionnement nécessite en effet d’adopter un regard plus « macroscopique » sur l’activité

d’un élève « expert » afin de pouvoir caractériser ses préoccupations et son engagement

général au cours de séances d’EPS. A cet égard l’analyse globale du cours d’action nous a

semblé plus appropriée.

3.3 Organisation intrinsèque globale du cours d’action

La construction globale du cours d’action spécifie l’hypothèse selon laquelle le cours

d’expérience consiste en un enchaînement et un enchâssement d’unités significatives

élémentaires (Theureau, 2004). Chaque USE est insérée dans une succession d’USE qui lui

donne du sens et elles peuvent se succéder, s’enchâsser et composer des unités plus larges.

Ainsi trois niveaux d’analyse de l’organisation globale du cours d’action peuvent être

décrits : le niveau de chacune des unités significatives élémentaires (USE), le niveau de

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l’enchaînement des USE dans un cours d’action particulier et le niveau des relations de

composition entre les USE à l’intérieur d’un cours d’action.

3.3.1 Unité significative élémentaire (USE)

L’unité significative élémentaire du cours d’action est la fraction pré-réflexive de l’activité de

rang le plus bas pour l’acteur (Theureau, 2000). Elle est l’expression synthétique de son

activité, au niveau où il peut en rendre compte de la façon la plus détaillée. On trouve cinq

catégories fondamentales d’USE organisées dynamiquement : les actions, les

communications, les interprétations, les émotions et les focalisations.

3.3.2 Enchaînement des USE

Chaque USE est insérée dans une succession d’USE qui lui donne du sens.

L’enchaînement des USE d’un cours d’action particulier peut déboucher sur un « récit

réduit » (Theureau et Jeffroy, 1994) du cours d’action de l’acteur. Aussi la réalisation de

certaines actions dépend directement de celles qui précèdent, certaines actions participent à la

composition d’une action plus large, enfin certaines actions engagées peuvent être

momentanément interrompues par d’autres, puis poursuivies ultérieurement.

3.3.3 Relations de composition entre les USE

La construction globale du cours d’action rend compte de la concaténation et de

l’enchaînement des unités élémentaires dans différents empans temporels. Ces unités

élémentaires s’enchâssent au sein d’unités plus larges extraites de différentes structures

significatives qui permettent de prendre en compte plusieurs aspects du cours d’action :

- La réalisation de certaines actions dépend directement de celles qui précèdent : par exemple,

l’élève expert peut corriger un camarade que s’il a observé l’action de ce dernier auparavant.

- Certaines actions participent à la composition d’une action plus large : par exemple donner

une consigne défensive à un coéquipier peut faire partie d’une préoccupation plus large qui

est de gagner le match.

- Certaines actions engagées peuvent être momentanément interrompues par d’autres, puis

poursuivies ultérieurement : par exemple, cette préoccupation de gagner le match peut être

interrompu par l’émergence d’un conflit avec l’enseignante relatif à la force d’un de ses tirs.

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Aussi trois grandes sortes de structures significatives fondamentales (de rang supérieur

à celui des structures significatives élémentaires) peuvent être analysées : les structures

significatives à caractère séquentiel (les séquences), sériel (les séries) et synchrone (les

synchrones) (Theureau, 1992, 2004).

- Les « séquences » sont composées d’unités ou de structures significatives entretenant

entre elles des relations diachroniques (s’inscrivant à des moments différents de l’histoire du

cours d’action) et dyadiques (se succédant de proche en proche, l’une déterminant l’autre).

- Les « macro-séquences » sont des unités significatives du cours d’action plus larges

que les séquences. Elles sont composées de plusieurs séquences entretenant des relations de

cohérence séquentielle, c’est-à-dire que les préoccupations de chacune de ces séquences

participent à une préoccupation plus globale qui les relie (Theureau, 2000).

- Les « séries » composées de plusieurs séquences (ou de plusieurs unités élémentaires

ne composant pas des séquences) traduisent la cohérence entre les objets des USE qui la

composent. C’est le caractère global qui différencie les séries des séquences : les USE ne

s’inscrivent pas dans une relation de dépendance séquentielle (une USE n’est pas déterminée

par la précédente) mais participent à une préoccupation globale de l’acteur.

- Les « synchrones » sont composés d’USE entretenant entre elles des relations de

cohérence synchronique. Une relation synchronique traduit le fait que les objets de différents

signes sont sélectionnés à partir de l’engagement de l’acteur dans la situation globale, dans un

laps de temps donné. Les synchrones peuvent ainsi être composés de plusieurs structures

significatives à caractère séquentiel et/ou sériel, de différents rangs.

3.3.4 Les « structures archétypes »

Les séquences, les macro-séquences, les séries et les synchrones peuvent donner lieu à

la construction de structures archétypes : les séquences archétypes, les macro-séquences

archétypes et les séries archétypes. Ces structures archétypes regroupent (ou classent) des

séquences, des macro-séquences et des séries présentant des similarités (critères de typicalité).

Ces structures archétypes révèlent les propriétés d’auto-organisation du cours d’action : son

organisation émerge de sa dynamique intrinsèque et de phénomènes d’ajustement à des

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contraintes extrinsèques. La construction de ces structures archétypes procède d’une

démarche de modélisation qualitative et d’abstraction, qui ne reflète pas forcément une

fréquence d’occurrence au sein du corpus.

Ainsi la construction globale du cours d’action va nous permettre de caractériser la

dynamique globale de l’activité d’un élève expert en identifiant et décrivant les structures

significatives de son cours d’action, et leur agencement temporel.

4. Problématique

4.1 Une recherche pionnière explorant l’activité d’un élève « expert »

Notre étude « pionnière » sera menée de façon exploratoire à partir d’une analyse

intrinsèque globale du cours d’action. En effet à partir de l’identification des structures

archétypes nous souhaitons identifier des préoccupations typiques et ainsi dégager les

composantes fondamentales de l’activité de l’élève « expert » sur lequel portera notre étude.

Notre problématique sera donc d’envisager la nature et la dynamique de

l’engagement d’un élève « expert » au sein d’une communauté de pratique « scolaire ».

4.2 Une recherche porteuse d’une double ambition pratique et théorique

S’inscrivant à la suite des travaux menés jusqu’alors en anthropologie cognitive dans

le domaine de l’EPS, l’ambition de cette recherche est double. Tout d’abord elle souhaite

répondre à une visée « transformative » (Schwartz, 1997) en abordant une problématique

actuelle et quotidienne des cours d’EPS : la question de l’hétérogénéité. En effet la meilleure

compréhension de l’activité d’un élève « expert » devrait nous permettre d’apporter un

éclairage utile sur le rôle qu’un tel individu peut jouer au sein d’une communauté de pratique

scolaire.

Parallèlement cette étude souhaite répondre à une visée plus générale dite « épistémique »

(Schwartz, 1997) en apportant sa contribution, aussi modeste soit elle, à l’enrichissement et

l’affinement de l’objet théorique du cours d’action en l’appliquant et l’adaptant à un domaine

qu’il commence à investir : l’analyse in situ de l’activité des élèves.

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Nos objectifs seront donc de compléter les résultats actuellement disponibles quant

aux préoccupations des élèves en soulignant, si elle existe, la spécificité de l’élève « expert »

qui pourrait être révélateur d’un rôle particulier dans la classe. Nous espérons également

susciter la réflexion des enseignants en contribuant à une meilleure compréhension de

l’activité de cet élève. Enfin nous souhaitons aboutir à des perspectives de recherches futures

qui viseraient à approfondir cet objet d’étude et cette question de l’hétérogénéité en EPS.

Armés du soutien théorique et méthodologique qu’offre le « cours d’action » il

nous faut désormais passer à l’action et repartir à la rencontre du terrain d’où était

partie notre réflexion.

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Chapitre 2 : METHODOLOGIE

1. Une boite à outils adéquate et partagée

Le cadre théorique du « cours d’action » renvoie à une méthodologie particulière

caractérisée par une collaboration entre chercheurs et acteurs.

Tout d’abord elle repose sur des matériaux empiriques de terrain, nécessitant une

observation de l’élève au cœur d’une situation naturelle. Mais accéder à l’organisation

intrinsèque du cours d’action suppose également une interrogation de l’acteur vis à vis de son

activité. Pour cela nous utilisons une méthode à posteriori, « la verbalisation par entretien

d’auto confrontation » (Theureau, 2004), qui consiste à placer ce dernier devant

l’enregistrement vidéo réalisé in situ en l’interrogeant et en l’incitant à commenter son action.

Ainsi l’élève occupe un rôle central au sein de ce processus de recherche en

fournissant au chercheur des éléments qu’il est le seul à pouvoir révéler et qui sont pourtant

indispensables à la compréhension de son activité. Finalement l’acteur apporte les contenus

empiriques de son expérience tandis que le chercheur médiatise cette expérience par le

système des concepts scientifiques.

2. Un travail préalable : Trouver un terrain de recherche

Etape 1 : Partir à la recherche d’élèves « experts »

Nous avons recherché un élève possédant une réelle expertise dans une activité donnée

et prenant part à un cycle d’EPS dans cette même APSA. Pour cela des mails ont été envoyés

à un grand nombre d’enseignants de l’agglomération rennaise et des environs. Cinq réponses

positives ont été obtenues mais seulement deux ont été retenus car pouvant correspondre

réellement à notre objet d’étude : un élève de seconde ancien joueur de handball au niveau

national dans une classe mixte, un élève de troisième pratiquant le basket-ball en club.

Après avoir obtenu l’accord des enseignants une lettre a été remise à chaque élève afin de leur

expliquer brièvement la procédure sans toutefois révéler l’objet réel de la recherche (cf

annexe).

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Remarque :

Malgré ces précautions un des deux élèves ne correspondait pas au profil recherché. En effet

notre basketteur, bien qu’il pratiquait en club, ne possédait pas une réelle expertise de

l’activité. L’analyse de l’activité de cet élève a donc été arrêtée.

Ainsi notre étude porte finalement sur le cas particulier d’Alexandre, élève de seconde,

que l’on considère comme « expert » en handball et engagé dans un cycle d’EPS portant sur

cette même activité.

Etape 2 : Choisir les séquences à observer

Les enregistrements ont porté sur deux séances consécutives d’un cycle de handball.

Principalement il nous est apparu indispensable d’effectuer nos observations sur deux séances

pour pouvoir les comparer et ainsi vérifier si les résultats que nous mettrions en évidence pour

la première concorderaient avec la suivante. Elles correspondent à la fin du cycle (6ème et 7ème

séances d’un cycle comprenant 8 séances).

Etape 3 : S’intégrer au cœur d’une situation concrète d’enseignement Rencontre et contrat avec les acteurs

Pour garantir l’authenticité des données recueillies et notamment la franchise des

acteurs étudiés nous avons veillé à instaurer un respect et une confiance mutuelle. Notamment

nous leur avons laissé la possibilité d’interrompre ou de mettre un terme à la collaboration si

la poursuite de l’étude s’avérait ne plus être souhaitée. Enfin nous avons essayé de ne pas

dévoiler totalement notre objet de recherche.

Collaboration avec l’enseignant

L’enseignante fut mise au courant de la méthodologie employée et de l’usage supposé des

données. Il a été convenu avec elle de ne pas modifier ce qui avait été prévu et d’essayer de

rester aussi naturelle que possible. Il est important de noter que cette enseignante connaissait

la méthodologie du cours d’action.

Collaboration avec les élèves de la classe

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Nous avons insisté sur notre volonté d’observer la réalité d’un cours d’EPS en précisant que

les images ne seraient pas diffusées et qu’ils pouvaient ainsi continuer leurs « mauvaises

habitudes » si elles existaient.

Collaboration avec l’élève expert

Nous avons insisté sur le fait que l’enseignante n’aurait pas accès aux enregistrements audio

de son micro HF. Aussi nous lui avons demandé de ne pas changer ses habitudes et de se

comporter naturellement, de discuter, de faire l’imbécile, d’être sage …

Il nous est apparu assez à l’aise répondant spontanément qu’il avait l’habitude d’être filmé

dans le cadre de ses entraînements de handball.

Découvrir et investir les lieux

L’enseignante m’ayant signalé globalement comment se déroulerait la séance, j’ai choisi

de me placer dans le coin du gymnase me paraissant le plus adéquat pour perturber le moins

possible le bon déroulement du cours : côté opposé au tableau, à la porte d’entrée et aux

vestiaires.

Ayant conquis, nous l’espérons, la confiance de nos collaborateurs et étant

confortablement et discrètement installé au cœur de la scène, le rideau peut désormais se

lever et laisser place aux acteurs.

3. Recueil des matériaux empiriques

Etape 4 : Un travail discret au cœur de l’action

Les deux séances de 1H40 environ ont été filmées dans leur intégralité par deux caméras

vidéo VHS montées sur pieds. La première filmait d’un point fixe avec un plan large

l’ensemble du groupe classe en enregistrant le son de manière continue. La deuxième caméra

zoomait sur les actions d’Alexandre. Ce dernier était muni d’un micro cravate relié par

récepteur à la caméra et permettant d’enregistrer ses verbalisations ainsi que celles des acteurs

présents dans son environnement proche. L’enseignante était également munie d’un micro

cravate relié à un dictaphone.

Nous avons complété ces informations par quelques données relevées sur le vif quant à des

événements particuliers, des impressions personnelles et des communications d’Alexandre

n’ayant pas été enregistrées par le micro.

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Etape 5 : Un travail a posteriori mené en collaboration avec les acteurs

A l’issue des deux séances et à partir des enregistrements recueillis sur le terrain, nous

avons procédé à des entretiens d’auto confrontations individuels afin de faire verbaliser

Alexandre ainsi que l’enseignante sur leurs actions. Repositionné dans une posture favorable

de « re-évocation » et « re-énaction » (Theureau-2004) cette projection leur permet de revivre

la situation artificiellement et ainsi facilite l’accès à la signification singulière de leurs actions

à chaque instant. Ces entretiens ont été filmés et enregistrés dans leur intégralité.

Un contrat préalable

Les conditions relationnelles entre l’acteur et l’observateur sont déterminantes pour

l’authenticité des informations recueillies. Elles doivent être autant que possible basées sur

des principes d’égalité, de confiance mutuelle, d’accord commun.

Il a ainsi été décidé et accepté par les deux acteurs qu’Alexandre réaliserait les entretiens à

partir des images et du son de la caméra qui le concernait directement tandis que l’enseignante

n’aurait accès qu’aux traces de la caméra avec plan fixe. De plus il fut entendu que les

données recueillies resteraient confidentielles.

Des conditions adéquates

Afin de favoriser les mécanismes mémoriels (Theureau, 2004), les entretiens ont été

réalisés dans une salle du lycée à partir d’images visualisées sur une TV et dans un délai d’au

maximum cinq jours. Avant chacun des entretiens il a été précisé aux acteurs les objectifs de

l’auto confrontation. Ils avaient également la possibilité d’arrêter la vidéo ou de revenir en

arrière s’ils le souhaitaient.

Déroulement des entretiens

La posture du chercheur est assez particulière lors de ces entretiens car elle doit

permettre de favoriser la verbalisation tout en restant neutre et le plus objectif possible.

Réaliser un entretien avec un élève de seconde et avec une enseignante a nécessité une

adaptation notamment sur le plan du langage utilisé.

Pour Alexandre les entretiens ont été effectués sur l’ensemble de la séance. Le

questionnement qui suivait le déroulement chronologique de l’enregistrement visait

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l’explicitation des actions et communications d’Alexandre. Nous cherchions à avoir accès à ce

qu’il faisait, pensait, prenait en compte pour « agir » (au sens large), percevait, ressentait. Nos

relances portaient essentiellement sur la description des actions et des événements vécus en

évitant les demandes d’interprétations et les généralités (Theureau, 1992 ; Vermersch, 1994).

En revanche pour les entretiens avec l’enseignante nous nous sommes restreints aux

périodes d’interactions avec Alexandre ainsi qu’aux regroupements collectifs. En effet ces

entretiens ne visaient pas à construire le cours d’expérience de l’enseignante mais au contraire

ils devaient nous permettre de pouvoir analyser et mieux comprendre l’activité d’Alexandre

au regard de la classe. Ces matériaux devraient nous permettre de valider et d’étayer des

informations données par Alexandre ou perçues par le chercheur.

Etape 6 : Compléter par des entretiens semi-directifs

En accord avec notre cadre théorique ayant soulevé l’importance de considérer que les

acteurs et leurs actions font partie intégrante du contexte matériel, historique, social, culturel

et symbolique dans lequel ils s’inscrivent, il nous a semblé indispensable et intéressant de

compléter nos données par des informations supplémentaires. Ainsi au terme de ces deux

séances des entretiens individuels de 1h environs avec les deux acteurs ont été réalisés.

Parmi les thèmes abordés figure l’histoire personnelle d’Alexandre, ses

caractéristiques, son vécu sportif, scolaire… L’histoire de la classe a également été abordée

que ce soit du point de vue de l’enseignante que de l’acteur lui-même.

Etape 7 : Ne pas négliger le contexte de recueil des matériaux

Un certain nombre d’informations relatives au contexte du recueil des matériaux ont

été récoltées. (contexte établissement, classe, cycle, séances, auto-confrontations … ) (cf

annexe).

4. Analyse des matériaux et construction des données

Comme nous l’avons justifié en amont nous avons opté pour une réduction de

l’activité de notre élève à un certain niveau d’organisation, en référence à l’objet théorique du

cours d’action (Theureau, 1992, 2004 Theureau et Jeffroy, 1994) .

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4.1 Construction des données du cours d’action : protocole à 3 volets

Volet 1 : transcription des enregistrements de la séance

A partir du visionnage des images l’intégralité des deux séances a été retranscrit à

partir d’un protocole comprenant : une description comportementale de l’activité de l’élève

ainsi que toutes ses verbalisations durant l’action. De même les actions et verbalisations des

acteurs avec lesquels Alexandre interagit directement ont été retranscrites de la même

manière. Toutes ces données ont été mises en relation avec le décours temporel des séances

(30s).

Volet 2 : transcription des auto-confrontations

Les données de verbalisation obtenues lors des auto-confrontations ont été

intégralement retranscrites.

Volet 3 : description des contraintes extrinsèques

Nous avons recueilli l’ensemble des contraintes liées aux acteurs ou à la situation

susceptible d’influencer le cours d’action (horaires, lieux…). Notamment les deux entretiens

semi-directifs ont été retranscrits.

4.2 Construction progressive du « cours d’expérience »

Etape 1 : Découpage et nomination des USE

La reconstitution de la dynamique temporelle et significative de l’activité s’est faite à

partir du découpage de l’activité en unités significatives élémentaires (USE) selon cinq

catégories génériques : les actions, communications, interprétations, focalisations et

sentiments. Grâce à l’examen des matériaux recueillis (Volets 1, 2, 3) il s’agissait de

documenter pas à pas, sur l’ensemble des deux séances, les éléments de signification

accompagnant l’activité d’Alexandre. De façon pratique nous cherchions à chaque instant de

son activité à répondre aux questions suivantes : Que fait Alexandre (de son propre point de

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vue) ? Que communique t-il et avec qui ? Que pense t-il ? Sur quoi concentre t-il son

attention?

Les réponses à ces questions ont permis la construction d’un « récit réduit »

(Theureau et Jeffroy, 1994) pour traduire le plus étroitement possible la description

significative des actions d’Alexandre. (au sens large incluant les cinq catégories d’unités

élémentaires fondamentales). Chaque USE a été dénommée par une proposition contenant un

verbe d’action conjugué à la troisième personne du présent de l’indicatif (par exemple,

« écoute l’enseignante ») et des arguments complétant le verbe (par exemple, «explique à

Olivier comment il doit placer son bras pour tirer »). De plus lorsque Alexandre était engagé

simultanément dans une double préoccupation nous avons utilisé l’un des deux verbes

d’action au participe présent en conservant le verbe conjugué pour la préoccupation prioritaire

(par exemple « discute avec Olivier du blocus du lycée en écoutant l’enseignante »).

Les cours d’action d’Alexandre sur les deux séances ont été présentés dans un tableau

à trois colonnes : la première est constituée par la numérotation des USE ; la deuxième

indique les repères temporels avec une périodicité de 30 secondes et la troisième regroupe les

récits réduits de chaque USE.

Tableau 1 : Extrait du cours d’expérience de la séance 2 alors qu’Alexandre est arbitre.

USE Temps Description 268 16'30 regarde le jeu en avançant reculant en suivant l'action

269 regarde les rouges qui marquent

270 siffle deux fois en baissant la tête

271 pense que les filles vont avoir du mal à s'en sortir face à l'équipe rouge car il y a deux garçons dans l'équipe d'en face et que seulement Anaëlle a fait du HB au collège

272 se dirige vers les filles pour les conseiller en pensant qu'elles ne bougent pas assez

273 chuchote aux filles "de bloquer les mecs"

274 entend la prof qui leur dit qu'elles doivent s'organiser en défense 275 répète aux filles en chuchotant de "bloquer les mecs" de se mettre en V

276 siffle

Etape 2 : Analyse de l’organisation séquentielle et sérielle du cours d’action

Afin de rendre compte des caractéristiques de l’organisation globale du cours

d’expérience d’Alexandre, les séquences et les séries ont été identifiés. Nos données, ainsi

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que les contraintes temporelles inhérentes à un Master 1, ne nous ont pas permis de nous

intéresser aux synchrones.

Organisation séquentielle

Les séquences

Pour l’identification des séquences nous avons utilisé la dynamique d’engendrement

des USE et la formulation des préoccupations d’Alexandre pendant les auto-confrontations.

L’identification des séquences a permis de mieux comprendre le sens de chacune des USE qui

les composaient. La nomination des séquences s’effectue par un verbe d’action noté à

l’infinitif et traduisant la préoccupation de l’acteur. (par exemple : « encourager ses

camarades »).

Tableau 2 : Exemple d’identification des séquences.

USE Temps Description Séquences

268 16'30 regarde le jeu en avançant reculant en suivant l'action

269 regarde les rouges qui marquent

S1. se concentrer sur l'action et les

fautes

270 siffle deux fois en baissant la tête S2. siffler un but

271 pense que les filles vont avoir du mal à s'en sortir face à l'équipe rouge car il y a deux garçons dans l'équipe d'en face et que seulement Anaëlle a fait du HB au collège

272 se dirige vers les filles pour les conseiller en pensant qu'elles ne bougent pas assez

273 chuchote aux filles "de bloquer les mecs"

S3. conseiller les filles qui perdent face aux garçons

274 entend la prof qui leur dit qu'elles doivent s'organiser en défense

S4. écouter la prof qui donne des conseils à

l'équipe de filles

275 répète aux filles en chuchotant de "bloquer les mecs" de se mettre en V

S3. conseiller les filles qui perdent face aux garçons

276 siffle S5. siffler

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Les macro-séquences

L’identification des macro-séquences renvoie à un niveau d’engagement plus global

de l’acteur. Cette catégorisation s’effectue sur la base d’une cohérence dans la succession des

séquences et des verbalisations des acteurs en auto-confrontation. La nomination des macro-

séquences rend compte de l’engagement des acteurs à un niveau plus global et le verbe

d’action a été remplacé par un thème général (par exemple :« attente pour la réalisation de

l’exercice »).

Organisation sérielle

Les séries ont été identifiées sur la base de structures significatives récurrentes dans le

cours d’action mais non organisées séquentiellement et à l’aide des verbalisations des acteurs

en auto-confrontation. Les séries sont nommées selon les mêmes principes que les séquences

par des verbes d’action à l’infinitif afin de rendre compte de l’engagement d’Alexandre.

Etape 3 : Construction des structures archétypes

Le caractère archétype d’une séquence, d'une macro-séquence ou d’une série traduit

l’idée d’une similarité entre différentes séquences, macro-séquences ou séries qui peuvent être

regroupées selon des critères de typicalité (Gal-Petitfaux et Durand 2001). Ces similitudes

étaient repérées au niveau de l’organisation globale, en repérant des ressemblances dans la

composition des structures significatives.

La nomination des structures archétypes constitue une étape supplémentaire de

généralisation. Le « récit réduit » de la structure archétype doit englober celui de chacune des

structures significatives particulières qu’elle représente. Par exemple, la séquence archétype

« faire travailler ses camarades» constitue un niveau de généralisation supérieur par rapport à

celui des séquences « faire jouer ses coéquipiers » et « faire courir Olivier pour qu'il

s'échauffe ».

Etape 4 : Catégorisation des préoccupations typiques

A partir de cette construction des structures archétypes nous avons établi une

catégorisation s’échelonnant sur trois niveaux. Un premier renvoie aux préoccupations

typiques d’Alexandre pendant la séance et correspondent globalement aux structures

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archétypes (par exemple : « modifier la tâche pour se donner physiquement »). Un deuxième

niveau vise à mettre en avant des catégories d’engagement de rang plus élevé regroupant ces

préoccupations selon des critères de typicalité (Gal-Petitfaux et Durand 2001). Cette

préoccupation typique, « modifier la tâche pour se donner physiquement », renvoie ainsi à un

engagement plus large : « s’investir sur le plan moteur » englobant également « se lâcher » et

« ne pas perdre de temps ». Enfin le troisième niveau s’organise en fonction du destinataire

principal de ces engagements (ici « vers soi »).

Aussi ce découpage n’opère pas de distinction entre séquences, séries et macro-

séquences ne prenant pas en compte le caractère global ou récurent des préoccupations

d’Alexandre.

Remarque : une présentation complète de nos données figure en Annexes.

Après ce premier contact avec les acteurs et cette explication méthodologique,

nous pouvons désormais rentrer au cœur de notre travail par la présentation des

résultats et le dévoilement de l’activité d’Alexandre.

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Chapitre 3 : RESULTATS

Les résultats s'organisent en trois sections. La première présente la nature des

préoccupations d’Alexandre qui ont émergé au cours des deux séances. La deuxième section

s’intéresse à la dynamique de ces préoccupations à travers l'analyse de leur évolution en

relation avec les macro-séquences identifiées. Enfin la dernière section expose une synthèse

de l’activité d’Alexandre à partir d’une analyse de ces deux premières sections prenant en

compte également le point de vue de l’enseignante recueillie lors des entretiens.

1. Nature des préoccupations d’Alexandre

L'analyse de l’engagement d’Alexandre pendant ces deux séances révèle 21 préoccupations

typiques, qui ont été regroupées dans huit catégories d’engagement (Tableau 3). Nous

exposons une synthèse relative aux deux séances étudiées car nos analyses révèlent que ces 21

préoccupations se retrouvent dans les deux leçons même si elles peuvent s’actualiser de

manière légèrement différente à l’échelle des USE.

Nous exposerons ces différentes catégories à partir d’un découpage effectué sur la

base des destinataires prioritaires de ces préoccupations. Aussi nous distinguons des

préoccupations tournées vers soi, vers les autres élèves et vers l’enseignante. Ce découpage

vise à faciliter la compréhension de l’activité d’Alexandre mais elle reste subjective et

certaines préoccupations pourraient appartenir à plusieurs catégories. Pour illustrer la

présentation des différentes catégories de préoccupations, nous nous référerons, à la fois à la

séance (ex : S1), aux auto-confrontations réalisées après les séances (ex : ACS1) et aux

entretiens semi-directifs (ESD).

Tableau 3: Catégories de préoccupations typiques d’Alexandre pendant les deux séances.

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Catégories de

préoccupations Préoccupations

typiques n° Exemples de séquences, séries

Modifier la tâche pour se donner

physiquement 1

expliquer à Olivier qu'il veut essayer de faire des figures / varier les passes pour complexifier / réaliser un kung fu avec Vincent / expliquer à Lancelot qu'avec l'infériorité

numérique c'était plus équilibré

Se lâcher 2 essayer de faire rentrer la balle dans le but / tirer très fort

en se libérant comme en match

A S’investir sur le

plan moteur

Ne pas perdre de temps 3 conserver sa place dans la file d'attente / récupérer la balle pour reprendre rapidement l'échauffement / ramasser les

plots pour commencer plus rapidement les matchs

Jouer un rôle de capitaine d’équipe

4 penser à ce qu'il va dire à ses coéquipiers pour le

match/réunir ses coéquipiers / ranger les maillots de ses coéquipiers

Superviser l'arbitrage 5 vérifier que quelqu'un prend le temps / faire respecter le

règlement de la remise en jeu / rectifier une faute d'arbitrage

Vers soi

B Trouver un intérêt dans les situations

proposées Se concentrer sur la

réalisation de l'exercice 6

penser à la réalisation de l'exercice / réfléchir à l'action qu'ils viennent de réaliser

Respecter les normes établies dans la classe

7 s'excuser d'avoir bousculé Fabien / rendre la balle à son propriétaire / laisser passer Marion qui était devant lui

Modifier sa pratique habituelle de club

8 penser qu'il ne faut siffler que les grosses fautes / retenir

la force de son tir

C Adopter les

comportements reconnus comme légitimes par la

classe Chercher à légitimer ses actions

9 chercher à convaincre Morgane que son tir était fort mais

maîtrisé / se justifier par rapport à la force de son tir / reconnaître qu'il a joué personnel

Penser et discuter avec ses camarades de sujets

hors EPS 10

discuter avec Lancelot de la grève et du blocus / demander des nouvelles de Severine

D Se divertir avec ses

camarades S'amuser 11

attendre son tour en s'amusant avec la balle / taquiner Charlotte / faire semblant de boxer Marc

Gagner le match 12 penser qu'il faut gagner le match / marquer un but E Entretenir son

image d’expert dans le groupe

Se justifier d’avoir perdu

13 expliquer aux filles qu'ils étaient en infériorité numérique / faire remarquer qu'ils étaient en infériorité numérique

Faire travailler ses camarades

14 faire tirer Olivier depuis l'aile pour qu'il s'améliore / faire

jouer ses coéquipiers / faire courir Olivier pour qu'il s'échauffe

Donner des conseils à ses camarades

15 expliquer à Olivier qu'il doit accélérer pour prendre la passe / conseiller Charlotte / ré-expliquer à Charlotte

qu'elle doit rester entre son joueur et le but

Observer l'action de ses camarades

16 vérifier le placement de ses coéquipiers / observer l'action

de ses camarades

Vers les

autres élèves

F Faire progresser ses

camarades

Motiver ses camarades 17 encourager Charlotte / penser qu'il faut encourager les

filles qui n'ont pas confiance en elles

Avoir une oreille sur l’enseignante

18 écouter la prof qui répète les mêmes consignes / entendre

la prof qui dit qu'il reste 10s / écouter la prof qui leur demande de faire moins de bruits

Ne pas se faire repérer 19 vérifier qu'il n'est pas repéré / regarder la prof en écoutant

les autres élèves parler de la grève

G Se conformer aux

attentes de l’enseignante Trouver un accord avec

l'enseignante 20

se proposer d'être défenseur / accepter la proposition de l'enseignante de rééquilibrer les équipes en échangeant

Marc contre une fille

Vers l'enseignante

H Réfléchir à l'action de l'enseignante

21 penser que la prof répète toujours les mêmes consignes /

penser que la prof va encore perdre du temps

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1.1 Préoccupations tournées vers soi

A. S’investir sur le plan moteur

Le premier type d’engagement correspond à la préoccupation de l’élève de s’exprimer

physiquement pendant la séance. Il se manifeste sous la forme de trois préoccupations

typiques.

1 « Modifier la tâche pour se donner physiquement »

Alexandre modifie et adapte les situations proposées pour trouver un intérêt nouveau

dans l’exercice et pouvoir s’exprimer sur le plan moteur. Ces préoccupations renvoient le plus

souvent à une complexification des tâches qui se traduisent en ACS1 par des verbalisations

telles que : « j’essayais plus de faire des passes dans le dos ça m’intéressait pas de faire

seulement des passes normales » ou encore : « ah ouai si on a cherché le kung-fu ». De même

tous les matchs de l’équipe d’Alexandre ont été réalisés en infériorité numérique sur sa propre

initiative et à l’insu de l’enseignante et des autres élèves.

2 « Se lâcher »

A plusieurs reprises dans la séance Alexandre ne se retient plus et réalise des actions

qui semblent totalement décontextualisées et en rupture totale avec le cadre scolaire comme le

montre cette verbalisation en ACS2 : « elle me fait t’es fou euh Morgane (…) c’est normal j’ai

tiré comme je fais en match (…) j’aime bien me lâcher une fois de temps en temps quand

même (…)c’est chiant de se retenir à la fin »

3 « Ne pas perdre de temps »

Alexandre est fortement préoccupé par la mise en action tout au long de la séance.

Il cherche continuellement à être en activité, regarde sa montre, récupère en premier un

ballon, cherche à mettre en activité ses camarades, range rapidement le matériel, conserve sa

place dans la file d’attente… comme le confirme ses propos en ACS2 : « c’est pour qu’on

passe plus vite aux matchs en fait» ou encore : « j’suis en train de leur dire de tirer plus vite

parce que en fait ils étaient chiant (…) ils avaient mis vachement de temps ».

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B. Trouver un intérêt dans les situations proposées

Le second type d’engagement d’Alexandre correspond à un investissement dans des

rôles particuliers, l’engageant personnellement dans des activités non prescrites par

l’enseignant et qui lui permettent de trouver un intérêt à la séance.

4 « Jouer un rôle de capitaine d’équipe »

Il est fortement investi dans un rôle de « capitaine d’équipe » et de « coach » qu’il a

choisi de manière autonome et qui guide son activité avant pendant et après les matchs.

Il réfléchit à l’organisation de l’équipe pour gagner le match : « j’suis en train de visualiser

comment on pouvait gagner le match » (ACS1), il distribue les maillots à ses coéquipiers :

« comme je suis capitaine d’équipe je vais chercher les maillots et je les distribue » (ACS1),

il rassemble ses coéquipiers pour leur donner des consignes de jeu : « je les prends et je leur

explique ce que l’on va faire en défense » (ACS1). Pendant les matchs il gère son équipe en

supervisant le placement et l’activité de ses coéquipiers : « j’essaye de visualiser le jeu

j’essaye de voir comment on joue» (ACS1). Il leur donne des consignes de jeu, les motive, les

encourage. Après le match il réfléchit à l’activité de son équipe : « le match défensivement il

s’est vraiment super bien joué (…) franchement moi là j’étais content de ce qu’ils ont fait … »

(ACS1) et il retrouve ses coéquipiers dans les vestiaires où ils font un bilan collectif.

De plus il s’occupe de récupérer et de ranger les maillots de ses coéquipiers car : « ben je suis

capitaine de l’équipe donc euh j’pense que c’est mon rôle » (ACS2).

5 « Superviser l’arbitrage »

Alexandre est fortement préoccupé par la supervision de l’arbitrage.

Il adopte de manière spontanée et presque systématiquement le rôle d’arbitre lorsque son

équipe ne joue pas et lorsqu’il est en position de joueur il supervise l’arbitrage en faisant

respecter le règlement et en aidant les arbitres qui ont parfois des difficultés. Il précise en

ACS1 : « donc là en fait j’fais comme si j’étais l’arbitre (…) parce que il sait pas trop il est

un peu nul ils savent pas trop les règles alors j’dis y-a pénalty ».

6 « Se concentrer sur la réalisation de l’exercice »

Cette préoccupation renvoie tout le long de la séance à la concentration d’Alexandre

sur la réalisation des tâches où il se trouve engagé. Notamment lorsqu’il joue le rôle de

défenseur dans une situation d’apprentissage il nous explique en ACS2 : « là je pense à la

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défense ce que je vais faire ils sont deux contre un évaluer le poids (…) j’suis concentré à

fond » de même lorsqu’il est arbitre : « là euh j’pense à mon arbitrage j’suis à fond ouai

quand j’fais un truc j’le fais à fond ».

1.2 Préoccupations tournées vers les autres élèves

C . Adopter les comportements reconnus comme légitimes par la classe

Cette préoccupation correspond à une volonté d’Alexandre d'adopter un ensemble de

normes collectives et de comportements communément admis par la classe.

7 « Respecter les normes établies dans la classe »

Alexandre a tendance à respecter un ensemble d'attitudes et de modes de

communications significatifs et instaurés dans la classe. Cette préoccupation s'actualise, par

exemple, lorsqu’il attend son tour pour commencer à jouer, remercie un coéquipier pour sa

passe, s’excuse d’avoir bousculé un camarade. Elle se traduit par des verbalisations du type

« merci Marion», « excuse moi pour tout à l’heure » (S1).

8 « Modifier sa pratique habituelle de club »

Alexandre essaye constamment d’adapter ses interventions qu’elles soient verbales ou

motrices au contexte de la classe. Sur le plan moteur il se retient particulièrement lors des tirs

que ce soit en match ou en situation d’apprentissage. Par exemple lors d’une action où il tire

doucement en lobant le gardien alors qu’il arrivait à toute vitesse en contre attaque il nous

explique en ACS1 : « ouai ben en fait quand je suis en l’air j’me dis ah hop hop (rigole) ». De

même il adapte l’arbitrage par rapport à celui qu’il connaît en club : « là il a mis le pied dans

la zone (…) c’est des ptites fautes qui sont comptés en match mais là bon je les compte pas ».

9 « Chercher à légitimer ses actions »

Alexandre cherche à se justifier et à se protéger lorsqu’il adopte des attitudes qui ne

correspondent pas aux normes admises par la classe. Notamment par rapport à la force de ses

tirs qui parfois sont perçus comme trop puissants par ses camarades on retrouve des

verbalisations du type « j’étais au 10m quand j’ai tiré c’est bon », « mais attend j'aurais visé

dans un coin si t'étais dans le but j'ai visé au milieu il n'y avait personne au milieu » (S1).

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D. Se divertir avec ses camarades

Dans certaines situations Alexandre s’engage dans des activités de divertissement avec

ses camarades le plus souvent pour passer le temps et attendre de pouvoir se mettre en

activité.

10 « Penser et discuter avec ses camarades de sujets hors EPS »

Principalement cette préoccupation apparaît lorsque Alexandre se perd dans des

pensées ou des discussions étrangères aux activités scolaires. Elle est très prégnante mais elle

prend place à des moments précis de la séance où les élèves sont en phase inactive.

Notamment dans la file d’attente, en attendant la mise en place de la situation suivante, ou

pendant la délivrance des consignes lors des regroupements collectifs comme il le précise en

ACS2 : « pfou je zappe (…) là je zappe je zappe tout ce qu’elle dit là on parle voilà machin ».

11 « S’amuser »

Cette préoccupation rend compte des intentions d’Alexandre qui cherche à se divertir,

s’amuser dans les moments d’inaction. Principalement on retrouve cette volonté dans la file

d’attente avant la réalisation de chaque exercice. Il explique en ACS2 : « rien on s’occupe

comme on peut ». Certaines occurrences apparaissent de manière très ponctuelle lors de

l’échauffement et pendant les périodes de battement entre deux situations comme le montre

cette verbalisation en ACS1 : « donc là c’est bon j’avais déjà réfléchi donc j’m’eclatais euh

j’faisais le zouave »

E . Entretenir son image d’expert dans le groupe

Alexandre est attaché à conserver son image d’expert dans le groupe classe. Cette

préoccupation est fortement prégnante dans les situations de matchs et notamment lorsque son

équipe est en difficulté ou perd.

12 « Gagner le match »

Lors de chaque match une des préoccupations d’Alexandre est de remporter la victoire

sans toutefois écraser les autres équipes. On retrouve cette préoccupation avant les matchs

lorsqu’il réfléchit à comment il peut organiser son équipe pour gagner. Il précise en ACS1 :

« j’suis en train de visualiser comment on pouvait gagner le match ». De même pendant les

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rencontres cette préoccupation est fortement prégnante lorsque son équipe a un but de retard

et se traduit après avoir marqué par des verbalisations du type : « c’est bon il y a 4-4 j’te

passe la balle » (S1).

13 « Se justifier d’avoir perdu »

Lorsque finalement il perd, sa préoccupation principale consiste à justifier la défaite

auprès de ses camarades comme il le reconnaît en ACS1 : « en fait jsuis toujours en train de

chercher à vouloir me justifier ». Notamment il met très souvent en avant le fait qu’ils ont

joué en infériorité numérique comme le montre cet extrait de l’ACS1 : « là au début en fait ils

me chambraient alors je leur dis ben attends vous étiez un de plus sur le terrain ».

F. Faire progresser ses camarades

Durant toute la séance, Alexandre est préoccupé par la progression de ses camarades.

14 « Faire travailler ses camarades »

Alexandre essaye constamment de mettre ses camarades en action pour qu’ils

s’améliorent. Pendant l’échauffement il essaye de faire courir Olivier comme il le précise en

ACS2 : « il court pas assez et il va se blesser(…) donc j’essayais de lui faire des passes un

peu plus sur le côté pour qu’il court et voilà pour qu’il s’échauffe ». Pendant les situations

d’apprentissage il oriente son action vers la progression de ses camarades comme le montre

cette verbalisation en ACS1 : « donc là ouai je le fais tirer à l’aile pour qu’il s’améliore à

tirer dans un angle fermé ». Enfin pendant les matchs il s’attache à faire jouer et marquer un

maximum ses coéquipiers. Il affirme en ACS1 : « en attaque j’essaye de faire jouer les

autres ».

15 « Donner des conseils à ses camarades »

Sur l’ensemble de la séance Alexandre donne des conseils, par exemple en ACS1 :

« là j’lui dis comment placer son bras (…) tire pas comme ça ou comme ça pour le

conseiller», explique le but des exercices à ses camarades pour les faire progresser que ce soit

sur le plan moteur ou sur l’arbitrage. Par exemple, en ACS1 il explique : « ben mon objectif là

c’est qu’Olivier il progresse (…) ce que je veux faire c’est qu’il comprenne que quand il a

attrapé la balle il faut qu’il soit en accélération».

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16 «Observer l’action de ses camarades »

Cette préoccupation renvoie à la volonté d’Alexandre d’observer ses camarades pour

voir comment ils réalisent les exercices, afin éventuellement de les corriger, mais également

de regarder les effets de ses interventions. Il les observe et regarde s’ils mettent en application

ses conseils comme en témoignent ses propos en ACS1 : « donc là tu vois il va mettre en

application ce qu’on a fait pendant l’échauffement il a accéléré pour la passe ». De plus il

réfléchit à la pertinence de ses interventions. En effet il précise en ACS1 : « ben tu vois

souvent j’pense à l’exercice qu’on a fait (…)si ça a servi à Olivier si ça lui a pas servi (…)

voilà là je pense à ça (…) à ce que je pourrais faire la prochaine fois ».

17 « Motiver ses camarades »

Alexandre cherche à féliciter et encourager ses camarades lorsque ces derniers

réalisent de belles actions, font des efforts ou semblent un peu démotivés comme le montre

cet extrait de l’ACS1 : « j’essaye surtout c’est les filles (…) de pouvoir les booster voilà parce

que elles se disent nulles tout le temps en sport alors que elles se débrouillent bien ».

1.3 Préoccupations tournées vers l’enseignante

G . Se conformer aux attentes de l’enseignante

Cette préoccupation globale est présente pendant toute la séance et renvoie à une

volonté de se plier aux exigences scolaires incarnées par l’enseignante ou du moins de faire

semblant.

18 « Avoir une oreille sur l’enseignante »

Cette préoccupation est importante et témoigne d’une volonté d’être attentif à ce que

demande l’enseignante afin d’adopter les comportements adéquats. Elle apparaît tout au long

de la séance mais prioritairement pendant les consignes. A ce moment il est le plus souvent

engagé sur d’autres préoccupations en parallèle mais se débrouille pour récupérer les

informations nécessaires à la réalisation de l’exercice comme le montre cet extrait de

l’ACS2 : « euh donc j’écoute des bribes (…) et quand ça m’intéresse je l’écoute en fait c’est

ma façon d’écouter deux conversations en même temps ». De plus pendant le reste de la

séance il est attentif aux informations relatives à l’organisation de la séance (le choix des

équipes, la recherche d’un arbitre, d’un défenseur…).

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19 « Ne pas se faire repérer »

Cette préoccupation apparaît fortement pendant que l’enseignante délivre les

consignes et qu’il est investi dans une autre activité qu’il souhaite masquer. Notamment elle

se repère par les coups d’œil furtifs lancés sur l’enseignante et par les chuchotements.

20 « Trouver un accord avec l’enseignante »

Lors des rares interactions verbales, provoquées exclusivement par l’enseignante,

Alexandre essaye de trouver un compromis en répondant aux attentes de cette dernière tout en

protégeant ses intérêts personnels. Ces interactions apparaissent principalement lorsque le

comportement d’Alexandre pose problème pour le bon déroulement de la séance, notamment

lorsqu’il se regroupe avec ses coéquipiers dans les vestiaires ou lorsqu’il tire trop fort. En

effet en ACS1 il explique : « donc là en fait elle est en train de me faire un sermon elle me dit

que j’ai pas besoin de tirer fort pour marquer et voilà ». Ces interactions portent également

sur des questions organisationnelles quand l’enseignante le sollicite pour rééquilibrer les

équipes.

21 « Réfléchir à l’action de l’enseignante »

Cette préoccupation renvoie aux moments où Alexandre réfléchit et pense à l’activité

de l’enseignante. Elle porte principalement sur les exercices proposés comme lors de S2 où il

marmonne « pfoufou c’est chiant c’est tout le temps les mêmes exos », les explications

délivrées ou encore l’attitude de l’enseignante vis à vis de la classe comme lors de l’ACS2 :

« ouai faut pas nous prendre pour un débile quand même (…)disons que pour elle j’pense on

est encore des petits 6ème».

1.4 Conclusion

Cette analyse a permis de spécifier et de caractériser la nature des préoccupations

d’Alexandre. Elle révèle que, parallèlement aux préoccupations répondant aux exigences

académiques des situations de classe, l'activité de l'élève recèle une multiplicité d'autres

préoccupations. Cette catégorisation des préoccupations typiques permet de mettre en avant

différents "types d'activités" qui semblent pour certaines répondre à la qualité d’expert de cet

élève. Enfin il apparaît que la nature de ces préoccupations peut se caractériser de façon assez

spécifique par rapport à l’acteur qui en est le destinataire.

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2. Dynamique des préoccupations : la séance « vécue » par

Alexandre

Cette section s’attache à mettre en avant la dynamique des préoccupations de cet

élève. A l’aide des macro-séquences nous avons pu établir un découpage des deux séances qui

soit significatif de son point de vue. Nous avons ensuite étudié les fluctuations de ses

préoccupations au sein de ces macro-séquences révélant la pluralité et la spécificité de ses

engagements par rapport aux différents temps de la séance.

2.1 Découpage du cours d’expérience à partir des macro-séquences

Le Tableau 4 ci-dessous présente ce découpage pour les deux séances en parallèle.

Tableau 4 : Découpage des deux séances à partir de l’identification des macro-séquences.

Temps 0’ 5’ 10’ 15’ 20’ 25’ 30’

35’

SEANCE 1

Temps Macro-séquences

0' - 2' Connaissance des consignes en évitant

l'ennui

2' - 8' Investissement actif dans l'échauffement

8' - 10'30 Attente pendant la mise en place de la

situation suivante

10'30 - 13'30 Connaissance des consignes en évitant

l'ennui

13'30 - 24' Investissement dans un rôle d'arbitre

24' - 34'30 Investissement dans un rôle de capitaine

d'équipe

SEANCE 2 Temps Macro-séquences

0' - 3' Connaissance des consignes en évitant

l'ennui

3' - 11' Investissement actif dans

l'échauffement

11' - 16'30 Connaissance des consignes en évitant

l'ennui

16'30 - 18'30 Attente pendant la mise en place de la

situation suivante Attente pour la réalisation de l'exercice

Concentration sur la réalisation de l'exercice

Attente pour la réalisation de l'exercice 18'30 - 29'

29' - 33' Connaissance des consignes en évitant

l'ennui

33' - 34' Attente pendant la mise en place de la

situation suivante

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63

Temps

35’

40’

45’

50’

55’

60’

65’

70’

75’

80’

A la suite de ce découpage on remarque qu’il y a une dynamique similaire sur les deux

séances avec une alternance d’engagements identiques qui semblent bien correspondre à

l’organisation globale impulsée par l’enseignante. En effet les deux séances se sont déroulées

sur le même modèle :

- Un échauffement identique avec un travail par deux. Alexandre s’est mis avec Olivier

pour chaque séance.

- Une période de matchs où chaque équipe jouait deux fois. Alexandre a également

participé à l’arbitrage.

- Un exercice identique pour les deux séances. Par binôme il s’agissait de se faire des

passes pour franchir un défenseur et aller marquer au but. Alexandre était là aussi

principalement avec Olivier.

SEANCE 2 Temps Macro-séquences

Attente pour la réalisation de l'exercice

Concentration sur la réalisation de l'exercice

Attente pour la réalisation de l'exercice

34' - 44'

44' - 46' Attente pendant la mise en place de la

situation suivante

46' - 53' Connaissance des consignes en évitant

l'ennui

53' - 58'30 Attente pendant la mise en place de la

situation suivante

58'30 - 67' 30 Investissement dans un rôle de

capitaine d'équipe

67'30 - 70' Attente entre deux matchs

70' - 74' Investissement dans un rôle d'arbitre

74' - 84' Investissement dans un rôle de

capitaine d'équipe

SEANCE 1 Temps Macro-séquences

34'30 - 41' Attente entre deux matchs

41' - 50' Investissement dans un rôle de capitaine

d'équipe

50' - 59' Attente pendant la mise en place de la

situation suivante

59' - 65' Connaissance des consignes en évitant

l'ennui

65' - 66' Attente pendant la mise en place de la

situation suivante

Attente pour la réalisation de l'exercice

Concentration sur la réalisation de l'exercice

Attente pour la réalisation de l'exercice

66' - 79'30

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2.2 Préoccupations typiques d’Alexandre

Nous avons ensuite regardé précisément qu’elles étaient les différentes préoccupations

d’Alexandre au sein de ces macro-séquences. Nous exposons dans les Tableaux 5, 6 et 7 une

synthèse englobant les deux séances étant donné que notre travail d’analyse révèle que la

dynamique des préoccupations est globalement la même.

Tableau 5 : Dynamique des préoccupations tournées vers soi

Catégories

Préoccupations typiques

Ecoute des

consignes tout en évitant l’ennui

Attente pour la mise en place de

la situation suivante

Attente entre deux

matchs

Attente pour la

réalisation de

l’exercice

Investissement actif à

l’échauffement

Investissement dans un

rôle d’arbitre

Investissement dans un rôle de capitaine

d’équipe

Concentration sur la

réalisation de l’exercice

Modifier la tâche pour se

donner physiquement

1 * * *

Se lâcher 2 * A

Ne pas perdre de temps

3 * * * * * * * Jouer un rôle de capitaine

d’équipe 4 * *

Superviser l'arbitrage 5 * * * B

Se concentrer sur la

réalisation des exercices

6 * * * * * *

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Tableau 6 : Dynamique des préoccupations tournées vers les autres élèves

Catégories

Préoccupations typiques

Ecoute des consignes

tout en évitant l’ennui

Attente pour la mise en place de

la situation suivante

Attente entre deux

matchs

Attente pour la

réalisation de

l’exercice

Investissement actif

à l’échauffe

ment

Investissement dans un rôle

d’arbitre

Investissement dans un rôle de capitaine

d’équipe

Concentration sur la

réalisation de l’exercice

Respecter les normes établies dans la classe

7 * * * * * * *

Modifier sa pratique

habituelle de club 8 * * * * C

Chercher à légitimer ses

actions 9 * *

Penser et discuter avec ses

camarades de sujets hors EPS

10 * * * * D

S'amuser 11 * * * Gagner le match 12 * * *

E Se justifier

d’avoir perdu 13 *

Faire travailler ses camarades 14 * * * *

Donner des conseils à ses camarades

15 * * * * * * *

Observer l'action de ses camarades

16 * * * * *

F

Motiver ses camarades

17 * * * * * * *

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Tableau 7 : Dynamique des préoccupations tournées vers l’enseignante.

Catégories

Préoccupations typiques

Ecoute des

consignes tout en évitant l’ennui

Attente pour la mise en place de

la situation suivante

Attente entre deux

matchs

Attente pour la

réalisation de

l’exercice

Investissement actif

à l’échauffe

ment

Investissement dans un rôle

d’arbitre

Investissement dans un

rôle de capitaine d’équipe

Concentration sur la

réalisation de l’exercice

Avoir une oreille sur

l’enseignante 18 * * * * * * *

Ne pas se faire repérer

19 * G

Trouver un accord avec l'enseignante

20 * *

H Réfléchir à l'action de

l'enseignante 21 * *

Cette analyse met en évidence la pluralité des engagements d’Alexandre qui ne se

réduisent pas à la poursuite des buts donnés par l’enseignante. Ils intègrent un faisceau de

préoccupations multiples, relatives à différents moments de la séance. Certaines

préoccupations semblent récurrentes tandis que d’autres apparaissent ponctuellement à des

moments précis. De plus ce faisceau de préoccupations s’organise sous des formes

« typiques », qui traduisent des convergences ou des contradictions entre les préoccupations

d’Alexandre. En effet certaines préoccupations sont à priori contradictoires et risquent de

soulever certaines tensions favorables à l’émergence de dilemmes (Ria, Saury, Sève et

Durand, 2001). Par exemple quand il est investi dans un rôle de capitaine d’équipe il peut être

partagé entre « Modifier sa pratique habituelle de club » et « Maintenir son image d’expert ».

Mais cette dimension potentiellement contradictoire des préoccupations d’Alexandre peut ne

pas l’être si ces dernières ne sont pas synchrones.

2.3 Conclusion

Cette analyse dynamique a mis en avant la pluralité et la fluctuation des

préoccupations de cet élève en lien avec les différents temps de la séance (de son point de

vue) qui semblent peser comme une contrainte « extrinsèque » (Theureau 2004) sur son cours

d’action.

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67

3. Synthèse sur l’activité d’Alexandre au sein de la classe

Nous proposons désormais une synthèse de l’activité d’Alexandre en classe à partir

d’un triple éclairage. Les résultats obtenus quant à la nature et à la dynamique des

préoccupations d’Alexandre seront couplés au regard de l’enseignante à partir des données

recueillies en entretiens et de celui extérieur du chercheur.

3.1 Un perturbateur

Certains éléments de l’activité d’Alexandre renvoient à des dimensions qui semblent

s’opposer ou remettre en cause le bon déroulement de la séance.

Discuter avec ses camarades

Alexandre passe beaucoup de temps à discuter avec ses camarades de sujets hors EPS.

Par exemple il confirme en ACS1 : « là je parlais avec Charlotte des métiers plus tard ». Ces

discussions ont principalement lieu pendant les phases d’attente entre les situations

d’apprentissage, entre les matchs ou dans les fils d’attente. A ces moments précis il ne

perturbe pas le bon déroulement de la classe. Toutefois ces discussions apparaissent aussi

pendant la délivrance des consignes ce qui devient plus problématique et l’oblige dans le

même temps à trouver des stratégies pour masquer cette activité, ce qui n’est pas toujours le

cas comme le montre cette affirmation de l’enseignante lors de l’ESD : « ils ont toujours des

tas de choses à se raconter il discute avec ses copines ».

S’amuser pour passer le temps

L’activité d’Alexandre est également tournée vers l’amusement. Cette dimension

semble être une réponse à l’ennui car elle apparaît principalement pendant les phases d’attente

et non pendant les phases d’activité. Ces actions sont collectives mais également individuelles

mais semblent rester acceptables puisqu’elles ne furent l’objet d’aucune réprimande de la part

de l’enseignante. Elles consistent principalement en des jeux de ballons, de dribbles comme le

montre ces propos en ACS1 : « on s’occupait avec le ballon (…) on s’occupait »

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Taquiner ses camarades

L’activité d’Alexandre révèle également un certain nombre d’actions où il embête

gentiment ses camarades. Par exemple lorsqu’il chatouille, dérobe les ballons, ébouriffe les

cheveux, fait peur … comme en témoigne l’ACS2 : « je l’embêtais en fait (…) t’as vu j’étais

en train de lui jeter le ballon sur elle (…) mais en fait je faisais semblant». Ces actions

apparaissent principalement dans les moments d’attente mais également de façon très

ponctuelle pendant toute la séance.

Porter un jugement sur l’activité de l’enseignante

L’activité d’Alexandre fait également état de réflexions sur la séance en elle-même, les

choix et les comportements de l’enseignante. En effet il porte un regard critique vis à vis des

exercices proposés, il regrette « l’inefficacité » de l’enseignante qui perd beaucoup trop de

temps, il trouve qu’elle les prend pour des « idiots » comme en témoigne cet extrait de

l’ACS2 : « on fait un nouveau truc mais bon ça se devine donc euh pfou on l’écoute euh mais

c’est tellement simple que pfou euh (…)faut pas nous prendre pour des débiles ». Ces

éléments apparaissent principalement pendant les phases de regroupements collectifs et font

parfois l’objet de discussions avec d’autres élèves.

Aller dans les vestiaires

Cet élément apparaît de manière récurrente dans les deux séances et sur l’ensemble du

cycle comme le précise l’enseignante en ACS1 « j’ai du mal à leur faire changer d’habitude

ils s’étaient rassemblés à mon insu et depuis c’est récurrent ». Ils y discutent des rencontres,

de la séance mais également de sujets hors EPS ou encore ils font leurs devoirs.

L’activité d’Alexandre révèle des éléments potentiellement vecteurs de perturbations

pour la leçon et qui correspondent aux activités habituellement soupçonnées chez les élèves.

3.2 Un expert

Une expertise incontestable dont l’activité d’Alexandre est révélatrice

L’expertise et la pratique compétitive d’Alexandre est incontestable tout au long de la

séance. Certaines de ses actions rendent compte de cette forte hétérogénéité et du décalage

énorme qui existe avec ses camarades. Notamment en match lorsqu’il cherche à réaliser une

belle action pour se faire plaisir ou lorsqu’il se lâche involontairement au niveau des tirs.

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Aussi il dit lui même en ACS1 : « pour moi à chaque fois ça part pas assez fort (…) ben voilà

c’est parti tout seul ». L’enseignante reconnaît également cet aspect qu’elle ne condamne pas

comme le montre ces propos en ESD : « je trouve tout à fait normal qu’il s’exprime en HB ».

De même lorsqu’il arbitre les matchs il fait référence à sa pratique de club comme lors de

l’ACS1 : « en fait quand on arbitre ça c’est comme si tu arbitrais des moins de 11 en fait tu

vois presque le même niveau ».

Une expertise au service des autres élèves

Cette expertise apparaît tout de même bénéfique pour les apprentissages de ses

camarades comme le confirment ces propos de l’enseignante en ACS2 quand Alexandre

investit le rôle de défenseur lors de la situation d’apprentissage : « c’est pas négligeable

d’avoir des défenseurs du niveau d’Alexandre parce que (…) avec un défenseur fort ça oblige

le non porteur à se démarquer beaucoup sinon la balle est interceptée ». De plus on remarque

que ses camarades viennent spontanément le solliciter lorsqu’ils ont des questions ou des

problèmes relatifs au handball que ce soit sur l’arbitrage ou sur des conseils moteurs.

Une expertise qui pose problème

Il y a une très forte hétérogénéité entre l’expertise d’Alexandre et ses camarades. Ce

grand décalage est vecteur de tensions et de problèmes au sein de la classe dont l’enseignante

nous fait part en ESD : « ça se passe pas toujours bien (…)parce qu’il y a un peu

d’appréhension des autres (…) il impressionne beaucoup les gens de sa classe par sa

puissance physique ». Cette expertise contraint donc Alexandre à se retenir constamment et à

adapter son comportement au niveau de ses camarades, comme le souligne cette verbalisation

en ACS1 : « je fais déjà assez d’efforts pour ne pas tirer fort » ; pour éviter les conflits avec

les autres élèves et avec l’enseignante qui reconnaît en ESD : « il faut négocier un peu entre

Alexandre (…) et puis les autres qui ont la trouille ».

Une expertise à mettre en avant pour conserver son statut dans la classe

Cette expertise semble être également un moyen investi par Alexandre pour s’affirmer

au sein du groupe. L’enseignante nous précise en effet en ESD : « vis à vis des gens de la

classe il semblait un petit peu gêné et depuis qu’on a abordé le cycle HB il m’a semblé plus à

l’aise plus sûr de lui ». Notamment pendant les matchs qu’il désire remporter, il laisse

l’initiative à ses camarades quand il y a égalité ou qu’ils gagnent et joue davantage « perso »

pour aller marquer et revenir au score quand ils perdent. Par moment il réalise de manière

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volontaire des actions spectaculaires complètement décontextualisées mais mettant en scène

ses habilités de handballeur comme il le reconnaît lui même en ACS2 : « là ils sont en train

de me dire ouai tu te l’a pète et tout (…) j’leur dis j’avoue j’avoue (…) ouai c’était ça

(sourit) ». Cet élément est confirmé par l’enseignante qui nous explique en ACS2 : « ils ont

tendance à dire oui mais il se l’a pète il fait son festival un peu (…) donc voilà les réactions

sont multiples et teintées d’admiration quand même aussi ».

Cette expertise, révélée par son activité, permet à Alexandre de s’affirmer et d’obtenir

un statut particulier et positif au sein de la classe. Toutefois elle est également à la source de

conflits en l’obligeant à s’adapter au contexte scolaire tout en se lâchant de temps en temps et

trouver un intérêt à la séance.

3.3 Un leader

Un certain nombre d’actions et de préoccupations d’Alexandre semble lui conférer un

statut de leader dans la classe.

Un rôle de capitaine d’équipe

L’investissement d’Alexandre dans un rôle de capitaine d’équipe est très marqué. Il

prend en main son équipe avant, pendant et après les matchs comme le reconnaît

l’enseignante en ESD : « il assure quand même ce rôle de coach conseillé (…) oui sa

présence dynamise l’équipe je pense ». Il organise l’action collective, donne des consignes,

supervise et oriente le jeu … Ce rôle de leader est légitimé et apprécié par l’enseignante qui

affirme en ACS1 : « alors c’est vrai que j’interviens pas toujours auprès d’Alexandre comme

il est autonome (…) je le laisse un peu se gérer et gérer son équipe». Enfin il est important de

noter que cette attitude apparaît au cours de ces deux séances de façon spontanée et n’est pas

imposée par l’enseignante.

Une volonté de dynamiser la séance

Alexandre est constamment engagé dans une volonté de mise en action personnelle

mais aussi collective. Il cherche à accélérer la mise en place des situations, range rapidement

le matériel, appelle ses camarades pour réaliser l’exercice, court ramasser les ballons… Par

exemple lors de la séance 2 Alexandre pressé de faire les matchs tente d’attirer l’attention de

l’enseignante pour accélérer la formation des équipes par des verbalisations du type

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« madame on fait les équipes on fait les équipes » mais cette dernière ne l’entend pas comme

elle le confirme en ACS2 « et j’ai pas réagi (…) ah ouai c’est bien possible que j’ai pas

entendu ». Toutefois elle reconnaît cette attitude qu’elle juge positive pour la classe. Par

exemple elle affirme en AC S2 lorsque Alexandre s’empresse de ramasser tous les plots « ce

genre de choses il le fait de façon très très volontiers (…) finalement c’est quand même un

plus pour le groupe de voir qu’un très bon élève se montre respectueux de la consigne on

demande de ramasser les plots et il ramasse les plots naturellement sans rechigner (…) il est

donc un peu un modèle pour les autres finalement ».

Ainsi Alexandre ne se contente pas d’être un « expert » mais son activité révèle

également une position de « leader » assez influente sur la dynamique du groupe classe mais

vécue de manière positive par l’enseignante car plutôt convergente avec les intérêts scolaires.

3.4 Un tuteur

Cette dimension de l’activité d’Alexandre renvoie à toutes les préoccupations

orientées vers la progression de ses camarades et qui apparaissent tout au long de la séance.

Une volonté de faire progresser ses camarades

Alexandre est fortement préoccupé par la progression de ses camarades afin qu’ils

puissent avoir de bonnes notes au BAC. Cet objectif est clairement affiché dès le début de

l’ACS1 où il affirme : « toujours mon objectif dans le cours entier c’est que les autres ils

progressent (…) même si moi j’ai à progresser mais que les autres en premier ils

progressent ». Cette volonté est récurrente tout au long des deux séances comme en témoigne

sa forte présence pendant les entretiens que nous avons menés.

Une démarche de tutorat

Cette posture de tuteur se révèle à travers un ensemble d’actions (au sens large) telles

que l’observation de l’activité de ses camarades, la réflexion sur les objectifs des exercices, la

délivrance de conseils, d’explications, la réalisation de démonstrations, de mimes… Il donne

des feedback, réfléchit aux conséquences de son action, adapte son comportement : la

résistance lorsqu’il est défenseur, les objectif selon le camarade avec lequel il effectue

l’exercice, ses passes pour faire travailler des points précis ... Cette posture de tuteur est

particulièrement dominante par rapport aux questions d’arbitrage où il fait réfléchir les autres

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arbitres, leur pose des questions, leur laisse l’initiative, les encourage à participer... Ce rôle

investi dès l’échauffement se retrouve tout au long de la séance à des intensités plus ou moins

fortes et en fonction des réactions des élèves.

Une démarche pas toujours efficace

Alexandre adopte ce rôle de tuteur avec certains individus et pas d’autres comme il le

précise en ACS1 : « ouai avant j’lui disais mais maintenant ça sert plus à rien (…) j’dis à

ceux qui m’écoutent j’dis à Charlotte Olivier et euh Marion » De même lors de

l’échauffement on voit qu’Alexandre est engagé sur une activité tutorielle pour faire

progresser Olivier tandis que ce dernier préfère s’amuser, se divertir en tirant sur les autres.

Aussi il finit par abandonner car comme il nous explique lors de l’ACS2 Olivier « n’écoutait

rien il était vououou il volait tu vois il était sur son petit nuage (…) c’était le jour où il avait

fumé avant de venir en cours ». Enfin il n’adopte pas cette attitude à n’importe quel moment.

Par exemple pendant les consignes avant le match, Alexandre réfléchit à ce qu’il va dire à ses

camarades mais il précise en ACS1 : « j’leur en parlerai après (…) là ça sert à rien parce que

ils n’écouteraient pas ».

Toutefois si les deux dimensions précédentes : « expert » et « leader » sont conscientes

chez l’enseignante cette posture de « tuteur » semble lui échapper comme nous le confirme

cet extrait de l’ESD : « je ne sais pas toujours de quelle façon il intervient auprès de ses

camarades (…) j’ai l’impression qu’ils communiquent pas mal entre eux (…) mais sans en

être sûr bien sûr et j’ai l’impression qu’ils en prennent et qu’ils en laissent (…)».

3.5 Conclusion

L’activité d’Alexandre apparaît comme l’expression de 4 rôles interdépendants : « un

perturbateur », « un expert », « un leader », « un tuteur ». Ces derniers sont plus ou moins

prégnants selon les temps de la séance et selon les acteurs avec lesquels Alexandre interagit.

Finalement il nous semble que ces quatre rôles originaux peuvent rendre compte d’une

spécificité de l’activité d’un élève « expert » en EPS, résultat que nous allons mettre en débat

dès maintenant dans la discussion.

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Chapitre 4 : DISCUSSION

La discussion s’organise en trois parties : la première concerne l’analyse de l’activité

d’Alexandre ; la seconde aborde la question de l’hétérogénéité à partir des éléments discutés

dans la partie précédente ; enfin la dernière partie met en lumière les limites et perspectives

de notre travail.

1. Analyse de l’activité d’Alexandre 1.1 Un élève ordinaire

L’analyse de l’activité d’Alexandre confirme les conclusions des travaux antérieurs,

malgré son « expertise » Alexandre reste un élève ordinaire.

Eviter l’ennui / éviter les ennuis

L’ensemble des préoccupations d’Alexandre peuvent être rattachées aux travaux

d’Allen (1986) qui envisage l’activité de l’élève en classe comme la recherche d’un « modus

vivendi » qui consiste à poursuivre conjointement deux objectifs pouvant se résumer par la

formule « éviter l’ennui / éviter les ennuis ». Selon cet auteur la première orientation s’axe

vers « la convivialité, l’entretien des relations amicales » et concerne des attitudes colorées

d'amusement, le bavardage… la seconde consiste à « satisfaire les exigences minimales de

chaque enseignant », autant d’éléments que l’on retrouve dans les préoccupations

d’Alexandre. Nos résultats confirment également en référence à Siedentop (1994)

l’importance prise par le « système des interactions sociales » et sa dimension fortement

clandestine échappant à l’enseignant. Notamment lors de la délivrance des consignes, on

retrouve fortement cette dimension dans l’activité d’Alexandre. Cependant Siedentop (1994)

parle d’une "dissimulation des interactions sociales à l'intérieur des tâches

d'apprentissage"(p.107) permettant d'accomplir la tâche à la vue de l'enseignant, en la

modifiant clandestinement, afin de pouvoir y intégrer des interactions qui ne concernent

nullement la tâche prescrite par l'enseignant et perturbant les acquisitions scolaires. Chez

Alexandre, nous retrouvons ce caractère « clandestin » des interactions sociales pendant les

tâches d’apprentissage mais étrangement comme nous allons le voir, elles ont le plus souvent

trait à la tâche elle-même et à des préoccupations favorisant ou ne perturbant pas les

apprentissages.

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Ces travaux menés à partir d’une perspective écologique semblent insister sur le

manque d'intérêt que l'élève porte à son activité et à son apprentissage en classe et ils donnent

une vision assez dichotomique de l’engagement des élèves dans les situations de classe (soit

engagés dans les tâches académiques, soit faisant "autre chose" de façon dissimulée).

Les études réalisées en action située à partir du point de vue intrinsèque de l’acteur ont permis

de confirmer et d’affiner cette idée de « modus vivendi » (Rossard et al. 2004, De Keukelaere.

2005, Huet et al. 2006). « Eviter l’ennui » se déclinerait en deux grandes préoccupations

d’ordre plutôt individuel « trouver un intérêt à son activité et à son apprentissage » et

«investir une part de sa liberté dans la classe ». De même « Eviter les ennuis » aurait trait à

des normes collectives renvoyant à « s’adapter individuellement ou collectivement au travail

scolaire » et « agir de façon plus ou moins légitime au sein des collectifs de la classe ».

L’engagement de l’élève résulterait d’un équilibre complexe entre ces différentes dimensions

contribuant à une adaptation viable aux situations scolaires. Il chercherait ainsi simultanément

à se conformer aux attentes scolaires et aux normes collectives tout en y intégrant des

préoccupations personnelles afin de préserver un intérêt et un plaisir à la pratique. Au regard

de nos résultats, l’activité d’Alexandre s’inscrit pleinement dans ce modèle. Toutefois en

affinant le grain d’analyse nous avons pu mettre en évidence que ces grandes dimensions

renvoient en fait à des préoccupations tout à fait originales chez cet individu.

En effet « éviter les ennuis » semble s’actualiser de manière spécifique pour l’élève

« expert ». Au delà des contraintes relatives à l’institution scolaire, aux attentes de

l’enseignant et aux règles collectives de la classe, les ennuis proviennent également de son

« expertise ». Notamment pour cet élève c’est paradoxalement, lorsqu’il s’engage pleinement

dans les tâches d’apprentissage, qu’il risque des ennuis. La forte hétérogénéité dont il est

porteur et le caractère « décontextualisé » de ses réalisations motrices pose problème. Ainsi

pour « éviter les ennuis », Alexandre doit faire preuve de retenu et d’un contrôle de soi sur le

plan moteur (adapter ses actions) mais aussi au niveau de ses connaissances (laisser les autres

élèves réfléchir, ne pas donner toutes les réponses).

De même, l’élève « expert » cherche à « éviter l’ennui » en s’engageant dans des

activités plus ou moins en accord avec les attentes scolaires. Mais globalement l’ennui n’a pas

la même origine chez l’élève « expert » et il ne se traduit pas par les mêmes comportements.

Nos résultats confirment les activités « clandestines » classiques des élèves (discuter,

s’amuser, modifier les tâches …) (Rossard et al. 2004, Huet et al. 2006, Guerin et al. 2005). A

cet égard, il est intéressant de préciser que la plupart des discussions ayant trait à des sujets

extérieurs à la séance d’EPS sont marquées par l’expertise d’Alexandre et renvoient à des

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préoccupations de sportifs (par exemple : son entraînement du soir, la musculation, les abdos,

la diététique, le surpoids ...). Par contre les interactions sociales « clandestines »,

potentiellement vecteurs de perturbations car non tournées vers la séance ou l’apprentissage,

apparaissent uniquement pendant les moments d’attentes ou pendant la délivrance des

consignes. Cet élément s’expliquant par le fait qu’Alexandre possède déjà les connaissances

que l’enseignante tente de leur faire découvrir. De plus son « expertise » confère aux situations proposées un caractère passablement

ennuyeux étant donné qu’elles ne lui posent aucun problème moteur et qu’il est obligé de se

retenir sous peine d’avoir des ennuis. Aussi il met en place un certain nombre de stratégies

consistant à modifier les tâches afin de pouvoir quand même s’investir physiquement (réaliser

un kung fu lors des tâches d’apprentissage, jouer en infériorité numérique). Ces modifications

clandestines ne lui permettant toujours pas de s’investir sur le plan moteur Alexandre investit

également des rôles très particuliers de « leader » ou encore de « tuteur » sur lesquels nous

reviendrons. Ces derniers l’engagent dans des interactions sociales « clandestines » par

rapport à l’enseignante et divergentes de la tâche initialement prescrite mais qui restent

tournées vers l’apprentissage, non pas le sien mais celui de ses camarades.

Une pluralité d’engagements

Prolongeant cette idée d’activité « clandestines » les travaux menés par Huet et al.

(2006) et Rossard et al. (2004) ont mis en évidence la pluralité des préoccupations des élèves

pendant la séance. Plus précisément, ils montrent que les élèves peuvent être engagés dans

plusieurs activités en même temps. Ces différents « ouverts » à un instant donné évoluent

selon les différents temps de la séance, la structure des tâches d’apprentissage ou les acteurs

avec lesquels ils interagissent. La dynamique des préoccupations d’Alexandre confirme ces

conclusions et nous avons mis en évidence plusieurs grands faisceaux de préoccupations en

lien avec différents moments de la séance. A chaque instant, Alexandre est investi sur

plusieurs préoccupations qui peuvent entrer en contradiction (par exemple discuter de sujets

hors EPS avec ses camarades sans se faire repérer par l’enseignante tout en prenant

connaissance des consignes de l’exercice). Nous interprétons ces résultats en avançant l'idée

que la participation d’Alexandre correspond à une construction d' « îlots de cohérence

locale » (Durand et al. 2005 p.5). Cette notion renvoie à la construction d’un référentiel, non

tenu par une cohérence logique mais issu des expériences passées et fluctuant selon les

situations et les acteurs avec lesquels l’individu interagit à chaque instant. Cet élément

confirme le caractère auto-organisé de l’activité et l’existence d’un « couplage structurel »

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avec l’environnement. Ainsi chaque moment de la séance définit un état dynamique global,

inséparable de l’histoire des couplages passés, et orientant l’action d’Alexandre, en jouant un

rôle d’attracteur « ouvrant préférentiellement certains possibles et en rendant d’autres

improbables » (Durand et al, 2005, p.5). Plus précisément, certains engagements vont émerger

de la situation tandis que d’autres, non adaptés par rapport à cette configuration de

l’environnement, n’apparaissent pas.

Les contraintes issues des systèmes de tâche

Les études antérieures révèlent que l’activité des élèves en classe émerge des

contraintes posées par les systèmes de tâches. Notamment les recherches sur l’écologie de la

classe menées par Siedentop (1994) indiquent que lorsque le caractère évaluatif d'un cycle

disparaît, "le système de tâche lui-même disparaît". C’est ce que Doyle (1979) appelait le

"système d'échange de performance contre des notes dans le bulletin scolaire" (p.103) où les

enjeux évaluatifs viendraient « rigidifier » le système de tâches. Rossard et al. (2004)

prolongeant cette idée dans une perspective « située » confirme que l’évaluation scolaire, en

tant que contrainte significative perçue par les élèves, les conduirait à stabiliser leur

engagement dans les tâches d’apprentissage, et constituerait ainsi une « contrainte

extrinsèque » essentielle de leur cours d’action (Theureau, 1992, 2004). Nos résultats viennent

confirmer ces conclusions en montrant que la certification scolaire est à la base de

l’engagement d’Alexandre dans les tâches d’apprentissage mais là encore le mécanisme est

différent. Au regard de l’expertise dont il fait preuve on peut s’attendre à ce que sa note ne

fasse pas l’objet d’une grande incertitude ni d’un enjeu important. Effectivement à aucun

moment (pendant la séance ou durant les entretiens) il ne fait référence spontanément à son

évaluation. Pourtant cette contrainte certificative pèse fortement sur son engagement. C’est la

perspective de l’évaluation future (BAC) de ses camarades qui oriente son activité dans les

tâches d’apprentissages afin de les faire progresser pour qu’ils aient une bonne note. Il est de

plus important de noter qu’à aucun moment de nos deux séances il n’a été question

d’évaluation de manière explicite. Même le résultat des matchs n’était pas pris en compte par

l’enseignante. En effet Alexandre confirme en ESD « y-a pas d’évaluation vraiment elle nous

note sur tout le trimestre elle regarde comment ça marche ».

De plus Durand (1996) rappelle que face à une perspective de certification scolaire les

élèves adoptent des attitudes stratégiques qui relèveraient plus du réinvestissement de valeurs

et de normes socioculturelles telles que le fait d'être « présent au cours » de porter « un

costume approprié » ou encore de se comporter de « façon acceptable » (Siedentop, 1994, p.

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112) que de l'acquisition d'habiletés et de compétences motrices. Précisément l’activité

d’Alexandre n’est pas orientée vers la performance motrice mais bien vers une adaptation de

son « expertise » au contexte scolaire dans le respect des normes collectives de la classe.

Notamment dans la perspective d’une évaluation future il explique en ESD : « je vais essayer

de jamais tirer en fait et je vais passer tout le temps aux autres (…)parce que c’est souvent

sur ça que les profs ils notent ».

Ainsi l’activité d’Alexandre résulte bien d’un équilibre précaire entre ces deux

dimensions « éviter les ennuis » « éviter l’ennui » évoluant au grès du contexte et notamment

des tâches proposées et témoignant de sa qualité d’élève. Cependant pour le cas d’un

« expert » l’articulation semble d’autant plus difficile étant donné que son « expertise » est

doublement vecteur d’ennui et d’ennuis.

1.2 Spécificité de l’élève expert

1.2.1 Un expert

L’activité d’Alexandre est fortement marquée par son expérience personnelle de haut

niveau en handball répondant à une logique institutionnelle. Comme nous l’avons vu l’activité

est « située » et « cultivée » c’est pourquoi face à une même « arena » (le contexte de la

classe) Alexandre développe un « setting » (Lave 1988) particulier en référence à sa pratique

de haut niveau. On remarque ainsi à plusieurs reprises que les significations accordées par

Alexandre aux situations qu’il rencontre et qu’il contribue à développer sont en totale rupture

avec celles vécues par ses camarades (par exemple ses tirs sont assimilés à des boulets de

canon). De même, interrogé sur son niveau en handball, il nous explique en ESD : « j’ai

beaucoup perdu maintenant j’suis nul », témoignant là aussi d’un référentiel différent.

Cette forte hétérogénéité de significations perturbe l’équilibre fragile du système

classe par la rencontre entre une culture scolaire et une culture institutionnelle. Dans une

perspective « d’apprentissage situé », Brown et al (1989) parlent d’indexation du savoir pour

souligner le caractère indissociable des contenus, des contextes, des activités et des conditions

sociales d’acquisition. A cet égard on remarque qu’Alexandre a été contraint d’adapter son

« expertise » au cadre scolaire que ce soit d’un point de vue moteur (tirer moins fort) mais

aussi sur les connaissances (règlement scolaire / règlement fédéral). Par exemple

encourageant Olivier à tirer alors que ce dernier est encore très loin du but il reconnaît en

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ACS2 : « ouai tire c’est vrai qu’avec le bras qu’il a c’est pas très réaliste sur ce moment là ».

Ainsi les circonstances d’acquisition de ses savoirs et savoirs faire (le contexte club), si elles

réapparaissent de temps en temps, ont été remplacées par un nouveau référentiel selon un

processus de typicalisation, de construction (validation / invalidation) de types ( Rosch, 1999 ;

Theureau, 1992). Cette adaptation est un processus complexe et dynamique à la recherche

d’un équilibre "viable" mais toujours précaire et plus ou moins "satisfaisant" qui à la fois

typicalise l’expérience dans l’immédiateté de l’action et exprime une expérience

préalablement typicalisée. De plus selon Canguilhem (1965/2003), cité par Durand et al (2005, p.5), « même si

l'acteur est toujours soumis à des contraintes extrinsèques, son activité est créatrice de

normes propres ». On retrouve ici l’idée de couplage structurel prenant place entre l’élève et

l’environnement scolaire (au sens large). Ce dernier modifie et questionne la culture

« experte » d’Alexandre obligé de s’adapter. Mais inversement la culture commune de cette

classe porte la marque d’une logique institutionnelle qu’il a importée. En effet le respect, la

négociation et l'élaboration de ces normes collectives occupent une place importante dans ses

préoccupations. Cet aspect de l’activité d’Alexandre est bien pris en compte par l’enseignante

qui intervient de temps en temps à la recherche du meilleur compromis. Elle essaye d’articuler

le point de vue des élèves qui ont « peur » et ne comprennent pas l’attitude d’Alexandre et le

point de vue de ce dernier qui faisant déjà beaucoup d’effort se lâche de temps en temps.

Ainsi l’élève « expert » développe une activité dans laquelle s’articulent des intérêts

personnels (liés à sa culture et son vécu institutionnel) et collectifs (l’adaptation de cette

culture au cadre scolaire) exprimant une culture partagée et des normes collectives

constamment négociées au sein de la classe. Cet aspect ne peut s’effectuer indépendamment

de l’enseignante qui sert de médiateur en permettant à ces deux cultures d’évoluer, de se

rencontrer et de s’accepter.

1.2.2 Un leader

L’analyse de l’activité d’Alexandre révèle également selon nous un rôle de « leader ».

Bales (1950) définit les rôles comme des modes d’intervention au sein d’un groupe se

différentiant selon trois dimensions : l’activité, le type de sociabilité et l’investissement dans

la tâche. Alexandre est très actif, il adopte spontanément des attitudes positives vis à vis des

autres, favorise l’inertie en faisant en sorte que les choses se passent bien, et il est très

fortement engagé dans les tâches proposées. Ces caractéristiques concordent bien avec les

travaux de Rey (2000) qui définit le leader comme « l’individu le plus influent dans un groupe

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qui engage et oriente les conduites de l’ensemble des membres (…) le pouvoir du leader est

spontané et n’est pas attribué de l’extérieur » (p 36). Nous interprétons ce rôle de leader

adopté par Alexandre comme une conséquence de son expertise motrice mais également

comme une réponse à l’ennui suscité par les activités scolaires.

Ce rôle peut être perçu à deux niveaux : celui restreint de son équipe où il occupe une

position dominante et dynamisante de « capitaine » et celui plus global du système classe.

Cette position de « capitaine » adoptée spontanément par Alexandre s’explique selon nous par

le type d’organisation mis en place par l’enseignante. En effet les équipes constituent des

collectifs stables qui ne sont pas modifiés tout au long du cycle. Cette organisation renvoie à

la « sport education » dont parle Siedentop (1994) quand il propose d'aménager des cycles

d'EPS, à l'image des saisons sportives. Reprenant cette idée Kirk et Kinchin (2003)

considèrent que cette organisation des cycles d'EPS, permettrait à l'élève de donner un sens à

son activité, de trouver un intérêt à sa pratique qui se rapprocherait de celle véhiculée par les

pratiques sportives sociales de référence. En effet dans le cas de cette classe et plus

précisément dans l’équipe d’Alexandre les matchs s’organisent et se déploient à partir d’une

référence « club » très prégnante. La stabilité des équipes a favorisé l’émergence de règles

communes (« c’est bon il y a 4-4 j’te passe»), d’un langage commun (« entre ton joueur et le

but »), d’une organisation particulière (défense individuelle) et de rôles spécifiques à chacun

des joueurs (Marion dans les buts, Olivier en attaque). Au sein de ce collectif, Alexandre a pu

prendre une place dominante gérant son équipe sur le modèle des rencontres sportives

(consignes de jeu, gagner le match, bilan de la rencontre). Cette position de leader est bien

acceptée par ses coéquipiers certainement car tout en dirigeant l’équipe il adapte son

comportement en les faisant jouer au maximum.

Ce rôle de capitaine d’équipe semble positif. Il permet de satisfaire Alexandre qui trouve un

intérêt à prendre part aux matchs et à s’intégrer au sein d’un collectif qui pourtant ne

correspond pas du tout à sa pratique de club. Parallèlement il impulse une dynamique

favorisant la mise en action de ses coéquipiers et soulageant l’enseignante qui laisse une

grande liberté d’initiative à Alexandre et n’intervient jamais dans leur équipe comme il le

reconnaît lui même en ESD : « c’est moi qui gère (…) j’pense pas que les autres le voient

mais elle nous parle jamais à notre équipe ».

En même temps ce rôle de leader peut aussi être perçu comme négatif car lorsqu’il

enfile ce costume, son attitude est prescriptive avec beaucoup d’ordres et de consignes. En

référence aux travaux menés en psychologie sociale nous sommes ici sur une relation d’expert

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à novice (Bruner 1983) peu favorable aux apprentissages car laissant peu d’initiative et de

choix à ses coéquipiers. Alexandre reconnaît lui même en ESD : « ouai souvent ben je donne

mes petits ordres (…) j’y vais fort (…) mais des fois ils écoutent pas ».

Cette position dominante résulte bien sûr de sa qualité d’expert le dotant de savoirs et de

savoir-faire de haut niveau faisant autorité sur ses camarades et ne permettant pas l’émergence

de conflit socio-cognitif (Doyse et Mugny 1981). En référence à Gilly, Fraisse et Roux (1988)

qui ont mis en évidence différents types de dynamique interactive, nous analyserons ces

interactions comme une « coélaboration acquiesçante » où l’un des individus propose une

solution à l’autre qui sans marquer d’opposition écoute et acquiesce.

Ce collectif stable est organisateur de l’activité d’Alexandre tout au long des deux

séances. En effet lorsqu’on s’attache à regarder le réseau d’acteurs avec lesquels il interagit en

dehors des situations de matchs on remarque qu’il s’agit très majoritairement de ses

coéquipiers que ce soit pour discuter de sujets hors EPS, s’amuser ou encore réaliser les

exercices. De plus il semble particulièrement attaché tout au long de la séance à faire

progresser particulièrement ses coéquipiers comme il nous le précise lui-même en auto-

confrontation.

Du point de vue de la classe entière ce rôle de leader apparaît également mais de façon

moins dominante. Il semble impulser une dynamique notamment dans sa volonté constante

d’être en activité, d’accélérer la mise en place des situations et de diminuer les temps

d’attente. De plus son « expertise » lui confère un statut particulier et les autres élèves le

considèrent comme une personne ressource qu’ils sollicitent pour trouver des réponses à leurs

problèmes relatifs au handball et qu’ils prennent souvent en modèle. Il explique lui même en

ESD : «les autres ils te voient plus comme (…)le spécialiste de l’activité qui peut te dire

comment faire ». Ce rôle d’interface entre l’enseignant et la classe résulte ici uniquement des

initiatives d’Alexandre. En effet l’enseignante reconnaît l’existence de ce rôle et considère de

façon très positive son influence sur la classe mais ne semble pas l’orienter de manière

directe. Rey (2000) souligne qu’il faut contrôler le pouvoir des leaders pour éviter qu’ils ne

prennent le contrôle de la classe. Dans le cas d’Alexandre on remarque que son attitude reste

globalement en accord avec les exigences scolaires comme il le reconnaît en ESD : « moi

dans mon esprit c’est normal quand un prof me demande quelque chose ben voilà je le fais ».

Aussi ce rôle de leader ne semble pas présenter de « dangers ». Même pendant les consignes

où il s’ennuie et ne cautionne pas les choix de l’enseignante, il essaye de garder pour lui ses

impressions n’influençant pas le reste du groupe.

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Ainsi au sein de cette communauté de pratique Alexandre occupe un rôle de leader

reconnu comme positif par l’enseignante et ses camarades. Nous interprétons cette

reconnaissance comme le résultat de l’incorporation de son « expertise » au contexte scolaire.

Sa pratique de haut niveau lui confère une légitimité et un certain prestige mais en même

temps c’est parce qu’il s’efforce d’adapter cette expertise au contexte scolaire et de respecter

les normes communes qu’il peut occuper cette position centrale et reconnue dans la classe.

1.2.3 Un tuteur

L’activité d’Alexandre a également révélé un rôle très intéressant et étonnant de

« tuteur » pris de manière spontanée et que nous interprétons là aussi comme une réponse à

l’ennui véhiculé par les tâches d’apprentissage.

Une démarche de tutorat

Ce rôle original semble particulièrement développé et abouti chez cet élève. En effet

son activité semble concorder avec les travaux de Winnykamen (1996) selon lesquels

l’interaction tutorielle « peut se définir par des échanges en situation de construction,

d’acquisition, et de transmission de connaissances, les interventions d’un sujet (le tuteur)

ayant pour objectif de permettre à l’autre (le novice) de progresser dans la résolution de la

tâche » (p. 16). Cette volonté de faire progresser est omniprésente chez Alexandre. De même

transposé dans le cadre scolaire, le rapport de l’équipe IUFM d’Aix-Marseille / LAMES

(2000) énonce le principe de base du tutorat de la manière suivante : « un élève plus

compétent qu’un autre dans un domaine ou par rapport à une tâche particulière, vient en aide

à un autre élève, non pour faire à sa place ni pour lui dicter ce qu’il faut faire, mais en lui

expliquant comment s’y prendre pour qu’il parvienne à mieux réussir par lui-même ». Tout au

long de la séance, on remarque que l’activité d’Alexandre est porteuse d’éléments qui

semblent correspondre à cette démarche. Notamment, il observe ce que font ses camarades, il

réfléchit à ce qui ne va pas, explique, donne des conseils, réfléchit à ce qu’il leur dit, fait des

démonstrations, encourage, vérifie les effets de ses interventions. Par exemple, lorsque

Alexandre joue le rôle de défenseur pendant la situation d’apprentissage son action s’ajuste

constamment à celle de ses camarades, il s’investit dans une démarche de tutorat renvoyant

dans un autre registre à la notion d’ IMI (imitation modélisation interactive) de Winnykamen

et Lafont (1990) selon laquelle le modèle après avoir observé et évalué la production du sujet

imitant, modifie sa production en fonction de la réalisation momentanée de celui-ci . Son

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« expertise » est certainement là encore à l’origine de cette attitude. En effet s’il n’adaptait pas

son comportement l’exercice n’aurait plus vraiment d’intérêt étant donné qu’il récupèrerait

toutes les balles et ses camarades ne seraient certainement pas très satisfaits.

Il modifie également son comportement selon la personne avec laquelle il réalise les exercices

(son engagement moteur n’est pas le même lorsqu’il travaille avec Olivier ou Vincent) il

adapte ses conseils selon les élèves avec lesquels il interagit (les mots utilisés pour expliquer

l’organisation défensive ne sont pas les mêmes lorsqu’il s’adresse à Charlotte ou à Marc).

Cette attitude de tutorat est forte pendant les situations d’arbitrage où il est investi dans une

démarche d’enseignement vis à vis de son arbitre « adjoint ». Il n’impose pas ses réponses

mais sollicite la réflexion de son camarade, le pousse à prendre des initiatives, le corrige en

expliquant ses choix. Enfin pendant les matchs Alexandre cherche constamment à faire jouer

un maximum ses coéquipiers, il vérifie leur placement sur le terrain, observe leurs actions et

les corrige ponctuellement.

Ce processus d’étayage où s’articulent pensée, parole et action crée une situation

potentiellement vecteur d’apprentissages aussi bien du côté du tutoré que du tuteur (Topping,

1998). Pléty (1996) qui cherchait à savoir si un élève pouvait enseigner à un autre et s’il

pouvait apprendre d’un autre a mis en évidence le côté bénéfique de la pratique du tutorat.

Bénéfices pour le tutoré ?

Cependant face à la très grande distance qui sépare Alexandre de ses camarades on

peut s’interroger sur l’efficacité de ce rôle de tutelle. Les travaux réalisés en action située

nous ont amenés à considérer que chaque individu donne une signification personnelle au

contexte dans lequel il agit. Aussi la réussite d’une interaction repose sur une production

« d’intelligibilité mutuelle » (Suchman 1990), favorisée par l’accès mutuel aux ressources

disponibles dans l’environnement. Cette idée renvoie à la notion de « contexte partagé »

(Garfinkel, 1967) cherchant parmi les informations qui sont pertinentes pour les acteurs dans

une situation celles qu’ils partagent ou non à un instant donné (Salembier et Zouinar, 2004).

Dans le cas d’Alexandre et compte tenu de l’écart important avec ses camarades, on peut à

juste titre s’interroger sur le caractère « partagé » et « intelligible » de ses interventions

verbales et motrices. En effet, malgré ses efforts d’adaptation, Alexandre conserve une

activité fortement chargée de référence au haut niveau qui échappe parfois certainement à ses

camarades. (notion d’intervalle, réalisation de passes un peu forte sur Olivier ).

Si ce rôle de tuteur est investi par Alexandre il ne l’engage pas forcément toujours

dans une relation de tutelle. En effet trois caractéristiques relevées par Winnykamen (1990)

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sont indispensables à l’émergence d’une interaction tutorielle : une dissymétrie de

compétence, un engagement des deux partenaires, des objectifs complémentaires.

Si l’expertise dont fait preuve Alexandre remplit systématiquement la première exigence les

deux autres sont beaucoup moins systématiques. En effet les camarades avec lesquels il

interagit ne souhaitent pas forcément s’engager ou ne sont pas toujours orientés vers des buts

d’apprentissage ou de progrès. Notamment lors de l’échauffement Séance 2, Alexandre va

abandonner sont rôle de tuteur vis à vis d’Olivier qui ne cherche qu’à s’amuser et avait fumé

avant de venir en cours. Ainsi l’investissement dans ce rôle dépend également de la réaction

de ses camarades.

Bénéfices pour le tuteur ?

Les études menées sur le tutorat mettent en avant un « effet – tuteur » qui désigne le

bénéfice personnel retiré par les élèves qui apportent une aide. Ces « relations interactives

d’instruction » (Bruner, 1983) permettent un « apprentissage par la reformulation » (Gartner

et al. 1973) en amenant les élèves tuteurs à revisiter des connaissances, à les réorganiser, à

produire des explications, à mieux voir l’essentiel à travers une activité métacognitive pour

apprendre à apprendre. Ayant à apporter une aide, le tuteur produit des explications : il est

sollicité sur un plan métacognitif, au niveau des fonctions régulatrices de l’action (capacités

d’organisation, de contrôle, d’évaluation et de vérification). Il apprend à porter un regard

critique sur ce qui est fait, à se distancier par rapport à sa propre manière de faire, à réfléchir

afin de mieux agir.

Comme nous l’avons vu, cette activité métacognitive est présente chez Alexandre et

nous émettons l’hypothèse qu’elle est vecteur d’apprentissages. Toutefois ce rôle de tuteur

prend place principalement sur des acquisitions motrices. A cet égard on peut supposer

qu’obligeant Alexandre à s’adapter, à doser ses gestes, à mettre en mots son action il puisse

également faire des acquisitions sur le plan moteur en affinant et explorant de manière

réflexive sa motricité de handballeur.

Un choix personnel ?

L’engagement d’Alexandre dans ce rôle de tuteur est là aussi tout à fait spontané et ne

fut pas l’objet de directives ou de consignes particulières. La réalisation des entretiens a

confirmé cette méconnaissance de l’enseignante sur cet élément pourtant omniprésent. Là

encore, selon nous, cette attitude peut s’expliquer par l’ « expertise » de cet élève. En effet les

le rapport de l’équipe IUFM d’Aix-Marseille / LAMES (2000) souligne que le rôle de tuteur

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est une manière de davantage exister par rapport aux autres, de se sentir utile et porteur de

connaissances profitables à d’autres, de prendre plus de plaisir dans l’acte d’apprentissage

tout cela dans un contexte communicationnel où la composante affective joue un rôle. On

retrouve ici l’idée « d’éviter l’ennui » et « d’éviter les ennuis » auquel s’ajoute la valorisation

de l’image de soi. Nous avons déjà souligné qu’Alexandre ne peut pas trouver d’intérêt

moteur dans les tâches d’apprentissage car devant constamment se retenir. Le rôle de tuteur

semble ainsi être un moyen de répondre à ce manque et de s’affirmer au sein de la classe. Il

lui permet en effet de valoriser et de réinvestir son « expertise » dans la tâche d’apprentissage

sans toutefois rencontrer d’opposition de la part de ses camarades qu’il contribue à faire

progresser, comme en témoigne cette affirmation en ESD : « en fait tu aides les autres à

s’améliorer (…) ils le savent très bien ».

Ainsi l’activité d’Alexandre est porteuse d’un rôle de tuteur très développé qu’il

investit de manière spontanée et méconnue de l’enseignante et que nous interprétons comme

une forme d’expression et de valorisation de sa qualité d’ « expert » au sein du groupe classe.

1.3 Quatre rôles en interaction

L’analyse et la discussion de nos résultats nous ont amené à considérer l’activité

d’Alexandre comme le résultat d’un équilibre dynamique entre quatre rôles interdépendants : un

perturbateur, un expert, un leader, un tuteur. Fortement marqué par le caractère « expert » de cet

élève, ils sont une adaptation originale à la formule « éviter l’ennui / éviter les ennuis » (Allen,

1986). Cette dynamique qui émerge du contexte classe dépend des moments de la séance, des

situations d’apprentissages, du rapport de force lors des matchs, des acteurs avec lesquels il

interagit… Même si ces quatre rôles sont toujours présents, le rôle de perturbateur apparaît

surtout pendant les phases d’attente, le rôle d’expert est constant mais problématique pendant

les matchs, le rôle de leader est très présent pendant ces derniers, enfin celui de tuteur est très

marqué pendant les tâches d’apprentissages, d’arbitrage ou l’échauffement.

Les situations de matchs sont particulièrement intéressantes à étudier du point de vue

de cette dynamique. En effet il y a continuellement une co-influence, des tensions et des

glissements d’un rôle à l’autre en fonction principalement de l’évolution du score et du rapport

de force. Par exemple, lorsqu’il perd, il est fortement engagé dans un rôle d’expert et de leader

avec pour objectif de revenir au score. Dans cette situation il retrouve ses habitudes

compétitives et s’engage principalement dans une relation expert / novice avec ses camarades.

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En revanche, dès qu’il y a égalité ou qu’il gagne, il adopte à nouveau son costume de tuteur

bienveillant visant à faire progresser ses camarades et à adapter son niveau de jeu.

1.4 Une activité résultant d’une histoire collective

A la lecture de nos résultats et de nos conclusions relatifs à ces deux séances de

handball, il se dégage une impression d’équilibre et de routine où l’activité d’Alexandre

semble parfaitement intégrée à la classe malgré quelques petits conflits liés à la force de

certains tirs. On a également le sentiment qu’Alexandre possède une activité totalement

indépendante de celle de l’enseignante. Leurs interactions sont très peu nombreuses, elles

portent essentiellement sur la régulation d’un conflit lié à un tir ou sur des problèmes

d’organisation liés à son expertise mais elles ne font jamais l’objet de conseils, de consignes

ou de rôles particuliers à tenir. (s’adapter en défense, gérer son équipe, arbitrer …). Cette

« liberté » laissée à Alexandre est reconnue par les deux acteurs qui nous le confirme lors des

entretiens. Notamment il nous dit en ESD : « la prof j’ai aucun rapport avec elle euh ben

bonjour et voilà ». Ainsi à première vue il semble faire preuve d’une grande autonomie

l’engageant dans des rôles multiples lui permettant d’assurer un équilibre « viable » avec les

autres élèves.

Pourtant la réalisation des entretiens semi-directifs nous a permis de découvrir

l’histoire de cette classe, l’élaboration progressive de normes communes et le rôle joué par

l’enseignante dans l’intégration d’Alexandre et de son « expertise » à cette communauté de

pratique. En effet ce dernier nous raconte en ESD : « ben en fait au départ pour leur montrer

que j’avais fait du handball (…) j’ai tiré comme un gros bourrin (rigole) et là ils se sont dit

putain c’est qui ce bonhomme ». En accord avec les postulats des théories situées, ce vécu

collectif s’est révélé indispensable pour comprendre l’activité déployée au cours de ces deux

séances qui prenaient place à la fin du cycle.

L’enseignante, quant à elle, fait référence à un début de cycle assez difficile car

n’ayant pas eu de très bon rapport avec cette classe dans l’activité précédente. Aussi, dès la

première séance, elle a essayé de reprendre le contrôle des élèves, notamment elle nous

indique en ESD que elle a « fait défenseur et donc là ils ont vu que je leur piquais les ballons

et donc bon ils ont compris que bon voilà je savais de quoi je parlais ». Nous pensons que cet

investissement a eu un impact sur la reconnaissance d’une certaine légitimité de l’enseignante

aux yeux d’Alexandre qui a pu orienter son engagement ultérieur. Parallèlement l’acceptation

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d’Alexandre par ses camarades fut l’objet de nombreuses négociations. Particulièrement au

niveau du tir, l’enseignante est beaucoup intervenue au début du cycle pour qu’il tire moins

fort mais également auprès des autres élèves pour qu’ils acceptent sa présence. En effet

l’enseignante en ESD nous explique que « des fois je disais à Alexandre de pas tirer trop fort

et des fois je disais aux autres ben c’est bon il te tire pas dedans (…)ils se sont acceptés tous

avec leurs différences ». Lors des deux séances que nous avons analysées, si parfois il lui est

arrivé de se lâcher involontairement, Alexandre a fait preuve d’une grande retenue dans la

force de ses tirs et cela indépendamment d’interventions de l’enseignante. De même son

adaptation motrice dans les tâches de « défenseur », autonome sur ces deux séances, semble,

elle aussi, avoir été l’objet de consignes particulières données en début de cycle comme nous

en fait part l’enseignante en ESD « ça m’est arrivé de lui dire mais je crois que c’était au

début du cycle (…) de doser son intervention en défense ». Alexandre nous explique

également en ACS1 comment il a adapté sa façon d’arbitrer au fil des séances « j’arbitre à

tous les matchs (…) au début j’étais dur et elle(l’enseignante) m’a dit d’être moins dur donc

voilà ». Enfin on peut noter que cette attitude de prise de responsabilités, d’initiative semble

être un trait de caractère d’Alexandre puisque déjà lors du cycle précédent en athlétisme,

l’enseignante nous révèle en ESD que « lui faisait le travail sérieusement, il prenait des

responsabilités, il participait pour aider au fonctionnement».

Aussi il apparaît que l’équilibre qui se dégage du fonctionnement de cette classe au

terme du cycle, avec une grande « liberté » laissée à Alexandre, est le résultat d’une histoire

collective impliquant l’ensemble des acteurs. D’un côté l’enseignante a certainement

influencé l’émergence et le déploiement de ces quatre rôles investis par Alexandre, mais de

l’autre elle ne semble pas être au courant de ce que réalise réellement Alexandre et le laisse

prendre ses propres initiatives tant qu’il ne perturbe pas le déroulement de la classe.

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2. La question de l’hétérogénéité

Au terme de cette analyse il nous faut désormais revenir à notre question de départ : la

problématique de l’hétérogénéité envisagée du point de vue d’un élève « expert » et de ses

conséquences vis à vis de l’enseignement.

2.1 L’hétérogénéité sur le plan moteur

Alexandre, du fait de sa pratique de haut niveau, ne rencontre aucun problème moteur

dans les situations d’apprentissage proposées et l’enseignante reconnaît elle même en ACS1

que « il n’y a pas suffisamment d’opposition pour qu’il soit réellement en difficulté (…) c’est

pas forcément une situation intéressante ». Pourtant elle ne propose aucune adaptation des

situations et ne lui donne pas d’objectifs particuliers. Ainsi l’enseignante n’est pas préoccupée

par les apprentissages moteurs d’Alexandre et propose des contenus indifférenciés. Nous

sommes donc a priori dans le niveau plancher dont parle Méard (1993) où les différences sont

éludées et non prise en compte par l’enseignant.

Aussi comme nous avons pu le mettre en évidence, face à ces tâches identiques pour

tous, Alexandre se donne des buts particuliers en modifiant les consignes et les mises en

œuvre afin de trouver un intérêt dans leur réalisation. Notamment lors des matchs nous avons

remarqué qu’Alexandre se débrouille pour conserver une infériorité numérique afin de

pouvoir s’investir davantage physiquement. Cette adaptation est le fruit de sa propre initiative

et s’effectue très étrangement sans que l’enseignante ou les autres élèves de la classe ne s’en

rendent compte. Cette volonté se retrouve également lorsqu’il prend des rôles particuliers

comme celui de défenseur pendant les tâches d’apprentissages. L’enseignante confirme en

ESD : « finalement ceux qui sont en défense ont un gros investissement physique donc lui je

pense qu’il se fait plaisir sur ce genre de rôle». Etant donné que ces adaptations ne perturbent

pas la classe et qu’Alexandre ne s’ennuie pas pendant le cours, cette « expertise motrice »

n’est pas vécue par l’enseignante comme une contrainte puisqu’elle affirme pendant l’ESD :

« comme il adhère quand même au travail et qu’il n’a pas l’air de s’ennuyer ben je me euh je

me contente de peu en fait ».

Au contraire cette « expertise » peut être mise au service des apprentissages des autres

élèves. Notamment sa présence impulse une dynamique positive à son équipe. Tourné vers la

mise en action et le désir de gagner (un leader), faisant jouer au maximum ses coéquipiers (un

tuteur) Alexandre met son expertise (un expert) au service du collectif. L’enseignante

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reconnaît elle-même en ESD : « il y a eu des actions très intéressantes dans son équipe (…)

ils ont joué collectif c’était un jeu de qualité (…) j’étais vraiment contente ». De même

lorsqu’en Séance 2 il se place défenseur pendant la situation d’apprentissage, son expertise lui

permet d’offrir une résistance adaptée au niveau de ses camarades qui ainsi peuvent travailler

de manière plus efficace. De plus il faut noter qu’il est particulièrement concentré et engagé

dans ce rôle qu’il adopte spontanément sans que l’enseignante n’ait à intervenir. Ainsi la

situation d’apprentissage proposée remplit d’autant mieux ses objectifs lorsque Alexandre est

défenseur. Il apparaît finalement que tous les acteurs profitent de cette situation : Alexandre

qui peut s’investir physiquement et éviter l’ennui, les autres élèves qui sont contraints de

chercher des solutions motrices et l’enseignante qui trouve dans cette expertise le moyen de

maximiser les apprentissages sans toutefois avoir à s’en préoccuper.

Toutefois on peut émettre quelques réserves et se demander en quoi cette activité

d’Alexandre est réellement favorable aux apprentissages. Notamment son implication lors des

tâches collectives comme celles de match pose question dès lors que l’on envisage

l’apprentissage comme « situé » (Brown et al 1989 ; Lave, 1988 ; Lave et Wenger, 1991).

Kirk et Kinchin, 2003 dans le domaine de l’EP considèrent que tout apprentissage est

incorporé dans l’activité collective d’une communauté dont la spécificité définit

des possibilités d’apprentissage. A cet égard la présence d’Alexandre au sein d’une équipe

offre des possibilités d’action collective très particulières. Son « expertise » donne des

possibilités nouvelles à ses camarades dont l’activité semble facilitée. En effet il réalise des

passes adaptées, bien dosées ne posant pas de problème de réception, il gère la défense,

supervisant le placement de chacun, il permet à ses camarades d’être en position favorable

pour tirer. Il est ainsi fort probable que sa présence élève artificiellement le niveau de ses

camarades qui, en son absence, ne seront plus capables des mêmes prouesses.

On voit à travers l’exemple d’Alexandre qu’un élève expert peut s’intégrer et

s’investir dans des situations d’apprentissage inadaptées par rapport à son niveau moteur sans

toutefois perturber le déroulement de la séance et en favorisant les acquisitions motrices de

ses camarades. Loin d’être une contrainte, l’expertise apparaît ici être une ressource dont les

effets, reconnus par l’enseignante, s’effectuent indépendamment de son action.

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2.2 L’hétérogénéité comme confrontation des cultures

Sur le plan des connaissances de l’activité, du règlement, de la tactique ou technique

spécifique au handball Alexandre n’apprend rien de l’enseignante. Aussi, là encore il adopte

une attitude plutôt favorable à la gestion de l’hétérogénéité notamment par son silence lors

des questions de l’enseignante. Elle reconnaît elle même en ACS1 « à l’oral il intervient

assez peu (…)si mon souvenir est bon il devait intervenir au tout début du cycle et très

rapidement il a arrêté » Cet élément est intéressant car il permet à l’enseignante de mener sa

classe sans se soucier des réactions d’Alexandre qui laisse ses camarades réfléchir et chercher

par eux-mêmes des solutions aux problèmes qu’elle leur soumet. Toutefois ce point positif est

à nuancer car nous avons remarqué que c’est justement dans ces périodes de regroupement

collectif qu’Alexandre adopte la figure du « perturbateur » en s’engageant dans des activités

clandestines n’ayant pas trait à la séance et visant à éviter l’ennui.

Inversement, dans d’autres circonstances, il fait profiter aux autres de ses connaissances

(arbitrage, règlement, tactique …) et il est reconnu comme une personne ressource par ses

camarades qui viennent souvent le solliciter plutôt que l’enseignante pour trouver une réponse

à leurs problèmes. Il nous explique en effet en ESD : « des fois ouai c’est eux qui viennent

vers moi (…) ils me demandent sur certains trucs (…) parce que avec la prof (…) ça passe

au-dessus de la tête quand c’est un élève qui fait l’activité avec eux ça touche plus ».

Enfin comme nous l’avons vu, le contexte scolaire questionne les connaissances

institutionnelles d’Alexandre. Le cadre « club » ne convient pas en classe et il fut l’objet

d’une adaptation et d’un apprentissage progressif par rapport à l’arbitrage (assouplissement du

règlement) mais également par rapport à la tactique et technique de jeu (défense individuelle

plutôt que défense de zone). Si en début de cycle l’enseignante est intervenue auprès

d’Alexandre sur des problèmes d’arbitrage, ces apprentissages se réalisent plutôt en action, de

façon autonome au contact de la réalité scolaire et d’une nécessaire coordination avec ses

camarades.

Sur ce plan nous remarquons que les apprentissages de l’élève « expert » sont

particuliers puisqu’ils ne vont pas dans le sens d’une meilleure connaissance de l’activité mais

au contraire ils viennent questionner la rigidité de son référentiel institutionnel. Cet

engagement dans un handball scolaire aura modifié son rapport à l’activité en lui faisant

découvrir d’autres modalités de pratique de cette APSA. Toutefois cet élément est à nuancer

car ces deux séances se sont déroulées sur un modèle fortement institutionnel avec beaucoup

de matchs n’ayant pas fait l’objet de consignes originales. On peut se demander si cette

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caractéristique vient uniquement d’un choix didactique de l’enseignante (elle considère cette

activité comme l’une de ses spécialités) ou si la présence d’un élève « expert » l’a encouragée

à adopter ce type de fonctionnement. Quoi qu’il en soit, la culture institutionnelle d’Alexandre

n’est pas vécue comme une contrainte par l’enseignante.

2.3 L’hétérogénéité et la question des apprentissages « citoyens »

Comme nous l’avons vu, ne pouvant s’exprimer sur le plan moteur Alexandre investit

durant le cours un certain nombre de rôles que nous avons déjà détaillés. Ces éléments

peuvent être rattachés à la notion de « Coopérative learning » développée par Dyson et

Grineski (2001) et faisant référence à de petits groupes qui utilisent les interactions positives

entre élèves pour accomplir des buts collectifs où la contribution de chacun est nécessaire.

Selon ces perspectives la composition des groupes doit être hétérogène pour tirer des

bénéfices de la diversité. De même Johnson (1981) qui définit quatre structures de travail

(coopération avec compétition inter groupes, coopération sans compétition inter groupes,

compétition inter individuelle, et travail individuel) met en évidence que la coopération donne

de meilleurs résultats que les deux autres structures. L’apprentissage coopératif pousserait les

élèves à prendre des responsabilités : organiser leur groupe, enseigner aux autres membres,

donner des feedbacks pour améliorer les prestations individuelles au service du collectif…

Les situations de match correspondent à une coopération avec compétition inter groupes.

Cette structure est positive car elle pousse Alexandre à prendre des responsabilités : il est

capitaine d’équipe, gère le collectif, s’adapte au niveau de ses coéquipiers, réfléchit à

l’organisation défensive la plus adaptée… autant d’éléments vecteurs d’apprentissage

« citoyens » et « sociaux » pour cet élève « expert ». Toutefois si cet élément est positif du

point de vue d’Alexandre, il contribue, à première vue, à l’adoption d’un rôle de « leader »

prenant en charge toutes les responsabilités (il va jusqu’à distribuer et ranger les maillots) et

laissant très peu de liberté à des coéquipiers qui se contentent de suivre ses directives ne

pouvant remettre en cause les savoirs et savoirs faire d’un « expert ». En effet, du point de vue

d’Alexandre la coopération pour gagner le match est nécessaire mais pas indispensable et il

pourrait jouer tout seul en marquant tous les buts. Pourtant, comme nous l’avons vu, cette

forte hétérogénéité, que l’infériorité numérique ne suffit pas à combler, permet l’émergence

d’un autre rôle, celui de « tuteur » qui vient renverser les effets « négatifs » du « leader ».

Nous avons déjà mis en avant les bénéfices qu’il procure en terme d’apprentissages pour

l’ensemble des acteurs.

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De plus, face à des activités qu’un regard extérieur qualifiera de « travail individuel »

(défenseur dans la situation d’apprentissage ou arbitre), l’adoption de ce rôle de « tuteur »

l’engage plutôt dans une démarche de coopération. Il n’est pas engagé par rapport à soi mais

par rapport à ses camarades. Cette idée prolonge les travaux de Rossard et al. (2004) qui

mettaient en avant que si la structure des tâches, qui tendent à imposer certaines formes de

relations, constitue une contrainte extrinsèque significative pour les élèves, d’autres

contraintes inhérentes à la situation de classe et aux caractéristiques des acteurs permettent de

comprendre leurs préoccupations.

Finalement les situations de coopération qui engagent un élève « expert » semblent

tout à fait satisfaisantes à partir du moment où il ne se contente pas de jouer un rôle de

« leader », qui impose ses choix aux autres, mais qu’il investit également un rôle de « tuteur »,

laissant une initiative à ses camarades, prenant en compte leur point de vue et les guidant dans

leur activité.

Enfin à un niveau plus global, Alexandre possédant une position de « leader » est une clef

pour la gestion de l’hétérogénéité des attitudes. En effet, comme le souligne Rey (2000) le

« leader » est un élément très efficace pour manœuvrer les groupes et le recours aux élèves

leaders se révèle très efficace pour faciliter l’engagement des autres. Dans le cas d’Alexandre,

cet élément se confirme mais il n’est pas investi directement par l’enseignante car ce dernier

adopte de lui-même une attitude positive (résultat d’une histoire collective et de

caractéristiques individuelles) et allant le plus souvent dans le sens des attentes de

l’enseignante. Aussi il nous explique en ESD : « ben quand même sur certains trucs c’est moi

qui booste la classe ».

2.4 Vers une hétérogénéité autorégulée

La forte hétérogénéité générée par Alexandre fut lors des premières séances une

contrainte pour l’enseignante. Toutefois en cette fin de cycle, elle ne se soucie plus de lui

puisqu’il semble satisfait et ne perturbe pas l’équilibre de la classe.

Comme nous l’avons vu, les modifications effectuées par Alexandre de manière

spontanée, autonome et le plus souvent à l’insu de l’enseignante visent principalement à

« éviter l’ennui » en « évitant les ennuis » (Allen, 1986). Paradoxalement elles permettent

également de donner à l’hétérogénéité un caractère de ressource pour les apprentissages de

tous. Notamment à travers le rôle de « tuteur », il met son « expertise » au profit de la

progression de ses camarades et en retour lui-même effectue des acquisitions. On retrouve en

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fait ici les caractéristiques du niveau souhaitable (Méard, 1993) où les différences deviennent

des tremplins pour les apprentissages (savoirs et savoir faire). Mais cette caractéristique de

« ressource » émerge de la situation et si elle est parfois reconnue par l’enseignante cette

dernière ne cherche pas réellement à l’utiliser et ne semble pas mesurer toute son ampleur.

Il nous semble finalement, que ce soit ce rôle de « tuteur » qui a permis de faire passer

la présence d’un élève « expert » du statut de contrainte à celui de ressource, aussi bien pour

les apprentissages que pour la gestion de la classe par l’enseignant. On serait passé

progressivement d’une gestion de l’hétérogénéité fortement contrôlée par l’enseignante à une

forme d’auto régulation par les élèves dont l’activité d’Alexandre semble être la pièce

centrale.

Ces conclusions viennent compléter les travaux de Plety (1996) sur le tutorat qui

visaient à déterminer si de telles pratiques situées à l’articulation de l’acte d’enseigner et de

celui d’apprendre pouvaient être érigées en méthode d’enseignement. Ce « learning through

teaching » ou apprentissage réalisé en enseignant (Gartner, Kohler et Riessman, 1971-1973)

se référe aux dispositifs de guidage, d’entraide et de tutorat qui se mettent en place sur

initiative des enseignants. La place centrale de l’élève dans le système éducatif (loi

d’orientation, 1989) et l’essor des pratiques de pédagogie différenciée ont favorisé le

développement du tutorat entre pairs par rapport à la citoyenneté, à la socialisation, à

l’intégration d’élèves dans un groupe classe, mais également par rapport à l’apprentissage

considérant que la capacité à apprendre est corrélative de celle d’expliquer, d’enseigner.

L’enseignant devient alors davantage celui qui encadre, accompagne les élèves dans des

activités didactiques, une personne ressource, un régulateur des échanges. Notre étude révèle

que l’activité d’un élève « expert » au sein d’une classe est particulièrement propice à

l’adoption de tels dispositifs qui pourraient être une réponse intéressante et positive à la

question de l’hétérogénéité. A cet égard les propos de l’enseignante en ACS1 sont éloquents :

« finalement c’est vrai que je me repose un peu sur (rigole) les interventions d’Alexandre ».

Encore faut-il que les enseignants acceptent de reconnaître, d’exploiter et de guider le

potentiel « didactique » de ces élèves particuliers.

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3. Limites et perspectives

3.1 Limites de l’étude

Aucune démarche scientifique ne peut se prémunir de difficultés. Ne pouvant s’en

affranchir l’honnêteté scientifique exige d’en avoir conscience et de les exposer lors de la

discussion des résultats.

Tout d’abord s’inscrivant dans le cadre d’une étude qualitative, ce travail apporte une

certaine finesse et originalité dans les résultats, mais il impose de prendre en compte plusieurs

limites relatives à leur généralisation. La première limite porte sur le caractère éminemment

singulier de notre étude de cas. L’échantillon d’un seul participant s’avère relativement limité.

En effet ces résultats obtenus pour Alexandre ne peuvent en aucun cas être généralisés et

révèlent le caractère et l’activité d’un seul élève. Cette spécificité de l’élève « expert » qui

articule quatre rôles, dont la dynamique apporterait une réponse positive à la gestion de

l’hétérogénéité, reste à vérifier. Notamment le contexte scolaire et social de la situation

étudiée reste singulier (cf annexes). Une même étude conduite dans un milieu dit « défavorisé

» avec des élèves en grande difficulté scolaire aurait certainement eu une incidence sur les

résultats.

Egalement les caractéristiques même de l’activité ont pu être déterminantes. En effet le

caractère collectif du handball confère à l’activité une forte dimension coopérative qui peut

certainement avoir favorisé l’orientation de l’activité d’Alexandre. Nous pouvons penser que

dans une activité dite « individuelle » où les performances motrices sont moins dépendantes

de celles des autres, un élève « expert » pourra s’exprimer davantage sur le plan moteur. Ne se

confrontant pas aussi directement à l’activité des autres, l’adaptation au contexte scolaire sera

certainement moins visible. A cet égard les propos d’Alexandre en ESD sont éloquents : « là

c’est un truc esprit d’équipe mais en athlétisme on est en individuel donc ben (…) tout le

monde s’en fou en fait (…) quand tu arrives ils font ben quel temps t’as fait et euh voilà ».

On peut également relever des biais méthodologiques. Tout d’abord au niveau du

recueil de données nous nous sommes introduits dans une classe sans prendre de réelles

précautions préalables. En effet il aurait été nécessaire de procéder à une période d’adaptation

à la classe avant de commencer le recueil des données afin que les élèves puissent s’habituer à

notre présence. Pourtant la spontanéité dont ont fait preuve les acteurs nous permet de penser

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que notre présence n’a pas énormément perturbé le déroulement des séances. Ces élèves, issue

d’un lycée très favorisé, n’ont pas paru déconcentré par cet outil de classe inhabituel, élément

qui peut s’expliquer par le type de population étudiée.

Notre travail ne confirme pas les résultats de Guerin, Riff et Testevuide (2004) qui

montrent que la verbalisation par les élèves en auto confrontation ne serait pas spontanée et

demanderait un certain temps d’adaptation et de familiarisation. Leur travail met en évidence

les difficultés qui marquent la construction progressive d’une position réflexive des élèves

pour rendre compte de la signification de leur expérience vécue en classe. Aussi, cet élément

semble a priori remettre en cause la pertinence des données recueillies en auto confrontation

avec un élève. Pourtant malgré le peu d’entretiens réalisés (deux) nous n’avons pas rencontré

ce type de difficultés. Cependant comme nous l’avons précisé dans notre méthodologie,

Alexandre avait l’habitude de se voir à la caméra, d’être filmé et d’analyser sa pratique de

handballeur. Cet élément semble avoir été déterminant dans la spontanéité et le naturel dont il

a fait preuve pendant les séances et les entretiens. Clot (1999) précise également que cette

méthode de rappel en permettant une prise de distance de l’acteur avec son action réalisée in

situ, l’engage souvent à porter un jugement sur son vécu. Cette démarche de réflexivité certes

intéressante perturbe le recueil d’informations qui rend compte du vécu réel de l’individu

pendant la situation initiale. Par exemple Alexandre découvre à travers le biais de l’auto

confrontation son attitude prescriptive vis à vis de ses camarades comme en témoigne cette

verbalisation en ACS2 : « oh les ordres que je donne (…) comment je parle (rigole gêné) (…)

mais on se rend pas compte de ce qu’on fait en fait ». Mais apparaissant de manière très

ponctuelle ce genre de verbalisations n’est pas venu perturber le bon déroulement des

entretiens. Enfin notre « jeunesse » de chercheur dans le courant de l’action située pose

problème quant à la qualité et la pertinence des entretiens que nous avons menés (type de

questions posées).

D’autres limites concernant le traitement des données sont également à relever.

Notamment le découpage en USE, séquences, séries, macro séquences et l’élaboration des

séquences archétypes ont été effectués par une seule personne. Bien que nous nous soyons

efforcés de conserver un regard le plus neutre et le plus objectif possible il aurait été

souhaitable de coupler le point de vue de plusieurs individus pour valider ces résultats. De

plus, l’organisation représentant les différentes préoccupations typiques de l'élève semble

réductrice, figée, puisque certaines préoccupations typiques peuvent aussi bien se retrouver

dans une ou deux catégories plus globales. Ce découpage et ce regroupement porte finalement

qu’on le veuille ou non les traces de la subjectivité du chercheur.

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3.2 Un travail à poursuivre

Prenant comme point de départ cette éternelle problématique de l’hétérogénéité notre

étude se donnait pour objectif de caractériser l’activité d’un élève « expert » au sein du

système classe. Se posant comme une étude pionnière elle visait principalement à ouvrir des

perspectives de questionnement.

Tout d’abord nous sommes conscients qu’il serait intéressant d’élargir cette étude à

d’autres cas d’élève « expert » afin de rendre les résultats plus significatifs. Il faudrait vérifier

si l’on retrouve ces mêmes caractéristiques notamment l’oscillation entre ces quatre rôles :

perturbateur, expert, leader, tuteur en variant le sexe, les caractéristiques de l’établissement,

de la classe, l’âge, mais aussi le niveau scolaire de l’élève. Il nous semble particulièrement

intéressant de s’intéresser au cas d’un élève « expert » d’une activité mais qui serait en échec

scolaire dans les autres matières, ce qui n’était pas le cas d’Alexandre. En effet Verba (1987)

s’intéressant aux apprentissages intellectuels avait mis en évidence un phénomène de

« tutelles inversées ». Il serait également intéressant de réaliser cette étude dans une activité

dite « individuelle » ne nécessitant pas de collaboration explicite entre les élèves.

Au regard de nos résultats qui ont porté uniquement sur deux séances il nous semble

qu’une étude longitudinale se déroulant sur l’ensemble d’un cycle serait tout à fait

intéressante afin d’analyser finement comment s’effectue l’adaptation de l’ « expertise » au

contexte de la classe et comment se construit progressivement l’équilibre et l’adoption de ces

quatre rôles.

On pourrait également s’intéresser dans une perspective de « contexte partagé » aux

configurations collectives c’est à dire à l’articulation de cours d’action individuel en prenant

le point de vue d’un autre élève de la classe. Notamment pour le cas d’Alexandre il aurait été

particulièrement intéressant d’avoir le point de vue d’Olivier avec lequel il interagit

énormément, notamment sous forme de tutelle.

De plus nos données pourront faire l’objet d’un travail ultérieur portant cette fois sur

l’organisation intrinsèque locale du cours d’action d’Alexandre. Notamment l’analyse fine des

situations de match nous semble intéressante à explorer. Elle pourrait porter sur le passage

d’un rôle à l’autre (tuteur, leader…) en se centrant sur ce qui fait réellement signe chez

Alexandre à chaque instant de son activité. De plus une analyse locale permettrait de mettre

en avant les connaissances mobilisées, validées ou invalidées par Alexandre au cours de la

séance, et ainsi rendre compte finement de cette confrontation entre une culture scolaire et

institutionnelle.

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CONCLUSION

L’analyse des programmes de lycée publiés en 2000 révèle une revalorisation de la

place faite à la « lycéenne » et au « petit gros » au détriment parfois du « bon en gym ».

(Méard et Klein, 2001, p. 9-14) Abordant la question de l’hétérogénéité à partir de l’activité

réelle d’un élève « expert » dans son activité de prédilection, cette étude montre que la

présence et la valorisation du « très bon en gym » n’est pas un obstacle à la réussite de tous.

Notre questionnement portait sur l’identification d’une spécificité de l’engagement

d’un tel élève compte tenu de son « expertise » et de la confrontation d’une culture

« scolaire » et d’une culture « experte » de l’activité. Pour cela nous avons adopté une posture

théorique au sein des approches situées envisageant l’activité comme résultant d’un couplage

structurel entre l’individu et son environnement. Dans cette perspective, les travaux relatifs à

l’activité de l’élève sont en plein essor mais n’avaient pas encore porté sur ce cas particulier.

Aussi il s’agit avant tout d’une recherche exploratoire, permettant d’apporter un premier

éclairage sur l’activité des élèves « experts » au sein de communautés de pratique

« scolaires ». L’outil méthodologique du « cours d’action » (Theureau, 2004) en accordant le

primat au point de vue intrinsèque de l’acteur nous a permis d’envisager à partir d’une analyse

globale la nature et la dynamique des préoccupations d’un élève « expert » au cours de deux

leçons d’EPS portant sur son activité de prédilection.

Nos résultats, en continuité avec les études antérieures, montrent que l’élève « expert »

reste avant tout un élève « ordinaire ». Son engagement lors des séances d'EPS est lié à

l’intégration d'une communauté de pratique particulière à la recherche d'un équilibre entre

l'élaboration de normes collectives et de normes individuelles consistant à « éviter l’ennui »

tout en évitant « les ennuis ». (Allen, 1986). Son activité révèle la constitution d’ "îlots de

cohérence locale" (Durand et al. 2005, p.5), nettement dépendants du milieu humain et

symbolique à l'intérieur duquel émerge des « modus vivendi ».

Nous avons également identifié trois autres rôles révélateurs d’une activité originale.

Un rôle d’ « expert » issu de la confrontation entre une logique scolaire et une logique

institutionnelle et qui semble être à la fois une ressource et une contrainte pour le système

classe. Un rôle de « leader », facilité par son statut d’« expert», qui permet notamment à cet

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élève de trouver un intérêt dans la séance. Enfin un rôle tout à fait étonnant de « tuteur »,

exprimant un « modus vivendi » (Allen 1986) particulier et que nous interprétons comme

l’aboutissement de l’intégration et de l’adaptation d’un élève « expert » au sein d’une

communauté de pratique « scolaire ».

Finalement c’est de l’articulation de ces quatre rôles qu’émerge un équilibre

dynamique permettant la rencontre « viable » et « positive » d’une culture institutionnelle et

d’une culture scolaire au sein de la classe. Cet équilibre fragile est le résultat d’une

construction progressive que révèle l’histoire de cette communauté de pratique où

l’enseignante, consciemment ou non, joue un rôle important. Cette activité spécifique révèle

une forme d’auto organisation œuvrant dans le sens d’une régulation positive de

l’hétérogénéité que ce soit en terme d’organisation ou d’apprentissages pour tous.

L’adoption d’un regard ascendant partant du point de vue de l’élève, pour aborder

paradoxalement une problématique d’enseignement, s’est révélé fructueuse. En effet cette

démarche conforte l’idée selon laquelle l’enseignant ne détermine pas à lui seul les activités

prenant scène au sein de sa classe : une partie d’entre elles lui échappe même s’il contribue à

leur émergence. Aussi il apparaît que l’activité des élèves peut se coordonner de façon

relativement autonome conférant à un contexte de forte hétérogénéité une dimension plutôt

positive et mieux vécue que ne pouvait le laisser penser un regard extérieur.

Notre travail n’avait pas pour objectif de prescrire des réponses toutes faites aux

enseignants sous forme de recettes miracles à mettre en œuvre. L’enseignant qui agit dans

l’urgence est englué dans l’immédiateté de la situation et il est en cela porteur des problèmes

pratiques rencontrés quotidiennement par la communauté éducative. A l’inverse le chercheur

possédant un regard externe soutenu par des outils méthodologiques appropriés cherche à

faire évoluer la compréhension d’une pratique en apportant des pistes de réflexion permettant

de renouveler et questionner les croyances et connaissances de terrain en vue d’accroître leur

efficacité. Pourtant au terme de la recherche c’est à l’enseignant et à lui seul de trouver des

solutions nouvelles en adaptant, actualisant les résultats « scientifiques » aux problèmes

concrets qu’il rencontre sur le terrain. Chercheurs et praticiens sont donc envisagés comme

des « experts » de leur champ d’activité respectif, et c’est de leur étroite complémentarité que

l’utilité d’une telle recherche peut s’actualiser. Aussi nous espérons que les conclusions de

notre travail permettront de susciter une pratique réflexive (Schön 1983) des enseignants

quant à la place et à l’utilisation d’un élève « expert » comme « contrainte » mais aussi

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« ressource » potentielle pour l’enseignement dans un contexte de forte hétérogénéité.

Finalement un approfondissement de ce premier regard reste indispensable s’il veut

réellement être utile aux praticiens.

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REMERCIEMENTS

Tout d’abord je tiens à remercier particulièrement Alexandre, pour sa spontanéité et

son naturel. Contribuant à la richesse de nos données, cette collaboration fut la clef de notre

travail sans laquelle cette recherche n’aurait pu atteindre ses ambitions.

Je remercie également son enseignante d’avoir accepté de m’ouvrir les portes du

gymnase et de m’avoir reçue à maintes reprises.

Je les remercie également tous les deux pour leur grande disponibilité et leur patience

pendant les entretiens.

Un grand merci à Jean Trohel pour m’avoir aidée, orientée, conseillée tout au long de

l’année. Notamment je le remercie pour sa patience et la rapidité de ses réponses face à

l’afflux de mes questions.

Je remercie également mes colocataires :

Pauline pour ses critiques, ses conseils et la pertinence des articles qu’elle m’a recommandés.

Briag pour son soutien psychologique tout au long de l’année.

Julien et Fabien pour leur enthousiasme des derniers jours.

Enfin merci à Annie, Martial, Elodie et Juliette pour leur soutien et pour leurs

corrections de dernière minute.

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Analyse de l’activité d’un élève expert en cours d’EPS

Nature et dynamique de ses préoccupations en classe

RESUME

Cette étude s’intéresse à l’activité d’un élève « expert » au cours de deux séances d’EPS portant sur son activité de prédilection. Important sa culture institutionnelle au sein du cadre scolaire et accentuant la disparité des niveaux, il devrait à priori compliquer la tâche de l’enseignant. Notre travail questionne cette idée préconçue en adoptant un regard original sur la problématique de l’hétérogénéité. L’inscription dans les théories des approches situées et plus particulièrement l’adoption du cadre théorique et méthodologique du « cours d’action » (Theureau, 2004) nous ont permis d’explorer l’activité d’un élève « expert » à partir d’une démarche ascendante donnant le primat au point de vue intrinsèque de l’acteur. Rentrant de plein pied dans la peau d’un de ces élèves cette étude « qualitative » révèle un équilibre dynamique entre quatre rôles particuliers et parfois contradictoires : un « perturbateur », un « expert », un « leader », un « tuteur ». Cette spécificité favorise l’émergence d’une autorégulation positive de l’hétérogénéité dont il est pourtant vecteur, régulation autonome à laquelle même inconsciemment l’enseignant peut contribuer. Mots clefs : expertise, hétérogénéité en EPS, communauté de pratique scolaire, action située, cours d’action

Analyse of an « expert » pupil activity during physical education lessons

Nature and dynamic of his preoccupations in class

ABSTRACT

The purpose of this study was to analyse the activity of an “expert” pupil during two physical education lessons on his favourite activity. Importing his institutional culture at school and reinforcing level différences, he may become a source of problems for the teacher. This work questiones this preconceived idea and gives a new vision of heterogeneity.

The study was lead with reference to “situated action” theories. Giving the primacy to the actor point of view and using a upward process, the course of action methodology (Theureau, 2004), permitted to discover the activity of an “expert” pupil in class.

This “qualitative” analysis reveles a dynamique balance between four specific and sometimes conflictual roles : a “troublemaker” , an “expert”, a “leader”, a “mentor”. The specificity of this “expert” pupil activity, assistes a positive auto regulation of heterogeneity. A self-regulation to which the teacher, even subconsciously, can contribute to. Key words : expertise, heterogeneity , school community of practice, situated action, course of action

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