Acte de défense déposé par Maître Sébastien Courtoy devant la Cour d'appel

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1 CONCLUSIONS Pour : Madame Marguerite Biermann, Prévenue, ayant pour Conseil Me Sébastien Courtoy, avocat dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue du Commandant Lothaire, n° 11 Contre : Monsieur le Procureur Général, agissant au nom de son office Le Consistoire israélite de Luxembourg, Partie civile, ayant pour Conseil Me Gaston Stein Audience du 31 janvier 2011 devant la Cour d'appel de Luxembourg 1

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Marguerite Biermann, attaquée au Grand-Duché de Luxembourg, par le Procureur général d'Etat, ainsi que par le Consistoire Israélite du Luxembourg, du chef de délits d'incitation à la haine raciale, et d'injures envers la communauté juive du Luxembourg, vient de se voir le 9 mars 2011 triomphalement acquittée devant la Cour d'appel de Luxembourg.Au terme d'une audience tendue et houleuse, et d'une plaidoirie particulièrement éloquente, virulente et sans concession, de son avocat, Maître Sébastien Courtoy, Mme Marguerite Biermann fut acquittée, le 9 mars 2011, par la Cour d'appel de Luxembourg, qui l'acquitte du chef de toutes les préventions, à savoir la prévention d'incitation à la haine raciale et d'injure envers la Communauté juive du Luxembourg et du Consistoire Israélite de Luxembourg.

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CONCLUSIONS

Pour : Madame Marguerite Biermann, Prévenue,

ayant pour Conseil Me Sébastien Courtoy,

avocat dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue du Commandant Lothaire, n° 11

Contre : Monsieur le Procureur Général, agissant au nom de son office

Le Consistoire israélite de Luxembourg, Partie civile,

ayant pour Conseil Me Gaston Stein

Audience du 31 janvier 2011 devant la Cour d'appel de Luxembourg

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« L'idée généreuse de gue"e contre le racisme se transforme petit à petit monstrueusement en une idéologie mensongère. L'antiracisme sera au 2le siècle ce qu'a été le communisme au 20e siècle»

(Alain Finkielkraut, philosophe et politologue français).

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Ce procès est le procès de la honte.

Celui où le Consistoire Israélite de Luxembourg s'est déshonoré à traîner dans la boue et à accuser d'incitation à la haine et violence raciales une vielle petite dame courageuse de 80 ans dont le seul crime fut de lancer un cri de détresse pour que cesse le massacre des enfants palestiniens.

Le tout, après n'avoir pas hésité à la traiter de nazisme dans une lettre ouverte et en osant encore, après coup, la sommer de s'excuser publiquement.

Le cri de détresse de Madame Biermann est le cri de détresse d'une dame qui, toute sa vie, s'est battue pour un, d'abord, et pendant 30 ans, comme magistrate au service de la justice, et, depuis son accession à la retraite, en tentant, par la publication d'articles, de mobiliser les consciences afin que cessent les meurtres des enfants palestiniens.

1. Pour parvenir à ces fins, à savoir faire taire Madame Biermann par le biais d'une condamnation en justice, le Consistoire n'a pas hésité, toute honte bue, à tronquer et déformer tant la lettre que 1 'esprit des propos tenus par Madame Biermann.

Dans sa lettre ouverte et dans ses conclusions, le Consistoire prétend en effet que Madame Biermann a tenu des propos « dignes du national-socialisme allemand », assimilé les juifs aux sionistes, et traité les juifs de complices des criminels israéliens.

Ne s'arrêtant pas en si bon chemin, le Consistoire prétend que Madame Biermann reprit l'image « du complot juif visant à la domination du monde » et « le cliché antisémite classique lié à l'argent des juifs», et qu'elle aurait accusé et invectivé les membres de la communauté juive du Luxembourg d'être des« collaborateurs» et des« complices» des « crimes israéliens », « dont ils se rendent coupables en restant silencieux », ainsi que de jouer de leur qualité de victime de la Shoah pour culpabiliser les nations.

Le Consistoire l'accuse, de surcroît, de vouloir conférer aux juifs luxembourgeois « un statut spécial »,un peu comme sous la France de Vichy.

Enfin, le Consistoire termine en accusant Madame Biermann d'avoir formulé tous ces (prétendus) propos pour inciter le public à éprouver des sentiments de haine et de violence envers la communauté juive.

2. La vérité est qu'il s'agit-là d'une grossière entreprise de falsification des propos de Madame Biermann, et, pour s'en convaincre, il suffit de lire les articles publiés par ses soins.

Une lecture honnête de ces articles révèle que celle-ci commence par lancer un cri de détresse, dans lequel elle rappelle que, ces dernières années, des milliers de palestiniens furent tués par l'armée israélienne, que leurs terres sont confisquées pour y ériger des colonies, que leurs habitations sont détruites au point de devoir vivre dans des ruines, qu'ils vivent dans la misère la plus totale, et que le blocus israélien empêche l'entrée de l'aide humanitaire à Gaza.

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Ensuite, elle lance un appel aux juifs luxembourgeois, en expliquant que, si les opinions publiques des pays européens et du Grand Duché ont longtemps laissé faire sans réagir ( en raison de la culpabilité et sympathie éprouvée envers les millions de juifs assassinés par les nazis et en raison de l'influence de certains lobbies juifs), ces opinions publiques, devant la multiplication des crimes contre l'humanité commis, sont désormais en train de basculer.

Elle constate qu'au Luxembourg aussi, les opinions ont évolué, et que beaucoup de luxembourgeois ne comprennent pas que nombre de juifs ne se distancient pas de la politique d'Israël et que certains collaborent même activement avec l'Etat d'Israël.

En conséquence de quoi, elle lance un appel aux juifs de Luxembourg, et en particulier à des personnalités telles Messieurs Meyer, Israël et Moyse (cités en raison de leur position sociale au sein de la communauté juive), en leur demandant de suivre l'exemple des juifs antisionistes célèbres qui condamnent la politique de l'Etat d'Israël et, partant, de se distancier publiquement de la politique d'Israël.

Elle précise qu'une telle attitude, non seulement les « honorerait » personnellement, mais, en outre, « profiterait largement à la communauté juive entière » car cela permettrait :

- d'éviter le risque que certains puissent considérer les juifs luxembourgeois d'être, de par leur silence, moralement complices des crimes de l'Etat d'Israël et cessent de les respecter

- d' « empêcher que ne se fasse la dangereuse confusion entre juifs et criminels sionistes », «qui provoque inéluctablement l'antisémitisme de ceux qui se laissent leurrer par l'amalgame pernicieux : juif=sioniste israélien ».

Elle précise également que ceci permettrait« d'aider Israël» (sur la scène internationale).

3. A présent que les falsifications du Consistoire furent mises à jour et qu'est restituée aux propos de Madame Biermann leur véritable teneur, on constate qu'il est à la fois malhonnête et grotesque de l'accuser d'incitation à la haine et d'injures raciales.

Accuser Madame Biermann d'antisémitisme est d'un grotesque d'autant plus achevé qu'elle est une partisane de l'existence de l'Etat d'Israël (aux côtés d'un Etat palestinien).

Enfin, si vraiment Madame Biermann était antisémite et animée de sentiments belliqueux envers la communauté juive, elle n'eut évidemment pas manqué de déposer plainte contre le Consistoire pour la lettre ouverte ordurière, tombant pénalement incontestablement sous le coup de la qualification d'injures, commise par celui-ci.

Si elle ne l'a pas fait, c'est tout simplement parce que, jamais, son intention ne fut, pas plus aujourd'hui qu'hier, d'entretenir une querelle avec ses concitoyens d'origine juive, son seul et unique souhait étant d'œuvrer, à son faible niveau, pour que cesse l'épouvantable tragédie qu'est le conflit israélo-palestinien.

4. La vérité, c'est que les plaignants ne sont pas les pauvres victimes de haine ou d'injures raciales sous le fard desquelles elles tentent de se présenter, mais qu'ils visent par la présente action en justice, à faire taire la critique des crimes de guerre d'Israël, en hurlant, vieille

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ficelle archi-connue et archi-usée, à l'antisémitisme, en tronquant au passage les propos de Madame Biermann, pour les nécessités de la cause.

La présente plainte n'étonnera personne, puisqu'il est connu qu'une certaine frange sioniste de la communauté juive est habituée à user délibérément de l'accusation d'antisémitisme pour empêcher toute critique de la politique israélienne, au point même d'avoir été jusqu'à intenter des procès pour antisémitisme contre ... d'authentiques juifs qui critiquent violemment la politique israélienne, tels Stéphane Hessel (grand résistant, déporté à Buchenwald), Edgar Morin Guif séfarade et grand résistant) et actuellement, en France, Madame Olivia Zemor (dont les parents furent exterminés dans les camps de la mort).

Cette technique d'intimidation fut remarquablement exposée par le Professeur américain d'origine juive, Norman Finkelstein, fils de juifs rescapés du ghetto de Varsovie, dans son célèbre ouvrage:« L'industrie de l'holocauste» (éd. La Fabrique, 2000).

Dans ce contexte, c'est sans surprise qu'on voit surgir Joël Kotek dans le présent procès, en qualité de « témoin » de la manière dont les propos de Madame Biermann auraient été ressentis par la Communauté juive, bien qu'il n'est même pas luxembourgeois mais belge ! !

En effet, Monsieur Kotek est connu en Belgique pour être un authentique professionnel de la censure de la liberté d'expression sur la question de l'Etat d'Israël, intentant de multiples procès contre ceux qui se montrent critiques envers l'Etat d'Israël.

Etant donné que les magistrats belges ne sont plus dupes du chantage à 1' antisémitisme et qu'il perd dès lors tous ces procès (il fut récemment encore débouté par la Cour de cassation le 20 octobre 2010), il s'est désormais recyclé comme« témoin» dans les procès intentés par ses amis au Luxembourg.

5. La preuve que le but de la présente plainte est d'empêcher Madame Biermann de s'exprimer sur la politique d'Israël, est qu'un tel procès n'était absolument pas nécessaire:

Les personnes juives ayant diligenté cette plainte eurent très bien pu se contenter d'expliquer leur position par rapport à la politique d'Israël ou, le cas échéant, d'expliquer pourquoi elles trouvaient 1 'appel de Madame Biermann indécent et estimaient n'avoir pas à y répondre.

Et les choses auraient pu en rester là.

On ne voit pas en quoi 1 'appel de Madame Biermann méritait un tel déferlement de haine, de la traiter de nazie dans les journaux et de l'accuser d'incitation à la haine et d'injures raciales, si ce n'est pour la faire taire et pour dissuader autrui d'oser critiquer la politique israélienne.

Car, enfin, combien de fois n'a-t-on entendu des personnalités juives poser publiquement la question du mutisme de la communauté musulmane sur les attentats commis en occident, en déplorant que cette communauté ne condamne pas ces attentats de manière plus audible.

Personne au sein de la communauté juive n'a pourtant jamais considéré ces appels à la condamnation des attentats comme étant une incitation à la haine envers les musulmans.

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I. PREVENTION D'INCITATION A LA HAINE

1. Acquittement pour absence de propos incitant à la haine (absence d'élément matériel)

a. On ne voit pas en quoi les propos de Madame Biermann pourraient être constitutifs du délit d'incitation à la haine raciale, puisque, selon la jurisprudence et doctrine luxembourgeoises, belges et françaises, des propos ne sont constitutifs d'incitation à la haine raciale que :

-s'il y a« volonté manifestée de conduire des tiers à accomplir ... »« ... des actes de discrimination ou de ségrégation raciale» (Arrêt Cour d'appel de Mons, 14 janvier 1998)

-ces propos« (visent) à créer dans l'esprit de celui qui le perçoit un choc incitatif à la discrimination, à la haine ou à la violence » ( Juris-Classeur Pénal, lois pénales spéciales, tome 5, V 0 Presse, Provocation aux crimes et aux délits, fasc.70, n° 73)

-«Inciter signifie( ••• ) pousser quelqu'un à faire quelque chose. D faut une volonté manifeste, extériorisée, de conduire des tiers à accomplir (des actes) de ségrégation, de haine ou de violence » ( « La lutte contre le racisme et la xénophobie, mythe ou réalité ? », Revue Trimestrielle des Droits de l'Homme, juillet 1991, n°7, p330)

-«(Le propos) doit avoir pour objet principal l'incitation à la discrimination, la haine ou la violence raciales : si ce n'est qu'incidemment, seulement par certains de ses éléments qu'il peut apparaître comme susceptible d'être critiqué, le délit de provocation ne saurait être retenu. » (Rev. Sc.crim, 1986, p.306)

-«La seule violence du propos n'est pas suffisante pour caractériser le délit de provocation( ••• ). n faut qu'autrui soit directement appelé à faire preuve à l'égard de la personne visée de haine, de violence ou de discrimination. L'arrêt (de la Cour de cassation française du 11 septembre 2007) confirme cette position jurisprudentielle (puisqu'il exige) qu'on puisse relever que ce qui a été dit ou écrit puisse être compris comme une incitation manifeste, une instigation, une exhortation à des sentiments discriminatoires. » (Jean-Yves Dupeux, Recueil Dalloz, 2009, p.1779)

Il s'agissait en l'occurrence d'une affaire où la Cour de cassation cassa la condamnation d'une personne ayant déclaré publiquement à une femme juive « si je vous avais connu il y a 60 ans à Vichy, je vous aurais cramée», parce que« les motifs retenus par les juges du fond n'établissent pas que le propos tendait, tant par son sens que par sa portée, à provoquer autrui à la discrimination, à la haine ou à la violence» (Crim., 11 sept 2007, n°07-80.783) (Voy. dans le même sens: Paris, 11e ch, 15 novembre 2007, Juris-Data, n°349401)

b. Une fois rappelée la véritable teneur des propos de Madame Biermann, il ne saurait être sérieusement prétendu que celle-ci aurait incité autrui à haïr la communauté juive, raison pour laquelle le Tribunal (cf. pages 11,12 et 13) acquitte Madame Biermann, aux motifs que:

-Si certaines phrases peuvent faire nat"tre chez le lecteur à l'égard d'une partie de la communauté juive un sentiment défavorable, elles ne provoquent néanmoins nullement « un

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residuum innommable et immutable d'aversion», «un sentiment violent qui pousse à vouloir du mal ou une aversion profonde ».

-Une fois ces phrases querellées resituées dans leur contexte et le texte pris « dans son ensemble»,« les propos( ... ) tenus sont, en tout état de cause, dilués par le contexte général dans lequel ils sont tenus et le souhait expressément prononcé de mise en garde de la communauté juive de risques par elle courus »

c. Madame Biermann n'ayant tenu nul propos incitant à la haine raciale, il y a donc lieu de l'acquitter par la grande porte des infamantes accusations d'incitation à la haine raciale.

2. Acquittement pour absence d'élément moral de l'infraction.

Pour que l'infraction d'incitation à la haine soit constituée, il faut qu'il y ait eu volonté délibérée de provoquer dans l'esprit du public une réaction de haine ou violence à l'égard de la communauté juive.

Il serait à la fois ordurier et grotesque d'oser prétendre que Madame Biermann aurait agi avec 1' intention délibérée de provoquer ses concitoyens luxembourgeois à la haine ou violence envers les luxembourgeois juifs, puisqu'une lecture-un tant soit peu honnête de ses écrits, démontre que l'intention de Madame Biermann était tant d'œuvrer à la cessation de la situation dans la bande de Gaza que d' t.< empêcher que ne se fasse la dangereuse confusion entre juifs et criminels sionistes », « qui provoque inéluctablement l'antisémitisme de ceux qui se laissent leurrer par l'amalgame pernicieux : jui:f=sioniste israélien».

Il convient donc d'acquitter, pour défaut d'élément moral de l'infraction.

II. PREVENTION D'INJURES ENVERS LE CONSISTOIRE ISRAELITE, LA COMMUNAUTE JUIVE ET/OU DES MEMBRES DE LA COMMUNAUTE JUIVE.

A. Irrecevabilité des poursuites, pour défaut de plainte préalable de la personne injuriée.

L'article 450 du Code pénal exige la plainte préalable de la personne injuriée pour que les poursuites soient recevables.

1. La communauté juive n'étant pas une personne, les poursuites du chef de prétendues injures envers la communauté juive sont irrecevables.

2. Les personnes juives nommément citées par Madame Biermann n'ayant pas déposé plainte, les poursuites du chef de prétendues injures envers ces personnes sont irrecevables.

3. Le Consistoire Israélite de Luxembourg est juridiquement une personne et a déposé plainte. Pourtant, les poursuites du chef de prétendues injures envers le Consistoire sont irrecevables.

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a En effet, la plainte déposée par le Consistoire entre les mains du Procureur ne fut pas déposée valablement, puisque, lorsque fut décidé de déposer plainte par délibération du 11/2/2010, 1' assemblée du Consistoire mandata Me Stein « de déposer plainte auprès du Procureur ».

Or, comme le révèle le Procureur d'Etat dans une note du 10 mars 2010, c'est Me François Moyse qui, le 25 février 2010, a déposé la plainte du Consistoire.

Celui-ci n'ayant pas été mandaté par le Consistoire et l'article 4 de la Convention sur le Consistoire stipulant que le délégué du Président doit être spécialement désigné (de sorte qu'on ne peut postuler l'interchangeabilité de l'avocat), la plainte ne fut pas valablement déposée. n y a donc absence de plainte préalable et, partant, irrecevabilité des poursuites.

b. En outre, on constate que le PV de la délibération par laquelle l'assemblée aurait autorisé le Consistoire à ester en justice renseigne que cette délibération aurait eu lieu le 11 février 2010.

Or, ce PV, très curieusement, ne date pas du Il février 2010 mais bien du 18 mai 2010, c'est­à-dire à la date de l'examen de la présente affaire devant le Tribunal.

Ce document ne fut produit qu'au moment où le Conseil de Madame Biennann en avait demandé la production, en expliquant qu'à défaut <fautorisation par l'assemblée du Consistoire, le Consistoire ne pouvait valablement ester en justice.

ll ya donc tout lieu de dénier toute force probante à ce PV, et ce, d'autant plus que, selon ce PV,l'assemblée aurait donné mandat à Me Stein de déposer plainte. Or, on constate que c'est Me Moyse qui déposa plainte.

ll est donc évident que ce PV d'autorisation ne fut rédigé qu'après le dépôt de la plainte, raison pour laquelle c'est le nom de Me Stein qui y est renseigné comme mandataire, parce qu'au moment où le PV fut rédigé, c'est Me Stein qui plaidait l'affaire devant le Tribunal.

S'il y avait vraiment eu délibération d'autorisation de l'assemblée avant le dépôt de la plainte (mandatant Me Stein), c'est Me Stein qui aurait déposé la plainte et non Me Moyse.

On ne peut qu'en conclure qu'il n'y eut jamais, en date du 11 février 2010, de délibération autorisant le Consistoire à ester en justice et que la plainte déposée le 25 février 2010 ne fut donc pas valablement déposée, puisque 1' article 4 de la Convention sur le Consistoire exige autorisation préalable par l'assemblée pour pouvoir valablement ester en justice.

Comme il n'y eut pas de plainte préalable valable, les poursuites sont irrecevables.

(Au niveau procédural, il y a lieu soit pour la Cour d'écarter le PV comme non probant soit que le Procureur requière une instruction pour faux soit que la Cour appelle à témoigner sous serment toutes les personnes ayant prétendument participé à la prétendue assemblée du 11 février 2010, afin de faire éclater la vérité, à savoir que celle-ci n'eut jamais lieu).

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B. Acquittement pour défaut d'injures au Consistoire Israélite de Luxembourg

Même à supposer, quod non, qu'il y eut une plainte préalable valable du Consistoire Israélite, il y aurait quand même lieu d'acquitter, le Consistoire n'ayant pas été injurié directement.

Toutefois, partant du constat que Madame Biermann aurait injurié la communauté juive (ce qui sera réfuté au paragraphe C.), le Tribunal a estimé que, par ce fait même, elle aurait injurié le Consistoire (cf. page 18) :

«Le Consistoire( ... ) a non seulement la mission d'organiser le culte israélite au Luxembourg, mais également la haute surveillance des intérêts dudit culte » et « veiller au respect de la communauté juive au Luxembourg constitue un pareil intérêt du culte et relève partant de la mission du Consistoire Israélite, qui, de par l'effet de sa personnalité juridique, est directement concerné par les attaques dirigées contre la communauté juive qu'il représente »

Ce raisonnement ne peut aucunement être validé, puisque tant la loi du 10 juillet 1998 que la Convention du 31 octobre 1997 se bornent à attribuer au Consistoire comme seule mission d'organiser le culte israélite au Luxembourg et qu'absolument aucune de leurs dispositions ne lui donne pour mission de protéger les intérêts de ce culte, et encore moins de protéger ou de représenter la Communauté juive, le Tribunal conférant donc ainsi indument au Consistoire des attributions que la loi ne lui a jamais attribuées.

La seule mission du Consistoire est donc d'organiser le Culte israélite au Luxembourg, c'est­à-dire d'administrer et d'entretenir les synagogues et lieux de culte et de nommer les rabbins.

La lecture de la loi et de la Convention en livre la confinnation éclatante, puisque il n'y est question que de la désignation du grand rabbin, de l'entretien des synagogues, des traitements et pensions des ministres du culte etc ...

Il est tellement vrai que le seul objet du Consistoire est de s'occuper des lieux du culte que son site est intitulé www.synagogue.lux.

En outre, à postuler que la mission d'organiser le culte israélite impliquerait la mission de veiller au respect de la communauté juive et de la représenter, il faudrait en conclure que, au cas où un catholique se ferait injurier, l'archevêché, l'épiscopat, le diocèse et même la fabrique d'Eglise auraient la compétence d'ester en justice au nom de cette personne.

Cela ne semble pas fort sérieux, convenons-en.

La tâche de protéger les citoyens juifs incombe bien évidemment, comme pour tout autre citoyen luxembourgeois, à l'Etat luxembourgeois, par le biais du parlement, du parquet et de la police et à personne d'autre, à peine de soumettre les juifs a un régime d'exception.

Le Consistoire ne représente donc pas la communauté juive et, contrairement à ce que retient le Tribunal, il ne peut donc être prétendu qu'injurier la communauté juive revienne à injurier le Consistoire. Le Consistoire ne fut donc pas injurié par Madame Biermann, si bien que 1' acquittement s'impose.

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On notera à cet égard que le Consistoire peut d~autant moins être considéré comme pouvant représdter les membres de la Communauté juive et ester en justice en leur no~ que de nombre~ juifs se sont fait entendre pour dire qu'ils partagent la position de Madame Biermaqn et se désolidarisent totalement des poursuites intentées par le Consistoire à l'égard de Mad$me Biermann (annexe 1).

i

(On souJignera au passage que ces personnes juives ne se sont donc pas senties injuriées par les propPs de Madame Biermann).

i 1

1

B. Acmiittement pour cause de défaut de propos injurieux. 1

a. . 1

PrécisoJjls d'emblée que le fait que les plaignants se seraient sentis choqués ou offensés par les propos ~e Madame Biermann (leur perception subjective), est irrelevant, sinon toute manife~tion d'une opinion pourrait être qualifiée d'injure (ou d'incitation à la haine). On est 4u demeurant pantois de constater que le Consistoire puisse se prétendre offensé par les propos de Madame Biermann et l'accuser du délit d'injure, alors que, dans sa lettre ouvert3

1

il n'a cessé de l'injurier et de l'accuser d'avoir tenu des propos qu'elle n'a jamais tenus : uand on ne cesse soi-même de manier l'invective, l'injure et la diffamation, on a la décen de ne pas venir pousser des cris d'orfraie dans les prétoires en se prétendant injurié.

!'

b i

AnatyJns à présent les propos reprochés à Madame Biermann, qui, selon le Consistoire, serai en~ constitutifs d'injures.

Selon l~ Consistoire, elle aurait reproché aux juifs luxembourgeois d'être complices des crimes 1Je l'Etat d'Israël et de poser l'équivalence entre juifs et sionistes:

Ceci e~ une contre-vérité manifeste, puisque, ce qu'a dit Madame Biermann est que, s'ils restent ~ilencieux, il existe un risque qu'une frange de la population les considère comme moraleljnent complices de ce qui se passe en Palestine, raison pour laquelle elle adresse aux juifs lffiembourgeois 1' appel de se distancier de la politique actuelle du gouvernement israélie. ce qui permettrait (elle le précise explicitement) non seulement de peut-être infléchir la poli •que d'Israël, mais également d' « empêcher que ne se fasse la dangereuse confusion entre j .· set criminels sionistes », « qui provoque inéluctablement l'antisémitisme de ceux qui se ljrissent leurrer par l'amalgame pernicieux: jui:f=sioniste israélien».

!

Ce pro~s n'est donc nullement injurieux. En outre, ce propos ne saurait, juridiquement, être consti~ d'injure puisque le propos de Madame Biermann s'accompagne de« l'imputation» d'un fa1t précis et que, juridiquement, l'injure est l'expression outrageante, terme de mépris ou reprPche envers quelqu'un, qui ne s'accompagne pas de l'imputation d'un fait précis/~éterminé (crétin, assassin, etc ... ).

1

Ma~e Biermann n'a jamais qualifié les juifs de « collaborateurs ». Elle s'est contentée d'écriit qu'il était incompre'hensible que certains juifs collaborent avec l'Etat d'Israël.

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Or, il est de notoriété publique qu'il existe, en Europe et aux Etats-Unis, toute une série d'organisations qui soutiennent activement l'Etat israélien, notamment en lui envoyant des fonds (notamment l' American Israel Public Affairs Committee).

Le propos de :Madame Biermann reposant sur des faits avérés, on ne voit pas en quoi il pourrait juridiquement être qualifié d'injure.

Dans sa lettre ouverte et ses conclusions. le Consistoire prétend gue Madame Biermann aurait parlé d'un lobby juif international puissant. se servant de la culpabilité née de la Shoah pour assurer à Israël l'impunité de ses crimes. ainsi gue d'un complot juif visant à la domination du monde.

Ceci est un mensonge du Consistoire visant à influencer le Tribunal et la Cour, puisque Madame Biermann n'a jamais rien dit de tel, ni de près ni de loin.

La seule chose qu'elle a écrite, est que les Etats européens sont longtemps restés sans réagir à la situation en Palestine, en raison de l'influence de groupes de pressions pro-israéliens influents et en raison de la culpabilité éprouvée de ne pas avoir pu empêcher la shoah.

Mais à aucun moment Madame Biermann n'affirme que des groupes de pression pro­israéliens se seraient servis de la Shoah pour culpabiliser les Etats européens.

On notera que la thèse selon laquelle les groupes de pression pro-israéliens se serviraient de la Shoah pour culpabiliser les Etats et les empêcher de critiquer l'Etat d'Israël est au demeurant défendue par une série de juifs célèbres, dont le professeur américain d'origine juive, Norman Finkelstein, dans son ouvrage,« l'Industrie de l'Holocauste».

Mais Madame Biermann, elle, n'ajamais rien affirmé de tel.

Madame Biermann a également écrit que, si sa carte blanche avait été retirée du site de RTL, c'était suite à des pressions exercées par des groupes de pression pro-israéliens.

Madame Biermann peut avoir raison de penser cela, ou bien peut-elle se tromper, mais on ne voit vraiment pas en quoi une telle affirmation pourrait être qualifiée d'injure.

En outre, juridiquement, il ne peut être question d'injure, puisque 1' affirmation de Madame Biermann renferme l'imputation d'un fait déterminé et que l'injure est, juridiquement, le propos outrageant ne renfermant l'imputation d'aucun fait déterminé.

Le Consistoire reproche à Madame Biermann d'avoir stigmatisé les juifs luxembourgeois en écrivant qu'ils bénéficient d'un statut spécial et ne sont pas des citoyens luxembourgeois comme les autres.

A la lecture des reproches du Consistoire, on a l'impression que Madame Biermann a voulu donner aux juifs luxembourgeois une sorte de statut spécial digne de la France de Vichy.

Ceci n'est pas sérieux, puisque Madame Biermann a seulement écrit que, si elle adressait son appel aux juifs luxembourgeois, c'est parce que, en raison du statut spécial que leur conÎerent

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leur qualité de juif aux yeux de 1 'Etat d'Israël et le lien fort qui les unis à Israël, ils bénéficieraient peut-être ou sans doute d'une certaine influence auprès de cet Etat.

Le Consistoire reproche à Madame Biermann d'avoir écrit gue les juifs luxembourgeois font partie de la bourgeoisie luxembourgeoise.

Madame Biermann a évidemment voulu dire par là que, étant des gens de condition relativement aisée, ils disposaient d'un degré d'instruction tel qu'ils devraient s'intéresser à la question israélo-palestinienne et prendre position dessus.

Quoi qu~il en soit, peut-être Madame Biermann a-t-elle raison de croire que les juifs luxembourgeois font partie de la bourgeoisie, peut-être a-t-elle tort, mais on ne voit pas en quoi dire de quelqu'un qu'il fait partie de la bourgeoisie serait une injure. C'est plutôt un compliment.

Le Consistoire reproche à Madame Biermann d'avoir écrit que si les juifs du Luxembourg ne se distanciaient pas de la politique meurtrière de 1 'Etat d'Israël ils risquaient de perdre le respect dont ils bénéficient.

On ne voit pas en quoi ceci serait une injure. Il s'agit-'là de la simple expression d'une opinion, que certains approuveront et d'autres désapprouveront, mais qui n'est en rien mJuneuse. Comment ose-t-on affirmer qu'une vieille dame qui demande aux juifs (dont la voix, ne soyons pas hypocrites, effectivement peut peser d'un certains poids auprès de l'Etat d'Israël), de se manifester afin que des personnes cessent de mourir, et qui est d'avis que, si ces gens ne se faisaient pas entendre, ils pourraient perdre le respect, verse dans l'injure?

Que tout le monde prenne la peine de consulter 1' annexe 2 jointe aux présente conclusions et interroge sa conscience.

Le Consistoire reproche à Madame Biermann d'avoir écrit que« jadis ils n'ont pas élevé leurs voix contre le nazisme gui pourtant les menaçait ».

Si on veut bien lire la phrase qui précède, on comprend que Madame Biermann explique que la communauté juive, cette fois-ci, ne peut rester silencieuse. C'est donc cela son intention, et non pas d'injurier la communauté juive.

Cette phrase de Madame Biermann n'en demeure pas moins incontestablement maladroite, mais on ne voit pas en quoi elle serait constitutive d'injure, puisque la passivité, par incrédulité, d'une large frange de la communauté juive face à la montée du nazisme dans la période d'avant-guerre est un fait historiquement avéré et que Madame Biermann n'était pas animée de l 'animus injurandi.

c. Il convient donc d'acquitter Madame Biermann, puisque ses propos ne tombent pas sous la qualification pénale d'injure mais ne sont que des manifestations de la liberté d'expression, au sujet de laquelle la Cour européenne des droits de l'homme n'a cessé, à longueurs d'arrêts, de répéter qu'elle« est un fondement essentiel d'une société démocratique et vaut( ... ) aussi

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choquent ou inquiètent l'Etat ou une fraction quelconque ) et qu'elle« doit d'autant plus être protégée avec force

dan le champ politique, puisque le débat politique est démocratie »

œ que retient le Tribunal, il faut, pour que le délit d'injure puisse être retenu, intention de nuire dans le chef de Madame Biermann.

acquitter Madame Biermann, l'intention de celle-ci ayant été non d'injurier la ·Gllll!lliml&té juive mais bien de lancer un cri de détresse au sujet de la situation à Gaza.

1 m'y a donc pas d'animus injurandi, et la pus belle preuve en est fournie par le Tribunal lui­même qui, au moment la détermination de la peine, précise que « Madame Biermann se trouvait dans la croyance d'avoir bien agi». Or, si Madame Biermann se trouvait« dans la croyance d'avoir bien agi», c'est, bien évidemment, que son intention n'était pas d'injurier.

CONCLUSION

Tout le parcours professionnel de Madame Biermann, son engagement au service de diverses causes humanitaires tout au long de son existence et toute son histoire familiale démontrent que Madame Biermann est étrangère à toute forme d'antisémitisme.

Son père et sa mère créèrent, avant la seconde guerre mondiale, le journal ( « Neue zeit » ), dans lequel ils ne cessèrent de mettre en garde face à la montée du nazisme.

Ils furent membres d'un réseau de résistance qui aida à« exfiltrer »de nombreux juifs vers les Etats-Unis, ce qui leur valut d'être envoyé dans les camps de la mort (Buchenwald pour son père, Ravensbrück pour sa mère).

Lui faire un procès en antisémitisme est honteux car, outre que cela ne repose sur aucun fondement, cela revient à l'accuser d'avoir trahi l'idéal qui ses parents lui ont transmis.

Si Madame Biermann avait été antisémite, cela se serait su avant ses 80 ans.

De même, on imagine mal que l'Etat luxembourgeois et le Grand Duc eussent laissé une antisémite rendre la justice en leurs noms pendant plus de 30 ans.

Pourquoi diable le Consistoire voudrait-il donc que Madame Biermann ait, subitement, décidé, à l'âge de 80 ans, et après 30 ans passées dans la magistratun; de commencer une carrière de provocatrice à la haine raciale ?

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Page 14: Acte de défense déposé par Maître Sébastien Courtoy devant la Cour d'appel

A titre subsidiaire :

Acquitter Madame Biermann de la prévention d'injures

Fait à Bruxelles le 29 janvier 2011,

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Pour M~: Bierm~m(Son Conseil, /. .//~

Me Sébastien Courtoy

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