Albert Caraco

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Que d’hommes qui se cachent ! La masse des hommes s’abîmerait dans la folie mystique pour donner un sens à sa misérable vie, les hommes ayant soif de consistance et faim de permanence. Le mal n’est pas d’avoir des préjugés, sans quoi les hommes tombent dans le pire, mais de n’avoir les bons. L’on sait désormais ce qu’elle préféra, la nation vit de légendes désormais : légende la victoire qu’il n’avait remportée, et cette résistance, et son empire. Untel aura passé sa vie à monter des spectacles dont les journaux ne soufflent mot et qui, pourtant, ne manquent d’amateurs et des plus riches. Je dis qu’il faut se regarder avec les yeux des autres : qui s’y refuse, leur a déclaré la guerre, il leur a montré sa haine et son mépris, il recevra leur mépris et leur haine, c’est un prêté-rendu. Le courage intellectuel veut en premier la solitude et quand la solitude manque et que les solitaires tombent dans le ridicule, la nation n’est plus qu’un amas de valets, où l’on ne sait ce qu’il faut mépriser d’abord, les maîtres assez malheureux pour commander à des espèces ou les sujets assez ignobles pour ne relever que des tyrans. 73 Il n’est pas raisonnable d’être malheureux, le fanatisme seul nous en console et l’on présume que le solitaire est intellectuellement un fanatique, il est vrai, de la bonne cause.

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Que dhommes qui se cachent!La masse des hommes sabmerait dans la folie mystique pour donner un sens sa misrable vie, les hommes ayant soif de consistance et faim de permanence. Le mal nest pas davoir des prjugs, sans quoi les hommes tombent dans le pire, mais de navoir les bons. Lon sait dsormais ce quelle prfra, la nation vit de lgendes dsormais: lgende la victoire quil navait remporte, et cette rsistance, et son empire.Untel aura pass sa vie monter des spectacles dont les journaux ne soufflent mot et qui, pourtant, ne manquent damateurs et des plus riches. Je dis quil faut se regarder avec les yeux des autres: qui sy refuse, leur a dclar la guerre, il leur a montr sa haine et son mpris, il recevra leur mpris et leur haine, cest un prt-rendu. Le courage intellectuel veut en premier la solitude et quand la solitude manque et que les solitaires tombent dans le ridicule, la nation nest plus quun amas de valets, o lon ne sait ce quil faut mpriser dabord, les matres assez malheureux pour commander des espces ou les sujets assez ignobles pour ne relever que des tyrans. 73 Il nest pas raisonnable dtre malheureux, le fanatisme seul nous en console et lon prsume que le solitaire est intellectuellement un fanatique, il est vrai, de la bonne cause. La solitude nest point une cole, et lon a regret le dire, leur imitation ne sera jamais quun prodige.Ce chemin serait par trop long, les variations par trop sensibles, le dpaysement par trop dmesur pour quil nous soit licite de linclure dans un calcul de probabilit. Un nouveau Classicisme est prsent inconcevable, nous sommes condamns devenir baroques et nous le resterons jusquau moment o nous repenserons le monde, puisant un futur sem de paradoxes. Plus nous savons de nous et moins nous avons dassurance, car nous nous enfonons chaque pas en de nouvelles quivoques, qui semblent luvre de nos certitudes mmes. 21Les gazetiers ne savent pas lHistoire, ils prennent les vnements comme ils les trouveront au jour la journe, mais ils ne remonteront pas leur gense, ils accrditent le changeant, le persistant nest plus de leur ressort et manque du second, le premier naura point de consistance.Tel peuple engendre lordre et la richesse, tel le dsordre et la misre; tel prvoit, calcule et raisonne, o tel se laisse aller, quitte se plaindre et par un comble daberration jouir de ses maux, en approuvant ses fautes.Le philosophe part du fait et le fait le contente, le rveur imagine lhypothse la plus gratuite, comme de supposer le riche pauvre, le sain malade et le bel homme aussi laid que possible.Chacun voudrait tre lunique sa manire et peser en modle, ces deux prtentions-l sont insoutenables, elles sexcluent dailleurs, un homme unique nous pouvant tre imit. La libert commence avec les formes et sans les formes elle ne subsiste, la libert sappuie des rgles et sans les rgles elle naboutit rien, la libert sera la fleur de lordre, malgr les abus quil emporte: aussi lartiste aura-t-il vis--vis de lordre comme un devoir de gratitude. A lgard du sommeil, il le mprise et ce lui parat une trange chose quune vie voue au nant.Hors de lintemporel, il nest de beaut ni de politesse, un homme engag dans le temps nest quun esclave et lorsque les esclaves font la loi, nous dclinons par dinfaillibles consquences. La politesse est une Grce au fort dune Nature constante, lombre de ces vertus que nous naurons jamais et la promesse de ces biens que nous esprons toujours, lart de tenir les autres distance en nencourant leurs haines et de les prvenir en chappant leurs ddains. Si jcrivais comme tout le monde, jaurais eu des lecteurs, mais que mon style refroidit les gens, les loigne, et les effarouche. Sincommoder pour ne jamais incommoder,voil la quintessence de la politesse. Il persiste vouloir rgenter un pays qui se dsassemble en consquence de ses fautes. Jaurai pass ma vie garder le silence et jtais n pour dire quelque chose, il ne me reste qu lcrire en mesurant la part dabsurdit que lvidence emporte. Dieu! Que le monde est laid! Comme il y fait mal vivre! et que les gens manquent de charit, ds lors quils plantent des enfants, qui ny seront pas plus heureux queux-mmes! Ne jamais regarderla moindre femme, tel est le commencement de la sagesse. Cest par les formes que nous communiquons et leur absence prouve que nous hassons les autres, ici la ngligence devient criminelle et nul dieu ne nous sauvera de la fureur des hommes. Le philosophe, tout en plaignant les victimes, voudrait quelles fussent plus aimables, il sent quelles y gagneraient beaucoup en dernire analyse et cest ce que les raisonneurs affectionnent dignorer la mine que lon a nest pas sans influence, la laideur est un chtiment anticip. Comme le Racisme nous agre, quand il nous avantage, nous organisons sa dfense au du de nous-mmes. Ladministration des choses fera de nous des choses, les choses nont besoin de lois, elles dferlent des mouvements automatiques. Le plus trange est que ces fanatiques se passent de vertus et tellement que la plupart nen en ont aucune: ils fourbent, mentent, pipent et subornent, ils ne font rien et ce quils font, ils le font mal, mais ils dclareront avec emphase quils aiment leur patrie, cet amour vhment met leur conscience en repos, cest une comdie o lon grimace et trmousse. La femme que le peintre et le pote auront pris pour modle est mes yeux infiniment plus adorable en consquence de leurs uvres qu raison de sa personne, elle nest point sujette lhorreur de la finitude. Mauvais est le devoir et le plaisir mauvais, les deux sopposent sur la scne et lon devine quils sembrassent, le rideau baiss. Lon ne se sauve quen se sauvant de lhumanit, la platitude nous menace ailleurs ou bien ce sont les louches complaisances. Les hommes sont plaindre et si lon veut mpriser, non pas racheter. Les hommes valent mieux que ce quils font, les hommes sont les matres de leurs fins, non les esclaves de leurs instruments. 16Depuis des sicles on a prch contre lindcence, jamais contre la violence, mais les raisons que lon avait sont devenues atroces et fragiles, atroces en vertu de nos moyens, fragiles au regard de nos lumires. 20La luxure est bte pleurer, laide frmir et misrable soulever le cur, ceux qui sy livrent sont des automates uss dans linachvement quils perptuent. Car le public ignore les donnes essentielles et trop de fois les noncs, de mme quil oublie les pralables historiques de nos paradoxes.Inconsolables, nous le sommes dtre libres.Cela se nomme en beau langage, la qute de salut et ce me parat lart de sortir de lhumanit. Cest trop que de leur demander la prvision de mort, ft-elle inscrite dans la mcanique des moyens et la lt-on, pour ainsi dire, entre les lignes. Lorsquelles [les lites] manquent au tableau, la langue dgnre et ce me semble lun des premiers signes: ou ceux den haut ne croient plus leur mission, ou ceux den bas refusent de leur obir, cest toujours mauvais signe, quand les modles, au lieu de descendre, montent. Entre un pays et le nant, llite fait la diffrence. 81