Adjuvants de l’anesthésie locorégionale en ophtalmologie : rendez-nous la hyaluronidase !

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Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 3 179 ÉDITORIAL Adjuvants de l’anesthésie locorégionale en ophtalmologie : rendez-nous la hyaluronidase ! Jacques Ripart (photo), Emmanuel Nouvellon La hyaluronidase n’est plus disponi- ble en France depuis l’automne 2001. Avec plus de deux ans de recul, les difficultés liées à l’absence de cette molécule se confirment. QUEL EST LE MOTIF DE L’ARRÊT DE LA COMMERCIALISATION DE CE MÉDICAMENT ? Il semble que la mise en conformité du dossier de renouvel- lement d’AMM n’ait pas été possible. L’origine animale de la molécule est probablement en cause, avec les craintes qu’elle inspire quand au risque lié aux agents transmissibles non conventionnels. L’agence française de sécurité sani- taire des produits de santé (AFSSPS) a clairement indiqué que l’obtention d’une autorisation transitoire d’utilisation (ATU de cohorte) ne serait pas possible pour une molécule importée d’un pays étranger. Cette crainte est-elle fondée ou fantasmatique ? Le risque paraît faible, dans la mesure ou cette molécule est extraite de béliers néozélandais, un pays isolé par sa position insulaire, dans lequel les encéphalopa- thies spongiformes sont inconnues. Il semble que l’indus- trie pharmaceutique cherche à produire une molécule de synthèse qui ferait complètement disparaître ce risque, mais un tel développement, s’il arrive à terme, prendra encore de longs mois. QUELLES SONT LES DIFFICULTÉS LIÉES À L’ABSENCE DE HYALURONIDASE ? Le bénéfice de la hyaluronidase est net sur plusieurs points. En améliorant la diffusion de l’anesthésique local, elle rac- courcit le délai d’installation des blocs. Elle améliore proba- blement la qualité des blocs, particulièrement en terme d’akinésie, mais ce bénéfice est plus discuté car de faible amplitude (1). On sait qu’aujourd’hui, pour la chirurgie de la cataracte, une anesthésie avec une akinésie modérée voire sans akinésie du tout - comme l’anesthésie topique — est possible. Dans ce cas, on peut se contenter d’un bloc médiocre et, quel que soit le bénéfice de la hyaluronidase, il est donc possible de « faire sans ». Le bénéfice de la hyaluronidase paraît plus net dans la pré- vention des pics peropératoires de pression intraoculaire. Dempsey a ainsi dû interrompre une étude de dose en rai- son de quatre cas d’hypertonie intraoculaire gênante dans le groupe de patients anesthésiés sans hyaluronidase, et l’un de ces cas a même conduit à l’annulation de la chirurgie (2). Les pics de pression intraoculaires observés peuvent être imputés soit à des mouvements musculaires résiduels res- ponsables de traction sur la sclère, ou à la « stagnation » de l’anesthésique local sur son site d’injection qui exercerait une pression externe sur la sclère. Enfin, une augmentation de l’incidence des lésions musculaires avec strabisme pos- topératoire a été décrite quand on n’avait pas utilisé de hya- luronidase (3, 4). Une injection de l’anesthésique local proche d’un muscle oculomoteur peut avoir un effet myo- toxique, qui serait majoré par la « stagnation » du fait d’une résorption moins rapide de la solution d’anesthésique local à proximité de ce muscle. QUELS CHANGEMENTS DE PRATIQUE A PROVOQUÉ LA DISPARITION DE LA HYALURONIDASE ? En terme d’efficacité et surtout d’analgésie, il est parfaite- ment possible de réaliser des blocs ophtalmiques sans hya- luronidase. Ceci est d’autant plus vrai que la demande des chirurgiens en terme d’akinésie est très réduite depuis la diffusion de la phacoémulsification. Nombre de praticiens affirment continuer de réaliser les mêmes blocs (péribulbai- res ou sous-ténoniens) sans hyaluronidase, en diminuant simplement le volume injecté pour limiter les problème peropératoires de pression intraoculaire. Cependant, les pics d’hypertonie oculaire et l’augmentation d’incidence de strabisme postopératoire posent de réels problèmes. Cer- tains chirurgiens, pour éviter ces complications de l’anes- thésie se sont tournés vers l’anesthésie topique, dont on connaît l’efficacité médiocre en terme d’analgésie (5). En effet, l’intensité douloureuse est la même sous anesthésie topique et sans anesthésie du tout (6). D’autres équipes choisissent de revenir à des techniques d’injections multiples pour retrouver une bonne efficacité avec de très faibles volumes d’anesthésiques locaux. On sait aujourd’hui que les injections multiples n’améliorent pas nettement la qualité des blocs. Par contre, elle augmentent

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Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 3 179

É D I T O R I A L

Adjuvants de l’anesthésie locorégionale en ophtalmologie :rendez-nous la hyaluronidase !Jacques Ripart (photo), Emmanuel Nouvellon

La hyaluronidase n’est plus disponi-ble en France depuis l’automne2001. Avec plus de deux ans derecul, les difficultés liées à l’absencede cette molécule se confirment.

QUEL EST LE MOTIF DE L’ARRÊT DE LA COMMERCIALISATION

DE CE MÉDICAMENT ?

Il semble que la mise en conformité du dossier de renouvel-lement d’AMM n’ait pas été possible. L’origine animale dela molécule est probablement en cause, avec les craintesqu’elle inspire quand au risque lié aux agents transmissiblesnon conventionnels. L’agence française de sécurité sani-taire des produits de santé (AFSSPS) a clairement indiquéque l’obtention d’une autorisation transitoire d’utilisation(ATU de cohorte) ne serait pas possible pour une moléculeimportée d’un pays étranger. Cette crainte est-elle fondéeou fantasmatique ? Le risque paraît faible, dans la mesure oucette molécule est extraite de béliers néozélandais, un paysisolé par sa position insulaire, dans lequel les encéphalopa-thies spongiformes sont inconnues. Il semble que l’indus-trie pharmaceutique cherche à produire une molécule desynthèse qui ferait complètement disparaître ce risque,mais un tel développement, s’il arrive à terme, prendraencore de longs mois.

QUELLES SONT LES DIFFICULTÉS LIÉES À L’ABSENCE DE HYALURONIDASE ?

Le bénéfice de la hyaluronidase est net sur plusieurs points.En améliorant la diffusion de l’anesthésique local, elle rac-courcit le délai d’installation des blocs. Elle améliore proba-blement la qualité des blocs, particulièrement en termed’akinésie, mais ce bénéfice est plus discuté car de faibleamplitude (1). On sait qu’aujourd’hui, pour la chirurgie dela cataracte, une anesthésie avec une akinésie modéréevoire sans akinésie du tout - comme l’anesthésie topique —est possible. Dans ce cas, on peut se contenter d’un blocmédiocre et, quel que soit le bénéfice de la hyaluronidase,il est donc possible de « faire sans ».

Le bénéfice de la hyaluronidase paraît plus net dans la pré-vention des pics peropératoires de pression intraoculaire.Dempsey a ainsi dû interrompre une étude de dose en rai-son de quatre cas d’hypertonie intraoculaire gênante dansle groupe de patients anesthésiés sans hyaluronidase, et l’unde ces cas a même conduit à l’annulation de la chirurgie (2).Les pics de pression intraoculaires observés peuvent êtreimputés soit à des mouvements musculaires résiduels res-ponsables de traction sur la sclère, ou à la « stagnation » del’anesthésique local sur son site d’injection qui exerceraitune pression externe sur la sclère. Enfin, une augmentationde l’incidence des lésions musculaires avec strabisme pos-topératoire a été décrite quand on n’avait pas utilisé de hya-luronidase (3, 4). Une injection de l’anesthésique localproche d’un muscle oculomoteur peut avoir un effet myo-toxique, qui serait majoré par la « stagnation » du fait d’unerésorption moins rapide de la solution d’anesthésique localà proximité de ce muscle.

QUELS CHANGEMENTS DE PRATIQUE A PROVOQUÉ LA DISPARITION DE LA HYALURONIDASE ?

En terme d’efficacité et surtout d’analgésie, il est parfaite-ment possible de réaliser des blocs ophtalmiques sans hya-luronidase. Ceci est d’autant plus vrai que la demande deschirurgiens en terme d’akinésie est très réduite depuis ladiffusion de la phacoémulsification. Nombre de praticiensaffirment continuer de réaliser les mêmes blocs (péribulbai-res ou sous-ténoniens) sans hyaluronidase, en diminuantsimplement le volume injecté pour limiter les problèmeperopératoires de pression intraoculaire. Cependant, lespics d’hypertonie oculaire et l’augmentation d’incidence destrabisme postopératoire posent de réels problèmes. Cer-tains chirurgiens, pour éviter ces complications de l’anes-thésie se sont tournés vers l’anesthésie topique, dont onconnaît l’efficacité médiocre en terme d’analgésie (5). Eneffet, l’intensité douloureuse est la même sous anesthésietopique et sans anesthésie du tout (6).D’autres équipes choisissent de revenir à des techniquesd’injections multiples pour retrouver une bonne efficacitéavec de très faibles volumes d’anesthésiques locaux. On saitaujourd’hui que les injections multiples n’améliorent pasnettement la qualité des blocs. Par contre, elle augmentent

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Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 3180probablement le risque d’accidents de ponction, notam-ment celui de perforation accidentelle du globe, surtoutaprès que la première injection ait modifié les repères ana-tomiques habituels (7).

COMMENT ARGUMENTER AUPRÈS DE L’INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE LA NÉCESSITÉ DE NOUS RENDRE AU PLUS VITE UNE TELLE MOLÉCULE DISPONIBLE ?

Nous proposons une enquête auprès de tous nos confrèresfrançais exerçant tout ou partie de leur activité en chirurgieophtalmique (Annexe). Chaque anesthésiste concerné estinvité à remplir un questionnaire bref concernant sonvolume d’activité pour chirurgie ophtalmique, ses pratiquesantérieures, les complications, incidents et difficulté aux-quelles il a eu à faire face du fait de l’absence de hyaluroni-dase, ainsi que les changements de pratiques qu’il a dûréaliser, et leurs éventuelles conséquences délétères. Nousespérons ainsi pouvoir disposer d’un état des lieux qui nouspermette de mieux cerner les difficultés liées à la dispari-tion de la hyaluronidase, qui pourraient nous servir demoyen de pression sur l’industrie pour nous rendre cettemolécule. ■

RÉFÉRENCES1. Rowley SA, Hale JE, Finlay RD. SubTenon’s local anesthesia: the effect

of hyaluronidase. Br J Ophthalmol 2000;84:435-6.2. Dempsey GA, Barret PJ, Kirby IJ. Hyaluronidase and peribulbar block. Br

J Anaesth 1997;78:671-4.3. Brown SM, Brooks SE, Mazow ML, et al. Cluster of diplopia cases after

periocular anesthesia without hyaluronidase. J Cataract Refract Surg1999;25:1245-9.

4. Brown SM, Coats DK, Collins MLZ, Underdahl JP. Second cluster of stra-bismus cases after periocular anesthesia without hyaluronidase. J CataractRefract Surg 2001;27:1872-5.

5. Boezaart A, Berry R, Nell M. Topical anesthesia versus retrobulbar blockfor cataract surgery: The patient’s perspective. J Clin Anesth 2000;12:58-60.

6. Pandey SK, Werner L, Apple DJ, Agarwal A, Agarwal A, Agarwal S. No-anesthesia clear corneal phacoemulsification versus topical and topical plusintracameral anesthesia. Randomized clinical trial. J Cataract Refract Surg2001;27:1643-50.

7. Ball JL, Woon WH, Smith S. Globe perforation by the second peribulbarinjection. Eye 2002;16:663-5.

Tirés à part : J. RIPART,Département Anesthésie Douleur, CHU Nîmes,

30029 Nîmes cedex 09, France.

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Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 3 181ANNEXE : ENQUÊTE ALR EN OPHTALMOLOGIE ET HYALURONIDASE

Année de qualification : Pratique ophtalmo exclusive OUI NONType d’exercice Privé CHU CH

Volume d’activité ophtalmique 200l (nombre par ans) : Cataracte = Autres =

Techniques utilisées jusqu’en 2001 (% de votre total si plusieurs techniques différentes) : Péribulbaire 2 injections inférotemporale et canthus médial (caronculaire) Péribulbaire 2 injections inférotemporale et supéronasale Rétrobulbaire Péribulbaire 1 injection inférotemporale Péribulbaire 1 injection au canthus médial (caronculaire)Sous-ténonienne à l’aiguille au canthus médial Sous-ténonienne en abord chirurgical (canule mousse) Topique seule Topique plus intracamérulaire

Volumes injectés (ml) : Anesthésiques local :Concentration de hyaluronidase (en IU/ml)

Complications imputées à la disparition de la hyaluronidase (nombre en 2002 et 2003) :– Hypertonies oculaire perop : 2002 : 2003 : – Strabisme postopératoire : 2002 : 2003 :– Akinésie médiocre : 2002 : 2003 :– Complications chirurgicales du fait d’une mauvaise akinésie (détailler)2002 :2003 :

– Autres (détailler)2002 :

2003 :

Regrettez vous la disparition de la hyaluronidase et souhaitez vous en disposer à nouveau ? (de 0 pas du tout à 10 maximum) :

Volume d’activité ophtalmique 2003 (nombre par ans) : Cataracte = Autres =

Technique utilisée en 2003 (% de votre total si plusieurs techniques différentes) Péribulbaire 2 injections inférotemporale et canthus médial (caronculaire) Péribulbaire 2 injections inférotemporale et supéronasale Rétrobulbaire Péribulbaire 1 injection inférotemporale Péribulbaire 1 injection au canthus médial (caronculaire) Sous-ténonienne à l’aiguille au canthus médial Sous-ténonienne en abord chirurgical (canule mousse) Topique seule Topique plus intracamérulaire

Volumes injectés (ml) : Anesthésiques local :Concentration de hyaluronidase (en IU/ml)

Si changement de pratique entre 2001 et 2003, est ce du à l’absence de hayluronidase ? Pas de changement Sans liens avec la Hyaluronidase (détailler pourquoi) À cause de la Hyaluronidase

Complications imputées à ces changements de pratiques. Commentaires

Questionnaire à renvoyer à Jacques Ripart, Département Anesthésie-Douleur, CHU Caremeau, 30029 Nimes Cédex, France

Si vous acceptez de répondre à des questions plus détaillées, adresse e-mail où vous joindre : ……………………Copie autorisée.