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tudier et évaluer des programmes spécifiquement conçus pour réduire les risques de récidive liés à des formes particulières de conduite criminelle. Ce sont des études de ce type qui sont en cours de développement en Suède et qui sont le principal objet de cet article. Des programmes de prévention de la récidive en cours de développement Depuis le début de l’année 2000, le Service pénitentiaire et proba- tionnaire suédois a investi dans des projets nationaux de recherche sur la prévention de la récidive. Les programmes de traitement décrits dans cet article ont été développés principalement au Canada et en Angleterre. Avant d’être utilisés en Suède, ils doivent être approuvés par un conseil scientifique consultatif indépendant qui les a examinés en vue de déterminer leur efficacité. C’est la première étape dans le développement de programmes basés sur des preuves empiriques et conçus pour inciter les détenus et les probationnaires à parvenir à une vie respectueuse des lois dans la société. De tels programmes de changement ont de plus grandes chances d’atteindre leur objectif s’ils sont mis en œuvre dans le cadre d’un système pénal juste, équitable et humain. Aperçu des particularités du cadre répressif suédois Une tradition suédoise de longue date consiste à chercher à procé- der à l’emprisonnement de façon juste, équitable et humaine. En raison des effets néfastes de celui-ci, a aussi été accepté le prin- cipe selon lequel l’emprisonnement, quoique nécessaire, doit être utilisé aussi modérément que possible. Depuis 1994, la loi suédoise permet que les courtes peines de pri- son (actuellement jusqu’à six mois) soient exécutées au sein même de la société, avec une prise en charge intensive. Cette prise en De la prévention de la récidive Ces dernières années, le constat du succès des trai- tements basés sur la psychologie cognitive a conduit à des travaux de recherches approfondies sur la pré- vention de la récidive, travaux initiés par le Canada et poursuivis dans d’autres pays. La France connaît un intérêt et une curiosité croissants pour ces méthodes depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande et de son gouvernement. Cependant, le rapport largement diffusé sur la politique pénale française – rapport intitulé « Pour une politique pénale efficace, innovante et respectueuse des droits » – relève à juste titre que les études empi- riques détaillées, qui caractérisent ces travaux dans beaucoup d’autres pays, n’existent pas en France. La législation française sur la prévention de la récidive reprend la terminologie des développements cana- diens mais est à la traîne s’agissant de la pratique, en raison de l’absence totale d’études quant à leur impact sur la criminalité en France (ministère de la Justice 2012, point1b, J.-C. Bouvier et V. Sagan). Les études presque universelles décrivant les effets néfastes de l’emprisonnement et démontrant que la prison traditionnelle augmente presque toujours le risque de récidive ont été examinées en France sous l’impulsion de quelques chercheurs 2 . Mais étudier en quoi il est préférable d’user de l’in- carcération avec parcimonie pour éviter le risque de hausse de la récidive n’est pas la même chose qu’é- (1) Dans cet article, l’auteur exprime uniquement des opinions per- sonnelles. (2) A. Kensey, F. Lombard et P. V. Tournier, Aménagements des peines d’emprisonnement et récidive dans le département du Nord, 2002, et Sanctions alternatives à l’emprisonnement et récidive : observation sui- vie sur cinq ans, Ministère de la Justice, Administration pénitentiaire, coll. Travaux & Documents, 70/2006. Avril 2013 AJ Pénal Pratiques et professions Pratiques 199 L’ÉVALUATION DES PROGRAMMES SUÉDOIS DE PRÉVENTION DE LA RÉCIDIVE : TRAVAUX EN COURS 1 La Suède a commencé à travailler depuis quelques années sur les programmes de réinsertion et de lutte contre la récidive évalués scientifiquement. La démarche et les méthodes d'évaluation utilisées pourraient être source d'inspiration pour les autorités françaises qui sont invitées par le jury de la Conférence de consensus à inscrire la politique d'évaluation de prévention de la récidive dans un pro- gramme d'évaluation interministériel. par Norman Bishop Ancien responsable du service recherche et développement de l’administration des prisons et de la probation suédoise Olivier Martineau Traduction, élève avocat, EFB Paris

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tudier et évaluer des programmes spécifiquement conçus pourréduire les risques de récidive liés à des formes particulières deconduite criminelle. Ce sont des études de ce type qui sont encours de développement en Suède et qui sont le principal objet decet article.

■ Des programmes de prévention de larécidive en cours de développement

Depuis le début de l’année 2000, le Service pénitentiaire et proba-tionnaire suédois a investi dans des projets nationaux de recherchesur la prévention de la récidive. Les programmes de traitementdécrits dans cet article ont été développés principalement auCanada et en Angleterre. Avant d’être utilisés en Suède, ils doiventêtre approuvés par un conseil scientifique consultatif indépendantqui les a examinés en vue de déterminer leur efficacité. C’est lapremière étape dans le développement de programmes basés surdes preuves empiriques et conçus pour inciter les détenus et lesprobationnaires à parvenir à une vie respectueuse des lois dans lasociété. De tels programmes de changement ont de plus grandeschances d’atteindre leur objectif s’ils sont mis en œuvre dans lecadre d’un système pénal juste, équitable et humain.

■ Aperçu des particularités du cadre répressif suédois

Une tradition suédoise de longue date consiste à chercher à procé-der à l’emprisonnement de façon juste, équitable et humaine. Enraison des effets néfastes de celui-ci, a aussi été accepté le prin-cipe selon lequel l’emprisonnement, quoique nécessaire, doit êtreutilisé aussi modérément que possible.Depuis 1994, la loi suédoise permet que les courtes peines de pri-son (actuellement jusqu’à six mois) soient exécutées au sein mêmede la société, avec une prise en charge intensive. Cette prise en

■ De la prévention de la récidiveCes dernières années, le constat du succès des trai-tements basés sur la psychologie cognitive a conduità des travaux de recherches approfondies sur la pré-vention de la récidive, travaux initiés par le Canadaet poursuivis dans d’autres pays. La France connaîtun intérêt et une curiosité croissants pour cesméthodes depuis l’arrivée au pouvoir de FrançoisHollande et de son gouvernement. Cependant, lerapport largement diffusé sur la politique pénalefrançaise – rapport intitulé «  Pour une politiquepénale efficace, innovante et respectueuse desdroits » – relève à juste titre que les études empi-riques détaillées, qui caractérisent ces travaux dansbeaucoup d’autres pays, n’existent pas en France. Lalégislation française sur la prévention de la récidivereprend la terminologie des développements cana-diens mais est à la traîne s’agissant de la pratique,en raison de l’absence totale d’études quant à leurimpact sur la criminalité en France (ministère de laJustice 2012, point1b, J.-C. Bouvier et V. Sagan).Les études presque universelles décrivant les effetsnéfastes de l’emprisonnement et démontrant que laprison traditionnelle augmente presque toujours lerisque de récidive ont été examinées en France sousl’impulsion de quelques chercheurs 2.Mais étudier en quoi il est préférable d’user de l’in-carcération avec parcimonie pour éviter le risque dehausse de la récidive n’est pas la même chose qu’é-

(1) Dans cet article, l’auteur exprime uniquement des opinions per-sonnelles.

(2) A. Kensey, F. Lombard et P. V. Tournier, Aménagements des peinesd’emprisonnement et récidive dans le département du Nord, 2002, etSanctions alternatives à l’emprisonnement et récidive : observation sui-vie sur cinq ans, Ministère de la Justice, Administration pénitentiaire,coll. Travaux & Documents, 70/2006.

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L’ÉVALUATION DES PROGRAMMES SUÉDOISDE PRÉVENTION DE LA RÉCIDIVE : TRAVAUX EN COURS 1

La Suède a commencé à travailler depuis quelques années sur les programmes de réinsertion et delutte contre la récidive évalués scientifiquement. La démarche et les méthodes d'évaluation utiliséespourraient être source d'inspiration pour les autorités françaises qui sont invitées par le jury de laConférence de consensus à inscrire la politique d'évaluation de prévention de la récidive dans un pro-gramme d'évaluation interministériel.

par Norman BishopAncien responsable du service recherche et développement de l’administration des prisons et de la probation suédoiseOlivier MartineauTraduction, élève avocat, EFB Paris

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charge est assurée par le service de probation. Les délinquantsplacés sous ce régime ont la permission de s’engager dans unesérie d’activités normales mais étroitement planifiées en ce quiconcerne l’horaire de ces activités. Dans ce cadre, l’intéressé estplacé sous contrôle électronique.Selon la section 4 de la loi sur l’emprisonnement 3, les délinquantscondamnés qui entrent en prison doivent « être traités avec respectpour leur individualité en tant qu’êtres humains et avec compré-hension pour les difficultés liées à la privation de la liberté ».En règle générale, les prisons suédoises sont relativement petiteset ne sont pas surpeuplées. Elles offrent un large éventail de pro-grammes éducatifs et professionnels. Les détenus ont le droit deconstituer entre eux des comités pour discuter des problèmes col-lectifs avec la direction de la prison. Les personnes détenues béné-ficient d’importantes opportunités de sorties et de visites.Dans l’optique de faciliter la transition de la vie en prison à cellede libre citoyen, la libération conditionnelle est accordée automa-tiquement après l’exécution des deux tiers des peines fixes. S’agis-sant de la peine de prison à perpétuité, la décision d’accorder ounon la libération conditionnelle est prise par un tribunal de pre-mière instance ad hoc. Si le tribunal décide de l’accorder, elle com-mue la peine de prison à vie en une peine fixe d’un nombred’années déterminé. La règle des deux tiers pour déterminer ladate de la liberté conditionnelle est ensuite appliquée.En cas de grave mauvaise conduite, le détenu peut être transférédans un autre établissement pénitentiaire, souvent davantagesécurisé. Les sanctions disciplinaires d’usage consistent en unavertissement et un réexamen, peu avant ladate de la libération conditionnelle, de laconduite de l’intéressé pendant l’intégralité deson séjour en prison, afin de déterminer si unreport de la libération conditionnelle est justi-fié. Pendant le réexamen, le détenu peut béné-ficier d’une représentation juridique aux fraisde l’administration. Le report peut être, àchaque fois, d’au plus quinze jours.Dans la mesure où les surveillants de prison(prison officers) sont ceux qui sont le plus encontact avec les détenus, ils tiennent un rôleimportant de médiation pour encourager les détenus à faire unusage constructif de leur temps passé en prison. Beaucoup sontdésignés comme agents de liaison de tel ou tel détenu et d’autresdeviennent chefs de programme pour les programmes décrits ci-dessous.La préparation à la liberté conditionnelle inclut des séjours dansdes communautés thérapeutiques et des centres de semi-liberté.Les détenus purgeant des peines de prison de quatre ans ou plussont susceptibles de s’atteler, pendant les quatre mois qui précé-dent la date de leur libération, à des activités planifiées au seinmême de la société, ce, sous contrôle électronique pour s’assurerdu respect des conditions prévues.

■ Caractéristiques générales desprogrammes de prévention de larécidive

Les exigences afférentes aux programmes décrits dans cet articlesont les suivantes.Il doit y avoir un modèle clair et scientifiquement fondé qui seconcentre strictement sur les facteurs dynamiques à l’origine de larécidive, c’est-à-dire, susceptibles d’être modifiés. Ce modèle,développé à l’origine de manière habituelle au Canada ou en Angle-terre, doit avoir été efficacement mis en œuvre avec les délinquantsappropriés, un personnel entraîné et compétent. Il faut, en outre,

que tous les travaux soient documentés afin de per-mettre une comparaison valable avec un groupetémoin n’ayant pas participé au programme. Le pro-gramme doit avoir été évalué pour déterminer seseffets sur la prévention de la récidive. Des manuelsde formation et d’application doivent avoir été déve-loppés. Comme mentionné précédemment, cesaspects sont examinés par un comité scientifiqueconsultatif indépendant.Les douze programmes de changement auxquels laSuède a actuellement recours sont basés sur lesméthodes cognitivo-comportementales et une théoried’apprentissage social. À ce jour, huit de ces pro-grammes ont été évalués relativement à leurs effetssur la réduction du risque de récidive. L’objectif estd’évaluer tous les programmes en les répétant autantde fois qu’il sera nécessaire. La division de rechercheet de développement du Service pénitentiaire et pro-bationnaire poursuit ces évaluations de façon perma-nente.

■ Méthode d’évaluationPour toutes ces évaluations, la récidive est définiecomme la commission d’une nouvelle infractionpendant la période de suivi qui a conduit à une sanc-

tion appliquée par le Servicepénitentiaire et probationnaire,c’est-à-dire l’emprisonnementou toute forme de probation.Par «  risque  », on entend ladifférence entre les niveaux derécidive des groupes de délin-quants traités et des groupestémoins.L’affectation aléatoire à desgroupes traités et des groupesde comparaison est interdite

dans le système pénal suédois. Au lieu de randomassignment, il est recouru à un modèle quasi-expé-rimental selon lequel un groupe témoin est créé quirejoint le groupe du programme sur des caractéris-tiques dont on sait qu’elles sont liées à la récidive.L’âge, le sexe et le parcours délinquant en sont desexemples. Ces effets doivent être contrôlés pourqu’une évaluation fiable de l’impact sur la récidivepuisse être réalisée. L’élaboration des groupes expé-rimentaux et des groupes témoins est facilitée par lacomplète informatisation des données concernantchaque individu.Pour rendre possibles des analyses statistiques, leprogramme et les groupes témoins doivent êtreconstitués d’un nombre suffisant de personnes. Pource faire, les personnes incluses dans les groupesexpérimentaux sont issues de celles ayant intégréles programmes sur plusieurs années, en généralentre 2003 et 2006, avec une période de suivi se ter-minant en 2007. Cela signifie que les périodes de

(3) Cette disposition existait dans la loi de 1974 sur le traitement enprison et a été reprise dans la loi sur l’emprisonnement entrée envigueur le 1er avril 2011. Une traduction anglaise de la loi peut êtretéléchargée à partir de l’adresse www.krmiinalvarden.se/en/Other-lan-guages/Documents ou demandée au Kriminalvarden, 608 Norrkoeping,Sweden.

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Depuis 1994, la loi suédoisepermet que les courtes

peines de prison(actuellement jusqu’à

six mois) soient exécutéesau sein même de la société,

avec une prise en chargeintensive.

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hasard. Si 1 ne se trouve pas dans l’intervalle de confiance, le rap-port de risques établi est statistiquement significatif au niveauconventionnel de 5 %, c’est-à-dire qu’il y a seulement 5 % de pro-babilité qu’il soit survenu par hasard.

■ Les risques de récidive établisLes évaluations des huit programmes étudiés jusqu’à maintenantfont l’objet de rapports publics – malheureusement seulement dis-ponibles en suédois. Ces rapports décrivent en détail le contenu duprogramme, ses origines et son développement et toute recherchemenée auparavant sur son impact sur la récidive. En sus de rendrecompte de l’effet ou non du programme sur la récidive, des ana-lyses statistiques plus poussées sont présentées principalementpour tester des hypothèses à propos de l’influence d’éventuels fac-teurs de prédisposition sur les résultats obtenus 4.De brefs résumés des risques de récidive mis au jour par les éva-luations sont présentés ci-dessous, selon le type de comportementque le programme tente de modifier.

Les programmes visant à réduire la dépendanceaux drogues

Un total de 389 personnes entamèrent les programmes pour laréduction la dépendance aux drogues (Programme for Reduction of

Individual Substance Misuse – PRISM) et furentcomparées à 1 140 personnes du groupetémoin. Le ratio hazard était de 1,15, c’est-à-dire que le risque de récidive du groupe entrédans le programme était donc de 15 % supé-rieur au groupe de comparaison. Mais quand legroupe des 182 personnes qui avaient achevé leprogramme fut comparé au groupe témoin, leratio hazard était de 0,70 et l’intervalle deconfiance de 0,52-0,94 – un résultat statisti-quement significatif prouvant que ceux quiétaient allés jusqu’au bout du programmevoyaient leur risque de récidiver réduit de 30 %.Le « programme en douze étapes » (12 stepsprogramme) est une version adaptée d’un pro-

gramme similaire et bien connu des Alcooliques Anonymes. 2 848personnes intégrèrent ce programme et furent comparées à ungroupe témoin de 7 962 personnes. Le ratio hazard était de 0,98avec un intervalle de confiance de 0,96-0,99. Ainsi, le risque de réci-dive du groupe du programme était initialement de 2 % inférieur àcelui du groupe témoin. Cette différence, quoique faible, est statis-tiquement significative, avant tout parce que les échantillons sonttrès importants. Toutefois, quand les 1411 personnes qui achevèrentle programme furent comparées au groupe témoin, le ratio hazardétait de 0,83 avec un intervalle de confiance de 0,76-0,90. La baissedu risque de récidive de ceux ayant terminé le programme avaitatteint le nombre significatif de 17 %.Le programme « oser choisir » (dare to choose ) est un programmede modification du comportement cognitif qui repose sur le faitd’amener ses participants à réfléchir sur leurs sentiments, penséeset situations les ayant conduits à l’abus de drogues et à la délin-quance. 660 personnes ont achevé le programme et furent com-parées à 4965 personnes qui n’y avaient pas pris part. Le ratio hazardétait de 0,86 avec un intervalle de confiance 95 % de 0,77-0,98, soitune baisse significative de 14 % du risque de récidive.

suivi sont variables. Les analyses statistiques pren-nent en considération différentes périodes de suivi(v. infra pour plus de détails). Les groupes de com-paraison (groupes témoins) ont été constitués à par-tir de ceux qui étaient en prison ou sous probation aucours des mêmes années.La présence de facteurs prédisposant à la récidivesignifie également que le groupe témoin doit présen-ter ces facteurs à un degré semblable à celui dugroupe expérimental, à défaut de quoi aucune compa-raison d’égal à égal n’est possible. Le groupe témoinest donc issu d’un nombre important de non-partici-pants sur la base des facteurs de prédisposition,autrement dit au moyen d’un échantillon stratifié.Le problème général mentionné plus haut de lamanifestation, par les participants au groupe du pro-gramme, de caractéristiques prédisposant à la réci-dive – dont l’âge, le sexe et le parcours délinquantsont des exemples –, signifie qu’il est primordial de« purger » les analyses de ces facteurs de prédispo-sition.Le modèle de régression de Cox est un instrumentpuissant conçu en 1972 pour mesurer l’effet desinterventions médicales sur les taux de survie depatients cancéreux. Les taux de survie sont aussiaffectés par les facteurs de prédisposition – le typede tumeur, le moment du diagnostic, le type de trai-tement, etc. De plus, le momentde la mort est variable. Lemodèle de Cox prend en compteces divers facteurs qui peuventêtre mélangés – « confondus »– avec l’effet du traitement. Àl’évidence, un parallèle peutêtre établi avec l’évaluation deseffets du programme sur larécidive.Une analyse selon le modèle deCox réduit un vaste ensemblede données statistiques à ununique coefficient de risque derécidive appelé le ratio hazard.Un ratio hazard égal à 1 signifie qu’il n’y a pas dedifférence quant au risque de récidive respectif desdeux groupes. Un rapport de risques inférieur à 1signifie que le risque de récidive du groupe du pro-gramme est moindre que celui du groupe témoin.L’ampleur du pourcentage de la réduction s’obtienten soustrayant le rapport de risques à 1. Ainsi, unratio de 0,87 signifie que le risque de récidive dugroupe du programme était de 13 % inférieur à celuidu groupe témoin. Un ratio hazard supérieur à 1 veutdire que le risque de récidive du groupe témoin étaitplus élevé que celui du groupe du programme. Ladécimale du ratio hazard montre l’accroissement durisque de récidive. Par exemple, un ratio hazard de1,28 signifie que le risque de récidive du ratio hazardréside dans l’intervalle entre les plus basses et lesplus hautes valeurs de l’intervalle de confiance. Unintervalle contenant 1 signifie que le rapport derisques n’est pas statistiquement significatif, autre-ment dit qu’on ne peut exclure qu’il survienne par

(4) Vous pouvez adresser vos questions sur le détail du programme, enanglais ou en français, à l’adresse suivante : [email protected].

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En sus de rendre compte de l’effet ou non du

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plus poussées sontprésentées principalementpour tester des hypothèses

à propos de l’influenced’éventuels facteurs

de prédisposition sur les résultats obtenus.

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Les programmes relatifs aux actes deviolences et à la délinquance générale

Le programme «  one to one  » consiste en un certain nombre desessions de conseil individuelles. 728 personnes entamèrent le pro-gramme et furent comparées à 728 autres. Le ratio hazard s’élevaità 1,04 avec un intervalle de confiance de 0,92-1,17, résultat ne mon-trant aucune différence entre les deux groupes s’agissant du risquede récidive. Cependant, après comparaison des 336 personnesayant achevé le programme avec le groupe témoin, le ratio hazardétait de 0,75 et l’intervalle de confiance de 0,62-0,90, soit une réduc-tion statistiquement significative du risque de récidive de 25 %.La « formation à la substitution de l’agressivité » (Agressive repla-cement training – ART) est un programme largement utilisé auxUSA, en particulier avec des jeunes délinquants. Les participantsayant entamé le programme comme ceux l’ayant achevé ont unrisque de récidive plus grand que celui du groupe témoin. Cettedifférence existait s’agissant de la récidive d’un acte de violencecomme de n’importe quelle infraction. Au vu de cette absencetotale de baisse du risque de récidive, il a été décidé d’abandonnerce programme puisque quelles qu’aient pu être ses éventuelleschances de succès aux USA s’agissant de jeunes, il apparaissaitinadapté pour des adultes en Suède.

Le programme intégré « violencesdomestiques » (Integrated Domestic AbuseProgramme – IDAP)

Ce programme vise la violence et les abus sexuels au sein ducouple ou à l’encontre d’un ancien partenaire. Les critères d’éva-luation concernent la rechute dans la violence dans le cadre ducouple et la rechute dans n’importe quel acte de violence relation-nelle. 340 personnes entamèrent le programme et 452 compo-saient le groupe témoin. La comparaison concernant celles ayantentamé le programme accoucha d’un ratio hazard égal à 0,92 etd’un intervalle de confiance de 0,69-1,23 (non statistiquementsignificatif). Pour ceux ayant achevé le programme (249 personnes)et s’agissant de la rechute dans une violence de couple, le ratiohazard était de 0,74 avec un intervalle de confiance de 0,50-1,09.Ainsi, en dépit d’une baisse de 26  % du risque de récidive, cettedifférence n’est pas statistiquement significative.S’agissant de tout type de violence relationnelle, le ratio hazardétait de 0,72 avec un intervalle de confiance de 1,51-1,02, soit uneréduction de 28 % du risque de récidive dans le groupe de 249 per-sonnes qui achevèrent le programme, là encore sans que la diffé-rence soit statistiquement significative. Les baisses assez considé-rables des risques de récidive sont néanmoins considérées commeprometteuses et le travail avec ce programme se poursuit donc.

■ Discussion sur les résultatsd’évaluation négatifs

Le lecteur aura pu remarquer qu’un nombre important de partici-pants ayant commencé le programme ne sont pas parvenus jus-qu’à son terme. Des analyses statistiques montrent que leursrisques de récidive étaient beaucoup plus importants que ceux dugroupe du programme qui sont allés jusqu’au bout et parfois plusélevé que ceux du groupe témoin.Par exemple, ceux qui ont interrompu leur participation au PRISMont montré un ratio hazard de 1,63, le chiffre étant de 0,70 pourceux qui l’ont achevé. Quant au programme « one to one », leschiffres étaient respectivement de 1,28 et 0,75. Une telle déperdi-tion accompagnée d’une hausse du risque de récidive pose ques-

tion. Qu’est-ce qui caractérise une personne quiinterrompt sa participation à un programme et pour-quoi l’a-t-elle quitté ?Pour répondre à ces questions, d’autres études vontêtre réalisées. Mais il y a d’ores et déjà des indica-tions que ces déperditions s’accroissent surtoutparmi ceux qui se trouvent en probation et souventà un stade précoce. Les personnes concernées sui-vent probablement le programme pendant quelquetemps puis le quittent. Ce sont fréquemment lespersonnes qui manquent les rendez-vous avec leuragent de probation, qui violent les autres conditionsde la probation et commettent de nouvelles infrac-tions. Toute privation de liberté subséquente favoriseégalement l’interruption du programme. La solutionau problème est peut-être d’améliorer la sélectionpour les programmes et la qualité du soutien et ducontrôle probatoires (voir à ce titre la description ci-dessous d’un projet en cours, le STICS).Trois des programmes décrits plus haut affichentdes résultats positifs qui sont statistiquement signi-ficatifs. D’autres programmes ont des résultats pro-metteurs qui n’atteignent pas une signification sta-tistique suffisante. Que peut-il être fait pouraméliorer la qualité de ces programmes dans l’es-poir d’obtenir de meilleurs résultats ?Un sondage effectué parmi les chefs des pro-grammes laisse suggérer que la qualité de leur lea-dership a besoin d’être améliorée. Le sondage révèleen effet que la gestion des facteurs de risque et desbesoins criminogènes des participants était vécuecomme la partie la plus ardue du travail. En consé-quence, un stage de formation pratique pour les chefsde programme a débuté à la fin de l’année 2012 envue de rehausser leur niveau de connaissances et decompétences requises pour diriger les programmes.Le projet STICS (décrit ci-dessous) contribuera aussivraisemblablement à améliorer le soutien apporté àceux qui intègrent ces programmes.

■ L’opinion des participantssur les programmes

Un rapport (disponible en suédois uniquement)publié en décembre 2012 a donné les résultats del’enquête de routine quant aux points de vue de ceuxqui ont terminé les programmes et répondu à unquestionnaire sur leurs expériences. Les question-naires ont été administrés par un membre de l’é-quipe non lié aux programmes et les réponses sontanonymes.Les questions portaient sur des sujets tels quel’expérience du programme comme un tout, lacompétence du chef du programme et sa gestiondes participants, le degré d’implication personnelledans le programme, dans quelle mesure le pro-gramme était considéré comme procurant une aideréelle à la gestion d’un problème personnel et si leprogramme aiderait le participant à ne pas récidiver.Le rapport rassemble les réponses reçues à proposde programmes menés entre 2007 et 2011. Lenombre total de réponses était légèrement supé-rieur à 18 000. Le degré de satisfaction exprimé rela-tivement à la plupart des sujets de l’enquête variait

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■ Recherche et développement :considérations organisationnelles

Les évaluations décrites dans cet article montrent qu’il n’y a pas devoie facile pour détourner de la conduite menant à la récidive. Maisavec des connaissances, de l’obstination et des compétences, il estpossible de suffisamment influencer la conduite délinquante pourpermettre une baisse du risque de récidive. Toutefois, il y a encorebeaucoup à faire et comme cela se produit souvent avec le travailscientifique, le progrès amène souvent de nouvelles questions. Lesaméliorations de la pratique pénale ne sont pas une exception. Laconclusion générale qui peut être tirée de l’expérience suédoise estque le travail de recherche et de développement sur la prévention detypes particuliers de conduite délinquante requiert des efforts sérieuxet sur le long terme pour identifier et élaborer des projets derecherche appliquée pertinents, les adapter aux spécificités natio-

nales s’ils proviennent de l’étranger, prévoir desprojets pilotes incluant une nécessaire forma-tion du personnel, suivre leur application et leurévaluation et, en cas de progrès marqués, pré-voir, suivre et évaluer leur application à grandeéchelle.Au vu de la nature globale du travail d’évolution,l’entier processus de développement, de test etd’apprentissage de projets spécifiques requiertune unité placée à l’administration centrale quipuisse guider chaque étape du processus.Cette unité doit bénéficier des ressources

financières et humaines adéquates et faire preuve à la fois d’un puis-sant leadership et de compétence. De plus, elle doit avoir le soutienclair et avisé de la part des plus hauts niveaux organisationnels sion veut réaliser des changements radicaux dans le système péni-tentiaire (une organisation « lourde » de grande envergure et com-plexe).La division de la Recherche et du Développement suédoise opèredirectement sous le contrôle de la direction générale du Service péni-tentiaire et probationnaire, avec un personnel hautement qualifié,ayant autant de connaissances en matière de plans et de méthodesde recherche qu’en matière de problèmes et de possibilités concrètesinhérents à la pratique pénitentiaire et probatoire. La littérature pro-fessionnelle n’aborde que rarement les aspects organisationnels.Ceux-ci ont pourtant été décisifs quant à la qualité du travail derecherche en Suède. Peut-être cela serait-il également vrai ailleurs ?

entre 80 et 90  %. Le pourcentage le plus bas –jamais en-dessous de 70 % – exprimait une insatis-faction liée à la trop courte durée du programme etaux doutes quant au fait de savoir si le programmemènerait ou non à un changement de comportementou préviendrait la récidive.

■ La formation stratégique à la prise en charge dans la communauté (STICS)

Le nombre de délinquants condamnés que le per-sonnel du Service pénitentiaire et probationnaire aeu à gérer au sein de la société inclut ceux purgeantde courtes peines de prison sous surveillance élec-tronique, les personnes enliberté conditionnelle et lescondamnés à la sanction indé-pendante de la probation. Lenombre de ces dossiers dépasselargement le nombre quotidienmoyen en prison et soulignel’importance d’une surveillanceefficace dans la société. Undéveloppement important initiépendant l’année 2011 est l’initia-tion au projet STICS qui chercheà améliorer l’efficacité de prise en charge dans lasociété par le recours au management du risque,l’analyse des besoins criminogènes et de la réactivitéde l’intéressé au travail de supervision.Le modèle de modification du comportement cogni-tif a été critiqué comme ne s’appuyant pas assez surles intérêts et les capacités de l’intéressé et à l’éta-blissement de relations empruntes de chaleur et desoutien. Un des avantages du STICS est qu’il serapossible de comparer les surveillants entraînés auxméthodes du STICS avec ceux qui ne le sont pas, afinde déterminer si cela affecte le taux de récidive. Il n’ya aucune objection à l’allocation aléatoire des agentsde probation entre ceux qui ont été entraînés auSTICS et ceux qui ne l’ont pas été.

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La littérature professionnellen’aborde que rarement

les aspects organisationnels.Ceux-ci ont pourtant étédécisifs quant à la qualité

du travail de recherche en Suède.

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