Ali Baba et les quarante voleurs. - plateforme de blogs de ...

4
Ali Baba et les quarante voleurs. I1 y avait une fois deux frères qui vivaient en Perse; l’aîné s’appelait Kashim et le cadet Ali Baba. Kashim était un être dur et cupide et pourtant, la chance lui souriait et il avait accumulé les richesses; alors qu’Ali Baba, qui avait le cœur bon, était gueux parmi les gueux. On aurait cru que la chance s’enfuyait devant lui. Quoi qu’ils entreprissent, sa femme et lui, cela ne réussissait jamais. Finalement, il ne lui resta plus rien que le toit qui abritait sa tête, son âne maigre et son esclave noire, Mardjana. Ils arrivaient tout juste à se maintenir en vie. Un jour, Ali Baba prit son courage à deux mains et alla implorer son frère de lui venir en aide : « Viens à mon secours, Kashim, mon très cher frère! Donne-moi au moins une poignée de farine; ou bien un peu de graines de sésame pour nous empêcher de mourir de faim », lui dit-il en gémissant. Mais Kashim lui répondit avec dureté et violence : « Arrange-toi, Ali Baba, je n’ai pas de quoi distribuer aux autres! Si tu veux te procurer de quoi manger, vends ton esclave Mardjana; tu en tireras un bon prix! » « Comment pourrais-je faire une chose pareille, Kashim, mon bon frère? répondit, effaré, le brave Ali Baba. Ma femme et moi l’aimons comme notre fille! Ne me pousse pas à une action si noire! » Mais Karhim ne se laissa pas attendrir et Ali Baba dut revenir les mains vides; il raconta comment Kashim avait voulu qu’il vendît Mardjana et celle-ci lui dit : « Tu as bien fait, Maître ! Tu verras que je saurai acquitter envers toi ma dette de reconnaissance. » Le lendemain matin, Ali Baba s’en fut, sur le conseil de sa maligne servante, chercher du bois pour se faire quelque argent en le vendant au marché. Il travailla dur toute la matinée; quand le soleil devint trop ardent, il se mit, avec son âne, à l’ombre des buissons et s’endormit. Il fut réveillé par le bruit de sabots de chevaux et bientôt apparut une troupe de farouches cavaliers. Ils étaient armés jusqu’aux dents et, dans leurs visages broussailleux, leurs yeux cruels brillaient comme la lame acérée d’un poignard Ali Baba comprit tout de suite qu’il était en présence de voleurs. Ils mirent pied à terre, leur chef s’approcha d’un rocher élevé et dit : « Sésame, ouvre-toi! » A la grande stupéfaction d’Ali Baba, la paroi de pierre tourna en grinçant, et les voleurs, l’un après l’autre, disparurent par la ténébreuse ouverture, portant leur butin. Ils étaient tout juste quarante et, dès que le dernier fut passé, la caverne se referma de la même façon. Ali Baba se sentait des démangeaisons sous les talons, mais finalement, la curiosité l’emporta et il resta dans sa cachette pour voir la suite des événements. Il n’attendit pas longtemps, le rocher s’ouvrit en grondant et les voleurs, avec un cri sauvage, sautèrent sur leurs chevaux. Ils partirent en un galop de tempête. Ali Baba sentit une pierre lui tomber du cœur. Prudemment, il s’approcha du rocher et dit, tout bas : « Sésame, ouvre-toi! » Et le rocher s’ouvrit; Ali Baba n’hésita pas longtemps et s’engagea dans l’ouverture. Il fut accueilli par une lumière aussi vive que celle d’un ciel ensoleillé. La grotte où il était parvenu, et au milieu de laquelle il s’arrêta cloué par l’étonnement, était pleine de pièces d’or, de pierres précieuses, de riches étoffes, de vaisselle d’or et d’argent. L’éclat de toutes ces richesses éblouissait les yeux. Le pauvre homme, sans hésitation, s’empara d’un plein sac de pièces d’or et se dirigea vers la sortie; mais la porte s’était refermée et on ne distinguait plus rien sur la pierre. Ali Baba se rappela la formule mystérieuse et cria : « Sésame, ouvre-toi! » Et la paroi de pierre tourna avec son grondement habituel, libérant Ali Baba. Sa femme ne put en croire ses yeux, quand il étala devant elle tout l’or qu’il avait rapporté. Il y en avait tellement qu’elle n’arriva pas à le compter. Elle s’en fut chez sa belle-sœur, la femme de Kashim, lui emprunter une mesure à blé. Celle-ci, étonnée, lui dit : « C’est avec plaisir que je te prête ma mesure, mais où donc as-tu trouvé du blé? » La femme d’Ali Baba se lança dans des explications si compliquées et si embarrassées que l’autre n’y comprit rien. Intriguée et, sans plus poser de questions, elle enduisit de cire fraîche le fond de la mesure. Toute la nuit, Ali Baba et sa femme mesurèrent leurs trésors inattendus; au matin, quand ils rapportèrent la mesure à la belle-sœur, cette femme rusée y trouva des pièces d’or retenues au fond par la cire. Elle alla conter sa découverte à son mari. Ce cupide avare se rua chez Ali Baba et lui enjoignit : « Dis-moi immédiatement où tu as trouvé une telle quantité d’or qu’il t’a fallu notre mesure à blé pour le compter! Sinon, je vais déclarer au juge que tu es un voleur! » 1

Transcript of Ali Baba et les quarante voleurs. - plateforme de blogs de ...

Page 1: Ali Baba et les quarante voleurs. - plateforme de blogs de ...

Ali Baba et les quarante voleurs.

I1 y avait une fois deux frères qui vivaient en Perse; l’aîné s’appelait Kashim et le cadet Ali Baba. Kashimétait un être dur et cupide et pourtant, la chance lui souriait et il avait accumulé les richesses; alors qu’Ali Baba, quiavait le cœur bon, était gueux parmi les gueux. On aurait cru que la chance s’enfuyait devant lui. Quoi qu’ilsentreprissent, sa femme et lui, cela ne réussissait jamais. Finalement, il ne lui resta plus rien que le toit qui abritaitsa tête, son âne maigre et son esclave noire, Mardjana. Ils arrivaient tout juste à se maintenir en vie. Un jour, AliBaba prit son courage à deux mains et alla implorer son frère de lui venir en aide :

« Viens à mon secours, Kashim, mon très cher frère! Donne-moi au moins une poignée de farine; ou bienun peu de graines de sésame pour nous empêcher de mourir de faim », lui dit-il en gémissant.

Mais Kashim lui répondit avec dureté et violence :« Arrange-toi, Ali Baba, je n’ai pas de quoi distribuer aux autres! Si tu veux te procurer de quoi manger,

vends ton esclave Mardjana; tu en tireras un bon prix! »« Comment pourrais-je faire une chose pareille, Kashim, mon bon frère? répondit, effaré, le brave Ali

Baba. Ma femme et moi l’aimons comme notre fille! Ne me pousse pas à une action si noire! »Mais Karhim ne se laissa pas attendrir et Ali Baba dut revenir les mains vides; il raconta comment Kashim

avait voulu qu’il vendît Mardjana et celle-ci lui dit :« Tu as bien fait, Maître ! Tu verras que je saurai acquitter envers toi ma dette de reconnaissance. »Le lendemain matin, Ali Baba s’en fut, sur le conseil de sa maligne servante, chercher du bois pour se

faire quelque argent en le vendant au marché. Il travailla dur toute la matinée; quand le soleil devint trop ardent, ilse mit, avec son âne, à l’ombre des buissons et s’endormit. Il fut réveillé par le bruit de sabots de chevaux et bientôtapparut une troupe de farouches cavaliers. Ils étaient armés jusqu’aux dents et, dans leurs visages broussailleux,leurs yeux cruels brillaient comme la lame acérée d’un poignard Ali Baba comprit tout de suite qu’il était enprésence de voleurs.

Ils mirent pied à terre, leur chef s’approcha d’un rocher élevé et dit :« Sésame, ouvre-toi! »A la grande stupéfaction d’Ali Baba, la paroi de pierre tourna en grinçant, et les voleurs, l’un après l’autre,

disparurent par la ténébreuse ouverture, portant leur butin. Ils étaient tout juste quarante et, dès que le dernier futpassé, la caverne se referma de la même façon. Ali Baba se sentait des démangeaisons sous les talons, maisfinalement, la curiosité l’emporta et il resta dans sa cachette pour voir la suite des événements. Il n’attendit paslongtemps, le rocher s’ouvrit en grondant et les voleurs, avec un cri sauvage, sautèrent sur leurs chevaux. Ilspartirent en un galop de tempête. Ali Baba sentit une pierre lui tomber du cœur. Prudemment, il s’approcha durocher et dit, tout bas :

« Sésame, ouvre-toi! »Et le rocher s’ouvrit; Ali Baba n’hésita pas longtemps et s’engagea dans l’ouverture. Il fut accueilli par

une lumière aussi vive que celle d’un ciel ensoleillé. La grotte où il était parvenu, et au milieu de laquelle il s’arrêtacloué par l’étonnement, était pleine de pièces d’or, de pierres précieuses, de riches étoffes, de vaisselle d’or etd’argent. L’éclat de toutes ces richesses éblouissait les yeux. Le pauvre homme, sans hésitation, s’empara d’unplein sac de pièces d’or et se dirigea vers la sortie; mais la porte s’était refermée et on ne distinguait plus rien sur lapierre. Ali Baba se rappela la formule mystérieuse et cria :

« Sésame, ouvre-toi! »Et la paroi de pierre tourna avec son grondement habituel, libérant Ali Baba.Sa femme ne put en croire ses yeux, quand il étala devant elle tout l’or qu’il avait rapporté. Il y en avait

tellement qu’elle n’arriva pas à le compter. Elle s’en fut chez sa belle-sœur, la femme de Kashim, lui emprunterune mesure à blé. Celle-ci, étonnée, lui dit :

« C’est avec plaisir que je te prête ma mesure, mais où donc as-tu trouvé du blé? »La femme d’Ali Baba se lança dans des explications si compliquées et si embarrassées que l’autre n’y

comprit rien. Intriguée et, sans plus poser de questions, elle enduisit de cire fraîche le fond de la mesure. Toute lanuit, Ali Baba et sa femme mesurèrent leurs trésors inattendus; au matin, quand ils rapportèrent la mesure à labelle-sœur, cette femme rusée y trouva des pièces d’or retenues au fond par la cire. Elle alla conter sa découverte àson mari. Ce cupide avare se rua chez Ali Baba et lui enjoignit :

« Dis-moi immédiatement où tu as trouvé une telle quantité d’or qu’il t’a fallu notre mesure à blé pour lecompter! Sinon, je vais déclarer au juge que tu es un voleur! »

1

Page 2: Ali Baba et les quarante voleurs. - plateforme de blogs de ...

Epouvanté, Ali Baba livra son secret. Le vieil avare ne lambina pas; emmenant tous les ânes qu’ilpossédait, il se précipita vers la caverne aux richesses.

« Sésame, ouvre-toi! » cria-t-il et la roche s’ouvrit.Il se rua dans la grotte et, tremblant de convoitise, il emplit sac sur sac de diamants et d’or. Mais, quand il

voulut s’en retourner, il ne put retrouver la formule magique. Sous le coup de l’émotion, il avait tout oublié. Ilcriât : « Orge, ouvre-toi! Froment, ouvre-toi! » Rien! Désespéré, il gémit : « Par tous les diables, avoine, ouvre-toi!» Toujours rien! Le malheureux passa en revue tous les grains et toutes les graines, mais une seule ne lui vint pas àl’esprit : le sésame. Tout à coup, la paroi de pierre, comme par magie, s’ébranla et les farouches voleurs firentirruption dans la caverne. Tout de suite, ils virent Kashim et se rendirent compte de ce qu’il était en train de faire.Le chef sortit son poignard et le lui enfonça dans le cœur. Puis il ordonna à sa horde :

« Traînez son cadavre près de l’entrée de la grotte à la vue de tout un chacun. Si quelqu’un d’autre asurpris notre secret, il saura ce qui l’attend! »

Puis les voleurs retournèrent à leurs criminels agissements.La femme de Kashim attendit longtemps le retour de son mari; puis, folle d’inquiétude, elle courut, en

larmes, chez Ali Baba. Celui-ci se précipita vers la grotte secrète. A peine sur son ordre le rocher s’était-il ouvert,qu’il recula, saisi d’horreur. Le corps ensanglanté de son frère gisait devant ses yeux. Ali Baba releva le cadavre eten chargea son âne pour le ramener chez lui et le soustraire aux offenses des misérables qui l’avaient tué.

Mardjana, plus avisée, lui déclara dès son retour : « Tu as commis une imprudence! Dès que les voleurss’apercevront que le cadavre a disparu, ta vie sera en danger! Enterre Kashim sans cérémonie et raconte aux gensqu’il est mort d’avoir bu une eau souillée. »

Ali Baba suivit ses conseils. Après l’enterrement, ils allèrent, sa femme et lui, avec toute leur familles’installer, à la prière de leur belle-sœur, dans la maison de Kashim pour s’occuper de son commerce.

Quand les voleurs s’aperçurent que quelqu’un d’autre avait pénétré dans leur cachette, ils cherchèrent partout le pays à découvrir le dangereux intrus; mais en vain. Alors, le plus rusé d’entre eux, s’en fut, sous undéguisement, flâner par la ville et il ne tarda pas à apprendre et le trépas récent de Kashim et l’étonnantenrichissement de son frère, le pauvre Ali Baba. Il se rendit compte tout de suite qu’il avait trouvé son homme. Ilmarqua d’une croix blanche la maison d’Ali Baba pour que, dans la nuit, les voleurs ne la confondissent point avecune autre semblable demeure, et retourna auprès de son chef, dans la montagne. Mais Mardjana, toujours vigilante,remarqua ce signe étrange; elle n’en comprit pas la signification mais, pour plus de sûreté, répéta la même croix surtoutes les maisons de la rue. Quand, la nuit tombée, les voleurs cherchèrent la maison d’Ali Baba pour le punir deson audace, ils ne purent la trouver. Le chef, fou de rage, condamna à mort l’indicateur malchanceux et ilsl’exécutèrent sur-le-champ. Il en advint de même d’un second espion qui, pour être bien sûr, avait marqué lamaison d’une goutte de son propre sang. Mardjana, qui veillait toujours, s’en aperçut et marqua toutes les autresportes de la rue avec du sang de poisson. De nouveau, les voleurs ne purent accomplir leur noir dessein et l’espionpaya de sa vie leur déconvenue.

Le chef résolut alors de prendre l’affaire en mains. Il chargea sur ses mulets quarante outres en cuir danslesquelles on avait coutume de garder l’huile. Il cacha les trente-huit hommes qui lui restaient dans trente-huit desoutres, et emplit d’huile les deux dernières. Puis, ayant revêtu le costume d’un riche marchand, il se rendit à la villeavec sa caravane de mulets. Il faisait déjà nuit quand les voisins, qui n’eurent aucun soupçon du stratagème,conduisirent le chef des voleurs à la demeure d’Ali Baba. Le chef murmura aux voleurs cachés d’attendre sonsignal et frappa à la porte.

« On m’a parlé de ta richesse, digne Ali Baba! Je suis un marchand d’une contrée lointaine et j’apporte unchargement d’huile d’olive de la meilleure qualité que je voudrais te vendre. Accepte de m’offrir un abri pour lanuit; demain, nous discuterons de cette affaire. »

Ali Baba fit un accueil cordial à cet hôte honorable. Il ordonna à ses serviteurs de déposer les outres dansla cour et introduisit le marchand dans sa maison. Il l’invita à souper et le festin se prolongea fort avant dans lanuit. Cependant, l’esclave Mardjana s’avisa qu’il n’y avait plus d’huile dans la lampe; elle en chercha dans lamaison, mais il n’en restait plus une goutte. Alors, elle se rappela que le marchand étranger en avait tant et plusdans ses outres. Elle prit une cruche, sortit dans la cour et s’approcha de la première outre. Elle entendit alors unevoix qui s’en échappait et qui demandait :

« Chef, est-ce le moment? »La courageuse jeune fille comprit aussitôt de quoi il retournait et chuchota, en déguisant sa voix : « Pas

encore! »Elle répéta son manège auprès de toutes les outres pour savoir combien il y avait de voleurs cachés; elle en

compta trente-huit. Mardjana fut épouvantée. Mais elle rassembla son courage; s’avisant que deux des outrescontenaient réellement de l’huile, elle eut une idée. Elle alluma un grand feu dans la cour, emplit d’huile un grand

2

Page 3: Ali Baba et les quarante voleurs. - plateforme de blogs de ...

chaudron et, quand elle fut bouillante, la versa dans chacune des outres qui recelait un voleur. Les misérablespérirent ainsi, l’un après l’autre.

Puis Mardjana rentra dans la salle du festin, prit son tambourin et dit qu’elle allait danser pour le plaisir decet hôte de marque. Elle avait entendu dire maintes fois que le chef des voleurs possédait un poignard magique quine manquait jamais son coup. Elle se mit à danser et, tout en dansant, s’approchait du chef. Plus près, toujours plusprès, jusqu’à le frôler. Alors, brusquement, elle saisit le poignard qu’il avait caché dans sa manche et, d’un seulcoup, le lui plongea dans le cœur.

Quand Ali Baba se rendit compte à quel effroyable danger il avait échappé, grâce à l’intelligence et aucourage de Mardjana, il lui donna sa liberté en récompense. Puis, peu de temps après, il la maria à son fils.Dorénavant, ils vécurent tous dans un bonheur sans nuage.

Ils ne se soucièrent même pas d’aller chercher les trésors fabuleux de la grotte des voleurs.Peut-être y gisent-ils encore?

3

Page 4: Ali Baba et les quarante voleurs. - plateforme de blogs de ...