A.Coste - Articulation et cohérence des moyens bi- et … · 2010-02-12 · Synthesis: Bi- and...

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1 MASTER PRO COOPERATION INTERNATIONALE, ACTION HUMANITAIRE ET POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT (CIAHPD) MAGISTERE DE RELATIONS INTERNATIONALES ET ACTION A L’ETRANGER (MRIAE) UNIVERSITE PARIS 1 – PANTHEON SORBONNE ANNEE 2008/2009 Articulation et cohérence des moyens bi- et multilatéraux des politiques de coopération au développement Sous la direction de MM. Jean-Michel DEBRAT & Jean-Jacques GABAS Antoine COSTE

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MASTER PRO COOPERATION INTERNATIONALE, ACTION HUMANITAIRE ET POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT (CIAHPD)

MAGISTERE DE RELATIONS INTERNATIONALES ET ACTION A L’ETRANGER (MRIAE)

UNIVERSITE PARIS 1 – PANTHEON SORBONNE

ANNEE 2008/2009

Articulation et cohérence des moyens bi- et multilatéraux des politiques de coopération au

développement

Sous la direction de MM. Jean-Michel DEBRAT & Jean-Jacques GABAS

Antoine COSTE

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L’Université Paris 1 n’entend donner aucune approbation aux opinions émises dans les mémoires.

Ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.

Synthèse : Les volets bi- et multilatéraux sont deux composantes à part entière des politiques de

coopération au développement, mais on constate qu’ils sont souvent menés de façon disjointe et sans

réelle stratégie globale par les Etats donateurs. Pourtant, acteurs bi- et multilatéraux interagissent de

plus en plus fréquemment et l’analyse montre que des synergies importantes peuvent émerger de cette

coopération. Ceci souligne tout l’intérêt d’une articulation plus cohérente entre bi- et multilatéralisme.

L’hypothèse défendue ici est que le renouveau du consensus international sur l’aide depuis le début

des années 2000 a abouti à l’élaboration d’un « régime international » de l’aide qui lie les différents

acteurs autour de principes et d’objectifs communs, et que ce mouvement est susceptible de renforcer

la coordination entre acteurs bi- et multilatéraux. Le cas de l’Union européenne illustre l’impact positif

qu’une vision politique commune des objectifs de l’aide et une mise en réseau des acteurs bi- et

multilatéraux peuvent avoir sur la cohérence entre le « bi » et le « multi ».

Mots clés : Aide publique au développement (APD) ; politiques de coopération au développement ;

bilatéralisme ; multilatéralisme ; organisations internationales ; cohérence des politiques publiques

Synthesis: Bi- and multilateralism are equally part of development cooperation policies, but most

donor States lack a coherent framework that encompasses both these sides. However, bi- and

multilateral actors interact more and more, and the analysis suggests that valuable synergies can result

from their cooperation. This makes the case even clearer for an enhanced coherence between bi- and

multilateralism.

It is here argued that the renewed consensus on international aid since a decade led to the emergence

of an « international regime » that binds the different actors to commonly agreed principles and

objectives, and that this is likely to strengthen the coordination between bilateral and multilaterals. The

case of the EU exemplifies the positive effect that a common political vision of aid’s objectives and an

increased proximity of bi- and multilateral actors can have on the coherence between bilateralism and

multilateralism.

Keywords: Official development assistance (ODA) ; development cooperation policies ; bilateralism ;

multilateralism ; international organisations ; public policies coherence

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Liste des principaux sigles utilisés

AFD : Agence française de développement

APD : Aide publique au développement

BAfD : Banque africaine de développement

BAsD : Banque asiatique de développement

BEI : Banque européenne d’investissement

BID : Banque interaméricaine de développement

BIRD : Banque internationale pour la reconstruction et le développement

BPM : Biens publics mondiaux

BRD : Banques régionales de développement

CAD : Comité d’aide au développement

CICID : Comité interministériel de la coopération et du développement

DFID : Department for International Development

DGCID : Direction générale de la coopération internationale et du développement

DGM : Direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats

DGTPE : Direction générale du trésor et de la politique économique

FAfD : Fonds africain de développement

FAsD : Fonds asiatique de développement

FCI : France coopération internationale

FED : Fonds européen de développement

FEM : Fonds pour l’environnement mondial

FMSTP : Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme

HCCI : Haut conseil de la coopération internationale

IDA : International development association

IFI : Institutions financières internationales

MAEE : Ministère des affaires étrangères et européennes

MIIINDS : Ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire

MINEFE : Ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi

PNUD : Programme des Nations unies pour le développement

OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques

ONU : Organisation des Nations unies

ONUDI : Organisation des Nations unies pour le développement industriel

UE : Union européenne

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Table des matières

Introduction ........................................................................................................................................... 6

PREMIERE PARTIE : L ’ARBITRAGE ENTRE BI - ET MULTILATERALISME POUR L ’ALLOCATION DES MOYENS DE LA POLITIQUE DE COOPERATION AU DEVELOPPEMENT ................................................ 10

1. L’évolution des grandes masses d’APD et la répartition bi/multi ...................................... 10

a. La répartition de l’aide mondiale entre les canaux bi- et multilatéraux depuis les années 1960 ............................................................................................................................................... 10

b. La complexification progressive du « non-système » multilatéral ........................................ 12

c. Le cas de la France : la montée en puissance de l’aide multilatérale .................................... 13

2. Motivations et avantages comparatifs des acteurs bi- et multilatéraux ............................. 14

a. Les objectifs et motivations des acteurs bi- et multilatéraux ................................................. 14

b. Pourquoi les donateurs bilatéraux utilisent-ils le canal multilatéral ? ................................... 18

3. Le «processus» d’allocation des crédits d’aide au développement et l’arbitrage bi/multi 21

a. La complexité des dispositifs institutionnels de coopération et les problèmes de cohérence dans les choix de politique publique ............................................................................................. 22

b. L’arbitrage bi/multi et la répartition de l’enveloppe multilatérale entre les diverses organisations .................................................................................................................................. 25

c. La question montante de l’évaluation des performances des bailleurs multilatéraux ........... 29

DEUXIEME PARTIE : LES INTERACTIONS ENTRE POLITIQUES BILATERALE ET MULTILATERALE , COMPLEMENTARITE OU CONCURRENCE ? ......................................................................................... 31

1. Le multilatéral comme relai de l’action bilatérale : l’exemple de la coopération entre l’Agence Française de Développement et ses partenaires multilatéraux ................................... 31

a. Les modalités de collaboration opérationnelle .......................................................................... 32

b. Participation aux débats internationaux sur le développement et activités communes de production intellectuelle ................................................................................................................ 38

c. Les difficultés et freins à la coopération avec les acteurs multilatéraux.................................... 39

2. L’influence des acteurs bilatéraux sur les organisations multilatérales et la « bilatéralisation » de l’aide multilatérale ..................................................................................... 41

a. Les (non-)stratégies d’influence des Etats vis-à-vis des acteurs multilatéraux ..................... 41

b. L’accroissement des différentes formes de contributions affectées et le risque d’une « bilatéralisation » de l’aide multilatérale ..................................................................................... 45

5

TROISIEME PARTIE : VERS UN RENOUVEAU DE L’ARTICULATION BI /MULTI AU XXI EME SIECLE ? . 50

1. L’établissement d’un régime international de l’aide comme cadre commun aux acteurs de la coopération au développement ................................................................................................... 50

a. L’évolution du cadre de la coopération depuis la fin de la Guerre froide et l’établissement progressif d’un régime international de l’aide ............................................................................... 50

b. L’impact du régime international de l’aide sur les rapports bi/multi .................................... 54

2. L’architecture européenne de l’aide comme exemple d’une coordination innovante entre acteurs bi- et multilatéraux ............................................................................................................ 59

a. L’élaboration d’un consensus européen sur l’aide et le rapprochement des acteurs européens de la coopération au développement ............................................................................................. 60

b. Les modalités innovantes de mise en œuvre des politiques de coopération entre acteurs bi- et multilatéraux européens ................................................................................................................ 64

Conclusion ............................................................................................................................................ 69

Bibliographie ........................................................................................................................................ 72

Annexe : liste des entretiens réalisés .................................................................................................. 75

6

Introduction

Puisqu’il est prévisible que nous aurons dans le futur des formes bilatérales, multilatérales, et

intermédiaires de programmes, ceux-ci doivent-ils forcément être en compétition permanente

et généralisée les uns avec les autres ? Existe-il, en dehors des généralités que nous entendons

habituellement, des lignes directrices pour une division du travail plus rationnelle ? 1

Robert E. ASHER, 1962

On peut considérer que l’élaboration d’un système multilatéral chargé de contribuer à la régulation

de la politique internationale est l’une des avancées majeures du 20ème siècle, particulièrement dans sa

seconde moitié. Cette innovation tranche avec le cadre classique westphalien qui, depuis le 17ème

siècle, régissait les relations internationales. Dans celui-ci, les Etats sont les seules entités souveraines

et donc les seuls acteurs sur la scène internationale. Uniquement animés par la poursuite de leur intérêt

national défini en termes de puissance, ils interagissent principalement sur le mode de la conflictualité.

La coopération interétatique a alors une ampleur des plus limitées, et se fait le plus souvent de façon

ad hoc et sur une base bilatérale, c’est-à-dire d’Etat à Etat.

Le développement du multilatéralisme au 20ème siècle découle de l’incapacité du système

westphalien à répondre à certains enjeux globaux qui ne peuvent efficacement être résolus dans un

cadre bilatéral, à mesure que s’intensifient les relations internationales et que s’accélère la dynamique

de mondialisation. On peut retenir la définition qu’en propose l’internationaliste John G. Ruggie : « Le

multilatéralisme est une forme institutionnelle qui coordonne les relations entre trois Etats ou plus,

sur la base de principes de conduite "généralisés" - c’est-à-dire de principes qui déterminent la

conduite appropriée pour un type d’actions, sans prendre en compte les intérêts particuliers des

parties ou les exigences stratégiques qui pourraient découler de circonstances spécifiques. »2. Le

multilatéralisme vise donc à gérer certains problèmes de façon collective et selon des règles partagées

par tous les acteurs impliqués, alors que le bilatéralisme segmente les relations internationales en de

multiples arrangements à deux. Ce principe a été au 20ème siècle l’objet d’une institutionnalisation

rapide avec la multiplication des organisations intergouvernementales, dont le nombre est passé de

moins d’une centaine en 1945 à plus de mille à la fin du siècle.

1 Robert E. ASHER, « Multilateral Versus Bilateral Aid : An Old Controversy Revisited », International Organization, Vol. 16, No. 4, 1962, pp. 697-719 (notre traduction) 2 John G. RUGGIE, « Multilateralism : the Anatomy of an Institution », International Organization, Vol. 46, No. 3, 1992, pp. 561-598 (notre traduction)

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Les politiques publiques de coopération au développement, qui constituent l’objet de ce mémoire,

ont également connu cette incidence du multilatéralisme. De façon remarquable, ces politiques sont

nées à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, au moment même où le système international était

refondé sur la base du multilatéralisme autour de l’ONU et des Institutions de Bretton Woods1. De ce

fait, les politiques de coopération ont presque dès leur création connu une forme multilatérale, en plus

de leur forme bilatérale. Les politiques bilatérales de coopération se mettent en place dans les années

1950, comme instrument de containment de la menace communiste pour les Etats-Unis et comme

moyen de maintenir les relations avec les ex-colonies nouvellement indépendantes pour les pays

coloniaux2. Le système multilatéral de l’aide quant à lui s’institutionnalise dans les années 1960, avec

la création des grandes institutions internationales du développement (BIRD dès 1944, CAD en 1961,

PNUD en 1966, etc.). La coopération au développement s’établit également au niveau régional, avec

la fondation des Banques régionales de développement (BRD) en Amérique du Sud (BID, 1959), en

Afrique (BAfD, 1963) et en Asie (BAsD, 1966). Enfin, l’aide européenne est prévue dès le Traité de

Rome de 1957 et se concrétise avec le premier Fonds européen de développement (FED) en 1959.

Le Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE, qui a fixé la définition de l’APD3,

comptabilise chaque année les flux d’APD bilatérale, c’est-à-dire « directement fournie par un pays

donateur à un pays bénéficiaire », et multilatérale, qui « transite via une organisation internationale

active dans le domaine du développement » 4. Sont considérées comme des agences multilatérales les

« institutions internationales dont les membres sont des Etats et qui conduisent tout ou une partie de

leur activité en faveur du développement et des pays bénéficiaires de l’aide »5. Il est important de

noter que les contributions ne sont comptabilisées en APD multilatérale que s’il s’agit de contributions

régulières (« core contributions »), fongibles avec les contributions d’autres membres du CAD et

utilisées librement par l’organisation qui les reçoit : les contributions affectées (« earmarked

contributions »), placées auprès d’une agence multilatérale par un bailleur bilatéral qui en détermine à

1 On fait généralement remonter la naissance de l’aide publique au développement (APD) au « Point IV » du discours prononcé par le président américain Truman en janvier 1949. 2 Pour ces pays, la politique d’aide au développement est l’héritière directe de la politique de mise en valeur coloniale de la seconde moitié des années 1940. 3 Dons et prêts à des pays en développement figurant sur la liste du CAD des bénéficiaires de l’APD et à des agences multilatérales qui : (a) proviennent du secteur public ; (b) ont pour principal objectif le développement économique et social ; (c) sont concessionnels (élément don d’au moins 25 % pour les prêts). Outre les flux financiers, l’assistance technique est incluse dans l’aide, mais l’aide à but militaire en est exclue. 4 Toutes ces définitions sont issues du glossaire en ligne sur le site du CAD : www.oecd.org/dac/glossary 5 Un coefficient est appliqué aux organisations pour lesquelles le développement n’est pas le seul objectif. Par exemple, 76 % des contributions à l’OMS sont comptabilisées en APD, mais seulement 7 % des contributions au département des opérations de maintien de la paix des Nations unies (UNDPKO).

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l’avance l’utilisation, sont donc comptabilisées dans l’APD bilatérale et sont parfois appelées « aide

multi-bilatérale »1.

La part de l’APD multilatérale dans l’APD totale est relativement stable depuis le milieu des années

1970 et se situe autour de 30 %. Pourtant, on a assisté à une complexification croissante du système

international de l’aide en général, et de l’aide multilatérale en particulier, avec l’apparition ou le

renforcement de nombreux acteurs. Certains de ces acteurs, comme la Commission européenne, sont

devenu des bailleurs d’APD de premier plan. D’autres, comme les Nations unies, ont joué un rôle

majeur dans le débat international sur le développement et sur l’aide depuis les années 1990. La

Banque mondiale quant à elle cumule à la fois un leadership opérationnel et une forte influence

intellectuelle.

Les pays du CAD font tous transiter une large proportion de leur aide par le canal multilatéral, à

l’exception notable des Etats-Unis. Ceci est particulièrement vrai pour les pays européens, qui

contribuent à l’aide communautaire en plus des autres organisations multilatérales. Ainsi, en moyenne

sur la période 2004-2006, les contributions multilatérales ont représenté jusqu’à 72 % de l’APD

italienne hors allègements de dettes2.

L’aide multilatérale est donc loin d’être résiduelle, mais fait au contraire partie intégrante des

politiques nationales de coopération, à côté de l’aide mise en œuvre de façon bilatérale. Il y a pour

chaque pays donateur un enjeu majeur dans l’articulation entre bi- et multilatéralisme, or on constate

souvent que ces deux volets sont menés de façon presque disjointe et sans réelle stratégie globale,

faisant peser un risque sur la cohérence d’ensemble de la politique nationale de coopération. C’est

notamment vrai pour la France, comme l’a à plusieurs reprises déploré le CAD depuis une dizaine

d’années.

Comment dès lors penser cette articulation entre les volets bi- et multilatéraux des politiques de

coopération au développement ? Quelles sont les complémentarités qui peuvent jouer, et comment les

déclencher ? Ces questions ne sont pas nouvelles, et le débat « bi/multi » animait déjà Robert Asher en

1962 dans son article « Aide Multilatérale Contre Aide Bilatérale : Une Vieille Controverse

Revisitée »3. Le paysage de la coopération internationale au développement a pourtant

considérablement changé depuis cette date, où le PNUD n’existait pas encore. L’augmentation du

nombre des acteurs4 et des volumes financiers impliqués, mais aussi l’évolution des idées et des

1 OCDE, Rapport 2008 du CAD sur l’aide multilatérale, 2009, p. 23 2 OCDE, 2009, op. cit., p.26 3 Robert E. ASHER, 1962, op. cit. 4 Le CAD tient à jour une liste des organisations internationales, intergouvernementales et non-gouvernementales, pour lesquelles les contributions reçues de la part d’Etats peuvent être totalement ou en partie comptabilisées en APD. Plus de 200 organisations, agences, programmes et fonds multilatéraux publics y

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pratiques en matière de développement, poussent aujourd’hui plus encore qu’auparavant à s’interroger

sur la cohérence entre bi- et multilatéralisme.

Plusieurs publications témoignent de l’actualité de ce questionnement, à l’image de la parution en

2009 du premier rapport du CAD spécifiquement consacré à l’aide multilatérale. Ceci est également

vrai en France, et concerne le ministère des Affaires étrangères1 aussi bien que la représentation

nationale2. Ces publications se concentrent sur l’analyse des tendances chiffrées de l’aide et formulent

des recommandations, mais ne fournissent pas vraiment de réflexion théorique sur l’articulation

bi/multi. On trouve par ailleurs peu de travaux académiques sur ce sujet. Notre travail se propose donc

de contribuer à combler ce vide en utilisant des cas concrets et des données empiriques pour nourrir

une mise en perspective plus théorique3. Notre analyse est centrée sur le point de vue des acteurs

bilatéraux. Elle tente d’expliquer les enjeux de l’articulation bi/multi et les gains à attendre d’une

cohérence accrue entre les deux volets des politiques de coopération.

Dans un premier temps, nous nous attachons à comprendre sur quelles bases s’effectue pour chaque

pays la répartition de moyens forcément limités entre les canaux bi- et multilatéraux (Première partie).

Une fois les moyens alloués, il importe de savoir comment les acteurs bilatéraux et multilatéraux

interagissent et quelles peuvent être les relations de complémentarité et/ou de concurrence qu’ils

entretiennent (Deuxième partie). Enfin, l’étude du contexte renouvelé de la coopération internationale

au développement depuis une dizaine d’années, et l’analyse du cas particulier que constitue

l’architecture européenne de l’aide, sert de base à une réflexion sur un possible renouveau du rapport

entre le « bi » et le « multi » (Troisième Partie).

figurent, dont 53 entités onusiennes, 18 dans la catégorie des banques multilatérales de développement et plus d’une centaine d’autres institutions diverses. 1 MAEE (DGCID/DPDév/Bureau des questions multilatérales), La France et l’Aide communautaire et multilatérale – Vade-Mecum, 2008 2 Henriette MARTINEZ, L’aide publique au développement française : analyse des contributions multilatérales, réflexions et propositions pour une plus grande efficacité, Rapport remis au Premier Ministre et au Secrétaire d’Etat à la Coopération et à la Francophonie, 2009 3 Les principales sources utilisées sont les divers rapports, études, documents de « littérature grise » et articles académiques qui portent sur le multilatéralisme en matière de coopération au développement. D’autres sources incluent la base de données en ligne du CAD pour les statistiques de l’aide, des documents internes rassemblés au cours d’un stage de quatre mois à l’Agence française de développement, ainsi qu’une série d’entretiens réalisés avec des personnes ayant une connaissance particulière du sujet (cf. liste des entretiens en annexe).

10

PREMIERE PARTIE : L ’ARBITRAGE ENTRE BI - ET MULTILATERALISME POUR L ’ALLOCATION

DES MOYENS DE LA POLITIQUE DE COOPERATION AU DEVELOPPEMENT

1. L’évolution des grandes masses d’APD et la répartition bi/multi

a. La répartition de l’aide mondiale entre les canaux bi- et multilatéraux depuis les années

1960

L’analyse des données enregistrées par le CAD montre que l’APD multilatérale des pays du CAD a

connu une augmentation constante en volume depuis les années 1960. Aux prix constants de 2007, les

versements bruts d’APD ont été multipliés par six entre 1960 et 2007, passant de 5 à 31 milliards de

dollars. L’aide multilatérale a augmenté plus rapidement que l’aide bilatérale au court de cette période,

et a donc constitué une part croissante de l’aide totale, d’environ 10 % dans les années 1960 à environ

30 % depuis le milieu des années 1970. Ce recours important aux organisations multilatérales pour

acheminer l’APD des pays donateurs ne s’est pas démenti depuis une trentaine d’années (la diminution

de ce pourcentage entre 2003 et 2006 est due au gonflement de l’APD bilatérale provoqué par des

annulations de dettes exceptionnelles, à l’Irak et au Nigéria notamment, et la part du multilatéral s’est

établie à 29 % en 2008).

(Source : base de données en ligne du CAD)

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1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005

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7)

L'APD multilatérale des membres du CAD

Versements bruts d'APD multilatérale (axe de gauche)

Part du multilatéral dans l'APD totale (axe de droite)

11

Cette moyenne recouvre en réalité un recours plus ou moins important au canal multilatéral selon les

pays. Le CAD calcule qu’entre 2004 et 2006, le pourcentage des contributions multilatérales dans

l’APD totale (hors allègements de dette) variait de 72 % pour l’Italie à 12 % pour les Etats-Unis1. En

se basant sur l’analyse du CAD, on remarque que :

- les pays qui font transiter le plus d’aide par le canal multilatéral sont les pays européens, pour

lesquels les contributions à la Commission européenne représentent entre 10 % et 40 % de leur

APD totale. Si l’on exclut l’aide communautaire, certains pays faisant transiter la part la plus

importante de leur aide par les organisations multilatérales sont des pays non-membres de l’UE

(Norvège 29 %, Canada 28 %, Japon 24 %) ;

- parmi les pays qui ont beaucoup recours au système multilatéral figurent plusieurs pays qui ne

disposent pas de moyens particulièrement importants pour mettre en œuvre eux-mêmes leur

APD : les cinq premiers pays du classement sont l’Italie, l’Autriche, la Grèce, l’Espagne et le

Portugal ;

- le Japon et les Etats-Unis, qui recourent relativement peu au système multilatéral en

pourcentage, restent en valeur absolue parmi les plus grands contributeurs aux organisations

multilatérales.

Outre les contributions régulières, les pays donateurs font également transiter une partie de leur APD

par les organisations internationales sous forme de contributions affectées ou aide « multi-bilatérale ».

Il s’agit de contributions volontaires pour lesquelles le donateur fixe l’utilisation des fonds à un projet,

secteur ou pays particulier. Plus que de réelles contributions, il s’agit pour un pays de faire mettre en

œuvre un projet répondant aux priorités de sa politique nationale de coopération par une organisation

multilatérale, parce que celle-ci détient un avantage comparatif dans ce domaine, ou parce que des

contraintes diverses (géographiques, politiques) rendent préférable de ne pas intervenir directement.

Le manque de données à ce sujet empêche une analyse en profondeur, notamment pour retracer

l’évolution dans le temps du recours à ce canal, mais le CAD a récemment établi une évaluation qui

montre que les volumes concernés sont loin d’être négligeables et représenteraient 25 % du total des

contributions aux organisations multilatérales2. Ainsi, les contributions extrabudgétaires des pays du

CAD auraient atteint 11 milliards de dollars en 2006, chiffre à comparer aux 32 milliards de l’aide

multilatérale. Si certains pays, comme l’Allemagne ou la Grèce, ne recourent quasiment pas à cette

méthode et financent uniquement les agences multilatérales sur contributions non-affectées, d’autres

au contraire contribuent largement sous forme de contributions extrabudgétaires. Cas extrême, 52 %

des contributions versées par la Norvège aux organisations multilatérales en 2006 étaient affectées.

1 OCDE, 2009, op. cit., p. 26 2 Ibid.

12

b. La complexification progressive du « non-système » multilatéral

Le nombre d’organisations multilatérales susceptibles de mettre en œuvre des crédits d’APD a

explosé depuis une soixantaine d’années, avec pour résultat la constitution progressive d’un « non-

système », composé d’organisations de toutes sortes avec des tailles et des objectifs variant fortement.

Les trois grands groupes d’organisations multilatérales que sont les Nations unies, les banques

multilatérales de développement et la Commission européenne se sont eux-mêmes diversifiés, avec

notamment la création de nombreuses agences onusiennes et de guichets concessionnels au sein des

banques multilatérales de développement (IDA en 1960, Fonds africain de développement en 1972,

Fonds asiatique de développement l’année suivante, etc.) 1. De nouveaux acteurs sont également

apparus, tels les grands « fonds verticaux » thématiques (FEM en 1991) qui pour certains brouillent la

frontière entre public et privé (FMSTP en 2002, etc.). Les mécanismes de financement innovants ont

également abouti à la création de nouvelles structures, comme le GAVI en 2000.

Cette complexification croissante a d’importantes conséquences en termes de coûts de transaction et

d’efficacité de l’aide. La multiplication des initiatives et des procédures se révèle lourde à gérer,

surtout pour des pays bénéficiaires qui ne disposent que de capacités administratives très limitées.

Ainsi, pour les seules Nations unies, l’action onusienne se traduit dans un tiers des pays en

développement par l’intervention de plus de dix organismes différents (ce chiffre pouvant aller jusqu’à

une vingtaine dans certains pays), la plupart avec des montants financiers limités. De même, le groupe

d’experts sur la cohérence du système des Nations unies remarquait en 2006 : « Plus d’une vingtaine

d’organismes des Nations Unies participent d’une façon ou d’une autre à des activités dans les

domaines de l’eau et de l’énergie sans avoir un impact global majeur »2.

Parmi la multitude des organisations multilatérales qui reçoivent de l’APD, trois se taillent

néanmoins la part du lion : la Commission européenne, qui reçoit des contributions croissantes de ses

Etats membres depuis une vingtaine d’années et capte aujourd’hui environ 35 % de l’APD

multilatérale, le Groupe de la Banque mondiale (IDA essentiellement) et les Nations unies, qui

représentent respectivement un quart et un cinquième de l’APD multilatérale. A eux trois, ces groupes

de bailleurs comptent pour environ 80 % de l’APD multilatérale versée par les membres du CAD. En

rajoutant les banques régionales de développement (9 %) et le Fonds mondial (5 %), on englobe la

quasi-totalité de l’aide multilatérale. Cela signifie que plusieurs dizaines d’autres organisations, aux

mandats plus modestes, se partagent une faible part de l’APD multilatérale.

1 Une partie importante de l’activité des banques multilatérales de développement est constituée de prêts aux conditions du marché, qui ne correspondent pas à de l’APD. C’est le cas notamment des prêts de la BIRD, de la BAfD et de la BAsD. Les engagements des guichets concessionnels de ces mêmes banques (respectivement IDA, FAfD et FAsD) sont eux comptabilisés en APD. 2 ONU, Unis dans l’action : rapport du Groupe de haut niveau sur la cohérence de l’action du système des Nations unies dans les domaines du développement, de l’action humanitaire et de la protection de l’environnement, 2006, p. 35

13

c. Le cas de la France : la montée en puissance de l’aide multilatérale

Plusieurs documents récents analysent la composition de l’aide française et la répartition bi/multi1. Il

n’est donc pas utile d’y revenir en détail, mais on peut en rappeler les principales conclusions.

L’APD française a fortement augmenté entre 2000 et 2008, passant de 7,2 à 10,2 milliards de dollars

(prix constants 2007), soit environ 10 % de l’aide totale des pays du CAD. En 2008, elle représente

0,39 % du RNB, reléguant la France au 13ème rang des donateurs du CAD les plus « généreux » par

rapport à leur revenu national (moyenne du CAD à 0,47 %). Toutefois, en valeur absolue, la France est

le 4ème pays à verser le plus d’APD, derrière les Etats-Unis, l’Allemagne et le Royaume-Uni. La part

du canal multilatéral est particulièrement importante dans l’APD nette française à 40 %, contre 29 %

pour l’ensemble des pays du CAD.

Une des caractéristiques de l’aide française, qu’elle partage avec d’autres pays, est la forte

progression depuis quelques années de l’aide « non-programmable », c’est-à-dire de dépenses qui

n’ont pas d’incidence budgétaire (annulations de dette), ou qui ne peuvent être programmées pour

mettre en œuvre des actions spécifiques au profit des pays en développement (frais d’écolage des

étudiants étrangers en France, accueil des réfugiés, etc.). Différentes estimations montrent que l’aide

programmable ne représente que 50 % à 60 % des crédits d’APD déclarés au CAD.

En retenant cette base pour la répartition bi/multi, Henriette Martinez calcule que l’aide multilatérale

représente la majeure partie (55 %) de l’APD programmable française2, ce qui fait de la France le

premier contributeur multilatéral du CAD. En réalité, ce sont les contributions européennes et

multilatérales et qui ont depuis une dizaine d’années bénéficié de la majeure partie des nouveaux

moyens budgétaires alloués à la coopération au développement. Cette évolution s’est faite au

détriment de l’APD bilatérale programmable : à titre d’exemple, la capacité de l’AFD à intervenir sur

subvention, qui dépend des ressources octroyées à cette fin par le MAEE, a connu en 2008 une

diminution sensible (262 M€, soit moins de 6 % des engagements, contre 314 M€ l’année d’avant), ce

qui pose à l’Agence un problème stratégique important. En résumé, « il apparaît clairement que sur

un volume d’APD [programmable] plus ou moins constant, l’aide bilatérale a servi de variable

d’ajustement pour respecter nos engagements multilatéraux »3.

1 Voir par exemple : DGCID/DPDév (Bureau des questions multilatérales), 2008, op. cit. ; Henriette MARTINEZ, L’aide publique au développement française : analyse des contributions multilatérales, réflexions et propositions pour une plus grande efficacité, 2009 ; OCDE, Examen du CAD par les pairs : France, 2008. 2 Henriette MARTINEZ, 2009, op. cit., p. 10 3 Ibid.

14

2. Motivations et avantages comparatifs des acteurs bi- et multilatéraux

L’étude des enjeux de la répartition des crédits d’aide au développement entre canaux bi- et

multilatéraux nécessite à un premier stade que l’on ébauche une analyse comparée des deux catégories

d’acteurs en termes d’objectifs et d’avantages comparatifs. Biens qu’actifs dans le même domaine et

poursuivant a priori des objectifs de développement similaires, les acteurs bi- et multilatéraux sont en

effet animés par des motivations sensiblement différentes. Par ailleurs, leur différence de nature donne

à chacun des avantages et des handicaps propres.

a. Les objectifs et motivations des acteurs bi- et multilatéraux

- Politiques bilatérales de coopération et intérêt national

Les motivations « altruistes » des pays donateurs pour le développement des pays bénéficiaires

semblent difficilement pouvoir être récusées. En effet, les pays du CAD déboursent chaque année au

profit des pays du Sud des sommes considérables, qui pourraient être utilisées pour répondre à des

besoins purement internes.

Il est pourtant important de bien garder à l’esprit que les politiques de coopération au développement

sont pour les Etats un moyen parmi d’autres de gérer leur insertion dans le système international et

leurs relations avec les pays bénéficiaires. Ainsi l’aide au développement, chargée du containment de

la menace communiste et de la gestion des relations postcoloniales durant la guerre froide, est

aujourd’hui largement vue, notamment à Washington, comme un moyen de propager au Sud la

démocratie et la « bonne » gouvernance1.

Les Etats mettent en œuvre le volet bilatéral de leur coopération avec des objectifs de

développement, mais également en fonction de ce qu’ils estiment être leur intérêt propre sur la scène

internationale2. Celui-ci peut notamment se décliner sur les plans politique (l’aide devient alors une

« carotte » pour inciter les pays du Sud à soutenir le donateur sur différents sujets de politique

internationale) et économique (l’aide pouvant, par exemple, être fournie en échange de commandes du

bénéficiaire aux entreprises du pays donateur). Ces différentes motivations sont plus ou moins

1 La Millenium Challenge Corporation (MCC) a été créée par l’administration Bush en 2004 afin de distribuer des montants additionnels d’APD aux pays satisfaisant certains critères de « bonne gouvernance » politique et économique. 2 Sur le poids des considérations stratégiques dans l’allocation de l’aide, se reporter notamment à : Alberto ALESINA, David DOLLAR, « Who Gives Foreign Aid to Whom and Why ? », Journal of Economic Growth, Vol. 5, No. 1, 2000, pp. 33-63

15

présentes dans les politiques des différents donateurs1. Ainsi, si l’on cite régulièrement les bailleurs

scandinaves comme exemples d’une aide « désintéressée » et uniquement déterminée par les objectifs

de développement, il n’en va pas de même pour certains autres grands donateurs du CAD en valeur

absolue.

Les Etats-Unis utilisent largement leur aide à des fins de politique étrangère. En 2007, l’Irak et

l’Afghanistan étaient de très loin les deux premiers bénéficiaires de l’APD américaine brute avec

respectivement 3,8 et 1,5 milliards de dollars (contre 700 millions de dollars pour le Soudan, troisième

bénéficiaire). Autre exemple avec l’aide américaine à la Colombie, qui est déterminée depuis une

cinquantaine d’années par les enjeux de sécurité pour les Etats-Unis : l’ « Alliance pour le progrès »,

qui visait dans les années 1960 à contenir l’expansion communiste en Amérique latine, a été

remplacée à la fin des années 1990 par le « Plan Colombie », réponse de l’administration américaine

aux défis posés par le trafic de drogue et le terrorisme en Colombie. A une échelle moindre, Taïwan

utilise son aide étrangère pour tenter d’ « acheter » la reconnaissance internationale de son existence,

notamment auprès des pays africains. En testant de façon empirique les déterminants de l’allocation de

l’aide des pays donateurs du CAD, Powell et Bobba montrent que le volume d’aide bilatérale allouée à

un pays est positivement corrélé avec l’alignement politique entre le donateur et le bénéficiaire

(mesuré de façon simplificatrice à l’aune du vote à l’Assemblée générale des Nations unies)2, ce qui

laisse entrevoir le rôle des considérations de proximité politique dans l’allocation de l’aide bilatérale.

Autre donateur majeur du CAD, le Japon considère explicitement son APD comme un moyen de

favoriser ses intérêts sur la scène internationale, notamment sur le plan économique. La Charte de

l’aide publique au développement, adoptée en 1992 et révisée en 2003, constitue le document

fondateur de la politique japonaise de coopération. Elle stipule que l’objectif de l’APD japonaise est

de «contribuer à la paix et au développement de la communauté internationale, et ainsi de contribuer

à la sécurité et la prospérité du Japon »3. Outil économique, l’APD doit permettre au Japon d’ouvrir

des débouchés à ses entreprises et de gagner un accès aux matières premières. Suite à la réforme de la

coopération japonaise de 2008, la Japan Bank for International Cooperation (JBIC) s’est vu attribué

la gestion des financements non-concessionnels en appui à l’expansion internationale des entreprises

japonaises. Autre exemple, les objectifs économiques qui sous-tendent la montée en puissance de

l’aide chinoise en l’Afrique depuis quelques années (aide liée au bénéfice des entreprises chinoises,

accès aux matières premières) sont une source d’inquiétudes pour les bailleurs traditionnels du CAD,

qui voient dans cette utilisation de l’aide au développement une forme de concurrence déloyale.

1 Pour une comparaison entre les comportements d’allocation de l’aide des différents donateurs du CAD, voir : Jean-Claude BERTHELEMY, « Bilateral donor’s interest vs. Recipient’s development motives in aid allocation : do all donors behave the same ? », Review of Development Economics, Vol. 10, No. 2, 2006, pp. 179-194 2 Andrew POWELL, Matteo BOBBA, « Multilateral intermediation of foreign aid: what is the trade-off for donor countries ? », Working Paper No. 594, Banque interaméricaine de développement, 2006 3 http://www.mofa.go.jp/POLICY/oda/reform/revision-f.pdf

16

La France met moins en avant ses motivations en termes d’intérêt national et insiste sur les objectifs

désintéressés de développement des pays bénéficiaires et de régulation des effets de la mondialisation.

En 2008, le Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France affirmait que « l’aide

publique au développement est une composante à part entière de la politique étrangère de la France,

qui doit contribuer à ses grands objectifs ». Ceux-ci incluent selon les auteurs : « favoriser une

mondialisation équilibrée », « renforcer la paix et la sécurité en luttant contre la pauvreté et le sous-

développement » et « appuyer nos stratégies d’influence »1. Alesina et Dollar montraient néanmoins

en 2000 que l’aide de la France était concentrée sur ses anciennes colonies avec lesquelles elle a tissé

des alliances politiques, et n’étaient que secondairement influencée par des facteurs comme le niveau

de pauvreté ou la gouvernance politique du bénéficiaire2. De même, Berthelemy classe la France dans

le groupe des bailleurs « égoïstes »3.

Il convient de noter que les différents objectifs « intéressés » que peuvent poursuivre les donateurs

d’APD (politique étrangère, expansion économique, mais aussi rayonnement culturel ou gestion des

flux migratoires) ne sont pas forcément condamnables et qu’un pays peut légitimement utiliser ses

ressources dans son intérêt. On peut même penser que c’est précisément cette dimension politique qui

permet dans bon nombre de pays de mobiliser des crédits en faveur de la politique de coopération, ce

que la seule charité ne permettrait sans doute pas. La question se pose en des termes différents s’il est

démontré que la poursuite des objectifs intéressés réduit l’impact de la politique de coopération sur le

développement des bénéficiaires, voire même va à son encontre.

- L’illusion (partielle) d’une neutralité des organisations multilatérales

Les organisations multilatérales sont-elles soumises à ces mêmes objectifs annexes ? Les grandes

organisations de développement assurent toutes leur neutralité politique et la limitation de leur mandat

aux objectifs purs de développement. L’apolitisme est, d’une façon générale, la règle dans la plupart

des organisations internationales. Ainsi, la Charte des Nations unies affirme qu’ « aucune disposition

de la présente charte n’autorise les Nations unies à intervenir dans des affaires qui relèvent

essentiellement de la compétence d’un Etat » (Art.2-7). De même, la Banque mondiale s’est

longtemps cantonnée dans un apolitisme de façade, rejetant toute analyse politique et sociale et se

concentrant sur une approche « économiciste » du développement. Le caractère illusoire de cet

apolitisme a été mainte fois souligné, dans le sens où toute décision (par exemple celle de prêter ou

non à un gouvernement en place) implique des conséquences politiques. Les multilatéraux, comme les

1 MAEE, La France et l’Europe dans le Monde, Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France, 2008, p. 54 2 Alberto ALESINA, David DOLLAR, 2000, op. cit. 3 Jean-Claude BERTHELEMY, 2006, op.cit.

17

xbilatéraux, sont empreints d’idéologies économiques et politiques et agissent en conséquence, comme

l’exemple de l’ajustement structurel défendu par la Banque mondiale l’a amplement montré.

Il est pourtant vrai que les organisations internationales n’ont par nature pas d’ « intérêt national » à

promouvoir et semblent donc plus susceptibles de poursuivre des objectifs altruistes de développement

dans le seul intérêt des pays bénéficiaires. Elles n’en sont pas moins soumises à l’influence de leurs

membres, qui varie selon la structure de gouvernance. Les agences onusiennes, qui fonctionnent sur la

base du principe un Etat - une voix, sont relativement peu susceptibles d’être influencées par leurs

membres les plus puissants. En revanche, la Banque mondiale et les banques régionales de

développement reposent sur un système d’actionnariat qui fournit aux plus gros contributeurs un poids

déterminant dans la prise de décision. Les cinq premiers actionnaires de la BIRD (Etats-Unis, Japon,

Allemagne, Royaume-Uni et France) possèdent ainsi près de 38 % des droits de vote, et le système

fournit aux Etats-Unis un droit de veto implicite sur certaines décisions devant êtres prises par au

moins trois cinquièmes des membres représentant 85 % des droits de vote (la part américaine est de

16,38 %). Cette influence des Etats-Unis est évidente au Conseil d’administration de la Banque et dans

sa politique de prêt, mais elle passe aussi par une sorte de « soft power », relatif à la domination des

universités américaines en matière de développement, à la surreprésentation de nationaux américains

ou de diplômés de ces mêmes universités à des postes clés au sein de la Banque, etc.

Les institutions multilatérales, et en particulier la Banque mondiale, ne sont donc pas imperméables à

toute influence politique. De nombreux travaux ont étudié les déterminants de l’allocation de l’aide

des institutions financières internationales (IFI). Par exemple, Faini et Grilli montrent que la politique

de prêt de la Banque mondiale est sensiblement influencée par les intérêts commerciaux et financiers

de ses principaux actionnaires, et notamment des Etats-Unis1. De même, Kilby trouve que, plus encore

qu’à la Banque mondiale, la politique de prêt de la Banque asiatique de développement est influencée

par les intérêts géostratégiques et commerciaux de ses deux principaux actionnaires (Etats-Unis et

Japon), et que ces facteurs tendent à jouer un rôle plus important que les besoins des bénéficiaires

reflétés par le niveau de pauvreté2.

Il n’en reste pas moins vrai que les intérêts individuels des pays donateurs sont dilués dans le cadre

multilatéral : les organisations multilatérales de développement, si elles sont influencées par leurs

donateurs les plus puissants, ne sont pourtant pas susceptibles d’être totalement pilotées par eux. Par

ailleurs, les grandes organisations comme la Banque mondiale, le PNUD, ou l’Unicef ont depuis leur

création établi des administrations fortes, capables de développer des stratégies et de les appuyer sur

leurs productions intellectuelles (surtout dans le cas de la Banque), pour ensuite les défendre auprès de

1 Riccardo FAINI, Enzo GRILLI, « Who runs the IFIs ? », Centre for Economic Policy Research Discussion Paper No. 4666, 2004 2 Christopher KILBY, « Donor influence in Multilateral Development Banks: The case of the Asian Development Bank », The Review of International Organizations, Vol. 1, No. 2, 2006

18

leurs Etats membres. Les tests empiriques de Powell et Bobba montrent que, par rapport à l’aide

bilatérale, l’aide multilatérale a un effet de dilution des motivations politiques dans l’allocation de

l’aide1. A contrario, on constate que les pays dont l’aide est très fortement orientée par des priorités

politiques nationales, comme c’est le cas pour certains donateurs ne faisant pas partie du CAD

(Taïwan, Koweït, Arabie Saoudite, etc.), ne recourent quasiment pas au système multilatéral pour

acheminer leur aide2.

Le passage par le canal multilatéral suppose donc bien pour les donateurs qu’ils renoncent en partie

au contrôle de leurs ressources. Ils peuvent toutefois développer des stratégies d’influence auprès des

organisations multilatérales pour y diffuser leurs idées et tenter de les amener sur leurs priorités. Nous

reviendrons sur ce point dans la deuxième partie.

b. Pourquoi les donateurs bilatéraux utilisent-ils le canal multilatéral ?

Les raisons qui peuvent pousser un pays donateur à mettre en œuvre bilatéralement une partie de ses

crédits de coopération au développement semblent relativement claires. Elles tiennent d’abord au fait

que la politique de coopération est une composante de la politique étrangère et peut, comme cela a été

discuté précédemment, servir à atteindre des objectifs nationaux (plus ou moins) légitimes en termes

d’influence politique, de rayonnement culturel, d’expansion économique, etc. Ensuite, chaque pays

donateur élabore sa coopération bilatérale en fonction de ce qu’il estime être prioritaire en matière de

développement (développement humain et secteurs sociaux, croissance économique et infrastructures,

développement durable et lutte contre le réchauffement climatique, etc.) et de ses avantages

comparatifs réels ou supposés dans certains secteurs ou zones géographiques. Il ressort par ailleurs des

entretiens réalisés dans le cadre de ce travail que les acteurs bilatéraux sont perçus comme ayant

certains avantages comparatifs par rapport aux multilatéraux, dont :

- une plus grande proximité avec les bénéficiaires et une meilleure connaissance des réalités

locales (typiquement de l’Afrique francophone pour la coopération française) ;

- une meilleure réactivité par rapport aux processus décisionnels souvent plus lourds des

organisations multilatérales ;

- une capacité de réflexion et d’innovation supérieure, permettant de tester des approches

nouvelles (par exemple la diversification des sources de financement du développement, le

rapprochement avec le secteur privé, etc.).

Comment alors expliquer que les Etats renoncent au contrôle d’une partie de leur aide au

développement en la faisant transiter par le canal multilatéral ? On a vu que les agences multilatérales

1 Andrew POWELL, Matteo BOBBA, 2006, op. cit., p. 12 2 OCDE, 2009, op. cit.

19

sont moins susceptibles que les donateurs bilatéraux d’accompagner les préoccupations humanitaires

et de développement d’autres motivations plus politiques ou économiques. Toutefois, résumer la

question à une alternative « intérêt national vs. altruisme » serait simplificateur et il importe

d’identifier les avantages comparatifs des organisations multilatérales par rapport aux agences

bilatérales. La littérature existante avance différentes raisons qui justifieraient le recours au

multilatéralisme en matière de coopération au développement.

Par exemple, l’économiste Dani Rodrik identifie deux principaux avantages théoriquement conférés

aux agences multilatérales par leur nature même1. Le premier réside dans leur capacité à internaliser

les externalités liées à la production d’informations sur le climat d’investissement, les perspectives

économiques et les politiques des pays bénéficiaires, vues comme un bien public que les acteurs

nationaux publics et privés n’ont pas d’incitations à produire individuellement. Le second avantage

comparatif des organisations multilatérales est, selon Rodrik, le moindre degré de politisation de leurs

relations avec les pays bénéficiaires, qui renforce leur capacité à assortir leurs concours de

conditionnalités en matière de politique économique. Ceci présente pour les gouvernements donateurs

(qui souhaitent a priori conserver de bonnes relations avec les bénéficiaires) l’avantage de rejeter sur

une organisation multilatérale la responsabilité de politiques impopulaires. De leur côté, les

gouvernements des pays bénéficiaires semblent moins renoncer à leur souveraineté en consentant à des

réformes impopulaires et douloureuses si elles sont défendues par une institution « apolitique » que si

elles sont exigées par un pays riche et parfois ancien colonisateur. De fait, la négociation (ou

l’imposition) de conditionnalités économiques en échange de l’aide est depuis plusieurs décennies

presque exclusivement laissée aux institutions financières internationales.

Milner cherche dans la politique interne une autre incitation qu’ont les gouvernements à faire

transiter leur aide par le canal multilatéral2. Selon elle, l’aide multilatérale est plus proche des

préférences des contribuables des pays donateurs, qui préfèrent l’aide pour le développement des plus

pauvres à l’aide comme outil politique et économique. Au contraire, les gouvernements ont tendance à

favoriser ce second emploi de l’aide (cf. supra). Dans ce cadre, la contribution aux organisations

multilatérales est pour les gouvernants un moyen de s’engager publiquement à ce qu’une partie de

l’aide soit utilisée conformément aux attentes du public, et convint en retour celui-ci d’accepter de

payer pour un budget d’aide élevé. Dans chaque pays donateur, plus l’opinion a tendance à penser que

le gouvernement favorise une utilisation politique de l’aide, plus ce dernier est incité à recourir au

canal multilatéral pour convaincre les contribuables de soutenir le budget global de l’aide. La

vérification empirique de ces hypothèses repose sur quelques simplifications audacieuses, mais

1 Dani RODRIK, « Why is there multilateral lending ? », National Bureau of Economic Research, Working Paper No. 5160, 1996, 50 p. 2 Helen V. MILNER, « Why Multilateralism ? Foreign Aid and Domestic Principal-Agent Problems », in Darren G. HAWKINS et al. (eds.), Delegation and Agency in International Organizations, Cambridge University Press, 2006, pp. 107-139

20

l’analyse de Milner a au moins le mérite de prendre en compte l’influence des mécanismes internes

dans l’arbitrage bi/multi. Cette approche permettrait aussi d’expliquer pourquoi seule une partie de

l’aide, et pas sa totalité, est déléguée aux organisations multilatérales : l’aide multilatérale bénéficiant

d’une meilleure image, il s’agirait pour les gouvernements du « prix » à payer pour être crédible

auprès du public et obtenir de larges budgets d’aide.

Enfin, Martens utilise une approche en termes de préférences divergentes entre donateurs et

bénéficiaires, de coûts de transaction et d’asymétries d’informations pour expliquer l’existence des

agences d’aide en général, et des agences multilatérales en particulier.1 Selon lui, la raison d’être de

ces dernières est de « permettre une action collective en présence de préférences hétérogènes entre les

donateurs, et entre les donateurs et les bénéficiaires ». Cette action collective est nécessaire pour les

bailleurs lorsque le résultat attendu est un bien public (par exemple la négociation d’un programme de

réformes économiques) et lorsque l’aide doit être assortie de conditionnalités (cf. supra). La relation

entre donateur et bénéficiaire de l’aide internationale est pour un ensemble de raisons (éloignement

géographique, absences de statistiques fiables, etc.) soumise à des asymétries d’informations et à un

risque d’aléa moral de la part du bénéficiaire (une utilisation de l’aide non conforme aux attentes du

donateur une fois que celle-ci a été déboursée) comme du donateur (faible intérêt pour l’impact en

termes de développement une fois que les objectifs politiques et économiques ont été atteints). Le

cadre multilatéral peut alors être vu comme un moyen de réduire ces incertitudes et de faire converger

les positions des différents acteurs. Martens avance par ailleurs deux principales raisons pour

expliquer l’intérêt des bénéficiaires à participer au système multilatéral : obtenir des capitaux à des

conditions concessionnelles à plus grande échelle que ne peuvent le proposer les agences bilatérales ;

disposer d’une voix (surtout pour les organisations fonctionnant selon le principe un Etat - une voix) et

ainsi partiellement restaurer le feedback brisé entre donateur et bénéficiaire qui est typique de l’aide

internationale.

Cette brève revue de littérature offre plusieurs éclairages intéressants sur les avantages comparatifs

des organisations multilatérales, même s’il s’agit de modèles théoriques. On peut brièvement discuter

certains autres arguments parfois évoqués pour expliquer l’existence des agences d’aide

multilatérales :

- les économies d’échelle et la réduction des coûts de transaction pour les bénéficiaires : cet

argument peut avoir une certaine validité, sauf à considérer que la prolifération des

organisations multilatérales ne fait que contribuer à la complexité d’ensemble de la

nébuleuse internationale de l’aide. Il y a aujourd’hui bien plus d’organisations multilatérales

que de pays en développement ;

1 Bertin MARTENS, « Why do aid agencies exist ?», Development Policy Review, Vol. 23, No. 6, 2005, pp. 643-663

21

- la plus grande prévisibilité de certains instruments multilatéraux comme l’IDA, le FED ou le

Fonds africain de développement, que les bailleurs reconstituent tous les trois à cinq ans,

alors que les budgets d’aide bilatérale sont plus volatils. Par ailleurs, les Etats sont a priori

tenus de verser annuellement leurs contributions aux agences onusiennes selon une quote-

part fixe. Ceci est vrai pour le montant global de l’aide multilatérale, mais ne présage en rien

de la prévisibilité des enveloppes pays pour chacun des bénéficiaires.

Deux autres aspects semblent plus pertinents pour expliquer la vigueur du canal multilatéral :

- il y aurait pour les donateurs nationaux un coût majeur en termes d’image et de crédibilité à

ne pas participer au système multilatéral, ou à suspendre leur contribution à une organisation

comme l’Unicef par exemple;

- les enceintes multilatérales comme la Banque mondiale, les Nations unies ou le CAD de

l’OCDE sont le lieu central non seulement pour la coordination des différentes politiques

d’aide, mais aussi pour l’élaboration de la doctrine internationale sur le développement et la

coopération. Il est vital pour les acteurs bilatéraux d’être associés à l’établissement de ces

normes afin d’éviter d’être marginalisés. Cet aspect ressort nettement des entretiens réalisés

auprès d’acteurs du dispositif français de coopération, et sera approfondi dans la troisième

partie de ce travail.

On a donc vu que, outre la raison triviale selon laquelle une fois créée toute organisation s’efforce de

survivre et de croître, plusieurs éléments peuvent expliquer l’existence des organisations multilatérales

de développement et l’intérêt que trouvent donateurs et bénéficiaires à les utiliser. Les pays du CAD

en particulier ont des incitations suffisamment fortes et variées pour faire transiter une partie

importante de leur APD par ce canal. Il reste à étudier sur quelle base est réalisé l’arbitrage entre bi- et

multilatéralisme d’une part, et entre les différentes organisations multilatérales d’autre part.

3. Le « processus » d’allocation des crédits d’aide au développement et l’arbitrage bi/multi

Les Etats donateurs d’APD ont des ressources limitées à allouer à cette politique. Ils cherchent donc

a priori une allocation optimale de leur aide entre les canaux bi- et multilatéraux1. On tente dans cette

section de déconstruire l’idée d’un processus rationnel d’allocation des crédits d’aide au

développement par les Etats donateurs. Bien souvent, et notamment dans le cas de la France, la

1 La question de l’aide « multi-bilatérale » qui transite par les organisations internationales mais dont l’utilisation est contrôlée par l’Etat donateur sera traitée spécifiquement dans la deuxième partie. A noter que cette forme d’aide est comptabilisée par le CAD dans l’APD bilatérale.

22

répartition de ces ressources entre bi- et multilatéralisme, et entre les différentes organisations

internationales, est plus le résultat de non-choix que de stratégies murement pensées. La démarche

relativement récente de l’évaluation des performances des bailleurs multilatéraux semble toutefois

montrer que les Etats donateurs tentent de rationaliser l’allocation de leur aide.

a. La complexité des dispositifs institutionnels de coopération et les problèmes de cohérence

dans les choix de politique publique

Un premier obstacle à l’élaboration de stratégies bi/multi cohérentes est la complexité de nombreux

dispositifs institutionnels nationaux et le nombre élevé d’acteurs qui interviennent, qu’ils soient

publics (chefs d’Etat, divers ministères, agences d’exécution, parlements, etc.) ou privés (groupes

d’intérêt, « société civile »). La lecture des « examens par les pairs » des différents dispositifs

nationaux, réalisés dans le cadre du CAD de l’OCDE, permet de se faire une idée de cette complexité1.

En règle général, le ministère des Affaires étrangères, ou le ministère du développement lorsqu’il est

distinct du précédent, a un rôle central dans l’élaboration de la politique de coopération au

développement. Il est le plus souvent chargé des contributions financières et du dialogue avec les

agences onusiennes, la Commission européenne (pour les pays membres de l’Union européenne) et les

fonds verticaux. Les ministères des finances quant à eux sont souvent en charge des relations avec les

banques multilatérales de développement (Banque mondiale et banques régionales). De nombreux

autres ministères sont généralement impliqués pour les questions plus techniques et les relations avec

des organisations spécialisées (ministère de la santé pour l’OMS, ministère de l’agriculture pour la

FAO, ministère de l’éducation pour l’Unesco, etc.). Le comité d’examen par les pairs de l’aide

australienne a ainsi relevé que 17 ministères australiens intervenaient dans la mise en œuvre du

programme d’aide à l’Indonésie ! 2

Selon les cas, des agences d’exécution et entreprises publiques sont responsables de la mise en

œuvre des politiques déterminées par les ministères (USAID, MCC et OPIC américains, AFD et

Proparco français, SIDA et Swedfund suédois, Norad norvégien, etc.). Dans la pratique, ces agences

tendent à développer des stratégies propres, qui s’éloignent parfois de celles qui ont été élaborées par

leurs tutelles gouvernementales.

Les Parlements et leurs comités dédiés aux affaires internationales interviennent dans le cadre du

débat budgétaire et peuvent demander aux administrations de l’aide de rendre compte sur l’exécution

de la politique de coopération.

1 L’ensemble des examens par les pairs est disponible sur le site du CAD www.oecd.org/dac/peerreviews. 2 OCDE, Examen du CAD par les pairs : Australie, 2008, p. 49

23

Enfin, les agents présents dans les pays partenaires du Sud, notamment au sein des ambassades, sont

parties prenantes pour l’élaboration des stratégies pays et la mise en œuvre concrète des projets.

Ces nombreux acteurs peuvent avoir des conceptions différentes du développement et des stratégies

à mener, et poursuivre des intérêts propres. Ceci est particulièrement frappant dans le cas de la France,

où interviennent de nombreux acteurs (Elysée, Matignon, MAEE/DGM, MINEFE/DGTPE, Secrétaire

d’Etat à la coopération, AFD, MIIINDS, Parlement, FCI, autres ministères, etc.), sans qu’aucun ne soit

intégralement dédié à la politique de coopération au développement avec les pays du sud. Plusieurs

vagues de réformes successives depuis 1998 n’ont pas permis de doter le dispositif français d’une

réelle cohérence d’ensemble, ce que le CAD a déploré dans ses examens par les pairs de 2004 et

20081. Ceci entraîne la coexistence de logiques d’action différentes, diplomatique à la tête du MAEE,

économique au MINEFE, de développement pour une partie du personnel de l’ancien ministère de la

coopération (qui se retrouve plus ou moins réparti entre l’AFD et la nouvelle DGM), de maîtrise des

flux migratoires pour le MIIINDS, etc2. Les tensions récurrentes entre l’AFD et ses tutelles

ministérielles illustrent le manque de clarté du partage des tâches entres les différents acteurs.

L’Agence, « opérateur pivot » en théorie uniquement chargé de la mise en œuvre de la politique, tend

en effet à renforcer depuis plusieurs années son rôle stratégique et son activité de production

intellectuelle.

La multiplicité des acteurs impliqués dans la plupart des dispositifs institutionnels de coopération

nous pousse à remettre en question l’idée d’une politique rationnelle, décidée par un acteur unitaire

que serait l’ « Etat ». Le problème de la cohérence des politiques publiques, présents dans d’autres

domaines, est manifeste en ce qui concerne la coopération au développement. Selon Milner « dans le

débat sur l’aide bi- contre l’aide multilatérale, les Etats ont la plupart du temps été considérés comme

des acteurs unitaires rationnels. Mais […] ils seraient mieux analysés en tant qu’entités collectives

composées d’acteurs rationnels aux préférences distinctes »3. Ainsi, « cette perspective nous permet

de voir les interaction stratégiques au sein des Etats comme un élément important du jeu de délégation

de l’aide »4.

Martens détaille cet aspect : « De nombreuses personnes sont impliquées dans la chaîne de l’aide

étrangère : donateurs privés, contribuables, lobbys, responsables d’agences d’aide, consultants et

chercheurs, hommes politiques dans les pays donateurs et dans les pays bénéficiaires, etc. On suppose

habituellement de façon plus ou moins explicite que tous ces individus et organisations partagent

1 Pour une histoire du dispositif français de coopération et de sa réforme, se reporter notamment à : Julien MEIMON, « Que reste-t-il de la Coopération française ? », Politique Africaine, No. 105, 2007, pp. 27-53 2 Jean-Jacques GABAS (dir.), L’aide publique française au développement, La documentation française, 2005, p. 39 3 Helen V. MILNER, 2006, op. cit., p. 120 (notre traduction) 4 Ibid. (notre traduction)

24

totalement un même objectif : la réduction de la pauvreté parmi les bénéficiaires dans les pays

récipiendaires de l’aide. Il est toutefois probable que les objectifs diffèrent dans la réalité. Les

individus poursuivent leur carrière et leur revenu, en plus de leurs propres préférences ; ils peuvent

avoir, mais n’ont pas nécessairement, un réel intérêt pour la réduction de la pauvreté. Les politiciens

poursuivent leurs objectifs politiques, les agences cherchent à perpétuer et à étendre leurs

prérogatives et leur budget, les consultants sont à la recherche du prochain contrat, etc. »1.

Cette diversité des acteurs et des objectifs débouche sur des problèmes de « cohérence interne » des

politiques de coopération, pour reprendre l’expression proposée par Paul Hoebink2. Dans ce contexte

les orientations finalement retenues résultent plus de compromis entre les différentes parties prenantes

que de stratégies uniques et optimales. Pour Hoebink : « La coordination entre les différentes

administrations gouvernementales est souvent faible et la complémentarité n’est pas une donnée, mais

bien souvent le résultat de la compétition entre institution »3.

On peut aisément appliquer ce cas d’incohérence institutionnelle à la répartition entre aide bi- et

multilatérale, si l’on considère les intérêts divergents à ce sujet des acteurs chargés de la mise en

œuvre de la politique bilatérale de coopération (agences d’exécution notamment) et ceux qui sont plus

sensibles à l’influence auprès des organisations multilatérales.

Le problème d’incohérence se trouve renforcé lorsque le système national de l’aide n’a pas à son

sommet d’institution capable d’assurer le pilotage stratégique d’ensemble du dispositif, comme c’est

dans une large mesure le cas pour la France. Le Comité interministériel de la coopération et du

développement (CICID), crée par la réforme de 1998, devait être l’instance de pilotage stratégique et

d’arbitrage permettant d’améliorer la cohérence d’ensemble du dispositif4 (« La réforme de février

1998 […] vise à améliorer la cohérence de l’aide et à renforcer la convergence et la complémentarité

entre les politiques bilatérale et multilatérale d’aide »5). Dans la pratique ce rôle a été plus que limité

et seules huit réunions du CICID ont été organisées depuis 1998. La fonction d’arbitrage du CICID est

également limitée par le fait qu’il ne traite pas des questions budgétaires. Ainsi, le dispositif français

1 Bertin MARTENS, 2005, op. cit., p. 661 (notre traduction) 2 Hoebink distingue entre (i) cohérence interne de premier type (entre les objectifs et méthodes au sein de la politique de coopération), (ii) cohérence interne de deuxième type (entre la politique de coopération et la politique étrangère) et (iii) cohérence externe (entre la politique de coopération et d’autres politiques dans les domaines agricole, industriel, environnemental, etc.). Ces trois types d’incohérence sont susceptibles d’affecter la politique de coopération. Pour plus de détail, se reporter à : Olav STOKKE, Jacques FORSTER (eds.), Policy Coherence in Development Co-operation, 1999, EADI Book Series c/o Routledge, No. 22 3 Paul HOEBINK, et al., « The coherence of EU Policies: Perspectives from the North and the South », EU’s Poverty Reduction Effectiveness Programme, Commissioned Study Ref. RO2CS007, 2005 4 Le CICID rassemble, sous la présidence du Premier ministre, la dizaine de ministres les plus concernés par les questions de développement. Il est chargé de fixer la doctrine française en matière de coopération. 5 Philippe HUGON, « The Coherence of French and European Policy in International Development Co-operation », in Olav STOKKE, Jacques FORSTER (eds.), 1999, op. cit., p. 117

25

ne semble pas équipé pour élaborer une répartition stratégique de l’APD entre les canaux bi- et

multilatéraux1.

La France n’est pas le seul pays où se pose ce problème et, comme le remarque le CAD : « dans

beaucoup de pays membres du CAD, la gestion de l’aide multilatérale et sa coordination avec l’aide

bilatérale mériterait davantage d’attention »2. Le dispositif américain notamment répartit la

responsabilité de l’aide multilatérale entre de nombreux acteurs dont, entre autres, le Département du

Trésor, le Département d’Etat, le Congrès et l’USAID.

A contrario, le modèle britannique est souvent cité comme exemple en matière de cohérence pour la

politique de coopération. Le DFID a été constitué en 1997 comme ministère à part entière et assure

aujourd’hui la gestion de plus de 80 % de l’APD britannique, bilatérale comme multilatérale. Il est

dirigé par un Secrétaire d’Etat au développement international au rang de ministre de Cabinet,

responsable de l’ensemble de la stratégie de coopération et garant de la cohérence des politiques en

matière de développement. Comme le reconnaît le CAD : « L’organisation de l’aide multilatérale est

conceptuellement simple au Royaume-Uni. La direction de tous les aspects de la coopération publique

au développement, bilatérale et multilatérale, est centralisée au DFID »3. Pour le CAD : « L’alliance

politique étroite qui s’est instaurée entre le Premier ministre, le ministre du Développement

international et le Chancelier de l’Échiquier (ministre des Finances) a permis la définition d’une ligne

d’action claire et cohérente »4.

b. L’arbitrage bi/multi et la répartition de l’envelop pe multilatérale entre les diverses

organisations

Il ressort de ce qui précède que la répartition de l’APD entre bi- et multilatéralisme ne doit pas

toujours être considérée comme le fruit d’un arbitrage rationnel. Les pays donateurs manquent souvent

de stratégies d’ensemble pour l’aide multilatérale, ce sur quoi plusieurs examens par les pairs récents

ont attiré l’attention. Environ la moitié des donateurs du CAD ont récemment répondu à cette critique

en élaborant de telles stratégies5, mais si « dans certains cas, les stratégies sont exhaustives et sont le

1 Il existait une commission « Articulation entre coopération bilatérale et multilatérale » au sein du HCCI, mais ce dernier a été dissous en mars 2008, après dix ans d’existence. 2 OCDE, La gestion de l’aide – Pratiques des pays membres du CAD, Lignes directrices et ouvrages de référence du CAD, 2005, p. 115 3 OCDE, 2009, op. cit., p. 217 4 OCDE, Examen du CAD par les pairs : Royaume-Uni, 2006, p. 10 5 La Finlande, le Luxembourg, la Nouvelle-Zélande, la Suède et la Suisse ont adopté de telles stratégies ; l’Allemagne, le Danemark, l’Espagne, la Grèce, le Portugal ont amorcé la rédaction des leurs (source : CAD, 2009, op. cit.)

26

fruit de vastes consultations, dans d’autres, elles s’apparentent davantage à des documents de travail

qu’à des stratégies entérinées sur le plan politique »1.

D’autres pays, comme la France, le Japon ou les Pays-Bas, ne disposent pas de stratégie d’ensemble

pour leur aide multilatérale et son articulation avec l’aide bilatérale, de sorte que, si l’on peut parler de

politique bilatérale de coopération pour ces pays, il est plus difficile d’y identifier une véritable

politique multilatérale. Le Royaume-Uni ne dispose pas de stratégie globale pour l’aide multilatérale,

mais de stratégies distinctes pour les différentes organisations partenaires. De même, le CICID a

annoncé en juin 2009 l’élaboration de stratégies françaises vis-à-vis de la Banque mondiale, de la

politique communautaire de coopération et des banques régionales de développement. Ce type de

document peut-être utile en soi, mais on peut penser qu’en l’absence de stratégie globale cette

approche segmentaire pénalise l’articulation et la cohérence d’ensemble entre les volets bi- et

multilatéraux de la politique de coopération. Elle ne dit par ailleurs rien de la méthode retenue pour la

répartition des crédits d’APD entre les différentes organisations multilatérales.

La répartition des moyens de la coopération au développement entre les canaux bi- et multilatéraux

se fait donc souvent en l’absence de règles précises. Ainsi, par exemple, « Les Etats-Unis ne

répartissent pas les crédits entre l’aide bilatérale et multilatérale en fonction d’objectifs

particuliers »2. A noter que l’Allemagne offre un contre-exemple sur ce point, puisqu’une règle

détermine depuis 1993 que les dépenses affectées à la coopération multilatérale ne doivent pas

dépasser le tiers du budget du BMZ, le ministère allemand de la coopération3.

L’absence d’instance d’arbitrage pour la répartition de l’APD entre aide bi- et multilatérales est

également un trait frappant du dispositif français, sur lequel ont insisté la plupart des personnes

entendues dans le cadre de ce travail4. Des décisions sont certes finalement prises, mais elles « se

caractérisent par des non-choix, par des constats in fine »5, plus que par l’application de stratégies

cohérentes et déterminées ex ante. La seule question traitée est de savoir quelle administration

obtiendra le plus de crédits pour « ses » organisations multilatérales, sans que soit suffisamment prise

en compte la façon dont les différentes contributions peuvent participer aux objectifs de la coopération

française. Les effets d’annonce politiques et les engagements pris au sommet de l’Etat semblent plus

déterminer l’allocation des ressources que les considérations d’ordre stratégique. Ainsi, la contribution

massive de la France au Fonds mondial, engagement du précédent chef de l’Etat en partie déterminé 1 CAD, 2009, op. cit., p. 39 2 Ibid., p. 161 3 Ibid. p. 119 4 Ce jugement est également présent dans l’examen par les pairs de l’aide française de 2008 : « L’absence d’une vision stratégique globale à moyen terme de l’aide multilatérale limite l’ampleur et l’impact des articulations avec le volet bilatéral de l’aide française et peut également conduire à une plus faible influence dans les organisations internationales ». 5 Extrait d’un entretien réalisé.

27

par des pressions de la part des milieux sanitaire et hospitalier français, pèse-t-elle considérablement

sur le budget de l’APD, sans par exemple que son articulation avec la coopération bilatérale dans le

domaine de la santé ne soit clairement établie. Une anecdote, citée lors d’un entretien pour illustrer

« la façon dont tout cela ne se gère pas », porte sur la décision prise par l’Elysée d’utiliser environ un

dixième de la contribution française au Fonds mondial pour accompagner de façon bilatérale les pays

potentiellement bénéficiaires (en Afrique notamment) dans la préparation de projets à soumettre au

Fonds. L’Elysée a finalement renoncé à cet arbitrage, après qu’un quotidien français ait dénoncé la

« réduction » de la contribution française au Fonds.

En revanche, l’arbitrage réalisé chaque année sur l’évolution du volume global de l’APD tend à

peser sur l’aide bilatérale, qui joue souvent le rôle de variable d’ajustement (cf. la première section de

cette première partie). Les contributions multilatérales sont, pour un ensemble de raisons, moins

faciles à ajuster que les crédits bilatéraux1. Certaines contributions résultent d’engagements

internationaux dont il est difficile de se dégager (par exemple l’annonce faite lors du sommet du G20

d’avril 2009 de renforcer l’apport aux banques multilatérales de développement). D’autres

engagements sont pris pour plusieurs années (FED, IDA, FEM, etc.) et réduisent d’autant la marge de

manœuvre dans l’allocation des crédits.

La prise de conscience du déséquilibre en défaveur de l’APD bilatérale programmable a récemment

suscité la réaction des acteurs publics français, au niveau des ministères et du Parlement, mais cela ne

s’est fait qu’en réaction à une évolution qui apparaît largement comme non-désirée. Le principe d’un

rééquilibrage au profit du canal bilatéral à moyen terme semble aujourd’hui acquis. Cette volonté de

rééquilibrer le rapport bi/multi s’est notamment traduite par la négociation à la baisse de la

contribution française au FED, passée de 24,3 % pour le 9ème FED à 19,55 % pour le 10ème FED, ce qui

devrait accroître la marge de manœuvre pour l’aide bilatérale à partir de 2011.

Outre l’arbitrage des grandes masses de l’aide, le second enjeu de l’allocation des crédits d’APD est

la répartition entre les différentes organisations multilatérales. Les Etats donateurs sélectionnent, dans

une certaine mesure, les organisations auxquelles ils contribuent en fonction de leurs priorités

sectorielles et géographiques en matière de coopération au développement. A titre d’exemple, la

Banque asiatique de développement est le deuxième bénéficiaire de l’APD multilatérale australienne

avec 21 % (derrière la Banque mondiale qui en reçoit 45 %) et il s’agit de la seule banque régionale de

développement dont l’Australie finance le budget régulier. La BAsD n’est en revanche que le huitième

bénéficiaire de l’APD multilatérale française, alors que le Banque africaine de développement est au

cinquième rang.

1 Il est d’ailleurs frappant que l’APD multilatérale n’ait pas été touchée par la « fatigue de l’aide » qui a affecté l’APD bilatérale dans les années 1990.

28

Plusieurs facteurs limitent néanmoins la marge de manœuvre des Etats dans la répartition de leur

aide multilatérale :

- Il est important de distinguer parmi les différentes contributions celles qui sont obligatoires (par

exemple pour les institutions spécialisées onusiennes comme la FAO, l’OMS ou l’ONUDI) et

celles qui sont volontaires (organes subsidiaires des Nations unies comme le PNUD ou

l’UNICEF, fenêtre concessionnelles des banques de développement comme l’IDA ou le FAfD,

etc.).

- Pour les pays européens se rajoute le cas particulier de l’aide communautaire, puisqu’une partie

de cette aide est financée sur budget communautaire, donc à partir des contributions obligatoires

de tous les Etats membres de l’Union. Ainsi, la simple adhésion à l’Union européenne implique

un versement d’APD.

D’une façon générale, les pays membres du CAD contribuent à un grand nombre d’organisations

multilatérales, qu’il s’agisse de contributions obligatoires ou de contributions volontaires. Dans la

plupart des cas, quelques organisations bénéficient de la majeure partie de ces contributions. En ce qui

concerne la France, les quatre premiers bénéficiaires reçoivent plus de 85 % du total de l’APD

multilatérale (Commission européenne, Banque mondiale, Fonds mondial sida, BAfD)1.

En revanche, le reste de l’aide multilatérale est le plus souvent réparti parmi plusieurs dizaines

d’organisations (environ une centaine dans le cas de la France). Ce saupoudrage peut conduire à une

dispersion des moyens et de l’influence qu’ils permettraient d’obtenir, mais certains pays estiment que

payer le « ticket » minimal permet « d’obtenir beaucoup en retour, sous la forme d’informations sur le

travail de l’organisation en question »2. Le CAD recommande donc à plusieurs pays de recentrer leurs

contributions sur un plus petit nombre de partenaires multilatéraux, ce que peu de pays ont fait.

L’Irlande est néanmoins citée comme exemple d’un pays ayant réduit depuis plusieurs années le

nombre de ses contributions multilatérales (de 35 à 20), en ne renouvelant pas celles qui étaient

symboliques ou peu en phase avec ses grandes orientations politiques, et pour mieux les cibler sur

quelques organisations qui correspondent véritablement à ses priorités et avec lesquelles elle a signé

des accords de partenariat3.

Là encore, la capacité des Etats à cibler leurs contributions sur un petit nombre d’organisations est

limitée par plusieurs facteurs, internes comme externes. Sur le plan interne, « les ministères des

Affaires étrangères sont souvent poussés par les ministères sectoriels à continuer de financer, même

faiblement, des organisations spécialisées »4. Au sein même des administrations centrales de l’aide,

1 MAEE (DGCID/DPDév/Bureau des questions multilatérales), 2008, op. cit., p. 20 2 OCDE, 2009, op. cit., p. 38 3 Ibid. 4 Ibid.

29

chacun a intérêt à plaider pour le maintien ou l’augmentation des contributions aux organisations dont

il s’occupe. Sur le plan externe, les organisations multilatérales cherchent naturellement à conserver, et

même à accroître, leur budget d’une année sur l’autre et font pression pour décourager le retrait de

contributions. Les grandes organisations, surtout celles qui dépendent dans une grande proportion de

contributions volontaires, disposent d’équipes spécifiquement chargées des relations avec les

donateurs. Il est difficile pour les Etats d’avancer l’argument de la rationalisation de la structure de

leur aide multilatérale, toute réduction ou annulation de contribution étant perçue (à tort ou à raison

selon les cas) comme un désintérêt pour le domaine d’action de l’organisation concernée. Des

précédents existent pourtant, comme le retrait du FIDA décidé en 2004 par l’Australie, pourtant

membre fondateur1. Ce choix était principalement motivé par la faible activité du FIDA en Asie du

Sud-Est et dans le Pacifique, zones prioritaires de la coopération australienne. L’Australie a en

conséquence lancée une procédure formelle de retrait du traité fondateur du FIDA, démarche

approuvée par le Comité permanent du Parlement sur le Traités.

c. La question montante de l’évaluation des performances des bailleurs multilatéraux

Plusieurs pays donateurs commencent depuis quelques années à réfléchir à l’établissement de

critères plus objectifs pour déterminer leur engagement auprès des différentes organisations

multilatérales de développement. Outre la mise en cohérence entre les partenariats multilatéraux et les

objectifs nationaux de la politique de coopération, cette approche repose sur l’évaluation des

performances des organisations multilatérales, dans l’idée de redéployer les crédits vers les

organisations jugées les plus « efficaces ». Ainsi le DFID entend accorder des « primes de résultat »

aux organisations remplissant un certains nombres d’objectifs fixés à l’avance. De même, la Suède

passe en revue ses partenariats multilatéraux sur la base d’un « ensemble de facteurs généraux

d’efficacité qui correspondent à la Déclaration de Paris : priorité aux résultats, évaluation,

vérification fiable des comptes, coordination avec d’autres acteurs du développement et le secteur

privé, respect de l’appropriation par le pays, etc. »2.

Plusieurs mécanismes d’évaluation des performances multilatérales ont ainsi été mis en place depuis

quelques années par différentes agences nationales de coopération (« Multilateral EFfectiveness

Framework » du DFID ; « Performance Management Framework » de Danida). La multiplication des

évaluations menées de façon isolée par les différents pays donateurs se traduit par des doublons et par

des coûts de transaction élevés, pour les donateurs comme pour les organisations multilatérales.

1 http://www.ausaid.gov.au/hottopics/topic.cfm?ID=8056_225_1436_340_1548 2 OCDE, 2009, op. cit., p.222

30

Un mécanisme commun à quinze pays donateurs existe depuis 2002, le MOPAN (Multilateral

Organization Performance Assessment Network)1. Les membres de ce réseau évaluent chaque année

trois organisations dans dix pays différents, par le biais de questionnaires diffusés dans leurs réseaux

d’ambassades et leurs missions sur le terrain. Il ne s’agit donc pas à proprement parler d’évaluation de

l’impact en termes de développement des organisations multilatérales, mais d’enquêtes de perception

sur leur comportement vis-à-vis des partenaires nationaux et des autres institutions d’aide. La méthode

du MOPAN est donc fréquemment critiquée pour sa subjectivité et sa faible portée. Un changement de

méthode pour aller vers une réelle évaluation des performances a toutefois été lancé en 2009, et devrait

fournir ses premiers résultats en 2010. La nouvelle approche devrait également prendre en compte

l’opinion des bénéficiaires de l’aide multilatérale.

L’évaluation des performances des organisations multilatérales reste embryonnaire et manque encore

d’un cadre unifié et de principes d’évaluations communs à tous les pays donateurs. Elle représente tout

de même un outil potentiel d’aide à la décision pour la répartition de l’aide multilatérale entre les

différentes organisations et pour la gestion des partenariats avec ces organisations.

En tout état de cause, ceci n’éclipse pas la nécessité d’avoir un dispositif institutionnel national

suffisamment cohérent et capable de rendre les arbitrages nécessaires. Dans le cas contraire, on a vu

que la répartition des moyens de la coopération au développement risque d’être effectuée de manière

peu stratégique, au détriment de l’articulation entre les volets bi- et multilatéraux de cette politique. En

clair, et comme l’affirmait le HCCI dans un rapport paru en 2000 : « La question de la répartition des

moyens de la coopération entre le bilatéral et le multilatéral et, au sein de ce dernier, entre les

différentes composantes, relève de choix stratégiques. Que recherche la France à travers l’aide

multilatérale : à faire cofinancer ses orientations dans certains domaines ou à faire financer par

l’international ce qu’elle ne finance pas elle-même en bilatéral ? […] L’allocation des contributions

de la France doit aussi dépendre de l’évaluation que l’on fait des différentes institutions

multilatérales, de leur efficacité respective et de leur avantage comparatif […] »2.

1 http://www.mopanonline.org/ 2 HCCI, Les positions françaises défendues dans les institutions financières internationales, contribution remise à la Commission des finances de l’Assemblée nationale, 2000

31

DEUXIEME PARTIE : LES INTERACTIONS ENTRE POLITIQUES BILATERALE ET

MULTILATERALE , COMPLEMENTARITE OU CONCURRENCE ?

Une fois répartis les moyens de la politique de coopération, il s’agit d’analyser les interactions entre

ses volets bi- et multilatéraux et de vérifier la pertinence des affirmations formulées lors d’une

conférence du HCCI en 2000 : « quels que soient les intérêts légitimes des divers acteurs, tout le

monde a beaucoup plus à gagner à s’intégrer dans une approche d’ensemble où le multilatéral et le

bilatéral se complètent mutuellement au bénéfice des PED » et « Le multilatéral peut très bien

valoriser le bilatéral. […] Personne ne doit craindre que son drapeau disparaisse car, la force de

l’ensemble donnant un résultat supérieur à la simple somme des apports individuels, la concertation

entre acteurs permet à chacun de laisser de son travail une impression plus profonde et durable »1.

Au-delà du wishful thinking, comment les acteurs bilatéraux peuvent-ils profiter de leurs relations

avec les acteurs multilatéraux ? On peut décomposer cette question en deux parties : tout d’abord, dans

quelle mesure les organisations d’aide bilatérales cherchent-elles à bénéficier de la collaboration avec

des partenaires multilatéraux dans le cadre de leurs activités de développement ? Ensuite, comment les

Etats peuvent-ils influencer les organisations multilatérales, afin de les amener à prendre en compte

leurs priorités en matière de développement ?

1. Le multilatéral comme relai de l’action bilatérale : l’exemple de la coopération entre

l’Agence Française de Développement et ses partenaires multilatéraux

Il est proposé de répondre à la première question à partir d’une étude de cas : les relations de

coopération entre l’AFD et plusieurs de ses partenaires multilatéraux : Banque mondiale, Banque

africaine de développement et institutions des Nations unies2. L’Agence mène une partie croissante de

ses activités en partenariat avec d’autres bailleurs de fonds, selon des modalités de collaboration très

diverses. Si une grande proximité institutionnelle existe avec certains bailleurs bilatéraux (la KfW

allemande en particulier), la coopération avec certaines organisations multilatérales est perçue comme

offrant des atouts spécifiques, en lien avec les avantages comparatifs de ces organisations (cf. supra).

1 Jean FABRE « L’optimisation des moyens de coopération dans une combinaison entre bilatéral et multilatéral », in HCCI, 2002, op. cit. 2 Les informations sur les partenariats multilatéraux de l’AFD ont été rassemblées au cours d’un stage de quatre mois effectué à la Division des relations extérieures de l’Agence en 2009.

32

Par exemple, l’AFD s’est dotée en 2008 d’une stratégie vis-à-vis des Nations unies qui identifie les

avantages comparatifs des Nations unies comme étant leur universalité, leur neutralité aux yeux des

pays en développement (notamment par rapport aux institutions de Bretton Woods), la visibilité de

leur action et leur forte « capacité de convocation », etc. Les avantages prévus pour l’AFD incluent :

l’intérêt de bénéficier de l’image et du « label » Nations unies ; la caisse de résonance que peuvent

constituer les enceintes onusiennes pour diffuser l’expertise et la production intellectuelle de l’AFD ;

l’intérêt d’action multi-bailleurs en termes de cohérence, d’efficacité et de simplicité de l’aide pour le

bénéficiaire, dans l’esprit de la déclaration de Paris ; la possibilité d’approches régionales ou d’action

dans des pays où l’AFD est peu ou pas présente, comme le Soudan ; l’expertise spécifique des Nations

unies dans certains secteurs, par exemple la sauvegarde du patrimoine (UNESCO).

Les avantages plus spécifiquement attendus du partenariat avec la Banque mondiale

sont notamment : la technicité de la Banque et la qualité de ses études sectorielles ; sa capacité à

développer une approche intersectorielle du fait des volumes financiers qu’elle peut engager ; l’effet

de levier important pour les financements de l’Agence ; le poids et la crédibilité de la Banque pour

négocier les conditionnalités et les réformes à mettre en œuvre ; son pouvoir de coordination des

différents bailleurs bi- et multilatéraux ; la possibilité de faciliter l’insertion de l’AFD dans de

nouvelles zones d’intervention où la Banque est déjà présente.

On peut, de façon schématique, distinguer la collaboration opérationnelle dans le cadre de projet de

développement, et la collaboration en matière de production intellectuelle et de participation aux

débats internationaux sur le développement.

a. Les modalités de collaboration opérationnelle

La collaboration opérationnelle avec des partenaires multilatéraux peut prendre des formes diverses,

impliquant une concertation plus ou moins poussée.

- Les échanges d’information et la concertation sectorielle

Une première forme de coopération implique le simple échange d’informations sur les portefeuilles

de projets sectoriels et géographique, ainsi que la réalisation de missions conjointes d’évaluation.

Par exemple, l’AFD et la Banque africaine de développement ont organisé en juillet 2008 une revue

conjointe de leurs portefeuilles respectifs dans le domaine de l’eau et de l’assainissement, qui a abouti

à l’identification de cas de collaboration potentiels (missions conjointes, instruction en cofinancement,

etc.). Une collaboration similaire a eu lieu en Guinée en mars 2009 pour identifier les secteurs de

convergence entre les deux institutions et les possibilités concrètes de coopération. Autre exemple au

Vietnam, où l’AFD et la Banque mondiale sont deux membres du « groupe des six banques », dont le

33

but est d’effectuer des revues conjointes de portefeuille et d’harmoniser les procédures d’instruction et

de suivi de projets.

- Les financements parallèles et la coordination entre des projets distincts

Dans de nombreux cas, la coopération dans le cadre de projets se résume à une coordination entre

des projets distincts, mais prenant place dans une même région ou sur un même secteur, sans qu’il y

ait a priori de financements communs. La coordination peut aller de simples contacts et échanges

d’informations, à la mise en place d’une réelle approche intégrée entre plusieurs projets de

développement, par exemple dans le cadre d’un programme sectoriel national. On parle dans ce cas de

« financement parallèle ».

Une illustration de cette forme de partenariat sur le terrain peut être trouvée dans la coopération entre

l’AFD et le HCR au Tchad, où les deux agences visent à développer une approche intégrée pour les

périodes de transition de l’urgence humanitaire au développement. En 2008, l’AFD a ainsi infléchi sa

stratégie pour le Tchad, de façon à mettre l’accent sur les zones où sont situés les principaux camps de

réfugiés gérés par le HCR. Un projet de 10 millions d’euros pour la période 2009-2011 a été élaboré

autour de trois volets : accès à l’eau potable, dans la zone affectée par les déplacements internes des

populations ; appui à la relance des activités économiques au bénéfice tant des populations déplacées

regagnant leur région d’origine que des communautés hôtes vivant à proximité, de manière à ne pas

créer d’inégalités ; amélioration des offres de soins dans les zones de retour des populations déplacées.

Il arrive parfois qu’une division du travail plus approfondie soit mise en place, par exemple pour le

projet PISEAU de gestion intégrée des ressources en eau en Tunisie, pour lequel la Banque mondiale

est chef de file des bailleurs et négocie avec le gouvernement au nom de tous.

- L’appui technique apporté par une agence multilatérale à un projet de l’AFD

Les organisations multilatérales partenaires de l’AFD représentent, chacune dans son secteur, des

réservoirs d’expertise dont l’Agence peut tirer profit pour ses propres projets.

L’AFD a ainsi bénéficié du savoir-faire technique de l’ONUDI depuis 2004, dans le cadre de son

programme de « mise à niveau des entreprises » au Sénégal. L’appui de l’ONUDI, notamment au

démarrage du programme, et la qualité de son expertise technique ont été jugés par les responsables du

projet à l’AFD comme des facteurs ayant fortement contribué au succès de ce programme.

34

- Le financement par l’AFD de projets d’un bailleur multilatéral et les trust funds

La collaboration opérationnelle entre l’AFD et une agence multilatérale peut également se traduire

par un concours financier apporté par l’AFD à un projet mis en œuvre par cette agence. Dans ce cas de

figure, l’AFD n’intervient pas en amont dans l’identification du projet, mais elle suit le déroulement

du projet et la bonne utilisation de ses fonds.

Une telle coordination peut être trouvée dans la collaboration entre l’AFD et le Bureau international

du travail (BIT) au Cambodge depuis 2004, dans le cadre du programme d’appui à la compétitivité du

secteur textile Better Factories Cambodia (BFC) du BIT, centré sur le respect des normes de

responsabilité sociale des entreprises dans le secteur textile. Le soutien financier de l’AFD à ce

programme s’est traduit par une subvention de 2,45 millions d’euros en deux tranches (2004-2006 et

2007-2009).

Pour qu’elle soit possible, cette forme de collaboration nécessite une bonne cohérence entre les

objectifs du projet fixés par l’agence onusienne et les priorités stratégiques de l’AFD dans le pays

concerné, surtout lorsque l’AFD n’était pas présente à l’origine du projet. Elle implique également un

dialogue suivi avec le maître d’ouvrage local et le partenaire multilatéral tout au long de l’exécution

du projet.

L’AFD abonde également à de nombreux fonds fiduciaires (trust funds) logés auprès d’organisations

multilatérales, notamment à la Banque mondiale, dans des secteurs comme les infrastructures (Public-

Private Infrastructures Advisory Facility, African Infrastructure Country Diagnostic, etc.), l’éducation

(Fonds catalytique de l’initiative Fast Track), l’environnement (Biocarbon Fund, Forest Carbon

Partnership Facility) ou le développement urbain (Cities Alliance).

Les contributions françaises à ces fonds fiduciaires peuvent être utilisées de diverses manières

(réalisation d’études sectorielles, préparation et financement de projets, financement de postes de

consultants, etc.). Ces participations de l’AFD à des fonds fiduciaires de la Banque se sont la plupart

du temps révélées être des leviers importants pour les actions communes, avec en particulier :

- la qualité et l’utilité des études réalisées (African Infrastructure Country Diagnostic,

RuralStruc, Cities Alliance) ;

- les retombées opérationnelles positives en termes de méthodologies et par conséquent la

facilitation des cofinancements, y compris dans des régions nouvelles (par exemple aux

Philippines ou au Brésil avec Cities Alliance) ;

- le rôle d’enceinte pionnière pour les financements innovants (Forest Carbon Partnership

Facility) ;

35

- la possibilité de pousser la valorisation de certaines expériences qui auraient autrement été

passées sous silence (projet dans le Bassin du Congo avec le Forest Carbon Partnership

Facility) ;

- le label valorisant pour l’AFD (Cities Alliance).

Cependant, les chefs de projets de l’AFD déplorent dans certains cas le manque de retombées

opérationnelles, notamment quand les fonds sont principalement utilisés pour des instructions de

projets de la Banque. Au contraire, quand l’initiative de la création du programme vient de l’AFD, il

peut y avoir une faible appropriation par la Banque des résultats. Par exemple, dans le cas de

RuralStruc, si les études réalisées ont déjà un certain impact sur les travaux de recherche de la Banque

(notable au nombre de citations dans des articles produits par la Banque), l’influence dans les projets

et les opérations n’est pas encore avérée.

- Les cofinancements

Il n’existe pas de définition univoque du terme « cofinancement », ce qui pose des problèmes pour

l’enregistrement et le suivi des projets concernés. L’AFD estime néanmoins qu’une partie croissante

de ses activités, environ la moitié, donne lieu à des cofinancements. On peut en retenir la définition

suivante : « projet/programme dont le périmètre est clairement circonscrit et au bouclage financier

duquel participent - outre l’AFD et éventuellement l’Etat et/ou les bénéficiaires - un ou plusieurs

bailleur(s) de fonds, dont l’intervention coordonnée de manière plus ou moins institutionnalisée, est

indispensable à sa réalisation »1. Il s’agit donc, à la différence du financement parallèle, d’une

modalité de coopération où les partenaires contribuent au financement d’un même projet de

développement, ce qui nécessite une coordination plus poussée.

L’AFD cofinance des projets avec de nombreux acteurs multilatéraux. En 2009, son premier

cofinancier était la Banque mondiale, avec une cinquantaine de cofinancements en cours ou prévus.

D’autres cofinanciers importants pour l’AFD incluent la Commission européenne, la Banque

européenne d’investissement et les Banques africaine et asiatique de développement.

Une partie importante des cofinancements entre la Banque mondiale et l’AFD concerne des projets

en Afrique sub-saharienne et dans les secteurs des infrastructures et de l’éducation. Des collaborations

dans des domaines moins traditionnels sont également expérimentées, comme les financements

innovants (projet CCRIF2 pour la couverture par les pays de la Caraïbe de leur exposition aux

catastrophes naturelles) ou le financement du secteur sous-souverain (programme Sub National

Technical Assistance pour le renforcement des capacités de gestion financière de la Ville de Dakar).

1 Source : document interne à l’AFD 2 Caribbean catastrophe risk insurance facility

36

Ces cofinancements sont parfois l’occasion de co-instructions de projets. L’AFD peut réduire le coût

d’instruction de projets en utilisant les études réalisées par la Banque lorsque celle-ci a pris de

l’avance. Ainsi, au Sénégal, où la Banque et l’AFD financent conjointement le secteur de l’électricité,

les études sectorielles ont été partagées et chaque partie utilise celles de l’autre. Autre exemple au

Kenya en 2008 avec des missions conjointes d’identification et d’évaluation, respectivement dans les

secteurs du développement urbain et de l’eau et assainissement.

L’AFD considère ces cofinancements avec la Banque mondiale comme particulièrement importants,

notamment pour les raisons suivantes :

- la qualité et le caractère systématique des études sectorielles réalisées par la Banque mondiale,

sur lesquelles peut s’appuyer l’AFD ;

- l’opportunité pour l’AFD de réaliser des économies d’échelle dans l’instruction des projets en

utilisant les études de préparation de projets de la Banque, qui sont généralement jugées

satisfaisantes par l’AFD ;

- l’accès de la Banque au plus haut niveau de dialogue politique, et son rôle facilitateur pour

l’insertion de l’Agence dans de nouvelles géographies d’intervention, par exemple en Asie

centrale ou en Amérique latine.

- La délégation de crédits

Cas le plus poussé de coordination, l’AFD peut être amenée à privilégier la solution d’une délégation

de ses crédits à une organisation multilatérale pour un de ses projets, lorsque celle-ci peut plus

facilement que l’AFD mettre en œuvre le projet sur le terrain. Les réticences à déléguer la gestion de

ses propres ressources à une autre institution, et les enjeux juridiques que cela implique, font que cette

modalité est encore peu fréquente. Elle peut être favorisée :

- lorsque l’organisation a une expérience particulière et une bonne implantation dans le secteur

du projet pour le pays en question, dont ne dispose pas l’AFD, ou lorsqu’elle est chef de file

des bailleurs pour ce secteur ;

- lorsqu’il s’agit de zones où l’AFD n’est pas présente, dans des cas plus exceptionnels.

Le premier cas de figure trouve une illustration en Afghanistan, où l’AFD subventionne en 2009

l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour un projet d’appui à la lutte contre le paludisme, la

leishmaniose et la poliomyélite. La maîtrise d’ouvrage de ce projet est confiée à l’OMS, du fait de son

réseau d’experts en place dans le sud du pays et de son étroite collaboration avec les institutions

sanitaires afghanes dans le cadre des programmes nationaux de lutte contre ces trois maladies. Autre

37

exemple avec le transfert1 en 2008 de crédits de l’AFD vers la Commission européenne pour un projet

de construction de route en Haïti, justifié par les moyens humains et financiers supérieurs de la

Commission pour la réalisation de ce projet.

Le second cas de figure est celui des géographies où l’AFD n’est pas présente, mais où elle souhaite

financer un projet. C’est le cas au Sud Soudan, où les autorités et l’AFD confient à l’UNICEF la

maîtrise d’ouvrage de leur projet dans le secteur de l’eau et de l’assainissement. L’engagement

politique pris par la France en 2006 d’accompagner le processus de reconstruction du Sud Soudan

s’est traduit par la mise à disposition par l’AFD de 6 millions d’euros en 2008 pour la construction

d’infrastructures d’accès à l’eau potable et à l’assainissement. La mise en œuvre de ce projet étant

pénalisée par les faibles capacités du gouvernement du Sud Soudan, amoindries par vingt années de

guerre, il a été décidé de confier la mise en œuvre du financement à l’UNICEF. Cette organisation

dispose en effet d’une très bonne connaissance du terrain, du fait de sa présence sur place depuis 1989

dans le cadre de l’opération Life Line Sudan, et d’un leadership sur les questions humanitaires.

Solidement implantée sur place, elle entretient de bons rapports de travail avec le ministère du

Développement rural, les ONG et les entreprises soudanaises.

A l’inverse, l’AFD bénéficie dans certains cas de délégations de gestion d’un partenaire multilatéral.

C’est notamment le cas avec les délégations la Commission européenne, pour lesquelles la

Commission délègue à l’AFD la responsabilité de la bonne utilisation de ses fonds (neuf projets

devant donner lieu à des délégations de gestion vers l’AFD étaient en cours d’instruction en 2009).

D’autre part, la Facilité d’investissement pour le voisinage (FIV)2 de la Commission européenne et le

Fonds fiduciaire UE-Afrique pour les Infrastructures3 logé à la BEI ouvrent également la voie à des

délégations de ressources communautaires vers l’AFD. Ces deux mécanismes fonctionnent sur le

principe du chef de filat : pour chaque projet, un bailleur est désigné comme « leader financier » et

reçoit une subvention de la Commission qui, mixée aux prêts des différents cofinanciers, permet de

mobiliser des volumes de ressources significatifs. L’AFD est en 2009 leader financier pour cinq

projets dans le cadre de la FIV et pour trois projets dans le cadre de la Fonds fiduciaire

infrastructures4.

Ces nouvelles formes de collaboration se mettent en place depuis peu, mais l’AFD a un intérêt

particulièrement fort à s’engager dans cette voie. En effet, la capacité de l’AFD à intervenir sur

subvention, qui dépend des ressources octroyées à cette fin par le MAEE, connaît une diminution

1 On parle de « transfert » lorsque des ressources d’un Etat membre sont déléguées à la Commission européenne et de « délégation de gestion » lorsqu’il s’agit du processus inverse. 2 http://ec.europa.eu/europeaid/where/neighbourhood/regional-cooperation/irc/investment_fr.htm 3 http://www.eib.org/projects/regions/acp/infrastructure_trust_fund/index.htm?lang=-fr 4 Les aspects relatifs à l’architecture européenne de l’aide seront plus développés dans la troisième partie de ce travail.

38

sensible (262 millions d’euros en 2008, soit moins de 6 % des engagements, contre 314 millions

l’année d’avant). Ceci pose un réel problème stratégique à l’AFD, bien que celle-ci communique peu à

ce sujet, et l’a déjà forcée à interrompre le financement de certains projets, notamment en Afrique. La

réduction des subventions remet en cause la capacité de la France à intervenir en bilatéral (i) dans les

secteurs sociaux (éducation et santé notamment), qui ne présentent pas de rentabilité à court terme et

pour lesquels l’instrument prêt n’est pas adapté, et (ii) auprès des pays les plus pauvres, qui ne peuvent

se réendetter après la crise de la dette et les initiatives IPPTE/IADM1, ce qui est notamment le cas des

PMA d’Afrique francophone. Dans ce contexte, la possibilité de « capter » des subventions

multilatérales et européennes représente pour l’AFD un moyen de palier en partie la faiblesse des

moyens que lui accorde l’Etat.

b. Participation aux débats internationaux sur le développement et activités communes de

production intellectuelle

Outre les aspects opérationnels, l’AFD travaille en partenariat avec des organisations multilatérales

dans le cadre d’activités de « production intellectuelle », ce qui lui permet d’une part de bénéficier des

capacités de recherche parfois importantes de ces organisations, et d’autre part de diffuser les idées

développées au sein de son propre département de la recherche. En particulier, le leadership de la

Banque mondiale en matière d’économie du développement en fait naturellement un partenaire avec

lequel l’AFD cherche à développer des activités communes de production intellectuelle. Un exemple

récent en est le programme commun RuralStruc, mené entre 2006 et 2009 pour étudier les implications

structurelles de la libéralisation sur l’agriculture et le développement rural dans les PED. Un dialogue

a également été noué entre l’Agence et la Banque au sujet du réedenttement des pays post-PPTE, sujet

fondamental pour l’Agence qui ne peut jusqu’à présent pas prêter en souverain à de nombreux PMA

d’Afrique francophone du fait des contraintes imposées par le « Cadre de soutenabilité de la dette »

des institutions financières internationales.

L’AFD tente également de diffuser ses idées à travers la « caisse de résonnance » que peuvent

constituer certaines grandes organisations internationales. Cet aspect est particulièrement marqué avec

les Nations unies, qui constituent une enceinte majeure pour les débats sur certains thèmes comme les

OMD ou les biens publics mondiaux. L’AFD participe donc autant qu’elle le peut aux grandes

conférences internationales onusiennes (par exemple à la Conférence de Doha sur le financement du

développement en 2008) et invite des chefs d’agences onusiennes aux conférences qu’elle organise,

(comme en décembre 2008 avec la participation du directeur général de l’ONUDI Kandeh Yumkella à

la conférence « Entreprendre pour le développement »).

1 Initiatives pays pauvres très endettés, Initiative pour l’allègement de la dette multilatérale.

39

L’organisation avec différentes agences onusiennes de conférences conjointes, ou de side-events

dans le cadre de rencontres internationales, permet à l’AFD de se positionner comme facilitateur et

créateur de liens entre Nations unies, institutions financières internationales et bailleurs bilatéraux.

L’AFD et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) ont ainsi organisé en janvier

2009 un séminaire sur « le financement de la lutte contre le changement climatique par les bailleurs

bilatéraux », auquel ont participé une dizaine de bailleurs bilatéraux et quelques bailleurs

multilatéraux. De même, il est prévu que l’AFD et la Banque mondiale co-organisent en mars 2010 à

Paris un salon consacré aux solutions financières innovantes pour le développement, thème que l’AFD

cherche à promouvoir depuis quelques années.

D’autres dimensions du partenariat avec les organisations multilatérales incluent de façon plus

occasionnelle des actions de formations communes à destinations de décideurs de pays en

développement, ou encore des campagnes de sensibilisation et de communication grand public.

A travers tous ces aspects « softs » de coopération avec des institutions multilatérales, l’AFD

cherche à améliorer sa visibilité et à diffuser ses idées et les positions françaises dans les enceintes

internationales.

c. Les difficultés et freins à la coopération avec les acteurs multilatéraux

Plusieurs facteurs sont susceptibles d’entraver la coopération entre une agence bilatérale et une

organisation multilatérale.

Tout d’abord la volonté de coopérer est parfois limitée par l’image négative de certaines institutions

multilatérales. Il semble en particulier que l’image de la Banque africaine de développement ou des

agences des Nations unies soit relativement mauvaise au sein de l’AFD. Les lourdeurs administratives

de ces organisations sont l’objet de critiques et servent souvent à justifier la relégation au second plan

du partenariat avec les institutions onusiennes. Pour une large partie du personnel de l’AFD, la

collaboration avec des institutions « sœurs » comme la KfW allemande ou la BEI est largement plus

aisée et plus naturelle. Ainsi, de l’avis des agents de l’AFD en poste en Afrique, la lenteur et la

complexité des procédures de la BAfD constitue un frein significatif au montage de cofinancements,

susceptible d’allonger le temps d’instruction des projets et de compliquer le dialogue avec les

bénéficiaires. Dans le rapport 2007 du MOPAN (cf. supra), les dix pays donateurs participant à l’étude

ont également évalué en des termes mitigés les performances de la BAfD en matière de collaboration

avec les autres donateurs1.

D’autres organisations multilatérales sont mieux perçues par les acteurs bilatéraux en général, et par

l’AFD en particulier. C’est notamment le cas de la Banque mondiale, qui a été évaluée dans le rapport 1 http://www.mopanonline.org/upload/documents/290509MOPAN-synthesis07.pdf

40

2008 du MOPAN1. Ce rapport affirme que « presque tous les bureaux et ambassades des membres du

MOPAN ayant participé à l’étude ont des contacts réguliers avec la Banque mondiale et la

rencontrent fréquemment. La plupart coopèrent directement avec elle ». Selon l’étude, l’ensemble des

membres du réseau a jugé que le « dialogue au niveau des politiques » avec les pays bénéficiaires et la

capacité à coordonner l’action des bailleurs étaient deux des forces de la Banque mondiale.

Il apparaît qu’une condition importante de la coopération avec un bailleur multilatéral est la qualité

du dialogue et la fréquence des contacts, au niveau central aussi bien que sur le terrain. L’élaboration

de projets communs nécessite en effet une proximité suffisante entre les partenaires potentiels et une

bonne connaissance mutuelle de leurs stratégies et procédures respectives. Par exemple, le partenariat

entre l’AFD et la BAfD est plus facile dans les pays où celle-ci a ouvert des bureaux de représentation

que dans ceux où elle n’est pas directement présente et ne prend de fait pas part au dialogue

interbailleurs2.

Des divergences de vues peuvent dans certains cas constituer une autre source de blocage pour la

coopération avec une institution multilatérale. On peut ici penser aux tensions qui ont marqué depuis

une dizaine d’années les relations entre l’AFD et la Banque mondiale au sujet de l’organisation des

secteurs du coton en Afrique. La Banque conserve en effet sur ce sujet une position très marquée

idéologiquement en faveur des privatisations, tandis que l’Agence favorise une approche plus intégrée

des filières (travail avec les différents acteurs, possibilité de créer des mécanismes de stabilisation des

prix, etc.), rendant le dialogue et la coopération particulièrement difficiles.

Certains éléments peuvent donc réduire les possibilités de coopération. Il semble néanmoins clair

que les différentes modalités de coopération précédemment évoquées entre l’AFD et les bailleurs

multilatéraux offrent plusieurs avantages pour l’Agence (visibilité et diffusion de ses idées, réduction

des coûts de transaction et économies d’échelle, facilitation de l’insertion dans de nouvelles zones

géographiques, effet de levier, voire captation de ressources additionnelles). Des synergies bi/multi

sont possibles et peuvent être exploitées au bénéfice des deux partenaires, « par exemple

l’accompagnement de budgets européens ou multilatéraux composés d’aides budgétaires ou

programme par des appuis bilatéraux, centrés sur le renforcement des capacités, ou encore la

mobilisation de nos réseaux de recherche au développement au service de la formulation des

1 http://www.mopanonline.org/upload/documents/2008_Survey_report.pdf 2 Suite à une grave crise de gouvernance dans les années 1990, la BAfD a procédé à la recentralisation de ses processus de décision et à la fermeture de tous ses bureaux extérieurs. Elle a depuis mené un vaste programme de réforme qui s’est notamment traduit depuis quelques années par la réouverture de bureaux dans 25 pays d’Afrique.

41

stratégies d’interventions des opérateurs multilatéraux »1. Il est toutefois nécessaire de se donner les

moyens de profiter de cette articulation bénéfique en construisant une véritable stratégie d’influence

auprès des acteurs multilatéraux, cohérente avec les orientations de la politique bilatérale.

2. L’influence des acteurs bilatéraux sur les organisations multilatérales et la

« bilatéralisation » de l’aide multilatérale

En dehors de la collaboration directe entre agences d’aide, les Etats sont amené à participer à la prise

de décision et aux activités au sein des organisations multilatérales dont ils sont membres. On peut

penser qu’une grande partie de la cohérence entre les volets bi- et multilatéraux de la politique de

coopération dépend, pour chaque Etat donateur, des moyens qu’il déploie et de l’énergie qu’il investit

dans ses relations avec les organisations multilatérales. La plupart des pays du CAD s’efforcent en

effet de développer des stratégies d’influence susceptibles d’orienter l’action de ces organisations vers

leurs priorités nationales en matière de développement. Ce souci semble légitime et témoigne de

l’importance accordée à l’action des acteurs multilatéraux. Toutefois, des voix s’élèvent depuis

quelques années, notamment au CAD, pour signaler le risque d’une « bilatéralisation » de l’aide

multilatérale lorsque les Etats tentent de reprendre une partie du pouvoir décisionnel au sein de ces

organisations, réduisant par là le caractère multilatéral de leur action.

a. Les (non-)stratégies d’influence des Etats vis-à-vis des acteurs multilatéraux

Du point de vue des Etats donateurs, plusieurs raisons peuvent justifier la volonté d’investir les

enceintes multilatérales. Il s’agit tout d’abord de lieux décisifs dans l’élaboration des doctrines

internationales sur le développement. Ainsi, les Nations unies et leur campagne pour les OMD sont-

elles largement responsables du regain de faveur depuis une dizaine d’années pour l’APD en général et

pour l’aide aux secteurs sociaux en particulier (éducation et santé). La Banque mondiale joue quant-à-

elle un rôle de premier plan depuis quelques années dans la promotion de certains concepts, par

exemple ceux de bonne gouvernance et de sélectivité de l’aide. Il est donc important pour les Etats de

participer au débat dans ces enceintes, afin de défendre les concepts qui leur sont chers et d’enrayer la

montée de ceux qu’ils récusent. Selon le directeur général de l’AFD Jean-Michel Severino :

1 MAEE (DGCID/DPDév/Bureau des questions multilatérales), La France et l’Aide communautaire et multilatérale – Vade-Mecum, 2008, p. 21

42

« Il est clair qu’aujourd’hui l’univers du multilatéral est le lieu où, in fine, se résument les

contradictions, […] et où se cristallisent, se formalisent, se capitalisent et se développent les

politiques publiques. S’il y a une possibilité pour une « pensée internationale du développement »,

c’est là qu’elle peut advenir. »1

Ceci vaut notamment pour certains domaines plus sensibles comme les « Etats faillis » ou le post-

conflit, pour lesquels « le multilatéral constitue un véhicule de première importance pour peser sur les

évolutions sans être exposé en première ligne ». Il s’agit pour chaque pays de « participer aux débats

menés dans les enceintes internationales débouchant sur la définition des normes, des stratégies et des

instruments qui s’imposent in fine à [lui] »2. On peut également penser que les pays qui, comme la

France, ne seront vraisemblablement pas en mesure d’honorer leur engagement d’augmentation de

l’APD à 0,7 % du revenu national brut d’ici 2015 ont une forte incitation à participer aux débats ayant

lieu au CAD sur l’élargissement du périmètre de comptabilisation de l’APD (dépenses de sécurité et

de maintien de la paix, avantages fiscaux liés aux dons des particuliers, garanties, etc.).

D’autre part, les capacités financières des grandes organisations multilatérales, bien supérieures à

celles de la plupart des Etats donateurs pris séparément, constituent également un enjeu important. Les

Etats ont tout intérêt à tenter d’orienter ces ressources de façon complémentaire à leurs propres

ressources. Ainsi, la France fait partie des pays qui défendent l’idée d’une priorité africaine au sein de

la BIRD et de l’IDA, en lien avec ses priorités de politique étrangère et de coopération au

développement.

En toute logique, un engagement important et réfléchi auprès des institutions multilatérales devrait

donc être l’une des deux faces de toute politique de coopération, aux côtés d’un volet bilatéral solide.

Le souci de la complémentarité de la politique d’influence sur le plan multilatérale avec les objectifs

de la politique bilatérale devrait idéalement animer les responsables des dispositifs nationaux de

coopération.

Une conception restrictive tendrait à limiter la portée de cette stratégie d’influence aux seules

positions officiellement défendues par un pays en tant que membres d’une organisation. D’autres

aspects sont pourtant en jeu et, comme l’a précisé l’une des personnes rencontrées dans le cadre de ce

travail, l’influence auprès d’acteur multilatéral « ne se réduit pas à ce que l’on fait au bureau de

l’administrateur ».

Là-encore, le Royaume-Uni et les pays scandinaves sont systématiquement cités comme exemples de

pays réussissant à influencer en fonction de leurs intérêts les organisations multilatérales malgré, dans

1 HCCI, 2002, op. cit. 2 MAEE (DGCID/DPDév/Bureau des questions multilatérales), La France et l’Aide communautaire et multilatérale – Vade-Mecum, 2008, p. 21

43

le cas de ces derniers, un poids financier relativement limité1. Par exemple, l’influence britannique est

particulièrement notable à la Banque africaine de développement, alors que l’influence nordique est

plus marquée aux Nations unies. Les approches de ces pays s’inscrivent dans le long terme et se

caractérisent notamment par des moyens humains importants consacrés au suivi des relations avec ces

organisations, par des politiques actives de placement de ressortissants dans le personnel des

organisations multilatérales, par une présence active dans les débats d’idées sur le développement, par

la participation à un grand nombre de comités, commissions et autres instances de réflexion et de

décision au sein des organisations multilatérales, etc. Ceci permet à ces pays de peser sur l’orientation

de l’action des multilatéraux bien en amont de la prise de décision en Conseil d’administration, en

mettant en avant à travers leurs réseaux d’expertise et de recherche les sujets qu’ils considèrent comme

étant prioritaires.

Dans l’ensemble des entretiens réalisés, les jugements formulés sur la France à ce sujet ont été

beaucoup plus sévères. Il apparaît que, à l’inverse des pays nordiques, la France contribue beaucoup à

certaines organisations multilatérales (FED, fonds mondial, etc.), mais qu’elle est loin d’en tirer toute

l’influence que cela pourrait théoriquement lui fournir. Il est vrai qu’un niveau de contribution

minimum est requis pour être audible et que l’influence d’un pays au sein d’une organisation est dans

une certaine mesure corrélée à son poids financier. Par ailleurs, des contributions importantes peuvent

être louables en elles-mêmes, eu égard aux objectifs poursuivis par l’organisation qui les reçoit (lutte

contre la pauvreté, protection de l’environnement, etc.). Elles ne peuvent pourtant pas suffire à

construire une véritable influence. La France est perçue comme menant une « demi politique » vis-à-

vis du multilatéral : elle maintient un niveau élevé de contribution, mais n’accompagne pas

suffisamment cet d’effort financier d’une véritable stratégie d’influence comme le font d’autres pays.

En résumé, « bien qu’elle y consacre plus de moyens que la plupart des autres pays membres du CAD,

la coopération française dans le domaine multilatéral est peu visible, peu articulée avec le dispositif

d’aide bilatérale et, du coup, peu influente »2.

Dans cette optique d’influence, les nombreux fonds fiduciaires thématiques logés au sein des

organisations multilatérales (notamment à la Banque mondiale) sont un autre moyen important pour

orienter les politiques de ces organisations. Les nouvelles approches sectorielles sont souvent

élaborées dans le cadre de ces fonds. Là-encore, les pays scandinaves et le Royaume-Uni semblent

parvenir à exploiter cette opportunité (en participant aux comités de pilotages, en y mettant des agents

à disposition, etc.), alors que la France joue en désordre (volumes insuffisants, faibles sélectivité des

fonds fiduciaires abondés, faible participation à leurs instances de décision, etc.).

1 Ces pays se sont d’ailleurs rapprochés dans le cadre des groupes informels « Utstein » et « Nordic Plus ». 2 MAEE (DGCID/DPDév/Bureau des questions multilatérales), La France et l’Aide communautaire et multilatérale – Vade-Mecum, 2008, p. 21

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Certaines actions visant à influencer les organisations internationales sont tout de même menées par

les institutions françaises, mais elles ne semblent par faire partie d’une réelle stratégie d’influence

systématique. Ainsi, les ministères des affaires étrangères et des finances, aussi bien que l’AFD,

mettent chacun des agents à disposition des principales institutions internationales. Par exemple, trois

agents de l’AFD sont en 2009 détachés à la Banque mondiale, dont l’un s’occupe de l’environnement

juridique des affaires, domaine important pour l’AFD car la Banque a tendance à l’aborder avec le

prisme anglo-saxon de la common law, au détriment des pays d’Afrique francophone dont les

systèmes juridiques sont civilistes. Autre exemple avec le fonds fiduciaire Cities Alliance, logé à la

Banque mondiale, dans lequel la participation assez active de la France lui assure une audience

importante et lui permet de bénéficier d’un label reconnu en matière de développement urbain, malgré

une contribution financière minimale (250 000 € par an, partagés entre le MAEE et l’AFD). Cette

contribution est complétée par le détachement d’un agent de l’AFD au fonds. Les études menées par

Cities Alliance et que finance l’AFD ouvrent ensuite des opportunités pour lancer des projets en

association avec la Banque mondiale, notamment dans des pays d’intervention récents pour l’AFD

(Brésil, Philippines).

En dehors de ces quelques cas positifs, la nécessité d’améliorer l’articulation stratégique entre les

volets bi- et multilatéraux de la coopération française demeure. Elle est d’ailleurs reconnue depuis

plusieurs années par les autorités françaises. En 2002, Bruno Delaye, alors directeur général de

l’ancienne DGCID, affirmait : « Cette évolution [la hausse de l’aide multilatérale française] nous

posera inévitablement la question des moyens pour peser en amont sur la décision des instances

multilatérales »1. Il évoquait la formation du personnel de la coopération française, l’intégration de

l’expertise française via les trust funds, les programmes de « Jeunes professionnels associés » ou la

création de FCI comme des moyens de répondre à cet enjeu. Six ans plus tard, la nouvelle directrice de

la DGCID Anne Gazeau-Secret écrivait dans un document interne au MAEE : « Notre ambition doit

être de mieux évaluer les avantages comparatifs et les performances des diverses institutions, afin de

définir une stratégie proactive en direction du dispositif multilatéral en général et envers chaque

organisation en particulier, permettant de maximiser les synergies et les complémentarités entre nos

actions bilatérales et celles que nous finançons par le biais des organisations multilatérales, encore

trop souvent cloisonnées »2. En 2009, l’Assemblée nationale et le Sénat ont lancé plusieurs missions

d’information pour étudier l’articulation des moyens bi- et multilatéraux de la coopération française.

Un chantier interne de réflexion sur le bi/multi a également été lancé au sein de l’AFD.

Malgré cette volonté affichée depuis une dizaine d’années, la cohérence stratégique entre les volets

bi- et multilatéraux de la coopération française ne semble pas avoir bénéficié d’amélioration

1 HCCI, Coopérer au début du XXIe siècle. Pourquoi ? Comment ? Questions sans préjugés, Actes de la conférence nationale des 16, 17 et 18 septembre 2002, Karthala, p. 23 2 MAEE, 2008, op. cit., p. 5

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significative. La critique formulée par le CAD à ce sujet lors de l’examen par les pairs de 2004 a été

renouvelée lors de celui de 2008. Comment expliquer ce blocage ? Certaines explications possibles ont

déjà été détaillées: cloisonnement de la gestion des relations avec les organisations multilatérales entre

différentes administrations au détriment de la stratégie d’ensemble, insuffisante sensibilisation et

formation des agents français à la recherche de complémentarité bi/multi, etc.

On peut aussi avancer une explication plus profonde : en définitive, la qualité de l’articulation

bi/multi fait écho à l’importance qu’un pays accorde au mode multilatéral de gestion des affaires

internationales. L’engagement français dans le système multilatéral est fort en général (qu’il s’agisse

de l’Union européenne ou du Conseil de sécurité de l’ONU), mais la France semble encore considérer

que, en ce qui concerne la coopération au développement, son statut d’acteur important (avec une

relation privilégiée à l’Afrique, etc.) lui permet de continuer à agir seule. C’est le « pêché mignon » de

la coopération française dont parlait Jean-Michel Severino en 2002, la « tendance à penser que notre

passé culturel, notre puissance intellectuelle, nous permettaient d’agir seuls, isolés »1. Cet aspect est

sans doute moins prégnant aujourd’hui qu’il y a vingt ou tente ans, et la coordination avec l’action des

multilatéraux est aujourd’hui recherchée. Le dispositif français de coopération au développement

semble néanmoins victime d’une certaine inertie quant à la gestion de sa coopération multilatérale :

« notre attitude de base reste encore principalement le souci de la préservation de nos propres marges

plutôt que celui de l’influence du système multilatéral par le biais de la participation aux réseaux

internationaux, avec l’ambition d’y trouver une démultiplication de nos capacités d’action en faveur

de nos objectifs »2. Les stratégies vis-à-vis du multilatéral (qui restent à élaborer dans le cas de la

France) sont sans doute une étape importante pour la clarification des objectifs, mais l’enjeu porte

également sur l’évolution des représentations et des mentalités au sein du dispositif bilatéral français

de coopération, vers une perception des rapports bi/multi en termes de complémentarité plutôt que de

concurrence3.

b. L’accroissement des différentes formes de contributions affectées et le risque d’une

« bilatéralisation » de l’aide multilatérale

L’élaboration par un Etat donateur d’une stratégie d’influence vis-à-vis des organisations

multilatérales de développement semble légitime, d’une part car les politiques menées par ces

organisations sont en dernière analyse déterminées par leurs membres, et que chaque Etat est donc en

droit d’y diffuser son point de vue, et d’autre part car on pourrait difficilement exiger des Etats qu’ils

1 HCCI, 2002, op. cit. 2 Ibid. 3 Entendu lors d’une conférence interne à l’AFD sur ce sujet, alors qu’un responsable affirmait qu’ « il ne s’agit pas d’opposer le bi et le multi », une réponse sur le ton de la plaisanterie dans le public : « il ne s’agit pas, ça s’oppose naturellement ! ».

46

contribuent à des organisations dont l’action ne correspond pas à leurs objectifs nationaux en matière

de coopération.

La ligne est pourtant étroite entre stratégie d’influence et parasitage du caractère multilatéral même

de ces organisations. Des observateurs, notamment au CAD, signalent depuis quelques années le

risque d’une « bilatéralisation » de l’aide multilatérale, en lien avec la tentative des donateurs de

reprendre une partie du contrôle sur l’action des organisations multilatérales en recourant aux

« contributions affectées » (ou « extrabudgétaires » ou aide « multi-bilatérale »). Pour être considérée

comme multilatérale, une contribution d’un pays doit être fongible avec celles des autres donateurs et

pouvoir être décaissée à la discrétion de l’organisation bénéficiaire. Toute contribution volontaire

transitant par une organisation multilatérale mais affectée à un type d’action particulier, un secteur ou

une zone géographique, et dont le donateur contrôle l’utilisation, est donc comptabilisée par le CAD

dans l’APD bilatérale de ce pays. La mesure du recours total à ce canal d’acheminement de l’aide est

encore imprécise, mais le CAD estime qu’il représentait environ 11 milliards de dollars en 2006, soit

environ 9 % de l’APD totale et 25 % de l’APD totale transitant par les organisations multilatérales

(contributions budgétaires et extrabudgétaires). Les contributions extrabudgétaires dépassent les

contributions non-affectées pour certains pays comme la Nouvelle-Zélande et la Norvège, et sont

supérieures à la moyenne des pays du CAD pour l’Australie, le Canada, les Etats-Unis, le

Luxembourg, les Pays-Bas et la Suède. A l’inverse, certains pays comme l’Allemagne et la Grèce ne

recourent presque pas à ce mode de contribution. Les données sont parcellaires en ce qui concerne la

France, mais l’usage des contributions affectées semble assez largement minoritaire1. Enfin, les

agences onusiennes sont les destinataires de 60 % de ces contributions (principalement PAM, UNICF,

PNUD, HCR et OMS), et le Groupe de la Banque mondiale en reçoit environ 20 %.

Plusieurs raisons peuvent pousser les pays donateurs à « déléguer » à des institutions multilatérales la

mise en œuvre d’une partie de leurs programmes bilatéraux. Il peut s’agir d’externaliser la gestion de

projets pour lesquels l’institution bilatérale ne dispose pas de moyens humains suffisants2, de profiter

de l’expérience acquise par un bailleur multilatéral dans un domaine précis, de financer une

thématique très spécifique qui ne rentre pas dans le cadre des programmes approuvés par une

organisation, etc. Il s’agit également, et peut-être même avant tout, d’un moyen d’orienter l’action des

acteurs multilatéraux vers des secteurs et des zones correspondant aux priorités nationales. Que cet

aspect soit plus ou moins réfléchi, les contributions affectées réduisent la marge de manœuvre des

institutions multilatérales qui les reçoivent. La prise de contrôle partielle par les acteurs bilatéraux qui

en résulte semble peu conforme à la nature même de l’action multilatérale, qui suppose justement un

large renoncement au contrôle de l’utilisation de ses fonds.

1 CAD, 2009, op. cit., p. 32 2 Les institutions multilatérales recevant des contributions affectées facturent en général des frais administratifs et de gestion au donateur.

47

La position des acteurs multilatéraux bénéficiant de ressources affectées est ambivalente. D’un côté

il s’agit de ressources additionnelles précieuses et difficiles à refuser pour des institutions dont le

budget régulier est parfois limité. Ainsi, la Division de la coopération avec les sources de financement

extrabudgétaires de l’UNESCO affirme que « L’UNESCO dépend de façon croissante des

contributions volontaires (extrabudgétaires) pour mener à bien son mandat, notamment dans le cadre

des activités opérationnelles de coopération au développement, au niveau national »1. De même, le

PNUD, dont les ressources budgétaires représentaient 1,12 milliard de dollars en 2007, alors que les

contributions affectées atteignaient 3,8 milliards, qualifie ces dernières de « complément important aux

ressources ordinaires »2.

D’un autre côté, les organisations multilatérales ont bien conscience que ces contributions affectées

les lient et leur font perdre le contrôle sur une partie importante de leur activité. Ces ressources sont

par ailleurs moins prévisibles que les contributions obligatoires et peuvent facilement ne pas être

reconduites d’une année sur l’autre, ce qui fait peser un risque sur la pérennité des actions engagées.

Les coûts de transaction sont élevés pour les organisations multilatérales, qui doivent rassurer leurs

donateurs sur la bonne utilisation des fonds3. La préférence des organisations multilatérales va donc

logiquement aux contributions régulières. Formulé en langage diplomatique par le PNUD, « le ratio

des ressources affectées aux ressources ordinaires non affectées continue de révéler un déséquilibre

[…]. Le maintien de l’attention sur la mobilisation des ressources de base est indispensable pour

permettre au PNUD de continuer à s’acquitter de son mandat et à fournir un appui efficace au

renforcement des capacités des pays partenaires en matière de développement ainsi qu’à appliquer

des approches de gestion souples et intégrées axées sur l’efficacité et la durabilité à long terme du

développement »4.

L’augmentation des contributions affectées s’est également traduite par la multiplication depuis

plusieurs années des fonds fiduciaires hébergés par les différentes organisations internationales,

notamment à la Banque mondiale et aux Nations unies. Ces trust funds rassemblent les contributions

1 Source :

http://portal.unesco.org/fr/ev.php-URL_ID=11655&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html 2 Source :

http://www.undp.org/french/publications/annualreport2008/pdf/FR_IARforweb_Ch5_UNDP_Resources0608.pdf 3 Ainsi, les consultations annuelles France-UNESCO de 2009 ont largement été consacrées à l’utilisation des reliquats de contributions affectées françaises, l’UNESCO tentant d’en obtenir le report sur ses propres programmes, tandis que les diplomates français en demandaient le transfert sur d’autres activités voulues par la France. Les montants en question étaient particulièrement faibles, de quelques milliers à quelques dizaines de milliers d’euros. 4 Source :

http://www.undp.org/french/publications/annualreport2008/pdf/FR_IARforweb_Ch5_UNDP_Resources0608.pdf

48

d’un ou plusieurs bailleurs pour financer un type d’activité déterminé. Ils sont extrêmement divers en

termes de nature des dépenses (poste de consultant et d’assistance technique, préparation de projets,

projets de développement, etc.), de taille et d’attribution du pouvoir décisionnel (organisation

multilatérale gestionnaire, bénéficiaire final ou, dans le cas des fonds verticaux, groupes de bailleurs).

Les trust funds sont souvent utiles pour rassembler les contributions de différents bailleurs sur une

thématique particulière, pour créer un cadre stable liant plusieurs institutions bi- et multilatérales pour

le financement de ce domaine, etc. Il s’agit par ailleurs souvent de lieux dynamiques de réflexion

thématique. Ainsi, selon l’IDA, « ces partenariats ne font pas qu’augmenter les propres initiatives de

développement du Groupe de la Banque mondiale, ils facilitent également l’harmonisation des efforts

entre les donateurs, les pays bénéficiaires et divers autres parties prenantes aux niveaux global,

régional et national »1. De même, selon l’ancienne DGCID, « Le principal intérêt des fonds

fiduciaires est de lier les différentes institutions de coopération. De ce fait, ils participent à

l’amélioration de l’efficacité de l’aide, en favorisant une véritable synergie entre aide bilatérale

française et aide des institutions multilatérales »2. Un exemple positif du rôle de catalyseur que peut

jouer un fonds fiduciaire peut être trouvé avec les deux fonds de l’initiative Fast Track dans le secteur

de l’éducation (préparation de projet et fonds catalytique).

Pourtant, le développement des fonds fiduciaires traduit également la volonté des Etats donateurs de

conserver une visibilité et une partie du contrôle au sein des institutions multilatérales. De nombreux

trust funds sont crées à l’initiative d’un ou de quelques Etats pour financer une action spécifique à

laquelle ils attachent une importance particulière.

Ceci se manifeste par la multiplication des fonds, notamment à la Banque mondiale. Le total des

contributions aux différents trust funds logés à la Banque a fortement augmenté depuis une dizaine

d’années, pour atteindre 10,5 milliards de dollars durant l’année fiscale 20083, un ordre de grandeur

similaire aux engagements annuels de la BIRD et de l’IDA. A la fin de cet exercice 2008, le Groupe de

la Banque mondiale gérait 26,3 milliards de dollars en fiducie (dont 18,7 correspondaient aux fonds

verticaux). Ces actifs étaient répartis entre 1020 fonds fiduciaires distincts, abondés par 118 agences

ou ministères de 57 pays différents (ainsi que par une centaine d’acteurs non souverains). Le

Royaume-Uni et les Etats-Unis sont les deux plus grands contributeurs à ces fonds, avec

respectivement 4 et 3,5 milliards de dollars de contributions cumulées entre 2004 et 20084.

1 Banque mondiale, 2008 Partnership & Trust Fund Annual Report, 2008, p. 2 2 MAEE, 2008, op. cit., p. 201 3 Dont 4,1 milliards pour les fonds fiduciaires classiques et 6,4 milliards pour les fonds verticaux. Ces derniers (FMSTP et FEM notamment) constituent une catégorie particulière de fonds, car il s’agit d’initiatives multibailleurs à vocation globale, pour lesquels le rôle de la Banque mondial est plus administratif qu’opérationnel. 4 Banque mondiale, 2008, op. cit.

49

Dans son rapport sur les trust funds pour l’année 2008, la Banque mondiale déplore la dispersion de

ces ressources qui « sont ciblées, à travers des fonds fiduciaires distincts, vers des activités aux

objectifs sectoriels similaires, aboutissant à une approche fragmentaire »1. Chaque vice-présidence

régionale ou sectorielle se retrouve à gérer plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines, de trust funds

(169 pour la vice-présidence du « Réseau Développement Durable »). Pour répondre à cet enjeu, la

Banque tente d’encourager la constitution de fonds multibailleurs, conformément à l’esprit de la

Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide. En 2008, il existait 325 fonds multibailleurs à la Banque

mondiale, nombre en forte augmentation depuis 2004. Sur la période 2004-2008, ces fonds ont

représenté 76 % des décaissements des trust funds, notamment grâce aux fonds verticaux. Cela signifie

néanmoins qu’un grand nombre de fonds à donateur unique (environ 700) ne représentent qu’une part

minoritaire des décaissements (environ un quart). Les coûts de transaction et de gestion afférents pour

la Banque mondiale sont donc particulièrement élevés, pour assurer l’exécution d’actions qui ne

figurent pas dans ses propres programmes.

L’augmentation des contributions affectées et la prolifération des fonds fiduciaires obligent les

organisations multilatérales concernées à prendre des mesures en conséquence. Par exemple, la

Banque mondiale a adopté fin 2007 un « Cadre de gestion des fonds fiduciaires » visant à aligner leur

gestion sur les stratégies et les procédures de la Banque. De même, l’UNESCO a élaboré en 2006-

2007 un « Plan d’action sur la gestion des fonds extrabudgétaires »2.

Il existe pour l’instant peu d’études approfondies sur les contributions affectées, leurs conséquences

pour l’action des organisations multilatérales et leurs implications en matière de relations entre acteurs

bi- et multilatéraux. Quoiqu’il en soit, il apparaît que la tentative des acteurs bilatéraux de regagner un

contrôle partiel sur l’activité des multilatéraux peut avoir des conséquences néfastes pour ces derniers,

en termes de réduction des marges de manœuvre et de coûts de transaction élevés.

Finalement, il apparaît que, pour chaque donateur bilatéral, la coordination des volets bi- et

multilatéraux de la politique de coopération n’est pas automatique mais nécessite, outre une stratégie

et des objectifs clairs, un investissement dans la durée au sein de ces organisations, des moyens

humains importants, une mise en réseau des différentes catégories d’acteurs nationaux (institutions

publiques, recherche, ONG), etc. La présence ou non de ces différents éléments distingue assez

nettement les pays qui ont une influence notable vis-à-vis des grandes institutions multilatérales de

développement (Royaume-Uni, scandinaves) de ceux qui n’y parviennent pas aussi bien (France et

Allemagne notamment).

1 Ibid, p. 19 2 http://unesdoc.unesco.org/images/0014/001447/144789f.pdf

50

TROISIEME PARTIE : VERS UN RENOUVEAU DE L’ARTICULATION BI /MULTI AU XXI EME

SIECLE ?

Nous avons vu que la divergence des motivations et des objectifs des organisations bi- et

multilatérales pouvait être une des causes de la faible articulation et de la complémentarité limitée

entre les actions de ces deux catégories d’acteurs. En particulier, la poursuite par les donateurs

bilatéraux d’objectifs spécifiquement nationaux, sans souci d’harmonisation avec les autres acteurs,

peut être une source d’inefficacité ou de redondance dans l’allocation de l’aide. Dans le cas de la

France, l’orientation de la politique d’aide en fonction des priorités de politique étrangère (politique

africaine notamment), et l’attention concentrée sur le dispositif de coopération bilatérale, a conduit

depuis plusieurs décennies à l’attention relativement limitée accordée à la complémentarité avec le

système multilatéral.

On peut émettre l’hypothèse que les profonds changements survenus dans le paysage de la

coopération internationale depuis la fin de la Guerre froide et le début du XXIème siècle sont

susceptibles d’avoir un impact important sur les relations entre acteurs bi- et multilatéraux. Un cadre et

des principes communs, dont on verra qu’ils peuvent être analysés à la lumière de la théorie des

régimes internationaux, ont notamment été adoptés par la grande majorité des acteurs de la

coopération. Dans un contexte plus spécifique, la coopération européenne au développement offre

l’exemple le plus poussé d’une articulation renouvelée entre les échelons bi- et multilatéraux, et

permet de voir que le rapprochement au niveau politique est un facteur essentiel pour un partenariat

cohérent entre plusieurs acteurs bi- et multilatéraux.

1. L’établissement d’un régime international de l’aide comme cadre commun aux acteurs

de la coopération au développement

a. L’évolution du cadre de la coopération depuis la fin de la Guerre froide et

l’établissement progressif d’un régime international de l’aide

Les changements majeurs pour l’aide au développement qu’ont entraîné la chute du mur de Berlin et

la fin de la Guerre froide n’ont pas échappé aux observateurs. Avec la fin de l’affrontement Est-Ouest,

l’aide perdait son utilité pour faire passer ou pour maintenir un pays dans un des deux camps. Dans le

même temps, des voix s’élevaient pour appeler à une normalisation des relations postcoloniales,

51

notamment en France avec de fortes critiques à l’encontre des pratiques et réseaux de la françafrique.

Le discours de La Baule prononcé par François Mitterrand en juin 1990 et la « doctrine Balladur »

formulée en 1993 sont souvent considérés comme marquant un tournant dans l’histoire des relations

franco-africaines, après lequel la France affirme, au moins dans le discours, qu’elle n’apportera plus

d’assistance systématique et inconditionnelle à ses anciennes colonies.

Ainsi, les motivations géopolitiques de la coopération au développement semblent avoir

brusquement disparu, quelque part au début des années 19901. On peut en effet penser que l’aide aux

pays les plus pauvres, en Afrique notamment, ne représentait plus les mêmes enjeux que vingt ans plus

tôt, lorsque l’URSS et Cuba développaient leur influence sur le continent. Ceci a largement été

considéré comme la principale cause de la décennie de « fatigue de l’aide » qui s’en est suivi, et qui

s’est traduite par une chute drastique des différents budgets d’aide publique au développement

jusqu’en 1998-1999.

Le tournant du siècle a vu une dynamique de relance de l’APD mondiale succéder à la diminution de

la période précédente. S’appuyant sur des travaux lancés dans les années 1990 (notamment ceux

menés au PNUD sur le développement humain), un nouveau paradigme s’impose au début des années

2000 dans le champ de la coopération au développement et se décline dans un double agenda : celui de

la lutte contre la pauvreté, et celui de l’efficacité de l’aide. Ce renouveau a largement été provoqué par

les institutions multilatérales, notamment les Nations unies pour l’objectif de lutte contre la pauvreté et

le CAD de l’OCDE pour l’amélioration de l’efficacité de l’aide, mais il a également été rendu possible

par le lobbying des ONG et par les campagnes de sensibilisation lancées par les médias et divers

leaders d’opinion (Bono, Bob Geldof, etc.). Il n’est pas nécessaire de revenir en détail sur ces deux

agendas, qui sont largement documentés depuis plusieurs années (grandes conférences internationales

du Millénaire, de Monterrey, de Paris, d’Accra, de Doha ; cible du 0,7 % du RNB alloué à l’APD ;

adoption des huit OMD ; cinq principes de la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide ; etc.). Il

convient juste d’insister sur le fait que ce mouvement d’ensemble a progressivement constitué un

cadre de référence commun, un nouveau « consensus » international sur l’aide auquel la grande

majorité des acteurs ont affiché leur rattachement, qu’ils soient bilatéraux, multilatéraux, bénéficiaires

ou encore non-gouvernementaux. A noter que ce consensus n’est pas figé et que de nouveaux objectifs

sont progressivement assignés à l’aide, comme la production des BPM et la lutte contre le

réchauffement climatique depuis quelques années, ou plus récemment le rôle contracyclique de relance

de l’activité économique face à la crise financière mondiale.

1 On a pourtant vu précédemment que les Etats continuent largement à utiliser leurs politiques de coopération à des fins de politique étrangère. Par ailleurs, le renforcement des préoccupations sécuritaires depuis les attentats du 11 septembre 2001, et le lien croissant fait entre sécurité et développement, poussent à relativiser la prétendue disparition des motivations géostratégiques de l’aide. Rappelons simplement qu’en 2007, les deux premiers bénéficiaires de l’APD brute américaine étaient, de très loin, l’Irak et l’Afghanistan.

52

On peut interpréter ces changements survenus depuis une dizaine d’années à l’aide de la théorie des

régimes internationaux. Il s’agit de l’un des cadres d’analyse utilisés en théorie des relations

internationales pour expliquer l’existence de zones d’ordre dans un monde en état d’anarchie, i.e. sans

autorité centrale et supranationale. La définition habituellement retenue des régimes est celle proposée

par Stephen Krasner en 1983 : « Les régimes peuvent être définis comme des ensembles explicites ou

implicites de principes, de normes, de règles et de procédures de prise de décision autour desquels les

attentes des acteurs convergent dans un domaine donné des relations internationales »1. Les exemples

les plus évidents de régimes internationaux sont par exemple le régime de sécurité collective assuré

dans le cadre onusien, le régime de non-prolifération nucléaire, le régime de lutte contre l’effet de

serre (protocole de Kyoto, protocole de Montréal), le régime de libéralisation des échanges

commerciaux mis en œuvre dans le cadre de l’OMC, etc. Les régimes peuvent être plus ou moins

formalisés, contraignants, institutionnalisés selon les cas. Ils sont souvent, mais pas nécessairement,

adossés à une ou plusieurs organisations internationales chargées de les faire respecter2, le plus

important étant cette « convergence » des attentes des acteurs autour de repères communs. Ainsi, le

régime de l’aide s’adosse à plusieurs organisations internationales, notamment au CAD pour ses

aspects normatifs, mais il n’est pas régulé par une source centrale d’autorité3. Il reste relativement peu

contraignant et repose sur l’adoption volontaire de ses normes.

Au regard de ce qui a été vu précédemment, le régime international de l’aide qui s’est

progressivement établi depuis le début des années 2000 peut être analysé comme un ensemble

implicite de principes (la lutte contre la pauvreté, la réduction des écarts Nord-Sud, etc.), de normes (la

cible des 0,7 % du RNB, les cinq éléments de la Déclaration de Paris, l’annulation de la dette), de

règles (la déclaration détaillée des crédits d’APD au CAD), et de procédures de prise de décision

(décisions prises au sein du CAD, déclarations communes à l’issue des grandes conférences

internationales, etc.). Il est important de noter que les éléments constitutifs d’un régime ne sont pas

figés mais évoluent : les régimes « perdurent au-delà des conditions qui les ont vu naître »4. Le régime

de l’aide est aujourd’hui largement fondé sur la lutte contre la pauvreté et la priorité aux secteurs 1 Stephen KRASNER, « Structural causes and regime consequences: regimes as intervening variables » , in Stephen KRASNER (ed.), International Regimes, Cornell University Press, 1983, p. 2. (notre traduction)

Krasner définit les principes comme des croyances et valeurs orientant les comportements, les normes comme des « standards de comportement définis en terme de droit et d’obligation », les règles comme des « prescriptions ou proscriptions spécifiques pour l’action » et les procédures de prise de décision comme des « pratiques en vigueur pour l’élaboration et l’application de choix collectifs ». 2 Comme l’écrit Marie-Claude Smouts, « toutes les organisations internationales sont des régimes, mais tous les régimes ne donnent pas naissance à des organisations », in Les Organisations internationales, Armand Colin, 1995, p. 27, cité dans Dario BATTISTELLA, Théories des relations internationales, Presses de Sciences Po, 2006, p. 398 3 « Aid architecture can be defined as the set of rules and institutions governing aid flows to developing countries […] While aid has an architecture, it has no single architect », in IDA, Aid architecture: an overview of the main trends in Official Development Assistance flows, février 2007, p. 1 4 Dario BATTISTELLA, op. cit. p. 412

53

sociaux, plus que sur la croissance économique et l’ajustement structurel comme c’était le cas

auparavant ; sur l’insistance sur l’immensité des besoins, plus que sur les limites de la capacité

d’absorption comme pendant la période de « fatigue de l’aide » ; etc. Par ailleurs, le fait que certains

principes ou normes dominent à un moment n’implique pas l’absence d’autres principes ou normes

plus ou moins divergentes (cf. le débat « aide au développement sous forme de dons pour les secteurs

sociaux » contre « financement du développement sous forme de prêts pour créer les conditions de la

croissance »).

Les régimes internationaux les plus souvent étudiés par les chercheurs en Relations internationales

ou en Economie politique internationale sont majoritairement liés aux domaines de la politique, de la

sécurité ou de l’économie internationales. Ils reposent sur des interdépendances, des interactions

stratégiques, des calculs de gains et de pertes relatives, et sont analysés à travers le prisme de la théorie

des jeux et du dilemme du prisonnier. Le régime international de l’aide est un cas plus spécifique car

les interdépendances y semblent à première vue moins déterminantes. Tout de même, on peut avancer

l’idée que la participation au régime de l’aide et l’acceptation mutuelle de ses normes (0,7 % du RNB,

priorité aux secteurs sociaux et aux pays les plus pauvres, etc.) permet aux Etats donateurs de se lier,

réduisant ainsi l’incertitude sur le comportement des autres et le risque de passager clandestin

(freerider). En l’absence de telles règles, il pourrait en effet facilement advenir que quelques Etats

vertueux fournissent l’essentiel de l’effort d’aide désintéressée aux plus pauvres, pendant que d’autres

continuent à allouer leur aide en fonction de leurs intérêts stratégiques et économiques. Le régime

n’empêche en aucun cas les Etats de poursuivre des objectifs nationaux à travers leur politique de

coopération (cf. supra), mais il facilite le partage du « fardeau de l’aide » entre les différents

donateurs.

Plusieurs autres éléments peuvent permettre d’expliquer la consolidation du régime international de

l’aide dans sa configuration actuelle, et l’intérêt des différents acteurs à y participer :

- tout d’abord, le poids des considérations morales ne peut être exclu. Le régime actuel est

fondé sur de grands objectifs qui peuvent difficilement ne pas être partagés (cf. les OMD), que

ce soit par réelle conviction des gouvernements des pays donateurs, ou de façon plus

prosaïque par obligation de répondre aux attentes de leurs opinions publics sur ces sujets ;

- pour les organisations multilatérales, l’intérêt au renforcement du régime actuel de l’aide

semble évident : il relance l’engagement international en faveur de volumes d’APD élevés,

transitant notamment par le canal multilatéral, et justifie en fait l’existence même de ces

organisations qui sont régulièrement confrontées à des critiques sur leur efficacité (agenda

social des OMD pour les agences onusiennes, rôle contracylique de relance après la crise

financière internationale pour les banques multilatérales de développement, etc.) ;

- pour les pays bénéficiaires, l’inscription dans le cadre du régime international de l’aide et

l’adoption de ses grands objectifs et principes permet de renouveler leur crédibilité en tant que

54

récipiendaires de l’aide, après les soupçons largement diffusés sur l’inefficacité de l’aide

servant à la construction d’ « éléphants blancs » ou son détournement pur et simple. En outre,

les pays en développement dont le budget public dépend largement de l’aide extérieure ont un

intérêt clair à promouvoir les engagements internationaux d’augmentation de l’APD.

b. L’impact du régime international de l’aide sur les rapports bi/multi

Le régime international de l’aide qui s’élabore depuis une dizaine d’années constitue un ensemble de

principes, de normes et de règles communes plus robuste que dans les périodes précédentes, et oriente

significativement le comportement des différents acteurs bi- et multilatéraux1. L’existence d’un tel

régime ne signifie pas pour autant que les Etats renoncent à mener leurs politiques de coopération en

fonction de leurs intérêts et priorités nationales, loin s’en faut. De fait, l’ensemble des bailleurs

bilatéraux continuent, et continueront de façon prévisible, à prendre en compte des facteurs politiques,

stratégiques, économiques, ou de rayonnement qui auront une influence sur la répartition

géographique et sectorielle de leur aide. Il serait largement illusoire de penser que la prise de

conscience soudaine des besoins vitaux des plus pauvres, après le Sommet du millénaire, aurait lancé

un grand élan d’altruisme et un rapprochement des préférences de tous les acteurs en faveur d’une aide

au développement purement désintéressée.

L’actuel « consensus » international sur l’aide forme néanmoins un cadre qui contraint en partie les

politiques de coopération des Etats donateurs, d’autant plus que ceux-ci ont affirmé à plusieurs

reprises leur détermination à atteindre les objectifs communs de développement (Monterey, G8 de

Gleneagles, etc.). Signataires des grandes déclarations internationales de ces dernières années, ils ont

engagé leur crédibilité sur le plan international et vis-à-vis des opinions publiques, que ces grands

objectifs et normes communes soient réellement intériorisés ou pas. Andrew Rogerson précisait en

2004 que « tous les acteurs ne souscrivent pas de la même façon à tous ces éléments et […] tous ceux

qui y souscrivent n’agissent pas forcément en conséquence. Toutefois, peu d’entre eux rejettent

explicitement et catégoriquement un de ces éléments »2. Par ailleurs, des organisations issues de la

« société civile » se chargent aujourd’hui de rappeler les gouvernements à leurs obligations et de

dénoncer les dérives (à l’image du rapport publié en 2005 par Coordination SUD pour dénoncer le

caractère « artificiel » de l’APD française).

1 Outre les 122 Etats signataires, 26 organisations multilatérales de premier plan ont adhéré à la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide de 2005. Concernant l’agenda international de lutte contre la pauvreté, même les institutions de Bretton Woods et les banques régionales de développement inscrivent, au moins dans le discours, leur action dans le cadre des OMD. 2 Andrew ROGERSON, Adrian HEWITT, David WALDENBERG, « The International Aid System 2005-2010, Forces for and Against Change », Overseas Development Institute, Working Paper No. 235, Mars 2004, p. 10 (notre traduction)

55

Les Etats donateurs continuent donc de poursuivre leurs intérêts (par exemple en choisissant les pays

de concentration de leur aide), mais ils sont obligés de montrer qu’ils s’inscrivent dans le cadre des

normes internationales, au moins pour une partie importante et visible de leurs activités de coopération

avec les pays du Sud (reprise des « Documents stratégiques de réduction de la pauvreté » établis par

chaque pays en développement sous l’égide des institutions financières internationales ; sélectivité de

l’aide et prise en compte de critères de gouvernance et de démocratie ; etc.). Ceci crée une contrainte

qui n’existait pas il y a vingt ou trente ans, quand un pays pouvait mener sa politique de coopération à

son entière discrétion et avec des objectifs et instruments plus ou moins défendables, sans que des

pressions de la communauté des bailleurs ou des organisations non gouvernementales ne puissent le

faire rentrer dans le rang. On peut donc défendre l’hypothèse que le régime international de l’aide rend

aujourd’hui moins probable une orientation purement bilatérale des politiques de coopération. Il en

résulte que les volets bi- et multilatéraux des politiques de coopération sont moins susceptibles de

fortement diverger, et peuvent plus facilement s’articuler de façon cohérente autour d’objectifs

communs. Le nombre croissant de projets cofinancés par des agences bi- et multilatérales témoigne de

ce rapprochement des objectifs1.

Plus il existe de normes censées refléter le consensus établi entre l’ensemble des acteurs, plus il est

difficile pour un acteur (bilatéral) isolé de ne pas s’y conformer. Puisqu’il affirme dans son discours

adhérer à ces normes, tout comportement contraire devient difficile à tenir. Un bon exemple de norme

qui s’est progressivement imposée à l’ensemble des pays donateurs est celui du déliement de l’APD.

Bien qu’il représente un intérêt économique évident pour les acteurs bilatéraux, le recours à l’aide liée2

est progressivement apparu en décalage avec certains grands principes, dont l’appropriation par les

bénéficiaires des stratégies de développement. Plusieurs études ont conclu à la faible efficience de

cette forme d’APD, qui entraîne un surcoût pouvant aller jusqu’à 30 % de la valeur totale de l’aide et

aboutit à la fourniture de biens et services qui sont généralement plus adaptés à l’offre du donateur

qu’aux besoins du bénéficiaire. Des discussions au sujet du déliement de l’aide ont eu lieu au CAD et

ont abouti à l’adoption de premières règles en 1992. Une nouvelle étape à été franchie, notamment

sous l’effet d’une intense campagne de lobbying de la part des ONG européennes et américaines, avec

l’adoption en 2001 d’une « Recommandation du CAD sur le déliement de l’aide publique au

développement aux pays les moins avancés », et dont le spectre a été étendu aux pays pauvres très

endettés (PPTE) en juillet 2008 3. Ce texte est incomplet (l’assistance technique et l’aide alimentaire ne

sont par exemple pas encore concernées) mais il constitue néanmoins une nouvelle norme intégrée au

1 Ainsi, le Groupe de la Banque mondiale, la Commission européenne et la BEI sont les trois premiers cofinanciers de l’AFD, loin devant les agences bilatérales d’autres pays du CAD. 2 L’aide liée est une forme d’APD avec laquelle le bénéficiaire ne peut se procurer les biens et services concernés qu’auprès de fournisseurs déterminés à l’avance (en général ceux qui viennent du pays donateur). Pour plus de détail, se reporter à www.oecd.org/cad/deliement 3 Recommandation du CAD sur le déliement de l’aide : http://www.oecd.org/dataoecd/61/15/41708406.pdf

56

régime international de l’aide. Les pays donateurs ont tous appliqué cette norme, certains montrant une

attitude plus volontariste que d’autres en déliant leur aide au-delà de ce que requiert la

recommandation du CAD (ainsi, l’Australie et le Danemark ont annoncé en 2006 le déliement de la

totalité de leurs aides). Même les pays moins « vertueux » ont progressivement délié une partie

importante de leur APD bilatérale (cf. graphique).

(Source : base de données en ligne du CAD, calcul personnel)

L’exemple de l’aide liée montre que des normes communes peuvent infléchir le comportement des

acteurs bilatéraux. Pourtant, comme dans les autres domaines des relations internationales, le respect

des principes et des normes en matière de coopération reste à la discrétion des Etats. Formellement,

rien n’empêche un pays de faire défaut, et l’on remarque que certains pays continuent à lier leur aide

bilatérale plus que les autres1. La défection est possible dans une certaine mesure, mais les pays qui

agiraient systématiquement à l’encontre des grands principes et normes du régime international de

l’aide s’exposeraient à un risque d’image important au sein de la « communauté » du développement

et seraient progressivement marginalisés. Il existe une pression internationale qui tend à faire rentrer

les différents acteurs dans un cadre commun. A contrario, l’aide chinoise à l’Afrique diverge à bien

1 En 2007, 47 % de l’APD bilatérale grecque et 25 % de l’APD bilatérale canadienne étaient liées.

0%

5%

10%

15%

20%

25%

30%

35%

40%

45%

50%

Part de l'aide liée dans les engagements d'APD bilatérale despays du CAD

Adoption de la recommandation du CAD sur le déliement de l'aide aux PMA

Premières règles de disciplines sur l'utilisationde l'aide liée adoptées au CAD

57

des égards par rapport aux principes reconnus par les bailleurs occidentaux1. Ceci entraîne une grande

méfiance de la part des donateurs du CAD et des organisations multilatérales, qui voient l’aide

chinoise comme une forme de concurrence déloyale. Ainsi, « en mars 2007, l’ancien président de la

Banque mondiale a accusé la Chine d’avoir une stratégie de « passager clandestin » en Afrique, en

prêtant à des pays qui venaient de bénéficier de remises de dette »2. Pourtant, même dans ce cas, Jean-

Raphaël Chaponnière pense qu’il faut s’attendre à « une convergence entre les pratiques chinoises et

occidentales » dans le futur. Il prend l’exemple de la prise en compte des normes de responsabilité

sociale et environnementale, au sujet desquelles « un responsable de l’Assemblée populaire [de Chine]

a déclaré en janvier 2007 que les entreprises chinoises pourraient être sanctionnées en cas d’abus à

l’étranger »3.

L’adhésion de la plupart des acteurs bi- et multilatéraux de l’APD dans le cadre du régime de l’aide a

facilité leur rapprochement et l’articulation cohérente de leurs actions. On peut en fait penser que c’est

dans une certaine mesure la distinction bi/multi elle-même qui est remise en cause depuis une dizaine

d’années. Les acteurs conservent bien sûr leurs statuts juridiques et les caractéristiques

institutionnelles qui conduisent à les classer soit dans la catégorie des acteurs bilatéraux, soit dans

celle des organisations multilatérales. En revanche, les modes d’intervention dans le domaine de la

coopération au développement sont de plus en plus souvent un mélange de bi et de multi et, pour

reprendre l’expression employée par une des personnes rencontrées dans le cadre de ce travail, « il ne

s’agit pas de noir et blanc, mais bien plus souvent de nuances de gris ». Analysant la coopération

française, Jean Coussy parle de multilatéralisation de l’aide macroéconomique bilatérale et estime

qu’on « ne peut ni comprendre ni mesurer les relations de l’APD française avec les instances

multilatérales si l’on se limite aux statistiques usuelles sur l’ "aide multilatérale" »4.

Tout d’abord, nombre de modalités majeures des aides bilatérales, comme les aides aux réformes

économiques / à l’ajustement structurel ou les remises de dettes, « ne seraient pas nées et n’auraient

pas pris les formes qu’elles ont prises sans les initiatives, les pouvoirs, les négociations et même les

pressions des Ifi »5. Cet aspect n’est pas nouveau, et existe par exemple en France au moins depuis

l’annonce de la « doctrine Balladur » en 1994.

1 Absence de transparence sur les statistiques de l’aide chinoise ; utilisation majoritaire de l’aide liée au bénéfice de l’implantation des entreprises chinoises, notamment en Afrique ; reconnaissance explicite de l’aspect « gagnant-gagnant » de la coopération ; financement de projets uniquement et pas d’aides programme ou budgétaire ; projets « clé en main » et importation de la main d’œuvre au détriment du renforcement des maîtrises d’ouvrage locales ; etc. 2 Jean-Raphaël CHAPONNIERE, « L’aide chinoise à l’Afrique : origines, modalités et enjeux », L’Economie Politique, 2008, Vol. 2, n° 38, p. 23 3 Ibid. 4 Jean COUSSY, « La participation française aux aides multilatérales », in Jean-Jacques GABAS (dir.), 2005, op. cit., p. 63 5 Ibid.

58

Ensuite, il est de plus en plus rare qu’une agence bilatérale entreprenne une action sans que d’autres

organisations, en particulier multilatérales, ne soient d’une façon ou d’une autre impliquées. Outre les

nombreuses modalités de coopération opérationnelles décrites dans la deuxième partie de ce travail, la

concertation interbailleurs et l’inscription des politiques dans le cadre d’initiatives communes sont

devenues la règle. Les DSRP, les approches programmes et sector wide approaches (SWAPs) ou

encore les aides budgétaires globales (ABG) sont autant d’outils contribuant au rapprochement et à la

coordination des actions des acteurs bi- et multilatéraux sur le terrain. L’éducation fournit l’exemple

d’un secteur où cette coordination est particulièrement poussée aux niveaux national et international,

principalement dans le cadre de l’initiative Education pour tous - Fast Track1, qui regroupe depuis

2001 vingt-quatre pays donateurs et neuf organisations multilatérales. On peut penser que la tendance

à aborder les grands enjeux globaux en termes de biens publics mondiaux (qui ne peuvent être produits

de façon isolée mais appellent une réponse coordonnée de tous les acteurs) aura pour effet de renforcer

dans le futur l’élaboration de cadres d’action collectifs dans différents domaines (protection de

l’environnement et lutte contre le changement climatique, santé, mais aussi flux migratoires ou « Etats

fragiles »).

Finalement, le cadre de la réflexion sur l’articulation bi/multi est différent aujourd’hui de ce qu’il

pouvait être durant la seconde moitié du XXème siècle. L’imposition progressive d’un ensemble

commun de principes et de normes (le régime international de l’aide) et la coordination croissante

entre acteurs bi- et multilatéraux font que les donateurs nationaux agissent de moins en moins souvent

sur un mode purement bilatéral. Certains tirent mieux parti de ce rapprochement que d’autres pour

diffuser leurs vues et faire du canal multilatéral un relai pour leurs objectifs nationaux (cf. partie II),

mais tous voient leurs politiques de coopération infléchies par les grandes dynamiques internationales.

Selon Jean Coussy : « que les relations avec les acteurs multilatéraux soient de domination ou de

coopération, leur intensification conduit à une internationalisation et à une multilatéralisation des

décision sur la plus grande partie des aides dites "bilatérales" »2. L’inscription dans le cadre du

régime international de l’aide peut être vue par les acteurs bilatéraux comme une contrainte réduisant

leur marge de manœuvre, mais elle peut aussi représenter une opportunité de concilier poursuite des

objectifs nationaux (priorités géographiques et sectorielles, influence, visibilité, etc.) et légitimité

internationale de l’action.

1 http://www.education-fast-track.org/default.asp 2 Jean COUSSY, in Jean-Jacques GABAS (dir.), 2005, op. cit., p. 65

59

2. L’architecture européenne de l’aide comme exemple d’une coordination innovante entre

acteurs bi- et multilatéraux

L’exemple le plus poussé de la coordination bi/multi qui vient d’être décrite est celui de

l’architecture européenne de l’aide, qui englobe la politique de coopération de la Commission

européenne et celles des Etats membres de l’Union. L’Union européenne est très certainement un cas à

part du fait du rapprochement politique et économique sans équivalent de ses membres. Toutefois,

l’aide européenne (Commission et Etats membres) représente plus de 60 % de l’APD mondiale, et ne

peut donc pas être réduite à un simple exemple.

On assiste depuis une dizaine d’années au renouvellement de la coopération européenne pour le

développement, et à la progression vers une réelle politique communautaire dans une optique intégrée

de la complémentarité entre acteurs. La convergence des acteurs européens autours d’objectifs

communs d’une part, et l’expérimentation de modalités nouvelles de coordination bi/multi d’autre

part, font de l’Europe un cas particulièrement intéressant à étudier.

Il est important de préciser dès maintenant que l’aide européenne présente des particularités qui font

qu’elle est difficilement assimilable à l’aide multilatérale « classique », bien qu’elle soit comptabilisée

en tant que telle par le CAD. L’attribution des ressources du FED est décidée par les Etats membres

sur une base similaire aux reconstitutions pluriannuelles des guichets concessionnels des banques

multilatérales de développement (IDA, FAfD, FAsD) ou de certains fonds multilatéraux (FEM). En

revanche, l’allocation des ressources en APD financées sur le budget communautaire a lieu lors de la

procédure budgétaire annuelle dans laquelle interviennent le Conseil et, dans une moindre mesure, le

Parlement européen. Elle est en cela plus proche des processus déterminant le niveau des aides

bilatérales. La Commission européenne est également un acteur atypique car elle a un double rôle :

bailleur de fonds (le plus important au monde en terme de volume)1 et coordinateur des politiques

d’aide des Etats membres. Par ailleurs, le mélange bi/multi devient évident si l’on ne considère plus la

seule aide de la Commission mais également celles des Etats membres. L’aide européenne doit donc

être considérée comme une forme hybride sui generis entre bi- et multilatéralisme2, en fait une aide

régionale reposant sur la forte proximité des Etats concernés.

1 L’aide extérieure constitue environ 6 % du budget communautaire pour la période 2007-2013, soit près de 50 milliards d’euros, auxquels s’ajoutent les crédits du FED qui représentent 22,7 milliards d’euros pour les pays ACP au cours de la période 2008-2013 (dixième FED). 2 La Commission européenne est d’ailleurs la seule organisation régionale à être membre du CAD de l’OCDE.

60

a. L’élaboration d’un consensus européen sur l’aide et le rapprochement des acteurs

européens de la coopération au développement

La politique européenne de coopération est devenue en une cinquantaine d’années une politique

importante pour la gestion des relations entre l’Union européenne et le reste du monde, que ce soit

dans le cadre de la coopération UE-ACP (accords successifs de Yaoundé, Lomé puis Cotonou) ou

plus récemment de la politique européenne de voisinage (PEV) avec les espaces est-européen et

méditerranéen.

A la fin des années 1950, la politique européenne de coopération était surtout vue comme un moyen

de perpétuer en les multilatéralisant les liens avec les colonies françaises, et dans une moindre mesure

belges, nouvellement indépendantes. La France a été le principal moteur de cette politique et a

longtemps eu un poids dominant dans son élaboration, en faisant une sorte de « reproduction élargie

de l’aide traditionnelle française »1 (concentration sur l’Afrique, soutien au cours des produits

primaires avec Stabex et Sysmin, aide aux secteurs publics, etc). La politique européenne d’aide au

développement a pourtant évolué en parallèle à la construction européenne et s’est diversifiée, par

exemple en ce qui concerne la liste de ses bénéficiaires, qui s’est étendue aux pays du Commonwealth

après l’adhésion du Royaume-Uni en 1973, puis à l’Europe de l’Est, à l’espace méditerranéen, à l’Asie

et à l’Amérique latine.

On ne reviendra pas ici en détail sur l’histoire de la coopération européenne au développement, son

fonctionnement institutionnel ou sa réforme, ces aspects étant largement traités ailleurs2. Il convient en

revanche d’insister sur le fait que, d’une politique soutenue par un petit nombre d’Etats intéressés, la

politique européenne de coopération s’est progressivement rapprochée d’une véritable politique

commune, dans laquelle la majorité des Etats membres s’implique aux côtés de la Commission

européenne, sur la base de principes et d’objectifs partagés. Les avancées les plus notables ont eu lieu

au cours de la dernière décennie, qui a vu un consensus politique se former entre les Etats membres et

la Commission sur la coopération avec les pays en développement. Le traité de Maastricht avait en

1992 constitué une première étape car il entérinait l’existence d’une politique communautaire

autonome en matière de coopération au développement (Art. 177), qui est « complémentaire de celles

qui sont menées par les Etats membres ». Trois grands objectifs y sont fixés (le développement

économique et social durable des pays en développement, leur insertion dans l’économie mondiale et

la lutte contre la pauvreté), et le principe des « 3 C » (coordination, complémentarité, cohérence) est

1 Jean COUSSY, in Jean-Jacques GABAS (dir.), 2005, op. cit. p. 67 2 Se reporter par exemple à Laure DELCOUR, « L’Union européenne : une approche spécifique du développement ? », Mondes en développement, 2003, Vol. 31/4, No. 124. Voir également le site de la Commission européenne consacré à la politique de coopération au développement :

http://ec.europa.eu/development/index_en.cfm

61

adopté1. L’absence de stratégie globale et précise a toutefois entravé à cette époque l’élaboration d’une

politique commune à la Commission et aux Etats membres.

Suite notamment au renouveau de la réflexion sur le développement et du consensus international sur

l’APD entre la fin des années 1990 et le début des années 2000, l’UE a progressivement muri une

stratégie européenne d’aide au développement. La première pierre en a été posée en 2000 par une

communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen au sujet de la politique

communautaire de développement2, qui fournit une vision globale de cette politique et la recentre sur

l’objectif principal de lutte contre la pauvreté. Alors que l’évolution de la politique de coopération de

l’Union avait jusqu’alors largement été déterminée par l’agrégation des priorités de ses membres

(orientation initiale vers l’Afrique, puis vers le Commonwealth avec l’adhésion britannique, puis vers

l’Amérique latine avec l’adhésion de l’Espagne et du Portugal, etc.) ou par des bouleversements

internationaux (orientation vers l’Est après la chute du mur de Berlin), la stratégie élaborée depuis

2000 « correspond à la première tentative effectuée pour dissocier la politique d’assistance de

l’évolution interne de l’Union européenne […] »3.

En novembre 2005, les Etats membres (Conseil européen), le Parlement et la Commission ont

franchi une nouvelle étape en adoptant le « Consensus européen pour le développement »4. Cette

déclaration commune de politique définit les valeurs, principes et objectifs des politiques de

coopération menées par la Commission aussi bien que par les Etats membres5. Elle insiste sur la

nécessaire complémentarité entre ces politiques communautaire et nationales et sur le fait que la

Commission doit agir dans le cadre de ses compétences et en fonction de ses avantages comparatifs.

Elle est centrée, notamment, sur la lutte contre la pauvreté et l’atteinte des OMD ; la promotion des

valeurs politiques de l’Europe (droits de l’homme, démocratie, Etat de droit, solidarité et justice

sociale, etc.) ; l’alignement sur les stratégies des pays en développement ; l’unification des positions

européennes dans les grandes enceintes internationales.

La base pour une meilleure complémentarité des actions de la Commission et des Etats membres est

renforcée en 2007 après l’adoption du « Code de conduite de l’UE sur la division du travail dans la

1 Cf. Paul HOEBINK (ed.), « The treaty of Maastricht and Europe’s Development Co-operation », Triple C evaluation study No. 1, Evaluation services of the European Union, 2004 2 http://ec.europa.eu/development/icenter/repository/com2000_0212en01_en.pdf 3 Laure DELCOUR, 2003, op. cit., p. 84 4 http://ec.europa.eu/development/icenter/repository/european_consensus_2005_fr.pdf 5 « fort des progrès réalisés ces dernières années, le "Consensus européen pour le développement" présente pour la première fois une vision commune qui oriente l'action de l'UE dans le domaine de la coopération au développement, tant au niveau de ses États membres qu'à celui de la Communauté » (Consensus européen pour le développement, p. 1)

62

politique de développement »1. Ce texte présenté par la Commission européenne a été adopté par les

Etats membres réunis au sein du Conseil. Il avance onze principes visant à améliorer la division du

travail2, en lien avec la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide et le Consensus européen sur le

développement. Leur application doit permettre de réduire les coûts de transaction, de créer des

synergies en tirant parti des avantages comparatifs de chaque bailleur et d’aller vers une répartition

géographique et sectorielle plus rationnelle des ressources. Ce code constitue un guide pour l’action

des différents acteurs, mais son application repose sur le volontariat et nécessitera en tout état de cause

plusieurs années avant que les acteurs ne généralisent la coordination de leurs interventions voire, à

terme, de la programmation de leurs aides.

Outre ce rapprochement politique au plus haut niveau et cet accord sur les objectifs communs et les

modalités de leurs politiques de coopération, les acteurs européens du développement ont engagé

depuis plusieurs années une réflexion sur l’architecture européenne de l’aide et les moyens pour

l’améliorer3. De nombreux articles ont également été écrits à ce sujet par des universitaires ou par des

chercheurs rattachés à des think tanks4. Tous font le constat de :

- la complexité institutionnelle des dispositifs actuels, au sein des institutions européennes et dans

les Etats membres ;

- la coordination encore insuffisante entre la Commission et les Etats membres ;

- le saupoudrage de l’aide de chaque acteur sur un grand nombre de pays/secteurs, avec des

apports souvent très faibles, et la présence dans chaque pays de nombreux donateurs européens ;

- l’impact négatif sur l’efficacité de l’aide européenne et sur la visibilité internationale de l’Europe

en tant qu’acteur unitaire qui résulte de ce qui précède.

1http://ec.europa.eu/development/icenter/repository/COMM_PDF_COM_2007_0072_F_FR_DIVISION_TRAVAIL.PDF 2 Ces principes portent sur : la concentration sectorielle des activités, la spécialisation selon les avantages comparatifs, la limitation du nombre de pays d’intervention, la désignation d’un chef de file dans chaque secteur, l’encouragement des délégations de crédits, l’aide aux pays « orphelins » desquels se détourne l’assistance internationale, etc. 3 A l’image du séminaire d’Ermenonville organisé par l’AFD en décembre 2008 et qui a réuni une quarantaine de décideurs politiques, dirigeants d’institutions de coopération bi- et multilatérales européennes, chercheurs, représentants d’ONG, etc. (cf. http://www.afd.fr/jahia/Jahia/site/afd/lang/fr/aid_architecture). Ou de la conférence organisée à sa suite à Londres par le DFID et l’ODI en avril 2009 (cf. http://www.odi.org.uk/events/details.asp?id=488&title=evolution-european-development-cooperation-taking-change-agenda-forward). 4 Parmi les plus récents, voir par exemple : Jean-Michel DEBRAT, « La politique européenne de développement : une réponse à la crise de la mondialisation ? », Fondation pour l’innovation politique, 2009 ; Mikaela GAVAS, « The Evolution of EU Development Cooperation: Taking the Change Agenda Forward », Overseas Development Institute, Conference Paper, 2009 ; Sven GRIMM, « Reforms in the EU’s Aid Architecture and Management », Deutsches Institut für Entwicklungspolitik, Discussion Paper, 2008 ; Elise HUILLERY, « Pour la fin du saupoudrage dans la coopération européenne au développement, vers une division du travail entre Etats membres », Ecole d’économie de Paris, non publié, 2008.

63

Notant toutefois les progrès que représentent les déclarations successives présentées ci-dessus

(notamment le consensus et le code de conduite), les observateurs concluent donc qu’il n’existe pas

encore de politique européenne de développement unifiée. Différentes recommandations sont alors

formulées (sur les plans politiques et institutionnels ; au niveau de Bruxelles, des Etats membres, des

pays d’intervention) pour aller vers un système intégré de l’aide européenne. On souligne

généralement la nécessité de tirer parti des compétences de chaque acteur et de faciliter la coopération

par leur mise en réseau, alors que la fusion au sein d’une « grande agence » européenne unifiée est vue

comme une fausse bonne idée.

Cette mise en réseau des acteurs est amorcée depuis quelques années, principalement au niveau des

opérateurs des politiques nationales de développement. Ainsi, les agences bilatérales européennes

spécialisées dans le financement du secteur privé dans les pays en développement sont rassemblées au

sein du réseau EDFI (European Development Finance Institutions)1 qui compte actuellement seize

membres. Autres exemples, le réseau EUNIDA (European network of implementing development

agencies)2 rassemble l’expertise technique européenne, et le « Réseau des praticiens de la coopération

européenne au développement »3, qui rassemble depuis 2007 douze agences de mise en œuvre

européennes (dont onze bilatérales et EuropeAid) et fonctionne comme une plate-forme ouverte pour

l’échange de bonnes pratiques et la coordination. Ce type d’initiative favorise la connaissance

mutuelle et la proximité entre acteurs, condition nécessaire à une coopération renforcée.

Il ne faut pas pour autant surestimer la force du consensus européen sur les objectifs et modalités de

la coopération au développement, qui reste un processus en cours. Celui-ci est encore limité sur

certains points : la vision politique du Consensus de 2005 n’est pas intériorisée de la même façon par

tous les Etats membres, ni par tous les acteurs au sein des différents Etats ; le code de conduite de

2007 reste non-contraignant et sa mise en œuvre limitée ; les Etats continuent à poursuivre des intérêts

spécifiques, au détriment de la cohérence des politiques (cf. l’exemple frappant de la politique agricole

commune). La proximité des acteurs n’est, elle non plus, pas générale. Elle concerne avant tout les

grands bailleurs traditionnels (AFD, BEI, Commission, DFID, KfW), qui ont développé une bonne

connaissance mutuelle, des contacts fréquents, des échanges de personnels, etc. D’autres donateurs,

dont certains sont des acteurs montants comme l’Espagne (AECID), ne sont pour l’instant pas aussi

bien intégrés dans l’architecture européenne.

1 http://www.edfi.be/ 2 http://www.eunida.eu 3 http://www.dev-practitioners.eu/

64

b. Les modalités innovantes de mise en œuvre des politiques de coopération entre acteurs

bi- et multilatéraux européens

La proximité croissante entre les acteurs européens du développement et la vision politique

commune qu’ils ont commencé à élaborer ont permis depuis quelques années d’expérimenter de

nouvelles formes de coordination entre les aides bi- et multilatérales européennes. Bien qu’elles ne

soient pas encore généralisées, elles constituent des méthodes intéressantes d’amélioration de

l’articulation entre les aides nationales et l’aide communautaire. Il s’agit principalement :

- des délégations de gestion, pour lesquelles la Commission délègue à une agence d’un Etat

membre la responsabilité de la bonne utilisation de ses fonds (contrôler la passation des marchés,

effectuer les paiements, suivre les dépenses, auditer le projet, etc.). Le délégataire s’engage en

retour à rendre compte à la Commission de la bonne exécution technique et financière du projet1.

Ce principe de délégation est également applicable entre deux agences bilatérales. Il est

encouragé par le code de conduite de 2007, dont il constitue le deuxième principe directeur. La

conclusion d’un accord de délégation est soumise à l’accréditation ex ante des procédures du

délégataire par la Commission, qui doit les reconnaître comme équivalentes aux siennes sur six

« piliers »2. Jusqu’à présent, neufs agences de développement européennes ont bénéficié de cet

agrément et sont dites « euro-compatibles » ;

- des transferts de crédits qui, à l’inverse des délégations, s’opèrent d’un bailleur bilatéral vers la

Commission, pour le financement de projets alignés sur les procédures de cette dernière ;

- du Fonds fiduciaire UE – Afrique pour les infrastructures3, qui fonctionne sur le principe du chef

de filat : pour chaque projet, un bailleur est désigné comme « leader financier » (en général celui

qui présente le projet) et reçoit une subvention de la Commission, qui peut notamment servir à

bonifier des prêts, à financer de l’assistance technique ou des études en accompagnement du

projet. Mixées aux prêts du leader et d’autres cofinanciers, ces subventions génèrent des effets de

levier et mobilisent des volumes de ressources significatifs. Ce trust fund est récent et les

décaissements sont encore relativement limités, mais il est jugé positivement par les bilatéraux

1 A titre d’exemple, neuf projets en cours d’instruction ou en exécution doivent en 2009 donner lieu à des délégations de crédits de la Commission (50 millions d’euros au total) vers l’AFD. 2 Les six piliers portent sur : système de contrôle interne ; comptabilité ; audit externe ; procédures de passation des marchés et d’octroi des subventions ; transparence au sujet des bénéficiaires des fonds communautaires ; accès du public à l’information. 3 Lancé en 2007 par la Commission et les Etats membres, ce fonds est géré par la BEI. Il est doté à hauteur de 148 millions d’euros à l’heure actuelle, plus 300 millions engagés dans le cadre du 10ème FED. Les principaux donateurs bilatéraux en sont l’Espagne et le Royaume-Uni (10 millions chacun), la France et l’Italie (5 millions chacun). Onze pays européens y participent au total.

65

européens (« une gouvernance à la fois très efficiente pour l’octroi, et de grande valeur ajoutée

en terme de dialogue opérationnel »)1 ;

- de la Facilité d’investissement pour le voisinage2, qui fonctionne sur un mode similaire au Fonds

infrastructures, mais pour lequel la subvention est versée directement au pays bénéficiaire. La

FIV est financée par la Commission sur budget communautaire (Instrument européen de

voisinage et de partenariat), mais aussi par les contributions volontaires en subventions des Etats

membres de l’UE et des pays partenaires du voisinage, au sud et à l’est de l’Union. Ces

ressources en subventions sont associées à des prêts d’institutions financières européennes

reconnues éligibles, bilatérales (AFD, KfW, banque de développement autrichienne OeEB, etc.)

ou multilatérales (BEI, BERD, Banque du Conseil de l’Europe), de manière à obtenir un effet de

levier plus important. La facilité est conçue comme un partenariat entre différentes catégories

d’acteurs bi- et multilatéraux pour mobiliser des volumes suffisants pour faire face aux coûts

élevés des projets financés, principalement dans le secteur des infrastructures.

Il est encore trop tôt pour procéder à l’évaluation complète de ces nouveaux instruments, qui n’ont

pour la plupart été mis en place qu’en 2007/2008. Pourtant, de l’avis des acteurs concernés, il est déjà

clair que ces instruments ont favorisé le renouvellement des relations entre les institutions européennes

de développement (Commission et BEI) et les bailleurs bilatéraux et ont créé des lieux pour un

dialogue opérationnel qui était auparavant des plus limités. Les cofinancements et la collaboration

dans le cadre de la FIV ou du Fonds fiduciaires infrastructures amènent les institutions à mieux

connaître les modes de fonctionnement et les contraintes de leurs autres partenaires, et permettent de

créer des habitudes, méthodes et procédures de travail en commun. Dans le cadre de la gouvernance de

ces nouveaux instruments, « les agences bilatérales ont gagné en crédibilité du fait de leur

participation active aux "groupes des financiers" […] et deviennent en fait des partenaires

incontournables de la Commission sans qui des montants significatifs de ressources additionnelles ne

pourraient être levés »3. La coordination entre bailleurs bilatéraux est également renforcée, par

exemple dans le cadre de la FIV où les projets cofinancés par plusieurs institutions européennes sont

favorisés : « la perspective de création de la FIV a conduit l’AFD, la BEI et la KfW à intensifier dès la

fin 2007 une relation de partenariat déjà étroite. En particulier, cinq réunions de concertation […]

ont permis de constituer sur la Méditerranée un portefeuille commun 2008-2010 de 34 projets

éligibles à la FIV »4. Par ailleurs, l’agrément par la Commission des procédures de certains acteurs

1 Note interne à l’AFD, mars 2009. 2 Mise en place en 2008, cette facilité a été dotée de 700 millions d’euros par la Commission européenne pour la période 2007-2013. Les contributions annoncées par treize Etats membres s’élèvent à une quarantaine de millions d’euros, dont la majeure partie est assumée par l’Allemagne (10 millions en 2008, sans affectation) et la France (10 millions sur deux ans, portés par l’AFD et fléchés sur les pays méditerranéens). 3 Note interne à l’AFD, mars 2009. 4 Note interne à l’AFD, novembre 2008.

66

européens est susceptible de faciliter dans le futur la reconnaissance mutuelle de leurs procédures par

ces acteurs bilatéraux1.

Au niveau opérationnel, les nouveaux instruments présentent plusieurs avantages, dont entre autres :

- le développement de nouvelle synergies bi/multi, notamment par le mixage entre prêts et dons

que permettent la FIV et le Fonds fiduciaires infrastructures, alors que les modalités d’action

de certains bailleurs (prêts de l’AFD, la KfW ou la BEI) se mariaient auparavant mal avec

celles de la Commission (dons, aide budgétaire). Le mixage prêt/dons n’est pas une solution

miracle pour répondre à tous les besoins de financement du développement (il est par exemple

peu adapté au financement des secteurs sociaux), mais il représente une innovation

intéressante permettant à terme de constituer une véritable « offre de financement

européenne » ;

- l’effet de levier permettant d’atteindre des volumes suffisant pour des projets qui n’auraient

autrement pas été financés2 ;

- la réduction des coûts de transaction avec le principe du chef de filat, pour les bénéficiaires

(qui n’ont qu’un interlocuteur) et pour les bailleurs (lorsque les procédures seront rodées) ;

Ces modes innovants de coordination fonctionnent également car ils reposent sur les intérêts bien

compris des partenaires :

- pour les bilatéraux européens, ceci constitue un moyen intéressant de mutualiser les risques. Il

s’agit également d’une source précieuse de subventions pour les acteurs qui, comme c’est le

cas de l’AFD, agissent principalement sur prêts et manquent de dons : « dans un contexte de

réduction des subventions par la République, le recours aux fonds fiduciaires et aux facilités

pour financer des études, de l'assistance technique, des appuis aux maîtres d'ouvrage au

travers de subventions européennes est inestimable »3.

Par ailleurs, ces nouvelles formes de coopération sont souples et permettent aux agences

bilatérales de concilier en partie coordination au niveau européen (et donc une certaine

multilatéralisation) et poursuite des priorités nationales. Ainsi, dans le cadre de la FIV, les

bailleurs s’impliquent en fonction de leurs priorités plus à l’Est (BERD, Banque du Conseil de

l’Europe, OeEB autrichienne), au Sud (AFD, SOFID espagnole, SIMEST italienne), ou dans

les deux régions (BEI, KfW).

1 L’AFD, la BEI et la KfW ont déjà reconnu leurs procédures comme équivalentes, ce qui facilite la conclusion de cofinancement et de délégations de gestion. 2 « l'AFD ne serait jamais intervenue dans certains projets sans la présence à ses côtés de la BEI, de la KfW et de subventions de la CE atténuant le coût des investissements pour l'emprunteur. Le format consortium et les bonifications de taux rendent les risques plus gérables. » (source : note interne à l’AFD, mars 2009). 3 Note interne à l’AFD, mars 2009.

67

Le principe du chef de filat est également susceptible de remporter l’adhésion des bailleurs,

car il permet de concilier coordination dans un cadre multilatéralisé et visibilité individuelle

pour le chef de file.

- pour la Commission européenne, la coopération avec les bilatéraux dans le cadre des

délégations de gestion ou des fonds/facilités lui permet de faire face à la lenteur habituelle de

ses décaissements et à son manque de personnel. Il lui permet également de tirer parti de

l’expérience spécifique des bailleurs dans certains secteurs ou régions.

Malgré des avancés réelles, l’articulation bi/multi permise par ces nouveaux instruments communs

souffre encore de limites importantes. Les bilatéraux européens ne semblent pas avoir totalement

intégré dans leurs habitudes de travail les possibilités offertes par certains instruments, notamment le

fonds fiduciaires infrastructures. Les services de la Commission européenne et de la BEI jugent en

effet que les bailleurs bilatéraux européens n’ont pas encore rempli leur rôle dans ce fonds et ne sont

pas parvenus à présenter un nombre suffisant de projets d’infrastructures « bancables » depuis deux

ans, ni à faire avancer rapidement ceux qui ont été approuvés. Ce faible dynamisme met la

Commission dans une situation délicate, eu égard aux montants importants de fonds communautaires

investis, et l’a amené à assouplir les termes de références du fonds pour en faciliter les décaissements

(notamment en favorisant la coopération avec la BAfD, la Banque mondiale et la DBSA1). Dans le cas

de l’AFD, certains déplorent la faible propension de l’Agence à solliciter les mécanismes de

financement européens au jour le jour, malgré sa forte implication dans leur élaboration et en dépit de

l’intérêt financier évident qu’ils représentent pour elle. Cet exemple montre que pour fonctionner, la

coopération bi/multi européenne nécessite une attitude volontariste des acteurs et l’établissement

d’habitudes de travail en commun.

La principale limite des nouveaux instruments de coopération entre la Commission et les bilatéraux

européens tient en fait au nombre encore limité d’Etats membres qui y participent. La totalité des

cofinancements réalisés dans le cadre du fonds fiduciaire infrastructures et de la FIV l’est pour

l’instant par le trio AFD-BEI-KfW, trois institutions aux fonctionnements proches et ayant une très

bonne connaissance mutuelle. La plupart des bilatéraux européens2, y compris certains acteurs majeurs

en termes de volumes financiers et d’expérience, ne semblent pas avoir les capacités institutionnelles

pour répondre aux mécanismes complexes de la Commission (certains ne disposent pas d’opérateurs

financiers similaires à l’AFD et à la KfW, d’autres, comme le DFID ou les coopérations belge et

luxembourgeoise, fonctionnent uniquement sur subvention). Il en résulte une situation politiquement

difficile puisque les nouveaux mécanismes communautaires de coopération bi/multi, défendus

notamment par la France et l’Allemagne, sont soupçonnés par certains (à la Commission et dans les 1 Development Bank of Southern Africa. 2 DFID britannique, SIDA suédois, DANIDA danois, CTB belge, AECID espagnole, ADA autrichienne, Czech Aid , coopération slovène, etc.

68

Etats membres) d’être un moyen pour les grands pays de re-bilatéraliser l’aide communautaire. Le

faible nombre de pays participants a par ailleurs un impact sur le nombre limité de projets présentés

(cf. supra). Il semble normal que la mise en œuvre des instruments soit initialement menée par

quelques Etats plus intéressés, mais leur pérennisation nécessitera à l’avenir leur extension à tous les

acteurs européens. Le trio dominant aurait donc intérêt à assister les autres acteurs pour qu’ils puissent

participer aux mécanismes européens (par exemple l’Autriche et l’Espagne qui disposent déjà

d’opérateurs financiers publics adaptés).

Malgré ces limites, qui sont liées à l’instauration récente des fonds et facilités européennes, l’Europe

offre l’exemple d’un renouvellement de l’articulation bi/multi fondé sur (i) le rapprochement politique

des « 27 +1 » autour d’objectifs communs, (ii) la mise en réseau des acteurs et l’amélioration de leur

connaissance mutuelle, et (iii) l’établissement d’outils offrant un cadre de coopération opérationnelle.

L’architecture de l’aide européenne en construction peut potentiellement devenir le niveau de mise en

cohérence des coopérations bilatérales des Etat membres et de la coopération multilatérale

communautaire1. La vision formulée est louable, même si elle mettra sans doute du temps à se

réaliser complètement : « en tant que telles, ces initiatives peuvent jouer un rôle positif pour atteindre

plus efficacement les objectifs politiques de l’UE […], promouvoir la coopération entre les acteurs de

l’aide en Europe et accroître la visibilité de l’aide européenne »2.

Finalement, pour le régime international de l’aide établi depuis une dizaine d’années, comme pour le

cas plus spécifique de l’aide européenne, il s’avère que le rapprochement des acteurs bi- et

multilatéraux autours d’objectifs politiques communs joue un rôle déterminant dans le renforcement

de l’articulation et de la cohérence entre les volets bi- et multilatéraux des politiques de coopération.

La création de référentiels communs dans lesquels s’inscrivent ensuite les différentes politiques est

susceptible de favoriser la convergence des politiques bi- et multilatérales. Dans le cas européen, la

définition d’une vision politique commune, et la mise en réseau des acteurs de l’aide, ont précédé

l’élaboration d’instruments permettant de nouvelles synergies bi/multi (délégations, transferts, facilités

et fonds fiduciaires). Ce modèle pourrait à l’avenir être étendu au niveau international, même si les

obstacles rencontrés au niveau européen y seraient sans doute plus importants encore.

1 Voir par exemple : Jean-Michel DEBRAT, « Pour une politique européenne de développement », Fondation pour l’innovation politique, 2006 2 Conseil de l’Union européenne, Note de cadrage sur les mécanismes de mixage prêt/dons aux fins d’assistance extérieure, décembre 2008, http://register.consilium.europa.eu/pdf/fr/08/st17/st17123.fr08.pdf

69

Conclusion

Le débat sur l’articulation entre bi- et multilatéralisme en matière de coopération au développement

s’est posé dès les origines de l’APD et était déjà qualifié de « vieille controverse » en 19621. L’aide

bilatérale est souvent considérée comme étant d’abord déterminée par les intérêts du donateur en

matière de politique étrangère, plus que par des considérations éthiques ou de développement2.

Pourquoi dès lors ne pas plaider pour le transfert de tous les moyens de l’aide au développement aux

organisations multilatérales, voire à une seule grande organisation ? Ceci présenterait a priori

d’immenses avantages en termes de baisse des coûts de transaction, d’appropriation des politiques par

les bénéficiaires, de diminution du caractère politique de l’aide, etc.

Nous avons en réalité vu qu’il est simplificateur de penser que multilatéralisme rime avec apolitisme,

de même qu’il serait injustifié de dénier toute motivation développementaliste aux Etats qui

consacrent chaque années des ressources importantes à l’APD. Surtout, il est illusoire d’imaginer que

les Etats, même les plus « vertueux » en matière d’APD, pourraient accepter de renoncer totalement au

contrôle de leurs aides, qui restent des outils importants de gestion des relations internationales. On

peut par ailleurs raisonnablement penser qu’il existe une certaine « taille critique » de la coopération

bilatérale, sous laquelle un pays donateur ne peut descendre s’il souhaite conserver visibilité et

influence dans le domaine de la coopération internationale. Un pays pèse dans les enceintes

multilatérales par le volume de ses contributions, mais également par l’expérience et la crédibilité

tirées de sa coopération bilatérale. Plusieurs éléments permettent donc d’affirmer que les politiques de

coopération conserveront à l’avenir leurs volets bilatéral (car il s’agit bien de politiques publiques

d’Etats souverains) et multilatéral (car le multilatéralisme est un élément constitutif des relations

internationales contemporaines, essentiel dans le domaine de la coopération au développement).

Ces deux modes de coopération sont aujourd’hui de plus en plus liés, même si les Etats donateurs les

inscrivent encore rarement ensemble dans des visions stratégiques globales (cf. partie I). La

coopération opérationnelle entre acteurs bi- et multilatéraux est croissante, et permet de faire jouer des

complémentarités (cf. partie II.1). On assiste aussi bien à une certaine bilatéralisation de l’aide

multilatérale (cf. partie II.2) qu’à une multilatéralisation de l’aide bilatérale (cf. partie III), et

finalement à un certain flou dans la distinction bi/multi avec un continuum de modes d’intervention

intermédiaires.

1 Robert E. ASHER, 1962, op. cit. 2 « L’aide bilatérale était souvent fondée sur des critères peu pertinents visant des fins politiques, sujette à des changements et interruptions à chaque nouveau budget, et dès lors peu adaptée à la lutte contre les inégalités dans le monde… [Il y avait également une] tendance de l’aide bilatérale à être liée à des projets grandioses, alors qu’il y avait un besoin égal ou supérieur de programmes globaux de développement », Thomas BALOGH, « Multilateral versus Bilateral Aid », Oxford Economic Papers, No. 19 (3), 1967, pp. 332-344, cité dans MILNER, 2006, op. cit.

70

Le rapprochement entre bi- et multilatéralisme en matière de coopération est selon nous facilité par

l’élaboration depuis une dizaine d’années d’un régime international de l’aide (autour du double agenda

des OMD et de l’efficacité de l’aide), qui fait converger les actions des différents acteurs autour de

principes et d’objectifs communs. Les Etats donateurs, ou du moins ceux du CAD, conforment leurs

discours officiel à ce « consensus » international et sont donc moins susceptibles de mener leurs

politiques nationales de coopération sur un mode purement bilatéral. On peut penser que l’inscription

croissante des politiques bilatérales dans un cadre commun à l’ensemble des acteurs bi- et

multilatéraux a un effet incitatif sur les Etats pour qu’ils pensent de façon plus stratégique et cohérente

l’articulation entre les volets bi- et multilatéraux de leurs coopérations

L’existence d’un régime international encadrant les politiques bilatérales peut être perçue comme

une contrainte par les pays donateurs, mais ceux-ci peuvent également avoir intérêt à s’inscrire dans le

cadre du régime et à en respecter les « bonnes pratiques » (déliement de l’aide, renforcement des

maîtrises d’ouvrage locales, etc.). En plus de contribuer à améliorer l’efficacité de l’aide, ceci peut en

effet renforcer la légitimité de l’aide bilatérale et dissiper les soupçons pesant sur ses motivations (cf. a

contrario l’exemple de la Chine discuté précédemment). Le respect des grands principes et des normes

internationales en matière d’aide n’est par ailleurs pas incompatible avec l’orientation des politiques

de coopération bi- et multilatérales en fonction de priorités nationales légitimes (secteurs et pays de

concentration, influence, rayonnement culturel, etc.).

Il ressort de notre étude que trois éléments peuvent significativement contribuer à renforcer la

cohérence des politiques de coopération bi- et multilatérales :

- Au niveau de chaque pays donateur, la clarification des objectifs poursuivis à travers le bi- et le

multilatéralisme et de l’articulation entre ces deux volets de la coopération, notamment par

l’élaboration de stratégies d’ensemble, par la formation des acteurs nationaux à ces enjeux de

cohérence bi/multi, etc. ;

- Entre les acteurs bi- et multilatéraux, l’accord au niveau politique sur des principes, normes et

objectifs communs que chacun s’engage à respecter ;

- Le rapprochement des opérateurs du développement bi- et multilatéraux, l’amélioration de leur

connaissance mutuelle, le développement progressif d’habitudes de travail en commun ;

- La coopération sur le terrain (division du travail, coordination, cofinancements), et dans certains

cas l’établissement d’instruments opérationnels communs permettant d’exploiter les synergies

bi/multi.

L’Europe est le lieu où le plus de progrès ont été faits à ces différents niveaux. Il n’existe pas encore

de « politique européenne de développement » unique, mais une architecture de l’aide européenne

permettant de tirer parti des complémentarités entre acteurs bi- et multilatéraux se met

incontestablement en place depuis quelques années.

71

L’extrapolation de ce schéma à l’architecture internationale de l’aide dans son ensemble dans les

années à venir n’est pas acquise car le cas européen est spécifique. Il semble toutefois que les

donateurs soient aujourd’hui plus conscients de la nécessité de mieux penser les liens entre leur

coopération bilatérale et leur participation au système multilatéral1. L’amélioration de la cohérence

entre bi- et multilatéralisme dans le champ de la coopération au développement nécessite une attitude

proactive et volontariste de l’ensemble des acteurs, mais le contexte international y semble plus

favorable depuis une dizaine d’années qu’il y a vingt ou trente ans.

L’évolution du consensus international sur l’aide dans les années à venir sera déterminante :

l’articulation bi/multi pourrait bénéficier de son renforcement, par exemple autour de la thématique

des biens publics mondiaux, qui commence à s’imposer et appelle un traitement collectif des grands

enjeux, y compris ceux que l’on pouvait auparavant traiter sur un mode purement bilatéral, comme la

santé ; si au contraire le consensus se délite (par exemple après la date butoir de 2015 pour la

réalisation des OMD, et le probable échec à les atteindre), ceci pourrait avoir pour conséquence la

distanciation entre les objectifs et les actions des bailleurs bi- et multilatéraux, et le recentrage

progressif des politiques bilatérales sur des intérêts plus strictement nationaux (sécurité, immigration,

etc.).

1 Depuis quelques années, un nombre croissant de pays du CAD adoptent des stratégies globales pour leur aide multilatérale et son articulation avec l’aide bilatérale.

72

Bibliographie

Articles et ouvrages académiques :

• Sur l’aide en général :

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- CHAPONNIERE, Jean-Raphaël, « L’aide chinoise à l’Afrique : origines, modalités et enjeux », L’Economie Politique, 2008, Vol. 2, n° 38, pp. 7-28

- GABAS, Jean-Jacques, (dir.), L’aide publique française au développement, La documentation française, 2005, 171 p.

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• Sur le multilatéralisme et le débat bi/multi :

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- BALOGH, Thomas, « Multilateral versus Bilateral Aid », Oxford Economic Papers, No. 19 (3), 1967, pp. 332-344

- FAINI, Riccardo, GRILLI, Enzo, « Who runs the IFIs ? », Centre for Economic Policy Research, Discussion Paper No. 4666, 2004

- KILBY, Christopher, « Donor influence in Multilateral Development Banks: The case of the Asian Development Bank », The Review of International Organizations, Vol. 1, No. 2, 2006, pp. 173-195

- MARTENS, Bertin, « Why do aid agencies exist ?», Development Policy Review, Vol. 23, No. 6, 2005, pp. 643-663

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73

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- STOKKE, Olav, FORSTER, Jacques (eds.), Policy Coherence in Development Co-operation, 1999, EADI Book Series c/o Routledge, No. 22, 512 p.

• Sur la théorie des régimes internationaux :

- BATTISTELLA, Dario, Théories des relations internationales, Presses de Sciences Po, 2006, 588 p.

- KRASNER, Stephen, « Structural causes and regime consequences: regimes as intervening variables » , in KRASNER, Stephen (ed.), International Regimes, Cornell University Press, 1983, pp. 1-21

• Sur l’aide européenne :

- DEBRAT, Jean-Michel, « La politique européenne de développement : une réponse à la crise de la mondialisation ? », Fondation pour l’innovation politique, 2009, 19 p.

- DEBRAT, Jean-Michel, « Pour une politique européenne de développement », Fondation pour l’innovation politique, 2006, 23 p.

- DELCOUR, Laure, « L’Union européenne : une approche spécifique du développement ? », Mondes en développement, 2003, Vol. 31/4, No. 124, pp. 77-94

- GAVAS, Mikaela, « The Evolution of EU Development Cooperation: Taking the Change Agenda Forward », Overseas Development Institute, Conference Paper, 2009, 24 p.

- GRIMM, Sven, « Reforms in the EU’s Aid Architecture and Management », Deutsches Institut für Entwicklungspolitik, Discussion Paper, 2008, 39 p.

- HUILLERY, Elise, « Pour la fin du saupoudrage dans la coopération européenne au développement, vers une division du travail entre Etats membres », Ecole d’économie de Paris, non publié, 2008, 44 p.

74

Rapports et publications institutionnelles :

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- Banque mondiale, 2008 Partnership & Trust Fund Annual Report, 2008, 45 p.

- COHEN, Daniel, GUILLAUMONT JEANNENEY, Sylviane, JACQUET, Pierre, La France et l’aide publique au développement, Rapport du Conseil d’analyse économique, No. 62, La documentation française, 2006, 360 p.

- Commission européenne, Code de conduite de l’UE sur la division du travail dans la politique de développement, COM(2007)72, 2007, 13 p.

- Conseil de l’Union européenne, Note de cadrage sur les mécanismes de mixage prêt/dons aux fins d’assistance extérieure, décembre 2008, 9 p.

(http://register.consilium.europa.eu/pdf/fr/08/st17/st17123.fr08.pdf)

- HCCI, Les positions françaises défendues dans les institutions financières internationales, contribution remise à la Commission des finances de l’Assemblée nationale, 2000, 104 p.

- IDA, Aid architecture: an overview of the main trends in Official Development Assistance flows, février 2007, 54 p.

- MAEE (DGCID/DPDév/Bureau des questions multilatérales), La France et l’Aide communautaire et multilatérale – Vade-Mecum, 2008, 210 p.

- MAEE, La France et l’Europe dans le Monde, Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France, 2008, 137 p.

- MARTINEZ, Henriette, L’aide publique au développement française : analyse des contributions multilatérales, réflexions et propositions pour une plus grande efficacité, Rapport remis au Premier Ministre et au Secrétaire d’Etat à la Coopération et à la Francophonie, 2009, 97 p.

- OCDE, Examens du CAD par les pairs (www.oecd.org/dac/peerreviews)

- OCDE, Rapport 2008 du CAD sur l’aide multilatérale, 2009, 231 p.

- OCDE, La gestion de l’aide – Pratiques des pays membres du CAD, Lignes directrices et ouvrages de référence du CAD, 2005, 200 p.

- ONU, Unis dans l’action : rapport du Groupe de haut niveau sur la cohérence de l’action du système des Nations unies dans les domaines du développement, de l’action humanitaire et de la protection de l’environnement, 2006, 78p.

- Parlement européen, Conseil et Commission, Consensus européen pour le développement, (2006/C46/01), 2005, 19 p.

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Annexe : liste des entretiens réalisés

Au siège de l’AFD :

- Frédéric BONTEMS, Directeur du département du pilotage stratégique et de la prospective

(lundi 24 août 2009)

- Michel JACQUIER, Directeur général déléguée de l’AFD (27 juillet 2009)

- Olivier LAFOURCADE, ancien directeur de la Banque mondiale pour la Colombie, le

Mexique et le Venezuela, conseiller auprès du directeur général de l’AFD depuis 2002 (29

juillet 2009)

Au bureau de représentation de l’AFD à Bruxelles :

- Jean-Marc BELLOT, chef du bureau (28 juillet 2009)

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