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  • MINISTERE DE LEDUCATION NATIONALE, DE LENSEIGNEMENT SUPERIEURET DE LA RECHERCHE

    Direction des personnels enseignants

    AGRGATION

    DE

    PHILOSOPHIE

    CONCOURS EXTERNE

    Rapport de Monsieur Vincent CARRAUDProfesseur lUniversit de Caen Basse-Normandie

    Prsident du jury

    2004

    CENTRE NATIONAL DE DOCUMENTATION PEDAGOGIQUE

  • LES RAPPORTS DES JURYS DE CONCOURS SONT

    TABLIS SOUS LA RESPONSABILIT DES PRSIDENTS DE JURYS

  • Agrgation externe de philosophie Sommaire - Page 3/77

    SOMMAIRE

    Sommaire...............................................................................................................page 3

    COMPOSITION DU JURY .........................................................................................page 4NOTE SUR LA NATURE DES EPREUVES ....................................................................page 5crit ......................................................................................................................page 8Premire preuve....................................................................................................page 9

    Deuxime preuve..................................................................................................page 14

    Troisime preuve ..................................................................................................page 20Oral .......................................................................................................................page 29Premire leon........................................................................................................page 30

    Seconde leon ........................................................................................................page 37

    Explication dun texte franais ...............................................................................page 47

    Explication dun texte en langue trangre .............................................................page 56Conclusion ............................................................................................................page 66Annexes ................................................................................................................page 67

    Donnes statistiques ...............................................................................................page 67

    Rglementation........................................................................................ page 75Programme.............................................................................................................page 77

  • Agrgation externe de philosophie Composition du jury - Page 4/77

    COMPOSITION DU JURY

    M. Vincent CARRAUD, Professeur lUniversit de Caen Basse-Normandie, Prsident.M. Jean-Louis POIRIER, Inspecteur Gnral de lEducation Nationale, Vice-prsident.M. Alain LASALLE, Inspecteur dacadmie-Inspecteur pdagogique rgional de lAcadmie deBordeaux, Secrtaire administratif du jury.M. Bernard BAAS, Professeur de Lettres 2me anne au lyce Fustel de Coulanges de Strasbourg.M. Frdric de BUZON, Professeur lUniversit de Strasbourg.M. Serge CHAMPEAU, Professeur de Lettres 2me anne au lyce Camille Jullian de Bordeaux.M. Andr CHARRAK, Matre de confrences lUniversit de Paris I.Mme Nathalie CHOUCHAN, Professeur de Lettres 2me anne au lyce Fnelon de Paris.M. Michel CRUBELLIER, Professeur lUniversit de Lille III.Mme Vronique FABBRI, Professeur de Lettres 1re anne au lyce J-B Corot de Savigny sur Orge.M. Jean-Pierre FUSSLER, Professeur de Lettres 2me anne au lyce Fustel de Coulanges de Strasbourg.Mme Isabelle GARO, Professeur de Lettres 2me anne au lyce Faidherbe de Lille.M. Jean-Yves GOFFI, Professeur lUniversit de Grenoble.Mme Chantal HASNAOUI, Professeur de Lettres 2me anne au lyce Marcelin Berthelot de Saint-Maurdes Fosss.M. Emmanuel HOUSSET, Matre de confrences lUniversit de Caen.Mme Claudie LAVAUD, Professeur lUniversit de Bordeaux III.M. Michel LE DU, Matre de confrences lUniversit de Strasbourg.M. Ren LEFEBVRE, Matre de confrences lUniversit de Rouen.Mme Mai LEQUAN, Matre de confrences lUniversit de Lyon.Mme Hlne LHEUILLET, Matre de confrences lUniversit de Paris IV.Mme Jacqueline LICHTENSTEIN, Matre de confrences lUniversit de Paris X.M. Pascal LUDWIG, Matre de confrences lUniversit de Rennes.Mme Catherine MALABOU, Matre de confrences lUniversit de Paris X.M. Cyrille MICHON, Professeur lUniversit de Nantes.M. Gilles OLIVO, Matre de confrences lIUFM de Caen.M. Pierre RODRIGO, Professeur lUniversit de Dijon.M. Patrick SAVIDAN, Matre de confrences lUniversit de Paris IV.Mme Valrie SEROUSSI, Professeur de Lettres 2me anne au lyce Claude Fauriel de Saint-Etienne.M. Bernard SEVE, Professeur de Lettres 2me anne au lyce Louis le Grand de Paris.M. Jean-Franois SURATTEAU, Professeur de Lettres 2me anne au lyce Henri IV de Paris.Mme Mireille THISSE-ANDRE, Professeur de chaire suprieure au lyce Jacques Amyot de Melun.M. Dominique TYVAERT, Professeur de Lettres 2me anne au lyce Henri Poincar de Nancy.

    Ont particip aux commissions des preuves orales: Mmes Claudie LAVAUD, Hlne LHEUILLET etJacqueline LICHTENSTEIN, MM. Frdric de BUZON, Alain LASALLE, Michel LE DU, Cyrille MICHON,Gilles OLIVO, Pierre RODRIGO, Patrick SAVIDAN, Bernard SEVE et Jean-Franois SURATTEAU.

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    NOTE SUR LA NATURE DES EPREUVES

    Les nouvelles modalits des preuves de lagrgation externe de philosophie ont t

    mises en pratique pour la premire fois lors de la session 2004. Rappelons-en les termes,parus au JO n297 du 21 dcembre 2002, et prcisons la manire dont le jury les a

    appliques pour ce qui concerne le droulement de cette session, nous renvoyons auxrapports qui suivent.

    Les preuves dadmissibilit, cest--dire lcrit, comprennent deux compositions de

    philosophie, lune sans programme, lautre avec un programme, et une preuve dhistoire dela philosophie sous la forme dun commentaire de texte. La premire preuve est une

    dissertation sans programme, dune dure de sept heures, identique ce quelle tait depuisplusieurs dcennies. La deuxime preuve a pour intitul: Composition de philosophie se

    rapportant une notion ou un couple ou groupe de notions selon un programme tabli pour

    lanne. Une telle dfinition de lpreuve doit rendre la prparation plus prcise et plusdtermine. Elle permet de mettre au programme non seulement une unique notion, au

    domaine ventuellement trs vaste, comme ce fut souvent le cas dans les annes passes, maisaussi un problme qui se situerait lintersection de plusieurs notions ou dans une

    arborescence conceptuelle partir dune notion gnrale, ou encore de dlimiter, grce des

    concepts connexes, le champ dans lequel une notion ou un thme peuvent tre entendus; cestle cas du programme propos pour la session 2005: La proprit: le propre, lappropriation.

    Le programme invite donc les candidats prendre en compte un champ transversal commun

    plusieurs domaines de comptences. Il en rsulte que le jury se sentira dsormais autoris proposer aux candidats des sujets qui pourront ne pas contenir le mot ou les mots constituant

    la littralit du libell mme du programme.La troisime preuve, preuve dhistoire de la philosophie, est le commentaire dun

    texte extrait de luvre dun auteur (antique ou mdival, moderne, contemporain) figurant

    dans un programme tabli pour lanne et comportant deux auteurs, appartenant chacun unepriode diffrente. Si la nature de lpreuve, qui exige dexpliquer une page dune grande

    uvre de lhistoire de la philosophie, ne change pas par rapport aux dcennies prcdentes, onobservera que le passage de trois auteurs deux dune part, la possibilit offerte au jury

    dinscrire au programme une ou plusieurs uvres et non le corpus entier dun auteur dautre

    part, permettent aux candidats de prparer galement cette preuve de faon plus prcise etplus fine. A en juger par lexcellence dun nombre significatif dexplications du passage

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    dAristote propos, le jury a dj cru pouvoir se fliciter de cette modification. La session

    2005 a inscrit son programme des uvres majeures et non plus des corpus entiers dont toute

    page pouvait tre considre, tort ou raison, comme pouvant constituer un texte possibledexplication: la prparation devrait en tre dautant mieux cible.

    Les preuves dadmission font lobjet des modifications les plus sensibles. Commenons par lpreuve dexplication de textes en langue franaise, car on peut

    considrer quelle forme dsormais un tout cohrent avec la troisime preuve dcrit. En

    voici la dfinition: Explication dun texte franais ou en franais ou traduit en franaisextrait de lun des deux ouvrages inscrits au programme (dure de la prparation: une heure

    trente; dure de lpreuve: trente minutes). Elle est assortie de lindication suivante: Leprogramme est renouvel chaque anne. Lun des deux ouvrages est obligatoirement choisi

    dans la priode pour laquelle aucun auteur nest inscrit au programme de la troisime preuve

    dadmissibilit. Du point de vue de la prparation, il est donc recommand de prendre encompte les deux preuves dhistoire de la philosophie en langue franaise, crite et orale,

    comme un ensemble de plusieurs uvres majeures de quatre auteurs eux-mmes majeurs,

    appartenant trois ou quatre priodes de lhistoire de la philosophie. Cet ensemble est par lui-mme formateur, et il permet au jury dvaluer lacquis, par les futurs professeurs, dune

    connaissance solide de corpus fondamentaux de lhistoire de la philosophie. Nous conseillonsdonc aux candidats de ne pas traiter sparment les prparations de lcrit et de loral, qui

    constituent une vritable unit. Par ailleurs, et sans en faire une rgle absolue, le jury

    sefforcera, dans les annes qui viennent, de mettre au programme de loral au moins unouvrage dont le franais est la langue originale.

    Lpreuve dexplication de texte en langue trangre, qui a introduit litalien parmi leslangues possibles, est conforme ce quelle tait antrieurement, mais elle porte dsormais

    sur un programme dune seule uvre, diffrente chaque anne: Traduction et explication

    dun texte grec ou latin ou allemand ou anglais ou arabe ou italien extrait de louvrage inscritau programme (dure de la prparation: une heure trente; dure de lpreuve: trente

    minutes). Le programme est renouvel chaque anne. En effet, les jurys prcdents ontsouvent regrett que les uvres galement inscrites au programme des textes franais ou,

    aussi bien, des textes trangers fissent lobjet de traitements diffrents, sans doute dus des

    prparations ingales. Le plus souvent, lauteur ancien, cest--dire inscrit au programmedepuis lanne antrieure, tait moins bien connu que lauteur inscrit plus rcemment au

    programme. Il est arriv que cette htrognit dans la prparation, ajoute la disparitnaturelle de deux uvres prsentant ncessairement des diffrences entre elles par leur langue

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    et leur style comme par leur teneur philosophique, gne le jury dans sa tche dvaluation. Ce

    nest heureusement plus le cas.

    Venons-en aux leons. La premire est une leon de philosophie sur un sujet serapportant, selon un programme tabli pour lanne, lun des domaines suivants: la

    mtaphysique, la morale, la politique, la logique et lpistmologie, lesthtique, les scienceshumaines (dure de la prparation: cinq heures; dure de lpreuve: quarante minutes). Pour

    la prparation de la leon, aucun ouvrage ou document nest mis la disposition des

    candidats. La modification de cette preuve vise inviter les candidats rflchir sur unsavoir spcifique acquis durant lanne ou acquis pendant les annes de leur formation

    universitaire et actualis durant les derniers mois, qui appartienne non seulement au champde la philosophie, mais aussi et surtout dautres domaines. Il apparat en effet essentiel

    quun futur professeur de philosophie fasse la preuve de sa capacit produire une

    laboration conceptuelle prenant pour objet des connaissances, des pratiques, des textes, desuvres, etc. autres que ceux qui constituent traditionnellement le corpus commun de sa

    discipline. Le thme retenu pour la session 2004 tait lesthtique. Labsence de tout

    document pendant la prparation de lpreuve nous parat clairement avoir favoris, pour lescandidats, une appropriation philosophique de leur culture esthtique bien suprieure celle

    dont ils faisaient preuve lors des sujets desthtique de lancienne leon B (voir le rapport surcette leon): le jury a eu le plaisir de constater, dans le plus grand nombre des leons

    entendues, une plus grande concentration du propos, organis selon des problmatiques moins

    convenues et mobilisant mieux la culture personnelle des candidats.Dautre part, la seconde leon a permis au jury dvaluer des qualits en partie

    diffrentes, commencer par lutilisation des sources documentaires disponibles laBibliothque de la Sorbonne on rappellera cependant quil ne sagit en aucun cas

    dacqurir pendant les cinq heures de prparation de la leon une culture qui ne serait pas dj

    acquise: cest pourquoi les encyclopdies, les anthologies thmatiques, certaines revues et lesouvrages qui entretiennent chez certains candidats lillusion dun prt--penser, sont exclus de

    la consultation. Cette leon peut porter sur tous les domaines de la philosophie numrs, lexception de celui qui est inscrit au programme de la premire leon. Ainsi les deux leons

    sont-elles dsormais complmentaires.

    Au total, le jury sest flicit des nouvelles modalits des preuves de lagrgation:pour les candidats, elles apportent aux exigences requises plus de clart et de prcision; pour

    le jury, elles permettent lvidence une meilleure valuation des candidats.

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    ECRIT

    1520 candidats se sont inscrits aux preuves dadmissibilit. La baisse du nombredinscrits constate depuis plusieurs annes ne sest donc pas confirme (1436 inscrits en2003, 1612 en 2002 et 1901 en 2001). 954 candidats, soit 62,76 % des inscrits (ce qui revientexactement au pourcentage de 2001), ont particip au concours il sagit des candidatsconsidrs comme non limins, rappelons que sont limins les candidats absents une preuve, ayant obtenu un zro, ayant remis copie blanche ou dont la copie a t annule(pour divers motifs prvus au rglement).

    64 postes taient mis au concours, soit 18 de moins quen 2003 et en 2002, 160candidats ont t admissibles. La barre dadmissibilit a t fixe 8,67/ 20; cest direquelle a progress par rapport aux annes antrieures: 8,33 en 2003; 7,67 en 2002 et en2001. La moyenne des candidats admissibles est toute proche de 10 (9,95 / 20).

    Les rsultats mettent en vidence la coexistence de deux groupes de candidats trsdiffrents: une petite moiti des candidats nest manifestement pas correctement prparepour ce concours difficile, ce qui explique le grand nombre de copies (traditionnellementsuprieur 400) qui obtiennent une note infrieure 4 ou 5 dans deux au moins des troispreuves. Une seconde population (de 500 candidats environ) a prpar trs srieusement leconcours, et le niveau de ce second groupe est plus quencourageant: il constitue unepromotion dtudiants qui a acquis, aprs quatre ou cinq annes dtudes en philosophie, derelles qualits de rflexion et une culture solide.

    Le jury souhaite naturellement que la premire population concerne croie davantageen ses chances et ainsi se prpare mieux aux preuves prparation longue, qui remonte auxpremires annes universitaires, ce qui augmentera en effet ses chances, selon le cerclevertueux bien connu; et, pour la seconde population, que les progrs enregistrs cette anne,qui confirment ceux que le jury de la session 2003 avait dj constats, soient poursuivis, quitmoignent du srieux et de la vitalit des tudes philosophiques lUniversit.

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    PREMIRE COMPOSITION

    SESSION DE 2004

    concours externe

    de recrutement de professeurs agrgs

    section: philosophie

    composition de philosophie:

    Dure: 7 heures

    Lgalit des citoyens.

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    Premire preuve

    Composition de philosophie

    Composition de philosophie sans programme. Dure : sept heures ; coefficient 2.

    Dans lensemble des trois preuves crites du concours de lagrgation de philosophie lapremire composition prsente des traits bien spcifiques. Les candidats doivent sy prparer enmesurant ce que le jury est en droit dattendre deux, en particulier du point de vue de la techniquede dissertation, point de vue qui nest ni rhtorique ni formel on verra dailleurs que lejury recommande vivement aux candidats de se dfier du lieu commun consistant opposer defaon schmatique la forme au contenu, labstrait au concret ou lidal au rel. La pertinence descopies dpendant troitement de la comprhension que leurs auteurs ont eue des exigences, desrgles et des contraintes de lexercice de la dissertation, ainsi que de leur aptitude mettre cettecomprhension au service dun traitement appropri du sujet, le prsent rapport se propose, dans unbut defficacit, de rendre compte des critres dvaluation qui ont t appliqus par le jury enfonction de la nature de lpreuve.

    la diffrence des deux autres preuves crites, celle-ci ne porte pas sur un programmeprdfini. Dans ces conditions, plus quune universelle (et creuse) rhtorique, cest la sagacitphilosophique des candidats qui est ici requise. Autrement dit, cette preuve sollicite leur aptitude aiguise par lexercice rpt de la dissertation lors de la prparation au concours mobiliserleurs lectures philosophiques et leur familiarit avec les auteurs, pour construire une argumentationcohrente et persuasive relativement une question qui ne doit ni tre rduite un cas dcole bienconnu, ni tre mousse par une approche platement chronologique. Savoir et discernement,connaissances et -propos, sret mthodologique et souplesse argumentative sont ainsiindispensables la russite de cette premire composition crite, dont la difficult spcifique estdimmerger les candidats dans llment mme de lexercice de la philosophie. On conoit ds lorsque limprparation et la navet, tant mthodologiques que doctrinales, constituent des cueilsinsurmontables. Il faut malheureusement constater que cette anne encore plus de la moiti descopies (celles dont la note est infrieure 06 / 20) ne surmontent pas ces obstacles. Le jury ne peutdonc que raffirmer quun apprentissage mthodologique srieux et une acquisition rigoureuse de latechnique de dissertation doivent faire partie intgrante de la prparation aux preuves delagrgation. Il est en effet bien certain quen situation de concours un candidat nest en mesuredentrevoir, puis de baliser et de parcourir rationnellement les voies ouvertes ou suggres parlintitul du sujet propos que sil est dj bien aguerri ce type dexercice, et conscient, enparticulier, des impasses auxquelles conduit immanquablement une pratique nave de lacomposition philosophique: fausses vidences des lieux communs, refuge illusoire dans desantithses convenues ou dans des arguments dautorit, usage chronologique des doctrines ou delhistoire de la philosophie, etc.

    Puisquil nexiste pas de mthode universelle dans sa forme, les remarques qui suiventprendront pour point de dpart lintitul de la question elle-mme, Lgalit des citoyens, pourproduire une typologie des exigences mthodologiques lies au traitement de cette question. Unerflexion attentive sur ces points singuliers pourra permettre aux candidats de surmonter leursdifficults techniques tout en tenant pleinement compte de la contingence et de limprvisibilit dessujets susceptibles dtre poss.

    1. Lintitul du sujet doit tre problmatis. Autrement dit, dans ce type dpreuve, il fautconstruire un cheminement rationnel partir de la mise au jour de linterrogation enveloppe dansla question pose. La formule Lgalit des citoyens nest pas encore en elle-mme un problme

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    philosophique: ici comme ailleurs les problmes ne se posent pas tout seuls. Il convient doncdouvrir avec -propos le questionnement, ce qui requiert tout autre chose que laffirmationfaussement profonde, en introduction, de limportance ou de la valeur de lgalit en gnralet, en lespce, de celle des citoyens. Rabattre ainsi linterrogation philosophique sur des trivialitssans le moindre ancrage dans la chose en question, cest perdre pied ds lintroduction, du simplefait quelle vite de dterminercette dtermination ft-elle provisoire et seulement destine entamer la recherche le sens du sujet, son centre, ses limites, les rfrences utiles sondveloppement ordonn, ainsi que ce qui pourra constituer le fil directeur de ce dveloppement. ce niveau, celui du travail de problmatisation, les lieux communs reprsentent les pires obstacles la rflexion car ils induisent une approche toujours schmatique. Dans cet ordre dide, et pour lecas qui nous occupe, les candidats les moins attentifs ont immdiatement fait appel aux couplesdantithtiques suivants: galit naturelle / civile, galit abstraite / concrte, galit de droit / defait; ils nont pu en dduire que des questions convenues quaucune dynamique argumentative nesoutenait ni ne justifiait. Ce type dintroduction nintroduit en ralit rien, force est de lereconnatre ; cest pourquoi ces copies, prives de thse directrice et de stratgie argumentative, nefont gure longtemps illusion. Il faut par consquent rpter marteler mme! quuneintroduction indigente prlude toujours une droute, mme si elle croit bon de se conclure par uneavalanche de questions ou par lexposition conjuratoire dun plan.

    Comment donc problmatiser lintitul Lgalit des citoyens? Comme on sen doute,plusieurs pistes sont envisageables. On peut sinterroger, selon une perspective tout fait classiqueen philosophie, sur ce quest cette galit, et lon peut aussi se demander quand, comment et aunom de quoi une telle galit peut tre instaure. Mais, quelque perspective que lon adopte, le plusimportant pour se porter au vif du sujet est de sinquiter rellement de savoir en quoi laphilosophie est sollicite par cette notion spcifique: quel besoin a-t-elle den traiter, et pourquoi?Les bonnes copies le jury a eu le plaisir den lire un nombre apprciable, parmi lesquellesdexcellentes ont t celles qui, ds lintroduction, se sont orientes fermement vers uneprdtermination de ce besoin (voire de cette crise, lorsquelles ont pos hardiment que ladynamique des institutions et des pratiques politiques les conduit de manire immanente bouleverser le sens que la philosophie reconnat lgalit des citoyens). Un candidat peut ainsicrire, ds la premire phrase de son travail, que Penser lgalit des citoyens, cest penser uneexigence constitutive du politique, puis annoncer une analyse des justifications possibles de cetteexigence. Un autre ouvre la question de lintrication entre citoyennet et galit en lorientant enfonction des acceptions diverses de la premire notion, conue tantt par rapport linstance de laloi (problmatique de lisonomie politique, mais aussi de lautonomie morale), tantt eu gard laparticipation effective au pouvoir politique; puis il annonce que laxe directeur de son devoir seraltude des raisons de la substitution, lide juridico-lgale dgalit, de lidal dune humanitagissant de manire gale par devoir. Une autre bonne introduction plante demble le site delinterrogation en notant que, dans le champ politique, lgalit dsigne une modalit daccs lespace public et une configuration de droits essentiels qui assurent les conditions juridiques etpolitiques de cet accs, la suite de quoi elle propose de soumettre discussion la gnalogie,philosophique aussi bien que procdurale, de la notion ainsi comprise. Un autre candidat enfin sedemande pertinemment si lgalit des citoyens, entendus comme membres dune totalitpolitique, est linstitution dun nouvel ordre quelle fonderait par elle-mme ou si elle repose surune autre forme antrieure dgalit.

    2. partir de l, linterrogation des notions impliques dans le sujet (la citoyennet etlgalit politique, prises dans toute lhistoricit de leurs sens) doit tre conduite. Mais elle doitltre pour contribuer dployer et orienter topiquement la problmatique, dans un souci de clartargumentative et non la manire dun pensum oblig de premire partie. Lun des dfauts majeursconsiste ici se laisser enfermer par lhistoire de la philosophie et en elle. Cette anne encore detrop nombreuses copies ont gren la chronologie oblige des sens attests chez les auteurs rputs

  • Agrgation externe de philosophie Ecrit - Page 12/77

    indispensables, mais rduits pourtant des thses strotypes mcaniquement opposes les unesaux autres. Du dilemme entre le fait et le droit le plus souvent identifi celui entre le singulierconcret et luniversel abstrait, voire lantinomie qui semble aller de soi entre le vcu et la thorie les candidats les moins inspirs sont passs un plan standard scand par les noms dAristote, deRousseau, de Marx et enfin de Rawls avec, en ce qui concerne ce dernier, une constance et unepositivit dans lusage de la rfrence qui suggrent quelque chose comme un trait dpoque.Chaque auteur est alors cens tre le garant dune comprhension schmatique du sujet: Rousseaupense lgalit des citoyens dune faon abstraitement idaliste; Marx est le critique acharn decette conception, au nom du rel et de lhistoire, aid en cela par certaines intuitions deTocqueville; quant aux Grecs, on a pu lire plusieurs fois que les fondements politiques poss parPlaton et Aristote relevaient, en tout et pour tout, de llitisme loppos de ces approchesqui crasent la mobilit de linterrogation philosophique sous de fausses certitudes, les copies lesplus vivifiantes ont analys les changements significatifs survenus dans le statut et le sens delgalit des citoyens sous leffet de la dynamique conjointe de lhistoire et des ides. Elles ont misen vidence la diffrence entre le concept constitutif de lgalit dans la citoyennet et ce qui enest le concept-limite lpoque de la fin de lhomme. Elles lont fait sans verser dans unmoralisme stigmatisant bon compte la dcadence actuelle, ce quoi trop de copies se sontmalheureusement employes (ce moralisme reprsente un penchant frappant et, en soi, inquitant).Pour les meilleures dentre elles, ces copies (celles qui ont obtenu une note gale ou suprieure 14/ 20) se sont livres une analyse fonde de lentrexpression politique des singularits et du jeuentre diffrences et galit des citoyens dans la cration perptue dun espace politiqueintrinsquement dynamique. Ainsi pouvaient se justifier les remarques, souvent faites maisrarement insres dans un tissu argumentatif, sur lexistence relle des ingalits de comptence oude condition; ainsi pouvait aussi trouver sa juste place la rfrence au processus rawlsiendgalisation tendancielle des conditions matrielles, sans institution de droit de lgalit matriellemais sous la stricte condition de lgalit politique.

    3. Sans quil atteigne le niveau de pertinence qui vient dtre voqu, un lot important decopies prsente des qualits de srieux et de savoir-faire. Les copies qui se situent au-dessous de lanote de 10 / 20 ont, dune manire gnrale, t construites en affirmant dabord la lgitimit delgalit de droit, puis en montrant par antithse que cette galit se trouve contredite par lesingalits de fait. Elles ne se sont malheureusement pas, ou fort peu, inquites de savoir pourquoi,et au-del de quelle limite prcise, lingalit socio-conomique en vient ruiner lgalit politique.Abordant la question par le biais de la philosophie antique, dautres copies du mme lot ontunilatralement par lgalit proportionnelle de toutes les vertus quelles ont dnies aux galitsarithmtique et gomtrique, sans chercher dterminer quelle galit et lgalit de qui ou dequoi est alors ralise proportionnellement. Sagissant dailleurs de philosophie politique grecque,le jury regrette vivement le peu de cas que les candidats ont fait des travaux fondamentaux de Jean-Pierre Vernant et de Pierre Vidal-Naquet sur lisonomia et lisgoria, ainsi que sur linstitution, enGrce archaque, dune dmocratie militaire par la disposition de la parole au centre (esmeson) du cercle form par lassemble des guerriers.

    Les compositions qui ont atteint la moyenne sont celles qui ont vit tout strotype dslintroduction, qui ont dgag ensuite une problmatique prcise et dont enfin la dmarche a tstimule par une connaissance convenable des textes et des auteurs sollicits au service de leurthse directrice. Ici, on doit nanmoins regretter que la notion dgalit nait pas t plus fermementdistingue de notions proches, telle lidentit ou, au plan politique, lautonomie. Fort peunombreux, dans ce groupe, sont les candidats qui ont pens faire usage du texte de Kant, Thorieet pratique (section II), dans lequel les diffrences entre autonomie des citoyens, galit des sujetset libert des hommes sont expressment examines. De mme, le dbut de lmile de Rousseau at ignor, alors quil aurait pu conduire enrichir la discussion du sens mathmatique de lgalitdes citoyens, puisquil dfinit le citoyen comme unit fractionnaire qui tient au dnominateur, et

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    dont la valeur est dans son rapport avec lentier, qui est le corps social. Cest aussi dans ce groupede copies que lusage des exemples est la plupart du temps rduit la portion congrue.

    4. Il reste encore exhorter les candidats crire le plus lisiblement possible, tout en arantla prsentation de leur texte, afin de pouvoir tout simplement tre lus, et orthographier avec plusde rigueur.

    Ajoutons enfin deux remarques. La premire est que lvocation de la Dclaration des droitsde lhomme et du citoyen ne pouvait constituer quun point de dpart pour largumentation, et quaucontraire toute rfrence incantatoire ne contribuait gure qu desservir le propos en ce cascomme, mutatis mutandis, en bien dautres: on a pu le vrifier tout particulirement avec larfrence appuye aux prescriptions de discrimination positive, dont la rptition (phnomnenouveau) a surpris le jury. La seconde remarque concerne un autre aspect frappant de cetteidologie dpoque dont les candidats devraient travailler saffranchir pour philosopher vraiment:il semble entendu dsormais que le seul universel admissible est le droit la diffrence ou,plus simplement encore, la diffrence. Tout autre universel et lon est tent de dire que cest afortiori le cas sil est rationnel! est suspect dincliner au totalitarisme (dont la version la pluscourante fut ici lgalitarisme dnonc par Tocqueville). Mais, au lieu dentonner la trs vieilleantienne de la tyrannie de la raison, mieux vaut sans doute pratiquer la raison en reconnaissantlibrement, pour chaque cas envisag, ltendue de ses problmes et de ses crises. Il nest pas deprparation plus directe et plus approprie la premire preuve du concours.

    Rapport rdig par M. Pierre Rodrigo partir des observations des correcteurs

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    DEUXIME COMPOSITION

    SESSION DE 2004

    concours externe

    de recrutement de professeurs agrgs

    section: philosophie

    composition de philosophie:

    Dure: 7 heures

    Penser requiert-il un corps ?

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    Deuxime preuve

    Composition de philosophie

    Composition de philosophie se rapportant une notion ou un couple de notions ou groupede notions selon un programme tabli pour lanne. Dure: sept heures; coefficient 2.

    A partir des donnes chiffres que lon trouvera en annexe, il semble possible dedistinguer cinq groupes de copies.

    Premier groupe de copies: notes de 1 3.Il sagit de copies dont les auteurs nont pas une ide prcise de la finalit du concours

    dagrgation et donc des exigences de lpreuve. Plusieurs motifs, souvent prsents ensemble,sont de nature disqualifier dentre de jeu certaines copies: Labsence de plan reprable: la pense va au fil de la plume, sans perspective densemble. Labsence de toute rfrence; ou bien, ce qui est presque pire, la prsence de rfrencesgrossirement fautives. Dans les deux cas, cela tmoigne dun manque flagrant de culturephilosophique. Une expression gravement confuse, souvent nglige ou triviale, tmoignant duneabsence totale de prcision dans le vocabulaire, mme le plus courant. Ces copies comportentdes fautes rptes de syntaxe et dusage; on y rencontre toutes sortes dabrviations, commesil sagissait de notes prises en cours; il arrive mme que le candidat prenne tmoin lelecteur-correcteur, comme sil sagissait de crer une sorte de connivence.

    Bref, il sagit l de copies qui, pour parler brutalement, ne sont gure suprieures celles que pourraient rdiger les candidats au baccalaurat. Comment esprer tre pris ausrieux dans ces conditions, on ne dit pas par le jury dagrgation, mais par des lycensmmes puisque lagrgation a pour fonction de recruter des professeurs ayant vocation enseigner dans le second cycle de lenseignement secondaire? Quels conseils donner de telscandidats? Sils cumulent tous ces dfauts, le plus sage est peut-tre de se rorienter: il nestpas honteux de sapercevoir que lon a fait fausse route. Sil sagit dun manque de culturephilosophique, il faut lacqurir, ce qui demande du temps et de la modestie.

    On t classes galement dans cette catgorie les copies visiblement inacheves quise terminent de faon abrupte aprs une page ou deux. Elles mmes sont de deux types: si lecandidat na rien dire sur le sujet propos, on se retrouve dans le cas de figure prcdent.Sil sagit dun candidat motif, qui perd ses moyens le jour de lpreuve, le conseil estsimple : sentraner et pratiquer les devoirs en temps limits que proposent toutes lesprparations lagrgation.

    Deuxime groupe de copies: notes 4 ou 5.Nous avons affaire des copies trs faibles, mais qui, la diffrence des prcdentes,

    chouent plutt par ngligence que par ignorance complte des exigences. On peut assigner cela une raison principale : les candidats ne sont pas attentifs la question qui est pose.

    En effet, une copie doit tre construite partir du sujet propos, non pas partir dunautre, tenu pour quivalent ou plus attrayant. Or si le sujet prend la forme dune question, cenest pas encore un problme. Rpondre cette question sans avoir entrepris den analyser lestermes, den assigner lobjet, den mesurer la porte, etc., bref sans avoir entrepris dlaborerce quon appelle souvent une problmatique, cest prendre le risque dtre hors sujet.Exemplaire cet gard est le cas dun candidat qui se plaint du vague du sujet, comme sice ntait pas lui de partir dun nonc, non pas vague mais encore indtermin, pour en

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    faire un problme prcis. Ces dfauts conduisent un propos dsarticul, incapable desapproprier la question, ou qui se rfugie derrire des exposs supposment attendus.

    Que se passe-t-il lorsque ce travail dlaboration nest ni men bien, ni mmeentrepris? Beaucoup de copies se transforment en un expos sur les rapports du corps et delesprit en gnral; ou, cas moins frquent, en un expos sur le dualisme; ou, cas encoremoins frquent, en un expos sur le sensualisme. Et mme dans ce cas les connaissances enhistoire de la philosophie restent souvent insuffisantes: Platon et Descartes sont difficilementreconnaissables et la phnomnologie, notamment la distinction husserlienne de la chair et ducorps, est rduite ltat de caricature. Parfois, on assiste de vritables dviations du sujet:Le corps est-il un instrument pour lesprit?; Lme est-elle immortelle?. On doitgalement signaler de lourds contresens sur les termes de la question pose. Ainsi,requiert est souvent interprt comme spcifiant une condition, ce qui est exact ; mais lajustesse de cette remarque est perdue parce que tel candidat ne voit pas la diffrence entre unecondition ncessaire et une condition suffisante. A ces dfauts, on peut ajouter un certainnombre de maladresses:Un plan peu intelligible, arbitraire ou ne correspondant pas celui qui est annonc. Labsence de transitions. Une introduction multipliant inutilement les questions, ou donnant demble, sans senrendre compte, une rponse la question pose. Dans le premier cas, le candidat ne peut, cause des contraintes de lpreuve (au premier rang desquelles le temps imparti), tre attentif toutes les interrogations souleves: son travail est condamn rester inachev; dans lesecond, il ne peut viter les redites: la rflexion ne progressera pas. Un style purement descriptif ou, au contraire, emphatique (Ce qui se joue l, cest ledestin de la pense occidentale en ce quelle porte en elle dimpens).

    On stonne galement du recours, dans un nombre significatif de copies, destymologies tout fait fantaisistes. Ainsi, un candidat affirme gravement que requrirvient dun verbe latin qui veut dire chrir, ce qui autorise ses yeux de copieuxdveloppements. Bien entendu, il ne sagit pas dinterdire aux candidats de recourir ltymologie, ni aux multiples usages quun terme peut revtir dans le langage usuel.Simplement, il faut faire preuve dun minimum de sagesse pratique: lorsquon ne connat pasle latin, mieux vaut sabstenir dessayer de faire croire le contraire.

    Dans ce groupe, on trouve enfin des copies o lordre conceptuel et lordre historiquesont assimils: le candidat commence par Hraclite, et termine par Habermas; entre les deux,toute lhistoire de la pense occidentale se drouledevant les yeux du correcteur: chaquephilosophe a droit une allusion de trois lignes, la chronologie tient lieu de rflexion.

    On donnera donc les conseils suivants : prendre son temps en face de la questionpose; ne pas faire comme Mnon dans le dialogue ponyme, qui sempresse de rpondre Socrate avec limpression de la plus grande facilit parce quil na, tout simplement, pascompris le type de problme qui lui tait soumis. De faon gnrale, il faut viser la sobrit etla clart dans lexpression, les copies grandiloquentes tant trs rarement intressantes.

    Troisime groupe de copies: notes 6 ou 7.Ce sont des copies qui ne sont pas satisfaisantes, mais plutt par maladresse ou par

    timidit. Il peut sagir de candidats qui se censurent parce quils ont form des prjugsrelatifs aux attentes du jury: il faut absolument faire rfrence aux neurosciences; il ne fautsurtout pas faire rfrence aux neurosciences. Il faut parler de la philosophie analytique; il nefaut surtout pas parler de philosophie analytique. Il faut conclure par la phnomnologie; ilne faut surtout pas conclure par la phnomnologie. La question nest jamais l: un correcteurqui a des sympathies pour la phnomnologie prfrera lire un bon expos sur Ryle quunmauvais sur Husserl; un correcteur ami de la philosophie analytique prfrera lire un bonexpos sur Merleau-Ponty quun mauvais sur Russell. Mais il y a une chose que lun et lautre

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    prfrent: cest de ne pas lire du tout dexposs sur et davoir affaire une discussionargumente, conduite partir dune interprtation pertinente de la question pose, comme il at expliqu ci-dessus.

    Les candidats qui ont obtenu une note de ce groupe font encore usage dunvocabulaire trop imprcis; mais cette imprcision devient, si lon peut dire, sophistique et ilest par consquent plus facile dy remdier. Ainsi, par exemple, les termes matrialisme etpiphnomnisme sont employs dans beaucoup de copies comme sil sagissait desynonymes. En ralit, le matrialisme, qui fait de la pense quelque chose de matriel, ne seconfond pas avec lpiphnomnisme, selon lequel ce qui est physique a une efficacitcausale sur ce qui est mental, mais non linverse.

    Il sagit aussi quelquefois de candidats qui se servent du travail men pendant leurprparation de faon scolaire. Trop de copies mettaient en uvre un plan qui se voulait sansdoute dialectique et qui prenait la forme suivante:

    La thse: penser ne requiert pas un corps, bien au contraire Platon et Descartessont rgulirement convoqus et font figure de dualistestrangers aux proccupations ducommun des mortels: le corps est un tombeau; je connus de l que jtais unesubstance dont toute la nature nest que de penser, etc.

    Lantithse: penser est peut-tre, linverse, quelque chose dexclusivementmatriel La Mettrie, Changeux ou les Churchland, selon le cas, viennent tenir un bout derle, celui du matrialiste radical, pour ne pas dire fanatique: le cerveau produit la pensecomme les reins lurine et le foie la bile, etc.

    La synthse, o il sagit de sortir par le haut dune opposition aussischmatique. Le matrialisme, en effet, est une pense doctrinaire et unilatrale, qui fait dela pense, un os (Hegel). Le candidat se rfre alors Nietzsche (Ton me sera morte,plus vite encore que ton corps); Spinoza (Nul ne sait ce que peut un corps cestparfois bien commode); en appelle au corps propre des phnomnologues, prsentscomme un ensemble indiffrenci et unanime; ou au clou et au manteau bergsoniens, trspriss galement.

    De telles copies sont certes caricaturales; elles rvlent que beaucoup de candidatsnont de connaissances que de seconde main. Ou que, peu habitus travailler en temps limitet faire un effort de mmoire, ils simplifient lexcs ce quils savent peut-tre par ailleurs:mais un correcteur na juger que ce quil lit. En ralit, on ne saurait rsumer une pense parune formule, mme illustre. Ici, le conseil est simple: lire, crayon en main, et mditer lesauteurs convoqus si cavalirement. On verra alors que le Philbe rpond (en partie) auPhdon; que les Rponses aux objections approfondissent et prcisent certaines formules desMditations; que Descartes est aussi le penseur de lunion de lme et du corps, et que biendes formules qui, considres seules, semblent partielles, sont replacer dans le cadre durefus radical des formes substantielles, etc. On ne saurait trop recommander, galement, delire dautres auteurs et dautres textes que ceux auxquels tout le monde va automatiquementpenser: le De Anima dAristote, bien sr; mais aussi par exemple les Seconds analytiques, II,19. Il arrive que les copies de ce groupe commencent sinterroger sur ce que signifiepenser, mais sans avoir les moyens daller bien loin par elles-mmes ou, par exemple, enfaisant rfrence la thse aristotlicienne selon laquelle on ne peut penser sans images ou la thse thomiste selon laquelle il ny a rien dans lentendement qui nait dabord t dans lessens.

    Cest ici loccasion de dissiper un mythe qui, parat-il, circule. Certains tudiants sontpersuads quil ne faut en aucun cas mentionner ou citer dans les preuves crites les auteursfigurant loral ou lpreuve dhistoire de la philosophie. Cest videmment faux. Un usageexclusif de ces auteurs pourrait en effet surprendre les correcteurs et serait sans doutemalvenu.Mais dans le cas despce, lusage prcis de certains passages du De Unitateintellectus de Thomas dAquin a t apprci ; semblablement les candidats qui connaissaient

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    bien les paradoxes lockiens sur lidentit personnelle ou les critiques aristotliciennes de laposition identifie par le Stagirite comme platonicienne, selon laquelle lme est dans le corpscomme un pilote en son navire, ou encore ceux qui ont russi bien exposer le sens de larupture cartsienne ouvrant de nouveaux objets de connaissance non sensibles, ont puaisment accder au quatrime groupe de copies.

    Quatrime groupe de copies: notes de 8 12.Paradoxalement, il sagit souvent de copies comparables en plusieurs points celles

    du troisime groupe; en particulier, le plan adopt est maintes fois, dans ses grandes lignes,celui auquel il vient dtre fait allusion. La diffrence cruciale est la suivante: ces copiesmanifestent des connaissances, quelquefois de solides connaissances et ventuellementdauthentiques comptences en histoire de la philosophie (cest pourquoi une gamme de notesassez large leur correspond). Sans doute la seconde preuve nest-elle pas une preuvedhistoire de la philosophie, comme lindique son intitul composition; ce titre,llaboration dun questionnement proprement philosophique a toujours priorit. Cependant, les copies du quatrime groupe, partir dune interrogation initialeminimale, parviennent, du simple fait quelles mobilisent une vraie connaissance des auteurs, laborer, chemin faisant, une problmatique somme toute srieuse et intelligible. Il est assezfacile de comprendre pourquoi. Raisonnons sur la base dexemples: il est notoire que leproblme des rapports entre le corps et lme lge classique(et souvent mme au-del) etcelui des rapports entre le corps et lesprit dans la philosophie contemporaine, ne se posentpas du tout de la mme faon, contrairement ce quun got excessif pour la symtriepourrait laisser croire. Dans le premier cas, il est question de dterminer le rapport entre deuxsubstances (ou de contester le fait que ce sont bien deux substances auxquelles on ait affaire).Dans le second cas, on se demande quels sont les rapports entre des proprits mentales et desproprits physiques. On a suffisamment insistsur le fait que, en tout tat de cause, il nesagit pas, dans cette preuve, de parler des rapports entre le corps et lesprit en gnral, maisdtudier ce quil en est de penser (sentir, imaginer, connatre, vouloir, etc.) dans sesrapports avec le corps. Nanmoins, les candidats qui connaissent rellement Spinoza,Descartes, Malebranche, Kant, Nietzsche, Husserl et Merleau-Ponty dune part, ou encoreDretske et Davidson dautre part, peroivent les enjeux du dbat et se montrent capables dediscuter des thses philosophiques travers des philosophes.

    De la mme faon, on est souvent tent dassimiler la pense une srie dactesmentaux en premire personne de telle sorte que lesprit devient la capacit davoir un pointde vue qualitatif et subjectif sur le monde; mais les candidats qui connaissaient la tradition(dinspiration nominaliste) selon laquelle penser cest calculer, ne furent pas nafs face unetelle tentation. Cest donc de faon informe et argumente quils ont pu, le cas chant,prendre parti en faveur de la thse subjectiviste ce qui relevait, bien entendu, de lasimple libert de penser.

    Dans ce groupe, on trouve enfin des copies qui tentent de mettre en uvre unerflexion personnelle, parfois avec un certain succs; mais auxquelles il arrive de manquer denuances, voire de phronsis.

    Cinquime groupe de copies V: notes 13 et au-del.On a ici affaire de bonnes, voire de trs bonnes, copies. Il est assez difficile de les

    caractriser en gnral, parce quelles sont toutes diffrentes (ce sont les copies plusmdiocres qui sont toutes semblables). En premier lieu, elles le sont par leur contenudoctrinal; en second lieu, elles le sont par leur style; en troisime lieu, elles le sont parles perspectives adoptes et les rfrences mises en uvre; enfin et surtout, elles sontdiffrentes par la capacit sapproprier une vritable rflexion sur ce que signifie penser.

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    Elles ont cependant en commun un certain nombre de choses: dabord, une vritableattention au libell de la question. Les candidats ne se contentent pas de remarquer querequrir sinterprte comme une condition ncessaire. Ils savent galement que si le corpsest condition ncessaire de la pense ou plutt du fait de penser, il sensuit que lapense ou plutt le fait de penser est condition suffisante du corps, ce qui peut gnrerdes paradoxes. En dautres termes, ils savent lire. Par consquent, sils liminent deshypothses ou abandonnent des pistes de rflexion, ce nest pas par parti pris ou parce quilscommettent une ptition de principe: cest parce quils estiment que la discussion quils ontlabore partir de la question pose ne gagne pas tre conduite dans cette direction.

    Ensuite, ils se conforment peut-tre sans le connatre au vnrable aphorismeselon lequel la philosophie se nourrit de ce qui nest pas elle-mme: ils savent mobiliser,intelligemment et de faon informe, des connaissances qui viennent dautres champs dusavoir. Sans doute il nest pas question dexiger dun tudiant de philosophie quil soit aussiun neurologue, un chirurgien, un psychiatre, un manipulateur en radiologie ou uninformaticien. Mais cest un rel soulagement que de lire des copies dont on voit que leursauteurs ont une notion suffisamment prcise de ce qui se passe dans ces domaines. Il arriveaussi que des connaissances qui relvent de la thologie, du droit ou de lethnologie viennentdonner la rflexion philosophique une vritable prise sur ce qui nest pas elle.

    Enfin, toutes ces copies rvlent une culture philosophique approfondie: une telleculture ne sacquiert pas en une anne de prparation au concours. Elle slabore ds lentre lUniversit ou en classe prparatoire. Elle ncessite des lectures lentes, patientes, difficiles,dont lintrt napparat pas toujours immdiatement. Elle ne se confond pas avec laspcialisation dun chercheur. Elle ne se contente pas ncessairement de connaissancesrudites. Mais elle atteste toujours quon a affaire un candidat qui a essay, dune faon oudune autre, de construire sa propre pense et qui y est parvenu.

    Rapport rdig par M. Jean-Yves Goffi partir des observations des correcteurs

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    TROISIME COMPOSITION

    SESSION DE 2004

    concours externe

    de recrutement de professeurs agrgs

    section: philosophie

    histoire de la philosophie:

    Dure: 6 heures

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    Epreuve dhistoire de la philosophie

    Commentaire dun texte extrait de luvre dun auteur (antique ou mdival, moderne,contemporain) figurant dans un programme tabli pour lanne et comportant deux auteurs,appartenant chacun une priode diffrente. Dure: six heures; coefficient 2.

    La rpartition des notes fait apparatre que le nombre dtudiants qui semblent streprsents lpreuve dhistoire de la philosophie dans un tat dimprparation complte ouquasi-complte (les copies qui ont obtenu une note infrieure ou gale 3) tait relativementbas cette anne (178 sur 955, soit moins dun cinquime du total). Il faut sans doute y voir uneffet du resserrement des programmes, peut-tre amplifi par le fait que le texte propos cetteanne tait dun auteur majeur. Il faut cependant, on le verra, assortir cette constatationoptimiste dune srieuse rserve : trop de candidats semblent avoir dirig lessentiel de leursefforts vers lassimilation et la restitution de contenus doctrinaux. Cette observationsapplique avec par ailleurs des diffrences notables dans lexactitude et la profondeur de lacomprhension des doctrines, la cohrence du propos et la qualit de lexposition lagrande majorit de copies que les correcteurs ont eu lire ; c'est--dire que cela se retrouveaussi bien chez les 349 candidats qui ont t nots entre 4 et 6, que chez les 270 qui ontobtenu entre 7 et 9.

    Le passage propos cette anne tait tir de la fin du livre IX de lEthique Nicomaque dAristote (1170a 16 - b 14) dans une traduction indite. Le choix de retraduire letexte nimpliquait aucune dfiance particulire lgard des traductions franaises existantes ;il ne visait pas non plus orienter linterprtation du texte dans une direction dtermine. Ona seulement cherch mettre sous les yeux des candidats un texte clair et syntaxiquementcorrect, tout en conservant suffisamment de prcision et de constance dans la terminologie. Ilest vrai que cet objectif apparemment modeste nallait pas lui-mme sans difficult, sagissantd'Aristote, et quil impliquait des choix qui peuvent tre discuts. Les correcteurs ontnotamment observ que :

    le statut de la proposition des lignes 20-21: lhomme vertueux est lgard de sonami comme il est lgard de lui-mme, reste indtermin dans la traduction: sagit-ildune prmisse supplmentaire (ce qui est lopinion de la majorit des traducteurs), ou cequi semble tre le cas ici dune conclusion intermdiaire, prparant la conclusiondensemble de la dmonstration (de mme que pour chacun [] ltre de son ami) ?

    si sunaisthanesthai, la ligne 1170b 10 (l. 27 du passage) a vraisemblablement lesens de sentir en commun avec quelquun dautre, il est plus probable que dans sapremire occurrence aux lignes b 4-5 (l. 20-21 du texte) il signifie simplement ressentirintrieurement ou avoir conscience ;

    enfin, le dcoupage du texte en trois alinas avait pour effet de suggrer auxcandidats un plan qui ntait pas le seul possible, ni forcment le meilleur.

    Cela dit, les correcteurs nont pas remarqu que lune ou lautre des particularits decette traduction ait elle seule induit des candidats en erreur, ni mme quelles aient aggravde faon notable la difficult du texte. Si le jury a fait des choix de traduction pour ce texte, ilnen a pas moins accept diffrentes interprtations, tenant compte dabord et avant tout deleur propre cohrence.

    On prsentera ici une analyse succincte de l'argumentation du passage, avant derevenir sur les erreurs les plus gnantes et les plus frquemment commises dans la conceptiond'ensemble du commentaire, et sur les leons que peuvent en tirer les candidats et futurscandidats.

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    A la fin du livre IX de lEthique Nicomaque, aprs avoir analys les conditionsdexistence de lamiti et ses diverses formes, Aristote sinterroge sur la contribution quelleapporte la vie heureuse, comme il le fera au livre X pour le plaisir et pour la theria. Ilrencontre alors la difficult suivante : en quel sens, et pour quelles raisons, lhomme heureuxpeut-il avoir besoin damis (1169b 3-4), ds lors que la vie heureuse est caractrise parson autosuffisance ?

    Le passage montre donc Aristote aux prises avec une difficult relle, certes limitedans son objet, mais sans doute importante ses yeux, puisquelle porte en dernire analysesur la dfinition de la vie humaine accomplie. Il construit dans ces trente lignes une rponseprcise et fortement argumente, qui cest un autre trait remarquable du passage mobilisedes ressources conceptuelles quil va chercher assez profondment dans son systme, savoir dans la doctrine physique de lme, celle-ci tant elle-mme claire par la doctrineontologique de la puissance et de lacte. La solution qui rsulte de ce travail, tout en tant, parprincipe, cohrente avec ses bases psychologiques et mtaphysiques, les claire en retour dunjour nouveau. Elle est aussi conue pour sintgrer de faon trs prcise dans le champ de larflexion thique, par la relation troite quelle entretient avec la doctrine du plaisir et avec ladiscussion sur le choix entre vie active et vie contemplative. Les meilleures copies ont tsensibles ces caractres originaux du texte : la perspective quil prend sur une vaste rgiondu systme, la richesse et la sret de son argumentation, en mme temps que son caractreproblmatique et parfois mme hsitant.

    1. Le vivre humain est dfini par les actes de sentir et de penser. Mais il estremarquable que cette dfinition ne soit pas donne d'emble, et qu'Aristote commence parposer que vivre se dfinit par les puissances correspondantes. On peut penser qu'il asimplement voulu prendre pour point de dpart une conception courante de la vie au sens dunaturaliste, quitte la rectifier aussitt ; et c'est en un sens vrai. Mais cette faon de procderfait apparatre la vie comme quelque chose qui se dploie entre un tat de fait incompltementdtermin (la vie au sens biologique) et un tat d'achvement qui est en soi la fin de toutes lesautres formes de vie.

    2. Cette finalit est prouve et reprsente comme telle par les tres humains. Celuiqui la reconnat entirement comme un bien est lhomme de bien ; c'est pour lui que vivreest prfrable (haireton, littralement objet de choix). Mais cette reconnaissanceadquate, s'ajoute une exprience sensible immdiate de la valeur de la vie sous la forme delagrable, exprience qui est accessible tous les hommes et qui se traduit par leurattachement spontan lexistence (l. 4-7). Le mme bien qui est reconnu et prouv dans saplnitude par lhomme de bien se manifeste tous les hommes travers la reprsentation deplaisirs possibles, et cela explique leur dsir de vivre.

    La thse que la vie est un bien en soi est ainsi tablie par deux voies : (1) elle estdduite de la dfinition du vivre et dune version du principe de lantriorit de lacte sur lapuissance ; (2) elle est confirme empiriquement par le fait que tous les hommes dsirentvivre (lignes 10-11) ; ce second argument est lui-mme complt (l. 11-13) par un argument afortiori, lhomme de bien ayant une vie objectivement meilleure. On remarquera qu'aux lignes6-7, d'une part, et 11-13, de lautre, on a deux infrences symtriques : la premire conclut dela situation de lhomme de bien l'exprience des autres hommes (ce qui est un bien pour luiapparat agrable, par suite, tous), la seconde va en sens inverse. Ce nest pas uneincohrence : lun des deux faits est la raison, et lautre le signe, de lautre ; et ces deuxinfrences correspondent aux deux types d'arguments utiliss (la reconstruction ontologique etla vrification empirique), dont elles montrent la solidarit.

    3. Cette complmentarit des deux arguments se retrouve dans la faon dont Aristotersout lobjection qu'il envisage aux lignes 7-9 : il y a des faons de vivre qui ne contiennentaucun bien, ou dans lesquelles le mal lemporte trs largement sur le bien.

    On peut dailleurs se demander si les deux exemples quil donne ici (la vie dprave

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    et corrompue et la vie de peine) sont deux illustrations de la mme objection, ou s'ilscorrespondent deux objections diffrentes. On optera pour la seconde interprtation si lonconsidre que lexemple de la vie de peine signifie que lamour de la vie nest pas absolumentuniversel ; en effet, lhomme dprav et corrompu n'prouve pas ncessairement sa conditioncomme misrable, et au contraire il peut tre farouchement attach la vie. Mais Aristote veutdire quobjectivement, lexistence d'un tel homme n'est pas un bien ; il apparat ainsi commelantithse exacte de ce que sera, la fin du passage, lami de l'homme de bien. Il reste quecette interprtation objective peut s'appliquer aussi bien lexemple du malheureux, qui mneune vie que lon ne souhaiterait personne ; de sorte que l'on a peut-tre affaire une seule etmme objection.

    Pour lcarter, Aristote souligne que le critre empirique (lamour universel de la vie)nest probant que sil est lui-mme confirm par le critre ontologique. L'emploi du terme(relativement rare) hrismenon, quelque chose de dfini, au lieu d'une rfrence directe la notion dacte, a sans doute pour fonction de permettre le passage d'un niveau l'autre : lesvies pnibles et corrompues sont indfinies parce qu'elles n'ont pas de norme interne et nepeuvent tre dcrites que comme des carts.

    4. Le second moment de la dmonstration introduit dabord, dans un premiermouvement inductif (lignes 13-15), une autre forme de reprsentation humaine du vivre. Lavie nest pas seulement dsire ou souhaite : Aristote affirme quen outre il existe uneexprience spcifique de la vie, un plaisir de vivre qui est capable de satisfaire notre dsir devivre, et qui est indispensable pour lorienter et pour sanctionner sa russite. Cette exprience,il la rattache trs normalement aux diverses formes daisthesis dcrites au dbut du livre III duTrait de l'me, que la tradition runit sous la rubrique du sens commun. Les bonnescopies ont assez gnralement reconnu cette rfrence ; curieusement, en revanche, elles ontt beaucoup moins nombreuses reconnatre la parent entre les analyses de ce passage dutexte et la doctrine du plaisir du livre X de l'Ethique Nicomaque.

    5. Il sagit donc dun type de perception qui donne l'tre humain une conscience deson activit, et en dfinitive (le texte le dit expressment aux lignes 16-17) de son tre.Beaucoup de candidats semblent avoir t troubls ou gns par cette proximit inattendued'un morceau de philosophie antique avec la notion moderne de la conscience de soi. Ils ontragi avec une prudence que l'on peut estimer excessive, en s'interdisant toute comparaison,voire toute allusion, qui puisse risquer d'apparatre comme une assimilation anachronique. Ilsse sont ainsi privs, en renonant confronter les expriences rflexives mentionnes dans letexte, par exemple au cogito cartsien, dun moyen efficace de les caractriser et d'enapprcier la porte philosophique. Ainsi, ils auraient pu voir que la forme de conscience dontil est question ici nest rflexive que par accident : elle relve normalement du sentir, et sisentir que l'on pense revient penser que l'on pense, c'est parce que le penser (noein)ne peut tre peru autrement que par un acte de pense. Le je s'y saisit rellement, maiscomme un sujet naturel, prsent aussi bien dans un je marche que dans le je pense. Demme, elle nest conscience d'tre que par accident : parce qu'elle est conscience de sentir etde penser et que les actes de sentir et de penser se trouvent caractriser la vie humaine. Il y aun sens la dcrire en style ontologique (en effet, c'est parce qu'elle est la saisie de laperfection dune activit qu'elle se traduit par un plaisir), mais elle n'est pas en elle-mme uneexprience de ltre ; il sensuit qu'elle n'a pas de valeur pistmologique particulire.

    6. On a dj signal lincertitude qui affecte la proposition des lignes 21-22 :l'homme vertueux [] de lui-mme. Si on lentend comme une prmisse, elle a pourfonction dexpliciter la formule proverbiale : lami est un autre moi-mme, cite dans laparenthse qui suit. Si au contraire on en fait une conclusion intermdiaire, alors il faut fairejouer la parenthse le rle dune prmisse spare, et donner la formule comme il est l'gard de lui-mme un sens plein, faisant rfrence au plaisir que l'homme de bien prouvedans le sentiment de sa propre existence, ce qui serait alors dvelopp dans la proposition

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    suivante.7. On soulignera enfin, puisque tant de candidats semblent lavoir mconnue, la

    signification simple et immdiate de la conclusion laquelle aboutit ce passage, et qui est enmme temps celle du texte tout entier : lhomme de bien est content que son ami existe (l. 23-24) et dtre proche de lui ; et il n'en attend rien d'autre que cette jouissance.

    8. C'est pourquoi il faut, pour finir, dterminer quelle est lexprience de l'amiti quiralise concrtement cette relation de lhomme de bien son ami, de la mme faon que leplaisir quil trouve dans la conscience de son tre et de son activit achve et satisfait sonpropre dsir de vivre. C'est ce mode de vie qui est lobjet propre du besoin de lamiti.

    La vie commune qui caractrise lamiti parfaite doit tre affranchie desdterminations pathologiques de lamiti que sont par exemple la dpendance, la recherche delutilit ou le dsir amoureux ; elle nen est pas moins une vie en commun, ce qui supposesans doute la proximit et une certaine quotidiennet. Mais (l. 25-26) tout comme le bonheurde lhomme vertueux, dont elle est en fait une partie, elle n'est pleinement relle que dans lamesure o elle est capable de se rflchir, ce qu'elle fait ici sous la forme proprementhumaine du discours et du dialogue. Il tait tentant, d'un point de vue moderne, davancerlide que la rflexivit indispensable au bonheur ne se ralise vritablement que dans lediscours, et que par consquent elle suppose autrui, sous la forme de lami. Mais il estprobable quAristote ne va pas aussi loin, comme l'indique la restriction (ou peu dechose prs) de la fin du second alina.

    9. La formule de la ligne 28, en mettant en commun discours et rflexions (lognkai dianoias) peut rfrer aussi bien une vie thortique tourne vers la recherche du vrai,qu la dlibration politique. Cela pose la question des relations entre lamiti et le lienpolitique. Les candidats ont gnralement peru une tonalit politique dans le troisimealina, ce qui est dautant plus remarquable que la lettre du texte nimpose nulle part cetterfrence la cit. Mais ils avaient certainement raison sur le fond : lamiti qui est dcrite icine peut exister quentre des concitoyens et dans une cit de type grec. Mais ce seraitnanmoins un contresens que de les confondre, ou de substituer lune l'autre. Une certaineforme minimale de philia (le fait davoir en commun le bien et le mal, le juste et l'injuste) estau fondement de la cit ; et dautre part Aristote prsente parfois (par exemple Politique III 9)lamiti comme un critre distinctif de la socit proprement politique. Pourtant le projetpolitique et celui de lamiti ne se confondent pas, comme le montre en particulier la critiquede Platon au livre II de la Politique. Le critre de dmarcation est que le lien politique admetet mme exige un certain cart entre les concitoyens, alors que lamiti suppose lacommunaut ; employ dans un contexte politique, le terme de philia dsigne cette part decommunaut et de proximit qui est indispensable lexistence de la cit, mais qui ne sauraitabsorber compltement le lien social sans en pervertir la nature.

    Tel quil a t dcoup, le passage ne comporte pas dnonc complet de laporie laquelle il rpond. Elle devait donc tre retrouve partir de la conclusion, ce qui supposaitvidemment que celle-ci ait t correctement identifie. Cette difficult (qui a pu tre elle-mme aggrave par le fait que lami, qui est en un sens le vritable objet de toute ladiscussion, napparat pas avant la ligne 21) a probablement dsaronn quelques-uns descandidats les moins bien prpars, et a donn lieu des contresens varis concernant lobjetdu texte. Ainsi certains de ceux qui ont t frapps, comme on la dit, par la tonalit politiquedu dernier ont voulu voir dans le texte une dduction du politique partir de la physique,ce qui est certainement excessif ; ou mme cause des allusions de la premire phrase auxanimaux et de la dernire aux bestiaux le dveloppement d'une opposition entre lhommeet lanimal.

    Malgr tout, la plupart des candidats ont reconnu au moins quil sagissait de justifier,du point de vue de lhomme de bien, la valeur que lon accorde lamiti. Mais dans bien des

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    cas ce reprage de la question, quoique globalement correct, reste approximatif ou incompletpour trois raisons principales :

    (1) La tension entre lide dune vie accomplie (donc autosuffisante) et le fait que lona besoin de son ami nest pas thmatise dans le passage, bien quelle y affleure plusieursendroits. Les candidats qui ne lont pas reconnue, ou qui navaient pas prsent lesprit lecontexte des livres VIII et IX, ont eu tendance aplanir le texte, voire laffadir (il ne sagitpas simplement ici dune valeur de l'amiti en gnral, mais de la faon prcise dont ellepeut sintgrer dans un idal qui combine laccomplissement des vertus morales et le plaisirde vivre).

    (2) Beaucoup nont pas reconnu derrire les deux adjectifs agrable (septoccurrences dans le passage propos) et prfrable (quatre occurrences) des conceptstechniques au sens prcis, qui se rattachent des contextes thoriques importants danslEthique Nicomaque : pour le prfrable, la doctrine de la dcision du livre III ; pourlagrable, non seulement la doctrine du plaisir des livres VII et X, mais aussi la relationcomplexe quil entretient avec la notion du bien.

    (3) Il semble enfin que beaucoup navaient pas une reprsentation suffisamment claireet prcise de ce qu'est la philia. Il fallait en voir ltendue (diversit des personnes auxquelleselle sadresse, diversit des motifs sur lesquels elle se fonde) ; il ne fallait pas non plusmconnatre son caractre concret : dans toutes ses formes, elle sadresse toujours despersonnes singulires. C'tait donc un contresens que de runir sans prcaution la philia lamour du prochain, et plus encore de la subsumer sous lune ou lautre des problmatiquesmodernes de la relation un autrui indtermin.

    Il est vident que les candidats qui avaient une connaissance prcise du contexte deslivres VIII et IX et, au-del, de lEthique Nicomaque tout entire, taient en bien meilleureposture pour comprendre le texte et en dvelopper toutes les implications. Mais une lectureattentive du texte, et la simple rflexion sur le sens courant du mot amiti en franais,auraient d suffire pour viter les plus graves erreurs et contresens.

    Sur la pense d'Aristote en gnral, les candidats ne manquaient pas de connaissances.Les correcteurs ont lu des exposs bien informs, et souvent bien matriss, en particulier surla dfinition du vivre et les puissances de lme, ainsi que sur le sens commun ou sur le sentirdu sentir. Mais ils ont constat que, dans bien des cas, cette connaissance de laristotlismetend se dployer pour elle-mme ; et que mme lorsquelle est effectivement utilise pourexpliquer le texte, elle nen claire gnralement que des lments considrs en eux-mmes,cependant que le mouvement d'ensemble du passage reste dans l'ombre. Un dfautcaractristique, et que lon a retrouv jusque dans des copies d'un bon niveau, est ledsquilibre, dans le commentaire, entre les diffrentes parties du texte : on voit des candidatsqui consacrent plus de la moiti de leur copie expliquer les neuf premires lignes, cependantque les quinze suivantes et surtout le troisime alina sont traits de faon trs sommaire ; ilnest pas rare que ce dernier soit entirement nglig.

    On serait tent de dire que ces candidats ont manqu de temps. Mais on voudraitattirer leur attention sur le fait que dans une preuve telle que celle-ci, le manque de temps nesaurait se rduire une circonstance fortuite et contingente :

    Avant tout, on manque de temps parce que l'on na pas rellement compos, c'est--dire que lon n'a pas pris, avant de commencer rdiger, la mesure exacte de ce quil y aurait faire et du temps dont on dispose pour le faire. Cette simple exigence rhtorique, biencomprise et bien pratique, se transforme naturellement en une vertu philosophique : car pourbien concevoir la forme extrieure de lexposition, il faut apprhender le texte dans sa totalit,avec son ordre interne et son but, et faire de ce but le critre ultime des dveloppements conserver ou sacrifier (si intressants qu'ils puissent paratre en eux-mmes).

    Plus grave, il arrive souvent que lon doive souponner le candidat davoir plus ou

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    moins consciemment choisi de se rfugier dans la restitution de connaissances doctrinales aulieu daffronter les difficults du texte. Une prparation oriente principalement verslacquisition de contenus doctrinaux ou, pire encore, vers lassimilation de connaissances deseconde main ne permet gure d'aller au-del de la rcitation.

    Enfin, le nombre de ces copies dsquilibres sexplique sans doute aussi par le faitque, comme on la dit, les termes techniques qui figurent dans le dbut du passage (lacte et lapuissance, la sensation et la pense) taient beaucoup plus aisment identifiables, et donnaientlieu des dveloppements plus faciles, que les concepts thiques qui sont luvre dans lasuite concepts plus dlicats mais non moins techniques que les premiers, et en ralitbeaucoup plus importants pour comprendre le passage.

    Pour leur plan, la plupart des candidats ont repris la division en trois parties suggrepar la typographie. Cette division tait dailleurs tout fait plausible ; mais dans certains cason ne peut pas se dfendre de limpression qu'elle a t entrine sans plus de rflexion. Aloppos, les correcteurs ont remarqu que la plupart de ceux qui ont rsist cette tentationlont fait avec des arguments intressants, et qu'ils aboutissaient gnralement desdescriptions pertinentes du mouvement du texte.

    Limportant, en cette matire, est de bien comprendre que lanalyse du passage nesaurait se rduire une opration simple de dcoupage, et que les moments de l'argumentationou de la mditation ne concident pas forcment avec les divisions rhtoriques du texte. Ainsi,il ntait pas difficile de reprer la forme extrieure de la longue dmonstration du secondalina, avec ses cinq ou six prmisses bien marques dans la traduction par une succession deet si. Mais la plupart des candidats se sont contents dclaircir la signification dechacune de ces prmisses considre isolment, sans se demander quelle tait sa fonction (enparticulier celle de la deuxime, relative au sentir du sentir) dans lconomie du texte. Lamtaphore classique des articulations d'un texte est prendre au srieux : une section nepeut tre comprise que lorsquon aura reconnu les relations quelle entretient avec celles quila prcdent et la suivent, de telle sorte que lanalyse puisse dboucher sur une reconstitutiondu mouvement dans sa continuit.

    Il faut galement se garder d'appliquer tout texte un schma de progressionrectiligne. Cest sans doute aussi pour avoir suppos que la conclusion devait tre contenuedans les dernires phrases, que certains ont voulu y voir une dmonstration de lessencepolitique de l'homme. En fait, lessentiel de la dmonstration tait contenu dans le secondalina. La conclusion (lexistence de mon ami est prfrable) est acquise la ligne 24, etles six lignes qui suivent ne font que revenir sur cette conclusion pour en expliciter le sens, ouplus exactement pour ltoffer en dterminant le mode de vie qui est susceptible de raliser lapleine conscience de lexistence de lami. Symtriquement, le premier alina reprsente unmoment prparatoire, dont le rsultat principal (la thse que la vie est en soi une chose bonneet agrable pour l'homme de bien) est synthtis dans les lignes 10 13, cependant que sapremire tape (la dfinition du vivre comme lacte de sentir ou de penser) sera rinvestie unpeu plus loin (aux lignes 16-19), et nouveau dans le troisime alina, o elle permet dedonner un contenu l'amiti des hommes de bien.

    On mentionnera pour finir le fait que de nombreux candidats, y compris parmi lesmeilleurs, ont cru bien faire en cherchant dgager des syllogismes dans largumentationdAristote. Les rsultats ont presque toujours t dcevants. On ne sappesantira pas sur leserreurs, voire les bourdes (fautes de logique et confusions terminologiques graves), auxquellescet exercice a pu donner lieu ; mais on reste quand mme perplexe devant la malheureusedmangeaison qui pousse des candidats, qui ne sont plus des enfants, vouloir parler dequelque chose que de toute vidence ils connaissent si mal, comme sils avaient la moindrechance de faire illusion. On voudrait leur rappeler en tout cas que la conviction htronome

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    qu'il faut parler de ceci ou cela, conduit presque immanquablement dire des choses sansintrt, et souvent des sottises. Mme lorsque les paraphrases syllogistiques proposes sontformellement correctes, elles ne paraissent gure utiles pour la comprhension du texte. Ainsi,un candidat, par ailleurs estimable, reconstruit ainsi les lignes 6-7 :

    Ce qui est bon par nature est bon pour l'homme de bien ;ce qui est bon pour lhomme de bien est bon pour tous les hommes ;donc ce qui est bon par nature est bon pour tous les hommes.

    Mais dans ce syllogisme, on ne retrouve plus la variation entre ce qui est bon et ce quiapparat agrable, avec son prsuppos, lide gnrale selon laquelle ce qui est en soi unbien peut apparatre sous la forme sensible immdiate de lagrable. Un argument de cettesorte est un lieu, il relve de la topique plutt que de la syllogistique.

    On redira pour conclure que lpreuve dhistoire de la philosophie se prpare et que letravail paie, mais quil faut bien comprendre dans quel esprit on doit travailler. Les meilleurescopies sont celles qui font preuve dune bonne connaissance, non seulement des doctrinesdAristote et de ses uvres, mais aussi et c'est l le point discriminant de son activit depenseur et de son style philosophique. Ces commentaires sont intressants, et souventpassionnants, parce que leurs auteurs se montrent sensibles ce qui intresse Aristote et cequi lembarrasse, et finalement aux problmes dinterprtation que pose la faon particuliredargumenter et dcrire qui est la sienne. Les connaissances historiques, la familiaritquelles procurent avec lauteur et son uvre, sont donc indispensables; mais en fin decompte les candidats ne doivent pas oublier que lobjet de l'preuve est de les confronter unproblme philosophique prcis, formul et discut par une intelligence singulire, et quunetelle rencontre aura toujours quelque chose dinattendu.

    Rapport rdig par M. Michel Crubellier partir des observations des correcteurs

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    ORAL

    160 candidats ont t admissibles. La barre dadmission a t fixe 8,96/ 20; cestdire quelle a nettement progress par rapport aux annes antrieures: 7,71 en 2003; 7,29 en2002 et 6,96 en 2001. La moyenne des candidats admissibles aux 4 preuves dadmission estde 7,33/ 20, celle des candidats admis de 10,13.

    Parmi les 160 candidats admissibles lagrgation, on compte 99 hommes et 61femmes. Parmi les admis, 41 hommes et 23 femmes. Les admissibles les plus gs sont ns en1965, les plus jeunes en 1982.

    La rpartition par profession des admissibles est la suivante:Elves des ENS: 23Professeurs certifis et certifis stagiaires: 26Elves des IUFM: 19Etudiants: 73Sans emploi: 7Matre auxiliaire: 2Autres catgories: 10

    La rpartition par acadmies des admissibles est la suivante: Aix-Marseille 1, Besanon 1,Bordeaux 3, Caen 5, Clermont-Ferrand 2, Dijon 3, Grenoble 6, Lille 7, Lyon 23, Montpellier4, Nancy-Metz 1, Poitiers 1, Rennes 5, Strasbourg 3, Toulouse 4, Nantes 5, Orlans-Tours 3,Amiens 3, Rouen 4, Nice 1, La Runion 1, Paris-Versailles-Crteil 74.

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    Premire leon

    Leon de philosophie sur un sujet se rapportant, selon un programme tabli pour lanne, lun des domaines suivants: la mtaphysique, la morale, la politique, la logique etlpistmologie, lesthtique, les sciences humaines. Dure de la prparation: cinq heures;dure de lpreuve: quarante minutes; coefficient: 1,5.Pour la prparation de la leon, aucun ouvrage ou document nest mis la disposition descandidats.

    La modification la plus importante introduite par la rforme du concours delagrgation, qui entrait en vigueur en 2004, concernait la premire leon des preuves orales.Celle-ci porte dsormais sur un domaine et les candidats ne peuvent saider daucunouvrage ou document durant leur temps de prparation. Le domaine retenu cette anne taitlesthtique. Le droulement de lpreuve a permis au jury de constater les effetsincontestablement positifs de cette rforme sur le niveau et la qualit densemble des leons.Si trop de candidats ont encore manifestement considr lesthtique comme lasile delignorance et ont cru quil tait possible de traiter un problme esthtique sans faire appel aucun savoir positif, sans jamais se servir dexemples et en se contentant de quelques idesvagues tires de Kant ou de Platon, beaucoup de leons tmoignaient en revanche du srieuxavec lequel ces candidats staient prpars lpreuve. Le jury a parfois t tonn, voireimpressionn, par les connaissances et les comptences de certains candidats enpeinture, en musique ou en architecture, et surtout par la manire dont ils les utilisaient pourconstruire une problmatique vritablement philosophique et souvent originale. ct deleons mdiocres ou vides de tout contenu, le jury a entendu cette anne un nombre debonnes, voire dexcellentes leons sur lesthtique qui attestent un progrs indniable parrapport ce quon pouvait entendre sur lesthtique dans le cadre de lancienne leon B.

    Chaque candidat avait le choix entre un sujet quon pourrait appeler desthtiquegnrale (Cration et production, Le plaisir esthtique, Les jugements de got sont-ils susceptibles de vrit?, Lartiste et lartisan, Lart vise-t-il ncessairement lebeau? etc.) et un sujet plus spcialis, plus technique, portant le plus souvent sur un art ouun problme artistique (La musique et le temps, Y a-t-il une esthtique industrielle?,Lumire et couleur, La littrature engage, Le cinma est-il un art?, Le thtre etles murs, La posie dit-elle le rel?, Larchitecture et lespace, etc. ). La plupartdes candidats ont prfr choisir le sujet gnral, soit parce quil leur paraissait plus rassurant,plus ais traiter philosophiquement, soit parce quils pensaient que ctait le seul quilspouvaient traiter, ne possdant pas les connaissances requises par le deuxime sujet. Or, dansles deux cas, ce choix sest rarement avr payant pour les candidats. Le nombre desbonnes ou trs bonnes leons a t proportionnellement beaucoup plus grand pour ledeuxime sujet que pour le premier, et le risque pris par les candidats qui avaient choisi detraiter du paysage plutt que du jugement esthtique, du matriau musical ou du dessin pluttque lide dimitation a le plus souvent t rcompens. Cela dit, certaines leons portant surdes sujets gnraux, comme Lvaluation des uvres dart ou Lexprienceesthtique, ont t trs russies, et il ny a pas en ce domaine de rgle formelle.

    Quel que soit le type de sujet choisi, le jury attend du candidat la construction duneproblmatique personnelle, solidement argumente, et prsente dune faon vivante etintellectuellement bien rythme. Plusieurs dfauts mritent cet gard dtre signals.

    Trop de candidats croient ncessaire dexposer de manire dtaille la fin de leurintroduction les diffrents points quils vont aborder dans leur dveloppement. Une telleprsentation nest pas seulement philosophiquement inutile, elle est rhtoriquement

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    dangereuse dans la mesure o elle ne peut viter, dans une introduction, de prendre la formedune construction arbitraire. Il suffit donner les articulations essentielles du plan suivi, sansentrer dans le dtail. Et de mme quune introduction ne consiste pas rsumer ce que lon vadire, une conclusion ne consiste pas non plus rsumer ce que lon a dit, comme cestmalheureusement le cas dans de nombreuses leons.

    En ce qui concerne le plan lui-mme, on peut dplorer que trop de leons suivent unplan mcanique et artificiel, opposant de faon abstraite et extrieure des thses galementunilatrales et insoutenables. Sur un sujet comme Histoire des techniques et histoire delart, un candidat peut ainsi soutenir dans une premire partie que lart na strictement rien voir avec la technique puis, dans une deuxime partie, que lart se rduit intgralement latechnique, cest--dire soutenir tour tour deux positions galement indfendables,auxquelles dailleurs lui-mme nadhre pas ncessairement mais quil feint de reprendre son compte pendant un certain temps pour satisfaire aux exigences de ce quil croit tre uneconstruction dialectique. Certains candidats semblent croire, bien tort, quil fautlonguement plaider pour des thses absurdes et dpourvues de la moindre plausibilit avantdarriver, in fine, un propos raisonnable et mordant sur la ralit. Mieux vaudrait partirdirectement de la ralit de problmes rels, de pratiques relles, dvaluations esthtiquesrelles, etc. linverse, des candidats ont su traiter leur sujet de faon la fois rigoureuse etinventive. Cest ainsi quun sujet portant sur lexistence du progrs en art donn lieu unetrs belle leon: la rflexion philosophique se dveloppait partir dexemples toujours trsbien choisis (linvention de la croise dogives, de la peinture lhuile, de la photographieetc.) qui permettaient chaque fois de travailler le concept de progrs, et de faire varier sasignification selon son champ dapplication. Une autre leon sur Le matriau musical a suanalyser avec rigueur le paradoxe dune telle expression, en faisant varier la notion dematriau partir dexemples musicaux et en sappuyant sur des rfrences thoriquesprcises.

    Il faut insister sur limportance des exemples dans une leon desthtique. Commentun candidat peut-il traiter un sujet comme Quest-ce quune uvre dart? sans jamaisrecourir aucun exemple, cest--dire en ignorant compltement lexistence des uvres dart,en faisant comme sil ny avait pas duvres dart? Le jury a guett, pendant 40 minutes,lexemple qui aurait permis au candidat de sortir de labstraction et du verbalisme mais cetexemple salvateur nest jamais venu. En outre, les exemples, comme les concepts, doiventtre travaills, et non pas simplement invoqus de manire allusive et verbale. Il vaut toujoursmieux sarrter un ou deux exemples bien choisis et analyss avec prcision quaccumulerles exemples comme de pures citations ornementales. Lexemple ne doit pas avoir unefonction dcorative mais il doit nourrir la rflexion et lui permettre de se dvelopper dans unedirection donne, ce qui suppose quon le connaisse autrement que par ou-dire et quon laitvraiment tudi. Trop de candidats voquent sans conviction des toiles quils nontmanifestement pas vues ou des auteurs quils nont pas lus. Il nest certes pas facile de dcrireun tableau ou de rendre compte dun mouvement musical, mais certains ont su le faire, parfoisde faon trs remarquable; cest ainsi que le jury a entendu quelques belles analyses desAmbassadeurs dHolbein, des Epoux Arnolfini de Van Eyck, du Benedictus du Requiem deMozart ou de la technique du Sprechgesang dans le Pierrot Lunaire de Schnberg. A cetgard, le jury na pu que dplorer le manque doriginalit, et de culture, des candidats qui serfrent sempiternellement aux mmes exemples, le prtendu urinoir de Duchamp et leschaussures de Van Gogh tant, de trs loin, les deux exemples les plus frquemment cits,et mal cits. Il a notamment t frapp par la pauvret des exemples emprunts la littratureet labsence quasi gnrale de rfrence au champ de la thorie littraire et thtrale.

    On peut stonner aussi que les candidats ne songent pas plus souvent mettre enrelation les concepts techniques des sphres artistique et esthtique avec les conceptstechniques de la philosophie: lanalyse de la notion musicale dharmonie aurait ainsi gagn

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    tre confronte avec le concept dharmonie tel quil est par exemple pens par Leibniz.Inversement, des notions comme celles de forme, de rgle ou de beaut ne peuvent tretraites comme de purs concepts abstraits; leur laboration philosophique doit tenir comptede la ralit effective de lart. On peut partir de lide kantienne selon laquelle le Beau est cequi plait sans concept, mais condition de confronter cette ide avec les productionsartistiques et les thories de lart, par exemple celles de la Renaissance et de lge classique,pour sinterroger sur sa pertinence. Il faut rpter que la leon dagrgation est une leon dephilosophie, quelle porte donc sur des objets rels et des problmes rels. Certains candidatssemblent vivre, et en tout cas parler et penser, dans un monde dartefacts philosophiques, o ilva de soi, parce que des philosophes lont dit ou parce que lon croit, souvent tort, quilsont dit que toute uvre dart vise la beaut (Platon), que lartisan accomplit un travailpurement mcanique (Kant), que le sculpteur attaque son matriau sans projet pralable etrpond au fur et mesure aux sollicitations dudit matriau (Alain) ou encore que le gnie delartiste consiste saffranchir de toutes les rgles (Kant de nouveau). Or il peut arriver quedes philosophes disent des choses inexactes sur lart, la plupart du temps parce quils veulenten fait parler dautre chose, et cest en tout cas une attitude profondment anti-philosophiqueque de prendre leurs propos pour argent comptant, sans jamais les mettre lpreuve de laralit, cest--dire des objets dont ils parlent.

    ce sujet, il faut dire fermement quune lecture htive et rductrice de la troisimeCritique de Kant na pas aid certains candidats. Rappelons que le projet de Kant dans laCritique de la facult de juger nest pas dabord de proposer une philosophie du beau, encoremoins de lart, mais bien de rsoudre un problme central de sa thorie des facults (lamdiation entre lentendement et la raison, entre la nature et la libert). En ce sens, lesclbres analyses du gnie qui donne ses rgles lart nont pas pour vise de penser lart partir de lexprience effective des artistes, des crateurs, des interprtes ou des spectateurs,mais bien de rsoudre un problme de nature transcendantale un problme interne laproblmatique kantienne, et dont on ne peut user dans une rflexion proprement esthtiquequavec un certain nombre de prcautions. Cela nempche dailleurs nullement Kant derappeler fermement que lesbeaux-arts supposent, en tant quils relvent de la productionartistique et donc aussi technique, des rgles par le moyen desquelles le produit (luvre) estreprsent comme possible ( 46), que ces rgles, y compris dans leur dimension scolaire,sont indispensables au produit des beaux-arts, et que lartiste doit se former lcole(47). Sous la vague et trompeuse tiquette de gnie, la dimension du travail, prsentedans toute production artistique, a trop souvent t nglige, voire compltement refoule parnombre de candidats, comme a t ignore la dimension artistique prsente dans le travail delartisan, toujours dfini ngativement par rapport lartiste comme un ouvrier nepossdant quun savoir faire et priv de gnie! On ne saurait trop conseiller cescandidats, victimes de prjugs philosophiques autant que de leur ignorance, daller visiter lesmuses consacrs aux arts dcoratifs: en voyant un verre de Venise du XVIIme sicle ou unmeuble de Boulle, ils comprendraient lineptie de tels propos.

    Le jury a pu cet gard constater que