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    Daprs Cerveau & Psycho n 26

    DOSSIER:La maladie dAlzheimer

    Cette maladie touche des centaines de milliers de Franais et en atteindra demain bien davantage (plus de 200 000

    nouveaux cas par an) ; il faudra apprendre vivre avec cette menace et tre prt y faire face. On doit en parler, expliquer lesenjeux, les difficults, les progrs raliss par les chercheurs. Il faut couter les malades et leurs familles, rpondre leursquestions, les aider face au dsarroi que suscite l'annonce de la maladie. Si, sur le plan de la comprhension des causes, lesprogrs sont notables, la maladie reste une preuve difficile. La France a pris un retard considrable en ce domaine. Bien sr,il est important que le diagnostic soit port le plus tt possible, mais condition que la prise en charge soit rapide et adapte.L'annonce faite, l'quipe de soins doit tre en mesure de proposer au patient et sa famille un suivi rapide et rgulier del'volution des pertes de mmoire. Les consultations de ce type sont notoirement insuffisantes.

    Le mdecin doit expliquer la famille et aux soignants ce qu'est la maladie, que le malade ne fait pas exprs d'oublierce qu'on lui a dit, qu'il n'est pas responsable de son comportement, de ses sautes d'humeur, voire de son agressivit. Si lemalade est conscient de l'anxit qu'il dclenche, son tat va se dgrader rapidement, le stress acclrant les mcanismes dedgnrescence neuronale. Et la famille et les aidants doivent tre avertis qu'ils auront faire preuve d'une infinie patience etd'une attention de tous les instants.

    Les besoins en personnel soignant et en moyens financiers sont normes. Le plan Alzheimer, annonc rcemment,devrait combler en partie le retard. Il a t dit que 1,6 milliard d'euros seraient dbloqus d'ici 2012 pour multiplier lesconsultations d'valuation de la mmoire, simplifier et amliorer le parcours de soins, fournir les informations pratiquesncessaires, former les professionnels qui accompagneront les malades chez eux ou dans des institutions spcialises, crer denouvelles structures d'accueil dignes et soutenir la recherche. La prise en charge d'un malade est financirement trs lourde.Quelle sera la part des nouveaux fonds qui lui seront allous et celle ddie la recherche ? La question reste ouverte.

    Dans ce dossier, diffrentes facettes sont abordes. Comment changer l'image des malades dans la socit ?Comment dpister la maladie ? Quels en sont les mcanismes ? O en sont les recherches sur les traitements ? Quel estl'intrt d'un diagnostic prcoce ? Et l'on dcouvre que l'on en sait aujourd'hui beaucoup. En attendant un traitement, leprincipal objectif est de prserver le bien-tre du malade et de seconder la famille et les aidants dans le soutien qu'ils luiprodiguent.

    Enfin, nous prsentons des autoportraits d'un peintre atteint de la maladie, et ce tmoignage pictural nous ouvre unefentre sur le vcu de ces patients. Accepter la maladie, en suivre l'volution de l'intrieur et... vivre avec.

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    Ddramatiser limage

    de la maladie

    Comment faire en sorte que la maladie d'Alzheimer fasse moins peur ? En informant et en s'appuyant sur les rsultats issusd'tudes conduites par des sociologues.

    Serge CLMENT et Christine ROLLANDSerge CLMEN est sociologue dans l'unit CNRS UMR5I93, Toulouse.

    Christine ROLLAND est sociologue dans l'unit INSERM U 558 Toulouse.

    La maladie d'Alzheimer est un sujet qui proccupe les pidmiologistes, neurobiologistes, neurologues,pharmacologues, griatres, politiques, pour n'en citer que quelques-uns. En revanche, elle est peu prsente dans les travauxdes sociologues. Le dbat sociologique s'organise surtout autour de deux questions pourtant essentielles. La premire

    concerne la dfinition de l'identit personnelle : une personne qui perd la mmoire perd-elle tout ? La seconde se penche sur lerle des reprsentations sociales de la maladie. Il n'est qu' regarder les missions de tlvision aux heures de grande couteou qu' feuilleter les magazines de la grande presse pour constater que la maladie est systmatiquement voque en termesdramatiques. Quel est l'impact de ces images sur la perception que les diffrents acteurs de la socit ont de la maladie ? Noussouhaitons ici conduire une rflexion sur les consquences - souvent sous-estimes - de ces pratiques mdiatiques sur la priseen charge des malades et, par consquent, sur leur bien-tre.

    C'est parce que la sociologie travaille sur ces interactions qu'elle apporte des lments de rponses cesinterrogations : d'une part, la maladie ne concerne pas seulement un individu, mais met en jeu plusieurs acteurs, individuels etinstitutionnels. D'autre part, tout individu, qu'il soit malade ou bien portant, fait partie de la socit et interagit avec les autres.

    L'annonce du diagnostic est l'une des premires preuves auxquelles un malade Alzheimer est confront. Il est alorsface lui-mme pour tenter d'laborer des stratgies qui lui permettront de vivre malgr la maladie.

    Une des questions tudies est celle du soi . L'identit d'un malade Alzheimer est-elle prserve ou se dtriore-t-elle au fil du temps ? En 1992, le psychologue amricain Steven Sabat, l'Universit de Georgetown, et le philosophe RomHarr, l'Universit d'Oxford, ont suggr de distinguer deux soi dans l'identit d'une personne Alzheimer. En observantpendant plusieurs mois et en analysant le discours de tels malades, ils ont propos qu'il existe un premier soi qui resteintact en dpit des troubles dus la maladie, et un autre soi , dimension publique de la personne qui peut tre perdue cause de la maladie. Dans ce cas, la perte du soi n'est lie qu' la perception que les autres ont du malade et la faon dont ilsagissent envers lui. Alors que le premier soi rsulte de la construction de la personnalit qui s'est labore au fil de l'histoirede l'individu, il est l'individu lui-mme et se maintient malgr la maladie (il se dsigne par je ), le second est uneconstruction identitaire qui dpend des relations avec les autres, des rles sociaux.

    Changements d'identit

    C'est la prise en charge des malades, o soignants et soigns interagissent, qui est alors en question. En s'interrogeantsur le sens de l'action de chacun des partenaires, on veille ce que la communication entre les deux se maintienne. Quel quesoit l'tat du patient, mme lorsqu'il est devenu dpendant des autres, il est essentiel que les prises en charge qui mettent enuvre des pratiques d'infantilisation, d'intimidation ou de stigmatisation soient vites.

    Des recherches sur les ractions des patients la maladie mettent en vidence diverses stratgies. Les individus gsont connu un long processus de mise en place de leur identit. La maladie d'Alzheimer a tendance mettre en cause cetteidentit constitue depuis longtemps. En 2004, Rene Beard, de l'Universit de Californie San Francisco, a tabli la varitdes stratgies mises en uvre : pour donner un sens aux changements qui les affectent, ils tentent de justifier ce qui leurarrive, d'y trouver un sens (par exemple, je suis fatigu et c'est bien que je puisse rester tranquille cause de la maladie) ;certains choisissent de parler de leur maladie avec autrui, d'autres non ; ils tentent de prserver leur identit, leur second soi, lesoi social. Chaque malade semble laborer une stratgie de combat contre la maladie, pour que sa vie continue avoir un

    sens.

    En 2003, Linda Clare, l'Universit Bangor, en Grande-Bretagne, a dtaill les tapes qui marquent la gestion de lamenace sur le soi : le sujet commence par constater les changements qui surviennent, essaie de les expliquer, prouve desmotions nouvelles face ces changements et cherche s'y adapter. chacun de ces stades, la faon dont le malade interagit

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    avec les autres (sa famille, les amis, les mdecins, notamment) est essentielle. Ainsi, un des moments particulirementdifficiles est celui o le diagnostic est annonc. La faon dont l'annonce est faite est dterminante (et nous y reviendrons).Ensuite, le sujet entreprend un travail psychologique difficile qui consiste reconnatre (puis admettre) qu'il est atteint d'unemaladie tenue pour redoutable. Les stratgies adoptes sont nombreuses. Il s'agit avant tout de maintenir son identit: Vivreavec et en dpit de la maladie.

    Le rle de l'entourage

    Certaines tudes montrent combien il est important que les sujets parlent d'eux-mmes pour maintenir leur identit,ce qui suppose bien sr une capacit de narration. Malgr des problmes de mmoire, beaucoup de malades restent capablesde situer leur exprience de la maladie dans leur propre histoire, ce qui contribue maintenir le sens de cette identit. Lesrelations avec la famille, avec l'quipe de soins, voire avec les autres rsidents quand ils sont dans une institution, apparaissentessentielles pour le maintien du soi, dans la mesure o ces diffrents acteurs peuvent donner au malade des opportunits deparler de lui. Au contraire, quand ces diffrents acteurs refusent de parler avec le malade, ce dernier a l'impression d'tredevenu indsirable, il subit une baisse de l'estime de soi et prsente un risque de repli sur lui-mme. Dans un souci de respectet de maintien de l'identit de la personne faonne par son 'pass et par le prsent, les accompagnants proposent des activitsadaptes chacun. Par exemple, si la musique a t un fil conducteur dans la vie du malade, on lui proposera des activits enlien avec cette facette de sa personnalit.

    D'autres recherches ont mis en vidence l'importance du milieu o a vcu le malade. Kirsty Blackstock et sescollgues de l'Institut Macaulay, Aberdeen en Ecosse, ont replac l'exprience de la maladie d'Alzheimer dans le contexte de

    l'Ecosse rurale. Ils se sont demand dans quelle mesure les particularits locales offrent un soutien et des services satisfaisantspourles malades et leurfamille. Les rsultats montrent que les malades et les aidants considrent essentiel de maintenir lemalade dans les rseaux locaux auxquels il est habitu ; les organisations communautaires sont galement sources de soutien.Les qualits du lieu de vie sont soulignes, notamment en termes de scurit. Mais il est parfois trs compliqu, voireimpossible, de maintenir un patient dans son environnement socioculturel.

    Diversit des reprsentations de la maladie

    Ces travaux surle maintien identitaire des patients au moins au dbut de leur maladie (les rsultats sur ce point sontquasi inexistants lorsqu'il s'agit de malades un stade plus avanc de la pathologie) ont point plusieurs reprisesl'importance du regard des autres sur la maladie d'Al-zheimer. Se pose effectivement la question des reprsentations de lamaladie : les rflexions sur le maintien de l'identit chez le malade Alzheimer sont d'autant plus ncessaires que lareprsentation de ces malades est distordue par le filtre des mdias. On est pass d'une image de la snilit socialementaccepte (le grand-pre gteux ) une situation o le malade Alzheimer est devenu une figure monstrueuse (proche de lafolie).

    Les reprsentations de la maladie d'Alzheimer ne sontpas les mmespourle grand public qui ne la connat qu'autravers des mdias, pour les proches des malades, directement concerns, ou pour ceux et celles qui, avanant en ge, peuventse sentir menacs.

    Les images vhicules par la grande presse ont une connotation catastrophiste. Les analyses ralises sur les articlesparus dans cette presse sont concordantes : les images dployes propos de la maladie d'Alzheimer dans les journaux grand tirage ne font qu'exacerber les peurs. La figure archtypique de la mauvaise vieillesse , associe la dmence, estalors montre dans ses aspects les plus ngatifs. Et ce pour une bonne raison. En dbut de maladie, les personnes ne sont pasassez mdiatiques , si bien que ce sont toujours les malades aux stades les plus avancs qui sont prsents et les capacitsperdues soulignes. ce stade, seuls les soignants - professionnels et familiaux - sont lgitims pour parler de la maladie : lemalade Alzheimer est prsent comme un individu passif. Le regard mdiatique port sur la maladie devrait voluer, enparticulier si l'on donne la parole aux malades, notamment au dbut de la maladie (mais pas seulement) et si on prend la peinede les couter. On a constat une telle volution aux tats-Unis et au Canada.

    Les proches des malades ont souvent peur de la maladie. Et comme - soulignons-le nouveau -les missions detlvision ou les articles font gnralement tat des personnes dont la maladie est dj un stade avanc, les aidants et les proches se prsentent souvent ou sont prsents comme des victimes, plus que le malade ! Dans une tude sur lesreprsentations des proches mene en 1997, Helen Sweeting et Mary Gilhooly, l'Universit cossaise de Paisley,demandaient aux personnes interroges aidant un malade comment elles se reprsentaient la maladie et comment elles secomportaient vis--vis de leur parent. Sans poser directement la question, les sociologues en dduisaient si ces aidantspensaient que la maladie tait une mort sociale . Un tiers des proches pense que leur parent est victime de mort sociale et a un comportement qui va dans le mme sens, c'est--dire qu'en tenant leur parent l'cart, en limitant ses interactions avec

    les autres et ses rencontres, ils favorisent le repli social. Un tiers ne se reprsente pas la maladie comme une mort sociale etn'adopte pas un comportement qui couperait le malade du monde. Enfin, 20 pour cent estiment que leur parent est victimed'une mort sociale, mais n'adoptent pas un comportement favorisant le repli.

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    Maintenir le malade dans un rseau social

    Dans le public, les reprsentations de la maladie sont contrastes. En 2004, Lynne Corner et John Bond, l'Universit de Newcastle, en Grande-Bretagne, ont montr que le lien entre perte de la mmoire et dmence se faitspontanment dans l'esprit des personnes qui peuvent se sentir menaces en raison de leur ge. L'anxit vis--vis de lamaladie d'Al-zheimer est manifeste, et ceux qui connaissent quelqu'un qui a eu cette maladie en ont davantage peur. Certainespersonnes tentent de trouver des diffrences entre eux-mmes et les malades, mais leurs croyances sont souvent loignes de

    la ralit. Ainsi, des participants l'tude anglaise, dont le niveau d'tudes tait faible, pensaient que le risque augmente avecle niveau d'tudes. Croyance qui va l'encontre des rsultats pidmiologiques montrant au contraire qu'un niveau d'tudeslev protgerait contre la maladie...

    Dans la mesure o l'approche biomdicale met l'accent sur les pertes de capacits cognitives, les personnes ragissentface la maladie d'Alzheimer selon leur culture et selon leur propre rapport la cognition. Ainsi, dans les famillesd'Amricains-Chinois, les problmes de mmoire et de troubles du comportement associs sont considrs comme faisantpartie de l'volution normale de la vieillesse. Sur l'le de la Runion, l'expression avoir de la mmoire signifie faire preuved'un bon tat de sant psychique, mais aussi avoir conscience de soi-mme et avoir la capacit de se matriser. Ds lors, oncomprend que pour les Runionnais perdre la mmoire quivaut perdre toutes ses facults. Par consquent, il est frquentque la personne atteinte refuse le diagnostic de dmence.

    Les reprsentations attaches la maladie que nous avons voques posent un problme aux mdecins lorsqu'ils

    doivent annoncer un diagnostic de maladie d'Alzheimer. Ils ont en effet des difficults discuter du diagnostic en raison dustigma associ la dmence, terme qu'ils vitent d'employer. D'aprs Fabrice Gzil, de l'Universit Paris 1 Panthon-Sorbonne,en 2007, certains mdecins ont parfois le sentiment que cela n'a pas de sens d'informer des personnes qui ont peu consciencede leurs troubles, et se rfugient derrire le fait que, pendant trs longtemps, la pratique a t de ne pas informer les patients.On informait la famille, mais pas les malades. Aujourd'hui, un consensus se dessine sur le fait que le malade doit tre lepremier inform, avec le soutien des siens.

    Concernant le point de vue des patients, une tude mene sur la faon dont des personnes ragissaient neuf moisaprs avoir appris qu'elles taient atteintes de la maladie d'Alzheimer a rvl qu'elles ont toutes craint d'tre l'objet de piti,de moqueries, voire d'humiliation ; elles ont toutes redout que d'autres ne dcouvrent le diagnostic et ont vit d'en parler leurs amis ; elles ont demand leurs proches de garder le secret ; elles ont eu peur de ne plus tre coutes et que leuropinion ne soit plus prise en compte ; certaines dclarent redouter de devenir folles . Il ressort de ce type d'tudes que lesreprsentations de la maladie sont tellement stigmatisantes qu'elles favorisent le repli social.

    Face des reprsentations mdiatiques ngatives et alarmistes, les malades vivent leur maladie avec les ressourcesdont ils disposent. La maladie modifie leurs rapports autrui. Dans une socit confronte ce problme et qui le sera encoredavantage demain, les sociologues apportent des lments de rflexion. Pour que les reprsentations ngatives de la maladiechangent, il faut d'abord en prendre conscience. Ensuite, il faut informer et faire connatre les rsultats des travaux derecherche qui rvlent l'importance des rseaux familiaux, sociaux et mdicaux. Ces rseaux protgent les capacitscognitives des patients, mme en prsence des lsions crbrales caractristiques de la maladie.

    Diverses tudes mettent en relief les prcautions prendre lors de l'annonce du diagnostic : le mdecin doit choisir lemoment de l'annonce, afin d'y consacrer un temps suffisant ; proposer une information dtaille et adapte au patient ; prendreen compte les caractristiques sociales et culturelles de l'individu ; adopter une attitude empathique et se montrer disponible ;intgrer rapidement le patient dans une quipe de soin cohrente ; enfin, la question des ressources du malade et de sa familledoit tre pose trs vite, Il n'est pas de mthode idale pour ce type d'annonce. Ddramatiser cette nouvelle en tablissant

    un rapport de confiance serait l'lment indispensable. Les rapports de confiance sont essentiels dans la vie en socit, etvieillir dans un climat de confiance est plus favorable au maintien de ses capacits, en particulier dans le cas de la maladied'Alzheimer.

    Bibliographie

    C. ROLLAND, Le processus de diagnostic de la maladie d'Alzheimer: l'annonce et la relation mdecin-malade, inRevue europenne depsychologie applique, vol. 57, pp. 137-144, 2007.

    K. L BACKSTOCK et al., Living with dementia in rural and remote Scotland: Diverse expriences ofpeop/e withdementia and their carers, in Journal of Rural Studies, vol. 22, pp. 161-176,2006.

    L. NGATCHA-RIBERT, Maladie d'Alzheimer et socit : une analyse des reprsentations sociales, in Psychol.NeuroPsychiatr. Vieillissement, vol. 2, pp. 49-66, 2004.

    R. L. BEARD, In their voices : Identity prservation and expriences ofAlzheimer's disease, in journal ofAgingStudies, vol. 18, pp. 415-428,2004.

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    Comment amliorer la

    prvention ?Jean-Franois DARTIGUES

    est professeur des universits en pidmiologie, conomie de la sant et prvention, l'Universit Victor Segalen BordeauxIIet praticien hospitalier de neurologie au CHU de Bordeaux. Il mne ses recherches l'INSERM U897.

    En 2040, en France, il y aura plus de deux millions de personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer. Les donnes

    pidmiologiques sont indispensables pour grer ce dfi social et humain, pour dcider s'il faut ou non pratiquer undpistage systmatique et pour mettre en oeuvre des mesures prventives.

    La maladie d'Alzheimer et les syndromes apparents que nous regrouperons sous le terme de dmences, sont devenusune priorit nationale en raison de la gravit de ces pathologies, de leurs consquences sur le malade et sa famille et de leurcot pour la socit. Soulignons que la dmence est une perte des capacits cognitives qui rduit des degrs diversl'autonomie de la personne atteinte, mais qu'en termes mdicaux cela ne signifie pas folie . L'tude pidmiologique

    PAQUID (pour Personnes ges, quid?) a pour objectif de suivre le vieillissement crbral et fonctionnel des personnes gesde plus de 65 ans, afin d'en distinguer les volutions normales et pathologiques, et d'identifier les sujets haut risque dedtrioration physique ou intellectuelle chez lesquels une action prventive serait possible. La cohorte tudie regroupe plusde 4 000 personnes en Gironde et en Dordogne, que nous suivons depuis 1988. Selon les estimations tires de cette tude, il yaurait actuellement en France 860 000 personnes prsentant une dmence et 220 000 nouveaux cas par an, dont les deux tiersont une maladie d'Alzheimer. La moiti des cas survient aprs 85 ans. Aujourd'hui, 330 000 personnes auraient une dmenceavance avec environ 150 000 nouveaux cas chaque anne ; on distingue le stade de dmence lgre, celui de dmencemodre et celui de dmence avance.

    La dmence est de loin la cause principale de dpendance chez le sujet g et le premier motif d'entre dans lesinstitutions, des structures d'accueil plus ou moins mdicalises. Environ les trois quarts des personnes vivant en maison deretraite sont dmentes, de mme que 72 pour cent des personnes bnficiant de l'allocation personnalise autonomie. Cettedernire permet de financer partiellement l'aide aux personnes ayant perdu leur autonomie, mais maintenues chez elles. La

    dmence et la maladie d'Alzheimer ont donc une place prpondrante dans la dpendance du sujet g de plus de 65 ans.

    Compte tenu du vieillissement de la population, si rien ne change quant l'incidence et la dure de la maladied'Alzheimer, il devrait y avoir plus d'un million de personnes atteintes de dmences en France en 2020 et plus de deuxmillions en 2040. La dpense annuelle consacre la prise en charge de la maladie d'Alzheimer a t estime 9,9 milliardsd'euros pour 2004, soit 0,6 pour cent du produit intrieur brut. Elle pourrait atteindre 2 pour cent en 2040 si l'volution estconforme aux prvisions.

    Faut-il dtecter systmatiquement la maladie ?

    Toutes ces donnes justifient que ces pathologies soient une des priorits affiches en matire de sant par leprsident de la Rpublique et le gouvernement. L'pidmiologie a jou et jouera un rle essentiel dans les propositions duPlan Alzheimer. Elle donne accs diffrents types d'informations ncessaires pour mieux aborder les problmes que pose la prise en charge des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer. Ainsi l'pidmiologie descriptive des dmences estncessaire l'valuation des besoins en termes d'aide et de soins la population. Elle est indispensable toute rflexion sur laprise en charge et aux dcisions politiques qui doivent accompagner ce dfi social indit. On doit notamment s'interroger surla pertinence d'un dpistage systmatique. Une autre branche de l'pidmiologie, dite analytique et d'intervention, rechercheles facteurs de risque sur lesquels on pourrait agir pour diminuer l'incidence de la maladie, c'est--dire l'apparition denouveaux cas, et donc contrler l'extension de la pathologie dans le futur. Nous aborderons ces deux aspects del'pidmiologie.

    Le diagnostic de dmence est difficile dans la clinique quotidienne pour diffrentes raisons. Citons-en quelques-unes: il est frquent qu'au dbut de la maladie, le malade et son entourage refusent de reconnatre une dtrioration intellectuelle ;quand une personne a un faible niveau d'tudes, il est difficile d'valuer la ralit d'un dclin cognitif ; on ne dispose pastoujours d'une valuation valide du retentissement du dclin cognitif sur les activits de la vie quotidienne. Cette difficult dequantifier une dtrioration de l'autonomie concerne tous les sujets vivant en institution qui n'ont plus l'occasion d'assurer desactivits complexes, par exemple grer son budget ou prendre ses mdicaments, utiliser les moyens de transport ou conduiresa voiture ; elle concerne galement tous les sujets qui n'ont jamais pratiqu ces activits, notamment certains sujets gs de lagrande bourgeoisie ou encore plus souvent leurs pouses.

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    Quelle est la proportion de ces cas non diagnostiqus dans la population gnrale ? On considre que prs d'un cassur deux n'est jamais diagnostiqu par le systme de soins, et qu'un quart des cas est mme ignor un stade avanc.Aujourd'hui, les mdecins s'interrogent sur la pertinence de dnombrer ces cas non diagnostiqus.

    Il est admis par la plupart des spcialistes de sant publique que la dtection systmatique de la maladie d'Alzheimern'est pas justifie. Carol Brayne et ses collgues, de l'Universit de Cambridge, ont rcemment fait le bilan des avantages etdes inconvnients de la dtection systmatique de la dmence dans la population gnrale. Parmi les avantages, citons :quelques dmences (1,5 pour cent des celles diagnostiques) ont une cause curable et il est donc intressant de les dpister,mme si la proportion est faible ; il est important que le malade puisse dcider, quand il en est encore capable, par exempled'arrter de conduire, de continuer grer ses finances ou de dlguer cette tche autrui ; enfin ce dpistage prcoce permetde prescrire des traitements, mme si l'on sait que leur efficacit est limite. Mais la dtection systmatique prsente aussi desinconvnients : le cot est lev, les malades ou leur famille refusent souvent de prendre l'avis d'un spcialiste, un diagnosticpositif est trs difficile accepter, les mdecins gnralistes manquent de temps pour accompagner l'annonce du diagnostic etla prise en charge du malade.

    Un dpistage systmatique inutile

    De surcrot, l'quipe britannique souligne que l'on connat encore mal l'efficacit des tests de dpistage disponiblesappliqus la population gnrale. Une seule tude de dtection systmatique semble avoir t ralise aux tats-Unis : lamoiti seulement des cas dtects par les tests de dpistage ont t confirms par un spcialiste. Par ailleurs, l'efficacit destraitements anti-Alzheimer disponibles aujourd'hui est - nous l'avons dj voqu - limite, et la prise en charge non

    mdicamenteuse n'a pas fait l'objet d'tudes suffisamment convaincantes pour tre recommande notamment chez des sujetsqui ne se plaignent de rien. Selon les auteurs de cette analyse , la dtection systmatique de la dmence n'est pasd'actualit, et elle ne sera pas justifie tant qu'un traitement rellement efficace ne sera pas disponible.

    Pourtant, dans certaines conditions, la dtection systmatique pourrait tre indique : par exemple chez des sujetsvivant seuls, ou lorsque la combinaison de leurs mdicaments prsente des risques si les doses prescrites ne sont pasrespectes, notamment si le traitement comporte des anticoagulants. Quoi qu'il en soit, un dpistage gnralis serait inutileaujourd'hui. On peut mme s'interroger sur l'utilit de dnombrer les cas non diagnostiqus, sauf pour valuer les besoins de lapopulation en structures d'aides et de soins. En 2007, 315000 personnes en France avaient une affection de longue dure due une maladie d'Alzheimer ou un syndrome apparent, ce qui reprsente 37 pour cent de l'estimation obtenue partir desdonnes de l'tude PAQUID. Dans le futur, il sera essentiel de disposer de donnes fiables sur tous les malades ayant recoursau systme de soins, et d'avoir au moins une estimation du nombre de malades qui n'y ont pas recours.

    Accumulation des lsions de natures diffrentes

    Nous avons vu que la maladie est frquente chez les sujets de plus de 75 ans et que cette tranche d'ge doit bnficierdes actions de prvention. On commence mieux connatre les causes de dmences dans la population gnrale, ce qui nousdonne des pistes pour amliorer la prvention chez ces personnes. Ainsi, une des tudes importantes, ralise Washington, aport sur 221 autopsies dont 75 sujets dments, et une autre, mene Chicago, sur 141 autopsies dont 50 dments. Dans cesdeux tudes, les lsions caractristiques de la maladie d'Alzheimer, les lsions vasculaires et les corps de Lewy corticaux ousous-corticaux (lsion caractristique de la maladie de Parkinson) ont t systmatiquement recherchs. L'tude deWashington a rvl que la dmence rsultait dans 45 pour cent des cas de dgnrescences neurofibrillaires et de plaquessniles (les lsions spcifiques de la maladie d'Alzheimer) envahissant le cortex crbral. Dans 33 pour cent des cas, deslsions vasculaires microscopiques taient en cause, et dans 10 pour cent des cas des corps de Lewy corticaux taient prsents. Dans la seconde tude, 33 pour cent seulement des sujets diagnostiqus malades Alzheimer probables prsentaient des dgnrescences neurofibrillaires et des plaques sniles. Chez les autres, on observait des lsions vasculairesou des corps de Lewy corticaux.

    D'aprs ces deux tudes, les dmences des sujets gs sont le plus souvent lies des lsions cumules de naturesdiffrentes - dgnratives et vasculaires. Elles confirment deux aspects trs importants dans le cadre de la dmence du sujetg. Les lsions crbrales typiques de la maladie d'Alzheimer ne suffisent pas pour entraner une dmence clinique dans ungrand nombre de cas. Dans ces deux tudes, 59 et 71 pour cent des sujets ayant ce type de lsions pures n'taient pasdments. La dmence surviendrait surtout en cas de lsions mixtes, associant les lsions typiques de la maladie d'Alzheimeravec des lsions vasculaires ou des corps de Lewy corticaux. Chez le sujet g, la dmence rsulterait de l'accumulationprogressive de lsions de diffrentes natures.

    Ces deux points confortent l'ide que le cerveau a des rserves de neurones et de connexions neuronales qu'il fautdonc entretenir, et soulignent l'intrt d'une action de prvention sur les facteurs de risques vasculaires, voire sur

    l'accumulation de corps de Lewy. Pour dvelopper une prvention efficace de la maladie d'Alzheimer, il est indispensabled'en tenir compte.

    Afin de contrler le nombre de cas de dmence et de faire baisser l'incidence de la maladie, il est devenu urgent dedvelopper une prventionprimaire (visant viter la maladie) et une prvention secondaire (pour rduire la gravit de la

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    maladie, quand elle est dclare). Des pistes de prvention existent. L'ge et certains facteurs gntiques augmentent lerisque ; au contraire, le niveau d'tudesprotgerait contre la maladie. Malheureusement, en l'tat actuel de nos connaissances,nous ne pouvons pas agirsur ces facteurs.

    Traiter l'hypertension pour viter Alzheimer

    La piste de prvention la plus accessible est celle des facteurs de risques cardio-vasculaires, notammentl'hypertension artrielle : lutter contre l'hypertension rduit les risques de dmence. Pourtant, malgr l'efficacit des

    traitements disponibles, trop de sujets sont hypertendus. Une amlioration de cette prise en charge rduirait l'incidence de lamaladie d'Alzheimer. En effet, nous avons montr que parmi tous les sujets gs hypertendus en France, un tiers ignore sontat, un tiers a une hypertension connue, mais non contrle, et un tiers seulement a une tension normalise. Nous devonsnous battre sur ce front, puisque nous disposons de mdicaments efficaces. Il est indispensable de faire comprendre lapopulation ge que dtecter et traiter correctement une hypertension est non seulement utile pour viter une mort subite 85ans, mais aussi pour viter cinq ans de dpendance plus ou moins lourde lie une dmence en fin de vie.

    La piste nutritionnelle est galement prometteuse bien qu'elle n'ait pas fait l'objet d'une valuation convaincante : laconsommation rgulire de fruits, de lgumes et de poisson aurait un effet prventif. Nous avons rcemment montr, dans lecadre de l'tude dite des Trois Cits, que les sujets consommant ces aliments avaient moins de risques de dvelopper lamaladie d'Alzheimer dans les quatre ans qui avaient suivi le recueil des donnes (surtout pour les personnes prsentant unfacteur de risque gntique). Rappelons que l'tude des Trois Cits vise tudier la relation entre les pathologies vasculaireset la dmence chez les sujets gs de plus de 65 ans. Plus de 10 000 habitants de Bordeaux, Dijon et Montpellier sont ainsi

    suivis depuis 1999. Nous observons notamment l'interaction de mcanismes gntiques et de facteurs environnementaux (parle biais de l'alimentation notamment) dans l'apparition de la dmence. tant donn les rsultats obtenus jusqu' prsent, il estvident que le dveloppement d'une politique de prvention efficace sera complexe.

    Les autres pistes de prvention sont axes sur la prservation des capacits cognitives de rserve par une vie socialeet culturelle active et stimulante, l'exercice physique rgulier et la lutte contre la solitude et les troubles affectifs. Dansl'ensemble, les mesures de prvention qui pourraient tre proposes ne sont pas trs contraignantes et devraient tre acceptessans difficult.

    Le cerveau malade la loupeCharles DUYCKAERTS

    est professeur des universits - praticien hospitalier, l'Hpital de la Salptrire, Paris, o il effectue ses recherchesdans le Laboratoire de neuropathologie et l'Unit INSERM 679.

    La maladie d'Alzheimer est ne de la dcouverte des lsions crbrales qui la caractrisent, mais elle a toujours exist... Legtisme et le ramollissement du cerveau sont ses anctres. Aujourd'hui clairement dfinie, la maladie commence livrer sessecrets, sous le microscope. Toutefois, les mcanismes intimes d'apparition des lsions et de leurs consquences restent flous.

    Alzheimer : le nom propre est devenu un nom commun. Et quel nom commun. Le symbole des maladies du cerveau.Pourtant, il y a encore quelques annes, seuls quelques neurologues spcialiss utilisaient le terme de maladie d'Alzheimer pour dcrire une pathologie alors considre comme rare. La frquence de la maladie a-t-elle brutalement augment ?Probablement pas : une description clinique de la maladie figure dansPlutarque et il est probable qu'Emmanuel Kant, JosephHaydn, peut-tre mme Albert Einsein, en aient souffert.

    On parlait alors de gtisme ou de retour en enfance et les symptmes paraissaient la consquence inluctabledu vieillissement. Elle tait, croyait-on, due l'obstruction progressive des artres crbrales, qui provoquait ce qu'on appelaitle ramollissement du cerveau. Le ramollissement serait sans doute longtemps rest un diagnostic, si le mme genre de troublesintellectuels n'avait pas t identifi chez des personnes jeunes, en tout cas trop jeunes pour que le gtisme en soit la cause.L'histoire de la premire patiente atteinte de la maladie d'Alzheimer a t maintes fois conte. Au dbut du XX e sicle, AlosAlzheimer, psychiatre et microscopiste allemand, examina une patiente jeune (moins de 60 ans) qui souffrait de troublesintellectuels graves et volutifs : des pertes de mmoire, des difficults participer aux discussions, une incapacit seconcentrer, puis une impossibilit de raliser les actes de la vie quotidienne. En examinant son cerveau aprs sa mort,Alzheimer trouva des lsions, c'est--dire des modifications visibles de la structure du cerveau. Elles taient de deux types :les plaques sniles - qui avaient dj t observes par Oskar Fischer chez des patients gs, d'o leur nom - et les

    dgnrescences neurofi-brillaires dont Alzheimer fit la premire description.Ainsi, les symptmes cognitifs, dont la cause tait encore mystrieuse, taient associs des modifications visibles

    du cerveau. La dcouverte de cette association est l'origine de la notion moderne de dmence : des lsions du cortex crbral

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    engendrent des symptmes intellectuels tels que des troubles de la mmoire, de la parole, du geste, ainsi que de lareconnaissance visuelle ou auditive.

    Sans doute pour assurer la promotion universitaire de son lve, Emil Kraepelin, le psychiatre allemand le plusrput de l'poque, utilisa pour la premire fois le terme de maladie d'Alzheimer . C'tait selon lui une dmenceprsnile. Aujourd'hui, on sait que cet ge d'apparition - avant 60 ans - est inhabituel pour une maladie d'Alzheimer et nereprsente qu'une faible proportion des cas. C'est pourquoi, considre comme une pathologie prsnile, la maladied'Alzheimer est reste rare pendant des dcennies...

    Au cours du XXe sicle, la mdecine en gnral et la neurologie en particulier, se diffrencient en de nombreusesspcialits : celle des mdecins microscopistes qui examinent les cerveaux est individualise sous le nom deneuropathologie ; les cliniciens, neurologues, psychiatres, griatres apprennent reconnatre les diffrents types dedmences ; les pidmiologistes mesurent par des mthodes de plus en plus rigoureuses la frquence des maladies. En 1978,un tournant dcisif est pris : le neurologue Robert Katzman et le neuropathologiste Robert Terry organisent l'une despremires runions internationales sur la dmence, et publient un compte rendu dont l'ide fondamentale est que la maladied'Alzheimer (prsnile) est un composant essentiel de la dmence snile .

    Runir la dmence snile et la dmence prsnile d'Alzheimer sous le diagnostic de maladie d'Alzheimer eut uneconsquence importante : auparavant rare, elle devint l'une des plus frquentes maladies neurologiques. Fini le gtisme oule ramollissement du cerveau ! 11 s'agissait de maladie d'Alzheimer. Le changement n'tait pas seulement smantique : la mme poque, les neuropathologistes observaient les lsions caractristiques de la maladie d'Alzheimer (prsnile) dans le

    cerveau de patients gs supposs souffrir de ramollissement crbral. C'est donc le microscope qui a permis d'identifier lamaladie d'Alzheimer, en dcouvrant les lsions spcifiques de la maladie.

    Dcouvrir les lsions, c'est aussi trouver un nouvel angle de recherche : on peut dsormais isoler les lsions ( partirdu cerveau des patients dcds) et les analyser (par exemple en cherchant leurs constituants molculaires). Les rsultats deces travaux ont ouvert la priode biochimique de la recherche, qui a conduit aux protines impliques et aux gnes codantces protines ; ces dcouvertes ont notamment permis le dveloppement de modles animaux de la maladie.

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    Quel est l'aspect des lsions de la maladie d'Alzheimer? O se trouvent-elles ? Quand apparaissent-elles ? Peut-onles reproduire chez l'animal ? Peuvent-elles tre modifies par des traitements ?

    Voir les lsions

    l'poque d'Alzheimer, les techniques d'observation du cerveau au microscope taient dj volues : lesmicrotomes - des instruments ralisant des tranches de cerveau de quelques micromtres d'paisseur - et les microscopestaient de bonne qualit. L'observation d'une coupe mince de tissu sans traitement particulier est dcevante : sa transparence

    ne rvle que des structures peine visibles. Il faut la colorer afin de faire apparatre les lments qu'elle contient.

    C'est pourquoi, Alzheimer utilisa une mthode dite argentique qui avait t mise au point quelques annes plus ttpar un autre mdecin microscopiste, Max Bielschowsky. Le principe, bien que mal compris, en est simple. La tranche de tissuest trempe dans une solution de sels d'argent, par exemple une solution de nitrate d'argent. L'argent est ensuite rvl ,comme une photographie, par un rducteur : l'apport d'un lectron transforme l'argent ionique, soluble, en argent mtallique,insoluble, qui prcipite sur la coupe. Or cette prcipitation ne se fait pas n'importe o dans le tissu : l'argent mtalliquerecouvre des structures dites fibrillaires - qui ont la forme de petites fibres -et les rend visibles en les marquant en noir commesur un ngatif photo. Nous allons voir que les lsions de la maladie d'Alzheimer sont fibrillaires et donc colores par cettemthode.

    Les lsions sont - nous l'avons rappel - de deux types : les plaques sniles et les dgnrescences neurofibrillaires(voir la figure 1). Les premires sont sphriques, de 30 100 micromtres de diamtre ; elles contiennent au centre un dpt

    extracellulaire d'une substance homogne - dite amylode, nous y reviendrons -, et en priphrie, des prolongements nerveux(surtout des axones) qui s'enroulent autour du cur inerte (voir la figure 2). Elles comportent aussi des cellules microgliales(les macrophages, ou cellules poubelles, du cerveau), situes au contact du cur et responsables d'une raction inflammatoiremodre.

    Les secondes lsions, les dgnrescences neurofibrillaires, consistent en une accumulation, l'intrieur desneurones, d'une substance qui s'organise en fibres de petit diamtre, nommes fibrilles (voir la figure 3). Leur observation enmicroscopie lectronique au dbut des annes 1960 a suscit une polmique. Robert Terry, New York, pensait qu'il s'agissaitde composants normaux, mais modifis, des neurones : les neurotubules - qui, comme des rails, permettent le transport desmolcules dans le neurone. 11 les appelait des tubules tordus . Michael Kidd, qui l'avenir a donn raison, pensait qu'ils'agissait de structures anormales constitues de filaments apparis en hlice (ou PHF pourpaired helical filaments).

    Les lsions avaient donc t trouves et identifies grce au microscope. Restait les analyser pour savoir de quoi

    elles taient constitues, une entreprise plus complique que prvu : les dgnrescences neurofibrillaires et les plaquessniles contiennent en effet des structures chimiquement stables qu'il est difficile de solubiliser, d'isoler et d'analyser.

    L'amylode des plaques sniles

    Le cur des plaques sniles est compos d'un dpt d'une substance que l'on dit amylode. Que signifie cet adjectif?Remontons la fin du XIXe sicle quand Rudolf Virchow, mdecin pathologiste allemand, donnait l'anatomie pathologique- c'est--dire l'examen macroscopique et microscopique des tissus malades - ses premires lettres de noblesse. Virchow avaittrouv une pathologie dans laquelle certains organes, tels le cur, la rate, le foie et la langue, grossissaient et devenaientanormalement durs. Ces tissus contenaient une substance qu'il tenta d'identifier en faisant ragir le tissu une solution delugol (constitue d'iode) : la modification de couleur, qui se produit quand on badigeonne les tissus malades, tmoignait, selonles connaissances de l'poque, de la prsence de glycogne ou d'amidon - des sucres. Virchow conclut donc que les tissustaient imprgns d'une substance qui ressemblait l'amidon, d'o le terme d' amylode (amylo signifie amidon, et -de quiressemble).

    En fait, Virchow avait color non pas un sucre, mais une protine, comme le montrrent quelques annes plus tardNikolaus Friedreich et le chimiste allemand Friedrich Kekul. En outre, on s'aperut que la substance amylode avait desproprits optiques particulires : claire, elle rflchissait deux rayons lumineux, une proprit nomme birfringence, etl'un des rayons rflchis changeait de longueur d'onde, une proprit nomme dichrosme. Certains colorants - le rouge Congoou la thioflavine - se liaient spcifiquement ce matriel protique amylode. En microscopie lectronique, la substanceapparaissait fibrillaire. En 1927, le psychiatre belge Paul Divry constata que le rouge Congo marquait aussi le cur desplaques sniles - qui, de faon inattendue, tait donc amylode . Pendant des dcennies, on tenta en vain de dterminerquelle tait la protine amylode des plaques.

    Une structure en feuillets

    C'est George Glenner, de l'Universit de Californie, qui identifia pour la premire fois une protine amylode. Ils'agissait d'une partie de protine anticorps. Il pensa d'abord que toutes les substances amylodes taient constitues de cetteprotine. Mais il ralisa rapidement que cette squence d'acides amins n'tait pas la seule possible : de nombreuses protinesou peptides (de petites protines) peuvent devenir amylodes .

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    Alors pourquoi des protines sont-elles amylodes ? Glenner comprit que c'est la structure secondaire de la protine -son organisation dans l'espace -, et non sa squence d'acides amins, qui dtermine son caractre amylode : certainesprotines, ou certains peptides, sont susceptibles de s'organiser dans l'espace en structures particulires nommes feuillets btaplisss. C'est la richesse en feuillets bta plisss qui est responsable du caractre insoluble de la protine, de son affinit pourle rouge Congo et la thioflavine, et de l'aspect fibrillaire observ en microscopie lectronique.

    Mais quelle est la nature de la protine ou du peptide qui prend une configuration en feuillets bta dans le cur de laplaque snile ? Les neuro-pathologistes ont montr que la substance amylode infiltre souvent les vaisseaux de la mninge quientoure le cerveau. En 1984, Glenner rcupra cette substance dans des vaisseaux plutt que dans des plaques sniles ; lepeptide qu'il identifia n'avait, jusque-l, jamais t trouv : on le nomme aujourd'hui A bta (A pour amylode, et bta pourfeuillet bta, la structure secondaire qu'il adopte).

    Le peptide A bta est issu d'une autre protine, nomme APP (Amyloid Protein Precursor, ou prcurseur de laprotine amylode), qui est transmembranaire, c'est--dire cheval sur la membrane des neurones (voir la figure 2). L'APP estcoupe en deux endroits, que l'on appelle bta et gamma, par des enzymes particulires. Le clivage gamma a lieu dans lamembrane des neurones par un complexe de plusieurs protines ; c'est ainsi que le peptide A bta est produit. L'APP et lepeptide A bta sont des composants normaux de l'organisme, dont la fonction est, jusqu' ce jour, mal comprise.

    Ds lors, on a utilis des molcules, nommes anticorps, qui reconnaissent le peptide A bta et permettent de mettre

    en vidence les lsions par la technique dite d'immunohistochimie. Ainsi, les plaques sniles ne sont qu'un type de dpts depeptide A bta parmi d'autres : dans les cerveaux des patients atteints de la maladie d'Alzheimer ou dans ceux des personnesges, les dpts peuvent tre larges, mal limits et dpourvus de prolongements nerveux - ils sont diffus -ou au contraire,sphriques et denses - ce sont des dpts focaux . C'est un dpt focal qui forme le cur de la plaque snile classique.

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    De quoi sont constitues les dgnrescences neurofibrillaires ? Dans les annes 1980, on obtint les premiersanticorps reconnaissant les dgnrescences neurofibrillaires. Selon l'opinion qui prvalait alors, les dgnrescencesneurofibrillaires comprenaient des lments du cytosquelette, cet ensemble de protines qui, comme un squelette, confrentleur forme aux cellules. Plusieurs hypothses avaient t formules, quand en 1985, Jean-Pierre Brion, Bruxelles, testa surun chantillon de cerveau d'un patient atteint de la maladie d'Alzheimer un anticorps dirig contre la protine tau (tubulin

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    associated unit), une protine associe aux neurotubules - des protines appartenant au cytosquelette. L'anticorps marquaitde faon slective les dgnrescences neurofibrillaires.

    D'autres quipes - dont celles d'Andr Delcourte Lille, et de Khalid Iqbal New York -confirmrent et prcisrentces donnes. La protine tau est le composant principal des dgnrescences neurofibrillaires (voir la figure 3).

    Comme le peptide A bta, la protine tau est une molcule normale de l'organisme dont l'accumulation estpathologique. Elle favorise l'organisation de molcules isoles de neurotubules en rails auxquels elle se lie. Quand elle estphosphoryle - elle porte plusieurs groupes phosphate -, elle ne se lie plus aux neurotubules, ce qui empche la formation desrails et perturbe le fonctionnement neuronal. Dans les dgnrescences neurofibrillaires, la protine tau est anormalement phosphoryle : elle s'accumule non seulement dans le corps cellulaire des neurones, mais aussi dans leur axone et leursdendrites - les prolongements des neurones.

    O sont localises les lsions ?

    Les lsions permettent-elles d'expliquer les symptmes de la maladie d'Alzheimer ? Elles se trouvent dans desrgions particulires du cerveau. Cette slectivit topographique a t constate par tous les observateurs : une rgion trstouche peut jouxter une aire crbrale compltement pargne. La raison de cette slectivit est inconnue.

    C'est la partie la plus superficielle du cerveau - son corce ou cortex - qui est la plus touche. Dans le cortex,s'laborent les fonctions intellectuelles telles que la mmoire, la parole, le geste volontaire, la reconnaissance des formes et

    des lettres, ou celle des sons et des mots. Les neurones corticaux se disposent diffremment selon les aires. Dansl'hippocampe ou corne d'Ammon - une rgion implique dans la mmoire -, situe dans la partie interne du lobe temporal,l'organisation des neurones est particulire et facilement reconnaissable.

    L'corce crbrale ou isocortex est principalement constitue de six couches de neurones, et elle est organise enaires fonctionnelles refltant une seule modalit sensorielle (les aires unimodales ) ou plusieurs modalits (les aires multimodales ). Dans le cerveau, la rpartition des dgnrescences neurofibrillaires diffre de celle des dpts de peptide Abta (ces diffrences sont surtout visibles au dbut de la maladie). En effet, les lsions voluent avec le temps.

    Deux rgles semblent contrler l'volution des lsions dans la maladie d'Alzheimer : tout d'abord, elles ne rgressentpas ou seulement trs peu. Une fois apparues dans une aire corticale donne, elles y restent jusqu' la mort de l'individu.Ensuite, elles touchent toujours les mmes aires corticales, selon un scnario immuable (voir la figure 4).

    Les dgnrescences neurofibrillaires s'observent d'abord dans le cortex entorhinal, puis dans l'hippocampe (desrgions impliques dans la mmoire). Ensuite, les aires isocorticales sont intresses, d'abord les aires multimodales, puis les

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    aires unimodales. Les dpts de peptide A bta apparaissent dans l'isocortex, puis dans l'hippocampe et l'aire entorhinale,ensuite dans les noyaux sous-corticaux - des rgions centrales du cerveau -, et enfin dans le tronc crbral et le cervelet.

    La densit et la localisation des dgnrescences neurofibrillaires sont corrles aux symptmes, et notamment ladmence, alors que ce n'est pas le cas pour les dpts de peptide A bta. D'ailleurs, on observe souvent de nombreux dptsde peptide A bta chez des personnes ges considres comme intellectuellement normales. La progression desdgnrescences neurofibrillaires est si bien corrle la gravit clinique de la maladie que leur rpartition est utilise pourvaluer son stade volutif. Par exemple, la prsence de dgnrescences neurofibrillaires dans l'hippocampe expliquel'existence de troubles de la mmoire.

    Les dgnrescences neurofibrillaires apparaissent aussi dans les noyaux sous-corticaux, notamment le noyau basalde Meynert situ la base du cerveau. Les axones des neurones de ce noyau - qui contiennent l'actylcholine, unneuromdiateur - atteignent de larges rgions du cortex. C'est ainsi que le noyau basal de Meynert participe des fonctionscrbrales telles que l'attention. Cette connexion est dficiente quand les lsions sont nombreuses. Des traitements actuelsvisent compenser ce dficit cholinergique afin de restaurer des capacits intellectuelles.

    Nous n'avons jusqu'ici considr que les lsions dues l'accumulation de protines (la protine tau et le peptide Abta) ; nous n'avons pas envisag les lsions des neurones ou des synapses (les jonctions entre les neurones). La perte desneurones et des synapses n'est pas spcifique de la maladie d'Alzheimer ; la mort des neurones a t trs discute et seraittardive, sans doute une consquence long terme du dysfonctionnement des neurones lss. En revanche, la perte dessynapses est prcoce et serait due l'accumulation du peptide A bta qui forme des structures toxiques pour les synapses.

    Des lsions frquentes, parfois sans symptmesII est difficile d'valuer la frquence des lsions dans la population gnrale, comme a pu le faire l'tude du MRC-

    CFAS en Angleterre. D'autres projets l'ont value dans un groupe social dtermin. C'est le cas de l'tude des nonnes odes surs de Sainte Marie ont accept de donner leur cerveau aprs leur mort. Plusieurs principes se dgagent de l'analysepost mortem du cerveau de personnes ges, intellectuellement normales ou atteintes de la maladie d'Alzheimer.

    Premire donne importante : les lsions protiques sont frquentes dans la population et leur prvalence augmenterapidement avec l'ge. Par exemple, tous les cerveaux de centenaires que nous avons tudis au Laboratoire deneuropathologie de l'Hpital de la Salptrire, Paris, contenaient des lsions.

    La seconde notion importante est le dcalage de plusieurs dcennies qui spare l'ge d'apparition des lsions de celui

    des premiers symptmes : Heiko et Eva Braak, des neuroanatomistes de l'Universit de Francfort, ont trouv desdgnrescences neurofibrillaires dans le 'cortex entorhinal de la moiti des personnes ges de 47 ans - qui, cet ge,n'avaient probablement pas de symptmes.

    Enfin, la maladie d'Alzheimer ne survient gnralement pas seule ; chez la personne ge, des lsions vasculaires luisont souvent associes - ce qui explique qu'un traitement prventif des maladies vasculaires puisse retarder l'apparition despremiers symptmes de la maladie d'Alzheimer.

    Des hommes etdes souris

    La maladie n'a pas encore livr tous ses secrets. Une lsion entrane-t-elle l'apparition de l'autre ? Comment leslsions expliquent-elles les symptmes ? Quelle est la cause des lsions ? La recherche est active, d'autant que la maladie estun problme majeur de sant publique.

    Il est notamment important de l'tudier chez des animaux modles pour en comprendre les mcanismes. Jusqu'rcemment, les seuls modles animaux de la maladie taient naturels ou provoqus par des destructions : on trouvenaturellement des dpts de peptide A bta chez les singes, les ours, les chiens ou les chats gs ; et les modles crs par desdestructions de certaines rgions crbrales, par exemple le noyau basal de Meynert, ne visent qu' comprendre lessymptmes et non les mcanismes de la maladie.

    Les modles transgniques plus rcents induisent chez l'animal les lsions observes chez l'homme. Cetteprouesse a t rendue possible par l'analyse des quelques rares cas de maladie d'Alzheimer familiale, c'est--dire transmise degnration en gnration par un gne pathologique. Ces formes gntiques sont dues des mutations du gne codant l'APP -le prcurseur du peptide A bta - ou de celui codant la prsniline, une des enzymes impliques dans le clivage gamma del'APP.

    Dans les souris transgniques, l'introduction du gne mut de l'APP humaine, associe ou non celle du gne mutde la prsniline, favorise l'apparition de nombreux dpts de peptide A bta dans le cerveau. Cependant, les dgnrescencesneurofibrillaires restent absentes si la transgense ne concerne que l'APP. L'introduction chez l'animal du gne humain codantla protine tau entrane son accumulation intraneuronale et l'apparition de dgnrescences neurofibrillaires.

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    Des souris triplement transgniques pour les gnes de l'APP, de la prsniline et de tau dveloppent la fois des

    dgnrescences neurofibrillaires et des plaques sniles. On peut videmment discuter de l'intrt de ce modle, en particulieren ce qui concerne les maladies d'Alzheimer sporadiques - de cause inconnue - de loin les plus frquentes ; mais il reprsenteaujourd'hui un outil indispensable pour tudier les mcanismes d'apparition des lsions et la faon de les modifier.

    Les souris transgniques ont fait l'objet de nombreuses recherches thrapeutiques. C'est ainsi qu'on s'est aperu quel'injection de peptide A bta en priphrie engendre une raction immunitaire - du systme de dfense - qui nettoie les dptsdans le cerveau. Cette observation a suggr un nouveau traitement : le peptide A bta a t inject en priphrie comme un vaccin afin de provoquer l'limination des dpts de peptide A bta chez l'homme. Mais cet essai thrapeutique a d treinterrompu, car un nombre important de patients a dvelopp une inflammation grave du cerveau.

    En ce qui concerne la thrapie, les progrs sont certes encore minces, mais les avances dans la comprhension de lamaladie ont t majeures. Les lsions ont t dcrites ; leur progression est connue dans le dtail. Les protines impliquessont identifies. Des mutations ont t mises en vidence ; introduites chez des souris, elles ont permis de reproduire certainescaractristiques de la maladie. Les pistes thrapeutiques sont aujourd'hui nombreuses et l'investissement, dans le monde, estimportant (voir Quels traitements ?,). Le plan Alzheimer, en France, tmoigne de l'intrt des services publics.

    Mais beaucoup reste faire... Il faut approfondir l'analyse des lsions - en finanant notamment des banques decerveaux et en soutenant les campagnes de Don du cerveau pour la recherche -, dvelopper de nouveaux modles animaux(plus proches de la maladie humaine), mettre au point des tests qui tmoigneraient de la prsence ou de l'volution de la

    maladie, perfectionner l'imagerie crbrale, etc. Ces tapes sont indispensables la dcouverte du traitement. Lesfinancements attribus la recherche sont bien infrieurs ceux aujourd'hui indispensables la prise en charge des malades ;ils doivent tre augments si la France veut jouer un rle significatif dans la recherche internationale et contribuer ainsi auxdcouvertes thrapeutiques qui soulageront les malades de demain.

    Bibliographie

    C. DUYCKAERTS et al, Alzheimer disease models and human neuropathology : similarities and diffrences, inActaNeuropathologica, vol. Il 5, pp. 5-38, 2008. Expertise collective : maladie d'Alzheimer, enjeux scientifiques, mdicaux etsocitaux, dition INSERM, 2007.

    C. DUYCKAERTS et F. PASQUIER,Dmences, dition Doin, 2002.

    Le livre vert de la maladie d'Alzheimer de l'Association France Alzheimer et maladies apparentes est tlchargeable

    sur le site : http://www.francealzheimer.org/pages/association/documentation/doc_telechargeables3.php

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    Quels traitements ?Andr DELACOURTE

    est directeur de recherche dans l'Unit INSERM 837, Maladies neurodgnratives et mort neuronale, Lille.

    Des pertes de mmoire apparemment sans gravit ; des questions rptes deux ou trois fois ; des difficults participer aux discussions. D'abord, la famille ne s'inquite pas de ces troubles mineurs qu'elle attribue l'ge ou la fatigue.Puis, les difficults du grand-pre augmentent : il ne retrouve plus son domicile alors qu'il est au pied de son immeuble, ilreconnat de moins en moins les visages de ses proches. Finalement, il a besoin de quelqu'un pour se laver, s'habiller, mangeret aller se promener. Cet homme souffre de la maladie d'Alzheimer. Peut-on le soigner ou enrayer la progression dessymptmes ?

    En ce dbut d'anne 2008, plus de 20 essais cliniques sont en cours pour tenter de trouver le mdicament qui aiderales centaines de milliers de patients. Il existe deux types de lsions crbrales dans la maladie : les plaques sniles et lesdgnrescences neurofibrillaires. Tous les efforts de recherche se concentrent donc sur les mcanismes de leur formation etsur la faon de les combattre. Les plaques sniles rsultent de l'accumulation du peptide A bta, issu du clivage de la protineprcurseur de l'amylode, l'APP (voir Le cerveau malade la loupe) ; ces plaques existent dans les formes familiales, trsrares, et dans les formes sporadiques - sans cause gntique vidente -de la maladie d'Alzheimer. Pour les formes familiales,

    des mutations pathologiques du gne codant l'APP ou, plus frquemment, du gne codant une enzyme (la prsniline) coupantl'APP, engendrent une maladie d'Alzheimer qui se transmet de gnration en gnration et qui se dclare avant 60 ans. Lesdgnrescences neurofibrillaires quant elles rsultent d'une accumulation de protines tau. Depuis une dizaine d'annes, onsait que cette lsion crbrale se trouve dans de nombreuses maladies neurodgnratives avec dmence, mais seule lamaladie d'Alzheimer prsente la fois des plaques et des dgnrescences neurofibrillaires dans le cerveau.

    :

    Deux lsions, deux cibles

    Depuis le squenage du peptide A bta en 1984 et la dcouverte de la premire mutation pathologique sur le gnecodant l'APP en 1991, on sait que ces protines, APP et tau, sont impliques dans la maladie ; ce sont donc les deux ciblesthrapeutiques. Connaissant les cibles, reste trouver des molcules spcifiques et efficaces agissant sur ces lsions.Toutefois, on ignore comment les lsions agissent, de sorte que de nombreuses hypothses ont t proposes pour expliquer

    leur action dltre. Et il existe autant de stratgies thrapeutiques que d'hypothses. Nous aborderons les principales, et nousverrons qu'il est possible d'enrayer la propagation des symptmes de la maladie en modulant certaines connexions entreneurones.

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    L'ensemble de ces tudes permettra peut-tre de savoir si les agrgats de protines tau ou de peptide A bta causent ladgnrescence des neurones, ou s'ils sont synthtiss par les neurones quand ils luttent contre la dgnrescence qui seraitalors due ... On l'ignore encore.

    Depuis une vingtaine d'annes, on a publi plus de 50 000 articles scientifiques sur les aspects fondamentaux et physiopathologiques de cette maladie. Ce qui a permis d'mettre plusieurs hypothses tiologiques, et le nombre d'essaisthrapeutiques ne cesse d'augmenter. Mais les chercheurs sont confronts deux questions essentielles : quelles sont lescauses de la mort neuronale et comment peut-on amliorer les modles animaux ? En effet, les modles cellulaires et animauxde la pathologie humaine ont une pertinence limite, car ils ne reproduisent pas compltement les lsions. Or sans modlepertinent, l'approche thrapeutique est bloque. Actuellement, seuls les essais thrapeutiques sur l'homme permettent vraimentde tester les diffrentes hypothses tiologiques. Ils sont coteux, mais c'est le prix payer pour vaincre la maladied'Alzheimer. Face l'inquitude que soulve aujourd'hui le fait d'apprendre qu'un proche est atteint de cette maladie, on sedoit d'informer sur les recherches en cours. La recherche avance - trop lentement pour les personnes touches par la maladieaujourd'hui - et il faut concentrer nos efforts sur la recherche d'un traitement qui permettra de vaincre la maladie. Les

    connaissances actuelles indiquent que c'est possible.

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    LIRE LARTICLE DANS Cerveau & Psycho n 26

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    LA RECHERCHE janvier 2003 Hors-srie n 10 Cerveau sans mmoire

    EN DEUX MOTS - Les recherches se sont jusqu' prsent focalises sur les mcanismes d'invasion du cerveau par les

    plaques dites amylodes. De rcentes expriences sur des souris transgniques semblent pourtant confirmer le rle cl de ladgnrescence neurofibrillaire associe !a protine tau. L'ide d'une synergie entre les deux phnomnes fait son chemin,

    LE RETOUR

    DE LAPROTEINE TAUCharles DUYCKAERTS

    est professeur des universits - praticien hospitalier, l'Hpital de la Salptrire, Paris, o il effectue ses recherches dans

    le Laboratoire de neuropathologie et l'Unit INSERM 679.Au dbut du sicle, Alos Alzheimer avait dfini la maladie qui porte son nom comme la conjugaison de deux lsions :

    les plaques sniles et la dgnrescence neurofibrilllaire. Dans les annes 1980, cette dernire est associe la protine tau qui,longtemps nglige par la recherche, suscite aujourd'hui un regain d'intrt.

    Les maladies neurodgnratives ont terriblement marqu la dernire dcennie. L'agent de ces pathologies quiprovoquent la dmence n'est ni une bactrie comme la peste, ni un redoutable virus comme Ebola, mais de simples protinesqui, en s'accumulant, provoquent la destruction des cellules nerveuses crbrales. L'exemple le plus mdiatis fut sans doute

    celui de la maladie de la vache folle , dont la forme humaine, ou maladie de Creutzfeld-Jacob, a cr une vritable paniqueau sein de la population europenne. Mais d'autres pathologies dmentielles ont investi le devant de la scne avec, en tte du palmars, la maladie d'Alzheimer. La recherche dans ce domaine draine des enjeux socio-conomiques considrables, donttmoignent les normes investissements effectus ces dernires annes par les socits pharmaceutiques. Les rsultatsscientifiques, publis rapidement sous la pression conomique et mdiatique, ont suscit de nombreux espoirs de gurisonaujourd'hui dus. Un regard rtrospectif sur ces travaux fait apparatre une distorsion de la perception de la maladie par lesmilieux scientifiques eux-mmes. Avec le gel actuel des investissements des grandes firmes pharmaceutiques, la logiquescientifique est, semble-t-il, en train de reprendre le dessus, pour revenir aux sources de la dfinition pose il y a presque un

    sicle par Alois Alzheimer.

    PREMIRES OBSERVATIONS.

    En 1907, le mdecin publie les rsultats de l'observation de coupes de tissu crbral prleves sur une patientedmente, Auguste D., morte 51 ans (LIRE l'article de K. Maurer et al., p. 12). Il met en vidence deux types de lsions

    crbrales localises au niveau de la substance grise corticale : des agrgats de substance organique qui forment des plaques l'extrieur des neurones et la dgnrescence des neurones eux-mmes, envahis de l'intrieur et jusqu' l'extrmit de leursprolongements par des fibres microscopiques. En 196l, Michael Kidd, de l'universit de Londres, montre que ces fibrillesanormales, observes au microscope lectronique, sont des filaments de 10 nm de diamtre apparis en hlice, Ceux-cilivreront leur composition bien plus tard, en 1985. Jean-Pierre Brion, de l'universit de mdecine de Bruxelles, cherche alors localiser des protines qui participent la structuration du neurone. Or, le marquage de ces protines, dites protines tau,

    concide exactement avec les zones o s'accumulent les neurofibrilles. Plusieurs quipes, dont la ntre, ont confirm par lasuite que les protines tau sont bien les constituants majeurs des filaments qui envahissent les neurones dgnrs.

    Mais cette poque tous les yeux sont braqus sur les plaques sniles. Au fur et mesure de l'avancement desrecherches, celles-ci sont apparues, tort ou raison, comme la cause principale de la maladie, et comme la ciblethrapeutique la plus prometteuse. Le Belge Pierre Divry avait montr dans les annes 1930 que ces plaques (dites amylodes)sont constitues de substances protiques compactes. En 1984, l'Amricain Georges Glenner et ses collgues caractrisent lastructure du constituant majeur des plaques amylodes: un polypeptide, compos de 39 42 acides amins. La recherche

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    3Rappelons que cette protine existe dans le cerveau sain . On sait depuis les annes 1970 qu'elle s'associe aux

    microtubules1, structures filamenteuses qui servent au transport intracellulaire des organites et l'organisation spatiale de la

    cellule. Les microtubules constituent de vritables rails, que les protines tau stabilisent la manire de traverses. Sur ces railsvoyagent des vsicules, wagons enfermant les organites et les molcules transporter. Les microtubules vhiculent ainsi desmatriaux synthtiss par le corps cellulaire des neurones et les acheminent vers les terminaisons axonales, situes, notre

    chelle, des kilomtres de distance (les extensions de certaines cellules nerveuses humaines mesurent pas loin de 1 mtre delong!).

    Il existe en fait six variantes de protines tau. Elles sont toutes synthtises partir du mme gne, situ sur lechromosome 17, lu de six manires diffrentes. Ces six variantes se distinguent notamment par la rptition d'un motifparticulier, not R. Trois d'entre elles rptent le motif trois fois, les trois autres le rptent quatre fois. On parle de variantes 3Rou 4R. Ces motifs R constituent le point d'ancrage de la protine tau sur les microtubules (FIG. 1). Les protines tau 4R, mieux

    fixes au microtubule que les variantes 3R, le consolident, donnant des prolongements plus longs et plus rigides. Suivant lesvariantes de protines tau qu'ils expriment, les neurones arborent ainsi une silhouette diffrente.

    DES PROTINES INACTIVES.

    Mais un deuxime mcanisme semble contrler plus finement encore l'action stabilisante des protines tau. Il s'agit d'un

    processus dit de phosphorylation, selon lequel un groupement phosphate se lie certains acides amins de la protine tau. Lesprotines tau comportent de nombreux sites de phosphorylation. Leur nombre est variable mais, de faon gnrale, on observe

    que plus cette protine est phosphoryle moins elle interagit avec le microtubule. Un excs de phosphorylation peut mmedstabiliser le microtubule. C'est prcisment ce mcanisme qui semble tre l'uvre dans le cas de la maladie d'Alzheimer etdans de nombreuses autres pathologies neurodgnratives. Deux phnomnes ont t simultanment observs sur des souristransgniques prsentant la pathologie tau: d'une part l'accumulation progressive de protines tau sous forme de filamentspathologiques, et d'autre part l'hyperphosphorylation de ces protines. D'o l'hypothse que, chez l'homme, les protines tauinactives par l'excs de phosphorylation s'associent pour former des filaments pathologiques qui s'assemblent en paquets de

    neurofibrilles. Envahi jusqu'aux extrmits de ses prolongements, le neurone perdrait progressivement ses fonctionnalits, avantde disparatre, phagocyt par les cellules gliales qui comblent les vides crs par la mort neuronale.

    Ce scnario, qui considre la protine tau comme le vritable acteur de la dgnrescence neurofibrillaire, a le mrited'expliquer la concidence entre l'aggravation des signes cliniques et la propagation de la pathologie tau. Nous avons montr parde multiples observationspost mortem que le dveloppement de la pathologie tau emprunte un chemin prcis qui passe par dixrgions crbrales caractristiques, dfinissant dix stades de progression de la maladie. Ces dix stades constituent une

    extension, plus prcise, des six stades de Braak (FIG. 2)

    2

    .

    LES MFAITS D'UNE SYNERGIE

    La maladie d'Alzheimer intgre ainsi la catgorie des pathologies tau, ou tauopathies. L'accumulation des protines taudans les neurones concerne plus de 20 maladies neurodgnratives diffrentes. Elle est mme parfois la seule cause de lamaladie.

    Nous avons pu distinguer au moins quatre grandes classes d'amas de protines tau inactives, qui signent quatre typesde pathologies tau: la classe 1 avec des amas tau de type 3R et 4R (maladie d'Alzheimer, trisomie 21 et quelques autres pathologies rares). La classe 2 avec des amas de variantes 4R (paralysie supranuclaire progressive et dgnrescencecorticobasale, deux syndromes parkinsoniens). La troisime classe est caractrise exclusivement par des amas de protines tau3R (maladie de Pick, une sous-classe de dmence fronto-temporale)3. Enfin, la classe 4 est observe dans la maladie de Steinert,

    une pathologie neuromusculaire familiale qui implique une drgulation des ARN messagers de tau indpendante des motifs R4

    .

    Fig. 1. Dans la maladie d'Alzheimer, la protine tau existe sous deux formes : 3 R ( gauche) ou 4 R (droite). Ces motifsconstituent un point d'ancrage sur des structures filamenteuses essentielles au fonctionnement cellulaire : les microtubules.

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    4Bien que la maladie d'Alzheimer s'inscrive naturellement dans une telle classification, il serait abusif de considrer tau

    comme l'unique cause de la maladie. Une vision exclusivement tauiste est tout aussi rductrice que la vision strictementamylodiste, massivement rpandue. Car il n'y a pas de maladie d'Alzheimer sans plaques amylodes, et la progression de latauopathie ne se fait qu'en prsence de ces agrgats. En 2001, deux articles publis dans la revue Science ont dmontr cettesynergie de manire frappante. Dans son article, l'quipe amricaine de Jada Lewis et Mike Hutton fait part de l'utilisation d'un

    tout nouveau type de souris transgniques. Grce des mutations situes la fois sur le gne de la protine APP et sur celui de

    la protine tau, celles-ci dveloppent les deux facettes de la maladie: des agrgats de protines A E, et une dgnrescence

    neurofibrillaire. Or, la pathologie dont souffrent ces souris s'avre nettement plus prononce que celle dveloppe par les souristransgniques n'ayant que le gne tau mut5.

    L'quipe suisse de Jurgen Gotz utilise quant elle des souris ne possdant qu'une mutation, situe sur le gne de laprotine tau. Ces souris dveloppent une pathologie tau peu prononce, jusqu' ce qu'on leur injecte dans le cortex la protine

    AE, ce qui a pour effet d'exacerber la maladie6. Cette dernire exprience reproduit d'ailleurs assez bien ce qui se passe dans lecerveau humain. Comme on l'a laiss entendre, la pathologie tau apparat dans la formation hippocampique humaine au cours du

    vieillissement normal. Mais ds que la protine AE fait son apparition, la maladie progresse, comme si AE potentialisait unemaladie rampante. En quelque sorte, la maladie d'Alzheimer serait une tauopathie stimule par les dysfonctionnements de la

    protine APP, qui gnrent le peptide AE.

    Mme si les mcanismes physiologiques l'uvre restent inconnus, cette hypothse encore largement iconoclastepourrait ouvrir de nouvelles voies thrapeutiques. Si la maladie d'Alzheimer est effectivement la consquence d'une interaction

    entre le mcanisme tau et l'apparition de plaques amylodes, la progression doit pouvoir tre stoppe avec une grande efficaciten bloquant les deux mcanismes.

    UNE PROGRESSION EN DIX STADES

    La perte progressive des facults cognitives observe au cours de la maladied'Alzheimer concide exactement avec l'invasion des neurones par des structuresfilamenteuses appeles neurofibrilles. Celles-ci sont composes de protines neuronalesappeles protines tau, qui, rendues inactives, s'agrgent. Au fur et mesure de la

    progression de la maladie, les zones du cerveau touches par l'accumulation deprotines tau s'tendent, dfinissant un chemin de progression qui peut se diviser en dixstades. L'invasion dbute par la rgion entorhinale, une zone voisine de l'hippocampecharge de relayer toute l'information vers l'ensemble du cerveau (FIG . 2). La pathologietau gagne ensuite l'hippocampe, sige de la mmoire court terme, puis la rgiontemporale, le nocortex associatif 1 et atteint les rgions primaires. La dmence apparat

    ds que la protine

    1

    tau commence s'accumuler dans les territoires qui associent desinformations venues de plusieurs zones du cerveau, notamment les cortex temporalsuprieur, frontal et parital. Comment expliquer une telle progression ? Les mcanismessont probablement trs simples. Les cellules nerveuses ne survivent que si elles peuventdialoguer et changer des molcules [des facteurs trophiques], avec leur cible. C'est le

    principe mme de la formation du cerveau et des rseaux neuronaux. Selon ce principe,la destruction d'une population neuronale plus particulirement vulnrable (l'hippocampe

    par exemple) va entraner par effet domino la dstabilisation des populations neuronalesen contact avec elle. Or, la dstabilisation d'une zone neuronale s'accompagne pour desraisons encore incomprises, d'un dveloppement de la pathologie tau. De fil en aiguille,c'est la totalit des neurones crbraux qui sont atteints. C'est cette progression qui estrsume dans les six stades de Braak ou nos dix stades biochimiques de la pathologietau.

    ESSAI VACCINAL INTERROMPU.

    L'ide d'agir sur les plaques amylodes a t largement prospecte ces dernires annes avec, pour rsultat, une uniquepiste, heureusement prometteuse. Les travaux pionniers de Dale Schenk ont montr que, chez les souris, l'laboration d'anticorps

    contre les agrgats permet de les liminer du cerveau. D'o l'ide d'effectuer une sorte de vaccination : injecter des protines

    AE aux patients prsentant des symptmes alzheimriens modrs pour duquer son systme immunitaire et le dresser contre

    l'envahisseur.

    Les rsultats sur les modles murins furent positifs, un fait plutt inattendu dans la mesure o tout le monde pensait quele cerveau possdait une barrire immunologique relativement tanche. Les premiers essais thrapeutiques sur l'homme menspar une coopration internationale ont cependant t interrompus, suite des ractions secondaires indsirables trs importantes.Mais les essais vont reprendre sous peu, peut-tre ds cette anne, avec une vaccination mieux adapte la structure particulire

    des dpt s AE chez l'homme. Peut-on de mme agir contre l'accumulation de protines tau? La vaccination n'estmalheureusement pas envisageable car, comme on l'a dit, les protines tau s'accumulent l'intrieur du neurone, zone

    inaccessible aux anticorps.

    (1) La Recherche a publi: Eric Karsenti, "L'auto-organisation au cur de la division cellulaire", Hors-Srie n 9, "Ordre et Dsordre",

    novembre 2002.

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    5Mais le mcanisme pourrait tre attaqu sous un autre angle. Si les protines tau n'ont pas in vitro de structure

    secondaire particulire et gardent un aspect flexible et dsordonn, elles ont certainement in vivo, une conformation trs prcise,puisque leur interaction avec les dimres de tubuline peut tre module finement par la phosphorylation.

    Fig. 2 La pathologie tau se propage des rgions infrieures vers les rgions dites primaires

    D'o la suggestion, mise par certains chercheurs, de jouer sur la rgulation de la phosphorylation. Pour sduisante

    qu'elle soit, cette approche me semble dlicate dans la mesure o l'on touche aux mcanismes de fonctionnement fondamentauxde la cellule neuronale.

    RALENTIR L'INVASION ?

    Une deuxime piste, plus raliste, consiste tudier la dynamique d'extension de la pathologie tau dans l'espace

    crbral. Les souris transgniques permettent une telle approche. Connatre prcisment ce qui dstabilise l'difice despopulations neuronales permettra de dsigner les cibles pharmacologiques. Il s'agit ici de ralentir la dynamique d'invasion du

    processus dgnratif, pour gagner des annes sur la maladie d'Alzheimer.

    Autre voie envisageable : la maladie d'Alzheimer devrait pouvoir se prter un type d'analyse extrmement rcent, en

    l'occurrence l'analyse du transcriptome (l'ensemble des intermdiaires dans la transcription de l'ADN en protines) et duprotome (l'ensemble des protines exprimes par la cellule). Il s'agit de dterminer les mcanismes d'installation de la maladiedans la cellule, en dressant un tableau complet du transcriptome et du protome de la cellule avant et aprs qu'elle soit atteinte.

    Cette stratgie, aujourd'hui utilise par tous les secteurs de la recherche mdicale, a permis notamment de reprer les gnesactivs lors du processus de cancrisation. C'est une facette importante de la maladie d'Alzheimer qui reste explorer. A.D.

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    REFERENCES(1) L. Bue et al., Brain Res; Rev. 33. 95. 2000(2) A. Delacourte et al., Neurology, 59. 398. 2002(3) I. Bue, A; Delacourte, Brain Pathol. 681. 1999(4) N. Sergeant et al., Hum. Mol. Genet. 10. 2143. 2001(5) J. Lewis, D.W. Dickson et al., Science, 293. 1487. 2001(6) J. Gotz, P; Chen et al., Science, 293. 1491. 2001

    POUR EN SAVOIR PLUSC. Duyckaerts, F. Pasquier (ds), Dmences, Douin-Groupe Liaison, 2002.L. Robert, Vieillissement du cerveau et dmence, Flammarion, 1998.www.lille.inserm.fr/u422/tau.htmlwww.larecherche.fr

    x CELLULES GLIALES: cellules charges de l'intendance du systme nerveux. Elles transfrent leslments nutritifs du sang vers les neurones, phagocytent les lments indsirables, cicatrisent les videslaisss par la mort neuronale, etc.

    x LOBE TEMPORAL: zone du cerveau situe sous les tempes, qui joue un rle important dans l'audition etle langage.

    x NOCORTEX ASSOCIATIF: cortex qui intgre, au plus haut niveau, les informations venant de

    diffrentes rgions crbrales.x RGIONS PRIMAIRES: zones crbrales qui reoivent directement les informations sensorielles ou

    motrices (le ple occipital, par exemple, qui reoit les informations visuelles).x LOBE FRONTAL: zone du cerveau situe sous le front, qui joue un rle important dans la motricit, les

    fonctions excutives, le comportement et la douleur.x LOBE PARITAL: zone situe sous le sommet du crne , et qui joue un rle dans l'intgration de la

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    LA RECHERCHE janvier 2003 Hors-srie n 10 Cerveau sans mmoireLA RECHERCHE A PUBLI : (I) La mmoire et l'oubli , numro spcial, juillet-aot 2001.

    EN DEUX MOTS - Le sige des lsions neuronales dtermine le tableau clinique de la maladie d'Alzheimer. Certains systmes demmoire sont massivement perturbs, d'autres prservs, mais il existe un profil mnsique spcifique. En l'absence d'unmarqueur biologique formel, le diagnostic repose sur cette homognit des principales manifestations cliniques de la maladie.

    UNE MALADIE DU CERVEAUDbutant par des problmes de mmoire, l'enchanement des troubles du comportement des

    patients atteints de la maladie d'Alzheimer exprime le cheminement progressif et l'extension

    des lsions au sein du cerveau. Pour identifier la maladie, valuer la nature et la svrit desdficits, le clinicien dispose d'une batterie de tests qui explorent, entre autres, les diffrentstypes de mmoire.

    Bruno Duboisest professeur des universits, neurologue la Fdration de neurologie de l'hpital de la Salptrirc, responsable ducentre expert de la maladie d'Alzheimer de l'hpital de la Salptrire et directeur de l'quipe Inserm E007;Bernard Deweerest directeur de recherche au CNRS, est membre de la mme quipe Inserm. [email protected]

    La maladie d'Alzheimer, lorsqu'elle est dveloppe, ralise une dmence. Dans le langage mdical, dmence neveut pas dire folie, mais dsigne le fait que le sujet qui en est atteint a perdu son autonomie complte et qu'il devient

    dpendant de son entourage. La maladie d'Alzheimer est une dmence lie des lsions crbrales caractristiques; elle dbuteprobablement assez tt dans la vie mais se manifeste tardivement, le plus souvent chez la personne ge. Dans 15 % des cas, ellesurvient avant 65 ans (le plus jeune cas identifi en France a dbut l'ge de 28 ans).

    Bien que les manifestations ne soient pas monolithiques - les troubles cognitifs et les profils d'volution sont variablesd'un malade l'autre -, on peut aujourd'hui dessiner les grands traits de son tableau clinique, lequel est dtermin par le sige deslsions neuronales. Au cours de la dernire dcennie, cette localisation a t prcise par des tudes neuro-pathologiques. Leslsions histologiques dbutent dans la rgion la plus interne du lobe temporal (cortex entorhinal et hippocampe*), rgion verslaquelle les informations convergent pour tre mises en mmoire. Ce n'est que bien plus tard que ces lsions vont s'tendre versles hmisphres crbraux (FIG. 1), o elles intressent plus particulirement le cortex associatif des lobes temporaux,paritaux, occipitaux et frontaux, impliqus dans les fonctions dites suprieures ou instrumentales , comme le langage,l'excution des gestes intentionnels, l'identification visuelle des objets ou des visages ou le raisonnement. Cette marche progressive des lsions explique la chronologie habituelle des troubles. La maladie dbute par des troubles de la mmoire

    pisodique*note, lis une incapacit d'enregistrer et de fixer des informations nouvelles, alors que les faits anciens, consolids,sont plus longtemps prservs. Les troubles de la mmoire peuvent tre longtemps mconnus ou sous-estims en raison de latolrance de l'entourage et d'une compensation des dficits par le patient qui, encore conscient de ses difficults, s'aide en notantses rendez-vous ou les courses faire.

    *LE CORTEX ENTORHINAL et L'HIPPOCAMPE sont les rgions du systme limbique situes la face interne des hmisphres crbraux.*MMOIRE PISODIQUE : ensemble des souvenirs correspondant des pisodes personnellement vcus ou des informations apprises dans un contextetemporel et spatial prcis. La rcupration en mmoire pisodique implique celle du moment et du lieu de l'pisode au cours duquel le souvenir s'est construit.

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    Fig. 1. Distribution des lsions histopathologiques au cours de la maladie d'Alzheimer.

    Le premier stade est dit entorhinal , car les lsions sont confines une seule couche de la rgion entorhinale. Lors du stadeultrieur, les lsions envahissent l'hippocampe, donnant lieu un oubli mesure . Enfin le dernier stade, dit nocortical ,correspond la diffusion des lsions au cortex crbral, gouvernant l'apparition des troubles instrumentaux(1). (D'aprs Braak.1991)

    Apparaissent ensuite un manque du mot, des difficults de l'attention, une diminutiondes capacits conceptuelles et de jugement, attestant de l'extension des lsions vers le cortexassociatif. Le patient devient alors plus indiffrent ses troubles et incapable de les compenser. ce stade, il commence tre plus dpendant d'un entourage qui, alors, prend conscience de sesdifficults. Enfin, le tableau s'aggrave en raison de l'apparition progressive de perturbations des fonctions instrumentales. Le discours spontan est de moins en moins informatif et souventincohrent, la comprhension s'altre, l'expression crite devient inintelligible, le patient a de plus

    en plus de difficults raliser les gestes de la vie courante et se renferme socialement. Uneagitation et des proccupations dlirantes peuvent apparatre, compliquant les relations avecl'entourage et la prise en charge. Avec l'accentuation de la dpendance, le maintien domicilepeut alors poser de grandes difficults. L'institutionnalisation est parfois le seul recours possible(dans 20 % des cas).

    UN DIAGNOSTIC TROP SOUVENT IGNOR*

    Mme si l'on connat maintenant son histoire naturelle, la maladie d'Alzheimer reste sous-diagnostique. On estime lamoiti le nombre de patients qui ne sont pas reconnus comme tels. Plusieurs facteurs peuvent l'expliquer. L'entourage minimisesouvent les troubles en les mettant, tort, sur le compte de l'ge . Le patient lui-mme peut ne pas tre conscient de sesdifficults et ne pas souhaiter entreprendre des dmarches mdicales pour des troubles qu'il dnie. Enfin, les mdecins n'ont pastoujours la formation ni les outils pour objectiver l'atteinte des fonctions intellectuelles. Car le diagnostic de maladied'Alzheimer peut tre difficile poser! La maladie peut, surtout son dbut, tre confondue avec un autre trouble, tout fait

    banal au cours du vieillissement normal: la plainte mnsique. Cette dernire rsulte de la prise de conscience par le sujet d'unediminution de ses capacits de mmorisation dans les situations de la vie quotidienne. La plainte mnsique est frquente: elletoucherait 50% des personnes ge s de plus de 50 ans, mme si le pourcentage de sujets qui se plaignent d'oublis frquentsn'est que de 15% 20%. Il s'agit l d'un trouble subjectif: les tudes systmatiques ont montr l'absence de corrlation entrel'int