ALI-BABA C. I.A. 27

16

Transcript of ALI-BABA C. I.A. 27

Page 1: ALI-BABA C. I.A. 27
Page 2: ALI-BABA C. I.A. 27

ALI-BABA C. I.A. 27

Page 3: ALI-BABA C. I.A. 27
Page 4: ALI-BABA C. I.A. 27

Harry Woodline

Roman d'Espionnage

É D I T I O N S J A C Q U I E R

10, rue J . - R é c a m i e r , LYON

Page 5: ALI-BABA C. I.A. 27
Page 6: ALI-BABA C. I.A. 27

CHAPITRE I

QUAND SURGIT UN SOUVENIR

Karl Kreutzeiger tourna la page de son journal, assura à sa bouche la stabilité de son cigare et poursuivit sa lecture.

Il haussa soudain le sourcil, le mépris arqua ses lèvres minces. Il se retourna vers l'homme appuyé dans l'enca- drement de la haute fenêtre.

— Ludwig ! — Oui, qu'y a-t-il ? grommela l'homme à la fenêtre, sa

voix était basse, rauque, un peu nasillarde. — Viens voir, Messieurs les journalistes parlent déjà de

notre petit ami d'avant-hier. — Montre un peu. Ludwig s'empara de la feuille et prit connaissance de

l'article suivant :

« Accident de montagne sur les pentes du Wildspitze. « Le corps de Jack Lewis, de nationalité américaine,

envoyé spécial du « New-York Times », a été retrouvé hier au soir sur le versant Nord du Wildspitze, parmi les éboulis

Page 7: ALI-BABA C. I.A. 27

de rochers. Le jeune homme avait quitté Salzbourg dans la journée d'avant-hier et avait l'intention de tenter seul l'esca- lade du pic.

«On suppose que, mal entraîné, mal équipé, l'imprudent journaliste a dérapé et, après une chute d'une quarantaine de mètres, s'est écrasé sur les rochers, emmenant dans sa course à la mort de gros blocs de granit dont l'un d'eux lui broya la tête. »

Ludwig rendit calmement le journal à son compagnon en dodelinant un peu du chef.

— Pas mauvaise, n'est-ce pas ma petite idée de lancer quelques cailloux, bien lourds, bien aigus, sur le cadavre ? reprit Karl, sardonique, la mort paraît ainsi tellement plus naturelle, presque une mort de bourgeois.

Ludwig approuva d'un geste, sans sourciller. — C'est tout ce que tu trouves à dire, Monsieur Ludwig

Meitzeiger ? — Je ne trouve rien à critiquer, tout est bien ainsi, que

pourrais-je avoir à ajouter ? Tu ne veux tout de même pas que des compliments, non ?... La belle affaire que de tuer proprement un homme, nous avons appris et la guerre et la guérilla, il me semble ?

Karl haussa les épaules. — Tu as raison après tout. Ludwig s'approcha de la table et s'empara d'une chope,

encore à demi-pleine. — Qui est de garde aujourd'hui ? dit-il. — Friedrich en personne et trois hommes. Ludwig engloutit la bière mousseuse. — Cela suffit, il me semble ? reprit Karl. — Certainement.

Karl déploya à nouveau son quotidien, Ludwig essuya ses lèvres de sa grosse patte velue et retourna lentement à la fenêtre, s'appuya à l'espagnolette.

Un quart d'heure se passa. Deux coups discrets reten- tirent soudain à la porte.

— Oui, entrez, grogna Karl.

Page 8: ALI-BABA C. I.A. 27

Un homme parut, un barman en veste blanche, comme il en existe au monde des milliers d'exemplaires : papillon noir englué au plastron amidonné comme un gros insecte dans une assiette de lait, la serviette collée à l'aisselle.

— Qu'est-ce que c'est, Heinrich ? bougonna Karl. — Un client au bar, qui vous demande, mon lieutenant. — A-t-il dit son nom ? — Oui, mon lieutenant, il a prétendu se nommer Jimmy

Key, un Anglais ou un Américain, il se dit en vacances et assure vous connaître.

Karl regarda Ludwig qui s'était soudain retourné. Il y eut un silence.

— Jimmy Key, murmura Karl pensif, cela me dit quel- que chose en effet, mais quoi ?... C'est bien, Heinrich ! je descends.

Le barman se retira. Ludwig s'approcha en traînant les pieds, une lueur mauvaise à l'œil.

— Tu vas recevoir ce type, dis, Karl ? — Pourquoi pas ? — Je ne crois pas que ce soit prudent... Peut-être nous

ont-ils repérés et ce type vient en reconnaissance. — Dans ces conditions, il serait plus imprudent encore

de l'éconduire et puis je ne vois guère d'autre moyen pour savoir ce que ce bonhomme a dans le ventre.

— Crois-moi Karl, c'est un agent de l'Intelligence Service ou de la Central Intelligence Agency...

— Ou un inspecteur de la police fédérale, déguisé en Anglo-Saxon, raison de plus de chercher à localiser l'adversaire.

Karl se leva sans hâte et se dirigea vers la porte. Ludwig enfonça ses poings dans ses poches d'un geste de mauvaise humeur.

— Je descends avec toi, maugréa-t-il. — Si tu veux, mais je préférerais que tu restes ici. — A ta guise. Karl descendit l'escalier de bois, tortillé en colimaçon,

et pénétra dans la salle de brasserie.

Page 9: ALI-BABA C. I.A. 27

Très curieuse, cette salle où les traditions teutonnes et le rutilement des chromes du X X I siècle, se mélangeaient avec plus de pittoresque que de goût.

Quatre piliers carrés, chamarrés de sculptures compliquées, montaient haut rejoindre le plafond jauni, encrassé par la fumée échappée aux pétuns en porcelaine des sept ou huit générations de solides buveurs de bière qui s'étaient relayés là, autour des lourdes tables de chêne, constellées, sur leurs bords, de clous à larges têtes de cuivre. Des boiseries patinées masquaient entièrement les murs. De loin en loin, perchées à d'étroites étagères, sommeillaient d'énormes chopes, toutes casquées du couvercle d'étain, et dont la faïence se bleuissait de fleurs naïves.

Au beau milieu de ce décor, éclatait un flamboiement anachronique de métal poli, de glaces, de bouteilles — les unes ventripotentes, les autres effilées, drapées d'étiquettes aux teintes agressives — où le barman, impassible, agitait ses shakers, devant une haie de tabourets chapeautés de cuir rouge.

A droite de la porte d'entrée, un homme fumait tran- quillement, en tête à tête avec un verre de bière. Grand, large d'épaules, nanti d'un visage sympathique de poupon rose prématurément jeté dans le monde adulte, il inspirait, dès l'abord, un sentiment de cordialité enjouée.

Karl Kreutzeiger scruta longuement l'inconnu... Puis la mémoire lui revint, il situa le personnage dans le temps.

Il avait fait sa connaissance avant la fin de la guerre,

par une de ces nuits bizarres, vibrante du ronron des bom- bardiers géants et du fracas de la flack, où l'éclatement des obus stimulait au ciel des étoiles filantes et où la lueur des incendies gigantesques teintait d'immenses halos pourpres la pureté diamantée du clair do lune, une de ces nuits dont la rosée matinale était faite de sang et de larmes.

Karl, alors le lieutenant Kreutzeiger de la Luftwaffe, se trouva pris ce soir-là sous le feu d'une superforteresse. Gravement touché, son appareil s'enflamma tout à coup et piqua, à mort. Karl s'arracha comme il le put de sa car-

Page 10: ALI-BABA C. I.A. 27

lingue et bascula dans le vide, à demi-suffoqué par la fumée, les et la poitrine brûlées. Il ne sut jamais comment son parachute s'ouvrit et, lorsqu'il reprit con- naissance, les cordelettes de son « pépin », enchevêtrées dans les branches d'un arbre, le maintenaient à cinq mètres au-dessus du sol.

En bas, une trentaine de pas plus loin, une aile tordue et quelques éléments de carcasse, écrasés, déchiquetés, émer- geaient d'un vaste entonnoir où ils achevaient de se consu- mer. Il crut tout d'abord qu'il s'agissait là des débris de son propre Messerschmidt. Bientôt, il discerna mieux l'épave, l'identifia comme étant un avion de l'U. S. Air Force, pro- bablement démantelé par une salve antiaérienne et venu s'écraser là. Tout à coup, il s'entendit interpeller en anglais. Il avait jeté ses regards un peu partout avant de discerner une silhouette, au pied même de l'arbre. Il grommela quel- ques vagues insultes en gigotant de plus belle au bout de ses ficelles. L'aviateur yankee grimpa tranquillement dans les branches et, après de longues et périlleuses manœuvres réussit à tirer Karl de sa fâcheuse position.

L'Américain réconforta d'abord l'Allemand de son mieux, puis l'aida à marcher jusqu'à la maison la plus proche.

Ce chevaleresque ennemi se nommait Jimmy Key, sous- lieutenant navigateur, et il ressuscitait aujourd'hui du passé. C'était bien Jimmy Key, ce touriste calme, à l'œil amusé, qui trempait méticuleusement ses lèvres dans la mousse onctueuse débordant de sa chope.

Karl s'avança vivement, la main tendue. Jimmy l'aperçut et vint à sa rencontre.

— Mon vieux Karl ! — Jimmy ! Je suis heureux de te voir. Les deux hommes se congratulèrent chaleureusement, sans

arrière-pensée. — Que fais-tu ici, Jimmy ? reprit Karl en entraînant

fraternellement par le bras son ennemi d'hier. — Mon métier, mon cher ami. Karl eut une seconde d'hésitation.

Page 11: ALI-BABA C. I.A. 27

— C'est-à-dire ?

— Je suis journaliste, je travaille pour le « New-York Herald ». J'étais avant-hier à Salzbourg. Là-bas, un hôtelier m'a recommandé le « Tyroler Reisender », si j'allais à Innsbrück ; il a même ajouté : « Cette maison appartient à un certain Karl Kreutzéiger, un chic type, et le meilleur traiteur de la ville. ». Je n'ai plus eu, dès lors, qu'une envie : m'assurer que ce certain Kreutzeiger, Karl de son prénom, était bien le Kreutzeiger que je connaissais, et me voici.

— Tu es très gentil et je t'en remercie très sincèrement. — C'était très naturel.

Karl s'assit en face de Jimmy. — Qui t 'a parlé de moi à Salzbourg — Hans Schneider, un honorable cabaretier. — Ah !... ce vieil Hans, c'est un grand ami et son hôtel,

la « Golder Lorelei » est certainement le plus moderne de Salzbourg.

— Décidément, vous vous décernez mutuellement des certificats dithyrambiques, s'écria Jimmy en riant.

— Hans est un grand ami et d'ailleurs cela est vrai. Dis- moi, changeons un peu d e sujet, de quoi entretiens-tu tes lecteurs du « New-York Herald » ?

— De l'Autriche en général, du Tyrol et des valses vien- noises en particulier.

Karl éclata de rire, ses craintes semblèrent se dissiper. Il heurta joyeusement ses paumes l'une contre l'autre.

— Heinrich ! deux scotchs. Je suppose, Monsieur Key, que tu aimes toujours le whisky ?

— Naturellement.

— Alors buvons et parlons. Une heure passa, consacrée à l'évocation de leurs sou-

venirs communs... Et quand un aviateur rencontre un autre aviateur, surtout lorsque le destin les a déjà réunis une fois e t ce dans des conditions particulièrement critiques... le temps perd de sa valeur.

— Tu ne vas pas te sauver ainsi, dit soudain Karl, je ne

Page 12: ALI-BABA C. I.A. 27

te pardonnerai pas de refuser ma table et mon toit et si je puis te rendre service, parle.

Jimmy présenta son étui à cigarettes. — Tu es très gentil, j'ai justement l'intention de demeurer

quelques jours à Innsbrück et je recherche à la fois gîte et couvert.

— Et tu te figures que je vais t'indiquer un bon hôtel ? grommela Karl, simulant la mauvaise humeur.

— C'est un peu cela. — Je ne t'indiquerai rien du tout. — Tiens... pourquoi ? — Mais parce que je te défends de mettre les pieds

ailleurs que chez moi, tout simplement, avec ordre à mon personnel de refuser le règlement de n'importe quelle consommation.

— Mais j 'ai peur... — C'est donc une affaire entendue, coupa Karl, jovial. — Merci. Les deux hommes se levèrent.

— Je vais te faire conduire chez toi, reprit Karl, et te présenter à mon associé, Ludwig Meitzeiger.

Tout cela fut fait et Jimmy installé dans une chambre, sinon somptueuse mais extrêmement coquette, embaumée du parfum des paquets de lavande disséminés, çà et là, dans le placard, les tiroirs qui de la commode, qui du petit secrétaire aux pieds savamment torsadés.

Ces détails réglés, Karl conduisit Jimmy vers la petite, salle à manger où devait être servi le déjeuner.

L'Allemand arrêta son ami avant de franchir le seuil. — Jimmy, j 'ai l'habitude d'admettre ma caissière à ma

table, peut-être l'as-tu remarquée tout à l'heure dans la salle ?

— J'avoue ne pas l'avoir remarquée mais admirée, c'est une fille splendide.

Karl fronça à demi le sourcil. — Je te l'accorde. Elle est la veuve inconsolable d'un

feld-webel des sections d'assaut S. S. Elle est à la fois /

Page 13: ALI-BABA C. I.A. 27

charmante et, moralement, merveilleuse. J'espère que sa présence ne te gênera pas.

Jimmy Key répondit à cette invite à la modération en laissant retomber une grande tape amicale sur l'épaule de son camarade.

Ils pénétrèrent dans la salle à manger. Morne, renfrogné, Ludwig, déjà vautré sur une chaise faisait symétrie avec le gros pâté de foie tristement affaissé sur son plat, au centre de la t a b l e . .

— Je vais prévenir Martha, murmura Karl, ma caissière, Martha Eiskreiser.

Il appuya sur un bouton électrique encastré dans un coin du chambranle.

Martha les rejoignit bientôt. L'Américain serra vigou- reusement la main fluette qu'elle lui tendit et, tout en sacri- fiant sur l'hôtel de la mondanité les phrases banales d'une présentation, il détailla la jeune femme d'un regard admiratif.

Trente ans... peut-être moins, cértainement guère plus, mais la -plénitude charnue d'une féminité épanouie avec l a transparence de teint de l'extrême jeunesse. Une généreuse chevelure atteignait les épaules en longues ondulations sou- ples avec lesquelles la blondeur chaude s'irisait de reflets d'or rouge. La bouche, petite, carminée, sans apprêt, souriait à demi et atténuait l'expression de tristesse des grands yeux limpides. Elle portait une robe de lainage, noire, très simple. Une large ceinture de cuir enserrait la taille ronde, accentuait le rebond dodu des hanches et l'étroit décolleté pointu s'ar- rêtait à la naissance de la gorge ferme.

Page 14: ALI-BABA C. I.A. 27

CHAPITRE I I

EN TROIS TABLEAUX

Jimmy Key entra dans sa chambre. Il jeta un coup d'œil d'ensemble, puis il examina le placard, le cabinet de toilette et se pencha pour regarder sous le lit.

Ceci fait, il se déshabilla tranquillement et retourna à la porte donner deux tours de clef.

I l alluma une cigarette, s'enveloppa de son épaisse robe de chambre et, ayant coupé l'électricité au plafonnier, il vint s'accouder à la fenêtre qu'il ouvrit doucement.

Il aperçut, en bas, la cour intérieure du « Tyroler Rei- sender », un mur, en face, et, par-dessus le mur, une partie des toits d'Innsbrück, fondus en une seule masse sombre, sous la demi-clarté poudreuse et glauque de la lune, enfouie paresseusement sous un édredon de nuages légers et trans- lucides.

— Me voici dans la place, grommela Jimmy. Il se massa le front, le menton ; l'air frais de la nuit

l'aida à remettre en ordre ses idées un peu lâchées en

Page 15: ALI-BABA C. I.A. 27

tirailleurs dans le brouillard né et du champagne versé par Karl et des sourires mélancoliques de la merveilleuse Martha.

Jimmy avait quitté New-York huit jours plus tôt, sur l'ordre du capitaine Righting, l'un des as de la Central Intel- ligence Agency. Il avait pour mission de rejoindre, à Salz- bourg, Jack Lewis, un autre virtuose des services de rensei- gnements extérieurs américains, déguisé en journaliste, lui aussi. L'objectif des deux hommes était de localiser les mystérieuses grottes du Tyrol, de part et d'autre des fron- tières italienne et autrichienne, où s'entassaient les bijoux et les banknotes du régime nazi et de vérifier si un dernier carré de fanatiques exerçait encore, oui ou non, une sur- veillance effective sur ces trésors. L'indicatif de la mission était Ali-Baba C. I. A. 27.

Un premier sondage des réseaux américains avait permis d'avancer des noms, ceux de Karl Kreutzeiger, ancien officier de la Luftwaffe et de Hans Schneider, ex-responsable de la section du parti hitlérien de Münich. Les deux hommes étaient très amis, ils exerçaient tous deux le paisible métier de restaurateurs-hôteliers, l'un à Innsbrück, l'autre à Salz- bourg et, disaient les rapports, l'un ou l'autre, ou peut- être les deux en tandem, pouvaient parfaitement être les chefs des maquisards allemands.

Le capitaine Righting, dont la mémoire était légendaire, fit rechercher la fiche du lieutenant-aviateur Kreutzeiger. La fiche existait en effet et la raison de sa création était que Herr Kreutzeiger était connu du sieur Jimmy Key, lieu- tenant hors cadre de la Central Intelligence Agency, pré- sentement détective privé à Chicago, et, autrefois, sous-lieu- tenant navigateur dans l'U. S. Air Force.

Jimmy fut donc exporté à Salzbourg, auprès de Hans Schneider avec mission d'obtenir de celui-ci, pour commencer, une recommandation auprès de Kreutzeiger, histoire de ne pas débarquer directement chez lui et, en y arrivant, donner, l'impression du parfait hasard. Ensuite, Jimmy avait l'ordre de- se concilier les bonnes grâces de Kreutzeiger et d'arri- ver jusqu'aux grottes... si possible.

Page 16: ALI-BABA C. I.A. 27

Parallèlement, il était convenu que Jack Lewis s'occuperait de Hans Schneider.

Lewis ne vint pas au rendez-vous qui avait été fixé avec Jimmy, dès l'arrivée de celui-ci au Tyrol et, vingt-quatre heures après que le détective eut pris pied à Salzbourg, il apprenait la mort de Lewis, vraisemblablement parti seul en reconnaissance.

Jimmy recueillit peu d'indices durant son séjour à la ta- verne de Schneider. Il y avait certes constaté quelques allées et venues de personnages étranges, dont deux ou trois juifs cossus, aux cols de veste usés, mais il s'avérait difficile de faire un rapprochement entre ces visiteurs à allures de courtiers en tractations oiseuses, et l'affaire elle-même, compte tenu, en outre, de la faune hétéroclite qui hante brasseries et bars dans toutes les villes un peu importantes du monde.

— Conclusion pratique, gronda Jimmy, je suis mainte- nant seul pour jouer la partie. En ce qui concerne ce malheureux Jack, j'admets difficilement la thèse de l'accident tout bête ; quelqu'un l'a tué, mais qui et pourquoi et parce qu'il avait appris quel mystère, cela c'est la bouteille à l'encre.

Il expira violemment la goulée de fumée qu'il venait de tirer sur sa cigarette.

— L'associé de Karl ne semble pas me tenir en grande estime, continuait le détective, ce gros mangeur de chou- croute se méfie de moi, j 'en suis sûr. Reste Marthà, la belle Martha. De qui est-elle la maîtresse ? de Karl ou de Ludwig ? et pourquoi n'habite-t-elle pas ici même ? Karl m'a dit tout à l'heure qu'elle logeait à un kilomètre du « Tyroler ».

Il rêva encore quelques minutes, puis haussa nerveusement les épaules.

— Ouin, nous verrons. Donc, au programme de mes réjouissances figurent trois points. Primo, observer ce qui se passe chez Karl et agir en conséquence. Secundo, aller voir moi-même au lieu où Jack a été assassiné, au Wildspitze. Tertio, savoir à partir de quels indices Jack a été là-bas...

Mais pour enquêter à ce sujet, avec le minimum de danger,